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401 Partie III – Outils d’analyse Partie III – Outils d’analyse Chapitre 1 L’énonciation 1 – Identifier les éléments de la situation d’énonciation p. 542 a. Le dialogue théâtral n’est compréhensible par le lecteur que grâce aux didascalies qui donnent les élé- ments de la situation d’énonciation. Dans cet extrait de Samuel Beckett, l’enchaînement « – Où es-tu ? / – Là » entre Ham et Clov ne se comprend qu’avec la didascalie qui l’accompagne : « Clov va jusqu’au mur du fond, s’y appuie du front et des mains. » b. Dans cet extrait de Yasmina Reza, les répliques ne prennent sens qu’avec la longue didascalie qui précède : il y est question d’un tableau dont on dis- cute le prix ; le jeu des regards traduit l’admiration de l’un, le scepticisme de l’autre. 2 – Distinguer les plans d’énonciation p. 542 a. Dans ce texte de Daudet, le plan d’énonciation choisi est celui du récit. Le texte presque entière- ment descriptif, écrit à l’indicatif imparfait, ne porte aucune trace du locuteur. b. Dans ce second extrait de Daudet, le plan d’énon- ciation choisi est celui du discours. L’énoncé est construit au présent de l’indicatif ; le locuteur inter- vient (« Pauvre mère Achille ! encore une qui en a eu des tristesses dans son ménage. »). c. Dans les deux extraits proposés, Alphonse Dau- det nous livre des « contes choisis » en jouant sur les deux systèmes énonciatifs : l’un distancié (le premier), le second intégrant davantage le lecteur, le mettant devant une histoire en train de se dérouler. 3 – Identifier et analyser les indices de modalisation p. 543 Pour traduire la modernité d’Oran, le narrateur modalise ses propos afin de montrer la difficulté de la percevoir. Il manifeste sa compréhension à d’autres avis : « À première vue Oran est, en effet […] », « on doit l’avouer », « on dira sans doute ». Il met ainsi le lecteur dans la posture d’un visiteur découvrant Oran, et qui a des perceptions variées et incertaines. 4 – Analyser la modalisation et ses effets p. 543 Les indices de modalisation sont nombreux : les guillemets à « sauvages » : le locuteur prend de la distance par rapport à ce jugement ; « choisit » : subjectivité du jugement, indication d’un parti pris arbitraire venir ; « justement » : appuie le jugement ; « dites » : le locuteur prend de la distance par rapport à ce jugement ; – « plus de discrétion » : ironie pour évoquer l’hypocrisie ; les guillemets dans la suite du texte indiquent que le vocabulaire est emprunté aux membres de la tribu. 5 – Distinguer plusieurs modalisations p. 543 a. Les propos rapportés de Cortés commencent à « il n’avait rien vu d’aussi beau » et se terminent à « n’était pas un rêve… » (sauf « et que dire de cette phrase »). b. Cortés tient des propos hyperboliques signifiés par l’usage du superlatif. c. Las Casas utilise divers outils de modalisation : nombreuses interrogatives et exclamatives, ana- phores, comparaisons avec la civilisation espagnole. Il cherche à prouver la supériorité absolue des Indiens, en s’appuyant sur les propos de Cortés, pour montrer l’incohérence qu’il y a à vouloir leur faire la guerre et les dominer. Chapitre 2 Le récit 1 – Étudier le statut du narrateur p. 547 a. Le texte de Jules Vallès, écrit à la première per- sonne, mêle différents temps du passé : on peut s’intéresser à l’opposition entre passé simple de l’indicatif et passé composé de l’indicatif : le passé simple (« il fut humilié », « un grand sauta sur lui et le souffleta ») désigne avant tout ce qui est rejeté dans un passé révolu, sans ancrage dans le présent et qui renvoie à l’enfance du narrateur. Le passé composé évoque le moment où le narrateur-personnage revient sur les lieux de son histoire : les verbes « J’ai pu », « j’ai pris », « j’ai dû », « je n’ai pas osé » évoquent le mouvement physique et psychologique du narrateur-personnage qui avance vers le collège. Ce passé composé est ancré dans la situation d’énonciation ; il est presque contemporain du moment de la narration et le désigne. D’autres verbes conjugués au passé composé ont un statut intermédiaire : « je l’ai vu » et « j’ai senti » indiquent une sensation et une émotion du petit Jacques, qui réapparaissent dans le présent avec toute l’intensité du moment où elles sont nées : le passé lointain de l’histoire et le présent de la narration se rejoignent.

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Partie III – Outils d’analyse

Partie III – Outils d’analyse

Chapitre 1 L’énonciation

1 – Identifier les éléments de la situation d’énonciation p. 542

a. Le dialogue théâtral n’est compréhensible par le lecteur que grâce aux didascalies qui donnent les élé-ments de la situation d’énonciation. Dans cet extrait de Samuel Beckett, l’enchaînement « – Où es-tu ? / – Là » entre Ham et Clov ne se comprend qu’avec la didascalie qui l’accompagne : « Clov va jusqu’au mur du fond, s’y appuie du front et des mains. »b. Dans cet extrait de Yasmina Reza, les répliques ne prennent sens qu’avec la longue didascalie qui précède : il y est question d’un tableau dont on dis-cute le prix ; le jeu des regards traduit l’admiration de l’un, le scepticisme de l’autre.

2 – Distinguer les plans d’énonciation p. 542

a. Dans ce texte de Daudet, le plan d’énonciation choisi est celui du récit. Le texte presque entière-ment descriptif, écrit à l’indicatif imparfait, ne porte aucune trace du locuteur.b. Dans ce second extrait de Daudet, le plan d’énon-ciation choisi est celui du discours. L’énoncé est construit au présent de l’indicatif ; le locuteur inter-vient (« Pauvre mère Achille ! encore une qui en a eu des tristesses dans son ménage. »).c. Dans les deux extraits proposés, Alphonse Dau-det nous livre des « contes choisis » en jouant sur les deux systèmes énonciatifs : l’un distancié (le premier), le second intégrant davantage le lecteur, le mettant devant une histoire en train de se dérouler.

3 – Identifier et analyser les indices de modalisation p. 543

Pour traduire la modernité d’Oran, le narrateur modalise ses propos afin de montrer la difficulté de la percevoir. Il manifeste sa compréhension à d’autres avis : « À première vue Oran est, en effet […] », « on doit l’avouer », « on dira sans doute ». Il met ainsi le lecteur dans la posture d’un visiteur découvrant Oran, et qui a des perceptions variées et incertaines.

4 – Analyser la modalisation et ses effets p. 543

Les indices de modalisation sont nombreux : – les guillemets à « sauvages » : le locuteur prend

de la distance par rapport à ce jugement ;

– « choisit » : subjectivité du jugement, indication d’un parti pris arbitraire venir ; – « justement » : appuie le jugement ; – « dites » : le locuteur prend de la distance par

rapport à ce jugement ; – « plus de discrétion » : ironie pour évoquer

l’hypocrisie ; – les guillemets dans la suite du texte indiquent que

le vocabulaire est emprunté aux membres de la tribu.

5 – Distinguer plusieurs modalisations p. 543

a. Les propos rapportés de Cortés commencent à « il n’avait rien vu d’aussi beau » et se terminent à « n’était pas un rêve… » (sauf « et que dire de cette phrase »).b. Cortés tient des propos hyperboliques signifiés par l’usage du superlatif.c. Las Casas utilise divers outils de modalisation : nombreuses interrogatives et exclamatives, ana-phores, comparaisons avec la civilisation espagnole. Il cherche à prouver la supériorité absolue des Indiens, en s’appuyant sur les propos de Cortés, pour montrer l’incohérence qu’il y a à vouloir leur faire la guerre et les dominer.

