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PIANO n° 25 • 2011-2012 47 PÉDAGOGIE C omment parler de ce chef-d’œuvre qui évoque la faiblesse fondamentale de l’homme face à la vie, la fragilité de son bonheur et, pour les croyants comme Jean-Sébastien Bach, la consolation qu’il peut chercher dans la foi ? La version pour piano qu’en réalisa la pianiste britannique Dame Myra Hess est particulièrement émouvante. Si elle a séduit nombre de concertistes qui aiment à la jouer en bis, elle reste accessible au pianiste amateur. Histoire de ce choral Ce choral est extrait de la cantate BWV 147 intitulée “Herz und Mund und Tat und Leben” (Le cœur, et la bouche, et les actes, et la vie), l’une de ces cantates que Bach composait chaque dimanche pour le culte protes- tant. Il l’écrivit à Weimar pour le quatrième dimanche de l’Avent, en 1716. Elle devint ensuite une cantate pour célébrer la Visitation de la Vierge et fut exécutée pour la première fois à Leipzig le 2 juillet 1723. Travailler « Jésus, que ma joie demeure…» Il s’agit d’une transcription pour piano du célèbre choral de la cantate de Bach BWV 147 pour chœur et orchestre. « Jésus, que ma joie demeure » est sans doute, malgré sa brièveté, l’une des pièces les plus belles, les plus ferventes et les plus célèbres de toute la musique occidentale. Cette mélodie fut l’objet, du temps même de Bach, de reprises et de transcriptions. Alexandre Sorel nous propose ici de travailler la version réalisée par la pianiste britannique Myra Hess. DR DR

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PÉDAGOGIE

C omment parler de ce chef-d’œuvre quiévoque la faiblesse fondamentale del’homme face à la vie, la fragilité de sonbonheur et, pour les croyants commeJean-Sébastien Bach, la consolation qu’il

peut chercher dans la foi ? La version pour pianoqu’en réalisa la pianiste britannique Dame MyraHess est particulièrement émouvante. Si elle a séduitnombre de concertistes qui aiment à la jouer en bis,elle reste accessible au pianiste amateur.

Histoire de ce choral

Ce choral est extrait de la cantate BWV147 intitulée“Herz und Mund und Tat und Leben” (Le cœur, et labouche, et les actes, et la vie), l’une de ces cantates queBach composait chaque dimanche pour le culte protes-tant. Il l’écrivit à Weimar pour le quatrième dimanchede l’Avent, en 1716. Elle devint ensuite une cantatepour célébrer la Visitation de la Vierge et fut exécutéepour la première fois à Leipzig le 2 juillet 1723.

Travailler« Jésus, que ma

joie demeure… »Il s’agit d’une transcription pour piano du célèbre choral de la cantate de BachBWV 147 pour chœur et orchestre. « Jésus, que ma joie demeure » est sans doute,malgré sa brièveté, l’une des pièces les plus belles, les plus ferventes et les pluscélèbres de toute la musique occidentale. Cette mélodie fut l’objet, du temps mêmede Bach, de reprises et de transcriptions. Alexandre Sorel nous propose ici detravailler la version réalisée par la pianiste britannique Myra Hess.

DR DR

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La mélodie existait déjà, sous forme d’un hymne àquatre temps: «Werde munter, mein Gemüthe», écritvers 1642 par un certain Johann Schop, violoniste deson état. Bach en avait eu très probablement connais-sance et, en un sens, il en fit déjà lui-même une trans-cription : il transforma la mesure à quatre temps enmesure à trois temps, puis il l’harmonisa pour chœur.Enfin, il doubla la mélodie à la trompette.Pour nous, pianistes, il est encore intéressant deremarquer, comme le souligne Gilles Cantagrel dansson grand ouvrage sur Bach, Le Moulin et la Rivière1,la similitude entre le deuxième thème mélodique de« Jésus, que ma joie demeure » et le Prélude en utdièse majeur, n° 3, du premier livre du Clavier bientempéré. (exemples 1a et 1b)On peut encore rapprocher ce prélude lui-mêmed’une autre mélodie chorale, plus ancienne, compo-sée cette fois par un certain Martin Jahn (1661) :«Jesu meiner Seelen Wonne». (exemple 1c) Comme on le voit, la transcription ou retranscriptiond’une mélodie déjà existante a toujours été une pra-tique courante. Bach a notamment transcrit pourorgue maints concertos de Vivaldi pour lesquels il sepassionnait.Même si notre propos est principalement dirigé versla transcription pour piano de ce choral, il importeavant toute chose d’écouter la cantate elle-même. Le

piano n’est-il pas là pour tenter d’imiter l’orchestre,et même la voix? De nombreuses versions sont dispo-nibles. J’avoue personnellement avoir une passionpour les enregistrements des cantates de Bach parKarl Richter2.Le thème du choral revient deux fois dans cette can-tate. Il intervient tout d’abord à la sixième place dansla succession des morceaux, succédant à une sublimearia de soprano. Voici ce que chante alors le chœur :«Wohl mir, dass ich Jesum habe» :Dieu soit loué, Jésus est à moi /O, comme je vais le garder bien à moi / pour qu’il désaltère mon cœur /lorsque je suis triste et malade. / …

Ce même choral réapparaît une deuxième fois tout àla fin de la cantate, avec des paroles un peu diffé-rentes. De celles-ci provient le titre qui a rendu sicélèbre ce choral : «Jesus bleibet meine Freude» :Jésus, que ma joie demeure, / Consolation et vigueur dans mon cœur / Jésus protège-moi contre toutes les misères / Tu es la force de ma vie / De mes yeux, tu es le plaisir et le soleil / Le trésor et les délices de mon âme / Jamais, Jésus, je ne te délaisserai / Ni ne te chasserai de mon cœur et de mes yeux.

