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week-end/mémoire Dimanche 19 janvier 2014 . LA DÉPÊCHE DU MIDI .9 ILS PERPETUENT LE GESTE Le sculpteur Christian André- Acquier est aussi le fondateur de l’espace Bourdelle sculp- ture à Montaban. Son but : faire que la sculpture et plus généralement les arts de l’es- pace et de la matière connais- sent leur pleine autonomie d’expression et de diffusion. Depuis 15 ans, ce centre régio- nal de formation est ouvert à tous ceux qui souhaitent prati- quer la sculpture, qu’ils soient débutants ou confirmés. Il or- ganise aussi des conférences, des ateliers, des expositions et des sorties. Rive gauche, 172 rue Gustave Jay, 82 000 Montauban. Tel.05.63.63.90.15. A deux pas de la gare Montpar- nasse, à Paris,dans les anciens ap- partements de Bourdelle, 15 000 images ont été découvertes dans un car- tonnier secret . Elles permettent de décou- vrir la dimension intérieure de l’œuvre du sculpteur. Regroupées sous le thème «Bourdelle intime», elles sont à découvrir jusqu’au 23 février au musée Bourdelle. Rien ne destinait Antoine Bourdelle (1861- 1929) à devenir un sculpteur de renom. Rien à part une habileté certaine à manier la matière et une aptitude particulière à saisir les opportunités d’un entourage bienveillant. Fils d’ébéniste, petit-fils de chevrier et de tisserand, Bourdelle est une élève médio- cre. Il quitte l’école à 13 ans, à peine ins- truit et parlant un français hasardeux d’au- todidacte.Antoine Bourdelle intègre aus- sitôt l’atelier de son père où il travaille à l’ornement des meubles. Là, il se fait re- marquer pour ses qualités manuelles par des clients prestigieux. Ces derniers l’en- couragent à rejoindre l’école des Beaux- Arts de Toulouse et l’aident même à ob- tenir une bourse d’études. Bourdelle a 15 ans quand il part étudier à Toulouse. Huit ans durant, il apprend le métier de sculpteur. Bourdelle sortira second du concours de fin d’année. A 25 ans, il re- joint la capitale et les cours de Falguières, professeur aux Beaux Arts de Paris. Son objectif est de préparer le Prix de Rome. Mais il échouera. Sa famille le rejoint à Paris Beau garçon, reconnaissable à sa tignasse brune, Antoine Bourdelle mène une vie de bohème à Paris. Élevé dans une famille aimante à Montauban, les siens lui man- quent rapidement. Après avoir trouvé un atelier à Montparnasse, impasse du Maine – l’actuel musée Bour- delle qui est resté dans son jus– il fait monter sa famille à Pa- ris.Son père, sa mère, sa grand- mère et même la tante Rose s’installent dans les apparte- ments près de l’atelier. Toute sa vie, Bourdelle gardera un fort attachement à Montau- ban, à son Païs,à «sa petite pa- trie» comme il aimait à la qualifier. L’éloi- gnement ne fait que magnifier cet atta- chement qu’il entretient comme un mythe. «Il fait toutes ses œuvres à Paris, empreint de cette nostalgie », explique Christian André-Acquier, fondateur de l’Espace Bourdelle Sculpture à Mon- tauban (lire ci-contre). « Que je le veuille ou non, je sculpte en langue d’Oc», confirmera Bourdelle. Les premiers temps à Paris, l’artiste vit grâce au soutien la communauté montal- banaise qui lui passe commandes. En 1895, la ville lance un concours pour le monument aux Morts de la Guerre de 1870. Le sachant, Bourdelle se met sur les rangs. Il invente un monument exception- nel dans une conception allégorique de l’espace. Rodin, Giacometti L’année 1893 sera marquante pour Bour- delle. Il rencontre Auguste Rodin qui le recrute comme praticien dans son atelier. «L’auteur de «La porte de l’Enfer» ne se trompait pas, il savait s’entourer des meilleurs. Les deux artistes sont unis par une réelle amitié et une re- connaissance mutuelle. « Bourdelle travai llait beaucoup pour se dégager de l’em- prise de Rodin et trouver sa voie. Il intro- duit le vide dans la sculpture », précise Christian André-Acquier. Le sculpteur obtient une véritable reconnaissance pu- blique en 1910 avec son Héraklès archer. Professeur à l’Académie de la Grande Chaumière, Bourdelle enseigna la sculp- ture à Germaine Richer, mais aussi Al- berto Giacometti. Aujourd’hui, Montau- ban reste attaché à son sculpteur. C’est un musée Bourdelle à ciel ouvert. On y re- cense une dizaine de sculptures réparties dans toute la ville et au musée Ingres. «Pénélope» réunit ses deux femmes Antoine Bourdelle se marie deux fois, avec deux de ses modèles. Il épouse d’abord Stéphanie Van Parys en 1903, il divorce en 1910 pour épouser Cléopâtre Sevas- tos, une Grecque de 20 ans sa cadette. L’artiste parvient à réunir ses deux épou- ses dans « Penelope», une sculpture qui a le visage de la première et la posture de la seconde. Antoine Bourdelle s’est éteint le 1 er octo- bre 1929. À 68 ans. « Après une journée de longue vie», selon ses écrits . A la fin de sa vie, il aurait même ajouté : « Mon vrai travail n’est pas encore commencé. J’ai tout à reprendre par le commence- ment.» Sophie Vigroux En pays d’oc, on est tailleur de pierre, de corne ou d’os, on est sculpteur, comme ailleurs on peut être codot- tière, couturier, cuisinier. On l’est de temps immémorial, à toutes les époques et encore à pré- sent. Quand les hommes vivaient de cueillette, de