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LA COUR PENALE INTERNATIONALE ET LE SENEGAL: DIRECTIVES POUR LA MISE EN OEUVRE DU STATUT DE ROME AU SENEGAL Analyse préparée en vue du séminaire d’experts du 23-25 octobre 2001 à Dakar pour la mise en oeuvre du Statut de Rome en droit sénégalais 1 1 Analyse préparée sous la supervision de Me Kébé, ONDH, par Gaelle Laroque, consultante sur l’Afrique auprès du programme justice internationale de Lawyers Committee for Human Rights, Habibatou Touré, doctorante attachée de recherche au CEDIN de Paris X-Nanterre et Dieynaba Diaboula, juriste, ONDH, sur la base d’une note de recherche préparée par Me Mélanie Deshaies, Avocate au Barreau du Québec et détachée auprès de l’ONDH entre octobre 2000 et février 2001 dans le cadre d’un partenariat entre le Ministère des affaires étrangères canadien, la Coalition pour la CPI (CICC) et l’ONDH. Cette analyse a été préparée avec l’aide de différentes sources documentaires relatives à la CPI dont notamment les sources suivantes: Amnesty International, The International Criminal Court : Summary Checklist for effective implementation, AI Index : IOR 40/15/00 [ci-après : « AI Checklist »] ; La Cour pénale internationale – Manuel de ratification et de mise en œuvre du Statut de Rome, Collaboration de Droits & Démocratie et Le Centre international pour la réforme du droit criminel et la politique en matière de justice pénale, Vancouver, 2000 [ci-après : « Manuel canadien »] ; B. Broomhall, The International Criminal Court : A Checklist for a national implementation projet mené sous les auspices de International Human Rights Law Institute (DePaul University) et International Institute for Higher Studies in Criminal Sciences (Siracuse, Italie) [ci-après : « Directives Broomhall »].

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LA COUR PENALE INTERNATIONALE ET LE SENEGAL:

DIRECTIVES POUR LA MISE EN OEUVRE DU STATUT DE ROME AU SENEGAL

Analyse préparée en vue du séminaire d’experts du 23-25 octobre 2001 à Dakar pour la mise

en oeuvre du Statut de Rome en droit sénégalais1

1 Analyse préparée sous la supervision de Me Kébé, ONDH, par Gaelle Laroque, consultante sur l’Afrique auprès du programme justice internationale de Lawyers Committee for Human Rights, Habibatou Touré, doctorante attachée de recherche au CEDIN de Paris X-Nanterre et Dieynaba Diaboula, juriste, ONDH, sur la base d’une note de recherche préparée par Me Mélanie Deshaies, Avocate au Barreau du Québec et détachée auprès de l’ONDH entre octobre 2000 et février 2001 dans le cadre d’un partenariat entre le Ministère des affaires étrangères canadien, la Coalition pour la CPI (CICC) et l’ONDH. Cette analyse a été préparée avec l’aide de différentes sources documentaires relatives à la CPI dont notamment les sources suivantes: Amnesty International, The International Criminal Court : Summary Checklist for effective implementation, AI Index : IOR 40/15/00 [ci-après : « AI Checklist »] ; La Cour pénale internationale – Manuel de ratification et de mise en œuvre du Statut de Rome, Collaboration de Droits & Démocratie et Le Centre international pour la réforme du droit criminel et la politique en matière de justice pénale, Vancouver, 2000 [ci-après : « Manuel canadien »] ; B. Broomhall, The International Criminal Court : A Checklist for a national implementation projet mené sous les auspices de International Human Rights Law Institute (DePaul University) et International Institute for Higher Studies in Criminal Sciences (Siracuse, Italie) [ci-après : « Directives Broomhall »].

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PLAN DE L’ANALYSE Introduction: La mise en oeuvre du Statut de la Cour pénale internationale: Pourquoi adopter une loi de mise en oeuvre du Statut de Rome au Sénégal ?

CHAPITRE 1: Coopération

SECTION 1 : Immunités SECTION 2: Dispositions générales relatives aux demandes de coopération SECTION 3: Coopération en matière d’arrestation et remise de suspects à la Cour SECTION 4: Coopération en matière d’enquêtes et preuve SECTION 5: Atteintes à l’administration de la Justice SECTION 6: Exécution des peines

CHAPITRE 2: Complémentarité SECTION 1: Compétence de la CPI et compétence des juridictions nationales

I. Compétence de la CPI

II. Compétence des juridictions sénégalaises et compétence universelle SECTION 2: Conséquences du principe de complémentarité en matière de mise en oeuvre: les enquêtes et poursuites menées au niveau national

I. Définition des crimes et détermination des peines applicables II. Responsabilité pénale individuelle

III. Moyens de défense et prescriptions

IV. Implications du Statut de Rome en matière de justice et pratique millitaires

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Introduction

La mise en oeuvre du Statut de Cour pénale internationale: Pourquoi adopter une loi de mise en oeuvre du Statut de Rome au Sénégal ?

Le Sénégal a été le premier Etat à ratifier le Statut de Rome le 2 février 1999 marquant ainsi sa volonté de contribuer à la lutte contre l’impunité dans l’ensemble de la région Afrique. Il est essentiel que le Sénégal continue à jouer un rôle moteur en faveur de la mise en place d’une Cour pénale internationale juste et efficace. La mise en place d’une Cour pénale internationale juste et efficace requiert des Etats Parties qu’ils procèdent à une adaptation de leur droit interne. Cette adaptation comporte deux volets essentiels qui consiste, d’une part, à assurer leur coopération avec la Cour et, d’autre part, à délimiter la compétence respective de la Cour et des juridictions nationales compte tenu du principe de complémentarité de la Cour. Ces deux volets emportent aux termes du Statut de Rome des conséquences différentes en ce qui concerne la mise en oeuvre du Statut en droit interne. Afin d’assurer la mise en oeuvre efficace du Statut, le Sénégal devrait donc procéder à une adaptation de son droit interne. Le Sénégal est, d’une part, tenu par les obligations souscrites dans ce sens lors de la ratification du Statut. D’autre part, la Constitution sénégalaise confère aux traités internationaux une autorité supérieure aux lois et implique donc l’adaptation des lois de manière à les rendre compatibles avec un traité international. Bien que la Constitution ne crée pas d’obligation de mettre en oeuvre un traité international, certaines ambiguïtés subsistent, qui au regard de la nature particulière du Statut de Rome, semble appeler à une telle mise en oeuvre. 1. Les ambiguïtés liées au mécanisme d’incorporation des traités internationaux en droit sénégalais La Constitution sénégalaise du 7 janvier 2001 prévoit que les traités internationaux ont de jure une valeur supra législative lorsque les critères cumulatifs qu’elle énonce sont remplis. En principe, les dispositions des traités internationaux cohabitent pleinement avec les autres sources du droit dans le corpus juris sénégalais. Or, si le mécanisme d’incorporation des traités en vigueur au Sénégal s'adapte bien aux particularismes des traités bilatéraux ou des textes régissant les rapports Etats/citoyens, il n’en va pas de même avec un instrument aussi singulier que le Statut de Rome. L’objet de ce Statut est de créer un nouvel organe juridictionnel international : la Cour pénale internationale (CPI). Cette Cour sera, à terme, compétente pour juger les pires crimes connus de l’humanité en complémentarité des juridictions pénales nationales des Etats Parties. Or, la Constitution sénégalaise semble conditionner la valeur supra-législative des traités à une exigence de réciprocité a priori incompatible avec la nature et l’objet du Statut de Rome2. D’autre part, la Constitution sénégalaise ne règle pas le sort des dispositions conventionnelles

2 La réserve de réciprocité pose en effet problème au regard des traités de droit de l’homme et de droit humanitaire dont l’application ne repose pas sur ce principe. Le Conseil constitutionnel français a écarté l’exigence de réciprocité pour certains traités multilatéraux relatifs aux droits fondamentaux (Décision 99-408 DC). Il a également statué dans ce sens au regard du Statut de la Cour pénale internationale dans sa décision du 22 janvier 1999 où il a conclu que “la réserve de réciprocité mentionnée à l’article 55 de la Constitution n’a pas lieu de s’appliquer “compte tenu du fait que eu égard à cet objet [l’objet du Statut de Rome], les obligations nées de tels engagements s’imposent à chacun des Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par les autres Etats parties”(Décision no. 98-408 DC).

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opérant par renvoi à la législation nationale (alors que le Statut de Rome comporte de telles dispositions)3. Ces dispositions laissent en effet au législateur national l’entière liberté d’imaginer les dispositifs permettant d’honorer les engagements ratifiés tout en créant une obligation de résultat de mise en oeuvre. Ces incertitudes menacent la pleine exécution des obligations souscrites lors de la ratification. L'arrêt Habré du 4 juillet 2000, confirmé par la Cour de Cassation dans sa décision en date du 20 mars 2001, en est d’ailleurs l’illustration parfaite. La Chambre de la Cour d'Appel de Dakar s'est prononcée sur le traitement constitutionnel des dispositions de renvoi prévues aux termes d'un traité international, en l’espèce les articles 4 et 5 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants de 1984. Les conclusions de la Cour de Cassation et de la Chambre de la Cour d’Appel de Dakar plaident vivement en faveur d'une intervention du législateur national dans de tels cas de figure. La Cour d'Appel a estimé en l'espèce que les juridictions sénégalaises ne pouvaient connaître des allégations de torture du fait que le législateur n'avait pas conséquemment modifié le Code de Procédure Pénale plus précisément l'article 669 de ce Code qui énumère limitativement les cas pour lesquels des poursuites peuvent être engagées contre des étrangers au Sénégal. Ainsi les juridictions sénégalaises ne peuvent pas connaître des faits de torture commis par un étranger en dehors du territoire sénégalais car le libellé de l’Article 669 exclut cette compétence. A la lumière des problèmes évoqués ci-dessus, la mise en œuvre législative du Statut de Rome au Sénégal apparaît indispensable juridiquement. L’adoption d’une loi d’adaptation faciliterait également le travail du juge national ou des autorités administratives chargées de coopérer avec la Cour et contribuerait ainsi à assurer le respect des principes de sécurité et prévisibilité juridique. 2. Les obligations souscrites en vertu du Statut de Rome La spécificité du Statut de Rome, les dispositions de renvoi ainsi que le principe de complémentarité constituent les fondements juridiques de l’obligation de mise en oeuvre du Sénégal. A strictement parler, le Statut de Rome n’oblige les Etats Parties qu’à entreprendre des mesures d’exécution en matière de coopération avec la Cour4. Cependant, l’examen des procédures de contestation de la recevabilité des affaires devant la CPI révèle que des aménagements législatifs sont à priori requis si le Sénégal entend préserver la primauté juridictionnelle de ses tribunaux. Spécificité du Statut de Rome Le caractère technique du Statut et les exigences qu’il prévoit pour assurer sa mise en œuvre effective rendent indispensable l’adoption de lois au niveau national. L’adoption de lois nationales est d’autant plus indispensable qu’il s’agit d’une cour pénale et que le principe de 3 Voir les articles 88, 89(1) et 93(1). 4 Le Statut prévoit que la compétence de la Cour est complémentaire à celle des juridictions nationales qui conservent donc la responsabilité première d’enquêter sur les crimes du Statut et de poursuivre leurs auteurs. Cependant, le Statut ne contient pas d’obligations explicites de poursuivre au niveau national, ni d’incorporer les crimes du Statut en droit interne. A la différence notamment des articles 49/50/129/146 communs aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et de l’article 80(1) du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes de conflits armés internationaux du 8 juin 1977 et article 80(1) du Premier protocole additionnel de 1977. Cependant, le principe de complémentarité, et par conséquent le fonctionnement efficace de la Cour, implique que les juridictions nationales aient la capacité de poursuivre les auteurs présumés de crimes relevant du Statut.

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complémentarité implique des modifications du droit pénal des Etats Parties. Au regard des principes généraux du droit pénal et notamment du principe nullum crimen sine lege, il apparaît essentiel que les Etats adoptent des lois d’adaptation/transposition qui assureront le respect du principe de légalité. Dispositions de renvoi Le Statut de Rome renvoie au droit interne et requiert que les Etats disposent de procédures nationales permettant la réalisation de toutes les formes de coopération prévues par le Statut5, notamment en ce qui concerne les modalités d’arrestation et de remise des personnes recherchées par la Cour, le rassemblement et la préservation d’éléments de preuve, la transmission de documents, le gel ou la saisie du produit des crimes et la protection des victimes et des témoins (Chapitre IX du Statut, en particulier Articles 86, 88, 89 et 93). Ainsi non seulement les procédures au niveau national doivent permettre l’exécution des demandes de coopération de la Cour, mais elles doivent assurer que l’exécution de ces demandes soit accomplie conformément aux modalités du Statut, qui tout en renvoyant aux procédures nationales, instaure également des exigences particulières. A ce titre, il faut noter que les Etats disposent d’un pouvoir de discrétion restreint et que le Statut limite les conditions dans lesquelles un Etat peut refuser de coopérer avec la Cour. Complémentarité L’adoption de lois incorporant directement, ou par référence, les définitions des crimes et principes généraux du droit pénal figurant dans le Statut de Rome est nécessaire pour permettre aux juridictions nationales de poursuivre les auteurs de tels crimes: la Cour n’intervient que de manière subsidiaire et les enquêtes et poursuites relèvent de la responsabilité première des juridictions nationales. Il résulte donc du Statut de Rome que les Etats Parties ont l’obligation de mettre en place des procédures nationales de coopération avec la Cour et que, bien que le Statut ne prévoit pas explicitement d’obligation de modifier le droit en vigueur dans les autres domaines, la criminalisation des crimes du Statut en droit interne ainsi que l’incorporation des principes généraux et des motifs d’exonération devraient être envisagées au nom du principe de complémentarité ainsi que du principe de prévisibilité et de sécurité juridique en droit interne. A la lumière des questions exposées ci-dessus, cette analyse entend donc nourrir les réflexions qui doivent être menées sur le sujet de la mise en oeuvre du Statut en droit sénégalais en identifiant les problèmes de compatibilité entre le Statut et le droit sénégalais. Cette analyse est divisée en deux chapitres qui s’attachent à identifier les principales obligations du Statut de Rome appelant à un aménagement de la législation sénégalaise. Le chapitre premier traite de l’obligation de coopération internationale et d’assistance judiciaire et le chapitre second du principe de complémentarité et de ses conséquences en matière de mise en œuvre.

5 Article 88 du Statut: Procédures disponibles selon la législation nationale Les Etats Parties veillent à prévoir dans leur législation nationale les procédures qui permettent la réalisation de toutes les formes de coopération visées dans le présent chapitre.

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CHAPITRE 1:

MISE EN OEUVRE DES DISPOSITIONS DU STATUT DE ROME RELATIVES A LA COOPERATION

Introduction: La coopération des Etats Parties est essentielle afin d’assurer le fonctionnement efficace de la Cour pénale internationale. En vertu des dispositions du Chapitre IX du Statut de Rome («Coopération internationale et assistance judiciaire »), ainsi que des autres dispositions citées ci-après, les Etats sont tenus de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence. Les Etats Parties doivent notamment veiller à prévoir dans leur législation nationale des procédures qui permettent la réalisation de toutes les formes de coopération prévues par le Statut, au premier rang desquelles figurent l’arrestation et la remise d’un suspect à la Cour. L’obligation générale de coopération est prévue par les articles 86 et 88 du Statut dans les termes suivants:

Art. 86

Conformément aux dispositions du présent statut, les Etats parties coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence

Il faut noter que cette obligation générale de coopérer “pleinement” avec la CPI s’applique à l’ensemble des dispositions du Statut de Rome et non pas uniquement aux obligations prévues par le Chapitre IX. Sauf indication contraire, les dispositions du Statut relatives à la participation d’un Etat doivent toutes être interprétées comme une exigence de pleine coopération. L’article 88 est le corollaire de l’article 86 en cela qu’il vise à s’assurer que la législation nationale permet l’exécution de toutes les formes de coopération prévues au sein du Chapitre IX du Statut:

Art. 88 Les Etats Parties veillent à prévoir dans leur législation nationale les procédures qui permettent la réalisation

de toutes les formes de coopération visées dans le présent chapitre. En vertu des dispositions du Chapitre IX, les Etats sont donc tenus de coopérer avec la Cour pour l’arrestation et la remise des suspects ainsi que dans le cadre des enquêtes et poursuites de la Cour (Sections 2, 3 et 4). Les Etats sont également tenus de coopérer avec la Cour en vertu d’autres dispositions du Statut notamment en cas d’atteintes à l’administration de la justice commises sur le territoire national ou par un ressortissant national ainsi que pour l’exécution des peines prononcées par la CPI (Section 4 et 5). Dans tous les cas, l’existence d’immunités ne peut justifier un refus de coopérer avec la Cour (Section 1).

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SECTION 1: Les immunités

Les immunités au sens du Statut de Rome sont celles prévues par les Etats Parties et dont pourraient se prévaloir des personnes pour se soustraire aux juridictions nationales ou à la juridiction de la Cour lors de la mise en œuvre du Statut. La présente section traite également des privilèges qui protègent le personnel judiciaire de la Cour et des juridictions sénégalaises et les auxiliaires de justice dans l’application des dispositions du Statut. I. Immunités liées à la qualité officielle A. Articles 27 et 98 du Statut de Rome • Les immunités au service de la stabilité du régime politique

Les crimes relevant de la compétence de la CPI sont des crimes d’une gravité telle que la qualité officielle et les immunités qui s’y attachent perdent toute pertinence. L’octroi d’immunités aux agents de l’Etat fait partie intégrante de la plupart des systèmes nationaux. La raison d’être des immunités est de contribuer à la stabilité du régime en protégeant les représentants de l’Etat contre des poursuites fondées sur des motifs politiques ou dérisoires. Bien que les immunités jouent un rôle essentiel dans le maintien de la stabilité politique au niveau national, elles n’ont pas pour dessein de permettre aux agents de l’Etat de perpétrer des crimes tels que le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Le droit international, en vertu de traités internationaux tels que la Convention sur le Génocide ou la Convention contre la torture, ainsi que du droit international coutumier, reconnaît que les immunités ne couvrent pas la perpétration de tels crimes6. L’article 27 du Statut de Rome réaffirme ce principe.

Art 27: défaut de pertinence de la qualité officielle 1. Le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un

parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.

2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard

de cette personne • Les immunités ne doivent pas faire obstacle à la coopération avec la CPI La qualité officielle d’une personne et le fait qu’elle bénéficie d’une immunité ne fait donc pas obstacle à l’exécution d’une demande d’arrestation ou de remise présentée par la Cour. Par conséquent, lorsque les immunités sont prévues au sein même de la Constitution, il peut

6 Jonathan Huston, L’immunité liée à la qualité de chef d’Etat et autres immunités liées à la qualité officielle, Présentation faite lors de la conférence d’Accra sur la mise en oeuvre nationale du Statut de Rome en février 2001.

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être nécessaire de réviser la Constitution7 de manière à ce que ces dispositions n’empêchent pas l’Etat de coopérer avec la Cour et donc de s’acquitter des obligations souscrites en vertu du Statut de Rome8. • L’immunité des ressortissants d’Etats tiers L’article 27 doit être lu en conjonction avec l’article 98(1). Contrairement à l’article 27 qui s’applique à tous les titulaires d’une qualité officielle ou diplomatique, l’article 98 ne s’applique qu’aux ressortissants d’un Etat tiers se trouvant sur le territoire national et bénéficiant d’une immunité.

Article 98(1):

Coopération en relation avec la renonciation à l’immunité et le consentement à la remise 1. La Cour ne peut présenter une demande d’assistance qui contraindrait l’Etat requis à agir de façon

incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d’immunités des Etats ou d’immunité diplomatique d’une personne ou de biens d’un Etat tiers en vue de la levée de l’immunité.

. L’article 98 est une règle procédurale et ne constitue pas un motif de refus de coopérer pour un Etat Partie. Il semble qu’il appartienne à la Cour d’apprécier discrétionnairement si la requête est incompatible avec les obligations internationales de l’Etat requis9. Seules les immunités reconnues en droit international sont susceptibles d’être un obstacle à la remise: la Cour procèdera donc à une détermination sur la nature de l’immunité. Il en résulte donc qu’un Etat ne pourra pas invoquer les immunités prévues dans sa législation interne ou dans sa constitution si celles-ci ne sont pas reconnues en droit international. Concrètement, l’Etat dont est ressortissant un ambassadeur suspecté de crimes de guerre, crime contre l’humanité ou génocide, pourrait refuser de lever son immunité et par là même empêcher l’arrestation et la remise à la Cour10. Cependant, il résulte de la lecture conjointe de l’article 27 avec l’article 98(1) qu’une telle incompatibilité n’est susceptible de se présenter qu’en rapport avec des Etats qui ne sont pas parties au Statut de Rome. Les Etats Parties ayant accepté le principe codifié dans l’article 27 sont présumés avoir levé l’immunité de la personne faisant l’objet de la demande de remise. L’acceptation de l’article 27 a pour conséquence d’obliger les Etats à lever les immunités en ce qui concerne les crimes relevant de la compétence de la Cour d’où la distinction qui doit être opérée à cet égard entre ressortissants d’Etats tiers parties et ressortissants d’Etats tiers non parties au Statut de Rome.

7 Sur la question des obstacles constitutionnels: Helen Duffy and Jonathan Huston, Implementation of the ICC Statute: international obligations and constitutional considerations, published in “The Rome Statute and Domestic Legal Orders, Volume I: General Aspects and Constitutional Issues” Clauss Kress and Flavia Lattanzi (eds), Nomos Verlag, Baden-Baden, 2000. 8Art 86 : Les Etats sont notamment tenus de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence. 9 En effet les termes de l’article 98(1) selon lesquels “la Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise ou d’assistance” indiquent que l’évaluation de la compatibilité des immunités avec le droit international sera faite préalablement à l’examen de la demande, de manière à ce que les demandes incompatibles avec le droit international ne soient même pas envoyées. Voir e les Directives Broomhall, p. 32-33 10 William Bourdon et Emmanuelle Duverger, La Cour pénale internationale, le Statut de Rome commenté, Editions du Seuil, Collection Points: Essais, mai 2000.

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Récapitulatif de la distinction entre national et ressortissant étranger pour les bénéficiaires

d’immunité

Titulaires nationaux d’une qualité officielle (Chef d’Etat ou de gouvernement, membre de gouvernement ou d’un parlement, représentant

élu ou autres représentants de l’Etat )

1. Défaut de pertinence de la qualité officielle 2. Obligation de coopérer avec une demande

d’arrestation et de remise de la Cour.

Titulaires étrangers d’une qualité officielle

(diplomates)

1. Un Etat Partie est tenu de remettre une

personne qui jouit de l’immunité diplomatique lorsque la Cour demande la remise après avoir obtenu la coopération de l’Etat tiers pour ce qui est de la renonciation à l’immunité (art 98(1)).

2. Lorsque la Cour demande la remise d’une

personne, mais que l’Etat requis ne peut normalement remettre cette personne sans contrevenir à ses obligations en vertu du droit international ou d’un accord international avec un Etat tiers, l’Etat requis est tenu à la remise si la Cour a obtenu le consentement préalable de l’Etat tiers à cet égard.

3. L’Etat requis est également tenu lorsque

l’Etat tiers est un Etat Partie. 4. La Cour apprécie si il y a incompatibilité

entre la demande d’assistance et le droit international en matière d’immunité avant de présenter la demande.

• Immunités et complémentarité Il est essentiel que les Etats Parties révisent leurs droits internes pour s’assurer que la Constitution et la législation permettent une coopération totale concernant leurs ressortissants nationaux bénéficiant d’une immunité tenant à leur qualité officielle, conformément aux dispositions du Statut telles que décrites à l’article 27. Les immunités accordées par le droit national aux ressortissants, ou aux biens, des Etats tiers ne devraient pas non plus empêcher la coopération avec la Cour. Le Statut ne crée pas d’obligation explicite pour les Etats d’enquêter ou de poursuivre eux-mêmes leurs représentants officiels, mais si un Etat est dans l’incapacité de juger une personne en raison des immunités dont elle bénéficie en vertu du droit interne, la Cour pourra se déclarer compétente11. Les Etats pourraient donc, par exemple, limiter le champ des immunités aux crimes d’une gravité moindre que ceux du Statut. La raison d’être des

11 En considérant que l’Etat n’a pas la volonté ou est dans l’incapacité d’enquêter ou de poursuivre si les immunités font obstacle au déclenchement ou au déroulement de poursuites pénales nationales.

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immunités serait alors respectée puisque les immunités ne visent en aucun cas à permettre la perpétration de tels crimes par des représentants de l’Etat. B. Les immunités en droit sénégalais 1. Les dispositions de la Constitution du 7 janvier 2001 La nouvelle constitution ne contient que des modifications mineures en ce qui concerne les immunités des députés, des magistrats des juridictions suprêmes, et du Président de la République, ainsi que des membres du gouvernement. a) Députés En vertu de l’article 61 de la nouvelle Constitution12, et des articles 43 et 44 du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale13, les députés ne peuvent être poursuivis ou arrêtés qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale sauf cas de flagrant délit, dans quel cas l’autorisation du Bureau de l’Assemblée n’est pas requise b) Membres des juridictions suprêmes L’article 97 de la nouvelle constitution dispose que «sauf en cas de flagrant délit, les membres du Conseil Constitutionnel ne peuvent être poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en matière pénale qu’avec l’autorisation du Conseil et dans les mêmes conditions que les membres du Conseil d’Etat, de la Cour de Cassation et de la Cour des Comptes ». Les conditions dans lesquelles ces derniers peuvent être poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en matière pénale est déterminée par la loi organique portant Statut des magistrats14. Seuls les magistrats du Conseil constitutionnel bénéficient donc de cette protection particulière : les membres des autres juridictions suprêmes peuvent faire l’objet de poursuites. c) Le Président de la République et les membres du gouvernement L’article 101 est identique à l’ancien article 87. Il dispose que le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions sauf haute trahison. Le Premier Ministre et les autres membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment 12 Article 61 (ancien article 50): . Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. . Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale. . Le député pris en flagrant délit ou en fuite après la commission des faits délictueux et poursuivi par la clameur populaire peut être arrêté, poursuivi et emprisonné sans l’autorisation du Bureau de l’Assemblée Nationale. . Aucun député ne peut hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée Nationale sauf en cas de flagrant délit tel que prévu par l’alinéa précédent ou de condamnation pénale définitive. . La poursuite d’un député ou sa détention du fait de cette poursuite est suspendue si l’Assemblée le requiert. . Le député qui fait l’objet d’une condamnation pénale définitive est radié de la liste des députés de l’Assemblée Nationale sur demande du Ministre de la justice. 13 Article 43 et 44 du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale: L’article 43 reprend l’article 61 de la Constitution. L’article 44 dispose: « il est constitué, pour chaque demande de levée d’immunité parlementaire d’un député ou pour chaque demande de suspension de poursuites déjà engagées, une Commission ad hoc de onze membres nommés selon la procédure prévue à l’article 20 ». La Commission doit entendre le député intéressé, lequel peut se faire représenter par un de ses collègues. (Loi no. 93-04 du 4 février 1993) Dans les débats ouverts par l’Assemblée nationale, en séance publique, sur les questions d’immunité parlementaire, peuvent seuls prendre la parole, le Président, le Rapporteur de la Commission, le Gouvernement, le député intéressé ou son représentant et un orateur contre. 14 Loi n°92-27 du 30 mai 1992 (Journal officiel du 04 juin 1992).

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où ils ont été commis. Le Président, comme le Premier Ministre et les autres membres du gouvernement, sont jugés par la Haute Cour de Justice. La Haute Cour de Justice est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines, telles qu’elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis. 2. Les immunités constitutionnelles et le Statut de Rome Bien que le Conseil Constitutionnel sénégalais n’ait pas été saisi sur la question de la compatibilité du Statut à la Constitution, les dispositions mentionnées ci-dessus sont problématiques au regard de l’article 27 du Statut de Rome. Certaines d’entre elles sont susceptibles de faire l’objet d’une interprétation qui assure leur conformité au Statut mais le régime de l’immunité applicable au Président de la République semble exiger l’introduction d’un amendement constitutionnel. De plus, au regard du principe de sécurité juridique, il apparaît essentiel d’envisager l’introduction d’une disposition constitutionnelle relative à la CPI. a) Immunités des députés et membres du Conseil Constitutionnel Les dispositions relatives aux immunités parlementaires et à celles des membres du Conseil Constitutionnel ne posent pas de véritable problème au regard du Statut de Rome. Celles ci sont en effet susceptibles de faire l’objet d’une interprétation selon laquelle le Bureau de l’Assemblée et le Conseil Constitutionnel autorisent automatiquement l’arrestation et les poursuites d’un député ou d’un membre du Conseil Constitutionnel poursuivi par la Cour pénale internationale pour la perpétration d’un crime de génocide, crime contre l’humanité ou crime de guerre. On pourrait également envisager une interprétation plus large selon laquelle le Bureau de l’Assemblée, ou le Conseil Constitutionnel, autorisent l’arrestation et la poursuite d’un député ou membres du Conseil Constitutionnel lorsque celui-ci est inculpé pour ces crimes, que la procédure ait lieu devant une juridiction nationale ou internationale. Cette deuxième formule implique que les crimes du Statut soient incorporés dans le Code Pénal et puisse donc faire l’objet de poursuites au niveau national. Dans les deux cas, la levée de l’immunité se justifie par la nature particulièrement grave des crimes et le fait que la perpétration de tels crimes ne rentrent en aucun cas dans leur mandat et ne justifie donc pas l’existence d’une immunité. En ce qui concerne les immunités des députés et des membres du Conseil Constitutionnel, l’interprétation des dispositions constitutionnelles dans un sens conforme au Statut de Rome permet de surmonter la difficulté sans procéder à une révision constitutionnelle. Néanmoins, pour des raisons tenant à la sécurité juridique, il serait utile que la règle selon laquelle l’immunité est levée automatiquement en cas d’allégations de perpétration de crimes du Statut soit inscrite soit dans la Constitution, si la révision de la Constitution s’avère une initiative acceptable, soit dans le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale et du Conseil Constitutionnel. b) Immunité du Président de la République et des membres du gouvernement: L’article 101 de la Constitution est la seule disposition constitutionnelle qui pose véritablement problème au regard de l’article 27 du Statut. Le Président dispose en effet d’une immunité absolue pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions (sauf haute trahison). Par contre, le Premier Ministre et les membres du gouvernement sont pénalement responsables des crimes perpétrés dans l’exercice de leurs fonctions. Dans tous les cas, le Président, comme le Premier Ministre et les autres membres de gouvernement, ne peuvent être jugés que devant la Haute Cour de Justice, à défaut donc de toute autre juridiction et par

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conséquent de la Cour pénale internationale. Face à cette difficulté, plusieurs éléments de solution peuvent être envisagés. En effet, l’article 101 de la Constitution dispose que le Président de la République “n’est responsable des actes commis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison”. A contrario, cette disposition signifie donc que le Président est responsable des actes commis en dehors de ses fonctions. L’étendue de la responsabilité du Président dépend donc de l’interprétation des actes s’inscrivant dans “l’exercice de ses fonctions”. Il apparaît cependant difficile d’avancer l’argument selon lequel la perpétration par un Chef d’Etat d’un crime de génocide, crime contre l’humanité ou d’un crime de guerre entrerait dans le cadre de ses fonctions. Par conséquent, le Président de la République, le Premier Ministre et les autres membres de gouvernement pourraient être tenus responsables de la perpétration de tels actes. Dans tous les cas, le renvoi à la Haute Cour de Justice comme juridiction de jugement reste problématique à moins de considérer que la Constitution confère à celle ci une compétence exclusive au niveau national mais n’exclue pas l’intervention d’une juridiction internationale. D’un point de vue pratique comme juridique, il apparaît cependant plus prudent d’introduire dans la Constitution une disposition permettant de régler ces questions. c) La solution française La Constitution française comportant une disposition similaire à l’article 10115, la France a été confrontée à cette question de la compatibilité du Statut de Rome et a saisi le Conseil Constitutionnel sur plusieurs points dont “le respect des dispositions de la Constitution relatives à la responsabilité pénale des titulaires de certaines qualités officielles”. Le Conseil Constitutionnel a conclu, inter alia, que l’article 27 du Statut était contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution française et qu’il était nécessaire de réviser la constitution avant de ratifier le Statut de la CPI16. Une révision constitutionnelle a eu lieu par laquelle un nouvel article 53-2 a été incorporé dans la Constitution française aux termes duquel: “La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ”.

15 Article 68 de la Constitution française: Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public à la majorité absolue des membres les composant; il est jugé par la Haute Cour de Justice. Article 68-1: Les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République. 16 Décision no. 98-408 DC du 22 janvier 1999: « (…) Considérant qu’il résulte de l’article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d’une immunité; qu’au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées par le même article; qu’en vertu de l’article 68-1 de la Constitution, les membres du gouvernement ne peuvent être jugés pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions que par la Cour de justice de la République; qu’enfin les membres du Parlement, en vertu du premier alinéa de l’article 26 de la Constitution bénéficient d’une immunité à raison des opinions ou votes émis dans l’exercice de leurs fonctions, et, en application du deuxième alinéa du même article, ne peuvent faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, hors les cas de flagrance ou de condamnation définitive, d’une arrestation ou de tout autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du bureau de l’assemblée dont ils font partie; Considérant qu’il suit de là que l’article 27 du Statut est contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution (…)».

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Cette formulation couvre implicitement les questions de coopération avec la Cour relatives aux immunités: si la Cour pénale internationale demandait à la France de procéder à l’arrestation et à la remise d’un officiel français, la France ne pourrait refuser de coopérer en se fondant sur l'immunité de l'officiel, conformément aux obligations souscrites en vertu de l’article 27 du Statut. Néanmoins, le régime des immunités prévu dans la Constitution française continuerait à s’appliquer normalement par ailleurs et la Constitution ne serait modifiée que de manière à permettre la pleine coopération avec la Cour pénale internationale dans les conditions définies au sein du Statut de Rome. Cette option est politiquement la plus facile à faire accepter et pourrait donc s’avérer appropriée si le climat politique s’avère plutôt défavorable à un amendement de la Constitution relatif aux immunités. d) Autres éléments de solution Cependant la solution adoptée par la France n’est pas entièrement satisfaisante au regard du Statut de Rome dans la mesure où le langage adopté est vague et ne règle donc pas explicitement les questions ayant justifié l’amendement de la constitution. A ce titre, il apparaît donc essentiel que tout amendement constitutionnel incorpore explicitement l’obligation de coopérer avec la Cour, et l’absence de pertinence des immunités liées à la qualité officielle devant la Cour, voire dans tous les cas où le crime allégué est un des crimes du Statut de Rome. Affirmer explicitement l'obligation de coopérer avec la Cour : Il est possible d’envisager que la Constitution sénégalaise prévoit explicitement la nécessité de coopérer avec la Cour. Par exemple, la disposition constitutionnelle pourrait être adoptée dans les termes suivants: "la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998, et coopérera avec la Cour en conformité avec les conditions prévues par le Traité." Immunité des officiels en cas de poursuites devant les tribunaux nationaux : Le Statut ne crée pas d'obligation pour le Sénégal de poursuivre en justice les auteurs des crimes prévus dans le Statut. Cependant la Cour pénale internationale sera une institution complémentaire aux juridictions nationales et ne devrait donc intervenir que de manière subsidiaire. Ainsi, dans l’hypothèse où un officiel sénégalais aurait commis un crime de génocide, crime contre l’humanité ou crime de guerre, les juridictions sénégalaises devraient être à même de poursuivre l’auteur des crimes. Cependant, si ces officiels bénéficient d’immunités en vertu de la Constitution, les tribunaux nationaux ne seront pas à même d’exercer leur compétence. Afin de permettre aux juridictions nationales de poursuivre et juger elles même les auteurs de ces crimes odieux, il serait souhaitable que les immunités prévues en droit interne ne couvrent pas les crimes prévus par le Statut. Cette question est susceptible de faire l’objet de controverses importantes mais il est néanmoins essentiel de souligner qu’il ne s’agit pas de supprimer les immunités du Chef de l’Etat, des membres de gouvernement et parlementaires mais simplement de permettre qu’ils soient jugés devant les juridictions dans l’hypothèse exceptionnelle où ils auraient commis des crimes d’une telle gravité. Il est donc important que le Sénégal envisage d’amender sa Constitution afin d’être en mesure de coopérer pleinement avec la CPI, y compris dans l’hypothèse où la Cour présenterait au Sénégal une demande d’arrestation ou de remise d’un officiel bénéficiant de l’immunité en vertu de la Constitution. 3. Immunités diplomatiques

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Les immunités diplomatiques ne présentent pas de difficultés constitutionnelles. Elles émanent de l’existence et de l’acceptation générale par la plupart des Etats de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires. Les immunités diplomatiques devraient faire l’objet d’une discussion dans le cadre de la mise en oeuvre de l’article 27 et 98 en droit interne afin d’incorporer les éléments de l’article 98 à l’aide des modèles élaborées par le Canada, la Nouvelle Zélande, le Royaume Uni et la Suisse. La disposition adoptée par le Canada en la matière s’applique aux immunités des officiels nationaux comme à celles des diplomates. En dehors de la modification des textes, il semble judicieux de s’interroger sur la politique adoptée par le gouvernement canadien. Ce dernier a adopté une politique selon laquelle les diplomates accrédités dans un Etat sont informés qu’ils ne bénéficieront pas d’immunités en cas de demande d’arrestation ou de remise présentée par la CPI. Il appartient à chaque Etat d’envisager, ou non, l’adoption d’une politique similaire. C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties

Canada : Art. 3 et 48 Le Canada a adopté une disposition qui reprend l’article 27 du Statut de manière explicite17.

Royaume Uni : Art. 23 La loi britannique a adopté la distinction entre Etats Parties et Etats non Parties: l’immunité s’attachant à une personne pour des raisons liées au lien existant entre cette personne et un Etat Partie au Statut de la CPI n’empêche pas l’arrestation et la remise de cette personne à la Cour. En ce qui concerne, les ressortissants d’Etats non parties, la loi prévoit une procédure de demande de levée de l’immunité. Il faut également noter que la loi prend en compte la situation exceptionnelle où le Conseil de Sécurité serait amené à saisir la Cour d’une affaire relative à un ressortissant d’un Etat non-Partie bénéficiant d’une immunité: l’immunité ne fait pas obstacle à la remise à la Cour dans cette hypothèse18.

Suisse : Art. 5 et 6 La loi suisse relative à la coopération avec la Cour confère au Conseil fédéral un pouvoir d’appréciation en cas de demande de la Cour tombant sous le coup de l’article 98. Il est cependant entendu que la Cour procédant à l’appréciation de l’incompatibilité au préalable, le Conseil fédéral sera tenu de remettre le suspect à la Cour si celle-ci a considéré soit que le suspect ne bénéficiait pas d’immunité au regard du droit international, soit qu’il n’y avait pas incompatibilité avec le droit international ou un accord international19.

Nouvelle Zélande : Art. 31, 98, 66 et 120 La loi adoptée par la Nouvelle Zélande réaffirme le principe selon lequel l’immunité ne fait pas obstacle à la remise d’une personne à la Cour est réaffirmé20.

17 Loi concernant le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et visant la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, et modifiant certaines lois en conséquence, adoptée le 29 juin 2000. 18 La loi relative à la Cour pénale internationale a été adoptée en deuxième lecture le 9 mai 2001. 19 La loi suisse reste un projet de loi à la date de la rédaction de cette analyse. Elle devrait être adoptée de manière imminente sous réserve de la tenue d’un référendum populaire. Dans tous les cas, ce projet de loi devrait être adopté en date du 23 octobre 2001. 20 Art. 31(1) de la loi sur les crimes internationaux et la cour pénale internationale, loi adoptée le 1er octobre 2000 : « International Crimes and International Criminal Court Act 2000, Accession No. 026, 1 October 2000 ».

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RECAPITULATIF : Immunités d’Etat et immunités diplomatiques

1. STATUT: DEFAUT DE PERTINENCE DES IMMUNITES L’article 27 du Statut dispose que le Statut s’applique à tous, y compris au Chef de l’Etat, de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. Les immunités ne sont donc pas opposables à la Cour. L’article 98 dispose que la Cour ne peut pas présenter une demande qui contraindrait l’Etat à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international, notamment en matière d’immunités des Etats ou d’immunité diplomatique ou en vertu d’accords internationaux. La CPI apprécie si l’article 98 est applicable : - à l’égard de ressortissants d’Etats Parties au Statut : la Cour est susceptible d’adopter une interprétation de l’Art. 98 selon laquelle il n’y a pas incompatibilité avec les obligations internationales des Etats Parties car ils ont accepté l’article 27. - à l’égard de ressortissants d’Etats non Parties au Statut : Si la personne bénéficie d’une immunité reconnue en droit international, la Cour peut demander sa remise sauf si l’Etat non Partie dont la personne est ressortissante consent à lever l’immunité. - Lorsque le Conseil de Sécurité saisit la Cour d’une affaire, les Etats doivent exécuter la demande de remise présentée par la Cour, indépendamment de l’existence d’une immunité, que la personne soit ressortissante d’un Etat Partie ou non. 2. MISE EN ŒUVRE Les Etats Parties ont l’obligation de prendre des mesures de mise en oeuvre permettant la poursuite et remise de leur Chef d’Etat, ainsi que du chef de gouvernement, des membres du gouvernement ou du parlement, et de tout autre représentant élu ou agents de l’Etat bénéficiant d’une immunité en vertu du droit interne.

Art 3 de la loi canadienne Art 5 de la loi de Nouvelle Zélande Art 77 de la loi britannique Art 53-2 de la Constitution française

3. REGIME DES EXCEPTIONS PREVUES PAR L’ARTICLE 98 DU STATUT

Les exceptions prévues en vertu de l’article 98(1) ne sont applicables que lorsque les obligations qui incombent à l’Etat au regard des diplomates ou chefs d’Etats sont reconnus par le droit international; l’article 98(2) est applicable lorsqu’il existe des accords internationaux requérant le consentement de l’Etat d’envoi.

Article 48 de la loi canadienne portant création de l’article 6.1 de la Loi sur l’Extradition. Article 31, 66 et 120 de la loi néo-zélandaise (procédure de l’article 98 du Statut). Article 23 de la loi du Royaume Uni (distinction entre Etats Parties et Etats non Parties).

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DROIT SENEGALAIS Dispositions de la Constitution Mise en œuvre du Statut

Députés Les députés ne peuvent être poursuivis ou

arrêtés qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale sauf cas de flagrant délit, dans quel cas l’autorisation du Bureau de l’Assemblée n’est pas requise.

Membres du Conseil Constitutionnel

Sauf en cas de flagrant délit, les membres du Conseil Constitutionnel ne peuvent être poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en matière pénale qu’avec l’autorisation du Conseil et dans les mêmes conditions que les membres du Conseil d’Etat, de la Cour de Cassation et de la Cour des Comptes.

1. L’interprétation des dispositions constitutionnelles dans un sens conforme au Statut permet de surmonter la difficulté sans procéder à une révision constitutionnelle. 2. Néanmoins il serait utile que la règle, selon laquelle l’immunité est levée automatiquement en cas d’allégations de perpétration de crimes du Statut, soit inscrite dans la Constitution, si la révision de la Constitution s’avère une initiative acceptable, ou dans la loi de mise en œuvre et/ou dans le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale et du Conseil Constitutionnel.

Le Président de la République et les membres du gouvernement

Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions sauf haute trahison.

Le Premier Ministre et les autres membres du

gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis.

Ils sont jugés par la Haute Cour de Justice.

1. L’irresponsabilité du Président de la République est problématique mais le Premier Ministre et les autres membres de gouvernement pourraient être tenus responsables de la perpétration des crimes du Statut. Cependant, le Président de la République n’est pas responsable de ses actes uniquement lorsque ceux-ci sont accomplis dans l’exercice de ses fonctions. Or, la perpétration de crimes du Statut ne rentre pas dans l’exercice des fonctions.

2. Le renvoi à la Haute Cour de Justice comme juridiction de jugement reste problématique à moins de considérer que la Constitution confère à celle ci une compétence exclusive au niveau national mais n’exclue pas l’intervention d’une juridiction internationale. 3 D’un point de vue pratique comme juridique, il apparaît cependant plus prudent d’introduire dans la Constitution une disposition permettant de régler ces questions.

Corps diplomatique et autres ressortissants étrangers bénéficiant d’immunités

Convention de Vienne sur les privilèges et

immunités diplomatiques

1. Ressortissants d’un Etat Partie : l’immunité ne devrait pas être opposable à une demande de la Cour. 2. Ressortissants d’un Etat non Partie : il est nécessaire de prévoir une procédure de demande de levée de l’immunité avec l’Etat dont la personne est ressortissante. 3. Affaire déclenchée par le Conseil de Sécurité : l’immunité n’est pas opposable à la CPI.

