Partir c'est mourir un peu.Voyage et déracinement dans la société médiévale 1996 Act 26-1-1684

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Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public Partir c 'est mourir un peu. Voyage et déracinement dans la société médiévale Madame Christiane Deluz Citer ce document / Cite this document : Deluz Christiane. Partir c 'est mourir un peu. Voyage et déracinement dans la société médiévale. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 26congrès, Aubazine, 1996. Voyages et voyageurs au Moyen Age. pp. 291-303. doi : 10.3406/shmes.1996.1684 http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1996_act_26_1_1684 Document généré le 20/10/2015

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Christiane DeluzPerséeActes des congrès de la Sociétédes historiens médiévistes del'enseignement supérieur public, 26ᵉ congrès, Aubazine, 1996. V

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Actes des congrès de la Sociétédes historiens médiévistes de

l'enseignement supérieur public

Partir c 'est mourir un peu. Voyage et déracinement dans lasociété médiévaleMadame Christiane Deluz

Citer ce document / Cite this document :

Deluz Christiane. Partir c 'est mourir un peu. Voyage et déracinement dans la société médiévale. In: Actes des congrès

de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 26ᵉ congrès, Aubazine, 1996. Voyages et

voyageurs au Moyen Age. pp. 291-303.

doi : 10.3406/shmes.1996.1684

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Christiane DELUZ

PARTIR C'EST MOURIR UN PEU

Voyage et déracinement dans la société médiévale

Malgré toutes les célébrations qui ont entouré le cinquième centenaire de 1492, on prend de plus en plus conscience que c'est cent cinquante ans plus tôt qu'ont commencé les Grandes Découvertes, quand Jean de Plan Carpin et Guillaume de Rubrouck se sont lancés, premiers occidentaux à le faire, sur la route asiatique des grandes caravanes. Hs étaient pourtant issus d'une société enracinée s'il en fut, terrienne sinon paysanne à plus de 90% et où tous les rapports de force étaient construits sur la possession et l'exploitation de la terre. Paradoxe sur lequel il convient de réfléchir. Qu'est-ce qui a conduit à ce déracinement ? Quels ressorts ont joué ? Sans oublier les composantes socio-économiques, je privilégierai les raisons d'ordre idéologique. Feraand Braudel a bien fait remarquer que la Chine était plus riche, plus peuplée que l'Occident à la fin du XVe siècle, que les jonques chinoises étaient aussi performantes, sinon plus, que la caravelle pour traverser l'océan, mais que ce sont les Européens qui ont osé « s'engoulfer ».

Essayer donc de voir le pourquoi, mais de voir aussi le comment de ce déracinement et tous les arrachements qu'entraîne le fait de prendre la route, partir, c'est mourir un peu. Cela nous conduira à mieux apprécier combien ces mille morts du voyageur ont été fécondes, là encore dans le domaine des idées et de la représentation du monde. La prise de possession des terres nouvelles ne s'est faite qu'une fois franchie la date fatidique assignée à la fin du Moyen Age.

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Société enracinée que la société médiévale, tous ici nous le savons bien. Les milliers de diplômes et de chartes reposant dans les archives prouvent avec surabondance qu'après le grand tourbillon des invasions, tous ces nomades, semi-nomades, agriculteurs itinérants qui avaient fait craquer le limes n'ont rien eu de plus pressé que de se fixer sur une terre. Ces documents nous montrent aussi avec quelle âpreté l'on défend ses droits sur la moindre parcelle. Et les testaments, de plus en plus nombreux au fur et à mesure que s'avance le Moyen Age, témoignent que cette inquiétude pour la possession du sol ne se dément pas, bien au contraire, ne prévoit-on pas le partage d'un bout de jardin, de quelques pommiers, d'un recoin de maison ?

Jusqu'à la fin du XVe siècle, neuf hommes sur dix en Occident vivent encore sur la terre et de la terre. C'est la possession de la terre qui structure toute la pyramide sociale, c'est elle qui donne pouvoir et renommée, les grands marchands ne s'y sont pas trompés, soucieux, dès que cela leur était possible, d'acquérir des domaines avec les droits et le prestige qu'ils conféraient. On est tenté de dire que, du serf au roi, il n'est personne qui ne soit attaché à la terre, d'un attachement non seulement intéressé, mais affectif qui est sensible dans les connotations de l'emploi du terme terra, terre. Il serait trop long d'en apporter ici la démonstration.