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Exemple 1a : mélodie de « Jésus que ma joie demeure», deuxième motif (Cantando il tenore, mesure 9)

Exemple 1c : choral « Jésu meiner Seelen Wonne» de Jahn (éd. Gilles Cantagrel)

Exemple 1b : main droite du Prélude n°3 du Clavier bien tempéré de Bach (éd. Gilles Cantagrel)

1. Gilles Cantagrel, Le Moulin et la Rivière,Paris, Fayard, 1999,p. 2212. Avec Dietrich Fischer-Dieskau, Edith Mathis,Anna Reynols, HerthaTöpper, PeterSchreier…, MünchenerBach Orchester(Archiv Production).Karl Richter futorganiste à laThomaskirche deLeipzig, là où Bachlui-même avait travaillépendant prèsd’un quart de siècle.Sans doute est-cecela qui confère à cetinterprète une grandeauthenticité et fait deses enregistrementsdes chefs-d’œuvre.

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Voyons maintenant comme étudier cette pièce, quiest loin d’être facile, dans sa transcription pour pianoseul effectuée par Myra Hess en 1926. C’est de cettetranscription que le grand pianiste roumain DinuLipatti avait fait son bis favori, et l’on dit même qu’iln’a jamais cessé d’y travailler toute sa vie.Notons au passage que Wilhelm Kempf a réalisé lui-même une transcription un peu différente du mêmechoral3 ; cependant, cette dernière est à mon avisbeaucoup plus compliquée et moins pianistique, sanspour autant rendre un meilleur effet.Bien sûr, l’idéal serait de se procurer la partition com-plète pour chœur et orchestre. En effet, ce “conduc-teur” en main, on distingue aisément comment Bacha orchestré les parties et chacun des thèmes. Outre lajouissance musicale, cela permet d’imaginer lesdiverses sonorités, les couleurs et les timbres qu’ilfaut rechercher en jouant cette pièce au piano.

Dans l’instrumentation même de la cantate, les deuxthèmes de ce choral sont bien contrastés :Le premier thème est exprimé par les premiers violons etle hautbois (Oboi col Violino 1), accompagné par lesdeuxièmes violons et les altos. Ce thème représente,à mon sens, la voix divine. Elle n’est que douceur,presque immatérielle. (exemple 2a)Le deuxième thème, bien séparé du premier, représente

l’assemblée humaine. Il est entonné par tout le chœuret doublé à la trompette. Ce contraste d’instrumenta-tion contribue à nous donner un sentiment de pléni-tude. Musicalement, tout se passe comme si, audébut, une voix descendait du ciel ; nous sommes ber-cés par la mélodie des violons, puis nous voilà saisis

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Exemple 2a : partition d’orchestre : le premier thème exposé au premier violon

Extraits de la partitiond’orchestrereproduits avecl’aimable autorisationdes éditionsBreitkopf & Härtel,Wiesbaden.

MYRA HESS (1890-1965)

Née à Londres, elle commence le piano à l’âge de5 ans, avant d’entrer à la Guildhall School deux ansplus tard, puis de rejoindre l’Académie royale demusique. Elle débute en 1907 dans le Concerto n° 4

de Beethoven, sous la direction de Thomas Beecham,avec un succès qui lui ouvre la porte des grandsorchestres européens. A partir de 1922, elle fera denombreuses tournées aux Etats-Unis et au Canada.Pendant la guerre, pour soutenir le moral des Londo-niens, elle organisera quelque 1 700 “lunchtimeconcerts” à la National Gallery (les salles de specta-cle étaient fermées). Cela lui vaudra d’être faite DameCommandeur de l’Empire britannique. Son vasterépertoire comptait aussi bien des œuvres de Scarlatti,Bach, Mozart, Beethoven, Schumann que des compo-siteurs britanniques de son temps.

La transcription de Myra Hess3. Johann SebastianBach für Klavierübertragenvon Wilhelm Kempff,1938/Bote & Bock,1996, Berlin B & B20437 (93).

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quand le chœur intervient : l’homme confie ses peinesau Très-Haut. Celui-ci le console et répond à nouveaupar la suavité des cordes. Voilà l’effet orchestral donts’efforce de rendre compte la transcription. (exemple2b)

Par ailleurs, on voit que la basse, dans la version pourpiano, correspond exactement au continuo de la ver-sion orchestrée. Le fait de consulter cette partition deconducteur permet de bien visualiser cette basse.

