Perspectives autochtones dans l’histoire nationale : étude ...
Transcript of Perspectives autochtones dans l’histoire nationale : étude ...
© Julien Vallée-Longpré, 2021
Perspectives autochtones dans l’histoire nationale : étude de cas sur des propositions des associations
autochtones depuis les années 1960
Mémoire
Julien Vallée-Longpré
Maîtrise en didactique - avec mémoire
Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
Perspectives autochtones dans l’histoire nationale : étude de cas sur des
propositions des associations autochtones depuis les années 1960
Mémoire
Julien Vallée-Longpré
Sous la direction de :
Catinca Adriana Stan, directrice de recherche
iii
RÉSUMÉ
Le présent mémoire porte sur les revendications autochtones en matière
d’enseignement de l’histoire au Québec. Le but de cette recherche est de mieux saisir
comment les programmes d’histoire nationale, mais aussi les enseignants du Québec
pourraient intégrer de manière efficace, et en accord avec ce que les communautés
demandent, des perspectives autochtones sur le passé.
Pour ce faire, divers documents officiels tels que des mémoires et des documents de
consultations, des rapports et des programmes scolaires ont été consultés, afin de déceler des
perspectives autochtones qui pourraient enrichir l’histoire scolaire et son enseignement au
primaire et au secondaire. Une attention spéciale a été accordée à des mémoires déposés par
les communautés autochtones lors des grandes réformes éducatives, dans lesquels elles font
valoir leur vision de l’histoire et de la place que devront occuper les différentes communautés
autochtones. Plus spécifiquement, nous nous référons au rapport Parent (1964), mais aussi
aux deux derniers rapports qui traitent de l’enseignement de l’histoire nationale, les rapports
Lacoursière (1996) et Beauchemin-Fahmy-Eid (2014).
Diverses théories développées par des didacticiens des sciences humaines (ex : la
théorie de la pensée historienne de Peter Seixas, l’agentivité de Barton ou la construction
d’une conscience historique) permettront ensuite de comprendre comment l’enseignement de
l’histoire peut participer à développer chez les élèves une conscience sociale et historique qui
redonne aux Autochtones l’importance qu’ils ont occupée et qu’ils occupent désormais dans
la société canadienne et québécoise.
En effet, l’enseignement de l’histoire nationale s’inscrit souvent dans des cadres
culturels et historiographiques définis par les générations précédentes. Au secondaire, bon
nombre de situations d’enseignement-apprentissage présentent les Autochtones comme des
acteurs historiques ayant peu recours à leur situation et isolés de la trame narrative
canadienne française (Bories-Sawala, Thibault, 2020).
À travers l’analyse des mémoires écrits par des associations autochtones, notre
recherche permettra donc de déterminer la manière par laquelle les Autochtones considèrent
leur passé et comment ils proposent d’actualiser les programmes d’enseignement afin qu’ils
reflètent ce passé mémoriel.
Mots-clés : Premières Nations, enseignement, pensée historique, récit historique national
iv
ABSTRACT
This thesis focus on indigenous claims regarding history teaching in Quebec. The
goal of this study is to understand how to incorporate indigenous views of the past in
Quebec’s history curriculum and into teaching practices. To do so, various documents were
used: briefs, documents for comment, reports and education programs. A special attention
was paid to the briefs produced by indigenous communities during the major educational
reforms. In those briefs, indigenous communities put forward their visions of the past and
discuss how they should be included in history taught to students. More specifically, we refer
to the Parent report (1964), but also to the two last reports that dealt with history teaching,
the Lacoursière report (1996) and the Beauchemin-Fahmy-Eid report (2014)
Various theories developped by educational researchers (for example the historical
thinking of Peter Seixas or Barton’s agentivity) will help us understand how history can be
taught in a way that promotes in students a social and historical consciousness that recognizes
the contributions of First Nations in the past and present society.
In fact, history teaching often uses cultural and historiographical frameworks from
previous generations. At the secondary level, a considerable amount of learning situations
present indigenous people as passive characters of Quebec and Canada historical narrative.
(Bories-Sawala, Thibault, 2020).
By analysing briefs published by indigenous associations, our study will allow us to
characterize how First Nations envision their past and how they think it should be taught in
today’s schools.
Key words: First Nations, history teaching, historical thinking, official historical narratives
v
Table des matières Liste des abréviations, sigles, acronymes ................................................................................. viii
Remerciements ....................................................................................................................... xi
Introduction ............................................................................................................................. 1
Chapitre 1. Problématique ........................................................................................................ 5
1.1. La réconciliation et la vérité ..................................................................................................... 5
1.1.1. Une centaine d’appels à l’action ....................................................................................... 7
1.1.2. Vers une réconciliation nationale : « réparer le passé » ................................................... 8
1. 2 Le Québec et les communautés autochtones ........................................................................ 10
1.2.1 La lente « reprise de contact » ......................................................................................... 11
1.2.2 La reconnaissance ............................................................................................................ 13
1.2.3 La Crise d’Oka, le « problème autochtone » et la Paix des Braves .................................. 15
1.3 Des projets nationaux en compétition .................................................................................... 18
1.4 Des identités irréconciliables? ................................................................................................ 20
1.5 Les programmes d’histoire au Québec : du bon chrétien au citoyen critique ........................ 21
1.5.1 Le rapport Parent : ruptures et continuités ..................................................................... 22
1.5.2 Les années 1970 et la poursuite des objectifs de la Révolution tranquille ...................... 24
1.5.3 Les années 1980 : un programme par objectifs ............................................................... 24
1.5.4 Les années 90 : « Se souvenir et devenir » ...................................................................... 25
1.5.5 Les années 2000 : l’enseignement par compétences ...................................................... 25
1.5.6 Les années 2010 : l’ère des débats .................................................................................. 26
Chapitre 2 : Cadre conceptuel ................................................................................................. 27
2.1. Construction du récit national ............................................................................................... 28
2.1.1. Le Grand récit canadien .................................................................................................. 28
2.1.2. Le Québec et son propre Grand récit .............................................................................. 30
2.2. Perspectives autochtones : remplacer le Grand récit par une multitude de récits ............... 31
2.3 La pensée historique ............................................................................................................... 32
2.3.1 La pensée historique comme vecteur d’une vision occidentale ...................................... 34
2.3.2 Vers un nouveau type d’histoire, produite et racontée par des Autochtones ................ 35
2.3.3 Quelles particularités pour l’enseignement de l’histoire autochtone ? .......................... 38
2.4 Pistes pédagogiques pour arrimer l’histoire scolaire avec le savoir traditionnel autochtone 39
2.4.1 L’éducation par l’histoire orale pour favoriser les perspectives autochtones ................. 39
2.4.2 La pédagogie du lieu ......................................................................................................... 41
vi
2.5 Bilan de la problématique ....................................................................................................... 42
2.6. Question générale .................................................................................................................. 42
2.7. Question spécifique................................................................................................................ 42
Chapitre 3 : Méthodologie ...................................................................................................... 43
3.1. Le Comité de Survivance indienne comme point de départ .................................................. 43
3.2. La recherche des prises de parole .......................................................................................... 44
3.3. Les catégories d’analyse ......................................................................................................... 46
Chapitre 4 : Présentation du corpus documentaire et analyse préliminaire .............................. 48
4.1 Le comité de Survivance indienne, représentant des Premiers Peuples ................................ 48
4.1.1 Critique de la représentation des Indiens dans les manuels ........................................... 49
4.1.2 Changer les mentalités envers « l’Indien » ...................................................................... 50
4.1.3 Le récit historique autochtone : le manuel d’histoire de l’Indien .................................... 51
4.2 La maîtrise indienne de l’éducation indienne : un document de référence ........................... 52
4.2.1 Une définition des valeurs indiennes ............................................................................... 53
4.2.2 Prise en main des programmes et gestion scolaire ......................................................... 54
4.3 Le Conseil en Éducation des Premières Nations : vers une maîtrise indienne de l’éducation?
....................................................................................................................................................... 54
4.3.1 Le langage utilisé : Des mots qui oppriment .................................................................... 55
4.3.2. Participation autochtone aux grands conflits et amélioration des relations entre
Québécois et Autochtones ........................................................................................................ 55
4.3.3 Le rapport à la nature et les luttes environnementales ................................................... 56
4.3.4 Les conséquences des pratiques coloniales sur le mode de vie autochtone : L’exemple
de l’arrivée des Français, de la loi sur les Indiens et des pensionnats autochtones ................. 56
4.3.5 Les Premières Nations et le Québec : des nations distinctes ........................................... 57
4.3.6 Le rapport au récit historique .......................................................................................... 58
Chapitre 5 : Discussion des résultats ........................................................................................ 60
5.1. Arrimage avec les luttes « occidentales » .............................................................................. 60
5.2. Les autochtones et le projet national québécois ................................................................... 61
5.3. S’affranchir de l’espace politique québécois et canadien...................................................... 62
5.4. La pensée autochtone contemporaine .................................................................................. 64
5.4.1. Les trois projets autochtones .......................................................................................... 64
5.4.2. Le développement d’une historiographie critique et d’une « autohistoire autochtone »
................................................................................................................................................... 66
5.4.3. Le discours ....................................................................................................................... 68
vii
5.4.4. Terminologie et langage scientifique .............................................................................. 69
5.5. Considérations générales ....................................................................................................... 69
Conclusion générale ............................................................................................................... 72
Bibliographie .......................................................................................................................... 75
viii
Liste des abréviations, sigles, acronymes
CEPN: Conseil en éducation des Premières Nations
CSI: Comité de survivance indienne
CVR: Commission vérité et réconciliation
ICEA: l’institut de coopération pour l’éducation des adultes
SAGMAI : Secrétariat des activités gouvernementales en milieu autochtone
SAA : Secrétariat des affaires autochtones
UQAT : Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
ix
Liste des tableaux
Tableau 1 – Structuration des discours autochtones en fonction du thème abordé
Tableau 2 – La maison autochtone
Tableau 3 – Évolution du discours autochtone à travers le temps
x
xi
Remerciements
Merci d’abord à Catinca Adriana Stan pour sa confiance et son précieux apport à ce
mémoire.
Merci également à mes parents Denise et Jean pour leur appui financier et spirituel.
Merci finalement à Gabriel Larivière pour m’avoir donné l’inspiration pour mon sujet de
mémoire lors d’une course dans le parc Maisonneuve.
xii
1
Introduction
Les chercheurs en didactique de l’histoire s’accordent à dire que l’enseignement de
l’histoire développe des compétences utiles tout au long de la vie, notamment la capacité de
se documenter, d’analyser des informations selon la rigueur de la méthode historique, de
contextualiser, de discerner entre la vérité historique et des points de vue soutenus par divers
acteurs impliqués (Barton, 2008 ; Cardin, 2010 ; Conseil supérieur de l’éducation, 1998;
Osborne, 2003; Pagès, 2015). En étudiant l’histoire, les élèves apprennent à s’interroger sur
des phénomènes sociaux actuels, à les problématiser, ainsi qu’à déconstruire des arguments
relatifs aux controverses publiques contemporaines, comme les revendications de certaines
communautés autochtones, à hiérarchiser ces arguments, à prendre position et à en débattre.
L’histoire aide les élèves à se percevoir comme des sujets historiques, c’est-à-dire
comme des citoyens qui participent et qui font l’histoire, au lieu de la subir. Des chercheurs
américains et canadiens ont démontré que les élèves conscients de leur pouvoir d’agentivité
(agency) seraient plus motivés à agir sur le plan politique (Barton, 2012 ; Hess, 2009 ; Pagé,
2004 ; Wineburg, 2001).
Préoccupés par l’importance des programmes scolaires et par leur pouvoir de
diffusion d’une certaine image des Autochtones, quelques organisations qui les représentent
ont participé aux consultations publiques précédant la réécriture des programmes d’histoires,
en demandant qu'y soit inscrite une présence constante tout au long de l’histoire canadienne,
une mise en exergue du rôle des communautés autochtones dans le développement du pays
et la prise en compte d’une pluralité de points de vue quant aux événements controversés,
notamment autour des allégeances ou des conflits avec les peuples colonisateurs (Institut
Tshakapesh, 2013).
Ce souci de rendre le discours officiel des programmes scolaires conforme avec les
valeurs et les récits historiques autochtones a commencé depuis les années 1960, entre autres
avec le mémoire du Comité de survivance indienne, déposé à la Commission d’enquête
royale sur l’éducation et l’enseignement : « Dans les manuels d’histoire on oublie de se
mettre à la place des Indiens et de penser qu’eux aussi étaient patriotes, avaient une partie à
2
défendre, ce qui peut changer le point de vue présenté dans les manuels1 et ne pas laisser
l’impression que tout ce qu’on attribue aux Indiens n’est uniquement que l’effet de leur
cruauté et de leur barbarie » (op. cit., p. 5). En ce qui concerne l’éducation à la citoyenneté,
ils expriment leur méfiance par rapport à la philosophie de l’égalité citoyenne, perçue comme
une nouvelle forme d’assimilation. Par ailleurs, les organisations autochtones ont commencé
à développer un discours alternatif basé non sur l’égalité entre des individus, mais sur
l’égalité entre des nations (Stevenson, 2011, p.113).
Dans le même ordre d’idées, en 2013 le gouvernement fédéral du Canada a mis sur
pieds une commission d’enquête visant à faire la lumière sur les séquelles laissées par
l’époque des pensionnats dont l’objectif était de déraciner les populations de leur milieu
culturel, favorisant ainsi l’assimilation. La commission Vérités et Réconciliations a déposé
son rapport final en 2015, dans lequel elle propose des pistes d’action afin de remédier au
traitement injuste à l’égard des Premières Nations.
Parmi le grand nombre de propositions, on a choisi de cibler celles touchant
l’éducation. Ainsi, l’article 63 iii. demande le renforcement de la compréhension
interculturelle, de l’empathie et du respect mutuel. Également, l’article 62 iii. souhaite que le
gouvernement fédéral prévoie les fonds nécessaires pour permettre aux établissements
d’enseignement postsecondaire de former les enseignants sur la façon d’intégrer les
méthodes d’enseignement et les connaissances autochtones dans les salles de classe
(Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015).
Dans ce contexte, il nous apparaissait important de réaliser une étude longitudinale
portant sur l’évolution du discours autochtone par rapport à l’enseignement de l’histoire. Un
regard englobant sur les revendications autochtones portant sur l’histoire scolaire a permis
de saisir le caractère évolutif de celles-ci. Nous avons vu comment les discours autochtones
ont évolué en suivant les enjeux de fond qui ont organisé la discussion sociale au Québec.
Pour arriver à ce constat, quelques questions ont guidé notre recherche : Quel vocabulaire est
mis de l’avant par les communautés autochtones? Sur quelles valeurs se basent-elles pour
1 À l’époque de la rédaction de ce mémoire (1962) au Québec il n’y avait pas de programmes d’histoire, le
manuel de cours étant le seul outil qui permettait de connaître le contenu à enseigner. Le premier programme-
cadre date de 1971.
3
proposer un nouvel ordre social? Quel rapport à la société transparaît dans les demandes
autochtones? Quelles sont les critiques fondamentales portant sur les manuels scolaires
québécois? Quel avenir est souhaité pour les Premiers Peuples? Quelle place pour les
connaissances autochtones et pour la « version autochtone de l’histoire » ?
Pour tenter de répondre à ces questions, il nous apparaissait important de mener, dans
le cadre de notre maîtrise, une recherche ayant comme axe principal : l’analyse des mémoires
déposés par les communautés autochtones lors des grandes réformes éducatives, dans
lesquels elles font valoir leur vision de l’histoire et de la place que devront occuper les
différentes communautés autochtones. Plus spécifiquement, nous nous référons au rapport
Parent (1964), mais aussi aux deux rapports qui traitent de l’enseignement de l’histoire
nationale, les rapports Lacoursière (1996) et Beauchemin-Fahmy-Eid (2014).
Avant d’arriver à cette analyse, il était important de montrer le caractère actuel et
structurel des enjeux portant sur la place des autochtones dans la société contemporaine.
Ainsi, la première partie de la problématique justifie la présente étude en donnant de
multiples exemples récents de la préoccupation du politique et des différentes institutions par
rapport aux questions d’intégration des Autochtones.
Puis, afin de contextualiser les demandes autochtones en matière d’enseignement de
l’histoire, il était impératif de brosser un portrait évolutif des relations politiques entre les
communautés autochtones et les gouvernements québécois successifs. Bien que notre objet
d’analyse soit les demandes en matière d’éducation, il est impossible d’occulter les enjeux
de pouvoir, de contrôle des ressources et de gestion des territoires. Ces questions orientent
de manière directe les revendications autochtones et permettent de mieux comprendre la
réaction gouvernementale. Ainsi, une compréhension systémique des rapports politiques
entre les Autochtones et le Québec replace les revendications éducatives dans un contexte
plus large de tensions culturelles et ethniques.
De même manière que les revendications autochtones s’inscrivent dans un contexte
social et politique, la compréhension des demandes autochtones en matière d’enseignement
de l’histoire ne peut se soustraire à une bonne connaissance des programmes d’histoire. Ainsi,
la section suivante de la problématique dresse un bilan chronologique des programmes
d’histoire au Québec. Nous montrons que ces programmes, dès la Nouvelle-France, ont mis
4
de l’avant une certaine identité nationale et ont occulté la place des Premières Nations dans
l’histoire du Québec. Cette compréhension est essentielle, puisque les demandes autochtones
passent nécessairement par la critique du programme d’histoire scolaire alors en vigueur.
En empruntant ce détour historique, nous sommes en mesure de saisir les demandes
autochtones actuelles en matière d’enseignement de l’histoire et de les replacer dans un
contexte évolutif de revendications. Il s’agit du travail principal d’analyse. Fort de cette
compréhension, nous faisons état de la tendance qui se dessine quant aux revendications
autochtones dans le futur poche.
La section portant sur la méthodologie nous sert à expliquer d’une part le processus
de recherche des prises de position autochtones sur l’enseignement de l’histoire, et d’autre
part, à présenter le cadre d’analyse ayant servi à extraire les éléments pertinents des textes en
fonction de notre question de recherche. En d’autres mots, nous avons sélectionné du corpus
documentaire des thématiques récurrentes qui permettent d’en arriver à une analyse
pertinente.
5
Chapitre 1. Problématique
Dans ce chapitre nous portons un regard longitudinal sur la question autochtone au
Québec et au Canada. Ainsi, un premier volet de la problématique présentera la volonté
politique de la réconciliation et ses implications en termes éducatifs. Après avoir fait le
portrait de ces démarches récentes de prise en compte des Autochtones, nous approfondissons
le sujet en faisant un topo sur les relations politiques entre le Québec et les communautés
autochtones en mettant l’accent sur divers enjeux liés aux droits autochtones. Enfin, dans un
troisième volet, nous présentons le discours véhiculé au fil du temps par les programmes
d’histoire au Québec.
L’objectif de faire cette jonction entre le versant politique et le versant éducatif
permet ensuite de montrer comment la trame historique nationale s’est instituée avec le temps
et comment les orientations actuelles, notamment en lien avec la pensée historique,
deviennent alors insuffisantes pour répondre adéquatement à la nécessité d’intégrer les
perspectives autochtones en classe d’histoire. Cette triple problématique oriente la suite de
cette recherche sur les revendications autochtones concernant l’enseignement de l’histoire du
Québec et du Canada.
1.1. La réconciliation et la vérité
Dans ce premier volet, nous présenterons le contexte canadien de réconciliation
faisant suite à la récente Commission de Vérité et réconciliation (2007-2015) et les efforts
que les diverses institutions de la société font pour mettre en place les recommandations de
la Commission.
En 2007, la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (CRRPI), qui
constitue à ce jour le plus important règlement de recours collectif de toute l’histoire du
Canada, était mise en œuvre. L’objectif de cette convention était double. D’une part, elle
visait à dédommager les survivants des pensionnats indiens, et d’autre part, dans une
perspective plus large, elle se donnait comme objectif d’assurer un futur juste et équitable
pour les peuples autochtones, tout en mettant en place des mécanismes de justice réparatrice2.
2 Le concept de justice réparatrice est une approche fondée sur la réparation des torts causés par le crime (Ministère de la Justice, 2018).
6
En effet, le mandat officiel de la Commission Vérité et Réconciliation (CRV) vise
l’atteinte d’une réconciliation au sein de la société canadienne :
On observe un nouveau et puissant désir de tourner la page sur les événements
passés, afin qu’il nous soit possible de bâtir un avenir plus solide et plus sain. Le
processus de vérité et de réconciliation, qui s'inscrit dans une réponse holistique
et globale aux séquelles des pensionnats indiens, est une indication et une
reconnaissance sincères de l'injustice et des torts causés aux Autochtones, de
même que du besoin de poursuivre la guérison. C'est un véritable engagement à
établir de nouvelles relations reposant sur la reconnaissance et le respect mutuels
qui prépareront un avenir meilleur. La révélation de nos expériences communes
aidera à libérer nos esprits et à ouvrir la voie à la réconciliation (Commission de
vérité et réconciliation du Canada, 2019).
Ce qui ressort de cette déclaration c’est la prise d’action en deux temps, soit une
reconnaissance des événements passés et la mise en place des structures pour le futur. De
manière concrète, la CRV a reçu un mandat de 5 ans, dont l’objectif large était de permettre
aux individus, aux familles et aux communautés de partager leurs expériences par rapport
aux pensionnats. Aussi, la commission visait à sensibiliser le public en organisant des
activités de portée nationale.
Pour la commission, la réconciliation est un « processus continu visant à établir et à
maintenir des relations respectueuses. Un élément essentiel de ce processus consiste à réparer
le lien de confiance en présentant des excuses, en accordant des réparations individuelles et
collectives, et en concrétisant des actions qui témoignent de véritables changements
sociétaux » (Sommaire du rapport final, p.19). Ces changements, entre autres, consistent à
s’inspirer des coutumes, des manières de faire autochtones, de revaloriser les méthodes
traditionnelles de résolution de conflits afin de mettre en branle le processus de réconciliation
avec les différentes communautés.
Dans l’optique de revenir sur les événements passés pour amorcer un processus de
réconciliation, les auteurs du rapport final affirment le besoin pour les communautés
autochtones de renouer avec leurs cultures, et la nécessité pour les Canadiens de mieux
comprendre l’histoire des Premiers Peuples :
À mesure que les collectivités des Premières Nations, des Inuits et des Métis
revitaliseront leur spiritualité, leurs cultures, leurs langues, leurs lois, ainsi que leurs
systèmes de gouvernance, et qu’elles y accéderont, et à mesure que les Canadiens non
autochtones comprendront de plus en plus l’histoire des peuples autochtones au Canada,
7
tout en reconnaissant et en respectant les approches autochtones adoptées pour établir et
maintenir des relations respectueuses, les Canadiens pourront travailler ensemble à
l’édification d’un nouveau pacte de réconciliation (Rapport final de la Commission
Vérité et réconciliation, 2015, p.20).
Cela implique une distance critique par rapport au récit :
Les enfants et les jeunes non autochtones doivent comprendre la façon dont leur
propre identité et leur histoire familiale ont été façonnées par une version de
l’histoire du Canada qui a marginalisé l’histoire et l’expérience des peuples
autochtones (Rapport final de la Commission Vérité et Réconciliation, 2015,
p.195)
1.1.1. Une centaine d’appels à l’action
Après avoir rencontré plus de 6000 personnes issues des communautés autochtones
et documenté les séquelles laissées par l’époque des pensionnats, les auteurs du rapport ont
lancé 94 appels à l’action, regroupés en deux grands thèmes, « séquelles » et
« réconciliation », eux-mêmes divisés en de nombreux sous-thèmes. Parmi le grand nombre
de points soulevés, nous en retenons deux qui incitent les institutions, les gouvernements ou
les maisons d’enseignement à se préoccuper davantage des perspectives autochtones en
matière d’enseignement. Nous présentons brièvement l’appel à l’action 62.ii, 63.ii et 63.iii.
