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PALABRES Mâ-Ntsiéla N’Sondé S.-R. H résil B L’ éritage africain CULTURE & ARTS 2 - Bât Bois et Fundaç Museu Inv. n° © Pho Exposition au Musée Dapper du 22 septembre 2005 au 26 Mars 2006 78 78 L’Arbre à Palabres N° 18 Janvier 2006 Palabres 18 190*254 20/01/06 13:42 Page 78

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Mâ-Ntsiéla N’Sondé S.-R.

HrésilBL’ éritage africain

CULTURE & ARTS 2 - Bâton de danse oxê XangôBois et pigments. H. : 32 cmFundação Joaquim Nabuco,Museu do Homem do Nordeste, RecifeInv. n° 63.2.1© Photo Helder Ferrer.

Exposition au Musée Dapper du 22 septembre 2005 au 26 Mars 2006

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EPUIS la France etdans les différentescouches de sa popula-tion, une image du

Brésil, une de ses représentations,est quasi unanime. Terre de métis-sage par excellence, la populationde cet immense pays est perçuecomme la réalisation même dumétissage culturel, mélange de vieséthiques 1, melting pot pour re-prendre un terme délaissé par ledéfunt rêve américain.

Depuis la France, on ne peutnier cependant les favelas, ces bi-donvilles sordides dont on saitqu’en sont issus depuis toujours enmajeure partie les dieux du foot-ball samba, du roi Pelé à son dau-phin actuel Ronaldhino. Étoilesqui entretiennent les espoirs deshabitants de la brillante misère desfavelas.

Non seulement ferveur popu-laire et dégradé de couleur du noirau blanc, mais aussi mariage dematières, du bois au fer sans ou-blier l’os et la toile, voilà enquelques touches ce qu’il nous est

possible d’admirer dans cette nou-velle exposition du musée Dapperintitulée Brésil, l’héritage africain,depuis le 22 septembre 2005 jus-qu’au 26 Mars 2006.

Cette exposition constitue unepremière en France. En effet, c’estla première fois dans l’hexagonequ’une exposition d’art se donneles moyens d’aborder ce thèmeaussi, face à l’ampleur de la tâche,rien n’a été laissé au hasard :

Ni la nécessité de représenterautant une esthétique du visible(arts plastiques) qu’une esthétiquede l’invisible (musique, symbolis-me). Ni la dimension internatio-nale nécessaire pour rendre comp-te de la parenté et du dialogue in-cessant entre l’Afrique noire sub-saharienne et les Afro-brésiliens de-puis le 15e siècle jusqu’à aujour-d’hui ; entre les religions tradi-tionnelles africaines Yoruba,Fon/Ewe et Kongo-Bantu, et lespratiques religieuses et culturellesdu Brésil contemporain. Aucun deces aspects n’a été négligé. Plus de130 œuvres aux origines diverses,

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DDDD

1 - La vie éthique est la tra-duction du terme allemandDie Sittlichkeit dont la racineDie Sitte désigne ce qui relè-ve de l’ethos, des mœurs ausens large selon J. Hyppolite,l’un des premiers traducteursde G.W F. Hegel. Chez lepenseur allemand ce termedésigne ce qui est le plus in-timement la réalité d’unpeuple, le peuple comme to-talité organisée.

2 - Bâton de danse oxê XangôBois et pigments. H. : 32 cmFundação Joaquim Nabuco,Museu do Homem do Nordeste, RecifeInv. n° 63.2.1© Photo Helder Ferrer.

Brésil, Terre de métissage par excellence, la population de cet immense pays est per-çue comme la réalisation même du métissage culturel, mélange de vies éthiques, mel-ting pot pour reprendre un terme délaissé par le défunt rêve américain.

