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No 2 avril 2008 Ces différences venues d’ailleurs...

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La double différence ou les enjeux (et les difficultés) liés à la survenue d’un handicap dans un pays et une culture d’adoption…

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No 2 avril 2008

Ces différences venues d’ailleurs...

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Impressum Pages romandes Revue d’information sur le handicap mental et la pédago-gie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de l’Espérance, 1163 Etoy

Conseil de FondationPrésident : Charles-Edouard Bagnoud

Rédactrice et directrice de revueSecrétariat, réception des annonces et abonnementsMarie-Paule ZuffereyAvenue Général-Guisan 19CH - 3960 SierreTél. +41 (0)79 342 32 38Fax +41 (0)27 456 37 75E-mail: [email protected]

Comité de rédactionMembres: Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga, Olivier Sala-min, Valérie Melloul, Eliane Jubin Marquis, Laurie Josserand, Sébastien Delage, Marie-Paule ZuffereyResponsable de publication: Charles-Edouard Bagnoud

Parution: 5 numéros par anMi-février, mi-avril, mi-juin, mi-septembre, début décembre

Tirage minimal: 800 exemplaires

Abonnement annuelSuisse Fr. 45.--AVS, étudiants Fr. 38.--Abonnement de soutien Fr. 70.--Etranger Euros 35.--

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Délai d’insertion2 semaines avant parution

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GraphismeClaude Darbellay, www.saprim.ch

Mise en pageMarie-Paule Zufferey

ImpressionEspace Grafic, Fondation Eben-Hézer, 1000 Lausanne 12

Crédits photographiques et illustrationsAppartenances-Lausanne, CPHV-Lausanne, Robert Hofer, Fotolia, Reportage «Costa Rica» Dominique Sauzet

Photos de couverture: Appartenances, Lausanne

N.d.l.r.: Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. La présentation, les titres et les intertitres sont de la rédaction.La reproduction des textes parus dans Pages romandes est souhaitée, sous réserve de la mention de leur source.

©Pages romandes

Sommaire

Dossier: Ces différences venues d’ailleurs... 2 Tribune libre Rencontre avec Amilcar Ciola

3 Editorial Marie-Paule Zufferey

4 La double différence, enjeux et réalités Interview de François Fleury

6 La surreprésentation des élèves migrants dans les structures de l’enseignement spécialisé

Olivier Delévaux

8 Le bilan de compétences scolaires établi en langue d’origine

Mary-Claude Wenker

10 Dépasser les critères culturels Françoise Pitteloud

11 L’accompagnement Mère-Enfant Olivier Delévaux et Stéphane Germanier

12 L’histoire d’Ali Isabelle Mathis

14 Cap «Costa Rica» ou le Rêve Eternel du retour Dominique Sauzet

16 Impact de la migration sur l’accepta-tion familiale du handicap de l’enfant Geneviève Piérart

18 Un espace où se former sur les questions de migration Marie-Paule Zufferey

19 Les troubles psychiques chez les personnes polyhandicapées Sara Heer

22 «Différent et Compétent en Bretagne» Journée d’étude ARPIH

Marie-Paule Zufferey

23 L’année SGIPA, le cinquantenaire Marie-Paule Zufferey

24 Sélection Loïc Diacon

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Tribune libre

«Entre les racines originaires à nourrir et à protéger, et les ailes du devenir à déployer, loin dans la terre de l’exil, se situe le destin à apprivoiser des familles migrantes, des couples mixtes, des familles adoptives et peut-être aussi de tout être humain, dans la mouvance et l’incertitude de l’existence». Ainsi com-mence la présentation d’un cours sur les migrations¹ donné par Amilcar Ciola² à l’Université de Lausanne. Venu lui-même d’ailleurs il y a des années, ce psychiatre aux allures de poète latino file volontiers la métaphore pour parler du vécu migra-toire. Celle de l’individu «assis entre deux chaises» est sa préférée, non comme une illustration de l’inconfort, de l’ambivalence ou de l’ambi-guïté liés à la situation, mais comme une chance de pou-voir appréhender deux mon-des à la fois. La perception de cet «entre deux», Amilcar Ciola la situe à différents niveaux.

Entre deux languesLa langue ou les langues parlées avant la migration ne sont généralement pas celles du pays d’accueil et se révèlent inopérantes dans ce nouveau contexte. La re-lation à ce nouveau mode d’expression est accompa-gnée de sentiments ambiva-lents et difficiles à maîtriser. Il s’agira pour le migrant d’évoluer vers d’autres ré-férences langagières qui in-duisent l’adoption d’autres comportements que ceux de sa culture d’origine, avec

tout ce que cela comporte de conflits intérieurs potentiels. Cette langue qu’il va parler, plus ou moins bien, ne sera pourtant jamais la sienne.

Entre deux tempsLe vécu du temps présent est constamment accompagné par le cortège des émotions reliées au temps passé, ainsi que les doutes et les incer-titudes concernant l’avenir. Des sentiments de joie et de souffrance, d’accomplis-sement et de perte, de sou-mission et de liberté s’entre-croisent et se déplacent du passé au présent et du pré-sent au passé, en attendant l’avenir. Les trois temps de l’existence s’interpénètrent et deviennent indissociables à travers leur représentation par les grands-parents, les parents et les enfants; dans le processus de migration, au moins trois générations sont concernées…

Entre l’aller et le retour Le migrant est émotionnel-lement toujours en voyage, dans un incessant va-et-vient. D’une façon ou d’une autre, le projet de migration est lié au projet du retour. Le séjour, imaginé comme transitoire, est potentielle-ment définitif. Le projet de retour, considéré comme un mythe utile et nécessaire, constitue un puissant or-ganisateur familial. Cette organisation se construit à travers le mélange, la com-binaison, l’assemblage du définitif et du transitoire dans un espace temporel qui devient transitoirement

définitif ou définitivement transitoire.

Entre la gratification et la blessureLa réussite dans le pays d’ac-cueil peut être tour à tour gratification et blessure: le succès peut être vécu comme un échec et s’accompagner de sentiments d’insatisfac-tion, de révolte, et avoir des résonnances de revers. La famille d’origine glane cer-tains échos de la réussite, quelquefois des bénéfices, mais elle ne les partage pas au quotidien. De plus, le mi-grant n’a pas réussi grâce à la reconnaissance et au soutien direct des siens.

Entre l’échec et la réussiteAu niveau individuel, les comportements d’échec (sco-laire, social, professionnel) peuvent être compris com-me des réussites au niveau des sentiments de loyauté et d’appartenance.

Entre le droit et le devoirL’individu et/ou la famille migrant-e ont le droit de s’épanouir dans leur nou-veau contexte. Parallèle-ment, ils ont le devoir de ne pas oublier la famille et le pays d’origine. Le fait de bien vivre la migration peut être considéré comme un de-voir: c’est la justification de la dislocation de la famille. En revanche, le fait de pen-ser et de prendre soin de la famille et du pays d’origine est constamment revendiqué comme un droit face à la société d’accueil. Pour tou-te chose, le devoir devient

droit, et le droit devient devoir.

Entre la malédiction et la bé-nédiction de l’argent gagnéL’argent gagné est une source de fierté, la justification de l’effort, le gage de la loyauté, le pouvoir d’acquérir, la pos-sibilité de partir et l’espoir de liberté. Il occasionne ce-pendant une blessure nar-cissique provoquée par une multitude de sentiments d’étrangeté, d’injustice face à l’impossibilité de le ga-gner chez soi et l’obligation d’être ailleurs. «Maudit soit cet argent béni que je gagne» pourrait être la formulation littéraire de ces sentiments ambivalents en relation à l’argent.Amilcar Ciola appelle «unité combinatoire» le concept théorique qui sous-tend cette métaphore d’être «en-tre deux» de façon inventive et non handicapante. «Etre assis entre deux chaises est une bonne façon d’être as-sis», conclut le psychiatre, à condition de ne pas se lais-ser écarteler par des choix impossibles. La richesse de la situation dépend de la ca-pacité de l’individu à pren-dre sa place et dans la société d’origine et dans la société d’accueil…

Ce texte est écrit sur la base d’un article d’Amilcar Ciola, préface de l’ouvrage «Approche transculturelle des troubles de la communication» de Francine Rosenbaum¹Migrations et interventions psychologi-ques, Unil, Lausanne²Amilcar Ciola, est médecin spécialiste en psychiatrie, psychothérapeute et enseignant, collaborateur au CEF, au CERFASY, à l’Association Appartenances, enseignant à l’IMPER, président de l’Association suisse de thérapie familiale.

Le vécu migratoire ou la métaphore de «l’entre deux»Rencontre avec Amilcar Ciola, psychiatre et psychothérapeute, LausanneMarie-Paule Zufferey, rédactrice

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Edito

Différent et d’une autre culture Marie-Paule Zufferey, rédactrice

«Si on me demandait: qu’est-ce que la culture? Je répondrais sans hésiter: c’est le sens de l’autre. Qui, en fait, est anté-cédent à toute culture; lui sert de fon-dement, à la fois, et de visée». Cette ré-flexion de Georges Haldas me revient en mémoire au moment de poser le thème de la migration doublée de handicap. «Je m’explique, poursuit l’écrivain, le grain, au départ, n’est-il pas étranger à la terre où on le dépose, et qu’il féconde? Faisant de celle-ci une terre cultivée. De même, entre sens de l’autre et culture». Cette analogie, qui nous ramène à la ter-re, nous plonge également au cœur de la question soulevée dans ce dossier. Notre pays est-il cette «terre cultivée» où peuvent vivre et s’épanouir ces différences venues d’ailleurs? Notre objectif n’est pas d’analyser le sys-tème structurel suisse d’accueil des po-pulations migrantes, mais bien de don-ner la parole aux personnes directement concernées par la problématique: celles chargées de l’accueil et celles qui vivent de l’intérieur ces situations de double différence... Du côté des professionnel-le-s, le message est clair. Si la connaissance des représen-tations du handicap dans les différentes cultures est nécessaire à l’exercice du mé-tier d’accueil, il s’agit de ne pas céder au danger du culturalisme. Le parcours migra-toire, analyse la chercheuse Geneviève Pié-rart, est plus intéressant à interroger que la seule origine des familles. Une conclusion qui vient faire écho à l’appel au dialogue lancé par François Fleury dans l’article d’introduction. Cet éloge de l’échange in-terculturel nous permet de rappeler (aux politiques qui nous lisent?) que la com-munication a un coût, en termes de temps, en nombre et en qualité d’outils mis à disposition de l’école et des institutions.Dans les vies des personnes migrantes

s’égrènent d’autres défis à relever. Il y a d’abord ce cortège d’«entre deux» qu’iden-tifie Amilcar Ciola dans la tribune libre et auxquels il faut constamment faire face. Et puis il y a cette nostalgie, qui devient peu à peu constitutive d’une identité déjà fra-gilisée. La présence ou la survenue d’un han-dicap vient souvent ajouter du désarroi dans la vie de ces familles aux trajectoi-res déjà tissées d’incertitudes. Privées du soutien de la famille élargie, les person-nes migrantes doivent faire face, plus que d’autres encore, à des questions d’ordre pratique. Alors survient quelquefois, selon Amilcar Ciola, cette troublante interrogation, sorte de pensée magique né-gative: «Et si j’étais resté chez moi...?» L’en-vie de retourner au pays reste souvent très présente au cœur des familles migrantes, même si le handicap d’un enfant ou son placement en institution vient empêcher la réalisation de ce projet. L’étude menée par Geneviève Piérart mon-tre également que les conditions socio-éco-nomiques, ainsi que le statut juridique ont plus d’impact que les postures culturelles sur l’adaptation des familles au handicap d’un enfant. Elle en conclut que «même s’il n’est pas toujours possible d’agir sur les dif-ficultés d’ordre structurel que rencontrent ces familles, les identifier peut aider à évi-ter la cristallisation sur les divergences de représentations».Nous vivons dans un monde où la migra-tion est de plus en plus massive. Nous ne pourrons pas très longtemps faire l’éco-nomie du questionnement auquel nous renvoient ces familles venues d’ailleurs... Questionnement sur notre école et son mandat, sur le fonctionnement de nos ins-titutions, sur notre perception du handicap et de la différence et pourquoi pas, sur no-tre sens de l’autre...

Quand la maladie fait prendre racine

Tandis que les remous de la déclaration d’indépendance de son pays agitent les Bal-kans et la communauté inter-nationale, Enver Asllanaj fait le point sur la situation de sa famille. Originaire du Kosovo, ce licencié en lettres albanaises arrive en Suisse en 1991 avec sa femme et sa fille âgée de 3 ans et demi. Il a 30 ans et l’espoir de pouvoir retourner très vite au pays. Quelques mois plus tard naît Ilir; l’enfant présente des problèmes de santé et l’on diagnostique bientôt la mucoviscidose. Les symp-tômes de la maladie ne sont pas inconnus des Asllanaj; le couple a en effet déjà perdu un bébé âgé de onze mois, sans qu’un nom ait jamais été mis sur les causes de son dé-cès. Or, les similitudes entre les deux cas sont troublantes. Aujourd’hui, la famille compte trois adolescents. En 2007, elle obtient la natio-nalité suisse. Si les jeunes se sentent parfaitement intégrés dans leur communauté d’ac-cueil, les parents eux, ont la nostalgie chevillée au cœur. «Notre rêve est de pouvoir continuer un bout de vie dans notre pays». Oui mais voilà... La maladie d’Ilir est venue dès le départ compli-quer ce projet de retour. A la fin de la guerre, en 1999, bien des Kosovars sont placés devant cette alternative: rester ou repartir... «Ren-trer, mais où?» se demande Enver Asslanaj... «Nous ne sommes plus les mêmes». S’ajoute à ce douloureux constat de déracinement, le fait de savoir qu’il ne sera pas possible, dans ce pays en pleine reconstruction, d’offrir à Ilir les traitements et les médicaments dont il a besoin pour vivre.Reste tout de même l’espoir qu’un jour, peut-être...

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La double différence, enjeux et réalitésFrançois Fleury, ethno-thérapeute, YverdonInterview réalisée par Marie-Paule Zufferey, rédactrice

On évoque souvent les différences qui existent entre les cultures, dans les manières d’appré-hender le handicap. A l’inverse, y a-t-il cer-tains comportements qui soient communs à tous les humains?

Que ce soit ici ou ailleurs, naître dans la dif-férence a toujours questionné l’humanité. Et quand je dis l’humanité, je devrais dire d’abord les parents, «responsables» d’avoir in-troduit dans le «vivant» cet être «pas comme les autres». Cela nous renvoie à la notion bien connue de la culpabilité des mères qui doi-vent assumer le fait que cette «erreur» a été produite à l’intérieur d’elles. Le questionne-ment originel se situe donc dans le «comment elles vont entreprendre leur relation à cet en-fant né différent». A ce stade, on identifie gé-néralement deux postures: le fatalisme (c’est Dieu qui l’a voulu, acceptation de ce qui est) et l’agressivité (pourquoi moi ?). On peut dire de ces réactions «premières» qu’elles sont uni-verselles. Les interprétations diffèrent à partir de là, notamment dans la manière dont telle société se donne le droit d’intégrer le vivant dans son système. Cela veut dire que face à la différence, chaque société doit réintroduire des liens pour que ce vivant puisse vivre, si-non il va mourir…

Y a-t-il des cultures qui ont opté pour le «laisser mourir»?

