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Date : 18/24 FEV 16 Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 97558 Page de l'article : p.54-57 Journaliste : Marie Chaudey Page 1/4 ZULMA 7076007400504 Tous droits réservés à l'éditeur Culture Réunis par La Vie, Makenzy Orcel, le jeune romancier qui monte, et René Depestre, la légende vivante de la littérature haïtienne, dialoguent en toute complicité. HAÏTI, LA PASSION D'UNE ÎLE /:

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CultureRéunis par La Vie, Makenzy Orcel, le jeune romancierqui monte, et René Depestre, la légende vivante dela littérature haïtienne, dialoguent en toute complicité.

HAÏTI,LA PASSIOND'UNE ÎLE

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MAKENZY ORCEL ET RENÉ DEPESTRE,deux gêné o c.nsqu prouve llétenellev ta ite de la littérature ha tienne

Makenzy Orcel1983 Naissance è Port au Princell grandit dans le quartiertrès pauvre de Mart ssant

2010 ll écr t son premier roman(es Immortelles dans le sillage dutremblement de terre du 12 janvierchez Mémoire d encrier (Québec)

2012 Les Immortelles sont publiéesen F ance par Zulma

2015 ll entre en résidence d écr turea Laval (Mayenne) pour un an

2016 ll sort son deuxième romanI Ombre animale chez Zulma

René Depestre1926 Naissance à Jacmel

1946 Expulsé d Haïti il poursu tses études à Paris et rejointle Parti communiste français

1959 Arrive a Cuba au début dela révolution ll enseignera 20 ansa I université de La Havane

1978 Expulsé de Cuba il entreà la direction de I Unesco à Paris

1988 Son roman Hadnanadans tous mes rëves remportele prix Renaudot ll s installedans le sud de la France

2016 Son roman Popa Singerso rt chez Zulma

livresA bientôt go ans Rene Depestre garde

une met oyable viv acite d esprit une bonnehumeur contagieuse et le pouvou intact detenu une audience suspendue a ses levresAvec lejeune romanciei Makenzy Orcel,adrmratif nous sommes venus le retrouveia Lezignan Corbiereb pies de Narbonne,dans la maison d artiste au péristyle enlacede vigne vierge ou il a pose ses bagages il yasoans lin en bouge plus pasmemepourrepondre a une invitation a diner a I Elyseeen compagnie d une vieille connaissanceRaul Castro II est pourtant lom detre uni eclus maîs ceux qui I aiment prennent leti ain pour le retrouver lui le poète etlegende vivante du XXe siecle Ecrivainengage longtemps activiste communisteDepestre a ete de toutes les révolutions depart et d autre du rideau de fer Expulsed Haïti apres I insurrection de 1946 eludiant a la Sorbonne et militant de la decoIonisation il fut interdit de territoire français pour 25 ans Passe a Prague dont ilsera chasse en 1952 il débarquait aloi s unepremiere fois a Cuba d ou il fut chasse parle dictateur Batista En Ameiique du Sud,il devint ensuite le secretaire de PabloNeruda puis de Jorge Amado avant deretourner en Haïti ou il refusera la collaboration avec Duvalier Appelé par Che Guévara a Cuba il y demeurera 20 ans enseïgnant a I universite de La Havane avant d'enetre a nouveau expulse a cause de ses critiques du regime castn ste II rejoindra alorslunesco a Paris puis se retirera finalementdans I Aude avec son épouse cubaine

Son dernier roman Papa Singer est tired un manuscrit refuse par Gallimard il y a15 ans - vive blessure - qu il a remanies offrant un nouvel elan II dit toute sonadmiration pour lejeune generation d auteurs haïtiens a laquelle appaitient

Makenzy Orcel la trentaine auréolée dedreadlocks auteur d un premier romantres remarque sul les jeunes prostituéesde Port au Prince - fes Immortelles et deretour avec une saga familiale grinçanteet baroque I Ombre animale Lacomphciteentre les deux écrivains a ete immédiate

LAVIE Pourquoi un nouveau roman '

RENE DEPESTRE Popa Singer a unegrande importance affective pour moi carj avais une dette envers ma mere Nousétions cinq enfants orphelins de pere- pharmacien a Jacmel ll est mort quandj avais 8 ans Nous ne possédions qu unemachine a coudre Nous avons eu uneenfance tres dure portée par ma mere pourlaquelle nous éprouvions une admirationsans borne Elle nous faisait beaucoup lireelu av ailler en vue du baccalauréat Tout lemonde a i eussi - ma sœui Luce est la merede Michaelle Jean I actuelle secretaire generaie de la francophonie qui fut gouv erneurcdu Canada Tout cela grace a la machine acoudre, laquelle était devenue un mjthedans notre vie Carilyaun cote extravaganta cette histoire mulâtresse a la peau clairema mere faisait partie de I elite de JacmelPourtant des notre prime enfance elle atenu a nous initier au vaudou chaque an neea la campagne On recevait un bain rituel a2 heures du matin suivi d un massage avecdes feuilles d oranger j ai connu le vaudoude I interieur Maîs I incroyable, e est quemanière elle même initiée recevait un loablanc un esprit blanc '

MAKENZY ORCEL Voila une caracteristique du vaudou cette tolérance

RD Sul tout que le loa blanc de ma mereétait le grand poète autuchien Hugo vonHofmannslahl ' Pouiquoi lui ? Pai ce queIe negociant qui a v endu en 1928 la machinea coudre Singer ayant permis de nous élevertous était un Allemand tt a Jacmel il avaitouvert son magasin sur le front de mer aI enseigne Hugo von Hofmannstahl i Le jouiou il a ete question pour ma mere d avoirun loa elle a identifie la Singer et le poèteDans notre maison de famille se déroulaientdonc des dialogues avec le grand homme

Makenzy, votre roman est aussi dediéà votre mère

M O Mes livres sont des cadeaux que jefais a ma mere Non seulement j écris avecsa voix dans ma tete maisj écris pour elleComme dans la famille de Rene elle a tout

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donné pour ses enfants. J ai grandi dans lequartier pauvre de Martissant, dans le sudde Port-au-Prince. J'avais 5 ans lorsque monpère es I parti refaire sa vie. Et ma mère s'estsacrifiée pour faire bouillir la marmite. EnHaïti, ce sont les mères qui tiennent ce quireste de la société. Par ailleurs, ma mèrem'a abreuve d'histoires. Elle ne savait paslire, mais quand elle se mettait à raconter,c'était Balzac ! Dans la première partie del'Ombre animale, j'ai repris avec mes propresmots les histoires de ma mère, paysannede La Vallée-dé-Jacmel.

Pourquoi les femmes tiennent-ellesvos récits de bout en bout ?

M.O. Les femmes sont le potomitan dela société haïtienne (le potomitan est lepilier central du temple vaudou, Nair). Ellesdégagent une simplicité et une humanitéqui me touchent. J'aime leur donner unevoix : c'était déjà le cas dans mon premierroman avec les prostituées de la Grand Rueà Port-au-Prince. Cette fois, ma narratriceest encore une insoumise, une femmeaudacieuse auquel son état de cadavredonne paradoxalement une grande libertéde parole. Chez toi, René, les femmesmettent de la lumière dans les récits. d'Al-léluia pour une femme-jardin à Hadrianadans tous mes rêves, il y a cet érotismesolaire qui est très puissant.

R.O. Une femme particulière en est àl'origine. À l'adolescence, j'étais un garçonplutôt porté sur la religion, le vaudou et lafoi catholique tout ensemble. J'ai été élevépar les frères bretons de linstruction chré-tienne, je voulais devenir prêtre. Et un curésuisse a offert de me donner des cours delatin dans la montagne durant les vacances.

Sélection haïtienne

Quand je suis arrivé à la chapelle, quellen'a pas été ma surprise de voir qu'il avaitune gouvernante d'une beauté extrême,nommée Rosenna ! Le père m'a interdit dedescendre avec elle à la corvée d'eau. Cequej'ai pourtant fait unjour. Et tout natu-rellement, nous avons batifolé dans larivière... Au retour, le prêtre a mis Rosennaà la porte. J'ai pris fait et cause pour elle,je suis devenu quelqu'un d'autre. Ma foi estpartie dans le courant de la rivière. Je nepouvais comprendre que la malédictionsoit jetée sur le corps des femmes. Aprèsl'extraordinaire expérience erotique avecRosennaj'ai nourri une conception solairede l'amour, des femmes, de la langue poé-tique, bref de la vie

Dans votre livre, Makenzy, les femmessont aussi violentées, martyrisées...

M.O. C'est la triste réalité sociale enHaïti. Déjeunes hommes subissent égale-ment ce sort. Mais il est moins difficilepour eux de s'en sortir, de s'extraire de leurlieu de misère, de partir travailler ailleurs.Les femmes sont retenues par la familleet les enfants. Dans mon roman, la femmeviolée, battue, maltraitée, achetée est aussila métaphore d'un pays qui sombre.

Comment jugez-vous la situation d'Haïti,qui a un président provisoire et attend unsecond tour électoral sans cesse reporté ?

R.D. Le drame, c'est que la société civilehaïtienne s'est effondrée. Avec le tremble-ment de terre de 2010, il y a aussi eu untremblement de l'histoire. Il ne s'agissaitpas seulement de l'écroulement du palaisnational, mais de celui de la psychologiemême des Haïtiens. Parce que la société

L'Ombreanimalede Makenzy Orcel

& ÏP C'est une voix defemme qui retrace la sagad'une famille dans un vil-lage haïtien, une femmecadavre recroquevillée surson lit de mort, mais quiraconte la vie avec uneincroyable puissance. La

langue de MakenzyI Orcel, d'une poésie

incandescente, passeî l'ombre à la

lumère, du visible àl'invisible, du corps à

t, de la violenceise.

Ima, 20 €.

civile est inexistante, on voit la difficultéà trouver un successeur au président Mar-telly, lui-même un homme de carnaval...

M O Toute la place a été laissée aux ins-titutions internationales et aux humani-taires. Haïti est devenu un pays d'ONG. LesHaïtiens n'ont plus les moyens de déciderde leur avenir dans un pays dominé par lespuissances internationales. Ça ne date pasd'hier, hélas. Au lendemain de ['indépen-dance du pays, il a fallu dès 1824 payer ladette. On a connu l'occupation américaine,et l'ingérence se poursuit aujourd'hui. Dansle chapitre « La nuit des loups », je montrece nouveau visage du néocolonialisme.