chasse, de pêche, puis de légumes et de céréales, cultivés, cuits au feu, déjà il y avait un peu partout des gens pour dégager et parfaire une forme que leur regard avait su voir en attente de naître du rocher, du galet, de l’argile. Une forme qui allait illimiter leur rêverie, les éclairer sur l’au-delà et l’en-deça du visible, nourrir et exalter leur désir de beauté, de fécondité, de permanence, d’éternité, d’accordailles entre le ciel et la terre, entre les mor- tels et les dieux. Sur tout le territoire occitan, la statuaire est reine. A Lespugues et à Brassempouey, voici la femme pri- mordiale, toute en rondeurs ici, gracille là et divine pareillement. C’est dans la Vallée des Merveilles, sous la coupole du ciel, le paysan guidant son trou- peau ou, vu du ciel, tenant le mancheron d’une charrue que tirent des bœufs attelés. Dans mon sud Aveyron, les statues-menhirs, de- puis 5000 ans, nous révèlent que l’Eternel est cou- ple, mâle et femelle. Sacralisant le paysage sans exiger ni offrandes ni prières, trouvant la paix à nous regarder vivre en société. Sur la monnaie sans pareille des Gaulois l’homme et le cheval, de profil, rivalisent de vie, de mouvements, de splendeur quasiment divine... Le Moyen Age roman mais aussi gothique – avec les choix qui, en Occitanie, lui sont propres – , fait parler la fresque, mais surtout la sculpture, plus polysémi- quement que la légende ou le texte sacré. La statue pousse, dans sa verticalité et son volume, à la rêve- rie, la libre réflexion, la caresse de la main et des yeux avec une surabondance de révélations que les gloses des théologiens, des histoirens, des psycho- logues, des sociologues étouffent dans l’œuf. A la tribune de marbre rose de Serrabonne dialo- guent l’ange “Au regard désert d’oiseau” et les cen- taures qui s’affrontent. A Souillac, les prophètes de pierre ne disent pas la gloire de Dieu: ils la dansent. En Auvergne, les Vierges noires, paysannes de mine et d’habits, se font Sièges de la Sagesse, consola- tion des affligés, cause de notre joie. Leur fils, noir à Saint-Flour, livide, sanglant, décharné, à Perpignan est à la fois vrai Dieu et vrai homme. Montauban s’est montrée exemplaire en donnant à tant d’espaces publics une fonction de musée de plein air et (en dépit de son passé calviniste hostile à toute forme d’idoles) en faisant la part belle aux statues d’un de ses fils, Antoine Bourdelle. Fils de menuisier, lecteur impénitent, proche de libres penseurs anticléricaux comme Antonin Perbosc et Anatole France, Bourdelle préfère la mythologie et la poésie grecque antique, aux fables de la Bi- ble,aux figures de la légende dorée. Avec lui, Mon- tauban magnifie Sapho et Pénélope, le Centaure mourant, Héraklès tout en muscles et en nerfs. La France prend le visage d’Athéna. Et dans son pan- théon figurent Michelet et Arago, la Liberté prête au combat, le Grand Guerrier voué à sa défense. Flâner dans Montauban, s’attarder devant les œu- vres de Bourdelle pour qui la sculpture était «du dessin dans tous les sens», pour qui le vide dans les statues avait autant d’importance que les pleins, c’est aller de bonheur en bonheur, de pans entiers d’histoire en continus émerveillements. Depuis les bords du Tarn jusqu’à l’université protestante, du musée Ingres à l’Ancien Collège, de la place Royale au Jardin des Plantes, tout y plaide pour la tolé- rance, la laïcité et le mépris des vieilles peurs. Par Yves Rouquette ACCENT DOC Sa majesté la statuaire arts Bourdelle et ses praticiens dans son atelier, juillet 1903. 15 000 IMAGES> découvertes dans un cartonnier secret. Images, ti- rages, négatifs... au total ce sont quelque 15000 clichés qui ont été découverts dans un cartonnier se- cret dans les appartements du sculpteur Antoine Bourdelle à Paris. Ces images ont donné naissance à une exposition «Bourdelle intime» qui dévoile un côté inédit de l’atelier du sclupteur, lieu de création mais aussi de vie familiale. A décou- vrir,jusqu’au 23 février, au Musée Bourdelle, à Paris.Tel. 01.49.54.73.91. repères Juste en face du Musée Ingres,à Montauban, une plaque est apposée sur la façade d’une maison. Elle indique le lieu de naissance d’un autre grand ar- tiste qui vit le jour en Tarn-et- Garonne : Antoine Bourdelle. l’essentiel Il s’est marié deux fois avec deux de ses modèles. «La matière est sourde à la main qui n’a pas comme outil l’amour. » E. Antoine Bourdelle, sculpteur. Le sculpteur Antoine Bourdelle dans son atelier, à Montparnasse ./ Photos B.Fougeirolle/Terra Luna/Musée Bourdelle. «A force d’erreurs, tu t’éclaires pourvu que tu aimes toujours. » De Montauban à Paris, Bourdelle sculpte en langue d’Oc L’Heraklès archer.1910. Christian André-Acquier, te- nant le visage de Beethoven réalisé par Bourdelle./ DDD, S.V. POUR ALLER PLUS LOINJournal numérique : cliquez sur l’image de gauche pour voir le site du musée Bourdelle, à Paris. UN LIVRE> «Bourdelle». Conser- vateur du patrimoine, Stéphanie Cantarutti livre un portrait inédit de Bourdelle et de l’activité des ateliers du Maître à Montparnasse. Son ou- vrage passionnant permet d’entrer dans le secret de la vie de ce sculp- teur majeur du XX e siècle. Ed. Alerna- tives, Gallimard, 176 p., 32€.

