par Hélène Gacon.

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Vous êtes en France mais vous n’y êtes pas.Ainsi peut être résumée la fiction juridique surlaquelle repose la zone d’attente. Lorsqu’unétranger se présente à nos frontières aériennes,maritimes ou ferroviaires et qu’il ne présente pasl’ensemble des documents requis par la régle-mentation, ou que ceux-ci sont remis en causelors du contrôle par les services de police, il estmaintenu en zone d’attente, le temps nécessairejusqu’à son admission définitive sur le territoirefrançais.

Un pouvoir discrétionnairequi aboutit à une violationgénéralisée des droitsdes mineurs étrangers

Mais le plus souvent, il est refoulé à destina-tion de la dernière ville de provenance, parfois aprèsun long périple, qui ne coïncide pas toujours avecle pays d’origine. Le maintien en zone d’attenteconstitue évidemment une mesure restrictive deliberté. La seule liberté qui reste à l’étranger est cellede repartir… ailleurs qu’en France, peu importe où.

Les mineurs isolés étrangers se présentantà nos frontières sont de plus en plus nombreux.Selon le ministère de l’Intérieur, ils étaient 728en 2004, pour la principale zone d’attente enFrance, celle de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. C’est avec un certain orgueil quel’administration a annoncé que, parmi eux,165 étaient admis sur le territoire français,dont 75 à sa propre initiative, dans le cadre deson pouvoir discrétionnaire. Une bienveillanceaffichée qui masque à peine la réalité puisquece sont au bout du compte plus des trois-quarts des mineurs qui ont été refoulés dansdes conditions les plus obscures et souventquelques heures à peine après avoir débarquéde l’avion : alors qu’elle ne dispose pas de ser-vices spécialisés, la police aux frontières affirmetravailler en concertation avec ce qu’elleappelle les « services de coopération interna-tionale » (lesquels ?), sans jamais laisser dansles dossiers de quelconque trace des investi-gations qu’elle semble mener dans des tempsrecords ? Quelle autre administration françaiseoserait affirmer qu’elle parvient à résoudre

Hélène Gaconest présidente

de l’Association

nationale d’assistance

aux frontières

pour les étrangers

(Anafé*)

par Hélène Gacon.

La zone d’attente,un territoirebien français…

Le 7 décembre dernier, la 24e chambre B de la cour d’appel de Paris, saisie d’uneordonnance du juge des enfants de Bobigny, rendait un arrêt reconnaissant lacompétence du juge des enfants sur la zone d’attente. Ce faisant, elle affirmait,contrairement à une fiction juridique d’extraterritorialité largement entretenuejusque-là, que cette zone se trouvait bel et bien sur le territoire français. Enrevanche, s’en tenant au seul rapport de l’administrateur ad hoc et malgré lesdires de l’enfant, confortés par l’actualité de la Côte d’Ivoire, elle infirmait l’or-donnance du juge sur la notion de danger où se serait trouvé l’enfant. Cependant,ce dernier, se trouvant chez sa tante depuis la mise à exécution de la décision dujuge, était dès lors inexpulsable.

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*www.anafe.org

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avec une telle facilité des situations quisont pourtant complexes, mettant sou-vent en jeu des institutions de paysfrappés de crises graves, voire deguerre ? La police aux frontièrescherche à traquer systématiquementles « regroupements familiaux dégui-sés », pratique permettant à desmembres d’une même famille de seretrouver alors que bien souvent, ilsse sont heurtés à des refus ou ont ététout simplement dissuadés d’entre-prendre toute démarche puisque lesconditions légales sont draconiennes.

Aujourd’hui comme hier, en zoned’attente, les objectifs de maîtrise desflux migratoires priment sur le respectdes droits spécifiques dus aux mineurs.Depuis plusieurs années, l’Anafé faitvaloir, dans de nombreuses interven-tions destinées aux autorités compé-tentes et de nombreux communiqués àla presse, la situation de danger danslaquelle se trouvent par définition cesmineurs isolés.

