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Photos : Collection particulière / DR

Directeur de collection : Jean GALLOISMaquette : Jean-Philippe BIOJOUT, conception & réalisationRelecture : Pascal FARDET, Michèle LACORE

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© bleu nuit éditeur 2014www.bne.fr

dans la même collection :

1/ Alexandre BORODINE par André Lischké

2/ Le Clavecin des Lumières par Jean-Patrice Brosse

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Patrice ROYER

LeošJANÁCEK

collection horizons

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Remerciements

au Musée Janácek de Brno

à l’office de tourisme tchèquewww.CzechTourism.com

à Madame Jitka de Préval et au Centre Culturel Tchèque de Paris

à la bibliothèque musicale Gustav Mahler

pour leur aide précieuse dans la réalisation de cet ouvrage.

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ci-dessus, JanácekExtrait de ConcertinoRuines du château d’HukvaldyVue de Brno du haut du Špilberkà gauche, maison de campagne à Hukvaldy

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L’école de Hukvaldy, maison natale de Janácek - Musée Janácek

La Tchécoslovaquie : détail de la Bohême et de la Moravie - DR

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Chapitre IEnfance, études, mariage

“Un pays magnifique, un peuple calme, unelangue douce, aussi douce que si l’on coupaitdu beurre”Leoš Janácek, préface pour la partition des Danses de Lachie, été 1928.

Le voyageur qui se rend au pays de Janácek tomberasous le charme des collines verdoyantes entourant le petitvillage de Hukvaldy, situé dans la région des Beskydes,au nord-est de la Moravie. Un regard circulaire embrassel’église à la tour baroque, la maison de campagne del’archevêque d’Olomouc, et l’école du village, où naquit,le 3 juillet 1854, Leoš Janácek, neuvième enfant d’unefamille de quatorze, dont huit seulement survécurent. Samère, Amalie Grulichová (1819-1884), fille de tisserand,chante, joue aussi de la guitare et de l’orgue. Son père,Jirí Janácek (1815-1866) lui enseigne les premiers rudi-ments de musique; il est instituteur et chef de chœur,suivant la lignée de son propre père, prénommé égale-ment Jirí, facteur d’orgue improvisant à l’église.

Le bambin énergique et intelligent grandit dans cedécor champêtre. Comme ceux de son âge, il use sesfonds de culotte en glissant sur les pentes et utilise lesabords broussailleux du château fort médiéval en ruinecomme terrain de jeux. Son amour de la musique et de lanature se développe dans ces conditions rudimentaires:en son crépuscule, le compositeur se souviendra encoredes ruches de son enfance et du goût du miel léché sur lesassiettes et les couteaux. Il se souviendra aussi du jouroù, tremblant de peur, il se rendit au village voisin de

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Rychaltice pour y “emprunter” les timbales qui man-quaient lorsqu’on jouait les messes à Hukvaldy. Unebonne fessée paternelle fit office de percussions.

Et depuis, en souvenir de mon exploit, dans cha-cune de mes compositions, j’ai toujours confié un petitsolo aux timbales. 1

En 1865, à onze ans, le jeune Leoš entre au Couventdes Augustins de Brno, ville sans renom sous le signe delaquelle seront placées sa vie et son œuvre. Le père PavelKrízkovský (1820-1885) dirige le chœur et le prend sousson aile protectrice, par gratitude vis-à-vis de Jirí Janácekqui, naguère, lui avait prodigué des leçons de musique, àlui, l’enfant naturel, abandonné.

“Celui qui contrôle la Bohême est le seigneur del’Europe” affirmait Bismarck : ces terres en effet ont tou-jours été des espaces de conquêtes. Avant l’arrivée destribus slaves, entre les Vème et VIIème siècles, lesAllemands s’y trouvaient déjà installés. En 863, Cyrilleet Méthode évangélisent la Moravie, et le latin liturgiqueeffacera la langue slave ancienne. D’après la légende, laprincesse Libuše fonda la dynastie des Premyslides, quidurera jusqu’au début du XIVème siècle. Transports, agri-culture, mines d’argent se développent; sous les règnesde Jean de Luxembourg puis de Charles IV, le royaumetchèque se couvre de prestige, et Prague suscite l’envie.Mais avec l’avènement du Duc Ferdinand de Habsbourg,en 1526, s’amorcent une lignée dominatrice et les con-flits entre catholiques et protestants. Rudolf II (1576-1612) installera sa cour à Prague, où, écho douloureux aumartyre de Jan Hus, éclate la terrible et humiliantebataille de la Montagne Blanche (1620) qui va sceller lesort de la nation tchèque pendant les trois siècles où elledemeurera vassale des Habsbourg.

