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Les Yods Pastiches Laufon, juin 2015

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Les Yods

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Laufon, juin 2015

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LA PESTE 2.0

par Tobi

Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux est sorti de soncabinet et a buté sur un rat mort, au milieu du palier. Sur lemoment, il a écarté la bête sans y prendre garde et estdescendu l’escalier.*

Pour lui cela ne prenait pas une grande importance. Mais, enfait, ce rat représentait le début de quelque chose de terrible quiallait changer la vie d’une ville entière.

Comme d’habitude il a commencé sa tournée par lesquartiers extérieurs où vivaient les plus pauvres de ses clients.On trouvait là excréments, urine, déchets et puanteursrepoussantes. En bref, il s’agissait d’un endroit où on nevoudrait pas vivre. Son premier patient s’appelait Jean-BaptisteTerrier et travaillait comme pêcheur. Rieux l’a trouvé dans unechambre claire, mais meublée pauvrement. La femme dumalade l’a informé que son mari avait la fièvre depuis plusieurssemaines. Il avait commencé à avoir une température élevée.Après, l’étourdissement l’avait frappé, et maintenant il nepouvait bouger aucun de ses membres et dormait la plupart dutemps. Le docteur observait son pêcheur. Le souffle du maladeétait fort, il respirait avec beaucoup de peine. En plus, ses yeuxétaient congestionnés. Avec son stéthoscope, Rieux l’a ausculté.« Il faudrait une radiographie », s’est exclamé Rieux, « poursavoir s’il va bientôt mourir d’asphyxie, ou non... ».

Le lendemain, il écrivait un rapport médical à l’attention del’hôpital. En même temps, beaucoup de gens appelaient leservice de dératisation qui était déjà surchargé. Il y avaitplusieurs appels pour des rats qui se trouvaient dans les caves,

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les appartements. Pendant la nuit, on entendait les petits cris desrats qui mouraient. Le lendemain, l’agence Ransdoc a lancé uncommuniqué sur les six milles rats qui avaient été brûlés par leservice de dératisation. En effet, c’était un nombre trèsinquiétant, mais ce message ne dérangeait pas les citoyens. Poureux il s’agissait d’une bagatelle et ils continuaient leur viecomme avant. Le matin et l’après-midi on travaillait.

Le soir, après avoir quitté les bureaux, on vaquait à sesloisirs. Rieux en revanche s’occupait de ses patients quiprésentaient des symptômes troublants. Quelques jours après savisite, Jean-Baptiste Terrier était mort, même s’il avait montréd’abord des signes de convalescence. Sa température avaitbaissé, mais ensuite elle était montée à une hauteur fatale et ilavait commencé à vomir. Pour Rieux, ce mort représentait unmystère bizarre et troublant. Dans la ville d’Oran, les maladesdécédaient en grand nombre de symptômes ressemblant à ceuxde M. Terrier. À l’hôpital se trouvaient des hommes prostrés,aux yeux rouges, souffrant de maux de tête et couverts debubons.

Ces cas affolants donnaient du souci aux nombreuxmédecins qui travaillaient à l’hôpital. Tous les médecins d’Oranont alors décidé de se réunir.

Le médecin en chef a ouvert la séance : « Mes chersconfrères, comme vous le savez déjà, il y a un mal effrayant quis’engouffre dans les rues de notre ville et les décime. Il s’agitd’une épidémie qui n’a pas de nom et provoque la mort debeaucoup d’hommes. Ce nombre est déjà immense et nous nepouvons pas risquer que ce nombre augmente. – Quoi que cesoit, il faut attendre les analyses. Nous ne savons pas contrequoi nous nous battons, a dit l’un des médecins. – Au contraire,chers confrères, je sais, moi, de quoi il s’agit. En effet, c’est à la

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peste que nous devons maintenant faire face. Il y a 10 ans, j’aiété confronté à cette maladie, en Chine !, a répliqué Castel auxmédecins. – Alors, que proposez-vous de faire ? », a demandéle médecin en chef. Avant que Castel n'ait répondu à cettequestion, Rieux déclarait avec un visage désespéré : « A causede notre ignorance, il faut fermer les portes de la ville. »

D’abord, l’annonce de la quarantaine a frappé durement lescitoyens, mais avec le temps, ils se sont adaptés à la nouvellesituation. Seuls ceux qui étaient séparés par la nouvelle barrièreont protesté contre cela. Les journées s’allongeaient, devenaientmonotones. De plus en plus, les boutiquiers abandonnaient leursaffaires, car ils dépendaient du commerce maritime qui étaitmaintenant aussi interdit. Cela a naturellement affecté lesmarins d’Oran parce qu’ils n’étaient plus en mesure decontinuer leur travail. Cette interdiction n’a pas arrêté que lecommerce, mais aussi la vie quotidienne. Beaucoup de genssont devenus chômeurs. Ils passaient la plupart du temps aucafé. Le matin au café. L’après-midi au café. La soirée au café.À trois du matin, on pouvait entendre leurs voix d’ivrognesmais également leurs cris de désespoir.

Le lendemain du début de la quarantaine, le gouvernement adécidé de rationner la nourriture à cause du blocus. Chaquecitoyen recevait des tickets de repas. Malheureusement, cen’était point suffisant. Les gens ont commencé à se plaindre desbillets et du manque de nourriture. « Et les boulangers ? Est-cequ’ils ont besoin de ces billets ? Ils peuvent simplement stockerune partie de leur pain. Leurs familles sont bien nourries, tandisque nous crevons comme les rats qui nous ont apporté ce mal !»Les habitants s’énervaient, leur mécontentement grandissaitlentement. Il y avait de plus en plus de gens saouls, au chômageou endettés, etc. Les manifestations grossissaient, elles aussi.

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Chaque jour une grande partie de la population se rencontraitsur la place d’Armes. On protestait devant le gouvernementalgérien contre le rationnement et l’insuffisance des vaccinscontre la peste. Le nombre de morts croissait, en conséquencede tous les petits et grands manques. Ce nombre ne plaisait pasaux gens et cela les a poussés à agir de façon terrible.

Le 26 août a représenté et représentera un nouveau chapitredans l’histoire de cette ville. Tout a commencé par l’attaque dela mairie. D’abord la population est entrée dans le bâtiment et amassacré tous ceux qui se trouvaient par hasard dans le halld’entrée. Quand ils sont arrivés au bureau du maire d’Oran, ilsl’ont tué. En même temps, dehors, l’armée est intervenue contrela foule furieuse. Elle a commencé à l’attaquer avec des fusils etdes tanks. Beaucoup de gens y ont laissé la vie, ce jour-là. Lescitoyens qui se battaient contre l’armée allaient être vaincusquand un nouveau renfort de citoyens est arrivé. En utilisanttout ce qui leur tombait sous la main, ils ont donné la charge.On voyait des soldats embrochés, pendus, fusillés. En l’espacede quelques minutes la place d’Armes et tout Oran se sontréduites à un carnage. Çà et là on entendait des cris de guerre oud’agonie. Partout il y avait des cadavres humains, partout descadavres de rats, partout des maisons brûlées. Une ville sansplus aucuns habitants. Une ville morte.

Les corps étalés des soldats ou des gens du peuple setenaient dans des positions grotesques. Leur physionomietrahissait l'instant de leur mort. Quelquefois c’était la surprise,le plus souvent la rage, exceptionnellement : un sourire.

*D’après La Peste d'Albert Camus

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L'ÉTRANGER

par Adrian

Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne saispas. J’ai reçu un télégramme de l’asile: « Mère décédée.Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut riendire. C’était peut-être hier.*

Il fait très chaud et je suis arrivé à Marengo où mamanhabitait et où l’enterrement aura lieu. Les prochains jours, jevivrai dans l’appartement de maman. Je n’avais plus été làdepuis la mort de mon père, il y a cinq ans. D’abord, j’aicherché quelque chose à boire dans le réfrigérateur et j’y aitrouvé une bière. Je ne savais pas que maman buvait de l’alcool.J’ai retrouvé la meilleure amie de maman. C’est elle qui adécouvert maman avant-hier dans son appartement. Maman luiavait donné une clé de son appartement pour les cas d’urgence.

Je suis le seul enfant de mes parents, et donc le seul à devoirranger et vendre l’appartement au plus vite. L’enterrement auralieu cet après-midi. Ensuite, je boirai quelque chose avec lesamis de maman bien que je ne les connaisse pas. Puis jerentrerai et je mettrai de l'ordre dans le bric-à-brac del’appartement.

Il y a environ une trentaine de personnes. Certains sontvenus parce qu’ils sont des copains de maman et certains nesont là que parce qu’il y aura un apéro après l’enterrement. Jene connais que la meilleure amie de maman, que j’ai déjà vuece matin. Je n’ai jamais vu les autres personnes.Après la messe, nous sommes allés au cimetière. Il faisait trèschaud, la chaleur était insupportable. Heureusement, il y avaitdes arbres. Tout le monde s’est planté dans leur ombre.

