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Michel Zévaco LE CAPITAN TousVosLivres.com

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  • Michel Zvaco

    LE CAPITAN

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  • Chercher les prils et

    les aventures les plus hasardeuses.

    (Prcepte II des chevaliers de la Table ronde)

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    I

    Giselle dAngoulme.

    Une trange terreur pse sur Paris. Des bruits sinistres se rpandent, pareils ces grondements du ciel, prcurseurs dorage. Parfois, des bandes hurlantes passent, avec des physio-nomies dmeute. Le bourgeois fourbit sa vieille pertuisane du temps de la Ligue. La noblesse est debout pour la reprise de ses privilges fodaux. Guise conspire. Cond conspire. Angoulme conspire. Luynes veut gouverner. Richelieu veut gouverner. Le trne des Bourbons chancelle et va scrouler peut-tre.

    Et devant ces rafales dambitions dchanes qui

    sentrechoquent, il ny a au fond du Louvre, dsert et morne, quun pauvre petit roi de quinze ans, tout seul, abandonn, ple et triste comme le peuple.

    Et, comme le peuple, Louis XIII tremble et se demande : Qui va devenir le matre ? Guise ? Cond ? Angou-

    lme ? Qui de vous va poser son pied sur ma tte ?

    * * * * Or, peuple, roi, conspirateurs sont unis par une mme et

    vaste haine parse ; ils frmissent dune commune pouvante, prts se dchirer, ils lvent les yeux sur la flamboyante figure qui plane sur le Louvre, sur Paris, sur le royaume. Et alors la mme imprcation gronde sur toutes les lvres, depuis le roi jusquau manant except sur celles de la reine mre Marie de Mdicis. Cette figure, cest celle dun homme qui commande, dcrte, ordonne, rgne, crase, terrorise. Il est le luxe infernal ;

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    il est la puissance sans limites ; il est lorgueil sans frein ; il est lorgie il est le crime. Il passe comme un de ces incomprhen-sibles mtores qui traversent les espaces historiques en lais-sant derrire eux un sillage de sang et de feu, puis clatent et steignent dans quelque suprme catastrophe

    Et cet homme, cest Concino Concini Lamant de la reine !

    * * * * Le matin du 5 aot de cette anne 1616 Rue de Tournon, un htel qui a des allures de forteresse

    royale, avec sa cour pleine de gardes, son monumental escalier sillonn de valets chamarrs, ses somptueuses antichambres encombres de courtisans : cest le logis de Concino Concini, gouverneur de Normandie, marquis dAncre, marchal de France et Premier ministre de Louis XIII

    Le cabinet des audiences, vaste pice o lart de lItalie et

    lart de la France ont prodigu leurs chefs-duvre tableaux, meubles, marbres et bronzes. Voici Concini !

    Il est de taille moyenne, vigoureux, nerveux, dune rare,

    dune exquise lgance. Son beau visage est clair par des yeux de flin, tantt dune trange douceur, tantt fulgurants. Il a le masque audacieux et trouble des grands aventuriers. Cest peut-tre lme dun Nron ou dun Csar Borgia qui palpite dans ces gestes volontaires, dans ces attitudes dorgueil.

    Il se penche sur quelquun qui, demi courb, lcoute avi-

    dement. Et tandis que dans la foule des solliciteurs on se de-mande ce qui se prpare derrire cette porte de cabinet, de

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    quelle fte le matre va blouir Paris ou de quel impt il va lcraser, voici ce que dit Concini dune voix sourde :

    La haine, oui, Rinaldo, cest quelque chose ! Je lai dans

    les moelles. Oui, je hais jusqu la damnation ce duc dAngoulme. Les autres, les Guises, les Conds, ce nest rien que truandaille affame dhonneurs ou dargent. Lui, cest le redoutable adversaire. Je le tuerai, ou il me tuera. Rinaldo, je donnerais dix ans de ma vie pour tenir Angoulme et, de mes mains, lui arracher le cur, mais

    Allez donc, monseigneur ! ricana lhomme avec une fami-

    liarit insolente et obsquieuse. Mais la haine, reprend Concini dune voix ardente, cette

    haine que jai pour le duc dAngoulme, eh bien ! elle svanouit quand lamour parle en moi. Cette fille, il me la faut, vois-tu ! Fortune, honneur, puissance, haine, il ny a plus rien quand limage de Giselle svoque en moi. Rinaldo, je meurs si Giselle nest moi. Rinaldo, la passion me brle le sang, me dchire le cur, et la passion envahit mon cerveau

    Patience, monseigneur, on la retrouvera, cette Giselle ! Oh ! si jen tais sr ! Si seulement je pouvais esprer !

    De largent, Rinaldo, de lor, des places, tout ce que tu voudras, si tu la retrouves ! Qui peut-elle tre ? De grande famille, coup sr, mais laquelle ?

    On le saura, monseigneur. Patience, vous dis-je ! Ah ! gronde Concini, avec un geste violent. Navoir fait

    que lentrevoir ! Ne savoir delle que ce nom de Giselle, ce nom ador que je balbutie en pleurant dans mes longues nuits sans sommeil ! Je veux, entends-tu, je veux savoir qui elle est, je veux que tu la retrouves ! Va, cherche, dpense sans compter,

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    jette mille espions dans Paris, va, mon Rinaldo, et ne reparais que pour me crier : Vivez, esprez, aimez, Giselle est retrou-ve !

    Trs bien, monseigneur. Je rsume. Ct haine :

    massurer si le duc dAngoulme a eu laudace de rentrer dans Paris comme on la dit ; et alors, lui prparer un bon traque-nard. Ct amour : me mettre en campagne pour retrouver notre belle inconnue, avec, pour unique guide, ce nom de Gi-selle.

    Retrouve-la, Rinaldo, retrouve-la ! Et je te fais comte ! Rinaldo sincline jusqu terre. Monseigneur, dit-il froidement, votre Giselle sera retrou-

    ve, je le jure sur le titre de noblesse que vous venez de me con-frer !

    Concini plit. Il porte la main son cur, et palpite, secou

    par un long frisson. Rinaldo sest loign. Dans la cour de lhtel, il monte cheval et murmure en ricanant :

    Pardieu ! je parierais bien ma noblesse toute neuve que

    cest elle que jai vue hier aux environs de Meudon ! Mais, diable ! il faut que je sois sr ! Si je donnais une fausse joie Concini je le connais, mon illustre matre : il me ferait comte de la Bastille et me laisserait pourrir dans mon comt. Allons ! Meudon !

    * * * *

    Meudon. Derrire la dernire maison du village, cest un

    vieux parc abandonn, touffu, envahi par les vgtations libres. Prs de la grille, un alezan tout sell, quun vieux serviteur tient en bride. Et, savanant vers le cheval, une jeune fille qui

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    sappuie au bras dun gentilhomme de fire allure, les tempes grises, le visage ple de cette pleur spciale des gens qui ont longtemps vcu dans un cachot, mais plein de vigueur concen-tre, jeune encore, paraissant la quarantaine.

    La jeune fille, avec une grce hardie, porte un costume

    amazone en velours bleu ; sa beaut blonde et lumineuse est de celles qui tonnent, bouleversent, inspirent de foudroyantes passions. Mais ce qui frappe, charme, blouit plus encore que la noblesse du front, la magnificence de la chevelure, lazur pro-fond des yeux, lharmonie de la taille et du corps, ce qui im-prime cette beaut un caractre personnel, cest cet air dindicible dignit dans les attitudes, cette admirable franchise du regard, cette intrpidit dme qui parat son geste, sa parole, toute sa personne.

    Adieu, mon pre, dit la jeune fille en sarrtant prs de la

    grille. Adieu ! mon enfant chrie, rpond le gentilhomme en la

    serrant dans ses bras. Que deviendrais-je si tu ntais l, ma belle guerrire, mon vrai sang ! Si ma destine me porte enfin sur ce trne que les Bourbons ont vol ma race, cest toi que je devrai de rgner. Tu es une vraie Valois, ma noble et hardie messagre, ma bien-aime Giselle ! Toujours cheval, travers mille dangers ! Hier encore, tu revenais dOrlans, do tu me rapportais ces prcieux papiers. Et te voil de nouveau en route !

    Bon ! scrie gaiement celle quon vient de nommer Gi-

    selle, dites que je suis un retre, et nen parlons plus. Dailleurs, aujourdhui, le voyage nest pas terrible, jusquau hameau de Versailles. Ce soir, je serai ici Et puis, jai de qui tenir, mon pre, puisque je suis petite-fille du roi Charles IX et fille de Charles, duc dAngoulme !

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    Ce soir ! reprend le duc dAngoulme, dont le front se charge de nuages, dont lil tincelle. Ce soir ! Cest ce soir que dans ce pauvre village a lieu lassemble des chefs ! Cest ce soir que mon sort se dcidera ! Cest ce soir que les envoys de la noblesse franaise choisiront entre Guise, Cond et moi ! Que sortira-t-il de cette assemble, Giselle ! Roi ! tre roi ! Quelle ivresse et quelle gloire ! Et sils allaient ne pas me choisir. Sils allaient me prfrer ce Guise intrigant et grossier ou ce Cond avare Oh ! jen mourrais de honte !

    Une mlancolie soudaine voile les yeux de Giselle. Elle

    murmure dune voix angoisse : Hlas ! Qui sait jusquo vous conduira cette ambition !

    Ah ! mon pre, si vous pouviez renoncer. Jamais ! interrompt rudement le duc dAngoulme. Pour Dieu ! soyez prudent, au moins ! Vous vous tes

    montr dans Paris ! Je tremble, mon pre ! Car sil y a dans Pa-ris un palais qui vous magntise et sappelle le Louvre, il y a aussi une forteresse qui a failli tre votre tombe !

    La Bastille ! murmure en frissonnant le gentilhomme ; et

    un sourire daffreuse amertume crispe ses lvres. La Bastille ! Je ny retournerai pas, sois tranquille. Jy ai trop souffert : si je suis pris, je me tue ! Mais rassure-toi, mon enfant. Toutes prcau-tions sont prises. Je triompherai. Et mon premier acte de roi, ce sera un geste de justice implacable tu sais contre qui, puisque toi-mme tu le hais !

    Un tressaillement agite alors Giselle. Ses lvres plissent.

    Une inexprimable nergie stend sur ses traits. Et elle est bien, alors, toute pareille ces guerrires des temps lointains qui, de leurs mains frles, maniaient la hache.

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    Oui, dit-elle, je hais, je mprise de toutes les forces de mon tre cet homme qui a fait le malheur de ma mre ! Oui, je veux que ma mre soit venge ! Oui, cest pour cela que je vous aide, mon pre ! Car ce serait nier toute justice au ciel et sur terre si Concini ntait puni de son infamie !

    Sois tranquille ! rpond le duc dans un grondement ter-

    rible. ce moment, hors la grille, dans le bois, de fourr en four-

    r, un homme se glisse, rampe, sapproche son regard avide se fixe sur Giselle il tressaille dune joie furieuse il rugit en lui-mme :

    Cest elle ! Plus de doute, cette fois ! Cest bien notre in-

    connue Je la tiens ! Et cet homme, cest Rinaldo, lme dam-ne de Concini !

    Sois tranquille, continue le duc. Lheure de la vengeance

    approche. Et si tu my aides de toute ton me vaillante, bientt, demain, ds ce soir, je serai aid aussi par quelquun que jattends un jeune homme, Giselle, beau comme Achille, in-trpide comme Ajax, noble comme un Valois Son pre mannonce son arrive Il a d passer par Orlans, et, comme toi hier, par tampes et Longjumeau.

    Longjumeau ! balbutie la jeune fille, tandis quune ar-

    dente rougeur empourpre son front. Le pre a vu cette rougeur, ce trouble soudain. Il a senti sa

    fille frissonner dans ses bras Et son cur se met battre despoir.

