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CONSEIL DE DISCIPLINE ORDRE DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC CANADA PROVINCE DE QUÉBEC N° : 22-18-0562 DATE : ______________________________________________________________________ LE CONSEIL : M e CHANTAL PERREAULT, LL.M., Ad.É. Présidente M. PAUL L. LECLERC, ingénieur Membre M. JEAN-DENIS PELLETIER, ingénieur Membre ______________________________________________________________________ BERNARD PELLETIER, ingénieur, ès qualités de syndic adjoint de l’Ordre des ingénieurs du Québec Partie plaignante c. GUY JOBIN, ingénieur Partie intimée ______________________________________________________________________ DÉCISION EN VERTU DE L’ARTICLE 149.1 DU CODE DES PROFESSIONS ______________________________________________________________________ INTRODUCTION [1] Intimé déclaré coupable d’infractions criminelles relativement à des actes de corruption dans les affaires municipales de la Ville de Laval. Le Conseil doit-il faire droit à la recommandation conjointe sur sanction? LA PLAINTE [2] La plainte datée du 8 mars 2018 est ainsi libellée :

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CONSEIL DE DISCIPLINE

ORDRE DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC

CANADA PROVINCE DE QUÉBEC

N° : 22-18-0562 DATE : ______________________________________________________________________ LE CONSEIL : Me CHANTAL PERREAULT, LL.M., Ad.É. Présidente

M. PAUL L. LECLERC, ingénieur Membre M. JEAN-DENIS PELLETIER, ingénieur Membre

______________________________________________________________________ BERNARD PELLETIER, ingénieur, ès qualités de syndic adjoint de l’Ordre des ingénieurs du Québec

Partie plaignante

c.

GUY JOBIN, ingénieur

Partie intimée ______________________________________________________________________

DÉCISION EN VERTU DE L’ARTICLE 149.1 DU CODE DES PROFESSIONS

______________________________________________________________________

INTRODUCTION

[1] Intimé déclaré coupable d’infractions criminelles relativement à des actes de

corruption dans les affaires municipales de la Ville de Laval. Le Conseil doit-il faire droit

à la recommandation conjointe sur sanction?

LA PLAINTE

[2] La plainte datée du 8 mars 2018 est ainsi libellée :

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1. Le ou vers le 11 juillet 2017, dans le dossier no.540-01-059861-131 de la Cour Supérieure, chambre criminelle et pénale du district de Laval, par jugement de l’honorable James Brunton, J.C.S., l’ingénieur Guy Jobin a été déclaré coupable de l’infraction criminelle suivante ayant un lien avec l’exercice de la professions d’ingénieur :

« Entre le 1 janvier 1996 et 30 septembre 2010, à Laval, district de Laval, et ailleurs dans la province de Québec, ont comploté entre eux et avec d’autres personnes, notamment Marc GENDRON, Roger DESBOIS, Gaétan TURBIDE, Jean ROBERGE et Gilles THÉBERGE, Valmont NADON, Anthony MERGL et Robert CLOUTIER, afin de commettre des actes de corruption dans les affaires municipales, des abus de confiance et des fraudes envers le gouvernement, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 465 (1) c) du Code criminel en lien avec les articles 122 et 123 (1) c) du Code criminel. »

se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, conformément à l’article 149.1 du Code des professions;

2. Le ou vers le 11 juillet 2017, dans le dossier no.540-01-059861-131 de la Cour Supérieure, chambre criminelle et pénale du district de Laval, par jugement de l’honorable James Brunton, J.C.S., l’ingénieur Guy Jobin a été déclaré coupable de l’infraction criminelle suivante ayant un lien avec l’exercice de la professions [sic] d’ingénieur :

« Entre le 1 janvier 1996 et le 30 septembre 2010, à Laval, district de Laval, et ailleurs dans la province de Québec, par la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif, ont frustré la Ville de Laval, d’une somme d’argent, d’une valeur dépassant 5 000 $, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 380 (1) a) du Code criminel. »

se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, conformément à l’article 149.1 du Code des professions;