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Le lendemain, j’ai commencé à ranger l’appartement demaman. Dans les armoires du salon, il y avait des assiettes, descouverts, des nappes et aussi des bougies. J’ai tout placé dansdes caisses pour le vendre à un vide-grenier. Au fond, j’aitrouvé une petite boîte en métal. J’ai regardé à l’intérieur parceque j’espérais qu’il y aurait de l’argent. Mais,malheureusement,il n’y avait que des petites pierres. J’ai d’abord voulu jeter cespierres à la poubelle, or au dernier moment elles m’ont plu. J’aihésité et je les ai mises de côté.

Le soir, j’ai mieux regardé les pierres. J’ai pensé qu’ellesétaient très belles et qu’elles étaient peut-être de prix. Je suisallé chez le bijoutier. Comme il était occupé, j’ai attendu unpeu. Pendant ce temps, j’ai pensé à ce que je ferais si les pierresvalaient beaucoup. Après cinq minutes il est venu et a étudié lespierres. Il les a admirées longtemps. Je lui ai demandé ce qu’ilen pensait. Il m’a dit que les pierres étaient très rares et quechacune d’elles valait au moins 10’000 dollars. J’en avais unequarantaine. Il m’a demandé d’où je les avais eues. J’ai dit queje les avais trouvées dans l’appartement de ma mère. Puis jesuis parti.

Je suis allé dans un restaurant. J’ai bien et beaucoup mangé,sûr de ma nouvelle richesse. Je suis rentré et, devant la porte, ily avait le bijoutier. Il m’a dit qu’il voulait acheter mes diamantspour 500’000 dollars. S’il voulait les acheter pour ce prix, ai-jerépondu, c’était qu’elles valaient plus que 10’000 dollars lapièce. Il n'a rien dit d'autre qu'un « non » énergique. Je lui aisouhaité une bonne soirée. Une fois rentré, j’ai mis les diamantssous l’oreiller pour être sûr qu’ils soient protégés.

Le lendemain j’ai reçu une lettre du bijoutier. Il m’offrait unmillion de dollars. Je lui ai téléphoné et je lui ai dit que j’étaisd’accord. On a convenu qu’on se retrouverait à sept heures à la

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plage. Ce jour-là, il faisait très chaud, c’était le même soleil quele jour où j’avais enterré maman. À six heures, j’ai pris lespierres. Avant de partir, j’ai mis mon revolver dans mapoche pour protéger les diamants. Je ne voulais pas quequelqu’un me les vole avant que je ne les aie vendus.

Je suis arrivé à la plage sans encombre. Le bijoutier étaitdéjà là et je lui ai demandé s’il avait l’argent. Il a tiré uncouteau de sa poche et il m’a répondu qu’il n’en avait pasbesoin. Il m’a dit qu’il allait me tuer et qu’il n’y aurait personnequi remarquerait mon absence. Il s’est approché lentement demoi avec le couteau, menaçant.

Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur lerevolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de lacrosse, dans le bruit à la fois sec et assourdissant. Alors, j’aitiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balless’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coupsbrefs que je frappais sur la porte du malheur.*

*Passages tirés de L'Étranger d'Albert Camus.

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LA RENTRÉE DE PATRICK

par Hannes

Claire avait répondu : « Caissière », ne trahissant pas sespensées : « Ça n’est plus mon métier, j’en ai marre de cetteMigrolino. Je veux étudier, mais d’abord je dois gagner del’argent. Donc, je changerai bientôt de métier. Toujours lamême chose, les touches de cette caisse me rendent folle ! Maisje suis dépendante de ce travail, ici, parce que mes parents sontpauvres et qu’ils n’ont pas assez d’argent pour me financer lesétudes... »

Laura lui avait encore demandé ce qu’elle voulait étudier àl’université et Claire avait dit : « Je veux devenir professeur desport, mais la musique m’intéresse aussi beaucoup. Je pourraisfaire des concerts et je deviendrais célèbre. Ça me rendrait trèsheureuse. – Une bonne idée !, avait répondu Laura, et changeantde sujet : – Viens-tu aussi ce soir ? – Où ? – Chez Patrick, ilétait avec nous au lycée à Lausanne, et après deux ans il avaitquitté le lycée pour faire un échange aux États-Unis. Il nous ainvités pour sa fête de retour, c’est ce soir.... Est-ce que tu n’aspas vu son mail ? – Non, je ne l’ai pas vu... quelle bêtise,pourquoi je ne regarde jamais mes mails... ? » Laura, un peuénervée, lui avait demandé une dernière fois si elle viendrait cesoir-là. Claire avait répondu qu’elle viendrait certainement, cequi était presque un « oui ». Elles avaient finalement convenud’aller ensemble chez Patrick. « À huit heures, devant laboulangerie ? – Oui, pour moi c'est bon, à bientôt ! »

Quelques heures plus tard, Claire était un peu en avance etelle a attendu Laura devant la boulangerie. Elle a attendulongtemps mais personne n’est arrivé. Après une heure d’attente

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devant la boulangerie, Claire est partie chez Patrick. Elle aentendu le bruit de loin. Le genre préféré de Patrick est le rock,c’est pourquoi elle lui avait acheté le nouveau CD de BlackSabbat, intitulé « 13th », pour célébrer son retour des Etats-Unis. Pendant qu’elle marchait, Claire a essayé de téléphoner àLaura, cependant elle restait sans réponse...

Pourtant, elle avait encore l’espoir que Laura soit déjà à lafête. Tout de suite après la rencontre avec Patrick, elle lui ademandé si Laura était arrivée, mais il a dit, nerveux, qu’il n’enavait aucune idée. Lentement mais sûrement, la peur rongeaitClaire, quelque chose n’était pas normal. Laura est toujours àl’heure et elle est très sérieuse, pensait Claire, qui a attenduencore et s’est alors décidée à aller la chercher.

Il faisait nuit, c’était la pleine lune et le ciel était très clair.Quand Claire est arrivée à l’appartement, il y avait encore de lalumière dans la chambre de Laura. Claire a sonné à la porte,mais personne ne lui a ouvert. Elle s’est dit à soi-même qu’elleavait perdu toute sa patience. Après cela, elle a pris la clé qui setrouvait sous le tapis devant la porte et elle est tranquillemententrée dans l’appartement. Aucune trace de Laura. Le vestibuleétait ravagé et, sur le sol, il y avait des traces de chaussuresd’homme. Claire les a suivies vers la cuisine et ce qu’elle atrouvé là était terrible...

La main d’une personne était au milieu de la cuisine. Il yavait beaucoup de sang sur le sol. Claire avait peur. Ellesuffoquait, manquait de tomber. Après avoir repris son souffle,elle a vu des flacons sur le rebord de fenêtre. Les pires penséeslui couraient dans la tête. Soudain elle s’est souvenue dequelque chose.

Dans la maison de Patrick il y avait des traces pareilles àcelles qu’elle avait découvertes dans l’entrée de Laura. Sous le

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choc elle n’avait pas remarqué la ressemblance. Elle est doncrentrée chez Patrick et là, elle devait bientôt faire une cruelledécouverte.

A peine revenue dans la fête, elle a demandé à Patrick : « Oùest-ce que tu as caché Laura? ». Il a répondu qu’il n’en avaitaucune idée. « Je suis folle de rage, putain! », a-t-elle braillé, etpendant qu’elle commençait à pleurer, elle l’a tellement frappéqu’il est tombé dans les pommes. Claire a ensuite suivi lestraces jusqu’au sous-sol et elle était certaine de trouver Laura.Tout à coup, il n’y avait plus aucune trace au sol et la portedevant elle était fermée. De toute sa force, elle a poussé laporte. Elle a dû essayer plusieurs fois jusqu’à ce que la portes’ouvre*. Aussitôt que la porte a été ouverte, Claire a reconnul’odeur, la même odeur que dans la cuisine. Or il n’y avait pasqu’une main dans cette salle...., mais un corps, le corpséparpillé de Laura, la tête dans le coin à gauche, une jambe àdroite, l’autre à...

A ce moment, une personne est descendue les escaliers et apoussé un cri :

– Claire, qu’est-ce que tu fais à la cave? Claire restait coite.« Ouvre les yeux quand je te parle! », a insisté la voix énervée.Soudain Claire a ouvert ses yeux et a réalisé qu’elle avait rêvé,un rêve terrible! « Je suis somnambule, maman? – Ouais!, ça sepourrait, mais file au lit, et illico presto ! »

*Il faudrait ici, au nom de la concordance des temps, unsubjonctif imparfait : « qu'il sût ».

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AU REVOIR LES ENFANTS*

par Noé

Un soldat pousse brutalement le Père Jean dans la rue. Bonnet,bousculé, se retourne un instant dans l’encadrure de la porte.Julien le salue, Bonnet disparaît.