L’appel 62.ii et 63.iii
D’abord, l’appel 62.ii recommande au gouvernement fédéral de prévoir les fonds
nécessaires pour permettre aux établissements d’enseignement postsecondaire de former les
enseignants sur la façon d’intégrer les méthodes d’enseignement et les connaissances
autochtones dans les salles de classe. Puis, l’appel à l’action 63.ii demande l’élaboration et
la mise en œuvre, de la maternelle à la douzième année, de programmes d’études et de
ressources d’apprentissage sur les peuples autochtones dans l’histoire du Canada, et sur
l’histoire et les séquelles des pensionnats. Finalement, l’appel à l’action 63.iii demande le
renforcement de la compréhension interculturelle, de l’empathie et du respect mutuel.
L’appel 62, en proposant de prendre en compte ce que l’on pourrait appeler les
« perspectives autochtones » dans l’enseignement peut s’appliquer à de nombreuses
disciplines scolaires. En même temps, c’est avec l’enseignement de l’histoire que le lien se
fait le plus naturellement, puisque, comme on le verra, il s’agit de revoir l’histoire scolaire et
de corriger le récit historique cristallisé au XIXe siècle.
8
Pour ce faire, il s’avérait essentiel pour nous de prendre connaissance des critiques
apportées au récit national et des éléments nouveaux que des membres de communautés
autochtones ont proposé à travers le temps au sujet de l’enseignement de l’histoire.
Ce faisant, notre mémoire s’inscrit tout à fait dans la logique de l’appel à l’action du
rapport final de la commission Vérité et réconciliation. En traitant des revendications
autochtones en matière d’enseignement de l’histoire, notre recherche participe à mettre les
bases d’un renforcement de la connaissance historique et de la compréhension interculturelle.
Nous considérons que le renforcement de la compréhension interculturelle,
l’empathie et le respect mutuel passent nécessairement par la connaissance et l’écoute des
demandes des peuples autochtones. Leur participation active dans le processus de
réconciliation est une condition sine qua non de la réussite d’un tel projet. Ainsi, le présent
mémoire, en donnant la parole aux membres de communautés autochtones, s’inscrit dans
l’esprit des recommandations faites par la Commission de Vérité et Réconciliation.
1.1.2. Vers une réconciliation nationale : « réparer le passé »
De plus en plus de lieux d’enseignement, que ce soit au primaire, secondaire, collégial
ou universitaire souhaitent renouveler leurs pratiques pédagogiques et didactiques dans le but
de mieux refléter la réalité des peuples autochtones. Les initiatives sont multiples, mais
chacun tente, à sa manière et dans son propre champ d’action, d’engager un dialogue avec
des représentants des Premières Nations portant sur les perspectives autochtones en matière
d’éducation.
Pour l’instant, et probablement en lien avec les ressources disponibles, les universités
demeurent les institutions d’enseignement les plus actives sur le plan de l’intégration des
perspectives autochtones. En effet, de nombreux projets sont en cours dans les Universités
de la province.
Notons par exemple l’initiative de l’Université Laval, et plus particulièrement de la
Faculté d’Éducation, qui a lancé en janvier 2020 son projet Regards sur les réalités
autochtones dans la formation à l’enseignement. En collaboration avec les facultés
d’éducation de l’Université de Sherbrooke et de Trois-Rivières, le projet vise
9
l’enrichissement de la formation initiale et continue des enseignants par la prise en compte
des priorités et des besoins des Premières Nations.
Si le projet ne vise pas un domaine d’enseignement en particulier, il reste que c’est
principalement autour de l’enseignement de l’histoire que les discussions portaient. Le projet
souhaite atteindre deux objectifs, notamment « créer des partenariats avec les nations,
communautés et organisations autochtones interpellées par les enjeux de formation à
l’enseignement dans les trois universités participantes et établir un plan de travail basé sur
leurs priorités et besoins » (Faculté de l’éducation, 2020). Tout cela s’articule autour de la
création du cours « Réalités et perspectices des Premiers Peuples en éducation ».
Un autre exemple témoignant de l’intérêt des universités québécoises envers les
réalités autochtones est celui de l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en
Abitibi-Témiscamingue. L’institut propose des formations spécialement conçues pour une
population autochtone ou pour quiconque souhaite se familiariser avec les différents
contextes autochtones. Plus encore, et dans le cas qui nous intéresse, l’École d’études
autochtones « a aussi pour mission d'offrir son appui et son expertise aux départements et
aux services de l'UQAT afin qu'ils intègrent les valeurs et les réalités autochtones dans leur
offre de formation ». (École d’études autochtones, 2020)
Pour sa part, la Faculté d’éducation de l’Université de Montréal propose le cours PPA
2550 intitulé Éducation, des enjeux et perspectives autochtones. Dans la description du cours,
on peut lire qu’il « permettra de mieux saisir les enjeux identitaires, linguistiques, historiques
et actuels de l’éducation autochtone » (Faculté d’éducation de l’Université de Montréal,
2020)
Enfin, il est intéressant de mentionner que la recherche est de plus en plus préoccupée
par la prise en compte des perspectives autochtones sur de nombreux sujets. Notons par
exemple le colloque organisé par l’Université du Québec à Montréal en 2019 intitulé Genres
et identités : perspectives autochtones contemporaines, celui organisé dans le cadre de
l’ACFAS de 2019 (colloque 521) nommé Enjeux et défis relatifs à l’autochtonisation des
milieux d’enseignement postsecondaire au Québec : partage d’expériences sur les stratégies
pédagogiques et les services aux étudiants autochtones, ou encore le colloque tenu le 18 mai
2019 lors du 87e congrès de l’ACFAS (Colloque 607) intitulé De l’assimilation à
10
l’appropriation culturelle : l’évolution des revendications des groupes historiquement
marginalisés.
À l’extérieur du monde universitaire, d’autres maisons d’enseignement tentent de
mieux prendre en compte les perspectives autochtones. Prenons l’exemple de l’institut de
coopération pour l’éducation des adultes (ICEA) qui a organisé en 2019 son « Rendez-vous
avec les Autochtones ». Conçue autour d’une série de trois rencontres avec des membres des
communautés, cette initiative vise à « mieux connaître leurs besoins éducatifs, à enrichir nos
perspectives en matière d’éducation des adultes ». (ICEA, 2019)
On peut facilement constater l’élan institutionnel actuel en faveur d’une intégration
des perspectives autochtones dans le monde de l’éducation. On peut avancer qu’un contexte
plus général, voire canadien, est en cause dans cet intérêt récent envers les réalités
autochtones.
1. 2 Le Québec et les communautés autochtones
Rappelons que le présent mémoire porte sur les revendications autochtones en
matière d’enseignement de l’histoire au Québec. Afin de situer dans un cadre plus large de
compréhension ces revendications, la présente section décrit l’évolution des relations
politiques entre le Québec et les communautés autochtones depuis la Révolution tranquille.
Dans un premier temps, et de manière chronologique, nous présentons les événements
politiques qui ont façonné les relations entre le Québec et les Autochtones depuis les années
soixante. Il sera possible de voir que ces relations ont souvent été tendues et qu’elles ont été
marquées par la négociation politique entre le Québec, les communautés autochtones et le
gouvernement canadien.
Dans un deuxième temps, nous soulèverons certains enjeux liés à la question
nationale québécoise. Il s’agit d’un contexte particulier au Canada, et les relations entre le
Québec et les communautés autochtones ne peuvent être comprises sans prendre en compte
le fait que le nationalisme autochtone rivalise au fil du temps avec le nationalisme québécois
(Stan et Lasserre, 2016). De cette dynamique particulière émergent différents enjeux
politiques qui seront abordés dans cette section.
11
D’entrée de jeu, il faut préciser que les questions relatives à l’éducation et à
l’enseignement sont de compétences provinciales, mais depuis la Loi sur les Indiens de 1876,
les « affaires autochtones » relèvent du gouvernement fédéral. Toutefois, au milieu du XXe
siècle, le gouvernement québécois a entrepris un virage dans ses relations avec les
communautés autochtones vivant sur son territoire. Le rôle du gouvernement québécois dans
les questions relatives aux Autochtones n’a cessé de croître avec les années en aval des
différentes mesures législatives et politiques prises par Québec.
1.2.1 La lente « reprise de contact »
Depuis 1876, le statut d’Indien et la gestion des réserves relèvent du gouvernement
fédéral. Jusqu’aux années soixante, le gouvernement québécois a peu d’intérêt à contester le
rôle prédominant d’Ottawa dans les questions autochtones. Plus encore, le Québec ne veut
pas s’occuper des Autochtones vivant sur son territoire. D’ailleurs, peu après son
agrandissement territorial (rappelons ici qu’en 1912 les frontières du Québec sont étendues
vers le nord jusqu’à la baie d’Ungava et la baie d’Hudson) en 1937, le Québec recourt à la
Cour suprême pour forcer Ottawa à prendre en charge les Inuits, invoquant ainsi
l’éloignement et la « sauvagerie » (Forest, 1996). Pourtant, moins de trente ans plus tard, le
Gouvernement du Québec entamera ce qu’il caractérise comme une « reprise de contact »
(Vincent, 1995) avec les populations autochtones de son territoire.
On peut se demander d’où vient cet intérêt soudain pour les communautés
autochtones ? Le contexte politique et économique, tant québécois, canadien
qu’international des années soixante permet d’avancer quelques pistes de réflexion. D’abord,
à un niveau plus large, le contexte de décolonisation qui caractérise cette période sur le plan
international ainsi que l’importance grandissante des questions relatives aux droits de
l’homme favorisent une relecture de la gestion des affaires autochtones au Canada. Les
groupes autochtones ont réagi à ce contexte en invoquant le concept de droits ancestraux
(Grammond, 2009). Nous y reviendrons plus loin.
Au Québec, les années soixante sont marquées par un désir collectif et
gouvernemental d’exploiter les ressources du territoire québécois. Ainsi, le Québec
redécouvre le nord de son territoire et entrevoit le potentiel hydroélectrique de celui-ci. Il
crée ainsi, au sein du Ministère des Richesses naturelles, la Direction générale du Nouveau-
12
Québec qui vise à « reprendre contact avec les Autochtones qui habitent son territoire »
(Secrétariat aux affaires autochtones, 2019). Ce soudain intérêt pour des territoires longtemps
ignorés constitue « le point de départ de la construction de la politique québécoise à l’égard
des peuples autochtones » (Salée, 2003, p.135). Pour les communautés autochtones du nord,
notamment les Cris et les Inuits, il s’agit d’une opportunité pour « négocier les conditions de
l’exploitation des richesses de leurs terres » (Grammond, 2009, p.945).
Il s’agit donc d’un contexte où d’une part, le gouvernement québécois affirme
l’intégrité de ses territoires du Nord et la prédominance de sa juridiction sur ceux-ci, et
d’autre part, où les communautés autochtones luttent pour la reconnaissance de leurs droits
territoriaux. En 1971, la Commission d’études sur l’intégrité du territoire du Québec
(Commission Dorion) « conclut que les Autochtones ont des droits sur des parties du
territoire du Québec » et recommande de transférer au gouvernement les compétences
concernant les Autochtones et les Inuits du Québec (Secrétariat des Affaires autochtones,
2019).
Parallèlement à cette commission, deux jugements de tribunaux fédéraux et
provinciaux viennent renforcer les droits territoriaux autochtones et forcent le gouvernement
québécois à négocier l’exploitation des territoires avec les communautés concernées. Ainsi
dans le jugement Calder (1973), la Cour Suprême reconnait l’existence des droits territoriaux
des Autochtones au Canada (O’Reilly, 1984). Au Québec, le jugement prononcé par le Juge
Albert Malouf en 1973 ordonne la « cessation des travaux entrepris par Hydro-Québec depuis
le début des années soixante-dix dans le bassin de la rivière La Grande » (Mercier & Ritchot,
1997, p.139).
Dans la foulée de ces deux jugements, le gouvernement québécois doit négocier
directement avec les communautés Cris et Inuits s’il souhaite poursuivre l’exploitation
énergétique des territoires qu’il convoite. Ainsi, en 1975 est signée la Convention de la Baie-
James et du Nord-Québécois. Cette convention reconnait la souveraineté complète du
gouvernement du Québec sur les territoires occupés par les Cris et les Inuits, ainsi que son
droit d’exploiter les ressources naturelles s’y trouvant. En échange de cette reconnaissance,
le Québec accorde des privilèges, des services et des compensations financières aux
Autochtones afin que ceux-ci puissent conserver leur mode de vie (Mercier & Ritchot, 1997).
13
Trois ans plus tard, en 1978, c’est avec les Naskapis que le gouvernement québécois
s’entend. La Convention du Nord-Est québécois est alors fortement inspirée de celle signée
par les Cris et les Inuits. Selon le géographe Henri Dorion, « le Québec […] a
traditionnellement refusé de reconnaître le titre aborigène, le droit inhérent à l’autonomie
gouvernementale, et les autres droits ancestraux des peuples autochtones au nom de la
certitude juridique tout en invoquant la nécessité de protéger son intégrité territoriale et
l’efficacité législative de l’Assemblée nationale » (Dorion, 2011 : 213). Ainsi tous ces traités
ont visé l’extinction des droits aborigènes au profit des droits issus des traités, dits des droits
de deuxième génération, quantifiables et de durée limitée (Stan et Lasserre, 2016).
En d’autres mots, l’État québécois obtenait la cession des droits territoriaux
autochtones. On peut affirmer, à l’instar de Daniel Salée (2003, p.136), que « la signature de
ces deux ententes constitue un moment charnière dans l’élaboration de la politique officielle
du Québec en matière autochtone, un jalon qui module pour la suite de l’histoire la nature et
la dynamique des rapports entre l’État québécois et les peuples autochtones ». En effet, ces
Conventions découlent directement des démarches des communautés autochtones devant les
tribunaux et rendent désormais obligatoire la prise en compte des Premières Nations dans le
développement et l’exploitation de leurs territoires (Forest, 1996). Effectivement, ces
ententes signifient que :
Tout projet de développement d’importance est assujetti à une procédure
d’évaluation des impacts environnementaux et sociaux au sein de laquelle les
Autochtones et les représentants de l’État occupent des positions égales. Cela
signifie, en pratique, que le développement des ressources naturelles doit tenir
compte des valeurs autochtones, de la préservation du mode de vie traditionnel
et du partage des bénéfices du développement (Grammond, 2009, p.945).
1.2.2 La reconnaissance
Après les luttes territoriales des années soixante-dix, le gouvernement québécois
renforce ses relations avec les peuples autochtones en les reconnaissant officiellement
comme des interlocuteurs valables sur le plan politique. Cette reconnaissance se manifeste
par différentes mesures gouvernementales. Ainsi, en 1978, on assiste à la création du
Secrétariat des activités gouvernementales en milieu autochtone (SAGMAI) qui agit à titre
d’organisme de coordination du conseil exécutif dans l’élaboration des politiques
14
gouvernementales en matière autochtone (Secrétariat aux Affaires autochtones, 2019 &
Vincent, 1995). Éventuellement, cet organisme deviendra une charge exclusive en devenant
le Secrétariat des affaires autochtones (SAA).
Parallèlement aux efforts québécois en matière autochtone, le gouvernement fédéral,
par l’article 35 de la loi constitutionnelle de 1982, stipule que les droits ancestraux ou issus
de traités sont reconnus et confirmés3. (O’Reilly, 1986, p.136). Dans la foulée de ce
changement constitutionnel, le Québec maintient ses efforts pour reconnaître les droits
autochtones. En 1983, le gouvernement québécois adopte 15 principes concernant le statut et
les droits des autochtones. La même année, le parlement du Québec tient une commission
parlementaire sur les droits des Autochtones, et pour la première fois, ceux-ci s’adressent à
l’Assemblée nationale. En 1985, le parlement du Québec adopte une motion de
reconnaissances des onze nations autochtones et de leurs droits.
Cette motion :
proclame en outre l’importance d’établir avec les Autochtones des rapports
harmonieux fondés sur le respect des droits et la confiance mutuelle tout en
encourageant le gouvernement à conclure avec les nations qui le désirent (ou
l’une ou l’autre des communautés les constituant) des ententes leur garantissant
le droit à l’autonomie au sein du Québec, le droit d’exprimer leur culture, leur
langue, leurs traditions, le droit de posséder et de contrôler des terres, le droit de
chasser, pêcher, piéger, récolter et participer à la gestion des ressources
fauniques, de façon à leur permettre de se développer en tant que nations
distinctes ayant leur identité propre et exerçant leurs droits au sein du
Québec (Salée, 2003, p.137).
Malgré ce qui apparaît comme de bonnes intentions de la part du gouvernement
québécois, il demeure que cette reconnaissance s’appuie également sur un rappel de
l’intégrité territoriale du Québec et sur la prédominance des lois québécoises. Il va sans dire
que ce rappel emphatique constitue un irritant pour les populations autochtones (Forest,
1996). En effet, au cours des années qui vont suivre, les communautés seront extrêmement
critiques envers les Conventions des années soixante-dix, soulignant l’importance pour eux
de recouvrer la souveraineté sur leurs terres. En 1995, Matthew Coon-Come, alors grand chef
du Grand Conseil des Cris disait : « Nous entendons exercer le pouvoir et le contrôle de nos
3 Dans la langue originale, le texte se lit ainsi : « The existing aboriginal and treaty rights of the aboriginal
peoples of Canada are hereby recognized and affirmed”
15
vies, de nos terres, de nos rivières et de notre destinée politique ». Il ajoute que les Cris n’ont
jamais cédé ce pouvoir, et que « pour toutes ces raisons, la lutte continue » (Coon-Come,
1995, p. 203).
Comme on peut voir, malgré l’intention du Québec d’établir de meilleures relations
avec les communautés autochtones de son territoire, autant les Premières Nations que le
gouvernement québécois maintiennent l’objectif d’affirmer leur souveraineté complète sur
les terres occupées par des Autochtones. Cette double souveraineté et les enjeux
problématiques qu’elle soulève seront mis à l’épreuve lors des événements entourant la Crise
d’Oka en 1990.
1.2.3 La Crise d’Oka, le « problème autochtone » et la Paix des Braves
Les événements entourant le projet domiciliaire de la municipalité d’Oka sur les terres
appartenant aux Mohawks firent les manchettes du pays lorsqu’un policier de la Sûreté du
Québec fut tué et que certains guerriers autochtones décidèrent de barricader leur territoire
et de bloquer l’accès au Pont Mercier (Trudel, 2009). Cette crise sans précédent marqua de
manière indélébile la mémoire collective du Québec, tant chez les Autochtones que chez les
non autochtones, et « inspira la radicalisation et la mobilisation politique d’autres
communautés autochtones à travers le Canada » (Salée, 2003, p.138).
Cette prise en compte du « problème autochtone » a mené éventuellement à la mise
en place de la Commission royale sur les peuples autochtones en 1991. Dans son rapport
final, en 1996, la commission propose plus de 400 recommandations visant à apporter des
modifications fondamentales aux relations entre l’État et les peuples autochtones. En 1998,
le gouvernement du Québec répond avec un plan d’action intitulé Rassembler nos forces. En
plus de reconnaître les injustices historiques subies par les peuples autochtones et d’établir
un Fonds de guérison de 350 millions de dollars, le gouvernement du Québec :
s’engage, entre autres, à préserver et à promouvoir les langues autochtones, à
inclure les partenaires autochtones dans la conception, l’élaboration et la
prestation des programmes, à favoriser le développement de la capacité des
peuples autochtones de négocier et de mettre en œuvre l’autonomie
gouvernementale, à faciliter l’accroissement de leur autonomie financière, à
améliorer le niveau de vie et la qualité des installations socio sanitaires au sein
des communautés autochtones et à développer des stratégies de création
16
d’emplois, de réforme de l’éducation et d’accès aux capitaux (Salée, 2003,
p.139).
On constate que plus le temps avance, plus les communautés autochtones du Québec
et du Canada deviennent des acteurs incontournables des débats politiques. Au début des
années 2000, les poursuites judiciaires entamées par les Cris contre le gouvernement
québécois pour non-respect de la Convention de la Baie-James et du Nord-Québécois
s’élevaient alors à 3 milliards de dollars. La situation est alors intenable autant pour les
communautés autochtones impliquées que pour le gouvernement québécois. En effet, les
Autochtones réalisent l’ampleur de leurs besoins en matière de développement économique
et social et constatent que ceux-ci ne seront pas satisfaits par des jugements de la Cour.
Parallèlement, le gouvernement du Québec souhaite poursuivre avec son plan de
développement hydroélectrique et semble, devant la force de l’opinion publique, avoir rompu
avec toute politique d’extinction des droits ancestraux (Savard, 2003).
C’est dans ce contexte que les Cris du Québec et le gouvernement provincial signent,
en février 2002, une entente appelée la « Paix des Braves ». En vertu de cette entente, les
Cris abandonnent les poursuites judiciaires entourant le harnachement de la rivière Rupert,
en échange de la responsabilité des développements économiques et sociaux. « Ils pourront
désormais déterminer leurs priorités en ces matières (mines, forêts, hydroélectricité,
tourisme, etc.) et offrir aux quelques centaines de leurs jeunes arrivant chaque année sur le
marché du travail un éventail plus diversifié d’emplois ».
De plus, Québec s’engage à verser annuellement, et ce pour une période de 50 ans, une
enveloppe financière globale leur permettant « d’exercer le droit d’orienter leur destin
collectif » (Savard, 2003, p.11). Plus qu’une autre entente entre des communautés
autochtones et le Québec à propos de l’exploitation énergétique d’un territoire ancestral, la
« Paix des Braves » instaure un principe fondamental dans les négociations futures.
Effectivement, l’entente supposait spécifiquement que « les deux parties devaient s’entendre
de nation à nation » (Desbiens, 2004, p.352, Notre traduction).
Il s’agit d’un point tournant dans les relations entre les populations autochtones et le
gouvernement du Québec qui reconnait à ce moment que les communautés autochtones
17
forment des nations avec lesquelles il est nécessaire d’entrer en dialogue lorsqu’il est question
des enjeux qui les touchent.
1.2.4 La critique du discours québécois sur le passé
Les événements décrits précédemment constituent le discours gouvernemental sur les
relations avec les communautés autochtones. Comme on a pu le constater, pour le
gouvernement québécois, le nouveau « premier contact » se situe au tournant des années
soixante. Toutefois, cette version de l’histoire ne concorde pas avec la vision autochtone des
relations avec les Blancs. En effet, pour les Premières Nations, l’histoire commence plusieurs
centaines d’années avant le point de départ du discours officiel.
Autrefois, les communautés autochtones étaient souveraines sur leurs territoires.
L’arrivée des Blancs et la minorisation de leurs terres ont limité leur souveraineté, mais les
communautés n’ont jamais abdiqué leur indépendance et ont continué de lutter contre
l’intrusion des Blancs dans leur mode de vie (Sioui, 1989; Battiste, 2011). De cette vision
découle une conception différente des relations entre les Premières Nations et le
gouvernement du Québec. En ce sens, les propositions faites au fil du temps par le
gouvernement ne sont pas crédibles.
Effectivement, toutes propositions qui reconnaissent l’autonomie des Premières
Nations sans s’appuyer sur le principe qu’elles forment des peuples souverains deviennent
injustifiées. Si les Autochtones ne sont pas reconnus comme peuples, alors pourquoi leur
reconnaître l’autonomie gouvernementale (Vincent, 1995)?