    Oh ! dit-il en tremblant. Laurais-tu rencontr ? Dieu me

    donnerait-il cette joie suprme que tu laies remarqu ! Parle-moi ma Giselle chrie ! Oh ! si tu savais

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    Eh bien ! oui, mon pre, Longjumeau, jai vu et remar-

    qu un jeune homme. Vingt ans peu prs, nest-ce pas ? Fier daspect, portant

    la bravoure sur son front, nest-ce pas ? Oui oui bgaie Giselle. Un dernier mot, ma fille bien-aime. Celui que jattends

    porte un costume en velours gris perle La jeune fille jette un lger cri, et, toute palpitante, rpond

    encore : Oui, mon pre ! Sauv ! Dieu soit lou ! Cest le marquis de Cinq-Mars

    que tu as rencontr et remarqu ! Cest celui que je te desti-nais ! Sauv, maintenant ! Le dernier obstacle est lev ! Ne minterroge pas ! Plus tard, tu sauras comment ton union avec le marquis de Cinq-Mars me sauve et assure mon triomphe Car tu consens cette union, nest-ce pas ? tu laimes !

    Je nai vu ce jeune homme quun instant, murmure Gi-

    selle, dont le sein se soulve. Jignorais mme quil sappelt Cinq-Mars ! Henri, marquis de Cinq-Mars ! Henri ! balbutie la jeune fille au fond delle-mme. Il

    sappelle Henri ! Tout ce que je puis vous dire, mon pre, cest que je souhaite que lhomme dont je porterai le nom ressemble celui que jai vu !

  • 11

    Le duc dAngoulme jette un cri de joie puissante. Giselle sarrache de ses bras, saute lgrement sur son cheval, franchit la grille, et crie de loin :

    Dans une heure, je suis Versailles. Jattends ceux que

    vous savez. Ce soir, je suis de retour. ce soir, mon pre ! Ce soir ! gronde ardemment le conspirateur. Si elle

    trouve Guise et Cond Versailles et quelle les amne lassemble, ce soir, je suis lu roi ! Car maintenant, toute linfluence du pre de Cinq-Mars est moi ! Ce soir !

    Et enivr, il regagna la maison, tandis que Giselle

    dAngoulme galope travers bois en murmurant : Le costume de velours gris perle vingt ans beau

    comme Achille, intrpide comme Ajax, noble comme un Va-lois cest lui ! Cest bien celui dont le regard, lauberge de Longjumeau, ma bouleverse ! Il sappelle Henri marquis de Cinq-Mars !

  • 12

    II

    Lonora Galiga.

    Alors, Rinaldo, embusqu dans les fourrs du bois qui en-tourait le parc, se leva de son afft :

    Avec qui diable parlait-elle ? grogna lagent de Concini.

    Et que se disaient-ils ? Serait-ce un rival ? Hum ! Je nen parle-rai pas. Tout la joie, monseigneur ! Ce qui est sr, cest que cest bien notre Giselle. Bon. Elle va un endroit qui sappelle Versailles, a-t-elle cri. Bon. Elle revient ce soir. Trs bon. Le reste est aussi facile que douvrir la porte de la cage pour y en-fermer le bel oiseau bleu de nos rves !

    Rinaldo senfona sous bois, retrouva son cheval, quil avait

    attach un arbre, sauta en selle, slana ventre terre, et, sur le coup de midi, rentra dans Paris par la porte Saint-Honor, et traversa franc trier la bonne ville de Sa Majest Louis XIII, ru en un galop denfer, sans sinquiter des cris deffroi ou des clameurs menaantes quil soulevait sur son passage. Et il faut dire que si les cris de terreur taient provoqus par lallure d-sordonne du cheval fumant et ensanglant par les perons de fer, les menaces visaient surtout les couleurs que portait le cava-lier et non le cavalier lui-mme. Ces couleurs, cette livre, comme on disait alors sans attacher ce mot le sens de domes-ticit quil a acquis par extension, cette livre, donc, devait tre bien dteste des Parisiens ; sans doute, elle voquait de formi-dables rancunes, car de sombres regards de haine la suivaient, des poings se crispaient et se tendaient, de sourdes imprca-tions clataient, et, l o elle apparaissait, latmosphre sem-blait se charger de terreur et dhorreur.

  • 13

    Le cheval, pantelant, demi fourbu, sarrta enfin rue de Tournon, devant lhtel Concini, en plein faubourg Saint-Germain, quelques pas de cette rue de Vaugirard o stendaient les jardins de M. le duc de Luxembourg, sur lemplacement desquels la reine Marie de Mdicis faisait alors btir un magnifique palais.

    Rinaldo monta lescalier, fendit sans crier gare le flot de

    courtisans et de solliciteurs qui souvrait docilement devant lui, et, tout haletant, tout couvert de poussire, ouvrit dune main familire la porte du cabinet o le marchal dAncre, assis une grande table incruste de ciselures dargent, apposait sa signa-ture au bas de quelques parchemins.

    la vue de Rinaldo, Concini se leva dun bond, et, dune

    voix ardente, bouleverse de passion : Toi, Rinaldo ! Toi dj ! Mapportes-tu lamour ou le d-

    sespoir, la vie ou la mort ? Las-tu retrouve ? Oh ! mais parle donc !

    Elle est retrouve ! pronona Rinaldo. Concini devint trs ple, porta la main son cur et chan-

    cela en murmurant : Bni soit lange de ma vie qui me rservait une telle flici-

    t ! Rinaldo, mon cher Rinaldo, demande-moi ce que tu vou-dras ! Veux-tu tre comte, duc, gouverneur ? Retrouve : Est-ce vrai ? Est-ce que je ne rve pas ? mon inconnue adore, dont je ne sais que le nom ! Giselle ! Nom charmant ! Giselle ! Nom chri que mes lvres, depuis tant de jours, tant de nuits, prononcent comme dans une caresse de baiser ! Et tu dis voyons, rpte o ? quand ? comment ?

  • 14

    H ! per Dio santo ! vous ne men laissez pas le temps ! Malepeste ! monseigneur, vous voil pour le coup bien assassi-n !

    Concini devint livide. La peur de lassassinat tait son

    chancre rongeur Assassin par les flches du seigneur Cupidon. Javoue,

    per bacco, quune couronne, un simple tortil de baron ne ferait pas mal sur la porte de mon logis Vous avez ouvert votre main magnanime, et je me baisse, et je ramasse les miettes de votre magnificence.

    Te tairas-tu, briccone ! gronda Concini. Je me tais, Excellence ! Parle ! O est-elle ? Meudon. La dernire maison du village, droite,

    presque en face lauberge de la Pie Voleuse. H ! mon cher sei-gneur, cest ce coup-ci que nous allons trouver, vous mentendez bien, trouver la pie au nid

    Partons ! rugit Concini. Attendez donc, par tous les diables ! Quelle ardeur ! Nous

    avons le temps, vous dis-je. Elle est partie pour un certain ha-meau qui se nomme Versailles o prenez-vous Versailles, monseigneur ?

    Je sais, je sais, passe ! Aprs ! Aprs, donc, morbleu ! Aprs ? Eh bien ! elle doit revenir Meudon, ce soir.

    Nous navons donc qu nous poster sur la route, et

  • 15

    Cest bien ! gronda Concini. Prends avec toi Bazorges, Chalabre, Pontraille, Louvignac et Montreval. Quils soient bien arms. Dans une heure, nous partons

    Oui, ricana Rinaldo, et nous tendons tranquillement

    notre filet. Mais, ajouta-t-il en baissant la voix, que dira votre illustre pouse lgitime ?

    Lonora ! murmura Concini en tressaillant. Oh ! cette

    femme, Rinaldo ! Cette femme dont la jalousie menlace dun rseau o je me dbats comme le lion pris aux rets ! Quelle ignore surtout, ah ! quelle ignore jamais jusquau nom de celle que jaime Elle la tuerait, vois-tu, elle lempoisonnerait comme elle a empoisonn tu sais ! Celle-l et dautres ! Et si laqua-tofana pargnait Giselle, cest que de son stylet, Lonora lui fouillerait le cur !

    ce moment, une porte intrieure qui, par un long cou-

    loir, faisait communiquer lappartement du marchal avec celui de la marquise dAncre, on gratta lgrement.

    Silence ! gronda Concini. La porte souvrit une femme parut Cette femme, ctait

    lpouse de Concini, la marquise dAncre Lonora Galiga ! Celui qui, deux heures auparavant, et pntr dans la

    chambre de toilette de la marquise dAncre, let vue assise de-vant une table encombre de flacons, pinceaux et brosses : lattirail compliqu dune grande coquette. Pourtant, cette femme ntait pas coquette. Son esprit profond et mle mpri-sait dun hautain mpris les colifichets et fanfreluches des pa-rures fminines. Sa pense aux ailes de vaste envergure, en son vol de vautour, planait au-dessus des inquitudes qui agitent les autres femmes.

  • 16

    Mais elle tait laide ! Difforme, contrefaite, lpaule gauche renfle, la bouche

    trop grande, le buste mal daplomb sur les jambes, laide enfin, Lonora navait pour toute beaut que deux yeux noirs resplen-dissants dintelligence, pareils deux toiles gares au fond dun ciel triste de novembre. Ctait cette disgrce de la nature que Lonora, tous les matins, tchait de rparer ou dattnuer par lapplication dun art quelle avait tudi comme un gnral tudie la stratgie.

    Laide, soit ! il est des laideurs harmonieuses. Mais que tout

    au moins sa prsence ft supportable lhomme quelle adorait dun amour exclusif, absolu : son mari !

    Et alors, tout cet talage de coquetterie et pu sembler tou-

    chant. Et alors, on et assist la transformation magique op-re sur cette laideur par une puissante volont. Peu peu, les difformits disparaissaient ; les deux paules sgalisaient, la taille se redressait, la bouche reprenait des proportions nor-males, et, dans cet ensemble rectifi, corrig, rebti de toutes pices, les yeux noirs brillaient dun clat plus doux. Lonora tait presque belle !

    Ce jour-l, lorsquelle se fut, non pas regarde, non pas

    admire, mais inspecte dans une immense glace prsent et hommage de la rpublique de Venise elle se tourna vers la suivante favorite qui tait initie seule ce prodigieux travail de tous les matins :

    Marcella, demanda-t-elle froidement, tu dis que Rinaldo

    est sur la piste de Giselle dAngoulme ? Je le dis, madame. Je rpte quon trouvera le duc

    dAngoulme et sa fille dans la maison de Meudon que je vous ai signale. Mais, madame, il ny a pas encore de mal : M. le mar-

  • 17

    chal ignore srement que celle quil aime est la fille du duc dAngoulme

    Lonora ne lcoutait plus. Les deux toiles noires de ses

    yeux se voilrent dune larme qui svapora la fivre des joues. Elle serra, dun geste dsespr, ses mains lune dans lautre :

    Il laime ! Oh ! celle-l, ce nest pas un caprice ! Il laime !

    Et moi ! moi ! Pas un regard, pas un sourire ! Malheur sur moi ! et malheur sur elle !

    pas rapides, elle se dirigea vers le cabinet de Concini,

    parvint la porte secrte, couta un instant, puis entra. Concini plit. Rinaldo sclipsa.

    Concino, dit Lonora en couvrant son mari dun regard

    de tendresse, jai voulu vous voir avant daller au Louvre prendre mon service auprs de la reine Marie. M. de Richelieu sort de chez moi. Il ma appris des choses fort graves

    De quoi se mle ce prtre blafard ? gronda Concini en

    fronant les sourcils. Ne vous fchez pas, mon Concinetto M. de Luon nous

    est dvou, et cest encore un service quil nous rend. Eh ! qua-t-il pu vous apprendre ? Quon crie fort aprs

    moi, aprs vous, aprs les Florentins maudits ? Que le peuple sexaspre ? Quil ne veut plus payer ? Quenfin, cela tourne mal pour nous ? Auriez-vous peur, cara mia ?