La zone d’attente,un lieupeu recommandablepour les mineurs isolés

Ce danger est criant lorsque ce sontdes demandeurs d’asile qui fuient leurpays après avoir été exposés à desmenaces ou avoir subi des persécu-tions, séparés de leurs parents, souventaprès des assassinats ou des dispari-tions traumatisantes. Il est patent pourdes mineurs privés de l’encadrementindispensable à leur âge et dans leursituation. Pour cette seule raison, leursort immédiat devrait être pris encompte de manière approfondie, pardes autorités disposant de moyens suf-fisants et adaptés à chaque cas d’es-pèce. Enfin, ainsi que l’Anafé l’aconstamment souligné, ce danger estrenforcé par le fait même, pour lesmineurs, d’être maintenus en zoned’attente, dès lors que la loi permetqu’à tout moment leur refoulement àdestination du pays dont ils provien-nent (qui n’est pas forcément leur paysd’origine) soit décidé.

Parce qu’ils doivent être à l’abri deces menaces, les mineurs isolésdevraient pouvoir accéder automati-quement au dispositif de la protectionjudiciaire de l’enfance en danger, ce qui

implique leur admission sur le territoirefrançais. Telles sont les raisons pour les-quelles l’Anafé, aux côtés d’autres ins-titutions, notamment le HautCommissariat des Nations unies pourles réfugiés (HCR), la défenseure desenfants ou la Commission nationaleconsultative des droits de l’homme(CNCDH), s’est publiquement pronon-cée en faveur de l’accès immédiat desmineurs isolés sur le territoire français.Lors de sa session de juin 2004, leComité des droits de l’enfant s’inquié-tait enfin du « fait que les enfants iso-lés à l’aéroport peuvent être renvoyésdans le pays d’origine sans interventionjudiciaire ni évaluation de leur situationfamiliale ».

Tout récemment encore, l’Anafédémontrait une fois de plus la perti-nence de cette position (Anafé : « Lazone des enfants perdus, mineurs iso-lés en zone d’attente de Roissy »,novembre 2004, téléchargeable surwww.anafe.org). Les dysfonctionne-ments de la procédure de maintien desétrangers à la frontière, régulièrementsignalés par l’Anafé, n’épargnent pasles mineurs : problèmes d’interpréta-riat, incompréhension des procéduresappliquées, maintien dans des locauxinappropriés, demandes d’asile consi-dérées comme « manifestement infon-dées », violences physiques ou moralesles concernent autant que les adultes.Mais surtout, l’appréciation de la situa-tion des mineurs reste, en zone d’at-tente, aux mains de la police auxfrontières et se fait d’une manièreexpéditive.

Le juge des enfants,compétentdans la zone d’attente

De ce fait, les autorités compétentesn’ont pas toujours la possibilité d’inter-venir, notamment le juge des enfants,qui a pourtant vocation à connaître dudanger auquel sont exposés lesmineurs. Souvent, ceux-ci sont refoulésavant d’avoir le temps d’évoquer endétail et avec sérénité leur situationdevant le juge des libertés et de ladétention, alors que celui-ci est garantdes libertés individuelles. Dans cecontexte, l’institution, depuis sep-tembre 2003, d’un administrateur adhoc auprès des mineurs isolés placés en

zone d’attente est loin de répondre auxbesoins de la situation. Quant au jugepour enfants, il peut désormais interve-nir pour répondre, au moins en partie,à ce danger.