Une autre critique émanant des Premières Nations par rapport à la gestion des affaires
autochtones du gouvernement tient compte du contexte particulier du Québec. En fait, il
semble que Québec occulte le fait que son gouvernement, tout comme les communautés
autochtones, se trouve dans une position d’émancipation et de revendications territoriales
avec le gouvernement fédéral. Ainsi, les peuples québécois et autochtones se retrouvent en
quelque sorte en compétition à ce niveau. La prochaine section traitera d’ailleurs de cette
rivalité opposant les deux formes de nationalisme.
18
1.3 Des projets nationaux en compétition
Depuis les années soixante, soit à la même époque où le gouvernement québécois
entreprend des démarches pour améliorer les relations entre les Autochtones et sa propre
administration, le Québec revendique son unicité et son titre de peuple distinct auprès du
gouvernement fédéral. De fait, il accepte mal qu’un autre groupe minoritaire, cette fois au
sein de son propre territoire, milite pour une reconnaissance similaire. Ainsi, on peut affirmer
que « l’opposition entre l’État québécois et les Premières Nations est réelle et constitue
aujourd’hui un trait permanent, voire inéluctable, de la réalité politique québécoise » (Salée,
2003, p.134).
Avant d’entrer dans les détails de l’opposition entre les nationalismes québécois et
autochtone, il faut aborder le concept même de souveraineté chez les Premières Nations. En
fait, « à l’origine, le concept moderne de souveraineté et l’idée de pouvoir qui lui est
concomitante étaient étrangers à la philosophie autochtone traditionnelle » (Salée, 2003,
p.147). C’est donc dire que les concepts occidentaux et québécois de souveraineté et
d’indépendance ont pénétré l’imaginaire politique autochtone. Ainsi, graduellement, les
groupes autochtones, devant les tentatives d’exploitation de leurs territoires, ont commencé
à utiliser « la grammaire politique et les revendications typiques du nationalisme » (Salée,
2003, p.147).
On assiste donc à un accaparement du discours national québécois par les nations
autochtones, dans le but de légitimer leurs propres positions politiques. Malgré cette
proximité conceptuelle, le nationalisme autochtone entre en conflit avec le souverainisme
québécois qui n’arrive pas à intégrer le premier dans sa vision du futur du Québec.
En ce sens, l’exemple du projet québécois de souveraineté est parlant, puisque :
Le projet indépendantiste n’aménage à ce moment qu’une place limitée à
l’autonomie autochtone ». Ainsi, si le Québec votait à majorité pour une
indépendance à l’égard du Canada, les droits autochtones seraient reconnus,
« mais dans les strictes balises du respect de son intégrité territoriale (Choquette,
2017, p.184).
Ce double discours se traduit donc d’une part par la reconnaissance des droits
autochtones sur leurs terres ancestrales, mais également par une prédominance des lois
19
québécoises. Cela fait écho aux paroles de Thomas Berger, ancien politicien et juge de la
plus haute cour de justice de la Colombie-Britannique qui affirmait que « si notre but n’a pas
été d'exterminer les Indiens par la force meurtrière, nous avons néanmoins toujours cherché
à les transformer, à les remodeler à notre image » (Forest, 1996, p.84).
Cette position ambigüe du Québec à l’égard du statut politique des communautés
autochtones sur son territoire se traduit par une méfiance de celles-ci envers son projet
souverainiste. Cela se reflète, entre autres, par le fait de tenir ses propres référendums sur
l’avenir du Québec. Ainsi, dans la foulée du référendum de 1995, les consultations
référendaires tenues par les Cris et les Inuits ont montré que 96% de ceux-ci ne souhaitaient
pas la séparation avec le Canada (Drouilly, 1997).
Plusieurs points séparent ainsi le nationalisme québécois et autochtone. Premièrement,
le caractère linguistique du projet souverainiste québécois peut être fortement problématique
pour de nombreuses communautés dont la langue première n’est pas le français. Ceci ferait
en sorte que la notion québécoise de souveraineté, interprétée à partir d’une culture
radicalement différente, porterait en elle des éléments d’exclusion, voire de menace (Alfred,
2000; Choquette, 2017). De plus, « le souverainisme québécois apparaît dissemblable des
nationalismes autochtones du point de vue des derniers dans la mesure où il a été porté par
un appareil étatique fort, incomparable aux pouvoirs proprement autochtones » (Choquette,
2017, p.184).
De ce déséquilibre des forces politiques émergerait nécessairement une collision des
nationalismes autochtone et québécois sur les plans politique, territorial et conceptuel. Donc,
« il ne fait aucun doute pour plusieurs universitaires que les peuples autochtones et les
Franco-Québécois entretiennent des aspirations rivales » (Choquette, 2017, p.184) qui ont
été mutuellement nourries depuis la Révolution tranquille (Forest, 1996; Salée, 2004).
Toutefois, d’autres affirment au contraire qu’en cas de souveraineté, le Québec aurait
l’opportunité d’accélérer le processus visant à instaurer l’autonomie des gouvernements
autochtones et d’imaginer un nouveau système de partage des valeurs (Choquette, 2017).
Ainsi, l’élargissement de l’autonomie politique et législative des Premières Nations n’est pas
nécessairement incompatible avec la recherche d’une autonomie semblable du Québec (Roy,
2015). De manière générale, les auteurs affirment qu’il « est désormais difficile, voire
20
impossible, de repenser le nationalisme québécois en dehors de la question de l’autonomie
autochtone » (Choquette, 2017, p.188).
1.4 Des identités irréconciliables?
Les enjeux décrits dépassent la question du souverainisme et d’une éventuelle
accession du Québec à l’indépendance politique. Ils illustrent la friction entre l’identité du
peuple québécois et celle que veulent se donner les Premières Nations. En effet, le discours
sur son passé que le Québec entretient est teinté du rapport colonial avec les Anglais, puis
avec Ottawa. En fait, les Québécois se considèrent comme des victimes du colonialisme
anglo-saxon. C’est pourquoi ils acceptent mal que les Autochtones affirment avoir été
victimes de l’État québécois (Trudel, 2009; Germain, 2011).
Qui plus est, jaloux de son autonomie, le gouvernement du Québec « exprime une certaine
sensibilité pour l’autonomie autochtone dans son approche basée sur un partenariat de nation
à nation » avec le gouvernement fédéral (Germain, 2011, p.94). On assiste donc à une
géométrie triangulaire entre le Québec, le Canada anglais et les peuples autochtones. Cette
géométrie « à l’intérieur de laquelle chaque composante de l’équation existe » et entretient
un rapport tendu avec les autres (Green, 1995, p.31).
À l’inverse, certains membres des Premières Nations sont allés jusqu’à réfuter
l’existence même du peuple québécois, la qualifiant de fictive. En effet, le Grand Conseil des
Cris du Québec a déposé un mémoire à la Commission de l’Assemblée nationale en février
2000, dans lequel il affirme que la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des
prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec équipe « la catégorie englobante et
fictive de peuple québécois du droit à l’autodétermination, mais refuse du même coup aux
peuples autochtones la possibilité d’affirmer leur propre droit à l’autodétermination et à
l’auto-identification » (Salée, 2005, p.146).
On atteint ici le nœud du « problème autochtone » québécois. Le gouvernement du
Québec souhaite affirmer son indépendance et son autorité sur ses territoires. Ainsi, certains
Québécois considèrent que les ententes de nation à nation, entre les communautés
autochtones et la « nation canadienne », sont une injustice et « une entorse inquiétante aux
principes démocratiques » (Salée, 2005, p.58). Les demandes autochtones sont alors vues
21
comme des expressions de leur particularisme et on accepte mal que les Autochtones soient
traités différemment des autres communautés minoritaires. De leur côté, les autochtones
revendiquent leur existence en tant que peuple fondateur et leur droit inhérent à
l’autodétermination. Ils critiquent le fait que l’État québécois n’accueille leurs revendications
« que dans la mesure où il peut les intégrer dans les schémas politico-administratifs et
institutionnels qu’il détermine » (Salée, 2005, p.162). De plus, toute atteinte à l’expression
de l’existence nationale autochtone devient forcément répréhensible (Green, 2004).
Dans ce contexte politique, la création d’une véritable situation postcoloniale au
Canada et au Québec implique davantage que des concessions mineures accordées par les
gouvernements aux Autochtones. Certains auteurs affirment l’importance d’autochtoniser de
manière effective l’État, c’est-à-dire de réimaginer l’ordre politique afin qu’il représente « les
aspirations, les symboles et les pratiques des Autochtones, tout autant que ceux des non
autochtones ». (Green, 2004, p.16).
Il s’agit d’un renversement de l’ordre colonial traditionnel, car cette autochtonisation
n’implique pas une insertion des communautés autochtones dans l’espace national québécois,
mais bien une opportunité pour les Premières nations de définir eux même cette insertion,
« voire, si telle est leur volonté, leur non-insertion » (Salée, 2005, p.69).
1.5 Les programmes d’histoire au Québec : du bon chrétien au citoyen critique
Les programmes d’histoire suivent l’évolution d’une société et sont perçus comme
un instrument de socialisation et d’apprentissage politique important (Lévesque, 1997).
Ainsi, après avoir présenté l’évolution des relations politiques entre le gouvernement du
Québec et les Premières Nations, il est nécessaire de décrire la transformation des
programmes d’histoire au Québec, de la Nouvelle-France à aujourd’hui.
Les premiers programmes d’histoire au Québec remontent à l’époque de la Nouvelle-
France. Bien qu’il n’existe pas de curriculum officiel à cette époque, « tous s’accordent pour
dire que l’enseignement de l’histoire était, au début, (…) un enseignement centré sur
l’histoire sainte et sur l’histoire de l’Antiquité » (Stan, 2017, p.154). Il s’agissait alors de
former de bons chrétiens qui allaient être fidèles envers le Roi. D’ailleurs, en Nouvelle-
France, les organisations religieuses jouent un rôle marqué dans l’éducation. Le
22
gouvernement français finance l’ouverture d’écoles qui seront gérées par les communautés
religieuses et dont une mission importante sera l’évangélisation des populations autochtones.
Cette volonté de former de bons chrétiens est transposée dans les manuels utilisés. Parmi ces
manuels provenant de la métropole française, on retrouve Le Petit Alphabet, le Grand
Alphabet, le Psautier, les Pensées Chrétiennes, L’introduction à la vie dévote, L’instruction
de la Jeunesse, L’instruction chrétienne, etc. L’instruction est intimement liée à l’aspect
religieux et l’enseignement de l’histoire s’inscrit dans cette logique :
« L’enseignement de l’histoire « du Canada », notion mouvante et flexible,
désignant successivement des territoires et des constructions politiques diverses,
est investi, dès le début par une double finalité : former le bon chrétien et former
le bon patriote, avec ses deux variantes d’allégeance et de fidélité envers
l’ancienne ou la nouvelle métropole » (Stan, 2017, p.154).
Ainsi, on fait la narration d’un récit héroïque et providentiel qui cherche à développer
chez les élèves un sentiment d’appartenance à la nation canadienne-française, dont l’identité
chrétienne est le jalon principal. De façon générale, on retrouve toujours cet esprit à la veille
de la Révolution Tranquille, témoignage d’un attachement aux valeurs chrétiennes et à une
certaine conception ethnique de l’identité citoyenne.
1.5.1 Le rapport Parent : ruptures et continuités
Mise sur pieds en 1961 par le gouvernement Lesage, la Commission royale d’enquête
sur l’enseignement dans la province de Québec, plus communément appelé Commission
Parent, du nom de son Président Monseigneur Alphonse-Marie Parent, a produit un rapport
qui a profondément marqué l’enseignement au Québec. Le chantier de l’éducation est vaste,
et la Commission Parent proposera plusieurs mesures pour « repenser l’éducation,
démocratiser l’école, et mieux qualifier les élèves, les étudiants et les enseignants » (Stan,
2017, p.155).
L’enseignement se laïcise, les Collèges classiques, haut lieu du savoir de l’élite, sont
fermés, les polyvalentes et les Cégeps sont mis en place, favorisant un accès démocratisé au
savoir. Dans cette logique, on revoit également les programmes d’histoire afin qu’ils
développent non plus des élèves chrétiens et patriotes, mais des citoyens critiques. Dans la
section sur l’enseignement de l’histoire du rapport, on peut d’ailleurs lire que la discipline
23
« ne doit pas être un instrument de prédication ou de propagande, elle doit développer l’esprit
critique, nourrir la réflexion sur le présent » (Rapport Parent, cité par Stan, 2017, p156).
L’analyse des problèmes du passé développerait donc une capacité à faire face aux enjeux
contemporains. De cette manière, l’individu serait à même, comme citoyen, « de participer
un peu moins aveuglément au destin collectif » (Rapport Parent, p.179, tome 2).
Afin de transposer en classe cette orientation désormais citoyenne de l’enseignement de
l’histoire, les auteurs du rapport suggère une lecture « aussi objective que possible » du passé
(tome 2, p.179). Il s’agit donc d’une rupture avec le récit apologétique et national qu’on
retrouvait alors dans les manuels d’histoire de la province. « Dans ce sens, le rapport Parent
propose une vision de l’enseignement de l’histoire valable encore aujourd’hui » (Stan, 2017,
p.157).
Les auteurs du rapport, dans leur section intitulée l’éducation des Indiens et des
Esquimaux, abordent les enjeux liés à la scolarisation de la clientèle indienne. Nous nous
intéressons particulièrement à ce qu’ils ont à dire à propos de l’enseignement de l’histoire
des Premiers Peuples. Ceux-ci dénoncent la vision péjorative des Autochtones dans les
manuels scolaires. Ils affirment que d’être considéré comme descendant de « sauvages
primitifs et cruels » constitue « une des choses dont l’Indien souffre le plus à l’école et dans
la société (Rapport Parent, p.127, tome 4).
On dénonce même l’unique perspective du colonisateur dans les manuels et on
recommande :
non seulement de purger les manuels d’histoire de tout ce qui peut être
injustement déshonorant pour les Indiens et jeter le discrédit sur leur race, mais
mieux encore de refaire certaines parties de ces manuels pour y inclure l’histoire
des différentes nations indiennes dans une perspective plus large, plus objective
et plus vraie que celle qui est présentement adoptée (Rapport Parent, p.128. tome
4).
L’objectif est de montrer autant aux Blancs qu’aux Autochtones l’apport historique des
Premières Nations et de favoriser l’intégration des Premiers Peuples au sein de la société
canadienne. Il s’agit d’une prise de position radicalement nouvelle en ce qui concerne
l’enseignement de l’histoire des Premières Nations.
24
1.5.2 Les années 1970 et la poursuite des objectifs de la Révolution tranquille
Le rapport Parent proposait une nouvelle lecture de l’apport des sciences humaines et
de l’histoire à la formation intellectuelle de l’élève. Le travail s’est poursuivi dans la décennie
suivante qui fut celle d’une uniformisation des programmes d’histoire, tant pour les élèves
catholiques que protestants (Stan, 2017). Par ce qu’on a appelé les programmes-cadres, la
réussite du programme d’histoire nationale, nommé alors Histoire du Canada, devient
obligatoire à l’acquisition du diplôme secondaire (Moreau, 2012).
Si les années 1970 « furent celles d’un manque de fondements théoriques pour
expliquer des processus complexes, comme l’apprentissage différencié chez les élèves »
(Stan, 2017 p.159), ce fut également l’époque où la didactique propose une méthodologie de
l’analyse des documents écrits. Une comparaison synchronique et diachronique des
documents d’archives, suivie « par une comparaison avec des sources secondaires,
notamment des ouvrages d’historiens, complètent ce travail d’investigation, semblable à ce
que les didacticiens d’aujourd’hui appellent la pensée historique » (Stan, 2017, p.160)
1.5.3 Les années 1980 : un programme par objectifs
En 1982, le ministère de l’Éducation du Québec propose un nouveau programme qui
remplace celui de 1970, « perçu comme une tentative de diffusion d’un nationalisme
canadien, notamment par la manière superficielle avec laquelle il traitait les conséquences de
la Conquête » (Stan, 2017 p.160). Le nouveau programme se distingue par l’introduction
d’objectifs généraux et spécifiques à chaque matière, tranchant avec l’aspect plutôt large des
programmes-cadres. L’étude historique se concentre maintenant sur « la compréhension de
l’évolution de la société québécoise dans le contexte canadien, nord-américain et occidental,
permettant à l’élève d’établir un lien explicatif entre le présent et le passé (Stan, 2017, p.160).
Si le programme de 1982 s’avère une continuité des recommandations du Rapport
Parent, l’introduction de la méthode historique est ralentie par l’ampleur des contenus à
aborder et par le « caractère directif du programme » qui donne au Ministère le contrôle sur
les connaissances et les matériaux didactiques utilisés (Stan, 2017). La principale critique de
ce programme d’histoire est l’aspect problématique du transfert des connaissances à
l’extérieur de la salle de classe. Par un enseignement de l’histoire séquencé et très défini, il
25
semble que « les connaissances acquises ne pouvaient s’exprimer que dans les exercices et
selon les modalités propres à l’école » (Charland par Stan, 2017, p.161). Malgré tout, cette
période, marquée entre autres par le « retour du manuel comme principal outil pédagogique »
(Stan, 2017, p.161) poursuit les grandes orientations pédagogiques de la Révolution
tranquille.
1.5.4 Les années 90 : « Se souvenir et devenir »
Dans la décennie 1990, on assiste à des initiatives visant à professionnaliser
davantage la profession enseignante. Les stages prennent alors une place plus grande dans la
formation des maîtres qui est désormais assumée par les facultés d’éducation.
Parallèlement, en histoire, le ministère de l’Éducation organise en 1995 une
consultation publique concernant l’enseignement de l’histoire. Le rapport qui a suivi, « Se
souvenir et devenir », piloté par l’historien Jacques Lacoursière, énonce le rôle citoyen que
doit prendre l’histoire : « C’est là le rôle principal de la formation historique : aider à vivre
le présent et à préparer l’avenir » (Groupe de travail sur l’enseignement de l’histoire, cité par
Stan, 2017, p.162). Ce rapport, préparé en pleine campagne référendaire sur l’avenir du
Québec, constitue un équilibre entre le développement des habiletés intellectuelles, c’est-à-
dire la construction de savoirs nouveaux par l’entremise de la pensée et de la méthode
historique, et l’identité nationale (Stan, 2017).
1.5.5 Les années 2000 : l’enseignement par compétences
Si le développement citoyen était un objectif de pratiquement tous les programmes
d’histoire du Québec, celui que l’on a appelé le Renouveau pédagogique au début des années
2000 faisait de l’éducation à la citoyenneté une finalité du programme. Inspiré par les
courants cognitivistes et socioconstructivistes, le programme de 2006 introduit l’approche
par compétences pour toutes les disciplines scolaires.
À ce moment, on retrouve trois compétences dans le programme d’histoire et
d’éducation à la citoyenneté, soit la compétence 1, « interroger les réalités sociales dans une
perspective historique », la compétence 2, « Interpréter les réalités sociales à l’aide de la
méthode historique, et la compétence 3, « Consolider l’exercice de sa citoyenneté à l’aide de
l’histoire » (PFEQ). Cet accent mis sur les compétences historiques « va de pair avec la
26
méthode historique et l’interprétation des sources primaires, puisqu’il permet de construire
le savoir et de lui conférer un sens » (Stan, 2017, p.163).
L’instauration de l’enseignement par compétences marque une réelle rupture avec
l’histoire politique et chronologique. Le programme vise un transfert plus efficace des
connaissances dans des contextes autres que la classe. Dans ce sens, le programme vient
compenser les lacunes du programme par objectifs de 1982.
1.5.6 Les années 2010 : l’ère des débats
En faisant de l’éducation à la citoyenneté la finalité du cours d’histoire, le programme
de 2006 ouvrait la porte à des critiques provenant de milieux nationalistes. En effet, « ce
programme a été accusé de dénationaliser l’histoire par un oubli imposé autour des moments
de forte tension entre les francophones et les anglophones, notamment autour des
conséquences de la Conquête » (Stan, 2017, p.163). On reprochait au programme
d’instrumentaliser l’histoire à d’autres fins que la maîtrise de la discipline elle-même. Devant
la polarisation des débats entre enseignants, historiens, didacticiens, etc., le gouvernement du
Parti Québécois créa un comité chargé de mener une consultation publique sur
l’enseignement de l’histoire.
Dans le document de consultation, précédant le dépôt du rapport Le sens de L’histoire
par Jacques Beauchemin et Nadia Fahmy-Eid, le comité propose de faire du cadre national
la clé de compréhension de l’histoire (Stan, 2017). De cette consultation, émerge deux visions
opposées de ce que devrait être l’enseignement de l’histoire. Dans leur étude des mémoires
déposés lors de celle-ci, Stan, Éthier et Lefrançois (2014, p.173) définissent ces deux
oppositions :
Pendant que les uns accordent de l’importance aux preuves et à leurs
interprétations, les autres considèrent que le caractère scientifique repose dans la
factualité. Les constructivistes estiment comme finalité de l’histoire la formation
d’un citoyen critique, moins facile à manipuler (…) Les adeptes de la
transmission considèrent l’histoire comme une étude du passé et valorisent
l’acquisition des connaissances liées à l’histoire nationale.
L’introduction du nouveau programme de 2017-2018, intitulé simplement L’Histoire
du Québec et du Canada, marque un retour du balancier à la faveur d’une vision rationaliste.
En effet, « le programme, articulé autour d’un récit national présenté chronologiquement,
27
semble rompre avec le courant socioconstructiviste et revenir à une pensée pédagogique
traditionnelle » (Stan, 2017, p.165).
On peut donc constater que les orientations à propos de l’enseignement de l’histoire
découlent d’une position politique par rapport à l’identité nationale de la société québécoise.
Ainsi, il semble que dans les deux camps, on note chez l’adversaire une instrumentalisation
de l’histoire à des fins autres, qui seraient plus ou moins légitimes selon la perspective. Dans
une perspective plus critique et constructiviste, on s’intéresse à l’élève comme individu, alors
que dans l’autre, on s’adresse à lui « comme membre d’une collectivité politique » (Stan,
2017, p.165).
En résumé, on ne peut comprendre les revendications autochtones en matière d’enseignement
de l’histoire sans regarder du côté des luttes politiques et territoriales. Avant d’être scolaires,
les revendications autochtones sont surtout d’ordre politique, territorial, culturel et social. La
représentation des Autochtones dans les programmes scolaires et chez les enseignants du
Québec est une mise en récit du rapport politique qu’entretiennent le gouvernement et les
citoyens du Québec avec les Premiers Peuples. Les débats qui touchent l’enseignement de
l’histoire semblent toutefois se faire sans la participation active des peuples autochtones.
Ceux-ci risquent alors de ne pas se reconnaître dans les programmes et les manuels,
perpétuant ainsi la boucle de revendications.
Chapitre 2 : Cadre conceptuel
Afin de poursuivre l’analyse des discours autochtones, nous présentons d’abord le
contexte historiographique qui a conduit à l’instauration du récit historique canadien. Le
récit, comme produit de la discipline historique suggère une lecture linéaire du passé et forge
une représentation des événements historiques qui tend à exclure certaines communautés.
Ensuite, nous faisons état de la tendance actuelle à utiliser la théorie de la pensée historique
afin de comprendre et d’emphatiser avec des groupes historiquement marginalisés et
avançons que celle-ci, malgré toutes ses bonnes intentions, reste tributaire d’une conception
occidentale de l’histoire. Finalement, nous présentons certains auteurs autochtones qui
proposent un contre-discours sur les méthodes et l’épistémologie historienne actuelle.
28
2.1. Construction du récit national
L’histoire nationale se cristallise au fil du temps et s’est ancrée dans plusieurs récits
apparentés qui relatent les grands événements qui ont forgé la société. Ceux-ci sont centraux
dans la compréhension qu’un pays se fait de lui-même, dans la mesure où ils proposent une
lecture du passé qui produit du sens et à partir duquel il est possible de se projeter dans le
futur (Halverson, Goodall Jr., Corman, 2011). En histoire, on fait souvent mention de
« Master Narratives », que l’on pourrait traduire par récits hégémoniques ou métarécits.