Ainsi, la première chose à faire pour apprendre cechoral est, comme toujours, d’avoir une vision d’en-semble de cette pièce. Commencez par mettre desnuméros aux mesures, car la partition de Myra Hessn’en comporte pas. Déchiffrez-la plusieurs fois enentier et efforcez-vous d’en comprendre le plan géné-ral, d’en dégager la forme.Identifiez ces deux thèmes que nous venons d’évoquer.Il importe en effet de nous demander par quels moyensmusicaux concrets Bach exprime sa foi inébranlable etcette certitude que Dieu va lui répondre. La réponseme paraît évidente: c’est à travers la perfection absoluede la forme. C’est la logique de ce discours, parfaite-ment symétrique avec ses deux motifs distincts (l’un ins-trumental, l’autre choral), qui comble notre esprit.

C’est précisément parce que la forme de cette musiqueest absolument parfaite, que le sens s'impose, que notre“joie” peut “demeurer”. En vérité, l’esprit et la forme,ce sont là deux orientations majeures pour comprendreune œuvre d’art, quelle qu’elle soit.

Dans un film passionnant tourné par Bruno Monsain-geon4, Nadia Boulanger, l’une des plus grandes péda-gogues du 20e siècle, déclare à ses élèves : « Si vousêtes exécutant et que vous jouez en toute honnêteté,non pas pour vous exprimer vous-même, mais pourexprimer l’œuvre – non pas pour dire “ma” sonate deBeethoven, “mon” scherzo de Chopin, mais : “LeScherzo”… (D’ailleurs, il n’est même pas de Chopin,ce scherzo : disons plutôt : “il a été donné à Chopin”d’écrire un morceau qui n’a plus besoin de Chopinpour être un chef-d’œuvre) –… alors, si vous jouezainsi, c’est tellement beau ! Le morceau n’a plusbesoin de l’exécutant, il n’a plus besoin de l’auditeur.Il n’a plus besoin de rien, il est dans l’air, comme res-plendissant de lumière.» Voilà une façon magistraled’aborder une œuvre. Ce choral est si logique en lui-même, si beau, qu’il n’a besoin de personne, il existedans l’éternité. A nous d’aller seulement à sa rencon-tre, de l’aborder tel qu’il est. La première chose àfaire est donc de décrypter sa logique.

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Exemple 2b : partition d’orchestre : mesures nos 8 à 12, 2e thème entonné par le chœur

4. Nadia Boulanger,

Mademoiselle de BrunoMonsaingeon, 1977(DVD Medici Arts).

| Deuxième thème

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Première partieNous avons souligné qu’il y a deux thèmes principauxdans ce choral.

LE PREMIER THÈME

Le premier thème s’enroule autour de l’accord de solmajeur et monte, marche par marche, jusqu’au sol aigu.Il se décompose lui-même en deux fragments distincts.Le premier fragment, mesures 1 à 4, “ouvre lamusique”. Il se suspend sur l’harmonie de dominante,qui est, comme chacun sait, synonyme de question, desuspension et d’interrogation: «Seigneur, m’entendez-vous?»Le second fragment, mesures 5 à 8, varie un peu afinde nous ramener tout simplement à une “fermeture”,à la tonique bien assurée. Voilà ce qui, dès ce début,nous donne déjà un premier sentiment de parcoursachevé et de perfection, et donc de joie intérieure.Il n’y a qu’un seul moyen pour apprendre ce passageintelligemment, c’est de repérer exactement les notesqui changent entre la première et la seconde partie dece motif. Il faut ensuite les intégrer dans notre oreilleet dans les réflexes de nos doigts : remarquez bienque, lorsque le thème s’élance pour la seconde fois, lamélodie est d’abord identique, mais l’harmoniedevient sensiblement différente : les degrés qui sou-tiennent la mélodie changent. Par exemple, le sixièmedegré de la gamme intervient plus tôt. Cela nousconduit vers la cadence.Il est indispensable d’analyser tout cela avec soin.D’ordinaire, il est bon d’effectuer ce premier travail :

dans une phrase qui commence à l’identique, puis quibifurque légèrement, comme c’est le cas ici, il consisteà griser au crayon ce qui a déjà été joué précédem-ment, et à ne laisser en clair que les notes nouvelles.C’est une démarche de pure réflexion ; elle est trèsutile car nous évitons ainsi, tant que l’image musicalen’est pas parfaite, de prendre de mauvaises habitudesavec les doigts. (exemple 3)

Les notes grisées étaient déjà présentes dans le pre-mier fragment. Seules apparaissent ici en clair lesnotes et harmonies nouvelles, qui font évoluer lacomposition. Cela aide à apprendre.

➜ Lorsque vous êtes dans la première phased’apprentissage, surtout pour la musiquede Bach, qui procède d’une architectureparfaitement logique, repérez d’abord la construction sans jouer. Lorsque des thèmes se répètent, puis changent,grisez au crayon ce qui a déjà été exposéet ne laissez en clair que ce qui est nouveau.La mémoire de construction devient aussivisuelle : ce qui est nouveau vous sauteaux yeux…

Comment jouer ce motif ?