Cet attachement comporte une part d'enfermement. Vivre sur sa terre, de sa terre, c'est avoir le regard borné au mieux pour le groupe seigneurial par l'horizon des cinq clochers défini par Pierre Chaunu et, pour le plus grand nombre, par la forêt ou la lande inculte entourant le village, oasis en négatif enserrée par les bois selon la belle image de Jacques Le Goff. Le mouvement brownien de la société médiévale cher à Marc Bloch se limite dans l'espace aux petites lieues qui séparent le village du marché voisin. De là, une méfiance à l'égard de l'étranger, voire une peur qu'il inspire, sentiments assez connus pour qu'il suffise de les rappeler.

Alors, pourquoi partir ? L'appel est au coeur même de chacun de ces villages centrés sur leur clocher. La spiritualité chrétienne, enracinée dans la tradition biblique, invite l'homme à la mise en route. Aux enfants d'Abraham, parti sur l'ordre de l'Eternel : « Quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père » (Gen., xn, 1), l'Eglise ne cesse de répéter qu'ils doivent se considérer comme « étrangers et voyageurs sur la terre » (He., XI, 13). « Ceux qui s'avancent dans les voies de la sagesse du Seigneur, dit Origène, n'ont pas de maisons stables... car ils ne sont pas parvenus au terme, mais des tentes dans lesquelles ils marchent et progressent toujours. Et plus ils progressent, plus la voie qui s'ouvre à leur marche augmente et s'étend à l'infini » i. La vita est avant tout via vers la vraie patrie, le ciel.

1 . Origène, Homilia in Numéris, 17, 5.

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Partir comme Abraham, partir comme les Apôtres qui, à l'appel du Maître, laissent là leurs barques et leurs filets pour le suivre, partir comme les Pères dans la nudité du désert, partir comme les moines qui tentent vainement de recréer autour d'eux ce désert, voilà l'idéal qui est présenté aux fidèles du Christ et les modèles qu'on les invite à suivre. Le chrétien ne saurait être un homme installé.

* * *

La première réponse fut donnée par les pèlerins. Les grands sanctuaires d'Occident, tel celui de Martin à Tours, furent bientôt relayés par Jérusalem et la Terre Sainte où l'on pouvait réellement mettre ses pas dans les pas du Christ. On sait que les deux derniers siècles du Moyen Age voient se développer les départs vers les rives de Syrie, Venise étant passée maître dans l'organisation du saint voyage. Les récits, qui se font plus nombreux pour ces périodes et aussi plus explicites sur les sentiments de celui qui ose enfin se raconter, insistent sur l'arrachement, la mort à soi-même que représente le départ, n faut quitter sa terre, sa maison :

« Moi, Thietmar, m'étant signé et armé du signe de la croix du Seigneur, j'ai quitté mes compagnons et ma demeure, en pèlerin, pour traverser tous les dangers de la mer et de la terre qui semblaient bien grands face à ma fragilité, mais de peu d'importance au regard de la divine récompense » 2. « J'ai quitté le sol natal et la maison paternelle pour suivre le Christ sur le chemin de la pauvreté » 3.

Pieux discours, sans doute, mais le désespoir d'un Joinville a quand même l'accent de la vérité :

« Cet abbé de Cheminon me donna mon écharpe et mon bourdon : et alors je partis de Joinville, sans rentrer au château jusques à mon retour, à pied, sans chausses et en chemise. Et... je ne voulus jamais retourner mes yeux vers Joinville, de peur que le coeur ne m'attendrît du beau château que je laissais et de mes deux enfants » 4.

2. Magistri Thietmari her ad Terram Sanctam (1217), éd. J.C.M. Laurent, Hambourg, 1857, p. 1.

3. hinerarium Simonis Semeonis ab Hibernia ad Terram Sanctam (1323), éd. M. Esposito, Dublin, 1960 (Scriptores latini Hibemiae, IV)

4. Jean, sire de Joinville, Histoire de saint Louis, éd. M. Natalis de Wailly, Paris, Firmin Didot, 1874, p. 69.

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Tant les conditions du voyage que les difficultés rencontrées sur les chemins sont là pour nous rappeler que la mort était une compagne omniprésente pour les pèlerins ; ne faisaient-ils pas leur testament avant de partir ? Il n'est que d'en écouter quelques-uns pour se convaincre de ces risques mortels :

« Continuant ma route, dit Thietmar en TransJordanie, j'arrivai à une haute montagne. Au sommet, le froid était tel que je me sentis proche de la mort. Et je perdis un de mes compagnons qui ne put supporter l'intensité du froid » 5. « Une grande et horrible fortune se leva soudainement, raconte Ogier d'Anglure à son départ d'Alexandrie en décembre 1394,...En celle malle fortune, perdy nostre nafve l'un de ses tymons dont elle estoit gouvernée... et fut renversée nostre voille par plusieurs fois en la marine malgré tous les mariniers. Et quand ce vint le soir de Noël... celle fortune nous doubla, et fist si obscur que l'un ne povoit veoir l'autre sur la nafvc.Et en vérité, il n'y avoit nul qui fist autre semblant comme cellui qui voit bien devant lui qu'il le fault morir » 6.

