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© Revue Romane 39 · 2 2004 pp. 177-202 Sémantique et fréquence Etude de c'est / il est dans un corpus journalistique par Dulcie M. Engel & Nathalie Rossi-Gensane Introduction 1 Le statut de être, en particulier le contraste entre c'est et il est, a été abon- damment discuté dans la littérature linguistique. Cependant, jusqu'à présent, il n'existe, à notre connaissance, qu'une étude d'ensemble fondée sur l'analyse quantitative d'un corpus reflétant l'utilisation de la langue 2 . Dans cet article, nous souhaitons présenter des résultats préalables et indiquer des pistes pour des recherches ultérieures. Nous proposerons tout d'abord un bref rappel des travaux portant sur le contraste c'est / il est. Nous exposerons ensuite quelques résultats statis- tiques concernant l'occurrence de être dans la première partie de notre corpus journalistique issu de Glossanet. Puis nous analyserons l'utilisation de c'est / il est dans la seconde partie de notre corpus : nous nous concen- trerons sur les séquences ce / il + être (+ déterminant) + nom, ce / il + être + adjectif, en prenant particulièrement en compte leur fréquence et la relation entre les caractéristiques sémantiques du nom ou de l'adjectif et le temps de être. En nous intéressant à l'écart entre système et utilisation du système, nous entendons montrer que des structures pourtant étudiées contrastivement (comme, par exemple, il est maladroit / c'est un maladroit) n'apparaissent pas dans la même mesure, ce qui peut amener à se poser la question de la pertinence de certains rapprochements effectués. 1. C'est / il est : études antérieures Benveniste (1960, p. 113), dans son article fondateur sur être et avoir dans les différentes langues, évoque deux rôles du verbe être, réunis sous une seule forme : le verbe plein (exprimant l'existence) et la copule. Ce phéno-

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© Revue Romane 39 · 2 2004 pp. 177-202

Sémantique et fréquenceEtude de c'est / il est dans un corpus journalistique

par

Dulcie M. Engel & Nathalie Rossi-Gensane

Introduction1

Le statut de être, en particulier le contraste entre c'est et il est, a été abon-damment discuté dans la littérature linguistique. Cependant, jusqu'àprésent, il n'existe, à notre connaissance, qu'une étude d'ensemble fondéesur l'analyse quantitative d'un corpus reflétant l'utilisation de la langue2.Dans cet article, nous souhaitons présenter des résultats préalables etindiquer des pistes pour des recherches ultérieures.

Nous proposerons tout d'abord un bref rappel des travaux portant sur lecontraste c'est / il est. Nous exposerons ensuite quelques résultats statis-tiques concernant l'occurrence de être dans la première partie de notrecorpus journalistique issu de Glossanet. Puis nous analyserons l'utilisationde c'est / il est dans la seconde partie de notre corpus : nous nous concen-trerons sur les séquences ce / il + être (+ déterminant) + nom, ce / il + être+ adjectif, en prenant particulièrement en compte leur fréquence et larelation entre les caractéristiques sémantiques du nom ou de l'adjectif et letemps de être. En nous intéressant à l'écart entre système et utilisation dusystème, nous entendons montrer que des structures pourtant étudiéescontrastivement (comme, par exemple, il est maladroit / c'est un maladroit)n'apparaissent pas dans la même mesure, ce qui peut amener à se poser laquestion de la pertinence de certains rapprochements effectués.

1.C'est / il est : études antérieuresBenveniste (1960, p. 113), dans son article fondateur sur être et avoir dansles différentes langues, évoque deux rôles du verbe être, réunis sous uneseule forme : le verbe plein (exprimant l'existence) et la copule. Ce phéno-

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mène, sans être universel, se retrouve dans de nombreuses langues (1960,p. 115), notamment en français où d'autres rôles peuvent cependant êtreattribués au verbe3.

A la suite de Calas et Rossi (2001, pp. 210-11 et 213), nous distingueronsces emplois de être :

1.Verbe plein : Je pense, donc je suis2.Copule : Les enfants sont contents4

3.Présentatif : C'est un chien !4.Auxiliaire : a) à la voix passive Il a été tué par une balle

b) dans les temps composés Elle est sortie de la maison5

Les séquences avec c'est / il est qui nous intéressent ici relèvent des caté-gories 2 et 3, où être est soit une copule (cas le plus fréquent), soit unprésentatif. Comme le souligne Rouveret (1998, p. 12), le statut de être està la base d'une importante réflexion, qui pourrait être ramenée à deuxinterrogations : « Que nous apprend sur le lexème être la plurivocité desphrases copulatives ? Que nous apprend sur les phrases copulatives l'uni-cité du lexème être ? » (1998, p. 12).

Quand être est une copule, « il sert uniquement à indiquer une relationà deux termes, entre sujet et attribut ; l'attribut est alors le pivot de laphrase » (Calas et Rossi, 2001, p. 128).

L'attribut peut être un nom (un syntagme nominal) ou un adjectif (unsyntagme adjectival), précédé de ce ou il (variable)6. Dans le cas où c'est unnom, le choix est généralement déterminé par le type de syntagme nomi-nal, un nom tout seul étant normalement précédé de il (variable), et unsyntagme nominal plus fourni de ce :

5. Elles sont intelligentes ; il est médecin ; c'est un médecin très intelligent ; cesont des enfants heureux ; c'était la fin de l'affaire.

Comme le dit Blanche-Benveniste (1990, pp. 41-42), « les pronoms don-nent une description grammaticale plus fine que les éléments lexicaux », unpronom indiquant un certain découpage syntaxique et étant associé à unecertaine interprétation sémantique, cf. Mon gendre est médecin / Mon gendreest un médecin très intelligent, où le syntagme nominal identique masque ladifférence révélée par le recours à deux pronoms dans l'exemple 5.

Si l'attribut est un adjectif (un syntagme adjectival), il peut égalementêtre précédé de il (invariable) :

6. Il est vrai ; il est important de noter que…

Si l'adjectif attribut se rapporte à un nom (un syntagme nominal), il peutêtre précédé ou de ce ou de il (variable) :

7. C'est beau, la logique ; elle est belle, la logique. (Calas et Rossi, 2001, p. 216)

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Quand être participe d'un présentatif, il n'est jamais suivi d'un adjectif, etce (avec être) peut alors seulement être remplacé par un autre présentatiftel que voici ou il y a :

8. C'est un chien ; voici un chien.

Selon O'Mahony et Chevalier (1963, p. 7), on trouve parfois un présentatifavec il (invariable), par exemple pour indiquer l'heure, pour marquer ledébut d'une histoire, ou pour remplacer il y a en style journalistique :

9. Il est 15h20 ; il était une fois… ; il est cependant un inconvénient particulieraux investissements américains : la juxtaposition de problèmes incompatiblesentre eux. (L'Express 607, cité par O'Mahony et Chevalier, 1963, p. 7)

Comme le soulignent Calas et Rossi (2001, p. 215), il est parfois très diffi-cile pour c'est de distinguer entre présentatif et suite démonstratif + co-pule. Ils citent un extrait du Rhinocéros de Ionesco où la séquence C'est unchat pourrait être interprétée des deux façons.

On remarque cependant que c'est fait concurrence à la fois à il (variable)est et à il (invariable) est, surtout dans la construction à copule. Comme lenotent Burston et Monville-Burston (1981, pp. 233-34), le contraste pro-vient de la différence entre les pronoms démonstratif et personnel. Tamba-Mecz (1983) avance néanmoins que le statut de l'attribut est un facteurimportant, comme nous le verrons plus loin.

Pour de nombreux auteurs, c'est a un rôle introductif même quand ils'agit de la suite démonstratif + copule (sans doute par association avecson rôle présentatif). Il sert à identifier (Kupferman, 1979, pp. 138 et 143),et peut avoir une fonction expressive (Wagner, 1966, p. 377 ; Burston etMonville-Burston, 1981, pp. 234-35).Si l'on examine l'exemple suivant :

10. Tu vois cette blonde ? a) elle est ma femme b) c'est ma femme. (Wagner,1966, p. 337),

pour Wagner, la réponse a) est redondante ; la réponse b), plus habituelle,est à la fois expressive et semi-interrogative.