UN SOLDAT ALLEMAND : Schnell, schnell, wir habenkeine Zeit.

Bonnet et le Père Jean entrent dans la voiture qui démarre.Silence. Le Père Jean et Bonnet regardent dans le vide, chacunavec ses pensées. Le soldat allemand à leur côté regarde lui-aussi dans le vide. Longtemps.

LE SOLDAT ALLEMAND : Was ist denn los?LE CHAUFFEUR : Die Strasse ist gesperrt, wir können

nicht weiter! (La rue est occupée, nous ne pouvons plusavancer !)

Soudain on a entendu des coups de feu. Plusieurs coupsdétruisent le pare-brise et les pneus. La voiture fait uneembardée et s'arrête Le chauffeur s’aplatit contre le volant et ilperd connaissance. Le Père Jean réagit tout de suite et arrachel’arme au soldat allemand. Il le frappe à la tête. Le Père Jeandemande à Bonnet s’il va bien, qui lui répond que oui.

Un homme ouvre la porte. Une femme à côté de lui. Lesdeux portent une arme.

L’HOMME : Je m’appelle Hogan et elle s’appelle Lucie,nous sommes de la résistance. Venez vite, il nous reste peu detemps. Montez dans la voiture garée de l’autre côté du barrage.

Les deux descendent et obéissent sans hésitation. Lucie etHogan sortent les soldats de la voiture et ils les mettent dans

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leur propre camionnette. Hogan les attache et Lucie met le feu àla voiture allemande.

Après cela, elle court vers le barrage et l’escalade. Ensuite,elle monte dans leur voiture. Hogan démarre et ils s’éloignent àtoute vitesse.

Un quart d’heure plus tard ils arrivent à l’internat. Hogan etla femme entrent pour aller chercher Julien, l’infirmière et lesautres.

Quelques instants auparavantMoreau a juste le temps de se cacher dans un placard. La portes’ouvre, un Feldgendarme entre, avance dans la pièce. Négusremonte la couverture jusqu’à son nez. L’infirmière prend lacompresse et la met sur le front de Négus.

LE FELDGENDARME : Vous faites quoi, là ?L’INFIRMIÈRE : Il a une fièvre de cheval, donc je lui ai fait

une compresse, en outre il a besoin de silence.Elle lui prend la température.LE FELDGENDARME (retroussant son nef, reniflant) : Il y

a un Juif ici, je le sais.A ce moment-là, Julien fait un pas en avant.JULIEN : On n’a vu personne, sauf eux.L’infirmière reprend le thermomètre, elle lit à mi-voix.L’INFIRMIÈRE : 38.5 degrés. Grâce à Dieu la fièvre a

baissé, mais il a vraiment besoin de silence. S’il vous plaît,quittez la chambre !

Après une hésitation, le Feldgendarme quitte la chambre.Ensuite Moreau quitte le placard et embrasse l’infirmière en laremerciant en larmes.

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L’INFIRMIÈRE : C’est tout bon, c’est tout bon. Maisqu’est-ce qu’on va faire maintenant ? Mets-toi donc dans un litet si quelqu’un revient, on verra ce qu’on fait.

Le temps passe très lentement. Ils parlent un peu ensemble,mais, surtout, ils sont perdus dans leurs pensées.Une heure plus tard, la porte s’ouvre et un homme et unefemme entrent.

* * *

Deux heures plus tard ils entrent tous, le Père Jean, Bonnet,Julien, Moreau, Négus et l’infirmière dans l’aéroport de larésistance. Une heure et demie plus tard, leur avion arrive enAngleterre.

*D'après le scénario éponyme de Louis Malle.

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ANTECHRISTA*

par Hanna

Aussitôt que je l’ai vue, j’ai voulu la connaître. Mais aller verselle, je n’en étais pas capable. J’attendais toujours que les autresm’abordent: or personne ne venait jamais. C’était ça,l’orphelinat: chacun ou chacune qui arrive est tout de suite lenouveau copain ou la nouvelle copine de tous.

Malheureusement, c’était différent pour moi. Personne nem’avait aimée, ni quand j’étais arrivée, ni ensuite.

Jusqu’à ce qu’elle arrive.La nouvelle devait partager une chambre avec moi. J’ai

pensé qu’elle voudrait changer, mais non. Après un breféchange avec tous les autres, elle est venue dans ma chambre.J’ai cru qu’elle sortirait directement après avoir mis ses chosesen ordre. Mais non. Elle s’est assise sur son nouveau lit et m’adit. « Je m’appelle Blanche. Et toi? » Je lui ai répondu :« Christa ». Aussitôt, j’ai senti comme je rougissais jusqu’à laracine des cheveux. Je détestais ma gêne.

– Ça va bien? Tu as l’air plus timide que les autres.– Oui merci. Je sais, mais je ne peux rien y changer. Les

autres ne semblent pas m’aimer trop, alors je ne me sens pas sisûre de partager une chambre avec toi. Mais je ne veux pas êtreméchante, c’est juste pour dire pourquoi je suis timide et pourt’avertir. Désolée, si ça sonne trop bizarre.

– Non, c’est chou. Mais n’aie aucun doute, je te trouvesympathique.

– Hm, merci, on verra.Elle avait l’air plus âgée que moi. Mais en fait elle était du

même âge. Après qu’elle avait parlé avec moi, elle est allée en

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bas pour faire connaissance avec les autres. Quand je suis, moiaussi, descendue pour manger, elle connaissait déjà tout lemonde. Et tout le monde l’aimait. Même la fille la plus âgée,qui pensait qu’elle était meilleure que toutes les autres, qu’ellepourrait tout faire, et tout ça seulement parce qu’elle était plusvieille que nous, les autres pensionnaires. Quoiqu'elle ait déjàfait la connaissance de tout le monde, Blanche a voulu s’asseoirà côté de moi pour manger. J’étais choquée. C’était la premièrefois que quelqu’un voulait être près de moi. Elle m’a mêmesouri devant tout le monde. Je pensais que, peut-être, elle seraitla première personne qui m’aimerait. Même mes parents nem’aimaient pas. D’abord, c’est mon père qui nous a quittésquand j’avais moins qu’un an. Trois ans plus tard, ma mère m’aabandonnée. Elle m’a mise devant la porte de l’orphelinat, puiselle est partie. Depuis lors, je ne l’ai plus jamais vue.

Le soir, quand nous étions dans notre chambre, elle acommencé à se changer. Elle a pensé que je le ferais aussi. Maisje n’ai pas voulu, devant elle. Elle était beaucoup plus belle quemoi, elle avait des formes qui m’impressionnaient. Je suis alléeaux toilettes pour me changer. Quand je suis revenue, elledormait déjà. Chaque jour, pendant une semaine, ça a été plusou moins comme ça. Pendant le jour, elle faisait des chosesavec tout le monde, sauf moi. Je restais dans ma chambre et jelisais. Mais à chaque repas, elle s’asseyait à côté de moi.

Une semaine après son arrivée à l’orphelinat, l’école arecommencé. Sur le chemin de l’école elle marchait avec moi.Quand nous sommes arrivées à l’école, elle m’a demandé si jepourrais lui montrer où se trouve sa salle de classe. Après quenous l’avons trouvée, je suis allée à ma leçon. Je ne l’ai pas vuepour le reste du jour. À cinq heures du soir, j’ai été surprisequand j’ai vu qu’elle m’attendait devant l’école. Nous sommes

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rentrées ensemble. Elle m’a aidé à comprendre la physique etnous avons parlé de la journée. Elle s’était fait encore plusd’amis. Et tous les profs l’avaient trouvée sympathique.

Après le dîner, elle est restée en bas avec les autres. Pendantce temps, je me suis déjà changée pour ne pas devoir le fairequand elle serait là, parce que, malgré son apparentebienveillance, je ne voulais pas qu’elle voie mon corps.

Les semaines suivantes se sont déroulée de façon semblable.Le jour de mon seizième anniversaire, elle m’a donné uncadeau. Jamais je n'avais imaginé que quelqu’un de l’orphelinatm’offrirait quelque chose. Je n’ai d’ailleurs jamais attendu quequelqu’un me donnât quoi que ce soit. Je pensais que tout seraitcomme chaque année. Dans le paquet, il y avait une robe. J’aidit merci et j’ai voulu sortir pour me préparer pour l’école. Maiselle m’a retenue, et m’a demandé de la mettre. J’ai essayé detrouver une excuse parce que je n’aime pas les robes et que jene voulais pas qu’elle me voie presque toute nue.

À la fin, elle m’a persuadée. Quand je me suis déshabillée,elle m’a dit que j’avais une jolie silhouette et m’a demandépourquoi je la cachais tout le temps. J’ai voulu enlever la robe,mais elle m’a dit de la garder pour aller à l’école où elle voulaitme présenter à ses copains. Elle a aussi voulu me maquiller,juste pour voir quel air ça me donnerait. Jusque là, j’avais penséque jamais personne ne me remarquerait, et que donc je pouvaisporter des choses qui ne me plaisaient pas. J'avais la chance depouvoir me négliger.