Revenus chez eux, ils avaient à coeur de raconter leur voyage, de faire partager leur difficile et pieuse expérience. Et le nombre non négligeable de manuscrits conservés pour certains récits — 27 pour celui de Guillaume de Boldensele, plus 6 de la traduction de Jean le Long —, ou encore les versions abrégées et adaptations connues pour celui de Ludolph de Sudheim, attestent qu'un certain public a été atteint. Si l'on prend aussi en compte l'impalpable diffusion orale, on peut affirmer que ce flux incessant vers Jérusalem a installé peu à peu le déracinement au coeur de la société chrétienne occidentale.

Ce déracinement a pris plusieurs aspects. La rencontre d'autres paysages a rempli d'étonnement les pèlerins, notamment celle du désert véritable, si différent de ce que les topoi de la littérature monastique mettaient sous ce mot. Dépaysement physique, tandis que l'on chemine dans un paysage dénudé, au milieu de rochers enfermant le voyageur comme les valves d'une coquille et lui ôtant la vue du ciel 7, et surtout crainte de perdre son chemin dans des dunes mouvantes, sans cesse recomposées par les vents de sable 8. Mais aussi dépaysement humain, car ces déserts sont lieux de rencontre autour des puits où les caravanes de marchands ou de pèlerins de La Mecque viennent s'abreuver avec leurs chameaux. Ainsi est perçue l'ampleur des

5. Magistri Thietmari..., op. cit., p. 36. 6. Le voyage à Jérusalem du seigneur d'Anglure, éd. F. Bonnardot, A. Longnon, Paris,

1880, p. 79. 7. Magistri Thietmari..., op. cit., p. 37-38. 8. Voir sur tout ceci : Le désert. Une histoire, des images, Sources. Travaux historiques,

38-39 (1994).

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échanges commerciaux entre Le Caire et Damas et pèlerins du Sinaï et pèlerins de La Mecque, conversant la nuit venue, après l'étape, découvrent leur commune démarche 9. L'Islam va ainsi prendre peu à peu un autre visage que celui du paganisme des premières chansons de geste, malgré la tenace persistance des préjugés.

Le dépaysement vient aussi de la découverte des fidèles des églises chrétiennes d'Orient, dont l'existence était jusque-là insoupçonnée, notamment les Ethiopiens, fort assidus au pèlerinage et qui possédaient un monastère à Jérusalem. Jacques de Vérone parle non sans étonnement de ces hommes noirs, très pieux, qui chantent alleluia cent fois en une messe et ont le front marqué au fer rouge d'une croix, signe du baptême de feu dont parlait Jean- Baptiste. Le jour de l'Assomption, il voit, réunis à Sainte-Marie de Josaphat « toutes les générations de chrétiens. Premièrement, nous, les vrais chrétiens, que l'on appelle Francs, deuxièmement les Grecs, troisièmement, les Nubiens, quatrièmement, les Abyssins qui sont aussi noirs que les Nubiens, cinquièmement, les Nestoriens, sixièmement, les Maronites, septièmement, les Jacobites, huitièmement, les Géorgiens. Tous sont des chrétiens » ; conclut-il, comme pour effacer l'adjectif malheureux du début 10.

Mais on serait tenté de dire que, de tous ces déracinements, le plus important a été celui du départ en mer. Il fallait oser se confier à cet élément redoutable, réceptacle de tous les monstres marins dont parle la Bible, lieu à la fois du mal et du malheur, souvenons-nous que la Jérusalem nouvelle de l'Apocalypse voit disparaître à la fois la mer et les larmes que Dieu essuiera de tous les yeux (Apoc. XXI, 1-4). Il fallait oser se livrer à la fantasque for- tuna maris avec souvent pour seul recours l'appel à Dieu et à ses saints. Les récits de pèlerinage portent la marque insistante de cette peur de la mer. Je ne veux pas répéter ici ce que j'ai pu en écrire ailleurs u. Il faut simplement souligner que c'est pour avoir plus ou moins exorcisé cette peur que les voyageurs médiévaux ont osé « aller plus oultre », selon la célèbre formule de Marco Polo et devenir des découvreurs du monde.