Chapitre 2 Le récit

1 – Étudier le statut du narrateur p. 547

a. Le texte de Jules Vallès, écrit à la première per-sonne, mêle différents temps du passé : on peut s’intéresser à l’opposition entre passé simple de l’indicatif et passé composé de l’indicatif : le passé simple (« il fut humilié », « un grand sauta sur lui et le souffleta ») désigne avant tout ce qui est rejeté dans un passé révolu, sans ancrage dans le présent et qui renvoie à l’enfance du narrateur. Le passé composé évoque le moment où le narrateur-personnage revient sur les lieux de son histoire : les verbes « J’ai pu », « j’ai pris », « j’ai dû », « je n’ai pas osé » évoquent le mouvement physique et psychologique du narrateur-personnage qui avance vers le collège. Ce passé composé est ancré dans la situation d’énonciation ; il est presque contemporain du moment de la narration et le désigne. D’autres verbes conjugués au passé composé ont un statut intermédiaire : « je l’ai vu » et « j’ai senti » indiquent une sensation et une émotion du petit Jacques, qui réapparaissent dans le présent avec toute l’intensité du moment où elles sont nées : le passé lointain de l’histoire et le présent de la narration se rejoignent.

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Français 1re – Livre du professeur

Selon la formule de Benveniste, le passé composé « établit un lien vivant entre l’événement passé et le présent où son évocation trouve place ». Cette ren-contre du passé simple, coupé de la situation d’énonciation, et du passé composé, ancré dans le temps de la narration, aboutit à la superposition du passé des événements racontés, et de la voix qui, au présent, les raconte. Ce procédé permet au lec-teur de suivre un récit à deux niveaux : le premier niveau est celui des événements remémorés, et ren-voie au personnage de l’enfant ; le second niveau est celui du moment où le personnage, devenu adulte, raconte ces événements.b. Si le jeu temporel entretient une certaine ambi-guïté autour de l’identité de l’auteur et du narrateur, il convient de souligner le fait que l’auteur et le nar-rateur sont distincts : celui qui signe le roman, ainsi que permet de le voir le paratexte, est Jules Vallès, tandis que le narrateur est désigné comme un être de fiction, comme une créature littéraire : le narra-teur abandonne la première personne brièvement et se met à distance (« C’est là-dedans que mon père était maître d’études à vingt-deux ans, marié, déjà père de Jacques Vingtras. ») : le mot « père », répété, est tour à tour sujet du verbe « être » et attribut du sujet « mon père » ; la première occurrence de « père » est accompagnée du déterminant possessif de première personne, tandis que la seconde est accompagnée d’un complément du nom, « de Jacques Vingtras » : ce procédé a pour effet de sou-ligner l’identité entre le « je » du narrateur et le nom du personnage du roman.c. Suivant les catégories déterminées par Gérard Genette, le narrateur, qui raconte sa propre histoire, doit être considéré comme « homodiégétique ». Le narrateur-personnage se livre à une sorte de pèleri-nage et avance avec peine vers ce lieu de son enfance. Aux humiliations subies par le père répond la détresse passée et présente du fils : la détresse du narrateur adulte se traduit notamment par des phénomènes physiques (« mon cœur battait à tout rompre », « je titubais comme un homme ivre », « j’ai dû m’appuyer », « je n’ai pas osé passer »), que le texte associe à la souffrance morale du personnage de l’enfant (« j’ai senti peser sur mes petites épaules le fardeau de sa grande douleur »). La synthèse du passé et du présent, des manifestations physiques et morales de la souffrance, est opérée à la fin du passage : « Il me semble que je laisserais de mon sang sur le plancher de l’étude des grands ». La polysémie du mot « sang » peut en effet dire la souf-france du corps, et l’hémorragie de l’hérédité humi-liée. Le passage donne au souvenir un caractère douloureux, qui assure le lien entre les émotions passées du personnage et les émotions présentes du narrateur.

2 – Étudier la présence du narrateur p. 547

a. Les indices qui permettent de reconnaître les commentaires du narrateur sont, en premier lieu, les pronoms personnels de première et de deuxième personne, qui désignent, d’une part, un « je » qui s’apparente à la figure de l’auteur dans la narration et, d’autre part, le lecteur virtuel. On peut aussi sou-ligner l’apostrophe à ce lecteur, les questions rhéto-riques, le présent de l’indicatif, les présentatifs ou le lexique de la création littéraire (« facile », « faire des contes », « j’entame le sujet de leur voyage ») : une deuxième situation d’énonciation (celle du temps de la narration) se superpose à la première (le temps de l’histoire des amours de Jacques et de son maître).b. Ces interventions assurent une communication entre le narrateur et le lecteur imaginé par le roman. Ce lecteur fait donc partie du roman, comme les personnages de Jacques et de son maître : le narra-teur joue avec les attentes de ce lecteur, qui repré-sente le lecteur réel de roman. Ce procédé permet à Diderot de remettre en cause, sur un mode paro-dique, le fonctionnement du récit traditionnel, qui repose sur l’idée que le lecteur accepte le mensonge constitutif de la fiction.

Écriture d’invention Critères d’évaluation : – Les commentaires du narrateur ont été supprimés. – Les présentatifs, qui comportent une ambiguïté,

sont remplacés par des verbes au passé simple ou à l’imparfait. – Le style de Diderot est observé : laconique, il

repose sur la parataxe et la brièveté des phrases. Les reprises nominales restituent l’écriture de Dide-rot : un seul terme désigne « le maître » ; « Jacques » est aussi « le valet », « le pauvre diable ». – L’écrit s’attache à combler l’ellipse suggérée par

le commentaire du narrateur : « une mauvaise nuit ». – Le valet semble posséder une certaine philoso-

phie de la résignation et des talents de narrateur, tandis que le maître est volontiers violent, mais aussi curieux, comme un lecteur.

3 – Confronter présence du narrateur et temps de la narration p. 547

a. La narration est menée à la deuxième personne : le personnage semble s’interroger sur lui-même, tandis que le lecteur, porté à s’identifier au person-nage, est emporté dans un même mouvement de quête de soi.b. Menée au futur de l’indicatif, la narration précède les événements racontés, et prend une dimension prophétique en donnant aux événements qu’elle annonce un caractère inéluctable : la rupture conju-gale à venir semble résulter d’une machination du

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personnage, ou de l’action d’une force plus grande que lui.c. Le titre du roman suggère l’idée d’une transfor-mation qui n’altère pas la nature de l’élément modi-fié : le personnage se dédouble, et se voit, avec lucidité, dans une situation dans laquelle il n’est pas encore : il expérimente les événements à venir sur lui-même, il se découvre et se « modifie ».

4 – Repérer les fonctions de la description p. 548

1. La description a ici un effet de réel ; elle décrit dans les détails un mineur.2. La description a ici une fonction explicative ; elle permettra de comprendre les réactions du personnage.3. La description a ici une fonction esthétique : le passage se présente comme un tableau.

5 – Déterminer la vitesse d’un récit p. 548

a. L’imparfait de l’indicatif est ici chargé d’une valeur itérative ; il est, par là, très proche de la description, dans la mesure où l’action qu’il raconte constitue une toile de fond sur laquelle se construit l’action principale. L’énoncé unique de ce voyage qui s’est répété souligne de façon synthétique l’attachement de la fille de ferme pour son enfant, qui occupe sans cesse sa pensée et détermine chez elle une habitude.b. Le récit fait alterner différentes vitesses : les pre-mières lignes du passage (« Son mari lui faisait l’ef-fet… tout son bonheur sur la terre. ») font le portrait moral de la fille de ferme, et constituent une pause. On peut déceler des segments narratifs qui pré-sentent des résumés, ou des sommaires d’événe-ments : le paragraphe qui s’ouvre à « Depuis deux ou trois années » et se clôt à « avec colère » résume quelques années de la vie du couple, et peut relever aussi bien du sommaire que du « récit itératif ». Le passage est, en son milieu, marqué par une ellipse qui accélère les événements : « Des années pas-sèrent ; l’enfant gagnait six ans. » Dans les dernières lignes, la durée du récit rejoint celle de l’histoire : l’apparition soudaine du mari et les paroles qu’il adresse à sa femme forment une scène : « Si c’était le tien, tu ne le traiterais pas comme ça. ». L’alter-nance de moments où l’action sommeille, s’accélère ou ralentit permet de ménager une ascension vers un moment où l’intensité dramatique culmine : la crise, longuement, est restée latente, puis éclate soudainement.