C'est est souvent préféré à il (variable) est quand il est question de généra-lités plutôt que de cas spécifiques7 :

11. Les vieilles gens, c'est fragile. (exemple tiré de O'Mahony et Chevalier, 1963,p. 8)

Wagner (1966, p. 341) décrit la nature impersonnelle de c'est en termesd'exclusion par rapport à il (variable) est : « leur rapport marque unelimite entre l'animé et l'inanimé ». Dans des registres moins soutenus defrançais parlé, c'est remplace il (invariable) est dans les constructionsimpersonnelles (Wagner, 1966, p. 342 ; Kupferman, 1979, p. 143).

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Un autre élément du contraste est l'omission ou la non-omission dudéterminant devant le nom, ou l'insertion d'un déterminant devant l'ad-jectif. En effet, toute une série d'articles de linguistique comporte des titresincluant des tournures telles que il est médecin / c'est un médecin (Kupfer-man, 1979), il est linguiste / c'est un linguiste (Boone, 1987), ou encore il estorgueilleux / c'est un orgueilleux (Tamba-Mecz, 1983)8. Ces auteurs s'ac-cordent sur le fait que c'est est classifiant / identifiant (Kupferman, 1979,p. 152 ; Boone, 1987, p. 104 ; Tamba-Mecz, 1983, p. 9), tandis que il est estqualifiant / descriptif (Boone, 1987, p. 104 ; Tamba-Mecz, 1983, p. 9)9.Autrement dit, les tours avec il est reçoivent une interprétation prédica-tionnelle (Kupferman, 1979, p. 152 ; Boone, 1987, p. 102). Kupferman(1979, p. 138) rend bien la distinction en décrivant « il est x » comme uneréponse à « qu'est-ce qu'est (SN) ? », et « c'est un x » comme une réponseà « qui est (SN) ? ».

Comme le dit Rouveret (1998, p. 11), « la tradition grammaticale opèreune distinction entre les tours où être énonce une prédication et ceux où ilasserte une identité ». En outre, Kupferman (1979, p. 143) souligne quedans les tours identifiants, ce peut remplacer des SN sujets animés et inani-més, mais seulement avec des adjectifs (ou des participes passés en emploiadjectival) qui renvoient à des caractéristiques10, non avec ceux qui ren-voient à des états :

12. Cette armoire, c'est pratique ; ce bois, c'est finement travaillé MAIS *cettearmoire, c'est cassé. (Kupferman, 1979, p. 144)

Dans les tours prédicationnels, il ne peut remplacer des SN sujets inanimésque s'ils ne sont pas génériques (Kupferman, 1979, p. 143), ce qui renvoieau commentaire de Rosenberg (1970, p. 124), cité plus haut.

Un autre domaine étudié est celui des constructions détachées compor-tant c'est. Barnes (1985) s'est penchée sur le détachement à gauche dans uncorpus de français parlé. Elle a découvert que la majorité (74%) des déta-chements de SN avec des anaphores sujets avait ce ou ça comme anaphore,plutôt que il (variable) ; tandis qu'une majorité écrasante de SN sujets nondétachés avec être avait il (variable) comme anaphore appropriée (1985,p. 15). Voici deux de ses exemples sur le détachement avec ce ou ça commeanaphore :

13. Moi je trouve que la cuisine, c'est l'endroit le plus important de la maison.(Barnes, 1985, p. 16)

14. Oui, nous c'est les cafés, eux c'est les fast foods. (Barnes, 1985, p. 18)

Selon Barnes, ses données montrent que le recours au détachement àgauche avec des sujets noms de être (par opposition à des sujets pronoms)est quasi obligatoire quand ce (c-) est une anaphore appropriée (1985,p. 49). Elle voit ce phénomène comme un prolongement de la construc-tion avec c'est dans la langue écrite standard. Ceci est lié à la fois au séman-

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tisme de c'est et à la fonction pragmatique du détachement à gauche : lestours avec c'est ont une fonction identificationnelle ; l'identification estune équation à deux termes, de la même façon que le détachement àgauche est une articulation à deux composantes (1985, pp. 51-52).

L'exemple ci-dessous illustre la manière dont le locuteur passe de ce à il(variable) lorsqu'il passe d'une définition (c'est-à-dire une identification)à une description :

15. Les biscuits à la cuiller, tu sais, c'est des, ils sont longs comme ça à peu près.(Barnes, 1985, p. 52)

Blanche-Benveniste et al. (1984, p. 159) appellent cet emploi « le c'estd'équivalence », et donnent des exemples avec des syntagmes nominaux,des infinitifs et des subordonnées introduites par que. Ils notent que cetteconstruction « permet certaines formes de lexicalisation impossibles direc-tement : ce que j'aime, c'est qu'il y a un jardin » (1984, p. 159).

En rapport avec les détachements de SN, on trouve les cas comportant unesubordination, par exemple c'est SN qui, c'est SN que11. Une analyse de cesstructures figure dans une autre étude de corpus qui porte cette fois sur lasubordination en français parlé à la radio dans les années 60. Allaire (1973,p. 53) évoque le tour c'est SN qui susceptible à la fois de participer d'uneconstruction clivée où le nom extrait n'est pas l'antécédent de la relative :

16. C'est vos voix qui ont renversé Mendès. (Allaire, 1973, p. 53)

et de renvoyer à une construction présentatif (ou démonstratif + copule)+ SN comportant une relative :

17. Ça, c'est une conviction qui n'a pas sa place ici. (Allaire, 1973, p. 53)

Comme le soulignent Calas et Rossi (2001), ces séquences peuvent êtreambiguës :

18. C'est l'alcool / qui pèse ; c'est / l'alcool qui pèse. (Calas et Rossi, 2001,p. 217)

En plus de ces deux constructions à subordonnant relatif, Allaire (1973)distingue aussi la séquence c'est… que où que est un subordonnant con-jonctif. Dans ce cas, le syntagme inséré peut être un SP, un SN, un SAdvou une proposition :

19. C'est plutôt à notre interlocuteur qu'il faut poser la question (SP) ; c'est la pre-mière fois que j'entends dire que… (SN) ; c'est ainsi qu'il faut… (SAdv) ; çan'est pas parce que… que je vais… (proposition). (Allaire, 1973, pp. 116-17)

Blanche-Benveniste et al. (1984, p. 153) notent que, dans c'est… que, être« n'a pas d'autonomie aspectuelle ni temporelle » ; la forme verbale peutnéanmoins être modifiée pour exprimer un sens modal, cf. leur exemple :Ce sera sans doute à Paul qu'il a parlé.

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Ce relevé des principales questions fournit l'arrière-plan nécessaire à laprésentation de nos données statistiques et à notre étude d'exemples ducorpus.