Non, mais il y a eu quelques pratiques connues dans ce sens-là. Cela dit, généralement, les so-ciétés vont plutôt chercher les moyens d’inté-grer l’étrangeté. Un exemple: accueillir des ju-meaux en Afrique de l’Ouest pose le problème, non de la différence, mais de la ressemblance. Ces semblables, qui nous font reconnaître dif-férents provoquent par leur similitude, une remise en question à la fois dynamique et dan-gereuse du vivant. D’où la mise en place d’une série de cérémonies ou de reconnaissances, sor-tes de rituels d’inclusion, au cours desquels on réintroduit ces enfants dans la société des hom-mes, à travers quelque chose qui s’apparente à une deuxième naissance. Il en va de même lorsqu’il s’agit de handicap. Quand un enfant naît différent dans la société des hommes, on

est presque obligé de faire les comptes avec cette agressivité, donc de produire un certain nombre de rituels qui permettent de le faire entrer dans le système.

Les conditions dans lesquelles se déroule la naissance ont-elles une influence sur l’accueil d’un enfant avec un handicap?

Avec les progrès de la médecine, notre société moderne a oublié cette plaie de l’humanité qu’a été, durant des siècles, la mortalité in-fantile. La surmédicalisation de la naissance fait qu’aujourd’hui, on évacue (au maximum) tout ce qui peut être dangereux pour le bébé à venir. Dans ces conditions, les enfants qui naissent différents, chez nous, sont d’emblée reconnus comme des «vivants» alors qu’autre-fois, ils faisaient partie des «survivants», ce qui est encore le cas dans certains pays. Cet enfant né différent - mais capable de survivre par lui-même à sa fragilité - est dès lors perçu comme un être habité par une force venue d’ailleurs; ce qui inquiète le groupe d’accueil (famille, société). Face à cet événement, on identifie deux types de comportements: l’hy-per acceptation ou la peur. Certaines cultures magnifient le côté «dangerosité» de ces êtres chargés d’étrangeté et porteurs d’une force qui les dépasse. Les réponses se cherchent alors (souvent) dans un commerce entre Dieu et les hommes.

L’ampleur des mouvements migratoires actuels fait que le nombre de cultures en présence est toujours plus important. Comment travailler avec cette diversité d’approches?

Le problème des familles dont nous parlons est provoqué par une double différence: ap-partenance à une autre culture et appartenance au monde du handicap. Le professionnel qui se trouve face à ces situations doit savoir que souvent, la première différence amplifie très sérieusement ce qui n’a pas été résolu dans la deuxième. Pour entreprendre un travail perti-nent, il faut donc d’abord entrer en commu-nication avec ces familles, questionner leur univers, leur culture, leur histoire, leur savoir-faire. Tenir compte des solutions inventées par

Face à la survenue d’un handicap, avant d’adop-ter les comportements dictés par sa culture, toute personne passe par une phase de questionnement intime. Ce vécu originel, partagé par tous les êtres humains est peut-être l’une des clés utiles à l’ouverture d’un dialogue avec les parents migrants d’enfants handicapés; de ce dialogue vrai dont François Fleury nous dit qu’il est la base indis-pensable de tout acte d’accompagnement.

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les parents étrangers d’un enfant handicapé, c’est reconnaître leur capacité à faire face à toute cette différence; et cela per-met d’ouvrir un espace où échanger, plus en profondeur, sur le «comment ils résistent à cette colère originelle contre les dieux», question qui n’a peut-être encore jamais été abordée…

Se pose alors le problème de la diversité des langues…

Avec les enfants d’origine étrangère et avec leurs familles, il est impératif de travailler avec un-e interprète. Peu importe si l’un des membres de l’entourage a une certaine autonomie avec la langue du pays d’accueil. Pour pouvoir vraiment communiquer, il faut avoir recours à quelqu’un de formé, capable d’apporter une aide dans une sorte de médiation. L’interprète profession-nel peut en effet valider un certain nombre de choses dites par la famille comme appartenant, non pas à ces personnes, mais à leur groupe d’origine. Cette interface est nécessaire pour ques-tionner sans tabous traditions et rituels, mais aussi pour trouver des solutions en utilisant les ressources des réseaux profession-nels et communautaires.

Ceci appelle inévitablement la question des moyens financiers?

Il s’agit d’une question d’organisation du système. Pour l’ins-tant en effet, presque rien n’est prévu pour l’interprétariat dans nos institutions. Lorsqu’on aura compris que cela fait partie des outils nécessaires pour le travail avec les familles migrantes de personnes handicapées, ces postes seront prévus au budget et cela ne posera plus de problèmes. C’est un changement his-torique, mais finalement pas plus que l’arrivée des ordinateurs ou des chaises roulantes, sinon d’affirmer la nécessité d’une co-construction. Comme toujours, si l’on veut un travail de qualité, il s’agit de s’en donner les moyens. Ces différences à prendre en compte nous permettent en outre d’explorer nos limites institutionnelles. Un exemple: la séance de thérapie qui dure 45 minutes, sera peut-être à prévoir dans un temps d’une heure et demie, pour une rencontre avec une famille et un interprète…

Y a-t-il des situations où le modèle culturel des familles migran-tes est incompatible avec nos modes de prise en charge des per-sonnes handicapées?

Il y en a beaucoup! Mais souvent, nous proposons des solutions paresseuses à des problèmes complexes… Nous avons construit, depuis des années, des cadres institutionnels pour accueillir des enfants différents; ce sont nos «routines». Lorsque quelqu’un n’entre pas dans cet itinéraire, cela énerve la communauté des thérapeutes. Personne n’aime être «dérouté». Pourtant, il s’agi-rait justement de prendre en compte une autre différence… En cela, il vaudrait la peine d’aller chercher si cette différence nous amène dans ce qu’on pourrait appeler une pathologie du sys-tème ou s’il s’agit d’un malentendu qui ramène aux questions de l’interculturalité; est-ce qu’on a vraiment entendu ce que les gens voulaient nous dire, et est-ce qu’ils nous ont compris? Lorsqu’on travaille dans nos milieux professionnels, on a des raccourcis terribles, des raccourcis de cent ans d’expériences qui nous permettent d’aller exactement au point où on veut aller, sans trop de détours par l’écoute de l’autre. Or ces personnes venant d’ailleurs ont besoin d’être amenées à comprendre nos fonctionnements (comme nous avons besoin de comprendre les

leurs). L’institutionnalisation d’un enfant handicapé peut être vécue, dans certaines cultures, comme une compétition, un vol du rôle maternel ou éducatif. D’où, une fois encore, l’impor-tance du dialogue…

Nos propres représentations ne viennent-elles pas compliquer ces rencontres?

Nous autres professionnels devons en effet lutter contre (au moins) deux types de représentations:- D’abord, les visions très construites (et très arrêtées) d’exper-tise dans notre société d’accueil moderne, notamment en ce qui concerne le bien-être et la santé (médecine allopathique, règles d’hygiène, etc.) et dont l’application voulue peut handi-caper le travail de tous les jours (chacune des normes doit être questionnée, comme par exemple la nécessité d’autonomie dans le brossage régulier des dents).- Ensuite, les représentations culturelles dans les préjugés sur l’altérité. Parce qu’elle a viscéralement peur des autres, chaque société humaine s’est inventé des limites «territoriales»; ceux qui se trouvent au-delà de ces frontières sont des étrangers dont il faut se méfier. Or, la méfiance est l’un des moteur de la création de problèmes dans l’approche des relations avec l’autre.

Comment éviter ces pièges?

Il faut toujours travailler dans le réel, à partir de ce que font ou feraient les gens concernés (et non à partir de normes pré-établies). S’il n’y a pas de résistances, cela se transforme… S’il y en a, il s’agira de les prendre en compte dans les processus d’accompagnement mis en place. Quant aux clichés dont nous sommes les héritiers, ils peuvent être utilisés, non en opposi-tion, mais peut-être comme des ressources… J’en reviens à la nécessité de communiquer; communiquer vraiment, c’est-à-dire avoir un langage, une culture, une volonté de recherche qui nous permette de ne pas nous enfermer dans nos petites cages de travail, avec les systèmes et les moyens socio-éducatifs à notre disposition, mais d’ouvrir un peu les portes…

Les importants mouvements migratoires de ces dernières décennies ont-ils fait évoluer notre approche des différences culturelles?

Nécessairement. Nous avons passé d’une appréhension de l’autre, qui était la peur, à une reconnaissance que l’autre existe. Cela dit, nous n’avons toujours pas décidé si nous voulions tra-vailler et vivre ensemble ou pas… Si oui, nous devrons appren-dre à co-construire. Que ce soit de la part des migrants ou de nous-mêmes, un effort énorme est à faire pour quitter certaines habitudes liées à l’effet migratoire, renoncer à ce que l’on a l’ha-bitude de faire sans l’avoir déconstruit (exemple: on ne va plus chez un guérisseur dans l’attente de ce qui peut se passer ici ou pour éviter des idées de jugement...) A nous d’oser l’ouverture vers cette autre dimension de vivre et de penser (représentée, notamment par le recours à un guérisseur…) Quoi qu’il en soit, le questionnement auquel nous amènent les familles migrantes à propos du handicap nous renvoie à des questions fondamentales sur notre perception de la différence et des moyens mis en place dans nos propres cultures pour vivre au mieux avec elle…

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La surreprésentation des élèves migrants dans les structures de l’enseignement spécialisé Olivier Delévaux, professeur HEP-Valais et HEP-Vaud

Le domaine de la pédagogie spécialisée est in-timement lié à celui de la migration. Le princi-pal lien, celui qui tout du moins apparaît avec le plus d’évidence et de persistance, est celui de la surreprésentation des élèves migrants dans les structures de l’enseignement spécialisé. Depuis des décennies, les statistiques scolai-res rapportent régulièrement des chiffres élo-quents concernant ce phénomène sans que de véritables solutions aient pu être trouvées.

Le problème de l’orientationDe manière plus large, dans l’enseignement en général, la question de l’hétérogénéité de la po-pulation scolaire est soulevée. Elle est liée à la présence, au sein de l’institution scolaire, d’élè-ves présentant des profils différents du point de vue de leur culture d’origine, de leur appar-tenance socio-culturelle, de leur progression plus ou moins aisée dans les apprentissages ou encore du fait d’être porteurs d’un handicap. Comme on le voit ici, l’hétérogénéité des clas-ses n’est pas uniquement liée à la présence d’un pourcentage plus ou moins élevé d’élèves d’ori-gine étrangère. Cette donnée est cependant à prendre tout particulièrement en compte lors-que ledit pourcentage explose dans les structu-res de l’enseignement spécialisé. Cet indicateur semble nous montrer l’existence d’un clivage entre les intentions affichées par un système scolaire faisant la promotion de mesures inté-gratives et défendant l’idée d’une école pour tous, et la réalité des faits, c’est-à-dire la sélec-tion et l’orientation massive d’élèves d’origine étrangère vers les filières les moins valorisées du système de formation.

Interroger la fonction du systèmeIl paraît pertinent de s’interroger sur la fonction de ce système dans la perpétuation de valeurs de société et de considérer le rôle qu’il joue effecti-vement au niveau de la promotion de l’intégra-tion des populations migrantes dans la société locale. L’école favorise-t-elle l’ascension sociale de ses usagers ou est-elle conservatrice comme l’affirme Pierre Bourdieu? Pour lui, «C’est sans doute par un effet d’inertie culturelle que l’on peut continuer à tenir le système scolaire pour un facteur de mobilité sociale, selon l’idéologie de «l’école libératrice», alors que tout tend à

montrer au contraire qu’il est un des facteurs les plus efficaces de conservation sociale en ce qu’il fournit l’apparence d’une légitimation aux inégalités sociales et qu’il donne sa sanc-tion à l’héritage, au don social traité comme don naturel.» (Bourdieu 1966: 325)

La langue comme critère de réussite?La langue scolaire n’est une langue maternelle que pour la proportion des élèves appartenant à la classe cultivée, et la maîtrise de cette langue constitue un critère de réussite déterminant. Cette idée est développée par l’étude de Thé-lot et Vallet (2000) portant sur l’analyse de la destinée scolaire selon l’origine sociale au cours du XXe siècle.Les auteurs mettent en évidence que «La des-tinée scolaire est fortement liée à l’origine so-ciale». Ce sont les enfants d’enseignants, puis les enfants de cadres supérieurs (y compris gros indépendants) qui sont le plus souvent diplômés de l’enseignement supérieur; à l’in-verse, ce sont les enfants d’ouvriers non qua-lifiés (et agricoles) qui, le plus souvent, n’ont aucun diplôme.» (Thélot et Vallet 2000: 11). Les auteurs relèvent également que «le milieu culturel aurait davantage d’impact que le mi-lieu social», précisant que «l’inégalité devant l’école s’exprime davantage comme une iné-galité culturelle (via le diplôme de la mère ou celui des parents) que sous la forme d’une inégalité strictement sociale» et ils ajoutent qu’«il est vrai, par exemple, que la réussite scolaire des enfants d’enseignants, même peu fortunés, est plus forte que celle des enfants d’indépendants, même fortunés.» (Thélot et Vallet 2000: 13)

Une double discrimination?Les familles migrantes et de milieu socio-cultu-rel défavorisé sont peu au fait des exigences et de l’organisation des voies de formation à exi-gences élevées et cet état de fait joue un rôle dans la perception qu’elles ont de leur acces-sibilité pour leurs enfants. Cela a sans doute une incidence sur le pourcentage élevé d’élèves issus de la migration dans les structures de for-mation à exigences réduites. Nous savons que les difficultés d’accès aux filières de formation à exigences élevées se multiplient pour les enfants

Difficile d’orienter avec pertinence des élèves qui ne parlent pas la langue de nos tests. Comment, dans certains cas de figure, situer l’origine de ce qui apparaît comme une limitation: culturelle, sociale, liée à une simple difficulté d’apprentissage ou à un handicap plus sévère? La réponse est loin d’être simple. Dans cet article à deux voix, ou à quatre mains, Olivier Delévaux interroge notre système scolaire et les valeurs qui le fondent, tandis que Mary-Claude Wenker propose quel-ques outils d’évaluation issus de pratiques ensei-gnantes et mis en forme par un groupe de travail.

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des classes défavorisées, et, par extension, pour les enfants de familles migrantes ap-partenant à des classes défavorisées. On assiste même à une double discrimi-nation. En d’autres termes, ces élèves, qui obtiennent généralement des résultats scolaires plus faibles que leurs camarades dont les familles partagent davantage la langue et la culture scolaires, devraient obtenir des résultats supérieurs à ceux de leurs camarades pour se voir propo-ser une orientation vers des filières à exi-gences élevées, et ce parce que les ensei-gnants ont tendance à sous-estimer leurs résultats.