    Je nai pas peur, Concino, dit froidement Lonora. Mais,

    sachez-le : cest dune vaste conspiration quil sagit. Concino, on veut enlever le roi, le dposer, le tuer peut-tre, et nous par la mme occasion. la tte de cette conspiration se trouve un homme que vous connaissez, un rude adversaire

  • 18

    Son nom ? Charles, comte dAuvergne, duc dAngoulme le fils de

    Charles IX. Concini tressaillit ; quelque chose comme un sinistre pres-

    sentiment pesa sur sa pense. Celui-l, reprit Lonora, dont le visage sirradia dans

    lclat de ses yeux, celui-l porte au cur une indestructible ambition. Celui-l na eu quun rve dans sa vie : fils de roi, r-gner son tour ! Le fils de Marie Touchet, le btard de ce pauvre roitelet qui mourut noy dans le sang, le comte dAuvergne, duc dAngoulme, est de la race hardie de ceux qui savent vouloir et oser ! Sil tait votre place, Concino !

    Que ferait-il donc ? gronda le marchal, en jetant un pro-

    fond regard sa femme. Lonora se pencha vers Concini, lenveloppa des effluves de

    sa pense secrte, et, dune voix sourde, murmura : Il serait dj roi ! Le marchal dAncre frissonna, et jeta autour de lui un re-

    gard de terreur. Voil lhomme redoutable, continua-t-elle. Cest une me

    fortement trempe, un esprit fier et aventureux. Il veut monter lOlympe. Et comme les Titans de jadis, il entassera Plion sur Ossa moins quil ne se serve de nos cadavres pour marche-pied.

    Que faut-il faire ? murmura Concini subjugu, tout ple.

    Un soupir atroce gonfla le sein de Lonora ; puis ses yeux repri-

  • 19

    rent une mortelle expression de rsolution. Elle pronona len-tement :

    la cuirasse de cet homme, jai dcouvert un dfaut Et cette faiblesse, cest ? Le comte dAuvergne est pre ! Oui, cet ambitieux qui

    sest si bien gard contre les embches na oubli quune chose : cest quil a un cur. Lamour paternel nous le livre. Car, vois-tu bien, Concino, pour viter une souffrance son enfant, il accep-terait la torture ; pour sauver lenfant, il renoncerait au trne, bonheur, honneur, tout : mme la vie.

    Je comprends ! dit Concini avec un sourire terrible. Que comprends-tu, voyons ? Nous nous emparerons de lenfant. Et Charles

    dAngoulme, comte dAuvergne, se trane nos pieds : nous navons qu lui dicter la loi.

    Oui, gronda Lonora, avec un trange regard. Mais si le

    pre rsiste ? Entre le mari et la femme, entre ces deux tres si dissem-

    blables qui ne se touchaient que par le mal, il y eut une minute de silence formidable. Seulement, Concini, dun pas souple, alla jusqu la porte sassurer que nul npiait Puis il revint Lo-nora. son tour, il se pencha sur elle, et de cette voix trange du crime en mditation :

    Si le pre rsiste sil nest pas dans nos mains comme

    une loque Eh bien ? murmura Lonora dans un souffle.

  • 20

    Eh bien ! il reste bien au marchand dherbes du Pont-au-

    Change, Lorenzo, quelques gouttes de cette eau qui ne par-donne pas ! Ce sera pour lenfant !

    Cette fois, dit Lonora avec un calme effroyable, tu as

    compris ! Ils se regardrent, leurs visages tout prs lun de lautre, tout pareils en ce moment, sous le fard des mmes pen-ses mortelles Et tout coup, dans un brusque geste de pas-sion, Lonora attira, enlaa la tte de Concini, et violemment, dun pre baiser frntique, lembrassa sur les lvres.

    Quel ge, lenfant ? demanda Concini en reprenant son

    sang-froid. Elle peut avoir dix-sept dix-huit ans. Elle ! Une fille ! balbutia Concini. Oui. Quimporte, dailleurs. Concino cest aujourdhui

    mme quil faut agir. Il faut que demain matin cette fille se r-veille ici, en notre pouvoir. Et alors, tu las dit, Concino cest toi qui las dit ! Si le pre rsiste, malheur lenfant !

    Ce soir mme, jagirai. O trouverai-je la fille ? Lonora

    rpondit : Meudon. La dernire maison du village, droite, en

    face dune htellerie qui sappelle lAuberge de la Pie Voleuse. Concini vacilla sur ses jambes. Il sentit ses cheveux se h-

    risser sur sa tte, et le froid des pouvantes se glisser comme un reptile glac le long de son chine.

    Son nom ? rla-t-il. Le nom de la fille du duc

    dAngoulme !

  • 21

    Giselle ! rpondit Lonora Galiga. Le marchal dAncre demeura foudroy, muet dhorreur,

    incapable dun geste, dun mot ou dune pense, Lonora Galiga lenveloppa dun dernier regard ; un sourire livide glissa sur ses lvres ; puis, lente, silencieuse, elle se leva, se retira sans bruit, pareille un spectre qui rentre dans ses tnbres

  • 22

    III

    Adhmar de Trmazenc de Capestang.

    En la matine de ce mme jour o sbauche le drame qui bientt nous ramnera lhtel dAncre, un jeune cavalier dune vingtaine dannes galopait nonchalamment dun petit galop flneur, quelques lieues de Longjumeau.

    Mince, de taille hardie, souple comme un roseau mais un

    roseau dacier il avait une figure irrgulire et narquoise, belle sa faon, dune audace ingnue, dune tmrit qui signore. Ses yeux disaient sa confiance illimite en son toile. Il portait avec une crne lgance un costume en velours gris perle, quelque peu rp : pourpoint, manteau, hautes bottes mon-tantes, chapeau de feutre dont le bord se retroussait en bataille sur une longue plume ondoyante sans compter une solide ra-pire poigne de fer cisel, forge par Miranda, de Tolde.

    Tout coup, le cheval sarrta devant un large ruisseau :

    ctait la jolie rivire de Bivre qui paressait au soleil. Elle lon-geait cet endroit lore dune fort. La route qui franchissait la rivire sur un ponceau situ une lieu en amont, pntrait, l, dans la fort o elle se perdait.

    Sur cette route, vingt pas du ruisseau, tait arrt un car-

    rosse invisible pour notre jeune cavalier, abrit quil se trou-vait derrire un opaque rideau de jeunes ormes. Et du fond de la voiture, travers les frondaisons, une femme guettait le jeune homme qui, dfaut dautre interlocuteur, bavardait avec son cheval :

  • 23

    a nous apprendra, mon digne compagnon, nous appe-ler Fend-lAir. quoi servirait-il de sappeler Fend-lAir, sil fal-lait passer les rivires sur des ponts, comme tout le monde ? Si nous tombons, nous rebondirons comme Ante ou Centaure. Et si nous nous dfonons quelque cte, du moins notre dfaite naura-t-elle pour tmoins que le soleil et ces fleurs. Hop, Fend-lAir, hop, hop !

    Le cavalier avait pris du champ. Le cheval savanait sur

    lobstacle au galop de mange, ramass, frmissant, secouant de lcume, se tendant comme un ressort chaque foule. Brus-quement, lhomme rendit les rnes ; lanimal se rua en tempte ; il eut deux ou trois envoles de poitrail ; puis, les quatre fers tincelrent ; un bondissement prodigieux dans lespace ; linstant daprs, sur lautre rive, un hennissement de triomphe et Fend-lAir, emport par llan, fona sur la route jusque sous bois, pour aller sarrter quelques pas du carrosse invi-sible.

    Bravo ! Fend-lAir ! cria le cavalier en accablant de flatte-

    ries lencolure de la vaillante bte. Bravo ! Merveilleux ! Merveilleux ! rpondit une voix du fond des frondaisons.

    Le jeune homme se redressa effar. Ouais ! fit-il. Serait-ce ici la demeure du seigneur cho ? Vraiment merveilleux, reprit en se montrant alors la

    dame du carrosse. Mais ne pas vouloir suivre la route banale, vous risquez de vous tuer, mon gentilhomme !

    La petite de Longjumeau ! murmura le cavalier. Ce

    ntait pas la peine de quitter la route pour la fuir ! pour rver mon aise ma belle amazone en velours bleu ! La reverrai-je jamais ! Son regard ma pntr jusqu lme, et

  • 24

    Vous ne me rpondez pas, monsieur ! fit linconnue in-terrompant cette rverie.

    La peste soit de lenrage, pour jolie quelle soit ! Excu-

    sez-moi, madame. Et tout en pestant, le cavalier gratifia celle quil appelait la

    petite dun grand salut de son feutre. Ctait presque une enfant. On lui et donn quinze ans. Elle tait dune beaut capiteuse, clatante, avec une physionomie dtrange hardiesse, des yeux dj pervers et encore timides.

    Ainsi, reprit-elle, comme vous me le disiez Longju-

    meau, vous allez au hasard, cest--dire nulle part ? Si fait, madame, fit vivement le jeune homme. Ce hasard,

    pour le moment, me conduit quelque part, et, sil faut tout dire, je vais Paris.

    Moi aussi ! scria ltrange jeune fille en clatant dun

    rire nerveux et dpit. Et, dites-moi, mon cher compagnon de voyage, quallez-vous faire, Paris ?

    Mon Dieu, madame, je vais y faire fortune ! rpondit le

    cavalier avec une belle navet. Tiens ! Toujours comme moi ! Voyons, faisons-nous

    route ensemble ? Je puis vous tre utile. Je connais du monde Paris ; par exemple, M. lvque de Luon, qui est bien en cour et qui je suis fort recommande. Je lui parlerai de vous.

    Mille grces, madame. Mais moi aussi je suis recomman-

    d. Et savez-vous qui ? lillustre marchal dAncre en per-sonne ! Et quant faire route avec vous, ce me serait un pr-cieux honneur que descorter votre chaise, mais, comme je vous lai dit

  • 25

    Elle eut un nouvel clat de rire qui dcouvrit une double

    range de perles blouissantes serties dans lcrin de velours carmin de deux lvres en fleur.

    Adieu donc ! reprit-elle. En tout cas, coutez. Je descen-

    drai rue de Tournon, en lhtellerie des Trois Monarques. Si le hasard qui, parat-il vous guide, et dirige vos actions, si ce ha-sard, donc, veut que vous ayez envie de me revoir, venez me demander l Vous demanderez Mlle Marion Delorme.

    * * * *

    Notre jeune homme tait demeur la mme place, et dj

    le carrosse qui emportait Marion Delorme avait disparu ses yeux, lorsquune voix le tira de sa rverie. Il releva vivement la tte et se vit en prsence dun tout jeune gentilhomme qui avait fort grand air et montait un superbe rouan pourvu dun porte-manteau. Et ce nouveau venu portait lui aussi, un costume en velours gris perle.

    Monsieur, dit-il, voici prs de trois minutes que je tourne

    autour de vous. Trois minutes ! Cest bien long ou bien court. Ce que jai vous dire sera plus court encore ! fit

    linconnu, qui semblait agit de fureur. Parlez donc ! dit notre jeune homme. Seulement, je vous

    prviens, si court que doive tre votre discours, que ma patience sera encore plus courte. Quavez-vous me dire ?

    Ceci : que, lauberge de Longjumeau, vous avez parl

    cette jeune fille qui vient de passer ici.

  • 26

    Vous voulez dire quelle ma parl. Lun ou lautre me dplaisent galement. Et il me dplat

    aussi que vous vous soyez arrt en ce lieu pour lui parler en-core.