Dans le cadre de cette recherche, nous emploierons le terme de Grand récit pour
désigner cette construction narrative à laquelle les pays font référence pour traiter les
événements de leur histoire et leur organisation temporelle et symbolique. Ces Grands récits
sont définis comme « une interprétation générale du passé ayant comme fonction de faire
sens à propos du passé, du présent et du futur d'une communauté culturelle » (de Carratero
et Van Alphen, 2014 p.291, Notre traduction). Il est pertinent d’utiliser ces Grands récits
comme unité d’analyse, puisque que les programmes d’histoire offrent souvent de grandes
ressemblances avec ceux-ci et qu’ils influencent de manière importante la compréhension
que les élèves se font du passé (Carratero et Van Alphen, 2014).
2.1.1. Le Grand récit canadien
Anderson (2017) propose une typologie des Grands récits canadiens. Le premier
Grand récit serait né au XIXe siècle, à l’époque où le Canada dans sa forme moderne a été
créé. On pourrait qualifier celui-ci de romantique, dans la mesure où il présenterait une
identité nationale fondée sur le triomphe du progrès européen face au caractère sauvage du
continent américain et sur la transition d’une colonie britannique vers une nation
indépendante.
Les personnages mis en scène dans ce récit seraient principalement des politiciens
blancs ou des industriels occidentaux, ce qui aurait comme conséquence de positionner le
récit contre des « autres »; « faisant habituellement référence aux Autochtones, aux minorités
ethnoculturelles, aux Québécois et aux Canadiens français » (Anderson, 2017, p.17, Notre
traduction).
29
Plus encore, les Premières Nations seraient vues comme exotiques, comme des
enfants et on y retrouverait le mythe du « bon sauvage ». Même si ce récit prend racine au
XIXe siècle, des productions historiques récentes, telle que Canada : A people’s history,
reprendraient à leur compte ce Grand récit en narrant le passage d’une colonie à la nation et
en faisant la promotion d’une unité nationale présentant ses héros et surtout ses vilains,
notamment les Québécois et les Premières Nations (Anderson, 2017).
Ce Grand récit issu de l’époque de la Confédération aurait été remplacé, même si ses
traces sont visibles dans des productions historiques contemporaines, par un autre récit au
milieu du XXe siècle. Ce dernier serait caractérisé par l’idée que les identités nationales sont
avant tout des constructions et qu’il est nécessaire, dans un contexte de mouvements sociaux,
d’intégrer des groupes auparavant exclus. Notons le désir de donner une plus grande place
aux femmes, aux travailleurs, aux minorités sexuelles et aux Premières Nations. Ce Grand
récit présenterait une vision progressiste du Canada, un parcours historique défini par la
générosité, la tolérance et le multiculturalisme.
Dans ce contexte, les minorités ethnoculturelles comme les Autochtones seraient
inclus dans un récit d’appropriation, de réconciliation et de rédemption (Anderson, 2017).
Plus encore, « ce récit s’approprie fréquemment les minorités ethnoculturelles du Canada et
les caractérise comme instables jusqu’à ce qu’ils s’intègrent dans le narratif canadien » (,
Anderson, 2017, p. 19, Notre traduction). Malgré la présence de minorités culturelles au sein
de la société, celles-ci demeurent incomplètes ou dans un état transitif jusqu’à leur intégration
dans l’identité canadienne.
Un exemple récent de la représentation de ce récit dans l’espace public est l’utilisation
de symboles autochtones lors des Olympiques de Vancouver. Vue comme une célébration
des peuples autochtones, l’intégration de ces symboles, notamment l’utilisation de
l’Inukshuk comme médailles, fait la promotion des pratiques culturelles des minorités sans
remettre en question les conditions passées et présentes d’exercice du pouvoir. Ainsi :
En mettant l’accent sur la réconciliation et la rédemption, ce deuxième Grand
récit canadien forge une nouvelle mémoire sociale de progrès qui ignore le fait
que les iniquités et les problèmes actuels découlent d’un héritage historique
problématique (, Anderson, 2017, p. 21, Notre traduction).
30
Dans sa typologie des Grands récits canadiens, Anderson (2017) identifie un
troisième récit qui ne consisterait pas en une trame narrative en soi, mais plutôt en une mise
en lumière de ce qui est passé sous silence dans les autres Grands récits qui le précèdent. Issu
d’une critique postmoderne de l’histoire, ceGgrand récit irait jusqu’à conclure au caractère
fictif de l’identité nationale. Celle-ci serait alors imaginée, ce qui pédagogiquement
impliquerait une mise à distance du Grand récit au profit d’une problématisation qui tenterait
d’expliquer les raisons derrière l’exclusion de certains groupes. Prenant comme assise le fait
qu’une communauté nationale ne peut avoir une vision globale d’elle-même, le Grand récit
deviendrait celui des multiples interprétations du passé, permettant aux visions autochtones
d’occuper une place égale à celle des autres communautés nationales du Canada.
2.1.2. Le Québec et son propre Grand récit
Comme on peut s’y attendre, le Québec a développé son propre Grand récit sur son
histoire. Celui-ci place le destin des Canadiens français et des Québécois en son centre et
propose sa propre lecture du passé. Sans le définir de manière exhaustive, nous présentons
ici les grandes lignes de sa construction.
Dans leur étude sur la conscience historique des jeunes Québécois, Létourneau et
Moisan identifient quatre « nœuds d’intrigue » de l’histoire du Québec. Le premier temps
serait celui de l’âge d’or : période de la Nouvelle-France caractérisée par une relative paix
interne et par le commerce avec les Autochtones. Puis, dans un deuxième temps, la Conquête
surviendrait comme un « retournement de destin » lors duquel les Canadiens français seraient
confrontés aux tentatives d’assimilation des Anglais. Puis, le troisième temps, celui du
« recommencement », coïnciderait avec les années soixante et la Révolution tranquille. Ce
temps de l’histoire du Québec serait celui de l’émancipation culturelle des Québécois face
aux anglophones. Finalement, le quatrième temps de l’histoire du Québec serait celui de
« l’hésitation », alors que le Québec hésite par rapport à son futur politique à l’intérieur du
Canada (Létourneau et Moisan, 2004).
Si le récit québécois diverge du Grand récit canadien, il reste qu’il suppose une
certaine conception unitaire de la nation, à l’intérieur de laquelle les Autochtones occupent
un rôle minime, étant vus comme avant tout des partenaires, voire des outils de
développement pour la majorité francophone.
31
En ce sens, tout comme dans le Grand récit canadien, ils n’ont véritablement d’autres
choix que de s’intégrer à la majorité, se fondant ainsi dans l’identité nationale. On peut donc
dire que malgré le fait que les personnages principaux des Grands récits canadiens et
québécois ne soient pas les mêmes, la place pour les Autochtones n’en demeure pas moins
marginale, la grande place revenant au colonisateur.
2.2. Perspectives autochtones : remplacer le Grand récit par une multitude de récits
Dans une tentative récente de changer la manière dont on enseigne l’histoire
nationale, ces Grands récits sont désormais questionnés par les éducateurs et les chercheurs
autochtones. Marie Battiste, professeure au département d’éducation de l’Université de
Saskatchewan et membre de la nation Potlotek, énonce ce désir de se détacher de l’emprise
de ces Grands récits et affirme que les éducateurs doivent rejeter un curriculum empreint de
colonialisme qui n’offre aux étudiants qu’une vision fragmentée et déformée des peuples
autochtones. Qui plus est, la perspective critique sur le passé canadien permet justement de
mieux comprendre le contexte historique qui a créé cette déformation du passé autochtone
(Battiste, 2011).
Devant cet objectif, on assiste à la naissance d’une nouvelle forme de récit dans lequel
les groupes autochtones occupent le haut du pavé. Ce récit mettrait de l’avant l’impact du
colonialisme et pourrait être défini comme un Grand récit de compensation. McGregor
aborde ces transformations du Grand récit et avance que « les programmes systématiques de
violence institutionnelles envers les Premiers Peuples sont, dans la plupart des cas, supplantés
par un récit de compensation ». Ce nouveau récit :
représente la composante principale du processus de redressement, remplaçant
tout travail émotionnel et culturel nécessaire au redressement de la situation des
autochtones au Canada et à la réparation des torts causés par les violences
institutionnelles des pensionnats indiens (, Mc Gregor, 2017, p. 71, Notre
traduction).
Si on peut inscrire la trame de ce nouveau Grand récit dans une tentative de
réconciliation avec les peuples autochtones, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une
trame narrative qui ne peut prendre en compte la totalité de l’expérience historique des
Premiers Peuples. Devant cette nécessité de proposer un enseignement de l’histoire qui
arriverait à quitter les limites de la narration, les chercheurs en éducation ont commencé à
32
s’intéresser non pas au produit de l’histoire, c’est-à-dire aux constructions narratives que la
discipline propose, mais plutôt à la compréhension du monde que pourrait permettre
l’histoire.
Ce changement de paradigme – l’histoire comme processus d’interprétation des
preuves du passé – s’opère au même moment où, sur le plan pédagogique, on passe d’un
enseignement par objectifs dans les années quatre-vingt à l’enseignement par compétences
au début des années deux mille.
2.3 La pensée historique
Les nouvelles sciences de l’éducation, dans un renversement épistémologique, ont
proposé des approches « passant d’une pratique magistro-centrée […] à une vision
constructiviste où le développement de la capacité des élèves à penser historiquement est au
cœur de l’enseignement » (Moisan, 2017, p.8).
D’une certaine manière, il s’agissait, pour les élèves, de quitter le terrain de la
mémoire collective et des mythes pour arriver sur celui de la pensée propre à la discipline
historique (Létourneau, 2014). De quoi est-il question? Il serait légitime, à ce moment-ci, de
se demander ce qu’on entend précisément par « pensée historique ».
À ce sujet, il existe autant d’interprétations que de chercheurs travaillant sur la
question. Malgré tout, on peut affirmer que penser historiquement impliquerait un
raisonnement argumenté sur le passé humain (van Drie & van Boxtel, 2008) et la capacité à
penser comme un historien, c’est-à-dire à utiliser les sources du passé pour le questionner et
tirer des conclusions sur celui-ci (Mandell, 2008). Pour certains, le travail sur les sources, tel
que l’analyse de leur pertinence et du contexte de production, constitue l’essence principale
du travail de la pensée historique (VanSledright, 2004), alors que pour d’autres, c’est la
capacité à se décentrer du présent par la méthode historique (Moisan, 2017).
Le didacticien de l’histoire Peter Seixas a développé six concepts ou notions se
rapportant à la pensée historique et formant un modèle influent en enseignement de l’histoire,
principalement en Amérique du Nord. Seixas nous met en garde contre une utilisation
simpliste de ces concepts et précise plutôt qu’ils fonctionnent comme des problèmes, des
33
tensions, et que malgré leur nature procédurale, ils ne résument pas ce qu’est l’histoire
(Seixas et Morton, 2013). Présentons brièvement ces concepts.
Le premier est celui de l’importance historique (historical significance), et fait
référence à la sélection des faits pertinents dans une construction de sens du passé. Devant
l’abondance de faits, de significations, d’événements, quels choix devons-nous faire à propos
de ce qui mérite d’être rappelé et comment articuler le récit d’un événement pour qu’il
résonne au sein d’une communauté historique?
Le deuxième concept s’articule autour des preuves historiques, notamment en les
contextualisant et en corroborant l’information qu’elles renferment à l’aide d’autres sources.
Le travail sur les sources, essentiel au travail historien, implique de se remettre dans la peau
du producteur des documents analysés; il va sans dire que cette tâche est d’une complexité
inouïe, et que d’aucuns pourraient argumenter qu’il s’agit même d’une posture néfaste pour
l’historien, dans la mesure où il est vain de penser qu’on peut se décentrer par rapport à son
propre présent (Gadamer, 1996).
Le troisième concept de Seixas est celui de la continuité et du changement. Il permet
de se questionner sur le passé à partir du présent et d’identifier les ruptures et les « continuités
dissimulées » (Seixas, 2017, p.600) au sein du passé.
Le quatrième concept englobe les causes et les conséquences des événements
historiques étudiés. Sans définir celles-ci comme des structures globales sur lesquelles les
individus n’avaient aucun pouvoir, il s’agit plutôt pour l’étudiant en histoire de situer les
décisions et les gestes des acteurs historiques en prenant compte du contexte et des conditions
de ceux-ci.
Le cinquième concept est celui de l’empathie historique; on parle alors d’une
reconnaissance de l’universalité des expériences humaines permettant de faire sens des
réalités du passé.
Finalement, le jugement moral ou éthique aborde la question du jugement des gestes
posés dans le passé ainsi que la question de la commémoration, c’est-à-dire la célébration
d’individus et d’événements, au détriment d’autres, qui seront passés sous silence. Comme
nous venons de le constater, les concepts de Seixas, vus sous l’angle de la perspective
34
historique, constituent avant tout de grandes finalités de l’enseignement de l’histoire. Pour
les rendre opérationnels dans une situation d’enseignement de l’histoire, il est nécessaire de
les arrimer à l’enseignement d’une méthode historique et du travail avec les sources.
Toutefois, même si la pensée historique propose de prendre en compte les
interprétations divergentes sur le passé (notamment celles des Premiers peuples), force est de
constater que celles-ci demeurent essentiellement fondées sur l’utilisation de documents
historiques écrits ou photographiques (Ng-A-Fook and Smith, 2017), ce qui ferait de la
pensée historique une entreprise résolument occidentale et colonialiste.
2.3.1 La pensée historique comme vecteur d’une vision occidentale
Malgré les possibilités qu’offre la pensée historique de sortir d’un récit qui limiterait
l’intégration des perspectives autochtones en mettant l’accent sur les procédés de l’histoire
et la problématisation du passé, il n’en demeure pas moins qu’il y a un risque d’instaurer une
méthode d’analyse du passé fondamentalement ancrée dans les visions occidentales du passé
et qui supposerait une production de connaissances excluant toujours les Autochtones. En ce
sens, l’histoire continuerait de supposer une séparation entre les manières de savoir
occidentales et autochtones. Ng-A-Fook et Smith (2017, p. 74) illustrent ce danger de
manière éloquente :
En faisant la promotion d’une éducation de l’histoire qui repose sur une méthode
scientifique, Seixas et Morton demande si la classe d’histoire devrait avoir les
mêmes ambitions. Toutefois, en mettant de l’avant une vision eurocentriste et
scientifique du passé, la pensée historique risque (entre les mains de certains
enseignants) de reproduire les mêmes divisions épistémologiques et
pédagogiques qu’elle tente de réconcilier (Ng-A-Fook and Smith, 2017, p. 74).
Anderson (2017, p.6) expose également le risque de se limiter aux postulats de la
pensée historique afin d’intégrer des interprétations divergentes du passé et par le fait même
les perspectives autochtones :
Conséquemment, les concepts de la pensée historique ne sont pas suffisants en
eux-mêmes pour permettre d’aborder les histoires silencieuses et les questions
urgentes d’identité ethnique, transnationale, diasporique et autochtone qui
imprègnent la société canadienne contemporaine (, Anderson, 2017, p.6, Notre
traduction).
35
Le problème principal dans la pensée historique de Seixas se situerait donc dans le
refus de prendre en compte les différences épistémologiques fondamentales entre la
connaissance du passé autochtone et occidentale.
Pour Anderson, la pensée historique demeurerait inapte à représenter la compréhension
autochtone du passé et du futur et n’attaquerait pas le rapport ambigu entre la discipline
historique et les systèmes de connaissances autochtones :
Dans Indigenous Historical Consciousness: An Oxymoron or a Dialogue? Seixas
(2012) a abordé comment les historiens considèrent les épistémologies
historiques autochtones (incluant les histoires orales) comme des textes, mais
également comme découlant d’une méthodologie herméneutique focusant sur les
contradictions et les difficultés qui émergent entre l’utilisation des sources orales
et le modèle actuel de la conscience historique. Toutefois, Seixas ne reconnait
pas que celui-ci est ancré dans la pensée épistémique euro-occidentale et qu'il
détermine, voir colonise, les formes de connaissances reconnues ou non
(Anderson, 2017, p.11, Notre traduction).
Donc, malgré le potentiel de la pensée historique dans l’enseignement de l’histoire,
on se retrouve devant un problème similaire à celui que présentait autrefois l’enseignement
des Grands récits. En effet, on demeure prisonnier d’une vision du passé qui, malgré son
ouverture à des perspectives multiples, n’arrive pas à rendre justice à l’épistémologie propre
des Premières Nations.
En ce sens, l’enseignement de l’histoire continue à promouvoir la supériorité des
méthodes de connaissances occidentales et force les perspectives autochtones à se fondre
dans l’épistémologie dominante pour être considérées comme valables sur le plan du savoir.
Par ailleurs, l’histoire orale occupe un rang inférieur en comparaison avec l’histoire basée
sur des sources écrites (Descamps, 2005).
2.3.2 Vers un nouveau type d’histoire, produite et racontée par des Autochtones
Ce n’est que récemment que les études historiques et leurs postulats occidentaux et
euro centristes sont critiqués et mis en opposition avec le savoir traditionnel autochtone. Les
critiques exposent le manque de connaissances et de considération des chercheurs
occidentaux à propos des langages, des traditions et des sciences autochtones (Little Bear,
2012).
36
Qui plus est, l’intérêt récent pour les formes de connaissances autochtones mènerait,
à long terme, à une accaparation de ce savoir traditionnel par le monde occidental. En ce
sens, cet intérêt du monde occidental pour le savoir traditionnel ne serait qu’un autre exemple
des dynamiques de pouvoir en place en Amérique :
Le soudain intérêt des non autochtones pour le savoir, les enseignements et
l’héritage des Premières Nations constitue un effort d’accès et de contrôle sur ces
ressources. Plus le savoir autochtone devient commercialement attrayant, plus
l’héritage cognitif des Premières Nations est en péril (Little Bear, 2012, p. 519).
Les chercheurs autochtones vont plus loin en affirmant que le cloisonnement du savoir
en disciplines (histoire, biologie, anthropologie) est également issu d’un postulat
épistémologique qui ne cadre pas avec le savoir traditionnel qui doit être acquis par
l’expérience directe avec le monde naturel (Barnhardt et Kawagley, 2005). De plus, le
concept de pensée historique soutient que l’élève devra développer des compétences
historiennes que l’on peut évaluer en fonction de certains processus cognitifs observables, ce
qui est à nouveau une vision du monde et de la connaissance résolument occidentale.
En termes occidentaux, le niveau de compétence renvoie à des idées déterminées
à propos de ce qu’une personne devrait savoir et est déterminé par diverses
formes de tests objectifs. Une telle approche ne prend pas en compte la manière
dont une personne est actuellement en mesure de mettre ce savoir en pratique.
Dans la logique des Premières Nations, la compétence est directement liée à la
survie où à l’extinction; l’échec d’un chasseur de Caribou met toute la famille en
danger. Le niveau de compétence ne peut être mesuré que dans le contexte du
monde réel (Barnhardt et Kawagley, 2005, p. 11).
De manière générale, les recherches autochtones démontrent que la discipline
historique et son enseignement n’arrivent pas, malgré des tentatives d’inclure des contenus
et des perspectives autochtones, à se dégager de leur propre épistémologie. Si la pensée
historique et les concepts qui y sont rattachés proposent une ouverture à l’interprétation du
passé, les fondements mêmes du concept restent ancrés dans une vision occidentale, excluant
de facto une véritable intégration des perspectives autochtones.
Georges Sioui, un historien Wendat, avait déjà proposé dans les années 80 un
renversement substantiel de l’épistémologie historique à l’intérieur de son concept d’auto-
histoire. Pour ce dernier, c’est la portée sociale de l’histoire que le chercheur devrait atteindre
et non pas une connaissance technique du passé. En ce sens, l’étude des valeurs autochtones,
37
à l’aide du témoignage de ce dernier « est plus importante quant au caractère social de la
science historique que les analyses si souvent faites des transformations culturelles,
intéressantes certes du point de vue technique, mais de portée sociale trop souvent
négligeable » (Sioui, 2018, p.32).
En d’autres mots, l’histoire autochtone ne serait pas vue comme complément à la
science historique dominante, mais plutôt comme un outil ayant une dynamique distinctive,
devenant ainsi « une source pour la compréhension de la condition humaine, qui étaye celle
de la culture dominante et qui pourrait, avec le temps, représenter une valeur d’adaptation
pour toute la société » (Sioui, 2018, p.52).
Dès la décennie 1980, Sioui énonçait l’incapacité de l’histoire à quitter ses propres
paradigmes dans le traitement du passé. On peut être d’accord avec lui lorsqu’il dit que
l’auto-histoire autochtone
tient pour acquis que la science historique ne peut en aucun cas – au risque de
reproduire sous d’autres formes les préjugés qui l’ont caractérisée toutes les fois
qu’elle a voulu traiter des sociétés sans tradition écrite – procéder en faisant
abstraction des idées et des sentiments qui forment aujourd’hui ces
sociétés (Sioui, 2018, p.52).
Il semble en effet que la discipline n’ait toujours pas réussi, à ce jour, à fournir une
grille d’analyse permettant une intégration des perspectives autochtones qui ne serait pas, à
toute fin pratique, qu’un accaparement par la culture dominante des symboles et des visions
autochtones de l’histoire.
Toutefois, les conclusions qu’il tire de cette affirmation sont problématiques lorsqu’il
affirme que « le chercheur non autochtone est incapable ou moins capable que le chercheur
ou le traditionaliste amérindien d’appréhender les schémas culturels propres aux sociétés
amérindiennes » (Sioui, 2018, p.52).
Cette prise de position est questionnable de plusieurs manières. Premièrement, elle crée
une hiérarchie entre les chercheurs, niant ainsi la capacité inhérente de l’historien à se
décentrer par rapport à sa catégorie socio-existentielle. Nous considérons, à l’instar de Marc
Ferro (2008), qu’il est du devoir de l’historien de se replacer dans un contexte, dans des
schèmes psychiques qu’il n’a jamais connus et qu’il ne connaîtra jamais. Nier cet exercice
38
cognitif dépossède l’historien de la capacité de remettre les choses en son contexte et prive
la société des connaissances pertinentes que le chercheur peut lui apporter par l’étude de son
passé.
Deuxièmement, dans un contexte éducatif, la position de Sioui nous amène devant un
fossé. S’il est impossible pour un non-autochtone de saisir de quelconque façon le système
de pensée autochtone, l’élève ne provenant pas des Premières Nations est condamné à rester
prisonnier de l’historiographie de sa propre communauté culturelle. Ainsi, l’enseignement de
l’histoire ne pourrait que devenir un outil de renforcement de l’identité culturelle des élèves,
plutôt qu’une opportunité de rencontre avec d’autres visions du monde et une expérience de
la différence.
2.3.3 Quelles particularités pour l’enseignement de l’histoire autochtone ?
En gardant en tête le défi que suppose une interrelation entre des paradigmes
épistémologiques sur la connaissance du monde et du passé, peut-on tout de même proposer
quelques éléments de généralisation de la pensée autochtone. En d’autres mots, tout en étant
conscient de la diversité des nations autochtones et de la multitude des savoirs traditionnels
que cela suppose, peut-on proposer des éléments de généralisation que l’enseignement de
l’histoire devrait prendre en compte lorsqu’elle présente le passé aux élèves?
McGregor (2017, p.6) et Anderson (2017, p.12) proposent certains éléments qui
transcendent les différentes représentations du monde au sein des Premiers Peuples. En ce
sens, ces éléments seraient à la base de ce que l’on pourrait qualifier de conscience historique
autochtone :
Les arrangements temporels ne sont pas nécessairement chronologiques ou linéaires,
ils sont en cycle ou en cercle;
Le territoire comme une source de connaissance;
Les relations (incluant les animaux) sont imbriquées dans une toile écologique ou
l’humain n’est pas nécessairement au centre;
L’importance de prendre en compte les processus de colonisation et de
décolonisation.