L’effet de «halo»Il convient en effet de mentionner ici certains des mécanismes qui contribuent à ce phénomène, principalement sous l’angle de l’influence des enseignants sur les processus d’orientation. Comme le si-gnale Moser, «Vu le temps que les élèves passent à l’école, ce sont encore les ensei-gnants qui sont souvent le mieux à même d’orienter les études de ces derniers et de fournir les recommandations utiles aux

parents pour que ceux-ci choisissent la meilleure voie pour leurs enfants. Le ris-que existe, toutefois, que les enseignants sous-estiment les compétences potentiel-les des jeunes de familles d’immigrés par-ce que ceux-ci ne maîtrisent pas la langue d’enseignement. Ils ont tendance à gé-néraliser au lieu de porter un jugement différencié, selon l’effet dit de halo». (Moser 2001: 112)

L’effet «Pygmalion»Au-delà du phénomène de l’allophonie, ce constat, également fait par Kronig (2000) peut être élargi aux enfants de familles migrantes et aux enfants prove-nant de milieux socio-culturellement et socio-économiquement faibles.Il nous renvoie directement à l’effet «Pyg-malion» décrit pour la première fois par Rosenthal et Jackobson en 1968 (Rosen-thal et al. 1978). Cet effet fait référence aux attentes des enseignants quant à leurs élèves, lesquelles attentes pourraient exercer une influence sur les performan-ces scolaires de ces derniers. On voit ici le lien qui peut se créer ensuite entre

lesdites performances et l’orientation scolaire des élèves concernés. Le phéno-mène de «prophétie autoréalisatrice» a été introduit par Robert Merton dès 1948. Il est défini comme «une définition tout d’abord erronée d’une situation qui sus-cite un nouveau comportement qui rend exacte cette conception initialement fausse» (Trouilloud et Sarrazin 2003: 90) Il a depuis été largement étudié dans le domaine scolaire, particulièrement dans le but de nuancer et de préciser le phéno-mène décrit par Rosenthal et Jackobson.

Un cercle vicieuxLes enseignants basent leurs attentes principalement sur des éléments consi-dérés comme fiables, tels que les perfor-mances antérieures de leurs élèves, ainsi que dans une moindre mesure sur des facteurs moins fiables tels que l’origine ethnique. Nous pouvons craindre l’instauration inconsciente d’un cercle vicieux: les at-tentes moins élevées de l’enseignant étant perçues par les élèves en faisant l’objet, on peut s’attendre à ce que leur moti-

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vation et leur estime de soi s’en res-sentent, entraînant une baisse de la participation et des performances et justifiant donc le fait que la percep-tion de l’enseignant s’avérait exacte et que ces mêmes élèves ne peuvent disposer de plus d’autonomie (puis-qu’ils la gèrent mal) et se montrent moins «bons» que les autres de ma-nière générale et donc qu’on ne peut en attendre davantage.

L’origine ethnique comme fac-teur d’orientation vers les struc-tures spécialiséesLes résultats obtenus par Baum-berger (Baumberger et al. 2007) étayent l’hypothèse de l’importance du milieu socio-culturel et de l’ori-gine ethnique des élèves pour la per-ception qu’en ont les enseignants et pour les propositions de soutien ou d’orientation qui leur sont faites. Les auteurs de l’étude, réalisée dans le cadre du projet COMOF1 ont analysé la probabilité qu’un enfant suisse ou d’origine étrangère soit orienté vers une structure de l’ensei-gnement spécialisé. Ils relèvent que dans tous les cantons latins (déli-mitation géographique de l’étude), sans exception, la probabilité d’être séparé est plus grande pour les élèves étrangers que pour les élèves suisses. Les études de cas proposées font ap-paraître que «Le pourcentage d’en-seignants qui proposent des mesures pédagogiques favorisant le main-tien en classe de l’élève suisse ayant des problèmes de comportement augmente fortement avec le taux d’étrangers dans le canton, alors que

le pourcentage d’enseignants favo-risant les mesures de séparation de l’élève étranger diminuent faible-ment. Ainsi, plus le taux d’étrangers dans le canton est grand, plus les en-seignants proposent de maintenir en classe un élève suisse.» (Baumberger et al. 2007: 30)Concernant le rôle de l’origine so-ciale des élèves dans le type de me-sures pédagogiques préconisées par les enseignants, les mêmes auteurs relèvent que «le pourcentage d’en-seignants qui proposent des mesures permettant au fils d’ouvrier de rester en classe augmente nettement avec le taux d’étrangers dans le canton, alors que le pourcentage d’ensei-gnants préconisant des mesures de séparation pour le fils de médecin diminue très faiblement. Ainsi, plus le taux d’étrangers dans le canton est grand, moins les enseignants discri-minent socialement leurs élèves.» (Baumberger et al. 2007: 31)Quoi qu’il en soit, et avec des nuan-ces liées aux différentes politiques scolaires ainsi qu’au taux d’élèves d’origine étrangère scolarisés, le type de mesures proposées varie en fonc-tion de l’origine sociale et de l’origine ethnique des élèves.Il est à signaler cependant que les ré-sultats ne permettent pas d’affirmer catégoriquement le type de discrimi-nation existant au sein des systèmes scolaires observés. Plusieurs tendances sont mises en évidences, se contredi-sant parfois. Il semblerait que l’étude montre une discrimination plutôt in-directe. La tolérance générale semble augmenter là où il y a un fort taux

Le bilan de compétences scolaires établi en langue d’origine:un outil au service de l’orientation scolaire des élèves allophones

Mary-Claude Wenker, coordinatrice pour la scolarisation des enfants de migrants, DICS-SEnoF Fribourg

Lors d’une séance de travail réunissant diffé-rents professionnels de l’éducation spécialisée, les doléances fusent… Telle élève, originaire de l’Afrique de l’Ouest, a été placée, il y a quelques mois, dans une classe spéciale; aujourd’hui, ce placement est remis en question car le poten-tiel de développement de cette jeune fille ne répond pas aux critères habituels. Une autre situation est évoquée: Miguel, originaire du Portugal, a intégré une classe AI après avoir surnagé tant bien que mal pendant deux ans dans une classe régulière. Son déficit n’a été détecté que lorsqu’il avait acquis les compé-tences linguistiques lui permettant d’être éva-lué par un psychologue scolaire. Quelle perte de temps!Ces situations sont évoquées quelques semaines plus tard au sein d’un groupe d’enseignant-e-s de langue et de culture d’origine (ELCO). Certain-e-s (les Portugais-e-s, notamment) soulignent les difficultés rencontrées par les élè-ves arrivé-e-s récemment et proposent que des contacts soient établis avec les enseignant-e-s autochtones pour permettre «un regard croisé» sur des situations jugées difficiles ou ambiguës. Décision est prise de concevoir un outil permet-tant de mieux cerner les niveaux de compéten-ces de ces enfants tout en mettant en évidence des problèmes particuliers (stress post-trauma-tiques par exemple) ou troubles (logopédiques, par exemple).Un groupe de travail interdisciplinaire est constitué. Il réunit des enseignant-e-s de lan-gue et de culture d’origine (Italienne, Portugai-se et Turc), une enseignante d’appui spécialisée dans la prise en charge des élèves issus de la migration, une enseignante spécialisée, des en-seignantes représentant les différents cycles de l’école publique et la coordinatrice cantonale pour la scolarisation des enfants de migrants. Lors d’une première étape, une trame pour établir un bilan «général» est réalisée à l’image des examens menés par les maîtres de classe de développement itinérants lorsqu’un-e élève leur est signalé-e. Ce bilan comporte des exer-cices classiques de classements d’images et de reconstitution de figures complexes. Il permet également d’obtenir des indications quant au niveau de socialisation de l’élève ainsi que sur la façon dont il a vécu sa migration, parfois complexe, notamment lorsqu’il s’agit de re-groupements familiaux tardifs.Fo

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d’élèves d’origine étrangère. Le ni-veau de tolérance, réciproquement de discrimination, est donc en lien avec le taux d’élèves de nationalité étran-gère, mais également avec le niveau socio-culturel. Les résultats peuvent nous inciter au pessimisme et nous faire crain-dre l’existence de cercles vicieux auxquels certains élèves ont peu de chance d’échapper.

Transformer les cercles vicieux en «cercles vertueux»Cependant, ce sont ces mêmes élèves qui présentent une plus grande sensi-bilité à des éléments stimulants com-me des attentes élevées ou un climat socio-affectif propice aux apprentissa-ges. Ces éléments nous laissent espé-rer qu’il existe des pistes permettant de transformer ces cercles vicieux en cercles vertueux.Par exemple, le rôle joué par le systè-me de formation, analysé sous l’angle de l’adéquation et de la cohérence en-tre la politique affirmée d’une part et les moyens mis en œuvre d’autre part n’est pas souvent décrit. Ce sont ces pratiques ainsi que les ressources acti-vées par les élèves qui réussissent leur parcours de formation qui compor-tent sans doute des pistes à explorer pour réduire les inégalités des élèves issus de la migration devant l’école.

1COMOF: «Comment maîtriser l’offre spécialisée en regard de l’augmentation des effectifs des élèves en difficulté dans les sys-tèmes scolaires?»

Bibliographie:

Baumberger, Bernard et al. (2007). «Inté-gration ou séparation des élèves étrangers: comparaison entre réalité et perceptions.» Pédagogie spécialisée, 3.Bourdieu, Pierre (1966). «L’école conserva-trice: Les inégalités devant l’école et devant la culture.» Revue Française de Sociologie, 7(3): 325-347.Kronig, Winfried, Urs Haeberlin et Mi-chael Eckhart (2000). Immigrantenkinder und schulische Selektion. Bern [etc.]: P. Haupt.Moser, Urs (2001). Préparés pour la vie? les compétences de base des jeunes: synthèse du rapport national PISA 2000. Neuchâtel: Office fédéral de la statistique.Rosenthal, Robert A. et al. (éd.) (1978). Pygmalion à l’école: l’attente du maître et le développement intellectuel des élèves. Pa-ris: Casterman.Thélot, Claude et Louis-André Vallet (2000). «La réduction des inégalités socia-les devant l’école depuis le début du siècle.» Economie et statistique, 334: 3-32.Trouilloud, David et Philippe Sarrazin (2003). «Les connaissances actuelles sur l’effet Pygmalion: processus, poids et mo-dulateurs.» Revue Française de Pédagogie, 145: 89-119.

Dans un second temps, les principaux objectifs de fin d’apprentissage en français et en mathé-matiques dans les cycles EE, 1-2P, 3-4P et 5-6P sont mis en évidence. Dans le domaine du fran-çais, ils sont «traduits» (verbalisés) de manière à pouvoir être vérifiés dans différentes langues. Ainsi, par exemple, parlera-t-on «des accords de base» plutôt que des accords en genre et en nombre, sachant que selon les langues, les ac-cords peuvent obéir à d’autres règles (en turc, le nombre s’indique par suffixation). Quelques épreuves pour les petits degrés sont proposées; il s’agit essentiellement de tests s’appuyant sur la compréhension d’images qui sont traduits dans diverses langues. Une attention particulière est apportée à la connotation culturelle des items retenus. Ainsi les personnages portent-ils des prénoms courants dans les différentes cultures; de même que si dans un environnement «hel-vétique» l’enfant mangera volontiers des crêpes pour son repas, l’enfant asiatique mangera plus volontiers du riz! L’intention ici est de permet-tre à l’élève de ne pas se sentir trop déconnecté par les questions posées.Pour évaluer les compétences langagières des ni-veaux supérieurs (dès la 3P), les enseignant-e-s ELCO utilisent le matériel didactique en leur possession.Dans l’impossibilité d’évaluer systématiquement tous les élèves primo-arrivants, une procédure a été décidée. Les enseignant-e-s autochtones accueillant des élèves migrant-e-s sont invité-e-s à procéder à une telle évaluation lorsque les progrès de l’enfant laissent entrevoir des diffi-cultés particulières (statu quo dans l’apprentis-sage de la langue d’accueil après quelques mois ou migration reconnue problématique, dans le domaine de l’asile notamment). Une demande est transmise à l’inspecteur/trice concerné-e, puis un contact est pris avec un-e enseignant-e ELCO. Les éléments à évaluer sont déterminés par les deux professionnel-le-s qui procèdent ensemble à l’examen n’excèdant en principe pas 60 à 90 minutes. Un rapport est rédigé, transmis à l’inspecteur/trice. En fonction des résultats, l’orientation scolaire est parfois rééva-luée, tout comme un bilan psychologique peut être envisagé si possible avec l’assistance d’un interprète.Cet outil, relativement récent, commence à être plus largement utilisé et ses atouts sont désor-mais reconnus. Force est de constater que ces deux dernières années, les élèves évalués sont majoritairement originaires du Portugal et du Kosovo. Les enseignant-e-s autochtones ap-précient de pouvoir collaborer avec leurs col-lègues migrants. L’entretien est aussi souvent l’occasion d’un échange sur les pratiques éducati-ves de part et d’autre. Une meilleure connaissance réciproque au service de l’enfant primo-arrivant.

CD Chers parents

Ce support informatisé se compose de 17 documents destinés à faciliter la communication entre l’école et les familles migrantes.Certains documents sont modulaires: l’enseignant peut ainsi sélec-tionner les items dont il a besoin pour rédiger sa lettre de rentrée, un message de bienvenue ou encore la liste du matériel à acquérir pour la classe ou à emporter lors d’un camp. Tous peuvent être rédigés en français, en allemand ou en italien puis, sur un simple clic, être traduits et imprimés dans une langue de migration.Rédigés par une équipe d’enseignants de différents niveaux d’en-seignement (primaire, cycle d’orientation et école professionnelle), ces supports ont été mis largement en consultation pour garantir une adéquation optimale aux besoins du terrain, dans les trois par-ties linguistiques de Suisse et au Luxembourg.Sous la direction de Claire Steinmann et Mary-Claude Wenker. Chers Parents, CD. Lausanne: éditions LEP, 2005

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Sa pratique d’ enseignante spécialisée en service éducatif itinérant amène Françoise Pitteloud à entrer dans l’es-pace privé de familles en provenance d’origines et d’horizons socio-cultu-rels très divers. Chacune de ses jour-nées est ainsi faite de voyages dans la pluralité de ces familles, de leurs his-toires de vie, de leurs univers. Toutes ont pourtant quelque chose en com-mun: vivre la souffrance et l’angoisse d’avoir un tout petit enfant présen-tant un handicap ou des difficultés de développement, et voir ainsi leur projet de vie terriblement malmené. Invitation à vivre une journée d’en-seignante itinérante...

Neuf heures. C’est une famille originaire du Kosovo qui m’ouvre la porte. Leur petite fille est polyhandicapée. Le père de famille a été emprisonné et maltraité avant son exil et ceci alors que sa femme attendait cet enfant. Pour eux, le handi-cap de leur enfant résulte clairement de ces maltraitances. Je leur donne en partie raison. Ce que je connais de la situation de leur pays sera la toile de fond de nos liens et de nos échanges autour de leur fillette et du projet de vie à reconstruire ici et avec elle.

Onze heures. Je retrouve une famille africaine dont l’enfant présente un han-dicap important. Madame a de longs entretiens téléphoniques avec sa mère restée au pays, pour tenter de savoir si l’atteinte qui touche son fils résulte d’un mauvais sort jeté sur lui. Elle aimerait pouvoir l’emmener là-bas, le montrer à un guérisseur; mais l’argent manque pour un tel voyage. Que faire? Nous en parlons souvent tout en jouant et tra-vaillant avec l’enfant. Madame choisit alors d’emmener son fils en pèlerinage à Lourdes et en revient apaisée. J’admire la façon dont cette maman a su trouver sa solution personnelle et l’intégrer dans les démarches médicales et pédagogiques qui lui sont proposées.

L’après-midi me conduit dans une jeune famille suisse dont la fillette est atteinte de trisomie 21. Les parents se questionnent et me questionnent sur «la culture» de ces enfants, sur leur «différence». Comment faut-il jouer, éduquer, parler à ce petit bout de femme venue un peu d’ailleurs? Vont-ils se comprendre, vont-ils pouvoir lui donner tout ce qu’ils souhaitent lui offrir? Et les autres, l’entourage, la gar-derie, la société, vont-ils accepter et sur-tout aimer cette enfant? Ou resteront-ils prisonniers de leurs représentations du handicap?

