Page 1/3 LA FRANCE AUX FOURNEAUX … son restaurant Le fantasme de bien des Français Lancée le 22...

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6-8 RUE JEAN ANTOINE DE BAIF 75212 PARIS CEDEX 13 - 01 55 30 55 30 13/19 MARS 10 Hebdomadaire Paris OJD : 640775 Surface approx. (cm²) : 1273 N° de page : 34-36 Page 1/3 ATELIER6 5701423200507/GPP/ARR/2 Eléments de recherche : L'ATELIER DES CHEFS : cours de cuisine, passages significatifs LA FRANCE AUX FOURNEAUX REPORTAGE Soissons, son vase, ses haricots secs Son lycee hotelier perdu dans la zone d'activité commerciale De l'exté- rieur, rien ne transpire AI interieur, ça taille, ça hache, ça touille, ça zeste a qui mieux mieux Cent cinquante blogueurs dingues de cuisine sont réunis pour le 2 e Salon des blogs cu- linaires, organise par le site 750g com Deux jours pendant lesquels ils se mesurent amicalement les uns aux autres II y a Pascale Weeks, de C'est moi qui l'ai fait ', Donan, de Maîs pourquoi est ce que je vous ra- conte ça , et puis Fabrice, un visage étrangement familier Normal, il est passe a la tele En 2009, il fut l'un des finalistes du Dîner presque parfait 4,4 millions de téléspectateurs une des meilleures audiences de Mo l'an A la télévision, en librairie, sur le Net... L'art culinaire fait de nouveau recette et les Français remettent la main à la pâte. Mais pourquoi sommes-nous devenus tous toques ? dernier Lui aussi tient son blog, La cuisine de Fabrice Et regarde aujourd'hui avec curiosité le nou- veau show culinaire de M6, Top chef, reunion de douze jeunes cuisiniers professionnels qui s'affrontent de- vant un jury d'étoiles Pas de la vul- gaire tele réalité, précise Florence Duhayot la productrice, maîs un programme « ou des candidats pas- sionnés jouent leur vie » Compren- dre IOU DOO euros, et l'occasion de lancer son restaurant Le fantasme de bien des Français Lancée le 22 fevrier, l'émission a rassemble, poui sa premiere edition, 2,7 mil lions de téléspectateurs Au prin- temps, TFI contre-attaquera avec Master chef La même chose, maîs avec des amateurs La cuisine est a la mode Dans les h brairies le rayon grignote les autres avec constance et, en 2010, les ven- tes de livres de cuisine ont encore augmente de 10 % Dans les kios- ques dix magazines spécialises en 2000, le double aujourd'hui Sur In- ternet cinquante blogs en 2000, trois mille aujourd'hui C'est l'un des rares secteurs de la blogosphere qui ne décline pas Des festivals sont nes Cookbook Festival, Festival de la photo culinaire A la Cite des sciences la grande exposition de l'année est consacrée a lalimenta- tion Chez les marchands d'électro- ménager on se frotte les mains, en- tre le retour de la yaourtière et la mode du pain maison Comment en est on arrive, en dix ans seulement, a se passionner pour un concours de bœuf bourguignon ? Dix ans pendant lesquels la cuisine a effectue une incroyable mue De cor- vée pour la menagere, elle est deve nue le passe temps favori des CSP+, un hobby branche, un savoir-faire prise dans la societe Alain Passard, sveltesse jean et tablier, a remplace Bocuse, son ventre et sa toque Deux crises alimentaires (la vache folle, la grippe aviaire) ont fait le reste « La France vit a nouveau une folie culi- naire », confirme Patrick Hambourg, historien de la cuisine, chercheur a l'université Pans-Vil, « exactement comme au XVIII e siecle, lors de la creation de la "cuisine française" en tant que reference AI epoque, la ques tion était tres liee aux debats sur l'idée de nation II fallait asseoir la cuisine française au-dessus des cuisines re- gionales, maîs aussi au-dessus des étrangères Chez nos voisins, italiens, britanniques, espagnols ou allemands, cela ne s'est pas produit Aujourd'hui, on débat a nouveau avec la même vi- gueur de la soi-disant disparition de la cuisine française, de la concurrence des cuisines étrangères » II faut dire qu elle a bien change, notre cuisine Elle a pris des accents d'ailleurs, mé- lange Paris et Tokyo, Lyon et Barce- lone, pour le meilleur, tout en célé- brant son patrimoine bistrot La revolution gourmande est, d'ailleurs, partie de l'étranger De Grande Bretagne précisément, au début des annees 2000 A l'époque en France, tout est fige impeccable Dans l'Olvmpe vivent les chefs etoi- les, les Ducasse, Robuchon Dans sa cuisine Mobalpa, la plèbe enfourne son poulet roti du dimanche G est bon, maîs on s'ennuie Avec les An glais, qui partent de lom, soudain tout devient drôle grâce a un jeune chien fou Jaime Oliver II n'est pas Les papilles font de la résistance