    Est-ce tout ? grommela le matre de Fend-lAir en se

    campant firement. Non, je veux vous dire encore que vos airs de capitan

    sont peut-tre de mode la Comdie-Italienne, mais que entre gentilshommes, ils sont dun got dtestable.

    Monsieur, dit froidement notre aventurier, le capitan de

    la comdie na quune pe en bois, tandis que la mienne est en acier tremp, tout fait capable de faire rentrer dans la gorge des amoureux transis les impertinences quils dbitent. Dgai-nez linstant, sil vous plat !

    Nous voici daccord ! fit linconnu, qui reprit aussitt un

    ton de parfaite politesse. Seulement, mon cher adversaire, joserai vous adresser une prire. Je suis fort press de courir aprs cette chaise de poste.

    Bon. Vous voulez du crdit, nest-ce pas ? Accord ! Vous tes charmant. Soyez-le donc jusquau bout, et ve-

    nez, dans trois jours me demander djeuner. Puis, nous irons nous couper la gorge.

    merveille. Et o devrai-je vous rejoindre pour vous

    donner une petite leon descrime. Votre dernire leon. Mais lhtellerie des Trois Mo-

    narques, rue de Tournon, Paris. Cest l que nous prendrons rendez-vous pour la petite saigne qui vous soulagera.

  • 27

    Trs bien. Maintenant, dites-moi : moi, je me nomme

    Adhmar de Trmazenc, chevalier de Capestang. Et vous ? Monsieur, dit linconnu, je mappelle Henri de Ruz

    dEffiat, marquis de Cinq-Mars. Les deux jeunes gens, dun seul geste, se dcouvrirent, lais-

    sant pendre trs bas leurs chapeaux, et sinclinrent jusque sur lencolure de leurs chevaux.

    Puis, se redressant, chacun deux excuta une demi-volte,

    et ils partirent : le marquis de Cinq-Mars sur la route quavait prise le carrosse, le chevalier sur un sentier qui tournait gauche.

    Bon ! murmura celui qui portait ce nom excessif de Ad-

    hmar de Trmazenc de Capestang, me voici avec un duel sur les bras ! Ce nest pas cela qui maidera me retrouver ! et une sorte dangoisse ltreignit la gorge.

    Au bout dune heure, il se trouva tout fait gar. Alors, il

    sarrta au premier bouchon quil rencontra, et sattabla sous une tonnelle, devant une jolie omelette et un cruchon de petit vin blanc.

    Le soleil tant un peu tomb, il se remit en selle, et lhte,

    en venant lui verser le coup de ltrier, lui indiqua son chemin : il navait qu suivre la route travers bois pour arriver au vil-lage de Meudon, et de l Paris.

    Le chevalier de Capestang se remit donc en route, rvant

    son duel avec le marquis de Cinq-Mars, rvant Marion De-lorme, rvant surtout lamazone au costume bleu qui, la veille, Longjumeau, avait produit sur lui une si profonde impression,

  • 28

    enfin, rvant aussi cet illustre Concini, ce marchal dAncre, pour lequel il avait une lettre de recommandation.

    Notre aventurier saperut tout coup que non seulement

    il se faisait tard, mais encore que sa monture, par caprice, avait pris un sentier qui scartait de plus en plus du grand chemin royal. Rassemblant alors ses rnes et faisant entendre un cla-quement de langue familier son cheval, le jeune routier se di-rigea droit vers le chemin de Paris.

    Comme il allait latteindre, et quil nen tait plus spar

    que par un taillis assez pais, il sarrta court : l, sur la route, quelques pas de lui, il y avait un homme et une jeune fille qui, dune voix basse, changeaient des paroles violentes. Des pa-roles quil nentendait pas Mais la vue de la jeune fille, Ad-hmar de Trmazenc chevalier de Capestang, prouva comme un blouissement ! Son cur se mit battre grands coups sourds, et une sorte dangoisse ltreignit la gorge.

    Elle ! Puissance du ciel ! Cest elle !

    * * * * Lhomme et la jeune fille, tous deux cheval, taient arr-

    ts au milieu de la route, face face, avec des physionomies vio-lentes comme les paroles quils changeaient dans un murmure sourd et rapide : passion, cynisme et menace chez lui ; terreur, mpris, haine chez elle.

    Giselle, coutez-moi, grondait lhomme dun accent de

    menace. coutez-moi avant quil ne soit trop tard ! Et cest de-main matin, que dis-je ! ce soir mme quil sera trop tard ! Je puis vous sauver dun effroyable danger, vous et votre pre ! et en change de mon dvouement

    Votre dvouement mest odieux !

  • 29

    En change de lhumble amour dun homme qui vous

    adore et vous a consacr sa vie Chacune de vos paroles est une insulte ! Giselle, en change de ce dvouement et de cette adora-

    tion, je ne vous demande quun regard moins svre, une pa-role oh ! un seul mot despoir !

    Tout ce que je puis faire, cest de ne pas mettre dans ce

    regard le mpris que vous minspirez ; la seule parole que je puisse vous accorder est celle-ci : Passez votre chemin, mon-sieur !

    Ces paroles se succdaient, se frappaient, se heurtaient, ra-

    pides comme les battements dpe dun duel mort. Est-ce votre dernier mot ? rugit sourdement lhomme

    avec une rage concentre. Allez, monsieur ! rpondit la jeune fille dune voix de

    souveraine dignit. Eh bien ! donc, gronda lhomme, livide de fureur et de

    passion, ne ten prends qu toi-mme si labme souvre sous tes pas, si ton pre meurt dans le dsespoir, et si toi-mme tu pris misrablement car, jen jure Dieu

    ces mots, lhomme, comme sil net pu se contenir da-

    vantage, poussa son cheval sur celui de la jeune fille, blanche comme un lis. Et Concino Concini, marchal dAncre leva la main, une main rude de sacripant, pour saisir la fille du duc dAngoulme ! Elle se renversa en arrire avec un cri dhorreur.

  • 30

    ce moment, quelque chose dimptueux, dirrsistible, quelque chose de semblable un boulet sortit, jaillit de la fort, dans un grand bruit de branches fracasses le cheval de Con-cini recula dans un cart de terreur sous un choc terrible une pe longue, large et solide, flamboya aux rayons du soleil cou-chant, et la voix du chevalier Capestang tonna :

    Arrire, monsieur le drle ! Arrire, monsieur linsulteur

    de femmes ! Arrire, monsieur linfme ! ou par le sang du Christ ta dernire heure est venue !

    Giselle, palpitante, eut la soudaine, rapide et prestigieuse

    vision dun cavalier qui lui apparaissait comme dans une gloire, un flamboiement de beaut furieuse. Et ce cri de joie, despoir, dorgueil retentit dans son tre, au plus profond, au plus secret de son cur :

    Lui ! Henri de Cinq-Mars ! Blafard, balbutiant, une sueur froide au front, Concini vit

    deux pouces de sa poitrine la pointe de la forte rapire. Dune violente saccade, il recula.

    Quel est ce truand de grande route ! bgaya-t-il. Mis-

    rable, je Va-ten ! rugit Capestang. Sais-tu bien qui je suis ! lchafaud ! la potence ! la tor-

    ture, si Va-ten ! tonna Capestang. Et cette fois, un si terrible

    clair jaillit de ses yeux, une si mortelle dcision parut sur son visage, que Concini, devant ce groupe fulgurant que formaient ce cavalier, ce cheval prt bondir, cette rapire prte tuer, Concini sentit le froid de lagonie pntrer jusqu ses moelles.

  • 31

    Cest bien ! balbutia-t-il de ses lvres cumantes de rage,

    blanches de terreur. Et il se recula de quelques pas. Le chevalier de Capestang

    volta, se trouva face Giselle. Une seconde ils se regardrent, tremblants tous deux de la mme profonde et lointaine motion dont ils ne connaissaient pas les sources mystrieuses. Il sinclina devant la jeune fille immobile, ple, semblable quelque admirable statue qui se ft anime au souffle dune pense damour.

    Madame, dit-il avec une infinie douceur, tant que jaurai

    lhonneur de me trouver prs de vous en cette circonstance, je vous supplie de ne plus rien craindre

    Elle secoua sa tte charmante, un reflet de fiert nimba son

    front. Je ne crains rien, monsieur, mais remerci soyez-vous du

    fond de mon cur ce moment, Concini, saisissant un sifflet dargent sus-

    pendu son cou, gronda une imprcation furieuse. Dans le mme instant, le coup de sifflet strident dchira le silence des bois. Et alors, le bruit dune furieuse galopade se fit entendre.

    Saisissez cet homme ! hurla Concini. Huit ou dix cava-

    liers se rurent sur le chevalier de Capestang. Et Concini lui-mme, un rire terrible au coin des lvres, marcha sur Giselle ! Et, dans un geste de triomphe, il leva la main sur elle. Le jeune homme enveloppa les flancs de Fend-lAir dune puissante pres-sion ; lanimal se rua dun bond furieux ; des cris, des hurle-ments, des maldictions retentirent ; Fend-lAir, dans la vivante muraille des assaillants, faisait une troue, une brche san-glante, et passait.

  • 32

    Aussitt, Capestang sautait terre et, de sa ceinture, tirait

    un poignard solide. Et, dans le moment prcis o Concini allait saisir Giselle, son cheval vacilla, frapp au poitrail, et sabattit avec un hennissement de douleur. Et il vit Capestang, lpe la main, devant la monture de Giselle.

    Garde vous, monseigneur ! vocifrrent les acolytes de

    Concini, qui, aprs le premier moment de stupeur, se jetaient en masse serre sur le jeune homme.

    Sus ! sus ! Pas de quartier ! Fuyez, mademoiselle, dit Capestang qui, dun coup

    dpe, carta le plus avanc. Non ! rpondit doucement Giselle. mort ! mort ! hurlrent les forcens, fous de rage. Vous allez me faire tuer, reprit Capestang qui para un

    coup destin lui fendre le crne. Prenez-le vivant ! rugit Concini, qui, excellent cavalier,

    tait retomb sur ses pieds. Tandis que, seul, je puis men tirer, continua le jeune

    homme. vous, monsieur ! Vous tes mort. Un homme tomba. Deux autres taient blesss. Concini d-

    faillait de fureur. Et dans ce tumulte, dans le choc et lclair des pes, parmi les jurons et les vocifrations au centre de ces vi-sages flamboyants, ctait trange et sublime, ctait digne des popes homriques, cet entretien paisible de Giselle et de Ca-pestang.

  • 33

    Giselle, ple comme une morte, se pencha vers le jeune homme au moment o celui-ci dj tout dchir, tout sanglant, se redressait aprs un coup droit.

    Sangdieu ! Mordieu ! Corps du Christ ! Il a le diable au

    corps ! Mort de tous les diables, nous le pendrons ! Nous lcorcherons vif !

    Mademoiselle, rla Capestang, si vous restez une minute

    de plus, je suis mort ! Adieu donc, murmura-t-elle, adieu. Peut-tre ne vous re-

    verrai-je jamais, mais vous vivrez l, tant que je vivrai. La jeune fille plaa la main sur son sein palpitant, et Capes-

    tang se sentit frmir jusqu lme. Dans le mme instant, Con-cini jeta un hurlement. Giselle, piquant son cheval, disparaissait dans un galop effrn.

    Sus ! sus ! Arrtez-la ! Rinaldo, mille cus, si tu la rat-

    trapes ! nous deux, Fend-lAir ! cria Capestang. Dun bond, il

    fut en selle. Dun autre bond il fut au milieu du chemin. Rinaldo et ses compagnons, enchants peut-tre de sloigner dun si rude jouteur, se prcipitaient la poursuite de Giselle.