Fin de journée en compagnie d’une fa-mille originaire du Sri Lanka et d’un petit garçon présentant un retard de dé-veloppement et de langage. Il y a tant d’hypothèses plausibles autour des trou-bles qu’il présente! Sur la famille pèse la mésalliance du père qui n’a pas épousé celle que sa famille lui destinait. Il y a aussi le chaos qui règne en permanence dans une famille qui peine à se recréer des repères, coupée de son environne-ment culturel et de sa famille élargie, la dépression larvée d’une maman trop iso-lée… Au pays, après une période d’es-poir, la guerre a repris, plus sanglante que jamais…

Avant l’héritage culturel, le ques-tionnement douloureux...Les représentations que se font ces fa-milles de ce qui arrive à leur enfant sont évidemment très diverses. Parfois un diagnostic médical leur a été commu-niqué, mais dans de nombreuses situa-tions, l’étiologie du handicap va rester inconnue. Les parents demeurent alors dans un questionnement douloureux. Avec ou sans diagnostic, les parents vont tenter d’inscrire ce qu’ils vivent avec leur enfant dans leur construction du monde et dans leur histoire unique, in-dividuelle et transgénérationnelle. Avec le temps, une lecture de ces représen-tations à l’aide uniquement de critères «culturels» me paraît réductrice. Lorsque

la médecine doit avouer son impuissance face au handicap, des familles bien de «chez nous» vont parfois se lancer dans la recherche de thérapies alternatives ou de promesses de guérison paraissant bien peu rationnelles. D’autres familles, issues au contraire de régions peu développées en structures médicales, se montreront plus confiantes envers les traitements médicaux proposés.

Créer un contexte d’intérêt et de confortComprendre ce que les parents se racon-tent à propos d’un enfant qui «va mal» n’est jamais simple. Pour y parvenir il me faudra découvrir, par petites touches, leur histoire unique, mais aussi l’environ-nement social, économique et historique dans lequel elle s’inscrit. Il s’agira de créer un contexte d’intérêt et de confort dans lequel la personne, les familles puissent à la fois montrer leurs compétences et avoir envie de s’investir. Cela dépend également de ma capacité à m’engager dans chacune de ces histoires sans me ca-cher derrière ma fonction, à être attentive aux résonances qu’elle éveille en moi, à me mettre sincèrement «en jeu». Alors peut-être allons-nous pouvoir nous ren-contrer et donner du sens à ce que nous allons entreprendre ensemble, autour de l’enfant.

Mettre en jeu les différences des uns et des autresEt puisque le jeu, au sens de Winni-cott, est l’outil privilégié de la prise en charge précoce spécialisée, c’est en l’ap-portant dans mon sac que je vais en-trouvrir la porte de toutes ces histoires. L’espace ludique ainsi créé va susciter le plaisir d’une rencontre créative avec l’autre, dans une mise en jeu sponta-née de ses «dissemblances» et de mes «différences».

Dépasser les critères culturelsLe questionnement douloureux ne connaît pas de frontièresFrançoise Pitteloud, enseignante spécialisée, Service éducatif itinérant, Lausanne

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Depuis environ quatre ans, le Valais propose aux familles migrantes avec enfants une nouvelle forme d’aide. L’accompagnement «Mère-Enfant» dont il est question dans cet article est pourtant bien autre chose qu’un simple soutien scolaire; il vise égale-ment à faciliter l’intégration de ces mères venues d’ailleurs...

Alors que les pères ont une ouverture sur notre société grâce à un réseau profession-nel et les enfants grâce à un réseau scolaire, les migrantes sont souvent isolées. Elles sont fréquemment confinées à la maison et leur principale activité se résume aux tâches ménagères. La non-maîtrise du français les prétérite de manière très im-portante dans leur socialisation.Or, les mères assument souvent l’essentiel des tâches éducatives. C’est pourquoi il est important qu’elles apprennent la langue du lieu, afin de pouvoir d’une part, aider les enfants dans leurs devoirs scolaires et d’autre part, parvenir à établir des contacts avec l’école, avec pour conséquence un dé-veloppement des relations sociales.

Un concept visant l’intégration«L’accompagnement Mère-Enfant», ci-dessous AME, a pour but de faciliter l’in-tégration des familles migrantes confron-tées aux exigences du système scolaire valaisan. Ce projet est proposé aux élèves migrants de l’école primaire qui se trou-vent en difficultés scolaires et/ou en diffi-cultés d’intégration. Certains parents ne maîtrisent pas suffisamment le français pour accompagner leurs enfants dans leurs tâches à domicile. Dans ce contexte, ils perdent le contrôle de la situation et il y a transfert du pouvoir à l’enfant. Ce projet vise à redonner sa place au pa-rent, en l’aidant à s’investir dans le cursus scolaire de ses enfants et par ce biais, à le responsabiliser dans cet accompagne-ment tout au long de leur scolarité. Le parent s’engage à participer régulièrement aux séances d’accompagnement pendant toute la durée du projet.

L’accompagnateur-trice ne doit pas se substituer aux parents. Son rôle est de fournir l’outil, «le coup de pouce». En insistant sur la définition précise d’un cadre de travail et du rôle que doit jouer la maman (ou le parent responsable: le papa, par exemple, dans la situation d’une famille monoparentale), il est possible de lui fournir les outils organisationnels suffi-sants pour lui permettre de s’imposer dans ses interventions sans forcément compren-dre le contenu des tâches à réaliser.

AME sous la loupeLes séances d’AME ont lieu en dehors du domicile de l’enfant. Elles se dérou-lent dans l’établissement où l’enfant est scolarisé ou dans d’autres lieux suscepti-bles de les recevoir (foyers, centre Suisses-Immigrés…). Elles mettent en présence l’enfant et sa mère d’une part, et l’accom-pagnateur-trice d’autre part. Lors de ces rencontres, trois objectifs sont visés:

la réalisation des tâches à domicile;l’implication de la maman dans la

scolarité de son enfant et par là-même le fait de réintégrer une fonction parentale et éducative forte;

l’incitation pour la maman à prendre part à des activités ou des offres de for-mation favorisant son intégration sociale (cours de français, de théâtre...).En général, la première partie de la séance est consacrée aux tâches à domicile. L’ac-compagnateur-trice travaille avec l’en-fant: renforcement de certaines notions, explicitation de stratégies d’apprentis-sage, aide à l’organisation… La maman observe et est invitée à prendre une part de plus en plus active durant ce temps de rencontre. La deuxième partie peut ne concerner que les adultes et vise à offrir un espace de dialogue et d’ouverture entre la ma-man et l’accompagnateur-trice dans le but d’offrir un conseil, de proposer une démarche, d’échanger sur des sujets de vie courante.L’AME se déroule au rythme d’une ren-contre de 45 à 60 minutes par semaine

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sur la durée d’une année scolaire. C’est l’accompagnateur-trice qui, selon les besoins des familles, gère la durée de l’accompagnement. Le but est bien d’ac-compagner et non d’assister les familles. Lorsque l’accompagnateur-trice voit que la mère et l’enfant sont autonomes, il/elle laisse sa place à la mère qui reprend le rôle d’accompagnatrice.

Une organisation qui ne laisse rien au hasard Le projet AME est chapeauté et coor-donné par le Centre Suisses-Immigrés de Sion. Le niveau exécutif (responsables régionaux et accompagnateur-trice-s) est assuré par un nombre considérable de bénévoles.A ce jour, on dénombre 3 responsables régionaux (Sion, Conthey-Vétroz-Ardon et Fully) et une trentaine d’accompagna-teurs-trices. L’accompagnateur-trice est une personne bénévole, soucieuse de l’in-tégration des familles migrantes.Les enseignants sont aussi des acteurs du projet tout au long de l’année scolaire. Durant le temps de la prise en charge, les deux partenaires, accompagnateur-trice et enseignant, s’informent mutuellement de l’évolution de la situation et réfléchis-sent aux remédiations nécessaires. De plus, lors des rencontres parents-ensei-gnants, les titulaires ou les parents ont la possibilité de faire appel à l’accompa-gnateur-trice qui peut remplir le rôle de médiateur.

Une aide, deux bénéficiaires...Le but de ce projet est donc bien de va-loriser la maman, de l’aider à retrouver sa place et son autorité dans le cadre fami-lial, de l’inciter à sortir de chez elle, de favoriser son apprentissage du français et, petit à petit, de lui fournir les moyens de s’ouvrir au monde extérieur et de s’y in-tégrer. La prise en charge de l’enfant est surtout un prétexte pour mener une ac-tion plus ambitieuse auprès de la maman, mais il est certain que celui-ci en tire un grand bénéfice aussi.

Accompagnement Mère-EnfantUn concept valaisan qui fait ses preuvesStéphane Germanier et Olivier Delévaux, responsables du projet

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Il était une fois… Ali, qui est né le 1er avril 2000. Ce n’est pas une farce, mais un grand bonheur d’avoir un fils. Nous avions déjà Hala, notre fille, qui avait 11 mois. Nous habitions à Asmara en Erythrée. Pour des raisons politi-ques, nous avons décidé de partir. Au mois de septembre 2000, nous sommes arrivés à l’aéro-port de Genève et avons demandé l’asile.Après 20 jours d’attente, notre transfert s’est fait à Saint-Léonard en Valais. C’est là que notre petite famille s’est installée et que moi, comme chef, suis allé faire les vendanges. Quel travail, quelle fatigue, quel terrain acciden-té!… J’ai cru que tous les requérants devaient d’abord faire un stage à la vigne. Et comme mécanicien, je n’avais pas d’expérience.

Le verdictPuis, nous avons dû faire vacciner Ali. C’est là que le docteur l’a contrôlé et nous a en-voyés chez un ophtalmologue. Nous étions en souci, et l’ophtalmologue a pris rendez-vous à l’hôpital ophtalmique à Lausanne, où le ver-dict tombe, implacable: «Amaurose de Leber» (dégénérescence congénitale, cécité totale irré-versible). Cette annonce est une catastrophe. C’est très dur pour nous, surtout pour mon épouse. Nous ne pouvons pas y croire! Dans cet état, ce questionnement, nous recevons la semaine suivante la visite de Madame Mathis

du Service éducatif itinérant, et ceci pendant 4 ans. Nous croyons que l’enfant va guérir, qu’il doit exister ici, ailleurs, en Amérique, une so-lution pour qu’Ali voie. Outre les difficultés de langue, de culture, de compréhension, nous avons dû déménager successivement à Sion, Ardon, Sierre et Martigny.

De «N» à «C», en passant par «F»...Nous entendons bien qu’Ali aurait besoin de stabilité, d’un cadre pour se développer au mieux, mais nous n’arrivons pas à lui mettre des limites, ni à exiger certaines choses de lui. Nous naviguons avec les papiers de toutes sor-tes, de toutes couleurs. Notre permis est «N». Pour compliquer encore, une cataracte se dé-clenche et Ali doit être opéré à Lausanne.Quand Ali a l’âge d’entrer à l’école enfantine, une demande de transfert est faite pour habiter le canton de Vaud, proche du Centre pédagogi-que pour élèves handicapés de la vue (CPHV). Nous obtenons le permis «F». Mais avant cela, je travaille à Martigny, dans l’hôtellerie. Grâce à la compréhension de mon employeur et de mes collègues, je peux amener mon fils deux fois par semaine à Lausanne.

L’histoire d’AliTémoignagePropos recueillis par Isabelle Mathis, directrice du CPHV, Lausanne

«Pour arranger un palabre, on n’apporte pas un couteau qui tranche, mais une aiguille qui coud…»C’est avec ce proverbe africain qu’Isabelle Mathis introduit son article construit autour de propos recueillis auprès du père d’Ali.

«J’ai cru que tous les requé-rants devaient d’abord faire un stage à la vigne... Quel travail, quelle fatigue, quel terrain accidenté...»

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Je n’y serais jamais parvenu sans l’aide précieuse de Sœur Marie-Rose, de Françoise, de Louise-Anne, d’Ursula et de tant d’autres, qui nous ont encouragés, aidés, soutenus, offert des cours de français, gardé les enfants, invités, aimés.La chance aussi d’avoir une communauté érythréenne, de re-nouer avec notre culture, notre musique, de nous enrichir de nos différences. De manger nos plats traditionnels, d’aller en-semble à la mosquée.Après avoir déménagé à Lausanne, à proximité du CPHV, Ali peut être externe et rentrer à la maison à midi. Il a beaucoup plus de chance d’être scolarisé ici que dans notre pays...Nous avons maintenant un autre garçon, Besher, qui a 5 mois.Malgré toutes les complications de statut, de déménagements, de soucis, d’incompréhension, de doutes, d’ennui du pays, nous sommes heureux d’être ici et de continuer notre route. En jan-vier 2008, nous avons reçu l’autorisation d’établissement «C».

Et puis la vie continue...Actuellement, je suis en formation d’aide-monteur en électri-cité. Je suis très fier de mes enfants et d’avoir donné sa chance à Ali, qui sait lire et écrire en braille.Lorsque l’on doit affronter simultanément le changement de culture, de langue, de pays et le handicap de son enfant, c’est vraiment difficile. Le courage parfois nous manque. Cependant, nous avons toujours trouvé une oreille attentive, nous avons appris à mélanger, métisser nos pensées. Vous auriez aussi des difficultés à vous adapter en Erythrée, même s’il n’y a pas de vendanges, et que Saint-Léonard n’est pas Asmara.

Les «petites laines» de l’espoir...Encore un épisode que nous avons vécu: comme l’ophtalmo-logue n’avait pas de solution pour qu’Ali retrouve la vue, nous avons suivi un traitement en France, qui impliquait un régime et l’absorption de gélules d’huile de poisson. Nous avons suivi ce traitement, sans résultat, pendant un an et mis deux ans à le rembourser…Nous gardons beaucoup d’espoir dans la recherche sur la maladie de Leber, un gène a été isolé, et il se peut qu’Ali soit concerné.La semaine dernière, Ali est allé pour la première fois en camp de ski, à Ovronnaz. Toute une semaine sans lui, c’est long. Mais il est revenu bronzé, même chez nous on le voit, et heureux de son expérience. Il a grandi.Ce chemin nous est propre, nous vous le partageons simple-ment. Ali nous a permis de tisser des liens, de tricoter en rouge et blanc, couleurs du pays. En un mois, 30 ou 31 mailles, en 8 ans: 2920 mailles. Certaines sont à l’envers, d’autres coulées, d’autres mitées, la laine que nous partageons avec toutes les per-sonnes du CPHV et d’ailleurs est de toutes les grandeurs, de toutes les épaisseurs. Les couleurs, c’est selon:

rouge comme nos joiesblanc comme la neige

et tout cela avec un petit parfum rouge, vert, bleu, couleurs d’Erythrée. Alors, ne soyons pas frileux, il y a toujours, quelque part, une «petite laine».

Propos partagés et recueillis par Isabelle Mathis, qui a eu le privi-lège de connaître et d’accompagner cette famille.

