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VERNE PAR BUTOR ÉCRIVAIN À PART L’auteur du « Génie du lieu » s’exprime sur celui des « Voyages extraordinaires ». Un entretien exclusif. p. 2 et 3 Un Jules Verne vendeur de rêve : fou de machines, arpenteur du monde et précurseur de l’audiovisuel p. 4 et 5 À L’ÉCRAN L’ODYSSÉE JULES VERNE N ous sommes tous des héritiers de Jules Verne. Nous avons tous bourlingué avec Phileas Fogg, marché au fond des mers avec le Capitaine Nemo, vécu avec Hatteras le froid et l’obsession du pôle comme autant de voya- ges extraordinaires et initiatiques. Mais Jules Ver- ne, lui ? Que savons-nous vraiment de l’homme lui-même ? Né à Nantes le 8 février 1828, mort à Amiens il y a cent ans, le 24 mars 1905, il est à mille (et même vingt mille) lieues des stéréotypes généralement véhiculés sur lui. Comme le mon- trent les biographies qui fleurissent à l’occasion de ce centenaire près de quatre-vingt-dix ouvrages ! – sa vie, créative, sentimentale, politi- que, offre encore de grandes pages blanches semblables à ces zones mystérieuses des cartes de géographie qui fascinaient ses explorateurs. Quant à son œuvre, pauvre Jules ! Plus de soixan- te romans et nouvelles ravalés au rang de littératu- re « pour mioches », comme disait tristement Het- zel, voilà un catalogage qui pouvait légitimement décevoir celui qui reste le visionnaire le plus inclas- sable, l’un des plus singuliers marchands de rêve que la littérature ait jamais produits. « Jules Verne a fait pour la géographie ce que Dumas a fait pour l’histoire », note Jean-Yves Tadié dans L’Odyssée Jules Verne de Jean Demerliac. Il appartient à ce siècle des grandes synthèses, de Balzac à Zola, cet- te époque merveilleuse où un certain nombre d’hommes se sont dit : « On va tout faire, on va décrire le monde complètement ! » Aujourd’hui, l’actualité le rattrape : la sonde Huygens sur Titan, le voyage du navigateur-aéros- tier Steve Fossett, les découvertes du commandant Cousteau : toutes ces prouesses techniques et humaines ne rejoignent-elles pas les fulgurances anticipatrices du grand Verne ? Replaçons-nous à son époque, où l’écrit faisait office de principal média : ses romans extraordinaires ne s’offrent-ils pas aujourd’hui comme un condensé épatant de ce que nous allons chercher au cinéma, dans les maga- zines ou sur nos écrans de télévision ? Bradbury, Asimov, mais aussi Apollinaire, Gracq, Perec ou Barthes ont dit leur admiration pour cette œuvre résolument à part. Dans ces huit pages spéciales du Monde, Michel Butor affirme que « tout comme Rimbaud, Balzac et Flaubert, Ver- ne est un des sites qui nous permettent de compren- dre où nous sommes ». Raison de plus, en cette année anniversaire, pour redécouvrir à tout âge cet enchanteur génial qui, bien que mort en 1905, aura si puissamment contribué à façonner l’imagi- naire du XX e siècle. a Florence Noiville Ce numéro spécial a été réalisé en partenariat avec Albin Michel autour de « L’Odyssée Jules Verne », un livre avec DVD, de Jean Demerliac, avec Michel Serres et Jean-Yves Tadié, publié en coédition avec Arte et le soutien de la Fondation EDF. Le Géant d’acier, la locomotive en forme d’éléphant et ses wagons confortablement aménagés. Illustration de Benett pour le roman de Jules Verne La Maison à vapeur (1879). Tous les dessins de ce supplément sont extraits de l’ouvrage L’Odyssée Jules Verne (Albin Michel). A travers le monde de Une œuvre aussi imaginative ne pouvait que séduire le septième art, pour un résultat souvent infidèle p. 8 SPÉCIAL JULES VERNE VENDREDI 18 MARS 2005 CAHIER DU « MONDE » DATÉ VENDREDI 18 MARS 2005, N O 18707. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT

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VERNE PAR BUTOR ÉCRIVAIN À PART

L’auteur du « Géniedu lieu » s’exprimesur celui des « Voyagesextraordinaires ».Un entretienexclusif. p. 2 et 3

Un Jules Vernevendeur de rêve :fou de machines,arpenteur du mondeet précurseur del’audiovisuel p. 4 et 5

À L’ÉCRAN L’ODYSSÉE JULES VERNE

N ous sommes tous des héritiers de JulesVerne. Nous avons tous bourlingué avecPhileas Fogg, marché au fond des mers

avec le Capitaine Nemo, vécu avec Hatteras lefroid et l’obsession du pôle comme autant de voya-ges extraordinaires et initiatiques. Mais Jules Ver-ne, lui ? Que savons-nous vraiment de l’hommelui-même ? Né à Nantes le 8 février 1828, mort àAmiens il y a cent ans, le 24 mars 1905, il est àmille (et même vingt mille) lieues des stéréotypesgénéralement véhiculés sur lui. Comme le mon-trent les biographies qui fleurissent à l’occasionde ce centenaire – près de quatre-vingt-dixouvrages ! – sa vie, créative, sentimentale, politi-que, offre encore de grandes pages blanchessemblables à ces zones mystérieuses des cartes degéographie qui fascinaient ses explorateurs.Quant à sonœuvre, pauvre Jules ! Plus de soixan-

te romans et nouvelles ravalés au rang de littératu-re « pour mioches », comme disait tristement Het-zel, voilà un catalogage qui pouvait légitimementdécevoir celui qui reste le visionnaire le plus inclas-sable, l’un des plus singuliers marchands de rêveque la littérature ait jamais produits. « Jules Vernea fait pour la géographie ce que Dumas a fait pourl’histoire », note Jean-Yves Tadié dans L’OdysséeJules Verne de Jean Demerliac. Il appartient à cesiècle des grandes synthèses, de Balzac à Zola, cet-te époque merveilleuse où un certain nombred’hommes se sont dit : « On va tout faire, on vadécrire le monde complètement ! »Aujourd’hui, l’actualité le rattrape : la sonde

Huygens sur Titan, le voyage du navigateur-aéros-tier Steve Fossett, les découvertes du commandantCousteau : toutes ces prouesses techniques ethumaines ne rejoignent-elles pas les fulgurancesanticipatrices du grand Verne ? Replaçons-nous àson époque, où l’écrit faisait office de principalmédia : ses romans extraordinaires ne s’offrent-ilspas aujourd’hui comme un condensé épatant de ceque nous allons chercher au cinéma, dans les maga-zines ou sur nos écrans de télévision ?Bradbury, Asimov, mais aussi Apollinaire,

Gracq, Perec ou Barthes ont dit leur admirationpour cette œuvre résolument à part. Dans ces huitpages spéciales du Monde, Michel Butor affirmeque « tout comme Rimbaud, Balzac et Flaubert, Ver-ne est un des sites qui nous permettent de compren-dre où nous sommes ». Raison de plus, en cetteannée anniversaire, pour redécouvrir à tout âgecet enchanteur génial qui, bien que mort en 1905,aura si puissamment contribué à façonner l’imagi-naire du XXe siècle. a

Florence Noiville

Ce numéro spécial a été réalisé en partenariatavec Albin Michel autour de« L’Odyssée Jules Verne », un livre avecDVD, de Jean Demerliac, avec Michel Serreset Jean-Yves Tadié, publié en coédition avecArte et le soutien de la Fondation EDF.

Le Géant d’acier, la locomotive en forme d’éléphant et ses wagons confortablement aménagés.Illustration de Benett pour le roman de Jules Verne La Maison à vapeur (1879).

Tous les dessins de ce supplément sont extraits de l’ouvrage L’Odyssée Jules Verne (Albin Michel).

A travers le monde de

Une œuvre aussiimaginative nepouvait que séduirele septième art, pourun résultat souventinfidèle p. 8

SPÉCIAL JULES VERNE

VENDREDI 18 MARS 2005

CAHIER DU « MONDE » DATÉ VENDREDI 18 MARS 2005, NO 18707. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT

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VERNE PAR BUTOR ÉCRIVAIN À PART

L’auteur du « Géniedu lieu » s’exprimesur celui des « Voyagesextraordinaires ».Un entretienexclusif. p. 2 et 3

Un Jules Vernevendeur de rêve :fou de machines,arpenteur du mondeet précurseur del’audiovisuel p. 4 et 5

À L’ÉCRAN L’ODYSSÉE JULES VERNE

N ous sommes tous des héritiers de JulesVerne. Nous avons tous bourlingué avecPhileas Fogg, marché au fond des mers

avec le Capitaine Nemo, vécu avec Hatteras lefroid et l’obsession du pôle comme autant de voya-ges extraordinaires et initiatiques. Mais Jules Ver-ne, lui ? Que savons-nous vraiment de l’hommelui-même ? Né à Nantes le 8 février 1828, mort àAmiens il y a cent ans, le 24 mars 1905, il est àmille (et même vingt mille) lieues des stéréotypesgénéralement véhiculés sur lui. Comme le mon-trent les biographies qui fleurissent à l’occasionde ce centenaire – près de quatre-vingt-dixouvrages ! – sa vie, créative, sentimentale, politi-que, offre encore de grandes pages blanchessemblables à ces zones mystérieuses des cartes degéographie qui fascinaient ses explorateurs.Quant à sonœuvre, pauvre Jules ! Plus de soixan-

te romans et nouvelles ravalés au rang de littératu-re « pour mioches », comme disait tristement Het-zel, voilà un catalogage qui pouvait légitimementdécevoir celui qui reste le visionnaire le plus inclas-sable, l’un des plus singuliers marchands de rêveque la littérature ait jamais produits. « Jules Vernea fait pour la géographie ce que Dumas a fait pourl’histoire », note Jean-Yves Tadié dans L’OdysséeJules Verne de Jean Demerliac. Il appartient à cesiècle des grandes synthèses, de Balzac à Zola, cet-te époque merveilleuse où un certain nombred’hommes se sont dit : « On va tout faire, on vadécrire le monde complètement ! »Aujourd’hui, l’actualité le rattrape : la sonde

Huygens sur Titan, le voyage du navigateur-aéros-tier Steve Fossett, les découvertes du commandantCousteau : toutes ces prouesses techniques ethumaines ne rejoignent-elles pas les fulgurancesanticipatrices du grand Verne ? Replaçons-nous àson époque, où l’écrit faisait office de principalmédia : ses romans extraordinaires ne s’offrent-ilspas aujourd’hui comme un condensé épatant de ceque nous allons chercher au cinéma, dans les maga-zines ou sur nos écrans de télévision ?Bradbury, Asimov, mais aussi Apollinaire,

Gracq, Perec ou Barthes ont dit leur admirationpour cette œuvre résolument à part. Dans ces huitpages spéciales du Monde, Michel Butor affirmeque « tout comme Rimbaud, Balzac et Flaubert, Ver-ne est un des sites qui nous permettent de compren-dre où nous sommes ». Raison de plus, en cetteannée anniversaire, pour redécouvrir à tout âgecet enchanteur génial qui, bien que mort en 1905,aura si puissamment contribué à façonner l’imagi-naire du XXe siècle. a

Florence Noiville

Ce numéro spécial a été réalisé en partenariatavec Albin Michel autour de« L’Odyssée Jules Verne », un livre avecDVD, de Jean Demerliac, avec Michel Serreset Jean-Yves Tadié, publié en coédition avecArte et le soutien de la Fondation EDF.