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9. Voir notamment Liber peregrinationisfratris Jacobi da Verona, éd. R. Rôhricht, Revue de l'Orient latin, 3 (1895), p. 228.

10. Ibid, p. 197-198. 11. C. Deluz, « Pèlerins et voyageurs face à la mer (xn«-xrve s.) », dans H. Dubois, J-C.

Hocquet, A. Vauchez (sous la direction de), Horizons marins, Itinéraires spirituels , Paris, Publications de la Sorbonne, 1987, vol. H, p. 277-288.

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C'est bien en effet le fleuve Océan qui entoure non un monde plat comme on ne devrait plus le voir affirmé, mais l'œkoumène, et le désir de transgression s'inscrit au coeur de cette représentation, « par la meir dois-tu entendre le monde » dit un ermite au héros de l'Estoire dou Graal (v. 1320) 12. L'idéal chrétien n'est plus ici en cause, mais cette hantise d'un au-delà où vivent peut-être des hommes fantastiques, des monstres redoutables et où l'on atteindra peut-être le royaume des morts. Enfermés dans leur château, seigneurs et chevaliers ont été bercés par ces contes, comme l'ont sans doute été les paysans blottis au coin de leur âtre. Mais tout ce qui relève du folklore est pour nous malaisément saisissable, alors que de la Légende de saint Brendan aux imrâma irlandaises, aux sagas norroises et aux romans de chevalerie, une série de textes nous parlent d'un chapelet d'îles mystérieuses conduisant à l'île du Paradis, de l' Utgard au-delà de la Grande mer où est lové le serpent de Midgard, de l'aventure aboutissant à des lieux secrets où seront révélées des vérités surnaturelles 13. L'hexagone logique dessiné par Pierre Gallais à propos des romans arthuriens n montre que la spirale engendrée par les disjonctions successives du héros avec un monde où, malgré les épreuves surmontées, subsiste toujours un manque, peut se poursuivre à l'infini et que la quête entreprise

« au tans qu'arbre florissent fuellent boschage, pré verdissent et cil oisel an lor latin doucemant chantent au matin » 15.

sera en fait toujours inachevée. Là encore, les décomptes de manuscrits nous persuadent du vaste cercle de lecteurs et d'auditeurs atteints par cette littérature du voyage imaginé.

Il faut enfin prendre en compte les représentations figurées, et notamment les grandes mappemondes que l'on pouvait admirer dans tel monastère, comme jadis à Ebstorf, ou telle cathédrale, comme encore de nos jours à Hereford. Au lieu de l'Antipode, sorte de point d'interrogation posé sur l'hémisphère sud dans les premières mappemondes, celles de Beatus, celles de Lambert de Saint-Omer, on voit paraître toute une galerie de peuples étranges, dont les caractéristiques, transmises depuis la plus lointaine Anti-

12. L'Estoire dou Sainct Greaal, fac-similé de l'édition de 1501, CE. Pickford, Londres, Scholar Press, 1977.

13. Voir sur ce sujet, Nouveaux mondes et mondes nouveaux au Moyen Age, Greifswald, Reineke-Verlag, 1994.

14. P. Gallais, « L'hexagone logique dans le roman arthurien », CCM, 1975, p. 1-14 et 133-148.

15. Perceval, v. 69-72.

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quité, sont soigneusement inscrites sur la carte : gens ore concrete, isti os et oculos habent in humeris, hi sunt Sorbete Ethiopes qui longi sunt adpedes XII I6. Malgré leurs difformités, ils sont pourvus des traits essentiels du visage humain, yeux, nez, bouche et, même s'ils sont présentés séparés par des chaînes de montagne, tels les Gangines de Hereford entre mont Caucase, mont Osco, Gange et mont Séphar, par des fleuves, tels les Essedones de Hereford au-delà de l'Iaxarte, ou encore logés dans des îles, tels les Panopii d'Ebstorf, ils ne sont plus rejetés hors de l'oekoumène. La grande barrière de la mer équatoriale qui allait d'une rive à l'autre de l'Océan est devenue un fleuve qui laisse un passage entre terres du nord et du sud. Si l'on observe d'autre part que certains êtres fabuleux des légendes antiques sont placés, tels la sirène, au coeur de la Méditerranée, on voit apparaître sur ces mappemondes comme des relais de l'étrange 17, appel à partir à la découverte, à aller du « par-deçà » connu au « par-delà » imaginé, comme le suggère en 1356 le Livre de Jean de Mandeville et à « trespasser » des limites jugées jusque-là infranchissables.