La cour d'appel de Paris vient derendre pour la première fois un arrêtconcernant une mesure d’assistanceéducative qui avait été décidée en pre-mière instance par le juge pourenfants du tribunal de grande ins-tance de Bobigny en faveur d’unmineur maintenu en zone d’attente(JPE, 17 septembre 2004, H. ; CAParis, 24e B, 7 décembre 2004). Cesdécisions sont essentielles car ellesconfirment la possibilité pour le jugepour enfants de se reconnaître com-pétent pour se prononcer sur unemesure d’assistance éducative alorsque d’aucuns estimaient qu’il n’avaitrien à dire puisque l’étranger ne setrouvait pas encore juridiquement surle territoire français…

Les faits étaient les suivants : lejeune H., ressortissant ivoirien âgé deseize ans, avait quitté son pays pourse rendre en France, où réside satante paternelle, mais avait fait l’ob-jet, le 10 septembre 2004, d’un refusd’admission sur le territoire françaisau motif qu’il était dépourvu desdocuments requis par la réglementa-tion française. Sa demande d’admis-sion au titre de l’asile avait été refuséepar le ministère de l’Intérieur et laprolongation de son maintien décidéepar le juge des libertés et de la déten-tion en attente d’un réacheminementà destination d’Abidjan. S’estimanttoutefois en danger en cas de retourdans son pays, il saisissait le juge pourenfants de Bobigny, en vertu desarticles 375 et suivants du Code civil,afin qu’une ordonnance de placementprovisoire auprès de sa tante soit pro-noncée. Il indiquait en effet que samère était décédée en 1999, que sonpère, chef de section du parti dont lesmembres sont constamment traquéspar les forces gouvernementales, leRDR, était voué à la clandestinité avecl’aggravation de la situation dans sonpays et ne pouvait plus, de ce fait,assumer sa charge parentale. Il ne dis-posait donc plus de famille en Côted’Ivoire et l’accueil par sa tante rési-dant en France était de nature àrépondre au danger auquel il se trou-

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vait ainsi exposé. Ces élémentsétaient confirmés par l’Associationnationale d’assistance aux frontièrespour les étrangers (Anafé), dans lesignalement qu’elle a adressé au jugepour enfants, étant précisé qu’ilsavaient été recueillis directementauprès de lui, dans le cadre d’unentretien mené en zone d’attente, entoute confidentialité, selon les termesde la convention qui a été passée parelle avec le ministère de l’Intérieur. Ilsdevaient enfin être confirmés par latante du jeune H., entendue par le

juge pour enfants de Bobigny le 17septembre 2004.

Précisons d’ores et déjà que cettesaisine directe par le mineur était pos-sible même si un administrateur ad hocavait par ailleurs été désigné au titre dudécret du 2 septembre 2003, complé-tant les dispositions de l’article 35 qua-ter de l’ordonnance du 2 novembre1945 (repris par l’article L. 221-1 duCode de l’entrée et du séjour desétrangers et du droit d’asile, dont l’en-trée en vigueur est fixée au 1er mars2005).

Le risquede refoulement,après un maintienen zone d’attente,constitue un danger

Le juge pour enfants avait, dans sonordonnance rendue le 17 septembre2004, répondu favorablement à cettedemande en exposant tout d’abord quela condition d’urgence était par natureremplie compte tenu du maintien dujeune en zone d’attente, qui risquaitainsi d’être refoulé à tout moment à

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Vers une protection des mineurs isolés en zone d’attente?

Le 6 octobre 2003, Nicolas

Sarkozy, alors ministre de

l’Intérieur, autorisait la présence de

la Croix-Rouge en zone d’attente.

Quelques jours plus tard, Anne de

Loisy, journaliste, se faisait embau-

cher en tant que médiatrice par la

Croix-Rouge. Son livre Bienvenue

en France ! (Ed. Le Cherche-Midi,

237 p., janvier 2005) constitue un

passionnant témoignage sur le quo-

tidien de cette zone de non droit.