Le Géant d’acier, la locomotive en forme d’éléphant et ses wagons confortablement aménagés.Illustration de Benett pour le roman de Jules Verne La Maison à vapeur (1879).

Tous les dessins de ce supplément sont extraits de l’ouvrage L’Odyssée Jules Verne (Albin Michel).

A travers le monde de

Une œuvre aussiimaginative nepouvait que séduirele septième art, pourun résultat souventinfidèle p. 8

SPÉCIAL JULES VERNE

VENDREDI 18 MARS 2005

CAHIER DU « MONDE » DATÉ VENDREDI 18 MARS 2005, NO 18707. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT

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Quand l'auteur du « Génie du lieu » rencontre celui des « Voyages extraordinaires ».Les deux romanciers se retrouvent lorsqu’ils suspendent l’action et l’intrigue, dans des moments de contemplation

et de révélation, afin de mieux déchiffrer les « mondes connus et inconnus »A23 ans, à l’instigationde l’écrivain MichelCarrouges, qui luiavait présenté AndréBreton, Michel Butor

signait une étude sur Jules Verne, LePoint suprême et l’âge d’or (1949).Cette revisitation devait jeter unjour nouveau sur ce qui, jusqu’alors,était considéré comme une lecturepour adolescents et jugé aveccondescendance par les universitai-res. Depuis lors, l’intérêt de l’écri-vain ne s’est jamais démenti pourl’auteur du Tour du monde en quatre-vingts jours, auquel il a consacré uncours à l’université de Genève etqu’il a souvent cité : en particulierLes Enfants du capitaine Grant (dansSecond sous-sol et dans Boomerang),Vingt mille lieues sous les mers (dansIci et là et dans Icare à Paris), Autourde la Lune (dans Troisième dessous etdans Gyroscope). Avant de se rendreà Nantes, où il fera une conférencele 8 avril, à la médiathèque Jacques-Demy (1), Michel Butor nous a reçudans son chalet de la Haute-Savoiepour parler de cette passion longue-ment entretenue.

Est-ce que le fait qu’il ait eu unlectorat adolescent a placé JulesVerne, à vos yeux, à l’écart de l’his-toire de la littérature du XIXe siè-cle ?Bien sûr, il a écrit pour des ado-

lescents, mais, dès la fin du XIXe siè-cle, il est lu par des adultes. Ses pre-miers grands livres ont bénéficiéd’une considérable diffusion, ilsont été adaptés au théâtre. Lepublic-cible que lui avait donnéson éditeur, Hetzel, a donc éténaturellement élargi. C’est ce qui abrouillé l’appréciation intellectuel-le sur Jules Verne : il a été le pre-mier à souffrir de ne pas être missur un pied d’égalité avec Balzacou Zola. Mais je l’ai toujours lucomme un grand écrivain, à leurégal. Son entreprise romanesqueest de la même envergure.

Qu’est-ce qui a retenu votreattention ? Le surréalisme vision-naire ou le voyage initiatique ?Les deux vont ensemble. C’est une

œuvre pédagogique : un seulimmense roman d’initiation à laculture de son temps. Les enfantss’ennuient à l’école. Il s’agit de trou-ver un moyen de contourner l’ennuiscolaire. L’action, le suspense ontcette fonction d’évincer l’ennui gla-cial de la salle de classe. Le lycéen,avec Jules Verne, se retrouve magi-quement en train d’apprendre la géo-graphie, la minéralogie, la botani-que, l’histoire, etc. Le roman n’avaitdonc pas pour lui la fonction de purdivertissement. Il suffit de lire la pré-face de Hetzel au premier volumedes voyages extraordinaires (LesAventures du capitaine Hatteras). Ledessein de Verne était de racontersous une forme entraînante l’histoi-re de l’univers. Cette ambition gigan-tesque ne pouvait se réaliser quesous un certain couvert de modes-tie : il fallait s’avancer masqué. Il fal-lait rendre les jeunes lecteurs capa-bles de vivre à l’intérieur d’un mon-de dans lequel ils auraient du mal àtrouver place. La figure dominantede l’œuvre devient l’île, avec le per-sonnage de Robinson, sur lequelJules Verne propose d’innombrablesvariations.Mais,moi, ce quim’a par-ticulièrement frappé, ce sont les pas-sages descriptifs, privilégiant desendroits ou desmoments exception-nels. Les lieux essentiels – les pôles,le centre de la Terre –, et d’autresencore qui peuvent avoir des pro-priétés comparables : des points devue sur la totalité du réel. Des sitesqui permettent la révélation dumon-de. Par exemple le Nautilus, à partirduquel l’universmarin se dévoile. Enrelisant Verne avec un œil d’adulte,j’ai été saisi par la qualité littérairede sa langue, même si c’est un écri-vain très inégal. Mais, après tout, lestyle d’Alexandre Dumas aussi estsouvent relâché. Et Jules Verne pré-sente sur Dumas l’avantage d’avoirécrit ses livres lui-même…

Le roman pédagogique ne pré-sente-t-il pas un risque majeur : lerecours à des stéréotypes ?Sans doute, parce que Verne a

commencé par écrire des pièces de

théâtre. Cette veine de vaudevillis-te resurgit dans ses romans. Si lecôté caricatural est important dansses livres, ses caricatures sont nova-trices. Notamment, le type dusavant. Péter Esterhàzy va jusqu'àaffirmer que Bouvard et Pécuchetauraient pu avoir été inventés parVerne. C’est juste. Bien entendu,Verne est incomparablement pluspositif que Flaubert, mais, dans cet-te mise à l’épreuve d’une certaineconnaissance encyclopédique, quel-que chose les réunit. Flaubert seméfie beaucoup dumonde contem-porain et a une passion nostalgiquepour les paradis perdus. A la fin desa vie, Verne, lui aussi, exprimait deplus en plus fortement une critiquede son temps. Une sorte d’ombreenvahit son œuvre.

Quand vous intégrez desextraits de Verne à vos livres, vousretenez ce qu’il y a de moins roma-nesque, les moments où l’actionest suspendue. N’est-ce pas para-doxal ?

Non, parce que l’action chez luiest très souvent suspendue, dansdes instants de contemplation etde méditation, particulièrementpoétiques. C’est le propre de tousles grands romanciers-poètes.

L’aventure même devient alorspoétique parce qu’elle est telle-ment chargée de symboles qu’onne peut plus la lire comme l’équiva-lent d’une poursuite au cinémadans les rues de San Francisco !Dans mes propres romans, cen’était pas non plus l’intrigue quiétait mon souci majeur ! Il se pas-sait quantité d’événements, maisqui n’étaient pas de l’ordre de l’ac-tion. Pas plus que dans A la recher-che du temps perdu…

Pensez-vous que l’œuvre de Ver-ne puisse être lue avec des grillesde lecture multiples, selon desstrates de signification plus oumoins explicites ?On peut retenir le scénario qui

sera adapté par Hollywood ou unechaîne de télévision. On peut arrê-

ter son intérêt aux énumérations.Et, bien entendu, on peut proposerdes lectures psychanalytiques, encherchant des traces biographi-ques. Mais la lecture qui s’imposeest la confrontation avec la culturede la seconde moitié du XIXe siècle,en France. Comment cette cultureest-elle traduite et transforméedans un ensemble de soixante-deuxromans ? Verne est contraint à unecertaine prudence. Il publie dans LeMagasin d’éducation et de récréa-tion : il ne doit pas faire de vagues, ildoit écrire en douceur et en profon-deur. Il a un surmoi extrêmementpuissant en la personne de son édi-teur, Hetzel.Un exemple parlant est fourni

par Michel Strogoff. Verne avait tantde succès en Russie que certains deses livres y paraissaient en françaisavant d’être publiés à Paris. Il ne fal-lait pas risquer un conflit avec letsar. Verne, toujours en faveur despeuples opprimés, aurait donc desdifficultés à parler de l’empire rus-se. Dans Michel Strogoff, il trouveunemachine romanesque astucieu-se : il installe dans l’empire russe unautre empire, un mauvais empiredont il faut se débarrasser. Le tsardevient alors une sorte de providen-

ce qui permet de libérer son empirede cet empire mauvais, et donc dele rendre meilleur.Autre exemple : j’ai fait un cours

sur le Testament d’un excentrique,roman assez peu connu et admira-blement structuré. Un milliardaire,passionné du jeu de l’oie, rédigeson testament en invitant des jeu-nes gens tirés au hasard à jouer à cejeu, où les Etats américains repré-sentent chacun une case. Les casessymboliques du jeu de l’oie tradi-tionnel servent de grille pour lirel'histoire politique des Etats-Unis. Acela, s’ajoute le choix des personna-ges qui s’identifient par leursdéfauts principaux aux sept péchéscapitaux et sont associés aux septcouleurs de l’arc-en-ciel. Ce systè-me permet à Jules Verne de nouspromener à travers tous les Etats-Unis. Il utilise le hasard à l’intérieurde la construction romanesque elle-même. On rejoint-là plutôt Perecque Dumas !

Peut-on parler de fantastique àpropos de Verne ?Si la notion de fantastique impli-

que l’apparition de fantômes et devampires, il y a aussi chez lui, com-me dans les romans du XVIIIe siècle,l’apparence du merveilleux. Tout

commence, dans Le Château desCarpathes, comme dans un romannoir. Mais tout finira par se résou-dre grâce à des appareils, à l’électri-cité, etc., donc à des explicationsaussi rationnelles que les apparen-ces étaient irréelles, mais au fondces solutions apportent un nouveaufantastique, parce qu’elles ontrecours à un pseudo-rationalisme.Les scènes ont une portée symboli-que : l’apparition de la cantatricegrâce à un phonographe très perfec-tionné (c’est une espèce de projec-teur de cinéma avant la lettre). C’estdonc un phénomène surnatureld’une autre sorte que celui deslégendes et de la superstition, puis-que né d'uneméditation sur la scien-ce. Ce sont deux aspects profondé-ment différents du fantastique chezlui. Dans l’ensemble des Voyagesextraordinaires, le projet veut queVerne lutte, en principe, contre lasuperstition, pour en arriver à desthèses plus fiables. Mais il ne peutpas décrire les « mondes connus etinconnus » sans faire appel à l’in-vention, de manière à faire voirautrement ce que l’on croyaitconnaître.Qu’est-ce qui est plus important

pour lui, l’imagination scientifique

Jules Vernesuccessivement

photographiéen 1855 par un

anonyme, vers 1863par P.-J. Delbarre,en 1873 par Nadar

et vers 1900par Desmarets.