DANY LAFERRIÈRE

Mythologiesaméricaines

ANTHOLOGIE

Ce volumeregroupe les deuxgrands romans quiont fait la célébrité

de l'auteur haïtien êlu en 2013à l'Académie françaiseComment faire l'amour avec

un nègre sors se fatigue^(publié en 1985)et Cette grenade dons (o moindu jeune nègre est-elle unearme ou un fruit ? (1993)Des titres qui proclamenta eux seuls l'insolente libertédu romancier qui nes est jamais laissé enfermédans aucune case,ni épingle derrièreaucune bannière 9Grasset, 22 €.

LYONEL TROUILLOT

Kannjawou

•^fë ROMANLe Kannjawou

Iknnuu.nf est e nom d'un

café, lieu derendez-vous courude Port-au-Prince,ou se retrouvent

les humanitaires, dont le rôleest considère par l'auteurcomme plus néfaste que positif.

En créole, le mot kanrjawousignifie à l'origine la fête,le partage, ce dontest cruellement privéela jeunesse haïtienne,dont ici les cinq herosdu quartier de la ruede l'Enterrement, sauvésdu désespoir par deux figures,le « petit professeur » avec sesmilliers de livres et Man Jeanne,la gardienne des valeurs ?Actes Sud, 18 €.

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CULTURE livres

R.D. Nous appartenons à deux généra-tions très différentes. C'est l'eloignementde la politique militante qui caractérise lavôtre. Alors que la mienne était tres poli-tique. Il est resté longtemps en Haïti unepetite societe civile qui résistait notammentà travers les intellectuels, maîs elle a dis-paru, déjà sous Duvalier... De toute façon,ma génération a échoué, puisque noussommes partis dans la direction com-muniste, qui n'a pas marché du tout. Je medis aujourd'hui que nous avons raté le trainde l'État-nation Maîs nous sommes unenation culturelle, forte de beaucoup d écri-vains et d'artistes. Nous avons pris une voie

originale. Alors je vais concentrer toutel'énergie qu'il me reste sur mes romans.

M O De mon côté,je ne crois pas qu'onpeut changer le monde. Même pas révolu-tionner la littérature d'ailleurs, maîs inven-ter une langue, oui. Céline disait quel'homme, c'est le style. Et le style, c'estl'originalité de la langue. Il faut la bouscu-ler, lui faire dire ce qu'elle ne dit pas d'ha-bitude. 4 mon échelle, je travaille d'abordà forger une langue neuve. Ma narrationest éclatée, portée par le choix des motsqui guident l'histoire. Moi, j'ai commencépar écrire de la poesie en 2007, avec la Dou-leur de l'attente, et j'en suis au cinquième

La Vie aime <Ç pas du tout i** si vous y tenez i un peu

iT" k?1 beaucoup <£ "® "® passionnément

recueil. Ie suis sûr qu'il existe un endroitou la poésie rencontre le roman. C'est cepoint de ralliement quej'essaie de trouver.J'ai construit l'Ombre animale pour faireentendre la voix de ce personnage defemme comme un chant, un long souffle,une autoroute de parole

R.D. J'ai d'abord voulu être écrivainavant d'être poète. Parce que j'avais vécudans une ambiance « d'audience » haï-tienne, le soir sur les galeries des maisons,avec les contes de Bouki et de Ti Malice,les personnages mythiques du folklorehaïtien. J'étais préparé pour une narrationorale. Maîs j'ai fait ensuite la decouvertedu surréalisme, de Breton, de Césaire, unegenération qui a engagé une remise enquestion de la langue française, à laquellej'ai participe en poésie. Je pensais qu'ilfallait avoir une expérience de la vie pourécrire des romans. Alorsj'ai vécu intensé-ment et j'ai fini par en écrire...

Quelle est votre patrie f La langue 7R.D. Je suis sorti d'Haïti tout en lui restant

fidèle. Je suis devenu un Chilien de plus, unBresilien de plus, un Cubain de plus etaujourd'hui je suis franco-haïtien. Jedéfends une identité rhizomique : je m'ajoutedes nationalités, de la culture et des langues.Hy a en moi une créolite sous-jacente

M.O. Je suis ici et ailleurs, l'essentiel estd'être solidaire. La langue cst simplementle matériau que nous utilisons. Maisje diraisque notre patrie est I imaginaire créole, ladanse, la fête, le vaudou, le carnaval : sonmétissage et son extraordinaire énergie. 9

TEXTE MARIE CHAUDEY

PHOTOS ALEXANDRA FRANKEWITZ/TRANSIT

POUR LA VIE

Anthologie bilinguedc la poésie créole

tm Oi i Ce recueil laisse"•"»"" dêcouvrir toute la

vitalité de la poésiehaïtienne créole,et des voixnouvelles qui

resonnent aux cotês deFranketienne, Renè Phitoctêteou James Noel Ainsi le poème

de Lovely FifiLanmoukLankLank plim/Pa konn li/Pa konn/Konbyen koukouj/Ki voltije nan menw/Pou bay rèv <oulêAmour et encre L'encredes plumes/ ne sait pas lire/Elle ignore/Combien de lucioles/Doivent voter dans tes mains/Pour donner des couleursaux reves 9Actes Sud, 22 €.

VALÉRIE MARIN LA MESLÉEChérirPort-au-Prince

IntranQu'îllitésN°3

RÉCIT

Port-au-Prince atravers ses artisteset sa créationtous azimutsVagabondage

érudit et rencontres sur le tasFoisonnant *) _Philippe Reg,19€.

REVUE

La revue animéepar le jeune poèteJames Noelet la plasticiennePascale Monnin

réunit 200 contnbuteurs autourde la figure de ChristopheColomb Un travail originalet passionnant 9 _IM" 3, en librairies, 30 €.

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Date : 12 FEV 16

Pays : FrancePériodicité : Hebdomadaire

Page de l'article : p.2Journaliste : GL. M.

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.. à la « une »Dans l'imaginaire des Haïtiens et de René DepestreCELA FAISAIT près de trente ans, de-puis Hadriana dans tous mes rêves(Gallimard, 1988, prix Renaudot),que René Depestre n'avait pas pu-blié de roman. A 89 ans, le poètehaïtien revient avec Papa Singer, li-vre caustique et plein d'humour.Autobiographique - il met en scènele retour au pays de Richard Deni-zan, double de l'auteur, au début del'ère Duvalier, en 1957 -, le roman selit aussi comme un hommage auvaudou et à la mère de Depestre.

« Popa Singer » est le surnom decette femme, une veuve qui a élevéses enfants et envoyé son fils à

l'école grâce à sa machine à coudreSinger. Acheté à un négociant alle-mand qui utilise le pseudo d'Hugovon Hofmanstahl, l'objet fut pour elleplus qu'un gagne-pain : il était habitépar un loa, un esprit vaudou quil'aida à résister à la dictature racistede Duvalier.

Dès son retour en Haïti, Richard De-nizan est contraint de choisir entre lescourbettes et la machette. Il s'entête,et la violence des « tontons macou-tes », tristement célèbre milice de Du-valier, s'abat sur sa bibliothèque lorsd'une scène d'une formidable bouf-fonnerie, avant d'atteindre ses pro-

ches. Heureusement, le loa maternelveille sur lui. Dans une note finale,l'écrivain explique que Popa Singerdormait dans un carton, après le refusd'un éditeur. Il manquait, selon lui, lemode d'emploi, qui complète à pré-sent le roman, pour décoder « l'imagi-naire composite des Haïtiens ». Cetimaginaire où se rencontrent le surna-turel, l'histoire et la géographie d'unpays et d'un peuple, et qui toujoursnous emporte. • GL. M.

FOPA SINGER,de Renê Depestre,Zulma, 160 p., 16,50 €.

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CANARD ENCHAINEDate : 17 FEV 16Pays : France

Périodicité : Hebdomadaire Page de l'article : p.6Journaliste : F. P.

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A ventre éblouiPopa Singerde Rene Depeitre

(Zulma)

D 'UN côte, « le grandmécanisme dente del'Histoire » Haïti, la

dictature, François DuvalierDe l'autre, la petite machinea coudre d'une « mere mé-dium », Popa Singer vonHofmannsthal « Singer >,comme l'engin acheté a uncommerçant allemand, al'enseigne Hugo von Hof-mannsthal, poète peu con-nu a Jacmel Au règneubuesque de Duvalier, aliasPapa Doc, une famille ré-siste « Papadocratie » et« négritude totalitaire » onest en 1958, et les nervis dupouvoir, surnommes Ton-tons macoutes , multiplientles rafles

Pour le 22 septembre, jouranniversaire de son arrivéeau pouvoir, le dictateur dé-cide de faire fusiller 22 sus-pects par les 22 grades lesplus importants de la gen-darmerie Les victimes se-ront bernes par l'« aumônierparticulier » de la prési-dence, un certain Victor-Hugo Novembre Ainsigouvernait le Néron desCaraïbes

Dans ce chaos, « mes pé-nates frôlent sans cesse l'im-plosion », constate Popa Sin-ger La mort n'est pas lomquand son fils Richard De-

nizan revient au pays, apresses annees étudiantes aPans, la ville « qui l'aida acreer, a vivre intelligemmentles malheurs de l'époque » et,accessoirement, « a baiser aventre ébloui » Maîs Richardose refuser l'invitation adîner a la présidence Crimede lèse-Papa Doc ' Descentedes Macoutes, qui violent sasœur et le beau-frère itou,pantalon descendu sur leschevilles, qui se fait « em-papadocquiser » Rachid,autre beau-frère, reste se-rein « On a tort dè s'exagerer nos tribulations »

Rene Depestre, 90 ans, ra-conte ces épreuves sur unton truculent Rationaliste,il ne méprise pas les loas(« esprits >) et ne crache passur la transe Resistant, ilpratique un fatalisme hé-roïque comme un art de com-bat Sa prose nous bouscule,sa phrase est une route ca-bossée, nous zigzaguonsentre les nids-de-poule, nesachant plus si nous avonspris notre ticket pour unecomedie ou une tragédie,sous le grand œil impassi-ble du soleil caraïbe

Essores et joyeux, nousquittons ce livre rabelaisienavec la curieuse impressiond'avoir reçu sur le crâne unedouce et délicieuse machinea coudre

F. P.• 160 p , 16,50 €

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Date : 18 FEV 16

Pays : FrancePériodicité : HebdomadaireOJD : 383570

Page de l'article : p.92-93Journaliste : Valérie Marin laMeslée

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Cuba, vaudouet machine à coudre

Villa Hadriana.René Depestre chez lui,à Lezignan-Corbières(Aude), le 3 février.