2. Analyse de la première partie du corpus

2.1. Fréquence des formes verbales de être selon la personne, le temps et lemode.

La première partie de notre corpus comporte treize éditions du Monde denovembre 1999 à janvier 2000, issues de Glossanet12. Pour chaque éditiondu journal, nous avons recueilli toutes les occurrences de être avec uncontexte de cinquante caractères avant et cinquante caractères après.Nous avons également utilisé Frantext13 en vue d'une comparaison de lafréquence des différentes formes de être dans notre corpus journalistiqueet dans huit textes littéraires publiés depuis 1990 (l'étendue de la périodela plus récente couverte par Frantext). Ces données figurent dans le ta-bleau 1 :

Tableau 1Fréquence des formes verbales dans les corpus de Glossanet et de Frantext :

les quinze formes les plus fréquentes

Glossanet FrantextPosition Forme No / % Position Forme No / %1 est 911 / 41% 1 est 2665 / 37.6%2 été 293 / 13.2% 2 était 1634 / 23%3 sont 284 / 12.8% 3 être 503 / 7.1%4 être 188 / 8.46% 4 étais 338 / 4.8%5 était 154 / 6.9% 5 été 324 / 4.6%6 sera 89 / 4% 6 sont 321 / 4.5%7 serait 48 / 2.2% 7 suis 271 / 3.8%8 étaient 44 / 2% 8 étaient 269 / 3.8%9 soit 36 / 1.6% 9 fut 152 / 2.1%10 sommes 34 / 1.5% 10 serait 97 / 1.4%11 seront 24 11 es 9412 seraient 22 12 soit 7613 fut 21 13 étions 6514 suis 20 14 sera 3915 soient 19 15 êtes 30

Nous remarquons que quatre des cinq formes les plus communes sont lesmêmes dans les deux échantillons, qui contenaient respectivement 2221(Glossanet) et 7089 (Frantext) formes de être. La taille de l'échantillon deFrantext est approximativement la moitié de celle de l'échantillon utilisépar Gougenheim et al. (1956) pour établir la fréquence relative des verbes :

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être était le premier avec 14083 occurrences, suivi de avoir avec 11552occurrences, faire avec 3174 occurrences et aller avec 1876 occurrences(cité par Ayres-Bennett et Carruthers, 2001, p. 130). Notre échantillon estde taille suffisante pour une comparaison.

On note, dans les deux sortes de corpus, la prédominance de la forme estsur la forme sont, l'écart étant encore plus important dans le corpus lit-téraire. Or, Blanche-Benveniste (1997, p. 40) remarque le même phéno-mène pour le français parlé, qu'elle attribue au non-accord en nombre :« l'emploi de c'est est très fréquent là où il faudrait accorder sous la formede ce sont » (voir aussi les exemples 14 à 16).Le tableau 2 présente les pourcentages par édition des formes les plusfréquentes de l'échantillon Glossanet et montre une cohérence générale àtravers les éditions. De par la similarité de distribution dans l'échantillonFrantext, notre échantillon relativement petit peut se justifier.

Tableau 2Fréquence des formes verbales par édition,

corpus Glossanet : les cinq formes les plus fréquentes

20/11 22/11 23/11 25/11 27/11 30/11 21/12 22/12 23/12 6/1 7/1 8/1 15/1

est 41.1% 41.5% 41.2% 31.4% 44.7% 40.2% 39.9% 39.6% 46.5% 34% 36.9% 47.7% 47.6%

été 6.7% 28.3% 10.7% 18.8% 14.5% 12.4% 12% 17% 13% 12.4% 13.7% 13% 9.3%

sont 9.4% – 15.8% 19.4% 14.5% 12.9% 15.3% 9.3% 10.3% 16.3% 9.5% 14% 9.3%

être 10.5% – 8.5% 6.3% 5% 4.6% 7.7% 12.6% 9.2% 9.8% 10.1% 10.4% 9.3%

était 8.3% 7.5% 5.6% 7.3% 4.5% 11.3% 5.5% 6% 7% 7.8% 7.1% 6.7% 5.5%

2.2. Fréquence des structures ce + être / il (variable) + être / il (invariable) +être, et distribution des temps et modes selon la structure.

Nous abordons maintenant l'objet principal de notre travail. La tendancequi se révèle dans le tableau 3, c'est la préférence écrasante pour ce + être,par rapport, à la fois, à il (variable) + être et il (invariable) + être :

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Tableau 3 Fréquence de ce + être / il (variable) + être / il (invariable) + être,

corpus Glossanet*

20/11 22/11 23/11 25/11 27/11 30/11 21/12 22/12 23/12 6/1 7/1 8/1 15/1 total

CE 24 6 13 6 19 22 16 19 20 16 10 13 19 203

IL var 10 2 8 5 11 12 2 3 8 2 6 5 4 78

IL inv 5 2 2 6 5 1 4 8 6 6 6 6 9 66

* Ne sont pas inclus il en est / c'en est / il (variable) + être lorsque être est auxiliaire.

Nous n'avons pas encore évoqué dans notre présentation des travaux précé-dents (notamment parce qu'elle n'a pas été fréquemment traitée) l'utilisa-tion des temps avec ce / il + être : c'est un élément que nous souhaitons exa-miner, d'où la distribution des temps que l'on trouve dans le tableau 4 :

Tableau 4Distribution des temps et modes de ce + être / il (variable) + être /

il (invariable) + être, corpus Glossanet*

TEMPS CE IL variable IL invariable

Présent 166 – 81.8% 48 – 61.5% 44 – 66.7%

Imparfait 18 – 8.9% 13 – 16.7% 7 – 10.6%

Futur 7 – 3.4% 3 8 – 12.1%

Conditionnel présent 4 4 3

Subjonctif présent 3 2 2

Passé simple 3 1 –

Subjonctif passé 2 – –

Passé composé – 5 – 6.4% 1

Plus-que-parfait – – 1

Conditionnel passé – 2 –

Total 203 78 66

* N'est pas inclus il (variable) + être lorsque être est auxiliaire.

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On notera les points suivants : dans les trois colonnes, la fréquence estbeaucoup plus élevée avec les formes simples qu'avec les formes compo-sées. Il est intéressant que les seuls passé composé et plus-que-parfaitapparaissent avec il, et la plupart des passés simples avec ce. On peut icirenvoyer à une étude d'Engel (1989), qui notait la préférence dans uncorpus journalistique pour ce fut plutôt que pour la forme homologue aupassé composé. Cependant, ces cas sont minoritaires dans le corpus : pourles trois colonnes, le présent vient en premier (avec un pourcentage beau-coup plus élevé avec ce14) ; pour ce, les formes les plus fréquentes ensuitesont l'imparfait et, bien après, le futur. Pour il (invariable), le futur dépassede peu l'imparfait. Pour il (variable), le présent est suivi par l'imparfait et,bien après, le passé composé. Si l'on établit une comparaison avec le ta-bleau 1 où la troisième personne singulier et pluriel du présent et la troi-sième personne singulier de l'imparfait figurent dans les cinq premièresformes, et la troisième personne singulier du futur et la troisième personnepluriel de l'imparfait dans les dix premières, on constate que la corrélationgénérale demeure, bien que le tableau 1 renseigne sur toutes les formes duverbe, plutôt que sur la fréquence des temps.

On peut remarquer quelques analogies avec le français parlé. Ainsi,Blanche-Benveniste (1997, p. 52) note, pour la langue orale, que le passésimple, bien que présenté comme un temps littéraire, se rencontre encore,et donne un exemple avec ce fut. On a vu, en outre, que dans le corpusjournalistique Glossanet, le futur apparaissait comme un temps relative-ment fréquent dans les structures ce + être et il (invariable) + être. Or, pourle français parlé, Bilger (2001, p. 188) dénonce l'idée reçue selon laquelle lefutur disparaîtrait au profit du futur périphrastique. Elle constate parailleurs que le futur, d'une part, « concentre ses emplois sur une petitesérie de verbes », dont être (Bilger, 2001, p. 187), d'autre part, affecte desverbes ayant « préférentiellement comme sujet [notamment] la forme ce /ça » (Bilger, 2001, p. 183), d'où la fréquence, en français parlé également,de ce sera.

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2.3. Fréquence des structures syntaxiques associées à ce + être / il (variable) +être / il (invariable) + être.

Le tableau 5 décompose les structures syntaxiques associées aux trois types.

Tableau 5Structures syntaxiques de ce + être / il (variable) + être /

il (invariable) + être, corpus Glossanet*

CE IL variable IL invariable

+ (Adv) Dét (Adj) N

102 – 50.2% + (Adv) Adj 41 – 52.6% + (Adv) Adj 53 – 80.3%

+ SPrép 36 – 17.7% + SPrép 24 – 30.8% + (Adv) N 8 – 12.1%

+ (Adv) Adj 19 – 9.4% + (Adv) N 9 – 11.5% + (Adv) Dét(Adj) N

2 – 3%

+ Proposition 11 – 5.4% + (Adv) Dét(Adj) N

2 – 2.6% + Part. passé 2 – 3%

+ (Adv) N 10 – 4.9% + Pronom 2 – 2.6% + SPrép 1

+ (de) infinitif 6 – 3%

+ Pronom 5 – 2.5%

+ ce qui/que 5 – 2.5%

+ Adv + que 4

+ ne plus que 2

que ce soit 2

+ Part. passé 1

TOTAL 203 TOTAL 78* TOTAL 66

* N'est pas inclus il (variable) + être lorsque être est un auxiliaire suivi d'unparticipe passé participant d'un passif ou d'un temps composé ; les participespassés avec emploi adjectival apparaissent dans la rubrique + Adj.