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week-end/mémoire

Dimanche 19 janvier 2014 . LA DÉPÊCHE DU MIDI .9

ILS PERPETUENT LE GESTE

Le sculpteur Christian André-Acquier est aussi le fondateur de l’espace Bourdelle sculp-ture à Montaban. Son but : faire que la sculpture et plus généralement les arts de l’es-pace et de la matière connais-sent leur pleine autonomie d’expression et de diffusion. Depuis 15 ans, ce centre régio-nal de formation est ouvert à tous ceux qui souhaitent prati-quer la sculpture, qu’ils soient débutants ou confirmés. Il or-ganise aussi des conférences, des ateliers, des expositions et des sorties. Rive gauche, 172 rue Gustave Jay, 82 000 Montauban. Tel.05.63.63.90.15.

A deux pas de la gare Montpar-nasse, à Paris,dans les anciens ap-partements de Bourdelle, 15 000

images ont été découvertes dans un car-tonnier secret . Elles permettent de décou-vrir la dimension intérieure de l’œuvre du sculpteur. Regroupées sous le thème «Bourdelle intime», elles sont à découvrir jusqu’au 23 février au musée Bourdelle. Rien ne destinait Antoine Bourdelle (1861-1929) à devenir un sculpteur de renom. Rien à part une habileté certaine à manier la matière et une aptitude particulière à saisir les opportunités d’un entourage bienveillant. Fils d’ébéniste, petit-fils de chevrier et de tisserand, Bourdelle est une élève médio-cre. Il quitte l’école à 13 ans, à peine ins-truit et parlant un français hasardeux d’au-todidacte.Antoine Bourdelle intègre aus-sitôt l’atelier de son père où il travaille à l’ornement des meubles. Là, il se fait re-marquer pour ses qualités manuelles par des clients prestigieux. Ces derniers l’en-couragent à rejoindre l’école des Beaux-Arts de Toulouse et l’aident même à ob-

tenir une bourse d’études. Bourdelle a 15 ans quand il part étudier à Toulouse. Huit ans durant, il apprend le métier de sculpteur. Bourdelle sortira second du concours de fin d’année. A 25 ans, il re-joint la capitale et les cours de Falguières, professeur aux Beaux Arts de Paris. Son objectif est de préparer le Prix de Rome. Mais il échouera.