Né en Haïti en 1926,il a vécu entre érotisme etrévolution. René Depestrerevient avec un nouveauroman. Rencontre.PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE

A Lezignan-Corbières, oùilaposéses valises voilàtrente ans, on ne parle que de son nouveau livre !Les médias se succèdent dans cette petite ville de

l'Aude auprès du grand écrivain d'origine haïtienne.Quand au soir tombant nous débarquons à la VillaHadriana, vaste maison qui porte le nom de son prixRenaudot (i 988), l'onirique et sensuel « Hadriana danstous mes rêves », le beau vieil homme, qui fêtera ses90 ans cette année, nous accueille sur le seuil aveccanne et chapeau noir. Nous passerons trois heuresensemble, mais il en faudrait mille pour refaire le par-cours d'une vie d'écriture et de combats, tous les

combats révolutionnaires du XXe siècle. Malgré levent froid de février, il nous fait faire le tour du jardinenracontant sonrituel quotidien : un « bain cosmique».« Chaque soir, je sors de chez moi pour contempler le ciel,me raccorder aux étoiles, aux arbres, et je me vide menta-lement avant de me coucher, prêt a accueillir le sommeil.C'est gratuit et je le conseille a tout le monde », dit-il dansson rire de gamin. Son secret réside-t-il dans cette re-lation chamelle avec la nature, venue de son enfanceà Jacmel, dans le sud d'Haïti, où il est né, et où son pèrel'emmenait voir se lever le soleil sur la mer ? « Cétaitle cinéma du matin, et le soir, nous avions Chariot. »

Son nouveau roman, «Popa Singer», marque leretour en librairie de cette plume née en terre haï-tienne, qu'il quitta en 1946. Alors jeune poète, déjàrepéré par Aimé Césaire, il y avait soulevé avec troisautres camarades, dont Jacques-Stephen Alexis, un« Mai 68 tropical ». Leur mouvement intellectuel avaitdéclenché des manifestations d'étudiants puis unegrève générale qui feront tomber le despote Elie Les-cot. André Breton, de passage à Port-au-Prince, n'enrevenait pas ! Par l'Institut français d'Haïti, Depestreobtient une bourse qui le mène à la Sorbonne. Là, ilmilite pour la décolonisation, est expulsé, s'exile àPrague, au Chili, puis au Brésil, étapes où il se lieraavec Nicolas Guillen, forge Amado, Pablo Neruda,Diego Rivera... Mais en 1957, après dix ans d'une viede poète révolutionnaire et de journaliste, il revienten Haïti, chez sa mère. « "Popa Singer", raconte-t-il ennous guidant jusqu'au bureau où il continue de tra-vailler chaque jour, comble une dette a l'égard du per-sonnage romanesque qu'était ma mère. Elle éleva ses cinqenfants, apres la mon de notre pere, grâce a sa machine acoudre Singer, nous racontait sans arrêt des histoires etnous initia secrètement au vaudou, elle qui, réellement, en-trait en transe, comme je l'écris ! Quand je suis rentré chezmoi, elle m'a prévenu que François Duvalier, ce voisin mé-decin avec lequel je jouais autrefois aux cartes, était de-venu un dictateur sanguinaire. Papa Doc me fit appelerpour m'exposer son programme et m'offiir un poste à laculture. D'avoir refusé me valut la résidence surveillée. »

Fidèle au Che. Cette année charnière, il la ro-mance dans sa langue débridée de merveilleux poète.Et arrête son livre à la veille de son départ d'Haïti,pour rejoindre la révolution cubaine, en mars 1959.«Le Che avait lu l'un de mes articles, "Le sang d'une ré-volution", ll m'invita à Cuba. «"Qu'est-ce que tu vasfaire ?"» me demande-t-il, fe devais rejoindre Césaire, Sen-ghoretFanon au Congres des écrivains noirs a Rome. "Au-jourd'hui, ce n'estpas a Rome que les choses venise déciderdans le tiers-monde. C'est a Cuba. Est-ce que tu restes ?"»Depestre y passe près de vingt ans. Avant la ruptureavec ce qu'il appelle la «dictature castrofidéliste». Laphoto du Che trône toujours au-dessus de lui. Sur satable, son autobiographie en cours retracera, parmi stant d'autres aventures, son « service après naufrage » : °«fai considéré l'échec de Cuba comme un naufrage per- 5sonnel. J'avais rompu avec la Tchécoslovaquie, l'Union |soviétique, la Chine, Cuba était ma derniere carte. » I

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Date : 18 FEV 16

Pays : FrancePériodicité : HebdomadaireOJD : 383570

Page de l'article : p.92-93Journaliste : Valérie Marin laMeslée

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D'un tiroir du bureau il sort le carton d'invitationde l'Elysée au récent dîner que François Hollandedonnait pour Raul Castro. «Je suis trop fatigue pour medéplacer, maintenant. Maisj'aibien connuRauletj'aipro-fitéde cette reprise de contact pour me réconcilier avec lesCubains», déclare-t-il. S'il en a fini avec le Grand Soir,l'ex-communiste fervent, dont l'épouse, Nelly, est cu-baine, a les yeux qui brillent et la voix haletante quandil évoque le roman cubain qu'il souhaiterait écrire...

«Le titre que vous voyez là, dit-il en montrant laliste dactylographiée de son programme littéraire,"Les aveugles font l'amour à midi", est celui d'un ma-nuscrit que je porte en moi. C'est une histoire d'amoursur fond de révolution où j'imagine la sexualité desaveugles. » Et le voilà racontant les prostituées cu-baines mises au volant des taxis par Castro, la verveest à son comble, tout devient rocambolesque avecDepestre, si ce n'est surnaturel. Au mur, encore,Aimé Césaire et Toussaint Louverture, héros de l'in-dépendance d'Haïti. Le carnaval de Jacmel, où com-mence son «Hadriana», vient de s'achever. Et«carnavalisation» est justement le mot qui, pourlui, désigne la vie politique haïtienne, particulière-ment avec le président sortant, Michel Martelly...« Si Haïti tient le coup, c'est en tant que nation culturelle.Mais ses nombreux intellectuels et écrivains n'ont paspu reconstruire la société civile. »Quels sont aujourd'huiles rêves de celui qui en a tant vu et continue de setenir au courant de tout ? Il en prête à sa nièce,

line rage de vivre29 août 1926 Naissanceà Jacmel, Haïti.1945 «Etincelles»,son premier recueilde poèmes.1946 Le mouvement dujournal La Ruchefait tom-ber le président Lescot.Départ d'Haïti pour Paris.

1946-1957 Paris, Sciencespo, Prague, Cuba, Chili,Argentine, Brésil.1957 Retour en Haïti.1959 Rejoint la révolu-tion cubaine.1978 Paris, secrétariatde l'Unesco.1979 «Le mât de co-cagne », premier roman,

paraît chez Gallimard.1986 Retraite dans l'Aude.1988 «Hadriana danstous mes rêves », prixRenaudot.1998 « Le métier à métis-ser», essai.2007 « Rage de vivre »(Seghers), œuvrepoétique complète.

Michaëlle Jean (tendre sourire dès que l'on prononceson nom), élue à la tête de l'Organisation interna-tionale de la francophonie : « Ce qui manque à la mon-dialisation actuelle à côté des processus financier,technologique, marchand, c'est un mouvement culturel,un garde-fou intellectuel, poétique à la révolution numé-rique. La francophonie pourrait jouer ce rôle. »

Bientôt 90 ans. Et la mort ? Elle n'effraie pas celuiqui n'a pas de temps à perdre à redouter l'inévitable.Et se déclare areligieux. «Les religions compliquent tout,sans donner aucune réponse. J'ai failli me faire prêtre,mais j'ai renoncé au catholicisme letang d'une rivière dontle cours a emporté ma foi tandis que je faisais l'amouravec une fille de mon âge. » II avait 18 ans, et c'est tou-jours hier. Pour l'auteur d'« Evangile selon saintEros », peut-être même aujourd'hui •«Popa Singer», de René Depestre (Zulma, 154 p., 16,50 e).Sur Lepoint.fr., la vidéo de la rencontre et notre dossier Haïtilittéraire avec Laferrière, Orcel, Trouillot, Wêche, etc.

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Date : 11 FEV 16

Pays : FrancePériodicité : Hebdomadaire Paris

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René Depestre, l'incandescent

POPA SINGERDe Rene DepestreZulma155 p 1650€ NOUS L'AVIONS déjà

croisee, Papa Singer,dans un de ses poèmes«Fée du courage et dusavoir-vivre-ensemble I

Papa n'a pas sa pareille a l'heure I dejeter son fol eclat de rire en defi/aumalheur-tigre qui sévit a l'haïtien-ne » Aujourd'hui, depuis son villagede l'Aude ou il s'est installe il y a unetrentaine d'années, Rene Depestrenous envoie ce roman homonyme,projet plusieurs fois abandonne puisenfin repris

Le doyen des lettres haïtienness'était fait connaître du grand publicpar les récits composant Alléluiapour une femme-jardin et surtout parHadriana dans tous mes rêves, lau-réat du prix Renaudot en 1988Quant aux amateurs de poesie, ilsconnaissaient depuis longtemps sonnom et son art, exprime notammentdans Journal d'un animal marin etPoète a Cuba (ou il vécut de 1959 a1978, apres avoir ete expulse)

«Popa Singer» c'est le surnomaffectueux donne a la mere de ReneDepestre, «mere nourricière, ravied'alimenter en brins de toute beautela machine Singer a coudre les beauxdraps d'un réel-merveilleux germa-

no-haïtien » II lui rend ici homma-ge, dans une langue vive et cha-toyante semée de neologismes, demots déformes et autres creoladesCette filleule du general AlphenixUltimo avait «les yeux couleur dutemps des îles» et pouvait s'émer-veiller d'«un manguier crible defleurs au matin » ou d' « un couple decolibris au repos dans leur nid »

« Zomberies nazies »Comme il l'a déclare récemment auquotidien regional L'Indépendant«Elle était couturière, veuve et avaitplusieurs enfants a élever C'est grâcea cette machine a coudre qu'elle nousa envoyés al'ecole et que je suis deve-nu écrivain » Nous sommes en 1958,a Port-au-Prince, quèlques moisapres l'arrivée au pouvoir de Fran-çois Duvalier, dit « Papa Doc », et deses miliciens, et Depestre revient en«fils prodigue » (apres une dizained'années passées a Paris), auprès desa mere et de ses quatre freres etsœurs Un «Papa Doc» grotesqueavec son « terrorisme mystique bal-néaire» et ses «zomberies nazies»,qui s'inspire aussi bien de Bossuetque d'Ataturk et que Depestre seplaît a ridiculiser ici II avait bien

connu le dictateur quand il était jeu-ne, ils étaient compagnons de jeuDuvalier lui avait même propose unposte ministériel Mais le cœur deDepestre bas a gauche, plus précisé-ment du côte du Parti communiste,alors clandestin

Au passage, Depestre en profitepour faire défiler l'histoire de sonpays, depuis 1515 et le massacre desIndiens Arawaks et Karibs, en pas-sant par Toussaint Louverture, lagreve generale de 1946 et l'échec ducoup d'Etat contre «Papa Doc»L'humour ne manque pas dans cespages, notamment cette scene déli-rante de la perquisition menée parles illettres « tontons macoutes » desinistre memoire

Le roman s'achève sur une scenede possession Popa Singer est che-vauchée par un loa, l'esprit tour-mente d'un défunt nomme Hugovon Hofmannsthal Sa voix, pro-phétique, annonce ce qui attendDepestre, y compris son engage-ment auprès des freres Castro, aveccette injonction poursuivre la poe-sie afin de rendre justice a « /'incan-descence de la tragédie des Haï-tiens» On le voit aujourd'hui, lamission a ete accomplie ' • T. C.