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Petite visite guidée du CPHV

A vous tous, petites et grandes personnes, soucieuses de nos projets:Ouvrez la «boîte Surprises» du CPHV (Centre Pédagogique pour élèves en situation de Handicap Visuel), vous y trouverez:

24 enfants suivis en Service Educatif Itinérant (SEI) de 0 à 6 ans31 élèves scolarisés dans les degrés enfantine, primaire et secondaire80 élèves intégrés et suivis en Service Pédagogique Itinérant (SPI) de 6 à 20 ans, dans les cantons de Vaud,

Fribourg, Neuchâtel, Jura et Valais.Une vraie école romande, ce qui n’est pas une sinécure, de plus avec internat et journée continue. Mais aussi des apprentissages spécifiques: locomotion, autonomie dans la vie journalière (AVJ), psychomotricité, ergothérapie, activités physiques adaptées, solfège et écriture abrégé braille, ainsi que des évaluations en basse vision, sans oublier la journée des frères et sœurs, l’après-midi «crêpes», le camp de ski, deux auditions musicales, un spectacle de Noël, une ludothèque.Visitez, il paraît que le CPHV est un Centre de ressources et de compétences reconnu. Tant mieux, c’est ce que nous apprécions… tisser des liens, informer. Nous les nouons et entremêlons au gré des priorités, en espérant être au service des enfants qui nous sont confiés.Nous essayons également d’être souples, de nous adapter à la vie complexe des familles, aux projet des jeunes, aux attentes et aux limites. Avec l’espoir secret mais tenace, que nos élèves armés de compétences vous toucheront au cœur, quelle que soit votre grandeur et que leur écho rebondira sur vous et se propagera au loin, fût-il dans les méandres de la finance.Avec le secret espoir, que vous viendrez chez nous, pour le plaisir de la découverte, du différent, de l’inconnu et que vous en sortirez émerveillés et heureux, parce que: Mission accomplie!

Fondation Asile des Aveugles Centre pédagogique pour élèves handicapés de la vue (CPHV)Av. de France 30 - CP 133, 1000 Lausanne 7Tél. 021 626 87 50 - Fax 021 625 02 46E-mail: [email protected]

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Qu’est-ce qui peut pousser une adoles-cente de 19 ans, née, abandonnée puis recueillie dans un orphelinat au Costa-Rica, finalement adoptée à l’âge de deux ans par une famille neuchâteloise, à dé-sirer si fortement revoir son pays d’ori-gine, et avec une conviction telle que ses éducateurs, non contents de soutenir son projet, finiront même par l’y accompa-gner? Que vient donc nous raconter cette éton-nante histoire qui voit Aline et son frère Olivier retrouver presque par hasard les sages-femmes de la maternité de Nicoya où ils virent le jour quelque vingt ans plus tôt, et deviser avec elles en toute simplicité?Que dire de ces deux jeunes adultes, par-tis «suisses» de Suisse et revenus doubles nationaux de leur Costa-Rica natal, trois semaines plus tard?Comment un tel voyage a-t-il pu être pré-paré et réalisé dans le cadre d’un Centre de formation professionnelle et sociale que rien, a priori, ne destine à mener ce type de projet hors des frontières?

Et pourquoi, enfin, l’histoire de ce voyage effectué en 2000, continue-t-elle d’être sollicitée, citée et racontée dans différents contextes, la dernière demande en date étant celle de la rédaction de cet article?En posant ces quelques questions qui n’ont rien d’anodin, l’histoire du projet «Cap Costa-Rica» invite celles et ceux qui le veulent bien à un autre type de voyage. Intérieur celui-là. Il propose une explora-tion véritablement ontologique de notre condition humaine qui nous détermine comme des êtres limités bien que jamais finis (in-finis?...), à la fois uns mais aussi totalement composites. Dans cette exploration intime comme dans le voyage géographique, trois in-contournables: la mise en mouvement, la traversée des frontières, le Rêve Eternel du Retour.

D’abord, la mise en mouvement

Aline et Olivier, parce que les circons-tances de leur histoire avaient d’emblée semé quelques solides obstacles sur leur chemin, ont été amenés bien malgré eux à quitter leur situation première pour en trouver une autre, plus à même de leur permettre de vivre et de grandir. C’est ce que font ceux que l’on désigne sous le terme de «migrants», parce qu’à un moment de leur vie ils se mettent en mouvement, quittent une terre-patrie pour une terre-étrangère porteuse de plus de promesses ou de rêves, en tous cas de plus d’espoir. A cette aune-là, force nous est d’admettre que tous à notre tour nous le devenons, migrants, poussés par les nécessités puis-santes de la vie. Quitter, partir, abandon-ner le connu rassurant pour un inconnu plein de dangers et de possibles est une exigence que nous rencontrons tôt ou tard, sous une forme ou une autre. Dès ce moment précis, bon gré mal gré, nous entrons de plain-pied dans la dimension complexe de notre identité d’humain, multicolore, composée, polyphonique. Devenus singuliers-pluriels, nous ne

sommes plus vraiment de là-bas, pas encore tout à fait d’ici, toujours un peu des deux à la fois. Mais nous devenons de fait, aussi et peut-être surtout, les familiers d’un troisième lieu: celui des frontières.

La traversée des frontières, ou le lieu de l’entre-deux

Dans les voyages de mon enfance, à l’épo-que où le mercantilisme galopant n’en avait pas encore fait des zones hors taxes, lorsque l’on passait d’un pays à l’autre, il y avait toujours entre les deux postes frontières, un «no man’s land». Le pays de personne. Un espace transitoire, sans identité et sans appartenance, inhabité et souvent désolé. Le migrant, pour l’avoir traversé, sait que ce lieu de solitude, situé entre ce qui n’est plus vraiment et ce qui n’est pas encore, est le reflet dans le monde d’un autre lieu qui, dans l’intime de son monde à lui, constituera le refuge secret pour quelques incertitudes tenaces, pour les questions sans réponses, et peut-être même pour les larmes de quelques regrets douloureux. Si tout se passe bien, cet espace étrange à l’intérieur de lui pourra devenir, avec le temps, le réceptacle d’un précieux ter-reau: celui dans lequel s’enracinera le courage d’aller de l’avant, de s’implanter à nouveau, de s’intégrer, de tisser un ré-seau, de se construire ainsi une nouvelle identité sociale. A cet effet, une condition lui sera pour-tant nécessaire: que jamais il ne renonce totalement à son rêve de retour. Et voilà l’espoir qui prend ses quartiers dans ce lieu inattendu de l’entre-deux, celui de la transition, de la transforma-tion. Au cœur de son expérience migra-toire, le migrant comprend que le plus important ne réside pas seulement dans le départ ou dans la destination, mais également dans le franchissement de la frontière, lieu de tous les déséquilibres, de la traversée solitaire et parfois inquié-tante de l’entre-deux.

Centre de Formation Profession-nelle et Sociale du Château de Seedorf (CFPS)

Situé à proximité de Fribourg, le CFPS du Château de Seedorf est une école professionnelle spécialisée destinée à quelque quatre-vingts ap-prenties généralement âgées de 16 à 22 ans, toutes domiciliées en Suisse romande. Empêchées par des difficultés d’ap-prentissage de suivre une formation professionnelle traditionnelle, elles sont au bénéfice de mesures de for-mation de l’Assurance-Invalidité.Animés par la pensée systémique, les professionnels du CFPS y construi-sent leur action quotidienne dans le cadre d’une vision globale et contex-tuelle de la personne.

Cap «Costa Rica» ou le Rêve Eternel du RetourEn quête de ses origines; réflexions autour de la démarche d’AlineDominique Sauzet, éducateur, Fribourg

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Agée de deux ans lorsqu’elle traversait pour la première fois l’océan Atlantique, en route vers sa nouvelle vie, Aline ne le savait pas encore mais le passage de ce vaste no man’s land liquide s’inscrivait significativement et durablement au plus profond d’elle-même. Comment, sinon, expliquer la force de cet appel, la puissance de son rêve de re-tour, propre à soulever les montagnes de sa destinée?

Le Rêve Eternel du Retour

Revenir. La Terre promise est toujours ailleurs. Par définition. Sa promesse est un véritable moteur de vie. Pourvoyeuse d’espoir. Nourricière d’une infinie pa-tience. Ainsi devient, pour celui qui l’a quittée, sa terre de naissance déjà lointai-ne: Nouvelle Terre Promise. Embrassant pleinement la complexité de son identité, sitôt parti, le migrant se met à rêver de son retour. Exactement comme il rêvait, avant, de son départ. Dans l’espace in-time de son rêve, il peut aller et venir sur la Terre sans craindre que les choses ne se figent, que les portes ne se referment, que les promesses ne s’éteignent. En le

protégeant de la perte, de l’écartèlement et de trop de tristesse, son rêve lui permet d’assembler à l’intérieur de lui le précieux patchwork de ses identités multiples, de ses appartenances passées et à venir, de ses folles aspirations. Parfois, il se peut même que le Rêve Eternel du Retour se réalise. Mais pas toujours. Parfois seulement.

Aline

Tous les matins, à l’heure des tartines, son rêve arrivait en même temps qu’elle à la table et prenait toute la place. Comme un mantra récité des milliers de fois peut amener le méditant à l’expérience mysti-que, le rêve d’Aline, mille fois répété, a fini par prendre ses aises avec la réalité. Y croire avec elle fut le premier pas de ses éducateurs, qui ne savaient pas encore, à ce moment, la réelle puissance du Rêve Eternel du Retour.Construit avec sa famille, avec son réseau, avec l’institution dans laquelle Aline fi-nissait sa formation, le projet de ce voya-ge ne fut jamais gagné d’avance, toujours empreint d’incertitudes, de questions et de remises en question. En particulier lorsque, pour les parents, il n’était plus possible d’accompagner leurs enfants au Costa-Rica et qu’ils souhaitèrent passer le relais aux éducateurs. En particulier aussi, lorsqu’aucun budget ne fut accordé pour cet accompagnement. En particu-lier enfin, lorsqu’il devint nécessaire de mettre la question du départ en perspec-tive avec la santé du papa, subitement devenue précaire. De la vie vivante, rien que ça pour mettre à l’épreuve la force du rêve d’Aline!

Pourtant, le voyage fut

Traversé, l’Atlantique. Croisées, les tra-ces de l’adoption. Officialisée, la double appartenance. Trouvés, la maternité de Nicoya, la forêt et les plages, les volcans et les tortues. Arpentée, la Terre de leur naissance. Mais aussi frôlée, la mort qui brutalement vint se rappeler aux mé-moires, dans le crépuscule d’une longue journée de route. Histoire d’insister en-core, avec force et une fois pour toutes: décidément notre identité est profondé-ment celle de tous les migrants. Nous ne sommes et ne serons jamais que de passage. Sitôt revenue, embrassé ses parents et défait son sac, elle a dit qu’un jour elle

y retournerait. Forcément. Le rêve du retour est éternel, vous dis-je!Elle a disposé ses souvenirs dans son ap-partement, raconté une histoire, la sien-ne, installé son rêve précieux dans l’écrin vivant de son existence d’ici.Lorsqu’aujourd’hui on me pose la ques-tion de ce que ce voyage a changé pour Aline, et qu’elle n’est pas là pour le dire par elle-même, je n’ai pas tant de réponse autre à donner que: «Je crois que ça n’a rien changé. Cependant, tout est mainte-nant très différent pour elle». En effet, comme tout un chacun, Ali-ne cherche toujours à joindre les deux bouts, espère garder son travail, se soucie de la santé de ses parents, s’illumine lors-qu’un amour pointe dans son horizon, se réjouit des petits riens de tous les jours, se coltine ses menus soucis et ses grands tracas. Cependant, je crois pouvoir dire qu’en réalisant une fois son Rêve Eternel du Retour, elle a réuni, en son for inté-rieur, deux parties d’elle-même qui ne cherchaient qu’à se rassurer: toutes les frontières peuvent être traversées, et re-traversées encore. L’histoire d’Aline en est le témoignage vivant: nourrir imperturbablement son Rêve Eternel du Retour donne de la for-ce assurément et finit bien, parfois, par ouvrir une brèche entre le monde intan-gible et fragile de l’espérance et la réalité partagée des humains.

Mémoire d’une expérience

En plus d’avoir été un projet, puis une expérience vécue avec bonheur par les participant-e-s, «Cap Costa-Rica» est aussi un re-portage audio-visuel déjà présen-té à de nombreuses reprises dans le cadre de modules de formation pour travailleurs sociaux, d’asso-ciations de parents adoptifs et divers autres contextes associatifs ou institutionnels.Pour de plus amples renseigne-ments sur ce document, vous pouvez contacter Dominique Sauzet: [email protected]

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Impact de la migration sur l’adaptation familiale au handicap de l’enfantGeneviève Piérart, professeure, Haute Ecole Fribourgeoise de Travail social (HEF-TS), Fribourg

L’impact d’une incapacité chez un enfant de famille migrante soulève de nombreuses inter-rogations. La collaboration des professionnels du handicap avec ces familles implique de ré-pondre à des besoins spécifiques et complexes tout en évitant de stigmatiser la «double dif-férence». Afin d’apporter un éclairage à cette problématique, nous avons mené une recher-che auprès de familles migrantes vivant en Suisse romande et ayant un enfant avec une incapacité avérée1.

La recherche

Deux tendances se dégagent des trop rares re-cherches portant sur cette thématique2:

la mise en évidence de facteurs d’exclusion socio-économique exerçant un impact négatif sur l’accès des familles aux ressources et aux ser-vices en lien avec le handicap;

l’existence de différences culturelles dans les représentations du handicap entraînant des dif-ficultés de compréhension et, partant, de colla-boration entre les familles et les professionnels.

Notre recherche avait pour objectif d’obser-ver dans quelle mesure ces résultats se véri-fient dans le contexte suisse romand. Un groupe de cinquante familles y a participé, composé d’une moitié de familles suisses et d’une moitié de familles migrantes originaires d’Afrique, d’ex-Yougoslavie et du Portugal, dont au moins un enfant était en âge de sco-larité obligatoire et fréquentait un établisse-ment spécialisé (école, internat) au moment du recueil des données, en 2004.Nous avons centré notre approche sur le concept d’adaptation, qui offre un cadre théo-rique opérationnel tant dans le domaine du handicap (adaptation familiale à la survenue du handicap3) que dans celui des phénomènes migratoires (adaptation socio-culturelle4). Les indicateurs retenus portaient essentiellement sur les besoins et la satisfaction exprimés par les familles, les ressources qu’elles mobilisent (en particulier en termes de soutiens formels et informels), les difficultés qu’elles rencon-trent et leurs représentations du handicap5. Ces indicateurs ont été observés dans le cadre des trajectoires familiales de migration tel-

les qu’elles ont été restituées par les familles elles-mêmes6.