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II. Immunités et privilèges du personnel de la Cour A. L’article 48 du Statut et ses implications en matière de mise en oeuvre La CPI est une organisation internationale émanant d’un traité et n’est pas un organe des Nations Unies. Par conséquent, son personnel ne sera pas protégé par les lois nationales en vigueur concernant le personnel des Nations Unies. L’article 48 du Statut prévoit que les juges, le Procureur, les procureurs adjoints et le Greffier bénéficieront, pendant et après l’expiration de leur mandat, de l’immunité pour les paroles, écrits et actes relevant de l’exercice de leurs fonctions officielles21. Cette disposition vise à prévenir des poursuites à caractère politique, ainsi qu’à éviter que des mesures de représailles soient exercées contre ces personnes à l’issue de leur mandat. La Commission préparatoire de la CPI a adopté lors de sa huitième session22 un Accord portant sur les Privilèges et Immunités de la Cour (APIC). Cet accord devra faire l’objet d’une ratification car il constitue un instrument distinct du Statut de Rome. Les Etats Parties au Statut de Rome sont cependant tenus de ratifier cet instrument accessoire au Statut. Cet accord concerne le Greffier adjoint, le personnel du bureau du Procureur et le personnel du greffe. Les avocats, experts et témoins ainsi que les “autres personnes dont la présence est requise au siège de la Cour” bénéficieront des dispositions de cet accord dans les limites du “traitement nécessaire au bon fonctionnement de la Cour”. En vertu de l’article 48, les Etats doivent donc reconnaître d’une part les privilèges et immunités des juges, du Procureur, des procureurs adjoints et du Greffier, et leur accorder les mêmes immunités qu’aux chefs de missions diplomatiques. D’autre part, les Etats devraient reconnaître les privilèges et immunités des avocats, des experts, des témoins et de toutes les “autres personnes dont la présence est requise au siège de la Cour” conformément aux termes de l’APIC23. B. Droit sénégalais Le Sénégal ne dispose pas d’une loi ou d’un règlement relatif aux privilèges et immunités diplomatiques ou aux missions étrangères et organisations internationales. Il se réfère à la Convention de Vienne relative aux relations diplomatiques. Il suffirait pour mettre en œuvre l’article 48 de reconnaître aux juges, au Procureur, aux procureurs adjoints et au Greffier de la CPI les privilèges et immunités dont bénéficient les chefs de missions diplomatiques. En ce qui concerne les avocats, les experts, les témoins et toutes les “autres personnes dont la présence est requise au siège de la Cour”, l’étendue des privilèges et immunités prévus par l’APIC devraient être reconnus par le droit sénégalais. Il est donc important de prévoir un mécanisme par lequel ces privilèges et immunités pourront être incorporés en droit sénégalais. On pourrait envisager que l’étendue des privilèges et immunités des avocats, experts, témoins et autres soit déterminée dans la loi de mise en oeuvre ou bien qu’elle soit ultérieurement déterminée par décret lorsque le Sénégal ratifiera l’Accord du 5 octobre 2001.

21 Article 48 du Statut: Privilèges et immunités 22 La 8ème session de la PrepCom s’est tenue du 24 septembre au 5 octobre 2001. 23 Manuel canadien, p.16-18.

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Indépendamment de la protection accordée par le Statut au personnel de la CPI, il faut noter que le personnel judiciaire, et notamment les auxiliaires de justice, ainsi que les officiers de police judiciaire, bénéficient d’une protection minime dans l’exercice de leurs fonctions. Compte tenu de la gravité et de la particularité des affaires touchant à un crime de génocide, crime contre l’humanité ou à un crime de guerre, on pourrait envisager une protection renforcée des agents sénégalais amenés à exécuter des demandes de coopération de la CPI. Il pourrait également s’avérer opportun d’aller plus loin dans ce sens en inscrivant une protection renforcée des agents impliqués dans des enquêtes et poursuites relatives à ces crimes, même si celles-ci se déroulent exclusivement au niveau national24. C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties

Canada: Article 54 portant modification de l’article 5(1) de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales.

Nouvelle Zélande: Article 183 portant modification de l’article 10 de la Loi sur les privilèges et immunités de 1968.

Royaume Uni: Annexe no. 1: Article 1: Personnalité juridique, privilèges et immunités. Afrique du Sud: Art. 6 du projet de loi25.

RECAPITULATIF: Immunités et privilèges du personnel de la Cour

1. Article 48 du Statut de Rome • La CPI est une organisation internationale émanant d’un traité et n’est pas un organe des

Nations Unies et son personnel ne sera pas protégé par les lois nationales en vigueur concernant le personnel des Nations Unies.

• L’article 48 du Statut prévoit que les juges, le Procureur, les procureurs adjoints et le Greffier bénéficieront, pendant et après l’expiration de leur mandat, de l’immunité pour les paroles, écrits et actes relevant de l’exercice de leurs fonctions officielles.

• L’accord portant sur les privilèges et immunités du personnel de la Cour adopté le 5 octobre 2001 détermine les privilèges et immunités dont bénéficie le Greffier adjoint, le personnel du bureau du Procureur, le personnel du greffe, les avocats, experts et témoins ainsi que les “autres personnes dont la présence est requise au siège de la Cour”. Cet accord doit être ratifié indépendamment du Statut.

2. Mise en œuvre au Sénégal • Les juges, le Procureur, les procureurs adjoints et le Greffier de la CPI devraient se voir

reconnaître des privilèges et immunités similaires aux chefs de mission diplomatiques. • En ce qui concerne les avocats, les experts, les témoins et toutes les “autres personnes dont la

présence est requise au siège de la Cour”, les privilèges et immunités prévus par l’accord du 5 octobre 2001 devraient être incorporés dans la loi de mise en oeuvre ou insérés par décret lors de la ratification de l’APIC.

• Indépendamment des obligations du Statut, on pourrait envisager une protection renforcée des agents sénégalais amenés à exécuter des demandes de coopération de la CPI. Il pourrait également s’avérer opportun d’aller plus loin dans ce sens en inscrivant une protection renforcée des agents impliqués dans des enquêtes et poursuites relatives à ces crimes et qui se déroulent sur le territoire sénégalais.

24 Art. 185 et s. et Art. 194 à 204. du Code Pénal 25 Ce projet de loi est devant le Parlement au moment de la rédaction de cette analyse et la date du vote ne semble pas avoir été fixée. Le gouvernement espère que la loi sera votée d’ici la fin de l’année 2001.

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SECTION 2:

Dispositions générales relatives aux demandes de coopération

I. Statut de Rome A. Voie de transmission, forme et caractère confidentiel de la demande de coopération En vertu de l’article 87(1), la Cour est habilitée à adresser des demandes de coopération aux Etats Parties et ces demandes sont transmises par la voie diplomatique à moins que l’Etat ait choisi une autre voie appropriée lors de la ratification. Les demandes peuvent également être transmises par INTERPOL ou par une organisation régionale compétente. Les demandes de coopération sont faites par écrit et accompagnées des pièces requises par le Statut26. Elles sont rédigées dans une langue officielle de l’Etat requis ou dans l’une des langues de travail de la Cour ou accompagnée d’une traduction dans cette langue. Les langues de travail de la Cour sont l’anglais et le français27. L’article 99(1) dispose que l’Etat requis est tenu de donner suite aux demandes d’assistance conformément à la procédure prévue par sa législation. Toutefois, à moins que la législation de l’Etat ne l’interdise, la Cour peut spécifier le mode d’exécution de la demande et la procédure à suivre ainsi que désigner des personnes devant être présentes ou devant participer à l’exécution de la demande28. L’Etat est tenu d’informer la Cour de toute exigence particulière de sa législation nationale (Art. 96(3)). En vertu de l’article 87(3), les demandes de coopération ont un caractère confidentiel29. B. Consultations et conséquences du refus de coopérer Les Etats disposent d’un pouvoir de discrétion limité et ne peuvent refuser de coopérer avec une demande de la Cour pour des motifs non autorisés par le Statut. Ces motifs seront passés en revue lors de l’analyse de chaque type de demande de coopération. En cas de difficultés, un Etat Partie est tenu de consulter la Cour sans tarder en vue de régler la question posant problème30. Si les consultations échouent, la Cour peut alors saisir l’Assemblée des Etats Parties ou le Conseil de sécurité du refus de coopérer d’un Etat en vertu de l’article 87(7)31. C. Sursis à l’exécution de demandes Art. 94: Sursis à exécution d’une demande en raison de l’engagement d’une enquête ou poursuite: L'article 94(1) autorise l'Etat requis à surseoir à l'exécution d'une demande de coopération si son exécution immédiate risque de nuire au bon déroulement de l'enquête ou des poursuites en cours dans une affaire différente de celle sur laquelle se rapporte la

26 Notamment en vertu des articles 91 et 96 du Statut. 27 Art. 50(2). 28 Manuel canadien, p.28. 29Art. 87(3) : L’Etat requis respecte le caractère confidentiel des demandes de coopération et des pièces justificatives y afférentes, sauf dans la mesure où leur divulgation est nécessaire pour donner suite à la demande. 30 Art. 97: Consultations. 31Art. 87(7) : Si un Etat Partie n’accède pas à une demande de coopération de la Cour contrairement à ce que prévoit le présent Statut, et l’empêche ainsi d’exercer les fonctions et les pouvoirs que lui confère le présent Statut, la Cour peut en prendre acte et en référer à l’Assemblée des Etats Parties ou au Conseil de Sécurité lorsque c’est celui-ci qui l’a saisie.

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demande. Toutefois, ce sursis ne dure que pendant "un temps fixé en commun accord avec la Cour", et, dans tous les cas, il ne peut durer "plus qu'il n'est nécessaire pour mener à bien l'enquête ou les poursuites en question". L'article ajoute que "l'Etat examine si l'assistance peut être fournie immédiatement sous certaines conditions, avant de décider de surseoir à l'exécution de la demande". Ce dernier cas de figure sera probablement examiné par la Cour lorsqu'elle décidera du temps à accorder au sursis. Le pouvoir du Procureur conformément à l'Art.93(1)(j), de demander des mesures de protection des éléments de preuve, ne doit pas être affecté par le sursis accordé au titre de l'Art.9432. Par conséquent, les Etats Parties sont tenus mettre en place une procédure lui permettant de vérifier si l’exécution de la demande nuit à une enquête ou à une poursuite en cours au niveau national. Cette procédure comporterait probablement une phase de consultation avec toutes les autorités pertinentes puis une phase de consultation avec la Cour par laquelle pourrait être déterminée d’un commun accord une période appropriée de sursis à exécution de la demande. Art: 95: Sursis à exécution d’une demande en raison d’une exception d’irrecevabilité: L'article 95 autorise l'Etat requis à surseoir à l'exécution d'une demande faite au titre du Chapitre IX en attendant que la Cour ait statué sur une exception de recevabilité, à moins que la Cour n'ait expressément décidé que le Procureur pouvait continuer à rassembler des éléments de preuve en application des articles 18 ou 19. L'exécution d'une demande de remise peut être différée jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la recevabilité de l'affaire, conformément à l'Art.89(2). • La législation nationale peut prévoir la possibilité de surseoir à l’exécution d’une

demande sous réserve que le sursis à exécution soit conforme aux conditions énoncées dans les articles 94 et 95. En ce qui concerne le sursis de l’article 94 du Statut, l’Etat pourrait notamment mettre en place une procédure lui permettant de vérifier si l’exécution d’une demande nuit à une enquête ou à une poursuite en cours au niveau national.

D. Dépenses relatives à l’exécution des demandes de coopération En vertu de l’article 100, les dépenses ordinaires afférentes à l’exécution des demandes sur le territoire de l’Etat requis sont à la charge de cet Etat. Les frais pris en charge par la Cour à titre d’exception sont énumérés dans l’alinéa 1 de l’article 100. E. Exécution des demandes de coopération Toute législation de mise en œuvre doit déterminer l’autorité compétente pour recevoir les demandes de coopération de la Cour et les faire exécuter. Il est essentiel que l’exécution des demandes soit centralisée et que l’autorité chargée d’exécuter les demandes soit un organe judiciaire compte tenu de la nature judiciaire des demandes qui sont susceptibles d’être présentées par la Cour. II. Droit sénégalais Il semble que la voie de coopération choisie soit par défaut la voie diplomatique. Il reste néanmoins à déterminer les autorités compétentes pour recevoir les demandes de coopération de la CPI et leur donner suite. Les autorités compétentes pour recevoir les demandes d’assistance judiciaire dans le cadre des conventions bilatérales d’extradition et d’assistance

32 Art. 94(2).

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judiciaire sont le Ministère des Affaires Etrangères33, le Ministère de la Justice34 ou le Procureur général dans le ressort duquel se trouve le destinataire de l’acte35. Il n’existe donc pas de structure centralisant les demandes de coopération et d’assistance judiciaire en dehors du Ministère des Affaires Etrangères. Cependant, le Ministère des Affaires Etrangères n’est lui même compétent qu’à défaut de dispositions différentes prévues dans les convention bilatérales. Aux termes des conventions bilatérales, il apparaît que le recours au Ministre de la Justice ou au Procureur général comme autorités d’exécution d’une demande de coopération peut s’avérer plus approprié. Compte tenu de la nature particulière de la Cour et du caractère judiciaire de la plupart de ses demandes de coopération, il semblerait donc plus opportun que l’autorité chargée de recevoir les demandes de la Cour relève du Ministère de la Justice. Il serait judicieux de mettre en place une structure autonome spécialement chargée de la coopération avec la CPI qui dépendrait du Ministère de la Justice et pourrait également réunir des représentants des différents ministères susceptibles d’être affectés par une demande de la Cour. La mise en place d’un bureau chargé des relations avec la Cour, qui serait une cellule de contact unique avec la Cour, permettrait une communication plus fluide, ainsi qu’une coopération plus simple et donc plus efficace et plus rapide. Cependant, il importe également de désigner une autorité d’exécution des demandes de la Cour distincte de l’autorité gouvernementale chargée de recevoir les demandes de la Cour. L’autorité d’exécution devrait être un organe judiciaire compte tenu de la nature judiciaire de la plupart des demandes susceptibles d’être présentées par la Cour (demande d’arrestation, de remise, de rassemblement et conservation de preuve, d’octroi de réparations aux victimes). Les demandes de la Cour ne peuvent être exécutées exclusivement par des autorités gouvernementales et appellent à l’intervention et au contrôle du juge. La juridiction appropriée reste à déterminer mais il semble souhaitable qu’une juridiction unique ait compétence sur l’exécution de l’ensemble des demandes de coopération de la Cour, quelle que soit la partie du territoire sénégalais où la mesure d’exécution doive avoir lieu. Il semble en effet nécessaire pour des raisons pratiques de ne pas avoir recours aux règles de compétence territoriale et de centraliser l’exécution des demandes de la Cour au sein d’une juridiction dont la compétence en la matière s’étendra à l’ensemble du territoire. Par conséquent, dans une optique d’efficacité, de transparence et de bonne coopération avec la Cour, il serait souhaitable que les demandes de coopération de la Cour arrivent simultanément au Ministère de la Justice et directement au Procureur général de la Cour d’Appel de Dakar, afin que le pouvoir judiciaire soit impliqué dès l’arrivée des demandes émanant de la CPI. Il faudrait dès lors aménager la procédure de droit commun de manière à prévoir que le Procureur soit tenu de donner suite aux demandes de la Cour et de les transmettre au juge d’instruction qui délivre alors les commissions rogatoires nécessaires à l’exécution de la demande de la Cour. Une autre option est de prévoir que les demandes 33 Le Ministre des Affaires Etrangères est compétent pour recevoir des demandes d’extradition à défaut de dispositions prévues par une convention bilatérale aux termes de l’article 10 de la loi sur l’extradition (Loi n°71-77 du 28 décembre 1971). Il transmet ensuite la demande au Ministre de la Justice. 34 Art. 1 de la Convention de coopération en matière judiciaire entre le Gouvernement de la République française et Gouvernement de la République du Sénégal, signée à Paris le 29 mars 1974. Art. 8 de la Convention de coopération judiciaire d’exécution des jugements et d’extradition entre le Royaume du Maroc et la République du Sénégal. 35 Art. 9 de la Convention relative à la coopération en matière judiciaire entre les Etats membres de l’ANAD, signée à Nouakchott le 20 et 21 avril 1987.

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soient directement transmises à la Chambre d’accusation dans quel cas un amendement du Code de Procédure Pénale dans ce sens s’avérerait nécessaire afin que la Chambre d’accusation soit en mesure de traiter des demandes de coopération de la CPI36. • Il importe de déterminer l’autorité chargée de recevoir les demandes de coopération

de la Cour. Le Sénégal a choisi la voie diplomatique de transmission des demandes mais il reste à déterminer si une autorité spécifique à la coopération avec la CPI ne devrait pas être mise en place. La création d’un bureau chargé des relations avec la Cour rattaché au Ministère de la Justice et composé des membres des différentes autorités susceptibles d’être concernées par les demandes de la Cour apparaît la manière la plus simple et efficace d’assurer une voie de communication fluide entre la Cour et le Sénégal.

• Il serait souhaitable que les demandes arrivent simultanément au Ministère de la

Justice et au Parquet général qui seraient alors tenus de leur donner suite et de les transmettre au juge d’instruction qui à son tour délivrerait les commissions rogatoires nécessaires à l’exécution de la demande de la Cour au Sénégal. Une autre option consisterait à prévoir la transmission des demandes directement à la Chambre d’accusation. L’intervention d’une de ces autorités permettrait l’implication du pouvoir judiciaire dès l’arrivée des demandes émanant de la CPI.

• Les juridictions compétentes pour l’exécution des demandes devraient être désignées

de manière à assurer une certaine centralisation de l’exécution des demandes. On pourrait envisager que les juridictions compétentes soient dans un premier temps celles du lieu d’arrestation puis la Cour d’Appel de Dakar.

III. Solutions retenues par la loi de coopération suisse A. Voie de transmission, forme et caractère confidentiel de la demande de coopération • Voie de transmission et autorité d’exécution : Art. 2 et 4 • Forme et transmission des demandes à la Cour: Art. 9 • Procédure d’exécution des demandes de la Cour: art. 39-44 B. Consultations et conséquences du refus de coopérer : Art. 3 C. Sursis à l’exécution de demandes : Art. 40(2) et 24(2) D. Dépenses relatives à l’exécution des demandes de coopération: Art. 11

36 La procédure de droit commun est énoncée par les articles 32 et 33 du Code de Procédure Pénale. Le mode de transmission d’une affaire au Parquet figure à l’article 187. Les dispositions relatives à la Chambre d’accusation figurent à l’article 198.

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SECTION 3:

Coopération dans l’arrestation et la remise de suspects à la Cour

Cette section présente les différentes formes de coopération mentionnées au Chapitre IX et les obligations afférentes aux Etats Parties, et en particulier les aménagements juridiques qui pourraient s’avérer nécessaire afin de garantir que le Sénégal sera en toute occasion en mesure de satisfaire aux demandes de la Cour en conformité avec les dispositions du Statut de Rome. I. Obligations des Etats en vertu du Statut de Rome Les Etats sont tenus de répondre et satisfaire à une demande d’arrestation et de remise de la Cour. Lorsque la Cour présente une demande de ce type, l’Etat a recours aux procédures nationales d’arrestation et de remise prévues par son droit interne, tout en étant tenu d’assurer l’arrestation et la remise en conformité aux dispositions du Statut applicables en la matière.

Art. 89(1) du Statut: La Cour peut présenter à l’Etat sur le territoire duquel une personne est susceptible de se trouver une

demande, accompagnée des pièces justificatives indiquées à l’article 91, tendant à ce que cette personne soit arrêtée et lui soit remise, et solliciter la coopération de cet Etat pour l’arrestation et la remise de la personne.

Les Etats Parties répondent à toute demande d’arrestation et de remise conformément aux dispositions du présent chapitre et aux procédures prévues par leur législation nationale

Il s’agit par conséquent de concilier la procédure nationale et les garanties et exigences du Statut. En vertu de l’article 91, la demande d’arrestation et de remise de la Cour est faite par écrit37. L’article 91(2) énumère les pièces justificatives qui doivent accompagner la demande de la Cour lorsque cette demande porte sur une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par la Chambre préliminaire en vertu de l’article 5838. Ces pièces justificatives comprennent:

les documents, déclarations et renseignements qui peuvent être exigés dans l’Etat requis pour procéder à la remise; toutefois, les exigences de l’Etat requis ne doivent pas être plus lourdes dans ce cas que dans celui des

demandes d’extradition présentées en application de traités ou arrangements conclus entre l’Etat requis et d’autres Etats et devraient même, si possible, l’être moins, eu égard au caractère particulier de la Cour39

Les questions relatives à l’arrestation et à la remise sont intimement liées et le Statut ne distingue pas véritablement entre les deux aspects de la coopération en dehors de quelques dispositions énoncées ci-après. 37 Art 91 (1): (…)En cas d’urgence, elle peut être faite par tout moyen laissant une trace écrite, à condition d’être confirmée selon les modalités prévues à l’article 87(1)(a). 38 Ces pièces comportent notamment: le signalement de la personne recherchée, une copie du mandat d’arrêt, les documents et renseignements qui peuvent être exigés dans l’Etat requis pour procéder à la remise. 39 Art. 91(2)(c).

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A. Arrestation La Cour dispose de trois procédures lui permettant de demander à un Etat de procéder à l’arrestation d’une personne soupçonnée d’avoir commis un crime. La Cour peut délivrer un mandat d’arrêt conformément aux articles 58, 89 et 91. Elle peut délivrer un mandat d’arrêt provisoire conformément à l’article 58(5) et à l’article 92, dans les cas d’urgence lorsque les pièces justificatives requises ne sont pas encore disponibles. Elle peut également délivrer une citation à comparaître conformément à l’article 58(7) lorsque la Chambre préliminaire est convaincue qu’une citation à comparaître suffira à garantir que la personne se présentera à la Cour. La citation à comparaître n’est pas une forme d’arrestation mais peut être assortie de conditions restrictives de liberté et est, pour cette raison, traitée au sein de cette section. 1. Délivrance et exécution des mandats d’arrêt (Art. 58, 89 et 91) a) Procédure d’arrestation dans l’Etat de détention: Art. 58 et 59 L’article 58 du Statut dispose que, sur la base du mandat d’arrêt, la Cour peut demander la mise en détention provisoire ou l’arrestation et la remise de la personne conformément aux dispositions du Chapitre IX. Le mandat d’arrêt est délivré par la Chambre préliminaire, sur requête du Procureur40. La procédure d’arrestation applicable est la procédure prévue par le droit national, sous réserve des dispositions de l’article 59:

Art 59: Procédure d’arrestation dans l’Etat de détention 1. L’Etat qui a reçu une demande d’arrestation provisoire ou d’arrestation et de remise prend immédiatement des mesures pour faire arrêter la personne dont il s’agit conformément à sa législation et aux dispositions du

Chapitre IX du présent Statut. 2. Toute personne arrêtée est déférée sans délai à l’autorité judiciaire compétente de l’Etat de détention qui

vérifie, conformément à la législation de cet Etat: a. Que le mandat vise bien cette personne;

b. Que celle-ci a été arrêtée selon la procédure régulière; et c. Que ses droits ont été respectés.

3. La personne arrêtée a le droit de demander à l’autorité compétente de l’Etat de détention sa mise en liberté provisoire en attendant sa remise.

4. Lorsqu’elle se prononce sur cette demande, l’autorité compétente de l’Etat de détention examine si, eu égard à la gravité des crimes allégués, l’urgence et des circonstances exceptionnelles justifient la mise en liberté provisoire et si les garanties voulues assurent que l’Etat de détention peut s’acquitter de son obligation de

remettre la personne à la Cour. L’autorité compétente de l’Etat de détention ne peut pas examiner si le mandat d’arrêt a été régulièrement délivré au regard de l’article 58(1)(a) et (b).

5. La Chambre préliminaire est avisée de toute demande de mise en liberté provisoire et fait des recommandations à l’autorité compétente de l’Etat de détention. Avant de rendre sa décision, celle-ci prend

pleinement en considération ces recommandations, y compris éventuellement celles qui portent sur les mesures propres à empêcher l’évasion de la personne.

6. Si la mise en liberté provisoire est accordée, la Chambre préliminaire peut demander des rapports périodiques sur le régime de la liberté provisoire.

7. Une fois ordonnée la remise par l’Etat de détention, la personne est livrée à la Cour aussitôt que possible.

40 Art. 58(1): (…)lorsque celle-ci est convaincue, après examen de la requête et des éléments de preuve: a) Qu’il y a de bonnes raisons de croire que cette personne a commis un crime relevant de la compétence de la Cour; et b) Que l’arrestation de cette personne est nécessaire pour garantir: i)que la personne comparaîtra; ii) qu’elle ne fera pas obstacle à l’enquête ou à la procédure devant la Cour, ni en compromettra le déroulement; ou iii) le cas échéant, qu’elle ne poursuivra pas l’exécution du crime dont il s’agit ou d’un crime connexe relevant de la compétence de la Cour et se produisant dans les mêmes circonstances

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L’Etat requis est donc tenu de prendre “immédiatement des mesures pour faire arrêter la personne dont il s’agit conformément à sa législation et aux dispositions du Chapitre IX”. Néanmoins, l’obligation de procéder à l’arrestation d’une personne soupçonnée d’avoir commis un des crimes du Statut ne doit pas laisser présumer de la culpabilité du suspect. En vertu de l’article 66, la présomption d’innocence doit être respectée jusqu’à ce que la Cour ait établi la culpabilité du suspect41.

• Sous réserve des dispositions de l’article 59, le Statut renvoie au droit national en ce qui concerne la procédure d’arrestation.

b) Audience devant une autorité judiciaire compétente L’intervention d’une autorité judiciaire compétente Une fois que la personne a été arrêtée par l’Etat, il faut la déférer sans délai à une autorité judiciaire compétente. Cette autorité vérifiera, conformément à la législation interne, que le mandat vise bien la personne arrêtée, que celle-ci a été arrêtée selon la procédure régulière et ses droits ont été respectés. Si l’autorité judiciaire est confrontée à une difficulté liée à ces questions, elle est tenue de consulter la Cour sans tarder42. L’autorité judiciaire ne peut pas examiner si le mandat d’arrêt a été régulièrement délivré43. Si la personne arrêtée a déjà fait l’objet d’une enquête au niveau national pour la même infraction, l’Etat doit en aviser la Cour et peut soulever une exception d’irrecevabilité en vertu des articles 18 et 19 et demander un sursis à l’exécution de la demande conformément à l’article 95. Si la personne arrêtée a fait l’objet d’une enquête ou purge une peine d’emprisonnement pour une autre infraction, l’Etat est tenu de consulter la Cour, après avoir accédé à la demande de remise44. L’autorité judiciaire doit également accorder à la personne faisant l’objet du mandat d’arrestation et remise de la Cour l’occasion de demander sa mise en liberté provisoire en attendant sa remise45 (Art 59(2) à (6)). L’autorité judiciaire ordonne ensuite à la remise de la personne à la CPI sauf exceptions46.

• L’Etat doit disposer d’une procédure nationale selon laquelle la personne arrêtée est déférée à une autorité judiciaire compétente qui vérifie que le mandat vise bien la personne arrêtée, que celle-ci a été arrêtée selon la procédure régulière et que ses droits ont été respecté. Cette procédure devrait permettre à l’autorité judiciaire d’examiner une demande de mise en liberté provisoire.

Droits de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrestation Toute personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI a des droits que les autorités compétentes de l’Etat sont tenues de respecter. La présomption d’innocence stipulée dans l’article 66 doit être respectée lors de la procédure d’arrestation et de remise. L’article 67 du Statut prévoit que l’accusé a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et de façon impartiale. Afin que ces garanties procédurales en faveur de l’accusé soient respectées,

41 Art. 66(1) du Statut: Toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie devant la Cour conformément au droit applicable.(…) 42 Art. 97. 43 Art. 59(4). 44 Art. 89(4). 45 Art. 59(2) à (6). 46 Voir la sous-section sur la remise.

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l’Etat devrait donc respecter les droits de la personne arrêtée. Les droits de la personne arrêtée sont énoncés à l’article 55(2) du Statut dans les termes suivants: a) Être informée avant d'être interrogée qu'il y a des raisons de croire qu'elle a commis un crime relevant de la

compétence de la Cour; b) Garder le silence, sans que ce silence soit pris en considération pour la détermination de sa culpabilité ou de

son innocence; c) Être assistée par le défenseur de son choix ou, si elle n'en a pas, par un défenseur commis d'office chaque fois

que les intérêts de la justice l'exigent, sans avoir dans ce cas à verser de rémunération si elle n'en a pas les moyens; et

d) Être interrogée en présence de son conseil, à moins qu'elle n'ait renoncé volontairement à son droit d'être assistée d'un conseil.

Les droits mentionnés dans l’article 55(1) devraient également être respectés. Lorsqu’ils sont liés par d’autres traités internationaux, tels que le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, les Etats sont tenus d’offrir des garanties plus extensives en la matière47.

• La procédure nationale utilisée pour l’arrestation et la remise d’un suspect doit être respectueuse des droits de la personne et de la présomption d’innocence. Si le suspect est interrogé, les droits prévus par l’article 55(2) du Statut doivent être respectés par les autorités nationales. Les dispositions de l’article 55(1) devraient également être respectées.

• En conséquent, les lois applicables aux droits des personnes faisant l’objet d’un

mandat d’arrêt devraient incorporer les garanties mentionnées aux articles 66 et 55, ainsi que les autres garanties prévues par le PIDCP et la Convention contre la torture48.

Mise en liberté provisoire Lors de l’audience initiale devant l’autorité judiciaire, la personne arrêtée a le droit de présenter une demande de mise en liberté provisoire en attendant sa remise. En vertu de l’article 59(3) et (4), l’autorité judiciaire doit aviser la Cour de toute demande de mise en liberté provisoire et prendre “pleinement” en considération les recommandations de la Cour à cet égard, “y compris éventuellement celles qui portent sur les mesures propres à empêcher l’évasion de la personne”. L’autorité judiciaire doit examiner si “eu égard à la gravité des crimes allégués, l’urgence et les circonstances exceptionnelles justifient la mise en liberté provisoire” et si l’Etat peut “s’acquitter de son obligation de remettre la personne à la Cour”. Si la mise en liberté provisoire est accordée, la Cour pourra exiger des rapports périodiques sur le régime de la liberté provisoire49. 47 Voir notamment l’article 10 du PIDCP. 48 Lorsque l’Etat en question est un Etat Partie à ces conventions. 49 Art 59: 3. La personne arrêtée a le droit de demander à l’autorité compétente de l’Etat de détention sa mise en liberté provisoire en attendant sa remise. 4. Lorsqu’elle se prononce sur cette demande, l’autorité compétente de l’Etat de détention examine si, eu égard à la gravité des crimes allégués, l’urgence et des circonstances exceptionnelles justifient la mise en liberté provisoire et si les garanties voulues assurent que l’Etat de détention peut s’acquitter de son obligation de remettre la personne à la Cour. L’autorité compétente de l’Etat de détention ne peut pas examiner si le mandat d’arrêt a été régulièrement délivré au regard de l’article 58(1)(a) et (b). 5. La Chambre préliminaire est avisée de toute demande de mise en liberté provisoire et fait des recommandations à l’autorité compétente de l’Etat de détention. Avant de rendre sa décision, celle-ci prend pleinement en considération ces recommandations, y compris éventuellement celles qui portent sur les mesures propres à empêcher l’évasion de la personne.

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• La procédure de mise en liberté provisoire doit être prévue par une loi nationale

qui lie l’autorité judiciaire compétente. Cette procédure devrait être aménagée de manière à inscrire les critères de l’article 59(4) et l’obligation d’informer la Chambre préliminaire de toute demande de remise en liberté provisoire, et de prendre “pleinement en considération” les recommandations de la Chambre préliminaire avant de rendre une décision.

• Les Etats devraient considérer si une présomption en faveur de la détention n’est pas justifiée pour les crimes de la compétence de la Cour, en particulier lorsque le droit national consacre d’ordinaire le principe de mise en liberté d’une personne arrêtée.

• Une procédure devrait être établie pour que la Chambre préliminaire soit informée périodiquement sur le régime de la mise en liberté provisoire lorsque celle ci a été accordée par l’Etat Partie.

2. Arrestation provisoire (Art. 58(5) et 92) Lorsque la Cour délivre un mandat d’arrêt mais ne dispose pas de l’ensemble des pièces justificatives requises pour justifier sa demande d’arrestation et de remise, elle peut néanmoins demander à l’Etat de procéder à l’arrestation provisoire de la personne visée par le mandat. Cette procédure, prévue par les articles 58(5) et 92, ne peut être utilisée qu’en cas d’urgence et une telle demande peut être faite par tout moyen laissant une trace écrite50. L’Etat est alors tenu d’exécuter la demande immédiatement51. En vertu de l’article 92(2) et de la Règle 188 du RPP, si l’Etat ne reçoit pas la demande de remise et les pièces justificatives requises dans les 60 jours à compter de la date de l’arrestation provisoire, la personne peut être remise en liberté. Cependant, si l’Etat reçoit ces documents après l’expiration du délai de 60 jours, il devra à nouveau arrêter la personne52.

6. Si la mise en liberté provisoire est accordée, la Chambre préliminaire peut demander des rapports périodiques sur le régime de la liberté provisoire. 7. Une fois ordonnée la remise par l’Etat de détention, la personne est livrée à la Cour aussitôt que possible. 50 Art.92: 1. En cas d’urgence, la Cour peut demander l’arrestation provisoire de la personne recherchée en attendant que soient présentées la demande de remise et les pièces justificatives visées à l’article 91. 2. La demande d’arrestation provisoire est faite par tout moyen laissant une trace écrite et contient: a) Le signalement de la personne recherchée, suffisant pour l’identifier, et des renseignements sur le lieu où elle se trouve probablement; b)L’exposé succinct des crimes pour lesquels la personne est recherchée et des faits qui seraient constitutifs de ces crimes, y compris, si possible, la date et le lieu où ils se seraient produits; c)Une déclaration affirmant l’existence à l’encontre de la personne recherchée d’un mandat d’arrêt ou d’un jugement établissant sa culpabilité; et d)Une déclaration indiquant qu’une demande de remise de la personne recherchée suivra. 3. Une personne provisoirement arrêtée peut être remise en liberté si l’Etat requis n’a pas reçu la demande de remise et les pièces justificatives visées à l’article 91 dans le délai prescrit par le Règlement de Procédure et de Preuve. Toutefois, cette personne peut consentir à être remise avant l’expiration de ce délai si la législation de l’Etat requis le permet. Dans ce cas, l’Etat requis procède aussi tôt que possible à sa remise à la Cour. 4. La mise en liberté de la personne recherchée prévu au paragraphe 3, est sans préjudice de son arrestation ultérieure et de sa remise si la demande de remise accompagnée des pièces justificatives est présentées par la suite. 51 Art. 59(1). 52 Art. 92(4)

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La personne peut également consentir volontairement à être remise à la Cour même si l’Etat n’a pas reçu les pièces requises, si la législation nationale le permet53. 3. Délivrance d’une citation à comparaître La citation à comparaître au sens du Statut concerne uniquement le suspect et peut se substituer à la délivrance d’un mandat d’arrêt lorsque la Cour ne considère pas qu’il est nécessaire de mettre cette personne en détention préalablement à sa comparution devant la Cour. La citation à comparaître au sens du Statut se distingue de la comparution de témoins devant la Cour54. L’article 58(7) permet à la Chambre préliminaire de délivrer une citation à comparaître au lieu d’un mandat d’arrêt. Une telle citation peut être délivrée avec ou sans conditions restrictives de liberté si la législation de l’Etat prévoit de telles conditions55. Le contenu de la citation à comparaître figure dans l’article 58(7)56. Il faut noter que la Chambre préliminaire ne délivrera une citation à comparaître au lieu d’un mandat d’arrêt que si elle est convaincue: Qu’il y a de bonnes raisons de croire que la personne a commis le crime qui lui est imputé et qu’une citation à

comparaître suffit à garantir qu’elle se présentera devant la Cour57. Par conséquent, lorsque la Cour délivre une citation à comparaître et présente une demande de coopération à l’Etat, celui-ci est tenu de notifier la citation à comparaître à la personne qu’elle vise58. Il est donc essentiel qu’une procédure soit mise en place pour assurer la notification et l’exécution de la procédure sur le territoire national en ce qui concerne les citations à comparaître. Cette procédure doit permettre de faire respecter les conditions restrictives de liberté que la Cour aurait imposé, après consultation avec l’Etat (conditions qui doivent être permises en vertu de la législation nationale).

• Une procédure nationale doit être mise en place pour exécuter la citation à comparaître délivrée par la Cour et notifier celle-ci à la personne visée. La procédure nationale utilisée doit permettre l’exécution des conditions restrictives de liberté imposées par la Cour.

B. Remise

La délivrance d’un mandat d’arrêt par la Cour et son exécution par les autorités nationales est suivie de la remise du suspect à la Cour. Comme l’arrestation, la procédure de remise est soumise au droit interne applicable en la matière conformément aux dispositions du Statut59.

53 Art. 92(3) 54 La question de la comparution des témoins est traitée dans la section 4 du présent chapitre au sein des demandes de coopération relatives aux enquêtes et preuves. 55 Par exemple, la législation de l’Etat peut prévoit la confiscation du passeport de la personne visée dans de telles circonstances. 56 La citation contient: la date de comparution, une référence précise au crime relevant de la compétence de la Cour que la personne est censée avoir commis et l’exposé succinct des faits dont il est allégué qu’ils constituent le crime. 57 Art. 58(7). 58 Art. 58(7): La citation est notifiée à la personne qu’elle vise. 59 Art. 89(1): 1. La Cour peut présenter à tout État sur le territoire duquel une personne est susceptible de se trouver une demande, accompagnée des pièces justificatives indiquées à l'article 91, tendant à ce que cette personne soit arrêtée et lui soit remise, et sollicite la coopération de cet État pour l'arrestation et la remise de la

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La procédure nationale utilisée ou mise en place aux fins de remise d’un suspect à la CPI doit respecter l’article 91(2)(c) aux termes duquel:

Les exigences de l’Etat requis ne doivent pas être plus lourdes dans ce cas [remise à la Cour] que dans celui des demandes d’extradition présentées en application de traités ou arrangements conclus entre l’Etat requis et

d’autres Etats et devraient même, si possible, l’être moins, eu égard au caractère particulier de la Cour. 1. La distinction entre remise et extradition Le Statut de Rome distingue la procédure de remise visée par le Statut des procédures d’extradition. L’article 102 du Statut de Rome dispose à cet égard: a) On entend par «remise» le fait pour un Etat de livrer une personne à la Cour en application du présent

Statut. b) On entend par «extradition» le fait pour un Etat de livrer une personne à un autre Etat en application

d’un traité, d’une convention ou de la législation nationale. Cette distinction est justifiée par le “caractère particulier” de la Cour et la nécessité pour la Cour que les Etats disposent d’une procédure simplifiée par rapport aux procédures actuelles d’extradition qui comportent de nombreux délais. La particularité de la Cour est manifeste dans la mesure où il ne s’agit pas de remettre un individu aux juridictions d’un Etat où les garanties judiciaires applicables peuvent s’avérer insuffisantes voire inexistantes. Les critères applicables aux procédures d’extradition entre Etats (double incrimination, nature politique du crime, vraisemblance de procès équitable, nationalité de l’Etat requis de l’accusé, règle de la spécialité) sont justifiés lorsqu’il existe des différences entre les systèmes juridiques et les normes d’équité judiciaire des juridictions. Le Statut de la Cour pénale internationale a, au contraire, été spécialement élaboré pour que les auteurs des “crimes les plus graves qui touchent à l’ensemble de la communauté internationale” soient jugés indépendamment de toutes considérations politiques et diplomatiques. Tous les Etats Parties ont participé activement à la rédaction du Statut et des Règles de Procédure et de Preuve et pris soin d’insérer des garanties de procédure assurant que les auteurs de tels crimes seront jugés conformément aux normes les plus élevées du droit international. Compte tenu du caractère particulier de la Cour, le recours aux procédures habituelles d’extradition pour assurer la remise d’un suspect à la Cour n’apparaît donc ni justifiée, ni souhaitable. Il faut également noter que les tribunaux ad hoc ont condamné à plusieurs reprises le recours aux procédures d’extradition par un Etat aux fins de transfert d’un suspect vers le Tribunal60. Dans les arrêts Barayagwiza (I et II) et Semanza, la Chambre d’Appel du TPIR a ainsi statué que le fait d’assujettir une demande de transfert issue d’un tribunal international à des procédures nationales d’extradition est susceptibles de constituer un manquement à l’obligation de coopération. Dans les deux décisions, la Chambre d’Appel du TPIR a estimé

personne. Les États Parties répondent à toute demande d'arrestation et de remise conformément aux dispositions du présent chapitre et aux procédures prévues par leur législation nationale. 60 Arrêts Barayagwiza (I et II) et Semanza : dans ces affaires, les accusés Barayagwiza et Semanza ont été provisoirement détenus au Cameroun à la demande du Procureur du TPIR avant d’être transférés au Quartier pénitentiaire des Nations Unies à Arusha. En conséquence d’une détention de plusieurs mois au Cameroun, ces accusés ont notamment saisi la Chambre d’appel du TPIR d’allégations de violations du droit d’être mis en accusation sans délai et du droit de comparaître sans délai. Sans directement se prononcer sur la responsabilité de l’Etat camerounais au regard des violations alléguées, la Chambre d’appel du TPIR a formulé certaines conclusions qui soulignent le rôle indispensable des Etats dans la bonne exécution des demandes de coopération émises par les tribunaux ad hoc.

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que la demande de transfert présentée à l’Etat par le TPIR avait été soumise “à tort” aux procédures d’extradition61. Ces affaires font donc parfaitement apparaître que le recours aux procédures applicables entre Etats pourrait provoquer des retards injustifiés, des coûts supplémentaires et, plus grave des violations du Statut. Cependant, le Statut exige seulement que les procédures utilisées permettent la remise de la personne concernée à la Cour conformément aux dispositions du Statut. Par conséquent, le recours à la procédure d’extradition ne pourra pas être remis en cause si la loi prévoit, dans le cas d'une demande de remise à la Cour, que les critères à prendre en compte (ou à ne pas prendre en compte) en application du Statut prévalent sur les critères normalement applicables aux termes de cette législation. En particulier, les procédures d'extradition pourraient aboutir à une violation du Statut si elles menaient à considérer des questions comme l'interdiction d'extrader des ressortissants nationaux ou d'extrader vers les pays qui autorisent la peine de mort, ou autorisaient des contestations de compétence fondées sur le principe non bis in idem, contraires à l'article 89(2). .

• Par conséquent, bien qu’il puisse apparaître opportun de considérer la Cour comme possible interlocuteur d’une procédure d’extradition, le recours aux procédures applicables entre Etats pourrait provoquer des retards injustifiés, des coûts supplémentaires et, plus grave, des violations du Statut.

• Le recours à l’extradition ne pourra être remise en cause si la loi prévoit que,

dans le cas d'une demande de remise à la Cour, les critères à prendre en compte (ou à ne pas prendre en compte) en application du Statut prévalent sur les critères normalement applicables aux termes de cette législation.

2. Conséquences: l’absence de motifs de refus d’une demande de remise de la Cour Le caractère particulier de la CPI entraîne l’irrecevabilité de certains arguments permettant normalement à un Etat de refuser d’extrader un individu vers un Etat tiers. Compte tenu de ce particularisme de la CPI, les arguments fondés sur des considérations de souveraineté ou de diplomatie, et liés aux garanties de procès équitable ne constituent pas des motifs permettant de refuser la remise d’un individu à la Cour. Ne sont pas opposables à la CPI: le caractère politique de l’infraction, la possibilité d’une condamnation à un emprisonnement à perpétuité, l’exigence de la double incrimination ainsi que la nationalité de la personne dont la remise est demandée. Ce dernier point est examiné ci-dessous.

a) Certains motifs de refus inadmissibles au regard du Statut de Rome : La remise de ressortissants nationaux

61 Affaire Barayagwiza II, par. 57. Voir également l’affaire Semanza, note 137 et pars.101 à 104: Saisie d’allégations quasi-identiques à celles de l’affaire Barayagwiza, la Chambre d’appel du TPIR a conclu dans l’arrêt Semanza que :« (…) le Tribunal n’est pas responsable du délai qui s’est écoulé avant le transfert de l’Appelant au Quartier pénitentiaire du Tribunal. Les preuves qui ont été présentées devant la Chambre d’appel révèlent que le Cameroun n’était pas disposé à transférer l’Appelant avant [la date de son transfert effectif] [§ 101]. (…) Concernant le délai qui s’est écoulé entre [la date de réception au Cameroun de la demande de transfert présentée par le TPIR] et [la date du transfert effectif], (…) ce délai est attribuable à des facteurs d’ordre politique et juridique. L’Ordonnance [de transfert] a été soumise, à tort, à la procédure camerounaise d’extradition[§ 103]. La Chambre d’appel constate que le délai n’est pas imputable au Procureur (…)[§ 104]».

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Le Statut ne prévoit pas la possibilité de refuser la remise à la Cour d'une personne recherchée, sur la base de sa nationalité. Ainsi, les Etats qui ont adopté des dispositions, constitutionnelles ou législatives, interdisant l'extradition de leurs ressortissants devraient envisager que ces dispositions ne s'appliquent pas à la "remise" à la Cour. A cette fin, les Etats pourraient incorporer en droit national la différence entre l'extradition vers des Etats et la remise aux juridictions pénales internationales. Les Etats dont les lois interdisent l'extradition de nationaux doivent garder à l’esprit que la remise à la Cour ne soulève pas les même questions que celles soulevées par l'extradition vers un autre Etat. Il s’agit de juger les crimes les plus graves et la Cour offre des garanties suffisantes d'indépendance et d'équité de la procédure. Sauf à ne pas respecter ses obligations, un Etat ne peut invoquer son interdiction d'extrader ses nationaux dans ses rapports avec la Cour, quelques soient ses raisons.