Nous remarquons que ce + être (+ Adv) + Dét (+ Adj) + N couvre 50%des cas, par opposition à seulement 3% pour la même structure avecil (invariable) ; tandis que il + être (+ Adv) + Adj représente 80% des casde il (invariable), 52% de il (variable), par opposition à 9% pour la mêmestructure avec ce. Nous pourrions par conséquent suggérer que les procé-dés mnémotechniques des lointaines leçons de grammaire, c'est une rose,

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elle est belle, reflètent avec pertinence le statut canonique de ce + être (+Adv) + Dét (+ Adj) + N. Il est également plus fréquent avec les syntagmesadjectivaux qu'avec les syntagmes nominaux (bien que, dans la construc-tion il est linguiste, les SN nus soient plus fréquents que les SN comportantun article). Pour les SP, les résultats pour il (variable) sont plus élevés quedans les deux autres colonnes. La très grande utilisation de il (invariable)+ être (+ Adv) + Adj peut être expliquée par la nature du corpus : le genreinhérent au reportage journalistique encourage la prolifération de généra-lisations du type il est important de noter que… Beaucoup de ces expres-sions pourraient bien sûr apparaître avec ce plutôt que il dans des registresde français parlé moins soutenus. Nous remarquons aussi l'utilisation dece avec un syntagme prépositionnel15.

3.Analyse de la seconde partie du corpusNous nous concentrerons dans ce qui suit sur les structures :

Ce + être + AdjCe + être (+ Dét) + NIl (variable) + être + AdjIl (variable) + être (+ Dét) + N

en nous appuyant sur la seconde partie du corpus, qui comporte septéditions du Monde du 14 février au 22 février 2001 issues de Glossanet,pour laquelle les occurrences recueillies font intervenir un contexte pluslarge : cent caractères avant, cent caractères après. Dans l'étude de cesstructures, nous nous attacherons particulièrement à la fréquence et à larelation entre les caractéristiques sémantiques du nom ou de l'adjectif et letemps de être.

3.1. Le problème de l'identification du présentatif.Pour une véritable comparaison, il est intéressant de dissocier pour lastructure ce + être (+ Dét) + N les cas où ce + être renvoie à un présentatifet les cas où ce + être renvoie à une séquence démonstratif + copule. Eneffet, c'est seulement lorsque l'on a affaire à la suite démonstratif + copuleque ce commute véritablement avec il. S'il y a présentatif, le démonstratifn'apparaît plus en tant que tel, mais en tant qu'élément de composé.

Or, toutes les grammaires n'opèrent pas la distinction entre démonstratif+ copule et présentatif (cf. par exemple Riegel et al., 1994). Martinet(1979) considère qu'il y a présentatif lorsque le « pronom […] ne renvoieà rien », tout en soulignant qu'il ne s'agit que d'une minorité de cas. Onrappellera que c'est suivi d'un adjectif n'est jamais un présentatif. Onoptera également pour une suite démonstratif + copule quand ce peut êtreremplacé par il / elle ou cela, et dans les cas de dislocation (voir 3.8).

Lorsque N, dans ce + être (+ Dét) + N, est un nom d'événement, ce + êtrepeut parfois être analysé comme un présentatif, dans la mesure où, comme

Dulcie M. Engel & Nathalie Rossi-Gensane188

le rappelle Leeman (1999), les noms d'événement admettent la distribu-tion il y a eu (+ Dét) + N (il y a eu une tempête) (par opposition aux nomsd'action, qui supposent un agent humain : Pierre fait un compliment).

20. et qu'il range au placard, pour ne la sortir qu'en 1946, sur l'insistance deRaoul Breton.{S} Puis c'est la Libération .{S} Trenet, qui raconte qu'il a étéblessé par des membres de la Gestapo venus ltravailler après quelques tentatives de collaboration avortées.{S} Aprèsdeux ans d'illuminations, ce sera l'Amérique du Sud, Rio de Janeiro.{S}VOICI Trenet deuxième manière : le chanteur françaistinuer à prendre les dons en direct.{S} Vous voyez, dès que les réfugiésaperçoivent des vêtements, c'est la ruée ». {S}Effectivement, le mouve-ment de générosité des Varois, en s'affranchissant de toLe Monde, 19 février 2001

Dans le deuxième cas, un sens « événementiel » est conféré à un nom delieu, de la même façon qu'un sens temporel, par exemple, peut être attri-bué à un nom concret : Il s'est éclipsé entre la poire et le fromage.

Dans la seconde partie du corpus, cent vingt-six occurrences de ce + être(+ Dét) + N sont identifiables comme des suites démonstratif + copule,huit comme des présentatifs. Quatorze cas sont ambigus.

On peut noter, dans l'emploi présentatif, une plus grande palette detemps : la part du présent est relativement beaucoup plus restreinte, et celledu passé simple plus importante, que dans l'emploi démonstratif + copule.

3.2. Fréquence des structures syntaxiques ce + être + Adj, ce + être (+ Dét) +N, il (variable) + être + Adj, il (variable) + être (+ Dét) + N.

Comme le montrait déjà la première partie du corpus, les structures ce +être (+ Dét) + N (même si l'on fait abstraction des cas où l'on a affaire à unprésentatif) et il (variable) + être + Adj sont plus répandues que ce + être +Adj et il (variable) + être (+ Dét) + N :

Tableau 6Fréquence de ce + être + Adj, ce + être (+ Dét) + N, il (variable) + être + Adj,

il (variable) + être (+ Dét) + N

Structure Total

Ce + être + Adj 36

Ce + être (+ Dét) + N 148

Démonstratif + copule 126

Présentatif 8

Cas ambigus 14

Il var + être + Adj 56

Il var + être (+ Dét) + N 10

Sémantique et fréquence 189

Autrement dit, la structure ce + être (+ Dét) + N est préférée à il (variable)+ être (+ Dét) + N et la structure il (variable) + être + Adj est préférée à ce+ être + Adj.

Si l'on accepte l'hypothèse selon laquelle les structures les plus fréquentessont les moins marquées, on isolera deux structures marquées, sur les-quelles pèsent donc des contraintes :

Ce + être + AdjIl (variable) + être (+ Dét) + N,

et deux structures non marquées :Ce + être (+ Dét) + NIl (variable) + être + Adj.16

3.3. Ce et il en tant qu'anaphores.La relation d'anaphore s'établit entre un antécédent (généralement un SN)et un substitut (généralement un pronom) interprété en fonction de cepremier.

Ce et il sont tous deux des anaphoriques qui ont pour caractéristique deposséder un sens très vague, voire pas de sens du tout. Néanmoins, il,contrairement à ce, invariable, est variable en genre et en nombre et re-prend le genre et le nombre du SN antécédent. Si il peut cataphoriquementrenvoyer à des subordonnées conjonctives ou à des syntagmes infinitifs(cas non étudiés ici, il étant alors invariable), seul le démonstratif est sus-ceptible d'anaphoriser un ou plusieurs énoncés (tout au moins pour lafonction sujet, cf. le en fonction objet direct).