Sa famille le rejoint à Paris Beau garçon, reconnaissable à sa tignasse brune, Antoine Bourdelle mène une vie de bohème à Paris. Élevé dans une famille aimante à Montauban, les siens lui man-quent rapidement. Après avoir trouvé un atelier à Montparnasse, impasse du Maine – l’actuel musée Bour-delle qui est resté dans son jus– il fait monter sa famille à Pa-ris.Son père, sa mère, sa grand-mère et même la tante Rose s’installent dans les apparte-ments près de l’atelier. Toute sa vie, Bourdelle gardera un fort attachement à Montau-ban, à son Païs,à «sa petite pa-trie» comme il aimait à la qualifier. L’éloi-gnement ne fait que magnifier cet atta-chement qu’il entretient comme un mythe. «Il fait toutes ses œuvres à Paris, empreint de cette nostalgie », explique Christian André-Acquier, fondateur de l’Espace Bourdelle Sculpture à Mon-tauban (lire ci-contre). « Que je le

veuille ou non, je sculpte en langue d’Oc», confirmera Bourdelle. Les premiers temps à Paris, l’artiste vit grâce au soutien la communauté montal-banaise qui lui passe commandes. En 1895, la ville lance un concours pour le monument aux Morts de la Guerre de 1870. Le sachant, Bourdelle se met sur les rangs. Il invente un monument exception-nel dans une conception allégorique de l’espace.

Rodin, Giacometti L’année 1893 sera marquante pour Bour-delle. Il rencontre Auguste Rodin qui le

recrute comme praticien dans son atelier. «L’auteur de «La porte

de l’Enfer» ne se trompait pas, il savait s’entourer

des meilleurs. Les deux artistes sont unis par une réelle amitié et une re-

connaissance mutuelle. « Bourdelle travaillait beaucoup pour se dégager de l’em-prise de Rodin et trouver sa voie. Il intro-duit le vide dans la sculpture », précise Christian André-Acquier. Le sculpteur obtient une véritable reconnaissance pu-blique en 1910 avec son Héraklès archer. Professeur à l’Académie de la Grande Chaumière, Bourdelle enseigna la sculp-ture à Germaine Richer, mais aussi Al-berto Giacometti. Aujourd’hui, Montau-ban reste attaché à son sculpteur. C’est un musée Bourdelle à ciel ouvert. On y re-cense une dizaine de sculptures réparties dans toute la ville et au musée Ingres.

«Pénélope» réunit ses deux femmes Antoine Bourdelle se marie deux fois, avec deux de ses modèles. Il épouse d’abord Stéphanie Van Parys en 1903, il divorce en 1910 pour épouser Cléopâtre Sevas-tos, une Grecque de 20 ans sa cadette. L’artiste parvient à réunir ses deux épou-ses dans « Penelope», une sculpture qui a le visage de la première et la posture de la seconde. Antoine Bourdelle s’est éteint le 1er octo-bre 1929. À 68 ans. « Après une journée de longue vie», selon ses écrits . A la fin de sa vie, il aurait même ajouté : « Mon vrai travail n’est pas encore commencé. J’ai tout à reprendre par le commence-ment.»

Sophie Vigroux

En pays d’oc, on est tailleur de pierre, de corne ou d’os, on est sculpteur, comme ailleurs on peut être codot-tière, couturier, cuisinier. On l’est de temps immémorial, à toutes les époques et encore à pré-sent. Quand les hommes vivaient de

cueillette, de chasse, de pêche, puis de légumes et de céréales, cultivés, cuits au feu, déjà il y avait un peu partout des gens pour dégager et parfaire une forme que leur regard avait su voir en attente de naître du rocher, du galet, de l’argile. Une forme qui allait illimiter leur rêverie, les éclairer sur l’au-delà et l’en-deça du visible, nourrir et exalter leur désir de beauté, de fécondité, de permanence, d’éternité, d’accordailles entre le ciel et la terre, entre les mor-tels et les dieux. Sur tout le territoire occitan, la statuaire est reine. A