• L'obligation de coopérer avec les demandes d'arrestation et de remise s'applique sans distinction fondée sur la nationalité de la personne recherchée. Les interdictions nationales, d'origine constitutionnelle ou législative, d'extrader des ressortissants ne devraient pas s'appliquer aux demandes de remise à la Cour, et les autorités nationales ne devraient pas être capables de refuser la remise sur cette base.

b) Règle de la spécialité

Le Statut fait application de la règle de la spécialité. En d'autres termes, en vertu de l'Art.101(1), une personne remise à la Cour « ne peut être poursuivie, punie ou détenue, à raison de comportements antérieurs à sa remise, à moins que ceux-ci ne soient constitutifs des crimes pour lesquels elle a été remise ». La Cour peut demander à l'Etat requis de déroger à cette règle, auquel cas "les Etats Parties sont habilités à accorder une dérogation à la Cour et doivent s'efforcer de le faire"62. Dans ce cas, les Etats Parties seront tenus par l'obligation d'arrêter et de remettre la personne si un nouveau mandat est délivré, et les procédures de recevabilité seront applicables garantissant que la Cour a correctement exercé sa compétence. L'exigence selon laquelle les Etats "s'efforcent" d'accorder la dérogation requise implique que cette dérogation doit être refusée de manière exceptionnelle63.

• Le droit national peut reconnaître la règle de la spécialité en tant que condition à la remise de personnes à la CPI, conformément à l'Art.101. En cas de demande de dérogation à la condition de spécialité, les Etats Parties devraient s’efforcer de l'accorder à la lumière du régime général du Statut.

c) L’admissibilité de contestations des demandes de coopération de la

Cour fondées sur le principe non bis in idem (interdiction d’un double jugement)

62 Art. 101(2). 63 Directives Broomhall, pp.17-18.

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En vertu de l'article 89(2), les autorités nationales seront liées par les décisions de la CPI, relatives aux contestations fondées sur le principe non bis in idem soulevées en droit national par les personnes recherchées par la Cour. Art. 89(2) Lorsque la personne dont la remise est sollicitée saisit une juridiction nationale d'une contestation fondée sur le principe non bis in idem, comme prévu à l'article 20, l'État requis consulte immédiatement la Cour pour savoir s'il y a eu en l'espèce une décision sur la recevabilité. S'il a été décidé que l'affaire est recevable, l'État requis donne suite à la demande. Si la décision sur la recevabilité est pendante, l'État requis peut différer l'exécution de la demande jusqu'à ce que la Cour ait statué. En examinant ces contestations, la Cour prendra en considération non seulement ses propres procédures, mais aussi celles de n'importe quelle juridiction eu égard au même comportement. Différer l'exécution de la demande lorsque la décision sur la recevabilité est pendante constitue un autre cas de figure dans lequel la remise à la Cour impliquera des exigences moins lourdes que celles liées à l'extradition vers un autre pays64. Eu égard à la Règle 185, lorsqu’une telle situation se présente, l’Etat est tenu de fournir à la Chambre chargée de l’affaire tous les renseignements pertinents au sujet de la contestation soulevée par la personne qui invoque le principe non bis in idem.

• Le Statut exige que, lorsqu'une personne recherchée par la Cour conteste au niveau national la recevabilité d'une demande de remise sur le fondement du principe non bis in idem, les juridictions nationales diffèrent l'exécution de la demande jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la recevabilité, conformément à l'article 89(2), au lieu de décider elles-mêmes sur le fond.

3. Demandes concurrentes: Art 90 L’hypothèse éventuelle des demandes concurrentes (pour la remise à la Cour et l'extradition vers à un autre Etat, relatives au même comportement) est résolu à l'Art.90. L'Etat requis est tenu d’informer l'Etat requérant et la Cour de cette situation65. Si l'Etat requérant est aussi un Etat Partie, l'Etat requis doit donner priorité à la demande de la Cour, si la Cour a déclaré l'affaire recevable66. Si la Cour n'a pas encore pris sa décision quant à la recevabilité, elle se prononce selon une procédure accélérée, étant informée de la demande concurrente. En attendant que la Cour prenne sa décision, l'Etat requis peut instruire la demande d'extradition de l'Etat requérant, mais ne peut procéder à l'extradition tant que la Cour n'a pas jugé l'affaire irrecevable67. Si l'Etat requérant n'est pas Partie au Statut, l'Etat Partie requis doit donner la priorité à la demande de la Cour, si celle-ci a jugé l'affaire recevable, sauf s'il est tenu par une obligation conventionnelle d'extrader vers l'Etat requérant68. Si l'affaire n'a pas été jugée recevable par la Cour, l'Etat requis peut, s'il le souhaite, instruire la demande d'extradition de l'Etat requérant69. Si l'Etat requis est soumis à une obligation internationale d'extrader la personne

64 Directives Broomhall, p.15. 65 Art. 90(1). 66 Art. 90(2). 67 Art. 90(3). 68 Art. 90(4). 69 Art. 90(5).

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concernée vers l'Etat non Partie requérant, il doit déterminer s'il y a lieu de remettre la personne à cet Etat ou à la Cour, en tenant compte de toutes les considérations pertinentes (Art.90(6)). Enfin, si la Cour a jugé une affaire irrecevable et si l'Etat requérant refuse ultérieurement l'extradition, l'Etat requis doit informer la Cour de cette décision (Art.90(8)), dans la mesure où l'examen des procédures de l'Etat requérant peut avoir été un élément de la décision d'irrecevabilité de la Cour, et le refus pourrait provoquer une révision70.

• La loi relative à la remise à la CPI devrait permettre la résolution des demandes concurrentes conformément aux règles de priorité précisées à l'Art. 90.

5. Demandes de transit Aux termes de l’article 89(3), le Statut oblige les Etats Parties, conformément aux procédures nationales, à autoriser le transport à travers leur territoire d'une personne remise à la Cour par un autre Etat, sauf dans le cas où le transit par leur territoire gênerait ou retarderait la remise71. La personne transportée reste détenue pendant le transit. Si la personne est transportée par air et si aucun atterrissage n'est prévu, aucune autorisation n'est nécessaire. Un Etat de transit peut exiger de la Cour une demande de transit si un atterrissage imprévu a lieu sur son territoire. Il place la personne en détention jusqu'à la réception de la demande de transit ou l'accomplissement effectif du transit, à condition que cette détention n'excède pas 96 heures, si la demande n'a pas été reçue dans ce délai.

• L’adoption d’une loi de mise en œuvre du Statut devrait garantir la possibilité de transport d'une personne remise à la Cour à travers le territoire national, conformément à l'Art. 89(3).

II. Droit sénégalais Les procédures d’arrestation et de remise d’un suspect à la Cour par le Sénégal doivent être mises en place de manière à garantir que le Sénégal sera en mesure de s’acquitter de son obligation de coopération en vertu du Chapitre X lorsque la CPI présentera une telle demande. Deux stratégies de mise en oeuvre peuvent être envisagées: recourir à une procédure nationale existante aménagée de manière à respecter les dispositions du Statut ou mettre en place une procédure spécifique aux demandes de la CPI. En matière d’arrestation, il semble nécessaire de recourir à la procédure d’arrestation telle que prévue par le Code de Procédure Pénale. Cependant, en matière de remise, il apparaît préférable de mettre en place une procédure distincte de l’extradition et spécifique à la remise de suspects à la CPI. A. Arrestation 1. L’exécution des mandats d’arrêt de la Cour par les autorités sénégalaises La première étape de l’arrestation est la délivrance d’un mandat d’arrêt par la Cour. Les mandats d’arrêt de la Cour ont une valeur contraignante et l’Etat est donc tenu de les exécuter d’une manière similaire aux mandats d’arrêts internationaux. Il sera donc nécessaire d’établir une procédure permettant aux mandats de la Cour d’être exécutés en droit sénégalais comme s’ils émanaient de l’autorité nationale compétente. Deux possibilités sont envisageables: 70 Directives Broomhall, pp.16-17. 71 La demande de transit peut être faite par tout moyen laissant une trace écrite (Règle 182).

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conférer une force exécutoire aux mandats de la CPI en les assimilant aux mandats d’arrêt nationaux ou prévoir la délivrance automatique d’un mandat d’arrêt national sur présentation d’un mandat de la CPI. En vertu des articles 110 à 114 du Code de Pprocédure Pénale, il existe quatre types de mandats: le mandat de comparution, d’amener, de dépôt et d’arrêt. Le mandat de comparution a pour objet de mettre l’inculpé en demeure de se présenter devant le juge à l’heure et à la date indiquées sur le mandat. Si l’inculpé fait défaut, un mandat d’amener est décerné contre lui. Le mandat d’amener est donc l’ordre donné par le juge à la force publique de conduire immédiatement l’inculpé devant lui. Le juge peut également décerner un mandat d’amener contre un témoin qui refuse de comparaître. Le mandat de dépôt est l’ordre donné par le juge au directeur de l’établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir l’inculpé. Le mandat d’arrêt est l’ordre donné à la force publique de rechercher l’inculpé et de le conduire à la maison d’arrêt indiquée sur le mandat. Ces quatre types de mandats sont le plus souvent délivrés par le juge d’instruction. Tout mandat indique l’identité de l’inculpé et le mandat d’arrêt contient l’énonciation du fait pour lequel il est décerné et les articles de loi applicables. Les mandats d’amener et de dépôt mentionnent l’inculpation. Par conséquent, le mandat de la Cour dans sa forme ne se distingue pas fondamentalement des mandats sénégalais et la procédure d’exécution des mandats prévue dans le Code de Procédure Pénale devrait être rendue applicable à l’exécution des mandats de la Cour. Les mentions et pièces jointes sont les mêmes. Une citation à comparaître de la Cour pourrait également être exécutée par la délivrance d’un mandat de comparution. Cependant, dans l’hypothèse du recours au mandat de comparution pour exécuter une citation à comparaître de la Cour, il faudrait aménager la procédure de manière à ce que le mandat de comparution puisse être assorti de conditions restrictives de liberté si la Cour demande l’exécution de telles conditions. En l’état actuel du droit, il n’apparaît pas possible d’assortir le mandat de comparution de conditions restrictives de liberté, telle que la confiscation du passeport. De telles mesures sont prévues en matière de détention provisoire mais la citation à comparaître aux termes du Statut ne rentre pas dans le cadre de la détention provisoire au sens du Code de Procédure Pénale72. La procédure de délivrance d’un mandat d’arrêt ou de comparution par un juge d’instruction sénégalais, ou l’exécution pure et simple du mandat ou de la citation de la CPI, doivent impérativement relever d’une autorité judiciaire et on pourrait à ce titre envisager qu’une demande d’arrestation de la Cour soit transmise simultanément à l’autorité judiciaire compétente pour délivrer/exécuter le mandat et à la cellule chargée de la coopération avec la Cour au Ministère de la Justice, à titre informatif.

• La procédure d’exécution des mandats de la Cour doit relever d’une autorité judiciaire: l’autorité judiciaire désignée aux fins d’exécution des demandes d’arrestation de la CPI pourrait soit conférer directement force exécutoire au mandat de la Cour, soit délivrer et faire exécuter automatiquement un mandat d’arrêt selon la procédure du Code de Procédure Pénale sur présentation d’un mandat de la CPI.

72 Art. 127 et suivants du CPP.

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• La même procédure devrait être applicable aux citations à comparaître de la

CPI. Cette procédure devrait également permettre de donner effet aux mesures restrictives de liberté dont la Cour peut assortir la citation à comparaître.

2. Déférer la personne arrêtée à l’autorité judiciaire compétente

a) “La personne arrêtée est déférée sans délai à l’autorité judiciaire compétente de l’Etat” (Art. 59(2))

En vertu des articles 122 et 123, la personne arrêtée en vertu d’un mandat d’arrêt est interrogée dans les 48h73. La procédure est accélérée en cas de mandat de comparution et l’inculpé doit alors faire l’objet d’un interrogatoire immédiat ou en cas d’impossibilité dans les 24 heures74. D’autre part, en vertu de l’article 117 Code de Procédure Pénale:

« tout inculpé arrêté en vertu d’un mandat d’amener, qui a été maintenu pendant plus de 24 heures dans la maison d’arrêt sans avoir été interrogé, est considéré comme arbitrairement détenu »

Les exigences de l’article 59(2) du Statut de Rome seront donc remplies dès lors le juge d’instruction vérifie à l’occasion de cet interrogatoire, que le mandat vise bien la personne arrêtée, que celle-ci a bien été arrêtée selon la procédure régulière et que ses droits ont été respectés. Cette audience devrait également permettre à la personne de présenter une demande de libération provisoire. Il convient de déterminer la ou les juridictions compétentes en la matière: d’un point de vue pratique il apparaît plus logique d’attribuer compétence à la juridiction dans le ressort de laquelle l’arrestation a lieu. Cependant, aux fins de centralisation de la coopération avec la Cour, on pourrait également envisager que la Cour d’Appel de Dakar ait compétence en la matière. Cependant, dans ce dernier cas, il existe un risque que le délai maximum de 48h entre l’arrestation et l’interrogatoire ne puisse être respecté et que le suspect doive être remis en liberté pour cause de détention arbitraire. Il apparaît donc plus simple d’attribuer compétence aux juridictions dans le ressort desquelles le mandat d’arrêt est exécuté (dans quel cas la Chambre d’Appel de Dakar pourrait être l’autorité chargée de conférer force exécutoire aux mandats de la Cour ou de délivrer un mandat national et de le transmettre à la juridiction dans le ressort de laquelle l’arrestation doit avoir lieu).

b) Droits de la personne ayant fait l’objet d’une arrestation Les articles 101 à 109 du Code de Procédure Pénale énoncent les droits de la personne lors d’interrogatoires et consignations. L’article 101dispose:

Lors de la première comparution et avant toute inculpation, le juge d’instruction donne avis à la personne conduite devant lui de son droit de choisir un conseil parmi les avocats inscrits au barreau ou admis au stage.

Mention de cet avis est faite au procès-verbal.

73 Art.122 et 123 du CPP: Art. 122 : L’inculpé saisi en vertu d’un mandat d’arrêt est conduit sans délai dans la maison d’arrêt indiquée sur le mandat (…) Art 123: Dans les 48 heures de l’incarcération de l’inculpé, il est procédé à son interrogatoire. A défaut, et à l’expiration de ce délai, les dispositions des articles 116(3) et 117 sont applicables (…). 74 Art. 116 du CPP.

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Ensuite le juge d’instruction constate son identité, lui fait connaître expressément chacun des faits qui lui sont imputés et l’avertit qu’il est libre de ne faire aucune déclaration. Mention et avertissement est faite au procès-

verbal. Si l’inculpé désire faire des déclarations, celles ci sont immédiatement reçues par le juge d’instruction.

L’assistance d’un défenseur est obligatoire en matière criminelle ou quand l’inculpé est atteint d’une infirmité de nature à compromettre sa défense. Dans ces cas, si l’inculpé n’a pas fait le choix d’un défenseur, le

magistrat en commet un d’office. (…)75. L’article 106 prévoit une procédure dérogatoire en cas d’urgence76. L’article 103 consacre également le droit de l’inculpé de communiquer librement avec son conseil. L’accès à un interprète en cas de besoin est également envisagé, ainsi que le droit pour la personne de garder le silence. Les exigences de l’article 55(2) du Statut de Rome semblent être remplies. Cependant au regard de l’article 55(1) certaines garanties pourraient être renforcées: il ne semble pas que les dispositions du Code de Procédure Pénale interdise qu’une personne ne soit “soumise à aucune forme de coercition, de contrainte ou de menace, ni à aucune autre forme de peine ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant” (Art. 55(1)(b) du Statut).

c) Procédure de mise en liberté provisoire La mise en liberté provisoire peut être demandée à tout moment au juge d’instruction par l’inculpé ou son conseil. La procédure de l’article 128 du Code de Procédure Pénale est applicable à défaut de dispositions législative particulière:

Sauf disposition législative particulière, lorsqu’elle n’est pas de droit, la mise en liberté provisoire peut être ordonnée d’office par le juge d’instruction après avis du procureur de la République, à charge pour l’inculpé

de prendre l’engagement de se présenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu’il en sera requis et de tenir informé le magistrat instructeur de tous ses déplacements(...).

L’article 129 détermine les délais d’octroi de la mise en liberté provisoire: le juge d’instruction a deux jours pour transmettre la demande au Procureur qui doit retourner le dossier avec ses réquisitions dans les 10 jours de la transmission du dossier au juge d’instruction qui doit statuer dans les 5 jours de la réception des réquisitions. Au total, le délai maximum de mise en liberté provisoire est donc de 17 jours après la demande. L’article 130 détermine la procédure applicable en cas de recours contre un refus de mise en liberté provisoire. La mise en liberté provisoire peut également être soumise à un cautionnement77. Si la mise en liberté provisoire est accordée, elle peut néanmoins être assortie de conditions restrictives de liberté aux termes des articles 127 ter et 130(5) du Code de Procédure Pénale78. 75 modifié par la Loi n.99-06 du 29 janvier 1999, J.O. n. 5847 du 27 février 1999, p.836. 76 Art 106 CPP: Toutefois, en cas d’urgence résultant soit de l’état d’un témoin ou d’un co-inculpé en danger de mort, soit de l’existence d’indices sur le point de disparaître, le juge d’instruction peut procéder à des interrogatoires et confrontations sans observer les formalités prévues à l’article précédent (…). 77 Art. 133 à 137 du CPP. 78 Art 127 ter: Dans tous les cas, le juge d’instruction peut, s’il l’estime nécessaire placer l’inculpé sous contrôle judiciaire. Le contrôle judiciaire consiste pour l’inculpé à se présenter à intervalles réguliers, fixés par le juge, soit à lui-même, soit à l’officier de police judiciaire qu’il désigne. Le juge aussi peut prescrire toutes autres mesures qu’il estime nécessaires pour empêcher que l’inculpé ne se soustrait à l’action de la justice ou éviter qu’il ne continue à commettre l’infraction pour laquelle il est poursuivi. Il peut notamment ordonner le retrait du passeport de l’inculpé ou interdire qu’il lui en soit délivré. La violation d’une de ces mesures entraîne l’arrestation immédiate de l’inculpé et sa mise sous mandat de dépôt. Art 130 CPP: (…) Dans tous les cas où un individu de nationalité étrangère, inculpé, prévenu ou accusé est laissé ou mis en liberté provisoire, la juridiction compétente peut lui assigner pour résidence un lieu dont il ne devra s’éloigner sans autorisation, avant non lieu ou décision définitive, sous les peines prévues à l’article 36 du Code Pénal. (…)

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Le Code de Procédure Pénale prévoit cependant qu’une demande de mise en liberté provisoire est irrecevable lorsque une personne est inculpée de certains crimes déterminés:

« Sur les réquisitions écrites dûment motivées du ministère public, le juge d’instruction est tenu de décerner mandat de dépôt contre toute personne inculpée de l’un des crimes ou délits prévus par les articles 56 à 100

[crimes et délits contre la chose publique; attroupements, réunions et rassemblements] et 255 du code pénal [ publication, diffusion de fausses nouvelles entraînant la désobéissance aux lois ou portant atteinte au moral de

la population (…)] La demande de mise en liberté provisoire d’une personne détenue préventivement pour l’un des crimes ou délits

spécifiés à l’alinéa précédent sera déclarée irrecevable si le ministère public s’y oppose par réquisitions écrites79. »

La procédure examinée ci-dessus ne semble pas poser de problème particulier. Il sera cependant nécessaire de procéder à certains aménagements au regard des dispositions de l’article 59 du Statut. Les critères de l’article 59(4) devraient être insérés dans le Code de Procédure Pénale afin que le juge d’instruction soit tenu de les passer en revue avant de prendre sa décision. Le législateur devrait également mettre en place une procédure de communication directe entre la Cour et le juge d’instruction de manière à ce que la Chambre préliminaire de la Cour soit informée de la demande de mise en liberté provisoire et qu’elle puisse immédiatement transmettre ses recommandations. Le législateur devrait aussi obliger le juge d’instruction à prendre “pleinement en considération” les recommandations de la Chambre préliminaire. Enfin si la mise en liberté provisoire est octroyée, elle devrait être assortie du contrôle judiciaire et le juge d’instruction tenu d’informer périodiquement la Chambre préliminaire de la Cour sur le régime de la mise en liberté provisoire de la personne.

• La procédure de mise en liberté provisoire prévue par les articles 128 et s. du Code de Procédure Pénale devrait être aménagée de manière à être en conformité avec l’article 59 du Statut lorsque elle s’applique à une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt et de remise de la Cour.

3. Arrestation provisoire L’arrestation provisoire visée par les articles 58(5) et 92 du Statut de Rome ne semble pas avoir d’équivalence en droit sénégalais. Elle se distingue en effet de la détention provisoire prévue dans le Code de Procédure Pénale dans la mesure où l’arrestation provisoire au sens du Statut intervient de manière préalable à la remise à la Cour lorsque la Cour ne dispose pas encore des pièces justificatives requises pour remettre la personne. Cette procédure d’urgence permet à la Cour de mettre en détention un suspect à l’encontre duquel un mandat d’arrêt a été délivré par la Cour alors même que la Cour n’est pas encore en mesure de demander la remise de cette personne. Cette mesure est provisoire et doit être suivie de la remise des pièces justificatives requises pour la remise de la personne à la Cour dans les soixante jours. A défaut de délivrance d’un mandat par la Cour dans ce délai, le suspect devra être relâché. A ce titre l’arrestation provisoire au sens du Statut se distingue de la procédure de détention provisoire ainsi que du recours au mandat de dépôt prévus au sein du Code de Procédure Pénale80. 79 Art 139 CPP: modifié par la Loi n.99-06 du 29 janvier 1999, J.O. n. 5847 du 27 février 1999, p.836. 80 La détention provisoire est régie par les articles 127 et s. du CPP. L’article 113 du CPP traite du mandat de dépôt.

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Les articles 19 et 20 de la loi sur l’extradition permettent de procéder à une arrestation provisoire au sens du Statut dans le cadre de procédure bilatérale d’extradition mais limitent celle-ci à un délai de 20 jours à l’issue desquels la personne arrêtée provisoirement sera remise en liberté si les documents requis pour son extradition n’ont pas été reçus81. La mise en œuvre de la procédure d’arrestation provisoire du Statut consisterait donc essentiellement à s’inspirer de la procédure mise en place par les articles 19 et 20 de la loi sur l’extradition et de rallonger le délai maximum de remise en liberté de l’individu à 60 jours conformément aux exigences du Statut.

• La mise en œuvre de la procédure d’arrestation provisoire prévue par les articles 58(5) et 92 du Statut consisterait donc essentiellement à s’inspirer de la procédure mise en place par les articles 19 et 20 de la loi sur l’extradition et de rallonger le délai de remise en liberté de l’individu à 60 jours conformément aux exigences du Statut.

4. Demandes de transit L’article 28 de la loi sur l’extradition traite de l’extradition par voie de transit sur le territoire sénégalais d’un individu de nationalité quelconque livré par un autre gouvernement. Il prévoit que l’autorisation de procéder au transit est accordée suite à une demande par voie diplomatique, sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’un délit politique ou purement militaire. Ce régime apparaît exclusivement applicable à l’extradition et semble être en contrariété avec l’article 89(3) du Statut qui oblige les Etats Parties à autoriser le transport à travers leur territoire d’une personne remise à la Cour, sauf dans le cas où le transit gênerait ou retarderait la remise. Le régime du transit en matière d’extradition ne peut donc être transposé au transit d’une personne remise à la CPI. Il importe en conséquence de prévoir dans la loi de mise en œuvre l’autorisation de transit par le territoire sénégalais d’une personne remise à la Cour par un autre Etat de manière conforme à l’article 89(3) du Statut.

• Les personnes remises à la Cour par un autre Etat doivent être autorisées à faire escale sur le territoire de l’Etat dans les conditions de l’article 89(3). La procédure prévue par l’article 28 de la loi sur l’extradition ne semble pas compatible avec les dispositions du Statut.

B. Remise et extradition En l’état actuel du droit, l’extradition est la seule procédure existante qui permette de procéder à la remise d’un suspect. L’extradition est réglementée par la loi sur l’extradition82. Cependant, les dispositions de la loi s’appliquent par défaut lorsque la procédure

81 Le délai de 20 jours fixé à l’article 20 de la loi 71-77 du 28 Décembre 1971 est prorogé à un mois si le territoire de l’Etat requérant est non limitrophe (pays autre que le Mali, la Guinée, la Mauritanie et la Guinée Bissau). L’article 19 de la loi précitée énonce que “en cas d’urgence et sur la demande directe des autorités judiciaires du pays requérant, les Procureurs de la République peuvent, sur un avis transmis, soit par la poste, soit par tout mode de transmission plus rapide laissant une trace écrite, ou matériellement équivalente, de l’existence d’une des pièces indiquées à l’article 9, ordonner l’arrestation provisoire de l’étranger. Un avis régulier de la demande devra être transmis, en même temps, par voie diplomatique, par la poste, par le télégraphe ou par le mode de transmission laissant une trace écrite, au Ministère des Affaires Etrangères. » 82 Loi No. 71-77 du 28 décembre 1971.

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d’extradition n’a pas fait l’objet d’une Convention entre les Etats concernés83. Le Sénégal a conclu un certain nombre de conventions de coopération judiciaire et d’extradition qui réglementent les procédure d’extradition84. 1. Le caractère inapproprié du recours à la procédure d’extradition sénégalaise aux fins de remise d’une personne à la CPI Certaines dispositions de la loi sur l’extradition, reprises dans les conventions bilatérales et multilatérales, ne semblent pas compatibles avec les exigences du Statut de Rome et rendent la procédure d’extradition particulièrement inappropriée pour la remise de suspects à la CPI. La procédure d’extradition sénégalaise est incompatible avec les exigences prévues par le Statut de Rome en ce qui concerne les points suivants. Interdiction d’extrader les nationaux En vertu du droit sénégalais, l’extradition n’est pas accordée lorsque la demande vise un ressortissant sénégalais. Aux termes des articles 3 et 5 de la loi sur l’extradition:

« Art.3: Le Gouvernement sénégalais peut livrer, sur leur demande, aux gouvernements étrangers, tout individu non sénégalais qui, étant l’objet d’une poursuite intentée au nom de l’Etat requérant ou d’une condamnation exécutoire prononcée par ses tribunaux, est trouvé sur le territoire de la République. »

« Art.5: L’extradition n’est pas accordée: 1) lorsque l’individu, objet de la demande, est national

sénégalais(… ) »

Les conventions d’assistance judiciaire et d’extradition incorporent toutes l’interdiction d’extrader des ressortissants nationaux85. Certaines d’entre elles assortissent cette clause d’un second alinéa dans les termes suivants:

« Si la personne dont l’extradition est demandée est un national de l’Etat requis, cet Etat s’engage, dans la mesure où il a compétence pour la juger, à la poursuivre si elle a commis, sur le territoire de l’autre Etat, des

infractions punies comme crime ou délit dans les deux Etats86. »

83 Article premier de la loi sur l’extradition: En l’absence de traités, les conditions, la procédure et les effets de l’extradition sont déterminés par les dispositions de la présente loi qui s’applique également aux points qui n’auraient pas été expressément réglementés par lesdits traités. 84 Les conventions utilisées aux fins de la rédaction de cette section sont: la Convention de coopération en matière judiciaire entre la France et le Sénégal, signée à Paris le 29 mars 1974, JOS 1987, p. 182 et S. la Convention de coopération judiciaire d’exécution des jugements et d’extradition entre le Maroc et le Sénégal, en date du 3 juillet 1967, JOS 1986, p. 136 et S., la Convention générale de coopération en matière de justice entre la Guinée et le Sénégal, signée à Dakar le 22 juin 1962, JOS 1966 p. 420, Convention attributive de compétence aux juridictions nationales pour les infractions commises par les militaires et assimilés engagés dans une action commune de l’ANAD (Accord de Non-Agression et d’Assistance en Matière de Défense), signée à Nouakchott le 21 avril 1987, JOS 1988, p.103. Cet accord lie le Sénégal, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire et le Togo. Cependant le Sénégal est également lié par les accords suivants: Convention du 13 avril 1954 avec la Tunisie, JOS 1988, p. 201 et S.; Convention du 8 avril 1965 avec le Mali, JOS 1959 p. 136 et S.; Convention du 28 avril 1973 avec la Gambie, JOS 1983 p. 960 et S.; Convention du 8 janvier 1975 avec la Guinée-Bissau, JOS 1986 p. 118 et S. et dans le cadre de l’Union Africaine et Malgache (UAM): Convention du 12 septembre 1961, JOS 1967, p. 900: accord liant le Sénégal, Centrafrique, Cameroun, Bénin, Burkina-Faso, Niger, Tchad, Gabon, Congo, Côte d’Ivoire, Madagascar, Mauritanie. 85 Maroc: Art.39: “L’extradition que chacun des deux pays s’engage à exécuter ne s’applique pas à ses propres citoyens (…)”; France: Art. 60: “Les deux Etats n’extradent pas leurs nationaux respectifs (…)” ANAD: Art. 43; Guinée: Art. 34. 86 Voire, inter alia, Art. 60 de la Convention avec la France.

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Dans la mesure où la CPI ne serait de toute manière pas compétente dans l’hypothèse où l’Etat requis aurait jugé ou commencer à poursuivre un tel crime, rien de justifierait le recours à cette condition dans la procédure de remise d’une personne à la Cour. Double incrimination : La loi sur l’extradition exige que le fait pour lequel l’extradition est demandée soit puni d’une peine criminelle ou correctionnelle par la loi sénégalaise87. De plus, le gouvernement sénégalais ne peut livrer un individu, sur demande d’un gouvernement étranger, que si cet individu est l’objet d’une poursuite intentée au nom de l’Etat requérant ou d’une condamnation exécutoire prononcée par ses tribunaux88. Les conventions d’assistance judiciaire confirment le recours à la condition de double incrimination en matière d’extradition89. Si l’on retient une interprétation large de l’article 4 de la loi sur l’extradition, sa seule exigence est que les faits incriminés fassent l’objet d’une double qualification pénale, dans l’Etat requérant d’une part et dans l’Etat requis d’autre part. Cependant, il n’est pas exclu qu’une interprétation plus stricte soit retenue selon laquelle l’incrimination retenue dans l’Etat requis et dans l’Etat requérant devraient être similaires. Le recours à une interprétation stricte serait donc particulièrement problématique au regard du Statut qui ne prévoit pas que l’exigence d’une double incrimination puisse faire obstacle à la remise d’une personne recherchée par la Cour. L’exigence de la double incrimination emporte également des conséquences en matière de complémentarité dans la mesure où si cette exigence était maintenue dans son sens strict, elle impliquerait d’autant plus que les crimes du Statut soient inscrits dans le Code Pénal de manière à ne pas faire obstacle à une demande de remise sous prétexte qu’un crime contre l’humanité n’est, par exemple, pas puni d’une peine criminelle en l’état actuel du droit90. Il semble donc que cette exigence n’ait pas, aux termes du Statut, sa place dans une procédure de remise à la Cour. De plus, on peut envisager qu’un Etat demande l’extradition d’un individu afin de le juger pour un crime du Statut. Il apparaît essentiel, au cas où une telle hypothèse se présenterait de prévoir, indépendamment de la procédure de remise, la possibilité pour le Sénégal d’extrader une personne indépendamment de l’existence d’une double incrimination des crimes du Statut entre les Etats en question. Il serait souhaitable de considérer que dès lors que les crimes sont criminalisés par le Statut, le Sénégal puisse procéder à l’extradition sur cette base même si les crimes du Statut n’ont pas été intégrés en

87 Art. 4 de la loi sur l’extradition: Les faits qui peuvent donner lieu à l’extradition, qu’il s’agisse de la demander ou de l’accorder, sont les suivantes: 1) Tous les faits punis des peines criminelles par la loi de l’Etat requérant; 2) Les faits punis de peines correctionnelles, quand le maximum de la peine encourue, aux termes de cette loi,

est de deux ans ou au dessus, ou s’il s’agit d’un condamné, quand la peine prononcée par la juridiction de l’Etat requérant est égale ou supérieure à deux mois d’emprisonnement.

En aucun cas l’extradition n’est accordée par le gouvernement sénégalais si le fait n’est pas puni par la loi sénégalaise d’une peine criminelle ou correctionnelle. 88 Art. 3 de la loi. 89 Maroc: Art.40: Seront sujets à extradition: 1) les individus poursuivis pour des crimes ou délits punis par la loi des deux Etats contractants d’une peine

minimum de deux ans d’emprisonnement; 2) les individus qui, pour des crime sou délits punis par la loi de l’Etat requis sont condamnés

contradictoirement ou par défaut par les juridictions de l’Etat requérant à une peine minimum de deux mois d’emprisonnement.

France: Art. 61; ANAD: Art.44 90 Sur ce point, voire le chapitre 2 relatif à la complémentarité et en particulier la première partie de la section 2 relative à la définition des crimes.

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droit interne (et donc indépendamment de la condition de double criminalisation stricto sensu). Discrétion en matière de refus d’extrader et motifs de refus inadmissibles en vertu du Statut: En vertu de la loi sur l’extradition et des conventions, le Sénégal dispose d’un pouvoir largement discrétionnaire lorsqu’il décide d’extrader, ou non, une personne vers un Etat requérant. De nombreux motifs de refus d’extrader sont prévus et la seule véritable obligation de l’Etat requis est de motiver la décision de refus. La loi prévoit notamment, dans son article 5, que l’extradition n’est pas accordée:

« 1) lorsque l’individu, objet de la demande est national sénégalais, la qualité de national étant appréciée à l’époque de l’infraction pour laquelle l’extradition est requise;

2) Lorsque le crime ou délit a un caractère politique ou lorsqu’il résulte des circonstances que l’extradition est demandée dans un but politique.

En ce qui concerne les actes commis au cours d’une insurrection ou d’une guerre civile ou par l’un ou l’autre des partis engagés dans la lutte et dans l’intérêt de sa cause, ils ne pourront donner lieu à l’extradition que s’ils constituent des actes de barbaries odieuse et de vandalisme défendus suivant les lois de la guerre, et seulement

lorsque la guerre civile a pris fin; 3) Lorsque les crimes ou délits ont été commis au Sénégal;

4) Lorsque les crimes ou délits, quoique commis hors du Sénégal, y ont été poursuivis et jugés définitivement; 5) Lorsque, d’après les lois de l’Etat requérant ou celles de l’Etat requis, la prescription de l’action s’est

trouvée acquise antérieurement à la demande de l’extradition, ou la prescription de la peine antérieurement à l’arrestation de l’individu réclamé et d’une façon générale toutes les fois que l’action

publique sera éteinte. » Compte tenu de ces différents facteurs, le recours à la procédure d’extradition en tant que telle n’apparaît pas compatible avec les exigences du Statut de Rome. Les possibilités envisageables sont traitées ci-dessous. 2. Eléments de solutions Comme l’illustrent les dispositions des lois de mise en oeuvre suisse et canadienne ci-dessous, deux possibilités s’offrent au Sénégal: aménager une procédure d’extradition simplifiée et compatible au Statut ou mettre en place une procédure de remise distincte de l’extradition. Compte tenu des conditions attachées à la procédure d’extradition sénégalaise, il apparaît plus simple de mettre en place une procédure de remise distincte de l’extradition inspirée du modèle suisse. Recourir à une procédure simplifiée d’extradition sur le modèle canadien reviendrait d’ailleurs quasiment à mettre en place une procédure distincte compte tenu de l’importance des modifications à apporter pour assurer la conformité de la procédure au Statut de Rome. III. Solutions retenues par les autres Etats Parties A. Arrestation: Loi sur la coopération suisse

• Art. 17: Recherches, arrestation et saisie • Art. 18 : Mandat de remise • Art. 19 : Détention à des fins de remise • Art. 20 : Elargissement

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B. Remise Les deux meilleures législations de référence à l’heure actuelle sont la loi canadienne et la loi suisse car elles adoptent chacune une approche différente en matière de remise tout en respectant les dispositions du Statut. La loi suisse met en place une procédure de remise distincte de l’extradition alors que le Canada a choisi de modifier sa procédure d’extradition de manière à se conformer aux exigences du Statut.

Loi suisse sur la coopération • Procédure La Suisse a introduit une procédure de remise dans son droit interne qui se distingue des procédures d’extradition. Le contenu de la demande et les pièces justificatives qui doivent accompagner le mandat d’arrêt délivré par la Cour sont énoncés à l’article 16 de la loi. La loi met en place une procédure de contestation de la compétence de la Cour en vertu de laquelle le service central peut ajourner l’exécution de la demande jusqu’à ce que la Cour ait statuée (art. 15(2) et 21). La loi prévoit la possibilité de remettre un ressortissant suisse à la Cour sous réserve que celui-ci soit restitué à la Suisse à l’issue de la procédure (art 15(3)). La procédure établie requiert une autorisation de remise qui est octroyée par le service central en vertu de l’article 23. La loi établit également une procédure de remise simplifiée lorsque la personne consent à être remise à la Cour.

• Principe et conditions : Art. 15 • Décisions de remise : Art. 21 « droit d’être entendu », Art. 22 « Remise simplifiée »,

Art. 23 « autorisation de remise ». • Exécution de la demande de remise : Art. 24, 25 et 27.

• Règle de la spécialité : Art. 26 • Demandes concurrentes : Art. 13 • Transit : Art. 12

Loi canadienne : Art 47 à 53 modifiant la loi sur l’extradition Le Canada n’a pas choisi d’instaurer une procédure de remise distincte de l’extradition mais a procédé à des amendements de sa procédure d’extradition aux fins de la remise d’un personne à la Cour conformément aux dispositions du Statut. Cependant, la spécificité de la procédure est clairement établie et le texte même de la loi, bien qu’il modifie la loi sur l’extradition, mentionne les “demandes de remise” de la Cour (et au même titre d’ailleurs que celles des tribunaux internationaux ad hoc). La procédure est d’ailleurs profondément différente de la procédure ordinaire d’extradition et conforme aux dispositions du Statut: en vertu de l’article 48, quiconque fait l’objet d’une demande de remise présentée par la CPI ne peut bénéficier d’immunités. L’article 52 écarte l’applicabilité des motifs de refus d’extrader ordinaires. De plus, les délais indiqués sont réduits de manière à permettre une remise/extradition accélérée. Enfin, l’article 53 réglemente le transit d’une personne destinée à être remise à la Cour et transitant au Canada.

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RECAPITULATIF: Arrestation et remise

1. Dispositions générales relatives aux demandes de coopération de la CPI

STATUT

1. Voies de transmission, forme et caractère confidentiel des demandes de coopération de la CPI : Art. 87(1), 50(2), 91 et 96. 2. Recours à la procédure de consultation avec la Cour en cas de difficultés dans l’exécution des demandes de coopération présentées par la Cour : Art. 97 et 87(7). 3. Sursis à exécution des demandes de coopération de la Cour : Art. 94 et 95 4. Exécution des demandes de coopération : Art. 99(1)

• Recours à la procédure nationale : L’Etat requis est tenu de donner suite aux demandes de coopération de la Cour conformément à la procédure prévue par sa législation et doit communiquer à la Cour les dispositions de sa législation nationale susceptibles d’entraver ou de retarder l’exécution de demandes de coopération.

• Conférer force exécutoire aux demandes de la Cour : L’Etat Partie doit mettre en place une procédure de vérification du contenu des demandes d’arrestation et de remise provenant de la CPI qui permet de transmettre ensuite la demande sous forme obligatoire à l’autorité compétente pour l’exécuter.

DROIT SENEGALAIS

1. Transmission et exécution des demandes de coopération • Il importe de déterminer l’autorité chargée de recevoir les demandes de coopération de la Cour. Le

Sénégal a choisi la voie diplomatique de transmission des demandes mais il reste à déterminer si une autorité spécifique à la coopération avec la CPI ne devrait pas être mise en place. La création d’un bureau chargé des relations avec la Cour rattaché au Ministère de la Justice et composé des membres des différentes autorités susceptibles d’être concernées par les demandes de la Cour apparaît la manière la plus simple et efficace d’assurer une voie de communication fluide entre la Cour et le Sénégal.

• Il serait souhaitable que les demandes arrivent simultanément au Ministère de la Justice et au

Parquet général qui serait alors tenu de leur donner suite et de les transmettre au juge d’instruction qui à son tour délivrerait les commissions rogatoires nécessaires à l’exécution de la demande de la Cour au Sénégal. Une autre option consisterait à prévoir la transmission des demandes directement à la Chambre d’accusation. L’intervention d’une de ces autorités permettrait que le pouvoir judiciaire soit impliqué dès l’arrivée des demandes émanant de la CPI.

• Les juridictions compétentes pour l’exécution des demandes devraient être désignées de manière à

assurer une certaine centralisation de l’exécution des demandes. On pourrait envisager que les juridictions compétentes soient dans un premier temps celles du lieu d’arrestation puis la Cour d’Appel de Dakar.

• La procédure mise en place aux fins de l’exécution des demandes doit permettre de respecter le

caractère confidentiel de la demande de coopération présentée par la Cour. 2. Consultations Le recours à la procédure de consultation prévue par le Statut en cas de difficultés liées à l’exécution devrait être inscrite dans la loi de mise en œuvre.

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3. Sursis à exécution des demandes La législation nationale peut prévoir la possibilité de surseoir à l’exécution d’une demande sous réserve que le sursis à exécution soit conforme aux conditions énoncées dans les articles 94 et 95. En ce qui concerne le sursis de l’article 94 du Statut, l’Etat pourrait notamment mettre en place une procédure lui permettant de vérifier si l’exécution d’une demande nuit à une enquête ou à une poursuite en cours au niveau national. SOLUTIONS RETENUES PAR D’AUTRES ETATS PARTIES • Suisse : Art. 2, 3, 24(2), 39-44.

2. Demandes d’arrestation d’une personne par la Cour

STATUT : Art. 58, 59, 89 et 91

Sous réserve des dispositions de l’article 59, le Statut renvoie au droit national en ce qui concerne la procédure d’arrestation.

1. Délivrance et exécution des mandats d’arrêt de la CPI a) Exécution des mandats de la Cour Les Etats Parties doivent reconnaître la valeur exécutoire des mandats d’arrêts de la Cour en droit

interne ou mettre en place une procédure afin de permettre leur exécution rapide par les autorités nationales saisies.

b) Audience devant une autorité judiciaire compétente suite à l’arrestation d’une personne recherchée par la CPI

• L’Etat doit disposer d’une procédure nationale selon laquelle la personne arrêtée est déferrée à une autorité judiciaire compétente qui vérifie que le mandat vise bien la personne arrêtée, que celle-ci a été arrêtée selon la procédure régulière et ses droits ont été respecté (Art. 59(2)).

• L’Etat doit disposer d’une procédure permettant à l’autorité judiciaire d’examiner une demande de mise en liberté provisoire (Art. 59(3)).

c) Droits de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt

• La procédure nationale utilisée pour l’arrestation et la remise d’un suspect doit être respectueuse des droits de la personne et de la présomption d’innocence. Si le suspect est interrogé, les droits prévus par l’article 55(2) du Statut doivent être respectés par les autorités nationales. Les dispositions de l’article 55(1) devraient également être respectées.

• Par conséquent, les lois applicables aux droits des personnes faisant l’objet d’un mandat

d’arrêt devraient incorporer les garanties mentionnées aux articles 66 et 55, ainsi que les autres garanties prévues par le PIDCP et la Convention contre la torture.

d) Mise en liberté provisoire : Art. 59 (4) à (6)

• La procédure de mise en liberté provisoire doit être prévue par une loi nationale qui lie l’autorité judiciaire compétente. Cette procédure devrait être aménagée de manière à inscrire les critères de l’article 59(4) et l’obligation d’informer la Chambre préliminaire de toute demande de remise en liberté provisoire, et de prendre “pleinement en considération” les recommandations de la Chambre préliminaire avant de rendre une décision.

• Les Etats devraient considérer si une présomption en faveur de la détention n’est pas justifiée pour les crimes de la compétence de la Cour, en particulier lorsque le droit national consacre d’ordinaire le principe de mise en liberté d’une personne arrêtée.

• Une procédure devrait être établie pour que la Chambre préliminaire soit informée

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périodiquement sur le régime de la mise en liberté provisoire lorsque celle-ci a été accordée (Art. 59(6)).

2. Arrestation provisoire: Art 58(5) et 92

• Une procédure nationale doit être mise en place pour que soit exécutée immédiatement une demande d’arrestation provisoire de la Cour (Au sens du Statut, l’arrestation provisoire correspond à une mise en détention sur demande de la Cour alors même que cette dernière ne dispose pas de l’ensemble des pièces justificatives requises pour justifier sa demande d’arrestation et de remise).

• Si l’Etat n’a pas reçu les pièces justificatives dans les 60 jours, il peut remettre la personne en

liberté mais il sera tenu de procéder à une nouvelle arrestation lors de la réception des pièces justificatives accompagnant la demande de remise.

3. Citation à comparaître : Art. 58 (7)

• Une procédure nationale doit être mise en place pour exécuter la citation à comparaître délivrée par la Cour et notifier celle-ci à la personne visée. Au sens du Statut, la citation à comparaître est une alternative au mandat d’arrêt que la Cour peut privilégier. La citation à comparaître est adressée uniquement à la personne inculpée par la Cour et doit être distinguée des demandes de comparution de témoins.