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PORTRAIT

MICHEL BUTOR :« IL EST UN DES SITES QUI NOUS PERMETTENTDE COMPRENDRE OÙ NOUS SOMMES »

« Le dessein de Verneétait de racontersous une forme

entraînante l’histoirede l’univers »

2/LE MONDE/VENDREDI 18 MARS 2005

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UN FORÇAT DE LA PLUME ET DE L’ENCRIER

L’art de faireadmettre l’impossible

PETITE BIBLIOTHEQUE VERNIENNE

D ès son premier roman, Jules Verne devint célèbre. Cinqsemaines en ballon correspondait aux rêves du public : un bal-lon dirigeable et l’Afrique inconnue. Un nouveau genre était

né. Les adultes lisaient les récits verniens avant l’apparition ultérieu-re des éditions illustrées destinées aux adolescents. Une vingtainede romans ont paru en feuilletons destinés aux parents. De la Terreà la Lune, Autour de la Lune, Une ville flottante, Le Tour du monde enquatre-vingts jours furent ainsi offerts au préalable dans les jour-naux et non dans le Magasin d’éducation et de récréation, créé parHetzel en 1864. On comprend que les adultes aient apprécié ceromancier « fantaisiste ». Jules Claretie lui consacre en 1875 l’un deses portraits contemporains, trouvant qu’il incarne « le romanesquemoderne et contemporain », le jugeant « l’Alexandre Dumas de l’im-probable et le Walter Scott attachant des mondes inconnus », mais ilpense son succès éphémère. Verne durera cependant – l’opinionvariant d’un siècle à l’autre, du mépris à la louange.L’éditeur Hetzel impose à l’écrivain le maintien du vraisembla-

ble. Verne ruse pour faire croire en la véracité de ses affirmationsscientifiques. Pourtant, comment trouver plausible un roman aus-si délirant que Voyage au centre de la Terre ou De la Terre à laLune ? L’art de Verne sera de faire admettre l’impossible. Il affirmesa seule ambition : « donner aux fictions une saisissante réalité ». Ilréussit trop ses faux-semblants qui le classent en « romancier scien-tifique ». Hetzel, en publiant les récits de Verne sous une couver-ture bariolée, éloigne désormais les adultes. Jalousé par ses confrè-res, incompris, l’écrivain se plaint à la fin de sa vie de ne pas« compter dans la littérature française ». Deuxième période quiaurait dû achever la carrière de Verne : Hachette remplace Hetzelet exploite un choix des Voyages extraordinaires, les réservant auxgarçons, après avoir censuré et coupé leur texte. Ce « crime litté-raire », remarque Eric Weissenberg, reste « un cas unique dans lalittérature ». Par miracle, la force de l’écriture survit à cette mutila-tion et Verne se fait aimer des jeunes lecteurs, devenus aujour-d’hui ses défenseurs.Le retour en grâce de l’écrivain est entrepris par la Société Jules-

Verne dès 1967. Des universitaires contribuent à la réhabilitationde l’auteur. Hachette, conscient de ses erreurs passées, édite l’inté-grale des Voyages extraordinaires, conformément à l’original paruchez Hetzel.Enfin, en 1977, une découverte rend à l’œuvre vernienne sa cohé-

rence et son unité. Piero Gondolo della Riva obtient les frappesdes manuscrits posthumes, faites en 1905, et s’aperçoit des impor-tantes modifications, décidées par Michel Verne, le fils de l’écri-vain, et l’éditeur Louis-Jules Hetzel, pour leur publication. LaSociété Jules-Verne entame l’édition des textes originaux, laissésprêts à paraître, revus et corrigés par l’auteur. Le Phare du bout dumonde, En Magellanie, Le Secret de Wilhelm Storitz, Le Beau Danubejaune, Le Volcan d’or et La Chasse au météore (disponibles en« Folio » Gallimard) retrouvent leur écriture authentique et fontconnaître un nouveau Jules Verne, tourmenté et angoissé, desti-nant ses romans à l’âge mûr – son vrai public.A l’aube du XXIe siècle, Verne prend une nouvelle orientation ;

reconnu grand écrivain, on perçoit son « univerne » poétique qui,selon Mallarmé, « présente de grandes analogies avec l’univers desrêves ». Ferguson, héros de Cinq semaines en ballon, avait déjà pré-dit – comme le rappelle Jean-Yves Tadié : « Il n’y aura peut-être pastoujours des savants, il y aura toujours des poètes. »

Olivier Dumasprésident de la Société Jules-Verne

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Les rééditions liées aucentenaire sont extrêmementnombreuses. En voici quelques-unes :

a Dans la collection « Classiques »du Livre de poche :Le Rayon vert, 280 p., 5 ¤.Les Enfants du Capitaine Grant,926 p., 7,50 ¤.Un Capitaine de quinze ans, 566 p.,6,50 ¤.Le Tour du monde en 80 jours,352 p., 5,50 ¤.De la Terre à la Lune, 384 p., 4,50 ¤.Michel Strogoff, 512 p., 6 ¤.Cinq semaines en ballon,384 p., 4,50 ¤.Voyage au centre de la Terre,384 p., 4 ¤.Vingt mille lieues sous les mers,672 p., 6,75 ¤.Autour de la Lune, 352 p., 6 ¤.a Chez Gallimard, les Voyagesextraordinaires sont disponibles enFolio et Folio classiques.a Au Serpent à plumes, réédition de:La Jangada, 7,50 ¤.Le Superbe Orénoque, 7,50 ¤.L’Ile à hélices, 7 ¤.

a Chez Actes Sud Junior:L’Ile mystérieuse, illustrations deEmre Ohrun, 276 p., 22,80 ¤.Sans dessus-dessous, 144 p., 14,50 ¤.Voyages et aventures du capitaineHatteras, 352 p., 20,80 ¤.Le Chancellor, illustrations de LudovicDebeume, 192 p., 19,50 ¤.Le Château des Carpathes, 258 p.,6,86 ¤.Le Sphinx des glaces, illustrations deMiles Hyman, 336 p., 24,70 ¤.a Autres rééditions :Maitre Zacharius, suivi de Aventuresde la famille Raton, Petits classiquesLarousse, 238 p., 9 ¤.Les Romans des Cinq Continents,Amérique-Océanie, Le Testament d’unexcentrique, Mistress Branican,Omnibus, 800 p., 22,20 ¤.Nouvelles de jeunesse, présentées parClaude Aziza et Cathy Boëlle-Rousset,Le Pré aux clercs, 310 p., 18 ¤.De la Terre à la Lune, éditionde Simone Vierne, Flammarion,462 p., 6,60 ¤.Le Rayon vert, illustré de gravures surbois de May Angeli, Syros Jeunesse,286 p., 18 ¤.

PORTRAIT

ou cette filiation du roman noir, deWalpole à Poe, en passant par MaryShelley ?Jules Verne a des maîtres et des

modèles. Il y a Robinson, mais il estassez critique à l’égard de Defoë.C’est surtout d’Edgar Allan Poe (surlequel il a écrit un essai) qu’il se veutl’héritier. Il l’a lu dans la traductiondeBaudelaire. Il amême tenté de ter-miner Les Aventures d’Arthur GordonPym, dans un très beau roman tardif,Le Sphinx des glaces.

Peut-on dire qu’il a eu des équi-valents anglo-saxons, comme R.L.Stevenson ou H.G. Wells ?C’est un cas unique à bien des

égards. Mais Wells, surtout avecL’Homme invisible, le rejoint dans lemerveilleux scientifique. Stevensona également une parenté avec JulesVerne, sinon que l’on pourrait direque c’est lui-même, Stevenson, quipourrait être un personnage ver-nien. C’est lui qui se promène jus-qu’enOcéanie. Jules Verne se promè-ne, dans son bateau, mais beaucoupmoins loin.

Votre propre entreprise litté-raire n’est-elle pas à sa manièreune description du monde ?Oui, ce que j’ai écrit se rapproche

de Jules Verne dans ce sens-là. Je

m’en rends compte seulementmain-tenant. Mon dernier roman, Degrés,part de la description d’une heure declasse d’histoire et de géographie.Dans ce roman, tout le système del’enseignement apparaît peu à peu.Tout le programme scolaire estconvoqué. C’est le lieu même oùJules Verne voulait être lu. Mon pro-pos de description de la réalité à par-tir de l’enseignement et de critiquede l’enseignement par lui-même estfinalement proche de l’entreprise

des Voyages extraordinaires. Ensuite,dans mes livres de voyage, j’ai voulutendre sur la réalité un filet, afin demieux la comprendre, de la voir,alors que nous sommes perdus enelle. L’ensemble du Génie du lieu aquelque chose en commun avec lesVoyages extraordinaires.

Quand vous lisez Jules Verne ouFlaubert, retrouvez-vous la posi-tion de Roland Barthes, lecteur deMichelet ?Oui. Dans son Michelet par lui-

même, qui est un de ses premierslivres, Barthes est fasciné. Il se pro-mène dans cette forêt comme unbotaniste. A chaque pas, il découvredes fleurs extraordinaires et il nepeut pas s’empêcher de les admirer.Je suis tout à fait comme lui, quandje travaille sur des textes.

Vous décrivez un lieu, un paysa-ge, des fleurs, des oiseaux, de lamanière même dont vous lisez unlivre. Une des caractéristiques devotre œuvre, c’est que vous avez lemême ton quand vous décrivez lemonde et quand vous déchiffrezle fonctionnement d’une œuvre.Une œuvre littéraire ou picturale

fait partie du monde. La réalité, cen’est pas seulement la nature, ou cequ’on appelle la société et l’écono-mie. La réalité, c’est aussi la littératu-re, la peinture : cela fait partie dumonde dans lequel nous apparais-sons. Et donc une œuvre est un site,comme un paysage. Très souvent,chez Jules Verne, il y a deux parties :le voyage organisé, avec desmoyensde transport très confortables et

puis quelque chose se détraque.C'est la dérive : la belle machine nefonctionne plus. Dans le deuxièmemoment de l’aventure, la questionqui se pose est : où est-on ? Il fautreprendre pied dans l’organisationdes parallèles et des méridiens, desatlas de géographie. On va monterau sommet de la montagne pourcomprendre comment est consti-tuée l’île où l’on a échoué. On ne saitpas exactement où l’on est, mais oncommence à y voir un peu plus clairpour se repérer. Pour moi, certainesœuvres sont des sites privilégiés, quimepermettent demieux voir et com-prendre où je suis dans cette espècede dérive où nous sommes tousemportés. Tout comme Rimbaud,Balzac et Flaubert, Verne est un dessites qui nous permettent de com-prendre où nous sommes.

Propos recueillis parRené de Ceccatty

(1) A 18 h 30 au Centre d’étudesverniennes, Médiathèque Jacques-Demy, 24, quai de la Fosse, 44000 Nan-tes. A propos de Verne revisité parMichel Butor, lire l’entretien de MichelButor avec Agnès Marcetteau-Pauldans la Revue Jules Verne, no 18, jan-vier 2005, 8 ¤.

Des projetsd’hélicoptère,comme cetappareil dessinépar Gabriel deLa Landelle,inspirèrent JulesVerne pourRoburle Conquérant(1886).Ci-contre, undessin parudans L’Avitation(1863).

8 février 1828 : Naissance de JulesVerne à Nantes. Fils de Pierre Verneet Sophie Allotte de La Fuye.1848-1850 : Etudes de droit à Paris.Jules Verne découvre le milieulittéraire et théâtral parisien.Il refuse de succéder à son père,avoué à Nantes.1850 : Présentation de sa premièrepièce, Les Pailles rompues,une comédie en vers écriteen collaboration avec AlexandreDumas fils.1851 : Premières nouvelles1852-1854 : Secrétaire du Théâtrelyrique.1851-1855 : Publication des premiers

récits dans la revue Le Muséedes familles. Ses comédies sontjouées dans des théâtres parisiens.1857 : Jules Verne devient agentde change à Paris et épouseHonorine de Viane.1859 : Voyage en Angleterreet en Ecosse.1860 : rencontre le photographeet aérostier Nadar. S’en inspire pourle personnage d’Ardan (anagrammede Nadar) dans De la Terre à la Lune.1861 : Voyage en Scandinavie.1862 : Rencontre avec l’éditeurPierre-Jules Hetzel.1863 : Cinq semaines en ballon.1864-1868 : Voyage au centre de la

Terre, De la Terre à la Lune,Les Voyages et Aventures ducapitaine Hatteras, Les Enfants ducapitaine Grant. En 1866, cesromans, ainsi que les suivants, sontregroupés dans une série sous lenom de Voyages extraordinaires.1869 : Installation au Crotoy.1870 : Vingt mille lieues sousles mers.1871 : Installation à Amiens.1872 : Le Tour du mondeen quatre-vingts jours paraît enfeuilleton dans Le Temps.1876 : Michel Strogoff.1878 : Un Capitaine de 15 ans.1879 : Les Tribulations d’un Chinois

en Chine, Les Cinq Cents Millionsde la Begum9 mars 1886 : Jules Verne est blesséau pied par son neveu Gaston.Il en conservera une claudication.1888 : Election au conseil municipald’Amiens.1886-1892 : Robur le Conquérant,César Cascabel et Le Château desCarpathes.1898-1904 : Rédaction des derniersromans, dont plusieurs serontpubliés à titre posthume après avoirété remaniés par son fils.24 mars 1905 : Mort de Jules Verne.Il est enterré au cimetière de laMadeleine à Amiens.