Elle y décrit l’atmosphère oppres-

sante qui y règne tant en raison des

drames personnels qui ont conduit

nombre de ces étrangers à fuir leur

pays que des multiples violences

dont ils sont victimes par l’adminis-

tration à leur arrivée sur le sol fran-

çais. Violences policières dont

personne n’ose véritablement par-

ler – y compris les médiateurs et

responsables de la Croix-Rouge,

hésitant entre autocensure et cen-

sure - violences administratives qui

vident de sens les modestes droits

que la loi daigne encore leur recon-

naître. Quant aux mineurs, ils ne

sont pas mieux traités que les

adultes. Eux aussi sont soumis aux

violences policières et ce ne sont

pas les administrateurs ad hoc dont

la formation en matière de droits

des étrangers ou de droits des

enfants laisse pour le moins à dési-

rer qui semblent en capacité de leur

apporter la moindre protection. Et

les juges dans tout cela? Ils appa-

raissent lointains, peu au fait de la

réalité quotidienne de la zone d’at-

tente que très peu d’entre eux ont

d’ailleurs visitée. Leurs décisions

semblent aussi aléatoires, et sou-

vent aussi peu protectrices, que

celles de l’administration. Bref, un

livre dont la lecture leur est vive-

ment recommandée.

Justice : Peut-on considérer que les

mineurs sont en danger dans les zones

d’attente ?

Anne de Loisy : Il y a la question

des violences, mais le problème se

pose vraiment au cas par cas : cer-

tains policiers font très bien leur tra-

vail et considèrent que les mineurs

doivent être suivis correctement…

d’autres n’hésitent pas. Dans mon

livre, preuves à l’appui, je cite

l’exemple d’un jeune Turc de 16 ans

à qui on a tapé la tête sur le sol…

J : La question du danger ne se

résume pas à la seule question de la vio-

lence ?

AdL : Normalement, lorsqu’un

enfant est placé en zone d’attente, les

policiers doivent faire un signalement

au procureur qui doit alors désigner

un administrateur ad hoc. Tant que

les policiers n’ont pas fait le signale-

ment, rien ne peut se faire. Tout

dépend du seul bon vouloir de la PAF.

En tant que médiateurs de la Croix-

Rouge, de temps en temps, nous aler-

tions les administrateurs en disant que

des enfants se trouvaient en zone d’at-

tente sans avoir vu personne. Ceux-ci

appelaient alors les policiers…

J : Mais que deviennent les mineurs

de moins de 13 ans lorsque personne

n’est prévenu de leur présence ?

AdL : La plupart d’entre eux sont

réacheminés. Mais on ne sait pas exac-

tement combien car aucune associa-

tion n’a accès à ces enfants. Ils sont

placés dans des hôtels situés sur la

zone aéroportuaire et pris en charge

par les administrateurs ad hoc… à la

condition que ceux-ci connaissent leur

présence. Or les administrateurs ad

hoc expliquent qu’une fois désignés,

ils se déplacent pour rencontrer les

enfants et que souvent lorsqu’ils arri-

vent sur les lieux, les enfants ont déjà

été réacheminés.

J : … Le danger, c’est aussi toute la

question des conditions de leur renvoi ?

AdL : Oui, surtout qu’ils sont ren-

voyés vers leur pays de provenance et

non pas vers leur pays d’origine. Un

enfant originaire du Cameroun qui a

par exemple transité par Hong Kong,

ne sera pas renvoyé sur Bangui mais

sur Hong Kong, pays qu’il ne connaît

pas et où il ne connaît personne.

Quand ils sont renvoyés dans leur

pays, ils sont remis aux autorités locales

qui, au bout d’un moment les mettent

à la rue, même des gamins de six

ans…!. Que deviennent-ils sans argent

et sans famille ? Sont-ils contraints de

se prostituer pour survivre?

J : Y a-t-il d’autres dangers qui les

Bienvenue en France!