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liées par la présentation de l’héri-tage africain au Brésil ont été ré-unies et commentées. Le parti prisdu musée, nous semble–t-il, et ilest louable, est de montrer et d’in-former. Entre autres choses, le vi-siteur pourra apprendre que leBrésil fut de par le nombre des es-claves déportés entre le XVe et leXIXe (dans les conditions tra-giques que nous savons) la pre-mière destination de cette noiremarée humaine. Ainsi, environ3 millions d’hommes, de femmeset d’enfants, soit 1/5ème des vic-times de la traite transatlantique,cette traite négrière corrélative ducommerce triangulaire entrel’Afrique, les Amériques etl’Europe, ont accosté au Brésil,principalement dans le Nordeste,région qui comme son nom l’in-dique est géographiquement situéeau Nord-est du pays qui est lapointe la plus à l’Est de toutel’Amérique du Sud… face au lit-toral occidental du continent afri-cain. Ainsi, pour ce qui est de l’hé-ritage africain des descendants dedizaines de millions d’esclaves, onne pouvait pas mieux choisir.

Le Nordeste, la région la pluspauvre du Brésil, région des villesde Recife, Pernambouco et Bahiade tous les Saints, est sans doutecelle qui a le plus inspiré les artistesbrésiliens et étrangers. Le célèbreromancier Jorge Amado 2,

Gilberto Gil, Caetano Veloso 3,João Gilberto 4 et j’en passe, n’ontde cesse de louer le Nordeste com-me symbole de la partie africainede l’héritage culturel brésilien,dont les autres composantes sonteuropéenne et amérindienne.Depuis la France avec GeorgesMoustaki et Bernard Lavilliers, oul’intellectuel Roger Bastide 5, c’estencore la région de San Salvador,Salvador do Bahia qui a le plusinspiré, ou marqué les esprits.

Après avoir signalé la marquedes esprits et des saints de cet hé-ritage depuis le temps de l’esclava-ge jusque à aujourd’hui dans l’artcontemporain brésilien, nousconclurons notre traversée de l’ex-position par une réflexion surl’héritage africain au Brésil dans laperspective conceptuelle de la tec-tonique des peuples, processusque met bien en relief l’évènementqui a lieu au musée Dapper.

La marque des esprits divins et des saints :Si ce sont essentiellement les

parentés avec les zones culturellesafricaines Kongo Ewe/Fon etYorouba qui sont ici représentées,Christiane Falgayrettes-Leveau,commissaire de l’exposition et di-rectrice du musée, ne manque pasde préciser qu’un choix a dû être

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2 -Jorge Amado est né en1912, dans une plantation decacao du sud de l’État deBahia. Il s’enfuit dès 13 ansd’une école religieuse pour tra-vailler dans un journal. En1931, à 19 ans il se rend à Riode Janeiro et publie son pre-mier roman Le pays du carna-val, à 20 ans Cacao, le deuxiè-me, le classe parmi les écri-vains les plus populaires duBrésil. Bahia est le cadre detout un cycle de ses romans. Ilendure la prison et s’exile, àcause de son engagement po-litique, en Argentine, enU.R.S.S. en France…etc. Sonœuvre admirable est traduiteen près de 50 langues. Il estdécédé en 2001.3 - Ce sont deux icônes in-ternationales de la chansonpopulaire brésilienne encoreen activité. Tous deux auteurscompositeurs et interprètesde génie, ils ont souvent col-laboré. Comme J. Amado,eux aussi ont connu l’exil eu-ropéen. 4 - Si le nom ne vous dit rien,vos oreilles ont sans doute dé-jà entendu ces fabuleux mo-ments de jazz bossa dont ilest l’initiateur avec Stan Getzau saxophone et AstrudGilberto, comme dans Thegirl from Ipanema.5 - Il est l’auteur de LesAmériques noires : Les civilisa-tions africaines dans le nouveaumonde, Paris, L’Harmattan,1996.

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effectué mais que le legs cultuelafricain au Brésil ne se limite pas,bien sûr, à ces trois zones.