3. Le ou vers le 11 juillet 2017, dans le dossier no.540-01-059861-131 de la Cour Supérieure, chambre criminelle et pénale du district de Laval, par jugement de l’honorable James Brunton, J.C.S., l’ingénieur Guy Jobin a été déclaré coupable de l’infraction criminelle suivante ayant un lien avec l’exercice de la professions [sic] d’ingénieur :

« Entre le 1 janvier 1996 et le 30 septembre 2010, à Laval, district de Laval, et ailleurs dans la province de Québec, ont donné ou convenu de donner ou offert ou convenu d’offrir, directement ou indirectement, à des fonctionnaires de la Ville de Laval ou à d’autres personnes à leur profit, un prêt ou une récompense ou un avantage ou un bénéfice de quelque nature en contrepartie du fait, pour eux-mêmes, d’aider à obtenir l’adoption d’une mesure ou une motion ou résolution ou de l’empêcher, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 123 (1) c) du Code criminel. »

se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, conformément à l’article 149.1 du Code des professions.

[Reproduction intégrale]

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22-18-0562 PAGE : 3 [3] La disposition de rattachement prévoit que :

Code des professions (R.L.R.Q., c. c-26) :

149.1. Un syndic peut saisir le conseil de discipline, par voie de plainte:

1° de toute décision d’un tribunal canadien déclarant un professionnel coupable d’une infraction criminelle;

2° de toute décision rendue au Québec le déclarant coupable d’une infraction visée à l’article 188 ou d’une infraction à une disposition d’une loi du Québec ou d’une loi fédérale;

3° de toute décision rendue hors Québec le déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Québec, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale en vertu de l’article 188 ou d’une poursuite pénale en vertu d’une disposition d’une loi du Québec ou d’une loi fédérale.

La décision visée au premier alinéa doit, de l’avis du syndic, avoir un lien avec l’exercice de la profession.

Une copie dûment certifiée de la décision judiciaire fait preuve devant le conseil de discipline de la perpétration de l’infraction et, le cas échéant, des faits qui y sont rapportés. Le conseil de discipline prononce alors contre le professionnel, s’il le juge à propos, une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156.

LE LIEN AVEC LA PROFESSION

[4] L’intimé, par son procureur, reconnait que les chefs de la plainte ont un lien avec

la profession.

[5] L’intimé n’a pas à enregistrer de plaidoyer de culpabilité puisqu’il s’agit de

déterminer s’il existe un lien entre les condamnations au niveau criminel et l’exercice de

la profession selon l’article 149.1 du Code des professions, auquel cas le Conseil doit

décider de la sanction, prévue à l’article 156 du même Code, qu’il lui imposera.

LES RECOMMANDATIONS CONJOINTES

[6] Les parties suggèrent au Conseil d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

- Chef 1 : une période de radiation de 6 mois et une amende de 2 500 $;

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- Chef 2 : une période de radiation de 6 mois et une amende de 5 000 $;

- Chef 3 : une période de radiation de 6 mois et une amende de 2 500 $;

Les périodes de radiation à être purgées de façon concurrente, le tout avec les

frais et déboursés prévus à l'article 151 du Code des professions, incluant les frais

de publication.

QUESTION EN LITIGE

[7] Dans le présent dossier, le Conseil doit aborder la question en litige suivante :

A) Les sanctions recommandées conjointement sont-elles déraisonnables,

inadéquates, de nature à déconsidérer la justice ou contraires à l’intérêt public

tel que défini dans l’arrêt Cook1 soit : de rendre une décision qui fait perdre au

public renseigné et raisonnable, sa confiance dans l’institution des tribunaux?

ANALYSE

[8] En général, lorsque des sanctions sont suggérées conjointement par les parties,

le Conseil n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence des suggestions conjointes

et doit y donner suite, sauf s’il les considère comme déraisonnables, contraires à l’intérêt

public, inadéquates ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

[9] Les parties ne peuvent tenir pour acquis qu’elles seront entérinées. Elles doivent

s’assurer de faire la preuve de tous les facteurs aggravants ou atténuants dont le Conseil

doit tenir compte lors de l’imposition d’une sanction.