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destination d’Abidjan. Il dissociaitensuite clairement les compétences res-pectives des différentes autorités sus-ceptibles d’intervenir à propos d’unmineur se trouvant en zone d’attente(juge des libertés et de la détention pourla prolongation du maintien en zoned’attente les quatrième et huitièmejours suivant le placement initial etministère de l’Intérieur pour la demanded’admission sur le territoire au titre del’asile après entretien accordé parl’Office de protection des réfugiés etapatrides) et soulignait sa propre com-

pétence dans le cas d’une situation rele-vant du cadre des dispositions de l’ar-ticle 375 du Code civil, caractérisée parun danger tel que les conditions d’édu-cation risquent d’être gravement com-promises. En l’espèce, il retenait, en sefondant de surcroît sur les garantiesfamiliales prévues à la Convention inter-nationale des droits de l’enfant, queplus personne en Côte d’Ivoire ne pou-vait assumer la charge parentale quis’imposait encore du fait de la minoritéde l’intéressé et qu’en revanche, satante paternelle était à même de

répondre en France à cette nécessité.Prenant en considération cette déci-

sion juridictionnelle comme un élémentde fait, la police aux frontières décidaitquelques heures plus tard, dans le cadrede sa compétence discrétionnaire, demettre fin au maintien en zone d’attentedu jeune H., qui était donc recueilli parsa tante.

Le parquet décidait toutefois d’in-terjeter appel contre cette décision. L’onsait de plus que le ministère del’Intérieur, exerçant la tutelle sur lapolice aux frontières, était favorable à

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Vers une protection des mineurs isolés en zone d’attente?

guettent en zone d’attente ?

AdL: Lorsque les mineurs isolés de

moins de 13 ans sont placés à l’hôtel,

on n’a aucun contrôle sur l’accès aux

soins si l’enfant est malade… Un jour,

une association, alertée par des amis

de la famille, nous a prévenus qu’une

enfant était malade et vomissait : j’ai

appelé l’administrateur ad hoc qui a

commencé par dire qu’il n’avait pas le

temps… j’ai insisté et il a téléphoné aux

policiers en demandant ce qui se pas-

sait. L’Anafé a envoyé un courrier au

ministère de l’Intérieur. Du coup, la

petite a été emmenée en zone d’at-

tente Zapi 3 voir le médecin.

J : Est-ce que le système des admi-

nistrateurs ad hoc permet à ces der-

niers de représenter les mineurs de

façon indépendante ?

AdL: Normalement, ils devraient les

aider tout au long de la procédure. En

réalité, ils aident plus à ce qu’ils soient

simplement renvoyés de façon légale.

Les deux administrateurs ad hoc,

membres de SOS-victimes, qui vien-

nent juste d’être licenciés, étaient deux

anciens policiers qui n’avaient aucune

formation concernant les droits des

mineurs ou leur protection. Ils n’étaient

pas les mieux placés pour défendre ces

enfants, d’autant plus que la police fai-

sait une pression permanente sur eux

en leur disant qu’il fallait les renvoyer…

C’est pour cela que la Défenseure

des enfants, l’Anafé, le HCR, sont

contre ce dispositif. Pour eux, un

enfant placé en zone d’attente doit

être considéré comme étant en dan-

ger, que les dangers soient liés à des

motifs politiques, personnels et fami-

liaux. Tous considèrent que c’est une

régression du droit des enfants.

J : La Croix-Rouge, qui le souhai-

tait, va être désignée comme adminis-

trateur ad hoc. Que peut-on en

penser ?

AdL : Elle a prévu sept bénévoles

pour faire ce travail. Je ne peux pas

faire de prévisions mais s’ils les for-

ment bien les gens, il y a des chances

que cela se passe bien… Main-

tenant… ce qui m’inquiète c’est qu’il

s’agit de bénévoles, d’autant plus que

l’Etat prévoit un défraiement d’envi-

ron 100 € par enfant défendu. Pour

moi, les gens doivent être payés, car,

quelqu’un de jeune, dynamique, a

besoin de gagner sa vie et s’il n’est pas

payé, à un moment donné, il partira.

J : Dans le cas des mineurs isolés de

plus de 13 ans, qu’est-ce qui se passe ?