« Certaines œuvressont des sites

privilégiés, quipermettent de mieuxvoir ou comprendre »

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EXPLORATIONS MACHINIQUES

LE LIVRE EN MOUVEMENT

L’Epouvante, un véhiculede structure fusiforme

à la fois automobile,engin denavigation, navire sous-marin

et appareil aviateur. Illustrationde Roux pour le roman

Maître du Monde (1904).

L’INCONNU Auteur de soixante-deux romans et nouvelles, « le très curieux Jules Verne », comme l’appelait déjà Mallarmé, est, à bien des titres, une énigme pour

le monde littéraire. Non seulement il ne fréquente pas les salons, mais il est même complètement exclu de la vie littéraire de son temps. D’abord parce qu’il vit à

Amiens, ensuite parce qu’il écrit pour l’enfance et la jeunesse – ce qui explique qu’il n’entrera jamais à l’Académie française, qu’il n’apparaît nullement dans le

« Journal » des Goncourt et qu’il sera systématiquement boudé par les jurés littéraires. Cet écrivain à part, Jean Demerliac, dans « L’Odyssée Jules Verne », a fait le pari

de l’approcher par différentes facettes, explorant tour à tour l’« Homo geographicus », le fou de machines, l’homme de spectacles contemporain des premiers

développements du cinématographe, ou encore l’inventeur, avec son éditeur Pierre-Jules Hetzel, d’un type de livres entièrement révolutionnaires. Extraits

Dimensions hyperboliques, vitesse, formes improba-bles : Jules Verne, c’est le grand rêve de la machine,mais pas n’importe laquelle…

“Tout comme les circuits électriques, lamachine forme un système clos. Il y a là matièreà s’interroger, si l’on considère que les machinesde Jules Verne se vouent en grande partie autransport et à l’exploration. Or elles manifestenttoujours (…) ce que Roland Barthes le premier anommé « la clôture », repérant non sans humourdans l’activité et la cosmogonie du romancier un« bonheur commun du fini » en accord avec la« passion enfantine des cabanes et des tentes » :« Le Nautilus est à cet égard la caverne adorable :la jouissance de l’enfermement atteint sonparoxysme lorsque, du sein de cette intériorité sansfissure, il est possible de voir par une grande vitrele vague extérieur des eaux, et de définir ainsi,dans un même geste, l’extérieur par soncontraire. » Pas de locomotion ou de voyagesans son home ou son habitacle protecteur. Levéhicule postule immédiatement sa conditionopposée, le fauteuil, le rêve de confort et desédentarité bourgeois : « Pantoufle, pipe et coindu feu, pendant que dehors la tempête,

c’est-à-dire l’infini, fait rage inutilement ».

”(L’Odyssée Jules Verne, p. 79)

Unefantasmagorie

de spectres,obtenue par

un jeu delanternes

magiques.Gravure de

Benett pourLe Château des

Carpathes(1892).

EXTRAITS

C’est à partir des années 1850 que les beaux livresillustrés font leur apparition. Aussi, quand, en 1862,Hetzel se voit confier le manuscrit de Cinq semainesen ballon, prend-il le train en marche, mais avec unformidable sens de l’à-propos

“Son intelligence fut de voir immédiatementle lien qu’il pouvait établir entre ce romand’aventures, très original pour l’époque, et lelectorat jeune, auprès duquel le livre devulgarisation scientifique peinait à trouver savoie. Pus tard, Jules Verne s’insurgerait contrecette sectorisation dans la littérature enfantine,de même qu’Hetzel regretterait de « finir parn’être plus pour le public qu’un libraire pourmioches », mais leur association s’avéra, sur leplan éditorial et commercial, des plus brillantes.Le succès foudroyant de Cinq semaines en ballonincita bientôt Verne et Hetzel à développer plusavant cette formule à mi-chemin entre lalittérature et la science. L’entreprise prit la formed’un périodique illustré, le Magasin d’éducationet de récréation, un magazine de 32 pages, à 60centimes la livraison, édité chaque semestre encartonnage précieux (…). Ce périodique, dont lesparutions commencèrent en mars 1863 ets’étalèrent sur presque un demi-siècle, se fixaitainsi pour objectif de constituer non une« Encyclopédie de l’enfance et de la jeunesse »,mais aussi un « enseignement de famille dans levrai sens du mot, (…) sérieux et attrayant à lafois, qui plaise aux parents et profite auxenfants.

”(p. 95)

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NAISSANCE DE L’AUDIOVISUEL

LE ROMAN DE LA PLANÈTE

SENSATIONS FORTES

Dès 1835, lesobservations dela Lune par WilliamHerschel, mirentla « sélénomanie »à la mode.Ci-contre, le télescopede l’astronomeallemand (Dessin parudans Own Boy’s Papers,1882).

Le Victoria remorquépar un éléphantau-dessus d’uneAfrique inconnue.Illustrationde Riou pour Cinqsemaines en ballon,le premier romanqui rendit Jules Vernecélèbre (1863).

Les progrès du journalisme et des télécommunicationssont particulièrement bien anticipés dans l’œuvre deVerne, qui avait une conscience aiguë des potentiali-tés de ces nouveaux modes d’information

“Equipés du téléphonoscope, nouveau« porte-voix intercontinental, interocéanique etbientôt interastral », les Parisiens du VingtièmeSiècle se voient mis en communication en 1955avec les habitants de Mars, assistent en direct,d’ailleurs totalement médusés, à la colonisation dela Lune, au sac de Pékin, ainsi qu’aux spectaclesmultiples et variés de la guerre et de la « tueriescientifique ». Si c’est à Robida que l’on doit cetteaudacieuse « télévision », que l’on retrouvera delongues années encore avant son application dansLe Docteur Mabuse, de Fritz Lang, il demeure que,plus que n’importe quel autre écrivain, avec lesmoyens dont il disposait à l’époque, Jules Verne apréparé et accéléré l’avènement de la télévision etd’une société des images et du spectacle, dans uneœuvre dont nous sommes loin d’avoir épuisétoute la matière.

”(p. 170)

EXTRAITS

Inépuisable fabuliste du monde, Jules Verne, volume après volume, aura balayé toute la surface du globe.Selon la formule de Jean-Yves Tadié, il a « fait pour la géographie ce que Dumas a fait pour l’histoire ». Enexplorant tous les recoins du planisphère, et notamment ses zones blanches ou inexplorées, Verne a bâti« l’une des plus grandes synthèses romanesques du XIXe siècle » : le « roman de la planète ».

“ Il est certain, écrit Verne, que c’est mon goût pour les cartes et les grandes explorations du globequi m’a conduit à composer cette longue série de romans géographiques. » A l’origine des romans, ontrouve toujours la carte, sur laquelle Jules Verne trace le parcours de ses héros. Jules Verne enmanipulait de nombreuses et en inventait même au besoin quelques-unes, ainsi l’île Lincoln (L’Ilemystérieuse), l’île Chairman (Deux ans de vacances) ou la Nouvelle-Suisse (Seconde patrie, 1900).Ces cartes de lieux fermés, analogues aux machines hermétiques qui jalonnent les romans, sontrévélatrices d’un désir de « clôture » spatiale (Barthes), dont l’œuvre porte l’accomplissement àl’échelle du globe. Ce trait n’est pas exclusif à l’écrivain, c’est celui d’un siècle qui fait l’expérience dela finitude du monde : plus ou guère plus de terres vierges à découvrir, excepté les pôles et quelquesgrandes poches d’inconnu, en Afrique de l’Ouest et en Australie centrale notamment. Comme le ditjustement Michel Serres, Jules Verne aura surtout été le témoin du « voyage second », c’est-à-dire duvoyage des cartographes et des géomètres, qui succède à celui des grands découvreurs. On mesure laTerre et on trace les routes qui vont soumettre le globe à un maillage de plus en plus serré : extensionmondiale de la « pieuvre ferroviaire » et du réseau télégraphique, pose du câble transatlantique(1867), ouverture du canal de Suez (1869), tunnel du Mont-Cenis (1871), etc. L’œuvre témoigne decette première « globalisation ».

”(p. 18)

L’Odyssée Jules Verne, de Jean Demerliac, avecMichel Serres et Jean-Yves Tadié, fait le parid’explorer l’œuvre par le biais des images, etl’écrivain à travers l’homme de spectacle. Avecplus de 300 illustrations, cet ouvrage redessinele monde des Voyages extraordinaires. Il propo-se également un DVD, avec un film inédit, LesAventures extraordinaires de Saturnin Faran-doul. Réalisé en 1914 par Marcel Fabre, ce voya-ge aux premiers temps du cinématographesillonne l’œuvre de Jules Verne pour s’en inspi-rer librement.Albin Michel/Arte éditions, 252 p., 42 ¤.

Toujours à la recherche du sensationnel, Jules Verneest un témoin très attentif des nouvelles formes duspectacle et du divertissement scientifiques. Avanttout, il veut toucher un public de masse

“Avant la télévision, Jules Verne se focalise surdes objets qui, par leur gigantisme ou leurcaractère mobile (…) peuvent frapper, si possiblede plus en plus loin, de larges communautés despectateurs. Plus la distance s’accroît, plus la liesseest à son comble, d’où l’importance accordée auxmoyens de vision, lunettes d’approche ettélescopes géants, permettant d’orchestrer lespectacle à des distances toujours plus lointaines,sur des échelles de public toujours plus grandes.La Lune, observable de tous les points du globe,ainsi que l’étrange boulet parti la rejoindre (…)offrent la possibilité d’un spectacle de masse, suivien direct par la grouillante communauté humaine,alors que réciproquement – c’est-à-dire du pointde vue des héros aéronautes – sont exaltées lespremières sensations d’ubiquité, les premièresillusions d’une « Terre vue du ciel », globalisée ettélé-visionnée.