Le tableau 7 montre les caractéristiques respectives de l'antécédent de ceet il (variable) en s'appuyant sur le classement des antécédents proposépour ça par Godart-Wendling (2000) :

Tableau 7 Caractéristiques respectives de l'antécédent de ce et il (variable)

SN géné-rique ou

SN abstrait

SN impliqué dansune structure

propositionnelle**

SNspéci-fique

Enoncé ousuite

d'énoncés

Casindéci-dable

Total

Ce + être + Adj 5 1 ou 0 4 ou 5 14 12 36

Ce + être (+ Dét) + N* 24 Entre 0 et 2 27

Entre 44 et49

Entre37 et 40 140*

Il var + être + Adj 12 40 4 56

Il var + être (+ Dét) + N

1 8 1 10

* Les cas analysés comme des occurrences de présentatif ne sont pas pris en compte.** Il s'agit de cas du type Ce plat, c'est difficile où il est signifié : Faire ce plat, c'est difficile.

Dulcie M. Engel & Nathalie Rossi-Gensane190

3.4. La structure il (variable) + être + Adj.Dans la structure il (variable) + être + Adj, le prédicat réfère à des proprié-tés ; il ne réfère pas, tout au moins directement, à des classes de particu-liers. Il peut s'agir de propriétés stables ou temporaires. Autrement dit, leprédicat peut être stable ou épisodique :

21. t instantanément les 259 personnes à bord et faisant 11 victimes au sol.{S}« Mon client maintient qu' il est innocent », a déclaré son avocat à l'issue del'audience.{S} Me Taylor a quatorze jours pour fprince héritier des Pays-Bas {S}LE MONDE | 13.02.01 | 15h12{S}LA HAYEde notre correspondant {S} Ils sont jeunes et riches.{S} Ilss'aiment et songent à se marier.{S} « Ils », ce sont Willem AlexanLe Monde, 14 février 2001

Les prédicats temporaires se caractérisent notamment par leur compatibi-lité avec le passé composé et le passé simple qui, respectivement accompliet perfectif, comportent un aspect borné, limité. En relation avec le carac-tère potentiellement stable ou épisodique du prédicat, on remarquera lagrande diversité des temps apparaissant dans cette structure :

Tableau 8Distribution des temps et modes de il (variable) + être + Adj

Présent Imparfait Subjonctifprésent

Passésimple

Passécomposé

Condition-nel présent

Futur Total

38 8 3 2 2 2 1 56

3.5. La structure il (variable) + être (+ Dét) + N.On notera que sur les dix occurrences de la structure il (variable) + être (+Dét) + N, seulement quatre noms sont accompagnés d'un déterminant.Or, la structure il (variable) + être + Dét + N (dans laquelle le déterminantapparaît) exprime une relation de classification où le prédicat présupposel'existence d'une classe de particuliers. Parmi les particuliers désignéscomme relevant de cette classe, il peut être renvoyé à une occurrencequelconque, Il est un N, cf. Elle est un regard, ou à la seule occurrence de laclasse, Il est le N, cf. Il était le diable en personne. Comme le souligneTamba-Mecz (1983), « [le prédicat être + Dét + N] réclame un supportd'attribution « non identifié », dont l'énoncé livre l'identité. [Il (variable)],qui conserve les déterminations de genre et de nombre du SN antécédent,engendre une « redondance » : on identifie quelqu'un de déjà identifié ».C'est pourquoi (voir 3.7) la structure ce + être + Dét + N est préférée à lastructure il (variable) + être + Dét + N (respectivement cent quarante-quatre cas et quatre cas).

Sémantique et fréquence 191

Renaud (1999), parmi d'autres auteurs, distingue entre noms stables oupersistants (par exemple, chaise, fils) et noms temporaires (président,instituteur). Si l'on compare la « durée d'existence des individus à la duréede leur catégorisation par un [nom], on observe deux types de rapports »,selon que « les durées sont semblables » ou « différentes ». Dans le premiercas, le nom est persistant ; dans le second, le nom est temporaire. Renaud(1999) propose trois tests permettant de dissocier ces deux sortes de noms.Le nom est temporaire si :

– la copule qui l'introduit peut être mise au passé composé : Jean a étéétudiant vs *Jean a été le fils de Pierre

– il peut être déterminé par un adjectif comme actuel, ancien, futur :Jospin est l'ancien premier ministre

– la copule peut être remplacée par d'autres verbes attributifs commedevenir, cesser d'être, ne plus être, rester : Chirac est devenu président dela république, vs *Claude est devenue la fille de Jacques.

On remarquera dans le corpus que tous les noms sans déterminant sonttemporaires :– noms de fonction : premier secrétaire régional du Parti communiste, prési-

dent de la République ;– noms de métier : instituteur, carrossier, agent de sécurité ;– candidat, qui renvoie à une période nettement délimitée.

22. Mintimer Chaïmiev, par exemple, qui dirige la puissante République duTatarstan depuis 1989 – il était alors premier secrétaire régional du Particommuniste – pourra encore exercer deux mandats, tous dépensés dans l'achat des médicaments qu'exigent son épilepsie et lediabète de sa femme.{S} Il a été instituteur en Amazonie, puis carrossier, etses trois enfants sont au chômage bien qu'ayantlot que quand on a un piston », dit-il.{S} Maria Jimenez vient remplir lespapiers pour son mari.{S} Il était auparavant agent de sécurité : 48 dollarspar mois et le danger permanent dans un pays où laLe Monde, 14 février 2001

résident est d'ailleurs dans son rôle lorsqu'il rappelle une certaine idée de laRépublique, puisqu' il est président de la République .{S} Mais, sur le fond,je trouve qu'un mouvement de régionalisationLe Monde, 22 février 2001

Les statuts (fonctions, métiers) sont de nature transitoire : tout individuest susceptible d'être successivement instituteur, carrossier…, mais aucunmeuble n'est susceptible d'être successivement armoire, chaise, table…

On reliera absence de déterminant et caractéristique temporaire.Comme le constate Kupferman (1991), en l'absence de déterminant, uneclasse est désignée en bloc sans être parcourue ; il n'est pas renvoyé aux« propriétés stables de l'espèce caractérisant chacun de ses spécimens »puisqu'aucun spécimen n'est repéré. Kupferman (1991) rapproche noms

Dulcie M. Engel & Nathalie Rossi-Gensane192

sans déterminant et adjectifs renvoyant à des propriétés transitoiresnotamment par le test des constructions existentielles :

Il y avait un invité d'ivreIl y avait un invité médecin, président*Il y avait un invité d'intelligent*Il y avait un invité un médecin, un président (exemples de Kupferman,1991).

La forme il (variable) + être + N correspond à des prédicats précaires, quireprésentent des instances d'un particulier, et la forme il (variable) + être+ Dét + N, à des prédicats stables, qui caractérisent un particulier. Kupfer-man (1991) remarque que « les prédicats être un N acceptent mal lesmodifications bornant le procès verbal, c'est-à-dire lui refusant le statut depropriété stable :

*Léa est une enseignante en ce moment », vs Léa est enseignante en cemoment. Inversement, « si les points de référence spatio-temporels sontexplicités, [le nom sans déterminant] est sélectionné » : on relèvera dans lecorpus alors, auparavant, puis, en Amazonie…

D'après Kupferman (1991), qui contraste *Cette fourmi est ouvrière / Cettefourmi est une ouvrière avec Marie est ouvrière / Marie est une ouvrière, « [engénéral,] un état de forme N ne peut être prédiqué que d'un humain et nesaurait l'être d'un animal ». Cela se vérifie pour les six occurrences ducorpus, où il (variable) anaphorise un antécédent à trait [+ humain].

Cas particulier : 23. porte un casque relevé, et de petites ailes aux pieds.{S} Charles Trenet veut

ressembler à l'ange, il est Peter Pan.{S} Il a le goût de la voltige. {S}Petitprovincial monté à Paris, il courtiseLe Monde, 19 février 2001

Cet énoncé, qui associe deux noms propres, il étant l'anaphore de CharlesTrenet, doit être inclus, selon Rouveret (1998), dans les phrases prédica-tionnelles. D'après Fauconnier (1992), cité par Rouveret (1998), unerelation est posée entre une valeur et un rôle, un élément étant un rôle parrapport à un autre élément qui constitue sa valeur. Le terme-rôle, PeterPan, est pronominalisable par le, contrairement au terme-valeur, CharlesTrenet : Charles Trenet l'est, vs *Peter Pan l'est.