Mais je l’ai laissée faire. Elle n’a pas voulu me dire sonopinion, elle voulait que je voie la réaction des autres à l’école.Je n’avais aucune envie de cela, mais je l’ai fait pour lui plaire.J’ai eu peur de perdre ma seule amie dans ce monde, si je ne lefaisais pas.

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À l’école, quelque chose avait changé. Des gens meregardaient. Les garçons aussi. Il y avait même quelquespersonnes qui me saluaient. C’était vraiment différent, c’étaitbeau.

Je commençais à aimer ma robe et le maquillage.A la pause, Christa est venue me chercher. Elle voulait faire

ce qu’elle m’avait dit quelques heures plus tôt, me présenter àses copains. J’étais vraiment nerveuse. Pourquoi ? Je ne saispas. J’étais simplement sûre que personne ne voulait parler avecmoi. Mais je me trompais. Des gens m’ont abordée et m’ontparlé.

Le soir dans notre chambre, j’ai remercié Blanche pourm’avoir démontré que je pouvais être aimée.

*Inspiré du roman éponyme d'Amélie Nothomb.

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UN JOUR FANTASTIQUE

par Aïsha

Mon champ de vison a semblé se réduire à un minuscule pointnoir, puis celui-ci a disparu, me laissant non pas dansl’obscurité totale, mais dans un vide d’une luminosité éclatante.Je me suis sentie tournoyer à toute allure, ou retournée commeun gant de l’intérieur vers l’extérieur. Les mots me manquentpour décrire cette sensation de déchirement total, cetteimpression d’être projetée violemment contre quelque chosequi n’existait pas.*

Je n’ai pas vraiment perdu connaissance, mais pendant uncertain temps je n’avais certainement plus en conscience demoi-même. Je me suis réveillée trébuchant dans l’herbe. J’avaisla tête qui tournait et envie de vomir. Pour reprendre mes espritsje me suis assise sur un vieux tronc tombé dans l’herbe. Àquelque distance je percevais des aboiements de chiens et desvoix d’enfants.

C'est avec un sentiment mitigé j’ai suivi ces petits bruits quisemblaient plutôt pacifiques. Le soleil était en train de secoucher et peignait des rayures rouges et oranges sur le ciel. Latempérature a baissé et, ne portant qu’une robe légère et desballerines, j’avais les pieds gelés après seulement quelquesminutes. En regardant les paysages je me demandais pourquoiles gens n’avaient pas allumé les lumières dans les maisons. Ladeuxième chose qui me semblait bizarre, c’était que je nevoyais qu’un seul village dans ces paysages où il s’en trouvaitnormalement trois.

Après quelques minutes de marche de plus, j’ai distingué lasource du bruit que j’avais suivi. En voyant un groupe d’enfants

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avec plusieurs animaux, je me suis tout de suite cachée derrièreun buisson, mais une petite fille mince avec des yeux decouleurs différentes m’avait déjà vue. Elle a couru vers moi,suivie par un grand chien aux poils blancs. Je me suis levée et lafille au chien, qui faisait peut-être deux fois sa taille, m’asaluée. J’ai essayé de lui sourire mais j’étais complètementembrouillée par toute la situation. « Comment tu t’appelles,toi ? », m’a demandé la petite. « Claire » ai-je répondu. Elles’apprêtait à me dire son nom en me regardant avec un œil bleuet un œil marron, quand le chien m’a sauté dessus et m’adéchiré ma robe. « Arrête Milo ! », a-t-elle crié, et elle a essayéde tirer le grand chien en arrière.

Ayant réussi à mettre à distance son accompagnateur, la fillea mis la main dans ses cheveux roux et m’a regardé d’unemanière responsable. Elle s’est excusée plusieurs fois pour sonchien et la déchirure à ma belle robe d’été, et finalement ellem’a dit son nom. Elle s’appelait Estelle.

Les autres enfants, leurs animaux et même le grand Milo,avaient tous disparu au moment où notre discussion seterminait, et nous avons voulu les rejoindre. Estellem’a d’ailleurs dit de venir avec elle pour qu’on puisse metrouver une nouvelle robe. Encore une fois j’ai scruté le paysagevallonné autour de moi mais de nouveau je n’ai aperçu qu’unseul village à peine éclairé. Les silhouettes des maisonssemblaient être couvertes d’un voile de lueurs orange, à lamanière dont les bougies d’un arbre de noël éclairent lesvisages à enfants qui sont assis autour, admirant les cadeaux. Jen’ai pas osé demander Estelle où les autres villages avaientdisparus. Pourtant je lui ai demandé où nous étions en traind’aller. Elle m’expliquait qu’on passerait la nuit chez sa grand-maman qui nous cuisinerait un petit souper. J’ai hoché la tête et

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elle a commencé à me fixer. « D’où viens-tu ? Je ne t’ai jamaisvue avant. Tu n’es pas de la région, n’est-ce pas ? », m’ademandé la petite fille en jouant avec une mèche rousse boucléequi s’était détachée de sa tresse. Je cherchais intensément uneréponse convenable que j’aurais pu lui donner sans avoir l’airstupide. J’ai décidé de lui raconter que je venais d’un village del’autre côté de la mer et que je voyageais à cheval, mais que desbandits m’avaient menacée dans les bois quelques joursauparavant. J’étais venue ici parce que je voulais aller dans lenord de ce pays pour y rendre visite à des amis de mes parents,qui étaient morts à cause d’une maladie le mois précédent. Or jen’avais plus que quelques sous, un petit livre et mes habitslégers, et je ne connaissais personne dans cette région.

En marchant vers le village j’étais même un peu fière demon mensonge. La petite a semblé croire chaque mot de monhistoire inventée en deux minutes et alors que j’avais la têtecomplètement troublée. À peu près quinze minutes plus tard, onest arrivées dans le village où deux garçons nous attendaientdevant une vieille maison en bois qui avait l’air un peuabandonnée, mais que j’ai adoré tout de suite. Les garçons meregardaient curieusement et le plus grand, qui avait des cheveuxcourts et marron, m’a souri. Commençant tout de suite àquestionner Estelle dans une langue étrange que je necomprenais pas, le deuxième me semblait un peu méfiant.Estelle m’a présenté ses deux frères avant de leur raconter monhistoire et d’expliquer pourquoi mes habits étaient si mal-en-point. De ces deux frères, celui qui était plus petit était plus âgéque le plus grand, qui était apparemment plus gentil que l’autre.

Nous sommes entrés dans la maison où se passait encore unefois la même chose : des regards méfiants, beaucoup dequestions et une langue bizarre que je n’avais jamais entendue

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avant ce jour-là. Une partie me regardait avec la mêmeméfiance que les frères d’Estelle, tandis que l’autre partie de lafamille était très gentille. Après le souper, Estelle m’a montréune petite chambre avec un lit et une bougie. J’étais tellementfatiguée que je me suis rapidement endormie une fois couchéesur le lit.

Le lendemain je me suis réveillée avec des douleurshorribles. Ma tête faisait si mal que j’ai eu peine à ouvrir mesyeux. Je me suis assise au bord du lit avant de me lever afin queje ne tombe pas tout de suite. Tout à coup, les souvenirs de lajournée précédente sont revenus dans ma tête toujourscomplètement troublée. Les premières choses dont je mesouvenais étaient le champ, le grand chien blanc et la fille quim’avait trouvée. Les souvenirs perturbants revenaient dans matête l’un après l’autre. Même si j'étais assez certaine que toutesces choses bizarres s’étaient vraiment passées, je ne comprenaisplus rien, vu que je me trouvais dans mon propre lit dans monappartement et portant des habits qui n’étaient pas du toutdéchirés.

Je me suis levée et j’ai essayé de commencer la journéecomme d’habitude. J’espérais que tout cela n’avait été qu’unrêve.

*Repris du livre que je lis (à vous de deviner lequel !), je n'aichangé à ce paragraphe qu'un temps verbal : j'ai remplacé lepassé simple par le passé composé.

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ArchitectureLE BIO C’EST L’AVENIR, OR L’AVENIR EST-IL TROPCHER ?*

Par Gilles

L’architecte Vincent Callebaut ne cesse d’esquisser des projetsarchitecturaux aux titres évoquant la biologie : « Bio Arch »,« Bionic Arch », « Physalia » et « Lilypad ». On vous présenteici quelques-uns de ses – pour l’heure – trop chers projets

L’architecte belge Vincent Callebaut, né en 1977, développedes projets futuristes qui sont révolutionnaires et idéologiques,mais techniquement réalisables. Il essaye de tirer le meilleur dela biologie, de la physique, de la nanotechnologie, desmathématiques et en même temps de l’écologie. La grandedifférence, si on le compare avec les autres architectes de classemondiale, est que ses projets sont écologiques. Lui n’aime pastravailler contre la nature, bien au contraire, il essaye detravailler avec elle et à son avantage. Il base son espoir sur lespays émergents surtout, c a r l’Europe, d’après lui, est tropcoincée dans ses « tissus urbain sclérosés ».