39
Devant ces considérations générales, on se questionne à savoir si les demandes
autochtones officielles en matière d’enseignement de l’histoire nationale incluent ces
éléments. À propos du curriculum général, que réclament les groupes autochtones lorsqu’ils
sont consultés? De quelle manière souhaitent-ils que leurs visions du monde soient intégrées
dans les programmes scolaires? Que proposent-ils comme méthode ou contenu pour que
l’enseignement de l’histoire se rapproche de leur épistémologie propre?
2.4 Pistes pédagogiques pour arrimer l’histoire scolaire avec le savoir traditionnel
autochtone
Tel que vu précédemment, on peut argumenter que l’histoire scolaire, comme
extension de la discipline historique et de ses postulats épistémologiques, reste ancrée dans
une vision occidentale du monde. En effet, malgré les tentatives de sortir d’un récit qui
mettrait uniquement en scène des acteurs historiques occidentaux et d’instaurer les modes de
la pensée historique, on peut affirmer que celle-ci continue de minimiser la valeur des savoirs
autochtones et que les tentatives faites pour inclure les perspectives des Premiers Peuples ne
réussissent pas à réellement proposer une lecture différente du passé.
Toutefois, certains auteurs ont réfléchi à des implications pédagogiques qui
pourraient amorcer une réconciliation entre les modes de pensées occidentales et
autochtones. Nous retenons deux propositions en ce sens, soit l’utilisation de l’histoire orale
et le concept de « pédagogie du lieu ».
2.4.1 L’éducation par l’histoire orale pour favoriser les perspectives autochtones
Fortement ancrée dans la tradition autochtone, l’utilisation des sources orales s’avère
une tentative intéressante d’utiliser les perspectives autochtones dans les classes d’histoire.
Une précision s’impose d’entrée de jeu : les sources orales ne doivent pas être simplement
considérées comme une autre source par l’historien ou l’enseignant.
En effet, l’intégration des témoignages autochtones suppose une réinterprétation du
passé qui se détache de la vision occidentale. Ng-A-Fook et Smith (2017, p.80) élargissent
le potentiel d’émancipation sociale que constitue l’intégration des sources orales dans la
discipline historique : « Pour qu’une réconciliation soit possible, les citoyens canadiens
40
doivent apprendre à interpréter, recréer et remettre en question la normativité du colonisateur
présente dans les films populaires, les manuels et les curriculums d’histoire ».
En ce sens, malgré les tentatives de transformer le récit historique traditionnel en
conscience historique par l’enseignement de la pensée historique, utiliser par exemple un
témoignage d’une aînée au même titre qu’un traité gouvernemental ne suffit pas à prendre en
compte la tradition orale dans son rapport au monde. En d’autres mots, une telle utilisation
des sources orales s’avère pertinente pour la méthode historique occidentale, mais ne permet
pas la réconciliation entre les épistémologies occidentales et autochtones.
En effet, Portelli (cité dans Ng-A-Fook et Smith, 2017, p.75) mentionne l’écart
conceptuel entre l’histoire orale et la discipline historique traditionnelle :
Ce qui différencie l’histoire orale de celle faite à partir de sources écrites, c’est
l’accent qu’elle met sur la fabrication de sens plutôt que sur le fait de se souvenir
d’un événement spécifique. Les sources orales sont conditionnées par la
subjectivité de celui qui raconte, et ce, davantage qu’avec toute autre forme de
sources.
Cet accent porté sur la personne qui prend la parole et sur ce qu’elle a à nous transmettre
constitue une rupture avec la méthodologie de l’histoire et les concepts de la pensée
historique. En effet, dans la perspective de Seixas et Morton (2013), on demande aux élèves
de prendre en compte des points de vue différents sur le passé et de confronter les
perspectives diverses. C’est ce processus de sélection et d’interprétation des sources qui se
retrouve au cœur de la discipline historique et qui permet d’arriver à une compréhension
nuancée du passé.
Or, ce processus même est remis en cause lorsqu’il est question de l’éducation par
l’histoire orale : « L’éducation par l’histoire orale nous demande d’écouter, de prendre en
compte, de confronter et de mettre en relation les passés difficiles des autres avec l’histoire
incontestable des violences coloniales » (Ng-A-Fook et Smith, 2017, p.76).
Donc, l’intégration des sources orales implique une attitude d’ouverture et nécessite
une posture d’écoute sur le vécu de la personne qui parle. Si cet aspect éthique de la
compréhension du passé est pris en compte par l’éducateur, l’utilisation des sources peut
s’avérer pertinente dans la classe d’histoire. Autrement, nous nous retrouvons à nouveau
41
devant une accaparation du savoir traditionnel par les structures occidentales de la discipline
historique. Dans une plus large mesure, les autochtones nous disent qu’ils souhaitent raconter
leurs histoires afin que celles-ci deviennent partie prenante de l’histoire (Guay, 2007). À
notre avis, la résistance envers les sources orales provient aussi du fait que ces sources
impliquent un nouveau rapport à la vérité. En effet, à la vérité figée et immuable de l’écrit
s’oppose la vérité vivante de la parole.
2.4.2 La pédagogie du lieu
Cette approche pédagogique remonte aux travaux de Dewey au début du XXe siècle
et propose que le territoire, « lieu vu comme habitat empreint d’éléments historiques,
culturels, politiques et économiques autant que d’éléments chargés d’émotions » (Campeau,
2019, p.55), est le premier enseignant pour l’élève. Styres, Haig-Brown et Blimkie (2013,
p.39) utilisent les mots de l’artiste autochtone LisaNa Redbear pour décrire l’essence de la
pédogogie par le lieu:
À son niveau le plus profond, l’éducation critique par le lieu donne à l’école
davantage que du sens et une opportunité de contribuer à la vie de la
communauté. Ce dont il est question, c’est d’un récit profond à propos de la vie
et une occasion d’apprendre par les autres et par le territoire. La pédagogie du
lieu résiste aux effacements et aux limites du système scolaire colonial.
En ce sens, la pédagogie par le lieu est « une éducation dont le message principal est
issu de l’environnement local qu’il soit culturel, physique ou historique ». L’enseignement,
dans ce contexte, concerne « la relation pédagogique essentiellement dynamique (qui)
s’établit entre ces trois entités, à savoir la personne, le lieu et la communauté » (Campeau,
2019, p.55). De manière plus claire encore, David Sobel, un pionnier de la pédagogie par le
lieu, définit cette pratique pédagogique comme : « le processus utilisant la communauté et
l’environnement local comme point de départ pour l’enseignement de concepts en langue, en
arts, en mathématiques, en sciences sociales, en sciences naturelles et de sujets divers qui
traversent le programme » (cité par Resor, 2010, p.185, Notre traduction).
On retrouve, dans la pédagogie par le lieu, le rapport intrinsèque qu’entretiennent les
populations autochtones avec le territoire, vu comme source de savoir. Toutefois, on ne peut
affirmer que cette approche pédagogique est une création des Premières Nations. Elle gagne
toute sa pertinence lorsque vient le temps d’aborder des réalités contemporaines. En effet,
42
cela suppose que pour connaître ces réalités, les élèves doivent se rendre sur les territoires
ancestraux en présence d’un Autochtone. Si le territoire est perçu comme une source de
savoirs pour les Premières Nations, une présence physique et temporelle sur celui-ci est
nécessaire pour s’imprégner des représentations autochtones du monde.
2.5 Bilan de la problématique
Quelques éléments généraux se recoupent et permettent une définition de la
perspective autochtone du passé, et plus largement celle du monde. L’arrangement temporel
en cycle, les relations entre l’humain et l’entièreté de la toile écologique, la nécessité de
prendre en compte les processus de colonisation et de décolonisation et le territoire comme
source de connaissance sont des exemples d’éléments à considérer dans un enseignement qui
intègrerait les perspectives autochtones. L’enseignement par l’histoire orale et la pédagogie
par le lieu (ce qui est l’objet propre de la géographie) sont des exemples d’applications
pédagogiques concrètes des perspectives autochtones.
Cette recherche prend en compte le fait que le modèle d’enseignement actuel en
histoire, le développement de la pensée historique, n’arrive pas à réconcilier les perspectives
autochtones et occidentales sur le passé. En effet, les concepts développés par Seixas et
Morton risquent de figer l’approche historique dans une démarche procédurale qui
réactualise la vision occidentale de l’histoire.
Devant une telle impasse, il s’avère important de se retourner vers les conseils, les
suggestions et les recommandations faits au fil du temps par les autochtones eux-mêmes.
Pour ce faire, on recentre la question autour des demandes officielles des groupes autochtones
par rapport à l’enseignement de l’histoire nationale.
2.6. Question générale
Quels sont les éléments que les Autochtones estiment importants d’inclure dans les
curriculums scolaires?
2.7. Question spécifique
À travers les mémoires déposés par des communautés autochtones lors des
consultations publiques sur l’enseignement de l’histoire nationale, on se demande comment
43
les revendications autochtones ont évolué au regard du contenu historique des programmes
et des manuels, du vocabulaire utilisé et de la conception de leur place dans la société
canadienne et québécoise.
Chapitre 3 : Méthodologie
Dans ce chapitre, nous présentons l’épistémologie de la recherche, c’est-à-dire la
manière par laquelle nous avons procédé afin de constituer un corpus de documents à
analyser, ainsi que les critères qu’on s’est donnés, inspirés du cadre théorique, pour assurer
un angle cohérent de comparaison entre les documents de différentes époques.
3.1. Le Comité de Survivance indienne comme point de départ
La réflexion concernant l’évolution des demandes autochtones en matière
d’enseignement de l’histoire émane de la lecture du mémoire déposé par le Comité de
survivance indienne lors des consultations entourant la Commission royale d’enquête sur
l’enseignement dans la province de Québec. À notre connaissance, il s’agit de la première
prise de position officielle des nations autochtones à propos de l’enseignement de l’histoire
au Québec.
À la lecture de ce texte, nous avons été frappés par le discours utilisé par les nations
autochtones des années soixante. Les appels à la solidarité avec le peuple québécois et la
référence au mouvement souverainiste tranchaient avec un discours contemporain qui utilise
les concepts de colonialisme et d’appropriation culturelle. Le texte produit dans les années
soixante visait la création d’une société nouvelle, dans laquelle les Québécois et les Premières
Nations auraient une meilleure compréhension mutuelle et formeraient une même société.
Force est de constater que près de soixante ans plus tard, la situation de
l’enseignement de l’histoire du Québec et des premiers peuples reste problématique du point
de vue des Autochtones. Malgré des avancées évidentes, notamment la fin de l’utilisation du
mot « sauvage » et la place désormais plus grande qu’occupe l’histoire des sociétés
autochtones pré-contact, la connaissance des Premières Nations par les Québécois
allochtones reste insuffisante.
44
Qui plus est, de nouveaux enjeux ont émergé, notamment la langue d’enseignement
dans les communautés autochtones et le manque d’inclusion des pratiques pédagogiques
propres aux Premières Nations. Ainsi, on peut affirmer que non seulement l’objectif
poursuivi par le Comité de Survivance indienne n’a pas été atteint, mais que celui-ci n’est
plus maintenu parmi les revendications autochtones contemporaines.
Devant ce constat, nous souhaitions comprendre comment le discours autochtone
concernant l’enseignement de l’histoire a évolué depuis le mémoire du Comité de Survivance
Indienne et comment celui-ci s’est structuré au cours des décennies suivantes. Nous croyons
que ces revendications en matière d’enseignement de l’histoire nous donnent accès aux
tensions qui existent toujours entre les Premiers Peuples et les Québécois. Nous devions donc
trouver d’autres prises de position autochtones concernant l’enseignement de l’histoire et
faire l’analyse du contenu qu’elles renferment.
Ce faisant, nous cherchions à mettre en lumière l’évolution du discours et ainsi
comprendre le fil rouge qui relie les différentes prises de parole autochtones.
3.2. La recherche des prises de parole
La première étape dans la recherche de nos sources était de retracer les réformes qui
ont touché à l’enseignement de l’histoire afin d’y trouver des mémoires rédigés par des
communautés autochtones. Ainsi, outre le rapport Parent pour lequel nous avions déjà une
prise de parole autochtone, nous avons exploré les consultations entourant les Livres vert et
orange (1977-1979), les États généraux de l’éducation, le rapport Lacoursière (1996) et le
rapport Beauchemin-Fahmy-Eid (2014).
Le premier constat fut l’absence flagrante de mémoires déposés par des communautés
ou des associations autochtones lors des différentes consultations portant sur l’enseignement
en général, et celle de l’histoire en particulier. Autant le texte du Comité de Survivance
indienne formulait clairement les volontés de nombreuses communautés autochtones par
rapport à l’enseignement de l’histoire, autant les consultations successives furent exemptes
de prises de parole autochtone.
Si de nombreuses consultations portaient davantage sur l’organisation scolaire, nous
étions confiants de trouver des prises de parole autochtone dans les rapports Lacoursière
45
(1996) et Beauchemin-Fahmy-Eid (2014), en raison du fait qu’ils étaient relativement récents
et qu’ils portaient directement sur les programmes d’enseignement de l’histoire au Québec.
Toutefois, il appert qu’aucun acteur autochtone ne s’est prononcé lors du Rapport
Beauchemin, et que seul l’institut Tsakapesh a déposé un mémoire lors de la consultation de
2014. Malheureusement, malgré nos demandes d’informations au ministère de l’Éducation
et à l’institut Tsakapesh, il fut impossible de trouver une copie de ce mémoire qui figure
pourtant dans la liste des mémoires déposés dans le cadre du rapport Beauchemin-Fahmy-
Eid.
Cette difficulté d’accès à des prises de parole autochtone en matière d’enseignement
de l’histoire peut possiblement s’expliquer de deux manières. D’abord, on peut se demander
si des rapports politiques tendus entre les peuples autochtones et le gouvernement du Québec,
en ce qui concerne, entre autres, les questions de territoires et d’utilisation des ressources,
aient pu miner la confiance des intervenants autochtones envers les processus décisionnels,
les comités et les consultations mises en place par le gouvernement québécois. L’invisibilité
en éducation, à l’époque du rapport Parent, était une invisibilité généralisée sur le plan
culturel, social, politique, etc.
De plus, il est important de rappeler qu’au Canada, ce que l’on appelle les « Affaires
indiennes », sont de la juridiction du gouvernement fédéral, même si les questions relatives
à l’éducation relèvent de l’échelon provincial. Ainsi, il fut décidé d’inclure dans le présent
mémoire un document écrit par la Fraternité des Indiens du Canada. Cette association pan
canadienne représente les « Indiens » statués et son document nous donne accès à des
demandes provenant d’une fédération de communautés autochtones à travers le pays.
De manière générale, les documents qui ont été conservés pour l’analyse devaient
aborder directement l’enseignement de l’histoire, et non pas simplement l’organisation du
système scolaire, comme par exemple les questions de gestion ou de financement. De plus,
les documents devaient émaner d’organismes reconnus, et non pas d’individus. L’objectif de
ce critère était la volonté de recueillir non pas le point de vue individuel de membres des
Premières Nations, mais plutôt d’avoir accès aux prises de parole des organismes
représentant politiquement les autochtones.
46
3.3. Les catégories d’analyse
Les textes que nous avons étudiés entrent dans la définition de discours, dans le sens
où il s’agit d’une expression méthodique de la pensée autochtone (Utard, 2004). Ces textes
ont un objectif performatif, dans le sens où ils ont comme objectif d’agir sur celui qui le lit.
Les énoncés présentés dans ces genres de discours doivent être compris comme un indicateur
des représentations sociales sous-jacentes (Negura, 2006). C’est en sélectionnant les
documents ainsi que nous avons vu émerger, lors de la lecture de ceux-ci, les grands thèmes
d’analyse présentés ici, soit le langage, le contenu historique et la place des Autochtones dans
la société. Nous avons ensuite procédé à la construction d’un tableau reprenant ces catégories
d’analyse lequel nous a permis de construire un corpus d’énoncés significatifs pour chaque
thème étudié. Voici un exemple :
Tableau 1. Structuration des discours autochtones en fonction du thème abordé
Contenu Place des Autochtones
dans la société
Décennie 1960
« On oublie de se mettre à la place
des Indiens de penser qu’eux-
même étaient patriotes, avaient une
patrie à défendre » (CSI, p.5).
« On a évidemment appuyé très
légèrement sur le côté parfois
néfaste de l’invasion européenne »
(CSI, p.2).
« ne pas craindre d’associer les
Indiens aux faits historiques en
donnant à ces Indiens la part qu’ils
y ont joué » (CSI, p.3).
« ne pas mettre tout le tort
uniquement du côté Indien (CSI,
p.3).
« La presque totalité de la
population non-indienne
connait mal les indiens » (CSI,
p.8)
« Les Indiens constituent dans
notre province une minorité.
Une minorité pas comme les
autres (CSI, p.9)
« Les Indiens, plus que toute
autre race peut-être, font partie
intégrante de l’histoire du
Canada »
47
Langage Formation des
enseignants et matériel
pédagogique
Décennie 1960
« Si ce sont les Indiens qui ont le
meilleur il s’agit de massacres,
meurtres et pillages » (CSI, p.2).
« Nos manuels en général
renferment trop de termes
offensants ou injurieux envers la
race indienne tout aussi bien que la
race anglaise et sont jusqu’à un
certain point, déformateurs pour
nos propres enfants » (CSI, p.2).
« Les mots sauvages, massacre,
barbare, devraient être bannis et
remplacés par des expressions plus
réalistes, telles que batailles,
culture différente, Indiens ou non-
Indiens, etc. » (CSI, p.8).
« Nous recommandons enfin
que cette révision de manuels
soit faite par un comité
d’éducateurs dûment
qualifiés » (CSI, p.3).
« Nous, membres du Grand
Conseil de Québec, protestons
avec véhémence contre
l’enseignement donné dans les
écoles du Québec, basé sur les
divers manuels d’Histoire du
Canada, sur le chapitre des
Indiens » (CSI, p.1).
Pour la présentation des résultats, nous avons exposé, pour chaque thématique
étudiée, certains points d’analyse, des réflexions et des exemples tirés des documents. Dans
une perspective d’étude historique comparative, nous opposerons d’un côté les textes des
décennies soixante et soixante-dix, et de l’autre, ceux produits par le Conseil en éducation
des Premières Nations dans la décennie 2010.
48
Chapitre 4 : Présentation du corpus documentaire et analyse préliminaire
Les documents analysés auxquels réfèrent les prochains chapitres ont été rédigés
entre 1962 et 2016 par des organismes qui représentent dans une mesure plus ou moins
grande des nations autochtones du Canada. Le document le plus ancien est le mémoire du
comité de Survivance indienne de 1962, alors que le plus récent est le mémoire déposé par
le Conseil en éducation des Premières Nations suivant la publication du nouveau programme
d’histoire du Québec et du Canada en 2016.
Entre ces deux époques, on retrouve un document ayant une portée plus large, dans
la mesure où il a été rédigé en 1971 par la Fraternité des Indiens du Canada, une association
pancanadienne. La Fraternité des Indiens du Canada est connue comme ayant milité
activement pour une prise en charge de l’éducation par les communautés autochtones, dans
le contexte des pensionnats indiens. Cette association prendra le nom d’Assemblée des
Premières Nations au tournant des années quatre-vingt (Lepage, 2019).
4.1 Le comité de Survivance indienne, représentant des Premiers Peuples
Dans le cadre de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province
de Québec, mieux connue sous le nom de la commission Parent, la population a été invitée à
déposer des mémoires concernant leurs demandes en matière d’éducation au Québec. De
nombreux organismes et citoyens ont répondu à l’appel. Parmi les dépositaires de mémoires,
on retrouve le Comité de Survivance indienne. Celui-ci parle au nom de plusieurs réserves
autochtones du Québec et se donne le statut de représentant officiel des Premières Nations
du Québec.
Il est intéressant de noter que les textes regroupés dans ce mémoire sont entièrement
écrits par des Non-autochtones, notamment des membres des communautés religieuses,
autrefois responsables de l’enseignement dans la province de Québec. Ceux-ci agissent alors
à titre de porte-parole des communautés autochtones.
Ce document, déposé en mars 1962, poursuit deux objectifs. D’abord, les auteurs du
mémoire proposent de relater ce qu’ils nomment les omissions et les silences calculés des
manuels d’histoire. Ces derniers, par leur nature trop subjective à l’égard des Autochtones,
renforcent donc la méconnaissance de la population non-autochtone envers ceux-ci.
49
Ensuite, les auteurs souhaitent rappeler aux lecteurs le rôle prépondérant des
Autochtones dans l’histoire du Canada. Ils jugent, notamment en raison de ce qu’ils appellent
« la malhonnêteté des manuels », que la population connait mal l’histoire des Premiers
Peuples. Selon eux, les préjugés restent fortement ancrés et l’histoire officielle ne rend pas
justice à l’héritage historique des Autochtones. À travers ce riche document de 38 pages, les
auteurs, par l’entremise de la discipline de l’histoire scolaire, plaident pour un redressement
de l’image de l’Autochtone au sein de la société québécoise.
4.1.1 Critique de la représentation des Indiens dans les manuels
Les auteurs du mémoire du Comité de Survivance indienne critiquent fortement les
manuels qui sont alors utilisés dans les classes d’histoire du secondaire, puisqu’ils sont
souvent représentés comme des Sauvages et des agresseurs. Ils considèrent que ceux-ci
renferment trop de termes offensants et injurieux envers les Autochtones. En d’autres mots,
les récits présentés sont tronqués et ne permettent pas à l’Indien d’être un patriote, c’est-à-
dire d’interpréter les guerres franco-autochtones dans une nouvelle perspective, celle de
l’Autochtone qui a une patrie et qui tente de la défendre contre une invasion ennemie – les
Français ou les Anglais.
En tronquant la vérité et la complexité historique, c’est uniquement le point de vue
du Blanc qui transparaît. Des massacres d’Indiens sont alors utilisés comme prétexte pour un
élan de patriotisme européen. Dans le même ordre d’idées, les victoires françaises sont
considérées comme des victoires, alors que les batailles remportées par les Autochtones sont
décrites comme des massacres ou des pillages. Cette omission de tout fait favorable aux
Indiens dans les manuels ferait de l’histoire autochtone un moyen de renforcer les stéréotypes
à leur égard.
Afin de remédier à la situation, le Comité de Survivance propose de retirer certains
éléments des manuels et d’en ajouter d’autres. Par exemple, les auteurs du mémoire suggèrent
que les termes « sauvages » et « massacres » devraient être remplacés par des expressions
plus justes et réalistes, notamment Indiens, batailles, cultures différentes. Aussi, on suggère
de passer sous silence les épisodes touchant à la consommation excessive d’alcool, ce qui ne
fait que présenter sous un mauvais jour les Autochtones d’autrefois. De manière générale, on
50
propose de retirer des manuels tout passage qui porte atteinte à la dignité des Autochtones ou
qui tend à présenter les événements de manière trop subjective ou européocentriste.
En retour, les auteurs du mémoire suggèrent de suivre les Autochtones, période par
période, et ce, autant sur le plan social qu’économique. Ils dénoncent l’absence des
Autochtones dans une grande partie du récit historique présenté aux élèves et déplorent que
ces derniers soient surpris d’apprendre que les Autochtones du XXe siècle fréquentent les
mêmes classes qu’eux et s’habillent et se nourrissent à peu près comme les Blancs.