”(p. 156)

LE MONDE/VENDREDI 18 MARS 2005/5

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Hetzel : une complicité fructueuseUn libertaire en politique

L’heure est venue où lascience a sa place faitedans la littérature. Lemérite de M. Jules Verne,c’est d’avoir le premier, et

en maître, mis le pied sur cette terrenouvelle », écrit Jules Hetzel dansl’avertissement de l’éditeur quiaccompagne, en 1886, la publica-tion de Voyages et aventures du capi-taine Hatteras dans la « Bibliothè-que d’éducation et de récréation ».Plus loin, il définit ainsi le projet ver-nien : « Les ouvrages parus et ceux àparaître embrasseront dans leurensemble le plan que s’est proposél’auteur quand il a donné pour sous-titre à son œuvre celui des Voyagesdans les mondes connus et incon-nus. Son but est, en effet, de résumertoutes les connaissances géographi-ques, géologiques, physiques, astrono-miques amassées par la sciencemoderne, et de refaire, sous la formeattrayante et pittoresque qui lui estpropre, l’histoire de l’Univers. »Ce projet, Jules Verne le mènera

à bien sous le titre générique desVoyages extraordinaires. Il s’agit làd’une véritable entreprise encyclo-pédique qui répond bien aux viséesdidactiques de l’éditeur du Magasind’éducation et de récréation. JulesVerne emmène ses lecteurs autourdu globe, de l’Afrique au pôleNord. « Ce que visent les héros deJules Verne, ce sont les confins dumonde, les points extrêmes, les“blancs” des cartes et des mappe-mondes », écrit François Raymond.Ce sont les « mondes inconnus », oùl’imagination du romancier peuts’émanciper à l’envi.

Pour parcourir ces espaces vier-

ges, les héros verniens ont recoursle plus souvent à des machines : leNautilus du capitaineNemo, L’Alba-tros de Robur le conquérant, ou l’en-gin « tetrabie » que le même utilisedans Maître du monde. On a sou-vent argué que les inventions ver-niennes n’anticipent que de bienpeu les savoirs technologiques deson époque.Mais qu’y a-t-il de com-mun entre les sous-marins de 1869et le Nautilus mû à l’électricité, avecses baies ouvertes sur les mystèresdes fonds marins ? Pourquoi ne passouligner plutôt l’utilisation roma-nesque remarquable qu’en fait Ver-ne : formidable outil d’explorationdes abysses sous-marins, mais aussirefuge d’un rebelle qui n’acceptepas la colonisation de son pays ?Sans compter la dimension mytho-logique donnée au récit par le passa-ge sur les ruines de l’Atlantide.Ces espaces inconnus, Verne

peut les peupler d’une faune etd’une flore extraordinaires au senspropre, tel le calmar géant de Vingt-mille lieues sous les mers ou les fossi-les vivants peuplant la mer inté-rieure que découvre le professeurLidenbrock dans Voyage au centre

de la Terre, quand il est obligéailleurs de s’en tenir aux découver-tes de la zoologie et de la botani-que qui ne laissent pas cependantd’être surprenantes...

Cette attirance des confins, des« blancs », des espaces à inventer,se retrouvera dans de nombreuxtextes de la science-fiction primi-tive française dans lesquels l’in-fluence de Jules Verne est pro-fonde, prégnante, indubitable.Qu’il nous suffise de citer, en échoaux deux titres sus-nommés, LesReclus de la mer de Maurice Cham-pagne et La Cité des ténèbres deLéon Groc.

Mais Verne n’a pas seulementexploré notre planète sous toutesles coutures, signant même avec LeVillage aérien, une « lost-racestory » tout à fait étonnante avec sapopulation d’hommes-singes ; il aégalement, dès 1865, exploré le cos-mos dans De la Terre à la Lune. Cer-tes, d’autres auteurs avaient déjàauparavant lancé leurs personna-ges vers le Soleil et la Lune, mais lesmoyens utilisés relevaient de l’oc-culte ou du poétique. Verne, en« grand réaliste de l’imaginaire »,choisit, lui, une technologie plausi-ble pour expédier des hommes versl’astre le plus proche de nous, faitbâtir son canon géant en Floridepour avoir la Lune à la verticale ettransforme l’obus habité en satelli-te de notre satellite ; ce qui en fait,d’après Pierre Versins, le « secondsatellite artificiel de la conjecture ».Il semble même qu’il n’ignorait pasles objections qu’on pouvait luiopposer quant au mode de propul-sion choisi...

Quelques années plus tard, il don-nera, avec Autour de la Lune, unesuite à ce premier voyage spatial,accomplissant pour la Lune ce qu’ilavait fait auparavant pour denombreux paysages terrestres. Untroisième Voyage extraordinaire pro-cède du voyage spatial. Il s’agitd’Hector Servadac (1877), où le pas-sage d’une comète entraîne à sasuite une portion du bassinméditer-ranéen et un petit groupe de ter-riens dans une virée à travers lesystème solaire. C’est un romand’une veine plus fantaisiste que lesdeux autres, avec une fin ambiguë.Mais c’est justement ce roman quechoisira HugoGernsback pour figu-rer dans le premier numéro de lapremière revue de science-fiction,Amazing stories, en avril 1926, sousle titre Off on a Comet. Il publieradans cette revue d’autres romansde Verne : A Trip to the Center of theEarth, Robur the Conqueror et TheMaster of the World.

Chez Jules Verne, le voyage spa-tial ne s’accompagne pas de la ren-contre avec l’extraterrestre. Cetteabsence de l’alien lui est-elle impu-table ? N’est-elle que le résultat ducontrat hetzelien et de ses contrain-tes ? Nul ne le sait vraiment. Reste

que de nombreux autres romansrelèvent peu ou prou de la science-fiction, de Sans dessus dessous auChâteau des Carpathes, en passantpar Le Secret de Wilhelm Storitz, quiaborde le thème de l’homme invisi-ble, ou L’Invasion de la mer, quidécrit une tentative de transforma-tion radicale du paysage, préfigu-rant ainsi la « terraformation ».Sans oublier la nouvelle intituléeL’Eternel Adam, qui offre un traite-ment remarquable du cataclysmeplanétaire et qui figure dans l’an-thologie américaine Science Fic-tion : Creators and Pioneers, auxcôtés de Poe, Wells, Conan Doyleou Mary Shelley. Jules Verne,pionnier de la science-fiction, c’estun titre qu’on lui a parfois contes-té, mais qu’il n’est pas très sérieuxde lui dénier...

Jacques Baudou

P lusieurs éditeurs ont refuséVoyage dans l’air quand JulesVerne en apporte le manuscrit

à l’éditeur de Sand,Hugo, Balzac… etde lui-même sous le nom de Stahl –on ne sait d’ailleurs pourquoi Pierre-Jules Hetzel choisit ce pseudonymequand il se fait écrivain. En éditeur-auteur-lecteur,Hetzel prend connais-sance de ce Voyage, en trouve laconstructionmaladroite, le style quel-conque, mais en perçoit l’originalité.Verne ne lui a pas confié qu’il rêved’être l’écrivain du « roman de lascience », mais Hetzel le pressent.Ses conseils ayant été suivis – ordredes chapitres, amélioration du style –il édite Cinq semaines en ballon, cetitre lui semblant plus commercial.Le succès est immédiat. Pour Verne,qui confie à des amis qu’il « se marie[avec] le plus riche des partis, M. Het-zel », c’est un début de carrière ;pour Hetzel, il y a là un auteur à s’at-tacher.Vient alors la question des droits

souvent délicate entre auteur et édi-teur. Hetzel en a l’habitude avecSandetHugo, qui lui réclament régu-lièrement davantage d’argent. Pour

cepremier ouvrage,Verne se conten-te d’assez peu. En 1865, soit deux ansaprès Cinq semaines en ballon, lecontrat s’améliore ; Verne donnera àHetzel trois romans par an pour9 000 francs. L’argent ne sembled’ailleurs pas l’essentiel de leur rap-port, assez exceptionnel, d’auteur àéditeur.

« Vous êtes dans le médiocre (…)C’est raté, raté. »Hetzel accueille ain-si le deuxième ouvrage que Verne luipropose, Paris au XXe siècle, plus unecritique du Second Empire qu’uneanticipation telle qu’elle aparaît dansles prodigieux dessins de Robida.Pour ce « raté », il n’y a pas d’espoir– le roman attendra 1994 pour êtreédité (chez Hachette/le ChercheMidi), le deuxième Verne publié parHetzel étant Voyage au centre de laTerre, un autre succès dont Hetzelsurveille la rédaction comme il le ferapour bien d’autres romans, jusqu’àsa mort en 1886. Les 800 lettres deVerne à Hetzel éclairent la teneur decette collaboration qui durera vingt-cinq ans : de l’éditeur à l’auteur, c’estl’insistance qui domine ; de l’auteur àl’éditeur, la résistance. D’abord, Ver-

ne acquiesce, surtout pour ce qui estdes remarques concernant le style,moins facilement pour ce qui est dufond ; lorsque Hetzel souhaite plusde victimes dans Les Enfants du capi-taine Grant, Verne envisage quelquesmorts de plus, non sans ironiser :« Moins on met de cadavres dans unlivre, mieux cela vaut. Que fera Ponsondu Terrail si on lui vole ses cada-vres ? » Toutefois, la littérature n’estpas la seule raison de leurs débats ;tandis que Verne entend écrire sanscontraintes,Hetzel pense à son lecto-rat et veille au respect des tabous dela politique et de la religion ; homme,il est d’un déisme tiède et de convic-tion républicaine, éditeur, il se voiten éducateur de la jeunesse.Verne, qui portait en lui les mon-

des qu’il a créés, n’a heureusementpas toujours suivi les conseils de pru-dence de Hetzel. Son œuvre neserait pourtant pas ce qu’elle est sanscette singulière complicité qui le liaità son éditeur. Dès leur rencontre,Verne avait senti ce que son ambi-tion devrait à celui qu’il appelait son« père ».

P.-R. L.

Lectures d’adolescent

C e n’était pas des Français, puis-qu’ils ne parlaient pas politi-que », peut-on lire dans les

Tribulations d’un Chinois en Chine.Lorsqu’il aborde la politique, JulesVerne semble s’ingénier à égarerceux qui cherchent à le situer. Elu auconseil municipal d’Amiens sur uneliste de centre gauche, il dit vouloirun mandat « purement administra-tif », mais ne tarde pas à écrire :« J’appartiens au parti conservateur. »Placement à droite sans ambiguïté ?Pas si simple. A l’argument qui lesitued’un côté en répondunqui l’ins-talle de l’autre, ce qui fait qu’une« lecture politique » de Verne estassez complexe.En 1869, alors qu’une renaissance

du socialisme se fait jour : « Je neveux point faire de la politique. »Quel-ques mois plus tard : « J’espère bienque les mobiles (…) fusilleront les socia-listes comme des chiens. La républiquene peut tenir qu’à ce prix (…) c’est leseul gouvernement juste et légitime. »Une agressive condamnation de laCommune, il est de droite ; le sou-hait d’une république forte, il est degauche. Le comte de Paris est de ses

relations ; lamonarchie parlementai-re prônée par les tenants de l’orléa-nisme le séduit, il est de droite. A 20ans commeà70, violemment antimi-litariste, il est de gauche.