    On ne passe pas ! tonna Capestang. Il navait plus quun tronon dpe la main ; le sang lui

    coulait dune paule, et dun bras, et dune estafilade au cou ; il tait dchir, hagard, hriss, flamboyant dune sorte de folie ; les rayons du soleil filtrant travers les feuillages le nimbaient dor, et, dans ce nimbe fulgurant, son profil maigre se dtachait en mdaille, sa fine silhouette, campe sur la formidable sil-houette de Fend-lAir, prenait une attitude pique. Il ft mort,

  • 34

    l, dans cette minute, sans sapercevoir quon le tuait. Les bles-sures, il ne les sentait pas. Le sang, il ne le sentait pas. Il vivait un rve fantastique et terrible.

    Place ! Place ! rugirent les cavaliers. Et ce fut alors une de ces rapides visions comme en en-

    gendre la fivre. Fend-lAir, le gigantesque Fend-lAir, lapocalyptique Fend-lAir, comme pris de vertige et de dlire, tenait toute la route en ses bondissements prodigieux ; il tait ici, il tait l : il dtachait de formidables ruades ; il pointait, plongeait, se dressant tout debout, voltait, virevoltait, face en avant, face en arrire, cumant, hennissant, se secouant, sbrouant non, non ! pas moyen de passer on ne passe pas ! Un cheval tomba, le poitrail fracass dune ruade On ne passe pas ! Un autre sabattit, le genou bris le soleil plongeait lhorizon, des imprcations normes fusaient, jaillissaient, bon-dissaient, et toute cette scne frntique tait domine par la voix plus frntique de Capestang : On ne passe pas !

    Cela dura trois minutes. La plupart des hommes de Concini

    taient dmonts ; trois ou quatre gisaient sur la route ; les autres reculrent Capestang tait vainqueur, Giselle avait dis-paru depuis longtemps. Concini prit sa tte deux mains et pleura. Son regard de flamme un instant suivit le jeune aventu-rier, qui sloignait dun bon trot.

    Ah ! murmura-t-il alors, dix ans de ma vie pour te tenir,

    te manger le cur, te brler petit feu, et jeter tes restes aux chiens !

    Je men charge ! fit prs de lui la voix de Rinaldo. Je vous

    retrouverai ce fou furieux, monseigneur, et, quant la petite tout nest pas perdu ! Souvenez-vous de Meudon !

  • 35

    IV

    Le chteau enchant.

    Le soir venait ; les masses dombres slargissaient au fond des bois. Sur la route blanche, Fend-lAir trottait, le nez au vent, le genou haut, la queue en panache. Le chevalier de Capestang, dchir, poudreux, sanglant, la tte fivreuse, impuissant coordonner les mille penses qui sentrechoquaient dans son imagination exorbite, tout hriss, tout grondant, tout tumul-tueux encore de ce rve trange quil venait de vivre, de cette bataille o il avait senti des forces inconnues se dchaner en lui, le chevalier, donc, laissait aller sa monture nayant plus quune ide claire :

    Aller trouver ds le lendemain le tout-puissant personnage

    auquel il tait recommand : Concino Concini, marchal dAncre ! Lui raconter lalgarade, entrer son service, et sen faire un protecteur tout-puissant.

    Car, se disait-il, lhomme que jai attaqu est videmment

    trs haut plac, quelque prince, peut-tre. Jai entendu ses gens lui donner du monseigneur ! Ae ! pauvre Capestang, si tu nobtiens une sauvegarde de lillustre marchal dAncre, je ne donnerais pas une demi-pistole de ta peau ! Paris, vite, Pa-ris ! Hop, hop, Fend-lAir !

    Mais en arrivant aux premires maisons de Meudon,

    comme la nuit tombait, il se sentit si faible par la perte de son sang quun brouillard stendit sur ses yeux ; il comprit quil ne pouvait aller plus loin. Il avisa une auberge, y entra, installa Fend-lAir devant une mangeoire de lcurie et se fit donner une chambre. Celle o on le conduisit tait un cabinet qui donnait

  • 36

    sur la route. Cependant, aprs avoir fait lloge de la chambre et de lhtellerie, lhtesse qui examinait avec inquitude les vte-ments en lambeaux de laventurier, ajouta :

    Excusez-moi, mon gentilhomme, mais lauberge de la

    Pie Voleuse, nous sommes dans lhabitude de faire payer davance.

    Vivement, le chevalier chercha sa bourse pauvre bourse

    qui contenait une vingtaine de doubles pistoles, toute sa for-tune. Si maigre que ft cette bourse, elle ne ltait pas au point dtre introuvable. Or, Capestang ne la trouva pas : il lavait perdue pendant la bagarre ! Il plit un peu, puis rougit, puis plit encore.

    Ma bonne dame, dit-il, les harnais de mon cheval vous

    serviront de gage si dici demain je nai pas trouv la bourse qui tait dans cette poche et qui ny est plus.

    La patronne de la Pie Voleuse sortit sans faire

    dobservation, mais aussi sans demander son hte ce quil voulait boire ou manger. Et Capestang ft mort sur place plutt que de demander maintenant un morceau de pain et un verre deau. Il trana lunique fauteuil de la chambre jusqu la fentre quil ouvrit dans lespoir que les brises nocturnes rafrachiraient son front brlant. ce moment lhtesse, qui peut-tre coutait derrire la porte, se montra et dit :

    Jai oubli de vous recommander de ne pas vous attarder

    la fentre, cause de la maison den face qui est hante. On y voit apparatre une dame blanche. On y entend des gmisse-ments, bien que le logis soit inhabit peut-tre depuis cinquante ans. Enfin, bref, cela porte malheur de regarder la nuit cette demeure. Bien que vous soyez sans argent, je fais mon devoir en vous prvenant. Bonsoir.

  • 37

    La revche htesse disparue, aprs cet trange avertisse-ment, Capestang haussa les paules et, prs de la fentre, sallongea dans le fauteuil en grommelant :

    Jai lenfer dans le gosier et lestomac dans les talons.

    Mordieu, que jai soif ! Et faim ! Qui pouvait tre ce sei-gneur ? Morbleu, que jai donc soif !

    Il secoua la tte et leva les yeux vers les toiles qui, de l-

    haut, le regardaient doucement. Puis ses yeux, machinalement, redescendirent sur terre et se posrent sur une masse confuse qui se dressait de lautre ct de la route ; la mystrieuse maison quau dire de lhtesse, il tait dangereux de regarder la nuit !

    Lun aprs lautre, les bruits de lhtellerie se turent, les

    rares lumires du bourg steignirent, ce majestueux silence de la nature endormie dans les tnbres pesa sur toutes choses ; la faim, la soif, la fivre tourmentaient le jeune homme ; dans sa tte endolorie, des images estompes, imprcises, passrent, rapides et muettes ; le seigneur inconnu quil avait attaqu, la jeune fille quil avait dfendue, le jeune marquis de Cinq-Mars, Marion Delorme et mme la dame blanche du logis hant se mlrent dans ses rves fivreux Capestang stait endormi, l, dans ce fauteuil, prs de la fentre ouverte

    Un grand cri, tout coup, dchira ce profond silence et r-

    veilla le chevalier, qui se dressa, loreille tendue. ce moment, lhorloge du clocher se mit sonner, et Capestang compta les coups graves du bronze.

    Minuit ! murmura-t-il. Je rvais que jentendais un cri.

    Allons, il est temps que je me Une plainte touffe linterrompit une succession de

    plaintes des appels sourds un bruit de lutte des gmisse-ments

  • 38

    La tte en feu, les yeux hagards, la sueur au front, Capes-

    tang coutait ces rumeurs. Oh ! murmura-t-il, est-ce que vraiment la maison den

    face est hante ! Oh ! mais on dirait quon tue, quon gorge, l-dedans ! Oh ! ces plaintes qui me dchirent le cur !

    Capestang en parlant ainsi, enjambait lappui de la fentre.

    Dun coup dil, il mesurait la distance qui le sparait du sol Il y eut dans la nuit noire la chute rapide dune ombre, puis un bruit mat : Capestang venait de sauter ! Dun bond, il fut la porte de la maison mystrieuse et, du pommeau de lpe, se mit frapper rudement. Une dernire plainte lui parvint, loin-taine, touffe. Puis le silence rgna, mystrieux, indchiffrable, et Capestang nentendit plus que les longs chos funbres veil-ls dans la maison par les coups quil frappait sur la porte.

    Je saurai ! fit-il. Je saurai ce qui se passe l-dedans. Par

    la mre qui me mit au jour ! Je ne sais si cest la faim, ou la soif, ou le dlire, mais jenrage de curiosit.

    En parlant ainsi, le jeune homme stait mis longer la fa-

    ade de la maison puis, son tronon dpe la main, il courut le long dun mur qui, brusquement, senfonait travers champs ; au bout de cinq minutes de cette course, il parvint un endroit o le mur stait boul : il y avait l une sorte de brche ; il la franchit.

    ce moment, la lune monta par-dessus la cime des arbres

    et claira ce dcor de ses rayons bleutres, dont les coules pas-saient entre les masses de feuillage et jetaient des reflets fantas-tiques. Capestang vit quil se trouvait dans un parc. Au fond, vers la route, il apercevait la face darrire de la maison hante.

  • 39

    Ce logis avait un aspect seigneurial. Ctait une faon de castel construit dans ce got charmant de la Renaissance. Le parc qui lentourait tait immense. Mais la maison semblait demi ruine, ronge par le temps ; mais le parc tait touffu comme la chevelure inculte de quelque Polyphme.

    Capestang se sentait attir comme par une force magn-

    tique vers ce logis. cartant dune main les ronces qui le frap-paient au visage et, pareils des gnies dfendant lentre du chteau enchant, le saisissaient aux jambes, tenant de lautre main son tronon dpe, il monta le perron, et, palpitant, ton-n, pntra dans un vestibule clair faiblement par une lampe suspendue au plafond.

    O suis-je ? murmura-t-il. Est-ce la fivre qui me trans-

    porte dans une illusion de rve ? Ce doit tre le chteau de quelque princesse enchante ? la dame blanche dont parlait mon htesse ?

    Au fond du vestibule, un escalier commenait. Capestang

    se mit monter. En haut, il sarrta dans une grande belle salle, et, le cou tendu, couta le silence. Alors, dune voix forte, il cria :

    Hol ! Ny a-t-il donc personne ici ? Qui a cri ? Qui a ap-

    pel au secours ? Voici le secours ! Nul ne rpondit. Le silence demeura profond.

    Rapidement, le jeune homme parcourut diverses salles

    dont toutes les portes taient ouvertes, et bientt il fut convain-cu quil se trouvait seul dans la mystrieuse maison.

    Il parat que jarrive aprs la bataille ! fit-il. Ou plutt,

    est-ce que ces cris, ces plaintes de tout lheure ne seraient que des imaginations ? Jai rv, pardieu ! Je mtais endormi, et jai fait ce songe quil se commettait ainsi un crime Oh ! quest cela ?

  • 40

    Capestang venait dentrer dans une pice assez vaste o il

    ny avait aucun meuble. Seulement, aux quatre murs taient accrochs de nombreux costumes complets, depuis les feutres tous pourvus de la mme plume rouge jusquaux bottes, toutes en cuir fauve. Il y avait l de quoi habiller cinquante hommes.

    Est-ce donc ici la friperie diabolique des gnomes et lu-

    tins ? Beaux costumes ! Que ne suis-je un de ces farfadets auxquels ils sont destins ! (Capestang sapprocha et dcrocha un manteau.) Superbe manteau de velours, bien fourr de soie ! Bah ! le mien nest doubl que de toile bise, mais je taime mieux, mon vieux manteau, compagnon fidle des heures de pluie et de bourrasque Quant ce pourpoint (il dcrochait le pourpoint en question), javoue quil est intact, que dis-je ! tout neuf, tandis que le mien porte autant dentailles quen pouvait porter celui de Roland quand ce hros mourut Roncevaux, ainsi que je lai lu parmi ces fabliaux et chansons de gestes que possdait madame ma mre. Je regrette que ce pourpoint ne soit pas moi.