« Lilypad », l’île supérieureLe projet Lilypad est, d’après Callebaut, « une réaction audéveloppement de l’urbanisme le long des littoraux et unesolution plus durable que les polders éphémères. » L’idée est engros de construire une île artificielle qui pourrait accueillir50’000 habitants et, en même temps, constituer une citéautosuffisante. « Pourquoi ne pas être en accord avec

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l’océan plutôt que toujours contre lui?», c’est la grande questionà laquelle son projet écologique entend répondre.

Callebaut remarque aussi que, d’après les scientifiques, leniveau des mers montera toujours plus et que, par exemple, degrandes parties des Pays-Bas et du Bangladesh risquent d’êtreengloutis. Son île pourrait tantôt rester immobile, tantôt ellepourrait aussi se déplacer avec les courants de mer. Elle auratrois « montagnes »: une pour le commerce, une pour les loisirset, bien sûr, une pour le travail. Vincent Callebaut ne laisse rienau hasard : les appartements ont des balcons avec des réservoirscollecteurs d’eau de pluie. De là, l’eau s’écoule dans le lagoncentral de l’île. La chose la plus sensationnelle est queCallebaut a intégré toutes les énergies renouvelables existante :des éoliennes (dont les turbines transforment l’énergie du venten électricité), des hydroliennes (dont les turbines hydrauliquesutilisent l’énergie des courants marins ou fluviaux) et, surtout,des panneaux solaires photovoltaïques.

Callebaut a développé une île qui est totalement autonome etqui, grâce à l’aquaculture et à la végétalisation des toits, estautosuffisante en nourriture, pourvu qu’on aime les algues et lepoisson. L’architecte pense qu’on pourrait même agrandir lesterritoires nationaux de pays comme Monaco. En résumé, l’îleflottante et écologique est donc une merveilleuse idée. Mais ellea un hic: les coûts pour sa construction sont si énormes qu’ellereste pour l’heure pure et séduisante visualisation d’un futurenviable.

«Bionic Arch », la tour antipollutionCe projet est développé pour le centième anniversaire deTaiwan. C’est une tour qui doit devenir un symbole de lanouvelle orientation de la ville-état face aux défis écologiques,

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politiques et sociaux qui l’attendent. Cette tour participe aussidu plan « Taichung Gateway – Active Gateway city », le futurpoint de ralliement, dans le centre de Taichung, desconsommateurs taïwanais ou étrangers pour ce qui concerne lelife style, les innovations technologiques, la culture et labiodiversité.

Comme le projet « Lilypad », cette tour éco-conçue estautosuffisante et n‘utilise que des énergies renouvelables. Leniveau d’émission de CO2 est égal à zéro. Cela pourrait êtreune révolution dans le combat contre la pollution. Même lesvents sont canalisés par le design aérodynamique de cette tourdotée d’éoliennes. Les plantes intégrées recyclent les eaux uséeset les arbres, qui sont suspendus, aident au nettoiement de l’air.Vincent Callebaut nous promet que cette tour est réalisable avecles technologies d’aujourd’hui. Maisce projet à son prix : 160millions d’euro pour une tour !

« Dragonfly », la tour qui vole de ses propres ailesCe projet très ambitieux pourrait être, comme presque tous lesprojets de Callebaut, une révolution mondiale. Il répond auxscientifiques, qui disent qu’en 2050, il y aura trois milliardsd’humain de plus. En tout, cela fera alors presque 11 milliards.Or le grand problème est que plus de 80% des terres arablesdisponibles seront déjà investies et cultivées. La disettemondiale menacera !

Le projet « Dragonfly » est une tour autosuffisante du faitque sa surface est recouverte par des panneaux solairesphotovoltaïques et que, de surcroît, elle est surmontée par deséoliennes. Les biomasses sont recyclées directement dans latour. Une seule tour peut nourrir au moins 50’000 personnes.« Dragonfly » mesure plus que 600 mètres et a une forme de

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papillon. Extraordinaire non? Dans les locaux de la tour, il y abien sûr des bureaux, mais aussi, beaucoup plus remarquable :des jardins potagers. !

La plus grande raison pour laquelle « Dragonfly » n’a pasencore été construite est qu’elle est impayable, comme presquetous les projets de Vincent Callebaut. Mais ce n’est qu’unequestion de temps, sans doute.

Dans quelques années tous ces projets seront peut-être à portéede main, financièrement et technologiquement. Alors partoutpousseront des tours, des îles et autres constructionsécologiques de Callebaut, cet architecte d'anticipation qui,même si ses projets ne sont pas encore réalisés, est certainementdéjà l’un des plus grands aujourd’hui.

*Imitation d'un article journalistique

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CYBER-ESPIONNAGE

Par Timon

Après le déjeuner, je me suis ennuyé un peu et j’ai erré dans ledirigeable. Aujourd’hui en effet la moitié des bâtiments sontaériens et bon marché. Quand l’espace sur terre est devenu tropmaigre, on a commencé à construire des dirigeables pour lesgens qui n’avaient pas de quoi acheter une maison sur le terraindes vaches.

Le dirigeable était adéquat, lorsque maman était là.Maintenant, il est trop grand pour moi, j’ai dû transporter dansma chambre la table de la salle à manger. Je ne vis plus quedans cette pièce, entre les chaises un peu creusées, l’armoiredont l’E.D.I.S (enregistrement direct de l’image de soi) a eu uncourt-circuit, la table de toilette et le lit magnétique. Le reste esttrop dangereux à cause de la radioactivité qui s’est échappée duréacteur nucléaire, c’est-à-dire la source d’énergie de cettemaison volante. C’est aussi à cause de cette fuite que ma mèren’est plus là. Mais entretemps j’ai pu la stabiliser.

Un peu plus tard, pour faire quelque chose, j’ai cherché surinternet l’image numérisée d’un vieux journal, je l’ai impriméeet ensuite j’ai lu cette feuille. J’y ai découpé une réclame pourles parachutes et je l’ai collée dans un document sur ma tabletteoù je mets les choses des journaux qui m’amusent. Je me suisaussi lavé les mains et finalement je suis descendu sur terrepour regarder les gens riches. Je me sentais bien quand jemarchais sur la terre, mieux qu’à des centaines de mètres dansles airs.

Ma chambre donne sur la route aérienne principale duquartier. Les avions passaient maintenant au-dessus de moi,

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comme jadis, plutôt qu’autour de ou à travers nos maisonsaériennes. L’après-midi était beau, mais cependant, l’air étaithumide, les gens étaient rares et pressés. C’étaient d’abord desfamilles qui marchaient, puis deux petits garçons sont arrivésqui portaient des costumes isolant de l’électricité ambiante.Derrière eux : une petite fille avec la tête rasée, une mèreénorme avec une robe de soie marron, habillée comme il y acent ans, et le père, un petit homme frêle. Je ne le connaissaispas. Il portait des bagages. Je ne pouvais pas m’imaginer cequ’il y avait là-dedans. A un certain moment, j’ai pensé qu’ilvoulait qu’on ne le sache* pas. Comme tout à coup il a dirigéses regards dans ma direction, le contenu de son bagage m’aintéressé encore plus. Si ses regards avaient été normalementindifférents, je n’aurais pas cherché son nom dans l’ordinateur.Mais j’avais vu qu’il cachait quelque chose.

Une des plus belles choses dans ce monde digitalisé, c’estque tout est là, rien ne peut nous échapper. J’en suis sûr ! Toutest enregistré sur un disque dur. La seule difficulté est detrouver les informations, parce que même les 1 et les 0, on peutles cacher. Même si ce n’est pas plus difficile de trouver uncode sur un réseau électronique que de trouver une lettre surune feuille en papier, comme on les écrivait il y a cent-vingtans.

À ma grande surprise je n’ai rien trouvé sur lui. Alors j’aiabandonné mon idée et j’ai continué normalement ma journée.

Le lendemain, je me suis souvenu en vitesse maisintensivement de ce petit événement, et une question a surgi enmoi: « Pourquoi est-ce qu’il m’a regardé avec les yeux pleins depeur ? »

Je ne voyais qu’une seule réponse. Lui, il me connaissait.C’était tellement bizarre, j’étais tellement sûr que non, mais

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j’étais encore plus sûr que j’allais trouver la réponse chez moi,dans le dirigeable.

* * *

Des vidéos de ma mère et de moi sur internet. Une caméramontée dans le plafond du dirigeable...

Donc cet imbécile nous espionnait. Maintenant jecomprends! Hier dans la rue, il m’a reconnu, tandis que moi, jene l’avais jamais vu.