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Date : 18 FEV 16

Pays : FrancePériodicité : Quotidien ParisOJD : 38184

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Depestre et sa machineà coudre le texte

Le maître ha'iîien, reprenant enfin un livre abandonné à plusieurs reprises, mêle sa vie à celle d'Haïti au début de la dictaturede Papa Doc et rend hommage à sa propre mère.

POPA SINGER,de René Depestre.Éditions Zulma, 150 pages, 16,50 euros

René Depestre (89 ans)obtenait le prix Renaudoten 1988 pour Hadriana danstous mes rêves (Gallimard).Après maints ouvrages,depuis son village de l'Aude,où il s'installait il y a trente

ans, il revient avec Papa Singer, un hommageà sa mère, qui a élevé seule ses cinq enfantsgrâce à sa machine à coudre Singer. « C'estgrâce à la Singer, écrit-il, que ies intelligentsiasdu tiers-monde se sont construites. » Cet outilpeut « dompter les tigres, charmer les serpents,braver le paludisme et les cyclones ».Le roman, maintes fois abandonné, souvent

remis sur le métier, met en scène le « retourau bercail natal », en 1958, de Richard Denizan(double vraisemblable de l'auteur), lorsques'ouvre le pouvoir tyrannique de Duvalier, ditPapa Doc. Richard, ami d'enfance du «fiihrernoir » est approche par celui-ci, qui prône le«pannoirisme intégriste » et préconise « unegrande nation aile de corbeau », « nettoyée de

toute impureté blanche » et de toute «flétrissuremulâtre » grâce au « Front national vaudou dusalut ». Le poète oppose un refus catégoriqueà ses appels du pied, après avoir rencontreclandestinement le secrétaire du Particommuniste haïtien.« L'exil est parfois un bon métier »Popa Singer s'avance comme une fresque

sans pitié sur la dictature en cours et sonprogramme de « zombiflcation » de l'île oùToussaint Louverture inventa la liberté noire.Notre héros subit évidemment menaces ettracasseries policières, ainsi qu'une véritable« battue » dans sa bibliothèque en quête d'ou-vrages « suspects ». Les dialogues entremiliciens illustrent l'insondable bêtise etl'humour involontaire du discours répressif :Le Rouge et le Noir? mon capitaine. - De lasubstance explosive, caporal Milord, à embar-quer I Le Petit Chaperon rouge ? - Un agitateurqui affiche des idées bolcheviques à son chapeaudepaule. Au panier à salade! Le Revolver àcheveux blancs? mon capi tome. - Un Browningdéguise' en vieillard reste un pistolet automatique.Dans un récit mené tambour battant, Depestreretrace la chronologie de ces années duresentre toutes pour le peuple d'Haïti qui en

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Date : 18 FEV 16

Pays : FrancePériodicité : Quotidien ParisOJD : 38184

Page de l'article : p.18Journaliste : Muriel Steinmetz

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OCTOBRE 2015, L AUTEUR HAÏTIEN DEVANT SON ALBUM DE SOUVENIRS PHOTO MEMO PERIER STEFANOVITCH/OPALE/LEEMAGE

connaîtra, hélas, biend'autres Comme toujours, ilinvente sa propre langue dansl'idiome français, le creoleétant sans cesse en embuscadepour contrarier la norme aeademique Sa phrase tourmentee est volontiers sismiqueavec des éclats d'ironie paradoxale « L'exil est parfois unbon metier » Rene Depestredétourne en effet la langue del'ancien colonisateur pour lasortir brutalement de son litII insiste sur l'importance de

la rumeur, nommée la bas « téledyol », ce« media du bouche a oreille » qui, « sur unmode hallucinatoire sert de support oral ausurplace existentiel ou tourne sur elle même latragédie sans fin des Haïtiens » Le texte faitla navette entre le grotesque du « SS nazi des

René Depestredétournela languede l'anciencolonisateurpour la sortirbrutalementde son lit.

tropiques » et la « mamanbobine de fil » qui « alimenteen bnns de toute beaute lamachine Singer »

Une transe frénétiqueLe lecteur assiste de la sorte

aux morceaux de bravouredu reel reprise d'un payscompare a un « hapax tastorique » Depestre soulevéle couvercle de la marmitenous permettant ainsi dehumer des images surrealistes, lui qui, ami de Breton,

se vit confisquer en 1945, par l'un des predecesseurs de Duvalier, le numero de laRuche hebdomadaire qu'il a fonde consacre a l'auteur de Nadja Papa Singer est unrécit autobiographique éminemment smgulier, inscrit en rekef dans l'histoire tragique

d Haïti et compose en une langue truculented'ecorche vif ajamaisLe roman s'achève sur une scene de posses

sion, Popa Singer, chevauchée par un loa(esprit surnaturel) en proie a une transefrénétique, prédit a son fils dans un elan prophetique qu'il va s'engager aux cotes de CheGuevara « Une fois sur le sol cubain, adhèrecorps et ame au M26 7 des freres Castro Ruz »Le dernier chapitre intitule « Mode d'emploi »revient sur ce livre « reste de longues anneesdans les ténèbres d un tiroir » parce que, nousdit Depestre, « écrit dans la tradition du reelmerveilleux haïtien, sans clefs de lecture, ilétait impubliable » II lui manquait « le codede l'imaginaire composite des Haïtiens »êtres humains, animaux, vegetaux, phenomenés naturels (« nvieres, mers, cyclones »)et « phénomènes surnaturels » mêles en ungrand tout tonitruant

MURIEL STEINMETZ

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Date : AVRIL 16

Pays : FrancePériodicité : Mensuel

Page de l'article : p.30-32Journaliste : Dominique Aussenac

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ENTRETIEN DOMAINE FRANÇAIS

Tropiquede la fraternitéÀ 90 ans, l'écrivain franco-haïtien René Depestre réanime le roman

de sa vie. Papa Singer est un texte à la fois lyrique, truculent, sidéral.

« La terre est troppetite pour être unlieu d'exil ».

Les vies, il en est de saisissantes, rutilantes, useleesd'expériences, de rencontres, de combats, de rup-tures mêlant sacre et profane, matérialisme et spintualite Des vies edificatrices Presque des vies desaints ' « Synoptique et intégrée > ainsi Rene Depestre, sémillant franco haïtien, ne en 1926 a Jac-

mel (Haïti) d'un pere pharmacien décède tres tôt et d'une merecoutunere, qualifie la vision qu'il a de son existence, de son ex-perience de citoyen, d'homme d'action de révolutionnaireDes réussites, il en a connu Des succes lit-téraires, comme le prix Renaudot pour Hadr tanit dans tous mes rêves en 1988 A son ac-t i f , dix-sept recueils dc pocmcs dontEtincelles, son premier, publie en 1945 ouencore Un arc en acl pour l'Occident chretien(Presence africaine, 1967), une quinzaine d'ouvrages (romans,nouvelles, essais) « Quand je regarde mon parcours, c'est un parcours general d'échecs Maîs j'ai su transformer mes échecs politiquesen etat de sante litteraire en etat de sante artistique Communisteparraine par Aime Cesaire et Andre Breton, il fut chassed'Haïti, de France, de Tchécoslovaquie ou il remit en cause leconcept de dictature du prolétariat Secretaire de Pablo Neruda, il s'exerça a la guérilla au Bresil, sera le compagnon deroute des freres Castro et de Che Guevara, avant d'être e|ectede Cuba pour critiques envers le stalinisme rampant Apatride,il de\mt alors secretaire du directeur general de I UnescoSon nouveau roman, Papa Singer, raconte l'histoire de la resis-tance de sa famille au regime de Duvalier, alias Papa Doc, despote fou, sanguinaire qui mariait Panti-commumsme et uncôte obscur, sorcellaire Politique, erotisme solaire et vaudou,les trois elements qui caractérisent l'œuvre de Depestre y sontbien présents Un roman mâtine de creole Cette langue luxunante, puissante introduit une profondeur de champ (et dechant) conséquente et révèle un réalisme magique a dimension cosmiqueInstalle depuis les annees 80 a Lczignan Corbieres (Aude),Rene Depestre, humaniste tropical, h) per sensible aux der-niers soubresauts de l'actualité (les attentats jthadistes) ainsiqu'aux effets pervers de la mondialisation tisse une œuvreaussi poétique que philosophique Pour cela, il garde, suivantles recommandations de sa mere, toujours plusieurs fers aufeu, en entretenant d'innombrables chantiers littéraires