Il est dès lors fondamental de garder à l’esprit queJanácek est issu d’un pays d’obédience allemande. Lesregistres de “Richaltitz” attestent qu’un “Leo Eugen

1 Cité par AdolfVeselý in “LeošJanácek:Pohléd doživota a díla”,Prague, 1924.L’anecdote sur-vint à quelquesencablures duvillage natal deSigmund Freud(1856-1939),Pribor, coïnci-dence qui inter-pellera les psy-chanalystes ...

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Janatschek” naquit à “Hochwald”. 2 Pour un nationalistetchèque, le vrai visage de Brno, ville historique typique-ment allemande qui s’appelle alors Brünn, est bien irri-tant. Cette capitale historique, ancien pays de la couronnede Bohême, est alors le chef-lieu régional de la Moraviedu sud. A son arrivée, le jeune pensionnaire découvre unecité industrielle, dont la moitié des habitants est forméede riches commerçants et intellectuels allemands tournésvers la prestigieuse capitale de l’Empire, Vienne, peuéloignée de Brno: le chemin de fer l’y relie depuis 1839,dix ans avant Prague. A Brno, lycées et collèges existentdepuis longtemps: on trouve des hautes écoles alleman-des, et, depuis 1850, une école allemande supérieure detechnique. L’industrie textile y est florissante: Brno por-tait alors le fier surnom de “Manchester autrichien”. Enrevanche, pas d’école supérieure tchèque, et le premierlycée tchèque n’apparaîtra qu’en 1867. La bourgeoisiedynamique de Brno est allemande, et les Tchèques quiveulent tenir rang dans la société parlent allemand. Levolontaire Janácek ne se soustraira pas à cette règle.

Le sursaut national atteignit Brno avec un retard con-sidérable et la lutte des intellectuels tchèques pour l’au-tonomie de leur culture se poursuivra jusqu’à la premièreguerre mondiale. Quant aux musiciens, ils ne prirent lerelais que tardivement. Car si les dynasties des Benda,Rejcha ou Stamic transportèrent leur musique aux cours

2 En tchèque,Rychaltice etHukvaldy. Pourdes raisons decommodité,nous signale-rons parfois,entre parenthè-ses, le nomallemand decertaines locali-tés lorsque latraduction fran-çaise n’existepas, car ildemeure, denos jours encore, souvent plusparlant quel’appellation originelletchèque.

Vue générale de BrnoDR

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de Vienne et Mannheim jusqu’à Paris et l’Italie,3 aucund’eux ne composait de la musique “nationale” à l’exem-ple de Glinka, en Russie. Il fallut attendre 1866, année dela création des Brandebourgeois en Bohême de Smetana,puis, surtout, de sa célébrissime Fiancée Vendue pourincruster la langue tchèque, parlée alors par les paysanset les domestiques, écrite par les exilés, survivant dansles manuscrits dissimulés et les drames populaires, dansune œuvre d’art “savant”. En fait, Bedrich Smetana(1824-1884) fut l’“éveilleur” de la musique tchèque.

On comprend aisément le sentiment de solitude quedût éprouver le jeune campagnard dans une ville qui nelui ressemblait pas.4 Les sentiers qu’empruntera l’apprenti musicien ne suivront jamais un tracé rectiligne.Le 8 mars 1866, son père meurt, laissant derrière lui ladouleur et une forte angoisse matérielle; devenue veuve,sa mère le remplace à l’école du village. En de pareillescirconstances, le Père Krízkovský exercera une influenceprépondérante sur cet enfant insolent qu’il protègera enlui épargnant notamment l’expulsion. Car cet homme defoi fait autorité dans le milieu musical de Brno en tantqu’organisateur, chef d’orchestre, et, surtout, composi-teur de musique religieuse. Lors des célébrations duMillénaire de l’évangélisation par Cyrille et Méthode, ildirige ses propres compositions qui impressionnent profondément le petit Leoš. La douzaine de violons et devents qui forme l’orchestre joue et chante Mozart,Cherubini, Haydn et Beethoven. Mais le rythme de vie aumonastère se révèle spartiate: lever à 5 heures avecprières et devoir, chant et messe à 7 heures, puis cours;après-midi, chant choral, piano et instruments avant lecoucher. Cependant, les élèves vivent imprégnés demusique et heureux de former, ensemble, les “GorgesBleues” dont ils portent l’uniforme.