1 R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

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22-18-0562 PAGE : 5 [10] Les facteurs atténuants subjectifs doivent être mis en preuve par des témoignages,

principalement celui de l’intimé, le Conseil pouvant avoir besoin de poser certaines

questions pour s’assurer que les recommandations conjointes ne sont pas

déraisonnables ou contraires à la protection du public.

[11] Naturellement, le Conseil ne peut apprécier que les facteurs dont la preuve a été

faite. Comme le mentionne le conseil dans Lanuzo2, il peut être difficile d’évaluer l’impact

de différents facteurs pouvant influer sur la sanction à imposer, tel le risque de récidive,

lorsqu’un intimé ne se présente pas ou ne témoigne pas devant ses pairs afin d’exposer

les moyens mis en œuvre pour que de tels gestes ne se reproduisent plus, ce qui n’est

pas le cas en l’instance.

[12] Il est aussi reconnu que le Conseil doit donner l’occasion aux parties de présenter

des arguments additionnels, s’il n’entend pas suivre la recommandation conjointe3.

[13] La recommandation conjointe quant à la sanction, peut inclure ses accessoires

que sont la publication de l’avis, les débours et le délai pour s’en acquitter.

[14] Afin de bien comprendre le rôle du Conseil et les raisons de ce rôle plus limité, la

Cour suprême vient de rappeler la règle à appliquer en matière de recommandation

conjointe en matière pénale dans la cause R. c. Anthony-Cook4 :

[32] Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par

2 Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Lanuzo, 2006 CanLII 82008 (QC CDOII). 3 Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5; Dentistes (Ordre professionnel des) c.

Poirier, 2014 CanLII 49143 (QC ODQ), paragr. 17 à 19. 4 R. c. Anthony-Cook, supra, note 1.

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ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador sont utiles à cet égard.

[33] Dans Druken, au par. 29, la cour a jugé qu’une recommandation conjointe déconsidérera l’administration de la justice ou sera contraire à l’intérêt public si, malgré les considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine recommandée, elle [TRADUCTION] « correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale ». Et, comme l’a déclaré la même cour dans R. v. B.O.2, 2010 NLCA 19 (CanLII), au par. 56, lorsqu’ils examinent une recommandation conjointe, les juges du procès devraient [TRADUCTION] « éviter de rendre une décision qui fait perdre au public renseigné et raisonnable sa confiance dans l’institution des tribunaux ».

[34] À mon avis, ces déclarations fermes traduisent l’essence du critère de l’intérêt public élaboré par le comité Martin. Elles soulignent qu’il ne faudrait pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe, une conclusion à laquelle je souscris. Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé — et à juste titre, comme je l’explique ci-après.

(…)

[36] Les personnes accusées tirent un avantage à plaider coupable en échange d’une recommandation conjointe relative à la peine (voir D. Layton et M. Proulx, Ethics and Criminal Law (2e éd. 2015), p. 436). L’avantage le plus évident est le fait que le ministère public accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter. Cette recommandation est susceptible d’être plus clémente que ce à quoi l’accusé pourrait s’attendre à l’issue d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Les personnes accusées qui plaident coupables rapidement sont en mesure de minimiser le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Pour de nombreux accusés, il est crucial de favoriser au plus haut point la certitude quant au résultat — et une recommandation conjointe, même si elle n’est pas inviolable, offre à cet égard une assurance considérable.

(…)

[40] En plus des nombreux avantages que les recommandations conjointes offrent aux participants dans le système de justice pénale, elles jouent un rôle vital en contribuant à l’administration de la justice en général. La perspective d’une recommandation conjointe qui comporte un degré de certitude élevé encourage les personnes accusées à enregistrer un plaidoyer de culpabilité. Et les plaidoyers de culpabilité font économiser au système de justice des ressources et un temps précieux qui peuvent être alloués à d’autres affaires. Il ne s’agit pas là d’un léger avantage. Dans la mesure où elles font éviter des procès, les recommandations

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conjointes relatives à la peine permettent à notre système de justice de fonctionner plus efficacement. Je dirais en fait qu’elles lui permettent de fonctionner. Sans elles, notre système de justice serait mis à genoux, et s’effondrerait finalement sous son propre poids.

