Offensive Libertaire...On veut nous vendre un bonheur conforme mais nous ne souhaitons pas que...

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Offensive Libertaire et Sociale (OLS)

N°1 POUR UNE CRITIQUE RADICALEDE LA TÉLÉVISION [ÉPUISÉ]

N°2 LA GRÈVE À RÉINVENTER

N°3 L’EMPRISE TECHNOLOGIQUE [ÉPUISÉ]N°4 GENRE ET SEXUALITÉ [ÉPUISÉ]N°5 AU SERVICE DU PUBLIC [ÉPUISÉ]N°6 HOMO PUBLICITUS [ÉPUISÉ]N°7 GUERRES

CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES

N°8 LIBÉREZ LES ENFANTS ! [ÉPUISÉ]N°9 CULTURE DE CLASSE OU

(IN)CULTURE DE MASSE [ÉPUISÉ]N°10 L’IMPÉRIALISME SCIENTIFIQUE

[ÉPUISÉ]

N°11 ON HAIT LES CHAMPIONS [ÉPUISÉ]N°12 INTÉGRATION ENTRE MISE

AU PAS ET APARTHEID SOCIAL

N°13 RÉVOLUTIONNAIRE AUJOURD’HUI

N°14 L’HORREUR TOURISTIQUE [ÉPUISÉ]N°15 AUTONOMIE, DÉMOCRATIE DIRECTE

[ÉPUISÉ]N°16 PUTAIN DE SEXISME [ÉPUISÉ]N°17 UN COMMERCE SANS

CAPITALISME [ÉPUISÉ]N°18 SPÉCIAL 68, MAI ENCORE!

N°19 FOUTEZ-NOUS LA PAIX !

N°20 TANT QU’ON A LA SANTÉ!

N°21 L’INDUSTRIE DE LA PUNITION

N°22 RURALITÉS, NOUS VOULONSLA TERRE [ÉPUISÉ]

N°23 CONSTRUIRE L’ANARCHIE

N°24 NATURE ET ANIMALITÉ

N°25 TRAVAIL : QUEL SENS?

N°26 EN FINIR AVEC LA FRANÇAFRIQUE

N°27 PRÉCARITÉ POURQUOI ?

N°28 AVANT LA RÉVOLUTION

N°29 SAVOIRS POUR S’ÉMANCIPER

N°30 LUTTES DE LIBÉRATION NATIONALE

N°31 LA CONRE-RÉVOLUTION INFORMATIQUE

N°32 LIBÉRATION SEXUELLE?

OFFENSIVE N°35sept. 12|52 p.|4 euros

•DOSSIERPROLÉTARIAT, AFFAIRECLASSÉE?

OFFENSIVE N°36déc. 12|52 p.|4 euros

•DOSSIERRUSSIE, DU ROUGEAU NOIR

LES ANCIENS NUMÉROSPour commander les anciens numéros, reportez-vous au bon de commande en page 3.Les numéros épuisés sont téléchargeables sur notre site internet http://offensive.samizdat.net

POUR CONTACTER L’OLSOLS c/o Mille Bâbords, 61 rue Consolat, 13001Marseille. [email protected]

OÙ EST L’[email protected]@[email protected]/o Mille Bâbords, 61 rue Consolat 13001 [email protected]

Paris21ter, rue Voltaire 75011 Paris [email protected]@riseup.net

SITE INTERNEThttp://offensive.samizdat.netPour retrouvez les archives, lesanciens numéros, écoutez lesanciennes émissions de radio,consultez l’actualité de l’OLS.

OFFENSIVE SONOREémission de l’OLS-Parissur Radio Libertaire 89.4 Mhz (à Paris)Le vendredi tous les quinzejours de 21h à 22h30en alternance avecLa Grenouille Noire

Édité par SpipassoImprimeur IMB, 7 rue Résistance 14400 BayeuxDirecteur de publication Nicolas SergyCommission paritaire 1111 P 11461ISSN 1771-1037

DiffusionHobo [email protected]

DistributionMakassarTél. : 01 40 33 69 [email protected]

Les articles font apparaître le féminin et le masculin. Si la langue est un instrumentde domination et perpétue lesstéréotypes sexistes, elle peutêtre un outil de déconstruction. Les personnes qui luttent contrele patriarcat ne peuvent se dispenser d’interroger la pseudo-«neutralité» de certains mots et ladomination du masculin sur le féminin. Le langage rendla présence des femmesinvisible. Féminiser les textesque nous produisons,c’est donner une visibilité à la moitié de l’humanité.

Offensive Libertaire et Sociale est née aucours de l’été 2003 d’une volonté de parti-ciper à la construction d’une réelle offensi-ve qui mette un terme au capitalisme, aupatriarcat et qui contribue à l’élaborationd’autres futurs sans rap ports de domina-tion ni d’exploitation. Nous militons pourune société fondée sur la solidarité, l’égali-té sociale et la liberté. Plusieurs prin cipesfondent l’OLS: 1.Indépendance 4.Anti-autoritarisme2.Fédéralisme 5.Rupture3.Assembléisme 6.Appui mutuel L’OLS se situe comme un élément dans laconstellation libertaire, apportant sa pier-re au mouvement révolutionnaire.L’organisation n’est pas une fin en soi etne doit pas primer sur les luttes et sur laréf le xion.Nous refusons de nous impliquer en fonc-tion de nos seuls intérêts organisationnels,de «passer» d’une lutte à l’autre au gré desmodes. Même si nous apparaissons detemps à autre en tant que «OLS» - au tra-vers d’Offensive le journal que nouspublions et lors de certains évènementspolitiques - pour confronter, défendre oufaire partager nos valeurs, nos idées, nospratiques, nous refusons les lo giques dereprésen ta tion. Dans une société fon déesur les apparences, le mouvement révolu -tionnaire ne doit pas succomber aux

sirènes du spectacle.Nous luttons plus particulièrement contretout ce qui fait de nous des êtres aliénéset/ou oppresseurs : exploitation sociale,précarité économique, patriarcat, hétéro-sexisme, tyrannie technologique, racisme,massification. Face aux logiques d’enfer-mement et d’abêtissement, nous proposonsd’autres formes émancipatrices d’associa-tions où les aller-retour entre engagement,théorie et pratique sont permanents et oùnous pourrons construire des liens stables,non aliénants, d’estime et de coopération.Nous voulons construire une société réel-lement démocratique, si l’on définit ladémo cratie comme une forme d’organisa-tion du pouvoir permettant de connaître etde maîtriser nos conditions d’existence. Ilimporte de réfléchir à de nouvelles organi-sations so ciales qui permettent le partagedes débats et des prises de décisions. Celarevient à briser l’autonomie du pouvoir. Ilne doit plus être en-dehors de la société,mais en son sein : il doit être socialisé.Si la filiation de l’OLS s’inscrit dans lalongue histoire de l’anarchisme, nous nousréférons aussi à d’autres associations etmouvements. Nous essayons à notre échel-le de contribuer au renouvellement de lacritique libertaire, de participer à la créa-tion et à la diffusion d’alternatives anti-autoritaires et libératrices.

OFFENSIVE N°34juin 12|52 p.|4 euros

•DOSSIERL’INFO EN LUTTE

OFFENSIVE N°33mars 12|52 p.|4 euros

•DOSSIERART, LA FABRIQUE DU SOCIAL

MATÉRIEL

LIVRE DIVERTIR POUR DOMINER

Textes issus de numérosd’Offensive, notammentles dossiers des numéros

1, 6, 11 et 14.

POUR LESCOMMANDES

voir le bulletind’abonne ment (page 3)

4 PAGESDes textes sur le travail,le patriarcat, l’écologie,

la technologie...

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ÉditoALORS QUE MARSEILLE est Capitale culturelleeuropéenne 2013, Toulouse est aussi touchée par les logiques de métropolisation. La municipalitésocialiste a décidé de transformer la ville en un «pôled’échanges multimodal de dimension européenne»,relié aux autres grandes métropoles par une ligne à grande vitesse (LGV). Ainsi, les travaux prévusentre 2017 et 2035 visent à relier Paris à Barcelonevia Toulouse. La gare Matabiau verrait ainsi passer10 millions de passager-e-s par jour. Un tel projetdéstructurerait complètement le centre-ville, sonhabitat et sa vie de quartier, pour la maudite sommede 7,8 milliards d’euros (estimation 2012). Ce projeta aussi l’ambition de créer de nouveaux logements,mais c’est un prétexte pour changer le quartierBonnefoy en une immense porcherie de commerces.Doit-on rappeler le nombre de personnes à la rue à Toulouse, et le nombre de logements vides dans le quartier ?De quoi vomir et nous révolter devant ce projeturbain qui extermine un des derniers quartierspopulaires de Toulouse. Et qui construit une villecommerciale et marchande, au profit exclusif d’une couche sociale supérieure et bourgeoise. On veut nous vendre un bonheur conforme mais nous ne souhaitons pas que certains décident à notre place, pour notre prétendu bien-être, car celase fait à l’encontre de nous, sans partage ni entraide.Nous ne voulons pas d’une ville qui va plus vite que nous, mais nous réapproprier les espacesurbains et les différentes manières de nous déplacer.À Toulouse comme à Marseille, sur la ZAD, à Lille et dans bien d’autres villes, nous ne voulons pas cautionner les projets urbanistiques desdominants. Nous voulons continuer à construire des résistances, à trouver des formes convenablesd’entraide qui permettent à tout le monde de participer. Car ce projet va au-delà de la sphère«militante », il touche les gens du quartier.Aujourd’hui, la campagne de réquisition, d’entraide et d’autogestion (CREA) et d’autres collectifs occupentdix-sept bâtiments dans le quartier Bonnefoy etrésistent à la volonté affichée de «nettoyer» le quartier.OLS Toulouse, février 2013

Dossier du prochain numérosur le thème violences et résistances, à paraître en juillet 2013.

La préparation des dossiersest ouverte à toutes et tous.

Prochaine coordination à Rennes les 27 et 28 avril2013, pour plus de renseignements contacterle groupe local.

DOSSIER

En bref ici 4-5AnalysesProduire de la Maternité Automatique 6-7Critique de la critique des médias 8-9Portugal 10-11HistoireLe marxisme de Paul Mattick 12-13En lutteNos fermes ne sont pas des usines 14

HorizonsCantagaia! une alternative

à Séville 38-40En bref ailleurs 41

EntretienRroms, les «ennemi-e-s intérieurs»

de l’Europe 42-45Alternatives

La librairie Quilombo 46-47Contre-culture

Livres 48-49Musique 50

Arts vivants-ciné 51

Sommaire

(Im)mobilisation générale!Bouger sans être mobile 16-18Lutter contre la grande vitesse 19-21De la mobilisation totale à la dislocation sociale 22-23Les villages d’insertion 24-25Des femmes et de la mobilité 26-27Ces transports qui nous laissent à notre place 28-29 Quelle fin pour la société automobile? 30-31S’organiser pour frauder 32-33A la recherche d’autres mobilités ! 34-35Puissance de l’autostop 36-37

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® N° 12 Intégration, entre mise au pas et apartheid social (3€)

® N° 13 Révolutionnaire aujourd’hui (5€)

® N° 18 Spécial 68, Mai encore ! (5€)

® N° 19 Foutez-nous la paix ! (5€)

® N° 20 Tant qu’on a la santé ! (5€)

® N° 21 L’industrie de la punition (5€)

® N° 23 Construire l’anarchie (5€)

® N° 24 Nature et animalité (5€)

® N° 25 Travail : quel sens ? (5€)

® N° 26 En finir avec la Françafrique (4€)

® N° 27 Précarité pourquoi ? (4€)

® N° 28 Avant la révolution (4€)® N° 29 Savoirs pour s’émanciper (4€)

® N° 30 Luttes de libération nationale (4€)

® N° 31 La contre-révolution informatique (4€)

® N° 32 Libération sexuelle ? (4€)

® N°33 Art, la fabrique du social (4€)

® N°34 L’info en lutte(s) ! (4€)

®N°35 Prolétariat, affaire classée? (4€)

®N°36 Russie: du rouge au noir (4€)

® LIVRE Divertir pour dominer (13€)

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en brefici LES LUTTES SONTDÉCLARÉESDEPUIS QUELQUES MOIS, un Comité deliaison et d’action rennais (CLAR) s’est misen branle pour se préparer aux politiquesd’austérité à venir. À l’initiative duMouvement des chômeurs et précaires enlutte, l’idée n’était pas de constituer unénième collectif mais bien de réunir dansune même salle des personnes en lutte.Ainsi, à un rythme bimensuel, se croisentdes syndicalistes de SUD et des libertaires,des membres du Front de gaucherencontrent des squatteurs-euses, dessans-papiers croisent des militant-e-santiaéroport… De joyeux croisements quiont le mérite de rendre les nombreusesluttes à Rennes plus visibles, et dont lebulletin mensuel En action se fait l’écho.Une semaine de mobilisation intitulée« Les luttes sont déCLARées » s’est tenuedu 16 au 23 mars.

L’INSTALLATION DE CAMÉRASde vidéosurveillance dans le quartier de La Plaine, à Marseille, avait déclenché en mai 2012 unepremière réunion d’habitant-e-s et d’habitué-e-sde ce quartier. Plus d’une centaine de personness’étaient alors retrouvé-e-s. Les échanges avaientrapidement évolués vers d’autres problématiquesliées à la volonté municipale de «normalisation»

de ce coin de ville bouillonnant et «rouspéteux» :pression sur les bars et établissements nocturnes,tracasseries récurrentes contre les «petits lieux»associatifs, projet de privatisation d’un desmarchés les plus populaires de Marseillepermettant à des centaines d’habitant-e-s de démerder leur quotidien, contrôle de l’espacepublic via une présence policière accrue, etc.

L’assemblée de la Plaine était né de la volonté de prolonger ce lien entre nous et de mutualiserles initiatives de chacun-e, avec le souci d’occuperau maximum l’espace public pour résister à saconfiscation sécuritaire et aux politiciens véreuxqui ne rêvent que de «karchérisation urbaine»pour mieux spéculer et vendre notre Cité. Site : http://assembleedelaplaine.free.fr

C’EST UN DES SLOGANS que le collectif Livresde papier a affiché aux abords du Salon dulivre et de la presse jeunesse qui s’est déroulédébut décembre 2012 à Montreuil (93). À tra-vers un collage et la diffusion d’un tract, « Unefabrique de petits robots ? », le collectif voulaitdénoncer la part belle faite au numérique. Surle tract on pouvait lire : « […] Dans un mondedu numérique, nous pensons qu’il faut […]préserver, pour les enfants, des moments

hors des lux permanents de données  : desmoments de stabilité, de concentration, desilence et de relations humaines non virtuellespour les aider à construire leur imaginaire,leur réflexion et leur personnalité. C’est celaque permettent les livres de papier […] ».Collectif Livres de papier - c/o Offensive21ter rue Voltaire 75011 [email protected]

« NUCLÉAIRE DU FUTUR » ?LE 22 NOVEMBRE 2012, la Fondation écologie d’avenir, dirigée parClaude Allègre et financée par EDF, organisait un colloque entrenucléocrates sur le nucléaire du futur. Le collectif contre l’ordre ato-mique y a diffusé un tract dont voici un extrait : « Si les projets de réacteurs qui seront présentés dans ce colloque sontqualifiés de “nucléaire du futur”, c’est parce qu’on sait que les réac-teurs actuels (EPR compris) ne sont que les derniers rejetons de cecadeau fait par les militaires dans les années 1950, qu’ils sontinstables, peuvent devenir incontrôlables, fondre, subir une explosiond’hydrogène, qu’ils sont producteurs de déchets dangereux, et qu’ilsconsomment de l’uranium dont les réserves exploitables sont trèslimitées. Et qu’on sait aussi, désormais, à quel point ils sont sûrs ! Aucours des trois dernières décennies, plus de l % des quatre cent tren-te réacteurs en activité dans le monde ont connu un accident majeur(fusion d’un réacteur à Three Mile Island, explosion à Tchernobyl etperte de quatre réacteurs à Fukushima) ». Un dossier complet avecune biographie critique des intervenants est disponible.Collectif contre l’ordre atomique - 21 ter rue Voltaire - 75011 Paris | [email protected]

BOUH ! UN FILM SUR LE SQUATDES 400 COUVERTSÀ GRENOBLE, de 2001 à 2005, unetraverse entière a été squattée : plusieursmaisons d’habitation, une salle publique,des ateliers et plein de folies, d’humour,de galères, de collectifs, de colères,d’expérimentation…«Ce film a été manigancé par quatreanciennes habitantes du squat et estfondé sur des recherches archéologiquesapprofondies, assemblage de traceséparses recueillies au fond de diversplacards, de tiroirs mal refermés et depoches percées. Nos histoires, nos luttessont précieuses, invisibles et trop souventétouffées. Racontons-les.»Sortie du DVD sérigraphié en février.Tournée de projections en préparationdu 24 avril au 5 mai à Grenoble, Die,Saint-Étienne, Clermont, la ZAD,Brest…Contact : [email protected] télécharger le film :https://bouh.poivron.org/

DEPUIS PLUSIEURS MOIS, les mobilisationshomophobes et celles pour l’égalité se succèdent,voire se rencontrent violemment. Si legouvernement socialiste laisse sans aucun doutetraîner le vote de la loi sur le mariage et l’adoptionpour toutes et tous pour mieux tenter de nous faireoublier le reste de son action politique, on ne peutrester sans réagir face aux propos haineux « libérés »par le débat. À l’instar du collectif Rage de nuit,« exigeons l’égalité des droits et l’égalité de fait », etimaginons aussi d’autres horizons que la famillenucléaire-et-biologique : « Face à l’homophobie, faceau sexisme, devons-nous vraiment réclamer plusd’intégration, devons-nous vraiment nous montrertoujours plus normaux-ales ? ».

NOS DÉSIRS FONT DÉSORDRE

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L’ASSEMBLÉE DE LA PLAINE

« PAS D’ÉCRANS POUR LES ENFANTS »

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« ON SAIT qu’avec les OGM, l’industrie a appris àintervenir sur le code génétique d’un organisme existantpour le doter d’une fonctionnalité donnée – rendre unmaïs résistant à un pesticide par exemple. On saitqu’avec les développements conjoints de l’informatiqueet des nanotechnologies, elle se dote de moyenstoujours plus puissants pour agencer la matière,construire des objets et traiter des informations àl’échelle du nanomètre. La suite logique, pour aller vite,c’est la biologie de synthèse, soit rien de moins que ceque son nom indique : par croisement de l’ingénieriegénétique, des nanotechnologies et de l’informatique,ingénieurs et techniciens peuvent maintenantsynthétiser ex nihilo un code génétique entièrementnouveau. » Extrait d’un tract diffusé le 4  décembre 2012 par desopposants lors du colloque « La biologie de synthèseentre sciences et société ». Pour de plus amplesinformations, lire Aujourd’hui le nanomonde n° 18,spécial biologie de synthèse, disponible sur le sitehttp://www.piecesetmaindoeuvre.com

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en bref

BIOLOGIE DE SYNTHÈSE OU « OGM DE DEMAIN »

LE 6 DÉCEMBRE DERNIER, le contrôleur des lieux de privation de liberté a rendupublic un rapport accablant sur les conditions matérielles de détention à la prison de Baumettes (Marseille). Le rapport pointe indistinctementla surpopulation carcérale, le manque de personnel,

la vétusté des installations et la violence entre détenus.Chroniqueurs et éditorialistess’en donnent à cœur joie, ils étalent leur humanisme et s’indignent face la vétusté de l’établissement pénitentiaire…La solution semble évidente : il faut construire de nouvellesprisons, « aménager les cellules »,

recruter plus de matons. La violence des rapports sociauxqui engendre les prisons, elle,n’est pas abordée. Rien de nouveau sous le soleil de la République, rien concernantla justice et la politique pénale, ce qui importe, c’est de pouvoirenfermer plus, enfermer mieux (à visage humain).

À L’AUTOMNE 2012, à l’initiative de Michel Caillat,Marc Perelman et Patrick Vassort, militants critiquesdu sport, une pétition contre l’Euro 2016 de foot-baballe, organisé en France, est lancée. Cettedémarche est à mettre en relation avec l’opposition à laconstruction d’un nouveau stade à Lyon (lutte contrel’OL Land). Voici un extrait de la pétition :« […] On pourrait multiplier les exemples qui tousdémontrent que l’organisation de rencontres sportivesinternationales non seulement n’est pas une source derevenus – la manne du tourisme est, elle aussi, unebelle illusion – mais qu’elle constitue une source dedépenses publiques à la façon du tonneau desDanaïdes, les stades représentant le summum desinvestissements inutiles et coûteux à long terme. […]Le stade n’est pas qu’un cadre architectural efficace.Partout en Europe et ailleurs, il est le lieu d’incubationde nombreuses violences, là où couvent lescomportements les plus méprisables : xénophobie,

antisémitisme, racisme, concentration massive detoutes les bêtises, militarisation des territoires,surveillance généralisée. Nous refusons donc ceslogiques d’appauvrissement, de militarisation, desurveillance et de répression généralisés […] ».Pétition disponible sur demande ou surwww.petitions24.netInformations sur l’OL Land : carton-rouge-decines.fr

LE GROUPE PARI-SIEN d’Offensivelibertaire et socialeréalise depuis prèsde dix ans une émis-sion sur les ondes deRadio libertaire (FM89.4). Si vous habitezà quelques kilo-mètres de la tourEiffel ou que vousêtes connectés àInternet, vous n’avezaucune excuse pourlouper le direct unvendredi sur deux.Gageons que mêmeles plus fidèles lou-pent parfois un ren-dez-vous.Heureusement,chaque semaine,nous archivons lesémissions sur notresite : http://offensi-

ve.samizdat.net. Àl’image de la revueque vous avez entreles mains, lesthèmes sont variés.Dans le désordre,vous pouvez réécou-ter ces derniersmois : des émissionsautour des livresCommunisme : unmanifeste ou LeMouvement situa-tionniste, sur desluttes (« Les grandsprojets inutiles » ou« À Notre-Dame desLandes comme àParis : non auxexpulsions ! »), etparfois sur l’actualitémusicale « L’1conso-lable, rappeur et chômeur décom-plexé ».

NON À L’EURO 2016!

OFFENSIVE SONORE

À TOULOUSE, le bras de fer pour le logement continue avec la préfecture Bonnefoy. C’est là que de futurs projetsgentrificateurs vont raser un des derniers espaces populairesde Toulouse en y construisant une ligne à grande vitesse. C’estdans ce quartier que sontréquisitionnées une dizaine de maisons où vivent des familles,des femmes seules,

des travailleurs pauvres, des chômeuses et des étudiantes.Décembre et janvier : la préfecturea remis en l’espace de vingt joursplus d’une centaine de personnes à la rue. 20 janvier : le Centre socialautogéré s’installe 2 faubourgBonnefoy. Tous les lundis et les jeudis, à 18 heures, les assemblées de ce mouvementsocial ont lieu. Nous y parlons de la situation des bâtiments

réquisitionnés, des réquisitions à venir, des besoins de chacun et chacune, des compétences,savoirs, matériels que tout le monde peut apporter. Les expulsions ne nous arrêtentpas, organisons-nous avecl’entraide comme outil de lutte et de résistance! Se tenir informé-e :creatoulouse.squat.net

LES 30 ANS DU 102

PRÉCISION

EN MAI 1983, des hurluberlus ouvraientau pied-de-biche les bâtiments situés au 102 rue d’Alembert à Grenoble. Trenteans plus tard, le 102 souffle ses bougies en grande pompe ! 30 ans, 30 jours (du 1er au 31 mai) de concerts, de cinéma,d’écoutes sonores, de performances, dediscussions, d’installations et d’ateliers…

SUITE À notre article sur la tentation de l’humour sexiste (Offensive n° 35), la CNT-AIT tient à préciser qu’elle a réagi,en son temps, à la diffusion par un de sessyndicats d’un autocollant qu’elle avaitalors qualifié d’« infantilisant, sexiste et d’une violence inappropriée ». Dont acte.