Lespugues et à Brassempouey, voici la femme pri-mordiale, toute en rondeurs ici, gracille là et divine pareillement. C’est dans la Vallée des Merveilles, sous la coupole du ciel, le paysan guidant son trou-peau ou, vu du ciel, tenant le mancheron d’une charrue que tirent des bœufs attelés. Dans mon sud Aveyron, les statues-menhirs, de-puis 5000 ans, nous révèlent que l’Eternel est cou-ple, mâle et femelle. Sacralisant le paysage sans exiger ni offrandes ni prières, trouvant la paix à nous regarder vivre en société. Sur la monnaie sans pareille des Gaulois l’homme et le cheval, de profil, rivalisent de vie, de mouvements, de splendeur quasiment divine... Le Moyen Age roman mais aussi gothique – avec les choix qui, en Occitanie, lui sont propres – , fait parler la fresque, mais surtout la sculpture, plus polysémi-quement que la légende ou le texte sacré. La statue pousse, dans sa verticalité et son volume, à la rêve-

rie, la libre réflexion, la caresse de la main et des yeux avec une surabondance de révélations que les gloses des théologiens, des histoirens, des psycho-logues, des sociologues étouffent dans l’œuf. A la tribune de marbre rose de Serrabonne dialo-guent l’ange “Au regard désert d’oiseau” et les cen-taures qui s’affrontent. A Souillac, les prophètes de pierre ne disent pas la gloire de Dieu: ils la dansent. En Auvergne, les Vierges noires, paysannes de mine et d’habits, se font Sièges de la Sagesse, consola-tion des affligés, cause de notre joie. Leur fils, noir à Saint-Flour, livide, sanglant, décharné, à Perpignan est à la fois vrai Dieu et vrai homme. Montauban s’est montrée exemplaire en donnant à tant d’espaces publics une fonction de musée de plein air et (en dépit de son passé calviniste hostile à toute forme d’idoles) en faisant la part belle aux statues d’un de ses fils, Antoine Bourdelle. Fils de menuisier, lecteur impénitent, proche de libres

penseurs anticléricaux comme Antonin Perbosc et Anatole France, Bourdelle préfère la mythologie et la poésie grecque antique, aux fables de la Bi-ble,aux figures de la légende dorée. Avec lui, Mon-tauban magnifie Sapho et Pénélope, le Centaure mourant, Héraklès tout en muscles et en nerfs. La France prend le visage d’Athéna. Et dans son pan-théon figurent Michelet et Arago, la Liberté prête au combat, le Grand Guerrier voué à sa défense. Flâner dans Montauban, s’attarder devant les œu-vres de Bourdelle pour qui la sculpture était «du dessin dans tous les sens», pour qui le vide dans les statues avait autant d’importance que les pleins, c’est aller de bonheur en bonheur, de pans entiers d’histoire en continus émerveillements. Depuis les bords du Tarn jusqu’à l’université protestante, du musée Ingres à l’Ancien Collège, de la place Royale au Jardin des Plantes, tout y plaide pour la tolé-rance, la laïcité et le mépris des vieilles peurs.

Par Yves Rouquette

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Sa majesté la statuaire

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Bourdelle et ses praticiens dans son atelier, juillet 1903.

15 000 IMAGES> découvertes dans un cartonnier secret. Images, ti-rages, négatifs... au total ce sont quelque 15000 clichés qui ont été découverts dans un cartonnier se-cret dans les appartements du sculpteur Antoine Bourdelle à Paris. Ces images ont donné naissance à une exposition «Bourdelle intime» qui dévoile un côté inédit de l’atelier du sclupteur, lieu de création mais aussi de vie familiale. A décou-vrir,jusqu’au 23 février, au Musée Bourdelle, à Paris.Tel. 01.49.54.73.91.

repères

Juste en face du Musée Ingres,à Montauban, une plaque est apposée sur la façade d’une maison. Elle indique le lieu de naissance d’un autre grand ar-tiste qui vit le jour en Tarn-et-Garonne : Antoine Bourdelle.

l’essentiel

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Il s’est marié deux fois avec deux de ses modèles.

«La matière est sourde à la main

qui n’a pas comme outil l’amour. »

E. Antoine Bourdelle, sculpteur.Le sculpteur Antoine Bourdelle dans son atelier, à Montparnasse ./ Photos B.Fougeirolle/Terra Luna/Musée Bourdelle.

«A force d’erreurs, tu t’éclaires pourvu que tu aimes toujours. »

De Montauban à Paris, Bourdelle sculpte en langue d’Oc

L’Heraklès archer.1910.

Christian André-Acquier, te-nant le visage de Beethoven réalisé par Bourdelle./ DDD, S.V.

POUR ALLER PLUS LOIN Journal numérique : cliquez sur l’image de gauche pour voir le site du musée Bourdelle, à Paris.

UN LIVRE> «Bourdelle». Conser-vateur du patrimoine, Stéphanie Cantarutti livre un portrait inédit de Bourdelle et de l’activité des ateliers du Maître à Montparnasse. Son ou-vrage passionnant permet d’entrer dans le secret de la vie de ce sculp-teur majeur du XXe siècle. Ed. Alerna-tives, Gallimard, 176 p., 32€.