A. Apprenez bien la voix médianeMaintenant, pour jouer cette main droite (et non plussimplement pour penser la musique dans la tête), ilest indispensable de savoir chanter parfaitement, nonseulement le chant principal, mais aussi la voix inter-

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puis cadence IV V I(passage)

note de (passage) = nouveaudegré VI

Exemple 3 : mesures 5 à 8

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Partition de “Jesus,Joy of Man’sDesiring” de Jean-Sébastien Bach,arrangée pour pianoseul par Myra Hess.© Oxford UniversityPress, 1926.Extraits reproduitsavec l’aimableautorisationde l’éditeur(tous droits réservés)

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médiaire. Ce n’est pas si facile, car cette ligne inter-médiaire est bien dissimulée au sein de la maindroite, enchevêtrée sous le thème principal. Autre-ment dit, chantez ce contrepoint. Non seulement c’estindispensable à la mémorisation, mais de plus, pour-quoi s’en priver, c’est tellement beau ! Chantez etchantez encore sans vous lasser toutes les voix tour àtour, et en particulier cette voix médiane, sinon vousne pourrez jamais jouer ce morceau sans vous trom-per. Ecoutez aussi le disque de la cantate pour l’en-tendre. (exemple 4a)Si vous disposez de la partition pour orchestre, vousremarquerez que cette partie interne de la maindroite de la version pour piano correspond note pournote à la partie de second violon. Cela vous aiderabeaucoup. Voici cette partie de second violon, tellequ’elle apparaît dans le conducteur. (exemple 4b)Repérez aussi et apprenez bien les doigtés de cettevoix du milieu. Comme on le constate, ce n’est pasfacile de la jouer legato, puisque des notes différentessont jouées successivement par le 2e doigt, plusieursfois de suite. La solution, encore une fois, est dans lapratique du chant, qui permet d’imaginer, puis debien dessiner la courbe de la phrase.Enfin, analysez et écoutez cette partie médiane de lamain droite pour voir exactement où elle change. Com-parez la dernière croche de la mesure 2 et la dernièrecroche de la mesure “homologue”, la mesure 6 : onconstate que cette partie médiane change elle aussi ;elle contribue à faire avancer la musique (voir dansl’exemple 3). Anticiper la musique s’apprend de cettefaçon, en décryptant la logique. Enfin, jouez la maindroite toute seule, tout en chantant cette voix du milieu.En résumé, ne brûlez surtout pas l’étape qui consisteà bien apprendre la voix de l’alto.

B. Rythme des harmoniesCependant, lorsque l’on fait coïncider cette voixmédiane avec le thème principal, que constatons-nous? Cela produit des rencontres de lignes, des ren-contres verticales de notes. C’est le principe ducontrepoint. Réfléchissez à ces notes qui tombentensemble, et même à ces harmonies, et écoutez-lesbien. Sont-elles consonantes ? Dissonantes ? Vousverrez en tout cas que cela forme des accords, desharmonies, qui surviennent selon un rythme trèsrégulier et infiniment tendre : une harmonie qui dureune noire, suivie d’une harmonie qui ne dure qu’unecroche… et de nouveau une harmonie pendant unenoire, suivie d’une harmonie pendant une croche.Mettez-vous dans l’oreille la succession de ces harmo-nies avec son doux balancement. N’hésitez pas à répé-ter plusieurs fois de suite verticalement ces rencontresde notes. Jouez-les de haut en bas, en écoutant la par-faite synchronisation, et en pensant que vous tombezdans les notes bien perpendiculairement au clavier.Tout cela vous permettra de vous “mettre dans lesdoigts” les harmonies et vous aidera beaucoup pourapprendre.

C. La synthèseNous voici amenés tout naturellement à ce principedont j’ai parlé souvent, et qui me paraît constituer unprincipe général de technique du piano : l’une desgrandes difficultés de notre art musical est qu’il fautsavoir maîtriser notre jeu horizontalement autant queverticalement. Cela est d’ailleurs particulièrementnécessaire dans la musique de Bach, qui allie harmo-nie et contrepoint.Cette mélodie de «Jésus, que ma joie demeure» esttrès célèbre ; c’est donc tout naturellement que nous

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Exemple 4b : version orchestre : la partie de 2e violon mesures 1 à 5

Exemple 4a : la voix médiane

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avons envie de la faire chanter sous nos doigts. Elledessine une belle courbe linéaire qui se déroulecomme un paysage, s’élance un peu plus forte versl’aigu, se relâche en retombant vers le grave, puisrepart… Tout cela est un déploiement horizontal de lamusique. Sentir la mélodie est une faculté spontanéechez une personne qui aime et ressent la musique.Cependant, et là est la difficulté, il ne faudrait surtoutpas que cela se fasse au détriment de l’écoute harmo-nique, ni ne nous empêche d’entendre et de synchro-niser verticalement les harmonies…Pratiquement, malgré votre désir de faire chanter cechoral en dessinant une belle courbe mélodique, il fautque les doigts accomplissent un minuscule mouvementleur permettant de tomber verticalement sur chaquepremière et troisième croche du temps, d’exécuter unimperceptible geste perpendiculaire par rapport auclavier, cela afin de bien synchroniser les harmonies.