Rene Depestre, comment définiriez-vous Papa Singer îC'est une évocation plutôt burlesque des affaires haït iennes

sous le regime de Duvalier Absent d'Haïti pendant une dou-zaine d'années, a mon retour, je suis tombe sur la dictature deDuvalier que j 'avais connu Nous étions voisins dans le mêmequartier A l'époque, c'était un petit medecin de campagnetres gentil avec qui je jouais aux cartes Nous étions amis et amon retour en decembre 1957, ma mere m'a mis en garde< Ton partenaire au\ cartes ton ami medecin est devenu depuis deuxmois qu'il est au pouvoir un dictateut sanguinaire ll u déjà fait mas-sacrer des familles entières > Donc je ne suis pas aile le voir En

fevrier 58, un matin, il m'a fait demander Jesuis aile a sa rencontre et j'ai eu une longueconversation avec lui Une conversation in-croyable Mes cheveux se sont dresses sur latête quand il m'a expose son programme fasciste, sans queue ni tete J'ai eu le sentiment

d'avoir en face de moi un personnage extrêmement dangereuxLe petit medecin amical d'autrefois avait disparu II y avait surson bureau, a côte de ses mains, une bible Sur la bible, unColt 45 et un ecran a côte avec dessus un poignard de para-chutiste Voici l'homme qui me recevait Vêtu de noir, il avaitl'air d'assurer un grand deuil J'étais sur mes gardes II m'a faitdes propositions II m'a invite a le rejoindre II voulait que jesois ambassadeur de Haïti aux Nations Unies II m'a fait despromesses increvables Je n ai rien accepte II m'a invite a dineravec mon épouse Et la veille du dîner, je me suis fait excuserQuèlques jours apres, il a envoyé les Tontons micoutes che?moi II y a eu une perquisition grotesque dans ma biblio-theque ht puis on m'a mis en residence surveillée, j'ai \ecuune annee tres difficileMa femme etut d origine israehte Pt j'avais un beau frere quiétait palestinien Ma mere, une femme tres énergique, a puumr autour de la table familiale, d'une façon tres democratique, une Juive et un Palestinien J'ai conçu ce ionian commeune sorte de concerto avec plusieurs mouvements

Vous y évoquez le politique, mais aussi le vaudou...Jusqu'à ce roman, I évocation du vaudou dans les lettres haï-tiennes était faite d'une autre façon On évoquait les cérémo-nies, les d ieux vaudou, dans leur ensemble o r ig ina i resd'Afrique Maîs il y a des dieux creoles qui sont nes sur la plan-tation coloniale, a l'époque de l'esclavage et de la colonisationII y a a la fois des dieux d'origine africaine, des dieux creoles,maîs la possibilité aussi qu'il puisse y avoir des dieux blancsJusqu'ici il n'v avait jamais eu de dieu blanc Ma propre merepouvait etre chevauchée, habitée par un dieu II se trouve que

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c'était un dieu blanc. Pourquoi un dieu blanc ? Parce que lamachine Singer avec laquelle ma mère gagnait sa vie et assuraitnotre éducation avait été achetée dans un magasin tenu par uncommerçant allemand qui avait donné à sa boutique le nomd'un grand poète autrichien Hugo von Hofmannsthal. Onétait en plein fantastique haïtien, fantastique vaudou.J'ai donné à mon roman à la fois une dimension religieuseavec la présence du vaudou, une dimension politique avecDuvalier et le réseau communiste et la révolution cubaine enperspective, maîs aussi une dimension erotique. Car, heureu-sement, ce qui m'a protége pendant tout mon parcours com-muniste, ce n'est pas seulement ma connaissance du surréa-lisme, ma rencontre avec Césaire et Breton, en Haïti en 1945,mais une conception de l'amour différente de la conceptionqui prévalait, qui prévaut encore aujourd'hui. Ce que j'appellel'érotisme solaire. J'étais préoccupé dès mon adolescence parle fait que lorsque l'on parlait du merveilleux on n'incluaitpas dans l'histoire du merveilleux l'acte d'amour, la relationdu couple, le mariage. Je trouvais drôle qu'une chose si belleque l'amour entre un homme et une femme ne soit pas consi-déré comme une activité merveilleuse comme l'expérience re-ligieuse dans le catholicisme. Alors, j'ai décidé d'intégrer monexpérience sexuelle au sentiment du merveilleux.

Papa Singer, en fait, c'est l'éloge de votre mère,non ?C'est un hommage, c'est un hymne à ma mère.Mes frères et moi avons eu conscience très tôt quenous avions une mère exceptionnelle. Indépen-damment du fait qu'elle était chevauchée religieu-sement par un dieu blanc, ce qui était vraiment ex-ceptionnel en soi. Elle avait fait preuve d'un telcourage. On la voyait se lever tous les jours àquatre heures du matin et se coucher très tardpour nous envoyer à l'école, insister pour qu'onobserve l'hygiène dans notre vie personnelle,qu'on ait une bonne éducation. Ma mère avaitmême une vision presque aristocratique de notreéducation. Elle nous amenait aux cérémonies vau-dou. Elle nous mettait en contact avec la paysannene Ma mère avait une vision généreuse et fra-ternelle de la vie. Elle m'a intégré à un féminismeextraordinaire. Une conception noble, pas ma-chiste du tout. Donc tôt ou tard, je devais luirendre hommage. C'est un hymne à la femme Àla fois comme mère et à la fois comme femme.

Vous avez parlé tout à l'heure de concerto, maisau-delà de la musicalité, il y a la fabuleuse puis-sance de la langue créole...J'ai voulu sortir le français de son lit académique.J'avais découvert le surréalisme, l'expérience sur-réaliste, la remise en question du langage commel'avaient conçu des gens comme Breton, Aragon,Eluard, Desnos et d'autres. J'avais pour cela laconnaissance du créole. Le créole, c'est une remise

en question du langage français. C'est une sorte de terreau se-cret qui est sous-jatent à la langue française que nous utili-sons. On crée un climat, une chaleur, un sens de la fraternité.Dans mon roman, j'ai voulu aussi élargir sa portée en abor-dant les problèmes actuels. En montrant que ce qui manqueaujourd'hui à la mondialisation, c'est une culture propre. Laseule grande idée après l'effondrement des utopies historiquesdont ont besoin les relations entre les peuples et entre les so-ciétés devant tous les drames auxquels nous assistons et ré-cemment encore le drame jihadiste qui ensanglante l'Europeet le monde, c'est l'idée de fraternité.Je me souviens que quand j'ai rencontre Che Guevara pour lapremière fois, je lui ai demande au cours de la longue conver-sation qui a duré six heures s'il pensait qu'un jour l'idée defraternité finirait par l'emporter sur les contradictions que l'ontrouve dans l'histoire des sociétés II m'a dit qu'il n'avait pasde réponse à ma question. Deux ou trois ans après, j'ai ren-contre Jean-Paul Sartre à Moscou et lui ai posé la même ques-tion. Je lui ai dit que j'avais posé la question à Che Guevara etSartre m'a affirmé aussi qu'il n'avait pas de réponse. Est-cequ'un jour, on trouvera un accord fraternel entre la natureanimale des hommes et la culture ? Sartre m'a dit aussi avecbeaucoup d'émotion, qu'il n'avait pas de réponse maîs que

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l'idée était bonne. Un ]our, l'idée de fraternité doit devenirune évidence dans les relations humaines. C'est ce dont a be-soin la civilisation mondiale.

Ce roman a une histoire plutôt douloureuse...Une histoire dramatique. C'est un livre que j'ai écrit en 2000-2001. Que j'ai adressé à mon éditeur qui était Gallimard. Lacommission de lecture chez Gallimard a pensé que mon livreétait impubliable Hermétique, on ne comprenait pas où jevoulais en arriver. Je l'ai oublié dans un tiroir. C'est tout à faitpar hasard, quinze ans plus tard, lors d'un rangement, que jesuis tombé sur ce manuscrit et j'en ai parlé à une arme à moi,qui l'a donné à lire à l'éditrice Laure Leroy (Zulma), qui atrouvé que c'était un bon manuscrit Maîs qu'il fallait peut-être - et là Gallimard avait raison - un mode d'emploi. Parceque j'ai voulu réunir dans un tout cosmique l'ensemble demes expériences. Et ça n'a pas eté compris par les lecteurs deGallimard. Ils ont pensé que mon livre était obscur. Donc jesuis très content de l 'accueil qui lui est fait. Je suis trèscontent qu'on m'ait compris parce que j'avais le sentimentd'un échec avec ce livre. Je l'ai porté cet échec pendant delongues années. J'ai même cru à un moment donné, être vic-time du syndrome qu'a rcvclc Mclville, le syndrome de Bar-telby. Enrique Vila-Matas a fait un très beau livre là-dessus Jepensais que j'avais le syndrome puisque je ne pouvais plusaborder la fiction. J'étais bloqué du fait que ce livre était dansun tiroir, que )e l'avais oublié Donc j'ai écrit des poèmes, j'aiécrit de petits essais, j'ai fait des listes de fictions qui sont enattente sur mes chantiers et que j'espère pouvoir traiter. Main-tenant, je suis compris. Il n'y a rien de plus merveilleux pourun écrivain d'être compris.

En quoi pour vous Aimé Césaire fut une rencontre déter-minante ?

Césaire a été une révélation II a dit une chose formidable :l'homme n'est pas seulement animal, pas seulement végétal,pas seulement minéral. L'homme est univers Césaire a faitdéboucher la poésie sur le cosmique. Je pense qu'on peut ca-ractériser la poesie dc Césaire comme un pan-humanisme cos-mique - pas seulement humanisme parce que je me méfie dumot qui a été traîné dans la boue du fait du nazisme, du fas-cisme, de l'esclavage et de la colonisation, et que l'humanismen'a pas vraiment marché dans le monde Le mot pan introduitune universalité qui concerne le monde entier Et la mondiali-sation crée les conditions puisque c'est un phénomène d'unification technologique, d'unification religieuse, de toutessortes d'unification en cours, maîs ça ne suffit pas. l 'hommen'est pas seulement un homme de l'Hexagone, d'Afrique ouun homme d'Amérique latine... Nous allons vers un hommetotal. Une totalité humaine. C'est ce que Sartre appelait l'idéede fraternité qui m'a beaucoup préoccupé et qui continue àme préoccuper aujourd'hui. Dans quelle mesure on parvien-dra pour échapper aux maux de la mondialisation a une so-ciété humaine fraternelle, à un civisme international. Jusqu'icion est attaché à des civismes nationaux. Un civisme français,un civisme anglais, un civisme allemand On voit la difficultéqu'ont tous ces civismes à constituer même l'Europe.