AdL: Dans ce cas, les policiers soup-

çonnent que l’enfant pourrait être

majeur et l’envoient à l’institut médico-

légal pour faire un test osseux… Or tous

les spécialistes s’accordent pour dire

que c’est un test qui n’est pas fiable et,

selon l’Anafé, 60 % des mineurs qui le

passent sont considérés comme

majeurs, ce qui est énorme.

J : La justice réussit-elle à avoir un

contact avec les mineurs en zone d’at-

tente ?

AdL : Durant les six mois où j’étais

en zone d’attente, je n’ai vu aucun

juge des enfants visiter les lieux, mais

il y en a peut-être eu à des moments

où je ne travaillais pas. Concernant

les juges, selon que le juge est

concerné ou non l’enfant a des

chances de bénéficier de la protec-

tion judiciaire de la jeunesse comme

s’il était français, sinon, il est renvoyé.

J : Comment le mineur isolé, qui

n’en connaît sûrement même pas l’exis-

tence, a-t-il accès au juge des enfants ?

AdL : … Ce ne sont certainement

pas les acteurs officiels – police de l’air

ou administrateur ad hoc – qui vont pré-

venir le juge, sauf dans le cas où le juge

35 quater le remet en liberté… mais, là,

l’enfant sort de la zone et il est pris en

charge par les services éducatifs.

Autrement, soit il a des parents en

France qui peuvent saisir le juge, soit,

par extraordinaire, l’enfant en connaît

l’existence et peut le saisir ou le faire pré-

venir. Souvent, à condition qu’elles par-

viennent à avoir connaissance de la

présence d’un enfant, ce sont les asso-

ciations, Croix-Rouge ou Anafé, qui aler-

tent le juge. Mais ce n’est jamais gagné.

J : Il est donc très aléatoire que le

juge soit prévenu ?

AdL: Oui, et tout ceci est aussi aber-

rant que l’histoire de la petite Manuela,

4 ans, à qui on a lu ses droits ! …

Propos recueillispar Pierre Jacquin.

… Questions à Anne de Loisy

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l’engagement d’une telle voie derecours.

Tel est le contexte dans lequel la courd'appel de Paris s’est prononcée le 7décembre 2004, après avoir entendu lesparties un mois plus tôt, y compris cettefois-ci le mineur concerné.

Il est tout à fait remarquable quedès la première fois où elle a été ame-née à se prononcer sur une telle situa-tion, elle ait clairement affirmé leprincipe de la compétence du juge pourenfants en matière d’assistance éduca-tive à l’égard d’un mineur maintenu enzone d’attente : « Considérant que lesarticles 375 et suivants du Code civilsont applicables sur le territoire françaisà tous les mineurs qui s’y trouvent,quelle que soit leur nationalité ; qu’aumoment où il avait saisi le juge pourenfants, H., bien qu’il ait fait l’objetd’une décision de refus d’admission surle territoire français et de placement enzone d’attente, se trouvait, de fait, surle territoire français ; que les articles375 et suivants lui étaient donc appli-cables ».

La fin de l’artificejuridiquede l’extraterritorialitéde la zone d’attente

C’est donc le critère de la présencephysique sur le territoire français quivient l’emporter sur la restriction juri-dique résultant de l’artifice créé par lelégislateur ayant créé le régime de lazone d’attente (« Vous êtes ici mais pasen France »). C’est d’ailleurs la solutionqui était également préconisée par leparquet devant la cour. On oubliera doncdéfinitivement les opinions parfois expri-mées ici ou là, selon lesquelles le jugepour enfants n’est pas compétent pourprotéger un mineur qui est ici sans yêtre…

La cour rappelle ensuite à juste titrequ’une saisine adressée directement parle jeune est parfaitement conforme auxdispositions spéciales applicables en lamatière, précisément afin que l’intéresséne se heurte à aucun obstacle lorsqu’il ya urgence et danger imminent (« Enapplication de l’article 375 du Code civil,le mineur lui-même peut saisir le juge desenfants, ce qui était le cas en l’espèce,le mineur ayant écrit au juge des enfantsle 17 septembre 2004 »). Cette possibi-

lité reste absolue, alors même qu’unadministrateur ad hoc avait été désignédès le placement en zone d’attente pourreprésenter le mineur dans toutes lesprocédures administratives et juridiction-nelles afférentes à ce maintien.