6 – Analyser une description p. 548

a. Le passage présente la description d’une œuvre d’art dont le sujet est un paysage maritime. Il s’agit d’une ekphrasis, comme le montre l’abondance des termes qui renvoient au lexique de l’art : « premier plan », « peintre », « perspective », « tableau », peut-être aussi « impression » et « marine » ; le lexique de l’univers marin s’agence dans ce cadre. L’organisa-tion de la description répond à un principe spatial : elle se concentre d’abord sur « le premier plan », et envisage, pour finir « tout le tableau » ; mais cette notation est voilée, et un deuxième principe s’im-pose, qui repose sur une série de métaphores et de comparaisons dont l’effet est de mêler les plans, le bas et le haut, l’élément terrestre et l’élément mari-time : « Des hommes […] couraient aussi bien dans les flots que sur le sable », « le sable […] réfléchis-sait déjà les coques comme s’il avait été de l’eau », « un navire en pleine mer […] semblait voguer au milieu de la ville », « des femmes qui ramassaient des crevettes dans les rochers, avaient l’air […] d’être dans une grotte marine ». La synthèse des deux éléments est opérée dans l’oxymore « la terre est déjà marine », qui souligne, in fine, la confusion des frontières spatiales.b. Le tableau est décrit par un observateur qui est sensible aux effets recherchés par le peintre : après avoir analysé le talent et l’intention du peintre qui « avait su habituer les yeux à ne pas reconnaître », il décrit le tableau en montrant les effets produits par cet art poétique sur ses propres perceptions (« sem-blait », « avaient l’air », « donnait cette impres-sion ») : la confusion des éléments enveloppe d’un halo indécis les sensations de l’observateur. Par ail-leurs, le lexique de l’art, l’écriture imagée qui restitue les intentions du peintre désignent au lecteur l’ob-servateur comme un écrivain de talent. Dès lors, cette description se colore d’une fonction esthétique.

Chapitre 3 Le théâtre

1 – Comprendre la fonction de l’exposition p. 555

a. Le monologue d’Émilie qui ouvre la pièce évoque trois personnages : Auguste, l’empereur de Rome, qui est « au milieu de sa gloire » ; le père d’Émilie, qui a été proscrit par Auguste et mis à mort (« par sa propre main mon père massacré ») ; Cinna, qui conspire la mort d’Auguste, et dont Émilie est éprise.b. Une vingtaine de marques de première personne apparaissent dans ce passage : les pronoms per-sonnels, en particulier, ont tour à tour la fonction de sujet et de complément d’objet direct (« je regarde »,

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« je vois », « J’aime », « je hais », « je sens », « je songe », « je m’irrite », « je m’abandonne ») ; le pro-nom personnel tonique apparaît deux fois dans un vers qui lui-même accumule quatre pronoms per-sonnels de première personne (« Oui, Cinna, contre moi, moi-même je m’irrite ») : Émilie semble se dédoubler, et souffrir d’un déchirement qui la condamne à être victime d’elle-même. Prise entre la haine d’Auguste et le désir de vengeance, l’amour de Cinna et la crainte de le perdre, elle exprime avec lyrisme le désarroi qui s’est emparé de toute son âme. Le dialogue qu’elle établit avec elle-même est redoublé par un dialogue qu’elle entretient avec des personnages imaginaires ou absents : elle s’adresse, à la deuxième personne du pluriel, à ses désirs de vengeance. Cette allégorie peut faire songer aux Éri-nyes, divinités de la mythologie grecque qui pour-suivent les meurtriers. Elle dialogue également avec Cinna, désigné par le pronom personnel de deu-xième personne au singulier, qui a tour à tour la fonction de sujet, lorsqu’Émilie évoque son courage (« tu n’appréhendes rien »), et de complément d’ob-jet, lorsqu’elle l’envisage comme l’instrument de sa vengeance (« pour me servir », « Te demander »). Ce monologue montre donc un personnage désem-paré, qui chante à la fois sa colère et son amour.

2 – Identifier un personnage de tragédie p. 555

Divers éléments permettent de dire qu’Électre est une héroïne de tragédie : elle appartient à un rang social élevé (elle est une princesse) ; elle s’exprime dans un style soutenu ; elle invoque les Dieux et signifie leur puissance ; elle agit au nom de ses devoirs.

3 – Étudier le drame romantique p. 555

a. Les personnages de cette scène appartiennent à l’aristocratie, à l’exception de Casilda, qui est une servante : la reine d’Espagne, Doña Maria de Neu-bourg est issue d’une famille de la noblesse alle-mande et a épousé le roi d’Espagne. Comme l’indiquent la réplique de la duchesse, ainsi que son titre, Don Guritan est un aristocrate. Ces person-nages sont caractéristiques de la tragédie.b. Les didascalies, ainsi que la ponctuation, per-mettent de percevoir une certaine proximité entre la reine et sa servante Casilda : toutes deux parlent en aparté. La ponctuation expressive révèle également l’intérêt que toutes deux accordent à la lettre du roi : les exclamations indiquent d’abord l’impatience de la reine, puis sa déception (« Hélas ! »). Elles ponc-tuent également trois phrases dans la réplique de Casilda. Ces éléments isolent la reine et sa servante de la duchesse, qui observe strictement l’étiquette

de la cour, et de Don Guritan, qui s’adresse à la duchesse.c. Casilda emploie un niveau de langue courant, qui n’est pas celui de la tragédie classique : « le billet doux » est une formule qui rappelle la comédie ou le vaudeville. Elle reprend par ailleurs, et répète, les mots de la lettre du roi, dont elle raille le manque d’imagination. Cette moquerie de la servante à l’égard du roi est soulignée par la diérèse dans la diction du mot « imagination » qui occupe tout l’hé-mistiche et qui fait écho au premier hémistiche du vers précédent (« il a tué six loups ») : on peut en effet constater que ces deux hémistiches sont liés par des assonances en [i], [a], et une allitération en [s]. L’ironie de Casilda met en exergue l’indifférence du roi pour celle qu’il a épousée : elle interroge en effet la reine dans une question rhétorique qui énu-mère les tourments auxquels le roi devrait répondre. Ces éléments montrent l’intention d’Hugo, qui est d’accueillir, dans son drame romantique, « la comé-die et la tragédie » : une servante se moque d’un roi dans une intrigue qui montre la détresse d’une reine vertueuse en proie à l’ennui.