    Capestang poussa un soupir, raccrocha le vtement, qui

    tait lgant et solide, tel quil convient un gentilhomme par-tant pour quelque expdition, puis il le dcrocha de nouveau et tomba dans une mditation admirative.

    Je ne me souviens pas, dit-il, avoir jamais port un pour-

    point neuf ; ceux que me confectionnait madame ma mre taient taills dans les vieux pourpoints du chevalier mon digne pre. Cest curieux. Tous ces pourpoints se ressemblent. Et si jen essayais un ? O serait le mal ? Il me semble quon doit prouver quelque motion se draper de neuf. motion pr-cieuse que je ne connais pas encore

  • 41

    Cinq minutes plus tard, aprs deux ou trois essais, le jeune homme avait revtu lun des pourpoints ; il lui seyait mer-veille. Religieusement, il accrocha son vtement trou, dchir, la place de celui quil venait de prendre.

    Ah ! on respire, l-dedans ! Il me parat que je vaux vingt

    pistoles de plus. Lmotion est assez agrable Si je continuais, pour voir ?

    Dessai en essais, dmotion en motion, Capestang se

    trouva bientt habill de neuf depuis le feutre plume rouge jusquaux bottes de cuir fauve montant au-dessus des genoux.

    Je remettrai tout cela en place, en men allant, fit-il. Pour

    quelques minutes, je veux pouvoir regarder dans un miroir ma propre image ainsi pare. Non, Capestang tu nes plus toi. Tu noseras pas te reconnatre. Et tu te salueras comme un prince. Un prince ? ajouta-t-il avec un sourire dpourvu damertume, mais non de mlancolie pauvre, sans sou ni maille, gueux comme le Job des Saintes critures, puisque jai perdu ma bourse, je nai pas mme de quoi apaiser la faim et la soif dont lune me tenaille le ventre et lautre massassine la gorge

    En parlant ainsi, le chevalier ouvrait une deuxime porte. Il

    demeura bahi, les yeux arrondis par ladmiration, merveill, les narines dilates. Simplement, il rpta :

    Oh ! oh ! Quest cela ? Cela ? Ctait une table toute servie pour quatre convives,

    dont les quatre siges taient disposs autour dun pt encore revtu de sa crote dore, dun beau chapon flanqu de bcas-sines, dautres succulentes victuailles et de nombreux flacons de panse et de fumet vnrables.

  • 42

    Srement, dit Capestang, on attendait ici un prince. Toute la question est de savoir si je puis dcemment mes propres yeux passer pour le prince attendu. Et pourquoi pas, puisque jen porte le costume ? Et je puis ajouter que jai en ce moment lestomac dun roi, si toutefois les rois ont royalement faim. Ce sige ntait peut-tre pas pour moi. Mais puisquil est inoccup et encore, je ne prends quune place sur quatre. Ainsi ferai-je de ce pt.

    Tout en parlant, il stait assis et se carrait dans lun de ces

    beaux fauteuils. Dj, il enfonait le couteau dans le pt, quil partagea scrupuleusement en quatre parties gales. Puis il atta-qua le poulet, dont il eut soin de ne prendre quun quart : il y avait huit flacons sur la table, il en but deux seulement. Vers deux heures du matin, Capestang ayant achev ce repas qui, sil ne tombait pas du ciel, nen venait pas moins au meilleur mo-ment, Capestang, donc, commenait voir la vie en rose, et trouver que le mtier de prince dans les chteaux enchants tait un charmant mtier. Il se leva donc en fredonnant une chanson de pays, et sapprocha dune superbe chemine contre laquelle tait dpose, debout, une belle et solide rapire. Ca-pestang, le bon vin aidant, vivait dans le rve : il sourit et ceignit la rapire.

    Elle tait l pour moi, cest sr ! pensa-t-il trs sincre-

    ment. Il nen tait plus stonner pour une simple rapire, aprs

    avoir trouv costume complet et succulent dner. Mais aussitt, et pour la troisime fois, il murmura en modulant un sifflement dadmiration et, carquillant les yeux :

    Oh ! oh ! oh ! Quest cela ? Cela, ctait une bourse au ventre arrondi, dont il versa le

    contenu sur la chemine ; elle contenait deux cents pistoles.

  • 43

    Prs de la bourse, il y avait une feuille de parchemin et une cri-toire. Capestang devint grave. Une minute il demeura plong dans une sorte de stupfaction. Puis, avec le geste de se dchar-ger de penses gnantes, il se mit compter quarante pistoles et les engouffra dans sa poche. Saisissant alors une plume, debout devant la haute glace de la chemine, le marbre lui servant de support, il traa ces mots sur le parchemin :

    Moi, Adhmar de Trmazenc, chevalier de Capestang,

    joffre mes remerciements la dame de ce chteau, et dclare lui avoir emprunt :

    1 Un costume complet de cavalier ; 2 un dner exquis ; 3 quarante pistoles. Pour le costume, je lui rendrai dix costumes ds que jaurai

    fait fortune ; pour le dner, un bouquet de fleurs rares ; pour les quarante pistoles, vingt doubles pistoles ; pour le charme de cette hospitalit mystrieuse, je lui engage ma vie

    Capestang signa cette reconnaissance de dette si trange-

    ment formule, mais profondment sincre. Libre ds lors de tout souci vis--vis de ses htes inconnus, puisquil sengageait rembourser, il sexamina dans la glace avec une certaine com-plaisance. ce moment, un frisson le secoua tout entier. On a pu voir que ce jeune homme tait brave. Mais ce quil voyait sans doute devait tre effrayant, car il plit et demeura les yeux fixs avec stupeur avec terreur ! sur cette glace qui lui ren-voyait une image soudain apparue dans cette salle une femme toute vtue de blanc le visage livide le sein em-pourpr par une tache sanglante !

    Et cette spectrale apparition rivait sur lui des yeux

    tranges, hagards, sans expression humaine ! Ce pouvait tre une morte sortie du tombeau ! Ce pouvait tre un fantme Et

  • 44

    ctait effrayant comme une illusion de dlire ou de suggestion de lenfer !

    Il la voyait dans la glace, immobile, blanche, roide comme

    un fantme. Il la voyait arrte dans lencadrement de la porte, effrayante avec cette tache rouge au sein, tache de sang, peut-tre. Il la voyait, et il demeurait ptrifi, les cheveux hrisss. Il murmura :

    Cest la dame blanche signale par mon htesse. Je suis

    dans une maison spectres. Cest indubitable. Eh bien ! me voi-ci en jolie posture, moi, voyons si je me souviendrai quelque prire, de celles que menseignait ma mre.

    Capestang, dans toute la sincrit de son me, se mit bal-

    butier : Pater noster qui es in in quoi ? Voyons qui es in

    jy suis : clis ! Un clat de rire le fit vaciller. Mais presque aussitt, cette

    premire impression de superstitieuse pouvante svanouit tant le rire de la dame blanche tait douloureux, humainement douloureux. Capestang se retourna alors, et vit que cette femme blesse au sein de quelque coup de poignard se retenait au mur pour ne pas tomber. Elle allait mourir peut-tre ! Et pourtant elle riait !

    Madame, dit Capestang qui savana vivement en es-

    suyant la sueur de son front, daignez me pardonner la faiblesse indigne qui ma saisi votre apparition, alors que jeusse d me prcipiter pour vous soutenir, vous secourir

    En mme temps, il avait saisi linconnue dans ses bras et la

    portait jusqu un fauteuil.

  • 45

    tes-vous gravement blesse ? reprit-il. tait-ce vous qui, tout lheure, appeliez au secours ? Hlas ! je vois que je suis arriv trop tard Dites puis-je

    Charles est parti, murmura linconnue. Adieu mon amour

    et ma jeunesse ! Le jeune homme demeura interdit. Alors seulement il re-

    marqua que les admirables yeux bleus de la dame blanche taient hagards. Il remarqua que ses cheveux taient dun beau blanc dargent, et pourtant cest peine si ce visage demeur adorablement jeune portait trente ans.

    Et elle ! continua linconnue en se tordant les mains avec

    dsespoir. Ils me lont enleve. Courez ! oh ! courez, qui que vous soyez ! Sauvez-la !

    Qui, elle ? scria Capestang, violemment mu. Qui faut-il

    sauver ? De grce, madame, disposez de moi Qui tes-vous ? Quest-il arriv ?

    La dame blanche parut tout coup oublier tout dsespoir. Qui suis-je ? fit-elle dune voix douce et chantante, voile

    dune indicible mlancolie : mon nom est celui dune humble fleurette des bois : on mappelle Violetta Ne connaissez-vous pas lhistoire de Violetta, de la pauvre petite violette aime jadis, il y a bien longtemps oh ! aime, voyez-vous, par celui quelle adorait. Et savez-vous bien que celui-l tait un fils de roi ? Fu-gitives amours ! Cela se passait sous le rgne de notre sire Henri troisime, lequel tait loncle de mon bien-aim. Comme cest loin, ce temps dhrosme, dclatante jeunesse, et damour ra-dieux, damour pareil aux aurores de pourpre et dor qui se l-vent dans les ciels purs Et cest fini ! Charles ne maime plus le ciel pur sest assombri, la violette est brise. Pauvre petite fleur, achve de te faner !

  • 46

    Elle disait ces choses avec une infinie tristesse et dun ac-

    cent si doux que le chevalier de Capestang avait envie de pleu-rer.

    Madame, dit-il en sinclinant respectueusement devant

    ce malheur vivant, je devine de telles douleurs dans votre vie que toute consolation venant de linconnu que je suis vos yeux serait vaine, mais

    Silence ! interrompit celle qui se nommait Violetta. De grce, madame Est-ce le nain ? murmura-t-elle en tremblant. Est-ce

    laffreux nain, le sorcier dOrlans ? Est-ce lui qui ouvre la fe-ntre ? Non, non, ce nest pas lui, cette fois ! Mais qui ?

    En mme temps elle se redressa, prta loreille, une af-

    freuse angoisse bouleversa son charmant visage, et elle bgaya : Tais-toi, ma fille ! Ils noseront venir te chercher ici et

    tarracher aux bras de ta mre ! Oh ! les infmes ! Les voici qui montent ! moi ! moi ! Charles ! Charles ! On tue ta fille ! notre enfant !

    Madame de grce ne craignez rien La dame blanche jeta un grand cri, un cri dagonie, une de

    ces lamentations dpouvante comme Capestang les avait en-tendues de sa fentre, et elle se mit fuir. Le chevalier voulut slancer sur ses traces ; il la rejoignit au bas dun escalier, et l, il fut clou sur place par cet trange et douloureux clat de rire de tout lheure. Linconnue, Violetta, puisquelle mme sappelait ainsi, stait arrte, elle se retournait, elle tendait les bras, elle fronait le sourcil, elle rlait :

  • 47

    Que faites-vous ici ? Je vous dfends de me suivre ! Nul

    ne doit pntrer dans ma retraite ! Nul, entendez-vous ! Oh ! si vous tes ce que vos jeunes traits indiquent, si un cur de gen-tilhomme bat sous ce pourpoint, allez

    Mais vous tes blesse, laissez-moi au moins vous Votre parole, interrompit solennellement Violetta. Je

    veux votre parole que vous ne me suivrez pas ! que vous nentrerez jamais plus ici moins que je ne vous appelle !

    Madame par piti pour vous-mme Votre parole ! fit la dame blanche avec une fbrile impa-

    tience. tes-vous homme dhonneur ? Est-ce une pe que vous portez ? Oh ! les jeunes hommes de ce temps ont-ils donc oubli les vieux principes de chevalerie ? Votre parole, vous dis-je !