➜ Particulièrement en jouant Bach (mais c’est un principe général), il faut contrôler la musique tout aussi bienhorizontalement (dessiner les mélodies)que verticalement (dosage etsynchronisation des harmonies).

C’est physiquement une double préoccupation. N’ou-bliez jamais qu’une interprétation est affreuse si ellen’est pas “chantante”: un jeu trop vertical n’est évidem-ment pas satisfaisant. A l’inverse, un jeu pris en défautd’harmonie, désynchronisé verticalement, est tout aussipréjudiciable à la richesse sonore, mais aussi à la coor-dination, aux réflexes et à la technique. C’est à cettedouble exigence que nous devons souscrire.

D. La basse et les cadencesLa basse a aussi dans ce choral une importance trèsgrande. C’est elle, en effet, qui indique les cadenceset les degrés de la gamme sur lesquels le thème s’ap-puie. Ecoutons encore Nadia Boulanger : elle disaitque l’essentiel, ce qui, de Bach à Ravel, permet decomprendre la construction de la musique, ce sont lescadences. Apprenez donc bien par cœur voscadences, et identifiez l’endroit où change la bassedans les deux fragments de phrase. Chantez-la sansjamais vous lasser. Ecoutez la cantate spécialementpour la partie de basse continue, dans laquelle voussentirez les cadences. (On voit bien ici, à la faveur decette réflexion sur une transcription, que ce quicompte avant tout, c’est d’assimiler la musique elle-même!)Voici la basse du continuo dans la version pourorchestre. Elle est évidemment identique auxoctaves de main gauche dans la version pour piano.(exemples 5a et 5b)

Maintenant, voici quelques conseils musicaux pourjouer cette basse :– lancez cette basse en considérant que c’est une notelongue (plus longue que les croches du chant),sachant que, au piano, les sons commencent à s’étein-dre aussitôt émis. On doit donc percevoir la réso-nance de chaque basse jusqu’à la basse suivante. C’estla condition pour percevoir cette ligne de basse“continue” à l’oreille ;– il faut aussi, évidemment, phraser cette ligne debasse. La basse est en octaves ; or des octaves, ce sontdeux notes qui doivent être jouées bien ensemble,donc avec un soupçon de verticalité ! Et pourtant, il

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Exemple 5a : version pour orchestre : basso continuo, mesures1 à 8

Exemple 5b : basse de la version pour piano

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faut évidemment dessiner la courbe de cette basse, lanuancer (horizontalement). N’est-ce pas une illustra-tion de ce que nous venons de dire sur la double exi-gence de verticalité et d’horizontalité ? Encore unefois, voilà l’une des difficultés du piano ;

➜ Suivez la prolongation du son de vos basses, quand elles sont des notes longues. Ne les laissez pas disparaître de votre oreille. La basse doit aussi être nuancée, elle doit dessiner une courbe de chant.

– enfin, mettez des doigtés qui permettent de substi-tuer, et donc de lier cette basse au maximum. On nefait jamais assez attention aux doigtés de la maingauche. Fixer et respecter scrupuleusement les vraisdoigtés de main gauche est déterminant pour appren-dre un morceau.

LE DEUXIÈME THÈME

Le deuxième thème, à partir de la mesure 9, est l’en-droit où, dans la cantate, intervient le chœur. Aprèsavoir écouté la voix de Dieu jouée par les violons, l’as-semblée des hommes prend la parole. Le chœur desfidèles entonne sa supplique grandiose, et il demandeà Dieu que sa joie demeure.Dans la transcription de Myra Hess, ce deuxièmethème apparaît pour la première fois au ténor ; nous

devons le jouer avec le pouce de la main gauche.Mais il ne suffit pas de le savoir ! Ce n’est pas si facileque cela de le faire sonner ! (exemple 6)

Faites-le sonner en mettant le poids sur le pouce, enatténuant les autres parties, enfin en le faisant émer-ger par contraste avec un début du morceau suffisam-ment piano. Voyons cela.Comment parvenir à faire sonner ce thème au ténorpour qu’il ressorte avec évidence ? Comment imiterla cantate, suggérer cette masse des fidèles quientonne d’une seule voix son chant vers Dieu?Vous commencerez probablement par écouter centfois Dinu Lipatti pour savoir comment il fait pourfaire sonner si incroyablement ce passage. Cela paraîtsi simple, quand on écoute ce grand pianiste ! Vouspoursuivrez sans doute en essayant d’imiter sa sono-rité. Après mille essais infructueux, vous en viendriezpeut-être à maudire votre pouce gauche, votre piano,la transcription de Myra Hess, Dinu Lipatti… Maisn’en faites rien !L’une des premières choses à faire est de prendreconscience du contraste entre ces deux éléments duchoral. C’est très concret ; il faut anticiper la nuance enjouant vraiment très piano le début du choral, mesures1 à 8 (joué doucement par les cordes dans la cantate).Le présent thème, mesure 9, joué avec le pouce gaucheet noté « cantando il tenore », ressortira alors de lui-même, sans forcer, par contraste avec le début. Jouerdoucement au début, c’est là une condition indispen-sable pour que le présent thème puisse émerger sans

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Exemple 7 : mesures 12 et 13, une pause dans le discours : le premier thème, en triolets, continue tout seul.