De manière globale, le Comité de Survivance indienne insiste sur la nécessité de
présenter la contribution de chaque race (terme désignant alors des communautés) au sein
des manuels. En d’autres mots, lorsque pertinent, on doit présenter l’influence bienfaisante
de l’Indien dans l’histoire canadienne, sa contribution au développement de la société en
général, ainsi que l’impact négatif des Blancs sur son mode de vie.
4.1.2 Changer les mentalités envers « l’Indien »
Comme mentionné précédemment, les auteurs du mémoire affirment que la majorité
de la population blanche connaît mal les Autochtones. On insiste sur le caractère folklorique
de l’image des Autochtones, ceux-ci étant alors toujours perçus comme des « sauvages »
vêtus de peaux, coiffés de plumage, vivant de chasse et de pêche et habitant des tentes.
Véhiculée par les films, les livres et le théâtre, cette vision se retrouve ensuite à l’école. Les
jeunes y apprennent à voir les Autochtones comme des êtres cruels et barbares.
Pour les auteurs du mémoire, les Autochtones d’autrefois ne faisaient que défendre
leurs terres devant l’invasion européenne, tout comme le ferait n’importe quel peuple désirant
maintenir son intégrité territoriale. À ce titre, l’histoire devrait retenir que le Blanc était alors
l’usurpateur ou l’assaillant, et l’Autochtone le défenseur du territoire. Qui plus est, on nous
rappelle que les Autochtones font partie intégrante de l’histoire du Canada, et qu’il est
important d’insister dans les manuels sur l’apport inestimable des Premiers Peuples dans le
développement de la société canadienne.
Pour les auteurs du mémoire, il faut remonter aux premières heures de la colonisation
pour comprendre la mentalité des Blancs du XXe siècle à l’égard des Premières Nations.
51
Avant même l’installation des premiers établissements français, les Européens d’alors
considéraient leur culture comme supérieure à celle des populations qu’ils appelaient
« sauvages ». Ils auraient donc importé en Amérique cette mentalité de supériorité. Celle-ci
aurait été alors renforcée lorsque les explorateurs français rencontrèrent les Autochtones
riverains et nomades. Jugeant leur mode de vie barbare, la vision que les Européens
entretenaient envers les Autochtones fut confirmée. Commencèrent donc l’exploitation et
l’accaparement des connaissances autochtones par le Blanc. Celui-ci finit par oublier que
nombre de ses activités découlaient du mode de vie autochtone.
De nombreuses pages du mémoire tentent de rectifier le récit historique dominant en
proposant une version alternative, dans laquelle la place des Autochtones correspond à leur
importance historique. Les auteurs rappelèrent aussi toute l’influence autochtone sur la
manière de vivre des Blancs. À titre d’exemple, les maisons françaises furent construites près
des cours d’eau, tout comme les Wigwams occupaient alors ces endroits. Les mocassins, les
mitasses, les parkas du nord passeront aux mains des Blancs. L’agriculteur français
ensemencera au croissant de lune, tout comme le veut la tradition ancestrale. Comme engrais,
les Européens utiliseront les coquillages ou les poissons, en plus de s'accaparer la potasse,
une ressource qui deviendra centrale pour les Canadiens. Les méthodes de pêche passeront
aux Blancs, ainsi que toutes les connaissances autochtones en matière de transport dans les
bois, confection de canots, de raquettes, de traînes, l’orientation, le campement, etc.
Le Comité de survivance rappelle donc que les Européens ont extrait de la culture
indienne toute la richesse de ses connaissances millénaires.
4.1.3 Le récit historique autochtone : le manuel d’histoire de l’Indien
Afin de proposer un récit alternatif à celui en place dans les écoles du Québec des
années soixante, les auteurs du mémoire présentent un manuel d’histoire idéalisé. Ainsi, les
auteurs proposent d’analyser objectivement les événements et les sources afin d’en arriver à
des conclusions différentes ou opposées à celles se trouvant dans les manuels d’histoire.
Sans entrer dans tous les détails, nous pouvons affirmer que le manuel indien
présentera des extraits de journal et des témoignages qui montrent tout le savoir-faire des
Autochtones du début de la colonisation. Sans dénigrer les non-autochtones, il rappellera les
52
faits concernant la connaissance intime que les autochtones avaient du territoire et la manière
par laquelle Eddie ceux-ci ont permis aux Français de passer à travers des famines frappant
les premières années de la colonisation. Le « pédagogue indien » insistera aussi sur les
exploits militaires de l’Autochtone. Il rappellera que les Français s’inspirèrent grandement
de l’embuscade indienne face à ses ennemis.
Le manuel reviendra également sur des moments clés de l’histoire canadienne,
notamment l’épisode de Dollard4. Tout en admettant le caractère éclatant de l’exploit de
Dollard, le manuel rendra hommage aux Algonquins qui périrent avec lui et rétablira
l’honneur des Hurons qui étaient à l’extérieur du fort. Par rapport au massacre de Lachine, le
manuel insistera sur le rôle important de Denonville dans cette histoire.
Puis, afin de montrer l’apport indéniable des Autochtones dans l’histoire du Canada,
le « manuel indien » présentera tous les aspects de la société européenne qui découlent de
l’identité indienne. On insistera sur l’influence indienne par rapport à l’agriculture du
Nouveau Monde (maïs, tabac, pommes de terre, haricots, citrouille, etc.), sur l’apport de
« l’âme indienne » dans les concours athlétiques de l’Amérique, sur la passion de la liberté
que le Blanc a héritée de l’Autochtone et qui fut à la base de la Révolution américaine et des
mouvements de démocratie, ainsi que sur l’inspiration des modèles confédératifs autochtones
dans la formation du Canada et des États-Unis modernes.
De manière générale, le « manuel indien » servirait à montrer comment les
Autochtones d’autrefois ont américanisé les Européens et le rôle central qu’ont joué les
Premières Nations dans le développement de la civilisation canadienne en Amérique. Selon
les auteurs, c’est uniquement en valorisant le patrimoine historique autochtone que l’indien
du XXe siècle arrivera à retrouver sa dignité d’autrefois et à participer, comme ce fut le cas
pendant longtemps, à la société canadienne.
4.2 La maîtrise indienne de l’éducation indienne : un document de référence
Bien que nous nous intéressions aux demandes des autochtones en matière
d’enseignement de l’histoire nationale au Québec, le document préparé en 1971 par la
4 Il est à noter que l’historigraphie a révisé plus tard dans les années 1980 le mythe entourant Dollard des Ormeaux et qu’elle est arrivée à la conclusion que ce personnage n’était qu’un contrebandier (Groulx, 1998). D’ailleurs, en 2002, la fête du Dollard a été remplacée par la fête des Patriotes.
53
Fraternité des Indiens du Canada constitue une référence commune pour toutes les nations
du pays. Ainsi, le document est souvent cité par les groupes de défense des droits
autochtones. Il correspond à une vision partagée de ce que devrait être l’éducation des
Premières Nations.
Les auteurs du texte affirment l’existence d’un fossé culturel entre les Indiens et les
non-indiens. En ce sens, ils considèrent comme une nécessité pour tous les citoyens
canadiens, Indiens et non-indiens, d’apprendre sur l’histoire et la culture des Premiers
peuples. Ils décrivent le système en place dans les années soixante-dix et affirment que celui-
ci place l’enfant indien dans un monde qui lui est étranger, ce qui nuit à son développement
personnel et culturel.
4.2.1 Une définition des valeurs indiennes
La Fraternité des Indiens du Canada considère qu’il existe des valeurs indiennes
distinctes. Par rapport au domaine de l’éducation, celles-ci sont la fierté de soi, la
compréhension des autres et l’harmonie de l’humain avec la nature. En lien avec ces valeurs,
les auteurs du document fixent des objectifs pour l’éducation des Autochtones. Ainsi, celle-
ci devrait renforcer l’identification des enfants à la « race indienne » tout en leur donnant une
formation qui permettra de gagner leur vie dans la société moderne.
Dans ce contexte, afin d’éviter des conflits de valeurs, la responsabilité de
l’enseignement aux jeunes autochtones doit être redonnée aux parents. En effet, ceux-ci sont
les mieux placés pour élaborer des programmes qui maintiennent l’équilibre entre les
matières scolaires et les réalités culturelles indiennes.
Pour atteindre cet équilibre des programmes scolaires, la Fraternité des Indiens du
Canada recommande de retirer tous les manuels qui présentent du contenu négatif, biaisé ou
inexact en ce qui concerne l’histoire et la culture indienne. Il s’agit d’une mesure visant à
arrêter la représentation négative de la contribution des Autochtones à l’histoire du pays.
Qui plus est, les auteurs du document insistent sur l’importance de donner une plus
grande place aux sciences et à l’art autochtone (sciences, médecine, agriculture, géographie,
langue, culture, musique, danse, artisanat). Ce faisant, les manuels mettraient en valeur
l’importance des Premières nations dans l’histoire canadienne. Ce désir légitime de se
54
procurer de meilleurs manuels doit donc être appuyé, selon les auteurs, par tous les paliers
de gouvernement.
4.2.2 Prise en main des programmes et gestion scolaire
Afin d’arriver à ses objectifs, la Fraternité des Indiens du Canada juge essentiel que
des membres des communautés autochtones participent à la création des programmes et à la
rédaction des manuels. Dans le même ordre d’idée, on affirme qu’une décentralisation de
l’administration scolaire est la seule manière d’assurer un enseignement qui est cohérent avec
les valeurs et les objectifs autochtones. En effet, puisque ceux-ci sont les mieux placés pour
déterminer ce que l’enfant autochtone doit connaître sur sa culture, il va de soi que les
membres des Premières Nations adoptent un plus grand rôle dans la création des programmes
scolaires.
4.3 Le Conseil en Éducation des Premières Nations : vers une maîtrise indienne de
l’éducation?
Le Conseil en Éducation des Premières Nations (CEPN) est une association
indépendante qui appuie les vingt-deux communautés qui se sont dotées d’organisme
régional de défense des intérêts autochtones en matière d’éducation. En effet, « Le CEPN
vient les soutenir dans la mise en place d’un système d’éducation complet et respectueux de
leur culture, de leurs valeurs, de leurs traditions et de leur identité propre, le tout dans un
esprit de collaboration mutuelle. » (CEPN, 2020).
Dans cette optique, le CEPN a déposé deux mémoires visant à donner son avis sur le
nouveau programme d’histoire nationale proposé en 2016 dans la foulée du rapport
Beauchemin-Fahmmy-Eid. Bien que ce document ne propose pas une vision générale de ce
que devrait être l’enseignement de l’histoire autochtone au Québec, les orientations qui y
sont proposées laissent transparaître des objectifs plus larges en matière d’enseignement de
l’histoire. Les deux mémoires, l’un en référence au programme de la 3e secondaire et l’autre
à celui du programme de 4e secondaire, traitent des questions de langue, de vocabulaire et
proposent des modifications du contenu enseigné, afin que celui-ci corresponde à la vision
autochtone du passé québécois et canadien.
55
Cette section du mémoire présente une synthèse des revendications présentes dans
ces deux mémoires qui forment en fait une proposition homogène.
4.3.1 Le langage utilisé : Des mots qui oppriment
Dans les mémoires, le CEPN affirme que le langage utilisé pour décrire les Peuples
autochtones est problématique. Effectivement, le programme de troisième secondaire utilise
le terme « amérindien », ce qui renvoie à une erreur historique et qui fait référence aux
grandes explorations européennes du XIVe et du XVIe siècle. Le Conseil souhaite
l’utilisation du terme « Autochtone » ou celui des « Premières Nations » dans le programme
d’histoire. Plus précisément, lorsque possible, le CEPN souhaite que les programmes utilisent
les termes employés par les différentes nations pour se décrire. Ainsi, les Algonquins sont
remplacés par les Anishinabe, les Montagnais par les Innus, les Hurons par les Wendats ou
les Hurons-Wendats, les Micmacs par les Mi’gmaqs, alors que les Mohawks deviennent les
Kanienkehaka et les Iroquois au sens large sont plutôt nommés comme étant des
Haudenosaunnee.
Il est pertinent de rappeler qu’en 2018, le ministère de l’Éducation a décrété que tous
les manuels scolaires de 3e et 4e secondaire (qui traitent de l’histoire « nationale ») devaient
être remplacés afin d’éliminer la présence du terme « amérindien ». L’annonce causa une
controverse, en raison de la réimpression de nombreux manuels, au coût de 1,6 million de
dollars (Le Soleil, 2018). De plus, le terme « chaman » est lui aussi considéré comme
problématique, dans la mesure où il provient de l’Asie. Ainsi, on demande plutôt d’utiliser
le terme sorcier-guérisseur lorsqu’on fait référence à ce statut social.
4.3.2. Participation autochtone aux grands conflits et amélioration des relations entre
Québécois et Autochtones
Dans l’objectif de proposer une vision plus positive des Premières Nations dans
l’histoire canadienne et québécoise, le CEPN propose de mieux décrire la participation des
Premières Nations à l’effort de guerre lors des conflits armés. En ce sens, le Conseil propose
premièrement de reconnaître le rôle central qu’ont joué les nations autochtones en tant
qu’alliés des Français, lors de la guerre de Conquête. Deuxièmement, il souhaite que l’apport
autochtone dans la défense du Haut et du Bas-Canada contre l’invasion américaine lors de la
guerre de 1812 soit reconnu. Plus précisément, on propose de mettre l’accent sur le rôle des
56
Kanienkehaka (Mohawks) lors de la bataille de Châteauguay. Finalement, le CEPN affirme
qu’il est essentiel, dans un objectif de réconciliation, de souligner la mobilisation importante
des Premières Nations lors des deux grands conflits mondiaux du 20e siècle.
Selon le CEPN, une meilleure compréhension du rôle des Premières Nations,
notamment des Kanienkehaka dans la guerre de 1812, permettrait un rapprochement entre
les Québécois et cette nation se trouvant près de Montréal. Dans le même ordre d’idées, le
CEPN propose une explication plus complexe des raisons qui ont poussé les Haudenosaunnee
(Iroquois) à entrer en conflit armé avec les Français à partir de la fin du XVIIe siècle. La
présentation d’une vision équilibrée du conflit serait une occasion de tisser des liens entre les
Québécois et les Autochtones et d’apaiser les tensions existantes entre les Kanienkehaka
(Mohawks) et les Québécois depuis les événements entourant la crise d’Oka en 1990.
4.3.3 Le rapport à la nature et les luttes environnementales
À travers le contenu présent dans les programmes d’histoire, le CEPN recommande
d’ajouter un point sur la gestion de la faune au Québec, afin d’aborder les conséquences de
la disparition d’animaux sur le mode de vie traditionnel des Autochtones. De cette manière,
le programme reflèterait le lien privilégié qu’entretiennent les Premières Nations avec la
nature et permettrait d’aborder le mode de vie propre aux populations autochtones. Dans le
même ordre d’idées, le Conseil suggère d’insister sur les luttes environnementales portées
par les Autochtones, notamment leur opposition au projet hydroélectrique de Grande Baleine,
leur combat contre l’oléoduc Énergie Est et leur rôle dans le rejet du port méthanier de
Cacouna. Ainsi, il serait démontré que les valeurs traditionnelles sont toujours importantes
aux yeux des Premières nations et que celles-ci ne démordent pas de leur rôle de gardien du
territoire et de l’environnement.
4.3.4 Les conséquences des pratiques coloniales sur le mode de vie autochtone :
L’exemple de l’arrivée des Français, de la loi sur les Indiens et des pensionnats
autochtones
Le CEPN recommande d’inscrire au sein des programmes les conséquences néfastes
des actions européennes et occidentales sur les Autochtones. D’abord, le Conseil propose de
ne pas glorifier Jacques Cartier et son passage en Amérique. Celui-ci, par son non-respect
des protocoles diplomatiques autochtones, sema la confusion, rompit l’équilibre des forces
57
du Saint-Laurent et mit en place les conditions nécessaires aux épidémies qui ravagèrent les
populations autochtones par la suite. En d’autres mots, le voyage de Cartier a mis les bases
d’un choc culturel difficilement imaginable aujourd’hui. D’ailleurs, Le CEPN reconnaît la
mention des épidémies dans le programme actuel, mais juge qu’on ne prend pas acte de l’effet
dévastateur de celles-ci sur les populations autochtones de l’époque, notamment le taux de
dépopulation catastrophique (90%) qui s’en est suivi.
Ensuite, par rapport à la Loi sur les Indiens, le Conseil affirme qu’il est insuffisant de
simplement nommer cette loi. Il faut en effet aborder les fondements de celle-ci, son
idéologie, ses objectifs et ses effets sur les populations autochtones. De plus, le CEPN insiste
pour que soient présentes dans les programmes les différentes modifications portées sur cette
loi au cours de l’histoire. Il est notamment question des changements de 1951 qui
abandonnent les mesures restrictives comme les mesures d’émancipation volontaire, ce qui
a un impact sur le rôle de l’agent des Indiens et qui réaffirme le pouvoir des Premières
Nations de lutter pour leurs droits.
Finalement, la question des pensionnats autochtones est abordée et cette période de
l’histoire canadienne est comparée à plusieurs reprises à l’Holocauste. De ce fait, le CEPN
indique qu’il est primordial de présenter les responsables de ce système, notamment Duncan
C. Scott. Ce faisant, le Conseil fait un lien mémoriel avec les événements de la Seconde
Guerre mondiale, plus précisément les mesures d’élimination des populations juives. En ce
sens, le Conseil recommande de créer dans le programme d’histoire une connaissance
historique traitant exclusivement des pensionnats indiens.
4.3.5 Les Premières Nations et le Québec : des nations distinctes
Dans le mémoire du CEPN, on remarque un désir de s’affranchir de l’espace politique
québécois. D’abord, on insiste sur l’importance de présenter les chiffres de la population
autochtone de l’Amérique entière, affirmant ainsi l’antériorité de la présence autochtone sur
le territoire actuel du Québec. Également, le CEPN affirme l’importance de préciser qu’à
l’arrivée européenne, le territoire actuel du Québec était occupé à 100% de sa capacité selon
le mode de vie des cultures y habitant.
58
De plus, le Conseil souhaite que le programme montre à quel point le gouvernement
du Québec a lutté activement contre le respect des droits autochtones, notamment en
s’opposant à la lutte des Cris pour leurs territoires de la Baie-James lors du développement
hydroélectrique, mais également en raison du fait que ce fut au Québec que le droit de vote
des Autochtones fut adopté en dernier parmi les provinces Canadiennes (seulement en 1969).
Plus encore, le CEPN affirme que la Convention de la Baie James ne fut pas la résultante du
caractère distinctif du Québec qui se proclame plus près des Premières Nations que le
gouvernement fédéral – mais des luttes menées par les Autochtones.
Également, en demandant à ceux qui rédigent les programmes de mentionner que les
Premières Nations ont signé des traités de paix séparés des Français, le CEPN souhaite
montrer à quel point les différentes nations se considéraient déjà à l’époque comme des
nations indépendantes. Ainsi, le Conseil souhaite que tout au long du programme, on décrive
les peuples autochtones comme des nations florissantes ayant une structure politique propre
et agissant dans leur propre intérêt.
4.3.6 Le rapport au récit historique
Plusieurs critiques sont émises par le CEPN par rapport au récit historique tel qu’il
était présenté dans la version préliminaire du programme de 2016. Non seulement on fait
remarquer un vide historique, c’est-à-dire une diminution de la présence autochtone dans le
récit de 1812 à 1945, mais on ajoute la nécessité de décoloniser le récit historique. En ce
sens, le Conseil affirme son désir que le programme ne glorifie pas la science occidentale
moderne par rapport aux savoirs traditionnels autochtones. Ainsi, en ce qui a trait aux théories
de migration, auxquelles les Premières Nations ne souscrivent pas, le CEPN souhaite que le
programme présente les récits de création autochtones. Ceux-ci, nous disent-ils, témoignent
de la présence antérieure et immémoriale des Autochtones en Amérique.
Aussi, les auteurs du mémoire insistent sur l’importance de présenter les
revendications des autochtones depuis les années 1950. Celles-ci témoigneraient de
l’évolution politique des Premières Nations et confirmeraient leur caractère distinct au sein
de la fédération.
59
Pour le CEPN, malgré les bonnes intentions du programme préliminaire, plusieurs
questions émergent par rapport à l’application de celui-ci par les enseignants. Ainsi, le
Conseil en éducation des Premières Nations souhaite faire un suivi auprès des éditeurs de
manuels scolaires et participer à la formation des enseignants, afin qu’elle soit satisfaisante
pour les Autochtones.
60
Chapitre 5 : Discussion des résultats
À la lumière des résultats présentés, on a constaté que les revendications des groupes
autochtones en matière d’enseignement de l’histoire ont changé depuis les années soixante.
Cette transformation des demandes - va de pair avec l’évolution du statut social et politique
des nations autochtones.
Cette section du mémoire (met en - relation ou bien tente de faire le lien entre) des
éléments de rupture et de continuité quant aux revendications des années soixante et les
critiques du programme d’histoire actuel. Ce faisant, il deviendra possible de mieux cerner
et comprendre les revendications autochtones actuelles.
5.1. Arrimage avec les luttes « occidentales »
Un des constats qui émerge de l’analyse historique des revendications autochtones en
matière d’enseignement de l’histoire est le fait que les luttes des groupes autochtones sont
toujours structurées en fonction des débats qui marquent la société québécoise à chacun de
ces moments. Nous y reviendrons. Pour l’instant, nous précisons seulement que l’utilisation
de la terminologie des débats occidentaux dans la structure des revendications autochtones
assure une plus grande prise en compte des demandes par la société québécoise. En effet,
puisque les groupes autochtones sont en quelque sorte inféodés au gouvernement québécois
et canadien, l’utilisation d’un vocabulaire et de valeurs chères à la société occidentale
(l’environnement, le féminisme, la justice sociale, la diversité, etc.) mobilisent les citoyens
et exigent de l’État une plus grande écoute et une considération accrue.
Ainsi, par rapport aux revendications autochtones en matière d’enseignement de
l’histoire, deux grandes orientations ont marqué le discours autochtone. D’une part, dans les
années soixante, les revendications au sujet de l’enseignement de l’histoire font écho aux
aspirations nationalistes de la société québécoise de l’époque. D’autre part, les revendications
du XXIe siècle rejoignent les luttes communautaires et particularistes qui militent pour une
reconnaissance par l’État de leur caractère distinctif. Toutefois, une troisième voix se dessine,
celle de l’élaboration d’une logique intellectuelle, politique, éthique, spirituelle et sociale
propre aux communautés autochtones. Cette pensée autochtone pourrait même rejeter les
codes de l’intellectualisme occidental et légitimer un univers de connaissances et de valeurs
61
élevé au même rang que la pensée scientifique. Discutons une par une de ces grandes
orientations.
5.2. Les autochtones et le projet national québécois
Les années soixante au Québec sont marquées, entre autres, par le désir
d’émancipation des Québécois face au gouvernement fédéral. Les luttes nationalistes vont
structurer le débat politique québécois de cette décennie et de celles qui suivront (Béland et
Lecours, 2011). Ainsi, il était fort probable que les revendications autochtones en matière
d’enseignement de l’histoire s’appuient sur ces aspirations nationales pour exiger des
changements aux programmes d’histoire et aux structures pédagogiques en place. En effet,
un des auteurs du texte du comité de survivance rappelle la légitimité des luttes nationales
des Québécois et affirme que pour être conséquent :
on ne peut refuser à la minorité indienne de cette province, le respect ethnique,
auquel elle aussi a droit » (Comité de survivance, p.32). Ce respect, permettrait
ainsi d’insister « sur la contribution que chacune des races a apportée à
l’édification et au développement de notre pays (Comité de survivance, p.2)
Également, dans les années soixante, le discours portant sur les Autochtones référait
encore aux « sauvages » et aux « pratiques barbares ». Il était donc urgent de réhabiliter les
Autochtones au sein du discours historique afin que « l’Indien, se sentant l’égal de son frère
blanc (puisse) davantage songer à s’intégrer à la nation et tout comme il le faisait autrefois,
contribuer au progrès du pays » (Comité de survivance, p.9).