Après J’Accuse ! de Zola, il reste« antidreyfusard dans l’âme ». Pour-tant, écrit Marc Soriano (Jules Verne,Julliard, 1978), faire de l’antisémitis-me, « une donnée de base de sa per-sonnalité » serait l’assimiler trop viteà unDrumont dont rien, de sa vie oude son œuvre, ne le rapproche. Latradition, entretenue à droite com-me à gauche, fait alors du mot« juif » le synonyme d’usurier.Depuis Shakespeare, l’image est cou-rante. Herbert Lottman (Jules Verne,Flammarion, 1996), parle d’un « cli-ché littéraire » – hélas banalisé. « Lesyeux vifs mais faux, le nez busqué, labarbiche jaune (…), les mains longueset crochues (…) c’était l’usurier soupled’échine, plat de cœur » – ce portraitd’un juif est de 1877 et signé Verne ;« Toute une juiverie malpropre (…)des profils desséchés d’oiseaux vora-ces, une extraordinaire réunion de neztypiques, rapprochés les uns des autresainsi que sur une proie » –, cette évo-

cation d’une réunion de juifs est de1891 et signée… Zola.Dans Jules Verne, un regard sur le

monde (Bayard, 2001), JeanChesneaux se demande si Verne, ense déclarant « le plus inconnu deshommes », ne cherchait pas àbrouiller les pistes. Et s’il s’en amu-sait ? N’est-ce pas de lui-même qu’ilparle dans sa nouvelle Le Chemin deFrance, quand il met dans la bouched’un de ses personnages, soldatpicard des armées de la Révolution :« Les amis m’ont compris tout de tra-vers, ou même si peu que pas. Tantôtl’un rapportait que j’avais été à droite,tantôt que c’était à gauche ; tantôtl’autre que c’était à gauche, quandc’était à droite. »Verne et la politique, c’est l’auber-

ge espagnole. Il faut se méfier de cequ’on y apporte de ses propresconvictions et critères avant de s’as-seoir, sans doute du côté droit del’auberge, près du créateur deNemo,le plus vernien de ses personnages.Aux deux, difficiles de coller une éti-quette irréversible. Sans doute parceque celle de libertaire leur va bien.

P.-R. L.

Q ue lisait Jules quand il avait 13 ans ? Laissons sesbiographes en débattre. Ce qui semble avéré,c'est que les adolescents ont radicalement chan-gé leurs lectures au cours des deux générations

qui le précèdent : la conséquence d'une évolution déjàancienne. On trouve ainsi deux thèmes verniens – ledépaysement et la technique – dès le début du XVIIIe siè-cle dans Robinson Crusoé. Ils sont en partie – mais pasexclusivement – responsables du succès de l'œuvre et dela séquelle infinie des robinsonnades, qui durera aumoins deux siècles.

D'abord austères comme chez Schnabel (Die Insel Fel-senburg, 1743), qui appartient plutôt aux utopistes, elless'adressent vite à la jeunesse, avec, entre autres, Cam-pe, le précepteur de Humbolt, (Robinson der Jungere,1779), et Wyss (Le Robinson suisse, 1861). Un peu plustard, l'expansionnisme européen ouvre un immensedomaine, celui du Peau-Rouge, mis à la mode par Feni-more Cooper : son Dernier des Mohicans fait rêver toutel'Europe de 1830. Des dizaines d'autres écrivainss'engouffrent dans le Far West, dont l'Allemand Gers-taeker, le Français Gabriel Ferry, et surtout l'IrlandaisMayne Reid avec The Scalp Hunters (1851). Parmi ces

romanciers, très féconds et très lus, aucun n'écrit alors,il faut le souligner, pour la jeunesse.C'est Mayne Reid qui associera le premier l'aventure à

l'adolescence. La littérature pour la jeunesse existaitavant lui, bien entendu, mais dans un but avoué de for-mation scolaire ou religieuse : les prescripteurs en étaientdes adultes. Or, vers 1860, les éditeurs comprennent quecertains adolescents favorisés, notamment à Londres,commencent à avoir leur mot à dire dans le choix deleurs lectures. L'Ecossais Ballantyne est un des premiersà suivre cette nouvelle piste avec Coral Island (1856).Beaucoup de ces adolescents, désormais invités à choisirles livres qu'on leur donne, opteront pour des récitsmari-times, une forme littéraire nouvelle, initiée, elle aussi, parFenimore Cooper (The Red Rover, 1827) et très exploitéeen Angleterre. Le dépaysement joue son rôle dans ceshistoires de mer, mais aussi, comme chez Verne, la tech-nique, celle de la navigation à voile, à la fois extraordinai-rement complexe et proche des hommes de toutes condi-tions. Des Français s'essayeront au roman maritime dèsles années 1830 : Eugène Sue, Edouard Corbière, La Lan-delle et beaucoup d'autres... que Verne connaissait bien.

Jean Soublin

Le premier « réaliste de l’imaginaire »Les expériences inédites et l’exploration des espaces vierges sur terre et sur mer, le voyage spatial, l’invention et l’utilisation de machines et d’énergies

nouvelles, la création d’une faune et d’une flore hors normes : l’imagination de Jules Verne en fait bien le pionnier de la science-fiction

L’exploration dusixième

continent, la mer,devient possible àpartir du Nautilus,comme le montre

ce « Paysagesous-marin del’île Crespo ».

Illustrationd’Alphonse deNeuville pour

Vingt mille lieuessous les mers

(1869).

PARCOURS6/LE MONDE/VENDREDI 18 MARS 2005

Page 8: p. 2 et 3 p. 4 et 5 A travers le monde demedias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/sup_jules-verne_050317.pdf · L’auteur du « Génie ... Né à Nantes le 8 février 1828, mort ... Arte

P our Michel Serres, le rapportde Verne à la culture et à lascience est d’actualité. Nous

avons négligé de suivre « la voie »qu’il a ouverte où science et culturesont inséparables, notre Université

ayant « formé des littéraires cultivésmais ignorants, d’une part, et del’autre, des savants sans culture, lesdeux populations divergeant de plusen plus ». Sévère constat en tête desept chapitres qui, accompagnésd’une importante illustration, pré-sentent les différents aspects decette « voie » conçue à une époqueoù science et technique boulever-saient les moyens de production, lesmœurs et la vie sociale. Entre le pre-mier appel téléphonique à longuedistance lancé par Bell de New Yorkà Chicago et nos e-mail, entre les

voyages dans l’espace de tant dehéros verniens et les séjours de noscosmonautes, il y a plus d’unenuance mais aussi plus d’une res-semblance ; ces événements, créésdans la réalité des laboratoires ouimaginés avant d’être, sont à l’origi-ne d’une nouvelle conception de lavie qui ne peut être bien vécue quesi, à l’instar de Verne, on rend « lascience culturelle », ce qui permet« un regard lucide sur le progrès » et,comme l’écrit Jean-Paul Dekiss, uneprotection quand « un dangerguette : l’ivresse et la démesure humai-

ne ». La place que Verne donne à lascience dans ses romans, sa concep-tion du futur des êtres et des choses,sa façon de mettre les découvertesde son temps au service de son ima-gination et d’apporter une certainecrédibilité à ses fantaisies les plusdébridées : voilà autant de sujetsqui font de cet ouvrage un outilindispensable pour une plus largeconnaissance de Verne. « Pour vivi-fier l’interface entre science et société,écrit en préface Michel Serres, ilnous manque un Jules Verne. »

P.-R. L.

Il a 65 ans et a écrit l’essentielde son œuvre quand, à unjournaliste britannique, Ver-ne confie : « Le grand regretde ma vie est que je n’ai jamais

compté dans la littérature française. »Depuis 1978, date des célébrationsde son 150e anniversaire, il compte.Car la recherche vernienne s’estenrichie : aujourd’hui, « le plus lu desécrivains français » qui fut déçu derester à la porte de l’Académie, nousapparaît sous un jour qui invite auxredécouvertes.Sa carrière d’auteur commença

sous les auspices d’AlexandreDumas qui accueillit dans son Théâ-tre historique Les Pailles rompues, sapremière pièce jouée, et l’on peuttrouver plaisant ce parrainage d’unécrivain considéré longtemps, luiaussi, comme un auteur de secondezone. La comparaison s’arrête là.Verne, « patient forçat de la plume etde l’encrier », n’eut pas de nègre.

Ce fut donc, comme le souligne

Lucian Boia, un bien curieux para-doxeque l’écart, à travers des généra-tions de critiques, entre la notoriété(durable) d’un écrivain et son statutlittéraire « officiel ». Mais à peinea-t-il souligné cette contradictionque l’essayiste s’interroge : n’est-onpas en train de passer « d’un extrêmeà l’autre » ? Si l’on brûle souvent cequ’on a adoré, n’adore-t-on pas exa-gérément ce qui a été brûlé ? Peut-onvoir enVerne« le frère d’un Hono-ré de Balzac » ? L’immensité de l’œu-vre leur confère une certaine paren-té, point lapsychologie despersonna-ges, moins encore une approche desquestions sociales – Verne n’est pasplus Balzac que Zola. Il est Verne,c’est déjà beaucoup, et assez poursusciter les études critiquesqui s’inté-ressent autant à l’homme qu’à lapérennité de ses romans.Sur ce point, Lucian Boia étudie

les différences de lecture d’une épo-que à l’autre. Si Voyage au centre dela Terre peut évoquer, en 1864, unaspect des recherches scientifiques, ilest désormais plutôt considéré com-me un voyage initiatique. Dans lemême esprit, Michel Serres attribueà Aventures de trois Russes et de troisAnglais dans l’Afrique australe unedimension scientifique, spatiale etmythologique, cette dernière pou-vant aussi être dite religieuse, notrelecture de ces aventures où un astro-nome se nomme Everest n’étant

alors pas celle d’un lecteur de 1872.Pour autant, s’interroge Boia, faut-ilqualifier Verne de « grand écri-vain » ? Il y aurait beaucoup à diresur cette épithète qui évolue avec letemps. Mais sans un talent particu-lier, cette « réhabilitation » de Verne– qu’il partage avec Dumas et peut-être bientôt Sue ? – n’aurait certespas eu lieu. Il y a chez Verne bienplus qu’une écriture « pour la jeu-nesse », ce dont témoignent plu-sieurs de ses illustres lecteurs, deGeorge Orwell à Georges Perec, deClaudel à Le Clézio.

Parallèlement à cette réhabilita-tion, la légende s’est emparée del’œuvre. Verne aurait commencé sacarrière de romancier parCinq semai-nes en ballon parce que sa femmeétait enceinte et qu’il aurait pensé àl’expression populaire « avoir le bal-

lon » ; Louise Michel serait l’auteurdeVingt mille lieues sous les mersqu’el-le lui aurait vendu 100 francs. Parallè-lement aussi, s’est créé un mythe,source de toutes les contradictions.Tantôt Verne est raciste : les Noirsde ses romans sont des inférieursbons à servir les Blancs ; tantôt il nel’est pas : dans Nord contre Sud, unpersonnage dit que « nés noirs, ilsmourront noirs » un autre, partisande l’abolition de l’esclavage, répli-que : « Mais ils vivront blancs (…) ettout est là ! » En fait, s’il a « le sens dela dignité humaine », il partage l’idéegénéralement admise au XIXe sièclede la hiérarchie des races qui n’impli-quepas le racisme comme il semani-feste aujourd’hui. Autre nuance dueau temps, la place de l’érotisme dansnos grilles de lecture. Si samisogynied’« homme qui aimait les femmes »

peut faire débat, son homosexualité,que trahirait ses héros romanesquesunis par une forte amitié virile, relèvedu canulard – on l’a même dit pédo-phile parce qu’à Nantes il se prome-nait avec un lycéen promis à une bel-le carrière politique, Aristide Briand !On ne prête qu’aux riches. Plus la

connaissance de l’œuvre s’enrichit,plus le mythe s’amplifie, plus signifi-catifs sont les paradoxes. Science,mythologie, réalisme, fantastique…caractère progressiste, traditiona-liste, pessimiste, optimiste… : « ontrouve presque tout » chez l’hommedont LucianBoia éclaire lesmultiplesfacettes. Certaines sont inattendues,d’autres sujettes à controverses, tou-tes concourent àdonner de JulesVer-ne un portrait nouveau pour une lec-ture nouvelle.