• La procédure nationale utilisée doit permettre l’exécution des conditions restrictives de liberté imposées par la Cour.

DROIT SENEGALAIS

1. Exécution des mandats de la CPI par les autorités sénégalaises a) Exécution des mandats d’arrêt et des citations à comparaître de la CPI

• La procédure d’exécution des mandats de la Cour doit relever d’une autorité judiciaire: l’autorité judiciaire désignée aux fins d’exécution des demandes d’arrestation de la CPI pourrait soit conférer directement force exécutoire au mandat de la Cour, soit délivrer et faire exécuter automatiquement un mandat d’arrêt selon la procédure du Code de Procédure Pénale sur présentation d’un mandat de la CPI.

• La même procédure devrait être applicable aux citations à comparaître de la CPI. Cette

procédure devrait également permettre de donner effet aux mesures restrictives de liberté dont la Cour peut assortir la citation à comparaître.

b) Audience de la personne arrêtée devant une autorité judiciaire compétente Les articles 122 et 123 du CPP prévoient, en conformité avec le Statut, que la personne arrêtée est déférée sans délai à l’autorité judiciaire compétente. c) Droits de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt Les droits des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt sont prévus par les articles 101 à 109 du CPP et semblent en conformité avec l’article 55 du Statut à l’exception notable du fait que le CPP n’interdise pas qu’une personne soit soumise « à aucune forme de coercition, de contrainte ou de menace, ni à aucune forme de peine ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant »(Art. 55(1)(b) du Statut) lors de son arrestation. Le CPP devrait incorporer cette garantie. d) Mise en liberté provisoire La procédure de mise en liberté provisoire prévue par les articles 128 et s. du CPP devrait être aménagée de manière à être en conformité avec l’article 59 du Statut lorsque elle s’applique à une

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personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt et de remise de la Cour. 2. Arrestation provisoire La mise en œuvre de la procédure d’arrestation provisoire prévue par les articles 58(5) et 92 du Statut consisterait donc essentiellement à s’inspirer de la procédure mise en place par les articles 19 et 20 de la loi sur l’extradition et de rallonger le délai de remise en liberté de l’individu à 60 jours conformément aux exigences du Statut. SOLUTIONS RETENUES PAR D’AUTRES ETATS PARTIES

Voire les articles cités dans les solutions retenues par d’autres Etats Partie en matière de remise. 3. Demandes de remise d’une personne par la Cour

STATUT 1. Distinction entre extradition et remise

• Art. 102 et Art. 91(2)(c): Les exigences de l’Etat requis ne doivent pas être plus lourdes que celles des demandes d’extradition présentées en application de traités ou arrangements conclus entre l’Etat requis et d’autres Etats et devraient même, si possible, l’être moins, eu égard au caractère particulier de la Cour.

• Par conséquent, bien qu’il puisse apparaître opportun de considérer la Cour comme possible

interlocuteur d’une procédure d’extradition, le recours aux procédures applicables entre Etats pourraient provoquer des retards injustifiés, des coûts supplémentaires et, plus grave des violations du Statut

• Le recours à l’extradition ne pourra être remise en cause si la loi prévoit que, dans le cas d'une

demande de remise à la Cour, les critères à prendre en compte (ou à ne pas prendre en compte) en application du Statut prévalent sur les critères normalement applicables aux termes de cette législation.

2. Absence de motifs de refus d’une demande de remise à la Cour

• Remise de ressortissants nationaux à la Cour : L'obligation de coopérer avec les demandes d'arrestation et de remise s'applique sans distinction fondée sur la nationalité de la personne recherchée. Les interdictions nationales, d'origine constitutionnelle ou législative, d'extrader des ressortissants ne devraient pas s'appliquer aux demandes de remise à la Cour, et les autorités nationales ne devraient pas être capables de refuser la remise sur cette base.

• Règle de la spécialité : Art. 101(1) Le droit national peut reconnaître la règle de la spécialité en tant que condition à la remise de personnes à la CPI, conformément à l'Art.101. En cas de demande de dérogation à la condition de spécialité, les Etats Parties devraient d'efforcer de l'accorder à la lumière du régime général du Statut.

• Non bis in idem (Art. 89(2)) Le Statut exige que, lorsqu'une personne recherchée par la Cour conteste au niveau national la recevabilité d'une demande de remise sur le fondement du principe non bis in idem, les juridictions nationales diffèrent l'exécution de la demande jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la recevabilité, conformément à l'article 89(2), au lieu de décider elles-mêmes sur le fond. 3. Demandes concurrentes: Art. 90 La loi de mise en oeuvre devrait permettre la résolution des demandes concurrentes de remise conformément aux règles de priorité précisées à l'Art. 90.

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4. Demandes de transit L’adoption d’une loi de mise en oeuvre du Statut devrait garantir la possibilité de transport d'une personne remise à la Cour à travers le territoire national, conformément à l'Art. 89(3).

DROIT SENEGALAIS 1. Caractère inapproprié du recours à la procédure d’extradition sénégalaise aux fins de remise d’une personne à la CPI Les Articles 3, 4 et 5 de la loi sur l’extradition sont incompatibles avec les exigences du Statut car ils font obstacle à la remise d’un ressortissant national et conditionne l’extradition à l’existence d’une double incrimination. L’octroi d’une demande d’extradition étant discrétionnaire, la procédure apparaît d’autant plus inappropriée à la remise de personnes à la CPI.

2. Options de mise en œuvre Deux possibilités s’offrent au Sénégal : aménager une procédure d’extradition simplifiée et compatible avec le Statut ou mettre en place une procédure de remise distincte de l’extradition. Compte tenu des conditions attachées à la procédure d’extradition, il apparaît plus simple de mettre en place une procédure de remise distincte de l’extradition sur le modèle suisse.

SOLUTIONS RETENUES PAR D’AUTRES ETATS PARTIES

• Suisse : Art. 15-27 : Mise en place d’une procédure de remise distincte de l’extradition • Canada : Art. 47 à 53 : Recours à la procédure d’extradition mais la loi instaure une

procédure d’extradition dérogatoire qui est simplifiée et accélérée de manière à être en conformité avec les exigences du Statut.

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SECTION 4: Coopération en matière d’enquêtes et preuve de la Cour

I. Obligations des Etats en vertu du Statut de Rome A. Procédure et modalités d’enquête: Art 53 & s. du Statut

1. Enquêtes Les procédures d’enquêtes peuvent se dérouler sur le sol d’une des Etats Parties :

- à l’initiative de la Cour avec l’assistance de l’Etat Partie - à l’initiative de la Cour sans l’assistance de l’Etat Partie - à l’initiative de l’Etat Partie avec l’assistance de la Cour - à l’initiative de l’Etat Partie sans l’assistance de la Cour

• Procédure d’enquête L’article 53 du Statut prévoit que l’ouverture d’une enquête est décidée par le Procureur de la Cour sur la base d’informations portées à sa connaissance91. Ces informations peuvent être transmises par un Etat Partie en vertu de l’article 14 du Statut92. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies peut également, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, déférer au Procureur une situation où “un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis”(article 13(b)). Le Procureur, enfin, de sa propre initiative, en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 15 du Statut a la faculté d’ouvrir une enquête:

Le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes

relevant de la compétence de la Cour. 2. Le Procureur vérifie le sérieux des renseignements reçus. A cette fin, il peut rechercher des renseignements

supplémentaires auprès d’Etats, d’organes de l’Organisation des Nations Unies, d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales, ou d’autres sources dignes de foi qu’il juge appropriées, et

recueillir des dépositions écrites ou orales au siège de la Cour. 3. S’il conclut qu’il y a de bonnes raisons d’ouvrir une enquête, le Procureur présente à la Chambre

préliminaire une demande d’autorisation en ce sens, accompagnée des éléments justificatifs recueillis(…) . Dans ce cas, l’ouverture de l’enquête est subordonnée à l’accord de la Chambre préliminaire. Un refus d’autorisation de la Chambre préliminaire n’empêche pas le Procureur de présenter ultérieurement une nouvelle demande fondée sur des faits ou des éléments de preuves nouveaux. Pour prendre sa décision le Procureur prend en considération la crédibilité des informations reçues, la recevabilité de l’affaire au regard de l’article 17 du Statut, l’opportunité d’ouvrir une enquête au regard de la gravité des crimes et des intérêts des victimes.93 Il peut vérifier le sérieux des informations en recherchant des informations 91 Article 53(1): Le Procureur après avoir évalué les renseignements portés à sa connaissance, ouvre une enquête, à moins qu’il ne conclue qu’il n’y a pas de base raisonnable pour poursuivre en vertu du présent Statut 92 Art. 14: (1) Tout Etat Partie peut déférer au procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la cour paraissent avoir été commis, et prier si une ou plusieurs personnes particulières doivent être accusées de ces crimes. 2. L’Etat qui procède au renvoi indique autant que possible les circonstances de l’affaire et produits les pièces à l’appui dont il dispose. 93 Pour prendre sa décision, le Procureur examine :

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supplémentaires. De plus, il ne suffit pas qu’un crime relevant de la compétence de la Cour soit commis ou en voie de l’être. Le libellé de l’article 53(1) laisse penser que les alinéas 53(1)(a)(b) et (c) sont cumulatifs. Lorsque sa décision de ne pas ouvrir une enquête est fondée uniquement sur l’existence de raisons sérieuses de penser qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice, le Procureur doit en informer la Chambre préliminaire. Celle-ci peut étudier la décision du Procureur de ne pas ouvrir d’enquête et demander au Procureur l’examiner de nouveau. • Pouvoirs du Procureur en matière d’enquêtes

Article 54 : devoirs et pouvoirs du procureur en matière d’enquêtes Le Procureur

a) pour établir la vérité, étend l’enquête à tous les faits et éléments de preuve qui peuvent être utiles pour déterminer s’il y a responsabilité pénale au regard du présent Statut et, ce faisant, enquête tant à charge

qu’à décharge ; b) Prend les mesures propres à assurer l’efficacité des enquêtes et des poursuites visant des crimes relevant

de la compétence de la Cour. Ce faisant, il a égard aux intérêts et la situation personnelle des victimes et témoins, y compris leur âge, leur sexe et leur état de santé ; il tient également compte de la nature du crime, en particulier lorsque celui-ci comporte des violences sexuelles, violences à motivation sexiste au sens de

l’article 7, paragraphe 3,ou des violences contre des enfants ; et c) Respecte pleinement les droits des personnes énoncés dans le présent Statut

2. Le Procureur peut enquêter sur le territoire d’un Etat : a) Conformément aux dispositions du chapitre IX; ou

b) Avec l’autorisation de la Chambre préliminaire en vertu de l’article 57, paragraphe 3, alinéa d) 3. Le Procureur peut :

a) Recueillir et examiner des éléments de preuve ; b) Convoquer et interroger des personnes faisant l’objet d’une enquête, des victimes et des témoins ;

c) Demander la coopération de tout Etat ou organisation ou dispositif gouvernemental conformément à leurs compétences ou à leur mandat respectif ;

d) Conclure tous arrangements ou accords qui ne sont pas contraires aux dispositions du présent Statut et qui peuvent être nécessaires pour faciliter la coopération d’un Etat, d’une organisation non gouvernementale

ou d’une personne ; e) S’engager à ne divulguer à aucun stade de la procédure les documents ou renseignements qu’il a obtenus,

sauf s’ils demeurent confidentiels et ne servent qu’à obtenir de nouveau éléments de preuve, à moins que l’informateur ne consente à leur divulgation ; et ;

f) Prendre, ou demander que soient prises, des mesures assurant la confidentialité des renseignements recueillis, la protection des personnes ou la préservation des éléments de preuve.

L’article 54(1)(a) prévoit que l’enquête se déroule à charge et à décharge. Tous les faits et preuves susceptibles d’établir la responsabilité pénale selon le Statut font l’objet d’un examen dans le cadre de l’enquête. Le Procureur recherche et recueille des éléments de preuve (Art.54(3)(a)). Il convoque et interroge les suspects, les témoins et victimes. (article 54.3b)). A cette fin, le Procureur peut enquêter sur le territoire d’un Etat Partie en vertu du Chapitre IX ou avec l’autorisation de la Chambre préliminaire prévue par l’article 57(3)(d). Durant le déroulement de l’enquête, le Procureur veille à ce que la confidentialité des informations et preuves recueillies soit préservée94. Cette confidentialité ne peut être levée que si la source d’information ou de preuve l’autorise. De plus, l’article 73 du Statut dispose a) si les renseignements en sa possession donnent des raisons de croire qu’un crime relevant de la compétence de la Cour a été ou est en voie d’être commis ; b) Si l’affaire est ou serait recevable au regard de l’article 17 ; c) S’il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice. 94 Art. 54(3)(e) et (f).

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que si les renseignements ou documents demandés par la Cour à un Etat Partie lui ont été transmis à titre confidentiel, cet Etat est obligé de solliciter l’autorisation de celui qui lui a remis l’information avant de la divulguer à la Cour. Si la source d’information est un Etat Partie, il consent à lever la confidentialité attachée aux informations et documents ou recherche une solution concertée avec la Cour en vertu de l’article 72 du Statut. Si la source n’est pas un Etat Partie, et refuse la communication de l’information ou du document à la Cour, alors l’Etat qui détient l’information ne peut la divulguer “en raison d’une obligation préexistante de confidentialité à l’égard de celui dont il le tient ” (Art. 73). • Article 57 : Fonctions et pouvoirs de la Chambre préliminaire en matière d’enquête Lors de l’enquête, la Chambre préliminaire accorde au Procureur tous les mandats et ordonnances nécessaires 95. Elle collabore étroitement avec le Procureur pour le bon déroulement de l’enquête. Elle prend, à la demande du Procureur, des mesures relatives à l’orientation de l’enquête, la désignation d’un expert, la désignation d’un avocat pour la défense, l’accès au dossier par un avocat de la défense, la collecte et la préservation de preuves.96 Lorsque le Procureur ne prend pas les mesures appropriées visées à l’article 56, la Chambre préliminaire le consulte afin de connaître les raisons de cette attitude. Si la Chambre n’est pas satisfaite par la justification du Procureur, elle peut prendre les mesures qu’elle estime nécessaires aux termes de l’article 56(3)(a):

a) Lorsque le Procureur n’a pas demandé les mesures visées au présent article mais que la Chambre préliminaire est d’avis que ces mesures sont nécessaires pour préserver des éléments de preuve qu’elle juge

essentiels pour la défense au cours du Procès, elle consulte le Procureur pour savoir si celui-ci avait de bonnes raisons de ne pas demander les mesures en questions. Si après consultation, elle conclut que le fait de ne pas

avoir demandé ces mesures n’est pas justifié, elle peut prendre des mesures de sa propre initiative ; b) Le Procureur peut faire appel de la décision de la Chambre préliminaire d’agir de sa propre initiative en

vertu du présent paragraphe. Cet appel est examiné selon une procédure accélérée. Elle assure également la protection des témoins, des personnes citées à comparaître, des personnes arrêtées, des informations relevant de la sécurité nationale d’un Etat Partie et des

95 Art. 85: Indépendamment des autres fonctions qui lui sont conférées en vertu du présent Statut, la Chambre préliminaire peut : a) Sur requête du Procureur, rendre les ordonnances et délivrer les mandats qui peuvent être nécessaires aux fins d’une l’enquête ; d) Autoriser le Procureur à prendre certaines mesures d’enquête sur le territoire d’un Etat Partie sans s’être assuré de la coopération de cet Etat au titre du chapitre IX si, ayant tenu compte dans la mesure du possible des vues de cet Etat, elle a déterminé qu’en l’espèce celui-ci est manifestement incapable de donner suite à une demande de coopération parce qu’aucune autorité ou composante compétente de son appareil judiciaire n’est disponible pour donner suite à une demande de coopération au titre du chapitre IX ; (….) ” 96 Article 56(1)(b): La Chambre préliminaire peut alors, à la demande du Procureur, prendre toutes mesures propres à assurer l’efficacité et l’intégrité de la procédure, en particulier, à protéger les droits de la défense (…). Article 56(2): Les mesures visées au paragraphe 1, aliéna b), peuvent consister : a) A faire des recommandations ou rendre des ordonnances concernant la marche à suivre ; b) A ordonner qu’il soit dressé procès-verbal de la procédure ; c) A nommer un expert ; d) A autoriser l’Avocat d’une personne qui a été arrêtée, ou a comparu devant la Cour sur citation, à participer à la procédure ou lorsque l’arrestation ou la comparution n’a pas encore eu lieu ou lorsque l’avocat n’a pas encore été choisi, à désigner un avocat qui représentera les intérêts de la défense ; c) A charger un de ses membres ou au besoin, un des juges disponibles de la Cour, de faire des recommandations ou de rendre des ordonnances, à sa discrétion, concernant le rassemblement et la préservation des éléments de preuve ou les interrogatoires ; f) à prendre tout autre mesure nécessaire pour recueillir ou préserver les éléments de preuve.

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preuves97. Dans le cas où l’occasion d’obtenir des renseignements ne se représentera pas, la Chambre préliminaire en est avertie par le Procureur aux termes de l’article 56 et peut prendre toute mesure propre à assurer l’efficacité et l’intégrité de la procédure et, en particulier, à protéger les droits de la défense. Dans le cadre d’une enquête, la Cour peut procéder à une arrestation provisoire telle que définie à la section 2 du présent document en vertu de l’article 58 du Statut. 2. Preuves L’article 69 du Statut énonce que :

1. Avant de déposer, chaque témoin, conformément au Règlement de procédure et de preuve, prend l’engagement de dire la vérité.

2. Les témoins sont entendus en personne lors d’une audience, sous réserve de mesures prévues à l’article 68 ou dans le Règlement de procédure et de preuve. La Cour peut également autoriser un témoin à présenter une

déposition orale ou un enregistrement vidéo ou audio, et à présenter des documents ou des transcriptions écrites, sous réserves des dispositions du présent Statut et conformément au Règlement de procédure et de

preuve. Ces mesures ne doivent être ni préjudiciables ni contraires aux droits de la défense. 3. Les parties peuvent présenter des éléments de preuve pertinents pour l’affaire, conformément à l’article 64. La Cour a le pouvoir de demander la présentation de tous les éléments de preuve qu’elle juge nécessaires à la

manifestation de la vérité. 4. La Cour peut se prononcer sur la pertinence et l’admissibilité de tout élément de preuve conformément au

Règlement de procédure et de preuve, en tenant compte notamment de la valeur probante de preuve et la possibilité qu’il nuise à l’équité du procès ou à une évaluation équitable de la déposition du témoin.

5. la Cour respecte les règles de confidentialité telles qu’elles sont énoncées dans le Règlement de procédure et de preuve.

6. La cour n’exige pas la preuve des faits qui sont notoires, mais en dresse le constat judiciaire. 7. Les éléments de preuve obtenus par un moyen violant le présent Statut ou les droits de l’homme

internationalement reconnus ne sont pas admissibles a) Si la violation met sérieusement en question la crédibilité des éléments de preuve ; ou

b) Si l’admission de ces éléments de preuve serait de nature à compromettre la procédure et à porter gravement atteinte à son intégrité.

8. Lorsqu’elle se prononce sur la pertinence ou l’admissibilité d’éléments de preuve réunis par un Etat, la Cour ne se prononce pas sur l’application de la législation nationale de cet Etat.

• Admissibilité des preuves Les règles de preuve se partagent, d’une part, entre le souci de respecter le principe selon lequel seules peuvent être condamnées des personnes dont la culpabilité est établie au delà d’un doute raisonnable et, d’autre part, de permettre l’ouverture d’une enquête, l’instruction et le procès d’une personne sur la base de preuves dont la consistance et la recevabilité sont assez souples en cas de besoin. L’article 66(3) du Statut exige que «pour condamner l’accusé la Cour doit être convaincue de sa culpabilité au delà de tout doute raisonnable ». Cette disposition qui suppose que les éléments de preuve en possession de la Cour doivent établir sans conteste la culpabilité de l’accusé, est atténuée par la Règle 63 du RPP qui prévoit qu’en matière de crimes relevant de la compétence de la Cour, et en particulier de crimes sexuels, le recoupement des informations ne devrait pas être obligatoirement requis par une Chambre de la Cour.

97 Article 57(c): En cas de besoin, assurer la protection et le respect de la vie privée des victimes et des témoins, la préservation des preuves, la protection des personnes qui ont été arrêtées ou ont comparues sur citation, ainsi que la protection des renseignements touchant à la sécurité nationale (…).

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Sans préjudice du paragraphe 3 de l’article 66, les Chambres n’imposent pas l’obligation juridique de corroborer la preuve des crimes relevant de la compétence de la Cour, en particulier des crimes de violences sexuelles98. L’admissibilité des preuves présentées par le Procureur est un point essentiel car selon l’article 74 du Statut, «la Chambre de première instance fonde sa décision sur son appréciation des preuves et sur l’ensemble des procédures». Elle ne peut aller au-delà des faits et des circonstances décrits dans les charges et les modifications apportées à celle-ci. Elle est fondée sur les preuves produites et examinées au procès99. Par conséquent, la mise en cause de la responsabilité pénale de personnes en vertu des dispositions du Statut dépend de la nature et de la qualité des preuves produites devant la Cour. En raison des circonstances dans lesquelles les crimes contre l’humanité, crimes de génocide et crimes de guerre, et notamment les crimes sexuels, peuvent être commis, la collecte de preuves matérielles irréfutables peut s’avérer très difficile pour le Procureur.

Règle 69:Accord en matière de preuve Le Procureur et la défense peuvent convenir que des faits invoqués dans les charges, la teneur d’un document, le témoignage attendu d’un témoin ou d’autres éléments de preuve ne sont pas contestés; les Chambres peuvent

alors considérer les faits allégués comme établis, à moins qu’elles n’estiment qu’ils doivent être exposés de façon plus complète dans l’intérêt de la justice et, en particulier, dans l’intérêt des victimes.

Le Règlement de Preuve et de Procédure insiste particulièrement sur les critères qui guident l’admissibilité et la formes de preuves liées à la qualification des crimes sexuels. Ainsi la Règle 70 prévoit que :

Dans le cas de crimes de violences sexuelles, la Cour suit et, le cas échéant, applique les principes suivants : a) Le consentement ne peut en aucun cas être inféré des paroles ou de la conduite d’une victime lorsque la

faculté de celle-ci de donner librement un consentement véritable a été altérée par l’emploi de la force, de la menace ou de la contrainte, ou à la faveur d’un environnement coercitif;

b) Le consentement ne peut en aucun cas être inféré des paroles ou de la conduite d’une victime lorsque celle-ci est incapable de donner un consentement véritable;

c) Le consentement ne peut en aucun cas être inféré du silence ou du manque de résistance de la victime de violences sexuelles présumées;

d) La crédibilité, l’honorabilité ou la disponibilité sexuelle d’une victime ou d’un témoin ne peut en aucun cas être inférée de leur comportement sexuel antérieur ou postérieur.

• Les formes de preuves Lorsque les preuves se présentent sous la forme d’un témoignage, ce dernier peut revêtir différentes formes. La première est le témoignage devant la Cour. Dans ce cas, le témoin doit prêter serment100. Il peut être oral, de vive voix ou sur un support audio ou audiovisuel (Art.67 RPP).

Règle 72: Examen à huis clos de la pertinence ou de l’admissibilité des éléments de preuve 1. Si des éléments de preuve doivent être produits ou obtenus, y compris en interrogeant la victime ou le témoin,

pour établir la réalité du consentement de la victime de violences sexuelles présumées, ou pour établir les paroles, la conduite, le silence ou le manque de résistance de la victime ou du témoin, eu égard aux principes a) à d) de la règle 70, une notification doit être adressée à la Cour précisant la nature de ces éléments de preuve et

expliquant leur pertinence en l’espèce.

98 Règle 63(4) RPP. 99 Art. 64 Statut. 100 Règle 65 RPP.

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2. Lorsqu’elles se prononcent sur la pertinence ou l’admissibilité des preuves visées par la disposition 1 ci-dessus, les Chambres entendent à huis clos le Procureur, la défense, le témoin, la victime ou, le cas échéant, le représentant légal de celle-ci; elles s’assurent que les éléments produits ont une valeur probante suffisante eu

égard à la question considérée et tiennent compte du préjudice qu’ils peuvent causer, comme le prévoit le paragraphe 4 de l’article 69. À cette fin, les Chambres prennent en considération le paragraphe 3 de l’article

21 ainsi que les articles 67 et 68, et sont guidées par les principes a) à d) de la règle 70, particulièrement en ce qui concerne l’interrogatoire proposé des victimes.

3. Lorsqu’elles déterminent l’admissibilité des éléments de preuve visés par la disposition 2 ci-dessus, les Chambres indiquent au procès-verbal à quelles fins précises ils sont admissibles. Pour apprécier

les éléments de preuve, les Chambres appliquent les principes a) à d) de la règle 70.

• Les éléments de preuve Le Statut, dans son article 93 (1), énumère une série non limitative de preuves. Parmi les éléments de preuve que l’Etat Partie ou la Cour doivent rechercher afin d’établir l’existence d’un crime relevant de la compétence de la CPI, le Statut cite le contenu des fosses communes, les dossiers et documents officiels, le produit des crimes, matériels et objets recueillis lors de l’examen de sites et localités. L’article 93 du Statut dispose que les Etats Parties devront coopérer avec la Cour afin de rassembler toutes sortes d’éléments de preuve. Cette formulation très générale ne limite pas la Cour qui dispose d’une grande marge de manœuvre pour mener ses enquêtes. B. Implications en matière de mise en oeuvre: Art. 93 Les Etats sont tenus de coopérer aux demandes de la Cour en matière d’enquête. Cette obligation de coopération se fonde sur l’article 93 du Statut:

1. Les Etats Parties font droit conformément aux dispositions du présent chapitre et aux procédures prévues par leur législation nationale, aux demandes d’assistance de la Cour liées à une enquête ou à des poursuites

concernant : a) L’identification d’une personne, le lieu où elle se trouve ou la localisation des biens ;

b) Le rassemblement d’éléments de preuve, y compris les dépositions faites sous serment, et la production d’éléments de preuve, y compris les expertises et les rapports dont la cour a besoin. c )L’interrogatoire des personnes faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites ;

d) la signification de documents, y compris les pièces de procédure; e) Les mesures propres à faciliter la comparution volontaire devant la Cour de personnes déposant comme

témoins ou experts; f)Le transfèrement temporaire de personnes en vertu du paragraphe 7;

g) L’examen de localités ou de sites, notamment l’exhumation et l’examen de cadavres enterrés dans des fosses communes ;

h) L’exécution de perquisitions et de saisies ; i) La transmission de dossiers et de documents, y compris les dossiers et documents officiels ;

j) la protection des victimes et des témoins et la préservation des éléments de preuve ; k) L’identification, la localisation, le gel ou la saisie du produit des crimes, des biens, des avoirs et des

instruments qui sont liés aux crimes, aux fins de leur confiscation éventuelle, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi ; et

l) Toute autre forme d’assistance non interdite par la législation de l’Etat requis propre à faciliter l’enquête et les poursuites relatives aux crimes relevant de la compétence de la Cour.

2. La Cour est habilitée à fournir à un témoin ou à un expert comparaissant devant elle l’assurance qu’il ne sera ni poursuivi, ni détenu par elle à une restriction quelconque de sa liberté personnelle pour un acte ou une

omission antérieure à son départ de l’Etat requis. A la requête du Procureur ou de la Chambre préliminaire, l’Etat doit assister la Cour dans les matières énumérées à l’article 93. En cas de difficultés de l’Etat de répondre à une demande

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d’assistance, le Statut prévoit des consultations qui doivent permettre de trouver une formule d’assistance satisfaisante à la Cour et à l’Etat Partie (Art.93(3))101. • Droits de la personne L’enquête se déroule dans le respect des droits de la personne tels que définis par l’article 55 du Statut:

Article 55 : Droits des personnes dans le cadre d’une enquête 1. Dans une enquête ouverte en vertu du présent Statut, une personne :

a) n’est pas obligée de témoigner contre soi-même ni de s’avouer coupable ; b) n’est soumise à aucune forme de coercition, de contrainte ou de menace, ni à la torture ni à aucune forme de

peine ou de traitement cruel inhumain ou dégradant ; c) bénéficie gratuitement, si elle n’est pas interrogée dans une langue qu’elle comprend et parle parfaitement,

de l’aide d’un interprète compétent et de toutes traductions que rendent nécessaire les exigences de l’équité ; et d) ne peut être arrêtée ou détenue arbitrairement, elle ne peut être privée de sa liberté si ce n’est pour les

motifs et selon les procédures prévus dans le Statut. 2. Lorsqu’il y a des raisons de croire qu’une personne a commis un crime relevant de la compétence de la

Cour, et que cette personne doit être interrogée, soit par le Procureur soit par les autorités nationales en vertu d’une demande faite au titre du chapitre IX du présent Statut, cette personne a de plus les droits suivants, dont

elle est informée avant d’être interrogée : a) Être informée avant d’être interrogée qu’il y a des raisons de croire qu’elle a commis un crime relevant de la

compétence de la Cour ; b) Garder le silence, sans que ce silence soit pris en considération pour la détermination de sa culpabilité ou

de son innocence ; c) Etre assistée par le défenseur de son choix, ou si elle n’en a pas, par un défenseur commis d’office chaque

fois que les intérêts de la justice l’exigent, sans avoir dans ce cas à verser de rémunération si elle n’en a pas les moyens ;

e) Etre interrogée en présence de son conseil, à moins qu’elle n’ait renoncée à son droit d’être assistée d’un conseil.

Le Statut protège également les droits de la défense et ceux des victimes. L’article 73(3) énonce que lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées et examinées, aux stades de la procédure qu’elle estime appropriés et d’une manière qui n’est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial. La Chambre préliminaire prend également des mesures afin d’assister une personne dans la préparation de sa défense (Art. 57(3 )(b))102. • Protection des victimes L’article 54(3)(f ) dispose que le Procureur peut “prendre, ou demander que soient prises des mesures assurant la confidentialité des renseignements recueillis, la protection des personnes ou la préservation des éléments de preuve”. La Chambre préliminaire a également pour mission en cas de besoin “d’assurer la protection et le respect de la vie privée et des témoins, la préservation des preuves, la protection des personnes qui ont été arrêtées ou ont comparu sur citation (…) ”

101 Article 93(3): Si l’exécution d’une mesure particulière d’assistance décrite dans une demande présentée en vertu du paragraphe 1 est interdite dans l’Etat requis en vertu d’un principe juridique fondamental d’application générale, ledit Etat engage sans tarder des consultations avec la Cour pour tenter de régler la question. Au cours de ces consultations, il est envisagé d’apporter l’assistance demandée sous une autre forme ou sous certaines conditions. Si la question n’est pas réglée à l’issue des consultations, la Cour modifie la demande. 102 Art. 57(3)(b): A la demande d’une personne qui a été arrêtée ou a comparu sur citation conformément à l’article 58, [la chambre préliminaire peut] rendre toute ordonnance, notamment en ce qui concerne les mesures visées à l’article 56 ou solliciter tout concours au titre du chapitre IX qui peuvent être nécessaires pour aider la personne à préparer sa défense (…).

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Règle 73(5) RPP

Lorsque la divulgation d’éléments de preuve et de renseignements en vertu du présent Statut risque de mettre gravement en danger un témoin ou les membres de sa famille, le Procureur peut, dans toute procédure engagée avant l’ouverture du procès, s’abstenir de divulguer ces éléments de preuve ou renseignements et en présenter un résumé. De telles mesures doivent être appliquées d’une manière qui n’est ni préjudiciable ni contraire aux

droits de la défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial.

Règle 73(6) RPP : Un Etat peut demander à ce que des mesures de protection soient prises à l’égard de ses fonctionnaires ou

agents et des renseignements confidentiels ou sensibles. C. Limites de l’obligation de coopération 1. Les limites liées au sursis Le Statut prévoit qu’une enquête peut faire l’objet d’un sursis lorsque les dispositions de l’article 94 du Statut s’appliquent. Cet article prévoit que lorsque dans le cadre d’une enquête, une demande peut affecter le déroulement d’une autre enquête préexistante, l’Etat Partie destinataire de la demande peut surseoir à son exécution. L’article 95 prévoit également un sursis à exécution d’une demande en raison d’une exception d’irrecevabilité de la Cour. Ces deux modes de sursis peuvent être invoqués lors d’une enquête diligentée par le Procureur103.

2. Les limites liées à la sécurité nationale Le principe de coopération qui prévaut en matière d’enquête est limité par l’article 72 du Statut lorsque l’enquête concerne des renseignements relatifs la sécurité nationale. L’article 93 (4) du Statut prévoit qu’un Etat: ne peut rejeter totalement, ou partiellement, une demande d’assistance de la Cour que si cette demande a pour objet la production de documents ou la divulgation d’éléments de preuve touchant à la question de la sécurité

nationale.

L’article 72 réglemente les questions de protection de renseignements touchants à la sécurité nationale dans les termes suivants:

1. Le présent article s’applique dans tous les cas où la divulgation de renseignements ou de documents d’un Etat porterait atteinte, de l’avis de cet Etat, aux intérêts de sa sécurité nationale. Ces cas sont en particulier,

ceux qui relèvent de l’article 56, paragraphe 2 et 3, de l’article 61, paragraphe 3, de l’article 64, paragraphe 3 de l’article 67, paragraphe 2, de l’article 68, paragraphe 6, de l’article 87, paragraphe 6 et de l’article 93,

ainsi que les cas, à tout autre stade de la procédure, où une telle divulgation peut être en cause. 2. le présent article s’applique également lorsqu’une personne qui a été invitée à fournir des renseignements

ou des éléments de preuve a refusé de le faire ou en a référé à l’Etat au motif que leur divulgation porterait atteinte aux intérêts d’un Etat en matière de sécurité nationale et lorsque cet Etat confirme qu’à son avis la

divulgation de ces renseignements porterait atteinte aux intérêts de sa sécurité nationale.

L’article 73 du Statut protège également les renseignements provenant de tiers qui ne peuvent être transmis à la Cour par un Etat Partie sans l’accord de ces tiers. Cet obstacle au principe de coopération ne concerne que les informations ou preuves auxquelles une loi confère un caractère confidentiel. En cas de difficultés, le Statut prévoit des consultations et des concertations avec l’Etat Partie qui refuse d’accéder à une demande de coopération de la Cour en invoquant les dispositions des articles 72 et 73 du Statut car il estime que la

103 Les différents types de sursis sont traités dans la section 1 du Chapitre 1 « dispositions générales relatives aux demandes de coopération de la Cour ».

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divulgation d’informations porterait atteinte aux intérêts de sa sécurité nationale (Art. 72(4)).104 Les mesures que peuvent prendre la Chambre préliminaire et la Chambre d’instance dans le cadre d’une solution concertée avec l’Etat partie sont exposées dans les alinéas 5, 6 et 7 de l’article 72. II. Droit sénégalais

A. En matière d’enquête

Dans le cadre d'une enquête qu'il dirige, le juge d'instruction peut, par voie de commissions rogatoires, requérir tout juge d'instruction ou officier de police judiciaire de son ressort de procéder à des actes d'informations105. La commission rogatoire ou la délégation judiciaire indique la nature de l'infraction et les actes d'instruction qui y sont liés106

• interrogatoires de témoins Les articles 32 et 33 de la loi 71-77 du 28 décembre 1971 ne sont pas compatibles avec les dispositions du Statut. En effet, ils ne permettent pas la comparution contrainte d’un témoin résidant au Sénégal quelque soit sa nationalité lorsque la demande de comparution émane d’une autorité étrangère dans le cadre d’une instruction pénale menée à l’étranger. Par conséquent une demande de comparution devant la Cour ne pourrait être traitée selon les dispositions précitées107. Il apparaît donc nécessaire d’introduire une disposition qui 104 Article 72(4): “Si un Etat apprend que les renseignements ou des documents de l’Etat sont ou seront probablement divulgués à un stade quelconque de la procédure, et s’il estime qu’une telle divulgation porterait atteinte aux intérêts de sa sécurité nationale, cet Etat a le droit d’intervenir en vue d’obtenir le règlement de la question selon les dispositions du présent article”. L'alinéa 5 de l'article 93 du Statut prévoit que l'Etat qui invoque les dispositions de l'article 93(4) doit fournir à la Cour des alternatives de coopération. 105 Article 142 al. 1 et al 3 du CPP: le juge d'instruction peut requérir, par commission rogatoire, tout juge d'instruction ou tout juge de paix de son ressort, et par délégation judiciaire, tout officier de police judiciaire compétent dans ce ressort, de procéder aux actes d'information qu'il estime nécessaires dans les lieux soumis à la juridiction de chacun d'eux. L'officier de police judiciaire accomplit sa mission après en avoir avisé le Procureur de la République, sans être tenu de solliciter une subdélégation du juge d'instruction territorialement compétent. 106 Article 143 CPP: La commission rogatoire ou la délégation judiciaire indique la nature de l'infraction objet des poursuites. Elle est datée et signée par le magistrat qui la délivre, et revêtue de son sceau. Elle ne peut prescrire que des actes d'instructions rattachant directement à l'infraction visée poursuites et sous réserve des dispositions de l'article 94. Article 144 CPP: Les magistrats ou officiers de police judiciaire commis pour de l'exécution exercent, dans les limites de la commission rogatoire ou de la délégation judiciaire, tous les pouvoirs du juge d’instruction. Toutefois, [ils] ne peuvent procéder aux interrogatoires et aux confrontations de l'inculpé. Ils ne peuvent procéder aux auditions de la partie civile qu'à la demande ou la demande ou avec l'assentiment de celle-ci. Seuls le juge d'instruction commis rogatoirement peut décerner tous mandats tels que définis aux articles 111, 112, 113 et 114. Article 147 CPP: Dans l'exécution des délégations judiciaires par les officiers de police judiciaire, aucune nullité encourue de plein droit du fait de l'inobservation des dispositions des articles 164 et 166. Toutefois, au cas ou l'inobservation de quelque règle de procédure a été de nature à nuire aux droits des intéressées, le juge peut refaire les actes irréguliers. 107 Article 32 de la loi 77-71 du 28 Décembre 1971 «lorsque dans une cause pénale instruite à l’étranger, le Gouvernement étranger juge nécessaire la communication de pièces à conviction ou de document se trouvant entre les mains des autorités sénégalaises, la demande est faite par voie diplomatique. Il est donné suite, à moins que des considérations particulières ne s’y opposent, et sous l’obligation de renvoyer les pièces et documents » Article 33 : « si dans la cause pénale, la comparution personnelle du témoin résidant au Sénégal est jugée nécessaire par le Gouvernement étranger, le Gouvernement sénégalais, saisi de la citation par voie diplomatique, l’engage à se rendre à l’invitation qui lui a été adressée. Néanmoins, la citation n’est reçue qu’à condition que le témoin ne pourra être poursuivi et détenu que pour des faits et condamnations antérieurs à sa condamnation. »

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permettra également de recourir à une procédure plus simple que celle de l’actuel article 33 de la loi précitée en matière de comparution de témoin et qui pourra être mise en œuvre à l’égard d’un témoin ressortissant sénégalais aussi bien que d’un témoin de nationalité étrangère. Si la Cour souhaite se déplacer ou faire procéder à l’enquête par les officiers de police judiciaire, la personne dont la Cour recherche le témoignage ou la déposition doit être localisée et citée à comparaître selon les procédures en vigueur en matière d’assignation de témoins et d’interrogatoires (articles 91 à 109 CPP). L’article 32 de la loi précitée prévoit que dans le cadre d’une enquête instruite dans un Etat étranger, les demandes de pièces et documents détenus par les autorités sénégalaises font l’objet d’une demande par la voie diplomatique. L’article 32 n’est pas en mesure de traiter de manière adaptée des demandes de la Cour en matière de comparution de témoins et de communication de pièces qui font l’objet de dispositions plus contraignantes pour l’Etat Partie requis. Les modifications nécessaires devront permettre : - que la Cour ait un statut spécial mentionnée par la loi qui conférera aux demandes de la Cour liées un effet obligatoire rendant impossible un refus de coopérer ; - au Procureur de la Cour de faire une demande dans le cadre de son enquête par une voie accélérée autre que la voie diplomatique habituelle et sans possibilité pour le Gouvernement sénégalais d’opposer à la Cour une fin de non recevoir autre que celles prévues par le Statut. Le Code de Procédure Pénale prévoit que les commissions rogatoires émanant d’une autorité étrangère, avec qui le Sénégal n’est pas lié par une convention de coopération judiciaire qui en dispose autrement, sont soumises aux dispositions de la loi 71-77 du 28 décembre 1971108. Dans l’état actuel du droit, il convient donc de prévoir de conférer plein effet juridique aux demandes de la Cour en matière d'enquête, de collecte de preuve, d'interrogatoire de témoins et de suspect, de visite de site sur le territoire sénégalais. • Comparution de témoins Les significations et demandes de coopération de la Cour à des fins de comparution d’un témoin109 peuvent être exécutées selon la procédure de citation prévue par le Code de Procédure Pénale110. Il sera cependant nécessaire d'insérer dans le Code de Procédure Pénale

108 Les articles 30, 31, 32 et 33 de la loi 71-77 du 28 décembre 1971 renvoient aux dispositions de l’article 9 et 10 qui disposent que “la demande d’extradition est adressée au Gouvernement sénégalais par voie diplomatique et accompagnée, soit d’un jugement ou d’un arrêt de condamnation, soit d’un acte de procédure criminelle décrétant formellement ou opérant de plein droit le renvoi de l’inculpé ou de l’accusé devant la juridiction de répressive, soit d’un mandat d’arrêt ou de tout autre ayant la même force et décerné par l’autorité judiciaire, pourvu que ces derniers actes renferment l’indication précise du fait pour lequel ils sont délivrés et la date de ce fait. Les pièces ci-dessus mentionnées doivent être produites en original ou en expédition authentique. Le gouvernement requérant doit produire en même temps la copie des textes de loi applicables au fait incriminé. Il peut joindre un exposé des faits de la cause ” “la demande d’extradition est, après vérification des pièces, transmise, avec le dossier par le Ministère des Affaires étrangères au Ministre de la justice, qui s’adresse de la régularité de la requête (…)”. 109 Le Statut et le Code de Procédure Pénale n’ont pas la même définition de la citation à comparaître. Le Statut ainsi que le RPP dans les Règles 119(5) et 121 définissent la citation à comparaître comme une procédure alternative au mandat d’arrêt qui est donc dirigée à l’encontre du suspect. La citation à comparaître, au sens du Statut, ne concerne pas les témoins qui font, eux, l’objet d’une demande de coopération aux fins de leur comparution devant la Cour. 110 Art. 538 et suivants du CPP. Article 538 du CPP : "Les citations et signification, sauf disposition contraire des lois ou décrets, sont faites par exploits d'huissier. Les notifications sont faites par voie administrative.

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des dispositions permettant au Procureur de demander non seulement la communication de pièces et documents, la remise de personnes pour les besoins d'une enquête, mais également de se déplacer sur le sol sénégalais et de diriger les visites et fouilles et interrogatoires nécessaires à la collecte de preuve.

• Rôle de l’avocat de la défense en matière d’enquête L’instruction en droit pénal sénégalais est à charge et à décharge. Elle est dirigée par le juge d’instruction. Les dispositions du Code de Procédure Pénale ne prévoient pas la faculté pour l’avocat de la défense de participer conjointement avec le juge d’instruction à l’enquête. Ce dernier est informé de l’évolution de l’enquête, il reçoit communication du dossier avant chaque interrogatoire (Art. 105 CCP). Il assiste son client durant l’audition du juge d’instruction et lors des perquisitions et saisies diligentées lors de l’enquête. L’article 108 énonce que les conseils de l’inculpé et de la partie civile ne peuvent prendre la parole que pour poser des questions et avec l’autorisation du Juge d’instruction.

B. En matière de preuve

L’admissibilité des preuves en droit interne ne contrarie pas la mise en oeuvre du Statut. Le juge sénégalais procède par commission rogatoire, délégation de justice et mandat afin de rechercher tous les éléments de preuve nécessaires pour les besoins de l’enquête. Les demandes de perquisitions et de collectes de preuves de la Cour doivent avoir le même effet que les commissions rogatoires du juge d'instruction sénégalais par une demande adressée au Procureur de la République. Cette voie est plus rapide que celle de la voie diplomatique. Le tableau récapitulatif figurant à la page suivante reprend les différents types de demandes de coopération que la Cour peut présenter en matière de preuve et les dispositions correspondantes en droit sénégalais. 1. Gel et confiscation des produits du crime (Art. 93(3)(k)) Les articles 87 bis et 88 du Code de Procédure Pénale disposent que le juge d’instruction peut prendre des mesures conservatoires sur les biens de l’inculpé et peut saisir des espèces, lingots, effets ou valeurs dont il peut autoriser le dépôt à la caisse des dépôts et consignations si leur conservation en nature n’est pas nécessaire à la manifestation de la vérité ou la préservation des intérêts des parties. La confiscation peut intervenir à titre préalable sur demande du Ministère public aux termes des articles 87 bis, 88 et 89 du Code de Procédure Pénale. Le juge d’instruction est l’autorité compétente pour ordonner la saisie à titre de mesure conservatoire111. La saisie peut porter sur des documents mais également sur des

L'huissier ne peut instrumenter pour lui-même, pour son conjoint, pour ses parents et alliés et ceux de son conjoint, en ligne directe à l'infini, ni pour ses parents et alliés collatéraux jusqu'au degré de cousin issu de germain inclusivement". 111 Article 87 bis CPP: Lorsqu’il est saisi d’un dossier d’information, le juge d’instruction peut d’office ou sur demande de la partie civile ou du ministère public, ordonner des mesures conservatoires sur les biens de l’inculpé.