Fait intéressant à noter, le Comité de survivance indienne instrumentalise le
nationalisme québécois pour demander à « ses frères blancs » de reconnaître le rôle
historique des Autochtones dans l’édification de la société québécoise, plutôt que de les voir
comme des populations ostracisées et extérieures au Québec. Par le texte du Comité de
survivance, les groupes autochtones des années soixante s’associaient aux Québécois et leur
proposaient de créer un nouveau récit historique fondé sur la collaboration des « deux races ».
Ainsi, les années soixante sont marquées par une tentative de rapprochement entre les
Québécois et les Autochtones. Ces derniers font appel à l’histoire du Québec et à une
collaboration ancestrale entre les Euro-descendants et les Autochtones pour légitimer un
changement dans le discours historique présenté aux élèves. Dans les décennies qui vont
62
suivre, les luttes émancipatoires des Autochtones vont se traduire par un nouveau champ de
revendication, soit la recherche d’une autonomie dans les structures pédagogiques.
Parallèlement à ces nouvelles revendications institutionnelles, les groupes autochtones
continuent à insister sur la nature du récit historique scolaire, mais s’éloignent d’une vision
unifiée de la société.
5.3. S’affranchir de l’espace politique québécois et canadien
Dès les années soixante-dix, des voix autochtones s’élèvent à travers le Canada pour
demander une plus grande autonomie institutionnelle en matière de structures pédagogiques.
La Fraternité des Indiens du Canada (FIC) est l’une de ces instances. Ce groupe autochtone
juge « essentiel que des membres des communautés autochtones participent à la création des
programmes et à la rédaction des manuels. » (Fraternité des Indiens)
La FIC va plus loin en affirmant « qu’une décentralisation de l’administration scolaire
est la seule manière d’assurer un enseignement qui est cohérent avec les valeurs et les
objectifs autochtones. » Ainsi, puisque les membres des Premières Nations sont les mieux
placés pour déterminer ce qui doit être appris en matière d’histoire autochtone, il serait
attendu que leur rôle soit déterminant dans la création des programmes. L’objectif de la
Fraternité des Indiens du Canada, contrairement à celui par exemple du Comité de survivance
indienne, n’est pas de promouvoir une meilleure connaissance des Blancs au sujet des
Autochtones, mais plutôt de s’assurer que l’enseignement dispensé aux jeunes Autochtones
soit cohérent avec les valeurs et la culture autochtone.
En filigrane de ces revendications, on retrouve l’idée selon laquelle ce sont les
Autochtones qui sont les mieux placés pour enseigner et décider des contenus à être présentés
aux jeunes Autochtones. Ainsi, l’objectif initial du Comité de survivance indienne au début
des années soixante, c’est-à-dire une intégration historique des Autochtones dans le récit
global, est remplacé par la prise en main de l’enseignement par des Autochtones. Ce
changement est significatif et marque l’évolution du pouvoir politique des Autochtones à
partir des années soixante.
63
D’ailleurs, au Québec, à la fin des années soixante-dix, cette prise en charge de plus
en plus grande des instances pédagogiques par les Autochtones se reflète dans :
la création des commissions scolaires crie et Kativik, à la la suite de la
signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois en 1976, et de
la création à l’école naskapie, à la suite de la signature de la Convention du Nord-
Est québécois en 1978 (Rapport de l’Assemblée nationale, p.3).
Parallèlement à ces luttes institutionnelles et politiques, les groupes autochtones ont
continué à militer pour des changements sur le récit historique proposé aux élèves québécois.
Malgré des avancées concrètes, notamment l’ajout de l’étude des sociétés pré-colombiennes
par les élèves du primaire et du secondaire (PFEQ, 2001), les demandes se poursuivent. On
dénonce notamment ce que la chercheure et professeure d’histoire Helga Bories Sawala a
nommé le « vide historique ». C’est-à-dire que malgré la place accordée aux Premiers
occupants avant l’arrivée des Européens, on remarque que les programmes gardent le silence
sur les évolutions des sociétés autochtones entre le début du 19e siècle et le 20e siècle. Ce
tunnel a « pour effet l’impression que les Autochtones semblent appartenir à un passé lointain
plutôt qu’à une histoire en évolution (Bories-Sawala, Thibault, 2020, p.38).
En ce qui concerne les revendications actuelles, on remarque deux tendances majeures
portées par le Conseil en Éducation des Premières Nations. Premièrement, dans une logique
d’émancipation face au peuple québécois, le CEPN insiste sur l’importance de s’affranchir
de l’espace politique québécois. Pour ce faire, il invoque la nécessité de présenter les chiffres
de la population autochtone de l’Amérique entière, plutôt que de se concentrer sur le territoire
québécois. De manière générale, on remarque un éloignement des théories en sciences
sociales et un rapprochement avec les visions du monde social propres aux Autochtones. Ce
faisant, on remarque un contraste avec les orientations du Comité de survivance indienne. En
effet, si celui-ci proposait, dans les années soixante, un rapprochement avec les Québécois,
les luttes actuelles dénotent plutôt un désir de s’affranchir de l’héritage historique québécois.
Il est intéressant de préciser que le CEPN milite aujourd’hui pour une plus grande place
accordée aux Premières Nations, aux communautés anglophones et aux immigrants. Ainsi,
si les revendications des années soixante proposaient une sorte d’alliance historique avec les
Québécois francophones, les revendications actuelles démontrent plutôt un rapprochement
64
avec d’autres minorités culturelles du Québec. Cette fédération des luttes minoritaires contre
un récit hégémonique québécois constitue une rupture par rapport aux élans fraternels des
années soixante.
Malgré cela, une constante demeure : les groupes autochtones utilisent le vocabulaire
contemporain de la société occidentale pour mener à bien leurs luttes. Ainsi, si la vision
unifiée de la société dans les années soixante a fait place aux luttes minoritaires au XXIe
siècle, c’est parce que le discours politique québécois s’est structuré de la même manière. On
assiste alors à une tension entre la nécessité d’utiliser le vocabulaire occidental pour faire
écho auprès de la société, et dans son ensemble, un désir d’autochtoniser le discours social
et la pensée politique.
Ainsi, on peut supposer que les prochaines décennies de revendications seront
marquées par une tentative de s’affranchir du discours politique occidental et par l’imposition
dans le débat public d’une forme de pensée autochtone.
5.4. La pensée autochtone contemporaine
Déjà, avec la notoriété des auteurs autochtones comme Olive Dickason, une
historienne métisse, Daniel N. Paul, un aîné Mi’kmaq, un auteur et militant des droits de
l’homme, et George Sioui, un historien et philosophe huron-wendat, on constate l’émergence
d’une élite intellectuelle autochtone. Dans la section qui suit, nous présentons trois projets
autochtones en construction en utilisant le cadre d’analyse proposé par Giroux (2008),
professeure de théorie politique à l’Université d’Ottawa.
5.4.1. Les trois projets autochtones
La typologie mise de l’avant par Giroux dans son analyse d’écrits autochtones
propose trois plans « qui permettent la formation d’un univers épistémique autonomes »
(Giroux, 2008, voir tableau 2). Ces plans agissent à titre d’objectifs moraux, intellectuels et
politiques, et constituent une organisation progressive du discours, c’est-à-dire que les
objectifs éthiques mènent à des projets intellectuels, puis éventuellement politiques.
65
Tableau 2. La maison autochtone
Projet normatif Projet intellectuel Projet politique
Dickason Herméneutique du
contact
Nouvelle histoire Réforme des
représentations
Paul Réparation sociale Récit émancipateur Réforme
bureaucratique
Adams Réparation sociale Récit émancipateur Révolution
socioéconomique
Alfed Valeurs politiques
traditionnelles
Philosophie
politique
Indépendance
nationale
Sioui Sagesse autochtone Ontologie Renversement
civilisationnel
Ce tableau présente les spécificités de plusieurs auteurs autochtones. Nous croyons que les
revendications à venir en ce qui concerne l’enseignement de l’histoire s’inspireront de ces
projets pour exiger un nouveau mode d’enseignement de l’histoire.
Ainsi, selon Giroux, Dickason se penche sur les écarts entre les « perceptions et les
manifestations linguistiques de ces perceptions » (p.43). En se penchant sur l’époque du
contact, elle étudie entre autres les ruptures entre la perception des Européens et celles des
Autochtones de la notion de pouvoir et de souveraineté. Ce que Giroux nomme une
« herméneutique du contact » est en fait une mise en contexte du mythe du sauvage afin de
« mettre en exergue les représentations à l’origine du mépris du droit politique des peuples
autochtones en Amérique » (p.36).
La réinterprétation du contact entre les civilisations européennes et autochtones
(projet normatif ou éthique) mène éventuellement à l’écriture d’une histoire renouvelée,
libérée des « représentations douteuses » héritées des mythes européens (projet intellectuel).
Ainsi, l’aboutissement du projet de Dickason serait une réforme des représentations du passé
autochtone par l’appréciation des intérêts et des perceptions des membres des Premières
nations, notamment grâce au recours aux artéfacts et à la tradition orale (projet politique).
66
Pour sa part, Paul considère que les problèmes structurels des Autochtones du Canada
découlent d’une stéréotypisation de ces nations par des historiens européens. Ainsi, afin de
renverser ce processus, il est nécessaire de voir les Premières Nations comme des êtres
humains dignes plutôt que de les juger selon un degré de civilisation fondé sur les concepts
et les standards européens (projet normatif ou éthique). De ce changement épistémique
découle un récit émancipateur examinant « les vecteurs de discrimination qui justifient la
réparation sociale exigée » (Giroux, p.48).
Ce récit mène à une historiographie critique qui explore « l’effet dévastateur d’une
certaine manière de faire l’histoire » (Giroux, p.37) et la marginalisation qui en découle pour
les peuples autochtones (projet intellectuel). Conséquemment, ce processus normatif et
intellectuel devrait mener à une réforme bureaucratique du gouvernement canadien
permettant de repenser les rapports entre le Canada et les peuples autochtones et menant à
une forme de réparation sociale (projet politique).
Ces deux exemples montrent la diversité des objectifs des différents auteurs
autochtones. Certains visent un changement législatif, d’autres des modifications de la
gouvernance autochtone, alors que des auteurs comme George Sioui militent pour un
changement de paradigme épistémologique de l’histoire des populations autochtones.
Toutefois, si les objectifs concrets et finaux diffèrent selon les auteurs et selon les époques,
ceux-ci se fondent sur une transformation du discours et des méthodes d’analyse permettant
d’arriver à cette pluralité de demandes. Nous présentons donc brièvement les étapes qui,
selon des auteurs autochtones, mèneraient à l’aboutissement des luttes autochtones.
5.4.2. Le développement d’une historiographie critique et d’une « autohistoire
autochtone »
Le principe d’autohistoire autochtone est une réaction à la stéréotypisation
systémique des Autochtones dans la littérature historique québécoise et canadienne. Cette
autohistoire, réalisée par des auteurs autochtones, accorde « la plus grande attention à
l’histoire des Premières nations en général ou à leur nation en particulier » (Janssen, 2018,
p.159). Ainsi, les Autochtones ne seraient plus simplement un sujet d’étude, mais un sujet
exprimant son identité.
67
George Sioui, un des penseurs essentiels de cette autohistoire décrit celle-ci dans les mots
suivants :
[…] il s’agit d’une technique qui vise à établir, grâce à un ensemble varié de
sources et de catégories d’informateurs, les traits culturels constants d’un ou de
plusieurs peuples culturellement apparentés. Une telle méthode devrait servir de
base à l’établissement d’une nouvelle histoire conforme à l’image d’eux-mêmes
que les hommes ont ou devraient toujours avoir eue. (G. Sioui 1987, p.55)
Ainsi, pour des auteurs comme George Sioui, l’intellectuel non-autochtone ne possède
tout simplement pas les référents pour pouvoir développer un discours cohérent sur les
peuples autochtones (Sioui, 1987). Alors, il revient aux Autochtones de reprendre contrôle
de leur histoire5.
Cette posture utilise l’histoire de manière ouvertement politique et militante. Elle vise
un redressement du passé que l’on juge tronqué par les écrits occidentaux. Dans sa
description du concept d’autohistoire autochtone Janssen écrit que « comme les historiens
occidentaux, les auteurs amérindiens utilisent l’écriture comme moyen de diffusion pour
transmettre largement leur idée du déroulement historique au Québec » (Janssen, 2018,
p.159). Il s’agirait donc d’une réappropriation des outils de l’oppresseur, le document écrit,
dans le but de se libérer de sa vision faussée.
Plus encore, l’autohistoire autochtone propose un regard critique sur le document écrit,
en mettant de l’avant une réinterprétation des sources historiques occidentales et l’utilisation
des sources orales traditionnelles. Contrairement à la vision intellectuelle occidentale qui
peine à utiliser l’oralité, l’autohistoire autochtone prétend que les sources orales sont « la
source la plus digne de confiance parce qu’elle est le moyen traditionnel et le plus répandu
pour transmettre les savoirs autochtones » (Janssen, 2018, p.162).
Donc, si l’interprétation occidentale de l’histoire autochtone a servi à justifier les
mécanismes d’oppression gouvernementaux, l’interprétation autochtone de l’histoire
servirait à se libérer de ceux-ci.
5 « The time has come for people who are from someplace Indian to take back the discourse
on Indians” (Alfred par Giroux, p.38).
68
5.4.3. Le discours
Le vocabulaire en sciences sociales est primordial, dans la mesure où « Les mots ne
sont pas les choses, mais les expriment, et la justesse des expressions rend celle des idées »
(C.B. 1989, p.13). Par exemple, l’utilisation du mot « sauvage » dans une majorité de textes
historiques a réussi à créer l’idéologie qui justifiera la colonisation des peuples autochtones
(Dickason, dans Giroux, 2008). En effet, du latin silvaticus (de la forêt), ce mot a fini par
prendre le sens de primitif ou barbare dans le monde moderne (Gallucci, 2012).
À ce titre, les Autochtones du Canada ont été nommés de plusieurs manières à travers
l’histoire; de sauvages à indiens, en passant par amérindiens, indigènes, autochtones et
finalement premières nations. Cette évolution fut le fruit du militantisme de la part des
nations autochtones et des intellectuels s’intéressant à la question.
En effet, si on remarque que les termes « indiens » et « sauvages » sont
progressivement remplacés par Amérindiens dans les manuels du début du XXe siècle (Stan,
2015), l’étude des manuels scolaires québécois de Vincent et d’Arcand à la fin des années
soixante-dix montrait à quel point on présente encore l’amérindien comme un Autre hostile,
voire barbare. (Vincent et Arcand, 1979).
Également, dans les années soixante, le terme « indien » est progressivement retiré
des publications officielles et est remplacé par Premières Nations (Bibliothèques et Archives
Canada, 2018) qui constituent l’un des trois peuples autochtones du Canada, les deux autres
étant les Inuits et les Métis. Cette évolution linguistique n’est pas sans conséquence,
puisqu’elle introduit le principe de nations dans le vocabulaire commun. D’ailleurs, on peut
remarquer que les Autochtones favorisent de plus en plus l’utilisation du vocabulaire précis
à chaque nation, mettant ainsi l’accent sur le caractère distinct de chacune des 50 nations
autochtones du Canada (Bibliothèques et Archives Canada, 2018).
Malgré ce changement de vocabulaire, l’utilisation du terme « indien » en histoire
reste parfois nécessaire, notamment lorsqu’il est question de la loi sur les Indiens de 1876,
loi encore en vigueur à l’heure actuelle. En modifiant le vocabulaire propre à l’histoire
autochtone et en incluant de plus en plus la terminologie propre à chaque nation, les
69
autochtones visent une réappropriation de leur histoire et un changement dans la
représentation que les Blancs ont de leur passé.
Si dans un premier temps c’est le vocabulaire qui est appelé à changer; en bout de
ligne, c’est la nature même du discours scientifique qu’on cherche à transformer. Dans une
perspective autochtone, « la reconnaissance des douleurs est préalable à la discussion. Il faut
régler les émotions pour rappeler la raison à son siège » (Giroux, 2008, p.45). On peut
imaginer l’impact de ses courants idéologiques en enseignement de l’histoire. Il s’agit d’une
rupture avec une vision institutionnalisée ce que l’on appelle la science historique.
5.4.4. Terminologie et langage scientifique
Dans certains courants de pensée autochtones, la science occidentale est vue comme
une attaque contre l’Amérindien; un mépris de la vision du monde subjective des
Autochtones au profit d’un faux-objectivisme. C’est principalement le manque de crédibilité
des sources orales autochtones qui est critiqué par la science occidentale. De fait,
« l’intellectuel autochtone est, par définition, politiquement engagé envers la tradition et les
peuples autochtones. Il se doit de respecter le contenu et le style de la tradition » (Giroux,
2008, p.41).
Cette position traditionnelle du chercheur autochtone peut mener à une vision
extrême du discours scientifique, celle que seuls les Autochtones seraient légitimés à utiliser
ces sources orales afin de créer un discours historique.
5.5. Considérations générales
Comme on peut le constater, l’enseignement de l’histoire autochtone a connu une évolution
importante dans la deuxième moitié du 20e siècle et au début du 21e. Le discours autochtone,
autrefois prisonnier d’une conception occidentale du monde et du passé, tend à s’émanciper
et à acquérir une crédibilité qui lui est propre. On peut citer le changement de vocabulaire
pour décrire les nations autochtones (Sauvages, Amérindiens, Autochtones, Premières
Nations, etc.), la plus grande place accordée aux sociétés pré-colombiennes et de manière
générale, au souci de présenter une histoire autochtone fondée sur les mythes et les traditions
de ceux-ci.
70
Cet enrichissement des perspectives historiques est souhaitable, s’il est accompagné
d’une complexification du récit historique institutionnel. Toutefois, une rupture idéologique
se profile à l’horizon. Un décalage insurmontable entre la méthode scientifique de l’approche
occidentale et le recours à la tradition de l’approche autochtone. On l’a vu, cette dernière ne
reconnait pas l’objectivisme de l’histoire occidentale, quitte à le considérer comme un outil
d’oppression idéologique.
Plus encore, le terme même de perspectives autochtones pourrait finir par signifier
l’impossibilité pour un chercheur non-autochtone de s’intéresser au passé des Premières
Nations. Il lui manquerait un socle identitaire et traditionnel pour pouvoir porter un regard
pertinent sur les nations autochtones. Qui plus est, dans les perspectives autochtones,
l’importance de reconnaître les méfaits et d’aborder les blessures exclut de fait les Blancs,
puisque ceux-ci se trouvent à être les responsables de ces méfaits. Les chercheurs non-
autochtones perdent alors toute crédibilité.
Le retour à une tradition autochtone semble possible grâce aux modalités du discours
social, très porté sur la reconnaissance des méfaits et la reconnaissance symbolique de
groupes par la société majoritaire (Beauchemin, 2005). Il serait intéressant de se demander
ce qui se produira en premier dans un futur proche. Les Autochtones influenceront-ils le
discours ambiant? S’en inspireront-ils pour légitimer leurs luttes, comme par exemple les
appels au nationalisme québécois dans les années soixante? Les deux phénomènes arriveront-
ils en même temps sans toutefois être liés? Ces questions mériteront d’être approfondies.
Toujours est-il que les revendications autochtones auraient permis à ces peuples
d’occuper une plus grande place dans l’historiographie québécoise et canadienne, et par le
fait même, dans les manuels scolaires et le récit historique dominant. L’aboutissement de ces
luttes conduirait à une rupture idéologique et épistémologique entre les traditions historiques
occidentales et autochtones. Dans les années soixante, cela n’a pas été souhaité, alors qu’on
militait plutôt pour une double émancipation : celle des Autochtones au sein de la société
québécoise et celle des Québécois au sein de la société canadienne.
En résumé, le discours autochtone a connu plusieurs transformations nécessaires (tableau 3)
71
Tableau 3. Évolution du discours autochtone à travers le temps
Année Situation
initiale
Situation
désirée
Type de récit/ discours
historiographique
Public
scolaire
1960-1970 Les Autochtones
sont présentés
comme inférieurs
Les Autochtones
soient présentés
comme égaux aux
Québécois
Inclusion dans le grand récit ;
discours historiographique
objectiviste (sources écrites
et orales, sélection des
événements du passé)
Les élèves
autochtones
2000-2020 Les Autochtones
sont marginalisées
dans l’histoire
scolaire
Les Autochtones
soient présentés
comme ayant été
opprimés par les
Québécois et les
Canadiens
Exclusion du grand récit;
historiographie occidentale
contestée ; perspectives
autochtones (l’autohistoire)
Les élèves
non-
autochtones
2021 - Les Autochtones
sont présentés
comme ayant été
opprimés par les
Québécois et les
Canadiens
Réparation pour
les torts commis
Reconnaissance
de la supériorité
de la sagesse
autochtone et de
leur vision du
monde (Ex. :
environnement)
Consolidation et diffusion de
l’autohistoire et remplacement
du grand récit québécois et
canadien par le récit
autochtone ; contester ou
interdire l’historiographie
occidentale concernant le
passé autochtone
La société
dans son
ensemble
72
Conclusion générale
En conclusion de ce mémoire, nous présentons un résumé de notre recherche et de
ses différentes étapes, ainsi que les résultats, les limites rencontrées et des pistes de réflexion
pour de futures recherches.
Comme nous l’avons constaté dans le chapitre 1, la question de l’enseignement de
l’histoire autochtone est intimement liée aux rapports politiques entretenus entre les nations
autochtones et le gouvernement du Québec, et plus largement avec le gouvernement
canadien. Le point de départ de notre recherche s’inscrivait d’ailleurs dans cette tentative du
gouvernement fédéral de se « réconcilier » avec les peuples autochtones. Plus précisément,
la récente Commission de Vérité et réconciliation, à travers ses appels à l’action, proposait
que le gouvernement fédéral prévoie les fonds nécessaires pour permettre aux établissements
d’enseignement postsecondaire de former les enseignants sur la façon d’intégrer les
méthodes d’enseignement et les connaissances autochtones dans les salles de classe
(Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015).
On a pu constater que plusieurs institutions universitaires ont tenté de mettre en
pratique ces recommandations en créant des programmes axés sur la culture autochtone, des
cours spécifiques sur le sujet et des colloques visant à réunir des membres des Premières
Nations et des représentants des universités.
Puis, en analysant de manière chronologique les différents programmes d’histoire au
Québec depuis le rapport Parent des années soixante, nous avons vu comment la discipline a
évolué d’un récit national à la construction d’une citoyenneté plus ouverte et de
l’enseignement de la méthode historique. Parallèlement, nous avons présenté des éléments
de réflexion par rapport à l’enseignement de contenus autochtones, notamment l’utilisation
de l’histoire orale en classe et la pédagogie par le lieu.
À partir de ces constats et de ces pistes de réflexion, les chapitres suivants du
mémoire se sont efforcés de répondre aux questions suivantes : Quels sont les éléments que
les Autochtones estiment importants d’inclure dans les curriculums scolaires? Comment les
revendications autochtones ont évolué au regard du contenu historique des programmes et
73
des manuels, du vocabulaire utilisé et de la conception de leur place dans la société
canadienne?
Afin de répondre à ces questions, nous avons démontré comment le grand récit
historique québécois s’est structuré de manière à mettre de côté toutes les identités différentes
de celle du Canadien-français, principalement l’identité autochtone. Plus précisément le
chapitre 2 présentait en détail les concepts de grand récit et de pensée historique. Nous avons
vu comment les programmes plus récents ont tenté de quitter le grand récit pour présenter
aux élèves une pluralité de récits historiques. Également, nous avons montré que le concept
même de pensée historique, à premier abord susceptible d’inclure les discours autochtones
sur le passé, émanait plutôt de la conception occidentale du passé, et ce faisant, était
incompatible avec l’enseignement de l’histoire autochtone.