* * *

Or, dans la première moitié du XIIIe siècle, la transgression devient, avec le surgissement des Mongols, à la fois réalisable et nécessaire. Réalisable, car la paix imposée par le yassak règne sur les grands déserts d'Asie centrale, nécessaire, car cette paix a été précédée de chevauchées effrayantes qui ont frappé aux portes de la Chrétienté, nouveau fléau de Dieu éveillant des craintes apocalyptiques : Gog et Magog auraient-ils forcé les murailles dans lesquelles ils avaient été enfermés par le grand Alexandre jusqu'à la fin du monde ?

Dès lors, tant le seigneur pape que le roi de France vont chercher à s'enquérir de ces Tartares infernaux. La réponse viendra du monde urbain, participant de la même culture chrétienne et romanesque que celui des chevaliers, mais que les nécessités du commerce comme celles de l'étude ont déjà incité à la mise en route. Un Ricoldo de Montecroce, se décidant à partir en pèlerinage, se rappelle « les longues et laborieuses pérégrinations » entreprises pour « apprendre ces sciences séculières que l'on appelle libérales » 18.

16. Relevé des légendes de la mappemonde d'Ebstorf: E. Sommerbrodt, Die Ebstorfer Weltkarte, Hanovre, 1891. Pour celle de Hereford : G. R. Crone, The World Map by Richard of Haldingham in Hereford cathedral, Londres, 1954.

17. Voir, pour plus de détails, C. Deluz, « Le même et l'autre dans la cartographie médiévale », dans L'ëtre-différent et ses images, Analele Universitati Bucuresti, 41 (1992), p. 41- 49.

18 Fratris Ricoldi de Monte Crucis Liber peregrinacionis, éd. J.C.M. Laurent, Leipzig, 1873, p. 105.

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Les fils de saint François ne sont-ils pas déjà vêtus pour le voyage, sandales aux pieds et ceinture de corde aux reins ? Ils seront les premiers prêts à répondre à la double demande pontificale et royale. A leur suite, marchands et missionnaires occidentaux vont se lancer à la découverte des Indes fabuleuses et entamer, sans bien mesurer la longueur de l'entreprise, la circumnavigation de l'Afrique.

Tous ces voyages, qu'il est hors de question de raconter ici, ne sont certes plus entrepris dans le désir de mort à soi-même que représentait le pèlerinage, mais, partir, c'est mourir un peu, ils n'en supposent pas moins toutes sortes de morts.

Les conditions mêmes du déplacement contraignent à mourir à ses habitudes, tant pour la nourriture que pour le vêtement. Guillaume de Rubrouck doit, malgré lui, remplacer ses sandales de frère mineur par de bonnes bottes de feutre et prendre le chemin du retour enfoui sous trois pelisses de fourrure si lourdes qu'il avoue pouvoir à peine marcher 19. Aussi bien lui que Plan Carpin doivent surmonter leur répugnance à manger du loup, du renard, voire du rat et l'énumération de ces nourritures insolites accompagnera désormais les descriptions des Mongols de Vincent de Beauvais à Roger Bacon et Jean de Mandeville. Quant au lait de jument fermenté, le fameux kumis, sa « nouveauté », son « étrangeté » font « tressailir d'horreur » le franciscain flamand. Il faut songer aussi aux moeurs de nomades imposées à ces citadins, aux nuits passées entassés sous des tentes de feutre, dans une chaleur approximative et des odeurs incommodantes, même si c'est « grand péché » pour un Tartare de « pisser à l'intérieur de la tente ».

Quitter les pistes caravanières pour la mer n'est guère plus réconfortant. Il faut alors se confier à ces « navires très fragiles, rustiques, sans fer, non calfatés, cousus comme des vêtements » qui effraient tant Jean de Monte- corvino 20 et sur lequels Marco Polo montre, dans la longue description qu'il en donne, qu'il ne s'est guère senti plus rassuré 21.

Il faut enfin prendre en compte l'interminable longueur des distances à parcourir dans un paysage où rien n'est plus à l'échelle de la petite péninsule

19. Guillaume de Rubrouck, Voyage dans l'empire mongol, trad. C. et R. Kappeler, Paris, Payot, 1985.

20. Cité par M. Mollat, Les explorateurs du XIIIe au XVIe s., Paris, J-C. Lattes, 1984, p. 25. 21. Marco Polo, Le devisement du monde, éd. S. Yerasimos, Paris, La découverte, 1980,

vol. 2, p. 393-396.