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espèces, lingots, effets ou valeurs112. Les tiers ayant des prétentions sur les objet saisis peuvent en réclamer la restitution113. Il existe donc un mécanisme permettant de saisir des biens ou valeurs à titre conservatoire. Néanmoins, il importe de mettre en place une procédure permettant de coopérer avec la CPI compte tenu du fait que les mesures conservatoires précitées ne peuvent être prises que dans le cadre d’une procédure judiciaire nationale, dans laquelle un juge d’instruction a été désigné. De plus, la possibilité de saisir des valeurs implique certes leur identification et localisation, mais pas nécessairement leur gel. La loi bancaire prévoit que les banques sont tenues de coopérer avec les autorités judiciaires en cas d'information judiciaire mais il faudrait envisager de réformer certaines dispositions en matière bancaire, afin de permettre la localisation des produits financiers des crimes, ainsi que les dispositions existantes en matière de localisation de fonds par l'Administration des Douanes et la Direction du Crédit et de la Monnaie en liaison avec les autorités monétaires. Il serait donc utile d’envisager l’adoption d’une procédure reprenant les termes du Statut, quitte à ce que celle-ci ne soit applicable qu’à des fins de coopération avec la CPI.

112 Article 88 CPP: (…) Le juge d’instruction ne maintient que la saisie des documents utiles à la manifestation de la vérité ou dont la communication serait de nature à nuire à l’instruction. (….) Si la saisie porte sur des espèces, lingots, effets ou valeurs dont la conservation en nature n’est pas nécessaire à la manifestation de la vérité ou la sauvegarde des droits des parties, il peut autoriser le greffier à en faire le dépôt à la Caisse des dépôts et consignations 113 Article 89 CPP: L’inculpé, la partie civile ou toute personne qui prétend avoir droit sur un objet placé sous main de justice peut en réclamer la restitution au juge d’instruction. Si la demande émane de l’inculpé ou de la partie civile, elle est communiquée à l’autre partie ainsi qu’au ministère public. Si elle émane d’un tiers, elle est communiquée à l’inculpé, à la partie civile et au ministère public. (…)

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2. Protection des victimes et droits de la défense • Protection des victimes Il n’existe pas de loi de portée générale en droit sénégalais organisant la protection des victimes de crimes. Il existe des dispositions du Code de Procédure Pénale organisant le témoignage à huis clos, mais pas de protection spécifique hors des locaux de la juridiction instruisant l’affaire ou le procès. Il conviendra donc de créer un dispositif qui permette la protection des victimes et témoins lors des enquêtes et procès qui mettent en œuvre le Statut de Rome. La protection prévue par le Statut à l’article 68 ne concerne que les victimes et témoins en cas de procès. Bien que l’Etat du Sénégal n’y soit pas tenu par les dispositions du Statut, il devrait insérer dans son dispositif pénal une protection dans le cadre des enquêtes afin de faciliter la collecte de témoignages, documents et preuves114. • Protection des droit de la défense Les droits de la défense sont organisés de manière satisfaisante par le Code de Procédure Pénal. III. Illustration: Loi suisse sur la coopération

• Article 28: Principe • Article 28a: Actes d'entraide • Art. 30: Respect des règles de procédure indiquées par la Cour

114 Voire Art. 37 et 89 du RPP.

Dispositions du Statut Conformité en droit sénégalais Identification des personnes lieux et localisation de biens (Art. 93 (1) a))

• Eléments de preuve admis • Revoir la procédure d’obtention de cet

élément notamment Art. 32 et 33 loi 67-71 du 28 Décembre 1971

Rassemblement d’éléments de preuve Dépositions sous serment Production d’éléments de preuve y compris l’expertise

• Eléments de preuve admis • Revoir procédure obtention de cet

élément notamment Art. 32 et 33 loi 67-71 du 28 Décembre 1971

Signification de documents (art.93 (1) d)) Pas de difficulté d’application du Statut Examen de localités et de sites ; notamment de fosses communes (Art. 93 (1) g)

• Eléments de preuve admis • Revoir procédure obtention de cet

élément Perquisitions et saisie d’éléments de preuve (art. 93 (1) h))

• Eléments de preuve admis • Revoir procédure d’obtention de cet

élément Transmission de dossier et de documents en particulier de documents officiels (art. 93 (1) i))

• Elément de preuve admis • Revoir procédure obtention de cet

élément notamment art 32 et 33 loi 67-71 du 28 Décembre 1971

Préservation d’éléments de preuve (art. 93(1) j) Pas de difficulté d’application du Statut Identification localisation et gel des produits de la criminalité (art. (1)k))

Revoir procédure mise en œuvre de mesures conservatoires sur le sol sénégalais

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• Art. 35: Actes d’instruction sur le territoire suisse: • Article 37(1): Transmission d'éléments de preuve • Art. 38: Transmission à des fins de confiscation (…)

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RECAPITULATIF : Coopération en matière d’enquêtes et preuves

STATUT 1. Modalités et procédure d’enquête

• Procédure d’enquête : Art. 53, 54 et 57. • Admissibilité des preuves : Art. 69, 66(3) et Règles 63, 69, 70 et 72.

2. Demandes de coopération en matière d’enquêtes et preuves : Art. 93

• Respect des droits de la personne lors de la procédure d’enquête : Art. 55 • Protection des victimes et témoins : Art. 54(3)(f) et Règles 73(5) et 73(6).

3. Limites à l’obligation de coopération • Suspension de l’enquête : Sursis : Art. 94 • Refus de coopérer pour des motifs liés à la sécurité nationale : Art. 93(4), 72 et 73.

DROIT SENEGALAIS 1. Exécution des demandes de coopération en matière d’enquête La plupart des demandes relevant de l’article 93(1) peuvent être exécutées par voie de commission rogatoire (Art. 142 du CPP). 2. Citation et interrogatoire de témoins

• Demandes de comparution de témoins devant la Cour : La procédure de signification et citation prévue à l’article 138 du CPP permettrait de citer des témoins sur demande de la Cour sous réserve du mode d’exécution des demandes retenu. La procédure mise en place par les articles 32 et 33 de la loi sur l’extradition est problématique car elle est complexe et passe par la voie diplomatique et surtout ne s’applique pas aux témoins de nationalité étrangère résidant au Sénégal.

• Rôle des avocats de la défense en matière d’instruction d’une affaire : Les avocats de la défense devraient être en mesure de procéder à une enquête dans la préparation de leur défense

3. Mesures conservatoires

• Gel et saisie : L’identification, localisation et la saisie de biens et avoirs à titre conservatoire sont prévus par les articles 87 bis et 88 du CPP. Cependant, la possibilité de geler des avoirs financiers n’apparaît pas être explicitement prévue. Des aménagements au CPP et à la loi bancaire pourraient s’avérer nécessaires afin de pouvoir exécuter une demande de gel présentée par la Cour.

• Protection des victimes et témoins : Il n’existe pas de loi à portée générale relative à la protection des victimes et témoins. Il serait nécessaire de mettre en place des garanties conformes au Statut en ce qui concerne des témoins et victimes impliquées dans un dans la perpétration d’un crime prévu par le Statut. Les victimes de crimes sexuels devraient se voir reconnaître une protection particulière à cet égard.

SOLUTIONS RETENUES PAR D’AUTRES ETATS PARTIES

• Suisse : Art. 28-38 • Canada : Art. 57, 58, 59, 61-69 • Afrique du Sud : Art. 14-19, Art. 21, Art. 30, Art. 35 • Nouvelle Zélande : Art. 81- 123, 157-165, Art.166-168. • Royaume Uni : Art. 28- 41.

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SECTION 5:

Exécution des peines

I. Statut de Rome En vertu du principe nulla poena sine lege, toute personne condamnée par la Cour ne peut être punie que conformément aux dispositions du Statut de Rome115. La CPI peut prononcer une peine d’emprisonnement à temps de 30 ans au plus ou, si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient, une peine d’emprisonnement à perpétuité. A la peine d’emprisonnement peuvent s’ajouter une amende et/ou la confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime116. La Cour ne peut pas prononcer la peine de mort. Les peines prononcées par la CPI n’entraînent pas de conséquences sur les peines prévues par le droit national. L’article 80 du Statut dispose dans ce sens que:

« Rien dans le présent chapitre du Statut n’affecte l’application par les Etats des peines que prévoit leur droit interne, ni l’application du droit des Etats qui ne prévoient pas les peines prévues dans le présent chapitre. »

Le Chapitre X du Statut traite de l’exécution des peines et distingue d’une part l’exécution des peines d’amende et des mesures de confiscation ordonnées par la Cour, qui s’imposent à tous les Etats Parties et, d’autre part, l’exécution des peines d’emprisonnement qui ne s’imposent qu’aux Etats Parties ayant accepté de recevoir des personnes condamnées par la CPI. A. L’exécution des peines d’emprisonnement • Consentement des Etats Seuls les Etats qui consentent à recevoir des personnes condamnées par la CPI sont tenus par les obligations relatives à l’exécution des peines. En vertu de l’article 103(1), les Etats Parties ne sont pas obligés d’accueillir des détenus à moins qu’ils n’aient expressément manifestés leur consentement par une déclaration à cet effet. Les obligations concernant l’exécution au niveau national des peines d’emprisonnement fixées par la CPI s’appliquent donc seulement aux Etats Parties qui ont volontairement déclaré à la Cour leur volonté d’accepter les personnes condamnées par la Cour. Ces obligations ne s’appliquent pas aux peines prononcées par les juridictions nationales à l’issue d’une procédure nationale117. Lorsque la Cour désigne un Etat d’exécution, elle prend en considération le principe selon lequel les Etats Parties doivent partager la responsabilité de l’exécution des peines d’emprisonnement conformément aux principes de répartition équitable énoncés dans le Règlement de procédure et de preuve ainsi que les autres facteurs indiqués dans l’article 103(3)118. 115 Article 23 du Statut: Nulla poena sine lege 116 Article 77 du Statut: Peines applicables 117 “Directives Broomhall”, p.37. 118 Article 103(3): Quand elle exerce son pouvoir de désignation conformément au paragraphe 1, la Cour peut prendre en considération: a) Le principe selon lequel les Etats Parties doivent partager la responsabilité de l’exécution des peines

d’emprisonnement conformément aux principes de répartition équitable énoncés dans le Règlement de procédure et de preuve;

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• Les Etats sont tenus par la durée des peines et les conditions d’exécution prévues

par le Statut: La peine d’emprisonnement fixée par la Cour lie les Etats Parties qui ne peuvent en aucun cas la modifier. Cependant, un Etat reste autorisé, lorsqu’il déclare sa volonté de recevoir des détenus, d’assortir son acceptation de conditions. Ces conditions doivent être agrées par la Cour et être conformes aux dispositions du Chapitre X du Statut. Les limites imposées par le Chapitre X sont significatives notamment les limites énoncées dans les articles 103 (2), 105 et 110 du Statut119. • Conditions de détention Les conditions de détention sont régies par la législation nationale de l’Etat d’exécution mais l’Etat est tenu de respecter les “règles conventionnelles internationales largement acceptées en matière de traitement des détenus”. Les Etats sont en effet liés par l’article 106 du Statut qui traite du contrôle de l’exécution de la peine et les conditions de détention dans les termes suivants:

1. L’exécution d’une peine d’emprisonnement est soumise au contrôle de la Cour. Elle est conforme aux règles conventionnelles internationales largement acceptées en matière de traitement des détenus

2. Les conditions de détention sont régies par la législation de l’Etat chargé de l’exécution. Elles sont conformes aux règles conventionnelles internationales largement acceptées en matière de traitement des détenus. Elles ne peuvent en aucun cas être ni plus ni moins favorables que celles que l’Etat chargé de

l’exécution réserve aux détenus condamnés pour des infractions similaires. (…)120 • Poursuite, extradition ou transfert d’une personne condamnée Durant l’exécution de sa peine, la personne condamnée ne peut être poursuivie, condamnée ou extradée vers un Etat tiers pour un comportement antérieur à son transfèrt dans l’Etat d’exécution, à moins que la Cour ne donne son accord121. Cette limitation cesse de s’appliquer si la personne condamnée demeure volontairement plus de 30 jours sur le b) Les règles conventionnelles du droit international généralement acceptées qui régissent le traitement des

détenus; c) Les vues de la personne condamnée; et d) La nationalité de la personne condamnée; e) Toute autre circonstance relative au crime, à la situation de la personne condamnée ou à l’exécution

effective de la peine, susceptible de guider le choix de l’Etat chargé de l’exécution. 119 L’article 103(2) prévoit que l’Etat chargé de l’exécution avise la Cour des circonstances de nature à modifier les conditions ou la durée la détention. Si la Cour ne peut accepter le changement de circonstances dont elle est avisée, elle peut désigner un nouvel Etat d’exécution. La Cour peut également à tout moment présenter une demande de coopération à l’Etat d’exécution, lui demandant de transférer la personne condamnée vers un autre Etat d’exécution. Article 110: Examen par la Cour de la question d’une réduction de peine 1. L’Etat chargé de l’exécution de la peine ne peut libérer la personne détenue avant la fin de la peine prononcée par la Cour. 2. La Cour a seule le droit de décider d’une réduction de peine. Elle se prononce après avoir entendu le condamné. Article 105: Exécution de la peine 1. Sous réserve des conditions qu’un Etat a éventuellement formulées comme le prévoit l’article 103, paragraphe 1, alinéa b), la peine d’emprisonnement est exécutoire pour les Etats Parties, qui ne peuvent en aucun cas la modifier. 2. La Cour a seule droit de se prononcer sur une demande de révision de sa décision sur la culpabilité ou la peine. L’Etat chargé de l’exécution n’empêche pas le condamné de présenter une telle demande. 120 Voire Règle 211 du RPP pour des précisions complémentaires. 121 Article 108(1).

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territoire de l’Etat d’exécution après avoir accompli la totalité de sa peine, ou s’il retourne sur le territoire de cet Etat après l’avoir quitté122. De plus en vertu de l’article 107(1)123, une personne condamnée qui n’est pas un ressortissant de l’Etat d’exécution peut, après avoir purgé sa peine, demeurer dans l’Etat d’exécution ou être transféré vers un Etat tenu, ou ayant accepté de le recevoir124. B. L’exécution des peines d’amende et des mesures de confiscation et réparation ordonnées par la Cour • Principes du Statut La Cour peut demander à un Etat Partie l’identification, la localisation, le gel ou la saisie du produit, des biens, des avoirs et des instruments qui sont liés aux crimes aux fins de leur confiscation éventuelle. L’exécution des peines d’amende et des mesures de confiscation et réparation ordonnées par la Cour s’impose à tous les Etats Parties. Le Statut prévoit que la Cour peut ajouter à la peine d’emprisonnement la “confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi”125. L’exécution de ces mesures relève des Etats Parties en vertu de l’article 109 du Statut:

Article 109: Paiement des amendes et exécution des mesures de confiscation 1. Les Etats Parties font exécuter les peines d’amende et les mesures de confiscation ordonnées par la Cour

en vertu du chapitre VII, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi et conformément à la procédure prévue par leur législation interne.

2. Lorsqu’un Etat Partie n’est pas en mesure de donner effet à l’ordonnance de confiscation, il prend des mesures pour récupérer la valeur du produit, des biens ou des avoirs dont la Cour a ordonné la

confiscation, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi. 3. Les biens, ou le produit de la vente de biens immobiliers ou, le cas échéant, d’autres biens, obtenus par un

Etat Partie en exécution d’un arrêt de la Cour sont transférés à la Cour.

L’obligation de coopération des Etats les lie donc aux fins de l’exécution des demandes de la Cour relatives aux peines d’amendes et aux mesures de confiscation du produit des crimes126. D’autre part, la Cour peut ordonner des mesures de restitution en faveur des victimes ou de leurs ayants droits, y compris sous la forme de restitution, d’indemnisation et de

122 Article 108(3). 123 Article 107 du Statut: Transfèrement du condamné qui a accompli sa peine 124 Cette sous-section est très largement inspirée de l’analyse de Bruce Broomhall dans les “Directives Broomhall”, p. 36-40. 125 Art 93(1): Les Etats Parties font droit, conformément aux dispositions du présent chapitre et aux procédures prévues par leur législation nationale, aux demandes d’assistance de la Cour liées à une enquête ou à des poursuites et concernant: (…) k) l’identification, la localisation, le gel ou la saisie du produit des crimes, des biens, des avoirs et des instruments qui sont liés aux crimes, aux fins de leur confiscation éventuelle, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi. 126 La règle 217 (“Coopération et mesures aux fins de l’exécution des peines d’amende, des mesures de confiscation ou des ordonnances de réparation”) vient renforcer l’obligation des Etats dans les termes suivants: “Aux fins de l’exécution des peines d’amende, des mesures de confiscation ou des ordonnances de réparation, la Présidence sollicite, selon le cas, une coopération et des mesures d’exécution conformément aux dispositions du Chapitre IX; elle communique copie des décisions pertinentes à tout Etat avec lequel la personne condamnée semble avoir un lien direct en raison de sa nationalité, de son domicile, de sa résidence habituelle ou du lieu de ses avoirs et de ses biens, ou avec lequel la victime a un lien de ce type. La Présidence, selon qu’il convient, informe l’Etat de toute demande présentée par un tiers ou du fait que les personnes qui ont reçu notification de procédures conduites en application de l’article 75 n’ont présenté aucune demande”.

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réhabilitation, dans les conditions définies par l’article 75127. L’article 79 prévoit la création d’un fonds au profit des victimes et de leurs familles et la Cour peut donc ordonner aux Etats Parties que le produit des amendes et des biens confisqués soit versé au fonds128. Les Etats Parties sont alors tenus d’appliquer les décisions prises par la Cour en la matière. • Prévoir des procédures nationales permettant l’exécution des demandes de la Cour Exécution des ordonnances d’amende, de confiscation et de réparation En obligeant les Etats Parties à donner effet aux peines d’amendes et aux mesures de confiscation ordonnées par la CPI, l’article 109 présume que les Etats disposeront de lois et procédures leur permettant de recouvrir les amendes et les confiscations ordonnées en vertu du Chapitre VII du Statut ainsi que d’exécuter des ordonnances de réparation. Le Statut prévoit que les Etats Parties doivent donner effet à ce type d’ordonnances “conformément à la procédure prévue par leur législation interne”129. Les Etats doivent donc mettre en place des procédure nationales leur permettant d’exécuter les ordonnances de la Cour. Les droits des tiers de bonne foi doivent être protégés. Les décisions de la Cour rendues directement contre une personne condamnée doivent être respectées en matière de :

- détermination de l’ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causés aux victimes ou à leurs ayants droit,

- ordonnance indiquant les formes de réparation appropriées (restitution, indemnisation, réhabilitation130)

Le droit national devrait donc permettre de répondre aux demandes de coopération relatives à toutes les formes de restitution, indemnisation, réhabilitation prévues par le Statut. Législation relative aux produits de la criminalité De nombreuses dispositions du Statut autorise la Cour à demander ou à ordonner l’identification, la localisation, le gel ou la saisie de produits et d’instruments liés aux crimes131. Les Etats sont donc tenus d’adopter un régime complet leur permettant de prendre ces mesures. Transfert du produit de l’exécution des jugements au Fonds au profit des victimes La Cour peut ordonner que les sommes, biens, ou produit de la vente de biens résultant de l’exécution des jugements de la Cour, soient transférés au Fonds au profit des victimes. Les procédures nationales doivent donc incorporer un mécanisme permettant un tel transfert au Fonds.

127 Voire Art 75 (“Réparation en faveur des victimes”) et Règle 218 (“Ordonnances de confiscation et réparation). 128 Article 79(2). 129 Article 109(1). 130 Voir article 75 précité. 131 Article 75(4); 57(3)(e): mesures conservatoires prises par les Etats sur demande de la Cour; Article 93(1)(k).

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II. Le droit sénégalais A. Exécution des peines d’emprisonnement Si le Sénégal déclare consentir à recevoir des personnes condamnées par la CPI, il sera alors tenu par la valeur obligatoire des peines prononcées par la Cour et tenu de mettre ses lois en conformité avec les “règles conventionnelles internationales largement acceptées en matière de traitement des détenus”. • Valeur obligatoire des peines prononcées par la CPI Compte tenu des lacunes existantes en droit sénégalais au regard de la spécificité du Statut en matière d’exécution des peines, il est essentiel que des dispositions relatives à l’exécution de la peine d’une personne condamnée par la CPI soient incorporées dans le Code de Procédure Pénale. En ce qui concerne, par exemple, la libération conditionnelle du prisonnier, le recours à la procédure des articles 699 et 700 du Code de Procédure Pénale serait problématique lorsque la personne a été condamnée par la CPI132. En effet, il découle de l’article 699, qu’un prisonnier condamné à l’emprisonnement à perpétuité pourrait bénéficier d’une libération conditionnelle au bout de quinze ans d’emprisonnement si celui ci a donné des preuves suffisantes de bonnes conduite. Or, l’article 110 du Statut de Rome prévoit que l’Etat chargé de l’exécution de la peine ne peut libérer la personne détenue avant la fin de la peine prononcée par la Cour et que seule la Cour a le droit de prononcer une réduction de peine133. Par conséquent, il semble nécessaire de mettre en place un régime distinct en matière d’exécution des peines des personnes condamnées par la CPI. Cependant, compte tenu du fait que la décision d’accorder la libération conditionnelle appartient au Ministre de la Justice, il est aussi possible d’envisager une procédure selon laquelle, lorsque le Ministre est saisi d’une demande de libération conditionnelle relative à une personne condamnée par la CPI, il saisit la Cour conformément aux articles 110 et 103(2) du Statut. Cependant, d’autres dispositions sont susceptibles de poser problème notamment les articles 739 à 754 du Code de Procédure Pénale relatifs à la réhabilitation. Une formule reprenant le modèle suisse apparaît en l’espèce adaptée dans la mesure où certaines procédures nationales sont utilisées comme telles (à titre d’entraide en ce qui concerne les mesures conservatoires) mais la procédure finale (notamment en matière de confiscation) est une procédure distincte et spécifique à la CPI, qui garantit que l’exécution soit conforme aux conditions du Statut. Cependant, dans l’hypothèse où une disposition de ce type serait introduite dans le droit interne, il sera nécessaire de déterminer si certaines dispositions du Code de Procédure Pénale restent applicables à l’exécution des peines de la CPI. Les dispositions relatives à l’exécution des sentences pénales devraient notamment

132 Art 699 CPP: 1. Les condamnés ayant à servir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle s’ils ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite et présentent des gages sérieux de réadaptation sociale. 2. La libération conditionnelle est réservée aux condamnés ayant accompli trois mois de leur peine, si cette peine est inférieure à six mois, et la moitié de la peine dans le cas contraire (…). Pour les condamnés aux travaux forcés à perpétuité, le temps d’épreuve est de 15 années. Art 700 CPP: Le droit d’accorder la libération conditionnelle appartient au ministre chargé de l’administration pénitentiaire. L’avis conforme du ministre de la justice est nécessairement requis lorsqu' il n'est pas chargé de ce service (...). 133 Article 105 et 110 du Statut.

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s’appliquer aux sentences prononcées par la CPI134. Il appartient à cet égard de prévoir une procédure visant à conférer directement aux sentences de la CPI la même force exécutoire qu’aux sentences pénales nationales. On pourrait notamment discuter de la transposition, aux décisions de la CPI, de la procédure prévue par les accords d’entraide judiciaire pour l’exécution des décisions de justice rendues à l’étranger. De plus, il est également souhaitable que les dispositions relatives à l’exécution des peines prononcées par la CPI prévoient la libération et le transfèrement des personnes à l’expiration de leur peine ou sur ordre de la Cour. Les peines et poursuites relatives à d’autres infractions devraient faire l’objet de limitations. Il pourrait être également envisagé de prévoir la procédure à suivre en cas d’évasion d’un détenu condamné par la CPI. La possibilité pour une personne libérée suite à l’exécution de sa peine de pouvoir rester sur le territoire de l’Etat d’exécution dans les conditions prévues par le Statut devrait également faire l’objet de discussions et être prévue dans les mesures internes adoptées dans le cadre de l’exécution des peines d’emprisonnement. • Conditions de détention Les conditions de détention sont régies par la législation nationale de l’Etat d’exécution si celui-ci accepte de recevoir une personne condamnée par la Cour. Cependant, en vertu de l’article 106 précité, le Sénégal doit s’assurer que sa législation permet à la Cour d’avoir accès aux lieux où les personnes condamnées purgent leur peine, et que toutes les communications entre celles-ci et la Cour sont libres et confidentielles en toutes circonstances. Les normes relatives aux conditions de détention semblent conformes aux exigences du Statut135. B. Exécution des peines d’amende, ordonnance de confiscation et réparations Les procédures applicables en matière de recouvrement des amendes, confiscation de biens et réparations en vertu du Code Pénal sont les suivantes: • Amende et réparations L’amende est susceptible d’être imposée en matière criminelle aux termes de l’article 11 du Code Pénal. Les réparations sont prononcées indépendamment des peines136. Aux termes de l’article 715 du CPP:

134 Art 679 CPP: L’exécution à la requête du ministère public a lieu lorsque la décision est devenue définitive(..) Art 680 CPP: Le procureur de la République et le Procureur général ont le droit de requérir directement l’assistance de la force publique à l’effet d’assurer cette exécution. Art 681 CPP: Sous réserve des dispositions de l’article 355, tous incidents contentieux relatifs à l’exécution sont portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence (…). Art 685 CPP: La mise à exécution des décisions judiciaires prononçant une peine privative de liberté ou ordonnant une incarcération provisoire, la garde et l’entretien des personnes qui, dans les cas déterminés par la loi, doivent être placées ou maintenues en détention en vertu ou à la suite de décisions de justice sont assurés par l’administration pénitentiaire. 135 Les règles sénégalaises en la matière figurent à l’Annexe II du Code Pénal: Décret no. 66-1081 du 31 décembre 1966 portant organisation et régime des établissements pénitentiaires modifié et complété par le décret no. 68-583 du 28 mai 1968 et le décret no. 86-1466 du 28 novembre 1986 136 Art 10 Code Pénal: [Restitution] La condamnation aux peines établies par la loi est toujours prononcée sans préjudice des restitutions et dommages-intérêts qui peuvent être dus aux parties.

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« Les arrêts et jugements contenant des condamnations en faveur des particuliers pour réparation de crimes, délits ou contraventions commis à leur préjudice sont, à leur diligence, exécutés suivant les mêmes formes et

voies de contrainte que les jugements ou arrêts portant condamnation au profit de l’Etat. » L’exécution des amendes et ordonnances de réparations peut être poursuivi par la contrainte par corps137. Le seul aménagement à prévoir en la matière consisterait donc à assurer l’exécution d’une demande de réparation émanant de la CPI, et non d’une juridiction nationale. • Confiscation L’article 11 du Code Pénal prévoit que la confiscation peut être prononcée comme peine en matière criminelle. L’objet de la confiscation est soit le corps du délit, quand la propriété en appartient au condamné, soit les choses produites par le délit ou encore celles qui ont servi ou qui ont été destinées à le commettre138. La confiscation peut être prononcée par les juridictions sénégalaises pour certains crimes et donc exécutée selon les voies d’exécution pénales ordinaires. L’article 30 du Code Pénal, qui impose la prononciation d’une peine de confiscation pour un certain nombre d’infractions particulières, dispose que “les juridictions compétentes pourront prononcer la confiscation au profit de la Nation de tous les biens présents du condamné de quelque nature qu’ils soient, meubles, immeubles, divis ou indivis”. La procédure de confiscation est prévue dans les articles 31 et 32 aux termes desquels “l’aliénation des biens confisqués est poursuivie par l’administration des domaines dans les formes prescrites pour la vente des biens de l’Etat”139. Les tiers ayant des prétentions sur les objets confisqués peuvent faire une requête à des fins de restitution140. Bien que le Code de Procédure Pénale prévoit une procédure de confiscation, certaines adaptations sont nécessaires afin que cette procédure puisse être applicable aux ordonnances de confiscation de la Cour pénale internationale. Ces ordonnances doivent se voir conférer force exécutoire en droit interne afin de pouvoir être exécutées comme les peines de confiscation prononcées par le juge sénégalais en vertu de l’article 11 du Code Pénal. Il ne faut pas non plus oublier de prévoir que le produit des biens et valeurs confisqués doit pouvoir être ensuite transféré à la Cour ou au Fonds au profit des victimes. La procédure pourrait d’ailleurs s’inspirer de celle prévue en matière d’extradition par l’article 29 de la loi n°71-77 du 28 décembre 1971141. La mise en place d’une procédure sur ce modèle devrait

137 Art 39 du Code Pénal: L’exécution des condamnations à l’amende, aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais, pourra être poursuivis par la voie de la contrainte par corps. 138 Art 11 du Code Pénal: [amende, confiscation des biens d’origine criminelle] L’interdiction de séjour, l’amende et la confiscation spéciale, soit du corps du délit, quand la propriété en appartient au condamné, soit des choses produites par le délit, soit de celles qui ont servi ou qui ont été destinées à le commettre, sont des peines communes aux matières criminelles et correctionnelles. 139 Art 32(1) du Code Pénal. 140 Art 347(2) CPP: Lorsque la décision de la Cour d’assises est devenue définitive, la chambre d’accusation est compétente pour ordonner, s’il y a lieu, la restitution des objets placés sous la main de la justice. Elle statue sur requête de toute personne qui prétend avoir droit sur l’objet ou à la demande du ministère public. 141 Art. 29 de la loi sur l’extradition: La Chambre d’accusation décide s’il y a lieu ou non de transmettre en tout ou en partie, les titres, valeurs, argent ou autres objets saisis, au Gouvernement requérant. Cette remise peut avoir lieu, même si l’extradition ne peut s’accomplir, par suite d’évasion ou la mort de l’individu réclamé. La Chambre d’accusation ordonne la restitution des papiers et autres objets énumérés ci-

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également permettre au Sénégal d’affecter les sommes, valeurs et biens confisqués dans le cadre de poursuites et condamnation de la CPI au Fonds crée par l’article 79 du Statut de Rome. • Exécution des ordonnances de condamnation à des amendes, restitutions, dommages

et intérêts Les autorités compétentes en matière d’exécution des sentences sont le Ministère Public, les parties pour les réparations, et le Trésor pour le recouvrement des amendes et confiscations142. La voie d’exécution est la contrainte par corps à la diligence du Procureur de la République aux termes de l’article 709 du Code de Procédure Pénale:

Art 709 CPP: [Contrainte par corps] Les arrêts, jugements, ordonnances et exécutoires portant condamnation au profit de l’Etat à des amendes, restitutions, dommages et intérêts et dépens en matière criminelle, correctionnelle et de simple police sont exécutés d’office par la voie de la contrainte par corps, sans commandement préalable, à la diligence du Procureur de la République qui délivre en double exemplaire les réquisitions d’incarcération tout comme

condamné qui n’aura pas payé volontairement dans les conditions fixées à l’article 711. (…)

Par conséquent, dès lors qu’une condamnation ou une ordonnance de la Cour a force exécutoire en droit sénégalais, celle-ci pourra être exécuté par la voie de la contrainte par corps si le Procureur de la République le décide. Cependant, il faut noter que la contrainte par corps ne peut jamais être appliquée ni en matière d’infraction politique, ni contre des condamnés mineurs de moins de 18 ans, ni contre ceux qui ont commencé le soixante dixième année au moment de la condamnation, ce qui est susceptible de poser problème dans le cas de condamnation de personnes de plus de 70 ans par la CPI143. Enfin, la contrainte par corps intervient dans un délai de trois mois à compter du jour où la décision est devenue définitive si la partie condamnée ne s’est pas acquittée de sa dette144.

Au regard des éléments du régime juridique applicable en droit sénégalais à l’exécution des peines d’amende et des mesures de confiscation et réparation, il apparaît donc essentiel que, quelle que soit la stratégie de mise en oeuvre retenue, le Sénégal révise le Code Pénal, le Code de Procédure Pénale et/ou les lois et procédures en vigueur afin d’être en mesure de coopérer pleinement et rapidement avec la Cour pour faire exécuter les peines d’amende et les mesures de confiscation. III. Solutions retenues par d’autres Etats Parties

Canada La loi canadienne criminalise la possession de biens d’origine criminelle ainsi que le recyclage des produits de la criminalité, obtenus ou provenant, en tout ou en partie, directement ou indirectement, d’un fait, acte ou omission, constituant un des crimes du Statut de Rome. Ces infractions sont punies d’une peine maximale de 10 ans. Le recyclage des produits de la criminalité comprend l’utilisation, l’envoi, la livraison à une personne ou un endroit, le transport, la transmission, la modification ou l’aliénation des biens ou de leur produit, le transfert de leur possession ou toutes autres opérations effectuées dans l’intention

dessus qui ne rapporte pas au fait imputé à l’étranger. Elle statue, le cas échéant, sur les réclamations des tiers détenteurs et autres ayant droits. 142 Art 678 CPP. 143 Art 711 CPP. 144 Art 712 et 717 du CPP.

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de cacher ou de convertir les biens ou produit des biens145. Les produits de la criminalité sont ceux définis comme tels par le code criminel canadien146. La loi canadienne crée un fonds national pour les crimes contre l’humanité où sont versées les sommes recueillies par suite de l’exécution des ordonnances de la CPI au Canada ou de confiscation ou d’amendes. Ces sommes peuvent être versées au fonds institué en vertu de l’article 79 du Statut de Rome147. Les demandes de gel ou de saisie de biens d’origine criminelle sont présentées au ministre qui peut autoriser le procureur général à prendre les mesures d’exécution de l’ordonnance (procédure d’homologation sur dépôt de l’ordonnance puis exécution de l’ordonnance comme un mandat national148. La même procédure est applicable pour l’exécution des ordonnances de réparation ou de confiscation ou d’une ordonnance infligeant une amende149. Une fois homologuée, l’ordonnance de la Cour a force exécutoire et peut être exécutée selon la procédure nationale correspondante. Les personnes qui semblent avoir un droit sur les biens visés sont avisées de la procédure en cours préalablement à l’exécution de l’ordonnance. Le produit de l’exécution des ordonnances est versé au Fonds pour les crimes contre l’humanité.

Suisse • Exécution des peines d’emprisonnement : Art. 50-53 • Exécution des ordonnances de confiscation, réparations et amendes : Art. 38 et 55.

Afrique du Sud • Exécution des peines d’emprisonnement : Art. 31 • Exécution des peines d’amende et ordonnances de confiscation, réparation : Art. 25 à 29

Nouvelle Zélande • Exécution des peines d’emprisonnement : Art. 139-146 • Exécution des peines d’amende et ordonnances de confiscation, réparation : Art. 111,

112, 124-126 , 132 et 135.

Royaume Uni • Exécution des peines d’emprisonnement : Art. 42-45 • Exécution des peines d’amende et ordonnances de confiscation, réparation : Articles 37 et

38, et dans les annexes 5 et 6 du projet de loi 145 Biens d’origine criminelle: article 27 et 28. 146 Article 29 de la loi: (1) les définitions de “juge” et de “produits de la criminalité” à l’article 462.3 du Code criminel et les articles 462.32 à 462.5 de cette loi s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux poursuites engagées à l’égard des infractions visées à la présente loi. (2) Pour l’application du paragraphe (1), la mention, aux articles 462.32 à 462.47 du Code criminel, d’une infraction de criminalité organisée vaut également mention d’une infraction visée à la présente loi. 147 Fonds pour les crimes contre l’humanité: Articles 30-32. 148 Art 57 portant modification de l’article 9 de la loi sur l’entraide juridique en matière criminelle dans les terme suivants: 9.1: 1. Lorsqu’une demande est présentée au ministre par la Cour pénale internationale en vue de l’exécution d’une ordonnance de blocage ou de saisie des biens d’origine criminelle, celui ci peut autoriser le procureur général du Canada à prendre les mesures d’exécution de l’ordonnance. 2. Lorsqu’il reçoit une autorisation, le procureur général du Canada peut homologuer sur dépôt une copie certifiée conforme de l’ordonnance au greffe de la cour supérieure de juridiction criminelle de la province dans laquelle on a des raisons de croire que les biens qui font l’objet de l’ordonnance sont situés. 3. Une fois homologuée, l’ordonnance est exécutée comme si elle était un mandat décerné en vertu du paragraphe 462.32(1) du code criminel ou comme si elle avait été rendue en vertu du paragraphe 462.33(3) de cette loi. 149 Art 57 portant modification de l’article 9 de la loi sur l’entraide juridique en matière criminelle.

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RECAPITULATIF: Exécution des peines de la CPI

STATUT DE ROME Exécution des peines d’emprisonnement • Art 103(1): Seuls les Etats qui ont volontairement déclaré à la Cour leur volonté d’accepter les

personnes condamnées sont tenus par les obligations prévues par le Statut en la matière: - La valeur obligatoire des peines et des conditions d’exécution des peines, - Le respect des règles conventionnelles internationales relatives aux conditions de détention. - La coopération avec la Cour au cours de la détention (communications confidentielles, visites,

transfert vers un autre Etat) et la limitation des poursuites et possibilité de rester sur territoire de l’Etat à l’issue de l’exécution de la peine.

Exécution des peines d’amendes et des ordonnances de confiscation et réparation • Art 109: Les Etats doivent disposer de procédures nationales leur permettant de faire exécuter les

peines d’amende et les mesures de confiscation ordonnées par la Cour: - Conformément à la procédure prévue par leur législation interne (obligation de mettre en place une

procédure), - Sans préjudice des droits des tiers de bonne foi. • Art 93(1): Les Etats doivent disposer de procédures nationales leur permettant d’exécuter les

demandes de coopération de la Cour relatives à l’identification, la localisation, le gel ou la saisie des produits des crimes, des biens, des avoirs et des instruments qui sont liés aux crimes conformément aux dispositions du Statut et aux procédures prévues par leur législation nationale.

• Art 75(2): Les Etats sont tenus de mettre en place une procédure nationale leur permettant

d’exécuter les ordonnances de la Cour relative aux réparations accordées aux victimes, et de prévoir la possibilité d’un transfert au Fonds en faveur des victimes (art 79).

DROIT SENEGALAIS

1. Exécution des peines d’emprisonnement • Valeur obligatoire des peines prononcées par la CPI - Il est essentiel que des dispositions relatives à l’exécution de la peine d’une personne condamnée

par la CPI soient incorporées dans le Code de Procédure Pénale. - Il est également souhaitable que les dispositions relatives à l’exécution des peines prononcées par

la CPI prévoient la libération et le transfèrement des personnes à l’expiration de leur peine ou sur ordre de la Cour. Il pourrait être également envisagé de prévoir la procédure à suivre en cas d’évasion d’un détenu condamné par la CPI.

• Conditions de détention Les conditions de détention sont régies par la législation nationale de l’Etat d’exécution, donc du Sénégal lorsque celui-ci accepte de recevoir une personne condamnée par la Cour. Les conditions de détention au Sénégal semblent conformes au Statut et aux autres aux normes internationales applicables. 2. Exécution des peines d’amende, ordonnance de confiscation et réparations • Amende et réparations : L’amende est susceptible d’être imposée en matière criminelle aux

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termes de l’article 11 du Code Pénal. Les réparations sont prononcées indépendamment des peines d’emprisonnement. La procédure existante devrait être aménagée pour permettre l’exécution d’amendes ou réparations ordonnées par la CPI.

• Confiscation : L’article 11 du Code Pénal prévoit que la confiscation peut être prononcée comme

peine en matière criminelle. Certaines adaptations sont nécessaires afin que les procédures de confiscation puissent être applicables aux ordonnances de confiscation de la CPI. Ces ordonnances doivent se voir conférer force exécutoire en droit interne afin de pouvoir être exécutées comme les peines de confiscation prononcées par le juge sénégalais.

• Exécution des ordonnances de condamnation à des amendes, restitutions, dommages et

intérêts de la CPI : La voie d’exécution figurant aux articles 678 à 684 du CPP et le recours à la contrainte par corps en vertu de l’article 709 du CPP devraient être rendus applicables à l’exécution des ordonnances de la CPI.

SOLUTIONS RETENUES PAR D’AUTRES ETATS PARTIES 1. Trois options de mise en œuvre - modifier le régime juridique existant OU - créer un régime distinct spécifique à la CPI OU - modifier partiellement le régime juridique existant et incorporer des dispositions spécifiques

2. Saisies et confiscations

Première option: Application des dispositions nationales relatives aux saisies et confiscation et mécanisme conférant directement force exécutoire aux ordonnances de la CPI en matière de

saisies et confiscations. • Canada: Art 27-39 et amendements corrélatifs aux lois nationales pour permettre l’application du

régime juridique général prévu par le droit interne. Les articles 9.1 et 9.2 confère force exécutoire aux ordonnances.

Seconde option: Mise en place d’un régime distinct spécifique à l’exécution des saisies et

confiscations demandées par la CPI. • Suisse: Art 28 et 38: Application du droit national en matière de saisie et régime distinct de

confiscation et affectation au Fonds au profit des victimes. • Nouvelle Zélande: Les articles 111 et 112 prévoient l’application du droit national en matière de

saisie; les articles 126 à 130 mette en place un régime distinct en matière de confiscation; L’article 131 permet de substituer le versement d’une somme d’argent à la confiscation et les articles 132 à 135 protège les droits des tiers.

Troisième option: Application des procédures nationales de saisie et gel et procédure permettant

l’exécution directe des ordonnances liant les autorités nationales • Royaume Uni: Article 37 et annexe 5: pouvoirs d’enquêtes, Article 38 et annexe 6: gel et saisie;

Article 49: force exécutoire des ordonnances de la Cour. • Projet de loi sud africain: Articles 25-29 3. Exécution des peines d’amende et ordonnance de réparation • Royaume Uni et Canada: dispositions conférant force exécutoire aux ordonnances de la Cour • Nouvelle Zélande: régime distinct pour l’exécution des peines d’amende (Art 125) et des

ordonnances de réparation (Art 124, applicable aux ordonnances de réparations non pécuniaires).

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SECTION 6: Atteintes à l’administration de la justice

I. Article 70 du Statut de Rome • L’article 70 et les règles du Règlement de Procédure de Preuve En vertu de l’article 70(1), la Cour a compétence pour connaître de six atteintes à l’administration de la justice, lorsqu’elles sont commises intentionnellement (art 70(1)).

Article 70(1) 1. La Cour a compétence pour connaître des atteintes suivantes à son administration de la justice lorsqu’elles

sont commises intentionnellement: a) Faux témoignage d’une personne qui a pris l’engagement de dire la vérité en application de l’article 69,

paragraphe 1; b) Production d’éléments de preuve faux ou falsifiés en connaissance de cause;

c) Subornation de témoin, manœuvres visant à empêcher un témoin de comparaître ou de déposer librement, représailles exercées contre un témoin en raison de sa déposition, destruction ou falsification d’éléments de

preuve, ou entrave au rassemblement de tels éléments; d) Intimidation d’un membre ou agent de la Cour, entrave à son action ou trafic d’influence afin de l’amener,

par la contrainte ou la persuasion, à ne pas exercer ses fonctions ou à ne pas les exercer comme il convient;

e) Représailles contre un membre ou un agent de la Cour en raison des fonctions exercées par celui-ci ou par un autre membre ou agent;

f) Sollicitation ou acceptation d’une rétribution illégale par un membre ou un agent de la Cour dans le cadre de ses fonctions officielles.

La Cour décide d’exercer sa compétence au regard des facteurs prévus par la Règle 162 du Règlement de procédure et de preuve et peut consulter les Etats Parties qui ont compétence pour connaître des infractions150. La Cour considère notamment les demandes de l’Etat hôte lorsque celui-ci estime particulièrement important que la Cour renonce à exercer sa compétence. De plus si la Cour décide de ne pas exercer sa compétence en la matière, elle peut demander à un Etat partie d’exercer lui même sa compétence151. Les modalités de la coopération internationale avec la Cour pour la mise en oeuvre de l’article 70 sont “régies par la législation nationale de l’Etat requis” conformément aux procédures de la CPI152. Le Statut prévoit les principes, procédures et pouvoirs de la Cour

150 Règle 162 RPP: 1. Avant de décider d’exercer ou non sa compétence, la Cour peut consulter des Etats Parties qui peuvent avoir compétence pour connaître de l’infraction. 2. Lorsqu’elle décide d’exercer ou non sa compétence, la Cour prend notamment en considération: a) La disponibilité et l’efficacité des moyens de poursuite dans l’Etat partie; b) La gravité de l’atteinte commise; c) La possibilité de joindre les charges visées à l’article 70 avec celles qui sont visées aux articles 5 à 8; d) La nécessité de diligenter la procédure; e) Les liens avec une enquête en cours ou un procès porté devant la Cour; et f) Les questions relatives à l’administration de la preuve (…). 151 Art 70(4)(b) et Règle 162(3) et (4) 152 Art 70(2): voir note ci-après et Règle 167 RPP: “En cas d’atteinte définie à l’article 70, la Cour peut solliciter la coopération et l’assistance judiciaire d’un Etat sous l’une des formes que prévoit le Chapitre IX. Elle indique alors qu’elle agit au titre d’une enquête ou de poursuites concernant une telle atteinte. (…)”.