Exemple 6 : mesures 9 à 12 de la version pour piano

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effort, dans la nuance mf. Tout est contraste!Si l’on commence en jouant trop fort les mesures 1 à8, il devient impossible de faire sonner le secondthème sans s’acharner inconsidérément. Certes, nouscherchons à jouer plus fort que le début, mais celamène immanquablement à saturer le son, à se crisper,tout cela pour un résultat peu satisfaisant.Voilà ce qu’il faut faire : anticiper votre nuance etconstruire votre interprétation.L’autre moyen pour faire sonner ce deuxième thème aupouce gauche, c’est évidemment d’agir sur les stratesverticales, sur les “plans sonores”. Il faut jouer trèsdoucement les autres parties et centrer votre poidssur le pouce gauche. Sentez votre pouce avec la pluslarge surface possible du doigt. N’hésitez pas, même,à sentir le contact avec la touche de la partie osseusedu pouce, sur l’os, là où s’articule sa dernière pha-lange. Mais surtout : écoutez-vous ! Maints essais sontnécessaires pour faire émerger le chant de ce thèmed’une façon évidente et grandiose. Il faut chercherbeaucoup : Dinu Lipatti lui-même n’a cessé de tra-vailler ce choral !

➜ Dans la musique, tout est contraste. Une note n’est pas toujours forte ou douce en elle-même, mais elle l’estpar contraste avec ce qui la suit et ce qui la précède…Tout est relatif. C’est cela, construire votre interprétation.

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Attention ! sol !

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Nous avons vu que le premier thème comprenaitdeux parties.Le deuxième thème, à partir de la mesure 9, cantandoil tenore, en comprend deux également. Comme lepremier thème, cette seconde idée est d’abord suspen-due sur son harmonie dominante : l’homme se plaintd’abord de sa voix grave et vibrante : si-do, ré-ré, do-si,la… Il semble exposer ses malheurs. La première par-tie de ce discours de l’homme va jusqu’au la.Puis, tout se passe comme si, avant de reprendre lesecond fragment de sa phrase, l’homme s’interrom-pait un instant pour écouter la voix de Dieu (la voixdivine exprimée par les croches) qui le console. Lethème comprend alors une vraie pause en son milieu.(exemple 7, page précédente)

L’homme reprendra ensuite la fin de l’exposé de sesmalheurs.Pour faire sentir ce dialogue, il est ici très importantde savoir réaliser ce que l’on pourrait appeler “desplans sonores dans la durée” : jouez fort le chantjusqu’au la (2e temps de la mesure 12), ensuite, immé-diatement et jusqu’au premier temps de la mesure 14,atténuez beaucoup le son, afin que les croches appa-raissent lointaines, comme venues du ciel. Il ne fautpas les mettre sur le même plan sonore, elles doiventsembler venir du fond des limbes. Il faut réagir trèsvite et vraiment “changer de registre”, comme si l’onactionnait une tirette à l’orgue.Dans la deuxième partie de cette phrase (mesure 14),les deux thèmes seront exposés ensemble : l’homme

Exemple 9 : mesures 15 et 16. Attention pour la mémoire ! la partie d’alto diffère du début. Anticiper bien mentalement afin de ne pas vous tromper.

Exemple 8 : mesures 14 à 16. La voix divine (croches en triolets) soutient le discours de l’homme (les noires et les blanches).

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(les blanches et noires) reprend la parole, mais iln’est plus seul : Dieu l’accompagne (les croches entriolets) et parle avec lui pour le consoler. La joie del’homme peut demeurer, car le Père céleste marche àses côtés… (exemple 8, page précédente)

➜ Les plans sonores sont une donnéeessentielle d’une bonne interprétation.Mais il n’y a pas que des plans sonores à réaliser pour des notes jouées en mêmetemps. Parfois, il faut réaliser des planssonores dans la durée. Cela consisteà jouer assez fort un passage, puis, à la suite, un passage transitoirebeaucoup plus doucement. Enfin, on reprend la suite de l’idée premièreau niveau sonore où elle avait commencé.

Attention, mémoire : surveillez la partie médiane !