Construirel¹autonomieSe réapproprier letravail, le commerce,la ruralitéLE CAPITALISME,l¹État et la sociétéindustrielle ontdépossédé lesindividu-e-s et lescommunautés de leurscapacités de jugementet de décision, de leurs

instruments de travail et de leurs savoir-faireoriginaux, en bref de tout ce qui leur permettaitde vivre ensemble dans une certaine harmonieet de manière autonome. Cette autonomietrouve écho dans les résistances et les lutteschez celles et ceux qui, sans forcémentattendre le grand soir, défendent leurs modesde vie, leur savoir-faire et construisent l¹utopieici et maintenant. Ce recueil de textes publiésdans la revue Offensive fait suite à Divertir pour dominer. La culture de masse contre les peuples (L¹échappée, 2010).Offensive, éd. L¹échappée, 14 euros, 336p.

PAS DE TRÊVE HIVERNALE

UNE BONNE PRISON EST UNE PRISON VIDE

AVIS DE PARUTION

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PMA, FIV, GPA, IAD1 – autant de sigles qu’on entend deplus en plus, qu’on voit sur des pancartes en manif… Et quipeuvent susciter bien des interrogations. Pour denombreuses militant-e-s LGBT et féministes, l’accès à la PMApour les couples de lesbiennes est un des grands « manques »de la loi sur le mariage et l’adoption pour toutes et tous. Ildevrait être inclus dans le projet de loi sur la famille repousséà une date indéterminée. Cette revendication, qui semblecouler de source pour de nombreux groupes LGBT etféministes, soulève pourtant bien des questions.On ne s’attardera pas ici sur la GPA, revendication moinscourante, et dont le refus nécessite probablement moinsd’argumentation : être les ventres reproducteurs d’hommesgays ou d’hommes hétéros, non merci !

LA PMA, QU’EST-CE QUE C’EST ?La PMA, c’est l’ensemble des techniques médicalespermettant la procréation « en dehors du processusnaturel ». L’intervention la plus courante, la fécondation invitro, implique un traitement hormonal par injectionspendant environ un mois, accompagné d’un suivigynécologique pour suivre la taille et la quantité d’ovocytesproduits. Lorsque ces paramètres sont jugés satisfaisant, lesovocytes sont prélevés chirurgicalement, et la FIV en tantque telle a lieu dans un tube à essai. Elle est suivie, si elle afonctionné, par le transfert d’embryons dans l’utérus de lafemme. D’embryons au pluriel, afin d’avoir plus de chancequ’au moins un se développe… D’où plus de naissancesmultiples que pour les grossesses « naturelles ». En France,en 2010, 18 % des accouchements suite à des FIV étaientgémellaires (0,3 % avec des triplés ou plus)2.

Dans le monde, 5 millions d’enfants seraient nés suite à desFIV. En France, pour la seule année 2010, les FIV ont donnélieu à plus de 15 000 naissances (si on considère toutes lestechniques de PMA, 22 000), presque 3 % des naissances.La PMA est censée répondre aux problèmes d’infertilité descouples hétérosexuels, et au désir d’enfant des lesbiennes.Son accès n’est pour le moment possible en France que pourles premiers, mais les couples lesbiens qui souhaitent unenfant par ce procédé peuvent se rendre moyennant quelquesmilliers d’euros dans des cliniques en Belgique ou enEspagne (où toute femme, indépendamment de son état civilet de son orientation sexuelle, a droit à la PMA).

Il y a quelques raisons de ne pas vouloir de la PMA, pas pluspour les lesbiennes que pour les hétéros.Elle est inutile :Les personnes fertiles n’ont pas besoin d’être aidées par lamédecine pour concevoir des enfants. C’est bête à dire, maison semble parfois l’oublier : la majorité des gens, hétéros ouhomos, sont fertiles. Les lesbiennes ou les femmescélibataires qui veulent concevoir un enfant ont besoin d’undon de sperme, point barre !Par ailleurs beaucoup de couples hétéros sont orientésvers la PMA de façon précipitée : il faudrait attendre aumoins deux ans « d’essais infructueux » avant d’envisagerraisonnablement des problèmes d’infertilité. Car toutpeut influencer la fécondité, pas uniquement lescaractéristiques de nos gamètes : les conditions de vie, detravail, les pressions (évidemment bienveillantes) de lafamille et des proches (« alors ce bébé ? », « tu ne rajeunispas », etc.), les antidépresseurs ou les anxiolytiques pris

analyse LA PROCRÉATION MÉDICALEMENT ASSISTÉE (PMA)EST-ELLE VRAIMENT, UN COMPLÉMENT LOGIQUE ÀL’OBTENTION DE NOUVEAUX DROITS POUR LES GAYS ET LES LESBIENNES, NOTAMMENT SUR LA FILIATION?

PMA=Produire de laMaternité Automatique…?

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1. Voir l’encadré. 2. Chiffres tirés, comme les

autres chiffres cités, d’unarticle de Pour la science

de novembre 2012 citant lerapport de l’agence de la

biomédecine.

PMA = procréation médicalementassistée. En France, elle est encadréepar la loi n° 2004-800 du 6 août 2004relative à la bioéthique. Selon ce texte, « l’homme et la femmeformant le couple doivent être vivants,en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuved’une vie commune d’au moins deuxans et consentant préalablement au transfert des embryons ou àl’insémination. L’assistance médicaleà la procréation peut être réaliséeavec tiers donneur lorsqu’il existe un risque de transmission d’une maladie d’une particulièregravité à l’enfant ou à un membre du couple, lorsque les techniques

d’assistance médicale à la procréationau sein du couple ne peuvent aboutirou lorsque le couple y renonce ».Quatre tentatives de fécondation in vitro peuvent être remboursées par la Sécurité sociale, qu’unegrossesse ainsi obtenue ait été ou non suivie de la naissanced’un enfant. La PMA inclut les techniques décritesci-dessous ainsi que, suivant les pays,des dons d’ovocytes et d’embryons, la congélation des gamètes et des embryons.

GPA= Gestation pour autrui, pour ne pas dire « mère porteuse ».

IA= Insémination artificielle :technique médicale ou «artisanale» au cours de laquelle le sperme d’un homme est prélevé et déposédans l’utérus ou le vagin d’une femme.

IAD= Insémination artificielle avecdonneur: l’homme qui fournit le sperme ne sera pas un parent social du futur enfant.

FIV= Fécondation in vitro : des spermatozoïdes et des ovocytessont mis en présence dans une boîtede culture (voire les spermatozoïdessont injectés à l’aide d’une pipettedans les ovocytes - voir illlustration ci-contre).

Derrière les sigles

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pour oublier lesdites pressions…La culpabilisation à coups de « Attention vous allez être tropvieille ! », qu’elle émane d’un proche ou d’un médecin, est àelle seule scandaleuse. La fécondité baisse effectivementavec l’âge, mais jusqu’à 40 ans la grande majorité desfemmes qui essaient d’avoir un enfant y arrivent. Onconstate des grossesses non désirées au moins jusqu’à45 ans en nombre et les femmes sont en moyenne fécondesjusqu’à 50 ans3. Mais une femme qui ne veut pas d’enfanttout de suite, voire qui n’en veut pas du tout, c’est suspect…Les personnes (vraiment) infertiles qui se tournent vers laPMA n’augmentent que très peu leurs « chances » deconcevoir un enfant4. Bon, c’est peut-être pour ça que desmédecins n’hésitent pas à pousser vers ces techniques desgens qui n’en ont pas besoin, ça améliore les statistiques !

La PMA est sexiste. Injections d’hormones, prélèvementd’ovocytes… : durant une PMA, le corps d’une femme estmanipulé, mesuré, « dopé »… On peut vraiment parler deréification du corps féminin : ce qui compte, ce n’est plus lapersonne, mais son ventre et ses capacités reproductrices. Entoute logique, les effets secondaires immédiats sur lesfemmes traitées sont négligés. Et les effets médicaux à longterme des injections d’hormones pour obtenir les ovulationsmultiples permettant de procéder aux FIV restent pour lemoins flous (les premières fécondations in vitro ont à peineplus de trente ans). Le choix entre une « simple »insémination artificielle et une FIV est fait par le médecin,de façon parfois très arbitraire : « Vous avez tel âge,donc… ». La PMA, c’est le contrôle du corps médical sur la fertilité deslesbiennes – alors que, on le répète, lesbienne ne veut pas direinfertile ! Si l’insémination artificielle n’était pas interdite parla loi hors du cadre médical (art. 511-12 du code pénal et articleL. 673-3 du code de la santé publique), les dons de sperme etinséminations « maison » seraient sans doute plus nombreux,et la PMA semblerait moins nécessaire. Ces pratiques, nenécessitant pas beaucoup plus de matériel qu’un récipient etune seringue dépourvue d’aiguille, sont déjà utilisées par descouples de femmes ou dans des projets de coparentalité.

La PMA est raciste et eugéniste. Dans le cas d’une PMAutilisant un don de sperme, celui-ci est sélectionné parl’équipe médicale en fonction de la couleur de peau, du« type » du donneur et du compagnon ou de la compagne dela femme qui suit la PMA. Et on est censé- e- s trouver ça

normal ? Même si leur motivation estsans doute de donner l’illusion que

l’enfant est « vraiment » celui deses parents, elle n’en est pas

moins questionnable. Etimaginons que les

procéduresd’adoption suivent

le même genrede logique !

Les pratiques de PMA sont une porte ouverte à l’eugénisme :de toute façon, on ne gardera pas tous les embryons et, avecles diagnostics préimplantatoires, on peut choisir ceuxqu’on implantera dans l’utérus de la femme traitée sur descritères de « santé » (et dire qu’il y a des gens qui font encoredes enfants sans faire vérifier génétiquement les embryons

par la médecine !) et peut-être sur d’autres critères dans unfutur proche5, ou dès aujourd’hui dans d’autres pays.Les embryons qui ne sont pas utilisés pour tenter unegrossesse finissent en partie comme matière première pour larecherche. En France, où la législation est pourtant assez sévèreà ce sujet, plus de dix mille embryons cryoconservés dans leslaboratoires de FIV ont été donnés à la recherche, car ils nerépondaient plus au projet parental des personnes étant à leurorigine, et ne pouvaient être accueillis par un autre couple6…

TOUTE-PUISSANCE TECHNOLOGIQUEEn Israël, la loi est beaucoup plus « permissive » : par exemple,la gestation pour autrui est légale, ainsi que la vente d’ovocytes(depuis 2010). Ces lois libérales, qui font aussi partie d’unepolitique explicitement nataliste, sont très profitables pour lesindustries biotechnologiques. La vente d’ovocytes estautorisée pour des dons à d’autres femmes, mais aussidirectement pour la recherche. Et les risques encourus pourles femmes donneuses sont encore une fois éludés. Et sur ledos de qui ? De femmes pauvres, pour changer7.Les techniques de la PMA, et l’idéologie qui l’accompagne,sont une machine technologique invasive. Les « perspectives »dans ce domaine, c’est l’utérus artificiel, la sélectioneugénique… Dans un contexte où la maternité est toujours (ànouveau ?) ultravalorisée comme accomplissement ultimed’une femme, nous avons de quoi nous inquiéter. L’obsessionde la filiation biologique et du « bébé parfait » nous amène eneffet à nous remettre sans aucun recul dans les mains de laScience. Comme le dit le collectif féministe Rage de nuit,« enfant d’origine contrôlée et retour de l’idée d’instinctmaternel : sale temps pour l’émancipation ».Alors pourquoi ne pas lutter pour se débarrasser de cesinjonctions constantes à transmettre nos gènes ? Pourquoine pas lutter pour faciliter l’accès à l’adoption plutôt quecelui aux techniques de PMA ? L’adoption présentel’avantage de remettre à sa place la biologie, et d’affirmerque la parenté est d’abord sociale.Anita

Les lesbiennes ou les femmescélibataires qui veulent concevoirun enfant ont besoin d’un don de sperme, point barre.

3. Voir le blog de MartinWinckler,http://martinwinckler.com.4. Voir Un bébé mais pas àtout prix, de Brigitte-FannyCohen, éd. JC Lattès, 2001.5. Lire « Political Economyof Egg Cell Donations :Doing It the Israeli Way »,Siggie Vertommen,Scumgrrrls n° 19, été 2012.6. Hygiène et eugénisme auXXe siècle, Anne-LaureSimonnot, 1999 et Histoirede l’eugénisme en France,Anne Carol, 19957. Pour la science,novembre 2012.

EMBRYONS DE 5JOURS IN VITRO

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DEPUIS LA PUBLICATION EN 1997 du livre de SergeHalimi, Les Nouveaux Chiens de garde, jusqu’à son adaptationau cinéma quinze ans plus tard par Gilles Balbastre etYannick Kergoat, la critique radicale des médias a su impo-ser sa légitimité au-delà des habituels cercles militants.Dans l’intervalle, on aura pu saluer l’opiniâtreté de journauxcomme PLPL ou Le Plan B, les pages du Monde diplomatique,le site Acrimed ou les documentaires d’un Pierre Carles, quiont participé à cette reconnaissance méritée. Reste que,aussi juste et utile soit-elle, la critique des médias fait rare-ment l’objet de critiques autres que celles, passionnées, quelui renvoient parfois ses boucs émissaires favoris. Or il y aaussi de sérieuses raisons de l’étriller.

MOBILISATION INFINIEAinsi, pour parfaire son travail critique, la critique desmédias est contrainte de se calquer sur la temporalité de l’in-formation. Si le quotidien Libération sort tous les jours, il fau-dra le lire tous les jours, car chaque édition délivre son lotd’énormités, plus croustillantes que la veille ; énormités dontles valeureux critiques prendront soin d’opérer l’habiledéconstruction, à l’intention de toutes celles et de tous ceuxqui le lisent au premier degré. Mais la critique des médias secondamne alors à reproduire sans cesse les mêmes analyses,tout juste singularisées par l’assaisonnement de la presse du

jour. C’est que la structure profonde du « Parti de la presse etde l’argent » (PPA) varie peu, et d’une envolée de ChristopheBarbier à l’autre, d’une saillie de Claire Chazal à l’autre, ceseront toujours les mêmes mensonges à traduire, les mêmesmystifications à décoder. Dans ces conditions, il faudra véri-fier continuellement que les médias réitèrent bien lesmêmes manœuvres, sous leurs infinies métamorphoses – etrépéter sans cesse qu’ils répètent sans cesse les mêmes fari-boles. Et il faut reconnaître que ces effets de radotage ne sontpas sans exercer un certain sentiment de fascination, lié à lavirtuosité des décrypteurs, qui parviennent, comme lesexperts de la police scientifique, à faire parler les images lesplus insignifiantes, les articles les plus anodins. Si la critique des médias est soumise à la temporalité desmédias, c’est parce que ce sont les médias qui lui offrent samatière. Certes cette matière sera décortiquée, analysée, fil-trée, réorganisée ; mais les médias n’en gardent pas moinsl’initiative ! Dans ces conditions, la critique peut être recon-duite indéfiniment. Et c’est là sans doute, au moins quant àses effets, sa véritable vocation : accompagner les médiasdominants dans leur marche ; être le douloureux caillou dansla chaussure, dont on sent parfois la présence, mais qui n’em-pêche jamais vraiment d’avancer. Comme si le PPA n’existaitque pour nous faire perdre, à courir comme ça derrière lui, leplus clair de notre temps – ce temps pourtant requis ailleurs,de manière tellement pressante, par l’organisation.

D’UN DÉCRYPTEUR, L’AUTRESi la critique des médias est nécessaire, nous dit-on, c’estparce que les médias dominants dissimulent le fond de leurspensées, parce qu’ils masquent leurs véritables intentions,parce qu’ils cherchent à manipuler leur auditoire – parce que« les médias mentent ». Mais surtout, si cette critique estnécessaire, c’est qu’un certain nombre de dispositifs média-tiques rendrait difficile, voire impossible, aux lecteurs ou auxtéléspectateurs de faire par eux-mêmes le travail critique enquestion, c’est-à-dire ce nécessaire travail de décryptage ou detraduction. L’ambition des spécialistes de la critique desmédias est en effet de montrer aux lecteurs et téléspectateursce qu’ils ne pourraient ou ne sauraient voir par eux-mêmes ;autrement dit faire la traduction à leur place. Et si l’on peuttomber d’accord sur la première proposition, concernant lemensonge médiatique global et une certaine inclination desgroupes de presse à la manigance, il y a de quoi rester cir-conspect devant la seconde, celle de l’ignorance et de la naï-veté du public, car elle en induit immédiatement une troisiè-me : la nécessité de l’existence des critiques en question ! Lacritique des médias, en voulant dénoncer le règne de la sépa-ration médiatique, reproduit cette séparation à son propreniveau – entre un petit groupe d’experts en démystificationjournalistique et une masse de lecteurs et lectrices profanes,qui prendrait les billevesées des chroniqueurs-euses et deséditorialistes pour parole d’évangile.Or qu’il y ait effectivement mensonge, chacun le sait un peuà sa manière. Chaque consommateur d’actualités sait queParis Match, Rue89 et M6 sont d’abord là pour lui vendre

analyse S’IL EST UTILE DE CRITIQUER LES MÉDIAS, IL EST IMPORTANT DE S’INTERROGER SUR LE SENS DE CETTE CRITIQUE ET D’EN QUESTIONNER LES APPORTS.

Critique dela critique des médias

CRÉATION GRAPHIQUERÉALISÉE PAR

FORMES VIVES

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des candidat-e-s ou des paquets de lessive, pas besoin d’unSchneidermann ou d’un Halimi pour le lui apprendre. Et ceque font les journalistes critiques dans leurs petites analysesédifiantes, chacun-e le fait pour son compte en lisant LeTélégramme ou Le Dauphiné libéré, chacun-e fait son petitdécryptage à lui ou elle, sa petite traduction. Et quoi de plusordinaire, puisque c’est la manière dont l’intelligence, égale-ment partagée par toutes et tous, fonctionne chez chacun-e ?Certes, cette traduction ne sera pas toujours aussi élaboréeque celle de la rubrique « démontage de texte » du Plan B, pasaussi systématique, pas aussi « radicale »... Mais sur le fond,tout le monde s’entend : non seulement les médias alignentles calembredaines mais, plus grave, ils s’échinent à impri-mer dans nos cerveaux disponibles la voix des puissants etdes marchands de sodas à la mode. Tout le monde sait queles médias disent des mensonges plus gros qu’eux, et tout lemonde se le répète, à la ville comme à la campagne. En véri-té, on n’a pas attendu Les Nouveaux chiens de garde pour savoirque les journalistes étaient copains avec les banquiers, lesdirecteurs des programmes avec les annonceurs, les présen-tateurs avec les patrons, les vedettes avec les ministres ; quec’est la même petite bulle qui s’adresse à nous, partout surles écrans ou dans les colonnes de la presse papier. Pasbesoin d’être un expert de l’Internationale sardonique pourdécoder les articles des journalistes réactionnaires à la con deOuest France, dont les ficelles sont plus grosses encore que lenez au milieu de la figure du père Hutin ! C’est que person-ne n’est dupe. Et que personne ne soit dupe, voilà ce qu’ilserait plus judicieux – mais aussi plus juste – de répéterautour de soi, plutôt que le contraire. Car en définitive, la cri-tique des médias conforterait presque les vautours du PPAdans leurs desseins charlatanesques, puisqu’elle leur dit,négativement, que leur auditoire tombe dans le panneauchaque fois qu’elle n’est pas là pour le mettre en garde !Et c’est ce qu’il faut se demander pour finir, si chaque giflequ’elle leur flanque, à tous ces vendus de l’information, neserait pas aussi une bourrade amicale, comme une grandetape dans le dos d’un-e pote – pour qu’il ou elle continued’avancer. Car les justiciers de la critique des médias lesaiment à leur façon, tous ces médias menteurs, à les exami-ner comme ça sous toutes les coutures, à leur remonter lesbretelles chaque fois qu’ils cèdent à leurs penchants mal-honnêtes, à vouloir les traîner sur le chemin de l’informa-tion droite, transparente, pure. Et ce n’est pas bien grave.Simplement, qu’ils admettent une fois que ce rapport ambi-valent est aussi celui de tout un-e chacun-e, lecteurs et lec-trices du Nouvel Observateur ou de Télérama, auditeurs etauditrices de RTL ou de France info !

MACHINES À TRADUIREAu fond, le problème n’est pas que les médias dominantsmentent à celles et ceux qui les lisent, et qui les lisent pour laplupart en toute connaissance de cause ! Le problème est desavoir pourquoi, sachant très bien que ces médias sont de vilsimposteurs, manœuvrant le chaland avec leurs gros sabots,les gens continuent de les lire, ou de les regarder – pourquoinous continuons à les consulter nous-mêmes ! Et c’est trèssimple en vérité. La véritable information contenue dans l’in-formation apparente n’a rien à voir avec d’obscurs comman-dements subliminaux, visant à faire de nous les pantins despubards, mais simplement avec la nécessité de sa traduction.L’effet principal des nouvelles du jour – comme celui desgraffitis sur les murs des toilettes publiques –, bien plus quede nous laver le cerveau à grande eau, est de mettre notreintelligence en action ! Et c’est la réaction de tout individu-edevant la une de son quotidien, ou de son site d’informations

favori : « Pourquoi ils me disent ça ! ? ». Et la machine à tra-duction aussitôt se met en branle, et c’est toujours un plaisir– car le travail est facile. Il n’y a pas de différence de natureentre les mots fléchés d’Aujourd’hui en France et son pot-pourri quotidien de faits divers et de micros-trottoirs ;Aujourd’hui en France est seulement un grand jeu de piste, ungrand poème en kit à composer ; et chaque jour réactualisémême : un nouveau bloc de pierre pour une nouvelle sculp-ture. De même, Ouest France permet à chacun-e d’exercer sapetite usine critique, il est un grand dépotoir dans lequel cha-

cun-e pioche de-ci de-là, au gré de ses caprices de lecteur, lesimaginations de sa journée. Ouest-France donne du goût àtoutes les vies bretonnes, et aussi idéologiquement marquésoit-il, il n’y a pas de contradiction à ce que ce goût soit deplus en plus souvent celui de la révolte.Et c’est pourtant là le problème, spécialistes de la critiquedes médias et lecteurs-lectrices lambda confondu-e-s : passerson temps à écrire des petits poèmes, à traduire et traduireencore, à faire fonctionner son intelligence également par-tagée, y passer ses jours, ses nuits – à interpréter le mondeplutôt que de le transformer. Car susciter des critiques etencore des critiques, au fond, c’est tout ce dont les médiasdominants ont besoin pour survivre. Il n’en faut pas pluspour faire tourner toute leur baraque. Jean-François Souvier (Institut de démobilisation)

PLUTÔT QUE DE PERDRE un temps précieux à décrypter les médias, ilsuffit souvent, pour faire retomber la grosse tarte à la crème journalis-tique, de les citer. Il suffit par exemple de les lire à voix haute, seul-e oudevant une assemblée de bon-ne-s vivant-e-s. En 2009, l’Institut de démo-bilisation organisait ainsi une grande soirée comique intitulée «Lemeilleur des Hutin», entièrement consacrée aux productions du quotidienrégional Ouest France. À cette occasion, des comédien-ne-s et des artistesproposèrent des lectures des meilleurs éditoriaux de l’année et des plusbelles feuilles sur la Crise, la Démocratie, la Fête, les Pauvres et laGrogne sociale. Autant dire qu’on rit beaucoup ce soir-là à Rennes –et querien de cette hilarité partagée ne filtra dans l’édition du lendemain.

LE TRIBUNAL DES RIEURS

Et c’est là sans doute sa véritable vocation:accompagner les médias dominants dans leur marche; être le douloureuxcaillou dans la chaussure, dont on sentparfois la présence, mais qui n’empêchejamais vraiment d’avancer.

LA MERDE D’AUJOURD’HUIFERTILISE LE LENDEMAIN.SUR UN MUR DE BUENOSAIRES EN 2009.