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européenne, la largeur des fleuves, la hauteur vertigineuse des montagnes, l'immensité des steppes désertiques, tout cela est source d'un étonnement qui confine à la frayeur. La traversée du désert de Lop reste notamment dans toute la littérature des voyages comme celle du domaine des démons as- sourdisant les caravanes à coups de sons de trompe et les narguant du haut d'un rocher où leurs yeux brillent comme des charbons ardents 22. Ces interminables cheminements dans un environnement « étrange » au sens fort qu'on lui donnait alors, avec l'angoisse pour compagne, entraînent souvent la mort réelle des voyageurs, Rubrouck perd six sur sept de ses compagnons et, sous la plume de ceux qui survivent, reviennent souvent les mots d'épuisement, de fatigue mortelle.

Mais il y a plus que cet aspect redoutable des conditions de voyage, bien d'autres éléments viennent arracher le découvreur à lui-même. Parvenu à l'extrémité orientale de la terre, il entend parler de Jérusalem comme de l'Occident. Ses repères spatiaux perdus, il se retrouve, au sens propre du terme, désorienté. Rusticien de Pise prévient lecteurs et auditeurs que le royaume de Tana en Inde est « vers le Ponant », car « il faut entendre par Ponant que Messire Marco Polo revenait alors du Levant » 23. Et Jean de Mandeville précise : « Le Paradis terrestre est en orient, au commencement de la terre, mais ce n'est mie notre orient de par-deçà où le soleil se lève pour nous, car quand le soleil se lève sur cette région du Paradis, il est minuit dans nos régions de par-deçà » 2*. Il faut garder en mémoire l'importance que l'on attachait à l'influence bénéfique ou maléfique de tel ou tel point cardinal pour mesurer le renversement des valeurs que cette désorientation entraîne. Un savant comme Nicole Oresme dans le Livre du ciel et du monde tente de contredire l'affirmation d'Aristote selon laquelle nous sommes en un hémisphère « qui est dessous et vers senestre » en montrant que « ceulz qui sont vers orient au regart de nous sont vers occident au regart d'autres et nous aussi sommes orientelz au regart d'aucunes autres... car partout est orient et partout est occident ». Mais la vraie raison de tout ce déploiement d'arguments, c'est qu'il se refuse à admettre que nous soyons moins bien « colloquiez » que « ceuls d'orient » 25.

22. Voir notamment, Marco Polo, op. cit., p. 138-141 ; Les voyages en Asie du Bienheureux frère Oderic de Pordenone, religieux de saint François, éd. H. Cordier, Paris, 1981 (Recueil de voyages et documents pour servir à l'histoire de la géographie, 20), p. 489-492 ; Mandeville's Travels, éd. M. Letts, Londres, Hakluyt Society, 1953, p. 389-391.

23. Marco Polo, op. cit., p. 470. 24. Jean de Mandeville, Voyage autour de la terre, trad. C. Deluz, Paris, Les Belles

Lettres, 1993 (La roue à Livres), p. 227. 25. Nicole Oresme, Le livre du ciel et du monde, éd. A.F. Menut, A.J. Denomy,

Milwaukee, Londres, 1968, p. 346-354.

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C'est finalement toute la représentation du monde qui est remise en cause. Les textes que l'on peut qualifier de géographiques, Images du monde, Encyclopédies, prenaient grand soin de composer leur mappemonde comme un puzzle où les pays étaient situés les uns par rapport aux autres, continent par continent. Il n'est que d'ouvrir Isidore de Seville, Honorius Augustodunensis ou Brunetto Latini pour s'en convaincre 26. Comment les placer désormais ? Et ce qui n'était que simple nomenclature apprise des Anciens devient réalité mesurée à l'aune des journées dont les voyageurs ont soigneusement tenu le compte. Si bien que l'Europe apparaît dans une situation marginalisée face à l'immensité de l'Asie. « N'en déplaise aux lisants, explique Jean de Mande- ville, l'Angleterre est dans la basse partie de la terre vers l'Occident, comme la terre du Prêtre Jean est dans la basse partie vers l'Orient... Ni notre pays [l'Angleterre], ni l'Irlande, ni le Pays de Galles ni l'Ecosse, ni la Norvège, ni les autres îles ne sont de la superficie calculée de la terre... Nos régions ne sont pas dans les sept climats, car elles descendent vers l'Occident en tournant autour de la rondeur du monde. Et les îles de l'Inde sont en face de nous qui sommes dans cette basse partie » 27. Toute l'Europe du Nord-Ouest n'est ainsi pas mieux « colloquiée » que des pays vus jusque là comme marginaux. Et les descriptions enthousiastes d'un Polo, d'un Pordenone sur l'excellence du gouvernement du Grand Khan viennent conforter encore cette constatation.