(…)

[42] D’où l’importance, pour les juges du procès, de faire montre de retenue et de ne rejeter les recommandations conjointes que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celui-ci jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement. Le critère de l’intérêt public garantit que ces ententes de règlement jouissent d’un degré de certitude élevé.

[Nos soulignements]

[15] En matière disciplinaire, la décision Gauthier5 fait le point ainsi :

[20] La véritable question en litige consiste donc à déterminer si la suggestion commune était « déraisonnable, inadéquate, contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice », suivant les termes utilisés par la Cour d'appel dans l'affaire Boivin c. R.11

[21] Si tel n'est pas le cas, il faut en conclure que le Conseil n'était pas justifié de

s'en écarter suivant les enseignements de la Cour d'appel dans l'affaire Aucoin12.

[…]

[25] La formulation des recommandations communes et d’une suggestion de sanction, sans être une panacée, constitue un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Pour reprendre les termes utilisés par la Cour d’appel dans l’affaire Dumont c. R [14], «il ne s’agit pas d’une règle formelle, mais plutôt d’une politique judiciaire nécessaire en vue d’encourager la négociation des plaidoyers de culpabilité».

[26] Rappelons que lorsque le syndic, dont la mission première est la protection du public, formule une telle suggestion, il connait tous les tenants et les aboutissants de l’ensemble du dossier traité. De même, avant d’y donner suite, le Conseil doit s’assurer qu’elle n’est pas déraisonnable ou inadéquate.

[27] Dans cette foulée, il est utile de citer un extrait du volume intitulé «Précis de droit professionnel» [15] dans lequel les auteurs s’expriment ainsi :

Lorsque le comité de discipline doit rendre une décision sur sanction à la suite d’un plaidoyer de culpabilité, il doit faire preuve de plus de réserve face aux recommandations du syndic, puisqu’il est le seul à avoir mené l’enquête et à être au fait de toutes les circonstances pertinentes aux

5 Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 89; voir aussi Dentistes c. Tremblay, 2014

CanLII 31695 (QCO ODQ), paragr. 54 à 58; Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. Laplante, 2015 CanLII 87927 (QC OAPQ).

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infractions : il est le premier responsable des mesures nécessaires à prendre pour protéger le public et réprimer les manquements déontologiques.

De plus, comme l’a précisé le Tribunal des professions dans l’affaire Brunet c. Notaires (Ordre professionnel des), le comité de discipline ne peut fonder sa décision sur sanction uniquement sur une recommandation commune; il doit s’assurer, tout comme dans le cas d’un plaidoyer de culpabilité, que sa suggestion commune est faite librement et représente clairement la volonté du professionnel […]

____________________

11 2010 QCCA 2187, par. 12. 12 Aucoin c. R., 2013 QCCA 855.

[16] De même, dans Poirier, il est écrit ce qui suit6 :

[32] Une fois cette étape franchie, le Conseil doit décider si les recommandations

communes sont tellement déraisonnables qu’elles auront pour effet de déconsidérer la justice. Ce n’est pas, en effet, parce que le Conseil imposerait une autre sanction qu’il peut écarter celle acceptée par l’intimé, qui a renoncé à présenter une défense, et qui est considérée juste et raisonnable par deux procureures expérimentées et le syndic adjoint.

[Notre soulignement]

[17] La suggestion conjointe dispose donc d’une « force persuasive certaine » de

nature à assurer qu’elle sera respectée en échange du plaidoyer de culpabilité7.