Différences et points communs entre familles suisses et migrantes

L’inclusion des familles suisses dans notre ana-lyse a permis de démontrer qu’il n’y a pas de lien direct entre le niveau socio-économique de la famille et l’intensité des soutiens qu’elle reçoit. La manière dont la famille évalue les soutiens reçus exerce un impact plus important sur la mobilisation de nouveaux soutiens que l’équilibre entre les contraintes et les ressour-ces (matérielles, humaines) du système fami-lial. Cette perception des soutiens est surtout influencée par la possibilité, pour les parents, de comprendre le handicap de leur enfant et d’évaluer ses besoins. Cette possibilité dépend à la fois des caractéristiques de l’incapacité (clarté du diagnostic et du pronostic évolutif ), de l’âge de l’enfant et des ressources disponibles (accessibilité des services et des informations).L’équilibre entre contraintes et ressources et l’évaluation positive des soutiens reçus sont deux conditions qui favorisent l’adaptation familiale au handicap, que ce soit chez les fa-milles suisses ou chez les familles migrantes. La situation des familles migrantes reste cepen-dant spécifique en regard de celle des familles suisses.Les familles migrantes de notre échantillon vivent en moyenne dans des conditions socio-économiques moins favorables que les familles suisses; elles expriment davantage de besoins et d’insatisfaction concernant l’accès à l’informa-tion, l’adaptation de l’habitat aux besoins de l’enfant, l’organisation de la vie quotidienne. Les problématiques de santé s’observent plus fréquemment chez elles que chez les familles suisses. Cependant, de grandes différences s’observent parmi les familles migrantes. Nous avons donc isolé la variable socio-économique afin de mettre en évidence les autres facteurs agissant sur l’adaptation familiale. Deux facteurs en lien avec la migration sont apparus comme exerçant un impact important sur le processus adaptatif:

l’articulation entre trajectoire de migration et survenue du handicap. Celle-ci correspond,

La recherche que vient de terminer Geneviève Piérart sur le thème «fa-milles migrantes et han-dicap de l’enfant» vient à point nommé clore ce dossier. En arrivant à la conclusion que le par-cours migratoire est plus intéressant à interroger que la seule origine des familles, la chercheuse de Fribourg paraphe scientifiquement une idée que l’on retrouve en clair ou en filigrane tout au long des articles de ce numéro, à travers les interventions de diffé-rents professionnels.

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dans notre recherche, au moment où l’incapacité est décelée (pendant la gros-sesse, à la naissance, lors d’un diagnostic plus tardif ou suite à un accident);

le degré de réalisation du projet mi-gratoire. Celui-ci est caractérisé par la continuité lorsque la famille réalise le projet qu’elle avait élaboré (qu’il s’agisse d’installation en Suisse ou de retour dans le pays d’origine) et par la rupture lors-que ce projet ne peut être mis en œuvre.

Il est possible de distinguer trois mo-ments-clés, que nous allons développer par la suite, de l’articulation entre tra-jectoire migratoire et survenue du han-dicap:

Le handicap survient après la migra-tion (il s’agit de la situation la plus fré-quente);

Le handicap survient avant la migra-tion;

Le handicap survient en même temps que la migration.

Articulation entre migration et survenue du handicap

Dans le premier moment-clé, la survenue du handicap a lieu quand la famille est déjà installée en Suisse depuis un certain temps. Deux cas de figure se produisent:

La trajectoire migratoire est caractéri-sée par la rupture, la survenue du handicap modifiant le projet familial (renoncement au retour ou à un projet professionnel en Suisse). Les parents montrent une certaine ambivalence par rapport aux représenta-tions du handicap: ils se distancient du discours des professionnels concernant l’annonce du handicap et l’avenir de l’en-fant mais sont en accord avec eux sur son accompagnement actuel. La collaboration entre parents et intervenants est plutôt fonctionnelle, c’est-à-dire centrée sur les tâches quotidiennes d’accompagnement de l’enfant. Ces parents mobilisent de nombreux soutiens mais perçoivent ceux-ci de manière ambivalente (l’aide est utile mais pas forcément appropriée ni suffisan-te). C’est la situation la plus fréquemment observée dans notre échantillon.

La trajectoire migratoire est caractéri-sée par la continuité, la survenue du han-dicap ne remettant pas en cause le projet migratoire. Les familles se caractérisent par un partage des représentations avec les professionnels et un niveau important de partenariat. La situation de ces familles est celle qui se rapproche le plus de celle des familles suisses.

Dans le second cas, l’incapacité de l’en-fant est décelée avant le départ. On trou-ve également deux situations:

Les parents décident d’émigrer pour offrir de meilleures opportunités d’ac-compagnement à leur enfant. Une partie de ces familles peuvent accomplir leur projet et s’installer en Suisse (continuité). Les parents partagent les représentations des professionnels concernant l’incapa-cité (étiologie, diagnostic, projet) et sont donc caractérisés par un niveau élevé de partenariat que l’on observe dans leur mobilisation active des soutiens et dans l’appréciation positive des soutiens re-çus. D’autres familles voient leur droit de séjourner en Suisse menacé: les parents partagent aussi les représentations des professionnels et mobilisent des soutiens, mais leur partenariat est limité par l’in-certitude pesant sur le statut juridique de la famille.

Les parents décident d’émigrer pour des motifs indépendants du handicap. Ces familles présentent les mêmes carac-téristiques que celles dont l’enfant est né après la migration: lorsque le projet mi-gratoire est marqué par la continuité, on retrouve un partage des représentations avec les professionnels, un partenariat et une mobilisation des soutiens. Les parents dont le projet est marqué par la rupture montrent de l’ambivalence dans leurs représentations et leur appréciation des soutiens et collaborent avec les inter-venants de façon plutôt fonctionnelle.

Enfin, quand l’annonce du handicap sur-vient en même temps que la migration, elle coïncide avec la phase de stress ac-culturatif 7suivant l’arrivée des parents en Suisse, que l’enfant soit né avant la mi-gration (avec une incapacité qui n’avait pas été détectée) ou juste après. Là aussi, les familles se différencient entre elles se-lon que leur trajectoire migratoire se ca-ractérise par la rupture ou la continuité:

Dans les trajectoires marquées par la rupture, les parents refusent d’adhérer à des étiquettes diagnostiques telles que «handicap», «retard», «autisme». Ils mon-trent une faible mobilisation des soutiens formels, qui sont évalués négativement. Par contre, la mobilisation des soutiens informels est forte, en particulier au sein de la communauté d’origine, ce qui peut renforcer l’ancrage culturel des représen-tations du handicap.

Dans les trajectoires marquées par la continuité, les parents expriment des représentations ambivalentes, caracté-

risées par la difficulté à donner un sens au handicap et à se projeter dans l’avenir au sujet de l’enfant. Ils présentent une faible mobilisation des soutiens formels mais ceux qu’ils reçoivent sont évalués positivement. Comme les autres parents caractérisés par l’ambivalence, ils perçoi-vent également leur réseau en termes de dépendance et de rejet mais cette percep-tion les incite plutôt à réduire leur mobi-lisation des soutiens.

Interroger les parcours migratoires

L’impact de la migration sur la situation familiale est donc essentiellement d’ordre structurel (conditions socio-économi-ques, statut juridique) plutôt que culturel (l’origine des familles n’étant pas déter-minante dans les différences observées). Un groupe de familles apparaît comme fortement fragilisé dans ce processus adaptatif: celui dans lequel la survenue du handicap coïncide chronologique-ment avec l’arrivée en Suisse.Les professionnels ont donc avantage à connaître les parcours migratoires plu-tôt que de se centrer sur l’origine des familles. Même s’il n’est pas toujours possible d’agir sur les difficultés d’ordre structurel que rencontrent ces familles, identifier ces difficultés peut aider à évi-ter la cristallisation sur les divergences de représentations.

1Piérart, G. (2008), Familles migrantes et handicap de l’enfant, Thèse de doctorat présentée devant la Fa-culté des Lettres de l’Université de Fribourg, inédit.2Harry, B. (2002), Trends and Issues in Serving Cultu-rally Diverse Families of Children with Disabilities, The Journal of Special Education, 36, 3, 131-138. 3 Lambert, J.-L. & Lambert-Boite, F. (1993), Éduca-tion familiale et handicap mental, Fribourg, Éditions universitaires.4 Berry, J.W. (2005), Acculturation: Living Success-fully in Two Cultures, International Journal of Inter-cultural Relations, 29, 697-712. 5 Chamba, R., Ahmad, W., Hirst, M., Lawton, D. & Beresford, L. (2002), On the Edge. Minority Ethnic Families Caring for a Severely Disabled Child, Lon-don, The Policy Press; Dunst, C., Trivette, C. & Deal, A. (1995), Enabling and Empowering Families. Principles and Guidelines for Practice, Cambridge, Brooklin Books. 6 Vatz Laaroussi, M. (2001), Le familial au cœur de l’immigration: les stratégies de citoyenneté des familles immigrantes au Québec et en France, Paris, L’Har-mattan.7Berry (ibid.) décrit le stress acculturatif comme la manifestation de problèmes de santé mentale (confu-sion, dépression, angoisse, etc.), de marginalité, d’alié-nation et de difficultés identitaires, consécutifs à une migration.

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C’est dans les locaux d’Appartenances, au numéro 10 de la rue des Terreaux, à Lausanne que prend fin notre voyage au cœur de l’interculturalité. Cette associa-tion vaudoise, créée en 1992 pour être un pont entre sociétés migrantes et société d’ac-cueil, offre une variété d’espaces aména-gés dans le but de favoriser les rencontres interculturelles. L’un des postulats d’Appartenances est que «la migration est presque toujours une crise et qu’elle est très souvent vécue comme une souffrance». Dans le but de répondre le plus pertinemment possible aux divers besoins des migrant-e-s, l’As-sociation s’est organisée en secteurs:

Les espaces sociaux, avec un Centre Femmes et un Espace Hommes permettent aux migrant-e-s de nouer et/ou renouer des contacts, de suivre des formations ou de demander des conseils;

Le centre de consultations thérapeuti-ques apporte une aide psychologique à des enfants, des adolescents ou des adul-tes en difficulté, sous forme individuelle, en famille, en couple ou en groupe;

Un service d’interprétariat forme des interprètes professionnels et les met à dis-position d’autres institutions;

Le secteur formation, information et recherche propose des formations sur les questions liées à la migration.

Les formations d’Appartenances En plus des formations figurant dans l’en-cadré ci-dessous (pour les mois à venir), Appartenances propose chaque année ses deux cours-phare:

Approche des migrant-e-s: concepts et méthodologies;

Autour des traumatismes.Le premier module, qui offre une forma-tion de base sur une large palette de ques-tions liées à la migration est réparti en 17 séances de 3 heures, tous les mercredis (17H15). Le prochain cycle démarre en automne 2008, à Lausanne. Une négo-ciation est entamée pour proposer ce cours également à Genève.En marge de l’offre déjà riche et variée de son catalogue de formation, l’Association entre aussi en matière sur des demandes ponctuelles. Répondant à l’appel d’ins-titutions et autres professionnels, elle organise des activités à la carte, généra-lement réparties sur trois soirées et dont les thèmes sont adaptés aux besoins des praticiens.

Migration et handicapParce que la demande se fait pressante sur ce sujet depuis quelque temps déjà, Appartenances a mis à l’étude la program-mation d’un module spécifique «migra-tion et handicap».

Pour Isabel Eiriz, responsable du secteur «formation», ces demandes sont réjouis-santes en ce qu’elles montrent la volonté des professionnels de perfectionner leurs pratiques. «A nous de les mettre en garde contre les risques du culturalisme». car, ajoute-t-elle «si l’on ne peut ignorer l’im-pact de la migration sur l’approche du handicap - qui peut, par exemple, être perçu comme un obstacle au projet de vie - la blessure narcissique, elle, reste la même pour tous». C’est donc autour de situations concrètes, amenées par les pra-ticiens eux-mêmes que les intervenants de l’association vont articuler leur cours, prenant en compte, notamment: histoi-res de familles projets de vie et croyances héritées par rapport au handicap.Appartenances est donc cet espace où l’on peut se former à l’interculture, mais c’est aussi un lieu où vivre sa différence, quelle qu’elle soit. Dans les espaces sociaux de l’association, les personnes handicapées sont les bienvenues, qu’il s’agisse d’adultes en recherche de lien social ou d’enfants. Un accueil «enfants» est en effet prévu en fonction de sa capacité, pour les enfants en âge préscolaire des mamans suivant des cours au Centre Femmes, qu’ils vi-vent ou non avec un handicap...Les formations délivrées par Appartenancessont toutes certifiées EDUQUA.

Un espace où se former sur les questions de migrationUn secteur de formation, d’information et de recherche d’Appartenances, à LausanneMarie-Paule Zufferey, rédactrice

Nos pratiques à l’épreuve d’une théorie des deuils collectifs21, 22, 23 avril 2008, 17H15-20H15Intervenant: Jean Claude Métraux

Techniques participatives d’animation de groupes multiculturels20, 21, 27, 28 mai 2008, 17H15-20H15Intervenante: Isabel Eíriz Identité, altérité, pluralité: anthropologie de la santé et de la migration26 mai et 2 juin 2008, 18H-21HIntervenant: Ilario Rossi

Génogrammes et enfants migrantsDates: 3, 4 et 5 juin 2008, 17H15-20H15Intervenante: Francine Rosenbaum

Comment travailler avec un-e interprète commu-nautaire?11 et 12 juin 2008, 17H15-20H15Intervenant-e-s: Isabelle Fierro-Mühlemann, Mirella Batalli, Pascal Moret

Les cours ont lieu à la rue desTerreaux 10, Lausanne (Appartenances) Informations complémentaires: tél. +41 21 341 12 50 e-mail: [email protected] Site internet www.appartenances.ch

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La santé psychique réside en la faculté de l’être humain de gérer les tensions psychiques de manière sensée, autant pour la personne que pour son entourage. Cependant, lorsque ces tensions, touchant autant l’âme que la pensée, deviennent si intenses qu’elles portent atteinte au raisonnement, aux ressentis et aux actions, nous pouvons parler de troubles psychiques. Les personnes handicapées mentales et/ou polyhandicapées sont trois à quatre fois plus souvent atteintes de troubles psychiques que les personnes non handicapées. Si la personne présente un handicap mental grave, le taux des troubles psychiques est encore plus élevé. Ces personnes nécessitent des offres de soutien spé-cialement adaptées à leurs besoins.

Un trouble psychique a des répercussions sur le développement de la personne et in-fluence considérablement sa qualité de vie. Si une personne souffre de troubles psychiques durant une longue période, elle manque ou retarde des étapes importantes de son déve-loppement. Gérer des troubles du compor-tement et des troubles psychiques représente aussi une lourde charge pour les proches et les assistant-e-s professionnel-le-s. Comment gérer une situation dans laquelle une per-sonne se frappe durant des heures? Comment entrer en contact avec une personne qui se terre dans une chambre sombre, se balance d’avant en arrière et semble perdue dans un autre monde?

Diagnostic des troubles psychiques

Les personnes polyhandicapées peuvent souffrir des mêmes troubles psychiques que chacun d’entre nous. Un trouble psychique est présent lorsque le comportement et/ou l’état de santé d’une personne sont modifiés. Les formes d’expression peuvent être très va-riées: tristesse, retrait social, refus d’entrer en contact avec autrui, automutilation ou agres-sivité vis-à-vis des autres, grande agitation ou manque de concentration. Cependant, le dia-gnostic se fonde toujours sur les valeurs et les expériences personnelles, mais dépend égale-ment de la situation concrète. La question se pose aussi de savoir si le com-

portement s’inscrit dans une phase précise de développement. Il est normal qu’un enfant de deux ans entre en crise d’opposition ou qu’un-e adolescent-e se démarque de ses pa-rents. Les enfants présentant un trouble grave du développement cognitif vivent parfois ces phases plus tard, en raison d’un développe-ment ralenti. Une modification du compor-tement de la personne peut aussi découler d’un changement dans les conditions de vie comme, par exemple, le placement dans une autre institution ou le décès d’un proche. Chez les personnes dont l’expression verbale est limitée, les troubles du comportement peuvent représenter une forme de commu-nication. Ainsi, un comportement d’auto-mutilation peut être l’expression de douleurs physiques ou d’une insatisfaction. Il faut aussi tenir compte du fait que les personnes avec infirmité motrice cérébrale de plus de trente ans souffrent bien souvent de limites physi-ques s’ajoutant aux troubles déjà présents: par exemple, un besoin accru de sommeil doit dans ce cas être distingué d’un état dépressif.Il n’est souvent pas possible de poser un diagnostic clair. Ceci est surtout le cas lors-que la personne ne dispose pas du langage ou qu’elle ne peut s’exprimer que de manière limitée. Nous sommes dépendants de nos observations et celles-ci ne permettent pas toujours un diagnostic précis. Un diagnostic complet doit donc considérer non seulement la description du comportement mais aussi les ressources, l’entourage et la situation de vie de la personne.