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BIENVENUE AU PAYS DU FADO, dans une société fata-liste empreinte d’incertitude idéologique, de rancœur et dela souffrance des « petites » gens1 ! Ici, le salaire minimumest de 485 euros et la précarité a le goût de la misère tiers-mondiste ! Partout des pancartes « À vendre », à l’image dece pays que l’on brade. En ces temps de crise économique etde rigueur budgétaire, comme ailleurs en Europe, lesmesures imposées par la troïka (FMI, BCE, Commissioneuropéenne) sont drastiques. Le Portugal en subit violem-

ment les conséquences. Depuis 2011, les politiques antiso-ciales se multiplient : coupes franches dans les salaires desfonctionnaires et dans les pensions de retraite, fortes aug-mentations du prix des ressources de première nécessité(eau, électricité, transports, téléphone, etc.), plans de privati-sation sauvages (l’eau, la mer, les plages, etc.), ventes à perted’entreprises publiques, offensives contre le code du travailet réduction du coût de la main-d’œuvre. Pourtant, à la dif-férence de la Grèce ou de l’Espagne voisine, malgré la colè-re qui gronde, et quelques impressionnantes démonstra-tions de force ces derniers mois, la société portugaise n’arri-ve pas à politiser ses velléités contestataires et à s’organiserpour proposer une résistance efficace et durable. Combiende preuves de mépris faudra-t-il encore pour que le peupleportugais s’affirme enfin et se solidarise dans la lutte ?

QUE SE LIXE A TROÏKA, O POVO É QUE MAIS ORDENA !2

À la fin de l’année 2012, le climat social a été brûlant. LePortugal a connu les plus importantes mobilisations depuisla révolution des Œillets, en 1974. Le 15 septembre dernier,en réaction à une énième mesure de récession, d’énormesmanifestations ont eu lieu dans tout le pays contre les poli-tiques d’austérité (un million de personnes dans la rue pourun pays qui compte 10  millions d’habitant-e-s).Spontanément et en prenant de vitesse les syndicats et partisinstitutionnels3, c’est tout un pays qui est sorti de sa torpeurpour crier sa colère au gouvernement et à la troïka. Ainsi, àLisbonne, sans écouter les injonctions des leaders syndicauxqui cherchaient, comme à leur habitude, à récupérer, canali-ser et contenir le feu des revendications, les manifestant-e-ssont allé-e-s en nombre en manifestation sauvage jusqu’auParlement. Surprenant aussi les autorités et leurs chiens de

garde, ils et elles ont réussi à imposer un rapport de forceconséquent qui a laissé entrevoir, pendant quelques instants,la possibilité de renverser le gouvernement. Des momentsmagiques, comme on n’en vit pas souvent, une ambiancequasi insurrectionnelle face à des flics débordés ! Hélas, cetélan populaire n’a pas su réellement quoi faire de cette sou-daine force collective et n’a pas saisi l’opportunité qui s’offraità lui. Ces mouvements massifs ont certes permis d’arracherl’annulation de la révision de la TSU4, mais rien n’a émergéaprès cette petite victoire symbolique.Le 14 novembre 2012, lors de la journée de grève généraleinternationale (Espagne, Portugal, Grèce), de nouvellesmanifestations ont de nouveau eu lieu dans tout le pays, enécho à celles initiées en septembre. Mais ce qui avait alorssemblé possible ne se reproduit pas. Le gouvernement,échaudé par la force et la radicalité des premières manifes-tations, ne s’est pas laissé surprendre une nouvelle fois et apris des mesures pour réprimer le cri du peuple. Si l’utilisa-tion de moyens d’action plus offensifs a trouvé un écho favo-rable auprès de nombreuses personnes, en face, la répres-sion a été tenace et particulièrement violente. Il est intéres-sant de noter que, dans ce contexte, quelque chose d’impor-tant s’est indéniablement passé, qui a fait bouger les lignesau sein de la société. Contrairement à d’habitude, les expres-sions de solidarité ont été nombreuses entre les manifes-

analyse LE PORTUGAL, AU BORD DE L’ASPHYXIE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE, ACONNU CES DERNIERS MOISDES MOUVEMENTS SOCIAUX. IL EST AUSSI MARQUÉ PAR UNE CULTURE POPULAIRE DU FATALISME.

Portugalentre vent de révolteet résignation…

1. Le fado, ce chantmélancolique traditionnel

exprimait au début duXXe siècle des sentimentsde contestation populaire.

Puis, sous le salazarisme, ils’est principalement faitl’écho d’un état d’esprit

fataliste et larmoyant.

2. « Que la troïka aille sefaire voir, c’est le peuple quidécide ! ». En référence à lachanson de José Afonso quiservit de signal pour lancer

la révolution des Œillets.

3. La CGTP, le principalsyndicat, affilié au PCP

(parti communiste), avaitprogrammé des

manifestations pour le moisd’octobre.

4. En septembre 2012, lePremier ministre Pedro

Passos Coelho annonce lamodification des cotisations

sociales patronales etsalariales. Il propose de

relever de 11 à 18 % la TSU(taxe sociale unique) pourles salarié-e-s et dans le

même temps de baisser de23,75 % à 18 % la TSU

patronale.

Le Portugal a connu ses plusimportantes mobilisations depuis

la révolution des Œillets.

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tant-e-s, et même dans l’opinion publique. Les violencespolicières ont été largement condamnées et la radicalité quis’est exprimée au grand jour a reçu un soutien massif, bienau-delà des cercles militants. Une radicalité qui a permisd’entrevoir des possibles dans les capacités de rébellion detout un peuple et dans la faculté à s’organiser en dépassantle cadre routinier et monotone imposé par les syndicats etles partis. Alors que le contexte était très favorable et que lesconditions semblaient être réunies, ces mobilisations n’onttoutefois pas engendré un mouvement contestataire péren-ne de grande ampleur. Ces très impressionnantes mobilisa-tions et un état manifeste de pré-ébullition, ce que lePortugal n’avait pas connu depuis de nombreuses années,n’ont cependant pas réussi à endiguer le rythme effréné desmesures d’austérité. Au contraire, en 2013, la grande Europecompte bien continuer de s’attaquer aux services publics, audroit du travail, à l’école, à la santé, à la culture… Si, face àcela, des initiatives existent, tendent à se développer etqu’une partie de la population se politise, se radicalise ettente de construire des alternatives (centres sociaux, squats,lieux de rencontre, etc.), les bases politiques et sociales nesemblent pas encore assez solides pour créer un mouve-ment social fort et le faire vivre. Les contestations ne se fontpas encore de façon collective et persistante comme enGrèce ou en Espagne. Les événements de ces derniers moisillustrent bien le paradoxe dans lequel le pays est enfermé.Quand la colère gronde face à la misère sociale, ce sont sou-vent des histoires sans lendemain. Les contestations n’appa-raissent que de façon symbolique, le temps semble suspen-du, les Portugais-e-s attendent que quelque chose se passequelque part. C’est une malédiction que porte tout unpeuple et dont il a du mal à se défaire.

AI, AGUENTA, AGUENTA !5

Si la relative passivité de la société portugaise n’est pas lacause de l’instauration de politiques économiques dévasta-trices, il semble pourtant qu’elle lui offre un terrain propice.Il existe en effet une chose dans la mentalité des Portugais-e-s qui se traduit par le mot aguentar (« tolérer, supporter »)et l’expression « Aguenta, ai ! ». Cette phrase revient sanscesse dans les conversations, comme une incantation faceaux difficultés : il faut tenir bon quoi qu’il en coûte et sup-porter sans broncher ! Il est ainsi communément admis que,quoi qu’il arrive, le peuple ne répondra pas de manière offen-sive. Une idée que les dirigeants entretiennent d’ailleursavec dédain. C’est ce qu’affirme le président de la banqueBPI quand il enjoint la population à se serrer encore plus laceinture : « Si les sans-abri que l’on croise dans la rue sontcapables de tenir le coup, pourquoi vous et moi ne le pour-rions-nous pas ? »6. Ses sorties répétées dans les médias etses prises de parole sans scrupule sont autant de marques demépris et de cynisme quand on sait que cette banque, à elleseule, a généré 248 millions de bénéfices en 2012.Au jeu de qui va en supporter le plus et le plus longtemps,les Portugais-e-s ont prouvé leur endurance, mais cettefaçon d’appréhender la vie renforce l’idée d’une fatalité. Larévolte semble alors impensable, vaine et inaccessible. Si le

fait de tenir le coup dans les situations les plus dures peutêtre une ressource importante, l’enfermement dans cetteattitude pousse aussi à la soumission et laisse le champ libreaux dominants. C’est donc ce stigmate qu’il faut soignerpour espérer construire des résistances solides.

UNE ÉCONOMIE PARALLÈLE DE LA DÉBROUILLE (DESENRASCAR)Ce fatalisme a historiquement amené les Portugais-e-s àdévelopper une culture de la débrouille et à s’organiser horsdu cadre légal et du contrôle de l’État. Inscrits dans une tra-dition héritée des années de la dictature salazariste7 qui per-dure depuis, l’économie parallèle et le marché noir, sont, auquotidien, des moyens de survie pour une frange de plus enplus grande de la population. Mais cette débrouille salvatriceest rongée par l’individualisme. Il ne s’agit pas de trouver dessolutions collectives, mais plutôt de se débrouiller en petits

groupes affinitaires, entre complices de galère qui sont desproches, des ami-e-s ou de la famille. On cherche surtout à nepas sombrer en conservant un semblant de dignité. L’accès àde petits biens de consommation permet alors d’oublier lamisère en aménageant le quotidien. Ces actes ne s’inscriventpas dans un processus politique. Ce qui pourrait être uneforce populaire n’est pas mis au service des luttes sociales.C’est une économie qui s’appuie sur le jeu du chat et de lasouris, où les choses se font en marge des institutions, maisqui ne remet pas en question les fondements du système.Mi-janvier, la banque portugaise a confirmé ce que tout lemonde savait déjà : la récession va s’aggraver. Elle augmen-te de presque 2 %, soit le double de ce qui était prévu par legouvernement. L’économie est au point mort, le chômage etla précarité touchent environ 2 millions de personnes. Lessyndicats se contentent d’ébauches et de faux-semblantsrépétitifs, de gestes inutiles, proposant comme unique alter-native le remplacement d’un gouvernement par un autre8.Mais il n’y a de transformation possible que dans un change-ment de système. Pour ce faire, il faudra que les Portugais-e-sréussissent à politiser cet esprit de débrouille en développantdes réseaux de solidarité, qu’ils et elles osent sortir de ce fata-lisme et construisent des espaces collectifs de vie et de lutte9…Colyne, avec la collaboration de Jorge Valadas et de FilipeNunes, de la revue Alambique

Cette débrouille salvatrice est rongée par l’individualisme.

La revue anarchisteAlambiquerevistaalambique.wordpress.com (en portugais)

le blog spectrumzx.wordpress.com (en portugais)

La Mémoire et le Feu,Jorge Valadas,L’Insomniaque.

Le site du Comité pourl’annulation de la dettedu Tiers Monde :cadtm.org

À LIRE

5. « Allez, supportez,supportez ! », expression qui exprime le fait de devoircontinuer à subir l’insup -por table dans un esprit de sacrifice et de dévotion.

6. Fernando Ulrich, président de la BPI, a à plusieursreprises utilisé le termeaguentar pour inciter les gens à supporter et tolérer plus d’austérité. Il n’a pas hésité à faire descomparaisons douteusesqui ont choqué l’opinion.

7. En 1928, Salazar (Antóniode Oliveira), est nomméministre des Finances dans le gouvernement issudu coup d’État militaire de 1926, qui remplace la Ire République parle -mentaire par une dictaturefasciste. De 1932 à 1968,Salazar restera à la tête de l’État.

8. Voir l’article « Austeri -dade mata a economia »,dans le bulletin du collectiflibertaire Evora AcçaoDirecta :colectivolibertarioevora.files.wordpress.com

9. « Le cauchemar éveillédu peuple portugais », de Charles Reeve, sur www.article11.info

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hist oire

LA RUBRIQUEHISTOIRE PROPOSEDES TEXTESD’ARCHIVES QUI SE VEULENT AUTANTD’ÉLÉMENTS POURCOMPRENDRE OU INTERROGER LE PRÉSENT

12__offensive

LES QUELQUES OUVRAGES de Paul Mattick qui ont étépubliés en France n’ont suscité que fort peu d’échos et à peuprès aucun commentaire favorable. Il ne faut guère s’en éton-ner, car l’œuvre de ce vieux radical allemand, fort insoucieuxdes modes intellectuelles, n’a été qu’une opiniâtre dénon-ciation des mythes et des idéologies dont l’éclosion a accom-pagné la longue consolidation du capitalisme après laDeuxième Guerre mondiale. Même dans les années où lecapitalisme allait en Allemagne, en Italie, au Japon de« miracle en miracle », Paul Mattick n’a pas cru que les poli-tiques keynésiennes1 ou néokeynésiennes rendaient caducsles pronostics de Marx sur les contradictions et les limitesde l’accumulation du capital. Mais surtout Paul Mattick n’apas seulement persisté à opposer Marx à Keynes, il a aussi,ce qui est beaucoup moins courant, opposé Marx à presquetous ceux qui prétendaient parler en son nom. Les préten-dus continuateurs de Marx n’ont été que ses épigones, touscoupables, dès la fin du XIXe siècle, d’avoir faussé le sens dumarxisme en refusant d’y voir une théorie de l’effondrementdu capitalisme ou en déduisant l’effondrement de prémissesqui n’étaient pas celles de Marx.Au-delà de leurs divergences et des conclusions opposéesauxquelles ils ont abouti, les révisionnistes Cunow, Schmidt,Tougan-Baranovski, les austro-marxistes Bauer, Hilferding,

les bolcheviks et les luxemburgistes ont ceci en commun :ils ont cru possible de construire la théorie des crises et descruter la dynamique du capitalisme en se fondant sur lesschémas du livre II du Capital. Qu’à partir de là, les uns fas-sent dériver les crises d’une rupture des proportions entre laproduction des deux départements, et les autres de la sous-consommation pour en conclure que le système s’adapte,ou qu’au contraire il a devant lui un avenir de convulsionsde plus en plus violentes, leurs arguments présupposent tou-jours que les contradictions du capitalisme se situent dansla sphère de la circulation. Or, s’il est bien vrai que les crisesse présentent sous les apparences d’une surproduction demarchandises et de force de travail, décrire leurs manifesta-tions au niveau du marché n’équivaut pas à mettre à jourleurs déterminations réelles. Les crises trouvent en réalitéleur origine non pas dans la circulation, mais dans la pro-duction elle-même : elles éclatent lorsque intervient une rup-

ture de la proportionnalité nécessaire entre la production deplus-value et les besoins de l’accumulation. C’est l’insuffi-sance de la plus-value qui interrompt périodiquement lacontinuité de la reproduction élargie et les crises ne sont sur-montées que pour autant que le capital trouve les moyensd’élever le taux de profit au niveau nécessaire à la reprise del’accumulation. Si on veut démontrer que le capitalisme n’apas l’éternité devant lui - ce qui était, à n’en pas douter l’am-bition de Marx -, on ne peut le faire qu’en faisant apparaîtreque ce mode de production évolue vers une situation limiteoù les contre-tendances qui s’opposent à l’abaissement dutaux de profit ne peuvent plus demeurer opérantes. Ignorerou rejeter l’idée que le marxisme est fondamentalement unethéorie de l’impossibilité d’un développement illimité du capi-talisme, ainsi que l’ont fait presque tous les théoriciens de laIIe Internationale et les bolcheviks, équivaut à amputer lapensée de Marx de sa dimension la plus essentielle.Or cette mutilation n’est évidemment ni fortuite ni dépour-vue de signification : elle traduit, au contraire, l’apparitiondans la social-démocratie et parmi les bolcheviks d’un projetpolitique qui a cessé de coïncider avec celui de Marx. Enposant que les contradictions du capitalisme vont en s’atté-nuant, que l’échange entre les deux départements de l’éco-nomie reste toujours possible ou encore que la cartellisation2

introduit dans le système des éléments de direction conscientequi en tempèrent l’anarchie originelle, les révisionnistes etles austro-marxistes fondent, en théorie, une pratique dontl’expérience montrera qu’elle n’a pas d’autre fonction réelleque de seconder l’accomplissement d’un processus d’auto-rationalisation du régime capitaliste. Et cela est vrai aussi pourLénine qui emprunte l’essentiel de sa représentation de l’im-périalisme aux théoriciens social-démocrates – Hilferding oumême Bauer – ce qui le conduira à considérer que le capita-lisme des trusts et des monopoles et, plus encore, « le capita-lisme de guerre », est déjà un capitalisme en train de se socia-liser. Dans cette perspective, il suffit d’arracher l’État auxcapitalistes et de parachever l’étatisation de l’économie pourque soient mises en place les prémisses essentielles de la tran-sition vers le socialisme. Il est vrai que pour les bolcheviks,le passage au socialisme présuppose la destruction de l’Étatbourgeois alors que les social-démocrates prétendent s’enemparer graduellement pour le faire servir aux fins du socia-lisme. Mais leurs divergences ne portent que sur les moyensde parvenir au même but : la mise en place d’une économieétatisée qui ne connaîtra plus les ruptures de proportion etles désajustements que le capitalisme est incapable d’élimi-ner complètement lui-même. Le socialisme tel que le conçoi-vent les social-démocrates et les bolcheviks n’est qu’un capi-talisme expurgé de son anarchie. […]

La crise économique est un thème récurrent de notre actualité depuis les années 1970 et le discours lénifiant et fallacieux deséconomistes de marché comme de leurs opposants de salon – fussent-ils « atterrés »– n’a guère varié depuis cette époque.Cependant, il existe des analyses hétérodoxes qui font du capitalisme un système mortifère miné par « les contradictions et leslimites de l’accumulation du capital ». Dans ce texte, Pierre Souyri (1925-1979) qui fut militant des groupes Socialisme ouBarbarie et Pouvoir ouvrier et collaborateur de la revue historique Les Annales, revient sur les écrits du communiste deconseils allemand Paul Mattick (1904-1981) qui, dès les années 1960, annonçaient une nouvelle crise du capitalisme quepartisans comme adversaires du système jugeaient impossible. On sait depuis ce qu’il en est advenu…

Le marxisme de Paul Mattick

«Le marxisme estfondamentalement une théorie del’impossibilité d’un développement

illimité du capitalisme»1. Keynésianisme : nom

donné à la doctrineinspirée de l’économiste

John Maynard Keynes(1883-1946), selon

laquelle, au contraire dece que prône le

libéralisme, l’Etat doitintervenir dans

l’économie capitaliste afind’en réguler le

fonctionnement.

2. Cartellisation : ententeentre des entreprises d’un

même secteur en vue delimiter la concurrence

entre elles.

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À LIRE

Marx et KeynesPaul Mattick,Gallimard (Tel), 2010

Marxisme, dernierrefuge de labourgeoisie ?Paul Mattick,Entremonde, 2011

En récusant toutes les interprétations « disproportionna-listes » et « sous-consommationnistes » du marxisme pourrecentrer l’analyse marxienne du capitalisme contemporainsur le problème de la chute du taux de profit, Paul Matticka pu montrer, et cela dès les années soixante, qu’une désta-bilisation du système restait concevable et probable. Sonmérite n’est pas mince si on se souvient qu’à cette époque,à peu près personne n’osait soutenir que le capitalisme« révolutionné » par les politiques keynésiennes continuaità être miné par des contradictions capables de remettre enquestion la continuité et la régularité de la croissance. Tan-dis que la science économique officielle se disait en mesurede fournir aux gouvernements les recettes infaillibles luipermettant d’impulser indéfiniment les dynamismes del’économie et prophétisait que le cycle des crises était clos àjamais, les néomarxistes et les « méta-marxistes », fascinéspar les prodiges que réalisait un système qu’ils avaient cruà l’agonie, partageaient cette conviction. Baran, Sweezy ettant d’autres avec eux, qui n’étaient guère, dit Paul Mattick,que des keynésiens marxisants, affirmaient que la loi de lachute du taux de profit ayant fait place à une loi du surpluscroissant, le capitalisme moderne ne se trouvait plusconfronté qu’à un excédent de produits. Il en venait à boutpar une organisation systématique du gaspillage sous de

multiples formes et il pouvait ainsi surmonter indéfinimentses tendances latentes à la stagnation. […] En réalité, si après 1945 le capitalisme parvint à relancer lacroissance et à la régulariser, ce n’est pas tant par les vertusdes mesures qu’inspirait aux gouvernements la science éco-nomique que parce que la dépression des années 1930 et laguerre, en retardant longuement l’accumulation et en détrui-sant un nombre sans précédent d’installations, avaient faitresurgir les conditions permettant au capital en expansion dese valoriser. Partout, en effet, le renouvellement du capitalfixe s’effectua sur la base des mesures de rationalisation desentreprises et de la mise en œuvre de nouveaux moyens tech-nologiques qui allaient permettre, pendant de longues années,de faire croître la productivité plus vite que les salaires. […] Paul Mattick montre comment, dès les années 1960, lessignes, alors rarement aperçus de ce retournement, com-mencèrent à se manifester. L’extraordinaire prolifération dutravail improductif, le gonflement des dépenses que les Étatsse trouvèrent contraints d’engager pour enrayer les ten-dances au sous-emploi du travail et du capital, la pressioncroissante des coûts salariaux de plus en plus difficiles àcontenir à mesure que la régularisation de la croissancerésorbait l’armée industrielle de réserve, laminaient lente-ment le taux de profit. De nouveau, une rupture des pro-portions se préparait entre la production de plus-value etles besoins de l’accumulation. Il est vrai que l’inflation per-mit pour un temps de contenir l’amplification d’une crisequi mûrissait dès le milieu des années 1960. […] Maislorsque l’inflation déboucha à son tour sur la « stagflation »,il devint clair que la plus-value additionnelle dont s’empa-rait le capital en augmentant les prix ne parvenait plus à semétamorphoser assez vite en investissements supplémen-taires pour empêcher la réapparition d’un important chô-mage. Un cycle du capital s’achevait : l’inflation elle-mêmene suffisait plus à élever les profits jusqu’au point où unereprise rapide de l’accumulation permettrait de faire fran-chir de nouveaux seuils à l’élévation de productivité. […]Sans doute, reprochera-t-on à Paul Mattick d’avoir conçu l’évo-lution et l’avenir du capitalisme en fonction d’un certain catas-trophisme économique qui n’est pas sans parenté avec leluxemburgisme bien qu’il soit fondé sur des présuppositionsentièrement différentes. […] Paul Mattick appartient à unegénération qui n’a pas la naïveté de croire que la révolutionest en vue dès que le capitalisme entre en crise. […] Le catas-trophisme de Paul Mattick n’est plus aussi optimiste que celuide Marx ou même de Rosa Luxemburg. Mais il n’est pas nonplus tout à fait désespéré.Pierre Souyri(Annales, vol. 34, n° 4, juillet-août 1979)

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en lutte

1. Pour contacter lecollectif Faut pas pucer :

[email protected] Le Batz, 81140 Saint-

Michel-de-Vax

DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, un certain nombre d’éleveurs et d’éle-veuses affirment leur refus du puçage électronique des bêtes.Depuis juillet 2010, la pose de puces RFID (qui sont des mini-ordinateurs) à l’oreille des agneaux et des chevreaux est ren-due obligatoire en France par une réglementation qui traduitune directive européenne. Dans le courant de 2013, ce sonttoutes les chèvres et les brebis qui devront être pucées.Des personnes qui ne se voient pas comme de simples pro-ducteurs et productrices (de viande, de lait…) refusent d’ob-tempérer devant cette énième injonction administrative. Ellesrisquent pour cela de se voir supprimer une bonne partie deleurs primes, sur lesquelles reposent pourtant leurs revenus.Des groupes se sont créés, à différents endroits de France, pourorganiser une résistance à cette obligation absurde. Ils ras-semblent parfois aussi des gens extérieurs à la profession agri-cole. On peut aussi avoir un aperçu de cette lutte à travers lefilm Mouton 2.0 (qui se trouve en librairie ou sur Internet) et àtravers les textes rassemblés sur le site contrelepucage.free.fr.Notre refus est motivé par la conviction que ce type de contrôles’inscrit dans un long processus qui confisque de l’autono-mie aux individus, modifie le travail humain et le standardisede plus en plus. C’est d’abord dans les usines que les gestesont été répertoriés, décomposés, transformés, recomposés etrestitués au travailleur sous forme d’injonction. Puis, cettetendance à la rationalisation a envahi tous les secteurs d’acti-

vité. Actuellement, elle se renforce terriblement grâce à l’or-dinateur et à Internet, vecteurs parfaits de la bureaucratie etdu taylorisme. Partout dans le monde du travail, on automa-tise pour gérer la masse au détriment du soin et de l’atten-tion : que ce soit à l’école, à l’hôpital, dans les services sociaux,les bibliothèques ou… les élevages, on met à l’écart le savoir-faire personnel, on neutralise l’initiative individuelle.Nous pensons que le monde agricole offre une bonne loupepour comprendre cette dynamique perverse à l’œuvre dansnotre monde. Nous refusons le puçage car nous ne voulonspas de la traçabilité de tous et toutes comme remède auxpathologies d’une organisation sociale démesurée. Nous reje-tons la production de masse, qu’il s’agisse de nourriture, deservices ou de multiples faux besoins que le capitalismeindustriel a créés.S’il est impossible de garantir que la nourriture produite surle marché mondial ne soit pas un poison, alors c’est le mar-ché mondial qu’il faut remettre en cause. On ne peut pas espé-rer que ce marché puisse être amélioré moyennant quelqueslabels ou quelques règles de plus. Il ne peut y avoir de qualitédans une organisation sociale où 2 % de la population pro-duit la nourriture pour toutes et tous les autres (c’est notam-ment le cas de la France). Dans une pareille situation, la qua-lité fait défaut à tous les niveaux. Il ne peut y avoir une bonnequalité de vie et de travail pour celles et ceux qui produisent :soumis aux prix du marché, leur travail est à peine payé, leursjournées sont à rallonge, l’amour pour leur métier est rem-placé par la contrainte de l’efficacité. Il n’y a pas de qualitédes produits car cette dernière ne dépend pas des normes sui-vies mais du savoir-faire et du soin de celle ou celui qui tra-vaille. Il n’y a que la relation directe avec l’autre qui puissemettre en valeur ces qualités personnelles.Peut-on imaginer que la qualité soit à l’image de ce salon où latétée des veaux est mise en spectacle pour les plus petit-e-s ?Où la ponte des œufs est programmée ? Où l’on promène desbrebis électriques sous la lumière froide des néons nucléaires?Ce monde artificiel nous laisse-t-il le moindre espoir de pen-ser la parole « qualité » autrement que comme une simple adé-quation à des normes bureaucratiques et industrielles ?