Je conseille, pour la mémoire, de faire tout spéciale-ment attention à une note en particulier à la partiemédiane de la main droite (alto), qui indique une

“bifurcation” de la musique: au deuxième temps de lamesure 2, la partie médiane de la main droite faisaitentendre un si, que nous jouions avec le deuxièmedoigt.Ici, mesure 15, lorsque le motif en croches et le motifen noires jouent ensemble, au deuxième temps, lapartie médiane va changer. Cette fois, elle redescendvers le grave : sol-fa-mi, et c’est ce qui va permettred’effectuer la cadence. Faites très attention à bienmémoriser le changement !Si vous ratez cette bifurcation, vous risquez de tourneren rond, de ne plus savoir où vous en êtes et de voustromper ! Il faut faire spécialement attention à cechangement. On ne le perçoit pas facilement, car il està une partie secondaire. (exemple 9, page précédente)

Deuxième partieMesure 17, nous sommes arrivés au deuxième voletde ce choral, à sa deuxième grande partie (mesures17 à 31). En effet, dans toute la première partie, Bacha exposé ces deux éléments que nous avons donc

PÉDAGOGIE

Exemple 10 : mesures 24 à 27

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Exemple 11: mes.40 à 43: “Thème de l’homme”, pensez : en la mineur avec sol dièse et fa bécarre. Faites des plans sonores dans la durée.

Page 11: PÉDAGOGIE Travailler Jésus, que ma joie demeure…» · Bach composait chaque dimanche pour le culte protes-tant. Il l’écrivit à Weimar pour le quatrième dimanche de l’Avent,

appelés la Voix divine et le Thème de l’homme (à lavoix de ténor) ; il les a aussi combinés ensemble.A partir d’ici, mesure 17, Bach reprend les mêmeséléments et la même construction. C’est le deuxièmegrand volet de la pièce.Dites-vous donc bien, intérieurement : « Deuxièmefois» ou : «Deuxième grande partie».Il est très important de savoir où l’on en est, car cechoral de Bach est difficile pour la mémoire, pour laraison que Bach reprend maintes fois les deux mêmesmotifs ! Ce qui est génial, c’est la façon dont il déve-loppe, retravaille ces deux thèmes, les dispose l’unavec l’autre. Pour retenir cette pièce, il faut doncabsolument connaître la construction générale, savoiroù recommence chaque partie.Quant à ce développement du thème, je ne peuxm’empêcher de citer Nadia Boulanger rapportant cepropos de Paul Valéry : «Les dieux nous donnent gra-cieusement le premier vers. Ce qui est difficile c’estd’écrire les vers qui seront dignes de leur frère surna-turel »…Chaque note de Bach, n’en doutons pas, est évidem-ment «digne de ses frères et sœurs surnaturels…».Ici, ce qui change par rapport à la première grandepartie apparaît facilement : la voix de l’homme (enblanches et noires) est jouée maintenant à la partiesupérieure, la plus aiguë (cantando il soprano).(exemple 10)

Réfléchissez donc à l’architecture de tout cela et à lasymétrie. Avez-vous vu, par exemple, que cettedeuxième grande partie (qui va jusqu’à la mesure 32)ne comprend que quinze mesures au lieu de seize ?Cherchez la mesure qui manque5!

Rappelons qu’il faut penser aux plans sonores et àla verticalité pour tomber dans les notes de cechant. Le vrai legato, le vrai cantabile ne peut sefaire par un legato réel (ici impossible puisque l’ondoit utiliser plusieurs fois de suite le même doigt, le5e doigt), mais par le dosage de chaque note au seinde la phrase, par le dessin de la courbe musicaled’intensité.

Troisième partieModulationLe troisième grand volet commence mesure 32. Cequi change, c’est que le thème en blanches et noires(Thème de l’homme, mesure 40) va moduler, nousemmener dans un autre ton, une autre couleur de sen-timent. Cette nouvelle confidence à Dieu prend untour plus tragique puisqu’elle s’expose désormais enla mineur. Pensez bien en vous-même ces mots : « la

mineur». Dites-vous : «Il y a le sol dièse, note sensible,et aussi le fa dièse (gamme mélodique ascendante), oule fa bécarre (gamme mélodique descendante). »Ensuite, naturellement, vous ne penserez plus à toutcela, vous ne penserez plus aux notes, mais aux sons, àfaçonner chaque note. Cette étape est cependantindispensable. (exemple 11, page précédente)

Faire chanter cette nouvelle présentation du thèmen’est pas spécialement facile, singulièrement parceque ce thème est ici partagé entre les deux mains.Comment faire pour le jouer?

A. D’abord, faites très attention à vos doigtés.

B. En deuxième lieu, il ne faut pas hésiter à jouer assezfort ce thème afin que ses notes ne meurent pas. Faitesaussi très attention à ne pas écraser la basse, afinqu’elle ne vienne pas “dévorer” le chant. C’est ungrand travail que de doser cela.

C. Ensuite, et cela va de pair, mais c’est le plus impor-tant : mettez en pratique ce que nous avons appris surles plans sonores dans la durée. Voici un endroit oùc’est particulièrement indispensable. Pour faire sonnerle chant dans sa continuité, il faut se concentrer beau-coup (avec l’oreille et avec la sensation), pour dimi-nuer les notes qui suivent le do blanche, mesure 41(voir exemple 11). Si vous jouez ce deuxième temps dela mesure 41 trop fort, tout est perdu. Ce deuxièmetemps est malheureusement bien fourni : il comprendtrois voix à atténuer : la basse, la partie en triolets etenfin la partie médiane. Cela fait beaucoup de notes àjouer doucement (voir exemple 11) ! Le même pro-blème se pose, bien entendu, mesure 42 : entre le sinoire pointée et les deux doubles croches qui le sui-vent ; il faut beaucoup s’exercer pour arriver à atténuerce qui est en dessous.