Prenons par exemple la symbo-lique du blanc : de l’habit rituelaux ornements corporels tracésavec du kaolin, sans oublier lescauris, ce sont autant d’élémentscaractéristiques communs à la plu-part des religions traditionnelles del’Afrique noire ; le blanc évoque lacommunication avec l’Invisible,les esprits des défunts.

Le parti pris de l’exposition estde souligner la parenté entre lescroyances et les cultes, parenté dis-tincte de la conception d’uneidentité, mais tout de même prin-cipe d’un dialogue. Celui-ci est se-lon nous au moins triple : il y ad’abord dialogue au sens de cor-respondance entre les pratiquesreligieuses des communautés afri-caines citées plus haut et les pra-tiques afro-brésiliennes ; ensuiteentre les objets de cultes respec-tifs ; et enfin, entre le visiteur ettoute l’équipe qui a mis au pointl’exposition sous la direction deMme Falgayrettes-Levau. Cetteéquipe comprend des auteurs dontles préoccupations recoupent lethème de l’exposition, c’est le casde Erwan Dianteill (anthropo-logue), Joëlle Busca (historiennede l’art) et Xavier Vatin (ethno-musicologue) ; elle comprendégalement un officiant, en la per-

sonne de Laércio Messias doSacramento dans la mesure où cepratiquant d’un culte afro-brési-lien a effectué pour l’exposition lareconstitution d’un autel vouée àNkossi 6.

La marque des esprits di-vins : Symboles et mondeInvisible. L’entrée dans l’exposi-tion s’effectue par une salle com-posée exclusivement de photos encouleur et en noir et blanc. Tantôtelles sont de véritables photosd’art ; tantôt elles nous montrentla spiritualité telle qu’elle se mani-feste au quotidien dans les villes oules campagnes, en ce sens elles sontdes témoignages :

Dans le premier cas nous avonsretenu la photo de Bauer Sá,Xangô’s Eyes. On peut interpréterle titre de l’œuvre comme signi-fiant le regard de Xangô, divinitécentrale du panthéon Yoruba.Torse nu, les mains jointes au-des-sus de la tête, le personnage par cegeste figure avec ses épaules et sesbras l’ovale de l’orbite d’un œilénorme dont la tête du personna-ge serait l’iris, et la pupille la hachemétallique à double tranchant,symbole de Xangô, divinité pharedu panthéon Yoruba. La chargesymbolique de la photo n’est passans rappeler le regard blanc inhu-main que certaines statuettesKongo anthropomorphes, visibles

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6 - C’est un autel Nkossi, dunom d’une divinité afro-bré-silienne d’origine kongo quiest équivalente à Ógún etGu, dieux de la guerre chezles Yoruba et les Fon. Avec cetexemple, on voit que la cor-respondance ou plutôt la pos-sibilité d’équivalence est uneconstante de l’héritage afri-cain au Brésil.

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dans l’exposition, arborent pourmarquer le lien avec le mondeInvisible, double du monde des vi-vants.

Dans le second cas, nous avonsretenu l’œuvre d’ Adenor Gondim(Bahia). Sa photo est intitulée Fêtede lemba, on voit distinctement,tout habillés de blanc à la façon desYoruba, la procession fervented’hommes et de femmes dont onprécise qu’ils sont du Terreiro deJaùa du père du saint (tata de nkisi).

Par terreiro, on peut entendreplace ou lieu dit ; père du saint estla traduction terme à terme dubrésilien pãe-de-santo 7 et du ki-kongo taata dya nkisi. Nous

reviendrons dans la dernière partiede l’article sur les implications dusens saint attribué ici à nkisi.Notons dès à présent que Lemba,qui est le nom de la fête en l’hon-neur de laquelle la procession esteffectuée, renvoie au moins à deuxréalités en pays Kongo. Jusqu’aumoment de la traite négrière, exis-tait l’ordre du Lemba qui était se-lon le professeur Ngoie-Ngallaune organisation ésotérique, institutsupérieur des sciences morales et re-ligieuses, de sciences tout court : bio-logie, médecine, histoire, géogra-phie, droit, astrologie 8. C’est aussiaujourd’hui encore en médecinetraditionnelle Kongo le nom