Haïti est un petit pays, mais un grand pays d'écriture...Dans le Figaro justement, il s. ete écrit que les écrivains y enso-leillaient la langue française Maîs si on peut jouer ce rôle culturel, paradoxalement il n'y a pas de société civile en Haïti. Iln'y a pas d'État, comme a dit Régis Debray. Il n'y a pas de na-

tion haïtienne Maîs il y a une sorte de nation culturelle. Il y ales intellectuels haïtiens, les universitaires, les écrivains, lespeintres qui portent à bout de bras Haïti. Alors moi, je mesuis demande après le double effondrement sismique et ci-vique : est-ce qu'il n'appartient pas maintenant à ces intellec-tuels, à cette intelligentsia haïtienne si originale de créer un ci-visme original à partir de nos idées fraternelles, à partir del'art, à partir de la peinture, à partir de notre expérience en lit-térature et en musique. Naturellement je ne peux pas y jouerun rôle puisque je ne peux plus me déplacer Je suis dans levieil âge d'homme. Maîs mon espoir, espérons-le, c'est quel'intelligentsia haïtienne finira par prendre en mam l'avenir dupays et par l'intégrer au mouvement général de civisme inter-national auquel j'ai fait allusion.

Cela fait plus de trente ans que vous habitez à Lézignan.Auparavant vous aviez voyage de par le monde. Avez-vous ici retrouvé d'autres racines ?

C'est une tres bonne question que vous me posez ici. Le motexil vient tout de suite à l'esprit Généralement les Haïtiensqui se sont installés aux États-Unis, au Canada, en Europe seconsidèrent comme des hommes en exil. Moi, non. Dès le dé-part, j'ai toujours pensé que la terre est trop petite pour êtreun lieu d'exil. C'est une terre-patrie. J'ai eu le sentiment de lapatrie planétaire très tôt. Et quel est mon système personnel 5

C'est dè m'ajouter des cultures. Au heu de me sentir séparé, jeme suis dit que chaque nouvelle langue que j'apprends,chaque culture à laquelle je suis intégré, ça s'ajoute. C'est unagrandissement de mon échelle culturelle personnelle, c'est cequi s'est passé. Comme je me suis senti un Brésilien de plusau Brésil, un Français de plus à Paris ou à Lé7ignan-Corbières.

Vous vous considérez comme un écrivain ou comme unpoète qui écrit aussi des romans ?

Je me considère comme un écrivain franco-haïtien. On memutilerait si on enlevait le « franco » ou le « haïtien » Danstous mes romans, il y a une poétique. C'est un genre hybride,le roman poétique. J'ai réussi à introduire le lyrisme, la poésiede manière sous-jacente. Le lyrisme ne doit pas gêner la tramenarrative, l'intrigue, l'action qui sont des valeurs propres à lanarration romanesque. Et ça, je croîs que ça a marché aussibien dans mes romans Hadnana dans tous mes rêves et Le Mâtde Cocagne que dans mes nouvelles Je reste poète incessam-ment, je n'arrête pas de l'êtie

Vous apparaissez dans une nouvelle collection (« Entre leslignes », chez Honoré Champion) avec Aimé Césaire,Amadou Kourouma, Tahar Djaout, F rail tz Fanon, LyonelTrouillot... Vous vous sentez bien dans leur parage ?

J'appartiens a toute cette géneration du tiers-monde, du sud.Nous constituons une francophonie vivante et nous avons be-soin de ça pour rejoindre la mondialisation. Moi, je pense quenotre devoir, outre les fictions que nous écrivons, c'est d'ap-porter des idées nouvelles, d'apporter des viatiques à l'idée dèfraternité qui est absolument indispensable, qui doit devenircomme le souhaitait Sartre, une évidence dans la vie despeuples, dans la vie des sociétés. C'est l'idée de fraternité quisauvera le monde. On en a besoin plus que jamais.

Propos recueillis par Dominique Aussenac

POPA SINGER ae RENE DEPESTREZulma, 160 pages, 16,50 fe

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Date : JUIN 16

Pays : FrancePériodicité : MensuelOJD : 51688

Page de l'article : p.14

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MAGAZINELE CHOIX DES LIBRAIRES

MARIANNELibrairie Les Lisières

ROUBAIX (59)

VLADIMIR M.par Robert Littelltraduit de l'anglais (Etats Unis) parCecile Arnaud 288 p Baker Street, 21 €Ancien journaliste specialiste des affaires russes et moyen-orientales,Robert Littell est un maître du roman d'espionnage ll revient avec unrécit surprenant, qui nous emporte dans une Russie en pleine revolution

bolchevique ' Vladimir Maiakovski était un poète et un séducteur, qui avait besoin d'unefemme dans son lit pour trouver l'inspiration En 1953, vingt-trois ans apres sa mort,quatre d'entre elles se reunissent dans une chambre d'hôtel a Moscou Elles se remé-morent leurs souvenirs et se rendent compte que Vladimir avait de multiples visages

POPA SINGERpar Rene Depestre,160 p Zulma 16 50 €Inventivité, creativite, poesie, humour impertinence

MANUELLibrairie La Buissonniére

YVETOT (76)

maîs quel est ce jeune auteur qui, avec un tel mordant, nous apporteautant de fantaisie narrative et littéraire'? A plus de 90 ans, ReneDepestre anime une langue virevoltante qui s'invente a tous les instants

Papa Singer est un bonbon acidulé les mots éclatent en bouche et libèrent dessons colores, laissant une saveur pimentée sur le bout de la langue!

LA FIN D'UNE IMPOSTUREpar Kate O Riordatraduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia!Devaux, 384 p Joëlle Losfeld 22 50 €

CLOLibrairie Vandromme

LES VANS (07)

Profitant de la detresse d'une famille (adultère du pere, Luke, d'où separation d'avec Rosalie, deces de leur fils, Rob, et depression de Maddie,leur fille), un jeune homme, beau comme un ange, s'incruste dans leur

vie Tout d abord accueilli comme un sauveur il deviendra un redoutable prédateurcréant le trouble dans l'esprit de Rosalie Un roman diabolique, parfaitement maîtrise,sur l'emprise psychologique et les méandres de l'amour Lin excellent thriller i

UN RUBAN DE RÊVEpar Gonzague Saint Bris120 p Stemkis 12 €1946, le premier festival de Cannes déroule

LAURENTLibrairie Cajelice

PIGNAN (66)

son tapis rouge apres avoir ete annule en 1939 pour cause de bruitsde bottes intempestifs Avec son talent de conteur, messire Gonzaguenous fait revivre cet evenement et chante en prose le souvenir de cette

nuée de nymphettes embellissant la Croisette pour des siècles et des siècles Enfm d'ouvrage, une photo personnelle de l'auteur, bras dessus bras dessous avecSharon Stone, atteste sans conteste de son émotion encore palpable '

ROLAND EST MORTpar Nicolas Robin,182 p Anne Carriere 17 €Roland est mort Les sapeurs-pompiers

JULIELibrairie Cultura

CLAYE-SOUILLY(77)

l'ont retrouve la tête dans la gamelle du chien Ils viennent enlever lecorps et, se débarrassent du caniche en le confiant au voisin de palier,un chômeur proche de la quarantaine ll ecope du chien puis de l'urne

contenant les cendres du défunt Que faire de cet heritage charge de poils et decéramique' Grâce a des artistes comme Nicolas Robin, nous comprenons que lapoesie est supplement d'âme Nous, les libraires, sommes combles

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Date : 13/19 MARS 16

Pays : FrancePériodicité : HebdomadaireOJD : 13472

Page de l'article : p.80-87Journaliste : Clarisse Juompan-Yakam / Nicolas Michel

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René Depestre,compositeurcosmiquePetit bijou d'amour et d'allégresse, conçu commeun concerto dramatique, le roman Papa Singer,du doyen des lettres haïtiennes, nous entraîne dansde sinistres marécages politiques.

D ans les c o l -l i n e s a u t o u rde L é z i g n a n -Corbières (Aude),

les amandiers sont en fleuret les vignes annoncent déjàleurs premiers bourgeons. Sil'ampélopsis qui enserre deses lianes les colonnes de laVilla Hadriana ne semble pastout à fait décidé à sortir de sadomiance, le poète haïtienqui vit là s'apprête, lui, à fêterson 90L printemps. « Je nesuis pas malade, mais je sensque je décline », confie RenéDepestre, sourire auxlèvres, ens'asseyant à son bureau, sous laphoto d'Aimé Césaire et à côtéde sa vieille Olivetti Lettera 32.Deux à trois pages par jour,c'est ce qu'il parvient à écrireen suivant le programme qu'ils'est fixé, pas moins de septlivres, dont la liste est épingléebien en vue sur le mur, à sagauche. « Ce n'est pas sûr queje puisse les terminer », dit-ilsans affect, alors qu'il n'estpas passé loin du « syndromede Bartleby », cher à EnriqueVila-Matas.

En 2001, le comité de lecturede Gallimard avait en effet jugéimpubliable son roman PopaSinger, qui vient de paraîtreaux éditions Zulma, quinzeans plus tard. « Ce romanétait lié à ma vie affective laplus profonde, et ce refus aprovoqué un blocage, raconte-t-il. Je ne pouvais plus écrirede fiction. » Le manuscrit asombré au fond d'un tiroir,Depestre s'est consacré auxessais et à la poésie. Puis, un

jour de rangement, le texte arefait surface, jusqu'à atter-rir sur le bureau de l'éditriceLaure Leroy par l'entremise dela journaliste du Point ValérieMarin La Meslée.

Ce récit autobiographique,qui revient sur l'année 1958 enHaïti, est en réalité un petitbijou vaudou tout d'amouret d'allégresse, même s'ils'aventure dans de sinistresmarécages politiques peu-ples de tontons macoutes.« J'ai pensé ce livre commeune sorte de concerto drama-tique, une épopée magique surl'histoire d'Haïti. C'est aussiune déclaration d'amour ànotre mère, qui nous a éle-vés grâce à son courage auxcommandes d'une machine àcoudre Singer », explique l'au-teur fl Hadriana dans tous mesrëves (prix Renaudot 1988).