Si bien que, finalement, c'est à ses certitudes les plus chères que le voyageur doit peu à peu mourir. Il faut citer ici le passage bien connu où le frère prêcheur Etienne Raymond, après vingt-quatre ans de missions en Afrique orientale et dans l'Océan Indien, constatait : « avec notre Jésus-Christ nous gisons rejetés à l'extrémité du monde, resserrés [le texte latin porte angulati] dans une très petite partie de la terre habitée où nous sommes confinés pour la honte et l'opprobre de tous les fidèles chrétiens. En effet, comme je l'ai affirmé et prouvé, si on divise la part du monde habité par les hommes en dix parties, nous... les vrais chrétiens... nous ne sommes même pas la dixième, que dis-je la vingtième partie du monde » 28, \\ faut abandonner l'image rassurante d'un monde où les visages des Apôtres apparaissaient sur les pays des trois continents, proclamant que la Bonne Nouvelle avait été portée sur toute la terre. C'est la loi de Mahomet qui est parvenue « par on ne sait quelle diablerie », dit Rubrouck, jusqu'au coeur de l'Asie et les idolâtres

26. Isidore de Seville, Etymologiarum libri XX, éd. W.M. Lindsay, Oxford, 1911, 1. XIV, De terra etparîibus. Honorius Augustodunensis, De imagine tnundi libri très, PL, 172, 1. 1, col. 1 19-146. Brunetto Latini, Là Livres dou Trésor, éd. F.J. Carmody, Repr. Genève, 1975, 1, p. 121- 125.

27. Voyage autour de la terre, op. cit., p. 142. 28. Directorium ad passagium faciendum (attribué faussement à Guillaume Adam),

R.H.C. Documents arméniens, t. II, p. 382-384.

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sont plus nombreux sur les grands royaumes et empires que la poignée de chrétiens de Saint-Thomas aux Indes ou de Nestoriens à la cour mongole, chrétiens de surcroît peu instruits et de moeurs douteuses.

* * *

Partir, c'est mourir un peu. Les voyageurs, lancés dans leur quête des limites du monde imaginaient-ils qu'ils en reviendraient à ce point dépouillés ? Mais toutes ces morts ont été des plus fécondes et ce constat, s'ils avaient été en mesure de la faire, aurait répondu à leur croyance intime qu'il n'est pas de mort sans résurrection.

Voilà qu'ont craqué les limites de l'espace et du temps. Le monde est plus vaste et plus divers que n'avaient osé l'imaginer les Anciens, même si l'on garde suffisamment de révérence envers eux pour reconnaître ici ou là quelques-unes des merveilles dont ils avaient parlé sans les avoir vues. A la fin du Moyen Age, l'Asie a été parcourue d'ouest en est, ses côtes méridionales ont été longées par mer et les récits entendus par les voyageurs leur permettent de projeter quelques lumières sur les pays du Grand Nord où les chiens tirent les traîneaux sur une terre plongée six mois dans « l'oscureté ». En Afrique, quelques courageux marchands ont réussi à s'ouvrir la route du désert. En 1447, le génois Antonio Malfante a pénétré avec des caravanes jusqu'à Sijilmassaa puis Tamentit et le portugais Pedro de Covilham a atteint en 1491 l'Ethiopie où il sera retrouvé trente ans plus tard par la mission de Francisco Alvares. Sur mer, on a franchi l'Equateur, atteint le cap des Tempêtes. Et, pour réussir la grande volta océanique, il faut s'approcher des côtes du Brésil, les toucher peut-être sans les reconnaître.

Il faudrait ajouter, pour être complet, que l'on a découvert aussi le ciel austral, après l'inquiétante perte de vue de la Tramontane. Marco Polo a décrit à Pietro d'Abano ce qu'on a nommé depuis les nuages de Magellan 29.

La géographie qui retrouve son nom après une éclipse de dix siècles ne pourra plus être simple répétition des textes d'autrefois. Le globe de Martin Behaim, la mappemonde de Fra Mauro, comme les premiers grands Atlas de Mercator et d'Ortelius, font place, à côté des renseignements ex veteribus, à ceux qu'ils ont puisé ex recentioribus , parmi lesquels on trouve en bonne place un Marco Polo, un Oderic de Pordenone, un Jean de Mandeville.