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7 - Mãe-de-santo et pãe-de-san-to : prêtres des offices (…) (ma-cumbas) de la religion noire.Ces prêtres sont indifféremmentdes femmes, mãe-de-santo, oudes hommes, pãe-de-santo, c’est-à-dire exactement mère ou pè-re-du-saint Amado Jorge,Capitaine des Sables trad. etnote Vanina, Gallimard,1952, note 2 p. 32.8 - Ngoie-Ngalla Dominique,Les Sociétés et les Civilisations dela Vallée du Niari dans le com-plexe ethnique Koongo, Paris I,thèse d’État, 1989, p. 417.

13 - Xangô’s EyesPhoto Bauer Sá, 1992 © Bauer Sá.

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d’une plante, Lelemba 9 , entrantdans la composition de filtres pourtraiter les cas de folie ou troublescomportementaux apparentés. Ilest d’ailleurs du ressort des pèreset mères-du-saint et en général desofficiants des cultes afro-brésiliens,de préparer au besoin des méde-cines à l’endroit de ceux qui lesconsultent.

Un des nombreux commen-taires informatifs dans l’expositionelle-même nous précise qu’il n’estpas rare aujourd’hui que les chefsspirituels des cultes afro-brésiliensaillent en pèlerinage en Afrique,pour compléter leur connaissance.Dans l’autre sens, nous voulonsajouter qu’il est absolument né-cessaire, pour les Africains eux-mêmes et pour les africanistessoucieux de réfléchir sur les reli-gions traditionnelles africainestelles qu’elles ont évolué depuisl’époque de la traite, de prendre enconsidération les cultes afro-brési-liens qui sont à ce titre plus qu’unhéritage, un témoignage.

Au premier stade de l’exposi-tion les différents niveaux de dia-logue et de correspondance met-tent l’accent sur le fait que l’héri-tage africain au Brésil porte lamarque d’une spiritualité dans la-quelle le monde invisible est om-niprésent. Est soulignée l’impor-tance des pères et mères-du-saint,comme intercesseurs entre les

mondes Visible et Invisible ; ain-si que le rôle des statuettes, autels,et des objets cultuels et rituels quimontrent bien l’évidence des rap-ports non seulement esthétiquesmais aussi fonctionnels entre lesœuvres. Il suffit de regarder atten-tivement le bâton de danse ci-des-sous provenant du Nigéria doncde l’aire culturelle Yoruba, celuiqui inaugure notre article, prove-nant du Brésil, pour s’en rendrecompte.

La marque des saints : Saintsnoirs et saints des noirs. Nuln’est besoin de revenir longuementsur le rôle actif et paradoxal du chris-tianisme dans l’origine de la traitedes noirs, pendant son déroulementet même jusqu’aujourd’hui.

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9 - Lelemba, famille :Acanthaceae, nom scienti-fique : Brillantaisia patula,Kouzilat Alain, Initiation auxespaces kundu, édition ICES,2001, p.74.

1 - YorubaNigeriaBâton de danse osheShangoBois et pigments. H. : 51 cmAncienne collectionCharles RattonMusée Dapper, ParisInv. n° 0021. © Archives Musée Dapperphoto Hughes Dubois.

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À l’origine, il y a deux textesthéologico-politiques, la bulleRomanus pontifex du 8 janvier1454, et son complément, la bulleIntercaetera du pape Alexandre VIdatant du 4 mai 1494 qui divisentle monde dit païen en zones d’in-fluences sous autorité des deux puis-sances de la péninsule ibérique :L’Espagne et le Portugal. Ces textes,conjugués à une problématique dutype de celle de la controverse deValladolid 10 au XVIe siècle, ont per-mis de présenter comme philan-thropie ou mission civilisatrice l’es-clavage des noirs, et de poser l’équa-tion suivante : il vaut mieux être es-clave baptisé, donc chrétien et en ce-la connaître le salut éternel, plutôtque libre sous l’empire du diable, dupaganisme. Ainsi étaient conçues lesreligions traditionnelles africainesdans leur ensemble.