LOA. Toute de vibrations sen-suelles, l'écriture de Depestredoit beaucoup à cette mèrequi pouvait parfois êtrechevauchée par un loa - end'autres termes, habitée par unesprit. « L'audience - lodyans,en créole - est une manièrehaïtienne de raconter deshistoires, une forme pica-resque de l'imaginaire haïtien,explique-t-il. Ma mère étaitune grande audiencière dontj'ai reçu l'héritage. » De sonpère pharmacien, il a gardé lapetite encyclopédie à la cou-verture rouge, Tout en un, etl'éblouissement des matinscaribéens. « Une fois parsemaine, il nous réveillait pour

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Date : 13/19 MARS 16

Pays : FrancePériodicité : HebdomadaireOJD : 13472

Page de l'article : p.80-87Journaliste : Clarisse Juompan-Yakam / Nicolas Michel

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AftîUf /fff lf, «PH»»

Dans son bureau, le 24 février

nous emmener voir le lever dusoleil sur le golfe de Jacmel,se souvient Depestre C'étaitle cinéma du petit matin queje transférerais plus tard surle plan sexuel en présentantl'acte d'amour comme un acteéminemment solaire »

Vieil homme radieux,Depestre n'a pas oublié lepetit garçon d'Haïti qui setenait debout face a l'Océan« Sa course éperdue a la merlibre devra charrier le gravier,le sable, le limon, le planctonmerveilleux des enfances quiprotègent I etat de poesie desicebergs meurtriers de la haineet de la barbarie », écrit il audébut dePopa Singer, ou laditebarbarie s'incarne en PapaDoc «Notre methode descendtout droit du fer et du feu desidees politiques, s'exclame cedernier dans Papa Singer Ellepermet d'édifier un pays ethniquementpur, e 'est- a- dire his-tonco-culturellement nettoyéde toute impureté blanche

comme de toute flétrissuremulâtre un Haiù ou il fait noircomme dans un four gothiqueou dans la gueule d'un leoparddes Afriques » Ancien com-pagnon de jeu (de cartes) deDepestre, Duvalier essaya envain de l'entraîner dans songiron, cette année-là

Lorsqu'il commença aécrire, l'enfant Depestre seconvainquit que, pour enfan-ter des romans, il fallait « vivre

Papa Singer,de Rene Depestre,ed Zulma, 160 pages,16,50 euros

intensément » « Je voulaisêtre un homme d'action, unpoète, un homme de savoir » IIy parvint, propulse en Europegrâce au succes de son pre-mier recueil, Etincelles (1945),passant d'un pays a l'autre augré dcs expulsions (de France,de Tchécoslovaquie ) etdes engagements politiques(Haïti Bresil, Cuba, etc ) « LeXXe siecle, je l'ai vécu sur lesdeux rives de la guerre froide »,résume-t-il Forme militairement au Bresil sous le pseudonyme de Walter Miranda,dirigeant communiste clan-destin en Hain, auditeur atten-tif de Radio Rebelde, il attiral'attention de Fidel Castro et deChe Guevara avec un articlesur la revolution Papa Doc lelaissa partir, en 1959, accompagne d'un tonton macoutenommeFuentes «Al'arrivée,j'ai dit aux officiels cubainsil faut le renvoyer a Duvalier,avec mon éternel adieu »Pendant plus de vingt ans,

Depestre allait accompagnerla révolution cubaine

Aujourd'hui encore, lesouvenir de ses discussionsavec le Che ou Ho Chi Minhallume des etoiles dans sesyeux Pourtant, l 'affaireHeberto Padilla le dessilla, en1971, sur les dérives « fldelo-castnstes » « J'ai pus fait etcause pour Padilla quand ila ete contraint a une humihante autocritique publique,se souvient Depestre Raûlet Fidel furent scandaliséspar mes propos, qu'ils censurerent J'ai eté isole, montelephone place sur ecoute,ma vie a Cuba est devenueinsupportable C'est difficile,pour un poète, d'être un bonstalinien » La poésie, voilacc qui l'a finalement sauvedes compromissions et desaveuglements de la poliUque« Le surréalisme m'a permis degarder un œil critique sur lesidéologies », soutient il, reconnaissant l'échec pratique du

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Date : MARS 16

Pays : FrancePériodicité : Mensuel

Page de l'article : p.93Journaliste : Charlotte Mansart

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Voyage en « papadocratie »

Plus de vingt-cinq ans que le grand auteur haïtien- encore un ' - n'avait publié un roman Se lais-sant aller à la poésie, sa grande maîtresse en écri-

ture, et aussi à des essais - on se souvient notammentde Bonjour et adieu à la négritude ( 1980) Pour lesplus jeunes, rappelons que Depestre fut une f igureengagée en f a v e u r la décolonisat ion de l 'Afrique,occupa de hautes fonctions officielles dans la révolu-tion castnste avant d'en revenir en 1971, et obtint,entre autres distinctions, le prestigieux prix Renaudot,en France, avec Hadnana dans tous mes rêves (1988)À près de 90 ans, il revient à la forme romanesque avecPopa Singer, un texte où sa verve poétique, à la foistellurique et fluviale, irrigue tout le récit

L'entrée en matiere est assez déroutante, avec son rou-lis de mots et sa ponctuation hétérodoxe Maîs il fauts'immeiger dans le grand bain de « l'imaginaire compo-site des Haïtiens » écrit à l'encre unique de Depestrepour bien humer l'histoire de Dick Demzan, le doublefictionnel de l'auteur, plongé avec ses frères et sœursdans la grande farce tragique de l'histoire d 'Haït i Enréalité, c'est la mere de Dick, « Popa Singer von Hof-mannsthal », qui est la vraie héroïne de ce roman Cenom n'est que l'un des multiples autresdont on affuble cette mère protectrice,en référence à la machine à coudre demarque Singer qu ' e l l e acheta à unnégociant a l l emand ayant volé sonpatronyme à l'illustre poète autrichien

La mère aux i d e n t i t é s « nzhomiquel » acquit dès lors celle de l'es-prit vaudou loa, qu i la possédait auxbons moments el l 'aida, avec sa Sin-ger, à f a i re v i v r e ses cinq enfan t slorsque le père décéda

Ordonné en trois mouvements, lerécit de Depestre narre le retour au pays de Dick,devenu poète célèbre, en pleine période duvahéristeDans la f a m i l l e mu lâ t r e é largie , r éun ie chaqu edimanche autour de Popa Singer, l'œcuménisme règneentre un beau-frère palestinien, une belle-sœur israé-lienne, un partisan du dictateur Papa Doc, et tous lesautres, plus ou moins opposants à l 'un des régimes lesplus sinistres de la planète Maîs le poète, pris dans lesrets de la folie ct dcs délires racialistcs de la « papado-cratie » - Duvalier en voulai t aux mulâtres et prônaitune politique eugeniste a leur encontre -, refuse leposte que lui propose le tyran II n'en faut pas pluspour mettre en danger toute la famille Heureusement,les visions de Popa Singer sont là

On lit avec dégustation la grande liberté littéraire dudernier Depestre, boucle par un épilogue ouvrant surd'autres hon/ons et un bref « mode d'emploi » biogra-phiquement instructif • Charlotte Mansart

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Date : JUIL/AOUT 16

Pays : FrancePériodicité : Semestriel

Journaliste : Sophie Patois

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RENE DEPESTREENTRE POÉSIE ET VÉRITÉPublié en quelque sorte avec « mode d'em-ploi », le roman du nonagénaire haïtienRené Depestre (au demeurant, oncle de Mi-chaëlle Jean, l'actuelle Secrétaire généralede la Francophonie) paru chez Zulma sousle titre de Papa Sin-ger revendique hautet fort les référencesà un « réel merveil-leux». Univers quia séduit les lecteursdu prestigieux prixlittéraire de la So-ciété des gens deLettres, qui viennentde récompenserPopa Singer.En fin d'ouvrage,l'auteur en donneainsi malignementla clé : «Aujourd'hui,le lecteur a sous lesyeux le code de l'ima-ginaire composite desHaïtiens : les êtres hu-mains, les animaux, les objets, les végétationsqui les entourent; de même que les phéno-mènes naturels (rivières, mers, cyclones, vol-cans, séismes); et les phénomènes surnaturels(laos, états de possession, épiphanie des dieuxdu vaudou) forment un tout cosmique dansl'aventure du vivre-ensemble des humanités. »On ne s'étonnera donc pas de trouver dansce récit à la fois du réel, avec des élémentsautobiographiques facilement décelables, etdu « merveilleux » même s'il est souvent teintéd'effroi. Sans oublier bien sûr une bonne dosed'humour, noir comme il se doit ! Entre poésieet vérité, René Depestre livre en majesté, dansune langue pleine de fantaisie et d'invention,sa vision du monde et son expérience humaineen trois mouvements et plusieurs temps. Letemps surtout d'un retour au pays natal en1957 conté ici avec tout l'absurde et burlesquenécessaires. La confrontation avec « PapaDoc » alias François Duvalier et ses diabo-liques et incultes Tontons macoutes qualifiés

de « SS des Tropiques », qui jettent au feu LePetit Chaperon rouge comme Le Petit Prince,est particulièrement drôle ! Et puis, bien sûr,il y a cette formidable Popa Singer, figure ma-triarcale s'il en est, fil rouge du roman, pleine

d'audace et de grâce. Desa bouche sortent lesmots les plus touchantsécrits dans un style ini-mitable : « Tu auras euun mal de diable à trou-ver une carcasse en bam-bou, du papier et du ventpour lancer dans l'azurdes humanités le parlerde l'enfant au bout de seslarmes qui s'émerveille deréapprendre la tendresseet la grande santé du rireaux éclats. Longtemps àl'avance il faut préparerle cerf-volant du vieil âged'homme: n'ayant pas deretour en arrière possible,il devra monter sans se

perdre dans les nues. »Signalons qu'un autre Haïtien, MakensyOrcel, vient de remporter le prix LittératureMonde pour L'Ombre amère (voir FOS 37).Bravo aux éditions Zulma ! •Sophie Patois

Rene Depestre, Papa Singer, Zulma

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Date : AOÛT 16

Pays : FrancePériodicité : MensuelOJD : 706874

Page de l'article : p.109Journaliste : P.-M. B.

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+POPA SINGER,RENË DEPESTRE,ZULNA,160P.,ie,50C.

CHRONIQUE AUTOBIOGRAPHIQUE /

HAÏTI DOULEURS"Papa Doc", "tontons macoute" : derrièreces surnoms que l'on croirait empruntesau carnaval ou a la BD, une dictaturecruelle et sanglante que l'auteur a subieet payée d'une vie d'exil... Dans cettechronique autobiographique, il racontele fonctionnement du régime Duvalier,son cortège d'assassinats, sa cohorte detortionnaires flagorneurs et épouvantesqui maintiennent le tyran au pouvoir. Laterreur au quotidien, aussi, et le couragede ceux qui la combattent. L'écriture,magnifique, transfigure le récit en legende.Et ridiculise l'ignorance crasse de cesSS creoles, de ce Hitler de poche et son"terrorisme mystico-balneaire". p -M B

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Date : 28 JAN 16

Pays : FrancePériodicité : QuotidienOJD : 130065

Journaliste : Hubert Beauchamp

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René Depestre et Dany Laferrière :le récit d'une rencontre haïtienne

Originaires d'Haïti, les deux écrivains se connaissent de longue date. Ils se retrouventaujourd'hui dans la même maison d'édition qui présente les plus grands auteurs de lile.