L’origine du développement des troubles psychiques

La connaissance des causes possibles du déve-loppement d’un trouble psychique peut aider à surmonter cette affection ou à prévenir une nouvelle maladie. Il existe de nombreuses thè-ses explicatives concernant l’origine de troubles psychiques chez les personnes polyhandica-pées. On estimait autrefois que la lésion céré-brale était également responsable des troubles du comportement. Aujourd’hui, on reconnaît que d’autres facteurs, et souvent des facteurs encore inconnus, interviennent.

Les troubles psychiques chez les personnes polyhandicapéesSara Heer, licenciée en philosophie, pédagogue spécialisée, Association Cerebral Suisse

Les personnes polyhan-dicapées peuvent souffrir des mêmes troubles psychiques que chacun d’entre nous. Mais il est souvent difficile de poser un diagnostic clair, notamment en raison de l’absence ou de la limi-tation du langage. Pour établir un diagnostic complet, explique Sara Heer, il faut considérer, non seulement le com-portement, mais aussi les ressources, l’entou-rage et la situation de vie de la personne. C’est l’approche qu’elle déve-loppe dans cet article.

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En règle générale, différents facteurs agissant sur une longue durée sont res-ponsables du développement de troubles psychiques. Ces facteurs sont en corré-lation et s’influencent réciproquement. Souvent, les causes des troubles psychi-ques chez une personne polyhandica-pée ne peuvent être que supposées. En considérant les facteurs de risque, il est important de se rappeler que ceux-ci sont toujours vécus de manière individuelle. Alors qu’une personne va en développer des troubles psychiques, une autre peut les gérer sous une forme positive. La description suivante des facteurs de risque possibles met l’accent sur les fac-teurs aggravants auxquels les personnes polyhandicapées sont exposées, en com-paraison avec les personnes non handica-pées. L’énumération suivante ne se veut pas exhaustive.

Restrictions fonctionnelles

Les lésions cérébrales peuvent rendre plus vulnérable. Un enfant atteint d’une lésion cérébrale assimile différemment son environnement et possède souvent moins de possibilités pour gérer une si-tuation difficile.

Le développement de la communica-tion peut être entravé. La découverte de l’environnement est également influen-cée par le polyhandicap.

Les atteintes corporelles peuvent plus fréquemment engendrer un mal-être.

En cas de difficultés à percevoir et à traiter de manière adaptée les informa-tions de l’environnement, le sentiment de se sentir dépassé peut vite s’installer.

De nombreuses personnes polyhan-dicapées souffrent d’épilepsie. On sait que les personnes souffrant d’épilepsie développent plus souvent des troubles psychiques que les personnes non-épilep-tiques.

Relation parents-enfants

La naissance d’un enfant handicapé plonge souvent les parents dans le cha-grin et l’insécurité. Ceci peut influencer la construction d’une relation avec lui. De plus, l’enfant handicapé réagit très différemment de son frère ou de sa sœur non handicapé aux tentatives de contact des parents.

Le besoin d’aide de l’enfant fait que les interactions sont la plupart du temps dirigées par la personne référente. Un en-fant ou un adulte polyhandicapé a moins

de possibilités que d’autres pour exercer une influence sur son entourage.

Expériences sociales et événements de la vie

La construction des relations avec des personnes du même âge ou d’une relation de couple est souvent plus compliquée.

Des événements comme la sépara-tion d’avec une personne référente ou des périodes de transition faisant partie intégrante de la vie sont plus difficiles à comprendre et à gérer.

De plus, ces personnes sont confron-tées à des événements propres à la situa-tion de handicap tels que des hospitali-sations fréquentes, l’entrée en institution et les séparations d’avec des personnes référentes au sein d’un foyer.

La prise en charge des adultes poly-handicapés doit s’adapter au stade de dé-veloppement de ces derniers, tout en les prenant au sérieux en tant que personne adulte. Eviter la sous - ou la surestimation est une tâche exigeante pour l’entourage.

Le partenariat entre les parents et les professionnels ne fonctionne pas toujours de manière optimale. Si la collaboration ne fonctionne pas bien et si les parents visent d’autres objectifs pour leur enfant que ceux proposés par les professionnels, l’enfant ou l’adulte se retrouve pris entre les deux fronts. La personne handicapée ne souhaite décevoir personne ou se sent déstabilisée par les tensions entre les pa-rents et les professionnels.

Pour les personnes en institution, l’autodétermination est souvent limitée. Ceci peut aussi provoquer des troubles du comportement.

Les offres de mesures de soutien

Quand les parents ou les spécialistes observent un changement de comporte-ment de l’enfant, de l’adolescent-e ou de l’adulte polyhandicapé, il est judicieux de réagir au plus tôt afin de limiter les consé-quences à long terme. Lors d’un entretien commun entre les parents, les personnes référentes, les enseignant-e-s, les théra-peutes et autres professionnels concernés, il y a échange d’observations, analyse des origines possibles et discussion sur la marche à suivre et les objectifs visés. La personne adulte concernée doit, si pos-sible, être impliquée au maximum, sans toutefois lui en demander trop. Selon la situation, la participation d’une personne extérieure, telle qu’un conseiller ou une

conseillère, peut se révéler utile. A cette occasion, les différentes mesures d’aide destinées aussi bien à la personne concer-née qu’à l’entourage seront abordées. Un examen médical est également conseillé afin d’exclure une maladie d’ordre phy-sique.Il faut se rappeler que la guérison n’est pas planifiable. Le temps nécessaire à surmonter une crise est très individuel. Parfois, des événements imprévus dé-clenchent un changement. L’objectif est toujours l’évolution de la personne ainsi que l’amélioration de son état de santé psychique, et pas uniquement la réduc-tion des troubles du comportement.

Les mesures de soutien pour les personnes polyhandicapées

informations relatives au handicap et aux troubles psychiques;

adaptation et aménagement de l’en-vironnement;

accompagnement au quotidien (édu-catif et pédagogique spécialisés);

mesures pédago-thérapeutiques com-me par ex.: la balnéothérapie, l’approche Snoezelen, la stimulation basale;

psychothérapie lorsque l’état de santé ne s’améliore pas sur une longue période (il faut penser à s’informer avant pour savoir si les conditions nécessaires à une thérapie peuvent être remplies à long terme: financement, accompagnement, etc.);

accompagnement thérapeutique (ac-compagnement à long terme par un-e psychothérapeute);

examen psychiatrique et mise en pla-ce de la médication (le réexamen régulier du traitement médicamenteux est très important).

Les mesures de soutien pour l’entourage

Les offres pour les personnes accompa-gnatrices/enseignantes

formation continue;supervision et intervision;conseils spécialisés et études de cas.

Les mesures de soutien pour les famillesinformations concernant la situation

de handicap et les troubles psychiques;services de dépannage;groupes d’entraide;groupes et séminaires pour les frères

et sœurs;conseils;services pastoraux

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Lorsque l’on vit avec une personne polyhandicapée, certaines situations demandent une réaction immédiate afin de protéger la personne concernée ou soi-même. Ces mesures d’interventions de crise peuvent être des modifications de la structure journalière, un changement de milieu, du personnel en renfort, une médication d’urgence ou un time out. Lors d’un danger massif pouvant toucher les personnes impliquées, un transfert en milieu psychiatrique ou dans un groupe spécial d’interventions de crise peut se révéler nécessaire. La collaboration en-tre les différent-e-s professionnel-le-s est d’une importance décisive afin d’assurer une bonne prise en charge.

Prévention

Une importance toute particulière est accordée à la prévention des troubles psy-chiques. Il existe différentes possibilités de prévention, le renforcement de l’es-time de soi et des compétences sociales étant au centre des préoccupations, mais aussi le soutien de la famille et de bonnes conditions de vie au sein des institutions contribuent à la prévention.Parfois, les troubles psychiques survien-nent sans raison fondée et ne peuvent pas toujours être évités, quelle que soit la qualité de la prise en charge. A cela s’ajoutent les nombreux événements de la vie qui, malgré toute l’aide mise en

place, peuvent engendrer des blessures psychiques.

Les mesures de soutien pour renfor-cer l’estime de soi et les compétences sociales

mesures pédago-thérapeutiques, qui stimulent la personne concernée dans tous ses domaines de développement et qui prennent en compte l’importance de la relation entre les personnes;

mesures de soutien dans le domaine de la communication, consistant aussi à informer la personne handicapée en cas de modifications, etc. ou à la questionner sur ses perspectives d’avenir (planifica-tion de l’avenir);

favoriser les contacts sociaux avec les pairs;

renforcer l’estime de soi et le déve-loppement des compétences sociales dans le cadre scolaire et par la formation des adultes.

Le soutien de la famille permet de dé-charger les parents, ce qui, indirectement, influence aussi le bien-être de l’enfant. Ces mesures de soutien peuvent être les services de dépannage, les informations relatives au handicap, les échanges dans les groupes d’entraide ainsi que les mesu-res de soutien pour les frères et sœurs. Un contact régulier des parents avec les diffé-rentes institutions permet de se concerter

sur les buts et les méthodes car les conflits au niveau de la collaboration peuvent avoir un impact négatif sur le bien-être de la personne concernée. Aujourd’hui, les institutions tentent de tenir compte de l’autodétermination et laissent place aux besoins individuels. La prise de déci-sions personnelles contribue pour beau-coup à une bonne qualité de vie. Une bonne formation continue, entre autres sur le thème de la santé psychique, et la supervision des personnes accompagnan-tes s’avèrent également décisives.

Notices bibliographiques

Heer, S. (2005): «Wie geht es dir?» – «Ich auch» Menschen mit schweren kognitiven Entwicklungsbeeinträchtigungen und psychis-chen Störungen. Luzern: SZH.

Association Cerebral Suisse 2006: Les troubles psychiques chez les personnes polyhandicapées. Brochure n° 6. Soleure: Association Cerebral Suisse (à commander auprès de l’Association Ce-rebral Suisse, www.association-cerebral.ch, tél. +41 32 622 22 21).

Sara Herr, lic. phil. pédagogue spécialiséeAssociation Cerebral SuisseZuchwilerstrasse 43Case Postale [email protected]

Traduction: Rosmarie Koller, Arbon

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Les maîtres socio-professionnels (MSP) et autres travailleurs sociaux romands avaient le choix entre le 4 et le 5 février 2007 pour assister à la présentation du dispositif «Différent et Compétent», par son coor-donnateur Pierrot Amoureux. Organisé par l’ARPIH, ce séminaire dédoublé a eu son comptant de succès, puisqu’il a fait par deux fois le plein à l’Institut agricole de Grangeneuve, Fribourg. Survol d’une journée bien remplie.

«Il ne s’agit pas d’un modèle, mais d’une expérience», déclare Pierrot Amoureux, en préambule à son exposé sur le dis-positif «Différent et Compétent» (DC). Ambassadeur passionné et passionnant du projet qu’il pilote depuis 2003, ce menuisier-architecte-éducateur au parcours d’autodidacte entend bien nous faire par-tager son enthousiasme pour cette réalisa-tion qu’il présente comme une formidable «aventure humaine et professionnelle».

Pour la petite histoireCela se passe dans les années 2000, en Bre-tagne. Un groupe de directeurs d’Etablis-sements de Service et d’Aide par le Travail (ESAT) constate que «le développement d’activités à caractère économique en ESAT a atteint un niveau de compétitivité satisfaisant, sans que soit reconnue la qua-lification professionnelle ni les compéten-ces des ouvriers et ouvrières handicapé-e-s qui y participent». S’ensuit un questionne-ment fourni sur le «comment reconnaître et valoriser ce savoir-faire né de l’expé-rience professionnelle». C’est à partir de cette réflexion que va s’élaborer le projet «Différent et Compétent».

Au cœur du dispositifL’objectif du concept est donc de recon-naître les compétences et les acquis pro-fessionnels des travailleurs et travailleuses handicapé-e-s. A priori, rien de révolution-naire, du moins dans la formulation. Pour comprendre l’ambition et l’originalité du projet, il faut interroger l’ampleur et le succès du mouvement (sur 47 ESAT, 800

personnes handicapées ont déjà obtenu des attestations), les répercussions sur la culture institutionnelle, ainsi que l’officialité qui entoure ces reconnaissances.

Importance de l’officialitéL’attestation délivrée à la personne han-dicapée peut porter sur des gestes profes-sionnels très simples. Descriptive, elle ne reprend que ce qui a été validé par un jury de professionnels et de partenaires sociaux. Un livret, signé par les formateurs, ainsi que par un inspecteur de l’Education na-tionale est remis au lauréat lors d’une céré-monie très officielle, dans un amphithéâtre, avec photos, discours et appel au micro... «Un effet transformant pour les personnes concernées», assure Pierrot Amoureux.

Une culture institutionnelle bousculée La mise en place de ce dispositif nécessite un certain nombre de redéfinitions: adop-tion d’une éthique commune, ajustement des structures aux concepts d’organisation apprenante et d’éducabilité, ouverture des établissements vers l’extérieur... Passer de la posture de l’incapacité à celle du potentiel n’est pas sans conséquen-ces sur la culture d’une institution: au moniteur de dynamiser son implica-tion au-delà du clivage tout économique ou tout pédagogique; à la personne han-dicapée de s’approprier son projet individualisé; à l’institution de permettre les respirations nécessaires à l’évolution vers ces changements programmés.Parcours et mouvement sont deux mots qui pourraient illustrer le dispositif «Différent et Compétent». Le parcours est commun, mais l’avancement sur le chemin se fait se-lon une temporalité propre à chacun. Res-pecter le rythme individuel, cela signifie, pour un moniteur, être capable de séquen-cer le geste professionnel le plus élémen-taire, de le décortiquer, de l’analyser avec la personne accompagnée, puis de le recons-truire jusqu’à la conceptualisation. «Partir du principe que toute personne est capa-ble d’apprendre, mais aussi de construire des schémas qui vont lui permettre d’ap-

prendre; travailler constamment entre le comprendre et l’agir, c’est cela respecter le concept de l’éducabilité», explique Pier-rot Amoureux. C’est ainsi qu’il sera pos-sible d’accompagner l’apprenant vers son propre niveau de compétence. De cette compétence qui est faite non seulement de savoirs, de savoir-être, de savoir-faire, mais aussi de savoir-devenir...

Des appuis théoriques classiquesSi les plus grands classiques sont convoqués dans le champ théorique du dispositif DC - tels Vygotski, Brunner, Doise et Mugnuy ou encore Bandura (pour ne citer qu’eux) - Piaget reste pour P. Amoureux, la référence incontournable. Il faudrait encore évoquer les méthodes et les outils, les types d’acti-vités, les enjeux, les pratiques et les expé-rimentations, autant de volets commentés abondamment par P. Amoureux lors de son exposé et qui ne trouveraient pas place dans ce bref compte rendu2. Je me contenterai donc de relayer cette citation de Gœthe qui paraphe et résume à merveille l’idée fonda-trice du dispositif «Différent et Compétent»: «Traitez les gens comme s’ils étaient ce qu’ils pourraient être, et vous les aiderez à devenir ce qu’ils sont capables d’être».