Pierre-Robert Leclercq

Comment déplacer le pôle à Pékin

E n 1844, Auguste Comte pensait que la viede l’humanité serait améliorée et la Terre« mieux habitable » si l’on trouvait le

moyen « de redresser l’axe de rotation de notreglobe ». Les membres du Gun-Club qui, dansAutour de la Lune, avaient essayé l’envoi d’hom-mes sur notre satellite sont moins philanthropes.C’est pour exploiter les mines d’or du pôle Nordqu’ils envisagent de modifier l’inclinaison del’axe de la Terre d’un coup de canon tiré du Kili-mandjaro, et cela au mépris des dégâts quiasphyxieraient ou noieraient une partie de la

population de la planète. Mêlant à l’aventurepurement vernienne une critique de la commu-nauté scientifique et du capitalisme – et peut-être inspiré par le philosophe –, Verne tient à ceque la part scientifique du roman qu’il intituleSans dessus dessous soit la plus rigoureuse possi-ble. Pour cela, fait assez rare, il cherche un colla-borateur. Ce sera Albert Badoureau, qui accepted’autant plus volontiers qu’il est un lecteur atten-tif et passionné des Voyages extraordinaires.Ingénieur des Mines, Badoureau est intéressé

par le sujet. De juin à octobre 1888, il envoie àVerne des lettres qui répondent à ses questionsavec force équations et croquis établissant leseffets du coup de canon. Peu à peu, se prenantsans doute au jeu, il ne se contente pas d’être un

conseiller scientifique, mais… donne son avis surla conduite du récit et la psychologie des person-nages !Le profane en mathématique, balistique et

inclination de l’axe de la Terre ne peut suivre tou-tes les subtilités de cette correspondance où sontprévus un boulet de 180 000 000 kg et le déplace-ment du pôle à Pékin, mais on lit comme unautre roman les différentes phases de ce courrierque Badoureau baptise Le Titan moderne. Au pas-sage, il reconnaît à Jules Verne « une précieuse ettrès rare qualité : il ne croit pas comprendre quandil ne comprend pas ». Verne, de son côté, necache pas que « sans lui, [il] aurai[t] fait unemachine toute de travers ».

P.-R. L.

« Un regard lucide sur le progrès »

Une réhabilitation contemporaineLucian Boia nous invite à redécouvrir différemment Jules Verne, le plus lu des écrivains français,

mais longtemps considéré comme un auteur de seconde zone

ZOOMa JULES VERNE EN VERVE,présentation de Bruno FuligniIl y a toujours des découvertes à faire chezun auteur que l’on croit bien connaître. Quiattendrait de l’écrivain « pour la jeunesse »des aphorismes mêlant humour et causticitésur les femmes, la police, la justice, lafamille, la science, le progrès ? Qui en atten-drait l’éloge de la drogue et la bénédictionde « Sainte-Morphine » ? Qui placerait sonnom sous le poème intitulé « Lamentation

d’un poil de cul de femme » Ed. Horay, 110 p., 7,50 ¤.

a JULES VERNE EN SON TEMPS,de Jean-Michel MargotUne remarquable anthologie des articles etcritiques parus sur Verne, de Cinq semainesen ballon jusqu’à sa mort, en 1905. Ces tex-tes et les commentaires qui les présententforment un document important sur le« phénomène Jules Verne » vu et étudié tantpar Zola que par l’oubliée OlympeAudouard, par Alphonse Daudet que par

quelques anonymes. Un passionnant voyage dans une œuvre etson époque où, alors que l’on apprend, par exemple, que leCoca-Cola est d’origine corse, on rencontre un Verne qui est àl’origine de la course Paris-Roubaix.Ed. Encrage, 260 p., 28 ¤.

a JULES VERNE INITIÉ ET INITIATEUR,de Michel LamyRéédition d’un essai qui ne va pas sans trou-bler les fidèles de Verne. Ce dernier auraitété le porte-parole d’une société secrète« infiltrant une bonne partie du monde littérai-re et artistique du XIXe et du début du XXe siè-cle. » Selon l’auteur, il y a là des secrets surles origines de nos rois et la présence à Ren-nes-le-Château d’un « fabuleux trésor » donton trouve les clés dans le roman Clovis Dar-

dentor, le prénom du personnage évoquant « l’or des descen-dants des rois mérovingiens ». On imagine les controverses quepeut susciter un tel travail qui a au moins le mérite de passion-ner... comme un roman de Jules Verne.Ed. Payot, 296 p., 20 ¤.

a REGARDE DE TOUS TES YEUX, REGARDE !, deJean-Yves TadiéIvan Ogareff aveugle Michel Strogoff. C’est làune scène du vaste théâtre de Verne qui trou-ble et fascine ses jeunes lecteurs pour qui,dans ce théâtre, il n’y a « ni chef-d’œuvre niroman manqué ». Mais devenu adulte, et desurcroît professeur, comment éviter l’analysequand on découvre qu’Aronnax, qui veut voirce que nul n’a vu, annonce Rimbaud ? Cesdeux lectures, Jean-Yves Tadié les réunit. Il

relit Verne en savant critique qui n’oublie pas les émotions del’enfance. Héros, musique, apocalypse, humour, guerre… centaspects de l’œuvre sont ainsi revus en une admirable jouvencepour un passionnant retour à la source vernienne.Ed. Gallimard, 270 p., 19,90 ¤.

a ESSAISLes 60 voyages extraordinaires de Jules Verne, de Samuel Sadau-me, éd. Ouest-France, 144 p., 30 ¤.Jules Verne, histoire d’un mythe, de Gérard Orthlieb, éd. AKR,180 p., 15 ¤.Jules Verne et la science cent ans après, de Michel Clamen, Belin,224 p., 17,50 ¤.Jules Verne l’enchanteur, de Jean-Paul Dekiss, éd. Le Félin,216 p., 11 ¤.

a BIOGRAPHIESJules Verne : la face cachée, de Roger Maudhuy, éd. France-Empi-re, 292 p., 19 ¤.Jules Verne, le rêve du progrès, de Jean-Paul Dekiss, Gallimard,« Découvertes », 175 p., 19,90 ¤.Le Monde selon Jules Verne, d’Olivier et Patrick Poivre d’Arvor,éd. Mengès, 130 p., 25 ¤.Notre ami Jules Verne, de Pierre Gamarra, éd. Le Temps des ceri-ses, 282 p., 18 ¤.Jules Verne, le poète de la science, sous la direction de Jean-PaulDekiss, éd. Timée-Editions, 144 p., 13,50 ¤.

a À PARAÎTREJules Verne, d’Herbert Lottman, réédition traduite de l’américainpar Marianne Véron, Flammarion, 444 p., 23 ¤.Jules Verne, un humain planétaire, de Jean-Paul Dekiss, préfaced’Erik Orsenna, éd. Textuel, 192 p., 49 ¤.Voyage au centre de la Terre-Mère : Jules Verne chez le psychana-lyste, de Michel Sanchez-Cardenas, Albin-Michel, 180 p.,14,50 ¤.La Machine à remonter les rêves : les enfants de Jules Verne, collec-tif sous la direction de Richard Comballot, Johan Heliot et GilFormosa, éd. Mnémos, 352 p., 18,50 ¤.Jules Verne en mer et contre tous, de Philippe Valetoux, éd. Magel-lan & Compagnie, 144 p., 19,90 ¤.Jules Verne, parcours d’une œuvre, de Daniel Compère, éd. Encra-ge, 128 p., 15 ¤.

a OUVRAGES ESSENTIELS DES ÉTUDES VERNIENNESJules Verne, Olivier Dumas, La Manufacture, 1988.Approche de l’île chez Jules Verne, de Daniel Compère, LettresModernes-Minard, 1977, 171 p., 14 ¤.Jouvences sur Jules Verne, de Michel Serres, éditions de Minuit,« Critiques », 1974, 288 p., 20,43 ¤.Jules Verne, mythe et modernité, de Simone Vierne, Presses uni-versitaires de France, « Ecrivains », 1989, 176 p., 8,50 ¤.Jules Verne et le roman initiatique, de Simone Vierne, éd. duSirac, 1973, 784 p., réédition Balland, 1986.Jules Verne, de Marc Soriano, Julliard, 1978, 8,38 ¤.Jules Verne et les sciences humaines, Actes du colloque de Cerisy,1978 et 10/18, 1979.Une lecture politique de Jules Verne, de Jean Chesneaux,éd. Maspero, 1971.Nouvelles explorations de Jules Verne, de Marcel Moré,Gallimard, 1963.Jules Verne, de Jean-Jules Verne, Hachette Littérature, 1973.

Sélection établie par Pierre-Robert Leclercq

Même chezVerne, le progrès

technique nepeut empêcher

les cataclysmes,comme l’éruption

d’un volcan.« Une explosion

ébranla lescouches de l’air »,

illustration deFérat pour L’Ile

mystérieuse(1874).

LE TITAN MODERNEd’Albert Badoureau.Actes Sud/ville de Nantes, 190 p., 23 ¤.

JULES VERNE, DE LA SCIENCEÀ L’IMAGINAIRESous la directionde Philippe de La Cotardière.Avec la collaborationde Jean-Paul Dekiss,préface de Michel Serres,Larousse, 194 p., 20. ¤.

AUTOUR DE JULES VERNE

JULES VERNE, LES PARADOXESD’UN MYTHEde Lucian Boia.Les Belles Lettres, 300 p., 19 ¤.

LE MONDE/VENDREDI 18 MARS 2005/7

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Inventeur du sous-marin, dela fusée, du télécopieur,Jules Verne a-t-il pressentiles merveilleux pouvoirs ducinématographe avant les

frères Lumière ? On lui doit entout cas d’avoir imaginé, dans LeChâteau des Carpathes, un disposi-tif hallucinatoire permettant deprojeter sur un écran l’image fixed’une femme disparue en combi-nant un puissant rayon lumineux,un miroir et des glaces inclinées.La résurrection de la dame aduléepar le vampire des cantatrices doitsurtout à la magie des holo-grammes, mais elle prouve la fasci-nation du romancier pour les illu-sions d’optique et apparaît com-me une bénédiction virtuelle auxinnombrables adaptations quiseront faites par la suite de sesœuvres par le septième art (entre100 et 300, selon les filmogra-phies, parmi lesquelles les exégè-tes de l’œuvre de Verne comptentà peine une vingtaine de versionsfidèles au roman initial !).Dans son bel album intitulé

L’Odyssée Jules Verne, Jean Demer-liac explique que Jules Verne sepréoccupait de l’impact visuel(télé-visuel, même) de ses science-fictions, soucieux de « ménagerune gradation dans le spectacle »et de favoriser des figurations surdes scènes de théâtre. « MichelStrogoff avait mission de regarder.Il regarda », lit-on dans le romanretraçant les exploits du courrierdu tsar. « Jules Verne a eu uneconscience aiguë de ces nouveauxusages massifs de l’image, maissans avoir une idée très précise desfuturs outils techniques de laculture de masse », écrit JeanDemerliac.

Il est plus préoccupé par le déve-

loppement du journalisme et destélécommunications. Mais en1900, lorsque Raoul Grimoin-San-son met au point son Cinéoramapour l’Exposition coloniale, proje-tant sur un écran circulaire desprises de vues aériennes réaliséesdepuis un ballon équipé de dixcaméras, il réalise le rêve del’écrivain, conjuguant fantaisie,prouesse technique, sensations.S’il est un cinéma vernien, c’estcelui du sensationnel, de l’aven-ture spatiale, lunaire, aérostatiqueou sous-marine. Comment le défifut-il relevé ?Mort en 1905, Jules Verne

aura-t-il vu les sept premiers filmsinspirés de son vivant par ses aven-tures imaginaires ? Dont LesEnfants du capitaine Grant, de Fer-dinand Zecca, produit par CharlesPathé (1901), forcément moinsgnangnan que la version Disney deRobert Stevenson en 1962, oùMaurice Chevalier, dans le rôle duProfesseur Paganel, pousse la

chansonnette au risque de provo-quer un nouveau naufrage.