Donc, pour en arriver à une meilleure compréhension de ce que les Autochtones
considèrent essentiels d’inclure dans les programmes scolaires, il a fallu réaliser une étude
longitudinale et historique des revendications de certains groupes autochtones présentées
dans le cadre des réformes pédagogiques québécoises depuis les années soixante. La
recherche de ces prises de parole fut difficile et le faible échantillonnage disponible constitue
probablement la plus grande limite à cette étude. En même temps, la faible participation des
groupes autochtones à ces consultations publiques nous informe à la fois sur le lien de
confiance ténu qu’entretiennent les nations autochtones, quant aux processus
gouvernementaux du Québec, et au poids politique, plus ou moins faible, des communautés
autochtones au fil du temps.
En effet, comme on a pu le constater tout au long du mémoire; les structures
institutionnelles québécoises sont nées et ancrées dans l’idéologie occidentale, et pour des
membres des Premières Nations, ces structures ne permettent pas de véritable dialogue avec
les idées autochtones quant à l’enseignement de l’histoire.
Malgré cette limite, l’analyse du discours autochtone en regard de l’enseignement de
l’histoire nous a permis de répondre à notre question de recherche. En construisant une grille
d’analyse axée autour des thématiques soulevées dans les textes provenant de groupes
autochtones, nous avons pu rendre compte de l’évolution des demandes autochtones et ainsi
de mieux contextualiser les revendications actuelles.
74
En comparant les grandes idées des groupes autochtones par rapport à l’enseignement
de l’histoire depuis les années soixante avec le discours d’intellectuels autochtones, nous
sommes arrivés à certains constats.
D’abord, les années 2000 marquent une rupture épistémologique importante avec la
vision de l’histoire scolaire des années soixante. En effet, dans le cadre du rapport Parent, les
autochtones appelaient à une plus grande solidarité avec le peuple québécois. Ils
reconnaissaient la légitimité du nationalisme de l’époque et faisait appel à celui-ci pour que
la contribution des autochtones au Québec soit reconnue. À ce moment, il s’agissait de sortir
des représentations péjoratives et de l’utilisation de vocables tels que « sauvages ».
Aujourd’hui, ce que l’on remarque est d’abord la fin de la solidarité avec le peuple
québécois majoritaire. Désormais, les luttes autochtones en matière de représentation dans
les récits historiques se font aux côtés des communautés marginalisées, c’est-à-dire, les
femmes, les anglophones et les immigrants.
Ensuite, la question de l’inclusion d’éléments historiques autochtones est devenue
moins pertinente, dans la mesure où l’on propose plutôt un renversement de l’approche
occidentale du passé. L’inclusion de sources orales, des mythes et la nécessité de maîtriser
les schèmes de pensées autochtones (souvent en étant soi-même autochtone) deviennent la
seule avenue possible pour une intégration réussie des perspectives autochtones dans
l’enseignement de l’histoire.
Devant ces constats, on peut se demander ce qui adviendra des prochains débats
concernant l’enseignement de l’histoire et la place des Autochtones dans celle-ci. À moyen
terme, il semble qu’un récit historique national cohérent avec la perspective autochtone du
passé soit très difficile à atteindre, les visions occidentales et autochtones étant trop opposées.
Pour que l’enseignement de l’histoire du Québec englobe les perspectives autochtones, et
éventuellement celles d’autres groupes sous-représentés, de véritables changements
épistémologiques devront se produire au sein de la discipline historique. L’ouverture aux
mythes et à l’oralité dans l’étude du passé passera non seulement par le monde universitaire,
mais aussi par les aînés et les chefs des communautés, avant de se retrouver dans les manuels
scolaires.
75
Bibliographie
Alfred, T. (2000). Sur le rétablissement du respect entre les peuples kanien’kehaka et
québécois, trad. Martine Béland. Arguments 2 (3) : 31-45.
Anderson, B. (1991). Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread of
Nationalism. Londres, Angleterre: Verso.
Anderon, S. (2017). The Stories nations tell: Site of pedagogy, historical consciousness, and
national narratives. Canadian Journal of Education, 40(7), 1-38.
Antichan, S. (2018). Comment l’histoire légitime-t-elle l’État-nation? La coproduction du
musée historique du château de Versailles par les élites de la monarchie de juillet.
Revue française de science politique, 68(4), 629-650. https://www.cairn.info/revue-
francaise-de-science-politique-2018-4-page-629.htm.
Barnhardt, R., & Kawagley, A. O. (2005). Indigenous Knowledge Systems and Alaska
Native Ways of Knowing. Anthropology & Education Quarterly, 36(1), 8–23.
https://doi.org/10.1525/aeq.2005.36.1.008.
Battiste, M. (2011). Introduction: Unfolding the Lessons of Colonization. Dans M. Battiste,
Reclaiming indigenous voice and vision (1-2). Vancouver, UBC Press.
B.C. (1989). Sur l’influence des mots et le pouvoir de l’usage. Archives et documents de la
Société d’histoire et d’épistémologie des sciences du langage, 2(1) 13-16.
Barton, K. C. (2012). Agency, choice and historical action: How history teaching can help
students think about democratic decision making. Citizenship Teaching & Learning 7
(2) p.131-142.
Barton, K. C. (2008). Students’ ideas about history. Dans L.S. Levstik & C.A. Tyson (dir.),
Handbook of Research in Social Studies Education (p. 239-258). New York :
Routledge.
Barton, K. C et A. W. McCully (2010). You Can Form Your Own Point of View: Internally
Persuasive Discourse in Northern Ireland Students’ Encounters With History. Teachers
College Record, 112 (1), p. 142–181.
76
Barton, K. C. (2012). Agency, choice and historical action: How history teaching can help
students think about democratic decision making. Citizenship Teaching & Learning 7
(2) p.131-142.
Beauchemin, J. (2002). L’histoire en trop : la mauvaise conscience des souverainistes
québécois. Montréal, QC : VLB.
Beauchemin, J. (2005). La Société des identités. Montréal, Athéna Éditions.
Béland, D. et Lecours, A. (2011). Le nationalisme et la gauche au Québec. Globe, 14(1), 37-
52. https://id.erudit.org/iderudit/1005985ar
Bibliothèque et archives du Canada. (2018). Premières Nations. https://www.bac-
lac.gc.ca/fra/decouvrez/patrimoine-autochtone/premieres-nations/Pages/introduction.
Aspx.
Bories-Sawala, HG. et Thibault, M. 2020. Eux et nous. La place des autochtones dans
l'enseignement de l'histoire nationale au Québec. Volume 1 [Recherche
subventionnées par Le Conseil des Arts du Canada, Université de Brenen], 480 pp.
http://classiques.uqac.ca/contemporains/BoriesSawala_Helga_Elisabeth/Eux_et_Nou
s_vol_2/Eux_et_Nous_vol_1_preface.html.
Campeau, D. (2019). Pédagogie autochtone et pédagogie du lieu : démarche hybride pour
l’intégration de dimensions culturelles autochtones dans l’enseignement au primaire
au Québec [thèse de doctorat, Université de Sherbrooke]. Savoirs UdeS.
https://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/15042.
Choquette, E. (2017). Construction de l’identité québécoise : des impacts sur la science
politique autochtoniste. Revue Canadienne de sciences politiques, 50 (1), 181-200.
doi:10.1017/S0008423917000233.
Cardin, J.-F. (2010). L’histoire à l’école et l’éducation à la citoyenneté. Dans M. Mellouki
(dir.), Promesses et ratés de la réforme de l’éducation au Québec (p. 191-219). Québec
: PUL.
Carretero, M. et Van Alphen, F. (2014) Do Master Narratives Change Among High School
Students? A Characterization of How National History Is Represented. Cognition and
Instruction, 32(3), 290-312, DOI: 10.1080/07370008.2014.919298.
77
Commission Vérité et réconciliation du Canda. (2015). Honoré la vérité pour réconcilier
l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du
Canada. https://nctr.ca/fr/assets/reports/Final%20Reports/Honorer_la_v%C3%A9rit
%C3%A9_r%C3%A9concilier_pour_l%E2%80%99avenir.pdf.
Crépeau. R. (1995). De la nation à l’autonomie gouvernementale : Entrevue avec
l’anthropologue québécois Rémi Savard. Recherches amérindiennes au Québec, 25
(4), 45-52.
CSÉ [Conseil supérieur de l’éducation] (1998). Éduquer à la citoyenneté. Rapport sur l’état
et les besoins de l’éducation 1997-1998. Québec : Conseil supérieur de l’éducation.
Descamps, Florence. Une conception traditionnelle : la source orale comme une source
palliative In : L’historien, l’archiviste et le magnétophone : De la constitution de la
source orale à son exploitation [en ligne]. Paris : Institut de la gestion publique et du
développement économique, 2005 (généré le 27 janvier 2021).
https://doi.org/10.4000/books.igpde.601.
Dorion, H. et Lacasse, J.-P. (2011). Le Québec : territoire incertain. Québec : Septentrion.
Drouilly, P. (1997). Le référendum du 30 octobre 1995 : une analyse des résultats. Dans R.
Boily (dir.), L’année politique au Québec : 1996-1996. Montréal, Fides.
Dumont, F. (1969). Le lieu de l’homme, Montréal, Bibliothèque québécoise.
École d’études autochtones. (2020). L’école d’études autochtones.
https://www.uqat.ca/uqat/departements/ecole-etudes-autochtones/.
Faculté d’éducation de l’Université de Montréal. (2020). Éducation, des enjeux et
perspectives autochtones. https://bib.umontreal.ca/education-
psychoeducation/ppa2550.
Faculté des sciences de l’éducation. (2020). La réalité autochtone dans la formation à
l'enseignement. https://www.fse.ulaval.ca/actualites/actu/?no_actualite=3320.
Ferro, M. (2008). L’histoire est toujours contemporaine. Transcontinentale [En ligne]. URL
: http://journals.openedition.org/transcontinentales/631.
Forest, Pierre-Gerlier, 1996 : Les relations politiques entre le Québec et les peuples
autochtones depuis la Révolution tranquille. Zeitschrift für Kanada-
Studien, 16(1) : 80-91.
78
Gadamer, H-G. (1996). Vérité et méthode : Les grandes lignes d’une herméneutique
philosophique. Paris, Seuil.
Gallucci, J.A. (2012). Décrire les « Sauvages » : réflexion sur les manières de désigner les
autochtones dans le latin des Relations. Tangence, (99), 19-34.
https://id.erudit.org/iderudit/1015111ar
Gellner, E. (1989). Nations et nationalisme. Paris, France: Payot.
Germain, A. (2011). La relation entre Autochtones et gouvernements provinciaux vue à la
lumière du développement nordique au Québec et en Ontario. Recherches
amérindiennes au Québec, 41 (1), 91–95. https://doi.org/10.7202/1012711ar.
Giroux, D. (2008). Éléments de pensée politique autochtone contemporaine. Politique et
Sociétés, 27(1), 29-53, https://id.erudit.org/iderudit/018046ar.
Grammond, S. (2009). La gouvernance territoriale au Québec entre régionalisation et
participation des peuples autochtones. Revue Canadienne de sciences politiques, 42
(4), 939-956. doi:10.10170S000842390999045X.
Green, J. (2004). Autodétermination, citoyenneté et fédéralisme : pour une relecture
autochtone du palimpseste canadien. Politique et Sociétés, 23 (1), 9–32.
https://doi.org/10.7202/009505ar.
Green, J. (1995). Vers une détente de l’histoire : L’héritage colonial du Canada.
Recherches amérindiennes au Québec, 25 (4), 31-44.
Groulx, P. (1998). Pièges de la mémoire. Dollard des Ormeaux, les Amérindiens et nous,
Hull : Les Éditions Vents d’ouest.
Guay, C. (2004). Vers la reconnaissance du savoir autochtone : une question de
décolonisation? Revue canadienne de service social, 24(2), 183-195.
https://www.jstor.org/stable/41669874.
Halverson, J.R., Goodall, H.L. et Corman, S. (2011). What is a master narrative? Master
Narratives of Islamist Extremism, pp. 11-26. https://doi.org/10.1007/978-0-230-
11723-5_2.
Hess, D.E. (2009). Controversy in the classroom : the democratic power of discussion. New
York : Routledge.
79
Institut de coopération pour l’éducation des adultes. (2019). Premier rendez-vous avec les
autochtones. https://icea.qc.ca/fr/actualites/premier-rendez-vous-avec-les-
autochtones-0
Institut Tshakapesh (2013). Mémoire présenté au comité Beauchemin-Eid (MÉLS), lors de
la consultation publique sur le programme d’histoire au secondaire. Archives de
l’Université Laval.
Janssen, J. (2018). L’autohistoire amérindienne: une méthode pour concilier les savoirs
autochtones et le discours scientifique (de l’histoire) au Québec. Zeitschrift für
Kanada-Studien, 38(1), 156-175.
Lepage, P. (2018). Les Premières Nations ont aussi une riche histoire à découvrir. Enjeux de
l’univers social, 14, 44-47.
LeVasseur, L. et Cardin, J.-F. (2013). L’enseignement de l’histoire au secondaire : de la
certitude du récit sur la nation au vertige de la modernité. Phronesis, 2(2-3), 63–76.
Létourneau, J. et Moisan, S. (2004). Mémoire et récit de l’aventure historique québécoise
chez les jeunes Québécois d’héritage canadien-français. Canadian Historical
Review/Revue d’histoire canadienne, 85(2), 325-356.
Létourneau, J. (2014) Je me souviens ?Le passé du Québec dans la conscience de sa
jeunesse, Montréal, Fides.
Lévesque, S. (1997). Analyse du programme d’histoire du Québec et du Canada sous l’angle
de la socialization politique [mémoire de maîtrise, Université Laval].
https://constellation.uqac.ca/4455/1/Levesque_Master1997.pdf.
Lévesque C., Polèse G., Labrana R., Turcotte A.-M., Chiasson S. et D. de Juriew. (2015).
Une synthèse des connaissances sur la persévérance et la réussite scolaires des élèves
autochtones au Québec et dans les autres provinces canadiennes. Rapport remis au
MELS, Québec, 275 p. Cahier DIALOG no. 2015-01.
Lilian Negura. (2006). L’analyse de contenu dans l’étude des représentations sociales,
SociologieS [En ligne], Théories et recherches. URL:
http://journals.openedition.org/sociologies/993
Little Bear, L. (2012). Traditional knowledge and humanities: A perspective by a Blackfoot.
Journal of Chinese Philosophy, 39(4), 518-527. https://doi.org/10.1111/j.1540-
6253.2012.01742.x.
80
Mandell, N. (2008). Thinking like a historian: a framework for teaching and learning. OAH
Magazine of History, 22(2), 55-59. https://doi.org/10.1093/maghis/22.2.55.
Martineau, R. (2010). Fondements et pratiques de l’enseignement de l’histoire à l’école.
Traité de didactique. Québec, Presses de l’Université du Québec.
McGregor, H.E. (2017). One classroom, two teachers? Historical thinking and Indigenous
education in Canada. Critical Education, 8(14), 1-18.
http://ojs.liMar4brary.ubc.ca/index.php/criticaled/article/view/186182
Mercier, G. et Gilles R. (1997). La Baie James. Les dessous d’une rencontre que la
bureaucratie n’avait pas prévue. Cahiers de géographie du Québec, 41 (113), 137-169.
https://doi.org/10.7202/022639ar.
Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (2017). Programme de formation
de l’école québécoise : Histoire du Québec et du Canada, troisième et quatrième
secondaire. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PFEQ/
histoireQuebecCanada.pdf.à
Ministère de la Justice (2018). La justice réparatrice. Repéré à justice.gc.ca/fra/jp-cj/jr-
rj/index.html.
Moisan, S. (2017). La pensée historique à l’école : visées et modèles. Bulletin du Centre de
recherche sur l’enseignement et l’apprentissage des sciences, 3, 8-14.
https://www.usherbrooke.ca/creas/fileadmin/sites/creas/documents/Publications/Bulle
tin_du_CREAS/3/05_CREAS_Bulletin3_Moisan.pdf.
Ng-A-Fook, N. et Smith, B. (2017). Doing oral history education toward reconciliation. Dans
K. R. Llewellyn, N. Ng-A-Fook (dir.), Oral History and Education: Theories,
Dilemmas, and Practices, Palgrave Macmillan.
O’Reilly, J. (1984). La Loi constitutionnelle de 1982. Droit des autochtones. Les Cahiers de
droit, 25 (1), 125-144. https://doi.org/10.7202/042588ar.
Osborne, K. (2003). Teaching history in schools: A Canadian debate. Journal of Curriculum
Studies, 35(5), 585-626.
Pagé, M. (2004). L’éducation à la citoyenneté : des compétences pour la participation en
démocratie plurielle. Dans F. Ouellet (dir.), Quelle formation pour l’éducation à la
citoyenneté ? (p. 49-71). Québec : PUL
81
Pagès, J. et N. Gonzales-Monfort (2015). L’école et la nation: quel avenir ? Dans C. A. Stan
(dir.) L’histoire nationale telle qu’elle est enseignée dans nos écoles. Débats et
propositions (p. 185-190). Québec : Presses de l’Université Laval.
Rapport de la Comission Vérité et Réconciliation (2015) (En ligne). Disponible à
http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Findings/Calls_to_Action_French.
Renan, E. (2007). Qu’est-ce qu’une nation? Marseille, France: Le Mot et le reste.
Ricard-Châtelain, B. (2018). Le mot «Amérindiens» retiré de manuels d’histoire. Le Soleil.
https://www.lesoleil.com/actualite/education/le-mot-amerindiens-retire-de-manuels-
dhistoire-b3cf8ea67bdcab5ca7f11de8a6090b9a.
Ricoeur, P. (1988). L’identité narrative. Esprit, 140(7), 295-304.
https://www.jstor.org/stable/24278849?seq=1.
Resor, C.W. (2010) Place-Based Education: What is Its Place in the Social Studies
Classroom?, The Social Studies, (101)5, 185-188, DOI:
10.1080/00377990903493853.
Roy, J-O. (2015). Une compréhension critique des nations et du nationalisme autochtones
au Canada (Thèse). Université Laval, Québec.
Salée, D. (2003). L’État québécois et la question autochtone. Dans A-G. Gagnon (dir),
Québec : État et société (117-147). Montréal : Les Éditions Québec/Amérique.
Salée, D. (2005). Peuples autochtones, racisme et pouvoir d'État en contextes canadien et
québécois : éléments pour une ré-analyse. Nouvelles pratiques sociales, 17 (2), 54–74.
https://doi.org/10.7202/011226ar.
Savard, R. (2003). La « Paix des Braves », Spirale, (188), 10-11. Repéré à
https://id.erudit.org/iderudit/18083ac.
Secrétariat aux affaires autochtones. (2019). Moments marquants.
https://www.autochtones.gouv.qc.ca/relations_autochtones/moments-marquants-
en.asp.
Secrétariat aux affaires autochtones (2019). Relations avec les Autochtones : Moments
marquants. Repéré à https://www.autochtones.gouv.qc.ca/relations_autochtones/
/moments-marquants.htm.
82
Ségal, A. (1991). Bilan et perspectives de l’enseignement de l’histoire. Traces, 29(2), pp.16-
20.
Seixas, P. et T. Morton (2013). The Big Six. Historical Thinking Concepts. Toronto : Nelson
Education.
Seixas, P. (2017). A model of historical thinking. Educational philosophy and theory, 49(6),
593-605.
Sioui, G. (1987). Pour une autohistoire amérindienne : essai sur les fondements d’une
morale sociale proprement américaine [Mémoire de maîtrise, Université Laval].
CorpusUL. http://hdl.handle.net/20.500.11794/29268.
Sioui, G. (2018). Pour une autohistoire amérindienne. Québec, Presses de l’Université
Laval.
Stan, C. A., Éthier, M.-A. et Lefrançois, D. (2014). Les programmes et les enjeux de l’histoire
nationale : quel type de citoyen souhaitons-nous former ? Dans Pagès, J. et A.
Santisteban (dir.), Una miranda al pasado y un projecto de futuro : Investigación e
innovación en didáctica de las ciencias sociales (p. 167-174). Barcelone : AUPDCS.
Stan, C. A. (2015). De peuple sauvage à peuple fondateur : l’image des Amérindiens et des
Daces dans les manuels scolaires du Québec et de la Roumanie. Acta iassyensia
comparationis, (15) 1, p. 234-246.
Stan, C.A. et Lasserre, F. (2016). Le territoire, miroir de la nation : espaces et sociétés dans
l’enseignement de l’histoire au Québec. Regards géopolitiques, 2(1), p.2-12.
Stan, C.A. (2017). La didactique de l’histoire au Québec: défis et perspectives au XXIe siècle.
Dans El Euch, S., Groleau, A. et Samson, G. Didactiques:bilans et perspectives (pp.
153-178). Québec, Presses de l’Université du Québec.
Stan, C. A. et Lasserre, F. (2016). Le territoire, miroir de la nation : espaces et sociétés dans
l’enseignement de l’histoire au Québec. Regards géopolitiques (2), 1, p. 2-12.
Stevenson, G. (2011). Canadian Federlism and the Search for Accomodation of Quebec
Nationalism. Dans Gervais, S., Kirkey, C. et J. Rudy (dir.) Quebec Questions. Quebec
Studies for the Twenty-First Century (p. 47-62). New York : Oxford University Press.
Styres, S., Haig-Brown, C. et Blimkie, M. (2013). Towards a pedagogy of land : The urban
context. Canadian Journal of Education, 36(2), 34-67.
83
Trudel, P. (1995). De la négation de l’Autre dans les discours nationalistes des Québécois et
des autochtones. Recherches amérindiennes au Québec, 25 (4), 53-66.
Trudel, P. (2009). La crise d’Oka de 1990 : Retour sur les événements du 11 juillet.
Recherches amérindiennes au Québec, 39 (1-2), 129-135.
https://doi.org/10.7202/045005ar.
Van Drie, J. et Van Boxtel, C. (2008). Historical reasoning : towards a framework for
analyzing students’ reasoning about the past. Educational Psychology Review 20 (2),
87-110. 10.1007/s10648-007-9056-1.
Vansledright, B.A. (2004). What does it mean to read history? Fertile ground for cross-
disciplinary collaborations? Reading Research Quartely, 29(3), 342-246. DOI:
10.1598/RRQ.39.3.7.
Vincent, S. (1995). Les relations entre le Québec et les autochtones : brève analyse d’un récit
gouvernemental. Montréal : Cahiers du Programme d’études sur le Québec, Université
McGill.
Vincent, S. et Arcand, B. (1979). L’image de l’Amérindien dans les manuels scolaires du
Québec ou Comment les Québécois ne sont pas des sauvages. Montréal : Les Éditions
Hurtubise HMH.
Wertsch, J. V. (2000), Narratives as Cultural Tools in Sociocultural Analysis: Official
History in Soviet and Post-Soviet Russia. Ethos, 28, p. 511–533.
Wertsch, J. V. (2002). Narrative Tools of History and Identity. Culture & Psychology, 3, p.
5-20.
Wineburg, S. (2001). Historical Thinking and Other Unnatural Acts. Philadelphie: Temple
University Press.
Wright, Mills, C. (1967). Le rôle de l’histoire. Revue internationale de recherches et de
synthèses sociologiques, 3, 133-155. https://www.persee.fr/doc/homso_0018-
4306_1967_num_3_1_995.
Zanazanian, P. (2015). Harmoniser le récit national et la pensée historique. Dans C. A. Stan
(dir.) L’histoire nationale telle qu’elle est enseignée dans nos écoles (p. 177-182).
Québec : Presses de l’Université Laval.