Pendant la traite, il y a à côté desconversions forcées et superficielles,des cas où le baptême est réalisé vo-lontairement : le 4 mai 1491, jourde Pâques est la date du baptême dusouverain kongo Nzinga-A-Nkuwu(celui-ci s’appellera désormais Joao1er), et de quelques notables de sonroyaume. Son fils Nzinga-A-Mbemba est baptisé un mois plustard, son nom devient Afonso 1er.Il reste dans l’histoire comme le pre-mier roi kongo chrétien, celui dontle règne connaîtra le premier évêquenoir de l’Afrique subsaharienne.

Le fait de souligner comment, enamont, il y a déjà une sympathieavec le christianisme permet decomprendre la présence dans l’ex-position de symboles et d’objets deculte chrétiens provenant notam-ment de l’aire culturelle kongo.C’est le cas de deux crucifix excep-tionnels représentant pour le pre-mier une femme noire crucifiée, etpour le second, un christ noir.

Voilà une première raison expli-quant pourquoi à côté des autelsafro-brésiliens voués aux saints desnoirs comme Xangô, Nkossi ouYémanja 11, il y a des oratoires (pho-to 8) et même des saints noirs com-me sainte Iphigénie ou saint Benoît.

La deuxième raison est sansdoute le fait que par une ironie de

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8 - Région : Minas Gerais - Oratoire afro-brésilien - Bois poly-chrome. H. : 61,5 cm - XIXe siècle - Instituto Cultural FlávioGutierrez, Museu do Oratório, Ouro Preto, Minas GeraisInv. n° AG 96.052/O - © Photo Miguel Aun.

10 - Compte-rendu du pro-cès historique opposantBartolomé de las Casas, dé-fenseur des Amérindiens, etles autorités ecclésiastiques deson temps. Il s’agit de tran-cher la question de savoir siles amérindiens ont une âmeou s’ils sont infra-humains.Une des conclusions de lacontroverse fut l’établisse-ment à grande échelle, avec labénédiction de la chrétienté,de la traite des noirs, pourleur salut.11 - Iémanja : reine et prin-cesse de la mer, princessed’Aioca -patrie du bonheur etde la liberté. Cette déesse de lareligion noire, c’est aussi Notredame de la mer, reine de latempête et du vent, à laquelleappartient la vie des marins etcelle des pêcheurs qui luivouent un culte fervent. Déesseafro-brésilienne qui porte aus-si, par syncrétisme, le nomchrétien de Marie. AmadoJorge, Op. Cit. trad et notepar Vanina, (note 1 p. 73).

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l’histoire comme il arrive parfois,les esclaves et leurs descendantsont su restaurer la dimensionémancipatrice contenue dans lesEcritures et certains de ses sym-boles pour secouer le joug qui étaitle leur. Ainsi nous semble justifiéela distinction entre saints noirscomme saint Benoît et saints desnoirs comme Yémanja qui se sub-stitue parfois dans les cultes afro-brésiliens à la sainte Marie.

Un des commentaires de l’ex-position affirme qu’avec la déesse

noire des eaux et du fait de leurhistoire L’océan a pris un sens exis-tentiel pour les esclaves. Sans doutemême s’il nous semble que déjà,en tous cas dans la vie éthiquekongo, l’océan en tant que de-meure de Mamiwata (déforma-tion de l’anglais mummy water),mère des eaux avait dans sa termi-nologie en kikongo de nzadi-ka-lunga littéralement fleuve infini, unsens existentiel.