Et les poèmes de GeorgesMéliès, cocktails naïfs de trucages,décors de carton-pâte et rondelet-tes figurantes en collant, cycle mer-veilleux inauguré par le Voyagedans la Lune où un obus vient ébor-gner l’œil de l’astre d’argent(1902). Artisan bricoleur, inven-teur des effets spéciaux, Méliès estaussi le pionnier du théâtre filmé.Et les premières tentatives d’adap-tation de Verne à l’écran ne sontque des enregistrements sur pelli-cule de spectacles produits pour lascène.

Méliès fut imité, plagié. Ses Sélé-nites ont proliféré en même tempsque les cinéastes puisaient leur ins-piration en mêlant des anecdotesde plusieurs romans. En mêmetemps que l’arrivée du premierlong-métrage inspiré par Verne(Vers le pôle Sud, de Louis Feuil-lade, 1909), il faut noter l’opportu-

nisme du fils de l’écrivain, MichelVerne, qui fonde, en 1913, avecEclair, la société des « Films JulesVerne » dans l’intention d’exploi-ter un filon juteux. Une initiativequi tourne court en 1920 aprèsl’ambitieuse réalisationd’un Mathias Sandorfpar Henri Fes-court.L’une des

obsessionsdes cinéas-tes ayantadapté Ver-ne aura étéde pimenterl’intrigue enajoutant despersonnagesféminins. Ils nerechignent guèrenon plus à introduired’infâmes méchants, à délocaliserl’intrigue sur le territoire produc-teur du film, ou à lui adjoindre un

discours idéologique comme dansL’Ile mystérieuse de Panzlin et Che-lintzev (1941), qui vante les méri-tes du collectivisme. Un serial enquinze épisodes de Spencer Gor-don Bennet parsème le même

roman de cannibales, depirates et d’une prin-

cesse débarquéede la planèteMercure à larecherched’un métalradioactif(1954). Pluspuérile qu’in-sidieuse estla métamor-

phose de Passe-partout en adep-

te du karaté etjoué par Jackie Chan

dans la récente versiondu Tour du monde en 80 jours pro-

duite par Disney (2004).Au panthéon des souvenirs ciné-

philes, le cocasse, le pittoresque etles émois d’enfance se mêlent auxestimations artistiques. Impossiblede ne pas mentionner le MichelStrogoff de Viatcheslav Tourjanskyavec Ivan Mosjoukine (1926), etL’Ile mystérieuse de Maurice Tour-neur et Benjamin Christiansen pro-duit par Irving Thalberg en Techni-color bichrome avec Lionel Barry-more (1929). Mais qui n’a pas étéséduit par Le Tour du monde en80 jours de Michael Todd sur écrangéant, avec David Niven en Phi-leas Fogg et Shirley MacLaine enflamboyante Aouda (1956), avecune distribution où Martine Carolcôtoie James Coburn, Marlene Die-trich, Fernandel et Buster Keaton ?Qui n’a pas été transporté par laversion de Vingt mille lieues sous lesmers de Richard Fleischer (1953)avec Kirk Douglas dans le rôle deNed Land et James Mason danscelui du capitaine Nemo amateurd’orgue ? Comment faire abstrac-

tion du kitschissime Voyage au cen-tre de la Terre de Charles Brackett(1958), où l’on retrouvait JamesMason, Pat Boone et Diane Bakeren veuve contrainte d’abandonnerson corset dans les entrailles torri-des d’une planète abritant demenaçants iguanes géants ?Mention faite, pour l’anecdote,

de la présence aguicheuse et réité-rée d’Ursula Andress dans cesétranges univers (Les Tribulationsd’un Chinois en Chine de Philippede Broca, avec Belmondo, en 1969,L’Etoile du Sud de Sidney Hayersen 1969 avec Orson Welles), onn’omettra surtout pas le plusenchanteur d’entre tous, le Tchè-que Karel Zeman, fidèle à la fois àl’esprit et à l’esthétique du sièclede Verne dans ces Aventures fantas-tiques (1958) dont il stria les ima-ges pour nous faire retrouver lestyle des gravures qui illustraientla fameuse collection de Hetzel.

Jean-Luc Douin

Les tribulations d’un grand inspirateur du cinémaScénarios spectaculaires, animaux et paysages étranges, engins mystérieux : l’œuvre de Jules Verne semble faite pour le septième art.

Mais, des innombrables adaptations réalisées, bien peu se montrèrent fidèles au roman initial

L’AgendaJules VerneUn très grand nombre de manifesta-tions accompagnent ce centenaire. Envoici une sélection :

À PARISd Pendant quatre-vingts jours, laCité des sciences et de l’industrie ren-dra hommage à Jules Verne. Le hallsera surplombé de trois maquet-tes géantes tandis que dans lamédiathèque, la bibliothèque duromancier a été reconstituée.– Le festival Jules Verne et le cinémaprésentera une sélection de filmsavec une programmation proposantun tour d’horizon des adaptationsdes Voyages extraordinaires, allantdu Voyage dans la Lune, de GeorgesMéliès (1902), au Tour du monde en80 jours, de Franck Coraci (2004),sans négliger les productions Disney.Du 26 mars au 22 avril, du mardi auvendredi à 14 heures, les samedis etdimanches à 11 heures et à 17 heures.– Quatre après-midi de ciné-clubsinviteront à découvrir les liens entreJules Verne et le cinéma. Des spécia-listes prendront la parole avant cha-que projection. Le 3 avril sera consa-cré à l’influence de Verne chez

Méliès. Tous les dimanches, du27 mars au 17 avril, de 14 heures à16 h 30.– Les Samedis de l’exploration pré-voient des projections de documen-taires et de fictions après des débatsentre scientifiques et chercheurs.Des comédiens liront des pages deJules Verne. Tous les samedis, du26 mars au 16 avril, de 11 heures à18 h 30.– Quatre soirées littéraires sont orga-nisées, avec des interventions dePierre Vidal-Naquet et François Fla-haut (le 30 mars), Michel Serres (le6 avril), François Angelier (le 13 avril)et Michel Butor (le 20 avril). Tous lesmercredis, du 30 mars au 20 avril, àpartir de 18 h 30.– Enfin, la Cité des sciences et de l’in-dustrie présentera en avant-premiè-re le documentaire Jules Verne et lamer, réalisé par Paul Cornet, avecdes textes lus par Bernard Girau-deau. Le 29 mars, à 18 h 30. Accès libre à l’Auditorium de la Citédes sciences et de l’industrie,30, avenue Corentin-Cariou,75019 Paris. Tél. : 01-40-05-80-00.a Le Musée national de la marineorganise jusqu’au 31 août une exposi-tion – « Jules Verne, le roman de lamer » – sur les traces du capitaineNemo et de son Nautilus. Du 30 avril

au 31 août, le musée présentera aus-si les travaux de jeunes illustrateursautour de l’œuvre de l’auteur deVingt mille lieues sous les mers.Palais de Chaillot, 17, placedu Trocadéro, 75116 ParisTél. : 01-53-65-69-69.a Le cinéma Le Grand Rex proposeun Festival du film Jules Verne,du 6 au 11 avril.Programme détaillé :www.jules-verneaventures.com

À NANTESLongtemps fermé pour travaux,le Musée Jules-Verne rouvrira enseptembre et mettra l’accent surl’influence de la ville de Nantesdans l’œuvre vernienne.Musée Jules-Verne, 3, rue del’Hermitage, 44000 NantesTél. : 02-40-69-72-52.a « Jules Verne, un monde illustré ».La bibliothèque de Nantes met enplace un parcours dans l’universillustré de l’auteur, des premièrespublications chez Hetzel auxrécentes parutions chez Actes Sud.Jusqu’au 16 avril, à la MédiathèqueJacques-Demy, 24, quai de la Fosse,44000 Nantes. Tél. : 02-40-41-95-95.a La compagnie nantaise Royal DeLuxe présentera, du 19 au 22 mai,son nouveau spectacle, « La visite

du Sultan des Indes sur sonéléphant à voyager dans letemps », une parade dans la villeréalisée à l’occasion de l’annéeVerne. La troupe sera égalementprésente à Amiens du 16 au19 juin.a En partenariat avec le Festivald’Angoulême, la Ville de Nantesorganise en septembre uneexposition « Jules Verne, images,mythes et imaginaires », quicomparera les imaginaires del’écrivain avec ceux d’auteurs deBD, parmi lesquels Hergé, Tardi,Schuiten ou Katsuhiro Otomo.En septembre, hall 3 Alstom, entréerue de la Porte-Gellée, derrière lepalais de justice, île de Nantes.a L’Ecole centrale de Nantesorganise le 12 octobre un colloquesur les machines et la science chezJules Verne, sous la présidencede Michel Serres.Ecole centrale, 1, rue Noë, 44000Nantes. Tél. : 02-40-74-74-06.a La promenade « Jules Verne, laville est un roman » entraîne lesamedi les marcheurs sur les lieuxnantais où l’écrivain a vécu.Tous les samedis à 10 h 30,jusqu’au 12 novembre.Sur réservation auprès de l’office dutourisme. Tél. : 02-40-20-60-00.

À AMIENSa Les 22 et 23 mars, un importantcolloque sur la réception de JulesVerne à l’étranger accueillera desspécialistes de tous pays dont PieroGondolo della Riva et BernardKrauth. Les mêmes jours, desrencontres et séances de dédicacessont organisées autour d’écrivainsayant publié sur l’auteur desVoyages extraordinaires, dontErik Orsenna, Gonzague Saint-Bris,Olivier Poivre d’Arvor…A l’espace Somme de l’ISAM(amphithéâtre Jules-Verne, rue duHoquet, 80000 Amiens), de9 heures à 19 heures. Entrée libre.Pour le colloque, inscriptionsau 03-22-66-33-36. Programme :www.jules-verne.neta Après d’importants travaux derénovation, la maison Jules-Verne,où le romancier vécut dix-huit ans,devrait revoir le jour en décembre2, rue Charles-Dubois, 80000Amiens. Tél. : 03-22-45-37-84.a Deux expositions sont organiséesà l’Imaginaire Jules-Verned’Amiens. « Les enfants duCapitaine Verne » et « Jules Vernevisionnaire, de la terre à l’espace ».Du 24 mars au 1 er novembre àl’Imaginaire Jules-Verne, 36, rue deNoyon, 80000 Amiens.

AU CROTOYa Exposition autour de Verneen baie de Somme, du 15 juilletau 15 septembre.Bibliothèque, rue Jules-Verne.Office du tourisme, tél. : 03-22-27-05-25.

Sélection réalisée parMarie de Cazanove

Vingt millelieues sous les

mers fut adaptéavec talent par

RichardFleischer, avec

les inoubliablesJames Mason et

Kirk Douglas.« Un homme, un

naufragé !m’écriais-je »,

gravured’Alphonse

de Neuville pourle roman.

A L’ECRAN

Siège social : 80, bd Auguste-Blanqui75707 PARIS CEDEX 13

Tél. : +33 (0)1-57-28-20-00Fax. : +33 (0)1-57-28-21-21

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Edité par la Société Éditrice du Monde,

président du directoire,directeur de la publication :

Jean-Marie Colombani

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8/LE MONDE/VENDREDI 18 MARS 2005