[18] La sanction vise non pas à punir le professionnel fautif, mais à assurer en premier,

la protection du public. Ensuite, la sanction doit permettre d’atteindre les objectifs

suivants : dissuader le professionnel de récidiver et servir d’exemplarité pour les autres

membres de la profession8. En quatrième place vient le droit de l’intimé de pratiquer sa

profession.

6 Poirier, supra, note 3. 7 Dumont c. R, 2013 QCCA 576; Gagné c. R, 2011 QCCA 2387. 8 Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA).

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22-18-0562 PAGE : 9 [19] Dans Ingénieurs c. Boulet9, le Conseil traite aussi du poids relatif à accorder à la

jurisprudence comme suit :

[54] En effet, la suggestion conjointe « dispose d'une « force persuasive certaine» de nature à assurer qu'elle sera respectée en échange du plaidoyer de culpabilité » [11].

[55] De plus, une suggestion conjointe ne doit pas être écartée « afin de ne pas discréditer un important outil contribuant à l'efficacité du système de justice tant criminelle que disciplinaire»[12].

[56] En vertu du principe de l’harmonisation des sanctions, le Conseil doit retenir également les sanctions conjointes proposées et les considérer comme étant raisonnables lorsqu’elles se situent dans la fourchette des sanctions disciplinaires imposées dans des circonstances semblables [13].

[57] Par ailleurs, il faut relativiser l’application de ce principe en raison du fait que la sanction doit être individualisée. Les précédents sont « tout au plus des lignes directrices et non des règles absolues »[14]. Des circonstances atténuantes ou aggravantes, de même que la personnalité du professionnel, peuvent favoriser un écart important dans la détermination d’une sanction [15].

[Nos soulignements]

[20] Le Conseil rappelle aussi ce qu’écrit madame la juge Provost dans l’affaire Joly10 :

[45] La nomenclature des sanctions déjà imposées par les comités de discipline constitue certes un facteur pertinent d'évaluation. Cependant, il ne s'agit pas d'un facteur intangible et il faut en relativiser l'utilité en raison de l'individualisation présidant à l'imposition de toute sanction.

[Notre soulignement]

[21] En somme, les conseils de discipline ne sont pas liés par la règle des précédents11.

Aussi, bien que les tribunaux doivent en tenir compte, les fourchettes de sanctions

disciplinaires ne sont pas des règles absolues, mais bien plus des lignes directrices12.

9 Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Boulet, 2016 CanLII 69146 (QC CDOIQ). 10 Notaires (Ordre professionnel des) c. Joly, 2009 QCTP 93. 11 Sylvie, POIRIER, La discipline professionnelle au Québec, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1998,

pp. 174 et 175; Drolet-Savoie c. Avocats, 2004 QCTP 19; Courchesne c. Castiglia, 2009 QCCA 2303, paragr. 83.

12 R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206; Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5; Médecins c. Chbeir, 2017 QCTP 3.

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22-18-0562 PAGE : 10 [22] En effet, à cet égard le Tribunal des professions dans la cause Chbeir13 rappelle

les enseignements récents de la Cour suprême dans l’affaire Lacasse14, à l’effet que le

Conseil doit voir les fourchettes de peines comme des outils visant à favoriser

l'harmonisation des sanctions et non pas comme des carcans, puisqu’elles n'ont pas un

caractère coercitif. Le Tribunal ajoute que le fait d'y déroger ne constitue pas une erreur

de principe.

[23] La gravité d’une infraction disciplinaire s’évalue aussi en fonction des

conséquences probables, que ces conséquences se soient matérialisées ou non15.

[24] Le Conseil retient les éléments suivants de la preuve.

[25] L’intimé est inscrit au Tableau de l'Ordre des ingénieurs du Québec, à titre

d'ingénieur, depuis le 23 mai 2003.

[26] Au moment de la période visée par les actes d'accusation soit entre 2005 et le

30 septembre 2010, l'intimé est associé aux firmes Jobin, Courtemanche inc., puis

Equiluqs à partir de 2007, dans le cadre de mandats obtenus auprès de la Ville de Laval

de 2005 à 2009.