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NOUS REPRODUISONS ICI LES TEXTES DISTRIBUÉS PAR DES MILITANT-E-S DU COLLECTIF FAUT PAS PUCER1,QUI SONT ALLÉ-E-S PERTURBER LE DÉROULEMENT DU SALON INTERNATIONAL DE LA SÉCURITÉ ET DE LAQUALITÉ ALIMENTAIRE (SISQA) À TOULOUSE, LE 15 DÉCEMBRE 2012.

Le 15 décembre 2012, nous sommes allés perturber le déroulement lisseet harmonieux du SISQA à Toulouse, à l’initiative du collectif Faut pas

pucer, pour manifester notre hostilité au puçage électronique des animauxd’élevage. Le SISQA est une sorte de salon de l’agriculture, « le plus grand

marché de Midi-Pyrénées ». C’est un gros rendez-vous commercial pourles exposants et une belle opération marketing pour la profession agricoleet le conseil régional Midi-Pyrénées. L’année 2012 était sa dixième édition,

elle a été marquée par la visite du ministre de l’Agriculture. Cette vitrinedes labels et de la traçabilité est une des fiertés (au même titre que

Golfech et Sanofi) du président de région Martin Malvy. Nous étions unecinquantaine à avoir choisi comme point de départ de notre action le hall

appelé « la ferme », où des animaux sont exposés et où sont mis enspectacle quelques moments de la vie d’une ferme : la tétée des veaux,

l’éclosion des œufs, le soin aux bêtes.Nous avons déployé une banderole « Non au puçage » devant une vingtaine

de brebis blasées ruminant sous les néons et les appareils photonumériques. Puis nous avons déambulé pendant plus d’une demi-heure

dans le salon en criant entre autres : « Nos fermes ne sont pas des usines !Des brebis, pas des robots ! Les labels aux chiottes ! À bas la traçabilité ! ».Nous avons également distribué un tract avec au recto un pastiche de l’oiemascotte du SISQA et au verso un texte expliquant notre refus du puçage.

(...) Merci de faire connaître cette manifestation autour de vous.Des opposant-e-s au puçage électronique des animaux d’élevage

Texte distribué au salon international de la sécurité et de la qualité alimentaire

NOS FERMES NE SONTPAS DES USINES

Pourquoi nous refusons le puçage électronique des animaux d’élevage

TEXTE MIS EN FORMEPAR TONIE

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DOSSIER

LE DÉVELOPPEMENT DE LA CITÉcapitaliste continue, le zonage et la spécialisation des territoires se renforcent. Ici on produit de lacarotte, là du divertissement et là-bas du traitement des déchets.La « réduction» de la durée de nostrajets, parfois quotidiens, entre deuxvilles modernes (avec leur traditionnelcentre-ville piétonnisé où l’on consomme dans les mêmes chaînes de magasins en circulant sur lesmêmes pavés) détruit une notion du temps, un rapport d’être au monde.L’accélération des transportsaccompagne et justifie celle de nosvies : au travail ou chez soi, l’on se retrouve avec toujours plus de tâches à faire, toujours plus vite. À l’heure où l’enracinement,l’amélioration longue et patiente de ses conditions d’existence, la création de liens stables d’entraide

et de solidarité sont combattus ou rendus quasi impossibles par le fonctionnement quotidien de la société techno- industrielle,l’immobilité peut ainsi apparaîtrecomme une valeur révolutionnaire.La mobilité des travailleuses et destravailleurs ainsi que des touristes est continuellement valorisée, voireimposée, mais de nombreusescontraintes à l’immobilité existentégalement. Les personnes sans papiersou les travailleuses et les travailleursmigrant-e-s ne le savent que trop bien.Pour certains emplois, elles et ils sontassigné-e-s à résidence, ou leurpasseport leur est confisqué à leurarrivée dans le pays exploiteur. Les femmes, que l’on a voulu assigner

à l’espace privé, subissent égalementdes contraintes dans leursdéplacements du fait de la violencemasculine intrinsèque au systèmepatriarcal.Contre l’idéologie libérale de lacirculation massive des marchandises,y compris humaines, contrel’étalement urbain et le triomphe de la bagnole, contre la grande vitesseet ses destructions, il ne s’agit pas de refuser en bloc toute perspective de déplacement, mais de retrouver la pleine et entière maîtrise de notremobilité. La relocalisation et le questionnement sur l’utilitésociale et écologique de nos activités,l’immobilité choisie, la pratique de l’auto-stop, du vélo ou de la marchesont des pistes à creuser pour arrêterde circuler toujours plus vite et plussouvent, d’un lieu d’exploitation-consommation à un autre.

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LE DÉVELOPPEMENT DES TRANSPORTS, du tramway auTGV, du métro à l’avion, sans oublier la route, engendre desdéplacements plus fréquents sur de plus longues distances.Les chantres de la mobilité se réjouissent : la liberté de circu-lation n’est plus un vain slogan, il est désormais possible defaire fi des particularismes, de quitter n’importe quelle bour-gade pour aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, d’aller àla rencontre d’autres personnes dans d’autres lieux, ou encorede travailler là où ça nous arrange. Effectivement, au premierabord, la création incessante de nouvelles lignes de métro oude nouvelles routes permet à chacun-e de se rendre facile-ment au travail depuis son domicile. De même, le dévelop-pement des lignes à grande vitesse, des aéroports et desvoyages aériens à bas prix permet de voyager plus fréquem-ment vers de plus en plus de destinations. Mais si on définitla mobilité comme le fait d’une rupture d’équilibre, d’un vec-teur de changement, sommes-nous si mobiles que cela ? Dequel dépaysement fait-on l’expérience lorsqu’on profite dechaque semaine « de libre » pour aller à un endroit différentà l’autre bout du monde ? Y a-t-il une rupture dans le fait deparcourir chaque jour de la semaine le même itinéraire aller-retour ? Il apparaît clairement que la véritable mobilité ne semesure pas au nombre de kilomètres parcourus.

MOBILITÉ SOUS CONTRAINTEQu’est-ce qui distingue les cadres qui prennent le TGV chaqueweek-end, voire chaque jour, pouvant ainsi vivre et travaillerdans deux villes distinctes, et les employé-e-s qui prennentchaque jour le train régional ou celui de banlieue parce qu’ils

et elles n’ont pas les moyens de se payer un logement encentre-ville ? C’est la possibilité de choisir, le degré decontrainte, qui rend l’usage des transports nécessaire. Commele dit Frank Michel, pour les premiers, « l’espace n’est plusune contrainte, il peut se franchir facilement » alors que, pourles seconds, « l’espace est bien réel, et les enferme peu à peu »1.S’il est effectivement pratique, voire confortable, de se rendredans un espace bien desservi, facilement accessible depuisdes trains à plus ou moins grande vitesse ou par la route,dans lequel on peut se déplacer aisément grâce aux trans-ports locaux, ce confort crée un nouveau standard qui devientnécessité. Il est alors acquis que chacun-e peut faire cinquantekilomètres en voiture pour se rendre dans des zones d’acti-vité isolées ou une heure de trajet dans les transports en com-mun pour aller dans le centre-ville. Les plus pauvres peuventalors perdre beaucoup de temps ou d’argent dans leurs dépla-

cements. Les chômeurs et chômeuses se voient par exempleparfois contraint-e-s d’accepter des emplois dans un rayonde cent kilomètres autour de leur lieu de résidence. Ce quiengendre certaines situations ubuesques... : ils et elles bos-sent pour pratiquement rien du fait des frais d’essence. D’un

NOUS NOUS DÉPLAÇONS DE PLUS EN PLUS POUR DES RAISONS PROFESSIONNELLES OU POURNOS LOISIRS, MAIS LE PLUS SOUVENT SANS QUE CELA NOUS TRANSFORME ET NOUS TRANSPORTERÉELLEMENT VERS D’AUTRES UNIVERS.

DOSSIER

Y a-t-il une rupture dans le faitde parcourir chaque jour de la semaine le mêmeitinéraire aller-retour?

1. Autonomadie, Frank Michel, éditionsHomnisphères, 2005.

SANS ÊTRE MOBILE

BOUGER

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autre côté, des personnes plus aisées peuvent s’offrir le luxed’habiter près de leur lieu de travail ou de vivre à la campagne,dans une riche demeure accessible par l’autoroute. Dans tousles cas, la mobilité n’est ici qu’une aptitude, une capacité às’adapter aux règles du marché, qui souhaiterait nous voirtoutes et tous mobiles. On est loin de la liberté de circulationque seraient censés nous apporter tous ces aménagementstechniques. Il semble de fait de plus en plus difficile de fran-chir une frontière par avion ou par rail pour qui ne possèdepas les bons papiers. Les migrant-e-s illégaux à destinationde l’Europe ou des États-Unis ne profitent d’ailleurs en riendes nouvelles opportunités de déplacements. Obligé-e-s devoyager par des moyens détournés, ils et elles doivent toutau long de leur trajet, et même une fois arrivé-e-s à destina-tion, rester caché-e-s pour éviter les reconduites à la frontière.Ce n’est guère mieux pour les « légaux ». Dans l’agriculture,des saisonniers, souvent originaires du Maghreb, sont exploi-tés avec obligation de dormir sur l’exploitation. Il y a quelquesannées, un accord permettant au patron d’exploiter et de payerles travailleurs au taux horaire du pays d’origine avait été envi-sagé. Un autre exemple est celui des travailleurs et tra-vailleuses du Kerala (état côtier du Sud-Ouest de l’Inde) quipartent gagner de l’argent à Dubaï et se voient confisquer leurpasseport à leur arrivée. Comme cela, ils et elles sont plusdociles. Que dire des chibanis, travailleurs maghrébins venusen France qui, après avoir exercé les sales boulots que peuveulent faire, sont maltraités une fois à la retraite. Leur pen-sion ne leur est pas versée intégralement, mais est indexéesur le coût de la vie du pays de résidence, s’ils retournent aubled. Pour garder une retraite déjà peu épaisse à taux plein,

ils doivent justifier d’une présence importante en France. Lamobilité qu’on nous vante n’a que faire de la liberté de circu-lation et d’installation des personnes.

SE DÉPLACER SANS VOYAGERSi l’on nous invite à bouger, c’est dans l’optique de nous faireparticiper à une véritable mobilisation au service du marché.Il faut que les personnes puissent se rendre à leur travail,mais il faut également faciliter et accélérer la circulation desmarchandises et des consommateurs. De là se construit undiscours social qui nous incite à aller toujours plus loin, tou-jours plus vite, et qui imprègne tous les aspects de notre vie.Le voyageur ou la voyageuse, faute de temps mais pas seule-ment, va parfois loin, visite de nombreuses villes, régions oupays. « Cette année, j’ai fait le Kenya, Prague ou encore laBretagne », dit-il ou dit-elle. Mais il ou elle le fait en restantavec ses semblables dans des lieux aseptisés prévus pour lesdivertir. Il et elle ne se confrontent pas réellement à la réalitésociale de l'endroit visité et donc voyagent sans altérité2. Toutest lissé, pour ne pas sortir du cadre, souvent celui de laconsommation : consommation d’architectures typiques, depaysages remarquables, de folklore authentifié, d’événementssportifs internationaux, etc. Tout cela engendre l’achat de pro-duits dérivés et régionaux dans le meilleur des cas. Ce constatest également valable avec les étudiant-e-s Erasmus qui nesont pas « véritablement socialement mobiles, se regroupantlors de leur expérience dans des cocons ou des bulles »3. Onpeut dire qu’« aller loin n’est pas une assurance de dépayse-ment »4 et que l’on peut « se déplacer beaucoup en étant peumobile »5. Profiter pleinement de quelque chose

LA PRINCIPALE compagnie low costen Europe maîtrise parfaitement les loisdu marché, ceci pour le plus grandbonheur de son patron milliardaire et de ses actionnaires qui ont touchépour le dernier exercice respectivement18 et 483 millions d’euros de dividendes1.Certain-e-s appellent ça ladémocratisation des transports. Il estvrai que Ryanair permet à des personnesqui n’ont pas les moyens de prendrel’avion via les compagnies classiques de renouer et de maintenir des liens avecleur pays d’origine2 ou tout simplement depasser un week-end dans un autre pays.Les deux secrets de Ryanair pour vendredes billets moins chers : - Réduire ses coûts au maximum :beaucoup d’intérimaires, des cadencesinfernales, une rotation très rapide des avions, un remplissage au strictminimum des réservoirs de carburant, un seul type d’appareil, pas de boutiques,tout est monnayable (valises, boissons),etc. Les salarié-e-s, dont beaucoup ne dépassent pas la période d’essai,dépendent du droit irlandais (pas desalaire minimum, sécurité sociale

très réduite, charges moindres pourl’employeur). Ils et elles doivent parailleurs payer une partie de leurformation et louer leur uniforme !- Réclamer beaucoup d’argent auxcollectivités (conseil général, conseilrégional, communauté de communes,etc.), aux aéroports et aux chambres de commerce et d’industrie contre la promesse de faire venir des gens qui dépenseront de l’argent sur place(commerces, hôtels, etc.). Le chantage est sans doute suffisammentattrayant pour que de gros travauxnuisibles, longs et très coûteux soientlancés. Partout où des avions de Ryanairdécollent et atterrissent, des aidesfinancières tombent dans son escarcelle,des subventions déguisées sous formed’aide au marketing et à la communicationversées à des filiales de Ryanair3.Et si à un moment les financeurs posentdes questions sur les pratiques de Ryanair ou sur la hausse des sommesdemandées, Ryanair menacera d’allerinstaller ses avions ailleurs. Ainsi, début2011, Ryanair avait fermé sa base à Marseille après avoir été mis en

examen pour « travail dissimulé » à causedes contrats de travail déterritorialisésdu personnel navigant. Cela n’avait pasempêché cette entreprise d’annoncer le lancement de nouvelles lignes à partir de ce même aéroport quelques semainesaprès ! Tant qu’il y a de l’argent à se faire…Le lobbying se porte bien d’ailleurspuisque Ryanair est autorisé depuis le début de l’année 2013 à transporter les fonctionnaires de l’Union européennequi bénéficieront d’un billet à prix fixe.Quelques prix encadrés en économiecapitaliste, ça ne fait pas de mal !Le mot de la fin est de O’Leary, le patronde Ryanair : « La meilleure chose qu’on puisse faire avec les écolos, c’est de les descendre. Ces têtes de nœud veulent réserver les voyagesaux riches. Ce sont des luddites qui nous ramènent au XVIIIe siècle ».

1. Capital.fr, 20 juillet 2012.2. L’association L’Orage (Marseille) prépare undocumentaire-fiction audio sur ce sujet.3. Voir le film documentaire d’Enrico Porsia, LaFace cachée du low cost. Enquête sur le systèmeRyanair sur http://www.verite-lowcost.com.

RYANAIR A TOUT COMPRIS AU LIBÉRALISME!

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2. Pour une vision critiquedu tourisme, lire le dossierdu no 14 d’Offensive reprisdans l’ouvrage Divertirpour dominer, collectif,l’Échappée, 2010.3. Mobilité sans racines.Plus loin, plus vite, plusmobiles ?, sous la directionde Stéphanie Vincent-Geslin et de VincentKaufmann, Descartes & Cie,2012, p. 26.4. Ouvrage cité, p. 10.5. Ouvrage cité, p. 10.6. Les chiffres qui suiventsont tirés du rapport 2012sur les chiffres clés dutransport publié par leministère de l’Écologie, duDéveloppement durable,des Transports et duLogement(www.developpement-durable.gouv.fr).

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demande un effort. C’est le cas dans la lecture d’unroman ou le franchissement d’un col à bicyclette. Cela ne l’estplus si on visite un site remarquable derrière son écran avecle site Google Earth. Ainsi on pourrait penser que l’accéléra-tion des transports, accompagnée d’une fréquence plusimportante de nos déplacements, ferait de nous des êtres sansracines avec peu d’attaches territoriales. Paradoxalement, oncherche, avec les possibilités qu’offre la vitesse, à rester lié ànos proches et à une région ou bourgade que l’on aime. Lavitesse nous permet de revenir chez nous tout en détruisantde plus en plus la possibilité de se sentir bien quelque part.

UNE DÉBAUCHE DE MOYENS TECHNIQUES ET HUMAINSPlus les transports vont vite, plus ils nécessitent des infra-structures et de l’énergie pour fonctionner. Des territoiresentiers et les cultures qui leur sont liées sont saccagées (voir« Lutter contre la grande vitesse » p. 19) pour créer de nou-velles voies ferrées, de nouvelles gares, de nouveaux aéro-ports, de nouvelles voies rapides de circulation (autoroutes,

périphérique), etc. À ces dégâts directement visibles, il fautajouter la consommation de ressources énergétiques, laquellecroît exponentiellement avec la vitesse des transports. Et ilest possible d’avoir plus de moyens de transport seulementparce qu’il y a toujours plus d’électricité et de carburants dis-ponibles, et donc que l’on continue d’exploiter des minesd’uranium, de charbon, ou des gisements de gaz et de pétrole.Pour que chaque jour des travailleurs et travailleuses puis-sent utiliser des transports de toute sorte, il faut bien qued’autres travaillent dans les mines, les aciéries, les chantiers…Sans entrer dans le schéma complexe de l’approvisionnementénergétique, les dépendances que créent les transports peu-vent être mises en lumière avec des exemples plus proches

de nous. Prenons le cas de la Régie autonome des transportsparisiens (RATP), qui permet à de nombreux Franciliens et àde nombreuses Franciliennes d’aller au turbin chaque matinet de consommer, y compris du loisir, pendant leur tempslibre. Pour fonctionner, le réseau de la RATP a besoin de beau-coup de matériel et d’exploitation humaine6. Il y a 201,8 kilo-mètres de métro ou encore 3 247, 4 kilomètres de bus. Il cir-cule 690 métros pour 1 506 millions de voyages, 2 millionsde voyages et 7,5 milliards de voyageurs au kilomètre (en2010). Cette entreprise investit à hauteur de 1 250 millionsd’euros et possède un effectif de 42 894 personnes. La pos-sibilité de rentrer bourré sans s’éclater en bagnole après unesoirée arrosée à Paris ou en banlieue a donc un coût. Est-onprêt-e à faire le taf du chauffeur de bus qui fait rouler un Noc-tilien la nuit ? Mais, plus généralement, nos déplacementsse font encore majoritairement en voiture et l’avion reste unluxe. Alors, même si les vols low cost facilitent par exempleles visites de personnes ayant de la famille au bled, l’utilisa-tion de l’avion, avec toutes ses nuisances sociales et environ-nementales, reste un privilège. Et on ne parle pas des bateauxamarrés au port qui sortent moins d’une demi-heure par anen mer. Prendre l’apéro sur un bateau, c’est chic…Camille & Rimso !

« CELUI QUI S’EST déplacé par desmoyens primitifs dans un pays peudéveloppé sait qu’il y a, entre ce typede voyage et les voyages modernesen train, auto, etc., autant dedifférences qu’entre la vie et la mort.Le nomade qui se déplace à pied ou àdos d’animal, avec ses bagageschargés sur un chameau ou unevoiture à bœufs, éprouvera peut-êtretoutes sortes de désagréments, maisau moins il vivra pendant ce temps.Mais celui qui roule à bord d’un train

express ou vogue à bord d’unpaquebot de luxe ne connaît en fait devoyage qu’un interrègne, une sorte demort temporaire. Et pourtant, dumoment que les chemins de ferexistent, il faut bien voyager en train,en avion ou en voiture. Supposez queje me trouve à soixante kilomètres deLondres. Si je veux rejoindre lacapitale, qu’est-ce qui m’empêche decharger mes bagages sur un mulet etde faire le trajet à pied, au prix dedeux jours de voyage ? Tout

simplement le fait que les autocarsde la Green Line, me passant toutesles dix minutes au ras des oreilles,transformeraient mon équipée en unefastidieuse corvée. Pour apprécier lesmodes de déplacement primitifs, ilfaut qu’il n’y ait pas d’autres moyensdisponibles. Aucun être au monde nerecherche la difficulté pour ladifficulté. »Georges Orwell, Le Quai de Wigan, Ivréa, 1995, p.224-225

LA MODERNITÉ CONTRE LE VOYAGE

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La vitesse nous permet de revenirchez nous tout en détruisant deplus en plus la possibilité de sesentir bien quelque part.

Ligne 135Germano Zullo et

AlbertineLa Joie de Lire, 2012.

Les illustrationsproviennent de ce

superbe album.

À LIRE

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AU Pays Basque, il semble quel’opposition n’est pas du type «pas dansmon jardin» (NIMBY) mais qu’elle estaccompagnée d’une critique globale duprojet de TGV et de la société quiproduit ces transports à grande vitesse…Mikel : Cela vient peut-être d’expérien -ces antérieures. Aux origines de cettelutte, on trouve des personnes quiavaient combattu un projet d’autorouteentre Pampelune et Iruña (en Navarre/Nafarroa) et San Sebastián(Donostia). Ce combat s’était soldé par un accord pour un changement de tracé concer nant quelqueskilomètres. D’autres personnesluttaient contre le super port de Bilbao-Bilbo (en Biscaye-Bizkaia). Il s’agit donc de personnes qui ontparticipé à d’autres mouve mentscontre les grandes infrastruc tures.