Je réfléchissais.Dois-je m'en fâcher ? Qu'ai-je perdu à l'affaire ?Dans l’histoire de l’homme il y a une chose qui s’améliore

sans cesse. La manière de tuer.L’Homme existe depuis des millions d’année.Or à moi, il ne me faudrait, mettons, que de deux jours pour

éliminer quelqu’un que je n’avais vu qu’une seule fois dans mavie.

*Il faudrait ici, au nom de la concordance des temps, unsubjonctif imparfait : « qu'il sût ».

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STATION SPATIALE*

par Yann

Par un après-midi du mois d’août, une voiture légère s’arrêtabrusquement devant deux chaumières et la jeune femme quiconduisait dit au monsieur à côté d’elle: « Oh ! Regarde, Henri,ce tas d’enfants ! Sont-ils jolis comme ça à grouiller dans lapoussière! »

L’homme ne répondit rien, accoutumé aux admirations de sacollègue qui étaient pour elle une douleur et pour lui encore unreproche qu'elle lui faisait de manière détournée.

La jeune femme reprit : – Il faut que je les embrasse ! Oh comme je voudrais en

avoir un, celui-là, le tout petit !»Henri était un homme au visage sombre. Il ouvrit sa portière,

prit le petit garçon et entra dans la voiture. La jeune femme pesasur la pédale et la voiture fit un saut en avant, partant à touteallure. On n’en voyait plus qu’un nuage de poussière.

L’enfant hurla bien sûr, mais personne ne l’entendit, parceque la voiture avait des vitres épaisses. La femme, quis’appelait Agathe, dit : « On va l’amener à la station de base. »La voiture accéléra.

Le soir, lorsque la mère compta ses enfants, elle s’aperçutqu’il lui manquait le plus jeune. Il avait 8 ans. Elle appela lapolice, cependant on lui répondit qu’on ne pouvait consigner ladisparition de personnes qu’après un délai de 24 heures. Lamère cria de toutes ses forces. Elle commença à pleurer. Ellepleura toute la nuit jusqu’au lendemain.

Pendant ce temps, Agathe, Henri et l’enfant nommé Florianétaient arrivés à l’aéroport de Bordeaux. Ils passèrent le check-

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in pour l’Amérique du nord et durent attendre pour rentrer dansl’avion. Florian n’hurlait plus, mais ils durent le menacer de letuer pour qu’ils fussent certains qu’il se tût vraiment.

A trois heures de l’après-midi l’avion décolla qui arriva àdeux heures de l’après-midi (heure locale) à Dallas.

Le soir lorsqu’il fut minuit dans l’une des deux chaumièresla mère qui avait pleuré toute la journée rappela la police

Le policier : Poste de police de Lacanau, qui est àl’appareil ?

La femme : Oui, bonjour, ici Lisa Gaillard, je veux signalerune disparition d’enfant.

Le policier : Nom et adresse et nom de l’enfant puissignalement de l’enfant, s'il vous plaît.

La femme : Alors le garçon s’appelle Florian, il a lescheveux blonds…

A Dallas ils étaient déjà à la station de base.Agathe était en train d’introduire Florian à leur plan :– Alors Florian, le début sera très rapide, tu subiras une

accélération de 5G, c’est pour ça qu’on te donne un vêtementanti-gravitationnel. Dans une heure, tu seras en haut. Une fois àbord de la station spatiale, tu places la bombe que tu trouverasdans la navette... dans un bocal sur l'évier de la cantine. Puis tupousses sur le bouton « liquider ». Après, tu as une minute pourretourner dans ta capsule et repartir. Ensuite toute la stationspatiale explose. Pense que tu seras en état d’apesanteur, ça lefera plus difficile.

Florian répondit : « Euh une petite question, elle est à quicette station spatiale? Parce qu’elle ne peut pas être à vous sivous voulez la détruire. – Et ta sœur ?, lui cracha Agathe,pulvérisant ainsi leur conversation. Demain, le projet

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commence. A bientôt. Si tu essayes de t’enfuir, on t’attrapera.Au contraire, si tu nous aides, on te libérera après ».

* * *

Agathe : Allez, lève-toi Florian, le projet commence.Florian : Déjà, mais il est 5 heures du matin !Agathe : Si tu veux avoir finir à dix heures ce soir, il faut

commencer maintenant.Florian : Ok, pourtant, je n’ai pas dormi de la nuit.Agathe : Ca ne fait rien, allez lève-toi, on commence.Florian reçut un vêtement et un casque pour aller dans

l’espace. Il s’habilla et entra dans la navette.– Départ à 10 !… 9… 8… 7… 6… 5… four !3… 2… 1… – zeroooo !La terre trembla et la navette s’enfonça dans la matière

stellaire. Florian avait trouvé la bombe à côté de son siège, ellese distinguait mal d'une sucette au cassis.

Puis Florian tomba dans les pommes.Une fois arrivé en haut, il sortit de la navette et vola presque.Il essaya de se diriger, mais se cogna la tête au plafond, son

casque ne le protégeant guère. Mais peu à peu, il s’habituait.Quoique. Il perdit complètement la notion du temps. Il estimaqu’il était à peu près depuis dix minutes dans la station spatiale.C’était faux, il y était déjà depuis une heure.

Lentement, il se dirigea vers la cantine et trouva un bocal.Dans la poche de sa combinaison, ses doigts tenaientnerveusement la bombe-sucette. Il l’activa, fit demi-tour et sedirigea vers la navette. Tout à coup il entendit dans son casquele compte à rebours: « Encore cinquante secondes ». Il se cogna

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la tête une deuxième fois et perdit cinq secondes. Mauditcasque ! Tout à coup il trébucha et vola à dix mètres, mais ilretomba sur ses pieds. Il avait trouvé une technique. Il sautillaainsi vers la navette. Il ne lui restait que dix secondes avantl’explosion. Il se précipita. Dès qu’il était dans sa capsule, ilferma la porte et se dés-accosta de la station spatiale. Il sentitune onde de pression et tomba dans les pommes. Il vit une balleorange et sentit quelque chose de chaud. C’était trop, ça faisaittrop mal. Il voyait noir.

Il entendit des voix, où était-il ?Il ouvrit les yeux, mais il les referma tout de suite. C’était

trop lumineux. Puis il les ouvrit lentement et vit qu’il était àl’hôpital. Autour de lui sa maman et une femme qu’il neconnaissait pas. Plus un homme.

La femme, c’était sûrement une infirmière, l’homme, lemédecin.

Il entendit : « Tu étais absent pendant toute une journée !Demain tu pourras partir... »

Deux jours après, le bambin était de nouveau chez lui, samaman était folle de joie. Quand on vous dit que tout est bien...

*Pastiche d'un trait d'imagination personnel survenu ceprintemps un jeudi après-midi.

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LES YEUX COULEUR RUISSEAU*

Par Zoe

Je rentre du lycée et dépose mon sac à dos au milieu de l’entrée,maman va réclamer, je le sais, mais c’est plus fort que moi, jene peux pas m’en empêcher. Je me dirige vers le salon. Il est là,sur le sofa, assis en tailleur, sans chaussettes. Il ne m’adressepas un regard, il m’ignore complètement. Pourtant, je sais qu’ilsait que je suis là. Il a perçu ma présence, peut-être même avantque je sois rentrée par la porte de la maison. Il tient latélécommande dans la main et il regarde l’un de ses filmspréférés, un Disney. Je lui dis « bonjour ». Toujours pas deréaction. Je m’approche doucement et lui caresse le visage.Alors il lève la tête et me regarde. Nos regards se croisent et ilme sourit. Nos nez se touchent presque. Il me regardeintensément avec ses yeux verts. Des yeux magnifiques. Ils ontla couleur des ruisseaux au printemps, vert transparentaccompagné de centaines de petits cailloux gris et ambre. Jeremarque comme son regard s’éloigne maintenant, j’essaie de leretenir en lui parlant doucement, mais je sens que la liaisonentre nous est rompue. Je ne peux rien faire pour garder lecontact avec mon frère, il retourne dans son monde. Le mondede l’autisme.

Maman m’appelle. La voix vient de la cuisine, je me dirigedans cette direction et passe par l’entrée, à côté de mon sac àdos. Je sais que je dois le ranger, mais pourtant je ne le fais pas.Maman est en train de plier du linge sur la table de la cuisine etrange tout dans un panier.

« C’était comment à l’école ?- Bien bien, comme d’habitude.