    Le chevalier sinclina profondment et pronona : Vous lavez, madame. Qui que vous soyez, si tranges que

    soient les circonstances, malgr votre blessure, malgr le d-sordre que je devine en votre pense, pauvre femme, et je noserais vous parler ainsi si je ntais pas sr de ne pas tre compris, oui, ajouta-t-il firement, malgr tout, il ne sera pas dit quune dame aurait fait en vain appel lhonneur dun Capes-tang.

    Cest bien, dit majestueusement Violetta, je vous appelle-

    rai quand jaurai besoin de vous. Capestang allait lui demander o et comment elle

    lappellerait, puisquelle ne le connaissait pas, puisquelle ne savait pas o il allait. Mais dj, la dame blanche montait lescalier lentement, sans se retourner, et bientt elle disparut,

  • 48

    svanouit dans lombre dun corridor, silencieuse comme une apparition de songe. Lesprit perdu, Capestang slana au-dehors, traversa le parc, retrouva la brche, courut lauberge de la Pie Voleuse, et se mit frapper la porte tour de bras.

  • 49

    V

    Les plumes rouges.

    la grande surprise de Capestang, la porte souvrit instan-tanment. Sa surprise devint de la stupfaction quand il vit que cette porte lui avait t ouverte non par un valet endormi, mais par un alerte gentilhomme. Et cette stupfaction elle-mme tourna la sensation de cauchemar lorsque dans ce gentil-homme, il reconnut le jeune Henri de Ruz dEffiat, marquis de Cinq-Mars, avec qui, sur les bords fleuris de la Bivre, propos de Mlle Marion Delorme ou plutt hors de propos il avait eu querelle. Instinctivement, et avant dentrer, le chevalier rabattit son feutre sur ses yeux et, dun pan de son manteau, dissimula son visage.

    En effet, chose bizarre, inexplicable, ctait bien le marquis

    de Cinq-Mars, quil voyait, et il se demandait sil ne se trouvait pas en prsence dun sosie, dun autre lui-mme, dune parfaite copie de Capestang ! Il portait un manteau violet : Cinq-Mars se drapait dans un manteau violet de mme forme ! Il avait revtu un pourpoint et des hauts-de-chausses de velours gris fer : Cinq-Mars portait des hauts-de-chausses et un pourpoint gris de fer ! Il avait parfaitement remarqu la forme de son feutre orn dune plume rouge : Cinq-Mars tait coiff du mme feutre plume rouge !

    Or ! songea le chevalier en entrant, je vis en pleine

    magie, je nage dans de la fantasmagorie. Je sens le sorcier. Je sens le fagot. Je brle, ou Dieu me damne !

    Vous arrivez bien tard ! fit Cinq-Mars.

  • 50

    Ah ! ah ! se contenta de grogner Capestang. Enfin ! Vous connaissez le chemin, nest-ce pas ? Heu ! votre gauche, au bout du couloir. Allez vite. On vous at-

    tend. Et nous avons encore deux retardataires. Oh ! oh ! La sance est commence depuis une heure. propos, ce

    nest pas pour vous retenir, monsieur, mais vous avez le signe lpe, nest-ce pas ?

    Parbleu ! tout hasard, Capestang sortit de dessous son

    manteau son pe, sur la poigne de laquelle Cinq-Mars jeta un rapide coup dil.

    Cest bien, dit le jeune marquis. Allez vite. Je veux que le diable me torde le col ou mtripe si je ne

    suis pas destin me heurter cette nuit tous les genres de folie possibles et impossibles, grommela Capestang en sloignant dans le couloir qui lui avait t indiqu.

    Au bout du couloir, Capestang ouvrit une porte et se trouva

    dans une salle dserte. Mais du fond de cette salle, de derrire une autre porte, lui arriva alors un bruit confus de voix. Le cur battant, il sapprocha. Devant la porte, il sarrta.

    couter la porte ? murmura-t-il. Fi ! ce serait uvre de

    laquais. Entrer ? cest risquer de me faire tuer. Car, de toute vi-dence, les gens qui sont l ont quelque formidable secret gar-der. Men retourner ? Ce serait me livrer tous les aiguillons de la curiosit, et jen deviendrais enrag, je me connais. Laquais ?

  • 51

    Tu ? Enrag ? Lequel des trois pse le moins ? Jentre ! Arrive quarrive !

    Dans la pice o il pntrait ainsi, une vingtaine de per-

    sonnages taient assis. Ils taient tous porteurs des mmes cos-tumes, pourpoint gris de fer, manteaux violets, feutres gris plumes rouges. Trois de ces hommes qui occupaient des fau-teuils placs sur une sorte destrade basse paraissaient prsider cette assemble.

    Au moment o le chevalier entra, toutes les ttes se tourn-

    rent vers lui, puis, sans que cette entre et paru provoquer de surprise, lassemble se remit couter lun des trois hommes qui parlait avec une sorte demphase dans la parole, lattitude et le geste.

    Capestang remarqua que la plupart de ces gens taient

    masqus. Il remarqua que nul ne stonnait de son arrive. Il remarqua quon ne lui demandait pas son nom. De toutes ces remarques, il conclut que les personnages rassembls ne se connaissaient pas entre eux et que le costume seul ainsi que le mystrieux signe lpe suffisaient. Il salua donc gravement, sassit et fit comme les autres, cest--dire quil couta ou du moins il voulut couter : mais juste ce moment, lhomme ter-minait son discours. Un tonnerre de bravos salua cette fin dun discours que Capestang navait pas entendu. En revanche, il en-tendit ses voisins crier tue-tte.

    Vive le comte dAuvergne, duc dAngoulme ! VIVE

    CHARLES X ! Et tout aussitt les mmes voix rptrent ce cri qui fit fris-

    sonner Capestang : Vive notre roi Charles dixime !

  • 52

    Charles X ! murmura le jeune homme. Et notre sire Louis XIII, quen fait-on ? Il nest pas mort, que je sache !

    Charles dAngoulme comte dAuvergne rayonnait. Capes-

    tang lexamina, le pesa pour ainsi dire dun coup dil. Ctait un homme denviron quarante-six ans, les tempes grisonnantes, la figure trs belle, lil audacieux, le sourire amer ; il tait de haute taille, mais aussi dlgante allure. Son visage avait cette pleur de peau des gens qui ont pass de longues annes au fond des prisons ; et, en effet, il y avait peine un an que le fils de Charles IX venait de svader de la Bastille, o Henri IV lavait fait jeter pour se dbarrasser de ses conspirations.

    Pendant que le duc dAngoulme rayonnait, ses deux voi-

    sins de droite et de gauche souriaient dassez mchante humeur. Qui sont ces deux-l ? se demanda Capestang. Des cheva-

    liers de la Triste-Figure ? Et comme pour rpondre cette question muette, celui qui

    tait assis droite du comte dAuvergne se levait et disait : Moi, prince de Joinville, duc de Guise, malgr les droits

    incontestables de la maison de Lorraine au trne de France, droits tablis par mon illustre pre Henri le glorieusement bala-fr. Je dclare mincliner devant le choix que viennent de faire les gentilshommes ici prsents, et, mon tour. Je crie : Vive Charles X !

    Le duc de Guise ! murmura Capestang. Mordieu ! Je suis

    en opulente compagnie opulente ou insense les deux, sans doute ! moins que tout ceci ne soit un rve !

    Celui qui tait assis la gauche du comte dAuvergne se le-

    vait alors, et, un peu ple, les lvres serres par lenvie, pronon-

  • 53

    ait par laccent contraint des paroles que Capestang couta en songeant :

    Hum ! on dirait que chaque mot lui dchire la gorge Il

    va avaler sa langue ! Moi, disait celui qui parlait si contrecur, moi, Henri II

    de Bourbon, prince de Cond, bien que je sois de la famille royale, bien que mon cu porte les trois fleurs de lis, je ratifie le choix qui vient dtre fait, et salue M. le duc dAngoulme pour notre roi lgitime.

    Le prince de Cond ! murmura Capestang. Dcidment,

    je suis en royale socit. Si cela continue, il me semble quil va me pousser une couronne sur la tte, moi aussi !

    La tempte dapplaudissements provoque par les dclara-

    tions du duc de Guise et du prince de Cond sapaisa soudain ; le duc dAuvergne venait de faire un geste, et stait avanc dun pas en avant de son fauteuil. Et vraiment il avait haute mine et royale allure.

    Messieurs, dit Charles, comte dAuvergne, et duc

    dAngoulme, les paroles qui viennent dtre prononces par mes illustres cousins le duc de Guise et le prince de Cond por-tent le dernier coup lautorit de ce roitelet que tous nous ju-geons indigne de rgner sur la premire noblesse du monde. Mon cur enivr de reconnaissance crie merci au trs noble fils de Lorraine. Lpe de conntable, quand je serai sur le trne, ne saurait tre porte par un plus digne. Et ce titre de conn-table de nos armes, il conviendra dajouter celui de lieutenant gnral de notre royaume.

    Un murmure flatteur accueillit cette nomination, car cen

    tait bien une. Guise salua dun air froid. Il tait vident quil avait espr autre chose de cette assemble.

  • 54

    Quant mon illustre comptiteur le prince de Cond,

    continua le prince dAuvergne, il me semble que rien ne saurait mieux rcompenser son dsintressement (il y eut de furtifs sourires dans cette runion qui connaissait lavarice de Cond), que le gouvernement gnral de la Gascogne, de la Guyenne et de la Navarre, avec pleins pouvoirs civils, militaires et finan-ciers.

    ce dernier mot, le visage du prince de Cond sclaira

    dun sourire blafard. Il salua et tout aussitt parut se plonger dans une mditation profonde. Il digrait le morceau royal quon venait de lui jeter et calculait le rendement probable des impts dans les provinces quil aurait gouverner.

    Quant vous ducs, comtes gentilshommes qui, avec moi,

    rvez de relever le prestige de la noblesse franaise, je ne vous promets rien parce que vous avez droit tout. Je ne veux rien tre que le premier gentilhomme du royaume et lexcuteur de vos dsirs. Que chacun de vous, donc (un profond silence ; on et entendu la respiration des apptits qui soulevaient ces vingt poitrines), que chacun, notre prochaine assemble, me remette la liste de ses volonts pour lui et les siens : je dis ses volonts ; davance, je les ratifie.

    Pour le coup, les applaudissements devinrent frntiques. Il pleut des couronnes, fit Capestang en lui-mme, des

    spectres, des sacs dcus, des pes de conntables, des gouver-nements, cest la manne dans le dsert, cest londe sur la terre altre ; si je demandais quelque chose, puisquil ny a qu de-mander ? Que demanderais-je bien, voyons ?

    Messieurs, continuait le comte dAuvergne, voici donc

    termine par votre dcision la querelle qui nous divisait, mes cousins de Guise, de Cond et moi. Je prends ici lengagement

  • 55

    solennel de respecter les droits et privilges de la noblesse. Le comte dAuvergne, messieurs, a trop souffert de larrogance royale pour quen montant sur le trne Charles X oublie que sans vous le pavois na plus dappui et seffondre. Vous criez : Vive Charles X ! Je crie : Vive la noblesse ! Et ce sera lide de mon rgne Maintenant, dispersons-nous. notre prochaine assemble, qui aura lieu dans Paris, le 22 aot, en mon htel, je vous indiquerai les mesures prises en notre con-seil secret pour faire aboutir enfin nos rsolutions. Souvenez-vous que de graves prils nous restent courir. Nous devons dabord nous dbarrasser de lintrigante Marie de Mdicis ; puis de ce pleutre quon nomme Concino Concini, puis de cet oise-leur, de ce misrable fauconnier qui finirait par dtenir la for-tune du royaume si nous ntions l Albert de Luynes ; puis enfin, de cet ambitieux effrn : le duc de Richelieu, lvque au regard de matre ! Il est impossible que des Rohan, des Bouil-lon, des Montmorency, et tant de hauts seigneurs demeurent plus longtemps sous la menace de ce prtre arm dune frule.