D. En troisième lieu, réfléchissez et apprenez soigneu-sement l’utilisation de la pédale. On ne peut pas tou-jours tenir avec le doigt ! Voyez mesure 42 : entre lepremier et le deuxième temps, entre la basse ré, puis labasse si, on ne peut pas garder le doigt. En revanche,cela fait aussi un peu trop fouillis si l’on garde totale-ment la pédale. La seule solution est de changer unedemi-pédale ! Voilà un subtil travail d’oreille, maisc’est ce genre de choses qui fait toute la différenceentre le jeu d’un vrai pianiste et celui d’un musicieninexpérimenté.

E. Enfin, un dernier problème: faites attention à votre“4 pour 3” mesure 42. Il est particulièrement délicatà réaliser par le fait que le deuxième temps du chantn’est pas vraiment joué, mais occupé par une note quise prolonge. Il n’est pas facile de savoir quand il fautdémarrer le 4 pour 3 !

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PÉDAGOGIE

5. Il manquela mesure en arpège,qui était juste avant“cantando il tenore”et qui n’est pas ici avant“cantando il soprano”.

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Personnellement, je trouve que de mettre trois fois lepouce sur do-ré-si (doubles croches, noire) aide à réa-liser ce rythme et à faire sonner ce chant.Appliquez cette façon d’étudier au passage qui suit,qui nous conduit en do majeur. Je propose ici lesdoigtés (exemple 12).

L’apothéose du choral. Dieu et l’homme

Mesures 52 à 59, nous sommes revenus de façon mer-veilleusement rassurante au ton principal. Les deuxthèmes sont superposés depuis le début de ce pas-sage, exposés en contrepoint. La voix divine et cellede l’homme chantent enfin complètement ensemble.Un même principe d’écriture, une superposition desthèmes, sera repris par d’autres compositeurs, parexemple par César Franck dans Prélude, Choral etFugue – Franck, cet autre grand croyant qui, à n’enpas douter, s’est inspiré de Bach.

La coda. Les anges

Quant à la coda, ne pourrait-on dire qu’un troisièmepersonnage y intervient ? Cette troisième figure, ceseraient les anges avec leurs trompettes, qui, du hautde l’Ether (tout ce passage doit être nimbé de pédale)laissent retomber leur mélodie comme flocons deneige : sol… fa bécarre… mi… ré… do… si.Comme toujours, dans votre travail de piano, veillezspécialement à doser vos notes aiguës, les plus aiguës

d’un trait, d’un dessin, d’une mélodie. Il ne doit man-quer aucune note parmi les notes les plus aiguës (quece soit à votre main droite, dont le petit doigt est par-ticulièrement sollicité, ou qu’il s’agisse des notesaiguës de votre main gauche, jouées par le pouce).C’est aussi cela qui rend possible de jouer les partiesintermédiaires. Pensez-y : ne jamais laisser échapperles notes les plus aiguës à l’oreille, et vous constate-rez que cela vous fera beaucoup progresser. Pour yparvenir, ne vous affaissez jamais sur votre petitdoigt. Tâchez de conserver toujours un minimum dehauteur de main sous votre cinquième doigt. Cettehauteur sous le cinquième doigt est en quelque sortela caisse de résonance de votre main au piano.

Que dire de plus sur cette musique ? La musiquen’est-elle pas là justement pour remplacer les mots?La beauté qui est à l’œuvre ici est tout simplementtranscendante. Elle s’exprime à travers la forme, cematériau en lui-même si parfait. Toutes les notes dece choral sont parfaitement à leur place, aucune nepeut être changée.Dans cet ordre d’idées, nous ne pouvons que termi-ner par cette phrase de Jean Cocteau : «Les bonneslarmes ne sont pas tirées de nos yeux par une imagetriste, mais par le miracle d’un mot parfaitement misen place. » Quelle musique répondrait mieux quecelle-ci à cette phrase ? Que de bonnes larmes ce“Jésus que ma joie demeure” n’aura-t-il suscitées depar le monde? Alexandre Sorel

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PÉDAGOGIE

“5e Prélude” de Rachmaninov Piano 24

“Suite espagnole” d’Albeniz Piano 23

“Impromptu en la bémol” de Schubert Piano 22

“2e Rhapsodie” de Brahms Piano 21

“Jeux d’eau” de Ravel Piano 20

“Sonate n°59” de Haydn Piano 19

“Estampes” de Debussy Piano 17

“Carnaval” de Schumann Piano 16

“Sonate en la mineur” de Mozart Piano 15

Pour en savoir plus : www.lalettredumusicien.fr

RETROUVEZ LES “CONSEILS”d’Alexandre Sorel dans les précédents numéros de la revue Piano

Exemple 12 : mesures 46 (dernier temps) à 48. Doigtés proposés.

5 4 5 4 5 4 2 5 3

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