4 – Identifier et étudier la double énonciation p. 556

a. Les didascalies montrent deux personnages dont les attitudes physiques contrastent violemment : Bartholo est agité (« revenant »), envahi par la colère (« frappant du pied »), alors que Rosine, pâmée, « tombe sur un fauteuil », « renversée ». Le pouvoir semble détenu par le barbon que sa jalousie rend furieux. La modalité des phrases traduit les émo-tions ressenties par chacun des personnages : exclamations et interrogations disent, chez Rosine, la détresse ; chez Bartholo, les exclamations et les injonctions disent l’impatience et la colère.b. La première réplique de Rosine s’adresse en réa-lité au spectateur, à l’insu de Bartholo ; il s’agit d’un aparté, qui révèle au public la détresse du person-nage. Pierre Larthomas définit cette forme du lan-gage dramatique comme un « cri de l’âme ». Il constitue ici comme un commentaire du stratagème ourdi par Rosine ; l’aparté est le redoublement ver-bal du geste indiqué par la didascalie.c. Bartholo voit dans Rosine une jeune fille naïve et sans défense, que sa colère peut impressionner, et que sa volonté dirige. À l’inverse, le spectateur est témoin de l’extrême habileté de Rosine, qui, durant tout le passage, joue pour son tyran une sorte de comédie destinée à lui faire croire qu’il a gagné la partie : ses gestes, ses paroles disent sa défaite, alors qu’elle a en réalité remporté la victoire. Les paroles de Rosine ne prennent donc pas le même sens pour Bartholo, qui est dans l’ignorance du sub-terfuge opéré, et pour le public, qui, en position de

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voyeur idéal, saisit tous les enjeux de la scène. Dès lors, les paroles autoritaires de Bartholo prennent pour Rosine et pour le spectateur, une dimension comique.d. Il sera intéressant de rendre Bartholo le plus ridi-cule possible en lui demandant de « gesticuler » comme un pantin. Rosine, quant à elle, pourra « for-cer » les mimiques, jouer sur l’exagération.

5 – Déduire du texte écrit une représentation p. 556

a. Réduits à une initiale, les noms des personnages ne véhiculent aucune détermination sociale, histo-rique ou morale : ce sont deux hommes anonymes, qui possèdent deux voix. Peut-être le titre suggère-t-il que ces personnages représentent le « oui » et le « non », ce qui serait une invitation à une lecture métaphorique et symbolique de la pièce. Les didas-calies nous renseignent sur les liens affectifs qui existent entre eux : H2 « soupire », et, plus loin, il est montré « prenant courage » : on suppose donc une relation tourmentée, et désormais menacée.b. Les points de suspension qui parcourent l’extrait signalent les béances qui s’ouvrent entre les deux personnages et qui les séparent peu à peu. Toute-fois, ce signe ne prend pas le même sens tout au long de l’extrait : signe de la perplexité de H1, mais aussi de son désir de comprendre ou d’encourager H1 à s’expliquer, il fait entendre, chez H2, le silence qui enveloppe ce qui est indicible. Enfin, ces points de suspension apparaissent, en mention, dans une citation (« C’est bien… ça… ») et font l’objet d’un commentaire (« Juste avec ce suspens »). H2 fait des points de suspension dans une phrase de H1 la cause de son « éloignement ».c. Élément enchaînant par excellence, l’interroga-tion inaugure le passage, et le clôt. Aux deux ques-tions posées par H1 au début du passage répond la succession, à la fin du passage, de deux répliques dans lesquelles une question de H1 répond à une question de H2. Il résulte de ce procédé une repré-sentation du drame de l’humanité : il est impossible de s’entendre, les mots sont impuissants à traduire les émotions et les pensées ; les hommes sont condamnés à se séparer, parce qu’une frontière infranchissable sépare les consciences.

Écriture d’inventionOn peut imaginer une mise en scène soucieuse de représenter l’univers du spectateur : les costumes seront simples ; ils feront contraster le noir, lié aux épreuves, au monde souterrain, mais aussi à la tempérance, selon Michel Pastoureau, et le blanc qu’on associe au manque et à l’absence. L’espace pourra représenter un lieu familier, comme un salon, et la présence de livres pourra symboliser le siège de ce drame, qui se joue dans les consciences.

La diction pourra être orchestrée de telle sorte qu’on perçoive la montée de la tension. Il faudra souligner le silence, lui donner une présence concrète, ainsi que le suggère cette critique de Michel Cournot, dans Le Monde du 28 février 1986 : « Nathalie Sarraute […] pétrit de la parole et du silence ». Il faudra veiller à faire percevoir à chaque fois la puissance simultanément tragique et comique du drame.

Chapitre 4 La poésie

1 – Étudier rythme et musicalité p. 561

a. La préférence de Rimbaud pour la parataxe se traduit, dans le poème, par la prédominance de phrases simples, dont les proportions sont proches de la longueur du vers. La première phrase est un octosyllabe au rythme 4|4 ; la dernière, un octosyl-labe au rythme 3|5 ; les principaux mètres appa-raissent dans les lignes de ce poème, et sont, selon les intentions du poète, étendus ou abrégés. La deuxième phrase et la pénultième reposent sur une structure qui rappelle à la fois l’alexandrin et le vers impair : on peut les analyser comme la succession d’un hexasyllabe et d’un pentasyllabe, ou d’un tétra-syllabe et d’un heptasyllabe (« Rien ne bougeait encore | au front des palais. » ; « L’aube et l’enfant | tombèrent au bas du bois »). D’autres phrases, au cœur du poème, peuvent se lire comme des hendé-casyllabes, des décasyllabes, des ennéasyllabes. Entre ces seuils du poème, le souffle de la prose s’élance, et fond, dans de vastes phrases com-plexes, ces mêmes rythmes selon une cadence adaptée au sujet.b. La prose rimbaldienne puise sa puissance poé-tique dans un mouvement fait de la rupture qui, d’un paragraphe à l’autre, contraint l’imagination à com-bler ce que la page laisse en blanc : de la « fleur » au « wasserfall », par exemple, l’imagination est saisie d’un raccourci qui est déplacement dans l’espace, et changement d’échelle. La ponctuation (virgules et points) découpe la prose en moments expressifs qui accompagnent le développement de la narration d’une promenade, dont le mouvement commence et s’achève dans l’immobilité.c. Une relation se tisse tout au long du poème entre le sujet traité, une promenade, et la forme de la prose, dont l’étymologie latine, prorsus, signifie « en avant, en ligne droite ». Le paragraphe, qui condense la parole par endroits, en occupant toute la largeur de la page, permet de dire l’essoufflement d’une course dans le matin à travers un univers naturel et de rendre perceptibles les sensations d’une ren-contre allégorique : la prose donne corps à cette rencontre physique entre le sujet poétique et une réalité immatérielle qui s’apparente au rêve.

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Français 1re – Livre du professeur

2 – Percevoir les ruptures dans la poésie moderne p. 561

a. La dimension musicale du poème tient notam-ment au caractère original de la poésie de Senghor, qui affirme, dans le titre du recueil (Nocturnes) comme dans l’italique liminaire (pour Khalam) le lien indissoluble qui existe entre les deux arts : le poème est fait pour être accompagné de musique et chanté.b. On appelle « versets » ces unités qui reposent sur la combinaison d’ensembles métriques tradition-nels : ici octosyllabes et alexandrins. Cette combi-naison peint l’expansion progressive d’une nostalgie qui s’abandonne à l’élan du souvenir.c. La succession d’un quintil, d’une strophe monos-tiche, puis d’un nouveau quintil souligne le mouve-ment des pensées du poète : le passé composé évoque, dans la première strophe, un moment passé dont l’intensité engendre la naissance de la parole. De part et d’autre d’un présent rattaché au moment de l’énonciation s’exprime une double évocation de l’avenir, au futur : dans la première strophe, la part d’incertitude liée à l’avenir est soulignée par les deux phrases interrogatives ; la dernière strophe, entièrement rédigée au futur, prend une valeur prophétique.d. La forme occidentale du poème (le verset notam-ment) se joint à l’univers de l’Afrique, qui est présent tout au long du poème : la parole poétique est redoublée par la musique des cordes de la harpe africaine. L’évocation de la couleur de peau du guer-rier, du « sein sombre » de la femme aimée, la nos-talgie du « pays natal » sont chantés dans un poème écrit en langue française.