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- Tu as des devoirs ?- Non, pas aujourd’hui, je dois juste répéter mon anglais.- Est-ce que tu peux garder David vendredi soir ? Comme tu

le sais déjà, Evelyne m’a invitée à souper pour monanniversaire, et papa devait s’occuper de David, mais voilà tonpère a une réunion à la banque, et il rentrera tard... »

J’observe attentivement maman. C’est une femme qui a l’aird’être usée, fatiguée. Elle vient d’avoir cinquante ans. Quandelle était jeune, elle n’était peut-être pas une beauté, mais danstous les cas attirante. Elle a encore de beaux yeux. Ils ont lacouleur de l’océan atlantique au mois de juillet, un mélangeégal de vert et de bleu. Ses paupières tombent légèrement et ellea des cernes noirs. De petites rides dans le coin des yeux sontbien visibles, mais son regard est vif, brillant. Son sourire, trèsdoux. Elle a des lèvres bien dessinées. Ses dents sontétonnamment blanches pour son âge. Et toutes bien alignées.Pourtant elle n’a jamais porté d’appareil dentaire. Maman estnée au milieu des années soixante, le début de l’invasion desappareils dentaires. Son nez est long, fin et aquilin, typiquementbasque, il dévoile ses origines. Au fond de moi, j’espère quemon nez ne deviendra pas comme le sien, bien que celui dePapa soit encore pire.

J’ai envie de lui dire non, car j’ai déjà promis à Aïsha et àJulia d’aller avec elles à la Maison des jeunes. Je cherche uneexcuse valable pour dire « non », et en même temps, j’essaie deme souvenir de quand j’ai gardé David la dernière fois. Jecherche tout au fond de ma mémoire, mais aucune date ne mevient à l’esprit. C’est simple, je ne me suis jamais occupée delui le soir ! Parfois, Maman doit aller à la poste ou faire unepetite course, alors là, oui, je reste avec lui, mais cela dure aumaximum une heure, jamais plus. Mes parents ne m’ont encore

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jamais donné la responsabilité de m’occuper de mon petit frèreautiste. Je m’entends dire « oui » sans réaliser vraiment.

Maman vient de terminer son pliage de linge. Elle fait glisserle panier sur la table de la cuisine vers moi. « Quand tu montes,prends le panier avec toi et dépose-le dans la chambre de David,s’il te plaît. »

J’ai envie de lui demander si Aisha et Julia peuvent venirvendredi soir, mais je ne le fais pas. Je prends le panier et medirige vers les escaliers. Soudain, mon pied rencontre unobstacle, je trébuche, boum, le panier me tombe des mains et jem’étale par terre. Maman, qui a entendu le bruit arrive encourant. Devant ses yeux, la scène : le linge éparpillé, et moi,sur le sol aussi, une tache rouge à mes côtés. Son regard s’arrêtesur le coupable et son expression change de l’inquiétude à larage. « Je t’ai déjà dit plus d’un millions de fois que tu doisranger ton sac à dos ! »

Pendant qu’elle crie comme une furie en me faisant lamorale, elle va à la salle de bains et prend tout ce qu’il faut poursoigner ma blessure. Quelques secondes après, elle arrive avecles mains chargées avec du coton, de produit désinfectant et depansements. Elle s’agenouille et commence à panser mablessure. Je me suis cognée juste au-dessus du sourcil. Je saignebeaucoup et maman s’apaise. Son regard redevient doux et ellepose un baiser sur mon front. « Je crois, que c’est mieux d’allerà l’hôpital, la plaie est profonde »

Je demande : « Et David ?- Pas le temps de chercher une baby-sitter, nous le prenons

avec nous. »Quelques heures plus tard, pendant que je me brosse les

dents avant d’aller au lit, j’observe mon reflet dans le miroir.Mes yeux sont en forme d’amande et d’un bleu intense, autour

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de la pupille j’ai des éclats dorés. Mes cheveux sont blonds,longs et légèrement ondulés. Mais en ce moment, je ne vois quemon œil droit qui est enflé, et distingue un hématome sous lepansement. Le médecin du service des urgences de l’hôpitalm’a fait deux points de suture. Il m’a dit qu’une petite cicatriceresterait, mais que ça me rendrait « encore plus jolie ». Jolie ?Moi ? Je fais peine à voir. Mes cheveux sont tâchés de sang, ledocteur m’a ordonné d’attendre vingt-quatre heures avant de leslaver afin que ma blessure ait le temps de se refermer.

Je penche ma tête sous le lavabo pour rincer les mèchessales, mais ma tête me fait tellement mal que je décide de suivreles ordres du médecin et je vais me coucher.

Une fois allongée dans mon lit, je respire profondément etme dis que finalement, j’ai eu de la chance. J’aurais pu mecasser le nez ou me briser des dents. Une chose est sûre. Je nelaisserai plus jamais mon sac à dos au milieu de l’entrée. À cemoment-là, la porte de ma chambre à coucher s’ouvreviolemment et David entre. Il marche sur la pointe des pieds. Ilfait des allers et retours en poussant de petits cris. Je remarquequ’il est tendu, nerveux. Je crois qu’il est inquiet. Je me lève etle prends dans mes bras. Peu à peu il se calme, nous nousasseyons sur le bord de mon lit et il pose sa main sur monpansement. Je lui parle tout bas.

« Ne t’inquiète pas mon chaton, je vais bien. » Mon petit frère est né quand j’avais deux ans et quatre mois.

Au début, il se développait comme un petit garçon tout à faitnormal, mais, à dix-huit mois, il a eu une forte fièvre. Cettefièvre a provoqué une convulsion avec complications, il en estresté paralysé du côté gauche pendant plusieurs semaines, etensuite, son comportement a complètement changé. Une annéeplus tard le diagnostic est tombé comme une bombe venant de

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nulle part : autisme, syndrome de Tanner, atypique !, épilepsieet hypotonie musculaire. Je n’ai qu’un vague souvenir de cettepériode de ma vie. Mais si je me souviens d’une chose, c’est del’immense tristesse de mes parents, aussi grande que leurimpuissance.

Je remarque une autre présence dans la pièce. Maman estappuyée au cadre de la porte et nous observe en silence. Je sensune vague d’affection pour ma famille et je suis finalementcontente de m’occuper de David vendredi soir. Maman a besoinde sortir un peu. En plus, avec la tête que j’ai, ce n’est pas lemoment idéal pour aller danser à la Maison des jeunes.

* * *

Vendredi arrive, la bonne chose c’est que comme je doism’occuper de David, et donc mes trois heures d’espagnoltombent. Je grandis bilingue, papa me parle en suisse-allemandet maman en espagnol. Je n’ai rien contre ces cours, mais aprèsune semaine de lycée, c’est très fatigant de passer le vendredisoir dans une salle de classe jusqu’à 19 heures.

Pour la première fois je suis seule avec David. Pourtant, jene suis pas nerveuse. Nous allons passer une soirée tranquille.Je vais faire une pizza pour le souper, car c’est son plat préféré.Ensuite, je vais faire des popcorns dans le four à micro-ondes etnous allons nous installer devant la télé et regarder un Disney.

David prend place sur le sofa, sans chaussettes, commetoujours et moi je me dirige à la cuisine. Un peu plus tard lerepas est prêt.

« David, vient manger, il y a de la pizza ».

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La moutarde et le ketchup ne peuvent pas manquer sur latable. David mange tout avec du ketchup et de la moutarde,même le gâteau au chocolat.

« Dis-moi, mon chaton, tu es allé nager avec l’écoleaujourd’hui ? »

Je lui parle tout à fait normalement, même si je sais qu’il neme répondra pas. Mais je le fais, car il m’écoute et mecomprend.

Après avoir mangé, je prépare les popcorns et nous nousinstallons au salon. Je lui passe le saladier rempli de ces petitesboules blanches qui me font penser à des moutons. Je lui faispart de mes pensées, mais il ne m’honore d’aucun regard, nid’un sourire. J’ai mon portable à la main, je prends place à sescôtés. Tout à coup, il commence à rigoler comme un fou. Dansle film « Hercule » de Disney, le héros se bat contre un monstreà cent têtes. Je ne sais pas pourquoi il trouve ça si rigolo, maisj’aime quand il sort pour un petit moment de son monde etréalise ce qui se passe devant ses yeux.

J’ai commencé à regarder le film avec lui, et posé le portablesur mon ventre. Tel l’éclair David le saisit, entre sans problèmemon mot de passe et regarde mes photos. Il ne peut pas parler,mais tout ce qui est électronique le fascine, et il est très doué encette matière. Il s’arrête longuement sur une photo. Celle qu’ona faite ensemble sur le trampoline. Trois minutes au moins. Unselfie** de nous deux.

Je laisse David au salon, car je dois encore faire la vaisselleet préparer le lait avec ses antiépileptiques. Pendant que jerange la plaque à pizza dans le four, je vois mon hématomedans le reflet sur la porte vitrée. Il a passé du bleu-violet auvert-jaune. La blessure ne me fait presque plus mal. Lundimatin, le docteur va m’enlever les fils.

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Je sursaute. Un bruit de verre brisé arrive du salon. David asûrement laissé tomber le saladier et je ne veux pas qu’il secoupe avec les débris, alors je cours jusque-là. Je voisl’expression sur son visage et aussitôt je sais exactement ce quise passe. Une attaque épileptique.