L’accord final suite à la lutte contrel’autoroute n’était pas satisfai sant,nous avions été déçus. Cela allaitcontre nos principes car nous ques -tionnions le modèle même d’auto -route. Dans la zone de Bilbao, un grostravail avait été fait mais le question -nement n’avait pas pris une dimen -sion globale. Cela se passait en 1993,et un problème plus général se posaitau sein du mouvement écologiste.Dans ces années-là, au Pays basquesud et en Espagne, on assiste à unesorte de professionnalisation dumilitantisme écologiste. Le thème dudéveloppement durable prend toute laplace. Le mouvement écologiste perdun questionnement plus large dumodèle de société. Les discussionsinternes sont plus générales. On seretrouve donc avec des personnes quiengagent une lutte contre le TGV ensoulignant les problèmes du modèlede société et du développement. Leslectures officielles du projet changent.Le thème de la métropolisation devientcentral. Avec le TGV, les décideursveulent relier les capitales du Paysbasque grâce à la grande vitesse alorsqu’il y a peu de distance entre elles. Ilsparlent de créer une mégaville, unemégacité basque, qui serait un espacehautement urbanisé et très compétitifvis-à-vis des autres grandes villeseuropéennes.

Quelles communes ou régions seraientregroupées dans cette mégacité basque?Cela concerne essentiellement lacommunauté autonome basque. LePays basque est divisé en différentesadministrations. On a d’un côté lacommunauté autonome basque (lestrois provinces dont Bilbao, Vitoria-Gasteiz et San Sebastián sont les

capitales), de l’autre la Navarre et lePays basque nord. Le trajet de TGV vaplus loin car les axes prévus vontjusqu’à Santander (Cantabrie) d’uncôté, Valladolid (Castille-León) d’unautre, ils s’étendent vers l’est jusqu’àSaragosse (Aragon) et au nord jusqu’àBordeaux. C’est un espace, le tripode,dont le centre serait la communautéautonome basque. Le pouvoir parle detrois capitales reliées à grande vitesse.Ce discours date de la moitié desannées 1990 et a également été unthème assez central dans le question -nement du modèle de société lié à cesgrands projets. Nous commençonsaprès une première vague de contes -tation au Pays basque nord. Le projetdu Pays basque sud comprend le « Ybasque », qui relie les trois capitales etle couloir navarrais. Cela forme unréseau en forme de H très dense :quatre cents kilomètres de lignes àgrande vitesse sur une surface de vingtmille kilomètres carrés. Les études ontcommencé à la fin des années 1980,avec la désinformation et sans aucuneconsultation publique, de manièresecrète, pourrions-nous dire… Le con -flit concernant l’autoroute a marquéles esprits. L’avant-projet fut terminéau début des années 1990 et devaitavoir une continuité européenne. Des études avaient été engagées avec larégion Aquitaine pour faire un nouveauréseau à grande vitesse entre Dax etIrun (Gipuzkoa) dans le but de donnerau projet du Pays basque sud unecontinuité vers Paris. La première phasede résistance a commencé dans leLabourd, au Pays basque nord, à la finde l’année 1992. C’est un mouvementdifférent, qui continue actuellement etqui a une très grande force. Lacontestation des populations

ET LE TRANSPORT DES MARCHANDISES ?

MIKEL, DE SAN SEBASTIÁN (DONOSTIA), MEMBRE DE L’ASSEMBLÉE DE LUTTE CONTRE LE TGV/AHT,NOUS PARLE DE LA RÉSISTANCE À LA GRANDE VITESSE ET À SON MONDE AU PAYS BASQUE (EUSKADI).

DOSSIER

LUTTER CONTRE LA GRANDE VITESSE

INTERVIEW D’UN RÉSISTANT AU PASSAGE DU TGV EN EUSKADI

Propos recueillisCamille

et mis en forme parRimso!

C’EST LA MOBILITÉ, c’est-à-dire les déplacements,volontaires ou contraints, des personnes, qui nousintéresse ici. Bien que les êtres humains soient souventperçus comme des marchandises, que leur circulation soittraitée comme un flux de choses par les gestionnaires, et que les techniques d’un domaine et de l’autre se recoupent largement, la mobilité des personnes et letransport des marchandises correspondent en pratique à des réalités différentes. Deux brochures (voir ci-bas)récentes analysent les transformations du transport de marchandises, notamment suite à la généralisationdes technologies de l’information et de la communication,des RFID, et surtout de l’usage du conteneur, à l’échellemondiale. Elles mettent en avant l’importance stratégiquede toute la chaîne logistique, notamment ses possiblespoints de faiblesse dans des luttes de classes.

« Marchandises, transport, capital et lutte de classes »,Échanges et Mouvement, mai 2012 « Soudain un inconnu vous offre un conteneur. Transportmaritime & production mondiale », automne 2012.Disponible sur http://reposito.internetdown.org

À LIRE

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locales est très forte. Deux centsriverains se sont retrouvés dans desréunions publiques à Urrugne (Urruña)et ils ont été nombreux dans tous lesvillages concernés. La réaction populairea été très forte et la CADE, laCoordination des associations dedéfense de l’environnement s’est crééeet a initié son propre discours. Pour la

CADE, mêmeles prévisionsd’augmentation de trafic les plusélevées pourraient être absorbée parl’infrastructure actuelle de la SNCF.Ses membres questionnent aussi lamétropolisation car la grande vitesserenforce les grands pôles et le Paysbasque nord tend à être absorbé parles grandes mégapoles. Leur réflexionest plus centrée sur des alternativestechniques. C’est grâce à cette premièrevague de contestation que nous noussommes intéressés à ce sujet. Au Paysbasque sud, des questions commecelles du modèle social et du dévelop -pement sont soulevées, mais laréponse des populations directementconcernées n’a jamais été aussi forte.C’est notre principale faiblesse.Contrairement à la nôtre, la lutte dansle val de Suse (Val di Susa) contre leTGV/TAV Lyon-Turin est réellementpopulaire. Chez nous, la lutte a ététrès longue avec des acteurs trèsdifférents. Divers groupes ou organisa -tions ont fait parler leurs experts et ont

donné leur point de vue sur ce projet.Dans les moments les plus forts, en2008 par exemple, la mobilisation apeut-être été forte mais jamais commecelle du val de Suse ou celle du Paysbasque nord. L’intérêt de notreparticipation à cette lutte est qu’ellequestionne le modèle de société dansson ensemble.

Comment expliques-tu que la lutte soitpopulaire au Pays basque nord, et pasau sud ?C’est difficile à dire. D’un certain côté,nous vivons déjà dans une société trèsurbanisée avec une forte traditionindustrielle. Au cours des deuxdernières décennies, un grand nombrede nouvel les infrastructures (routes,grands ports, etc.) ont été créées à unevitesse incro yable suite à l’intégrationà l’Europe. Il faut aussi prendre encompte le fait que le « Y basque » est à90 % sous tunnel dans le Gipuzkoa,qui est un territoire montagneux… Il

s’agit donc d’un vaste chantier. Dansle Y basque, cent cinq kilomètres detunnel sont prévus ! Cela concernebeaucoup de cantons, de villa ges demontagne, mais le nombre de person -nes directe ment concer nées n’est pasaussi grand qu’au Labourd. Se poseaussi la question de l’engagement duParti nationaliste basque (le PNV estde centre droit) en faveur du projet.Pour le gouver nement autonomebasque, le PNV, le PSOE (parti« socialiste ») et les grands partis engénéral, ce projet était un projet phare.Leur soutien a donc limité la contes -tation. Quelques contra dictions se sontensuite révélées et des membres deces partis ont participé de façon mini -me aux luttes contre le TGV… Unensemble de facteurs explique cetteplus faible mobilisation.

Le lien entre le TGV et la métropolisa -tion est-il mis en avant dans la lutte ?C’est une question centrale. Lesinstitutions parlent d’une « basco -polis ». La fonction officielle du TGVest de relier les capitales et de créerune grande zone urbaine à l’échelleeuropéenne. Cela s’accompagne deplans d’aménagement du territoiredans lesquels la LGV (ligne à grandevitesse) a un rôle fondamental. Lesdécideurs voudraient que la commu -nauté autonome basque devienne uneseule métropole. Ils sont bien loin d’yarriver car chaque territoire opposebeaucoup de résistance et d’inertie.Entre les décideurs eux-mêmes, descontradictions apparaissent. Le projetfonctionnerait avec une grandemobilité entre les capitales. Au niveaulocal, le projet de métro de SanSebastián fait beaucoup parler.

Peux-tu nous parler de ce projet demétro ? Est-il urbain ou fait-il le tourde la ville ?C’est un projet sur un réseau d’envi -ron trente kilomètres qui s’étend au-delà de la zone périphérique, ce quiest une nouveauté. Il va d’Irun(frontière nord) à Zumaya-Zumaia(Guipuscoa-Gipuzkoa). Le métro estcensé renforcer le caractère métropo -litain de San Sebastián et de ses alen -tours. Cela a engendré une grossepolémique car les travaux devraientcommencer presque au centre de SanSebastián. Ce fut très rapide. Il fautdire que les socialistes ont fait partiedu gouvernement pendant les quatredernières années. Ils ont tout accéléré,aussi bien les travaux du TGV que le

« SI LA MOBILITÉ conserve encore quelque peuson prestige ancien, elle ne peut pourtant pluspermettre à quiconque d’échapper à la mobili-sation par l’économie moderne. Ce que pro-mettait la liberté de circulation a en réalité étédétruit en même temps que la possibilité de nepas en user : astreints au salariat, à la quête demoyens d’existence et aux loisirs organisésidentiquement, les individus ont collectivementperdu dans cette course économique leurs rai-sons de quitter un lieu, comme de s’y attacher. La libre circulation a été une des causes lesplus sûres de renversement des despotismes,mais en fin de compte ce sont les marchandisesqui l’ont conquise, tandis que les hommes,ravalés au rang de marchandises qui payent,sont convoyés d’un lieu d’exploitation à l’autre.Au terme de ce processus, la promesse

d’émancipation que contenait le fait de ne plusêtre contraint de passer son existence dans unlieu unique s’est renversée en certitude mal-heureuse de ne plus être chez soi nulle part, etd’avoir toujours à aller voir ailleurs si l’on s’yretrouve. Le TGV correspond à ce dernierstade : il y a en effet une certaine logique à tra-verser le plus vite possible un espace où dispa-raît à peu près tout ce qui méritait qu’on s’yattarde ; et dont on pourra toujours allerconsommer la reconstitution parodique dansl’Eurodisneyland opportunément placé à “l’in-terconnexion” du réseau. »Extrait de Relevé provisoire de nos griefs contrele despotisme de la vitesse à l’occasion de l’ex-tension des lignes du TGV, Alliance pour l'oppo-sition à toutes les nuisances, L’Encyclopédie desNuisances, 1998, p. 17-18

CHEZ SOI NULLE PART

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projet de métro. Ils étaient à deuxdoigts de commencer les travaux aucentre de San Sebastián sans aucunecontes tation sociale, mais la mairien’est pas d’accord. Elle considère quec’est une atteinte à l’autonomiemunicipale. Comme il n’y avait pas deréponse sociale, nous avons publié undocu ment et mis en place une tableronde pour commencer à engager undébat social. Il faut s’armer un mini -mum face à ce projet… Les gens duPays basque nord sont étonnés par larapi dité avec laquelle ces grandsprojets d’infrastructures sont entaméspar les institutions au Pays basquesud. La politique de l’État espagnol ence qui concerne les infrastructures estassez exceptionnelle. Il veut construireun réseau de dix mille kilomètres delignes à grande vitesse. En 2008, lesdeux tiers des travaux de lignes àgrande vitesse se con centraient dansl’État espagnol. Tous ces projetssoutenus par l’Europe s’expliquent parle poids du BTP dans l’économie. Lesdivisions en régions auto nomes lesfavorisent aussi. Les grandes infra -structures sont toujours l’occasion demarchan dages politiques entre legouvernement central et les régionsautonomes. Toutes ces infrastructuressont un pari politique. Une personneétudie par exemple la politisation de lagrande vitesse en Espagne. Elle estune porte d’entrée pour une contesta -tion qui critique le modèle de société.Ce ne sont pas seulement desdiscussions techniques, cela va plusloin, même chez les politiciens, et l’onne retrouve pas ce phénomène dansles autres pays européens. Le discourssur la grande vitesse est très politique.Au Pays basque nord, on débat autourde chiffres comme

ceux de la saturation des transports,alors que chez nous, on utilise degrands mots magiques : le progrès, lamarginali sation, etc.

Un discours idéologique promeutdonc ces projets ?Oui, il n’y a jamais eu de discours à unautre niveau. L’idéologie de la moder -nisation est très forte. Nous serions enretard par rapport à l’Europe, ce qui estfaux. Actuellement, l’État espagnol estle deuxième pays européen, et il a plusde lignes à grande vitesse que la France.C’est la même chose en ce qui concer -ne les kilomè tres d’autoroutes. Nousavons dépassé la moyenne européenne.

À l’heure actuelle, y a-t-il desmobilisations ?Nous allons organiser des rassemble -ments devant les délégations dugouvernement basque dans lescapitales. Les travaux sont en cours. Ilsont débuté en 2006. Cela fait déjà sixans. C’est un long mouvement qui asubi une forte croissance entre 2006 et2008, avec beaucoup d’acteurs et dedynamiques. À partir de 2009, nousnous sommes retrouvés dans uneimpasse. Lesconditionspolitiques,

la criminalisation et nos rapports inter -nes ont fait que nous n’arrivions pas ànous mettre d’accord sur les stratégiesde lutte, sur les formes de lutte quenous devions engager. Les travaux ontcontinué et, pour le Y basque, ils con -cernent aujourd’hui tout le parcours.Les dégâts sont déjà très importants,mais il reste encore 70 % du budget àdépenser. Nous nous trouvons dansune situation assez contradictoire. Lefait que les travaux aient commencédans de nombreux villages a beaucoupdémobilisé mais, d’un autre côté, ilssont encore loin de la fin et rencon -trent des difficultés. Les dates de miseen service reculent tout le temps. Audébut, on disait que le réseau fonction -nerait en 2010, puis en 2013, en2016… Maintenant, on parle de 2018.La crise commence à avoir uneincidence sur la capacité d’investis -sement. Nous souli gnons les coupesfaites dans les dépenses sociales quanddes dépenses énormes sont prévuespour ces infrastructures. Nous allonsnous rassembler la semaine prochaine(la semaine du 18 février 2013) pourdénoncer ce projet et demander augouvernement basque, bien que nousn’attendions rien de lui, de n’engageraucune dépense dans les travaux pourla grande vitesse. En ce moment, lemouvement est assez vivace enNavarre, dans la zone de Pampelune.Les travaux viennent de débuter et ilsrencontrent beaucoup de difficultés. Lemouvement va être plus fort là-basdans les prochains mois. Nous avonsdes idées, on verra où cela nous

mènera… n

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LE RÉSULTAT DE DEUX SIÈCLES de concentration desmoyens de production et des capitaux, redoublés par la cen-tralisation de l’État, a conduit à faire de nos sociétés des socié-tés de masse. Cela ne se mesure pas seulement aux milliersd’individu-e-s qui parcourent en foules indistinctes les ruesdes grandes métropoles, aux phénomènes de surpopulationqui mettent en danger les équilibres naturels et sociaux, ouau développement d’une standardisation des biens, des goûts,et finalement des esprits, du fait de la culture de masse déve-loppée par le capitalisme. Cela s’éprouve désormais au quo-tidien dans les logiques de gestion des populations, d’admi-nistration totale, qui nous surplombent à l’échelle nationaleet internationale. Jamais comme aujourd’hui l’humanitén’avait pu autant éprouver sa « condition statistique », pourreprendre une expression de Paul Valéry. Chacun-e est unchiffre dans une suite de courbes, dans une colonne, dansun pourcentage. Plus encore : nous ne sommes plus que desparticules dans des flux, dont la maîtrise est désormais l’unedes activités centrales des sociétés contemporaines. La rai-son en est simple : le capitalisme et la technologie modernesont toujours été des vecteurs de mobilisation totale. Lavariante militaire de la mobilisation, où des populationsentières sont enrôlées au service des affrontements interim-périalistes, n’est en effet qu’un exemple parmi d’autres d’unetendance profonde du système actuel : celle qui consiste àréquisitionner et à mettre en mouvement à l’échelle de pays,de continents, voire du monde entier, des populations déra-cinées de leur lieu d’habitation par la « modernisation »1, desmatières premières arrachées à la croûte terrestre par l’in-dustrie, des produits finis ou semi-finis en quantités expo-nentielles, et ce afin de permettre au Capital de poursuivreson processus d’autovalorisation.

SURSOCIALISATIONOn se retrouve donc aujourd’hui face à un paradoxe. D’uncôté, la société de masse se caractérise par une sursocialisa-

tion des individu-e-s. « Il y a de plus en plus de contactshumains, chacun rencontre cent personnes chaque jour, maisde ce fait même il n’y a plus de vraie rencontre possible, quidemande du temps, de l’attention, un don de soi, unepatience », notait déjà Jacques Ellul dans les années 19602.Cette multiplication effrénée des relations sociales produitune sensation d’étouffement, d’épuisement par déborde-ment, par impossibilité de consacrer du temps à tout lemonde. En outre, la sursocialisation est renforcée par la crois-sance et l’accélération des modes de transport, ainsi que parl’essor des technologies de communication. Le voyage et lenomadisme sont systématiquement valorisés, au point dedevenir l’idéologie du capitalisme contemporain : « il faut bou-ger », « être en mouvement ». La soif d’ubiquité (être partouten même temps, tout le temps), l’impossibilité de rester enplace, l’hyperactivité, sont devenues les maladies du siècle.A priori, cette érosion des systèmes d’assignation à un lieu,un territoire, un espace donné, aurait pu avoir des effetsémancipateurs, à l’image de l’éclatement des milieux fermésqui l’accompagne : désormais, prisons, écoles, hôpitaux,usine, etc., ne peuvent plus exister dans leur forme classique.Mais cet éclatement se fait au profit d’une gestion à distance,au coup par coup, infiniment modulable en fonction desbesoins du système : bracelet électronique pour les prison-niers, enseignement à distance via les nouvelles technolo-gies, chirurgie ambulatoire, télétravail et intérim, etc.

DISLOCATIONLa sursocialisation actuelle se manifeste finalement sur lesplans psychologique et sociologique par un phénomène dedislocation, dans tous les sens du terme : la distorsion du rap-port au lieu, à l’espace, entraîne aussi une atomisation, unrepli sur la sphère privée, la volonté de s’éloigner de ses sem-blables, perçus comme gênants ou nuisibles du fait de la mas-sification. Ainsi se développe une tendance à vouloir rompredes liens sociaux perçus comme trop aliénants. Le paradoxeest là : la sursocialisation s’exprime notamment dans la volontéde s’en aller, dans l’utopie d’un retrait hors du monde social,le rêve d’une vie en autarcie, qui sont autant de formes réac-tives de dissociété3. Lesquelles sont en adéquation parfaite avecl’individualisme néolibéral. Renforcé par la crise économiqueet écologique, ce qui était projet de vie à l’échelle individuelle,familiale ou groupusculaire, devient un programme politiquevantant le retour à des économies autocentrées à l’échelonnational et territorial, comme on peut le voir avec la nouvellevogue du protectionnisme ou les expériences de « relocalisa-tion » de l’économie encouragées depuis certains conseilsrégionaux. Le multiculturalisme, dont la logique est de « direle partage et faire l’apartheid »4, en avait déjà donné la formulede base dès les années 1980 : chacun chez soi dans sa com-munauté, et tout le monde sera content. Demain, ce rêve d’au-tarcie pourrait bien se réaliser de manière cauchemardesqueen une mosaïque de collectivités closes et interconnectées,rendue possible par le développement de l’informatique et

DE LA MOBILISATION TOTALE À LA DISLOCATION SOCIALE

EN CHERCHANT À DÉTRUIRE LES OBSTACLES AUX TRANSPORTS ET À LA CIRCULATION DES FLUX,LA SOCIÉTÉ DE MASSE DÉTRUIT L’ESPACE SOCIAL ET LES LIENS SOCIAUX QUI Y ÉTAIENT ANCRÉS.

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1. Rappelons que l’exoderural commencé il y a

plusieurs siècles enOccident se poursuit

partout dans le monde. Lejournal Libération déclare

dans son édition des 5-6 janvier 2013 que « de

2007 à 2050, les métropolesdu monde absorberontencore 3,1 milliards de

villageois migrateurs. Àcette date, 70 % des gens

vivront en ville » (Et lejournaliste de se réjouir de

cette preuve d’« unincroyable dynamisme

économique »…).2. Jacques Ellul,

Métamorphose dubourgeois (1re édition 1967),

La Table ronde, 1998, p. 278.3. Jacques Généreux, La

Dissociété, Seuil, 2006.4. Fabien Ollier, L’Idéologie

multiculturaliste en France.Entre fascisme et

libéralisme, L’Harmattan,2004. Lire l’entretien aveccet auteur dans Offensive

n° 12, novembre 2006.

DOSSIER

KHADAVALI

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des réseaux. On aurait là une réalisation parodique, par lecapitalisme, du rêve libertaire de microcommunautés auto-gérées, décentralisées et fédérées entre elles par des relationssouples et révocables à volonté.Dans cet engrenage entre sursocialisation et dissociation, cequi disparaît, c’est finalement la société elle-même : des per-sonnes unies par des rapports « institutionnalisés » stableset pérennes. Par « institutionnalisés », nous voulons dire unispar des engagements réciproques qui ne relèvent pas seule-ment de la convenance, mais d’une reconnaissance de l’alté-rité qui permet de « vivre avec » même si on ne s’appréciepas, même si on n’a rien en commun. C’est cette démocra-tie vicinale5 qu’une action politique radicale peut reconsti-tuer, par la construction de rapports non aliénants deconfiance et de coopération, dans lesquels des personnes dif-férentes s’engagent à faire œuvre d’émancipation et de jus-tice sociale. Mais cela suppose aussi d’en revenir à une formeauthentique d’expérience de l’espace, sans laquelle cettedémocratie de base ne peut exister.

SE CONSTRUIRE PAR L’ESPACEL’espace n’est pas simplement le cadre dans lequel nous évo-luons, il est une partie constitutive de notre être. L’idéal decirculation sans contrainte sur lequel se sont bâties beaucoupde contestations politiques ces dernières décennies devraitêtre corrigé en ce sens. Car sous ses formes non policières, lacontrainte fait partie de toute forme de circulation, elle est cequi lui confère sa saveur. Se déplacer exige toujours un effort,une confrontation avec la matérialité de l’espace qui fait résis-tance à notre effort ; mais c’est en même temps cette résis-tance qui nous construit, dans le sens où elle nous procure lesentiment d’exister, d’exercer nos facultés contre elle. Elle faitévoluer nos aptitudes et modifie notre âme. Comme le disaitun écrivain du siècle dernier, on n’est pas la même personne

lorsqu’arrivé au sommet d’un immeuble on a gravi un esca-lier au lieu d’emprunter un ascenseur, de même que franchirune montagne à pied ne procure pas les mêmes expériencesque la traverser en voiture (voir encadré). C’est ce rapport dia-lectique qu’il s’agit de retrouver à travers des pratiques col-lectives de l’espace. Et ce qui vaut pour le mouvement vautaussi pour l’immobilité, ou tout du moins pour la sédenta-rité. Être attaché à un lieu, par exemple, n’est pas nécessaire-ment réactionnaire. En France, la plupart des luttes des années1960-1970 se sont d’ailleurs construites à partir de là, en résis-tance aux formes de mobilisation et de fluidification des fluxpropres au capitalisme : depuis la grève des mineurs de Deca-zeville en 1961-1962 pour « vivre et travailler au pays », jus-qu’à la lutte du Larzac de 1971 à 1981.Patrick

« La conscience de l’espace estétroitement liée à la manière dont on se déplace en son sein : tant quenous nous déplaçons à pied, nouspercevons immédiatement l’espacedans tous ses aspects qualitatifs :nous le touchons, le sentons,l’entendons et le voyons. La construction du réseau routiers’accompagne d’un aplanissementdes terrains, de la suppressiond’obstacles, d’une manipulationqualitative de l’espace : désormais, on ne le parcourt plus, on le franchitavec une efficacité maximale. Avec l’invention des autoroutes,l’espace est encore davantage réduit,comprimé, homogénéisé ; détournerle regard de la route qui défile

toujours à l’identique et le laissererrer dans l’espace constituentdésormais un risque mortel. Les automobilistes ne prennent plusconnaissance de l’endroit où ils sontpar le paysage qui défile autour d’eux,mais par l’intermédiaire de symbolesabstraits au bord de la route, ou parles indications de leur ordinateur debord. De ce point de vue, l’expériencemoderne de l’“anéantissement de l’espace” a une base bien réelle.Enfin, les passagers d’un avionperdent toute relation avec l’espacetopographique de la vie et celui de la surface terrestre ; l’espace ne représente plus pour eux qu’unedistance abstraite, vide, et mesurée à la durée du vol. Les voyageurs

modernes ne luttent plus contrel’espace et ses obstacles mais contrela montre, puisqu’il leur faut arriver à temps pour ne pas rater leurscorrespondances ou leurs rendez-vous. Ce passage d’une prédominancede l’espace à une prééminence du temps se reflète dans le fait que l’on se préoccupe de planificationde l’action et d’éventuels incidents.Ainsi, il n’est pas rare que l’espace ne devienne plus qu’une fonction du temps : l’endroit où quelqu’un se trouve dépend du temps, et non l’inverse, qui est désormaisobsolète. »Hartmut Rosa, Extrait de Accélération. Une critique socialedu temps, La Découverte, 2010, p. 128-129.