L'espace s'est ouvert, le temps s'est distendu. La vision de quelques ruines antiques, le répertoire des dynasties donnent à la durée historique une épais -

29. Conciliator Pétri Aponensis, éd. de Venise, 1521, diff. LVII, fol. 97, col. I.

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seur qu'elle n'avait pas, même si l'on continue à compter les années selon la Bible et les âges du monde. « C'est dans ces îles [de l'Inde] affirme Mande - ville, qu'ils prophétisèrent l'Incarnation de Notre Seigneur Jésus Christ et comment il naîtrait d'une pucelle trois mille ans ou plus avant que Notre Seigneur Jésus Christ ne fût né de la Vierge Marie » 30. Ogier d'Anglure se désole de voir des « ouvriers massons... desmurer » des pierres des Pyramides, mais son guide lui jure « que ja estoient mille ans passés que l'on avoit commencié a excorcher et descouvrir iceulx greniers, et si ne sont que a moitié descouvers et ja pour ce ne pleut ne ne pleuvra dedans » 31.

Mais l'ouverture la plus importante rut sans doute celle de la rencontre de l'Autre. Dans une récente conférence donnée à l'université de Paris III, le professeur David Williams, faisait remarquer, à propos du Roman d'Alexandre, que les conquêtes successives du Macédonien s'inspiraient de son désir de s'identifier à ses rivaux, le désir se multipliant au fur et à mesure qu'il prenait conscience de ses manques. Il n'arrive à la vraie rencontre qu'avec les Gymnosophistes, si fondamentalement différents de lui qu'il cherche pour la première fois, non à s'assimiler, mais à comprendre. Dans une certaine mesure, les voyageurs ont fait la même expérience. « Image inversée du monde occidental » a dit Jacques Le Goff de l'univers onirique des îles. Mais sans aller jusqu'à ces mondes rêvés, la réalité n'offrait-elle pas déjà cette image ? Les Tartares nomades, mangeurs de rats, polygames, les Hindous se tailladant pour l'amour de leur dieu ou se jetant sous les roues du char de l'idole, les hommes de Java fiers de leur nudité, les Noirs entrevus sur les rivages africains étaient suffisamment différents du citadin des belles villes d'Occident pour que le choc se produise. Choc brutal, qui entraîne souvent rejet et indignation chez ceux qui l'ont reçu. Il n'est que d'écouter Oderic de Pordenone parcourant l'Asie du Sud-Est : « Ces malheureux gens tuent leurs fils et leurs filles pour celle ydole oindre de leur sang... Et ainsi de pluseurs autres bestialités et merveilles que ilz font qui ne seraient point bonnes a raconter devant tous bons Crestiens... Les gens sont très mauvais et très cruels. Ils mangent chair humaine... Ils sont tous noirs et sont très cruelles gens en bataille » 32. Mais pour ceux qui réfléchissent sur les récits des voyageurs, un Dante, un Jean de Mandeville, volonté affirmée d'accueillir dans un œkoumène élargi tous ceux qui le peuplent et de les faire entrer dans un même salut, à l'image de la mappemonde d'Ebstorf, enserrée toute entière dans les bras du Christ. Le Livre de Jean de Mandeville est comme enchâssé entre deux affirmations de cette conviction : « Le Créateur du monde, dit le Prologue, choisit de subir la mort pour nous à Jérusalem qui

30. Voyage autour de la terre, op. cit., p. 223. 31. Le saint voyage à Jérusalem du seigneur d'Anglure (1394), éd. F. Bonnardot, A.

Longnon, Paris, 1880, p. 66. 32. Les voyages en Asie..., op. cit., p. 101, 102, 136, 202.

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est au centre du monde pour que soit annoncé et su dans toutes les parties du monde à quel prix il avait racheté en son grand amour les hommes faits à son image sans qu'ils l'aient mérité ». Et il conclut :« Et sachez que de tous ces pays dont j'ai parlé, de toutes ces îles et de tous ces peuples divers que je vous ai décrits avec leurs diverses religions et leurs diverses croyances, il n'y a aucun peuple qui n'ait quelque article de notre foi et quelque bonne partie de notre croyance. Ils croient en Dieu qui fit le monde et l'appellent Dieu de nature, selon le prophète qui a dit : « Tous les confins de la terre le craindront » et ailleurs : « Tous les pays le serviront » 33.

Ainsi, de ces morts des voyageurs, naît un humanisme résolument optimiste. Toutes les peines endurées débouchent sur l'émerveillement. Les récits qu'ils nous ont laissés pourraient tous s'appeler Livre des Merveilles. Il faut garder en mémoire que ces premiers découvreurs se sont mis en route pour une quête que toute leur culture leur avait appris à désirer. Ils sont partis les mains nues à la recherche d'un au-delà, de leur monde et d'eux-mêmes et donc prêts à l'étonnement, sinon à l'admiration. La phase de conquête et d'exploitation des nouveaux mondes commence à la période suivante. Celle qui nous a retenus ce soir est celle de la rencontre.

33. Voyage autour de la terre..., op. cit., p. 4 et 234.