René Depestre et Dany Laferrière, des rires et des chagrinspartagés... Photo H B

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Date : 28 JAN 16

Pays : FrancePériodicité : QuotidienOJD : 130065

Journaliste : Hubert Beauchamp

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C 'est le premier livred'un jeune écrivainde grand talent: à 90

ans, quel avenir!», répètedans un grand rire Dany La-ferrière. Le jeune académi-cien est enthousiaste - c'estun euphémisme - à la lecturedu dernier roman de RenéDepestre : Popa Singer, livrede gaîté au réjouissant goûtde jeu. Chamarré et surréa-liste, il est écrit comme unconcerto. Une évocation li-bre et burlesque de la tragé-die des Haïtiens, par un De-pestre qui, en poète, détientle "pouvoir de voler jusqu'àla Grande Ourse dans l'éclatd'un brin d'herbe".On retrouve ici la figure es-sentielle de la mère et de samachine à coudre Singer quia tant marqué l'enfance dupetit René qui, plus tard, luia consacré un poème. DanyLaferrière a lu et a relu le li-vre avec jubilation, jusqu'àen réciter des passages parcœur. Il en connaît les subti-lités, il lit entre les lignes, tra-duit les mots cachés derriè-re les mots. N'est pas Haï-tien (informé) qui veut! Et,informé, l'écrivain l'est assu-rément, lui qui a quitté sonîle natale pour échapper auxredoutables Tontons Macou-te, comme son aîné l'avaitfait quelque trente ans plustôt, pour échapper à une"zombification".Entre Dany Laferrière et Re-né Depestre, c'est une lon-gue histoire. Le père de Da-ny, maire de Port-au-Princeà 24 ans, et le poète déjà en-gagé en politique étaient dé-jà amis. Le Lézignanais au

long de son parcours, notam-ment lors d'une belle"tournée américaine" eutl'occasion de le retrouver auQuébec. Avant même le suc-cès de l'auteur du décoiffantComment f aire l'amour avecun nègre sans se fatiguer.Aujourd'hui, l'écrivain et lepoète se retrouvent dans lamême maison d'édition : Zul-ma(*). Pas tout à fait par ha-sard: Laure Leroy, qui en estla directrice générale, a déci-dé de présenter les plusgrands auteurs d'Haïti. Etl'île n'en manque pas. Déjàles deux amis, et puis MarieVieux-Chauvet, Jacques Rou-main, l'auteur du lumineuxGouverneurs de la rosée.Tous hommes et femmes deliberté. D'autres suivront. Es-pérons Magloire-Saint-Aude("Sur le buvard aveugle demes talents éteints"), Fran-kétienne ("Rabelais créole,incendiaire de la langue",écrit Depestre dans Le Mé-tier à métisser), Jacques-Ste-phen Alexis. La liste est lon-gue... Quelle richesse dansce pays broyé, mais qui tou-jours résiste! Laure Leroyétait à Lézignan avec sesdeux auteurs: deux jour-nées de grâce et d'amitié. Detendresse. Dans une concen-tration d'intelligence et deculture où les grands rires ledisputent aux tragédies, auxdéchirures de l'Histoire.Hubert Beauchamp

I * Dany Laternere Le Cri desoiseaux fous - 9,95 euros ReneDepestre Popa Singer-16,50 euros (À paraître leI1 fevrier prochain)

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Date : 10 JAN 16Pays : FrancePériodicité : QuotidienOJD : 55485

Journaliste : F. P.

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Pour la rentrée littéraire,René Depestre fait coup doubleAlors qu'un ouvrage de 400 pages est consacré à son œuvre et son parcours, l'écrivain etpoète René Depestre sort un nouveau livre sur fond de religion vaudou en Haïti.

R ené Depestre ren-tre dans sa 90e an-née et sa plume estloin d'être usée !

Poète et écrivain de renom-mée internationale, il n'arien perdu de sa fougue litté-raire. Tandis que des univer-sitaires consacrent un ouvra-ge complet à son oeuvre etson parcours, l'artiste sortun nouveau roman et entendfaire couler de l'encre en2016.

Hommage international«La sortie du livre "Le soleildevant" est un événementdans ma vie d'écrivain ! J'ar-rive dans le vieil âge d'hom-me et j'ai droit à la recon-naissance des critiques, desprofesseurs, desuniversitaires... », se ré-jouit René Depestre. Paruaux éditions Hermannn, cetouvrage est le fruit d'un col-loque international qui s'estdéroulé en 2014 à Limoges:des chercheurs du mondeentier s'étaient réunis pourcélébrer l'œuvre de René De-pestre. Poétique, politique,romanesque, philosophique,anthropologique... «je suishomme aux écritures diver-ses », dit-il. Difficile de conte-nir en un livre cette multipli-

cité ainsi que l'extraordinai-re chemin de vie de René De-pestre.Avant de s'établir à Lézignanen 1986 et de remporter leprix Renaudot deux ans plustard, l'artiste aura balayétout le XXe siècle et côtoyédes figures comme Eluard,Aragon, Pablo Neruda, CheGuevara, Fidel Castro... Dèsl'âge de 20 ans, après avoirparticipé au renversementde la dictature Lescot en Haï-ti, il décide de faire de la tèr-re entière sa maison. Tché-coslovaquie, Argentine,Chili, Brésil, Cuba, URSS,Chine, Vietnam... «J'ai étépropulsé d'une rive à l'autrede la guerre froide et je lais-se derrière moi une vied'aventurier. J'ai lu et vécubeaucoup... écrire et vivrec'est la même chose», ajoutecelui qui a également officié10 ans au cabinet du direc-teur général de l'Unesco.«De mon vivant, j'ai déjà eula chance de voir publiermes œuvres complètes depoésie dans "Rage de vivre".Avec l'ouvrage "Le soleildevant", c'est un hommageinternational qui m'est ren-du. Les analyses sont trèsfouillées et chaque étude estremarquable: il n'y a plus

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Date : 10 JAN 16Pays : FrancePériodicité : QuotidienOJD : 55485

Journaliste : F. P.

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rien à rajouter et je peux dis-paraître!».René Depestre n'a pourtantpas dit son dernier mot. Nonseulement il sort cette semai-ne un nouveau roman (lireencadré), mais on attend deprochains ouvrages consa-crés à son œuvre. Il compteaussi publier un livre sur savie qui s'intitulera "Une gom-me pour le crayon duChrist". «Je fermerai monparcours littéraire à 90 ansavec ce livre autobiographi-que. J'ai encore d'autres li-vres en préparation. Mais sije n'ai pas le temps de lesécrire, ce n'est pas impor-tant».

F. P.René Depestre présente "Le soleil devant", un livre dè 400

pages qui lui est entièrement consacré.

Un nouveau roman... fantastique !"Popa Singer", tel est le titre dunouveau roman paru cettesemaine aux éditions Zulma. «Ils'agit du pseudonyme que l'ondonnait à ma mère quand j'étaisenfant. Elle était couturière,veuve et avait plusieurs enfantsà élever. C'est grâce à cettemachine à coudre qu'elle nousa envoyés à l'école et que jesuis devenu écrivain», confieRené Depestre. Au-delà del'hommage rendu «à la mère

en général», l'écrivain livre unrécit autobiographique sur fondde religion vaudou. «En Haïti,la dimension onirique est trèsprésente dans la création desécrivains en raison de cettereligion». Avec "Popa Singer", ilaborde le cas des possessionspar un "loa", «une divinité quidescend dans la tête des genset qui change leurpersonnalité... Ma mère étaitdouée pour recevoir un loa. Elle

a acheté sa machine à coudrechez un négociant allemand quiavait donné le nom d'un grandécrivain autrichien du XXe siècleà son magasin, Hugo vonHofmannsthal. Ma mère a reçuun loa du même nom ! Quandelle était possédée par lui, ellen'était plus elle-même. Sa voixet ses gestes changeaient.C'est l'histoire de cette mainmise onirique sur notre vied'enfant que je raconte ».

Page 26: Page 1/4 - Zulma...de Port-au-Prince. J'avais 5 ans lorsque mon père es I parti refaire sa vie. Et ma mère s'est sacrifiée pour faire bouillir la marmite. En Haïti, ce sont les

AGENCE FRANCE PRESSE MONDIALESDate : 17 MAI 16Pays : France

Périodicité : Quotidien Paris Journaliste : aje/ial/cam

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ZULMA 6738497400501Tous droits réservés à l'éditeur

17/05/2016 19:23:00

René Depestre, grand prix de littérature de la SGDL

PARIS, 17 mai 2016 (AFP) - Le poète et écrivain haïtien René Depestre a reçule Grand prix de la Société des gens de lettres (SGDL) de littérature pour l'ensemble de sonoeuvre, a-t-on appris mardi auprès de cette association littéraire.

Monument de la littérature francophone, René Depestre a publié au début del'année "Popa Singer" (Zulma), une chronique autobiographique racontant son retour en Haïtien décembre 1957, après plus de dix ans d'errance, alors que la pays vivait sous ladictature de "Doc" Duvalier.

Le poète qui a longtemps vécu en exil à Cuba puis en France avait reçu en 1988le prix Renaudot pour son roman "Hadriana dans tous mes rêves". Son recueil "Alléluia pourune femme-jardin" avait reçu en 1982 le Goncourt de la nouvelle.

Le prix ainsi que les autres récompenses décernées par la SGDL seront remis le21 juin au siège de l'association à Paris.

Le Grand prix SGDL de poésie pour l'ensemble de l'oeuvre a été attribué à MichelButor, le Grand prix SGDL du roman a été attribué à Monica Sabolo, pour "Crans-Montana"(JC Lattès), tandis que le Grand prix SGDL de l'essai est revenu à Jean-Claude Guillebaudpour "Le tourment de la guerre" (L'Iconoclaste).

Le Grand prix SGDL de la nouvelle est allé à Gilles Verdet pour "Fausses routes"(Rhubarbe).

Les prix de la SGDL sont dotés de 1.500 à 6.000 euros.aje/ial/cam