Le nom propre, classifiant, renvoie au seul spécimen d'un type. Cepen-dant, ici, il doit être interprété comme une propriété descriptive appliquéeau sujet. On affirme de il (anaphore de Charles Trenet) qu'il a la propriétéd'être Peter Pan. Un phénomène analogue à celui qui se produit dans lepassage du nom concret à l'adjectif, cf. un éclair > un voyage éclair, oùéclair marque la rapidité, peut être observé : un seul élément définitoire dePeter Pan est retenu, la jeunesse.

Sémantique et fréquence 193

3.6. La structure ce + être + Adj.D'après Godart-Wendling (2000), le démonstratif ce « n'a pas pour objetpremier de réaliser un acte de référence actualisée ». Aussi, toujours selonGodart-Wendling (2000), dans la structure ce + être + Adj, lorsque l'anté-cédent est un SN spécifique, l'adjectif doit renvoyer à une propriété géné-rique de ce SN : J'ai acheté une voiture. C'est laid. vs *J'ai acheté une voiture.C'est gris. (exemple de Godart-Wendling, 2000). Cette contrainte ne pèsepas sur la structure il (variable) + être + Adj : J'ai acheté une voiture. Elle estlaide / Elle est grise.

La contrainte à laquelle est soumise la construction ce + être + Adj peutdans une certaine mesure expliquer la moindre fréquence de cette struc-ture par rapport à il (variable) + être + Adj, bien que ce soit a priori plus« ouvert » que il (variable) : les antécédents de ce, on l'a vu, sont de naturebeaucoup plus diverse que ceux de il (variable). Or, on notera que ce dansce + être + Adj admet beaucoup moins d'antécédents SN spécifiques que il(variable) dans il (variable) + être + Adj : respectivement quatre ou cinq(sur trente-six), vs quarante (sur cinquante-six). Cette contrainte peutégalement expliquer qu'il n'y ait aucune occurrence de la structure ce +être + Adj au passé simple, ou au passé composé, alors que l'on trouvedeux occurrences au passé simple et deux occurrences au passé composépour la structure il (variable) + être + Adj.

Tableau 9Distribution des temps et modes de ce + être + Adj

Présent Imparfait Conditionnel présent Futur Total

25 4 4 3 36

Les temps représentés pour la structure ce + être + Adj sont compatiblesavec une généricité verbale. Pour qu'il y ait généricité verbale, on sait quele prédicat doit ou bien indiquer une itération, ou bien exprimer unepropriété caractéristique du sujet. On trouve notamment quatre occur-rences à l'imparfait. Or, comme le dit Ducrot (1979), cité par Anscombre(1986) : « dans un énoncé à l'imparfait, le procès évoqué est considérécomme une propriété de l'espace discursif temporel où il s'inscrit ». Ans-combre (1986) remarque en outre la compatibilité de l'imparfait avecl'itération puisque « dire d'un comportement qu'il est habituel chez uneentité, c'est lui attribuer une certaine propriété ».

Néanmoins, dans l'exemple ci-dessous à l'imparfait, on notera que, con-trairement à ce que dit Godart-Wendling (2000), le démonstratif ce réalised'abord un acte de référence actualisée :

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24. S} On nous a dit que mon cousin était blessé, qu'il était à l'hôpital deGaza.{S} On y est allé.{S} C'était noir de monde.{S} Des enfants, desfemmes, des hommes avaient été la cible de francs-tireursLe Monde, 14 février 2001

Ce, qui a pour antécédent y, reprenant (à) l'hôpital de Gaza, est éminem-ment situationnel.

3.7. La structure ce + être (+ Dét) + N.La structure ce + être (+ Dét) + N (cent quarante-huit occurrences) estbeaucoup plus fréquente que la structure ce + être + Adj (trente-six occur-rences). Une des raisons en est sans doute que, comme le remarqueGodart-Wendling (2000), la contrainte de la généricité ne pèse pas sur lastructure ce + être (+ Dét) + N quand ce anaphorise un SN spécifique, cf.J'ai acheté une voiture. C'est une voiture grise. (exemple de Godart-Wendling, 2000) [vs *J'ai acheté une voiture. C'est gris.]. D'après Godart-Wendling (2000), ce opère alors une nouvelle classification de ce SN,depuis son ensemble de départ jusqu'à un second ensemble. Le SN est ainsiintégré à un ensemble dénoté par le nom prédicat, défini par des proprié-tés qui n'ont pas à être partagées par tous les SN de l'ensemble de départmais qui doivent seulement être suffisamment stables (ou en tout cassaillantes) pour permettre une (seconde) classification.

Cette absence de contrainte peut dans une certaine mesure expliquer quel'on trouve cinq occurrences au passé simple (temps décrit parfois commeparticularisant) pour la structure ce + être (+ Dét) + N (quatre si l'on faitabstraction d'un cas patent de présentatif), alors qu'il n'y a aucune occur-rence au passé simple de la structure ce + être + Adj. En revanche, commeil a déjà été noté pour la première partie du corpus, on ne trouve aucunpassé composé après le démonstratif, contrairement à ce qui se produitpour il (variable) + être + Adj (deux cas) et il (variable) + être (+ Dét) + N(un cas), alors même que ces dernières structures sont beaucoup moinsfréquentes.

Tableau 10Distribution des temps et modes de ce + être (+ Dét) + N

Présent Imparfait Conditionnel présent Futur Passé simple Total

109 19 9 6 5 148

Comme le dit Tamba-Mecz (1983), ce, qui ne spécifie pas les traits denombre et de genre que comporte le SN antécédent, à la différence de il(variable), et renvoie donc juste à « quelque chose », s'intègre bien dansune structure exprimant une relation de classification. En effet, « les carac-téristiques [du « quelque chose » soumis à classification] doivent être

Sémantique et fréquence 195

« oubliées » momentanément pour que seule s'impose la classificationproposée ». Comme on l'a vu, la classification s'appuie sur la présence d'undéterminant, puisque, sans déterminant, aucun spécimen n'est repéré àl'intérieur d'une classe et qu'il n'est donc pas renvoyé aux « propriétésstables de l'espèce caractérisant chacun de ses spécimens » (Kupferman,1991). Il n'est pas étonnant, par conséquent, de ne trouver que quatre casce + être + N (en fait deux, car il y a deux cas de noms propres), parcontraste avec cent quarante-quatre cas ce + être + Dét + N.

Les deux noms communs sans déterminant sont abstraits. Noailly (1991)souligne la relative fréquence d'apparition des noms sans déterminantattributs lorsqu'il s'agit de noms abstraits et lorsque le sujet, à la manièrede ce, est un terme vague. Elle impute l'absence de déterminant à l'indéter-mination entre déterminant indéfini et déterminant défini : « il ne s'agitpas de dire de quelle façon le nom sujet est intégré dans l'ensemble que sertà désigner le concept attribut, mais de dire ce rattachement même ».

On remarquera que la seconde partie du corpus ne propose aucuneoccurrence du genre c'est un maladroit, avec « substantivation classifiante »(Tamba-Mecz, 1983) de l'adjectif, ce qui rend statistiquement peu perti-nente toute comparaison du type c'est un maladroit / il est maladroit,pourtant fréquente dans les travaux sur l'adjectif ou le nom. Dans la deu-xième structure (il (variable) + être + Adj), comme on l'a vu, le prédicatpeut aussi bien renvoyer à une propriété stable qu'à une propriété tem-poraire, contrairement à la première structure qui n'autorise qu'une inter-prétation permanente. Ceci dit, la grammaticalité de c'est un maladroit, oùce anaphorise un SN spécifique [+ humain] permet de comprendre acontrario l'impossibilité pour ce, dans c'est maladroit, d'anaphoriser un SNde la même sorte, et donne une autre raison de la moindre fréquence de ce+ être + Adj, par rapport à il (variable) + être + Adj. En effet, ce renvoie àquelque chose à identifier. Autrement dit, il ne renvoie à de l'humain quelorsque cela est spécifié, ce que n'est pas en mesure de faire un prédicatadjectival, puisqu'il s'applique à des supports de toutes sortes. En re-vanche, un adjectif substantivé ne renvoie plus à une propriété unique,mais à plusieurs propriétés comme, par exemple, « humain ».