Accélération sociale et destruction de l’espace vécu

Espace et lieu dans la pensée occidentaleThierry Paquot et Chris Younès (dir.)La Découverte2012

À LIRE

5. De vicinus : le voisin ou la voisine. On parle des chemins vicinaux pourdésigner ceux qui relient les villages proches les uns des autres.

KHADAVALI

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ENTOURÉS DE PALISSADES en tôle blanche qui dissimu-lent des caravanes, des bâtiments modulaires dits « Algeco »,ou des petits chalets de bois, cinq villages d’insertion marquentaujourd’hui le paysage urbain du département de la Seine-Saint-Denis (Aubervilliers, Bagnolet, Montreuil, Saint-Deniset Saint-Ouen). Ces villages, mis en place en 2006, font partieintégrante de politiques racistes néolibérales qui construisentles « Roms migrants »1 (figures essentiellement masculines !)comme une catégorie de population dangereuse et les assi-gnent à des territoires. Les villages d’insertion sont en quelquesorte des fabriques d’immobilités productives qui prennentappui sur la définition de populations mobiles indésirables,pour mieux intégrer ces populations au marché du travail.

UN TRI DE POPULATIONIl existe actuellement cinq villages d’insertion en Seine-Saint-Denis mais l’extension de ce dispositif est en cours dans plu-sieurs villes de France. Ces villages ont été construits pour« répondre au problème des bidonvilles » sur le territoire descommunes. Quand l’État ou la mairie procède à des évacua-tions de bidonvilles –ce qui est courant !–, une enquête socialeest lancée. 20 % des habitant-e-s du bidonville sont sélec-tionné- e-s par unité de famille mononucléaire pour partici-per à ce programme de villages d’insertion en fonction de plu-sieurs critères : bonne maîtrise du français, scolarisation des

enfants, absence de casier judiciaire, recherche active d’em-ploi. Les 80 % restants bénéficient d’une aide au retour pro-posée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration(OFII) ou sont obligés d’aller vivre ailleurs. Le village d’inser-tion fonctionne donc sur le principe du tri de « populationsméritantes» que l’on amène au village pour les sortir du bidon-ville. Les villages sont des lieux complètement clos. Ils sont entou-rés d’une barrière en parpaings ou en tôle. À l’entrée du vil-lage, le gardien ou la gardienne empêche quiconque d’en-trer dans le village sans autorisation. Même les élu-e-s ontbesoin d’une autorisation de l’association gestionnaire pourpouvoir rentrer ! Surtout, le nombre de visiteurs et visiteusesest limité à quatre personnes par famille, qui doivent êtredéclarées auparavant au gestionnaire. Les visites ne sont per-mises qu’entre 8 heures et 22 heures, « pour limiter les acti-vités illégales » (entretien avec un gardien) et sont contrô-lées : les gardien-ne-s relèvent les cartes d’identité despersonnes qui se présentent à l’entrée du site. Le courrier dela DDE, présentant le projet du village de Saint-Denis, pré-cise ainsi les principes de sécurité : « La relation avec le publicextérieur : celui-ci devra toujours être contrôlé à l’entrée dusite ; la relation avec le quartier : le principe est celui du ‘‘vil-lage’’, clos mais intégré au paysage urbain ». Le but de la sur-veillance est explicitement admis par les responsables du pro-

jet des villages d’insertion. Le même courrier de la DDE pré-cise que « les logements ne seront pas disposés de façon àménager des angles morts difficiles à surveiller ». Il estaccompagné par un schéma illustratif qui mentionne expli-citement « un axe de distribution facilitant la surveillance ».Dans ces villages, l’habitation devient un support de norma-lisation des corps et des modes de vie. Certain-e-s acteurs etactrices associatifs considèrent même le village d’insertioncomme un « sas de dégraissage », nécessaire pour « stabili-ser les familles ». L’association Rencontres tsiganes proposed’ailleurs sur son site2 un document présentant le projet devillage d’insertion d’Aubervilliers. Il y est stipulé que « [l]’offred’habitat est conjointe à une offre d’accompagnement socialpour favoriser dans la durée : l’apprentissage des contraintesliées à l’usage et à l’entretien d’une habitation, […] la recherchedes solutions de décohabitation pour les jeunes ménages ».Dans ces lieux, le travailleur ou la travailleuse sociale a pourcharge d’« aider[…] les ménages à intégrer leur nouveau typed’habitat et à assumer les contraintes liées à celui-ci (paie-ment du loyer, des charges, aménagement du logement,entretien du logement et des espaces extérieurs, relations devoisinage) ». Il s’agit donc selon ces personnes d’apprendreaux « Roms migrants » à « habiter », c’est-à-dire à rompre lesliens familiaux et amicaux antérieurs, à payer des charges etun loyer. La somme payée, de 50 euros par personne sur lesite de Bagnolet à 350 euros par famille sur celui d’Aubervil-liers, inclut le loyer, l’électricité et les charges. « L’idée étantbien entendu à la fois de permettre aux ménages d’avoir uneredevance qui est à la mesure de leurs ressources (...) et puis,au fur et à mesure de l’accès vers l’emploi, d’avoir une mon-tée un peu en puissance du loyer pour que la transition versle logement social se passe de la façon la plus continue pos-sible. Donc c’est aussi important qu’il y ait cette graduationdans le loyer, parce que sinon c’est difficile après quand onaccède au logement social et qu’on n’a pas l’habitude de payerune quittance » (entretien avec un membre de la DDE).

LA DÉFINITION DE CATÉGORIES MOBILESDANGEREUSES… À IMMOBILISERLes villages d’insertion sont justifiés par la définition de popu-lations dangereuses qu’ils permettraient de prendre encharge : les « Roms migrants » expulsés des bidonvilles. Qua-siment inconnue il y a un peu plus d’un siècle, la catégoriedu migrant apparaît avec la mise en place de l’État nation auXIXe siècle, version IIIe République. Mais la figure du migrantn’est pas associée à celle du « Rom » : avant les années 1990,le « Rom », appelé tsigane, manouche ou gitan dans les dos-siers de la gendarmerie, appartient à la catégorie des« nomades », puis des « gens du voyage ». C’est son noma-disme qui est considéré comme problématique. La catégo-rie même du « Rom migrant » n’est utilisée qu’à partir de lafin des années 1980 lorsque, avec la chute du mur, des Romsd’Europe de l’Est3 viennent en France, en Italie, en Espagne,dans un contexte de construction économique et politiquede la forteresse Schengen et de recrudescence des politiques

GÊNÉS PAR LE NOMADISME DES ROMS, LES POUVOIRS PUBLICS DÉVELOPPENT LES VILLAGESD’INSERTION, OUTILS DE CONTRÔLE DESTINÉ À LES SÉDENTARISER ET LES STABILISER.

DOSSIER

Le village d’insertion fonctionne sur leprincipe du tri de «populations méritantes».

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1. Tandis que les pouvoirspublics utilisent et

construisent la catégorie des« Roms migrants » pour gérer

et contrôler une certainepartie de la population, denombreuses personnes et

associations revendiquent leterme Rrom comme

appellation politique.2. « Projet social : créationd’un lotissement d’habitat

adapté destiné à contribuer àl’éradication des bidonvilles »,

Aubervilliers,www.rencontrestsiganes.asso.fr.

LES VILLAGES D’INSERTIONUNE FABRIQUE D’IMMOBILITÉS PRODUCTIVES

Olivier Legros, « Les“villages d’insertion” :

un tournant dans lespolitiques en directiondes migrants roms enrégion parisienne ? »,Asylon(s), n° 8, 2010,

www.reseau-terra.eu.

Roms et Tsiganes,Jean-Pierre Liégeois,La Découverte, 2009.

De la lutte des placesà la lutte des classes,

Michel Lussault,Grasset, 2008.

À LIRE

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sécuritaires d’immigration. Dès lors, une distinction est opé-rée entre les Roms de l’Est et les « gens du voyage », français.« Les Roms n’appartiennent donc pas à la communauté desgens du voyage, lesquels aux termes de la loi du 3 janvier1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et aurégime applicable aux personnes circulant en France sansdomicile ni résidence fixe, doivent être en possession d’untitre de circulation. Ce sont deux catégories différentes » (Jour-nal officiel, 7 novembre 2007). Au contraire, les « Romsmigrants » sont considéré-e-s comme des « étrangers, res-

sortissants de l’Union européenne (essentiellement de Rou-manie et de Bulgarie) », c’est-à-dire comme des migrant-e-séconomiques qu’il convient de gérer comme tel-le-s. Quesignifie ce dédoublement des catégories ? D’une part, bien qu’elles différencient les gens du voyage etles « Roms migrants », les politiques publiques françaisesreconnaissent l’existence d’un trait commun entre les gensdu voyage et les « Roms migrants » : une histoire faite de mobi-lités problématiques. Les Roms sont alors considéré-e-scomme une population en fuite perpétuelle, à sédentariser.Les villages d’insertion sont ainsi présentés comme le moyende rompre avec les années d’« errance migratoire » et les habi-tudes de précarité, grâce à l’accompagnement social et la « sta-bilisation des familles dans un environnement sain ». D’autrepart, la même opération de différenciation des gens du voyageet des « Roms migrants » permet de perfectionner la prise encharge des populations, puisque les deux catégories ne relè-vent pas des mêmes politiques publiques. Cela conduit lesadministrations à affiner leurs catégories d’identification enconstruisant différents types de mobilité dangereuse, diffé-remment intégrables sur le marché du travail.

OBJECTIF EMPLOIL’un des objectifs affichés de ce projet est l’insertion sur lemarché du travail des « Roms migrants », et à plus long termedes populations dont les mobilités sont construites commeproblématiques. Tout est fait pour que les ressources écono-miques dépendent uniquement de l’activité salariale. Tousles types de récup’, d’élevage et de maraîchage sont interdits,même si de nombreuses stratégies sont mises en place parles habitant-e-s pour lutter contre ces interdictions. L’exer-cice d’une activité salariale est même la condition pour que

les Roms obtiennent des papiers d’identité français. Les vil-lages d’insertion mettent ainsi en jeu les politiques de ges-tion des populations immigrées, en traçant une frontière del’exclusion entre les immigré-e-s intégrables sur le marchéde l’emploi – les habitant-e-s des villages – et celles et ceuxqui ne le sont pas. Celles et ceux-ci deviennent du même coupindésirables et sont de ce fait expulsé-e-s. En outre, petite anec-dote qui en dit long sur la structuration de la « normalité sala-riale », les travailleurs et travailleuses sociales sont particuliè-rement vigilant-e-s à respecter la division genrée du travail.Certain-e-s m’ont ainsi affirmé qu’elles et ils tentent d’abordde trouver un emploi au mari et qu’ensuite seulement elleset ils essaient d’intégrer la femme au marché de l’emploi,« pour ne pas trop perturber les relations familiales ». Les vil-lages d’insertion renforcent ainsi une organisation écono-mique centrée sur le salariat et la structure familiale mono-nucléaire, où les femmes et les personnes âgées assurenttoutes les tâches domestiques. À l’intérieur de ces villages,les habitant-e-s mettent en place de nombreuses formes derésistance, même si les marges de manœuvre sont très faibles,car le risque d’expulsion est toujours très présent. Tonie

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L’un des objectifs affichés de ce projet est l’insertion sur le marchédu travail des « Roms migrants ».

3. Les termes « Europe del’Est », « Europe orientale »,« Europe occidentale »,« Europe de l’Ouest »permettent de décrire lasituation géopolitiqueavant la chute du mur.Cependant ces termesservent aujourd’hui àrenforcer l’image d’uneEurope de l’Est pauvre etarriérée, poids pourl’Union européenne.L’association des Romsmigrants, pauvres et sansressources avec l’Europede l’Est renforce cette peurde l’Est.

VILLAGE D’INSERTION DE SAINT DENIS. LA « PLACE » DU VILLAGE EST DIRECTEMENT VISIBLE DEPUIS LA LOGE DUGARDIEN. ON DISTINGUE À L’ARRIÈRE PLAN LE MUR QUI ISOLE LE VILLAGE DU TERRAIN MILITAIRE DE FORT DE L’EST.

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DANS NOTRE SOCIÉTÉ PATRIARCALE, LES DÉPLACEMENTS DES FEMMES ET DES LESBIENNES DANS L’ESPACE PUBLIC SONT LIMITÉS PAR LE CONTRÔLE EXERCÉ NOTAMMENT PAR LES PROCHESET LES VIOLENCES QU’ELLES SUBISSENT BEL ET BIEN.

DES FEMMES ET DE LA MOBILITÉ

DOSSIER

IL EST TRÈS SOUVENT sous-entendu que, si une femmesort seule, elle encourt des dangers. Ces dangers sont à lafois des craintes qu’on nous inculque pour limiter notre auto-nomie, mais aussi une réalité. On est effectivement plus sou-vent embêtée, voire agressée par des hommes si on se déplaceseule plutôt « qu’accompagnée ». Cartographie de ces trajetscontrôlés pour une tentative de réinvestissement.

DÉPLACEMENTS IMPOSÉSUne femme qui se déplace seule et de sa propre volonté estfinalement une figure assez récente. Avant la seconde par-tie du XXe siècle, une femme qui sortait ou voyageait seuleavait à faire, que ce soit comme travailleuse, prosélyte,migrante économique, ou alors elle occupait un « rôle mas-culin » lors de circonstances exceptionnelles (pendant la Pre-mière Guerre mondiale).Ces déplacements n’étaient donc pas choisis par elles maisleur étaient imposés, du fait de leur position de genre, declasse et/ou de race. Ce type de déplacement existe toujours,pour les mêmes raisons, mais aussi pour le soin aux enfants :on ne reproche pas leurs trajets à celles qui trimballent leursenfants de loisirs en loisirs !

Parfois, des déplacements imposés peuvent cependant deve-nir une première échappée vers l’autonomie. Le permis deconduire est caractéristique de cela : nos grands-mères nel’avaient pas ou le passaient par nécessité (décès du mari,etc.), nous le passons encore souvent par nécessité (pour trou-ver du travail, etc.). Mais il est tout de même le symbole d’unecertaine indépendance, par l’appropriation qu’il offre de sontemps et de l’espace, par des déplacements facilités.

LÉGITIMER SA PRÉSENCE SOLITAIRELes voyages « d’agrément » des femmes seules au cours duXIXe siècle et du XXe siècle étaient avant tout exceptionnels,le fait de personnages singuliers (et de classe aisée !) commeAlexandra David-Néel ou Flora Tristan. Ils sont maintenantliés au tourisme, ce qui reste très occidental et le privilèged’une classe. Malgré tout, les voyageuses solitaires ne sontpas si nombreuses et sont systématiquement l’objet deréflexions : sur le danger, mais aussi sur le « pourquoi » dece voyage seule, l’ennui qu’elles risqueraient de connaître.Cela soulève des interrogations, de l’étonnement, alors qu’unhomme qui part seul est un aventurier…Celles qui ont fait l’expérience du stop en solo savent qu’ellesdevront souvent répondre à la question : « Mais vous n’avezpas peur ? ». À cela plusieurs réponses possibles : « pourquoi,je devrais ? », « non merci, ça va et vous ? », ou encore « si,mais j’ai une gazeuse dans la poche et si tu bouges je t’éclate ».Inculquer la peur est une technique somme toute assez clas-sique pour contenir toute velléité d’émancipation. Pour lesfemmes, cela se double en général d’un discours sur une

supposée faiblesse structurelle qui fait penser que nousserions incapables de nous défendre seules. Présenter l’ex-térieur du foyer comme dangereux avant même d’avoir par-tagé l’idée que les rues, les places, les routes sont à toutes ettous, c’est enfermer plus de la moitié de l’humanité dansune construction de soi dans laquelle les femmes sont fra-giles et n’ont de place que dans l’espace privé. Il ne s’agit pasde culpabiliser les mères, mais ce sont souvent les premièresà relayer ces discours et à inscrire cette division de l’espacepublic dans l’imaginaire social de leur-s fille- s : « fais atten-tion à toi » plutôt qu’« amuse-toi bien », « ne rentre pas touteseule » plutôt que « ne rentre pas avec le premier connardvenu pour te sentir en sécurité ». Mensonge implicite, inté-gré par toutes et tous... Ce sont encore les ami-e-s qui pro-posent de faire un détour pour nous déposer devant notreporte, être sûr-e-s que nous passons bien le seuil d’un foyeroù nous sommes supposées être en sécurité. Les déplace-ments des femmes sont sous le contrôle bienveillant de leursproches. Merci de cette bonté, nos trajets ne seront jamaistout à fait sereins puisqu’on nous assène dès nos premierspas qu’une femme porte en elle, indélébile, son potentielde/rôle de victime !

Idée qui semble relever du sens commun tant l’accord esttacitement général et aussi instrumentalisé : la dangerositéde l’espace public pour les femmes est un des argumentsqui sert à la mise en place de caméras et autres systèmes desécurité high-tech dans les rues. On sera bien contente depouvoir revoir l’agression de jeudi dernier une fois qu’elleaura eu lieu…

Il s’agit donc de critiquer à la fois un discours et une réalité :la rue est un espace genré, ou radicalement masculin qui desurcroît, la nuit, n’est pas accueillant pour les femmes seules.Si c’était le cas on verrait plus de femmes se balader dehorsentre 2 et 4 heures du matin. Le problème est d’utilitépublique, les ventres de la nation doivent rester intègres, doncdans la maison des parents ou du mari ! À moins d’être iden-tifiée comme mère (les mères à la sortie de l’école se fontmoins draguer), ou « femme de », une femme dans la rueest un corps à prendre, offert au premier « t’es charmante »ou claquement de langue dégoulinante. La nuit rend le dépla-cement d’une femme sulfureux, voire scandaleux. Si elle n’estpas à sa place, le foyer, c’est qu’elle est disponible. La nuitcomme sur les routes, nous ne nous appartenons plus, lesbarrières du jour sautent, la société ne conçoit plus que l’onpuisse avoir une vie à soi, que l’on puisse faire des chosesseule. Les déplacements par obligation (travail, famille…patrie, de jour) et pour soi (promenade nocturne dans lesrues, voyage en stop) ne sont pas perçus et acceptés de lamême façon. L’indépendance est limitée temporellement etspatialement...

L’indépendance est limitée temporellement et spatialement... notrecorps ne nous appartient pas complètement, la société nous surveille.

UNICYCLE, DE KRISTINE VIRSIS,COLLECTIF JUST SEEDS

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La pression culpabilisante exercée sur les femmes pourqu’elles ne sortent pas seules est cependant disproportion-née par rapport au risque réel. Ainsi, si on est agressée dansle cadre d’un déplacement « pour soi », on nous en fera lereproche : « Mais qu’est-ce que tu faisais là, seule, à cetteheure ? ». C’est nous qui nous mettons en danger en sortantindûment, c’est nous qui cherchons l’embrouille, alors queCendrillon, en plus de savoir bien récurer, restait bien tran-quillement avec son Prince, elle.

RÉACTIONS FÉMINISTESUne fois le constat du « danger omniprésent » fait, les armespour le contrer sont bien faibles. S’enfermer à la maison nerésoudra en rien les problèmes des violences contre lesfemmes dans l’espace public. Vivement que les mèresinquiètes apprennent à leur fille à se défendre et qu’aucunlieu ne leur soit interdit ! Que ce soit verbalement ou à coupsde pied, tant qu’il y aura des connards violents contre lesfemmes, il faudra bien s’en protéger. La conscience de ce quiest insupportable n’a rien de nouveau, mais puisque cettecondition perdure, il faut bien la dénoncer, et la combattre.Les stratégies individuelles peuvent être variées, mais l’une

d’elle est très courante dans les villes : levélo ! À bicyclette, c’est sans appel, on abeaucoup moins de soucis qu’à pied,quelle que soit l’heure. Des insultespeuvent toujours fuser, mais on passevite. Et le vélo à la place du métro ou du bus, c’est aussi évi-ter largement les publicités (deux mille cinq cents messagespublicitaires reçus par jour), dont beaucoup sont sexistes,avilissantes, et constituent une agression visuelle. Echapperà ce matraquage de « la féminité » belle, fragile et chic n’estdonc pas un détail !Des stratégies collectives existent enfin pour rendre visibleset dénoncer les contraintes qui pèsent sur nos déplacements.Les manifestations de femmes étaient déjà un moyen d’ac-tion des suffragettes dans les années 1920. Et vu tout ce quiprécède, il est logique que les marches en non-mixité, dansdes lieux et/ou à des heures qui nous sont déconseillées/inter-dites, soient devenues un mode d’action féministe ! Un peupartout dans le monde (Suisse, Turquie, États-Unis, etc.), cesmarches dénoncent une situation mais surtout ne deman-dent rien, n’infantilisent ou ne victimisent pas leurs partici-pantes, elles prennent avec bruit, musique et force les pavéset la nuit. C’est là que la non-mixité prend tout son sens.Démonstration de puissance collective, ces marches sont desmoments d’intenses échanges sur nos grandes et « petites »oppressions quotidiennes et où on visibilise notre conscienced’une limitation insupportable de nos mouvements. Il estdifficile de mettre des mots sur cette expérience de détermi-nation commune, expérience qui ne se justifie que par sonexistence même, l’émulation qu’elle crée, et dans les certi-tudes de chacune d’être à sa place là et au moment où elle ledésire. Ne pas se sentir seule dans sa rage pour justementpouvoir choisir de l’être à n’importe quel moment et à n’im-porte quel endroit ! Rage de nuit

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EN ÉGYPTE OU EN INDE aussi,des femmes luttent à la foiscontre les violences subies dansla rue et contre ceux qui veulentles «protéger» en limitant leursdéplacements.Après le viol et le meurtre d’uneétudiante en décembre dernier à Delhi, des manifestationsmassives se sont déroulées, et les dénonciations de crimessimilaires se sont multipliées.Les protestataires pouvaientréclamer la peine de mort... ou être issus de l’extrême droitereligieuse, comme le parti ShivSena, qui a procédé à desdistributions d’armes blanchesaux femmes pour qu’elles sedéfendent. Réaction populiste

d’un groupe prônant une placeextrêmement traditionelle maisnon-effacée pour les femmes...et ayant des responsabilitésdirectes dans les massacres et les viols commis en 2002contre des populationsmusulmanes dans la région de Mumbai. L’éditrice UrvashiButalia rappelle cependant que le mouvement féministeindien aspire a des réponsesbien différentes, et n’oublie pas les questions des inégalitéssalariales, de l’éducation ou des violences dans le cadre de la famille.