L’héritage africain dans le Brésil contemporain :L’exposition s’ouvre en premiè-

re salle par des photographies etune certaine contemporanéité pro-pice pour que le visiteur se laisseguider dans les méandres de cesHistoires qui se sont croisées depart et d’autre des territoires quibordent l’océan Atlantique.

Une inscription dans le quo-tidien. Dans la salle principalebaignée par un énigmatique clair-obscur, deux éléments frappentl’ouïe et la vue, au dessus de toutesles têtes et des œuvres, un écranfait alterner sur un rythme de per-cussions lancinantes des images duBrésil d’hier, et de celui d’aujour-d’hui où les symboles propres del’héritage africain se révèlent, se ré-pondent. Il faut saluer l’innovation

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7 - Statue de saint Benoît avec des fleursBois polychrome et doré. H. : 82 cmMuseu de Arte Sacra da Universidade Federal da Bahia,Salvador - Inv. n° 721-MAS - © Photo Adenor Gondim.

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faite ici, cette discrète installationcomme les photos ramène le visi-teur ici et maintenant, dans une ac-tualité de cette transmission de-puis l’Afrique jusqu’au Brésil dontil est le témoin.

Quand on revient à la lumièrequelques instants plus loin, afind’aider les novices en géographieafricaine, une seconde installationprésente tour à tour les zones cul-turelles Yoruba (Nigéria, Bénin),Fon/Ewe (Bénin,Togo) et Kongo(Rép. Dém. du Congo, Congo etAngola), les États modernes aux-quelles elles correspondent et lesrégions brésiliennes d’où provien-nent certaines œuvres exposées.

Ces deux installations opèrentune correspondance, principale-ment entre deux types d’objets enmétal, le métal froid et sombre queconstituent les entraves des es-claves et le métal précieux, brillant,les couronnes, boucles d’oreilles etbracelets dont les tracés symbo-liques évoquent encore l’héritageafricain.

La marque de l’héritage afri-cain dans l’art contemporain.Enfin, quelques artistes nous li-vrent leurs visions, leurs pressenti-ments à travers des œuvres toutesplus expressives les unes que lesautres.

Une des œuvres modernes lesplus impressionnantes est une sta-

tue d’au moins 1m50 en os debœufs représentant Exú, dieu ma-lin, figure de proue du panthéonYoruba. Comme il est anthropo-morphe et possède parmi ses at-tributs la tête de bouc, il fut rapi-dement assimilé au diable desÉcritures. Cependant les afro-bré-siliens n’ont jamais oublié qui il estvraiment, voilà pourquoi comme

la haute sta-tue en os deC h i c oAugusto, ilslui rendenth o m m a g eau quotidienen lui of-frant, discrè-te libation,la premièregorgée decachaça 12.

Sur lemodèle dutravail pho-tographiquede Bauer Sá

que nous avons commenté plushaut, mais poussant réellement àson paroxysme l’abstraction sym-bolique, Jorge dos Anjos livre uneénigmatique sculpture en fer oùon reconnaît tout de même dis-tinctement le symbole de Xangô.L’artiste n’a même pas pris la pei-ne de le nommer, son œuvre n’aaucun titre.

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6 - StatuetteFon Bénin

Figure bocioBois, fer et pigments.

H. : 48,5 cmAcquise en 1930Inv. n° 012.874

© Musée d’ethnographie,Genève

photo M. Johnathan Watts.

12 - Eau-de-vie de mélasse.

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Pour boucler la boucle,Cyprien Tokoudagba, artiste béni-nois, est à l’honneur. Autour de sestoiles, profusion d’instrumentsafricains et afro-brésiliens dont laparenté ne fait plus aucun doute.Dans sa toile, il y a la musique,avec ce qui semble être une clochemétallique, et il y a l’Invisible, cet-te correspondance muette quis’opère sous nos yeux entre toutesces symboliques de formes, decouleurs, langage qui résiste à l’in-telligence non initiée.