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pour juger ces atteintes153 et les condamner à une peine d’emprisonnement ou à une amende154 mais la Cour peut aussi demander aux Etats d’y procéder, dans quel cas:

a) Les Etats Parties étendent les dispositions de leur droit pénal qui répriment les atteintes à l’intégrité de leurs procédures d’enquête ou de leur système judiciaire aux atteintes à l’administration de la justice

en vertu du présent article commises sur leur territoire, ou par l’un de leurs ressortissants; b) A la demande de la Cour, un Etat Partie saisit ses autorités compétentes aux fins de poursuites chaque

fois qu’il le juge approprié. Ces autorités traitent les dossiers dont il s’agit avec diligence, en y consacrant les moyens nécessaires à une action efficace155.

L’obligation de coopérer avec la Cour comprend celle de disposer de lois nationales permettant de poursuivre, condamner et coopérer dans la poursuite et la condamnation des six atteintes à l’administration de la justice, en application de l’article 70(1), lorsqu’elles sont commises intentionnellement156. • Les Etats parties sont tenus d’étendre les dispositions de leur droit pénal relatives

aux atteintes à l’administration de la justice aux atteintes prévues par l’article 70(1) du Statut lorsque ces dernières ont été commises sur leur territoire, ou par l’un de leurs ressortissants.

Différentes options sont envisageables157. La plupart des Etats Parties disposent de lois sanctionnant les atteintes à l’administration de la justice dans le cadre des procédures judiciaires nationales. Lorsque ces atteintes sont proscrites en vertu du Code Pénal, il suffirait d’amender ces dispositions et d’ajouter un alinéa précisant qu’elles sont étendues aux personnes impliquées dans des procédures devant la CPI, que ces personnes soient des ressortissants de l’Etat ou que les atteintes aient été commises sur le territoire de l’Etat. Ces personnes peuvent être aussi bien des accusés que des victimes appelées à comparaître devant la CPI ou devant des agents de la CPI. De plus, les Etats Parties doivent s’assurer que les dispositions de leur droit interne couvrent toutes les atteintes énoncées à l’article 70(1). Le moyen le plus simple de s’assurer qu’aucune atteinte n’a été omise est de reproduire la formulation du Statut de Rome. L’Etat Partie est tenu de punir ces infractions lorsqu’elles sont commises par des nationaux ou des non nationaux sur son propre territoire et il doit également les punir lorsqu’elles sont commises par ses nationaux sur les lieux occupés par la CPI ou à tout autre endroit à l’extérieur de son territoire. Dans ce dernier cas, l’endroit où l’infraction a été commise n’importe pas. Par conséquent, la disposition applicable aux atteintes à l’administration de la justice dans le cadre d’une procédure de la CPI doit avoir une application territoriale et extra-territoriale. Le Statut ne précise pas les peines maximales ou minimales qu’un Etat peut imposer dans le cadre des poursuites à l’égard de ces infractions. Cependant, comme le

153 Art 70(2): Les principes et les procédures régissant l’exercice par la Cour de sa compétence à l’égard des atteintes à l’administration de la justice en vertu du présent article sont énoncés dans le Règlement de procédure et de preuve. Les modalités de la coopération internationale avec la Cour dans la mise en oeuvre des dispositions du présent article sont régies par la législation nationale de l’Etat requis. 154 Art 70(3): En cas de condamnation, la Cour peut imposer une peine d’emprisonnement ne pouvant excéder cinq années, ou une amende prévue dans le Règlement de procédure et de preuve, ou les deux. 155 Art 70(4). 156 “Directives Broomhall”, p. 34. 157 Ces différentes options sont présentées par le Manuel canadien, p.18-22.

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stipule l’article 70(3), une peine maximale de 5 ans constituerait une norme valable pour ce type d’infractions158. Enfin la troisième option de mise en oeuvre consiste à adopter une législation spécifique concernant les atteintes à l’administration de la justice énoncées à l’article 70, ou à inclure celles ci dans une loi relative à la mise en oeuvre du Statut de Rome en droit interne. Le gouvernement canadien a adopté cette dernière approche en incorporant dans la loi de mise en oeuvre des dispositions portant création de nouvelles infractions réprimant ces atteintes au Canada et, en dehors du Canada, lorsqu’elles sont commises par des citoyens canadiens, conformément au Statut de Rome. • Les Etats Parties sont tenus de saisir les autorités nationales compétentes si la CPI

demande à un Etat d’exercer sa compétence en la matière. Celles-ci doivent “traiter les dossiers dont il s’agit avec diligence, en y consacrant les moyens nécessaires à une action efficace”.

Afin de s’acquitter de cette obligation, les Etats doivent au préalable s’assurer que les tribunaux nationaux ont compétence pour connaître des atteintes prévues à l’article 70 du Statut. Chaque Etat devrait donc envisager une formule selon laquelle les atteintes à l’administration de la justice devant la CPI sont ajoutées à la liste des atteintes pour lesquelles le tribunal en question est autorisé à exercer sa compétence. • Les Etats Parties doivent coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et les

poursuites que la Cour mène à l’égard de ces infractions, conformément aux article 70(2) et 86 et au droit interne de l’Etat.

RECAPITULATIF : Article 70

1. L’article 70 (1) énumère six atteintes à l’administration de la justice. La CPI est compétente pour

connaître de ces atteintes lorsqu’elles sont commises intentionnellement mais elle peut aussi demander à un Etat d’exercer sa compétence en la matière lorsqu’une atteinte de ce type a été commise sur son territoire ou par un de ses ressortissants.

2. Les Etats ont l’obligation de prévoir que les juridictions nationales ont compétence pour connaître

de ces atteintes. 3. Ces atteintes doivent être prévues dans le Code Pénal ou dans une loi spécifique dans des termes

couvrant toutes les atteintes visées dans l’article 70(1) du Statut. 4. Cette disposition doit être d’application territoriale et extra-territoriale et permettre la poursuite de

ressortissants comme de non ressortissants ayant commis une telle atteinte sur le territoire national.

II. Mise en oeuvre de l’article 70 du Statut en droit sénégalais

158 Les Etats peuvent bien entendu prévoir des peines variant en fonction du type d’infraction commise et de son degré de gravité.

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Le Code Pénal sénégalais prévoit un certain nombre d’atteintes à l’administration de la justice au niveau national. Le faux témoignage, la subornation de témoins et la corruption de témoins et magistrats sont réprimés par le Code Pénal dans les termes suivants:

Dispositions de l’article 70(1):

[atteintes commises intentionnellement]

Dispositions du Code Pénal sénégalais

Faux témoignage

(d’une personne qui a pris l’engagement de

dire la vérité)

Art 355 Code Pénal Quiconque sera coupable de faux témoignage en matière criminelle

soit contre l’accusé, soit en sa faveur, sera puni de la peine des travaux forcés à temps de cinq à dix ans.

Si néanmoins l’accusé a été condamné à une plus forte peine que celle

des travaux forcés à temps de cinq à dix ans, le faux témoin qui a déposé contre lui subira la même peine.

Production d’éléments de preuves faux ou

falsifiés en connaissance de cause

Néant

Subornation de témoins, manœuvres visant à empêcher un

témoin de comparaître ou de déposer

librement, représailles exercées contre un

témoin en raison de sa déposition, destruction

ou falsification d’éléments de preuve,

ou entrave au rassemblement de tels

éléments

Art 199 Code Pénal Sera puni des peines prévues à l’article 198 [un à six mois

d’emprisonnement et/ou 20.000 à 100.000 francs d’amende], quiconque aura publié, avant l’intervention de la décision

juridictionnelle définitive, des commentaires tendant à exercer des pressions sur les déclarations des témoins ou sur la décision des

juridictions d’instruction ou de jugement (…).

Art 358 Code Pénal (1) Le faux témoin en matière criminelle, qui aura reçu de l’argent, une récompense quelconque ou des promesses, sera puni des travaux forcés

à temps de dix à vingt ans. (…)

Article 359 Code Pénal Quiconque, soit au cours d’une procédure et en tout état de cause, soit en toute matière en vue d’une demande ou d’une défense en justice,

aura usé de promesses, offres ou présents, de pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices pour déterminer autrui à faire ou

délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, sera, que cette subordination, ait ou non produit son effet, puni d’en

emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de 50.000 à 500.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement, sans préjudice des peines plus fortes prévues aux articles précédents, s’il est complice

d’un faux témoignage qualifié crime ou délit.

Intimidation d’un

membre ou agent de la Cour, entrave à son

action ou trafic d’influence afin de

l’amener, par la contrainte ou la

Article 195 Code Pénal L’outrage fait par gestes ou menaces ou par envoi d’objets

quelconques dans la même intention, et visant un magistrat ou un juré, dans l’exercice de ses fonctions, sera puni d’un mois à six mois

d’emprisonnement; et si l’outrage a lieu à l’audience d’une Cour ou d’un Tribunal, il sera puni d’un emprisonnement d’un mois à deux ans.

Article 200 Code Pénal

78

persuasion, à ne pas exercer ses fonctions ou

à ne pas les exercer comme il convient

Violences ou voies de fait contre un magistrat: 2 à 5 ans d’emprisonnement.

Article 199 Code Pénal précité

Représailles contre un membre ou agent de la

Cour en raison des fonctions exercées par

celui-ci ou par un membre ou agent;

Néant

Sollicitation ou acceptation d’une

rétribution illégale par un membre ou un agent de la Cour dans le cadre

de ses fonctions officielles

Article 159 Code Pénal: Corruption

1. Sera puni d’un emprisonnement de deux à dix ans et d’une amende double de la valeur des promesses agrées ou des choses reçues ou

demandées, sans que ladite amende puisse être inférieure à 150.000 francs, quiconque aura sollicité ou agrée des offres ou

promesses, sollicité ou reçu des dons ou présents pour: 1) Etant (…) fonctionnaire public de l’ordre administratif ou

judiciaire (…) faire ou s’abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, juste ou non, mais non sujet à salaire.

Plusieurs difficultés se présentent au regard de l’article 70 du Statut. D’une part, les dispositions ci-dessus ne sont pas applicables aux atteintes commises dans le cadre d’une procédure de la CPI: elles sont applicables uniquement dans le cadre d’atteinte à l’administration de la justice devant les juridictions nationales. D’autre part, ces dispositions ne couvrent pas toutes les infractions du Statut. Le faux témoignage et la corruption de témoins ou du personnel judiciaire sont punis par le Code Pénal. Cependant, les “manœuvres visant à empêcher un témoin de comparaître ou de déposer librement ainsi que les “représailles” susceptibles d’être exercées contre un témoin ou contre le personnel judiciaire, la “destruction ou falsification d’éléments de preuve” et “l’intimidation” ne semble pas avoir de dispositions équivalentes en droit sénégalais. Enfin, rien n’indique que les dispositions du Code Pénal s’appliquent de manière extra-territoriale. Le droit applicable aux atteintes nationales à l’administration de la justice ne couvre donc pas en tant que telles les hypothèses relevant de l’article 70. Le Sénégal pourrait donc à ce titre difficilement adopter le modèle britannique qui se contente de renvoyer aux dispositions nationales correspondants à celle du Statut. Si le Sénégal souhaite adopter un tel modèle, il sera nécessaire de réviser les dispositions nationales. L’incorporation au sein du Code Pénal d’un titre relatif à la CPI permettrait d’y inclure une disposition relative aux atteintes à l’administration de la justice de la CPI qui reprendrait les termes de l’article 70 mais ne s’appliquerait que pour des atteintes commises à la CPI dans l’hypothèse où la Cour demanderait au Sénégal d’en connaître car les atteintes ont été commises sur son territoire ou par un de ses ressortissants. La compétence des tribunaux sénégalais en la matière devrait être explicitement prévue par les lois fixant les attributions des tribunaux. A titre d’exemple, la loi n° 84-20 du 2 février 1984 fixant les attributions des tribunaux départementaux en matière

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correctionnelle prévoit dans son article 2 la liste des délits réprimés par le Code Pénal dont ont connaissance les tribunaux départementaux et contient les alinéas suivants: faux témoignages en matière correctionnelle de la compétence des tribunaux départementaux (art 356, 357, 358

alinéa 2,3 et 4) subordination de témoins et faux serment commis dans les procédures engagées devant le tribunal

départemental (art 359 et 360) Afin qu’un tribunal sénégalais puisse connaître des atteintes à l’administration de la justice de la CPI, il serait donc nécessaire d’ajouter un alinéa selon lequel ils sont compétents pour connaître de ces atteintes lorsque celles ci ont été commises sur le territoire sénégalais ou, à l’extérieur du territoire, par un ressortissant sénégalais. III. Solutions retenues par les législations d’autres Etats Parties

Canada: Articles 16-26 Afrique du Sud: Article 38 Nouvelle Zélande: Articles 14 à 23 Royaume Uni : Article 54 et 61

Au regard des dispositions ci-dessus, différentes options de mise en oeuvre sont donc possibles. D’une part, l’adoption d’une loi sur la CPI permet d’incorporer les atteintes de l’article 70(1) en droit national mais de telle manière à ce que ces atteintes ne soient applicables qu’au regard d’une procédure de la CPI. Sur ce modèle, le Canada reprend donc les différentes atteintes du Statut, les définit de manière précise et les assortit de peines. La Nouvelle Zélande suit essentiellement le même modèle. La Grande Bretagne a, au contraire choisit, de renvoyer à son droit interne existant et d’appliquer, par équivalence, les infractions prévues devant les juridictions nationales à des infractions de la CPI. Enfin, le projet de loi sud africain se contente de reprendre l’article 70 et de renvoyer au Statut. Ces différentes options pourraient donc servir de modèle au Sénégal.

RECAPITULATIF: Mise en oeuvre de l’article 70 1. Obligations des Etats en matière de mise en oeuvre • Etendre les dispositions du droit pénal interne qui répriment les atteintes à l’intégrité de leurs

procédures d’enquête ou de leur système judiciaire aux atteintes commises dans le cadre des procédures de la CPI (article 70(4)(a):

. par un ressortissant national ; . sur le territoire national • Traiter les dossiers avec diligence en y consacrant les moyens nécessaires à une action efficace

(Article 70(4)(b)). • Coopérer pleinement avec la CPI en matière d’enquêtes et de poursuites des atteintes à

l’administration de la justice (article 70(2) et 86). 2. Options de mise en oeuvre • Renvoi à l’article 70 dans la législation interne • Modification des dispositions nationales existantes de manière à ce qu’elles couvrent les atteintes

à l’administration de la justice de la CPI 3. Criminalisation des atteintes à l’administration de la justice

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• Nature des atteintes: article 70(1) Royaume Uni: article 54: renvoi aux infractions correspondantes en droit interne et liste de ces

infractions. Nouvelle Zélande: article 15-21: mise en place de nouvelles infractions similaires à celles du Code

Pénal. Canada: Art 16-23: mise en place de nouvelles infractions similaires à celles du Code Pénal.

• Représailles

Royaume Uni: renvoie à la common law. Nouvelle Zélande: couvre les représailles contre les juges et agents de la Cour ainsi que les

témoins (art 21 (b) et (c)). Canada: art 16 et 24 et application du Code pénal si atteintes commises au Canada. Art 24 et 26

en matière d’application extra-territoriale. • Mode de participation (tentative, complicité, incitation….)

Royaume Uni: art 55: liste des lois applicables en la matière Nouvelle Zélande: application des dispositions du code pénal Canada: application des dispositions du Code Pénal

4. Compétence extra-territoriale des juridictions nationales

Royaume Uni: art 54 et 67: Territoire du Royaume Uni; en dehors du territoire si atteinte commise par un national; compétence des juridictions militaires au Royaume Uni.

Nouvelle Zélande: Art 14: territoire national, navire de pavillon néo-zélandais ou aéronef immatriculé en Nouvelle Zélande, ressortissants nationaux.

Canada: territoire canadien (application des dispositions du Code Pénal) et art 9: ressortissants nationaux (art 24,25 et 26; art 9); aéronefs et navires (application des dispositions du Code pénal); personnel militaire (application des dispositions du Code Pénal).

5. Autorisation de déclencher les poursuites

Royaume Uni: art 54(5): Ministre de la Justice Nouvelle Zélande: Art 22: Ministre de la Justice Canada: art 9(4): Ministre de la Justice seulement en cas de corruption des juges

6. Coopération avec la CPI en cas de poursuites déclenchées par la CPI

Royaume Uni: Application de la section III du projet de loi (relative à la coopération avec la Cour).

Nouvelle Zélande: Art 23. Canada: Application de la loi relative à l’assistance judiciaire réciproque dans le domaine pénal.

7. Recommandations relatives à la mise en oeuvre au Sénégal

Toutes les atteintes prévues par le Statut ne figurent pas dans le Code Pénal : il faudrait incorporer les dispositions manquantes et prévoir qu’elles s’appliquent de manière extra-territoriale.

Il est nécessaire de conférer compétence aux juridictions sénégalaises pour qu’elles puissent connaître d’une atteinte à l’administration de la justice commise dans le cadre d’une procédure de la CPI.

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Chapitre 2:

COMPLEMENTARITE Il est du devoir de chaque Etat de poursuivre les responsables de crimes internationaux. Cette obligation de poursuivre et de punir les responsables de crimes choquant la conscience de l’humanité est inscrite de manière explicite dans les Conventions de Genève, ainsi que dans la Convention sur la prévention et répression du crime de génocide. Bien que le Statut de Rome ne contienne pas d’obligation explicite de poursuivre au niveau national, il consacre le principe de complémentarité. En vertu de ce principe, il incombe en premier lieu aux juridictions nationales d’entamer des poursuites contre les responsables de crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre . Lorsqu’un Etat à décidé d’instruire une affaire, la Cour ne peut donc en principe s’en saisir.

SECTION PREMIERE: Compétence de la Cour pénale internationale et compétence des juridictions nationales

I. Compétence de la CPI

L’article premier du Statut de Rome prévoit que la CPI « est complémentaire des juridictions pénales nationales ». Il ressort des articles 17 à 20 que la CPI ne pourra connaître d’une affaire que dans les trois cas de figure suivants:

Un Etat n’a pas entrepris d’enquête ou de poursuites au regard d’une affaire et demeure inactif alors que la CPI ouvre une enquête sur cette affaire ;

Un Etat décide volontairement de céder une affaire à la CPI ;

Un Etat manque de volonté ou est dans l’incapacité de mener véritablement à bien

l’enquête ou les poursuites qu’il a entreprises; A l’exception des situations précitées et tant que les procédures d’enquête et/ou de poursuites entreprises au niveau national respectent les limites fixées aux articles 17 à 20 du Statut de Rome, la CPI n’exercera donc pas sa compétence. Inversement, un Etat Partie qui le souhaite pourra requérir l’assistance de la CPI sur la base de l’article 93(10). Lorsqu’une enquête ou des poursuites seront entreprises devant la CPI et qu’un Etat voudra demander le dessaisissement du Procureur ou de la Cour, il devra procéder selon les modalités des articles 18 (Décision préliminaire sur la recevabilité) et 19 (Contestation de la compétence de la Cour ou de la recevabilité d’une affaire). Les deux critères principaux de recevabilité d’une affaire par la CPI sont donc le manque de volonté de mener à bien les procédures (I), l’incapacité d’un Etat à mener à bien les procédures (II). Le principe non bis in idem justifie quant à lui, en principe, l’irrecevabilité de l’affaire par la CPI (III).

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A. Le manque de volonté à mener à bien les procédures (Art. 17(1)(a)(b) et (2))

Les dispositions 17(1)(a) et (b) prévoient que la CPI pourra être saisie d’une affaire en dépit de procédures entreprises au niveau national lorsqu’il y aura manque de volonté de l’Etat visé. C’est le paragraphe 2 de l’article 17 qui définit le « manque de volonté » aux termes du Statut de Rome : « Pour déterminer s’il y a manque de volonté de l’Etat dans un cas d’espèce, la Cour considère l’existence, eu égard aux garanties judiciaires reconnues par le droit international, de l’une ou de plusieurs des circonstances suivantes: a) La procédure a été ou est engagée ou la décision de l’Etat a été prise dans le dessein de soustraire la

personne concernée à sa responsabilité pénale pour les crimes relevant de la compétence de la Cour visés à l’article 5;

b) La procédure a subi un retard injustifié qui, dans les circonstances, dément l’intention de traduire en justice la personne concernée;

c) La procédure n’a pas été ou n’est pas menée de manière indépendante ou impartiale mais d’une manière qui, dans les circonstances, dément l’intention de traduire en justice la personne concernée. »

Il faudra attendre la jurisprudence de la CPI afin de déterminer l’interprétation précise qu’il convient de donner aux termes de l’article 17. Dans tous les cas, les procédures pénales nationales ainsi que les garanties applicables à l’indépendance des juges et du Ministère public devraient respecter les “garanties judiciaires reconnues par le droit international”159. Bien que la Cour puisse se référer aux garanties d’un procès équitable reconnues par le droit international, le manquement à ces règles ne pourra en lui même motiver une décision de recevabilité. Ce manquement pourra motiver une telle décision seulement s’il mène au, ou est accompagné de la preuve d’un “dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale” aux termes de l’article 17(2)(a) ou d’une “incompatibilité avec l’intention de traduire en justice la personne concernée” aux termes de l’article 17(2)(b) et (c).

B. L’incapacité d’un Etat à mener à bien les procédures (Art. 17(1)(a)(b) et (3)) Les dispositions 17(1)(a) et (b) prévoient que la CPI pourra être saisie d’une affaire en dépit de procédures entreprises au niveau national lorsque l’Etat visé est incapable de mener à bien l’enquête ou les poursuites initiées. L’incapacité à agir est définie selon les termes suivants en vertu de l’article 17(3) aux termes du Statut de Rome :

159 Ces garanties devraient notamment comprendre les dispositions suivantes: - la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, Arts.9, 10, 11; - le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, Arts.4, 6, 9, 14, 15; - la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, art.7; - la Convention Américaine des Droits de l'Homme, Arts.4, 7, 8, 9, 27; - la Convention Européenne des Droits de l'Homme, Arts. 2, 5, 6, 7, 15; Protocole 6; Protocole 7, arts.2, 4; - les Conventions de Genève, article 3 commun (conflit non international, toutes les personnes ne prenant pas directement part aux hostilités); - la Troisième Convention de Genève de 1949, Arts.84-88, 99, 100-107 (conflit international, prisonniers de guerre); - la Quatrième Convention de Genève de 1949, Arts.33, 64-77 (conflit international, civils); - le Protocole Additionnel I de 1977, Art.75 (conflit international, toutes les personnes au pouvoir d'une Partie au conflit); - le Protocole Additionnel II, de 1977, Art.6 (conflit non international, personnes accusées de crimes en relation avec le conflit); les Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l’indépendance de la magistrature; les principes directeurs des Nations Unies applicables au rôle des magistrats et du parquet; les Principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau (ainsi que les dispositions des chapitres 5 et 6 du Statut, qui fournissent un certain nombre d’indications à cet égard).

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« Pour déterminer s’il y a incapacité de l’Etat dans un cas d’espèce, la Cour considère si l’Etat n’est pas en mesure, en raison de l’effondrement de la totalité ou d’une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l’indisponibilité de celui-ci, de se saisir de l’accusé, de réunir les éléments de preuve et les témoignages

nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure. » Par conséquent, les décisions de la Cour concluant à une incapacité de mener à bien les procédures devraient s’avérer assez rares. De plus, compte tenu du fait que l’article 17(3) vise les hypothèses d’effondrement de l’appareil d’Etat, son recours devrait être limité à cette hypothèse, dans le cas où l’effondrement des institutions nationales est tel que l’Etat n’est même plus en mesure de céder volontairement sa compétence à la Cour.

C. Le principe non bis in idem (Art. 17(1)et 20(3)) Une affaire sera jugée irrecevable devant la CPI lorsque le principe non bis in idem s’appliquera à l’affaire visée160. L’article 17(1)(a) vise le cas des enquêtes et des poursuites en instance. L’article 17(1)(b) vise le cas d’enquêtes antérieures ayant aboutit à la décision de ne pas entreprendre de poursuites. L’article 17(1)(c) vise pour sa part les cas d’une enquête antérieure ayant débouchée sur des poursuites et un procès au niveau national. L’article 20(3) énonce les critères au regard desquels la CPI pourra juger si une affaire est irrecevable au regard de l’article 17(1)(c) en vertu du principe non bis in idem. L’article 20(3) stipule que : « Quiconque a été jugé par une autre juridiction pour un comportement tombant aussi sous le coup des articles

6,7 ou 8 ne peut être jugé par la Cour que si la procédure devant l’autre juridiction: a) Avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour des crimes relevant de

la compétence de la Cour; ou b) N’a pas été au demeurant menée de manière indépendante ou impartiale, dans le respect des garanties

prévues par le droit international, mais d’une manière qui, dans les circonstances, démentait l’intention de traduire l’intéressé en justice. »

Par conséquent, au regard des articles 17(1) et 20(3), la manière la plus sûre pour un Etat Partie de garantir la compétence de ses juridictions nationales, militaires et civiles, est de réviser son droit applicable, pour s’assurer de sa compatibilité avec les garanties relatives au procès équitable prévues par le droit international. La procédure de recevabilité est établie par les articles 18 et 19. L’article 19 permet notamment à un Etat, sur le territoire duquel le crime a prétendument été commis, ou dont le ressortissant est l’auteur, ou à un Etat compétent, du fait qu’il mène, ou a mené des enquêtes ou exercé des poursuites, de contester la recevabilité d’une affaire en vertu de l’article 17 ou la compétence de la Cour (article 19(2)(b) et (c)).

• Il n’existe aucune obligation expresse aux termes du Statut obligeant les Etats Parties à prohiber les crimes relevant de la compétence de la Cour dans leur droit interne. Néanmoins, le contenu des lois nationales et leur application par les autorités nationales seront pris en considération dans l’examen par la Cour de la recevabilité. L’absence, en droit interne, d’interdiction de certains actes, ou l’absence de principes généraux du droit pénal, de motifs d’exonération de la responsabilité pénale prévus par le Statut pourrait

160 Art. 20 du Statut : Non bis in idem: Principe de droit pénal en vertu duquel une personne ne peut être jugée deux fois pour un même acte.

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motiver une décision de recevabilité de la Cour fondée sur le manque de volonté ou l’incapacité de mener à bien les procédures au niveau national.

II. Compétence des juridictions sénégalaises et compétence universelle La compétence universelle permet de poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus graves (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, actes de tortures etc.) Elle peut être définie comme étant le “système donnant vocation aux tribunaux de tout Etat sur le territoire duquel se trouve l’auteur de l’infraction pour connaître cette dernière quel que soit le lieu de perpétration de l’infraction et la nationalité de l’auteur ou de la victime ”161. Dans son préambule, le Statut de la Cour pénale internationale reconnaît à chaque Etat un rôle premier dans la répression du génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Il est ainsi solennellement rappelé qu’ “il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux”. Le Statut ne contient pas d’obligation pour les Etats parties de conférer à leur juridiction nationale une compétence universelle. Cependant la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves que sont le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre implique que les tribunaux nationaux puissent être compétents quels que soient la nationalité des auteurs des crimes, ou le lieu où les crimes ont été commis. Dépasser des principes de compétence strictement territoriaux ou fondés sur la nationalité est une nécessité afin que certains Etats ne deviennent pas le refuge des auteurs de ces crimes. Les crimes prévus par le Statut ne devrait pas seulement relever du droit pénal interne, mais avant tout «d’un ordre répressif international auquel la notion de frontière et les règles extraditionnelles qui en découlent, sont fondamentalement étrangères162 ». Le droit sénégalais est très en retrait sur la question, comme a pu l’illustrer l’affaire Habré. Le Sénégal ne peut juger les auteurs de ces crimes uniquement lorsqu’il existe un lien de rattachement personnel ou territorial de droit commun (crime commis contre ou par un sénégalais, crime commis au Sénégal). La nécessité d’intégrer en droit sénégalais les dispositions du Statut de la Cour pénale internationale doit permettre au Sénégal de combler un vide juridique dans son droit interne, et s’agissant des crimes les plus graves, lui donner les moyens de poursuivre, s’ils se trouvent sur son territoire, les auteurs de ces crimes163.

A. Le Statut de Rome et les fondements juridiques de la compétence universelle 1. La compétence universelle au regard du Statut de Rome

161 “ La Rosa Anne-Marie, Dictionnaire de droit international pénal, PUF, 1998, P. 10. 162 Selon les termes énoncés dans l’affaire Klaus Barbie en France. App. Lyon, Ch. Acc., 8 juillet 1983 et Cass. fr. (crim.), 6 oct. 1983, JDI, 1983, pp. 782 et 785, note Edelman : “Attendu qu’en raison de leur nature, les crimes contre l’humanité dont Klaus Barbie, de nationalité allemande selon sa propre revendication, est inculpé en France où ils auraient été commis, ne relèvent pas seulement du droit pénal interne français, mais encore d’un ordre répressif international auquel la notion de frontière et les règles extraditionnelles qui en découlent, sont fondamentalement étrangères”. 163 Nous remercions Me Kébé, Chargé du programme Justice internationale à l’ONDH et Jeanne Sulzer, Chargée du programme Justice internationale à la FIDH d'avoir bien voulu partager leur expertise avec nous dans la rédaction de cette sous-section.

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Au moment de la Conférence Diplomatique à Rome, une majorité des Etats présents soutenaient que la Cour devrait pouvoir exercer une compétence potentiellement universelle. Néanmoins, par souci de compromis, il a été décidé que la Cour ne serait compétente que lorsque les crimes auront été commis sur le territoire d’un Etat Partie, ou par le national d’un Etat Partie (la seule exception étant lorsque le Conseil de Sécurité défère une situation au Procureur)164. La compétence de la Cour est donc relativement limitée. La majorité des délégations réunies à Rome étaient en faveur d’une compétence de la Cour fondée sur la notion “d’Etat d’arrestation”, ce qui aurait permis à la Cour d’avoir compétence si un suspect était trouvé sur le territoire d’un Etat Partie. Cependant, le compromis adopté à Rome omet cette compétence fondée sur “l’Etat d’arrestation”. Ceci peut conduire à un traitement différent de suspects trouvés sur le territoire d’un Etat Partie, suspects ayant, le cas échéant, commis des crimes sur le territoire d’un Etat non Partie. Alors que la Cour peut réclamer la remise de suspects ressortissants d’un Etat Partie, elle est dans l’impossibilité de demander la remise de suspects ressortissants d’un Etat non Partie, ces suspects ayant pourtant commis les mêmes crimes. En l’absence de reconnaissance du principe de compétence universelle, un Etat serait alors contraint de laisser partir libres les nationaux d’un Etat non Partie, mais de remettre à la Cour les nationaux d’un Etat Partie. La compétence universelle permet d’éviter une telle inégalité : un Etat peut lancer des poursuites contre les nationaux d’un Etat non Partie trouvé sur son territoire, garantissant ainsi que tous les criminels soient soumis à la justice, que cette justice soit rendue par la Cour ou par des tribunaux nationaux. La Cour est donc uniquement compétente pour poursuivre en justice les auteurs de crimes commis sur le territoire d’un Etat Partie, ou les auteurs ressortissants d’un Etat Partie. Pratiquement, étant donnés les ressources et le budget dont la Cour bénéficiera dans un premier temps, il est très probable qu’elle ne pourra instruire qu’un nombre limité d’affaires par an. Cela risque donc de s’avérer très insuffisant. Refuser de reconnaître la compétence universelle pour ces crimes équivaudrait dans certains cas, à accepter l’impunité pour des crimes d’une gravité extrême. C’est pourquoi les juridictions sénégalaises devraient avoir la possibilité de poursuivre en justice les auteurs des crimes prévus par le Statut, quand bien même la Cour serait aussi compétente. 2. Les fondements juridiques de la compétence universelle La compétence universelle trouve son origine dans un certain nombre d’instruments juridiques internationaux. Il faut cependant noter qu’un certain nombre d’Etats a adopté des lois incorporant le principe de compétence universelle pour certains crimes. On peut citer à titre d’illustration non exhaustive le cas de la France et de la Belgique. La France a ainsi introduit le principe de compétence universelle dans les lois de 1995 et 1996 portant adaptation de la législation française aux dispositions du Conseil de Sécurité instituant les tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et la Rwanda165. Le Code de Procédure Pénale français pose

164 Article 12 du Statut. 165 Loi n°95-1, portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de Sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 ; J.O. Numéro 2 du 3 janvier 1995, p. 71, Article 2 : « les auteurs et complices des infractions mentionnées à l’article 1er peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises s’ils sont

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le principe de compétence universelle dans son article 689-1 lorsque celle-ci est prévue par des conventions internationales166. La Belgique reconnaît le principe de compétence universelle dans sa forme la plus étendue dans une loi de 1993, modifiée en 1999, qui reconnaît aux juridictions belges compétence universelle pour connaître des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre167. a) Crime de torture Les dispositions du paragraphe 2 de l’article 5 de la Convention contre la torture et autres traitements inhumains, cruels ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984 établissent la règle de la compétence universelle en faisant obligation à tout Etat partie d’établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions au cas où l’auteur présumé de celles-ci se trouverait sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l’extrade pas conformément à l’article 8 vers l’un des Etats visés au paragraphe 1 du présent article ainsi que sur celles de l’article 7 de la même Convention qui, de façon encore plus impérative, prévoit que l’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale. Cette règle de la compétence universelle est affirmée dans nombreuses décisions judiciaires récentes. La plus remarquable est probablement la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, qui dispose, dans l'affaire Furundzija : « Il semblerait que l’une des conséquences de la valeur de jus cogens reconnue à l’interdiction de la torture par la communauté internationale fait que tout État est en droit d’enquêter, de poursuivre et de punir ou d’extrader

les individus accusés de torture, présents sur son territoire. En effet, il serait contradictoire, d’une part, de restreindre, en interdisant la torture, le pouvoir absolu qu'ont normalement les États souverains de conclure des

traités et, d’autre part, d’empêcher les États de poursuivre et de punir ceux qui la pratiquent à l’étranger. Ce fondement juridique de la compétence universelle des États en matière de torture confirme et renforce celui qui,

de l'avis d'autres juridictions, découle du caractère par essence universel du crime168. « b) Crimes de guerre Les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 prévoient l'obligation de juger ou extrader des personnes responsables d’infractions graves aux Conventions de Genève quelque soit leur nationalité169. trouvés en France ». Voire également la loi n°96-432 en ce qui concerne le Rwanda ; J.O. Numéro 119 du 23 janvier 1996, p. 7695. 166 L’article 689-1 encadre cependant le principe dans deux limites tenant à ses conditions d’application. En effet, il y est affirmé que la compétence universelle est d’utilisation facultative, et qu’elle est en outre soumise à une condition de territorialité, l’auteur présumé du crime devant se trouver sur le territoire français. L’Art. 689-1 dispose : « En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles. » 167 Moniteur Belge du 5 août 1993. Voire également l’article de E. David, la loi belge sur les crimes de guerre , Revue Belge de Droit International, 1995, p. 668. 168 Le Procureur c/ Anto Furundzija, Affaire IT-95-17/1-T 10, 10 décembre 1998 para 156 du jugement. 169 Article 146.de la quatrième Convention de Genève, Art. 49 de la première Convention, Art. 50 de la deuxième Convention et Art.129 de la troisième Convention : - Les Hautes Parties contractantes s'engagent à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l'ordre de commettre, l'une ou l'autre des infractions graves à la présente Convention définies à l'article suivant. Chaque Partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'avoir commis, ou d'avoir ordonné de commettre, l'une ou l'autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre

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La Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ne crée pas expressément de compétence universelle mais renforce le concept de crimes qui par leur nature devraient être poursuivis indépendamment de toute considération de frontières. La résolution 3074 (XXVIII) de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 3 décembre 1973 énonce également que « les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, où qu’ils aient été commis et quel que soit le moment où ils ont été commis, doivent faire l’objet d’une enquête, et les individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu’ils ont commis de tels crimes doivent être recherchés, arrêtés, traduits en justices et, s’il sont reconnus coupables, châtiés(§1) ». Le Sénégal étant partie aux Conventions de Genève, il serait paradoxal qu’il n’intègre pas les mécanismes de compétence universelle contenus dans les Conventions de Genève et leurs protocoles lors de l’intégration en droit interne du Statut de la Cour pénale. c) Crimes contre l’humanité La compétence universelle du juge en matière de crimes contre l’humanité résulte de diverses résolutions adoptées par l’Assemblée Générale des Nations Unies. On peut citer notamment les résolutions 3 (I) du 13 février 1946, 170 (II) du 31 octobre 1947, 2840 (XXVI) du 18 décembre 1971 et 3074 (XXVIII) du 3 décembre 1973 - qui obligent les Etats à poursuivre les auteurs de faits constitutifs de crimes contre l’humanité sans tenir compte de leur nationalité, de celle de leurs victimes ou du lieu du crime. Ainsi, la résolution 2840 (XXVI) ("Question du châtiment des criminels de guerre et des individus coupables de crimes contre l'humanité") du 18 décembre 1971 qualifie de violation du droit international le fait pour un Etat de ne pas coopérer à l'arrestation, aux poursuites ou à l'extradition de l'auteur de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Dans un sens analogue, la résolution 3074 (XXVIII) du 3 décembre 1973 intitulée "Principes de la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité" énonce comme premier principe :

« Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, où qu'ils aient été commis et quel que soit le moment où ils ont été commis, doivent faire l'objet d'une enquête, et les individus contre lesquels il

existe des preuves établissant qu'ils ont commis de tels crimes doivent être recherchés, arrêtés, traduits en justice et, s'ils sont reconnus coupables, châtiés (§ 1).

Ces résolutions imposent donc une obligation de poursuivre ou d'extrader. Si les résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies n’ont pas de valeur contraignante, elles attestent pour autant sans aucun doute de l’existence d’une volonté politique des Etats, élément indispensable à la formation d’une norme coutumière. La jurisprudence internationale consacre également le principe de compétence universelle à l’égard du crime contre l’humanité, y compris en l’absence de dispositions internes attribuant

législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressée à la poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes.

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expressément une telle compétence aux juridictions nationales. Ainsi, dans l’affaire Furundzija, le Tribunal Pénal international pour l’ex-Yougoslavie observe :

[…] l’une des conséquences de la valeur de jus cogens reconnue à l’interdiction de la torture par la communauté internationale fait que tout Etat est en droit d’enquêter, de poursuivre et de punir ou

d’extrader les individus accusés de torture, présents sur son territoire. […] Ce fondement juridique de la compétence universelle des Etats en matière de torture confirme et renforce celui qui, de l’avis

d’autres juridictions, découle du caractère par essence universel du crime. On a estimé que les crimes internationaux étant universellement condamnés quel que soit l’endroit où ils ont été commis,

chaque Etat a le droit de poursuivre et de punir les auteurs de ces crimes. Comme le dit de façon générale la Cour suprême d’Israël dans l’affaire Eichmann170, de même

qu’une juridiction des E.-U. dans l’affaire Demjanjuk, ‘c’est le caractère universel des crimes en question (c.-à-d. des crimes internationaux) qui confère à chaque Etat le pouvoir de traduire en

justice et de punir ceux qui y ont pris part’171.

Ces précédents démontrent que même en l’absence de dispositions expresses dans le droit interne de l’Etat poursuivant, le droit international confère au juge interne le pouvoir d’exercer la compétence universelle pour les crimes contre l’humanité.

d) Crime de génocide L'incrimination du génocide est à la fois coutumière172 et conventionnelle. L'art. IV de la Convention de 1948 énonce que:

« Les personnes ayant commis le génocide ou l'un quelconque des actes énumérés à l'art. 3 seront punies, qu'elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers173. »

Cette disposition laisse entendre que l'incrimination est universelle dans la mesure ou elle n'est pas limitée par des critères de nationalité de l'auteur ou de la victime ou de localisation de l'infraction. Toutefois, l'art. VI prévoit que :

« Les personnes accusées de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'art. III seront traduites devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a été commis,

ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction. »

Hormis le renvoi de l'accusé devant une cour criminelle internationale, on constate que l'article limite la compétence des Etats Parties à la Convention au territoire où le fait a été commis. La Convention se limiterait-elle donc à ne prévoir qu'une compétence territoriale ? Ce serait la priver d'une grande partie de sa portée et de son utilité. En réalité, cette restriction ne signifie pas que d'autres Etats ne peuvent connaître de l'infraction : elle confère simplement une compétence prioritaire au tribunal de l'Etat où le crime a été commis, mais

170 Affaire Eichmann, cf. ILR, 36, p. 298. Pour Demjanjuk, voir 612 F. Supp. 544 (N.D. Ohio 1985). 171 Affaire IT-95-17/1-T, 10 décembre 1998, § 156. 172TPIR, Chbre. I, aff. ICTR-96-3-T, Rutaganda, 6 déc. 1999, § 46. 173 L'art III dispose : "Seront punis les actes suivants : a) le génocide; b) l'entente en vue de commettre le génocide; c) l'incitation directe et publique à commettre le génocide; d) la tentative de génocide; e) la complicité dans le génocide."

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elle n'exclut pas la compétence d'autres Etats174 dès lors que leur droit connaît des principes de compétence extra-territoriale dont rien n'exclut l'application à des faits de génocide175. Peut-on aller plus loin et dire que la Convention non seulement permet, mais même oblige tout Etat à poursuivre l'auteur d'un crime contre l'humanité alors que ce crime a été commis sur le territoire d'un Etat étranger ? Il n’existe aucune disposition de compétence universelle explicite dans la Convention qui permettrait de l’affirmer. On peut toutefois se demander aujourd'hui si, eu égard à l'évolution du droit pénal international et à la lettre de l'art. 1er de la Convention, tous les Etats parties ne devraient pas réprimer pareil crime quels que soient le lieu où il a été commis, la nationalité de son auteur ou celle de la victime. Selon l'art. 1er, en effet :

« Les Parties Contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens qu'elles s'engagent à prévenir et punir. »

Pour la Cour Internationale de Justice, cet article montre que "toutes les parties ont donc assumé l'obligation de prévenir et de punir le crime de génocide"176. De manière encore plus précise, elle affirme dans son arrêt du 11 juillet 1996 :

[…] les droits et obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations erga omnes. La Cour constate ainsi que l'obligation qu'a chaque Etat de prévenir et de réprimer le crime de

génocide n'est pas limitée territorialement par la convention. 177 (Nous soulignons) Cette conception élargie de la compétence prévue par la Convention tend à montrer que l'incrimination du génocide est devenue coutumière 178. Le principe de complémentarité et l'obligation de répression qui pèse sur les Etats Parties au Statut de la CPI tendent aussi à confirmer l'obligation des Etats d'exercer une compétence universelle à l'égard du génocide. D’ailleurs, les tribunaux allemands, en condamnant un Serbe pour sa complicité dans des faits de génocide, ont estimé que l'application de la compétence universelle était conforme au droit international 179. La Belgique également, en amendant le 10 février 1999 la loi du 16 juin 1993 sur la répression des violations graves du droit international humanitaire s'est dotée d'une compétence universelle pour réprimer tant le génocide que les crimes contre l'humanité180. La loi de mise en oeuvre du Statut de la Cour pénale internationale fournit ici au Sénégal l’occasion de se mettre en conformité avec ses obligations internationales en vertu de la Convention contre la Torture et des Conventions de Genève tout en comblant un vide

174 GLASER, S., Droit international pénal conventionnel, Bruxelles, Bruylant, 1970, p. 108; voire aussi Affaire Eichmann, I.L.R., 36, pp. 303-304; U.S. Senate's Report, p. 9, loc.cit., p. 765. 175 Les juridictions françaises ont été saisies de la question : voire Comp. réquisitoire du procureur général devant la ch. m. acc. de la Cour d' Appel de Nîmes cité dans le jugement du 20 mars 1996 en l'affaire Munyeshiaka, réf. 96/0160, inédit, R.G.D.I.P., 1996, p. 1085; voire aussi La justice internationale face au Rwanda, Paris, Karthala, 1996, pp. 214-215. 176Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures conservatoires,

ordonnances du 8 avril et du 13 sept.1993, C.I.J., Recueil 1993, p. 22 § 45 et p; 348. 177 CIJ Rec. 1996, p. 616, § 31; voire aussi Fed. Crt. of Australia, Nulyarimma and Buzzacott, 1st Sept. 1999, per Wilcox J, §§ 18-19, ILM, 2000, p. 23. 178 En ce sens, TPIR, Chbre. I, aff. ICTR-96-4-T, Akayesu, 2 sept. 1998, § 495; en ce sens, Fed. Crt. of Australia, Nulyarimma, loc. cit., p. 23. 179 Oberlandesgerichtshof, 30 avril 1999, 3 StR 215/98, cité in RICR, 1999, p. 690. 180 Moniteur Belge, 23 mars 1999.

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juridique important de sa législation interne et surtout lui permet d’aller au delà de ses obligations conventionnelles stricto sensu en établissant le principe de la compétence universelle des juridictions sénégalaises pour connaître des crimes de génocide et crimes contre l’humanité.