Des Égyptiennes dénoncentpubliquement les agressions

qui se déroulent notammentpendant les mobilisations placeTahrir. Elles continuent de semobiliser contre le harcèlementsexuel, et de contrer les discoursculpabilisants des autorités et de la société. Face auxattaques de leurs manifestations,elles ne renoncent pas et trouvent des moyens de réplique originaux: pistolets àeau remplis de mercurochromespour «marquer» les agresseurs,groupes d’autodéfense, etc. Le groupe Operation Anti SexualHarassment parle d’«attaquesvisent à exclure les femmes de la vie publique et à les punir deleur participation au militantismepolitique et aux manifestations.»

MARCHER

À VOIR

Marche de nuitféministe et non-mixte lesamedi 25 maià Paris, détails à venir sur le blogdu collectif Rage de nuit :ragedenuit.blogspot.fr

Les femmes du bus 678film de Mohamed Diab2012

AFFICHES DU COLLECTIFRAGE DE NUIT.

RIPOSTE FÉMINISTE CONTRE « PROTECTION » PATRIARCALE

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LE SCHÉMA EST bien connu : quand le développement éco-nomique d’une ville la rend intéressante et attire toutes sortesde populations aux intérêts divers, les places deviennentchères. Les quartiers les plus proches du centre, prisés parles agences immobilières, accusent une augmentation desprix telle que seul-e-s de nouveaux et nouvelles habitant-e-saisé-e-s peuvent s’y installer, tandis que les plus modestesqui y vivent partent peu à peu, que ce soit d’eux-mêmes ouparce qu’ils n’ont plus les moyens de rester. Ce remplace-ment de populations peut s’étaler sur plusieurs années, etne nécessite pas forcément d’autres interventions que cellesde la loi du marché et de la démographie. On a ainsi pu voiril y a quelques décennies le Vieux-Lille se vider de ses habi-tant-e-s pauvres, ou les artisans quitter le faubourg Saint-Antoine, à Paris. Mais quand ce processus « automatique »est trop lent pour les propriétaires et toutes les personnes etinstitutions qui spéculent sur les mouvements de popula-tion, celles-ci mettent en place des stratégies urbaines. Onassiste alors à une valorisation des quartiers populaires etdes cités considérées comme trop proches du centre. Celase fait par différents moyens, des plus brutaux, comme l’ex-pulsion de squats, l’expropriation et la démolition d’im-meubles, aux plus fins, comme la création de lieux culturels,et sous différents prétextes : lutte contre l’insalubrité ou ladélinquance, promotion de la mixité sociale… La rue d’Au-bervilliers, à Paris, fait l’objet d’une telle politique depuis plu-sieurs années : non-entretien, puis destruction de bâtiments« insalubres » pour chasser les habitant-e-s, puis construc-tion de HLM réservés aux personnes avec un revenu« moyen » et installation d’un gigantesque complexe cultu-rel dans les anciens abattoirs pour attirer une nouvelle popu-lation. Que ce processus soit ou non accéléré par les pou-voirs publics, les effets sont toujours semblables et lespopulations les plus pauvres sont chassées aux profitsd’autres, plus aisées. Bien sûr, cela ne fonctionne pas tou-jours comme les initiateurs et initiatrices le souhaiteraient.Les tentatives de « dynamisation » des quartiers via des bou-tiques de mode ont échoué tant à Lille Sud qu’à la Goutted’Or. De même, bien que l’effet « capitale de la culture 2013 »puisse accélérer les choses, le centre-ville de Marseille résisteencore à la suppression définitive de son habitat populaire.

LA MOBILITÉ COMME MOYEN DE RELÉGATIONÉvidemment, la mobilité des personnes joue plusieurs rôlesimportants dans de tels dispositifs. Par exemple, c’est parcequ’il est possible aux classes laborieuses de faire quotidien-nement plusieurs dizaines de kilomètres aller-retour que lesclasses possédantes peuvent se permettre de les parquer àl’écart, sinon les employeurs seraient les premiers à se

plaindre. Autre exemple : la construction ou l’extension d’unréseau de transports publics rapide et efficace au sein d’unquartier va renforcer ce schéma en générant une spécula-tion immobilière sur des logements qui seront considéréscomme plus accessibles. Les conséquences d’une telle ségré-gation spatiale accentuent encore les inégalités. Alors que lecentre-ville et les quartiers commerçants vont bénéficier detransports publics denses et peu onéreux, permettant notam-ment à leurs habitant-e-s de se passer de voiture, beaucoupde quartiers périphériques ne sont facilement accessibles quepar les axes routiers. Ceux-ci sont alors rapidement encom-brés aux heures de pointe, et se déplacer depuis ces lieuxdemande toujours plus de temps et d’argent. Ainsi, les trans-ports alimentent ce cercle vicieux urbanistique, et il sembleque les personnes les plus démunies sont condamnées à êtrereléguées de plus en plus loin…Mais il y a forcément des limites à ces effets : il n’est pas pos-sible de faire travailler de plus en plus de personnes dans unmême lieu en les faisant vivre de plus en plus loin. Cet étatde fait, couplé au zonage de la ville, c’est-à-dire à la sépara-tion des lieux selon leur fonction (habitat, loisir, commerce,

DANS LES RECOMPOSITIONS ACTUELLES DES VILLES, LE DÉVELOPPEMENT DES TRANSPORTSPARTICIPE PLUS À ISOLER LES POPULATIONS PAUVRES QU’À LES AFFRANCHIR DE LEURS LIEUXD’HABITATION.

CES TRANSPORTSQUI NOUS LAISSENT

À NOTRE PLACE

DOSSIER

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1. Campagne pour laréquisition, l’entraide etl’autogestion.

À LIRE

industrie), génère des déplacements incessants et mène rapi-dement à la saturation des principaux axes de circulation. Sion retrouve toujours les figures du « centre attractif » et de la« périphérie délaissée », à partir d’une certaine échelle, lesvilles, devenues métropoles, développent d’autres phéno-mènes de relégation. Ce n’est plus uniquement la distancegéographique entre le centre-ville et un quartier d’habitationqui détermine si celui-ci est délaissé, mais surtout l’accessi-bilité des différents lieux d’emploi, de consommation ou deloisirs à partir de ce quartier. La ségrégation se présente alorssous d’autres formes : l’absence de transports publics, ou lafaible fréquence de ceux-ci s’ils existent, ou encore la diffi-culté d’en rentrer ou d’en sortir. Ainsi, une zone d’habita-tion anciennement périphérique, désormais largement englo-bée dans la ville lors de son extension, peut continuer à subirune situation de relégation, par exemple si elle se retrouvecoincée entre des nœuds routiers et des voies de chemin defer. Les nouveaux projets de transports vont de même avoirtendance à relier entre elles des zones favorisées sans amé-liorer l’accessibilité de lieux qui en auraient bien besoin. Àl’instar des lignes à grande vitesse qui permettent de relierdeux villes d’importance plus rapidement, mais ne desser-vent plus les gares intermédiaires, le projet de « super-métro »autour de Paris va d’abord relier les principales zones d’acti-vités économiques (Saclay, La Défense, Marne-la-Vallée) sanss’arrêter dans les quartiers qui se trouvent sur son chemin.Pour rejoindre l’une de ces zones depuis un quartier popu-laire, il restera nécessaire de prendre sa voiture, ou d’autrestransports publics, moins rapides et moins fréquents.

ENRAYER LE DÉVELOPPEMENT DES MÉTROPOLESCe qu’il convient d’empêcher, c’est la métropolisation desvilles qui conditionne le développement des espaces uni-quement en fonction de leur attractivité économique. Elle

conduit à la construction d’une inégalité spatiale violente,où les aménagements servent d’abord une classe privilégiée.Du Grand Paris à Marseille Provence Métropole, ce sont sou-vent les communautés urbaines regroupées autour desgrandes villes qui mènent le bal de l’aménagement urbain, àgrand renfort d’événements artistiques et de consultationspubliques. Il paraît difficile d’enrayer ces phénomènes. Biensûr, les bulles financières et immobilières qui éclatent detemps à autre ralentissent la bétonisation de l’espace public,comme en témoignent ces nombreux immeubles vides aban-donnés le long de la côte espagnole ou encore les traces deprojets de lotissements en plein désert aux États-Unis. Mais,outre qu’il est souvent trop tard quand des projets immobi-liers sont interrompus, il n’est pas possible de compter uni-quement sur les dysfonctionnements et les contradictionsde la métropolisation pour espérer y mettre fin. Les luttespour le logement semblent les plus à même de ralentir et decontester le développement urbain. En se mobilisant contreles expulsions, que ce soit de maisons, d’immeubles, desquats, de foyers ou de camps de Rroms, on empêche tou-jours la relégation de certaines personnes « indésirables »aux yeux des urbanistes, tout en ralentissant ou empêchantle réaménagement des lieux au profit de quelques-un-e-s.Moins visibles en France ces derniers temps, les luttes contrel’augmentation des loyers pourraient être un outil précieuxpour toutes les personnes qui sont y confrontées, des étu-diant-e-s vivant en résidence aux habitant-e-s de quartiers enplein processus de gentrification. Enfin, squatter a toujoursune signification et une efficacité fortes dans ces histoires.La CRÉA1, à Toulouse, est une lutte collective qui semble réus-sir à mêler certains de ces différents aspects, via la réquisi-tion de maisons vides pour accueillir des familles sans loge-ment. Les politiques ne s’y trompent pas : la répression quesubit cette campagne n’est pas anodine.Camille & Rimso !

La lecture de « L’Invendable »(n° 8, janvier-février 2012), quiparle du tramway à Roanne, oudu livre de Jean-MarcSérékian1, sur le cas de Tours,est éclairante sur l’arnaqueécologique du tramway, sansparler des nouvelles camérasqu’il permet d’installer ou del’embourgeoisement desquartiers ciblés. Il n’est enréalité qu’un habillage aumême titre que les parterresfleuris et les arbres exotiquesen pot. Le tramway aurait pupermettre un autredéveloppement urbain s’iln’avait pas été chassé desvilles à partir des années 1920avec une propagande de chocpour les voitures individuelles.« Paris, toujours en avance,avait perdu son tram peu detemps après qu’on y eutabandonné la traction animale,

si poétique et si judicieuse,pour une électrification plusconforme à l’esprit du siècle. »(L’Invendable). À Tours, lapresse disait par exemplequ’« il existemalheureusement deux plaiessaignantes et purulentes, quichoquent les visiteurs : nostramways et nos urinoirs »2.L’arrivée des nouveaux tramsne chassera que des beauxarbres tout en ne favorisantpas la seule réelle mobilitédouce qu’est la marche. ÀTours, le sort réservé auxarbres est révélateur d’unsystème. « Ce dernierconstitue un bio-indicateur desprogrès du capitalisme et de laprivatisation des espacesmunicipaux. L’abattagesystématique et arbitraire desarbres illustre ainsimétaphoriquement l’une des

fonctions des tramwaysmodernes : requalifier lesbassins de chalandiserégionaux en capitalescommerciales “hors sol”,débarrassées de tout ce quin’est pas utile à laconsommation. L’affluxautomobile de la clientèle enprovenance des zonespériphériques y sera parailleurs facilité par lesdéplacements en tramway deshabitants du centre-ville, quise découvriront bientôt lescaptifs de cet univers dominépar la technique et les lois dumarché. »3

1. Le cœur d’une ville… hélas ! Chroniqued’une privatisation de l’espace public, Jean-Marc Sérékian, Le Passager clandestin,2011.2. Idem, p. 24. L’auteur présente une citationtirée de Tours : le tramway, CMD Éditions,coll. « Mémoire d’une ville », Jean Chédaille,1998, p. 79.

3. Idem, p. 33-34.

Un tramway nommé flétrir

Z. Revue d’enquête et de critique socialen° 2, automne 2009,Marseille

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METTRE UN TERME Mettre un terme à l’organisation desdéplacements centrée sur les « véhicules particuliers » sembled’abord une nécessité écologique. Outre les gaz à effet de serreet les différentes particules nocives qui proviennent des potsd’échappement, de l’usure des pneus et du bitume, il faut éga-lement mentionner les pollutions chimiques issues de l’ex-traction et du raffinement du pétrole, la destruction ou la pol-lution des sols sur lesquels sont construits les autoroutes,rocades et autres échangeurs. Autant de dégâts qui ne se limi-tent pas à la construction ou à l’utilisation des véhicules, maisaussi à leur fin de vie. En plus des matières plastiques et descomposants chimiques présents dans l’habitacle ou la batte-rie, par exemple, on trouve tout un tas de déchets électroniquesdans les voitures récentes. La gravité de ces problèmes estessentiellement due au nombre de voitures circulant dans lemonde (1 milliard en 2010), et à sa constante augmentation.Mais au-delà de questions strictement environnementales,ce que cache ce nombre incroyable, c’est une société organi-sée autour de l’automobile.

LA BAGNOLE : UN PROBLÈME SOCIALTout au long du XXe siècle, celle-ci a complètement remo-delé les villes et les campagnes, et même jusqu’aux zonessauvages. Le choix de la voiture comme moyen de déplace-ment « standard » a engendré un urbanisme dangereux,contraignant et ignorant des êtres humains. Pour permettreaux véhicules particuliers d’accéder à la ville, il a fallu trans-former les rues en routes, ainsi que les places en carrefoursou en rond-point. Il est certain que ces aménagements ontcontribué à déplacer, voire à détruire, la vie publique qui avaitlieu en ville. Qui aurait en effet envie de flâner en bas dechez lui s’il ou elle doit pour cela respirer les gaz d’échappe-ment, entendre le bruit des moteurs et risquer de se fairepercuter. De fait, la chaussée est accaparée par les voitures,sans compter la surface occupée par les parkings et les placesde stationnement, empêchant souvent toute autre utilisationde cet espace, que ce soit pour la fête, la discussion, les ren-

contres ou simplement pour une petite sieste. Mais rien n’ex-prime mieux les changements provoqués, rien ne décritmieux la société automobile que le « cauchemar pavillon-naire »1. S’il est possible de faire quelques dizaines de kilo-mètres en moins d’une heure, il devient tentant de se logerà l’extérieur des villes et villages, au calme, dans un endroitoù il est possible d’acquérir une maison et un bout de jar-din. Et les promoteurs immobiliers de répondre à ce besoin...Le résultat, ce sont ces banlieues pavillonnaires, recouvertesde ces « petites boîtes toutes pareilles »2, qui s’étendent à n’enplus finir en périphérie des métropoles. Le cas de Los Angelesest emblématique, qui semble n’être qu’une gigantesque suc-cession de lotissements, et dont le trafic sur les autoroutesurbaines est en permanence saturé. Ce type de logement, où

tout-e habitant-e devient tributaire de sa voiture, implique lacréation de centres commerciaux et de complexes culturelset sportifs, dont les parkings peuvent occuper le double desurface que les structures elles-mêmes. La création de com-merces de proximité ou de lieux associatifs, bref, d’espacesde rencontres, est difficilement viable dans un tel contexte.La voiture contribue ainsi à créer une société qui privatisel’espace public, isole les habitant-e-s les un-e-s des autres, etqui place la consommation comme seule perspective deréponse aux besoins et aux envies.

QUELQUES FAUSSES SOLUTIONSÀ différentes échelles, les pouvoirs publics se rendent comptede ces impasses, et déclarent agir pour limiter la casse. Il y atout d’abord les solutions techniques qui proposent d’amé-liorer les voitures pour les rendre moins polluantes, commel’incitation à produire et à acheter des voitures qui dégagentmoins de CO2, ou l’obligation d’installer des filtres à parti-cules sur les pots d’échappements. Les voitures électriquesou les agrocarburants permettent d’abord de créer desconsommations de niche, souvent luxueuses, et de la fairesubventionner le plus possible par l’État, tout en créant denouveaux problèmes. Il faudra du nucléaire pour les moteursélectriques si on souhaite réellement se passer d’hydrocar-bures et les agrocarburants créent une tension et des spécu-lations sur les terres agricoles, déjà mises à mal par l’étale-ment urbain. Enfin, certaines mesures présentées commeécologiques, ne sont que des cadeaux à peine masqués à l’in-dustrie automobile : la « prime à la casse » encourage toutsimplement le gaspillage en subventionnant l’acquisition denouveaux véhicules. Toutes ces dispositions tentent de rendremoins nocifs les véhicules pris un à un, sans remettre enquestion leur utilisation massive.

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DOSSIER POURQUOI, ET COMMENT, REMETTRE EN CAUSE LA PLACE DE LA VOITURE.

QUELLE FIN POUR LASOCIÉTÉ AUTOMOBILE?

1. Le cauchemarpavillonnaire, Jean-Luc

Debry, L'Échappée,2012

2. Désignation desmaisons de banlieue

dans la chanson LittleBoxes de Malvina

Reynolds, 3. Voir l'article « Destransports qui nous

laissent à notre place »dans ce dossier

Pour permettre aux véhiculesparticuliers d'accéder à la ville, il afallu transformer les rues en routes

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Certains projets d’aménagements du territoire ou de la villeprétendent mettre en cause l’hégémonie de la voiture. C’estun argument qu’on retrouve par exemple en faveur des lignesà grande vitesse. Or, l’ouverture d’une ligne n’a jamais commebut, ni comme effet, de diminuer significativement de la cir-culation automobile sur le même axe. Les conséquences vou-lues, et généralement obtenues, sont l’intensification des cir-culations entre les villes reliées, et l’accélération du trajet pourcelles et ceux qui pourront se déplacer en train. Au mieuxréduit-on les trajets par avion. À l’échelle des villes, si les trans-ports publics sont indispensables pour permettre un moindrerecours à l’automobile, ils sont souvent conçus pour allégerun axe routier saturé ou pour permettre des déplacementsrapides vers certaines zones éloignées du centre3. Là encore,les transports publics jouent davantage le rôle de « complé-ments» du trafic routier que d’alternatives : rares sont les misesen service de bus ou de tramways qui s’accompagnent d’uneréduction du nombre de voies de circulation pour les voitures.

QUE FAIRE ?Il semble bien difficile de sortir de la société automobile sanss’attaquer à des causes plus profondes (la société de consom-mation, l’organisation capitaliste du travail) et sans accepterdes dystopies4 déprimantes, où chacun-e resterait chez soi,l’essentiel des rapports sociaux et des activités se faisant àl’aide de machines interconnectées. Une partie du mouve-ment de critique de la voiture avance des propositions fon-dées sur le modèle de la ville, et surtout du centre-ville, quiest une partie centrale de la réalité du centre du monde de lavoiture. Piétonniser les rues, inviter les personnes à privilé-gier leurs pattes ou les vélos, rollers… est aisé dans un contextede centre-ville, mais cache, par une illusion éthique, les dif-férences de position sur les différentes chaînes (du ravitaille-ment, de l’emploi, des travailleurs). La concentration de l’ha-bitat et des activités sur des mêmes espaces semble de primeabord permettre une moindre utilisation des voitures. Maiselle amène petit à petit à une désertion des campagnes et àde gigantesques espaces vides entre deux grandes villes, ren-dant d’autant plus nécessaires de larges voies de circulation

rapides. À l’inverse d’une concentration tous azimuts, unemeilleure répartition des personnes sur toutes les zones habi-tées pourrait nous affranchir du besoin de la voiture. En revi-vifiant les villages et les villes de petite taille et en diversifiantles activités des différents territoires, plutôt que de les can-tonner à une seule tâche où ils sont censés exceller, on peutespérer que les besoins en transports pour le travail ou l’ap-provisionnement soient considérablement réduits. Mais celasuppose un changement radical d’organisation sociale, ce quinous conduit vite à des problèmes de taille, comme ceux liésà la reconversion de l’agriculture, à l’urbanisme (que fairedes périphériques et des parkings si leur utilité devient négli-geable), mais surtout à l’industrie. La chaîne de productionautomobile fait travailler un nombre incroyable d’ouvriers etd’ouvrières à travers le monde5, et il paraît illusoire de fer-mer les usines du jour au lendemain sans causer un mas-sacre social. Remettre en question la société automobile néces-site d’interroger le monde tel qu’il roule… Camille

DE LA BONNE CONSCIENCEcharitable à l'ultralibéralismevirulent, le transport de personnes handicapées n'estvisiblement pas un travail social.Du moins à Paris, où le marché(en fait un service public de la Mairie de Paris, PAM75) a été attribué à l'entrepriseprivée SOMAP du groupe Kéolis qui emploie ses chauffeurs sousla convention collective des...chauffeurs-livreurs et autresroutiers, et pas sous celle des travailleurs sociaux. Leur conférant ainsi amplitudehoraire accrue et salairesmoindres, ils n'ont trop souventd'autres diplômes que le permisde conduire voire un bagage

culturel, social ou politique très léger. Ce sont certes des avantages pour les actionnaires de Kéolis -pas de contestation, pas de mise en perspective de son activité dans un schémasocial plus large, etc- mais pas pour les usagers du servicePAM75. Qualité de service low-cost, retards fréquents et parfoisconséquents, coûts des appelsen cas de retard supportés par les usagers, facturationcatastrophique, relations avecles clients (sic) indigente,navrante et affligeante, pas d'annulation possible moinsde 24 heures avant (commentgérer des imprévus?), prix

des courses trois à quatre foisplus élevées qu'un ticket detransport en commun, etc,donnent la claire sensationd'être traité comme un vulgairecolis et pas comme quelqu'unqui mène une existence à partentière. Si la mobilité estdevenue une norme sociale, elle est aussi évidemment une énorme source de profits, et même sur le dos de ceux qui ont besoin d'être aidés pource faire: en général, ils nepeuvent pas se plaindre, et puissi d'aventure ils s'y risquent on leur servira une belle languede bois une fois par an et hop,d'ici là, on se remplit les poches.

CYNISME ET MÉPRIS DANS LE TRANSPORT DE PERSONNES HANDICAPÉES À PARIS

4. Contre-utopie.5. Au moment d'écrire ces lignes,les travailleur-se-s de PSA Aulnaycontinuent la grève lancée le 16janvier contre la fermeture du siteprévue en 2014

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NOUS AVONS TOUT D’ABORD commencé par définir cequ’est une mutuelle pour nous, notre vision commune destransports, de leur utilisation, du fichage, de la fraude et dela gratuité. C’est de l’échange de nos expériences communesde fraudeurs qu’est née l’envie de créer une mutuelle. Nousavons essayé de définir pratiquement ce à quoi servait cettemutuelle. Élargir la caisse de solidarité au stationnementpayant n’était-il pas une manière de légitimer le « tout auto-mobile » ? Est-ce qu’on peut pratiquement élargir cettemutuelle aux vélos, voiture, etc. ? Et, théoriquement, nousnous sommes interrogé-e-s sur la gratuité. Tout en ayantconscience que le transport est gratuit pour une bonne partdes Toulousain-e-s (chômeurs-euses, RSIstes…), la mutuelleprenait sens dans un objectif concret d’alternative aux trans-ports. En effet, là où la gratuité est défendue par les institu-tions, il est difficile de ne promouvoir que celle-ci en éten-dard. Il fallait aussi par la même occasion dénoncer le fichagedans les transports en commun, l’ultrasécurisation de cesespaces, parce que ce n’était pas concevable de créer unemutuelle de fraudeurs seulement dans l’objectif de créer unesorte d’économie parallèle.Dans ces discussions, notre position s’est affinée. Chacun-ed’entre nous s’est renseigné-e plus précisément sur le fonc-tionnement de Tisséo (l’équivalent de la RATP à Toulouse)et nous avons beaucoup échangé sur ces informations et lestechniques de fraude qui mettaient en valeur les failles dusystème, autant pour le métro que pour la SNCF. Face à unenécessité de visibilité, nous avons écrit une brochure pra-tico-pratique. Elle dressait un panorama du fonctionnement

du métro toulousain, par exemple en décrivant les différentscorps de métiers qui s’attachent à la sécurité, mais aussi enexpliquant les différentes techniques de fraude (avec des pré-cisions sur chaque station : où entrer, où sortir…), et enfinl’attitude à suivre si tu t’es fait choper. Par exemple, entrenous, nous nous étions donné de fausses identités que nousconnaissions. Si quelqu’un-e se faisait choper, il invitait lecontrôleur à appeler une des personnes de la mutuelle, quivalidait cette fausse identité. Au dos de la brochure, il y avait les contacts pour se mettreen relation avec la mutuelle des fraudeurs, qui venait conjoin-tement de voir le jour. « Si malgré toutes les techniques exis-tantes pour frauder, vous vous êtes quand même fait gauler,une caisse existe pour payer les amendes. Cette caisse fonc-tionne sur le principe d’une mutuelle et est alimentée par unecotisation mensuelle de cinq euros modulable. »1 Nous étionsbien évidemment les premiers à cotiser, avec quelquesproches, et c’est presque avec joie que nous avons accueilli lapremière amende : la caisse de solidarité entrait en fonction…

Cependant, quelques limites ont rapidement commencé à sefaire jour. Nous nous sommes de moins en moins réuni- e- s,et la mutuelle a manqué de visibilité, tant et si bien qu’elle nes’ouvrait pas assez sur l’extérieur, ce qui compliquait l’apportfinancier et l’apport en énergies pour de nouvelles initiatives.C’est ce manque de vision sur le plus long terme qui nous aembourbé-e-s dans une autodéfinition permanente, ce qui aralenti l’aspect pratique de l’impact de la mutuelle. Aussi, sicette mutuelle n’a pas fonctionné comme on l’espérait, c’est

1. Extrait de la quatrième decouverture de la brochure

Sauter Tisséo.