    Ici la voix du comte dAuvergne devint plus sourde. Ses

    mains furent agites dun tremblement. Une ombre descendit sur son front, tandis quun clair livide jaillissait de ses yeux. Et dans le silence tragique soudain tomb sur lassemble, il ajouta ces paroles :

    Je vous indiquerai aussi par quels moyens nous devrons

    arriver ce que le trne de France soit libre Messieurs, vous avez condamn ladolescent qui sappelle Louis XIII. Votre sen-tence sera excute !

    Un frisson parcourut lassemble des conjurs tout ples.

    Le duc dAngoulme, comte dAuvergne, acheva avec une fu-nbre solennit :

    Comment ? Je vous le dirai. Mais ds cet instant, mes-

    sieurs, je pourrais presque dcouvrant ma tte (le comte

  • 56

    dAuvergne se dcouvrit, tous les assistants limitrent) et ployant le genou comme le hraut annonciateur des trpas royaux (le comte mit un genou terre), oui, messieurs, je puis dire : le roi est mort !

    Vive le roi ! grondrent sourdement les conjurs, les

    mains tendues dans un geste de serment et les yeux fixs sur Charles, comte dAuvergne et duc dAngoulme.

    * * * *

    Lauberge de la Pie Voleuse tait maintenant silencieuse. Le

    pre de Giselle avait retrouv la porte de lauberge celui quon avait pris lhabitude dappeler marquis de Cinq-Mars, et qui, en ralit tait comte, son pre vivant encore. Charles dAngoulme serra dans ses bras avec une effusion de reconnaissance le fils du vieux marquis, auquel il devait davoir t choisi, lu roi de France.

    Cher enfant, lui murmura-t-il loreille, vous pouvez en-

    voyer un cavalier votre noble pre pour lui dire que votre ma-riage avec ma fille est conclu. Dans une heure, venez me re-joindre, je vous prsenterai votre fiance, Giselle.

    Et Cinq-Mars avait pli. Cinq-Mars avait pouss un soupir,

    et, tout bas, murmur un nom qui ntait pas celui de Giselle ! Puis le comte dAuvergne, accompagn du duc de Guise et du prince de Cond, tait sorti de lauberge. Il stait dirig vers la maison que lhtesse de lauberge avait signale Capestang comme tant hante. Il en avait ouvert la porte, il tait entr avec ses deux compagnons, et il avait mont lescalier. En haut, il cria :

    Hol, Bourgogne ! Hol, Raimbaud ! Hol, maroufles !

    O tes-vous ?

  • 57

    Le silence effrayant qui pesait sur la maison lui renvoya au cur la rpercussion de cet effroi qui semblait maner de lui, car le silence, comme les tnbres, a sa signification sinistre.

    Giselle ! cria le comte dune voix angoisse. Messieurs,

    excusez-moi, je tremble, jai peur, je pressens quelque malheur aprs la joie immense de tout lheure. Quoi ! personne ? pas un bruit ! Ma fille ! mon enfant ! ma Giselle !

    Charles dAngoulme ntait plus Charles X il tait le

    pre. Il oubliait tout, trne, conspiration, rves de gloire Il slanait, parcourait la maison, ouvrant les portes, appelait, suppliait, et enfin, affol, certain que Giselle, que sa fille adore ntait plus l, il entrait dans la salle o le souper avait t pr-par Il jetait des yeux hagards sur la table demi en dsordre ; pas vacillants, comme si la fatalit let conduit par la main, il sapprochait de la chemine, saisissait le parchemin plac l en vue de quelque acte signer le lisait dun trait, et alors il pous-sa une dchirante clameur :

    Un misrable, un truand sest introduit ici ! Cest lui !

    oh ! il ny a pas en douter ! Cest cet homme qui a sign Capes-tang ! Cest lui qui ma enlev ma fille ! oh ! ma Giselle ma

    Le reste se perdit dans un gmissement lugubre. Le comte

    dAuvergne, duc dAngoulme, celui que les conjurs appelaient Charles X, tomba la renverse, tout dun bloc, assomm, fou-droy

    Le duc de Guise et le prince de Cond accourus aux cris de

    celui qui venait dtre choisi pour roi de France, se penchrent sur lui, et durant quelques silencieuses minutes, le contempl-rent. Ils taient ples tous deux. Qui sait quelles penses pou-vaient agiter lesprit de ces hommes qui, tous deux, rvaient le trne ? Dun mme mouvement lent, ils se redressrent et se

  • 58

    regardrent fixement, le corps tendu entre eux, leurs pieds en travers.

    Et mesure quils se regardaient ainsi, peut-tre lisaient-ils

    dans lme lun de lautre, et ce quils lisaient, ce quils voyaient, ce quils devinaient lun chez lautre devait tre effroyable Car ils devenaient livides, plus blancs que le comte dAuvergne va-noui. Enfin Cond parla le premier. Dune voix basse et rauque, il murmura :

    Est-ce que vraiment vous acceptez la dcision prise tout

    lheure ? Non ! fit Guise, les lvres dures. Et vous ? Non ! rpondit sourdement Cond. Il recula de deux pas, et gronda : Sil allait ne pas se rveiller ! Si nous pouvions dire ce

    quil disait tout lheure : Le roi est mort ! Guise de nouveau, se pencha, haletant, sombre, fatal, et s-

    rement un reflet de meurtre passa dans cette seconde sur ce front, comme lclair sur les nues noires Sa main frmissante alla chercher comme ttons, quelque chose qui luisait sa ceinture de cuir. ce moment, le comte dAuvergne ouvrit les yeux !

    Trop tard ! rugit en lui-mme Cond. Guise lchait la

    poigne dun court poignard quil portait la ceinture et son tour, il recula : le comte dAuvergne se redressait sur un genou, puis se remettait debout !

    Messieurs, bgaya-t-il au bout de quelques instants, par-

    donnez ma douleur

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    Douleur paternelle bien naturelle, dit Guise dune voix

    qui tremblait un peu. Une fille si charmante ! Elle et t lornement de votre cour, sire ! fit Cond. Il ny a plus de cour, plus de sire pour moi ! dit le pre de

    Giselle en touffant un sanglot. Jusqu ce que je laie retrouve, je ne suis que lombre de moi-mme. Jusqu ce que jaie mis la main sur ce misrable qui a os laisser son nom sur ce parche-min o nous devions apposer nos trois signatures, je ne vis plus messieurs oh ! messieurs, je suis bris. Lhospitalit que je comptais vous offrir ici serait

    Les sanglots interrompirent le malheureux pre frapp au

    cur. Ne vous inquitez pas, fit le duc de Guise. Nous avons

    nos chevaux et nos laquais la Pie Voleuse Et en attendant, nous ne signons pas ! songea Cond tout

    joyeux. Et Guise de son ct, songeait : Mon bras vient dhsiter une seconde cest peut-tre la

    couronne que je viens de perdre ! Lorsque jai frapp Saint-Pol, je nai pas trembl et maintenant

    Remettons donc plus tard le suprme entretien que

    nous devions avoir ici, reprit le comte dAuvergne en domptant sa douleur. Messieurs, je monte cheval, et, au risque dune arrestation, au risque de la Bastille, au risque mme de ma vie, je cours Paris, je le fouillerai rue par rue, pierre par pierre, mais ce Capestang, quel quil soit, noble ou manant, homme ou dmon, mourra de ma main : mais je la retrouverai. Je repren-drai ma fille !

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    Dix minutes plus tard, le duc de Guise et le prince de Con-d avaient regagn lauberge de la Pie Voleuse, et bientt, stant mis en selle, sloignaient dun bon trot dans la nuit, suivis de leurs laquais arms jusquaux dents.

  • 61

    VI

    Laventurier.

    Pendant ce temps, le chevalier de Capestang dormait sur son mauvais lit que lui avait valu le dsordre de ses vtements lorsquil tait arriv la Pie Voleuse. Quoi quil en soit et si dur que ft le matelas sur lequel reposait notre hros, Capestang dormait comme il faisait toutes choses, cest--dire de bon cur. Il avait profit du dpart des conjurs quittant leur salle pour se glisser vers sa chambre, et, limagination exaspre, la pense bourdonnante de penses entrechoques, stait jet sur le lit en murmurant :

    Le roi est mort vive le roi ! ils ont donc condamn le

    petit roitelet ! Ils vont donc le tuer ! Pauvre petit quon dit si triste, si abandonn au fond de son Louvre ! Oh ! mais est-ce que je vais froidement laisser saccomplir ce crime ? Que faire ? Dnoncer ce complot que jai surpris ! Dnoncer ! ajouta-t-il en tressaillant. Jeter le nom de ces hommes aux juges et leurs ttes aux bourreaux ! Moi, dnonciateur ! Plutt marracher la langue et la jeter aux chiens ! Mais comment faire pour empcher ce comte dAuvergne Ah ! il me semble que je le hais celui-l ! lempcher de tuer le pauvre petit roitelet le roi le

    Tout se fondit soudain dans le sommeil pesant qui suit les

    grandes fatigues de lesprit plus encore que celles du corps. Le lendemain matin, ou plutt quatre ou cinq heures aprs

    les scnes que nous venons de raconter, Capestang tait sur pied. Il commena par examiner avec une attention mticuleuse les trois ou quatre blessures quil avait reues la veille au cours de sa furieuse bataille contre les spadassins du noble inconnu,

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    de lillustre sacripant cest ainsi quil qualifiait Concini, ne sa-chant pas qui il avait eu affaire. Il trouva que toutes ces bles-sures, quil lava et pansa, le faisaient la vrit souffrir, mais que pas une ntait de nature lempcher de monter cheval.

    Satisfait de cet examen, il revtit le costume que, dans la

    nuit, il avait acquis de si fantastique manire. Il appela lhtesse qui, en le voyant si magnifique aprs lavoir vu la veille si mal en point, ne put retenir un cri de surprise et douta dabord que ce ft le mme personnage. Mais elle dut se rendre lvidence.

    Je vois votre tonnement, fit le chevalier. Un mot vous

    expliquera tout. Jai vu cette nuit la dame blanche dont vous me ftes si grand-peur. Or, cette dame blanche est tout uniment une fe qui na eu qu me toucher de sa baguette pour me transfor-mer comme vous voyez. Combien vous dois-je ? reprit-il en sor-tant ngligemment une poigne de pistoles.

    Lhtesse demeura suffoque. Monseigneur, balbutia-t-elle, daignera me pardonner ma

    rception dhier Capestang regarda autour de lui avec stupeur. Cest moi le monseigneur ! murmura-t-il. Peste ! parlez-

    moi dune bonne poigne de pices dor pour vous faire monter un homme en grade. Si je sors tout, elle va mappeler altesse !

    Mais, continuait lhtesse, je ne pouvais savoir, deviner

    monseigneur nous reste quelques jours sans doute ? La pre-mire htellerie du pays. Demandez partout ce quon pense de Nicolette, la patronne de la Pie Voleuse cest moi qui suis Ni-colette.

    Nom suave, nom harmonieux, htellerie princire, mais

    je men vais ma chre madame Nicolette.

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    Quoi ! sans mme goter notre saumur ptillant et mousseux !

    Eh ! vous me donnez soif ! Mais je boirai ailleurs, votre

    sant. Quoi ! sans mme tter de cette friture de goujons de

    Seine qui est la renomme du pays en gnral et de cette au-berge en particulier !

    Vous me tentez ! La friture de goujons, cest mon faible !

    fit en riant le chevalier, dont toute