3 – Étudier les formes poétiques p. 561

a. Les quatrains qui composent ce poème sont liés par des jeux de répétitions : le deuxième vers de chaque strophe devient le premier vers de la strophe suivante, tandis que le quatrième vers devient le troisième vers de la strophe suivante : il s’agit d’un pantoum. Le retour des mêmes vers, en des places différentes, évoque l’idée d’un mouvement, d’une ondulation qui peut s’apparenter au mouvement cir-culaire de la valse.b. La syntaxe ne franchit jamais les limites de la strophe, qui comporte son unité et se referme sur elle-même. Les trois premières strophes sont construites sur deux types de phrases, dont le pan-toum rend la place fluctuante : la phrase déclarative et la phrase exclamative. Les jeux de répétitions concentrent, dans le dernier quatrain, deux excla-mations, qui portent en elles l’idée que l’émotion parvient à son point culminant.

c. La forme même du poème a pour effet de faire résonner les jeux de sonorité que chaque vers fait entendre : l’allitération des fricatives [v] et [f], de l’oc-clusive dentale [t], de la liquide [l] ainsi que les diverses combinaisons qui les font alterner (vers 1, 4…) font entendre une suite d’accords et d’échos. Il se dégage du poème une musique propre à restituer l’atmos-phère d’un coucher de soleil, et à souligner le séman-tisme des mots choisis pour évoquer ce coucher de soleil (vibration des cordes du violon, par exemple).

Chapitre 5 L’argumentation

1 – Distinguer convaincre et persuader p. 566

a. Ces deux textes constituent des discours, liés à la situation d’énonciation : on peut y déceler des pro-noms désignant l’orateur (« je », chez Rousseau), l’orateur et ses auditeurs (« nous », chez Mirabeau), ou les auditeurs uniquement (« vous » chez Rous-seau) : Mirabeau s’adresse à des pairs, qu’il apos-trophe (« Messieurs »), et qui œuvrent pour le même dessein dans un comité institué par l’Assemblée ; Rousseau s’adresse à la collectivité des citoyens de Genève, dont il souhaite obtenir la reconnaissance et la gratitude. Le texte de Rousseau, de plus, s’adresse à une communauté plus vaste encore, comme l’indique la première phrase du texte, qui évoque, à la troisième personne, les « Citoyens » de Genève : cette lettre, envoyée à la République de Genève, doit constituer la dédicace d’un ouvrage à portée universelle, le Discours sur l’origine et les fon-dements de l’inégalité parmi les hommes.b. Le texte de Mirabeau porte les marques d’une langue très écrite : la subordination est le mode de construction privilégié. L’indicatif, dans les princi-pales, assure la progression du discours ; il en resti-tue les étapes (passé composé, présent). Dans le premier paragraphe, une subordonnée consécutive au subjonctif (introduite par « en sorte que »), dans laquelle s’enchâsse une comparaison (plutôt… que), indique une conséquence qui n’est pas effective, mais souhaitée ; dans le second paragraphe, la tournure impersonnelle « il s’ensuit que » introduit une subordonnée complétive qui exprime un résul-tat : le développement se veut soucieux de s’adres-ser à la raison des auditeurs. Au contraire, dans le texte de Rousseau, la langue employée emprunte les traits de l’oral : les relatives en « qui » et « que » abondent, et le mode privilégié est la parataxe. Les subjonctifs de souhait, les phrases interrogatives, exclamatives, emphatiques (« voilà… qui », « c’est… que ») soutiennent le lyrisme d’un éloge qui s’adresse avant tout aux sentiments des Genevois.

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Partie III – Outils d’analyse

2 – Étudier la délibération p. 566

a. Les modalités interrogatives et exclamatives qui parcourent le texte révèlent les tourments de Jean Valjean, qui endure un supplice psychologique. Elles ponctuent de marques de l’oralité les pensées du personnage, qui sont rapportées au discours indi-rect libre. Le lecteur est donc témoin de la délibéra-tion qui se joue sous le crâne de Jean Valjean, et qui oppose les termes selon la perspective axiologique du bon et du mauvais (honnête/voleur), du vrai et du faux (apparence/réalité).b. La délibération conduite par le personnage décrit un mouvement qui part de considérations générales (Jean Valjean s’interroge sur le sens de sa vie et son « but »), puis étudie successivement les consé-quences, néfastes ou bénéfiques, des deux atti-tudes qu’il peut adopter (rester cacher/se livrer) : ce mouvement est partagé par la locution adverbiale « au contraire » ; enfin, le verbe de volition « falloir » apparaît à trois reprises dans la deuxième partie du texte : Jean Valjean se rend au parti de l’honnête et du vrai.

3 – Étudier l’argumentation directe p. 567

a. La numérotation qui précède ces textes est le signe d’une variation dans le contenu d’un ouvrage qui a connu plusieurs éditions successives : le nombre des maximes, d’une édition à l’autre, a évo-lué, au gré des suppressions et des ajouts. Elle per-met également de rapprocher des textes dont le sujet est identique ; enfin, elle exhibe le caractère discontinu d’une écriture qui imite les caprices d’une conversation où les sujets ne sont ni épuisés, ni imposés.b. L’emploi de la parataxe confère une complète autonomie syntaxique aux membres qu’elle unit et fait puissamment résonner les relations sémantiques qui s’établissent entre les propositions coordonnées par « mais », ou « et » : la maxime 74 repose sur le parallélisme « il y a… il y a », et sur l’opposition « une sorte/mille copies ». La maxime 75 repose sur une cadence mineure ; les deux propositions qui la com-posent mettent en relation la métaphore du feu et la peinture de l’amour : brèves et incisives, ces for-mules ont une puissante structure rhétorique, qui en fait de véritables fragments argumentatifs.c. L’extrême brièveté de ces fragments, l’usage d’un présent permanent à valeur panchronique confèrent à l’énoncé une valeur universelle : le moraliste consi-dère qu’il énonce une vérité valable pour tous les temps, et tous les hommes : l’amour véritable est souvent contrefait ou imité ; son caractère passager est inexorable.

4 – Distinguer les raisonnements logiques p. 567

a. Tous ces extraits abordent la question de l’amitié, des conditions qui sont favorables à son apparition dans le texte de Diderot, des conditions qui sont défavorables à son expression dans le texte de La Bruyère, et de ses effets dans le texte d’Alain.b. Les grandes articulations qui assurent la progres-sion de la pensée dans ces textes sont d’une grande simplicité apparente : Diderot a recours à la para-taxe ; le lien entre les propositions juxtaposées est implicite ; plus loin, « et », redoublé par l’impératif « concluez », peut signifier « donc » ; les deux-points, et le connecteur temporel « alors » per-mettent d’introduire l’exemple de l’ami sans fortune. La Bruyère et Alain laissent à leur lecteur le soin de percevoir les rapports logiques ; l’exemple du « bon financier » chez La Bruyère et celui de l’ami joyeux chez Alain ne sont annoncés par aucun connecteur. Les textes de Diderot et de La Bruyère soutiennent que l’état social (« fortune », « condition ») déter-mine la qualité d’une relation amicale ; le texte d’Alain montre que l’amitié engendre la communica-tion des émotions. Dans tous ces textes, le recours à l’exemple accompagne la formulation de la thèse : Diderot élit, pour son exemple, deux personnages, dont le prénom seul est révélé ; chez Diderot et La Bruyère, l’exemple adopté est actualisé par un article indéfini et envisage donc un cas général (« un gueux », image de cet autre « gueux » qu’est le « charbonnier », « un bon financier ») ; Alain, par le recours aux déterminants possessifs et au pronom personnel de première personne, donne un carac-tère plus intime à l’exemple employé.c. Diderot part d’un exemple, qui est fondu dans le récit particulier des Deux amis de Bourbonne par l’emploi de l’imparfait ; l’extrait se clôt par l’affirma-tion, au présent permanent, d’une vérité générale : le raisonnement est inductif ; plaisamment, Diderot renverse la logique en faisant de la règle générale la conséquence du cas particulier. Les textes de La Bruyère et d’Alain s’ouvrent par l’affirmation de la thèse défendue au moyen d’une séquence imper-sonnelle, « il y a… », dans laquelle le pronom per-sonnel « il » est une « forme postiche référentiellement vide » (Grammaire méthodique du Français, PUF, 2009) ; le passage s’achève par un exemple, qui est la conséquence de la thèse affirmée : le raisonne-ment est déductif.