Commentons maintenant quelques occurrences du type ce + être (+ Dét)+ N :

24. itière des bêtes.{s} « C'est qui ?{s} José Bové ? », demande un badaud.{s}« Attention les enfants, c'est un rouleau compresseur quand ça avance »,préviennent les gardes du corps. {s}Une visite sansLe Monde, 19 février 2001

D'après Godart-Wendling (2000), [ce] est un « révélateur attractif de pro-priétés » ; il renvoie à un élément « en privilégiant ses propriétés, [lin-guistiques ou] pragmatiques [issues de notre connaissance du monde], son

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objet premier n'étant pas de permettre un accès à son extension », con-trairement à il (variable) qui renvoie à la « référence actualisée » de sonantécédent. Si l'on suit l'analyse de Godart-Wendling (2000), dansl'exemple ci-dessus, ce ne renvoie pas directement à l'individu nommé JoséBové, comme le ferait il (variable), mais saisit l'individu José Bové à travers« la propriété que constitue son comportement », et l'on aboutit à la lec-ture suivante : « le comportement de José Bové dans la vie [nous] fait direque c'est un rouleau compresseur ».

25. finitives qui laissent quelques espoirs au Parti travailliste.{S} « Barak n'estpas un travailliste, c'est d'abord un militaire .{S} Il y a des gens bien chez lestravaillistes ou au Meretz, même s'ilsétait sûr qu'on nous ferait payer le meurtre de Bechir.{S} Très vite le meur-trier a été arrêté.{S} C'était un Libanais.{S} On ne s'était pas trompé.{S}L'armée israélienne a assiégé le camp et dans l

Le Monde, 14 février 2001chargé des problèmes humanitaires à la Licra, « ce n'est pas la misère qui lesa fait fuir.{S} Mais ce sont des Kurdes irakiens », comme s'il y avait là quel-que évidence. {S}A présent, « il sembleraitLe Monde, 22 février 2001

Dans tous les exemples ci-dessus, la commutation de ce avec il (variable)est possible. Plus précisément, la structure ce + être + Dét + N peut êtreremplacée par la construction il (variable) + être + N, cf. c'est d'abord unmilitaire / il est d'abord militaire (d'autant plus facilement que l'on a affaireà un nom de métier, donc de nature transitoire), ou par la construction il(variable) + être + Adj, cf. c'était un Libanais / il était libanais, ce sont desKurdes irakiens / ils sont kurdes irakiens (on passe d'un nom de nationalitéà un adjectif de nationalité). S'il s'agit dans chaque cas de phrases proches,elles ne sont pas pour autant totalement équivalentes. Une première dif-férence est imputable, comme on vient de le voir, au contraste entre ce etil (variable). Fait écho à cette différence le type respectif de structure del'attribut : Dét + N pour ce, N (sans Dét) ou Adj pour il (variable).

Les attributs de forme Dét + N sont ambigus, cf. [Barak est] un militaire :comme le souligne Kupferman (1991), ils admettent un sens littéral quel'on peut rendre par « Barak est un spécimen de l'espèce « militaire », dontil possède par conséquent les propriétés », et une interprétation mé-taphorique du type « Barak a les mêmes propriétés que les spécimens del'espèce « militaire »», où il est référé à une classe de propriétés, caractéris-tiques jusqu'à constituer un stéréotype (gloses transposées de Kupferman,1991). Cette ambiguïté est également inhérente à c'était un Libanais et cesont des Kurdes irakiens. Elle est amplifiée par le recours au démonstratif ce,« révélateur attractif de propriétés » (Godard-Wendling, 2000) ; l'accentest mis sur les propriétés qui permettent de qualifier l'individu, ce quirevient à l'interprétation possible : « de par son / leur comportement, onpeut dire que l'on a affaire à un Libanais / à des Kurdes irakiens ».

Sémantique et fréquence 197

En revanche, les attributs de forme N (sans Dét) ne supportent pas lalecture métaphorique : dans [Barak est] militaire, il n'est pas renvoyé,comme on l'a vu, aux « propriétés stables de l'espèce caractérisant chacunde ses spécimens » (Kupfermann, 1991) puisqu'aucun spécimen n'estrepéré, mais à un statut, à une identité sociale, qui en tant que tel(le) nerenseigne pas sur les caractéristiques du sujet (voir Kupferman, 1991),lequel est pronominalisable par il (variable) qui réfère directement àl'individu. De même, les attributs de forme Adj n'induisent pas de lecturemétaphorique. Ils renvoient à une propriété, qui peut aussi bien êtretemporaire que permanente. Dans [il était] libanais, le sujet n'est doté quede la caractéristique superficielle d'avoir la nationalité libanaise.

3.8. La dislocation.Le phénomène de dislocation renvoie à un cas particulier où l'antécédentest un segment détaché ; l'anaphore assume à sa place une fonction syn-taxique dans la phrase.

On remarque qu'il n'y a dans la seconde partie du corpus aucun cas dedislocation pour la structure il (variable) + être + N, pourtant possible enl'absence de déterminant (cf. Francis, il est instituteur, vs *Francis, il est uninstituteur), et seulement cinq cas de dislocation (sur cinquante-six) pourla structure il (variable) + être + Adj, ce qui est en proportion inférieur auxcas de dislocation pour la structure ce + être + Adj (quatre sur trente-six).On notera en outre que ces cinq cas sont uniquement extraits de citationsd'une chanson de Trenet :

26. il fait bon d'avoir vingt ans Et de marcher le cœur content Vers le clocherde son village.{S} Qu' elle est jolie notre rivière Qu'elle est jolie notre maisonQu'elle est jolie la France entière Qu'et de marcher le cœur content Vers le clocher de son village.{S} Qu'elle estjolie notre rivière Qu'elle est jolie notre maison Qu'elle est jolie la Franceentière Qu'elle est jolie en toute saison !ers le clocher de son village.{S} Qu'elle est jolie notre rivière Qu'elle est jolienotre maison Qu'elle est jolie la France entière Qu'elle est jolie en toutesaison !{S}... Ah ! qu'ils sont beauxotre maison Qu'elle est jolie la France entière Qu'elle est jolie en toutesaison !{S}... Ah ! qu'ils sont beaux tous les dimanches Ah ! qu'ils sont beauxles jours en fleurs De la jeunesse qui seière Qu'elle est jolie en toute saison !{S}... Ah ! qu'ils sont beaux tous lesdimanches Ah ! qu'ils sont beaux les jours en fleurs De la jeunesse qui sepenche Sur notre terre avec ardeur.{S} Le Monde, 19 février 2001

Les cas de dislocation sont beaucoup plus fréquents avec ce, même s'ilssont moindres pour ce + être + Adj (quatre sur trente-six) que pour ce +être (+ Dét) + N (vingt-sept sur cent quarante-huit). Si l'on suit Godart-Wendling (2000), dans la structure ce + être + Adj, l'adjectif doit renvoyer

Dulcie M. Engel & Nathalie Rossi-Gensane198

à une propriété générique de l'antécédent du démonstratif, qui est dans lescas de dislocation un segment détaché.