«Différent et Compétent» en Suisse?A la question de savoir si un tel disposi-tif est applicable dans le contexte social suisse, les acteurs en présence étaient par-tagés, l’une des difficultés évoquées étant l’obtention de la reconnaissance de la part des patrons. Si le temps a manqué pour répondre avec pertinence à cette question de la faisabilité, un certain nombre de po-tentialités facilitatrices ont cependant pu être identifiées: un réseau institutionnel déjà existant (Insos), un relais via la for-mation des professionnels (ARPIH) et une pratique qui peut déjà commencer avec les acteurs sociaux présents à la journée d’étu-de... Car, conclut Pierrot Amoureux: «nul besoin d’être parfait pour débuter.. Il y a loin de la pollinisation à la germination...»

1Centre romand de formation sociale et de perfectionnement2Pour plus d’informations: www.arpih-edu.ch

«Différent et Compétent» en BretagneUn dispositif présenté à la Journée d’étude de l’ARPIH1

Marie-Paule Zufferey, rédactrice

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2008, l’année SGIPALe cinquantenaire d’une institution genevoiseMarie-Paule Zufferey, rédactrice

C’est en 1958 que voit le jour la «Société genevoise pour l’intégration profession-nelle d’adolescents et d’adultes», commu-nément désignée par l’acronyme SGIPA1.

Au commencement...A cette époque, l’AI n’existait pas encore et le paysage social n’était pas généreux en structures de prise en charge pour les per-sonnes fragilisées. C’est dans ce contexte que des parents d’enfants handicapés, dont Raymond Uldry, décident de créer une structure pour les adolescents qu’un dé-ficit scolaire massif empêche d’entreprendre un apprentissage2. Dans la foulée, le même groupe fonde l’association de parents de personnes mentalement handicapées (APMH) et le village d’Aigues-Vertes. La 1re structure de préapprentissage est ouverte à la rue de l’Aubépine; y viennent les élèves libérés de la scolarité obligatoire, pour parfaire leurs connaissances et s’orienter professionnellement2. Puis l’association crée un atelier protégé, destiné aux personnes handicapées mentales. La SGIPA est née, avec ce qui fait, aujourd’hui encore, sa spécificité: soutien scolaire et orientation d’une part et accompagnement dans un projet professionnel, d’autre part.

La mission se poursuit...En 2006, le secteur «préapprentissage» est repris par le Département de l’instruction publique. Aujourd’hui, la SGIPA gère 3 secteurs d’activités:- Formation, avec 2 écoles:

Le Centre Educatif de Formation ini-tiale (CEFI);

le Centre d’Intégration socio-profes-sionnelle (CISP).- Travail, avec 15 ateliers:

14 ateliers protégés de production; 1 unité de production adaptée (UPA)

pour personnes handicapées mentales en diminution de capacités.- Hébergement:

8 foyers de vie communautaire, pour personnes handicapées mentales;

1 service d’accompagnement à domi-cile (SdA).

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A contre-courant...L’ensemble de ces activités est réparti dans 23 endroits différents du canton de Genève. Pour l’actuel directeur de la SGIPA, Angelo Pronini, cet éclatement géographique des lieux est un héritage qui a ses avantages et ses inconvénients. S’il favorise une meilleure intégration des personnes handicapées dans le tissu social, il rend plus difficile la culture d’un certain «esprit de maison». «Par ailleurs, ajoute-t-il, nous sommes à contre-cou-rant de la tendance actuelle qui est aux regroupements... Cela dit, si l’organisa-tion de nos structures est discutable sur le plan du tout-économique, elle n’est, pour l’heure, pas encore trop discutée...» Il faut dire que la SGIPA favorise l’inté-gration professionnelle et sociale de quel-que 380 bénéficiaires...

Le travail, facteur d’épanouissementSi le travail est réaffirmé comme un fac-teur important dans le processus d’in-tégration, il n’est pas la seule valeur qui fonde la SGIPA. Le souci du bien-être de chacun-e, le maintien de l’autonomie, le respect des différences et le droit à une vie privée sont autant de facteurs pris en compte dans le développement des

programmes. Ainsi, la Fondation étudie actuellement la possibilité de créer un deuxième foyer destiné à accueillir les personnes vieillissantes, le premier étant déjà complet et cette population étant en constante augmentation. En projet d’étude également l’élaboration de certificats de travail et autres port-folio, qui permettraient de reconnaître officiellement les savoir-faire acquis par les travailleurs et travailleuses à travers les formations de la SGIPA.

Une longue année de fêtePendant son demi-siècle d’existence, la SGIPA a œuvré dans la discrétion. Aujourd’hui, elle veut se faire connaître. C’est la raison pour laquelle, à l’occasion de son 50e anniversaire, les dirigeants de la Fondation ont décidé de program-mer dix rendez-vous répartis sur l’année 2008: les trois prochains sont annoncés dans l’encadré ci-dessous. La suite au prochain numéro: quand la SGIPA se met au sport...

1L’association, créée en 1958 est devenue une fondation en 19982«Chronique du 50e», Fondation SGIPA, Genève3«Les ateliers protégés», Secteur Travail et Emploi, Fonda-tion SGIPA, Genève

Les rendez-vous du 50e

Samedi 24 mai 2008: un Atelier protégé aux SIGPrésentation et visite de l’Atelier protégé exploité par la SGIPALieu: Station d’Epuration des Eaux (STEP) d’Aïre

Jeudi 19 juin 2008: Fête du CEFI et du CISPRemise officielle des attestations de fin d’école en présence des élèves, de leurs parents et des partenaires officielsCEFI: exposition de travaux, production musicale et démonstration de voltige réalisés par les élèves.CISP: exposition de photos sur les activités et moments forts de l’école.Lieu: Au CEFI, route de Veyrier, Carouge et au CISP, à Conches

Samedi 13 septembre 2008: Manifestation publique du 50e

Rencontre avec le public et présentation de la SGIPA, de ses activités et de son apport à la communauté. Apéritif officiel Animation et petite restauration durant la journée.Lieu: Parc des Bastions, Genève, dès 11 heures

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Sélection

Comprendre et pratiquer le toucher relationnelEvelyne CorjouParis: Interéditions, 2007 -223 p.Collection Techniques de développement personnel

Toucher n’est pas un acte anodin. Il véhi-cule un langage infra-verbal qui nous per-met de communiquer et de tisser des liens relationnels indispensables avec autrui.

Toutefois, dans certaines circonstances, le toucher relationnel doit être normé. En effet, qu’il soit caresse, baiser, massage ou simple contact, le toucher possède une intimité qui parfois peut leurrer le patient.Ce livre nous fait découvrir comment le toucher relationnel as-siste celui qui est dans la souffrance, tant physique que morale. Il nous explique comment agir avec tact, afin de mieux soutenir celui qui est dans le désarroi.Cet ouvrage, étoffé de nombreux cas concrets, permet d’aborder le toucher dans toutes ses dimensions : psychologiques, sociolo-giques, thérapeutiques, éthiques, philosophiques et religieuses.

Handicap, un challenge au quotidien, suivi du Guide du mieux vivre ensembleCesarina Moresi et Philippe BarraquéBernex: Editions Jouvence, 2007 – 190 p.

Nous avons beaucoup à apprendre de la personne handicapée qui a su se forger une philosophie de vie et développer ce talent de vivre normalement «autrement».Même si nous sommes tous différents, certains êtres le sont plus que d’autres au regard de la norme établie par le plus grand nombre. Cesarina est handicapée physique, Philippe est valide: là commence la différence. Leurs chemins de vie se sont pour-tant croisés et, des années de vie commune plus tard, ils témoi-gnent de leur parcours, qui n’est pas émaillé d’exploits extraor-dinaires, mais de petites batailles gagnées sur le quotidien.Ce livre apporte le message d’un couple qui, à travers sa propre expérience, s’implique à faire évoluer les mentalités. Tous les thèmes de la vie y sont évoqués avec amour et compréhension, à la fois au niveau de la quête de sens et de la vie quotidienne, parfois la plus ordinaire.Avocate, Cesarina Moresi est diplômée en droit des affaires et travaille dans un cabinet américain à Paris. Son vécu du handi-cap, elle a souhaité le transmettre en menant des actions de sen-sibilisation au sein d’associations pour améliorer le quotidien de la personne handicapée. Chercheur, universitaire, Philippe Bar-raqué milite depuis de nombreuses années, notamment auprès des élus locaux et des médias, pour l’intégration des personnes handicapées dans notre société.

L’accompagnement psychologi-que et spirituel: guide de la rela-tion d’aideJacques PoujolParis: Empreintes temps présent, 2007 – 436 p.Collection Relation d’aide

Aider les autres ne s’improvise pas! Pour cette mission complexe et délicate, la bonne volonté ne saurait remplacer de solides compétences.

Dans cet ouvrage, l’auteur expose de manière approfondie les divers aspects théoriques et pratiques de la relation d’aide. L’analyse transactionnelle, la PNL, la thérapie cognitive et com-portementale et d’autres outils thérapeutiques sont autant de repères conceptuels et pratiques utiles face aux situations de dépression, d’angoisse, de culpabilité, d’abus sexuels, d’addic-tions, de harcèlement moral, de violence conjugale, de troubles alimentaires, etc.Ce livre s’adresse à tous ceux qui, dans leur vie personnelle ou professionnelle, sont sollicités pour accompagner ces situations de détresse.L’auteur est pasteur, psychothérapeute, conseiller conjugal et familial.

La malvoyance chez l’adulte: la comprendre, la vivre mieuxCoordonné par Caroline KovarskiParis:Vuibert, 2007 - 399 p.

Fatalité subie, la malvoyance est aujourd’hui une déficience à laquelle peuvent être apportées certaines aides. Si la survenue de la maladie ne peut être évitée, une rééducation spécifique, des aides techniques et humaines, des outils optiques adaptés, des prises en charge

appropriées sont autant de propositions qui peuvent désormais aider la personne malvoyante à utiliser le meilleur de son po-tentiel visuel. Toutes ces informations sont ici regroupées, syn-thétisées, clarifiées pour répondre aux besoins et questions des personnes malvoyantes, de leur entourage et des professionnels de la santé.Motivée par l’ambition du projet, l’équipe de spécialistes inter-nationaux qui a rédigé cet ouvrage a souhaité transmettre tou-tes ses connaissances et savoir-faire pour donner à la personne malvoyante la possibilité de vivre au mieux avec elle-même, et aux autres acteurs de saisir le handicap que la malvoyance re-présente.L’ouvrage est imprimé en gros caractères.

Loïc Diacon, responsable infothèque, Haute Ecole de Travail Social (IES), Genève

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5eFestivalArthemodu11au13septembre2009 Morges/VDArtetHandicapmental Avis aux artistes!

Proposez dès à présent vos spectacles, vos concerts, vos œuvres artistiques ou participez au concours de dessins pour l’affiche du Festival Arthemo 2009

Délaid’inscription:30juin2008 www.arthemo.ch

Renseignements et bulletins de participation: ASA-Handicap Mental Rue des Casernes 36 - CP 4016 - CH 1950 Sion 4 Tél. +41 27 322 67 55 – Fax +41 27 322 67 65 [email protected] www.asa-handicap-mental.ch

ASA-HANDICAPMENTALPROPOSEDESRENCONTRESPERIODIQUES

ENTREPROFESSIONNELS,PARENTSETPERSONNESHANDICAPEES

dèsmai2008danslescantonsdeGenève,VaudetValais

sur le thème:

«Le dialogue: Professionnels – Parents - Personnes en situation de handicap»

But des rencontres -Réunirlesprofessionnels,lesparentsetlespersonnesensituationdehandicapautour d’unepréoccupationpartagée; -Favoriserleséchangesparuneconfrontationdespointsdevue,lepartagedesdifficultés rencontréesetdesexpériencesvécues; -S’informeretseformermutuellementafind’améliorerlepartenariatettendreversune actioncommuneetcoordonnée.

Participationgratuite!

Participez et faites participer!

Renseignementsetinscriptions:[email protected]él.+41273226755

ARTHEMO

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Théâtre de l’EsquisseUne création en reprise

Le rêve des petites valises

Am Stram Gram Le ThéâtreMercredi 28 à 20h30, jeudi 29 à 19h00

et vendredi 30 à 20h30 // mai 2008

Location : Am Stram Gram Le Théâtre Tél 022 735 79 24 - www.amstramgram.ch

« (…) Ce Rêve des petites valises est le miroir lumineuxde ses interprètes. Et le nôtre, tant les comédiens ontl’art de rendre désirable leur terra incognita. (…) »

A. Demidoff, Le Temps

Le rêve des petites valisesThéâtre de l’Esquisse

Dans une zone frontière incertaine, un homme cherche à (s’)expliquer sa situation face à undouanier incrédule. Mais comment expliquer « ce qu’on fait là », pourquoi et comment « on enest arrivé là » ?Avec leurs petites valises énigmatiques, des passeurs fugaces ou ludiques déploient l’écho deces interrogations dans une chorégraphie multiple où se conjuguent légendes, souvenirs et ren-contres : l’espace d’une vie (…)

« … Avec quantités de petits riens, la lenteur des mots rares et des rituels qui prennent le tempsde s’installer sans jamais fixer le sens, le Théâtre de l’Esquisse produit un extraordinaire espace-temps sans hiérarchie. Intensité de l’instant, échos poétiques, chorégraphies de l’invisible,présences graves ou légères, farce et drame, tout cela laisse le spectateur rassasié de troubles,ému comme rarement. (…) »

Michèle Pralong

Le Théâtre de l'Esquisse

Le projet du Théâtre de l'Esquisse se développe depuis 1984 (année de son premier spectaclepublic, Mirages) à partir d'ateliers de théâtre et de danse proposés régulièrement à des person-nes handicapées mentales par l'association Autrement-Aujourd'hui.Dès ses premières productions, il a pu inscrire sa démarche singulière dans les réseaux profes-sionnels du théâtre indépendant : coproductions avec le Festival de la Bâtie, avec le ThéâtreSaint-Gervais, puis avec ForuMeyrin où a été créé « Le rêve des petites valises » en 2005.Plusieurs de ses spectacles ont été régulièrement tournés en Suisse et en France.

Coproduction : Théâtre ForuMeyrin / Théâtre de l’Esquisse - Autrement-Aujourd’hui, association.

Soutiens : Ville de Genève - Département des affaires culturelles ; Département de l’instruction publiquede l’Etat de Genève (Service des Affaires Culturelles) ; Sociétés de la Loterie Romande du Canton deGenève et du Canton de Vaud ; CORODIS ; Fondation Hans Wilsdorf ; Pro Helvetia, Fondation suissepour la culture.

Le credasa le plaisir de vous annoncer ses prochaines Rencontres

quiaurontlieule6 juin 2008

AniméeparMadame Christiane Robert-Tissot,cettejournéed’étudeintitulée

Pas toujours un simple jeu d’enfantsL’enfant en situation de handicap à la rencontre de ses pairs

auralieuàlaHEP-VD,àLausanne

Renseignements et inscriptions sur le site www.credas.ch ou au +41 79 258 03 84