Honorant la vocation familiale et les nécessités alimentaires, Leoš est enrôlé à l’école des instituteurs deBrno, pour trois ans. Orphelin de père, il se trouve placésous la tutelle de son oncle Jan, chez qui il passe ses

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3 JosefMysliveèek(1737-1781),coqueluchetransalpine,répondait ausurnom d’ “IlDivino Boemo”.

4 Dans la courdu monastère,ma mère s’éloi-gnait douce-ment. J’étais enlarmes, elleaussi. Seul.Des gens bizar-res, hostiles.Une étrangeécole, un lit dur,du pain dur.Pas de tendres-se. Mon propremonde, exclusi-vement mien,commençait.In Adolf Veselý,op.cit.

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vacances d’été, car il ne se sent pas très proche de samère. Il suit le cursus de la classe élémentaire et des troisbasses classes du collège, excellant en musique, en his-toire et en géographie. En 1872, après trois nouvellesannées, il achève ses études à l’école normale d’institu-teurs : le voici maître assistant, et chargé d’enseigner letchèque.

Menant de front la double activité de pédagoguemusical et d’instituteur, le jeune homme devient en outrechef de la chorale ouvrière Svatopluk en 1873. Ilaméliore considérablement le niveau de ces amateurscourageux grâce à de multiples répétitions et étend bientôt le répertoire aux œuvres pour chœurs mixtes.Remplaçant à la chapelle de l’église du vieux BrnoKrízkovský nommé maître de chapelle de la cathédraled’Olomouc (Olmütz), il se forge également, à l’image deson grand-père, la réputation d’un excellent organisteimprovisateur, et, pour éviter toute dépendance, refusetout salaire.

Presque sans surprise, il livre la même année, à l’âgepeu précoce de dix-neuf ans, la première compositionqu’on lui connaisse: un chœur pour voixd’hommes, Labourage, nourri de l’influence deKrízkovský et des modèles populaires. Cette partition,comme les suivantes, Les inconstances de l’amour etSeule, sans consolation, de 1874, sera créée par lachorale Svatopluk dans la nouvelle salle de concertBeseda mise à sa disposition. Entre 1873 (l’Orage) et1876 (l’Amour véritable), il écrira huit chœurs masculins,autant de beaux présages.

L’année de ses vingt ans, 1874, lui apporte le diplômede l’école d’instituteurs. Il dispense ses cours d’histoireet de géographie en tchèque, posant des difficultés à sesauditeurs, dont beaucoup ne parlent qu’allemand. Pourenseigner la musique, il doit obtenir un autre titre, et,avec l’encouragement d’Emilian Schulz, directeur de l’école normale d’instituteurs, décide de partir pendantun an étudier à Prague.

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A cette époque, Prague n’offrait que deux lieux possi-bles à qui voulait apprendre la musique : le Conservatoireet l’Ecole d’orgue. C’est cette dernière que choisitJanácek. Etabli dans le quartier de la vieille ville depuis1830, cet établissement affichait un frileux conser-vatisme. Le directeur précédent, Josef Krejcí, ne consi-dérait-il pas Liszt comme un douteux pourvoyeur demusique turque? A son départ, il est remplacé par uncompositeur aux idées plus avancées, FrantišekSkuherský. Brillant élève, Janácek, qui a signé uneFantaisie chorale pour orgue et quelques œuvres instru-mentales, terminera en une seule année les études de l’école qui en comptaient deux. Mais ce fut une périodedifficile, aux poncifs éculés: étudiant provincial, seuldans une petite chambre non chauffée, il trompait la faimet la pauvreté en exerçant ses doigts sur un faux clavierincrusté dans une table. Par bonheur, un bon Père luifournit un peu de nourriture et même un piano pendantcette année qu’il faillit devoir interrompre en raisond’une critique argumentée mais brutale d’un chant gré-gorien de Skuherský. Rigueur ne lui en sera pas tenue, etl’impertinent morave pourra continuer ses activités decritique et de musicien. Il travaille avec application maismontre peu d’intérêt pour le contrepoint et la fugue,5 leurpréférant, déjà, l’étude des modes moraves traditionnels.Il s’en fallut même de peu qu’il n’échoue à l’examend’entrée de l’école d’orgue de Prague pour n’avoir pas surésoudre dans les règles un accord de septième de domi-nante. “Ce petit paysan ne sait rien”, lance le professeurqui l’interroge. Libre penseur, notre musicien ne sait déjàque ce qu’il a envie de savoir...