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6-8 RUE JEAN ANTOINE DE BAIF75212 PARIS CEDEX 13 - 01 55 30 55 30

13/19 MARS 10Hebdomadaire Paris

OJD : 640775

Surface approx. (cm²) : 1273N° de page : 34-36

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LA FRANCE AUX FOURNEAUX REPORTAGE

Soissons, son vase, ses haricots secsSon lycee hotelier perdu dans la zoned'activité commerciale De l'exté-rieur, rien ne transpire AI interieur,ça taille, ça hache, ça touille, ça zestea qui mieux mieux Cent cinquanteblogueurs dingues de cuisine sontréunis pour le 2e Salon des blogs cu-linaires, organise par le site 750gcom Deux jours pendant lesquels ilsse mesurent amicalement les unsaux autres II y a Pascale Weeks, deC'est moi qui l'ai fait ', Donan, deMaîs pourquoi est ce que je vous ra-conte ça , et puis Fabrice, un visageétrangement familier Normal, il estpasse a la tele En 2009, il fut l'un desfinalistes du Dîner presque parfait4,4 millions de téléspectateurs unedes meilleures audiences de Mo l'an

A la télévision, en librairie,sur le Net... L'art culinaire faitde nouveau recette et les Françaisremettent la main à la pâte.Mais pourquoi sommes-nousdevenus tous toques ?

dernier Lui aussi tient son blog, Lacuisine de Fabrice Et regardeaujourd'hui avec curiosité le nou-veau show culinaire de M6, Top chef,reunion de douze jeunes cuisiniersprofessionnels qui s'affrontent de-vant un jury d'étoiles Pas de la vul-gaire tele réalité, précise FlorenceDuhayot la productrice, maîs unprogramme « ou des candidats pas-sionnés jouent leur vie » Compren-dre IOU DOO euros, et l'occasion delancer son restaurant Le fantasmede bien des Français Lancée le22 fevrier, l'émission a rassemble,poui sa premiere edition, 2,7 millions de téléspectateurs Au prin-temps, TFI contre-attaquera avecMaster chef La même chose, maîsavec des amateursLa cuisine est a la mode Dans les hbrairies le rayon grignote les autresavec constance et, en 2010, les ven-tes de livres de cuisine ont encoreaugmente de 10 % Dans les kios-ques dix magazines spécialises en2000, le double aujourd'hui Sur In-ternet cinquante blogs en 2000,trois mille aujourd'hui C'est l'un desrares secteurs de la blogosphere quine décline pas Des festivals sontnes Cookbook Festival, Festival dela photo culinaire A la Cite dessciences la grande exposition del'année est consacrée a lalimenta-tion Chez les marchands d'électro-ménager on se frotte les mains, en-tre le retour de la yaourtière et lamode du pain maisonComment en est on arrive, en dixans seulement, a se passionner pourun concours de bœuf bourguignon ?

Dix ans pendant lesquels la cuisine aeffectue une incroyable mue De cor-

vée pour la menagere, elle est devenue le passe temps favori des CSP+,un hobby branche, un savoir-faireprise dans la societe Alain Passard,sveltesse jean et tablier, a remplaceBocuse, son ventre et sa toque Deuxcrises alimentaires (la vache folle, lagrippe aviaire) ont fait le reste « LaFrance vit a nouveau une folie culi-naire », confirme Patrick Hambourg,historien de la cuisine, chercheur al'université Pans-Vil, « exactementcomme au XVIIIe siecle, lors de lacreation de la "cuisine française" entant que reference AI epoque, la question était tres liee aux debats sur l'idéede nation II fallait asseoir la cuisinefrançaise au-dessus des cuisines re-gionales, maîs aussi au-dessus desétrangères Chez nos voisins, italiens,britanniques, espagnols ou allemands,cela ne s'est pas produit Aujourd'hui,on débat a nouveau avec la même vi-gueur de la soi-disant disparition de lacuisine française, de la concurrencedes cuisines étrangères » II faut direqu elle a bien change, notre cuisineElle a pris des accents d'ailleurs, mé-lange Paris et Tokyo, Lyon et Barce-lone, pour le meilleur, tout en célé-brant son patrimoine bistrotLa revolution gourmande est,d'ailleurs, partie de l'étranger DeGrande Bretagne précisément, audébut des annees 2000 A l'époqueen France, tout est fige impeccableDans l'Olvmpe vivent les chefs etoi-les, les Ducasse, Robuchon Dans sacuisine Mobalpa, la plèbe enfourneson poulet roti du dimanche G estbon, maîs on s'ennuie Avec les Anglais, qui partent de lom, soudaintout devient drôle grâce a un jeunechien fou Jaime Oliver II n'est pas