5 – Étudier l’argumentation indirecte p. 567

a. Ce texte prend la forme d’un dialogue, dont le temps de référence est le présent de l’énonciation. Les verbes de parole, les pronoms personnels de première et de deuxième personne correspondent

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Français 1re – Livre du professeur

aux interlocuteurs : Glaucon, un frère de Platon, dia-logue avec le philosophe Socrate. Le temps qui domine dans les paroles de Socrate est le futur ; il considère une société qu’il situe dans une époque postérieure ; ce futur prédictif envisage la vie des agriculteurs, dont les membres sont désignés par le pronom personnel de troisième personne ; en les désignant par le démonstratif composé (« ces hommes-là »), Glaucon insiste sur l’éloignement de ces citoyens fictifs par rapport au temps du discours qui les évoque.b. Le texte décrit un mode de vie simple, frugal, en accord avec la nature et avec la cité : ces hommes se contentent du nécessaire, et, pour leur alimenta-tion, se satisfont de ce que la nature et leur propre travail peuvent leur offrir. Ces hommes sont indus-trieux ; ils pratiquent la commensalité familiale ainsi que la piété ; leur comportement est fait de retenue ; ils combattent l’égoïsme pour perpétuer la cité en transmettant leur mode de vie en héritage à leurs enfants.c. Platon, dans ce texte, présente un modèle de société favorable à l’épanouissement de chacun, car tous peuvent vivre « agréablement », et profi-table à tous, car il garantit à tous la paix et la longé-vité. Ce rêve politique, qui présente une sorte de collectivisme primitif et montre un lieu idéal et fictif, relève du genre de l’utopie.

Chapitre 6 Registres et figures de style

Les registres

1 – Identifier les registres p. 572

Œuvres Registre Indices possibles

La Farce de maître Pathelin (1465)

comique On note la présence du mot « farce ».

Défense et illustration de la langue française (Joachim du Bellay, 1549)

polémique La notion de « défense » suppose une attaque.

Les Regrets (Joachim du Bellay, 1558)

élégiaque On note la présence du mot « regrets ».

La Mort de Pompée (Pierre Corneille, 1644)

tragédie On note la présence du mot « mort ».

Réflexions ou Sentences et maximes morales (François de La Rochefoucauld, 1665)

didactique La maxime expose des vérités admises et délivre un enseignement.

Histoire d’une fille de ferme (Guy de Maupassant, 1881)

réaliste La date de l’œuvre, la désignation de l’héroïne par un état social qui renvoie à l’idée de pauvreté.

Œuvres Registre Indices possibles

Apparition (Guy de Maupassant, 1883)

fantastique Le sens du titre induit un phénomène surréel.

Napoléon le Petit (Victor Hugo, 1852)

polémique Le nom du personnage historique et la qualification péjorative.

Eugénie Grandet (Honoré de Balzac, 1833)

réaliste Le nom de l’auteur relié au genre romanesque et le titre formé du prénom et du nom d’une inconnue.

La Bataille (Patrick Rambaud, 1997)

épique Le titre évoquant la guerre.

On pourra signaler que ce ne sont que des hypo-thèses de lecture, le titre convoque un horizon d’at-tente qui peut être parfois trompeur.

2 – Analyser les effets créés par les registres p. 572

a. Les personnages s’opposent par le registre de langue dans lequel ils s’expriment : la veuve Mouaque utilise un niveau de langue courant et Zazie un registre familier, voire vulgaire. Zazie est cynique et se montre étrangère à la mélancolie de la veuve : « C’est le flicard qui vous met dans cet état ? ». On relèvera aussi une utilisation comique du registre pathétique à contre-emploi (effet de décalage) : « la voix pleine d’eau ».b. Le premier extrait crée un effet de pathétique : on relèvera la situation de Fantine, bien sûr, mais aussi ses propos (on notera les exclamatives, les répéti-tions « six mois », « ma fille » et surtout la mise en scène de la supplication de la mère). Le champ lexi-cal du combat renvoie au registre épique mais on montrera en quoi cette épopée s’achève sur une vision fantastique. La vision de la mort est ambiguë : est-elle réellement perçue par les soldats qui vont mourir ? Le narrateur impose cette idée, en tout cas, comme l’indique la formule maximale au présent de vérité générale « la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait ».L’extrait 3 est construit sur un scénario d’histoire comique, avec une chute sur un bon mot involon-taire. On pourra réfléchir sur l’efficacité de l’échange pour montrer que le comique fonctionne sur un malentendu sur le mot « question ». Pour la plus jeune, il s’agit d’une interrogation sur un événement historique, pour Alix, il s’agit de poser la question telle qu’elle est formulée par le manuel.Extrait 4 : cette attaque est dirigée contre les hommes d’État et s’appuie sur un renversement de point de vue. Le procédé polémique consiste à

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Partie III – Outils d’analyse

définir les termes en passant par le syllogisme sui-vant : les hommes d’État sont habiles, or l’habileté implique la petitesse, donc les hommes d’État sont petits (médiocres).c. Extrait 1 : le passage tiré de la nouvelle de Méri-mée, Il viccolo di madama Lucrezia (1873), vise à créer un effet de peur et de suspense. Il appartient au registre est fantastique. Le thème est celui de la découverte d’un lieu inconnu, seul et dans l’obscu-rité : « garçon qui me précédait fit un faux pas, et la bougie qu’il tenait à la main tomba et s’éteignit. Il me demanda un million d’excuses, et descendit pour la rallumer ». L’imagination du narrateur fait qu’il appréhende d’ouvrir la porte de sa chambre. On relèvera la thématique fantastique de la « nonne sanglante », un spectre qui vient hanter le château de Lindenberg dans la légende allemande, mais aussi les hésitations marquées par les modalisations (modalité interrogative, le verbe « sembler »).Extrait 2 : Montesquieu publie anonymement les Lettres persanes sous la Régence. Il y critique la politique absolutiste de Louis XIV par le biais d’une correspondance entre deux persans. Ce texte est satirique. La feinte admiration repérable dans la phrase « ce roi est un grand magicien » est un moyen de se moquer de la naïveté de son peuple mais aussi de dévoiler l’inutilité des mesures politiques adop-tées par le roi pour tenter de trouver de l’argent. On pourra noter la gradation : on passe de la falsifica-tion de la valeur (« il n’a qu’à leur persuader qu’un écu en vaut deux, et ils le croient ») au tour de magie (« S’il a une guerre difficile à soutenir et qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent »). La lettre s’achève par une satire de la religion puisque le mystère de la transsubstantiation c’est-à-dire le fon-dement de la croyance chrétienne n’est plus qu’un tour de passe-passe.Extrait 3 : dans cet extrait de « Monstres sacrés » de Roland Dubillard, deux compères commentent les jeux de scène d’une actrice célèbre, Sarah Bern-hardt, un « monstre sacré » selon l’expression de Cocteau. La parodie s’appuie sur le décalage entre ce que veut dire l’admirateur inconditionnel de l’ac-trice (la situation d’énonciation) et l’énoncé (ce qui est dit). On pourra montrer comment les précisions soulignent le ridicule du personnage (voir le costume ou la description de son avancée sur scène, ou encore les réactions du public) et comment les brèves exclamations de son interlocuteur fonc-tionnent comme des relances. Le comique réside encore dans les jeux de mots (« bout, pou, bout de fromage ») et la familiarité du registre utilisé qui est en décalage avec le sujet (« Elle avait une façon de s’amener, vous savez… comme ça : pof ! C’était Bérénice. », « zioupe ! », « Médusé, on était. »).Extrait 4 : la première strophe du célèbre poème extrait de Capitale de la douleur d’Eluard (1626) est