27. uestions de français {S}Obus en famille {S}LE MONDE | 13.02.01 | 15h16| chronique {S}AH comme c'est embêtant et compliqué parfois, la poli-tique !{S} Soutenir quelqu'un, sans donner l'impressionen périphérie du port de Saïda (sud), Rouhi Chaaban, 30 ans, prend un airdésillusionné : « Sharon c'est mieux pour les Arabes et les Palestiniens, car ildit vraiment ce que les Israéliens pensent « irer sur la bobinette et la loco sifflera. {S}Pin-pon, tchou-tchou, vroum-vroum !{S} Dans le fond, c'est assez simple l'âme d'un grand petit garçon.{S}Très mécanique.{S} Tout conduire, pourvu que ceLe Monde, 14 février 2001{S}Car, figurez-vous, M. Mocchi n'est pas hostile aux « accords de Mati-gnon ». {S} « Dans l'esprit, c'est une bonne chose.{S} Mais toutes ces réu-nions générales pendant un an, c'est mauvais .{S} On aurait dû sectori-ser.{S} « Il en revendique même, d'une certaine manière, la paternitéLe Monde, 22 février 2001

Tous les exemples de détachement pour la structure ce + être + Adj sont auprésent, courant dans les phrases génériques. On notera que l'un dessegments détachés est un nom propre, donc éminemment spécifique, pourlequel il est crucial de rappeler que ce, selon Godart-Wendling (2000), nevise pas la « référence de l'élément linguistique », mais la « propriété don-nant accès à cette référence ». Ce, quand il anaphorise Sharon, ne renvoiepas à l'individu en tant que tel, mais renvoie à lui pour ce qu'il représente,pour ce que l'on sait de lui.

Le nombre de dislocations aurait sans doute été beaucoup plus élevé,notamment pour la structure il (variable) + être + N, dans un corpus defrançais parlé de taille équivalente. Reichler-Béguelin et al. (1988, p. 20)notent en effet « que la syntaxe du français oral se caractérise […], com-parée à celle de l'écrit, par l'emploi très fréquent des constructions à cons-tituant détaché ».

4. ConclusionA l'issue de ce travail, nous voudrions réinsister sur l'écart entre système etutilisation du système. La différence de fréquence entre des structures étu-diées contrastivement nous semble devoir être prise en compte. Ainsi, lastructure ce + être + Dét + N, abondamment commentée, est présentéecomme plus saillante, de par la lecture métaphorique qu'elle est susceptibled'admettre, que les structures il + être + N (sans Dét) et il + être + Adj, cf.par exemple le contraste c'est un linguiste / il est linguiste. Or, dans la me-sure où cette première structure est beaucoup plus fréquente que les deuxdernières, l'utilisation du système nous dit l'inverse. Dans quelques cas, larareté de certaines structures pourrait même amener à questionner la per-tinence des rapprochements effectués, cf. par exemple le contraste il est

Sémantique et fréquence 199

1. Nous avons présenté oralement des versions anglaises de cet article aucolloque Society for French Studies, Dublin, en juillet 2001 et au départementde linguistique, University of Western Australia, en octobre 2001, et uneversion française au colloque Association for French Language Studies,Louvain-la-Neuve, en septembre 2001. Nous remercions les participants deleurs commentaires. Nous sommes également reconnaissantes aux deuxrelecteurs anonymes de Revue Romane de leurs remarques constructives.Dulcie Engel tient aussi à remercier le département de français de l'Universitédu Pays de Galles à Swansea de son soutien financier.

2. Rosenberg (1970) a analysé l'emploi (surtout conversationnel) de ce dans lesprédications adjectivales, à partir de deux mille six cents exemples tirés d'uncorpus de deux cent quarante-deux œuvres littéraires parues entre 1920 et1970.

3. L'article de Benveniste est commenté par Kawaguchi (1979) et Rouveret(1998).

4. Pour une étude de la copule en français, voir Ruwet (1975) ; pour la copuledans les langues romanes, voir Van Peteghem (1991) ; pour la copule enanglais, voir Heycock (1992).

5. Pour une étude de l'auxiliaire en français, voir Blanche (1977), Sankoff etThibault (1977), Spang-Hanssen (1983), Vikner (1985), Lamiroy (1994), Bat-Zeev et al. (1999).

6. Il (variable) recouvre les formes il, elle, ils, elles qui participent dans ce cas dumême paradigme, cf. Il est gentil, vs Elles sont gentilles ; inversement, il(invariable) recouvre la seule forme il, cette dernière n'étant alors passusceptible d'être remplacée par elle, ils ou elles, cf. Il est indéniable que letemps s'est gâté.

7. Barnes (1985, p. 53) donne cependant des exemples de SN détachés avec c'estqui sont spécifiques. Voir plus bas nos remarques sur le détachement àgauche et également 3.3, 3.6, 3.7 et 3.8. Pour des analyses exhaustives de c'est,voir Rosenberg (1970), Moreau (1976).

8. Voir aussi Pollock (1983).

maladroit / c'est un maladroit, alors que, dans notre corpus, aucun cas de« substantivation classifiante » (Tamba-Mecz, 1983) de l'adjectif n'a étérelevé.

Il convient de moduler les résultats obtenus du fait que ce travail aprincipalement porté sur une seule sorte de corpus, journalistique. Il serasouhaitable par la suite d'approfondir les relations entre constructions,caractéristiques sémantiques des noms et des adjectifs, temps et aspect, des'intéresser à la taxinomie des phrases copulatives, et d'élargir l'étude de ceet il au cadre textuel, à partir d'un corpus fondé sur un contexte plus large.

Dulcie M. Engel & Nathalie Rossi-GensaneUniversité du Pays de Galles à Swansea & Université de Tours

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Notes

Dulcie M. Engel & Nathalie Rossi-Gensane200

9. Voir aussi Guillaume (1919, pp. 282-83) ; Pollock (1983, p. 103).

10. Pour Rosenberg (1970, p. 124), dans de tels cas, ce est la norme pour laréférence générique.

11. Coveney (2000, pp. 458-59) étudie ces structures clivées comportant lepronom nous en accordant une attention particulière à l'accord du verbe, parexemple c'est nous qui devons faire les pas ; c'est nous qui sont les princes (2000,p. 459).

12. http ://glossanet.univ-mlv.fr

13. http ://www.ciril.fr/~mastina/FRANTEXT

14. Ce qui renvoie aux commentaires de Blanche-Benveniste et al. (1984, p. 153,op. cit.) sur le manque d'autonomie temporelle de être dans c'est… que. Voiraussi Blanche-Benveniste (1997, p. 98) sur cette construction en françaisparlé, dans laquelle le verbe est qualifié de « fossilisé ».

15. Voir Danlos (1980).

16. Il serait intéressant d'examiner la proportion des structures ce + être + Adj etce + être (+ Dét) + N dans un corpus de français parlé. On peut en effet sedemander si elle ne serait pas plus importante en raison de l'emploi répandudu démonstratif sous la forme ça, souvent présenté comme spécifique del'oral.

Par ailleurs, il est probable que ces quatre structures, qui comportent unsujet pronom, seraient davantage représentées dans un corpus, de tailleéquivalente, de conversations en face à face, car, comme le remarque Blanche-Benveniste (1997, p. 106), un « taux [relativement élevé] de syntagmesnominaux sujets est […] un indice assez net du formalisme du langage ».

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RésuméA partir d'un corpus informatisé de français journalistique issu de Glossanet (basede données du LADL), nous examinons la fréquence et les caractéristiques séman-tiques des constructions ce / il + être (+ déterminant) + nom, ce / il + être +adjectif.

Dans cet article, nous proposons tout d'abord un bilan des recherches sur l'op-position c'est / il est. Bien que le sujet ait déjà été abordé, il existe très peu de re-cherches fondées sur l'analyse quantitative d'un corpus reflétant le fonctionne-ment réel de la langue.

Nous présentons ensuite certaines données statistiques concernant le verbe êtreen nous fondant sur la première partie de notre corpus, constituée de treizeéditions du Monde.

Enfin, nous analysons à partir d'exemples de la seconde partie de notre corpus,consistant en sept éditions du Monde, les séquences ce / il + être (+ déterminant)+ nom, ce / il + être + adjectif, notamment la relation entre les caractéristiquessémantiques du nom ou de l'adjectif et le temps de être.

Nous entendons ainsi montrer les avantages d'une approche quantitative dansl'étude d'un phénomène très fréquent du français.