[27] Les firmes Equiluqs et Jobin, Courtemanche inc. sont des firmes d'ingénierie

impliquées dans le système de collusion et de corruption implanté à Laval.

13 Médecins c. Chbeir, supra, note 12. 14 R. c. Lacasse, [2015] 3 RCS 1089, 2015 CSC 64. 15 Lemire c. Médecins, 2004 QCTP 59.

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22-18-0562 PAGE : 11 [28] Par jugement de la Chambre criminelle, daté du 11 juillet 2017, l'Honorable James

Brunton, J.C.S., déclare l'intimé coupable de trois chefs d'accusation tel qu’il appert des

trois chefs visés par la présente demande.

[29] Il est condamné à une amende sur le chef 1 et à 24 mois moins un jour

d’emprisonnement avec sursis et probation de deux ans sur les chefs décrits aux chefs 2

et 3 de la présente demande.

[30] L'intimé n'a aucuns antécédents disciplinaires.

[31] La gravité objective des infractions criminelles est indéniable.

[32] Étant donné cette gravité objective, le Conseil juge à propos d’user de sa discrétion

judiciaire pour prononcer une des sanctions prévues à l’article 156 du Code des

professions.

[33] Il est également important de souligner qu’il n’est pas de la juridiction du Conseil

de punir à nouveau l’intimé pour les infractions criminelles qu’il a commises. C’est ainsi

que s’exprime le Conseil dans la décision Gavrilovic 16 :

[67] D’entrée de jeu, il est important de souligner qu’il n’est pas de la juridiction du Conseil de punir à nouveau l’intimé pour les infractions criminelles qu’il a commises. La Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, a déjà prononcé diverses sentences contre l’intimé pour ces crimes, soit de l’emprisonnement et des périodes de probation

[68] Le rôle du Conseil est de déterminer si, en l’espèce, la protection du public commande de lui imposer une sanction disciplinaire en plus des sentences déjà prononcées contre lui.

[Notre soulignement]

16 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c Gavrilovic, 2016 CanLII 78381 (QC OIIA).

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22-18-0562 PAGE : 12 [34] La conduite de l’intimé porte ombrage à l’ensemble de la profession.

[35] Le Conseil retient cependant que la compétence de l’intimé n’est pas en cause.

[36] Le risque de récidive est aussi un facteur pertinent à la détermination d’une

sanction disciplinaire adéquate comme le rappelle le Tribunal des professions dans

l’affaire Médecins (Ordre professionnel des) c. Chbeir17.

[37] Le Conseil s’en remet à l’évaluation que fait la plaignante qui qualifie le risque de

récidive de faible.

[38] Le Conseil est justifié de pouvoir s’y fier considérant la mission de protection du

public qui lui est dévolue18.

[39] Relativement au principe de globalité, les sanctions envisagées ne constituent pas

dans l’ensemble un fardeau accablant pour l’intimé et permettent d’atteindre les objectifs

de protection du public, de dissuasion et d’exemplarité.

[40] Les sanctions proposées conjointement ont été négociées par des avocats

expérimentés et se situent à l’intérieur de la fourchette des sanctions suivant la

jurisprudence soumise de part et d’autre19 en semblable matière quant aux périodes de

17 2017 QCTP 3. 18 Voir à cet effet : Bégin c. Comptables en management accrédités (Ordre professionnel des), 2010 QCTP

136. 19 Ingénieurs (Ordre professionnel des) c Fortin, 2013 CanLII 99520 (QC CDOIQ); Ingénieurs (Ordre

professionnel des) c Pilote, 2013 CanLII 99521 (QC CDOIQ); Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Lebeuf, 18 octobre 2017, 22-13-0447; Ingénieurs (Ordre professionnel des) c Themens, 2017 CanLII 16744 (QC CDOIQ); Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. De Maisonneuve, 2017 CanLII 86526 (QC CDOIQ); Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Fontaine, 2017 CanLII 86528 (QC CDOIQ); Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Laporte, 2016 CanLII 66305 (QC CDOIQ); Ingénieurs (Ordre professionnel des) c Veilleux, 2016 CanLII 83231 (QC CDOIQ).