lyrique. Il s’agit d’un dialogue entre le poète et la femme aimée (on relèvera les indices grammaticaux renvoyant à la première et à la deuxième personne) ainsi que les images qui renvoient à la forme circu-laire des yeux et à la féminité (courbe, tour, rond de danse et de douceur, auréole, berceau) mais aussi au temps et à la naissance.Extrait 5 : l’incipit du Roman comique de Scarron est une parodie du style épique (on parle d’héroï-comique). Pour l’apprécier il faut réactiver la culture mythologique des élèves, en présentant par exemple le tableau de Guido Reni intitulé Apollon guidant le char du Soleil et précédé de l’Aurore (1614). Ce char du soleil ou du dieu Hélios a été conduit par Phaéton qui, incapable de le diriger, a été foudroyé par Zeus. Scarron joue donc avec les références mytholo-giques pour signifier que la nuit était en train de tom-ber. On relèvera la construction de la seconde phrase qui multiplie les adjonctions « respirant un air marin qui les faisait hennir et les avertissait que la mer était proche, où l’on dit que leur maître se couche toutes les nuits » pour ralentir le mouvement du texte tout en évoquant la lenteur du char.d. Extrait 1 : l’incipit d’« Un cœur simple » de Flau-bert appartient au registre réaliste. On peut situer l’époque (xixe siècle), le lieu, les personnages et leur environnement social (« les bourgeoises de Pont-l’Évêque envièrent à Mme Aubain sa servante Féli-cité. »). On relèvera la précision et la diversité des travaux de la servante qui est exploitée comme le montrent les imparfaits qui suggèrent un travail jamais interrompu.Extrait 2 : le registre épique du « Soir d’une bataille » de Leconte de Lisle se devine dans son titre. Les pluriels, le lexique du combat et de la violence sug-gèrent la sauvagerie de la guerre tandis que la com-paraison initiale renvoie aux éléments et aux forces primitives (« Tels que la haute mer contre les durs rivages »).Extrait 3 : l’extrait de l’article « Torture » du Diction-naire philosophique de Voltaire est un texte polé-mique. On pourra rappeler l’affaire du chevalier de La Barre, accusé d’avoir profané une statue du Christ. Bien qu’il n’y ait aucune preuve, il est torturé et décapité en 1766. L’organisation de l’argumenta-tion consiste à rendre sympathique la victime en soulignant sa jeunesse (« jeune homme », « l’étour-derie d’une jeunesse effrénée » – ce qui est déjà un moyen d’excuser le « crime ») et à ridiculiser les bourreaux par l’ironie d’une désignation antiphras-tique (« les juges d’Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains »). Voltaire montre ensuite l’insi-gnifiance du délit et la démesure de la punition. On relèvera pour cela le lexique de la torture et celui désignant le crime, la construction syntaxique « non seulement… mais encore », les répétitions « com-bien », le jeu de l’adverbe « précisément », qui servent à dénoncer ce scandale.

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Français 1re – Livre du professeur

Extrait 4 : « Souvenir » de Lamartine est une médi-tation sur le temps qui passe et la tristesse du sou-venir qui demeure. Le registre élégiaque de la plainte s’appuie sur l’invocation (« ô dernier songe de l’amour ! »), sur le champ lexical du temps qui passe, sur les allitérations en [s] (« En vain le jour succède au jour. / Ils glissent sans laisser de trace »), et sur l’image du chêne auquel se compare le poète.Extrait 5 : Phèdre réalise l’ampleur de son crime dans cet extrait de la scène 6 de l’acte IV. Après avoir déclaré vainement son amour à son beau-fils, se croyant veuve de Thésée, elle apprend le retour de son mari et comprend qu’Hippolyte a repoussé ses avances parce qu’il en aime une autre. La jalou-sie la gagne et son désir de vengeance est souligné par le lexique de la mort et du crime. Cependant, elle prend conscience de l’horreur de sa situation et de son impuissance. Les modalités interrogatives, exclamatives, les ruptures de rythme de l’alexan-drin, l’opposition entre le soleil et la nuit infernale soulignent l’affolement et l’égarement du person-nage. Sa vision finale révèle qu’elle ne trouvera dans la mort nulle paix mais au contraire le châtiment sous les traits de Minos son père.

3 – Distinguer deux registres p. 574

Les registres ou les effets du texte créés par des procédés stylistiques ne sont que des outils d’ana-lyse. Les exercices proposés ci-dessous ont pour but de montrer aux élèves qu’une même œuvre peut présenter plusieurs registres. Ils éviteront ainsi de plaquer des idées reçues sur un genre ou un auteur. Il sera donc intéressant de faire repérer aux élèves qu’un même passage peut présenter des caractéris-tiques qui relèvent de plusieurs registres.Extrait 1 : cet extrait d’un article du Dictionnaire phi-losophique de Voltaire mêle le registre didactique et le registre polémique. La disposition typographique du titre correspond à une entrée définitionnelle, il est écrit au présent de vérité générale, le narrateur uti-lise le pronom personnel « on » dans son sens géné-ral, et convoque des formules définitoires : « On peut ranger dans la classe de la famine […] » ; « On comprend dans la peste toutes les maladies conta-gieuses, qui sont au nombre de deux ou trois mille. »Ce didactisme est bien sûr au service de la polé-mique. Il s’agit de dénoncer les artisans de la guerre. L’utilisation du pronom « nous » situe le lecteur et le narrateur dans le camp de ceux qui s’opposent aux responsables de la guerre, c’est-à-dire les « rois ou quatre cents personnes répandues sur la surface de ce globe sous le nom de princes ou de ministres ».Le détachement marqué par l’explication pseudo-scientifique (« trois ingrédients ») et les précisions chiffrées, l’ironie de l’antiphrase « ces deux pré-sents » qui désignent la famine et la peste, le

détournement de la formule consacrée « les images vivantes de la divinité » pour décrire les artisans de la guerre, relèvent de l’humour noir, un des procédés de la polémique.Extrait 2 : cet extrait du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité procède du registre didac-tique et oratoire. La thèse de Rousseau s’organise selon un mouvement binaire clairement montré par l’entrée en matière « Je conçois dans l’espèce humaine deux sortes d’inégalités ». Rousseau défi-nit la première en passant du plus visible à ce qui l’est moins (« âges », « santé », « forces », « esprit », « âme »), la seconde par gradation allant du plus évident au plus scandaleux. On relèvera encore les formulations d’autorité (« je conçois », « que j’ap-pelle », « qu’on peut appeler »), et les explications (« parce que », « qui consiste »).On mettra en lumière le registre oratoire en montrant que les répétitions des formules vues précédem-ment scandent le discours, et que le rythme binaire construit le raisonnement « l’une que j’appelle […] parce que, l’autre qu’on peut appeler […] parce que ». Enfin, les formules d’insistance « comme d’être plus riches, plus honorées, plus puissants qu’eux », les accumulations « des âges, de la santé, des forces du corps, et des qualités de l’esprit, ou de l’âme » créent des effets de rythme qui visent à convaincre.Extrait 3 : Moha le fou Moha le sage de Tahar Ben Jelloun est un roman construit sur la figure mythique du fou qui détient une forme de sagesse. Définir le registre de ce passage est quasi impossible : il mêle fantastique et réalisme, tout en ayant des accents oratoires. Il s’agit d’en discuter avec les élèves en examinant les procédés. La vision intemporelle d’un bidonville surgit de la magie du discours (« Je parle d’un pays […] Je chante un peuple […] Je dis un peuple […] »). Les métaphores construisent un monde fantastique dans lequel la terre est personni-fiée : elle a « respiré la mort et expulsé le jour » ; les arbres « sont suspendus au ciel » ; la mort devient « l’araignée vénéneuse » ; des cris « viennent de dessous la terre ». L’ambigüité fantastique vient du fait que l’on ne sait si cette vision est issue de l’ima-gination ou si elle décrit métaphoriquement un monde qui existe. La structure du passage met en évidence le passage de la vision à la réalité. Le nar-rateur voit « un terrain vague » pour achever sur la formule descriptive « il y a ces terrains vagues ». Le registre réaliste s’appuie sur le thème du passage mais sur les « petits détails vrais » comme les « bou-teilles en plastique », les « bris de faïence » ou les « maisons en carton et en zinc » ainsi que sur les formules maximales (« Un bidonville est une bruta-lité faite à des hommes séparés de la vie. Une vio-lence qui ne prévient pas quand elle éclate. ») qui révèlent et dénoncent (nous sommes dans la polé-mique ici) la tragique condition de ses habitants. Le