B. La compétence universelle en Afrique et au Sénégal

Le juge interne est donc fondé à puiser dans la coutume internationale la source de son droit d’exercer sa compétence pour poursuivre les auteurs d’un crime contre l’humanité. Il est donc indispensable pour le Sénégal d’intégrer dans son droit interne un article prévoyant la possibilité de poursuivre, selon le principe de compétence universelle, les crimes de guerre et autres infractions graves au droit international humanitaire, ainsi que les crimes contre l’humanité. 1. La compétence universelle en Afrique En Afrique, bien que la compétence universelle soit un principe connu, peu de pays l’appliquent181. Ceci tient au fait que la plupart des pays africains ne semblent pas reconnaitre le droit international coutumier comme source de droit d’une part, et, d’autre part, au fait que très peu d’Etats ont adopté des lois de mise en oeuvre des traités internationaux qu’ils ont ratifiés. Dans ces conditions, la compétence universelle ne peut s’appliquer que de façon timide. Deux affaires nous permettent d’illustrer l’état de la compétence universelle en Afrique : l’affaire concernant L’ancien Président éthiopien Mengistu Haïlé Mariam et l’affaire Habré au Sénégal.

181 En Afrique, vingt pays environ consacrent le principe dans leur législation. Voire Christopher Hall : National implementation of Universal Juridisction for International crimes - communication soutenue au colloque organisé par AFLA on African Perspectives on Universal Jurisdiction for International Crimes au Caire les 30 et 31 juillet 2001.

L’ancien Président éthiopien, Mengistu Haïlé Mariam, bénéficiait de l’asile politique au Zimbabwe et ne pouvait donc être jugé pour ses crimes alors même qu’il faisait l’objet de poursuites pour crimes de génocide en Ethiopie. L’Ethiopie a saisi l’occasion d’un séjour de l’ancien Président en Afrique du Sud pour requérir son extradition. Cependant, l’Afrique du Sud n’a pas pu accorder l’extradition en l’absence d’accord d’extradition entre l’Afrique du Sud et l’Ethiopie, et compte tenu du fait que l’Ethiopie applique au crime de génocide la peine de mort et que l’Afrique du Sud refuse l’extradition dans un tel cas de figure. Suite à ce refus d’extrader, les partisans de l’arrestation de M. Mengistu ont suggéré qu’en tant Etat Partie à la Convention de 1984 sur la Torture et à la Convention sur le génocide, l’Afrique du Sud pouvait elle-même arrêter M. Mengistu et le traduire devant ses juridictions. Cette demande n’a cependant pas eu de suite dans la mesure où l’Afrique du Sud n’ayant pas mis en œuvre les conventions dans son droit interne, elle n’était pas en mesure de poursuivre un présumé coupable de crime de torture, génocide ou crimes contre l’humanité. Devant cet obstacle dirimant, il fut suggéré que le droit international coutumier permettait l’inculpation de ce dernier, mais les juridictions sud-africaines leur rétorquèrent que le droit international coutumier ne lie pas la justice sud-africaine.

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Il faut cependant noter que cette affaire connaîtrait aujourd’hui un résultat différent dans la mesure où l’Afrique du Sud a reconnu le principe de compétence universelle comme un élément essentiel de la lutte contre l’impunité et a inscrit la compétence universelle des juridictions sud-africaines en matière de crime de génocide, crime contre l’humanité et crime dans l'article 4 du projet de loi de mise en œuvre du Statut de Rome. La situation est toute autre au Sénégal où l’affaire Habré a permis de connaître la position des juridictions sénégalaises sur la question. 2. Le Sénégal et l’affaire Habré Le 25 janvier 2000, des victimes de M. Hissène Habré regroupés autour de l’Association des Victimes de Répression au Tchad ont porté plainte contre M.Hissène Habré qui bénéficiait de l’asile au Sénégal depuis qu’il avait quitté le pouvoir en 1990. Les plaignants réclamaient l’inculpation et l’arrestation de M. Habré en se fondant sur les motifs ci-après : - M. Habré est coupable de torture et d’actes de tortures visés par la Convention de 1984

sur la torture ; - M. Habré est également coupable de crimes contre l’humanité en vertu du droit

international coutumier ; - M. Habré est coupable du crime de disparition lequel a été consacré judiciairement

comme un crime de torture permanent et donc comme un crime continu. Les plaignants soutenaient que les juridictions sénégalaises étaient compétentes pour inculper et juger Monsieur Habré en vertu du principe de la compétence universelle. Suite à l’infirmation par la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Dakar de l’inculpation de M. Habré182, la Cour de Cassation a été saisie par les plaignants. Dans sa décision du 20 mars 2001, la Cour de Cassation a rejeté leur pourvoi au motif :

« qu’aucun texte de procédure ne reconnaît une compétence universelle aux juridictions sénégalaises en vue de poursuivre et de juger, s’ils sont trouvés sur le territoire de la République les présumés auteurs ou complices de

faits qui entrent dans les prévisions de la loi du 28 août 1996 portant adaptation de la législation sénégalaise aux dispositions de l’article 4 de la Convention lorsque ces faits ont été commis hors du Sénégal par des

étrangers. » Par cet arrêt, la Cour de Cassation pose deux règles. Premièrement, il n’apparaît pas possible de reconnaître aux juridictions sénégalaises compétence universelle sur des crimes de droit international en l’absence d’une

norme interne légiférant dans ce sens, et, deuxièmement, des poursuites fondées uniquement sur une convention multilatérale ratifiée par le Sénégal ne peuvent aboutir si la République n’a pas mis en oeuvre une loi

d’adaptation183.

182 Cour d’Appel de Dakar: Chambre d’Accusation Arrêt N° 135 du 04 Juillet 2000. Ministère Public et François Diouf c/ Hissene Habré. 183 L’article 4 de la Convention oblige les Etats Parties à incorporer dans leur législation les crimes retenus par la Convention; quant à l’article 5 il dispose que “Tout Etat Partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’article 4 dans le ces où l’auteur présumé e celle ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction”. Voire sur cette question, la communication de Mouhamed Kébé: “The Habré Case: Chronicle and Perspectives of a symbolical trial”: communication soutenue au colloque organisé par AFLA sur: « African perspectives on Universal jurisdiction for international crimes » au Caire le 30 et 31 juillet 2001.

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L’arrêt Habré permet de retenir que les juridictions sénégalaises ne pourraient retenir une compétence universelle que si le Sénégal incorporait dans son droit interne les crimes de droit international. Le principe de la compétence universelle est en effet indissociable du principe de la légalité des infractions, ce qui signifie que si le crime visé n’est pas prévu dans la législation d’un Etat, aucune de ses juridictions ne pourra en connaître. Il faudrait d’autre part que le Sénégal adopte des lois d’adaptation pour l’ensemble des traités multilatéraux qu’il a ratifié184. Il apparaît de plus essentiel que le Sénégal prévoit dans sa future loi de mise en oeuvre du Statut de Rome des dispositions expresses reconnaissant aux juridictions sénégalaises une compétence universelle pour tous les crimes visés par le Statut sur le modèle retenu par d’autres Etats Parties.

• Au regard de l’objet et des principes énoncés par le Statut de Rome, ainsi que des instruments internationaux précités, au titre premier desquels la Convention contre la Torture et les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, le Sénégal devrait envisager d’inclure dans sa loi de mise en œuvre du Statut de Rome une disposition attribuant aux juridictions sénégalaises compétence universelle pour connaître du crime de génocide, crime contre l’humanité et crimes de guerre.

• L’affaire Habré a révélé un vide juridique qui devrait être comblé de manière à

assurer que le Sénégal ne devienne pas un lieu de refuge pour des ressortissants étrangers responsables de crimes de droit international.

• Le Sénégal pourrait donc au minimum attribuer compétence à ses juridictions

pour connaître des crimes prévus par le Statut lorsque ceux-ci ont été commis en dehors de son territoire, par un ressortissant étranger qui se trouve sur le territoire sénégalais. Cette limitation de la compétence territoriale par une condition de présence sur le territoire sénégalais limiterait l’étendue des affaires et faciliterait la tâche de la justice qui disposerait de l’individu présumé responsable des crimes.

• Dans tous les cas, le Sénégal devrait consacrer le principe « aut dedere, aut

judicare », extrader ou punir. A ce titre, si le Sénégal n’était pas en mesure de poursuivre un étranger résidant, ou de passage au Sénégal, pour des crimes commis à l’étranger, il pourrait à défaut extrader la personne recherchée vers un Etat qui serait en mesure de le poursuivre et désireux de le faire (sous réserve de garanties judiciaires suffisantes et notamment dans l’hypothèse de l’exercice de sa compétence universelle par l’Etat requérant).

C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties

Canada: Art. 6 "Infractions commises à l'étranger" et Art. 8 "Compétence"

184 La Convention de 1984 est à notre connaissance la seule convention ratifiée par le Sénégal qui a fait l’objet d’une loi de mise en oeuvre; mise en oeuvre du reste incomplète puisqu’elle n’a concerné que l’article 4 qui a été incorporé dans le Code Pénal par la Loi 96-16 du 26 Août 1996 portant Article 295-1 du Code de Procédure Pénale.

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Le Canada retient le principe de la compétence universelle pour les crimes du Statut et rend cet article applicable de manière rétroactive. Les juridictions canadiennes sont compétentes si l'une des conditions de l'article 8(a) est réunie, au titre desquelles est prévue la présence de l'auteur de l'infraction présumée au Canada (Art. 8(a)(b)).

Afrique du Sud: Art. 4 du projet de loi

L'article 4 du projet pose le principe de la compétence universelle pour les crimes du Statut. Les juridictions sud africaines pourront connaître d'un crime commis à l'étranger s'il a été commis par ou à l'encontre d'un ressortissant sud africain, ou en Afrique du Sud mais également s'il a été commis par une personne qui réside habituellement en Afrique du Sud, ou qui est présente sur le territoire sud africain après avoir la perpétration du crime. Le déclenchement des poursuites dans ces hypothèse est cependant soumis à autorisation.

Nouvelle Zélande: Art.8

La Nouvelle Zélande retient le principe de compétence universelle pour les crimes du Statut.

Royaume Uni: Art. 51 et 58

Le Royaume Uni n'a pas retenu le principe de la compétence universelle.

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RECAPITULATIF : Délimitation de la compétence de la CPI et des juridictions nationales

1. COMPETENCE DE LA CPI : Critères de recevabilité d’une affaire devant la CPI (Art 17 du Statut)

Un Etat n’a pas entrepris d’enquête ou de poursuites au regard d’une affaire et demeure inactif alors que la CPI ouvre une enquête sur cette affaire ;

Un Etat décide volontairement de céder une affaire à la CPI ; Un Etat manque de volonté ou est dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête

ou les poursuites qu’il a entreprises Il n’existe aucune obligation expresse aux termes du Statut obligeant les Etats Parties à prohiber les crimes relevant de la compétence de la Cour dans leur droit interne. Néanmoins, le contenu des lois nationales et leur application par les autorités nationales seront pris en considération dans l’examen par la Cour de la recevabilité. L’absence, en droit interne, d’interdiction de certains actes, ou l’absence de principes généraux du droit pénal, de motifs d’exonération de la responsabilité pénale prévus par le Statut pourrait motiver une décision de recevabilité de la Cour fondée sur la manque de volonté ou l’incapacité de mener à bien les procédures au niveau national. 2. COMPETENCE DES JURIDICTIONS NATIONALES : COMPETENCE

UNIVERSELLE

• Au regard de l’objet et des principes énoncés par le Statut de Rome, ainsi que des instruments internationaux précités, au titre premier desquels la Convention contre la Torture et les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, le Sénégal devrait envisager d’inclure dans sa loi de mise en œuvre du Statut de Rome une disposition attribuant aux juridictions sénégalaises compétence universelle pour connaître du crime de génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre.

• L’affaire Habré a révélé un vide juridique qui devrait être comblé de manière à assurer

que le Sénégal ne devienne pas un lieu de refuge pour des ressortissants étrangers responsables de crimes de droit international.

• Le Sénégal pourrait donc au minimum attribuer compétence à ses juridictions pour

connaître des crimes prévus par le Statut lorsque ceux-ci ont été commis en dehors de son territoire, par un ressortissant étranger qui se trouve sur le territoire sénégalais. Cette limitation de la compétence territoriale par une condition de présence sur le territoire sénégalais limiterait l’étendue des affaires et faciliterait la tâche de la justice qui disposerait de l’individu présumé responsable des crimes.

• Dans tous les cas, le Sénégal devrait consacrer le principe « aut dedere, aut judicare »,

extrader ou punir. A ce titre, si le Sénégal n’était pas en mesure de poursuivre un étranger résidant, ou de passage au Sénégal, pour des crimes commis à l’étranger, il pourrait à défaut extrader la personne recherchée vers un Etat qui serait en mesure de le poursuivre et désireux de le faire (sous réserve de garanties judiciaires suffisantes et notamment dans l’hypothèse de l’exercice de sa compétence universelle par l’Etat requérant).

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SECTION 2: Conséquences du principe de complémentarité en matière de mise en oeuvre: les

enquêtes et poursuites menées au niveau national Le Statut de Rome n’impose donc pas aux Etats Parties d’obligation expresse de prohiber dans leur législation nationale les crimes relevant de la compétence de la CPI. Cependant, afin d’éviter que la Cour déclare une affaire recevable devant elle alors qu’un Etat souhaite administrer ladite affaire, la législation nationale devrait être compatible avec les dispositions pertinentes du Statut de Rome. A l’occasion d’un examen mené sur la base des articles 17(2)(a) et (c) ou 20(3)(a) et (c), la Cour devra considérer tous les éléments pertinents de l’espèce. A ce titre, l’état de la législation nationale risque de peser lourd s’agissant de savoir si une enquête et/ou des poursuites avaient pour effet de soustraire la personne concernée de sa responsabilité pénale au regard des crimes relevant de la compétence de la CPI. Pour un Etat, le meilleur moyen d’éviter que la Cour puisse juger une affaire recevable est d’harmoniser sa législation nationale avec les dispositions du Statut relatives à la définition des crimes et aux peines applicables, aux moyens de défense admissibles et aux principes généraux du droit pénal185. I. Définition des crimes et détermination des peines applicables Lorsqu’un comportement interdit par le Statut fait l’objet d’une enquête et d’un procès correctement menés au niveau national, le fait que ce comportement soit jugé comme un crime ordinaire, et non pas comme un crime de génocide, crime contre l’humanité ou crime de guerre ne rend pas en lui-même l’affaire recevable devant la CPI. Toutefois, la Cour pourra aussi admettre la recevabilité d’une affaire sur la base de l’inaction des autorités nationales. A. Dispositions du Statut 1. Définition des crimes 1) Le crime de génocide Le crime de génocide peut être commis en temps de paix ou de guerre, au cours d'un conflit armé international ou non international. La nécessité de "l'intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel" constitue la spécificité même de ce crime. Les crimes qui ne satisfont pas l'exigence de cette intention particulière pourraient toujours constituer des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre en vertu du Statut. Le crime de génocide consiste en une intention spéciale contenue dans le chapeau de l'Art.6, accompagnée de l'un quelconque des cinq actes listés à l'Art.6(a)-(e). Les crimes ainsi listés impliquent des actes contre "les membres du groupe" (Art.6(a) et (b)), "le groupe" (Art.6(c) et (d)) et "les enfants du groupe" (Art.6(e)). Cette définition implique des restrictions d'ordre quantitatif (il s'agit d'actes commis contre plus d'un individu). Néanmoins, l'intention de détruire un groupe "en tout ou partie" ne requiert pas une tentative de détruire le groupe sur une grande échelle. L'étendue des actes sera sans aucun doute prise en considération par la Cour dans le cadre de l'examen prévu à l'Art.17(1)(d), afin de savoir si l'affaire est

185 Directives Broomhall, p. 36.

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suffisamment grave pour justifier l'exercice de la compétence de la Cour. Bien qu'aucun plan ou politique ne soit requis, la présence de l'un, comme l'existence d'un conflit armé, serait pertinente pour déterminer la gravité de l'acte, conformément à l'Art.17(1)(d).

2) Les crimes contre l'humanité Comme le crime de génocide, les crimes contre l'humanité peuvent être commis quelque soit le contexte, et ne doivent pas nécessairement être liés à un conflit armé, qu'il soit international ou non international. Les crimes contre l'humanité consistent en l'un des onze actes listés à l'Art.7(1)(a)-(k), tels que définis à l'Art.7(2)(a)-(I), lorsqu'ils sont commis "dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque". "Une attaque dirigée contre toute population civile" est définie comme "tout comportement qui consiste en la commission multiple d'actes visés au paragraphe 1 à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un Etat ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque" (Art.7(2)). Ainsi, avec l'exigence d'une attaque et de la connaissance de celle-ci, le seuil des crimes contre l'humanité est relativement élevé. Les définitions prévues à l'Art.7(2)(a)-(I) peuvent décrire des crimes qui ne sont pas visés par les législations pénales ou les codes militaires. Par exemple, "l'extermination" comprend la privation de nourriture et de médicaments, la "réduction en esclavage" la traite des personnes ("en particulier des femmes et des enfants"), et la "déportation" est limitée aux motifs admis en droit international.

3) Les crimes de guerre La Cour exercera sa compétence sur les crimes de guerre "en particulier lorsque ces crimes s'inscrivent dans le cadre d'un plan ou d'une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande échelle" (art.8(1)). L'existence de ce plan ou de cette politique formera par conséquent une part importante de la décision de la Cour adoptée en vertu de l'article 17(1)(d), afin de déterminer si le crime est suffisamment grave pour être recevable. Néanmoins, les mots "en particulier" font bien comprendre que l'exigence d'un plan ou d'une politique ne constitue pas une exigence absolue, et que les crimes de guerre particulièrement graves commis en dehors d'un tel lien seraient potentiellement recevables. En conséquence, l'incorporation en droit national des interdictions listées à l'article 8(2)(a), (b), (c) et (e), sans aucune exigence de plan ou de politique, constituerait une approche plus compatible avec l'esprit du Statut. Les interdictions de l'article 8(2)(c) et (e) sont limitées aux "conflits armés ne présentant pas un caractère international" et ne s'appliquent donc pas "aux situations de troubles et de tensions internes telles que les émeutes, les actes de violence sporadiques ou isolés ou les actes de nature similaire" (art.8(2)(d) et (f)). L'article 8(2)(a) et (b) s'applique aux conflits armés internationaux. 2. Détermination des peines applicables Afin de permettre le déclenchement d’enquêtes et poursuites relatives aux crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, le Code Pénal doit criminaliser les actes constitutifs de ces crimes dans des termes conformes aux définitions du Statut. Cependant, l’introduction de nouveaux types crimes au sein du Code Pénal implique également la détermination de la peine qui punira la perpétration du crime. En vertu du principe nulla poena sine lege, consacré dans l’article 23 du Statut, l’introduction des définitions des crimes au sein du Code Pénal constituerait le fondement juridique de la détermination des peines correspondantes.

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Le Statut ne détermine pas la durée des peines applicables au niveau national. En vertu de l’article 80 :

« Les peines prévues en droit interne ne sont pas affectées par les peines de la Cour: les Etats n’ont pas l’obligation de modifier les peines prévues en droit interne pour les crimes du Statut »

Néanmoins, au regard du principe de complémentarité, les Etats Parties devraient instaurer des peines qui reflètent la gravité des crimes. La détermination de peines minimes pourraient en effet déclencher l’intervention de la Cour au titre du principe de complémentarité dans la mesure où la condamnation d’une personne à une peine minime serait susceptible d’être interprétée par la Cour comme un manque de volonté de l’Etat de mener à bien la procédure. Par conséquent, bien que les Etats ne soient nullement tenus d’harmoniser leur peines nationales avec celles prévues par le Statut, ils pourraient néanmoins envisager de transposer les peines du Statut en droit interne, ou de s’en inspirer pour mettre en place une échelle des peines similaires. En vertu de l’article 77 du Statut, la Cour peut prononcer une peine d’emprisonnement à temps de 30 ans au plus, une peine d’emprisonnement à perpétuité «si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient ». B. Etat du droit sénégalais au regard des crimes du Statut 1. Criminalisation et définition des crimes

Le Sénégal a ratifié la plupart des conventions internationales relatives aux droits de l’homme mais n’a pas incorporé les dispositions de ces conventions en droit interne compte tenu de leur autorité supra-législative conférée par la Constitution. Le droit pénal ne prohibe que les crimes de droit commun tels que le meurtre, le viol ou autres crimes qui constituent un élément constitutif des crimes du Statut de Rome sans refléter la spécificité de ces crimes lorsque ceux ci sont commis dans des conditions telles qu’ils tombent sous le coup de la définition du génocide (intention de détruire un groupe) ou du crime contre l’humanité. En ce qui concerne les crimes de guerre, la plupart d’entre eux font partie intégrante du droit interne sénégalais dans la mesure où le Sénégal est partie aux Conventions de Genève et aux deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève186. Cependant, en l’absence de transposition des Conventions en droit interne, il n’est pas sûr qu’elles fournissent en elles même un fondement juridique suffisant pour poursuivre les auteurs de crimes de guerre devant les juridictions sénégalaises. Le principe de légalité187 et la spécificité du droit pénal appellent donc à la criminalisation de ces actes et donc à l’amendement, en conséquence, du code pénal ou du code de justice militaire. a. Crime de génocide et crimes contre l’humanité Ni le crime de génocide, ni le crime contre l’humanité ne sont des crimes en droit pénal sénégalais. Certains des éléments constitutifs de ces crimes sont punis par le Code Pénal sénégalais au titre de crimes ordinaires. Un certain nombre de dispositions relatives aux crimes et délits sont donc pertinentes au regard de la complémentarité de la compétence de la Cour pénale internationale car le fait qu’un comportement prohibé par le Statut de Rome soit jugé au niveau national comme un crime ordinaire, et non pas en tant que crime de génocide,

186 Le Sénégal a ratifié les Conventions de Genève le 18 mai 1963 et les deux Protocoles additionnels le 07 mai 1985. 187 Article 4 du Code Pénal: Nul crime, nul délit, nulle contravention ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prévues par la loi ou le règlement avant qu’ils fussent commis.

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crime contre l’humanité ou crimes de guerre, ne rend pas en lui même l’affaire recevable devant la CPI188. Cependant, les dispositions du Code Pénal sénégalais relatives à la torture, au meurtre, au viol ou à d’autres actes inclus dans les éléments constitutifs des crimes du Statut de Rome sont insuffisantes car elles ne reflètent pas le caractère particulièrement odieux, ni la dimension internationale de ces crimes qui portent atteinte à la communauté internationale des Etats dans son ensemble. De plus, elles n’excluent pas complètement la possibilité que la CPI se saisisse de l’affaire si elle estime que les critères de recevabilité examinés ci-dessus sont remplis. Par conséquent, le Sénégal devrait incorporer les crimes du Statut dans son Code Pénal. L’insertion du crime de génocide, crime contre l’humanité et des crimes de guerre en droit sénégalais dans des termes similaires ou compatibles avec la définition du Statut permettra aux juridictions sénégalaises de poursuivre les responsables de tels crimes et de conserver sa primauté juridictionnelle dans l’éventualité où surviendrait un conflit de compétence entre la juridiction sénégalaise compétente et la Cour pénale internationale. Les définitions des crimes en droit interne doivent, dans ce sens être similaires ou compatibles avec celles des crimes du Statut, telles qu’établies dans le texte final des Eléments des crimes adoptés à l’issue de la Commission préparatoire de juin 2000. A des fins d’harmonisation, l’échelle des peines applicable à ces crimes devraient également être déterminée d’une manière cohérente au regard des peines prévues par le Statut de Rome. b. Crimes de guerre En plus des remarques préliminaires ci-dessus relatives à l’autorité des Conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels en droit sénégalais, il faut noter qu’un certain nombre de dispositions du Code Pénal couvrent également des éléments constitutifs des crimes de guerre issus des Conventions de Genève. Par contre ils ne couvrent pas les crimes issus du droit humanitaire dit de «La Haye ». D’autre part, le Code de Justice Militaire établit les règles régissant le comportement des troupes sénégalaises lors de conflits armés internationaux ou non internationaux. Les infractions d’ordre militaire prévues dans le Titre II, Livre deuxième, du Code de Justice Militaire comprennent le port illégal d’uniforme, de décorations, de signes distinctifs et militaires, les pillages, et les destructions. Port illégal d’uniforme, de décorations, de signes distinctifs et militaires Le droit humanitaire international, notamment les Conventions de Genève et le Statut de Rome, prohibe l’utilisation indue d’uniforme et de signes distinctifs et militaires189. Le Code de Justice Militaire a incorporé ces règles par référence en son article 138190.

188 L’exemple de la torture est particulièrement pertinent en l’espèce. La criminalisation de la torture par transposition de la définition de la Convention contre la torture est une exception notable qui illustre que la mise en oeuvre d’un traité international est parfois nécessaire. Le Sénégal a en effet transposé la définition de la torture prévue dans la Convention contre la Torture (à laquelle le Sénégal est partie). L’article 295.1 du Code Pénal criminalise la torture dans les termes suivants : « Constituent des tortures, les blessures, coups, violences physiques ou mentales ou autres voies de fait volontairement exercés par un agent de la fonction publique ou par toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec consentement express ou tacite, soit dans le but d’obtenir des renseignements ou des aveux, de faire subir des représailles, ou de procéder à des actes d’intimidation, soit dans un but de discrimination quelconque ». 189 Art. 8(2)(b)(vii)-(1) Statut de Rome: Utilisation indue d’un pavillon parlementaire; Art. 8(2)(b)(vii)-(2) Statut de Rome: Utilisation indue du drapeau, des insignes ou de l’uniforme de l’ennemi; Art. 8(2)(b)(vii)-(3) Statut de Rome: Utilisation indue du drapeau, des insignes ou de l’uniforme des Nations Unies; Art. 8(2)(b) (vii)-(4) Statut de Rome: Utilisation indue des signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève ; Art. 8(2)(b)

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Pillage Les actes de pillage sont également prohibés par le droit international humanitaire et les lois et coutumes de la guerre191. Ces actes sont prohibés par le Code de Justice Militaire sénégalais dans les termes suivants des articles 143 et 144192. Destructions Les destructions prohibées par les articles 145 à 149 du Code de Justice Militaire ne semblent pas couvrir toutes les hypothèses envisagées par le droit international humanitaire. Ces articles ne concernent que la destruction de biens à l’usage des forces armées et ne punissent pas la destruction de biens à caractère civil ou d’autres biens protégés en vertu du droit humanitaire international193. Cependant au regard des dispositions du Code de Justice Militaire et du Code Pénal, la plupart des crimes de guerre à l’égard desquels la CPI a compétence ne sont pas prohibés en droit sénégalais. Le Sénégal a, en principe, incorporé ces crimes au droit national en ratifiant les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels mais ni le Code Pénal, ni le Code de Justice Militaire ne fournissent, à l’heure actuelle, de fondement juridique permettant de poursuivre les auteurs de crimes de guerre non expressément mentionnés dans les codes. Le Sénégal ne semble donc pas en mesure à l’heure actuelle d’enquêter sur, ou de poursuivre les auteurs de tels crimes. A l’instar des modèles de mise en oeuvre exposés ci-dessus, il apparaît souhaitable, en vertu du principe de légalité mais également du principe de prévisibilité juridique, d’incorporer les crimes du Statut à savoir le crime de génocide, le crime contre l’humanité et les crimes de guerre dans le Code Pénal sénégalais et de reprendre textuellement, ou par référence, les définitions prévues par le Statut et les Eléments des crimes. A cet égard, le Statut de Rome n’ajoute d’ailleurs pas aux obligations juridiques du Sénégal qui, en tant qu’Etat partie aux Conventions de Genève et à ses protocoles, et, entres autres, à la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, a d’ores et déjà accepté les définitions figurant au sein de ces instruments, et, s’est engagé à mettre en oeuvre ces conventions en réprimant ces et 8(2)(e)(ii) Statut de Rome: Attaque contre des biens ou des personnes utilisant les signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève; Art. 39 du Protocole I aux Conventions de Genève. 190 Est puni d’un emprisonnement de un à cinq ans tout individu, militaire ou non, qui, en temps de guerre, dans la zone d’opération d’une force ou formation, en violation des lois et coutumes de guerre, emploie indûment les signes distinctifs et emblèmes définis par les conventions internationales pour assurer le respect des personnes, des biens, ainsi que des lieux protégés par ces conventions. 191 Voire, entre autres, les article 8(2)(b)(xvi) et 8(2)(e)(v) du Statut de Rome : « Pillage » ; et l’article 33 de la IVème Convention de Genève 192 Article 143 du Code de Justice Militaire: Sont punis des travaux forcés à perpétuité, tous pillages ou dégâts de denrées, marchandises ou effets commis en bande par les militaires ou par des individus embarqués soit avec des armes ou à force ouverte, soit avec des bris de portes et clôtures extérieures, soit avec violences envers les personnes (…) Néanmoins, si dans les cas prévus par l’alinéa 1 du présent article, il existe parmi les coupables, un ou plusieurs instigateurs, un ou plusieurs militaires ou assimilés pourvus de grades, la peine des travaux forcés à perpétuité n’est infligée qu’aux instigateurs et aux militaires ou assimilés les plus élevés en grade. (…) Article 144 du Code de Justice Militaire: Tout individu, militaire ou non qui, dans la zone d’opérations d’une force ou formation: - dépouille un blessé, malade, naufragé ou mort, est puni des travaux forcés à temps de cinq à dix ans. - exerce sur un blessé, malade, ou naufragé des violences aggravant son état en vue de le dépouiller est puni des travaux forcés à perpétuité. 193 Voire, entre autres, Article 8(2)(b)(ii) du Statut de Rome : Attaque contre des biens de caractère civil ; Article 8(2)(b)(ix) et 8(2)(e)(iv) du Statut de Rome: Attaque contre des biens protégés ; Article 52-56 du Protocole I additionnel aux Conventions de Genève ; et Article 53 de la IVème Convention de Genève.

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crimes au niveau national. La mise en oeuvre du Statut de Rome est donc l’occasion d’incorporer les dispositions de ces différentes conventions au sein du Code Pénal.

• Les crimes du Statut doivent être incorporés dans le Code Pénal dans des termes similaires ou compatibles avec les définitions du Statut.

3. Détermination des peines applicables Le Code Pénal prévoit quatre types de peines en matière criminelle: la peine de mort, les travaux forcés à perpétuité, les travaux forcés à temps et la détention criminelle194. La durée de la peine de détention criminelle ne dépasse pas vingt ans195. Les peines d’amende font l’objet de la sous-section suivante. A titre indicatif, le crime d’assassinat est puni de la peine de mort et la torture est punie d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100 000 à 500 000 francs196. Le Code Pénal ne prévoit pas de peines applicables aux crimes prévus par le Statut puisque ceux-ci ne sont pas criminalisés en l’état actuel du droit. Il appartiendra donc lors de la mise en œuvre des crimes du Statut de déterminer la peine qui leur sera applicable en vertu du Code Pénal sénégalais. En vertu de l’article 80 du Statut, le Sénégal n’est nullement tenu de reproduire les peines prévues par le Statut de Rome. Il serait cependant souhaitable de reprendre les peines prévues par l’article 77 du Statut ou bien de s’en inspirer pour mettre en place une échelle des peines similaire. Cette solution permettrait d’éviter que la Cour puisse intervenir en invoquant la mauvaise volonté de l’Etat dans des hypothèses où une juridiction sénégalaise aurait, en application du Code Pénal, condamné une personne à une peine minime ne reflétant pas la gravité du crime et où la Cour se prévaudrait de cette peine en invoquant que celle-ci aurait pour dessein de soustraire l’individu à sa responsabilité pénale aux termes du Statut. Il est donc essentiel que les peines dont seront punis ces crimes en vertu du Code Pénal reflètent la gravité des crimes. La détermination de peines similaires à celle prévues par l’article 77 du Statut remplirait cette exigence.

• Des peines punissant le crime de génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre devront être introduites dans le Code Pénal. Ces peines devraient refléter la gravité des crimes. La détermination d’une échelle des peines similaire à celle prévue par l’article 77 du Statut remplirait cette exigence.

• Le Code de Justice Militaire étant dérogatoire au Code Pénal et au Code de

Procédure Pénale, il apparaît plus opportun d’introduire les crimes prévus par le Statut au sein du Code Pénal et d’introduire un renvoi au Code Pénal au sein du Code de Justice Militaire en ce qui concerne ces crimes197.

C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties

Canada

194 Article 7 du Code Pénal (peines en matière criminelle). 195 Art 18 Code Pénal: La durée de la peine de la détention criminelle sera, selon les cas spécifiés par la loi, soit de dix à vingt ans, soit de cinq à dix ans. 196 Art 287 et 295.1 du Code Pénal. 197 Les articles 34 et 35 du Code de Justice Militaire apparaissent en effet insuffisant en la matière. L’insertion d’une disposition dans le Code Pénal comblerait cette lacune.

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La loi canadienne porte modification du Code criminel canadien et incorpore les crimes du Statut, tels que définis par le Statut, au sein des crimes prohibés par le droit pénal national. Les crimes prohibés en vertu de la loi canadienne dépassent par ailleurs le cadre du Statut et incorporent les règles du droit international coutumier. Les crimes du Statut, lorsqu’ils font l’objet de poursuites et d’un procès au niveau national, sont passibles d’une peine d’emprisonnement à perpétuité198.

Nouvelle Zélande La loi de mise en oeuvre néo-zélandaise confère une compétence aux juridictions nationales pour connaître du crime de génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre quel que soit le lieu où ces crimes aient été commis et la nationalité de l’auteur des crimes, ainsi que le lieu où se trouve cet individu199. La loi renvoie aux définitions du Statut par référence et prévoit l’application des peines nationales existantes par équivalence. Le crime de génocide, ou de complicité dans la perpétration d’un crime de génocide est passible de la peine applicable en matière de meurtre lorsqu’il est constitué d’un acte ayant causé la mort intentionnellement. Dans les autres cas, il est passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité200. Les mêmes peines sont applicables au crime contre l’humanité et aux crimes de guerre201.

Suisse La Suisse n’a adopté qu’une loi relative à la coopération. La législation interne suisse permet déjà d’entamer des enquêtes et poursuites contre les auteurs de crimes de guerre car elle a mise en oeuvre les Conventions de Genève lors de la révision du code pénal militaire du 5 octobre 1967, qui permet aux juridictions militaires suisses de juger les auteurs de crimes de guerre, quel que soit le lieu où le crime ait été commis et que l’auteur du crime soit un civil ou un militaire 202 . La Suisse a également mis en oeuvre la Convention contre le génocide suite à sa récente ratification. En ce qui concerne le crime contre l’humanité, la Suisse devrait adopter une loi courant 2002.

Royaume Uni La loi renvoie dans son chapitre V aux articles 6,7 et 8 du Statut, ainsi qu’aux éléments des crimes et transpose ainsi les crimes du Statut en crimes de droit interne203. L’autorisation du Ministre de la Justice est requise pour l’engagement de poursuites. Si le crime a été commis à l’étranger, il sera instruit comme s’il avait été commis au Royaume Uni. Lorsque le crime commis comprend un crime de meurtre, la peine applicable est celle prévue pour le crime de meurtre en vertu de la législation nationale. Dans les autres hypothèses, l’auteur du crime est passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 30 ans204.

Afrique du Sud: Art. 3(d) et 4.

198 Article 4. 199 Article 8 : Jurisdiction in respect of international crimes 200 Article 9. 201 Articles 10 et 11. 202 Affaire Niyonteze, Décision du Tribunal militaire de Cassation du 27 avril 2001 qui infirme la décision du Tribunal militaire d’appel du 26 mai 2000. Voir également la décision du Tribunal militaire de Lausanne, Décision du 30 avril 1999: Le Tribunal a condamné Fulgence Niyonteze à la réclusion à vie en vertu de l’article 116 du code pénal suisse. Les infractions retenues ont été l’assassinat, l’instigation à l’assassinat et les infractions graves aux dispositions des Conventions de Genève. Voir également la ratification récente de la Convention contre le génocide et la loi de mise en oeuvre du crime de génocide en droit suisse. 203 Art. 50. 204 Art. 53: Trial and punishment of main offences.

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II. Responsabilité pénale A. Dispositions du Statut de Rome Les principes de responsabilité pénale des individus établis par le Code Pénal doivent permettre de punir les responsables de crimes dans les mêmes conditions que le Statut. Le Statut n’exige pas des Etats qu’ils reproduisent les dispositions du Statut mais simplement qu’ils s’assurent que les modalités d’engagement de la responsabilité individuelle prévue en droit interne permettent d’engager la responsabilité d’un individu dans les conditions prévues par le Statut. Les articles 25, 28 et 33 du Statut de Rome fixent les conditions à l’occasion desquelles la responsabilité pénale d’un individu est engagée. Au sein des ces articles, il faut distinguer la responsabilité pénale individuelle d’une part et la responsabilité des supérieurs militaires et autres supérieurs hiérarchiques. Les motifs d’exonération de la responsabilité pénale relèvent également de la responsabilité pénale individuelle mais seront traités de manière distincte dans la sous-section suivante. 1. Responsabilité pénale individuelle (Art. 25 du Statut) L’article 25 du Statut de Rome est intitulé «responsabilité pénale individuelle » et traite essentiellement du mode de participation à la perpétration du crime. L’article 25(3) énumère les différents modes de participation au crime qui sont susceptibles de conduire la CPI à reconnaître un individu responsable pénalement.

3. Aux termes du présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime

relevant de la compétence de la Cour si: a) Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par

l’intermédiaire d’une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable; b) Elle ordonne, sollicite ou encourage la commission d’un tel crime, dès lors qu’il y a commission ou

tentative de commission de ce crime; c) En vue de faciliter la commission d’un tel crime, elle apporte son aide, concours ou toute autre forme

d’assistance à la commission ou à la tentative de commission de ce crime, y compris en fournissant les moyens de cette commission;

d) Elle contribue de toute autre manière à la commission ou à la tentative de commission d’un tel crime par un groupe de personnes agissant de concert. Cette contribution doit être intentionnelle et, selon le

cas : i) Viser à faciliter l’activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, si cette activité

ou ce dessein comporte l’exécution d’un crime relevant de la compétence de la Cour; ou

ii) Être faite en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre ce crime. e) S’agissant du crime de génocide, elle incite directement et publiquement autrui à le commettre;

f) Elle tente de commettre un tel crime par des actes qui, par leur caractère substantiel, constituent un commencement d’exécution mais sans que le crime soit accompli en raison de circonstances

indépendantes de sa volonté. Toutefois, la personne qui abandonne l’effort tendant à commettre le crime ou en empêche de quelque autre façon l’achèvement ne peut être punie en vertu du présent Statut

pour sa tentative si elle a complètement et volontairement renoncé au dessein criminel. Sont donc punis : - la commission du crime; - l’ordre de commettre un crime ou la sollicitation, l’encouragement à commettre un crime ; - l’aide, le concours, l’assistance à commettre un crime; - toute autre contribution à la commission d’un crime par un groupe de personnes sous

réserve que celle ci soit intentionnelle et vise à faciliter l’activité ou le dessein criminel du groupe, ou qu’elle soit faite en connaissance de l’intention du groupe;

- la tentative.

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En ce qui concerne le crime de génocide, l’alinéa e) criminalise l’incitation publique et directe à le commettre. Ces différents modes de participation au crime constituent l’acte criminel. S’ajoute à l’acte l’élément psychologique constitutif du crime (means rea) que le Statut définit dans son article 30205. Afin de permettre aux Etats Parties de s’assurer que leurs juridictions puissent poursuivre au niveau national les personnes commettant un des crimes du Statut, il pourrait s’avérer nécessaire pour ces Etats d’incorporer au sein de leur législation de mise en œuvre les principes de responsabilité pénale individuelle prévus par le Statut. 2. Responsabilité des supérieurs militaires et civils L’article 28 du Statut de Rome traite de la responsabilité des commandants et autres supérieurs hiérarchiques dans les termes suivants :

Article 28 : Responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques Outre les autres motifs de responsabilité pénale au regard du présent Statut pour des crimes relevant de la

compétence de la Cour : 1. Un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour car commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectif, ou sous son autorité et son contrôle effectif, selon le cas lorsqu’il n’a pas exercé le contrôle

qu’il convenait sur ces forces dans les cas où : a) Ce chef militaire ou cette personne savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces forces

commettaient ou allaient commettre ces crimes; et b) Ce chef militaire ou cette personne n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins

d'enquête et de poursuites; 2. En ce qui concerne les relations entre supérieur hiérarchique et subordonnés non décrites au paragraphe a), le supérieur hiérarchique est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle

qui convenait sur ces subordonnés dans les cas où : a) Le supérieur hiérarchique savait que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a

délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement; b) Ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa responsabilité et de son contrôle effectifs; et

c) Le supérieur hiérarchique n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins

d'enquête et de poursuites. L’article 28 opère une distinction entre chefs militaires et supérieurs hiérarchiques non militaires. La responsabilité des supérieurs non militaires est plus difficile à prouver que celles des chefs militaires dont la responsabilité est strictement définie compte tenu de la structure des organisations militaires et de la nécessité de maintenir cette discipline militaire. Les chefs militaires sont tenus responsables des crimes commis par leurs soldats s’ils savaient ou auraient dû savoir que ces crimes étaient commis et s’ils ont omis de prendre les mesures nécessaires pour prévenir ou réprimer ces crimes. Les supérieurs non militaires seront tenus responsables des crimes commis par leurs subordonnés : lorsqu’ils savaient, ou ont volontairement fermé les yeux sur des informations indiquant clairement que les subordonnés étaient en train de commettre ou sur le point de

205 Art. 30 du Statut: 1. Sauf disposition contraire, nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d’un crime relevant de la compétence de la Cour que si l’élément matériel du crime accompagne d’intention et de connaissance. 2. Il y a intention au sens du présent article lorsque : a) Relativement à un comportement, une personne entend adopter ce comportement ; b) Relativement à une conséquence, une personne entend causer cette conséquence ou est consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements. 3. Il y a connaissance, au sens du présent article, lorsqu’une personne est consciente qu’une circonstance existe ou qu’une connaissance adviendra dans le cours normal des événements. « Savoir » et « connaître » s’interprètent en conséquence.

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commettre des crimes relevant de la juridiction de la CPI, lorsque ces crimes sont liés à l’activité sous le contrôle des supérieurs, et que ces derniers ont omis de prendre les mesures nécessaires pour prévenir ou réprimer ces crimes, ou ont omis d’en saisir les juridictions compétentes. Le niveau de preuve exigé est supérieur car il faut établir que le supérieur avait connaissance de la commission du crime ou a délibérément ignoré le crime. Le pouvoir hiérarchique est une condition nécessaire à la mise en cause de la responsabilité d’un supérieur. Le facteur déterminant au regard du lien de subordination est la possession réelle d’un pouvoir de contrôle et d’autorité sur les agissements des subordonnés que ce pouvoir soit exercé de droit ou de fait206. • Il importe pour les Etats Parties de s’assurer que les dispositions de leurs codes

pénaux et de justice militaire prévoit la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques dans des termes similaires à ceux du Statut de Rome.

B. Etat du droit sénégalais 1. Responsabilité pénale individuelle • Tentative Le droit sénégalais punit la tentative en vertu des articles 2 et 295.1(2) et (3) du Code Pénal207. • Complicité La complicité est punie de la même peine que la perpétration du crime208 et est définie dans les termes suivants par l’article 46 du Code Pénal :

Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délits ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, auront provoqué à cette action ou donné des

instructions pour la commettre. Ceux qui auront procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen qui aura servi à l’action sachant qu’il

devait y servir. Ceux qui auront, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs de l’action, dans les faits qui

l’auront préparée ou facilitée, ou dans ceux qui l’auront consommée, sans préjudice des peines qui seront spécialement portées par le présent Code contre les auteurs de complots ou de provocations attentatoires à la sûreté de l’Etat, même dans les cas où le crime qui était l’objet des conspirateurs ou des provocateurs n’aurait

pas été commis209. L’ordre de commettre un crime, ainsi que la plupart des hypothèses de participation à la perpétration d’un crime prévues par l’article 25 du Statut semblent prise en compte dans cet article. Certains articles mentionnés ci-après disposent également de règles plus spécifiques. Les articles 47 à 49 du Code Pénal prévoient également la responsabilité des personnes qui : 206 Manuel canadien, p. 105-107. 207 Art 295.1 (torture) alinéa 2 & 3 du Code Pénal : La tentative est punie comme l’infraction consommée. Les personnes visées au premier alinéa coupables de torture ou de tentative seront punies d’un emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de 100 000 à 500 000 F. Article 2 du Code Pénal : Toute tentative qui aura été manifestée par un commencement d’exécution, si elle n’a pas été suspendue ou si elle n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, est considérée comme le crime même. 208 Art 45 : Les complices d’un crime ou d’un délit sont punis de la même peine que les auteurs eux mêmes de ce crime ou de ce délit sauf les cas où la loi en aurait disposé autrement. 209 CA N°398 du 27 juillet 1978 Mpet USB c/ FALL : la complicité suppose nécessairement un auteur principal et un fait principal.