Sur le fond, c’est-à-dire à propos del’appréciation du danger auquel étaitexposé le jeune H., l’on regrettera toute-fois que la solution adoptée par la courd’appel révèle certaines ambiguïtés.

Une appréciationpar la cour du dangerqui ignoreles éléments de fait…

On rappellera brièvement qu’en tantque juge des enfants, elle devait certesstatuer sur la notion de danger qui

constitue le fondement même de sacompétence. Ce danger doit être réel,actuel ou imminent. Son appréciationrelève du pouvoir souverain d’apprécia-tion du juge des enfants qui doit motiverson existence. Les éléments de fait quiviennent à l’appui de l’analyse du dangerconcernent non seulement la situationque vit l’enfant au moment où il est sta-tué, c’est-à-dire lorsqu’il se trouve enzone d’attente, mais également la situa-tion qu’il connaîtra de manière certainedans le futur immédiat. Dans ces condi-tions, il appartient au juge de porter uneappréciation sur les risques encourus parun enfant pour sa santé, sa sécurité, samoralité et ses conditions d’éducationlorsqu’il sera de retour dans son pays.

La solution retenue par la cour d'ap-pel à propos du jeune H. révèle un

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Vers une protection des mineurs isolés en zone d’attente?

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double embarras : d’une part, on a l’im-pression qu’elle n’a pas tenu compte del’ensemble des éléments qui avaientpourtant été portés à sa connaissance,d’autre part, elle semble avoir quelquepeu empiété sur les pouvoirs en principedévolus de manière exclusive au juge deslibertés et de la détention et au ministèrede l’Intérieur.

Pour porter une appréciation sur ledanger auquel le jeune H. était exposéen cas de retour dans son pays d’ori-gine, la cour d'appel était en posses-sion de tous les éléments :

– ceux tout d’abord exprimés dans lasaisine initiale du mineur et qui étaientexpressément repris dans l’ordonnanceentreprise (« sa mère est décédée en1999, son père, chef de section du RDRà Abidjan, n’est plus en mesure de leprendre en charge et a souhaité qu’ilrejoigne sa tante à Paris compte tenudes menaces pesant sur la famille, lemineur souhaite être confié à sa tantepaternelle, il ne dispose plus de moyensde retrouver son père et il n’a plus defamille dans son pays d’origine »), quiétaient ensuite intégralement repris devive voix par l’intéressé lors de l’au-dience de la cour d'appel le 7 novembre2004 (« H. indique qu’il ne veut pasretourner en Côte d’Ivoire et qu’il n’aplus de nouvelles de son père et de sapetite sœur ») ;

– ceux de la tante qui a déclaré lorsde la même audience qu’une demandede reconnaissance du statut de réfugiéavait été déposée, ce qui confirme la per-sistance des craintes éprouvées par lejeune H. du fait des activités politiquesmenées par son père ;

– enfin, ceux avancés par le parquet(« le jeune H. n’invoquait pas un dangeractuel mais la peur qu’il avait des mili-taires dans son pays, la situation a cepen-dant changé depuis la décisiondéférée »), que la cour d'appel aurait puréviser puisque quelques heures aprèsl’audience et avant donc la date àlaquelle l’arrêt a été rendu public, cesmilitaires ont sévi de manière massive,provoquant la fuite de milliers de ressor-tissants français pourtant installés delongue date en Côte d’Ivoire. Des mili-taires dangereux pour les Français et paspour un jeune ivoirien dont le père est unopposant notoire contraint à la clandes-tinité et à l’abandon de son fils ?