« Ah non, pourquoi maintenant, pourquoi aujourd’hui,pourquoi tu me fais une chose comme cela, aujourd’hui que jesuis seule avec toi ! »

Sans même le remarquer, je suis à ses côtés. Du pied jepousse les morceaux de verre et j’essaie de placer mon frèredans la bonne position. Je le mets sur le côté. Je commence àressentir de la panique, mais le calme reprend le dessus et j’agiscorrectement. Mes mouvements sont comme programmés. J’aivu des dizaines de fois papa ou maman faire la même chose. Ilme faut une montre pour contrôler combien de temps dure lacrise, mais ma montre est sur ma table de nuit au premier étageet je ne peux pas laisser David seul. Je cherche mon portable,mais je ne le vois pas. C’est typique, quand on a besoin de cesappareils, ils ne sont jamais là. La panique revient. Pendant queje réfléchis, une de mes mains tient le corps de mon frère etl’autre attrape la télécommande. Sur la télévision, je peux voirl’heure exacte. Le calme est de retour en moi. J’ai l’impressionque cela fait au moins dix minutes que je suis près de lui, envérité nonante secondes sont passées. Si la crise n’est pasterminée dans trois minutes, je dois lui mettre une pilule àl’intérieur de la joue.

La pilule !!! Zut ! Je fais comment maintenant ? Je sensbattre mon cœur à toute allure. Les médicaments sont dansl’armoire à pharmacie, à la salle de bains du premier. J’observemon frère, son corps est totalement tendu, ses lèvres sontlégèrement bleues, j’ai peur. Sa bouche tressaille, mais d’un

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côté seulement. C’est comme si un fil transparent était attachéau coin de ses lèvres et que quelqu’un tirait dessus en petitsmouvements rapides et réguliers. Je lâche David un instant etprends tous les coussins et la couverture pour les placer autourde lui en faisant comme un nid. Je pose ma main sur mon frontet me dis que je dois être prudente, ce n’est pas le moment deperdre le contrôle sur moi et de me casser la figure dans lesescaliers. Je regarde l’heure, trois… deux… un !, je marched’un pas déterminé. Arrivée à l’entrée, avant de monter lesmarches, mon regard se pose sur le sac à dos de David, bienrangé sous le portemanteau. Je l’attrape d’une main et faisdemi-tour vers le salon. À son sac d’école est accroché unporte-clés, et à celui-ci un petit container d’aluminium avecdedans le médicament d’urgence. Je soupire bruyamment enregardant l’heure, il ne m’a fallu que neuf secondes. Je suis ànouveau près de lui, ses mains sont gelées, sa tête bouillante.Mes mains tremblent, mais j’arrive à ouvrir sans problème lepetit et léger récipient bleu. La pilule tombe dans ma main. Ellefait à peine cinq de diamètre, sur environ deux millimètres dehauteur, elle est emballée. Les secondes sont des minutes et lesminutes des heures, tout se passe comme au ralenti. J’extirpe lapastille de sa protection transparente et, alors que je rassemblemes forces pour la lui introduire dans la bouche, une écumecommence à en sortir. Je suis presque soulagée de voir cettemasse blanche et sans odeurs couler lentement hors de sabouche. Son corps se détend peu à peu, les secousses s’arrêtent,ses lèvres virent du bleu au rouge, sa respiration redevientnormale. Un coup d’œil à l’horloge de la TV me dit que la crisea duré presque 3 minutes. Je vais à la salle de bains chercher deslingettes et une serviette pour le nettoyer. Je ne presse pas, je ne

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suis plus prisonnière du temps, car maintenant David dortprofondément et cela va durer plusieurs heures.

Après avoir terminé de tout remettre en ordre et noté ladurée de la crise sur le calendrier, je retourne au salon etm’assieds sur le sofa. Précautionneusement je soulève la tête deDavid et la pose sur mes genoux. La pièce est obscure, la seulesource de lumière est la petite lampe qui se trouve sur lesecrétaire derrière nous. Mon frère bouge pour trouver uneposition confortable et ouvre les yeux. Je suis jalouse de ses cilslongs et courbés, noir de jais. Dans cette lumière, je peux voirchaque détail de ses iris, toutes les formes qui ornent l’intérieurde ses magnifiques yeux couleur ruisseau. Il lève sa main et mecaresse la joue.

« Dors mon chaton, tu dois être très fatigué. »Il referme les yeux, je sens comme des larmes coulent sur

mon visage. Je ne peux rien faire pour les retenir. J’entends une clé dans la serrure. J’ouvre les yeux, je

regarde l’heure sur mon portable, il est bientôt minuit. J’ai dûm’assoupir. Ma nuque est douloureuse, je m’étire. A cemoment, papa entre au salon.

« Bonsoir mon petit haricot ! »J’ai 15 ans, et pourtant pour papa je suis encore toujours son

petit haricot. Il m’appelle comme cela, car la première fois qu’ilm’a vu, c’était chez le gynécologue sur une échographie. Ilavait dit alors que j’avais la forme d’un petit haricot blanc.

« Comment va le petit ? »David a déjà dix centimètres de plus que moi, mais pour

papa, il reste le petit de la famille. Il n’attend pas ma réponse etmonte au premier pour se changer. Arrivé en haut de l’escalier,il fait demi-tour et me demande : « Pourquoi David n’est pascouché dans son lit ? »

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Je réponds en parlant tout bas pour ne pas réveiller monfrère : « Il a eu une crise à 19.30 heures.

- Je vais le mettre dans son lit et après tu me racontes tout. »

* * *

Mon réveil me montre qu’il est maintenant déjà 2 heures dumatin, et je ne trouve pas le sommeil. Je revis les événementsde ce soir. Maman était arrivée quelques minutes après papa.Nous avons parlé longuement de ce qui s’était passé, ilsvoulaient savoir tous les détails. Ils m’ont félicitée et ont répétéplusieurs fois qu’ils étaient très fiers de moi. Mais plutôt que deme sentir bien, je suis frustrée. Un sentiment d’impuissance queje n’arrive pas à analyser grandit en moi. Je dois dormir, demaintout sera plus clair, mais mes pensées se bousculent dans matête, passent par mon cœur et me font mal au ventre. Je meconcentre sur les choses positives, comme mes parents, noussommes une famille extrêmement unie... Mais ça ne sert à rien.Je ne trouve pas le calme. J’allume mon laptop et commence àfaire des recherches sur le net. Les mots-clés en sont« autisme », « épilepsie », « traitement », etc. Il est cinq heuresvingt du matin, d’un petit coup sec, je referme l’ordinateur etdébranche le Wi-Fi. Pas d’ondes dans les chambres à coucher,ce sont les ordres de ma mère. Je pose l’appareil sous mon lit.

Je dors d’un sommeil sans rêves. Quand je me réveille je nesuis plus frustrée. Je sens comme une force qui grandit en moi,un chemin à suivre, un but à réaliser. J’ai passé plusieurs heuresà faire des recherches sur la maladie de mon frère. Je suischoquée de ce que j’ai lu.

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En Suisse, le nombre d’enfants atteints d’autisme ou detroubles envahissants du développement n’est pas connu demanière exacte. Toutefois, depuis une décennie, on assiste à uneaugmentation constante des diagnostics - plus de dix pour-centschaque année -, et on estime aujourd’hui que cette maladietoucherait environ un enfant sur cent. Aux USA, un sur quatre-vingt-huit.

Il n’y a pas encore de traitement pour guérir l’autisme. Ordans le monde de la recherche et des entreprisespharmaceutiques, une course à la montre a commencé il y alongtemps. C’est triste, mais comme il y a tellement de cas dansle monde entier, il y a aussi beaucoup d’argent à gagner.

Et si papa avait raison ? Je suis peut-être un petit haricotblanc, car quelque chose a commencé à germer en moi. Je veuxmieux connaître cette maladie pour mieux la combattre. Je nesais pas si je deviendrai neurologue ou si je travaillerai dans larecherche. Mais je sais que l’élucidation de l’autisme sera mavoie.

* Ce texte est le seul de la présente collection qui ne soit pas unpastiche, il a été entrepris en parallèle aux pastiches en vued'un concours littéraire dont l'issue sera connue en août 2015** On dit aussi un « egoportrait », voir : Larousse 2015

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SOMMAIRE

9 pastiches : 1 Tobi : La peste 2.0 12 Adrian : L'étranger 53 Hannes : La rentrée de Patrick 84 Noé : Au revoir les enfants 115 Hanna : Antéchrista 146 Aïsha : Un jour fantastique 187 Gilles : Architecture. Le bio c'est l'avenir 228 Cyber-espionnage 269 Yann : Station spatiale 29

Supplément :

Zoe, Les yeux couleur ruisseau 34

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Les Yods vous servent des pastiches– Enivrante lecture !

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