Les papilles fontde la résistance

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le fils de Raymond, ni de Michel, lesinventeurs de l'émission culinaire àla française. Non, c'est un Rosbeefqui saute partout, émince à la vitessede l'éclair, et prépare des linguine-scampi-pomodore en trois minutes,entouré de spectateurs hystériques.En France, à l'époque, France 3 nousinflige encore un chef tout raideflanqué d'un animateur tarte. Evi-demment, Jamie détonne. En 2005,M6 dégote son équivalent français,Cyril Lignac. Avec le même succès.Parallèlement, dans l'édition, on dé-

À DESTINATIONDES PARTICULIERSAUTANT QUE DESPROFESSIONNELS,L'ÉCOLE RITZESCOFFIER, PLACEVENDÔME APARIS, DISPENSEDES COURS DECUISINE HAUTDE GAMME.

poussière à tout va. Après trente ansde bons et loyaux services, GilletteMathiot et Françoise Bernard, reinesde l'endive au jambon, et de la bécha-mel de maman, cèdent leur place.Terminé aussi, le beau livre de chefrempli de recettes impossibles à réa-liser. «Hyo dix ans, je sortais quinzebeaux livres pour Noël, cette année, unseul, explique Suyapa Granda Bo-nilla, directrice littéraire chez Solar,deuxième éditeur de livres de cuisi-ne en France, après Hachette. C'estMarabout qui a lancé le mouvement

du petit livre simple et pas cher, avecdes angles liés à la mode : les verrines,les muffins, les moelleux... Tout lemonde a suivi. Le prix moyen est pas-se de IS à 9 euros. » Du Jamie Oliversur papier. Simple, frais, rapide, maisavec de la gueule, et du goût.Et puis, il y a Internet. Une révolu-tion, là encore. Ginette et Françoisey ont retrouvé une place, mais chan-ge de nom : elles s'appellent désor-mais Marmiton.com, ou Cuisineaz.com, et fournissent le quotidien enmilliers de fiches recettes. Une jun-1

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• gle fascinante qui permet de compa-rer... quarante-neuf versions de latartiflette. Internet a ses faiblesses...et ses forces : ses blogueurs et leursfans qui diffusent la bonne parole.« Ce sont eux qui ont fait renaître la"gastronomie", ce "sentiment exprimé"sur la cuisine », rappelle Patrick Ram-bourg. Dorian a créé son blog «pourparler de son amour de la cuisine, plusque pour publier des recettes ». Dada(Un déjeuner de soleil) y entretientun lien avec son pays, l'Italie, en ydistillant chaque semaine une recet-te de son cru, en français et en ita-lien. Pascale Weeks y partage son sa-voir-faire durement acquis : latentative du pain au levain maisonest racontée en quatre épisodespleins d'humour, photos à l'appui.Pourquoi passent-ils leur temps auxfourneaux ? « Parce que ça les rendheureux », s'enflamme Nicolas Ber-gerault. Il en sait quelque chose. De-puis 2004, il voit défiler ces nou-veaux épicuriens dans ses Ateliersdes chefs, des cours de cuisine pouramateurs. Pionnier sur ce nouveaumarché, il dirige aujourd'hui onzesuccursales à Paris et en régions. Ilvient même d'en ouvrir à Londres età Dubaï. Son entreprise réalise 7 mil-lions de chiffre d'affaires, emploie63 salariés et a déjà rendu « heu-reux » 120 000 clients. « Les coursont toujours existé, mais c'était uni-quement du haut de gamme. J'étaispersuadé qu'il fallait dédramatiser lacuisine en France. » Ici, on s'adresse à