L’héritage africain au Brésil, archétype du processus de la tectonique des peuples.La constitution de cet héritage,

nous pouvons l’appréhender, en

rendre compte plus généralementpar le concept que nous appelonsla tectonique des peuples. Si le ter-me de tectonique doit être consi-déré, quand il est appliqué auxplaques, comme un abus de lan-gage 13, comme il est parlant etmarque les esprits, nous voulonsmontrer comment il peut être ap-pliqué aux peuples et civilisationsqui constituent le melting pot bré-silien :

Tectonique : Mécanisme d’ac-quisition des déformations (...)Études des déformations 14.

Pour ne pas perdre la dimen-sion humaine et positive de notretravail, nous ne parlerons pas dedé/formation, mais de trans/for-mation. La tectonique, du grectektôn, qui signifie construire, apour but de :

...définir sur le plan géomé-

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13 - Le terme tectonique em-ployé au sujet de la constructionplaquiste est sans nul doute unabus de langage promotionnelC. Allègre, L’écume de la ter-re, Paris, 1983, p. 217.14 - Le petit Robert, diction-naire de la langue française.

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14 - BéninCyprien Tokoudagba (1939)Zangbéto-Legba, 1990Acrylique sur toile. 143 x 226 cmCAAC, The PigozziCollection, Genève© Cyprien TokoudagbaCAAC, The PigozziCollection, GenèvePhoto Claude Postel.

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trique (géographique) et sur leplan chronologique, les rapportsoriginels (culturels), dits nor-maux (originaux), des rochesentre elles (des peuples entreeux)15.

La tectonique des peuplespeut permettre d’éclairer lestransformations du sens ou de lavaleur d’éléments de la vieéthique. Nous avons vus que lestermes mãe et pãe-de-santo dési-gnent les mères et pères du saint,officiants des cultes afro-brési-liens. Le terme africain qui a ététraduit pas saint est nkisi 16, c’est

un terme encore utilisé dans lalangue kongo courante, c’est au-tant l’insigne du sacré que lenom de la statuette que l’offi-ciant kongo utilisait jadis com-me objet de culte. Malheu-reu-sement il est trop souvent traduitpar fétiche.

Dans les rapports entre la vieéthique des portugais chrétienset la vie éthique kongo entre lesXVe et XXe siècles, comme cesrapports culturels se sont effec-tués dans la durée aussi bien enAfrique centrale qu’en Amériquedu sud, en l’occurrence au Brésil,le sens de la valeur d’un termecomme nkisi a suivi des évolu-tions différentes. Grâce à un ca-téchisme de 1624, La doctrinechrétienne du Padre Cardoso 17,nous savons que le terme nkisiencore en odeur de sainteté auXVIIe siècle comme dans lescultes afro-brésiliens actuelle-ment était traduit par divinité,non par fétiche. Ce terme déva-lorisant provient sans doute duportugais feitiço venant du latinfacticius, artificiel. À la suite decette exposition, force est deconstater que l’héritage africainau Brésil est loin d’être artificiel,et quand il touche la sphère re-ligieuse, il n’a pas donné lieu àune foi d’artifice. q

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12 - Kongo - République démocratique du CongoStatuette nkisi - Bois, tissu, peau, métal, coquillages, plumes, verre,matières composites, fibres et pigments H. : 38 cm - Musée Dapper,Paris Inv. n° 0004 © Musée Dapper- photo Hughes Dubois.

15 Encyclopedia Universalis,Vol. 20, p.157.16 - n’kisi ou mukisi : objetmagico-religieux comportantune force invisible, fétiche,statuette, Nsondé Jean deDieu, Parlons Kikôngo,L’Harmattan, 1999.17 - F. Bontinck, Le catéchis-me kikongo de 1624 ou la doc-trine chrétienne du P. Cardoso,Académie Royale desSciences d’Outre-mer, Classedes Sciences Morales etPolitiques, Brxelles, 1978.

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