Mais finalement, pour conclure à l’ab-

sence de danger pour le jeune H., la cour d'ap-pel s’est fondée uniquement sur les élémentsfournis par l’administrateur ad hoc.

… au profit du rapportde l’administrateurad hoc

Celui-ci a écrit une note reprenant ceque le jeune H. avait déclaré à son arri-vée : « Je viens en France pour poursuivremes études. J’ai une cousine qui vit ici.Ma mère est décédée en 1999 et je visavec mon père, chauffeur de taxi àAbidjan dans le quartier d’Abobo. Masœur et mes deux frères vivent avec monpère également. Mon père s’occupe detoute la famille et il a payé les billetsd’avion pour Paris. Ma famille est àAbidjan, je le répète. »

Il est curieux que l’administrateur adhoc ait produit une note le lendemain del’ordonnance entreprise, soit égalementhuit jours après que les propos relatésont été recueillis.

Mais il est surtout grave que dans samission, l’administrateur ad hoc aitoublié que ce sont avant tout les inté-rêts du mineur qu’il fallait représenter. Etpour mener sa mission correctement, ilaurait dû à l’évidence être complet etfournir à la cour d'appel les élémentsrelatifs aux motifs de la fuite du jeune H.de Côte d’Ivoire, dont il avait nécessai-rement connaissance puisqu’il était (ouaurait dû être) présent lors de l’entretiende l’Office français de protection desréfugiés et apatrides préalable au refuspris le 14 septembre 2004 par le minis-tère de l’Intérieur.

Malheureusement, la cour d'appels’est bornée à retenir uniquement cesdéclarations et a conclu qu’ayant de lafamille en Côte d’Ivoire, le jeune H.n’était donc exposé à aucun danger encas de retour. Elle laisse même entendrequ’il est attendu là-bas et peut êtreaccueilli dans de bonnes conditions…

… et de décisions duministère de l’Intérieuret du juge des libertésqu’elle n’avait pasà apprécier

Pour écarter l’existence d’un dan-ger, la cour d'appel se fonde égale-ment sur deux décisions prisesantérieurement : le refus d’admission

sur le territoire au titre de l’asile prispar le ministère de l’Intérieur au motifque le jeune H. n’encourait pas derisque suffisamment personnalisé etla prolongation du maintien en zoned’attente prononcée quatre joursaprès l’arrivée de l’intéressé par le jugedes libertés et de la détention pourune nouvelle période de huit jours(« Que le fait qu’il allait être reconduiten Côte d’Ivoire où vivait sa famillealors qu’il avait été maintenu en zoned’attente par le juge délégué et que sademande d’asile avait été rejetée, necaractérise par le danger ou les condi-tions d’éducation gravement compro-mises seules de nature à autoriserl’intervention du juge des enfants »).Le terme « alors que » nous fait com-prendre que la cour d'appel a réelle-ment pris ces deux éléments enconsidération pour retenir l’absencede danger en cas de retour dans lepays d’origine. Or, on le sait, chacunedes autorités doit intervenir dans sonseul champ de compétence et il estregrettable que la cour d'appel se soitainsi quelque peu arrogé une missionqui lui est pourtant étrangère.

Aujourd’hui, cette décision n’em-pêche pas le jeune H. de se maintenir enFrance auprès de sa tante jusqu’à cequ’il soit statué sur sa demande dereconnaissance du statut de réfugié,tout en étant scolarisé. C’est aussi ce quia peut-être conduit la cour d'appel àadopter cette solution pour lever l’em-barras qui se lit sans aucun doute entreses lignes.

Peut-on toutefois espérer que, dansle cadre de la compétence qu’elle a clai-rement affirmée, elle se prononce dansl’avenir au vu du seul danger qui doitêtre apprécié par le juge pour enfants,c’est-à-dire celui qui est d’une telle gra-vité que les conditions d’éducation sontgravement compromises ?

n°182 / mars 2005 / JUSTICE - 7

Vers une protection des mineurs isolés en zone d’attente?