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22-18-0562 PAGE : 13 radiation, mais ont une sévérité accrue par l’ajout d’amendes substantielles qui se

démarquent des décisions citées.

[41] En effet, les gestes similaires à ceux reprochés à l’intimé ont fait l’objet de périodes

de radiation temporaire variant de quatre à six mois, dépendamment des circonstances.

[42] De plus, tel que le rappelle la Cour suprême, la recommandation conjointe

contribue à l’efficacité du système de justice disciplinaire20.

[43] La recommandation conjointe permet d’atteindre les objectifs de protection du

public, de dissuasion de l’intimé et d’exemplarité envers la profession.

[44] Dans la décision récente de Nguyen21, le Conseil fait le point sur la façon d’aborder

les décisions sur le même sujet :

[53] En vertu du principe de l’harmonisation des sanctions, le Conseil doit retenir également les suggestions de sanctions proposées et les considérer comme étant raisonnables, lorsqu’elles se situent dans la fourchette des sanctions disciplinaires imposées dans des circonstances semblables [26].

[54] Il faut toutefois relativiser l’application de ce principe en raison du fait que la sanction doit être individualisée. Les précédents doivent être vus comme des lignes directrices et non pas comme des règles absolues [27].

[55] Enfin, les circonstances atténuantes ou aggravantes, de même que la personnalité du professionnel, peuvent favoriser un écart important dans la détermination de la sanction [28].

[Références omises]

[45] Le Conseil fera donc droit aux recommandations conjointes des parties, malgré

leur sévérité accrue, ne pouvant conclure que celles-ci sont de nature à déconsidérer la

20 R. c. Anthony-Cook, supra, note 1; Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52;

Malouin c. Notaires, 2002 QCTP 15. 21 Médecins (Ordre professionnel des) c. Nguyen, 2018 CanLII 63446 (QC CDCM).

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22-18-0562 PAGE : 14 justice ou contraires à l’intérêt public tel que défini dans l’arrêt Cook22 soit : de rendre une

décision qui fait perdre au public renseigné et raisonnable, sa confiance dans l’institution

des tribunaux.

[46] La présente décision ne doit pas être interprétée comme un précédent quant aux

amendes qui pourraient ne pas être retenues en d’autres circonstances.

[47] L’intimé sera condamné aux débours et aux frais de publication.

DÉCISION

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL :

[48] CONSTATE les condamnations de l’intimé à l’égard des infractions criminelles

décrites dans la plainte;

[49] DÉCLARE que celles-ci ont un lien avec l’exercice de la profession d’ingénieur

aux fins de l’application de l’article 149.1 du Code des professions;

[50] IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :

- Chef 1 : une période de radiation de 6 mois et une amende de 2 500 $;

- Chef 2 : une période de radiation de 6 mois et une amende de 5 000 $;

- Chef 3 : une période de radiation de 6 mois et une amende de 2 500 $;

[51] DÉCLARE que ces périodes de radiation temporaire seront purgées de façon

concurrente.

22 R. c. Anthony-Cook, supra, note 1.

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22-18-0562 PAGE : 15 [52] DEMANDE à la secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du

Québec de publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu

où l’intimé a ou avait son domicile professionnel.

[53] CONDAMNE l’intimé au paiement des débours en vertu de l’article 151 du Code

des professions, de même qu’aux frais de publication.

[54] ACCORDE à l’intimé un délai de six mois pour acquitter les amendes, débours et

frais de publication.

__________________________________ Me CHANTAL PERREAULT, LL .M, Ad .É. Présidente __________________________________ M. PAUL L. LECLERC, ingénieur Membre __________________________________ M. JEAN-DENIS PELLETIER, ingénieur Membre

Me Jean-François Corriveau Procureur de la partie plaignante Me Franco Iezzoni Pateras & Iezzoni Inc. Procureurs de la partie intimée Date d’audience : 12 septembre 2018