Studieux mais désargenté, Janácek a peu l’occasion dejouir de la vie culturelle pragoise, mais assiste néanmoinsà la création de deux des mouvements du cycle sym-phonique Ma Patrie (Má Vlast) de Bedrich Smetana:“Vyšehrad” et “Vltava”.6 Bien qu’ému et encouragé parles succès de l’“éveilleur” désormais enlisé dans sa sur-dité, il se démarquera toujours de Smetana qui ressemble

5 Traits quin’apparaîtrontd’ailleurspresque jamaisdans samusique.

6 Le nom alle-mand, Moldau,s’est imposédans le mondeentier.

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trop à Wagner.7 Le seul grand compositeur tchèqueauquel il se référera toujours, sans jamais tenir à sonencontre des propos acerbes dont il ne se montrait pasavare, sera Antonín Dvorák (1841-1904).8 Les deuxhommes se rencontrèrent au cours de cette période, et ladifférence d’âge n’empêcha pas une amitié indéfectible.Janácek fit beaucoup pour la propagation de la musiquede son “idole”, dirigeant ses œuvres chorales et sym-phoniques, en créant même certaines, dont La colombesauvage, poème symphonique, en 1898.

Son année pragoise reste marquée par ses effortsdéployés sur la musique d’église, impliquée dans laRéforme et les canons du mouvement cécilianiste.Toujours avide de savoir, il plie sa spontanéité à cettestricte discipline qui proscrit les intradas fortes et lesinstruments à vents, réduit l’orchestre et prône Lassus etPalestrina plutôt que Bach et Haydn.

De retour à Brno après des vacances bien méritéeschez son oncle à la campagne, Janácek est nommé, en

7 En outre,Smetana étaitun pur produitde la bourgeoi-sie tchèque:éduqué en alle-mand, il n’appritle tchèque quesur le tard, et leparlera toujoursassez mal.

8 Exclusif dansson admiration -rejetant doncSmetana -Janácek disaitpubliquement àqui voulait l’en-tendre: “Dvorákest le seulreprésentant dela musiquetchèque.”(Extrait d’un dis-cours prononcéà Brno en 1882)

Antonín DvorákDR

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août 1876, professeur suppléant à l’école normale d’insti-tuteurs, avant sa titularisation quatre ans plus tard. On luioffre la direction de la chorale Beseda. Il se bat alors pourfonder un orchestre accompagnant les voix, y parvient, ethausse le niveau de l’ensemble jusqu’à pouvoir jouer leRequiem de Mozart, la Missa Solemnis de Beethoven etles œuvres de Dvorák, qu’il introduit ainsi à Brno. Datantde cette même année, son Elégie Chorale est un longpoème désolé, réminiscence de la musique d’église etd’orgue qu’il maîtrisait très bien.

Ses efforts créatifs se diversifient; après un mélo-drame aujourd’hui perdu, La Mort,9 il compose en 1877une Suite pour orchestre à cordes, imitation maladroite dela célèbre Sérénade de Dvorák. Encouragé par le succèsau concert, Janácek se met au travail et achève, dans l’été1878, une Idylle pour orchestre à cordes en sept mouve-ments offrant une plus grande variété de couleurs et derythmes. Hommage affectueux à son maître, elle serajouée en sa présence, accompagnée des Danses Slaves.

En 1879, le jeune homme de vingt-cinq ans a déjàacquis une solide expérience artistique et pédagogiquelorsque survient une chose inattendue pour un amateurd’amourettes: un coup de foudre pour l’une de ses élèvesde piano. Elle n’a que quatorze ans et se trouve être lafille de son directeur d’école, donc de son patron. ZdeòkaSchulzová est le portrait type de la demoiselle bienéduquée, c’est-à-dire germanophone. Mais “le cœur a sesraisons que la raison ne connaît pas”, et Janácek s’apprêteà épouser tout ce qu’il déteste.

Afin de mettre à l’épreuve la solidité de cette inclina-tion, Schulz envoie Janácek à Leipzig y étudier la théoriemusicale. Le musicien-élève arrive en octobre 1879 auConservatoire fondé par Felix Mendelssohn en 1843,mais s’y ennuie et déplore la médiocre qualité de l’en-seignement. Aussi facétieux qu’irrévérencieux, il truffeses devoirs d’harmonie de fautes volontaires que personne

9 Les mélodra-mes répondaientà la mode de l’é-poque. Janáceksuivit probable-ment le modèlede La Fiancéede Messine deZdenì k Fibich(1850-1900);cette perte nesemblerait doncpas très consé-quente.