monsieur et madame Tout-le-mondeet on mise sur le grand retour de lacuisine à la maison. Une certitudepour Nicolas Bergerault : « De 1943 à2003, on est passé delh42à32 minu-tes par jour consacrées à la cuisine.Pour la première fois, vient d'annon-cer le Credoc (I), la tendance s'est in-versée. Entre 2004 et 2009, les Fran-çais y ont consacré deux minutes deplus. C'est peu, mais on a enfin arrêtéde moins faire la cuisine. » Et puis lasociété a changé. Elle a d'autres be-soins : « Nous recevons beaucoup depères divorces qui nous disent vouloir"prendre soin" de leurs enfants. »Une contre-révolution, en somme.«Dans les années 1970, la ruptureavait été telle qu'une génération entiè-re ne savait presque pas cuisiner. C'estcette même génération qui s'y est re-mise, parce elle ne le voit plus commeune contrainte», explique PatrickHambourg. C'est une cuisine du loi-sir, de la fête. Une cuisine de repré-sentation qui s'épanouit le week-endparce que celle du quotidien s'estsimplifiée, grâce à l'industrie agro-alimentaire. La semaine, après le tra-vail, c'est surgelé. Les plats préparésse vendent toujours aussi bien. Ondisait le repas en commun en voiede disparition. Pilier du comporte-ment alimentaire français, il faitmieux que résister, il se développe ànouveau, dit le Credoc, mais sastructure a changé. « On a supprimél'entrée, explique Patrick Rambourg.On mélange un plat maison avec undessert tout prêt. » Et le samedi, onse lance dans les macarons maison...

L'engouement pour la cuisinerejoint le boom du bricolageet de la décoration. Avecun leitmotiv : la créativité.Dans les livres comme à la télé,le mot occupe une place centrale.

Top chef, mercredi,20H40, MG"Bon appétit",exposition jusqu'au2 janvier 2011, a laCite des sciencesParis 19"

Le changement s'inscrit parfaite-ment dans la tendance du retour auxpriorités personnelles, quand le tra-vail n'offre qu'incertitudes et angois-ses. Pendant dix ans, Pascale Weeksa été ingénieur chez IBM. Elle a toutquitté pour un blog qui la fait (pres-que) vivre aujourd'hui. Dada est avo-cate et se fait plaisir pendant son

congé parental. Dorian a longtempsété père au foyer. A cet égard, l'en-gouement pour la cuisine rejointle boom du bricolage, de la décora-tion. Avec un maître mot : la créati-vité. Le mot occupe une place cen-trale, dans les livres comme dans lesémissions, constate Patrick Ram-bourg: «A travers cette idée, il y al'envie de dire que la cuisine est un art,comme la peinture ou la musique,exactement comme auXVIIP siècle. »Avec un avantage certain : on devientplus facilement bon cuisinier qu'ar-tiste peintre. A l'Atelier des chefs,explique Nicolas Bergerault, il estautant question de cuisson que deprésentation. « Un hachisparmentier,tout le monde sait faire. Mais montéavec une nonette, à l'assiette, avec unejolie forme ronde, ça en jette. »Toutes ces envies, toutes ces ques-tions sont celles d'une société d'opu-lence, analyse Patrick Rambourg.« Au début du siècle, on mourait d'uneconserve mal faite. Dans les années1950, on s'inquiétait de la quantité, ilfallaitproduirepourtous.Aujourd'hui,on a le luxe de réfléchir à ce qu'il y adans notre assiette. Et à ce qu'on veuty mettre. » En l'occurrence, du bon,du bio si possible ou, à défaut, du faitmaison. C'est écologique et écono-mique. Et à l'heure dc la crise, l'argu-ment fait mouche. Il devient unesorte d'idéal qui fait écho au succèscroissant des Amap (Associationspour le maintien d'une agriculturebiologique), au boom du bio, y com-pris dans les hypermarchés - qui enprofitent d'ailleurs pour exploserleurs marges. Souci du local, préfé-rence pour les produits simples, nontransformés... les nouveaux compor-tements alimentaires des Français,constatés par le Credoc - et que lacrise a accentués -, s'apparentent àun satisfecit pour la politique de san-té publique, ses cinq fruits et légu-mes par jour, sa lutte contre l'obésité,ses injonctions à ne pas manger tropgras, trop sucré, trop salé. Cyril Li-gnac l'a bien compris, qui militaitdans son émission Le chef contre-at-taque pour l'enseignement de la cui-sine au lycée. Alors, pour le bac desannées 2010, option crêpes ou sautéde veau ? • ODILE DE PLASPHOTOS BRUNO CHAROY/PASCO

(I) Centre de recherche pour I etudeet l'observation des conditions de vie