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Partie III – Outils d’analyse

registre oratoire sera souligné par la répétition des mots « peuple », « il y a » qui tissent le texte, et sont repris dans des amplifications rythmant le mouve-ment des phrases. « Je dis un peuple non un rêve ou une image, un peuple vivant, qui connaît la patience et la fureur, un peuple imprévisible, il descend dans la rue avec ses gosses nus et ses arbres suspendus au ciel. »Extrait 4 : la description de l’alambic dans L’Assom-moir de Zola est une séquence fantastique insérée dans un passage de facture réaliste. Le pronom « ça », les expressions « ça me fait », « avoir un trou à soi », « madame Gervaise » renvoient à une conversation de registre familier, tandis que l’objet de l’échange entre Coupeau et Gervaise (« travailler, manger du pain […] ») évoque le monde ouvrier décrit par les naturalistes. Le travail de l’alambic ins-pire en revanche une vision fantastique ; celle de l’alcool inondant Paris.Extrait 5 : le « Transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon » mêle registre oratoire et pathétique et vise à émouvoir. On montrera comment la structure syntaxique des paragraphes organise le mouvement oratoire : le premier est construit sur le schéma sui-vant « Chef de la résistance […] regarde […] regarde […] Pauvre roi […] regarde […] ». Le second obéit à la même logique d’amplification puisque le schéma de première phrase en conditionne tout le mouve-ment : « Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège […], entre ici, Jean Moulin, avec ton ter-rible cortège […] ». On montrera le pathétique de ce passage en s’appuyant sur les apostrophes et les formules injonctives qui créent un effet de présence, sur l’alternance des pluriels et des singuliers, sur l’antithèse « ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé […] ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé » réunissant, sur le plan de l’histoire, tous les destins dans la même tragédie, enfin sur le registre de la nuit et de l’ombre évoquant les morts et les résistants.

4 – Rédiger un texte p. 575

Ces trois extraits programment respectivement une réécriture épique, fantastique et réaliste. Pour pasti-cher ces registres, on demandera aux élèves de relire la fiche 16, mais aussi des textes utilisant ces procédés.

Les figures de style

1 – Identifier les figures de style et analyser leur effet p. 578

a. Les comparaisons employées par Le Clézio sont :1. « Souple, tiède, vivante, douce, jaune (le comparé est implicitement la lumière évoquée dans la

première phrase) comme (outil de comparaison) la paille (le comparant). »2. « Jaune comme la flamme des allumettes » : même comparé mais autre comparant insistant sur une seule similitude : le jaune.3. « Elle (le comparé = la lumière) entre, pareille à (outil de comparaison) une chevelure de femme (le comparant) »Ces comparaisons permettent de donner vie à la lumière en y associant mouvements, formes et couleurs.b. « Elle entre par la fenêtre […] Elle entre […], elle se met à bouger […] et rebondit […] » sont des person-nifications qui associent la lumière à une visiteuse mystérieuse à la fois apaisante et vivifiante. Le désir de cette présence est encore accrue par la grada-tion : « C’est en elle que je voudrais habiter, pendant des jours, des mois, des années. »c. Le vent est comparé à un animal, un reptile qui pourrait venir s’enrouler autour des colonnes. Il est aussi comparé à un torrent : « soufflait », « accou-rait », « bondir en cascade », « sifflait », « tournait », « baignait », « entourait de son souffle », « venait se répandre en cris incessants ». De ces métaphores se dégage l’image d’un être sauvage, indomptable.d. Quand le souriceau parle du coq, il parle d’« un morceau de chair » pour évoquer la crête et d’« Une sorte de bras dont il s’élève en l’air » pour évoquer son aile. Ces périphrases traduisent l’ignorance du souriceau qui, n’ayant jamais vu de coq, ignore le vocabulaire qui en désigne les caractéristiques physiques.e. La première strophe repose sur des nombreuses personnifications éclairées par une comparaison : « Les sapins (sont) comme des astrologues ». Ainsi donc, ils portent des « bonnets pointus », « de lon-gues robes », « ils saluent leurs frères abattus ».C’est la personnification qui domine tout ce poème ; ainsi, d’astrologues, les sapins vont devenir « de grands poètes », puis de « beaux musiciens », et encore, de « graves magiciens ».

2 – Analyser l’effet produit p. 578

a. L’impression de grande animation, de fourmille-ment ressort de cette scène de marché africain tra-duite par de longues phrases énumératives, par un recours constant à un procédé d’accumulation ; les verbes d’action se succèdent à un rythme effréné : « se bousculèrent aux portails, se déversèrent sur les places, dans les rues, dans les voitures et dans les pirogues. ». « Rapides comme les pattes de la biche les mains de Salimata allèrent et vinrent, remplirent […] les arrosèrent de sauce et les couronnèrent […] ».Cette impression est renforcée par des métaphores à caractère hyperbolique traduisant la multitude « se déversèrent », « des meutes », « des essaims », « des faisceaux de mains ».

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Français 1re – Livre du professeur

b. Molière fait de son personnage Harpagon un désespéré à qui, en prenant son argent, on a quasi-ment pris la vie. Une disproportion, une exagération propre à la comédie marquée par des hyperboles provoque le rire (« on m’a coupé la gorge »).Les gradations ascendantes amplifient jusqu’au ridi-cule le désespoir du personnage (« au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier ! », « je suis perdu, je suis assassiné », « je n’en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré »).c. Les souvenirs d’enfance de Colette renvoient à des images idéalisées dont la pureté et la beauté sont évoquées à l’aide de métaphores pour raviver les sensations visuelles (« la hampe enflammée des digitales », « un dégel illuminé de mille gouttes d’eau », « Ce ciel pesait sur le toit […] et pliait les oreilles des chattes… ») ou encore une sensation auditive (« un faible ronflement de mer lointaine »).

La valeur hyperbolique de quelques images rajoute encore à la force de cette évocation : « de brûlants été », « mille gouttes ».d. Pour traduire sa souffrance et son impossibilité à la dire, Anny Duperey utilise d’abord la métaphore filée d’une interminable grossesse, une grossesse vaine pour un impossible accouchement.Elle voudrait accoucher de cette souffrance, trouver les mots qui la diraient : « contractions interminables d’une grossesse émotionnelle stérile ».Elle utilise ensuite, et pour les mêmes raisons, la métaphore filée d’un engrenage bloqué entre senti-ments et idées : « un engrenage complexe et lourd […] un petit élément contraire […] qui fait obstacle et qui paralyse tout. ».Et enfin elle emploie la métaphore d’une « Bau-druche pleine à craquer » que le poids de la souf-france empêche de se soulever.

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