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- connaissant la conduite criminelle des auteurs de crimes leur fournissent habituellement

logement, lieu de retraite ou de réunion (article 47) ; - ayant connaissance qu’un crime tenté ou consommé, n’ont pas averti les autorités

compétentes, alors qu’il était encore possible de prévenir le crime ou d’en limiter les effets (article 48) ;

- auraient pu empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle par leur action immédiate sans risque pour elle ou pour des tiers (article 49) ;

- ne sont abstenus volontairement de porter assistance à une personne en danger (article 49). Le Code de Justice Militaire se contente de prévoir la responsabilité pénale individuelle des personnes qui commettent des crimes à l’encontre des militaires210 et ne traite que de manière tout à fait insuffisante de la responsabilité individuelle du personnel militaire211 . L’article 135(1) illustre cette insuffisance dans la matière où il constitue une des rares dispositions du Code de Justice Militaire définissant certains principes de responsabilité pénale individuelle, notamment « l’incitation à commettre des actes contraires au devoir ». Cependant, la portée de cet article reste limitée et ce d’autant plus que la notion de devoir n’est pas définie212. Le Code de Justice Militaire étant dérogatoire, les principes de responsabilité pénale individuelle de droit commun devraient s’appliquer au personnel militaire à défaut de dispositions contraires dans le Code de Justice Militaire. En l’espèce, il apparaîtrait cependant préférable de procéder à un renvoi express aux principes de droit commun sus-mentionnés prévus dans le Code Pénal. • Associations ou ententes criminelles La mise en place d’associations ou d’ententes dans le but de préparer ou de commettre un ou plusieurs crimes ou délits contre les personnes est également punie aux termes des articles 238 à 240 du Code Pénal modifié par la loi n°99-05 du 29 janvier 1999. • Provocation et incitation L’incitation à commettre une action qualifiée de crime ou délit par des moyens de diffusion publique213 est punie en vertu des articles 249 à 252 du Code Pénal214. En vertu de l’article 210 Les articles 32 et 33 du Code de Justice Militaire disposent que les auteurs, co-auteurs ou complices d’une infraction contre des forces armées sénégalaises ou contre les établissements ou matériels sont justiciables des juridictions ordinaires à formation spéciale si cette infraction est réprimée par la loi pénale sénégalaise, et ce qu’elle que soit la nationalité des auteurs. 211 Le Code de Justice Militaire prévoit plusieurs catégories de personnes relevant de sa compétence qui sont : 1) les personnels militaires des Armées de Terre, Air et Mer, des services de Gendarmerie nationale, du Groupement national des Sapeurs Pompiers 2) les personnels des corps paramilitaires, la Police de la douane, des Parcs nationaux, du Service national d’hygiène sont régis par des statuts qui renvoient au Code de Justice Militaire 3) les personnes qui sans être militaires ou paramilitaires sont soit portées présentes dans l’équipage d’un bateau ou d’un aéronef militaire, soit dans un équipage de prise et les prisonniers de guerre relèvent du Code de Justice pour les infractions commises par eux durant leurs transports 4) les personnes même non militaires, auteurs ou complices, d’une infraction contre les forces armées sénégalaises ou contre les établissements ou matériels militaires lorsque les infractions commises par elles sont punies par le Code Pénal sénégalais (Préambule de la Loi 94-44 du 27 Mai 1994 portant Code de Justice Militaire, JORS n° 5602 du 15 Octobre 1994, p 451). 212 L’article 135(1) du Code de Justice Militaire prévoit que «est puni en temps de paix d’un emprisonnement de six à deux ans tout militaire ou individu embarqué qui sans intention de trahison, incite par quelque moyen que ce soit un ou plusieurs militaires ou assimilés à commettre des actes contraires au devoir ou à discipline». 213 Les moyens de diffusion publique sont définis par l’article 248 du Code Pénal dans les termes suivants: Sont considérés comme moyens de diffusion publique la radiodiffusion, la télévision, le cinéma, la presse, l’affichage, l’exposition, la distribution d’écrits ou d’images de toutes natures, les discours, chants, cris ou

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252, tout acte d’apologie d’un crime est puni en tant que provocation215. L’article 251 du Code Pénal doit être particulièrement souligné en cela qu’il établit une règle particulière en matière de provocation adressée, entre autres, à des militaires «dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs dans tout ce qu’ils leur commandent pour l’exécution des lois et règlements militaires »216. Le Code de Justice Militaire punit également «l’incitation à commettre des actes contraires au devoir » dans les termes suivants217 : Est puni en temps de paix d’un emprisonnement de six mois à deux ans, tout militaire ou tout individu embarqué

qui, sans intention de trahison, incite par quelque moyen que ce soit un ou plusieurs militaires ou assimilés à commettre des actes contraires au devoir ou à la discipline (…)

En ce qui concerne l’élément psychologique, le Code Pénal semble l’inclure au sein même de la définition de chaque type de crime218. Au regard des dispositions sus-mentionnées, il apparaît que la plupart des modes de participation au crime envisagé par l’article 25 du Statut de Rome sont couverts par le droit sénégalais et engagent donc la responsabilité pénale individuelle des auteurs de telles actions.

• Les dispositions du Code Pénal relatives à la responsabilité pénale individuelle semblent conformes aux dispositions de l’article 25 du Statut mais les dispositions du Code de Justice Militaire relatives à la responsabilité pénale individuelle du personnel militaire sont insuffisantes et devraient être complétées par un renvoi explicite aux principes prévus par le Code Pénal.

2. Responsabilité des supérieurs a) Autorités militaires Les dispositions traitant de la responsabilité des supérieurs en droit sénégalais sont les suivantes :

menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, et généralement tout procédé technique destiné à atteindre le public. 214 Art 249 du Code Pénal : Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délits ceux qui, par l’un des moyens visés à l’article 248 auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet. Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n’aura été suivie que d’une tentative d’infraction punissable. 215 Art 252 du Code Pénal : Seront punis d’un emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de 20 000 à 200 000 francs, ceux qui, par l’un des moyens énoncés en l’article 248, auront fait l’apologie d’un crime ou d’un délit. 216 Art 251 Code Pénal : Toute provocation par l’un des moyens énoncés en l’article 248 adressée à des militaires, gendarmes ou gardes républicains, dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs dans tout ce qu’ils leur commandent pour l’exécution des lois et règlements militaires, sera punie d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 20 000 à 300 000 francs. 217 Article 135 du Code de Justice Militaire: alinéas 2 et 3: Si le coupable est d’un grade supérieur à celui de tous ceux qui ont été incité à commettre lesdits actes, il est puni d’un emprisonnement de un à cinq ans. Lorsque les faits sont commis en temps de guerre ou sur un territoire en état de siège ou d’urgence, le coupable est puni des travaux forcés à temps de cinq à dix ans, dans les cas prévus à l’alinéa 1 du présent article, et du maximum de cette peine dans celui prévu à l’alinéa 2. 218 A titre d’illustration, voire les articles 286 et 294 du Code Pénal dans lesquels l’exigence d’un acte « volontaire » correspond à «l’élément psychologique » au sens de l’article 30 du Statut.

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Article 41 du Code de Justice Militaire

« Lorsque les infractions visées aux articles 38 et 40 sont commises à titre principal par un subordonné, et que ses supérieurs hiérarchiques ne peuvent être recherchés comme coauteurs, ils sont considérés comme complices

dans la mesure où ils auront organisé, toléré ou volontairement tu les agissements criminels de leur subordonné. »

Art 301 du Code Pénal

« Les crimes et délits prévus dans cette section et dans la section précédente, s’ils sont commis en réunion séditieuse, avec rébellion ou pillage, sont imputables aux chefs, auteurs, instigateurs et provocateurs de ces

réunions, rébellions ou pillages qui seront punis comme coupables de ces crimes ou de ces délits et condamnés aux mêmes peines que ceux qui les auront personnellement commis. »

Le droit international impose aux supérieurs hiérarchiques l’obligation d’empêcher les personnes sous leurs ordres d’enfreindre les règles du droit international humanitaire. Les articles 86(2) et 87 du Premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève ont codifié ce principe. Le principe de responsabilité pénale du supérieur militaire du fait de ses subordonnés qui peut être induit de la lecture des article 41 et 135 du Code de Justice Militaire ne permet pas une application complète des dispositions du Statut. En effet, la responsabilité des supérieurs militaires est limitée au champ d’application des article 38 à 40 du Code de Justice Militaire. Ce principe de responsabilité pénale coexiste avec les dispositions des articles 157, 168 (1) et (2), et 173 du Code de Justice Militaire et les articles 46, 47, et 48 du Code Pénal qui ne posent pas expressément le principe de la responsabilité pénale du supérieur militaire du fait de son subordonné. Il convient donc de modifier le Code Pénal et le Code de Justice Militaire afin que les responsabilité des supérieurs militaires du fait de leurs subordonnés puisse être mise en cause. De plus, lors de la mise en œuvre de cette responsabilité, une difficulté pourrait se présenter en matière de qualification du lien de subordination. Le Statut prévoit un lien de contrôle effectif . Or, il n’est pas certain que le lien de subordination envisagé dans les articles sus-mentionnés couvre des hypothèses de contrôle effectif d’un supérieur sur des troupes qui ne sont pas soumises pas à son pouvoir hiérarchique légal. Par conséquent, en l’état actuel du droit sénégalais, le lien de subordination défini par le Code Pénal ne semble prendre en compte que la hiérarchie légale. Par conséquent, les dispositions du Code Pénal et du Code de Justice Militaire sont insuffisantes au regard du Statut dans la mesure où elles n’établissent pas la responsabilité pénale d’un supérieur militaire disposant d’un contrôle effectif sur des subordonnés indépendamment de tout texte normatif. Les codes précités devraient donc être complétés en ce sens. b) Autorités hiérarchiques civiles Le principe de la responsabilité pénale des autorités hiérarchiques civiles du fait de préposés ou des personnes agissant sous leurs ordres ne figure pas dans le droit pénal sénégalais. Les différents textes régissant le droit de la Fonction Publique au Sénégal219 ne prévoient pas expressément une telle responsabilité. L’absence de responsabilité pénale des supérieurs 219 Loi 61-33 du 15 Juin 1961 modifiée par la loi 65-12 du 4 Février 1965 et la loi 68-01 du 4 Janvier 1968- décret 63-520 du 17 Juillet 1963 portant statut du cadre des fonctionnaires de justice (JORS N°° 3620 du 10 août 1963, p 1112)- Loi 66-07 du 18 Janvier 1966 relative au statut des forces de polices ainsi les dispositions non contraire du Décret N° 63-361 du 26 Juin 1963 portant statut particulier du cadre de fonctionnaire de police (JORS DU 17 avril 1967 p 555 et JORS du 20 Janvier 1963 p 992) – Décret 61-11 112 du 15 Mars 112 du 15

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hiérarchiques civils du fait des actes commis par leurs subordonnés et de leurs préposés crée une difficulté pour la recherche de responsables d’actes incitatifs ou d’ordres ayant pour but la perpétration de crimes relevant du Statut. En effet, dans l’hypothèse où des agents de l’Administration participeraient à des crimes relevant du Statut, la mise en cause de la responsabilité pénale de leurs supérieurs hiérarchiques ne serait pas possible220. Il est nécessaire de combler cette lacune en droit pénal afin que les autorités de l’Etat (Préfets, Sous Préfets, Gouverneurs, autres représentants de l’Etat sur le territoire) puissent voir leur responsabilité pénale recherchée pour les faits de leurs subordonnés.

• La responsabilité des supérieurs militaires est prévue par le Code Pénal et le Code de Justice Militaire mais elle est limitée à des hypothèses déterminées et les critères de responsabilité sont plus étroits que ceux prévus par l’article 28 du Statut de Rome. La responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques civils semble, quant à elle, inexistante en droit sénégalais. Par conséquent, il apparaît nécessaire de revoir les principes de la responsabilité des supérieurs au regard de l’article 28 du Statut de Rome afin de s’assurer que les juridictions sénégalaises puissent connaître d’affaires relatives à la responsabilité de supérieurs sans risquer d’être dépourvues de leur compétence par la CPI.

C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties

Canada La loi a incorporé les exigences du Statut de Rome relatives au mode de participation dans son article 4. En ce qui concerne la responsabilité des supérieurs hiérarchiques, celle-ci est prévue dans les articles 5 et 7 de la loi.

Nouvelle Zélande La loi néo-zélandaise renvoie par référence aux articles 25 et 28 du Statut et prévoit leur applicabilité dans le cadre de poursuite au niveau national221.

Royaume Uni Les articles relatifs au crime de génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre criminalisent également les infractions inchoatives222. La section 55 définit les infractions inchoatives en renvoyant aux lois anglaises définissant la responsabilité pénale individuelle et les modes de participation aux crimes. Au total, le renvoi au droit interne apparaît couvrir toutes les hypothèses du Statut et ne pose donc pas problème223. En ce qui concerne la responsabilité des supérieurs hiérarchiques civils et militaires, l’article 65 de la loi reprend les dispositions du Statut et les rend applicables en droit interne.

mars 1961 fixant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Fonction Publique(JORS n°3444 du 8 avril 1961 p 496- Loi 73-60 du 19 Décembre 1973 modifiant la loi 61-33 du 15 Juin 1961 JORS 4333 du 28 Décembre 1973 p 2277 220 Il n’est pas certain que cette responsabilité du supérieur civil puisse exister en droit civil 221 Article 12: General Principles of criminal Law et Article 9. 222 Articles 51, 52 et 53. 223 Article 55 et 62.

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III. Causes d’exonération et imprescriptibilité Le défaut de pertinence de la qualité officielle a été traité dans la section consacrée aux immunités et ne sera donc pas abordé dans la présente section. Il est cependant utile de rappeler qu’en vertu de l’article 27 du Statut, la “qualité officielle de chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale”, ni ne constitue un motif de réduction de la peine. A. Statut de Rome 1. Causes d’exonération Les Etats n’ont pas l’obligation d’introduire les mêmes motifs d’exonération que ceux prévus par le Statut dans leur droit pénal mais ils devraient cependant s’assurer que les moyens de défense existant dans leur propre système de justice pénale ne permettent pas aux personnes inculpées de se soustraire à leur responsabilité pénale à l’égard de crimes relevant de la compétence de la CPI. L’article 31 du Statut définit la plupart des motifs d’exonération de la responsabilité pénale:

Article 31: Motifs d’exonération de la responsabilité pénale 1.Outre les autres motifs d’exonération de la responsabilité pénale prévus par le présent Statut, une personne

n’est pas responsable pénalement si, au moment du comportement en cause: a) Elle souffrait d’une maladie ou d’une déficience mentale qui la privait de la faculté de comprendre le

caractère délictueux ou la nature de son comportement, ou de maîtriser celui-ci pour le conformer aux exigences de la loi;

b) Elle était dans un état d’intoxication qui la privait de la faculté de comprendre le caractère délictueux ou la nature de son comportement, ou de maîtriser celui-ci pour le conformer aux exigences de la loi, à moins

qu’elle ne se soit volontairement intoxiquée dans des circonstances telles qu’elle savait que, du fait de son intoxication, elle risquait d’adopter un comportement constituant un crime relevant de la compétence de la

Cour, et qu’elle n’ait tenu aucun compte de ce risque; c) Elle a agi raisonnablement pour se défendre, pour défendre autrui ou, dans le cas des crimes de guerre,

pour défendre des biens essentiels à sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, d’une manière proportionnée à l’ampleur du danger qu’elle courait ou que couraient l’autre personne ou les biens protégés. Le fait qu’une personne

ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent alinéa.

d) Le comportement dont il est allégué qu’il constitue un crime relevant de la compétence de la Cour a été adopté sous la contrainte résultant d’une menace de mort imminente ou d’une atteinte grave, continue ou

imminente à sa propre intégrité physique ou à celle d’autrui, et si elle a agi par nécessité et de façon raisonnable pour écarter cette menace, à condition qu’elle n’ait pas eu l’intention de causer un dommage

plus grand que celui qu’elle cherchait à éviter. Cette menace peut être: i) Soit exercée par d’autres personnes;

iii) Soit constituée par d’autres circonstances indépendantes de sa volonté.(…) Les moyens de défense prévus par le Statut sont la déficience mentale, l’intoxication, la légitime défense et l’état de nécessité. La plupart de ces moyens de défense sont déjà reconnus dans les droits nationaux et il convient par conséquent de vérifier que les dispositions en vigueur sont conformes à celles du Statut et, le cas échéant, d’adapter les dispositions en vigueur aux moyens de défense prévus par le Statut. Une révision du droit national allant dans le sens d’une harmonisation avec le Statut aurait l’avantage d’uniformiser les procédures et de permettre notamment à une personne accusée devant une juridiction nationale d’invoquer les mêmes motifs d’exonération de la responsabilité pénale que devant la CPI.

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2. La défense d’ordres supérieurs En vertu de l’article 33 du Statut, le fait qu’un crime de génocide, crime contre l’humanité ou crime de guerre ait été commis sur l’ordre d’un supérieur hiérarchique, militaire ou civil, n’exonère pas la personne qui l’a commis de sa responsabilité pénale. Ce principe connaît néanmoins une exception qui s’applique lorsque les trois conditions énumérées ci-dessous sont réunies:

Article 33 : Ordre hiérarchique et ordre de la loi 1. Le fait qu'un crime relevant de la compétence de la Cour a été commis sur ordre d'un gouvernement ou d'un

supérieur, militaire ou civil, n'exonère pas la personne qui l'a commis de sa responsabilité pénale, à moins que : a) Cette personne n'ait eu l'obligation légale d'obéir aux ordres du gouvernement ou du supérieur en question;

b) Cette personne n'ait pas su que l'ordre était illégal; et c) L'ordre n'ait pas été manifestement illégal.

2. Aux fins du présent article, l'ordre de commettre un génocide ou un crime contre l'humanité est manifestement illégal.

Ces conditions sont cumulatives et l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est toujours manifestement illégal. Ce moyen de défense a fait l’objet de controverses. Les Chartes des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, comme les Statuts du TPIY et du TPIR, indiquent que la défense d’ordre supérieur n’est pas recevable et que l’ordre de commettre un crime étant illégal en lui-même, il ne peut justifier le comportement d’un subordonné. L’article 33 reflète cependant le droit interne de la plupart des Etats dans la mesure où l’ordre supérieur est un moyen de défense sauf lorsque l’ordre donné était manifestement illégal ou si la personne savait que cet ordre était illégal. Les Etats Parties ne sont pas obligés de modifier leur droit interne si celui-ci ne prévoit pas la possibilité pour un accusé d’invoquer ce moyen de défense. Pour les Etats qui disposent d’une loi prévoyant la possibilité d’invoquer ce moyen de défense, la seule modification à apporter consisterait à préciser que la défense d’ordres supérieurs ne peut être invoquée lorsque l’ordre en question concernait un crime contre l’humanité ou un génocide. Cependant, dans un souci d’harmonisation du droit interne aux dispositions du Statut, les ajustements qui pourraient être envisagées seraient: - de déclarer la défense d’ordres supérieurs généralement irrecevable. - de ne considérer l’ordre supérieur comme un moyen de défense que si l’accusé avait

l’obligation légale d’obéir aux ordres, et ne savait pas que l’ordre était illégal, et que l’ordre n’était pas manifestement illégal.

- De plus, la défense d’ordre supérieur est systématiquement irrecevable lorsque l’accusé a reçu l’ordre de commettre un crime contre l’humanité ou un génocide;

- Les règles applicables à la défense d’ordres supérieurs doivent être les mêmes que l’ordre ait été donné par une autorité militaire ou civile224.

3. Imprescriptibilité La CPI n’a pas compétence pour juger les crimes qui ont été commis avant l’entrée en vigueur du Statut. Toutefois, à compter de son entrée en vigueur, les auteurs des crimes décrits au Statut pourront toujours être jugés et punis par la Cour, quel que soit le nombre d’années écoulées entre le crime et l’acte d’accusation puisque les crimes soumis à la juridiction de la CPI ne seront sujets à aucune forme de prescription en vertu de l’article 29 du Statut.

224 Manuel canadien, p. 103-104.

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Article 29: Imprescriptibilité Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas.

Les Etats Parties doivent, en conséquent, prévoir la possibilité de remettre une personne à la CPI, même lorsque, en vertu du droit national, le crime pour lequel elle est accusée serait prescrit. Enfin, en vertu du principe de complémentarité, et afin que les juridictions nationales puissent exercer leur compétence, les Etats parties pourraient introduire l’imprescriptibilité des crimes du Statut dans leur législation nationale, même lorsqu’ils ne sont pas parties à la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1968225. Dans tous les cas, les Etats sont tenus de prévoir, au sein de leur loi de mise en oeuvre, la possibilité de remettre un accusé à la Cour, même si le crime dont il est accusé est prescrit en vertu du droit national. B. Etat du droit sénégalais 1. Causes d’exonération L’article 51 du Code Pénal dispose que “Nul crime ou délit ne peut être excusé (…) que dans les cas et dans les circonstances où la loi déclare le fait excusable (…)”. Les moyens de défense prévus par le Statut sont la déficience mentale, l’intoxication, la légitime défense et l’état de nécessité. En dehors de l’intoxication, les autres moyens de défense sont explicitement prévus par le Code Pénal sénégalais. La démence semble être définie largement et il est envisageable qu’un “état d’intoxication” puisse être assimilé à un “état de démence au temps de l’action” dans les termes de l’article 50 du Code Pénal226. La provocation, la légitime défense et l’état de nécessité font l’objet des articles 309 et 316227 et de l’article 168 du Code de Justice Militaire228. Il faut de plus noter qu’en ce qui concerne les actes de torture:

Aucune circonstance exceptionnelle quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout acte d’exception, ne pourra être invoquée pour justifier la

torture229. • Les moyens de défense prévus par le Code Pénal correspondent aux motifs

d’exonération de l’article 31 du Statut de Rome et ne nécessitent donc pas de modifications.

2. La défense d’ordres supérieurs

225 Ils pourraient également envisager de ratifier cette convention à l’occasion. 226 Art 50 du Code Pénal: Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pas pu résister. 227 Art 309 du Code Pénal: Le meurtre ainsi que les blessures et les coups sont excusables, s’ils ont été provoqués par des coups ou violences graves envers les personnes. Art 316 CP : Il n’y crime, ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui. 228 L’article 168 prévoit que « est puni de six mois à cinq ans d’emprisonnement tout militaire ou assimilé qui, hors le cas de légitime défense de soi-même ou d’autrui exerce des violences sur un subordonné. Toutefois il n’y a ni crime ni délit si les violences ont été commises à l’effet de rallier des fuyards en présence de l’ennemi ou de bande armée ou d’arrêter soit le pillage ou la dévastation soit le désordre grave de nature à compromettre la sécurité d’un bâtiment de la marine ou d’un aéronef militaire ». 229 Art 295.1 (torture) alinéa 4 du Code Pénal. Voire également articles 311-313 en ce qui concerne les crimes pour lesquels des conditions particulières s’appliquent au regard des moyens de défense.

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L’ordre supérieur n’est jamais une défense en matière de torture en vertu de l’article 295(1) alinéa 5 du Code Pénal:

L’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne pourra être invoqué pour justifier la torture. Cependant, en ce qui concerne les autres crimes, rien en semble indiquer que les ordres supérieurs ne soient une défense. Certaines dispositions semblent pourtant établir une obligation indifférenciée d’obéir aux ordres d’une autorité légitime comme l’indique les article suivants :

Art 315 du Code Pénal Il n’y a ni crime ni délit lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés

par l’autorité légitime.

Article 155 du Code de Justice Militaire Tout commandant militaire ou assimilé régulièrement saisi d’une réquisition légale de l’autorité compétente, qui

refuse ou s’abstient de faire agir les forces sous ses ordres, est puni de un à deux ans d’emprisonnement.

Article 157 du Code de Justice Militaire Est puni d’un emprisonnement d’un à deux ans, tout militaire, tout assimilé ou tout individu embarqué qui refuse

d’obéir, ou qui, hors le cas de force majeure, n’exécute pas l’ordre reçu(..).

Article 173 du Code de Justice Militaire: Tout militaire ou assimilé qui viole une consigne générale donnée à la troupe ou une consigne qu’il a

personnellement reçue mission d’exécuter ou de faire exécuter ou qui force une consigne donnée à un autre militaire, est puni d’un emprisonnement de deux mois à 3 ans.

La portée de ces articles au regard du Statut de Rome n’est pas claire. Le droit sénégalais ne semble pas considérer que l’ordre d’un supérieur puisse être invoqué comme moyen de défense. Il oblige cependant les subordonnés, et en particulier les subordonnés militaires, à obéir aux ordres de manière indifférente, sans laisser de marge de manœuvre à une personne tenue d’exécuter un ordre manifestement illégal. Ce dernier point justifie une révision du Code de Justice Militaire et du Code Pénal qui permette d’incorporer les principes de l’article 33 et déclare notamment que : • La défense d’ordres supérieurs est généralement irrecevable. • L’ordre supérieur ne peut être considéré comme un moyen de défense que si l’accusé

avait l’obligation légale d’obéir aux ordres, et ne savait pas que l’ordre était illégal, et que l’ordre n’était pas manifestement illégal.

• La défense d’ordre supérieur est, dans tous les cas, systématiquement irrecevable lorsque l’accusé a reçu l’ordre de commettre un crime contre l’humanité ou un génocide.

• Les règles applicables à la défense d’ordres supérieurs doivent être les mêmes que l’ordre ait été donné par une autorité militaire ou civile.

3. Imprescriptibilité Ni le Code Pénal, ni le Code de Procédure Pénale ne contiennent de dispositions sur l’imprescriptibilité des crimes tels que le crime de génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre, ou d’autres crimes. Aux termes du Code de Procédure Pénale, la prescription est de dix ans en matière de crimes et trois ans en matière de délit (la prescription en matière de délits est pertinente dans la mesure où la torture et les actes de barbarie sont qualifiés de

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délits)230. Au regard de l’article 29 du Statut, il apparaît donc souhaitable de modifier le droit de manière à permettre aux juridictions sénégalaises de connaître de la perpétration de crimes de génocide, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre indépendamment de la prescription existant pour les crimes ordinaires. A défaut, les juridictions sénégalaises ne seront pas en mesure de poursuivre les auteurs de ces crimes une fois la période de prescription expirée et la CPI exercera sa compétence sur ces crimes.

• L’imprescriptibilité des crimes du Statut devrait être inscrite dans le Code de Procédure Pénale en vertu de l’article 29 du Statut. La loi de mise en oeuvre devrait au moins permettre au Sénégal de coopérer avec la Cour si celle-ci déclare une affaire recevable du fait de l’inaction des autorités sénégalaises lorsque cette inaction est due à la prescription du crime en droit interne.

C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties Les pays de common law ne prévoient généralement pas de prescriptions, ce qui explique l’absence de dispositions relatives à l’imprescriptibilité des crimes du Statut dans les lois de mise en oeuvre. Les crimes sont donc imprescriptibles malgré le silence des lois citées ci-dessous.

Canada • Article 11: Moyens de défense • Article 14: Moyens de défense: Ordre d’un supérieur

Nouvelle Zélande

La loi néo-zélandaise renvoie par référence aux articles 29, 31 et 33 du Statut et prévoit leur applicabilité dans le cadre de poursuites au niveau national231.

Royaume Uni Les articles 56 et 63 prévoient que lorsque les juridictions nationales connaissent d’un crime du Statut, elles appliquent les principes généraux de droit applicable en Angleterre, en Ecosse et en Irlande du Nord. IV. Implications du Statut de Rome en matière de justice et pratique militaires A. Dispositions du Statut de Rome Les questions qui se posent eu égard au Statut de Rome sont, premièrement, de savoir si les juridictions militaires ou de droit commun devraient être utilisées pour enquêter sur, et poursuivre, les crimes relevant de la compétence de la Cour et, deuxièmement, de savoir si ces enquêtes et poursuites peuvent engendrer des modifications conséquentes en matière de pratique militaire et de justice militaire. 1. L'utilisation des juridictions militaires Le Statut de Rome ne prend pas position sur l'utilisation du système de justice militaire en tant que tel contrairement au système de justice de droit commun. Dans la mesure où le Statut ne distingue pas entre ces procédures, les mêmes règles de bonne foi, d'équité, d'indépendance et

230 Articles 7 et 8 du Code de Procédure Pénale t231 Article 12(1)(a)(ix) et 12(1)(a)(xi) (“General Principles of Criminal Law”)

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d'impartialité, prises en compte pour déterminer la recevabilité d'une affaire, s'appliquent à ces deux instances. Toutefois, les systèmes de justice militaire utilisent parfois des procédures plus rapides offrant des garanties moins protectrices que les juridictions de droit commun, et pourraient ainsi engendrer des décisions de recevabilité plus facilement. D'autre part, si les crimes de guerre sont commis uniquement en situation de conflit armé (international ou non international) conformément à l'article 8, les crimes contre l'humanité (Art.7) et le crime de génocide (Art.6) peuvent avoir lieu en dehors de tout conflit armé, et peuvent être commis par des entités non militaires comme des forces de police civile ou des groupes armés non étatiques. Ainsi, l'étendue de la compétence des juridictions militaires pourrait ne pas être suffisamment large pour permettre à un Etat de mener, de manière satisfaisante, des enquêtes sur et des poursuites pour tous les crimes prévus par le Statut. Un Etat Partie pourrait cependant décider de faire appliquer les procédures prévues par le Statut de Rome par ses seules juridictions de droit commun, ou à la fois par ses juridictions de droit commun et ses juridictions militaires232. • Les Etats Parties devraient revoir les relations entre leurs juridictions militaires et

celles de droit commun afin de s'assurer que toute personne (militaire ou civile) suspectée d'avoir commis des crimes relevant de la compétence de la Cour soit soumise aux enquêtes et aux poursuites appropriées.

• Si les systèmes de justice militaires doivent être utilisés pour connaître des crimes

relevant de la compétence de la CPI, ils devraient être capables, comme les juridictions pénales ordinaires, d'engager la responsabilité pénale conformément aux dispositions du Statut, prenant en compte les définitions des crimes, les motifs d'exonération de responsabilité et les principes généraux du droit applicables.

• En examinant la recevabilité d'une affaire, la Cour examinera les règles

internationales relatives à l'indépendance, l'impartialité et l'équité d'un procès, que les procédures nationales en question soient menées devant les juridictions militaires ou celles de droit commun.

2. Les effets indirects sur la justice et la pratique militaire L'adaptation du droit national au Statut devrait avoir des effets directs et indirects sur la justice et la pratique militaire. Toutes les interdictions résultant des définitions du crime de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre selon le Statut devraient notamment être applicables à l'égard du personnel militaire. Une incorporation directe des définitions du Statut dans le Code de Justice Militaire ou un renvoi explicite dans le Code de Justice Militaire à la disposition du Code Pénal incorporant les crimes, permettrait d'atteindre ce but. De plus, le Code de Justice Militaire devrait prendre en compte les principes généraux du droit pénal, les motifs d'exonération de la responsabilité pénale et les peines, de manière à ce que tout le régime de culpabilité défini par le Statut soit applicable aux militaires. A cet égard, les garanties d'indépendance, d'impartialité et d'équité du procès devraient être prévues. Certaines dispositions du Statut pourraient affecter plus largement les militaires. Les manuels militaires, mais également l'entraînement et la formation militaires devraient incorporer les modifications apportées par le Statut sur des questions relatives, entre autres, aux objectifs militaires, aux ordres supérieurs et à l'utilisation de certaines armes. Ces modifications

232 Directives Broomhall, p.58-60.

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seraient souhaitables, non pas parce que le Statut oblige les Etats en ce sens, mais plutôt à titre de mesure préventive. Bien qu'une grande partie des Etats reconnaisse le droit international existant, des dispositions spécifiques en la matière permettraient d’aller au-delà de ce que prévoit le droit national. Les Etats Parties devraient également s'assurer que leurs forces militaires n'entretiennent pas de relations avec des paramilitaires ou des forces armées irrégulières, d'une manière qui engage leur responsabilité pénale en application du Statut. La Cour aura, de plus, compétence pour les crimes de guerre (commis dans le contexte de conflit armé international ou non international) "en particulier lorsqu'[ils] s'inscrivent dans le cadre d'un plan ou une politique" (Art.8(1)). Les politiques en matière militaire, les règlements, les règles relatives au lancement des attaques, ou des documents similaires qui appellent à, ou semblent excuser, des comportements interdits en application de l'Art.8, pourraient être présentés comme une preuve que les crimes de guerre ont été commis dans le cadre d'une politique, ou "en application de la politique d'un Etat ou d'une organisation" (Art.7(2)(a)) dans le cas des crimes contre l'humanité233.

• Le Code de Justice Militaire ainsi que les politiques en matière militaire, les

règlements, les codes disciplinaires, les directives en matière de lancement des attaques, et les manuels de formation devraient être révisés de manière à éviter les actes susceptibles d’être qualifiés de crimes en vertu du Statut.

B. Droit sénégalais 1. Présentation du système de justice militaire La justice militaire est rendue sous le contrôle de la Cour de Cassation en temps de paix comme en temps de guerre, selon les règles du Code de Procédure Pénale234. Ce sont donc les juridictions de droit commun qui sont compétentes pour instruire et juger les infractions commises par les personnels militaires et paramilitaires avec la particularité que les magistrats professionnels sont assistés d’assesseurs militaires ou paramilitaires235. Le Code de Justice Militaire est donc dérogatoire au Code Pénal et au Code de Procédure Pénale au niveau de la reconnaissance aux autorités ministérielles de certains pouvoirs de poursuite en liaison avec les parquets et de l’existence d’infractions typiquement militaires. Les juridictions qui rendent la justice militaire sont des “juridictions ordinaires à formation spéciales” et ont compétence pour connaître des infractions d’ordre militaire, des infractions de toute nature, commises par des militaires dans le service, dans les casernes, quartiers et établissements militaires et chez l’hôte, et des infractions prévues par les statuts des corps paramilitaires236. Le Code couvre donc toutes les infractions que les personnels militaires et paramilitaires pourraient commettre sans que le Code Pénal les ait sanctionnés. Le Code Pénal reste donc une source essentielle du droit applicable et de la compétence des juridictions, y compris en matière militaire. 2. Les infractions militaires Seules les infractions strictement militaires, et qui ne figurent donc pas dans le Code Pénal, sont prévues par le Code de Justice Militaire. Par infraction militaire, on entend l’infraction qui ne se conçoit que dans le milieu militaire, ou qui est aggravée par le caractère militaire de ses 233 Directives Broomhall, p.60-66. 234 Article 1 et 2 du Code de Justice Militaire (CJM). 235 Article 7 du CJM. 236 Article 27 du CJM.

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auteurs ou des lieux où elle est commise. En revanche, pour les infractions de droit commun commises par des personnels militaires ou paramilitaires, les peines prévues par le Code Pénal sont applicables par les juridictions ordinaires à formation spéciale. Au sein des infractions prévues par le Code de Justice Militaire figurent, entre autres: la corruption, le vol, la provocation adressée à des militaires, les infractions contre le devoir et l’honneur militaire237, la trahison, les pillages et destructions, les infractions aux règles de discipline dont le refus du service dû légalement238, le refus d’obéissance 239. 3. La procédure applicable devant les juridictions ordinaires à formation spéciale Dans la phase de rassemblement des preuves et de l’appréhension des auteurs, les autorités ministérielles, investies des pouvoirs spéciaux par le Code de Justice Militaire sont, en vertu de l’article 44, habilitées à procéder ou à faire procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions. Elles disposent à cet effet d’officiers de police judiciaire militaire. Dans la phase de poursuite, une fois la procédure établie par l’officier de police judiciaire militaire ou ordinaire, il revient à l’autorité ministérielle de juger de l’opportunité des poursuites et de saisir le Procureur de la République de Dakar par un ordre de poursuite. Cependant, l’article 60 fait obligation aux autorités ministérielles de donner l’ordre de poursuite lorsque l’infraction est dénoncée par un juge d’instruction, par un Procureur de la République ou par un Procureur général ou par la Chambre d’accusation. Une fois l’ordre de poursuite délivré, le dossier est instruit et il appartient ensuite au juge d’instruction de communiquer le dossier au Procureur de la République pour ses réquisitions240. Les autorités ministérielles n’interviennent ni dans la phase d’instruction, ni dans la phase de jugement. La procédure applicable devant les juridictions militaires est respectueuse des droits de la défense241. Des voies de recours sont prévues contre certaines ordonnances du juge d’instruction ou contre la décision rendue par la juridiction242. La seule prérogative que le code reconnaît aux autorités ministérielles militaires une fois le jugement rendu est la possibilité de demander la suspension de l’exécution du jugement. Ce pouvoir exorbitant de droit commun est reconnu à ces autorités uniquement pour leur permettre de disposer de certains condamnés militaires en temps de guerre ou de crise.

• En dehors des crimes de guerre, qui semblent véritablement avoir leur place au sein du Code de Justice Militaire, les autres crimes du Statut de Rome devraient donc relever du Code Pénal, même lorsqu’ils sont commis par des militaires.

• La procédure applicable devant les juridictions militaires ne semble pas laisser

préjuger de difficultés pouvant mener à une décision de recevabilité d’une affaire par la CPI.

237 Articles 106 à 149 CJM. 238 Art 155 et 156 CJM. 239 Art 157-159 CJM. 240 Articles 65-67 CJM. 241 Article 26 et 63 CJM. 242 Articles 68-80 CJM.

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• Certaines garanties pourraient être renforcées et les points abordés tout au long de la présente section relative à la complémentarité devraient être incorporés dans le Code de Justice Militaire ou le Code Pénal ou dans les deux codes. Enfin, on pourrait également envisager de les incorporer uniquement dans le Code Pénal et d’inscrire une disposition de renvoi explicite dans le Code de Justice Militaire.

C. Solutions retenues par les autres Etats Parties Les lois de mise en œuvre existantes n’abordent pas la question des rapports entre juridictions ordinaires et militaires et attribuent compétence aux juridictions ordinaires pour connaître des crimes du Statut, même lorsque ceux ci sont commis en temps de guerre et par des militaires. La tradition juridique des pays de common law ne pose pas de problème dans ce sens et il a semblé plus adapté de poursuivre les auteurs de tels crimes devant des juridictions ordinaires et sur la base du Code Pénal. Cependant, la Suisse, seul pays de tradition civiliste, ayant pris des mesures de mise en oeuvre à l’heure actuelle, est confrontée à la nécessité de réviser son Code de Justice Militaire243. Les tribunaux militaires suisses peuvent connaître des crimes de guerre, comme l’a illustré l’affaire Nytoneze244.

243 Un amendement est en cours d’élaboration à l’heure de la rédaction de cette analyse. 244 Voir sous-section relative à la définition des crimes. La décision la plus récente est celle de la Cour suprême militaire en date du 27 avril 2001.

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RECAPITULATIF : Conséquences du principe de complémentarité en matière de mise en œuvre

L’absence, en droit interne, d’interdiction de certains actes, ou l’absence de principes généraux du droit pénal, de motifs d’exonération de la responsabilité pénale prévus par le Statut pourrait motiver une décision de recevabilité

de la Cour fondée sur la manque de volonté ou l’incapacité de mener à bien les procédures au niveau national.

I. Définitions des crimes et détermination des peines

STATUT DE ROME

- Définitions des crimes : La CPI a compétence pour connaître des crimes de génocide, crimes

contre l’humanité et crimes de guerre tels que définis par les articles 5 à 8 du Statut et par les éléments des crimes.

- Détermination des peines : Art. 77, 80 et 23 du Statut : Le Statut n’impose aucune obligation aux

Etats Parties en ce qui concerne les peines prévues par le Code pénal punissant les crimes précités.

DROIT SENEGALAIS - Définition des crimes : Le Code Pénal sénégalais ne punit pas le crime de génocide, le crime

contre l’humanité et les crimes de guerre. La stratégie de mise en oeuvre la plus simple consisterait à harmoniser la législation nationale avec les dispositions du Statut relatives à la définition des crimes, et par conséquent à incorporer les crimes du Statut, dans les termes du Statut, au sein du Code Pénal sénégalais.

- Détermination des peines : Des peines punissant le crime de génocide, crime contre l’humanité et

crime de guerre devront être introduites dans le Code Pénal. Ces peines devraient refléter la gravité des crimes. La détermination d’une échelle des peines similaire à celle prévue par l’article 77 du Statut remplirait cette exigence.

SOLUTIONS RETENUES PAR D'AUTRES ETATS PARTIES

• Canada : art. 4 et 6 • Nouvelle Zélande : art. 8-11 • Royaume Uni: art 50& s.

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II. Responsabilité pénale

STATUT DE ROME

• Responsabilité pénale individuelle : Art. 25 • Responsabilité pénale des supérieurs militaires et civils : Art. 28

DROIT SENEGALAIS

• Responsabilité pénale individuelle : Les dispositions du Code Pénal relatives à la responsabilité

pénale individuelle semblent conformes aux dispositions de l’article 25 du Statut mais les dispositions du Code de Justice Militaire relatives à la responsabilité pénale individuelle du personnel militaire sont insuffisantes et devraient être complétées par un renvoi explicite aux principes prévus par le Code Pénal.

• Responsabilité pénale des supérieurs militaires et civils : La responsabilité des supérieurs

militaires est prévue par le Code Pénal et le Code de Justice Militaire mais elle est limitée à des hypothèses déterminées et les critères de responsabilité sont plus étroits que ceux prévus par l’article 28 du Statut de Rome. La responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques civils semble, quant à elle, inexistante en droit sénégalais. Par conséquent, il apparaît nécessaire de revoir les principes de la responsabilité des supérieurs au regard de l’article 28 du Statut de Rome afin de s’assurer que les juridictions sénégalaises puissent connaître d’affaires relatives à la responsabilité de supérieurs sans risquer d’être dépourvues de leur compétence par la CPI.

SOLUTIONS RETENUES PAR D'AUTRES ETATS PARTIES

• Canada: Art. 4, 5 et 7 • Nouvelle Zélande: Art. 12 • Royaume Uni: Art. 51, 52, 53, 55 & 65

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III. Causes d’exonération et imprescriptibilité

STATUT DE ROME

• Art. 31(“Motifs d’exonération de la responsabilité pénale”) • Art. 33 (“Ordre hiérarchique et ordre de la loi”) • Art. 29 (“Imprescriptibilité”)

DROIT SENEGALAIS • Causes d’exonération: Les moyens de défense prévus par le Code Pénal correspondent aux motifs

d’exonération de l’article 31 du Statut de Rome et ne nécessitent donc pas de modifications. • Défense d’ordres supérieurs: Il semble nécessaire d’affirmer les principes suivants de manière

claire dans le Code Pénal et le Code de Justice Militaire: - La défense d’ordres supérieurs est généralement irrecevable; - L’ordre supérieur ne peut être considéré comme un moyen de défense que si l’accusé avait

l’obligation légale d’obéir aux ordres, et ne savait pas que l’ordre était illégal, et que l’ordre n’était pas manifestement illégal;

- La défense d’ordre supérieur est, dans tous les cas, systématiquement irrecevable lorsque l’accusé a reçu l’ordre de commettre un crime contre l’humanité ou un génocide.

- Les règles applicables à la défense d’ordres supérieurs doivent être les mêmes que l’ordre ait été donné par une autorité militaire ou civile.

• Imprescriptibilité : L’imprescriptibilité des crimes du Statut devrait être inscrite dans le Code de

Procédure Pénale en vertu de l’article 29 du Statut. La loi de mise en oeuvre devrait au moins permettre au Sénégal de coopérer avec la Cour si celle-ci déclare une affaire recevable du fait de l’inaction des autorités sénégalaises lorsque cette inaction est due à la prescription du crime en droit interne.

SOLUTIONS RETENUES PAR LES AUTRES ETATS PARTIES

• Canada: Art. 11 et 14 • Nouvelle Zélande: Art.12 • Royaume Uni: Art. 56 et 63

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IV. Implications du Statut de Rome en matière de justice et pratique militaires

IMPLICATIONS DU STATUT DE ROME

• Les Etats Parties devraient revoir les relations entre leurs juridictions militaires et celles de droit

commun afin de s'assurer que toutes personnes (militaires ou civiles) suspectées d'avoir commis des crimes relevant de la compétence de la Cour soient soumises aux enquêtes et aux poursuites appropriées.

• Si les systèmes de justice militaire doivent être utilisés pour connaître des crimes relevant de la

compétence de la CPI, ils devraient être capables, comme les juridictions pénales ordinaires, d'engager la responsabilité pénale conformément aux dispositions du Statut, prenant en compte les définitions des crimes, les motifs d'exonération de responsabilité et les principes généraux du droit applicables.

• En examinant la recevabilité d'une affaire, la Cour examinera les règles internationales relatives à

l'indépendance, l'impartialité et l'équité d'un procès, que les procédures nationales en question soient menées devant les juridictions militaires ou celles de droit commun.

• Les politiques en matière militaire, les règlements, les codes disciplinaires, les directives en

matière de lancement des attaques, et les manuels de formation devraient être révisés de manière à éviter les actes susceptibles d’être qualifiés de crimes en vertu du Statut.

DROIT SENEGALAIS

• En dehors des crimes de guerre, qui semblent véritablement avoir leur place au sein du Code de

Justice Militaire, les autres crimes du Statut de Rome devraient relever du Code Pénal, même lorsqu’ils sont commis par des militaires.

• La procédure applicable devant les juridictions militaires ne semble pas laisser préjuger de

difficultés pouvant mener à une décision de recevabilité d’une affaire par la CPI. Certaines garanties pourraient être renforcées et les points abordés tout au long de la présente section relative à la complémentarité devraient être incorporés dans le Code de Justice Militaire ou le Code Pénal ou dans les deux codes. Enfin, on pourrait également envisager de les incorporer uniquement dans le Code Pénal et d’inscrire une disposition de renvoi dans le Code de Justice Militaire.