AGIR QUELQUES

MUTUELLESEn Île-de-France

Blackmut (Saint-Denis),Carte orange mécanique,

les Mutorzs (14ème),Passages libres

(Montreuil), Piratp(Belleville), Les Radis (sud

de Paris), RATP([email protected]),

Transports vraimentgratuits (Saint-Denis,

mutuelletgv.wordpress.com)

À Lillemutuelledesfraudeurs

delille.over-blog.org

Et bien d’autres ailleurs,comme celle qui se monte

à Roazhon (Rennes).

DOSSIER

S’ORGANISER POUR FRAUDERRETOUR SUR UNE EXPÉRIENCE TOULOUSAINE

IL EXITE PLUSIEURS MUTUELLES DE FRAUDEURS DES TRANSPORTS PUBLICS EN FRANCE. UN GROUPEA TENTÉ D’EN CRÉER UNE À TOULOUSE, EN 2010. TÉMOIGNAGE DE DEUX PARTICIPANTES.

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en partie à cause d’un manque d’échange et d’ouverture avecd’autres initiatives similaires, d’autres mutuelles existantesen France. Dernier facteur extérieur intervenant dans cet« échec », c’est une particularité toulousaine : les transportsen commun sont gratuits pour les chômeurs et les précaires,autant dire que beaucoup de personnes de notre entouragene saisissaient pas l’utilité de ce projet. Malgré tout, cette initiative s’est voulue porteuse d’actionsconcrètes sur les transports et son monde. Nous avons affi-ché d’immenses « Fraudez » sur les ascenseurs des métros

et les abribus et aussi détourné – clin d’œil aux mutuellesparisiennes qui avaient détourné l’autocollant de la RATPavec un lapin – des autocollants de Tisséo : la liste des sta-tions à l’intérieur des rames se trouvait remplacée par « Vouspayez votre ticket un euro cinquante, plus de 80 % de cettesomme est consacrée à la sécurité, sécurité avant tout pré-sente pour que vous payiez un euro cinquante. Contre le capi-talisme sécuritaire, fraudez Tisséo ! ».Beyoncé et Kimberley

AVANT LESMUTUELLES

de fraudeurs, ily a eu la lutte

pour les trans-ports gratuits. Si leurconstitution rentre en réso-nance avec un acte social

(la fraude), la première mutuelle fon-dée à Paris plonge ses racines dans lecheminement politique du Réseaupour l’abolition des transports payants(RATP). À sa création, au début desannées 2000, la formulation de gratuitédes transports n’était pas nouvelle.Depuis les années 1970, de petits col-lectifs (GRATPP, TGV, etc.) avaient spo-radiquement porté cette nécessité sousforme de revendication. Mais le RATPétait plus l’héritier des mouvements de

chômeurs de l’hiver 97. À ce momentavait émergé le besoin de se déplacersans être contrôlé-e, pour aller cher-cher un boulot… mais aussi manifesteren « trains gratuits ! ».Au sein du RATP, la fraude pouvait êtrela pratique de quelques-un-e-s maiselle n’était pas appelée de ses vœuxpar le collectif. L’idée était simple. Iln’était pas possible d’appeler à unepratique illégale d’autoréduction sansen assumer de manière collective lesconséquences juridiques et finan-cières. La loi relative à la sécurité quo-tidienne du gouvernement socialistevenait d’instaurer six mois d’empri-sonnement et sept mille cinq centseuros d’amende pour les fraudeurs lesplus assidus !Les mutuelles naissent donc après un

épuisement de ce processus politiqueponctué d’actes (actions portesouvertes dans le métro, trottoirspayants, etc.) et de réflexions (avec leCollectif sans ticket de Bruxelles).D’ailleurs, le cœur de l’argumentairedes mutuelles de fraudeurs d’aujour-d’hui doit beaucoup à ce qui a été poséà l’époque. La naissance d’une mutuel-le en 2005 – inspirée par des militant-e-s suédois-e-s – a donc permis demettre une revendication en acte. Celainvitait a fortiori à réfléchir à ce que lasolidarité à partir de situations parti-culières pouvait signifier. La fraudedevenait un acte collectif, la désobéis-sance individuelle une pratique de soli-darité, et cela a permis d’ouvrir la luttedes transports gratuits au-delà desseul-e-s militant-e-s.

À L’ORIGINE DES MUTUELLES DE FRAUDEURS ET DE FRAUDEUSES

Années 70: Le GRATPP, pour Groupe de Résistance Active aux TransportsPublics Payants (1ère image), naît à cetteépoque. En 1978, des autonomes détrui-sent à coup de marteaux une centaine de composteurs dans le métro parisien.L’action est revendiquée «Résistance àl’Augmentation des Tarifs Publics».

Années 80 : En 1982, le collectif« Transports Gratuits des Voya geurs » (2e image) distribue un quatre-pages où ils incitent les usagers à pratiquerl’autoréduction en distribuant un cou ponaux contrôleurs.

Années 90 : En 1995, un collectiféphémère TRAUM, qui signifie Tribunede Résistance Active des Usagers du Métro, dénonce les milices chargéesde la sécurité dans le métro aux moyensd’autocollants et de tracts.

Années 2000 : Le Réseau pour l'Aboli tiondes Transports (3e image) apparaît en2001 à Paris. Au même moment, descollectifs voient le jour dans d’autresvilles comme à Grenoble (4eimage) ou, à la suite du RATP, autour d’autres revendications contre la publicité par exemple. (5e image)

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À LIRE LE LIVRE-ACCÈSCollectif sans ticket,Éditions du Cerisier,2001

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DIMANCHE 25 NOVEMBRE. La voiture est remplie decagettes de bouffe. Patates, potimarrons, pâtes, oignons, cho-colat, lait de soja, vin… les stocks de la Vache Rit sont pleins àcraquer grâce aux personnes qui ne cessent de nous ravitaillerdepuis plusieurs semaines. Nous ramenons toutes ces joyeusesvictuailles à nos caravanes, en chantant à tue-tête, mes poteset moi ! Sur la route, un nouveau barrage de gendarmesmobiles. Et merde ! On s’arrête. «Alors, cette voiture, elle vientbien d’une grande firme internationale ? Et vous roulez avecde l’essence dégueulasse produite par Total ? Et vous prenezdes routes construites par Vinci ! Faudrait un peu vous mettreen accord avec vos idées hahaha ! Moi, je suis ultracapitalisteet je l’assume très bien ! Je peux prendre l’avion et tout sansme poser de questions hahahaha ! » Esclaffement général desautres playmobiles autour. Quels gros connards ! Déjà, leurprésence sur la zone est une provocation permanente quioblige les habitant-e-s de la ZAD à faire des détours par d’autresroutes, par d’autres champs, pour éviter les contrôles ! Maisalors là, ils atteignent vraiment le comble de la débilité.Pourtant, cette anecdote m’a trotté dans la tête pendant plu-sieurs jours. Parce qu’au fond, c’est un peu vrai que depuisquelque temps j’emprunte des autoroutes Vinci au moinssix fois par mois en faisant du stop pour aller et venir à laZAD. C’est un peu vrai que je rencontre ici des personnesvenues des quatre coins de France, d’Espagne, d’Angleterre,de Belgique, d’Italie, et d’ailleurs. C’est un peu vrai que cesmobilités militantes posent question pour l’organisation dela vie quotidienne. C’est un peu vrai que nous n’avons pasici toutes et tous les mêmes capacités/possibilités de nousdéplacer, et qu’on ne prend que super rarement la peine d’en

parler. Bref, c’est un peu vrai que je participe à une luttecontre un aéroport et les mobilités qu’il organise, sansprendre le temps de m’interroger sur nos mobilités collec-tives et sur mes propres mobilités, en tant que meuf blanchevalide féministe. Alors je me suis dit que ça valait peut-êtrele coup de continuer à poser ces questions, de réfléchir à com-ment me/nous réapproprier nos pratiques de mobilité, enprenant en compte les rapports de domination qui partici-pent à la construction de telles pratiques. Ces interrogationsont bien sûr été posées dans plein de lieux différents et jen’ai évidemment aucune réponse toute faite à apporter. Cene sont que quelques petites planches de plus, à assembler,désassembler et rassembler encore et encore !

TOUTES ET TOUS À LA ZAD ! ?D’abord, la ZAD est devenue depuis quelques mois un lieude fortes mobilités militantes. Qu’est-ce que ça veut dire ?Que depuis le début des expulsions1, en gros depuis mi-octobre, des dizaines de milliers de personnes viennentdéfendre le bocage, apporter de la nourriture et d’autresformes de soutien matériel, passer un moment, construiredes cabanes, faire des tours de garde sur les barricades, par-ticiper à des réunions… Que des personnes de Corse, de Bor-deaux, de Dijon, de Saint-Affrique, de Fay-de-Bretagne2,d’Afrique du Sud, de Bruxelles3 et de bien d’autres coins dumonde, viennent passer une après-midi, deux jours, dix jours,trois mois sur la ZAD, de manière ponctuelle ou de manièrecontinue… Bien sûr, face à ce flot continu de personnesvenues de tous les horizons, de nombreuses stratégies derépression sont mises en place par l’État, la Justice et les forcesde l’ordre – oui, je sais, ces trois choses ont des liens entreelles… Outre les barrages et les contrôles routiers évoquésplus haut, ce sont des procès-mascarades à répétition, qui sesoldent par de la détention, par des interdictions de présencesur les communes concernées par le projet d’aéroport4 ousur le département de la Loire-Atlantique, par des placementssous contrôle judiciaire. Ces techniques de contrôle des mili-tant-e-s antiaéroport s’inscrivent dans une organisationsociale des mobilités plus large : certaines mobilités sont trèsvalorisées – celles des « citoyens » blancs européens qui pren-nent l’avion pour aller travailler deux jours à Shanghai, etjouer les touristes dix jours à New York – tandis que d’autressont tout à fait criminalisées – celles des milliers de sans-papier-e-s qui sont traqué-e-s par les polices européenneschaque année. Et cela a aussi des conséquences concrètessur les personnes qui peuvent ou pas venir sur la ZAD : monpote Mathias, qui n’a pas de permis de séjour, ne peut/veutévidemment pas mettre un pied dans le bocage. Trop dan-gereux. Alors pour moi, lutter contre l’aéroport et ses mobi-lités, c’est aussi me battre contre le partage entre ces mobili-tés « légitimes » et ces mobilités « dangereuses ». C’est aussi

LIEU DE VIE ET DE PASSAGE, LA ZON À DÉFENDRE (ZAD) À NOTRE-DAME DES LANDES EST UN ENDROITPROPICE POUR ARTICULER UNE CRITIQUE DE NOS MOBILITÉS ET DU MONDE QUI VA AVEC. TÉMOIGNAGE.

DOSSIER

DE L’AYRAULTPORT À LA ZADÀ LA RECHERCHE

D’AUTRES MOBILITÉS

1. Pour avoir plusd’informations sur les

événements passés et lesrendez-vous à venir, pour

lire des témoignages depersonnes ayant vécu des

petits ou des gros bouts devie sur la ZAD, vous pouvez

regarder le très beau sitezad.nadir.org !

2. Commune voisine de lazone prévue pour l’aéroport.

3. Ces lieux renvoient auxlieux cités lors de

l’assemblée générale de lamanifestation de

réoccupation, le 18novembre 2012.

4. A priori, si une personnese fait arrêter sur un

territoire alors que l’accèsde ce territoire lui est

interdit, elle encourt deuxmois de prison ferme. Mais

ces mesures étantrelativement récentes, je nesuis pas totalement sûre del’application de ces peines.

5. Lieu construit pendant lamanifestation de

réoccupation du 17novembre 2012.

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me battre contre le contrôle de nos vies et de nos déplace-ments. Contre l’ayraultport et son monde. Vinci dégage.Mais je dois reconnaître qu’il m’est aussi arrivé de prendrel’avion, que je viens à la ZAD par les autoroutes Vinci ! Quej’ai parfois des rendez-vous amicaux, familiaux ou autres,un jour à Nantes, le lendemain à Toulouse ! Que je vais faireune manif à Paris, et le lendemain, à Notre-Dame-des-Landes ! Que plein d’ami-e-s sont prêt-e-s à faire mille deuxcents kilomètres en trois jours pour aller manifester à Lyon !Alors ils sont où, les problèmes ? J’ai l’impression que plu-sieurs niveaux d’interrogation se mélangent. D’abord, c’estsuper dur de me déplacer sans utiliser le TGV, sans roulersur les autoroutes Vinci, sans utiliser de carburant dégueu-lasse (ou du nucléaire tout aussi dégueulasse !) extrait dansdes conditions dégueulasses par de grosses multinationalesdégueulasses. Alors j’essaie de ne pas engraisser ces grossesfirmes en fraudant, en faisant du stop, en me promenant àtravers champs. Petites stratégies de résistance. Mais je neveux pas non plus être rendue responsable de l’existence decette organisation capitalistique des transports. Lutter contrel’aéroport, c’est aussi pour moi lutter contre ces formes d’or-ganisation des mobilités. Mais comment inventer des moyensde déplacement qui ne reposent pas sur l’exploitation de mil-liers de personnes (et même d’une c’est déjà trop !) et la des-truction des ressources naturelles ? De plus, je crois que cesquestions ont tout à voir avec l’organisation de mes/nos dépla-cements, avec les différents espaces de ma/nos vies. Car c’estsûr, pas besoin d’utiliser des moyens de déplacement rapidessi je n’ai pas à me déplacer rapidement sur de longues dis-tances. En même temps, je n’envisage pas de rester toujoursau même endroit. Plus, c’est même important pour moi depouvoir rendre visite à des personnes et à des collectifs quivivent aux quatre coins de la France et de l’Espagne ! Alorscomment organiser ma/nos vies en problématisant ces dépla-cements ? Ce que je veux dire, ce n’est pas du tout que je pré-tends atteindre une position « pure » ou je-ne-sais-quoi de« super révolutionnaire ». C’est plutôt que je me pose millequestions pour savoir comment il serait possible de me/nousréapproprier mes/nos déplacements, et les problèmes quise posent dans ma/nos vies quotidiennes par rapport à cela.Et le fait que la ZAD concentre des mobilités militantes mesemble être un de ces problèmes, à plein de niveaux. C’estclair, c’est super chouette selon moi que plein de gens s’in-vestissent dans cet endroit, et sans ces investissements mul-tiples, il n’y aurait probablement plus de ZAD aujourd’hui !Mais comment à la fois m’investir sur la ZAD et sur d’autreslieux de lutte et de vie ? Quels effets cela a-t-il sur mes/nosdéplacements ? Comment à la fois lancer des projets de maraî-chage, tenter de me/nous réapproprier ma/notre nourritureet sa production, et en même temps me déplacer d’une région

à l’autre chaque semaine ? Comment construire des projetsavec des personnes si ce ne sont jamais les mêmes personnesd’une semaine sur l’autre ? Quels problèmes cela pose-t-ilpour l’organisation de la vie quotidienne sur la ZAD, quanddes milliers de gens viennent chaque semaine, et que toutela logistique bouffe, accueil, ménage, repose sur quelquesépaules, et toujours les mêmes ?

LES LIEUX DE LA ZAD, OUVERTS À TOUTES ET TOUS ?Enfin, les mobilités que j’aimerais interroger ici ne concer-nent pas seulement les allers-retours à la ZAD, mais égale-ment la zone elle-même. Car tout le monde n’a pas les mêmespossibilités de se déplacer dans le bocage, et cela n’a que peude choses à voir avec la présence militaro-policière, même sielle renforce certainement ces inégalités de déplacement. Leprojet de rampe d’accès à la Châtaigne5, pour les personnesen fauteuil roulant, béquilles, poussettes, ou autre, a été pure-ment et simplement abandonné. Les barricades autour dece lieu empêchent toujours des tas de personnes de s’y rendre– essayez d’enjamber quatre barricades avec un enfant dansles bras ! – alors qu’il devait être un lieu « ouvert à toutes ettous ». De nombreuses réunions avec traduction en troislangues se tiennent dans la salle des Chats teigneux et tei-gneuses, ce qui exclue un grand nombre de participant-e-squi ne peuvent pas y accéder. Et à ce jour, aucune réflexioncollective n’est en cours à ce sujet.

À cela, s’ajoutent les ambiances super virilistes sur les barri-cades – il est courant d’y entendre « salope de keuf, je vaisvioler ta femme et tes enfants ! », « Petites tapettes ! », etc.,etc. – et dans plein d’autres lieux, les menaces homophobesau couteau dans les bois, les hétérosoirées désertées par pleinde meufs pour cause de multiples agressions. Alors non, jen’ai pas l’impression de pouvoir aller « où je veux » sur laZAD. J’ai l’impression que certains endroits sont des lieuxoù je ne suis pas à l’aise, où d’autres meufs ne sont pas àl’aise, voire en danger. Et quand nous visibilisons ces situa-tions d’oppression, les grosses voix crient pour se faireentendre plus fort. « N’importe quoi, arrêtez de vous victi-miser. Si vous voulez plus de meufs aux barricades, ben vousn’avez qu’à y aller… » Non mais on ne va pas en plus êtrerendu-e-s responsables des oppressions qu’on subit ? ! Ce sontaussi contre ces pratiques de mobilité inégales que j’ai enviede lutter. Contre l’ayraultport et son monde. Contre sonmonde et ses oppressions sexistes, racistes, homophobes,âgistes, validistes. Bien sûr, nous mettons des petites straté-gies en place avec les potes avec qui je vis ainsi qu’avec lecollectif non mixte meufs-gouines-trans de la ZAD, pour lut-ter contre ces situations. Mais c’est une toute petite échelle,et ça me paraît important de prendre au sérieux ces ques-tions plus collectivement. Pour me sentir plus forte indivi-duellement et collectivement, pour m’assurer que me direanticapitaliste, ça veut aussi dire antisexiste, antiraciste etcontre les autres formes d’oppression. Pour ne pas recon-duire par une rhétorique et des pratiques qui ne les pren-nent pas en compte les schémas d’oppression qui structu-rent nos déplacements sur la zone ! Comment construire alorsd’autres pratiques de mobilité ? On se bouge ? Tonie

J’essaie de ne pas engraisser ces grossesfirmes en fraudant, en faisant du stop, en me promenant à travers champs.

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S’IL EST UNE FIGURE qui a été négligée ces dernières décen-nies dans le champ des luttes politiques révolutionnaires, c’estbien celle de l’auto-stoppeur. Pourquoi des auto-stoppeurs àune époque où c’est toute la filière automobile qui est encrise ? Quand le capitalisme impose de manière autoritairele déplacement et la mobilité, y a-t-il encore un sens à vou-loir se déplacer ? Plutôt que de prôner l’immobilité, le gesterévolutionnaire ne consiste-t-il pas à se réapproprier certainsmodes de déplacement ? Plutôt que de conspuer les péripleset le voyage, n’est-il pas plus pertinent de voyager d’unemanière simple et radicale : le pouce levé ! Bon nombre demilitant-e-s ont tranché la question. Pourtant leurs pratiquesinventives et subversives ne sont jamais évoquées dans lesrevues militantes. Dérangent-elles à ce point ? Attention doncà ne pas renvoyer cette création toujours singulière à un exo-tisme bon marché ou à une pratique de hippies ! La figure de l’auto-stoppeur traverse de manière secrète, invi-sible, le champ de la politique révolutionnaire. Si pour Marx,« les révolutions sont les locomotives de l’histoire », commeil l’écrit en 1850 dans Les Luttes de classes en France, quidaujourd’hui des automobiles ? Et si les révolutions, plutôtque des locomotives, étaient en fait aujourd’hui des auto-mobiles ? Et les révolutionnaires des auto-stoppeurs montésà leur bord afin d’encourager le conducteur à appuyer sur lapédale d’accélération ?

L’AUTO-STOPPEUR QUI VIENTCe que certain-e-s mettent en jeu dans l’auto-stop, c’est legrand jeu unidimensionnel des identités et des différences,c’est la rencontre et le jeu entre des formes de vie. L’auto-stop est une forme de vie, et la route est cet espace où lesformes de vie se croisent et, parfois, se rencontrent. Tout auto-stoppeur qui a passé du temps dans une station-service unweek-end du mois d’août sait de quoi nous parlons. Il a assistéau ballet infini et incessant des formes de vie sous les aus-pices du logo Total, il a vu ces formes de vie entrer en conflit

les unes avec les autres. Parfois, lorsqu’un ennemi a refuséà sa forme de vie la possibilité d’accroître sa puissance, il aété engagé dans cette lutte à mort, cagoulé ou non, les mainsnues ou armé d’un bâton. Parfois des formes de vie enne-mies l’ont rejeté loin de cet espace privilégié, hétérogène,que constitue toute station-service, l’ont rejeté dans une exté-riorité. S’il s’est parfois replié, ce repli n’a été que stratégique.Car si « toute pensée est stratégique », l’auto-stop est la pen-sée stratégique par excellence. En effet, l’objectif est, avanttout, pour l’auto-stoppeur d’arriver d’un point A à un pointB, et cela le plus rapidement, le plus confortablement, de lamanière la plus amusante possible. Et pendant ce laps detemps, il s’agit de se laisser affecter par d’autres formes devie amies. Il n’y a plus alors des riches et des pauvres, desclasses sociales en lutte les unes contre les autres mais desformes de vie, c’est-à-dire des formes de voitures, desmatières (le cuir du siège passager) et des ambiances parti-culières (la musique, la fumée de la cigarette ou du cigare, lapropreté ou le bordel) qui produisent des affects et des inten-sités. Dépasser les 220 kilomètres à l’heure sur une auto-route allemande, assis à l’arrière d’une BMW noire aux vitresfumées, permet de faire l’épreuve de la puissance ! Si le bio-pouvoir parle de « violence routière », c’est parce que l’Em-pire désigne ainsi et rejette tout ce qui est porteur d’inten-sité (et d’une cagoule). Et ce dont l’auto-stoppeur faitl’épreuve, c’est notamment de cette intensité porteuse detoutes les promesses et pas seulement de celle d’arriver, enun temps record, d’un point A à un point B.

L’AUTO-STOPPEUR IGNORANT L’auto-stop promet beaucoup. Et ses promesses, il les tient.Pour certain-e-s militant-e-s, c’est l’outil de liaison par excel-lence entre celles et ceux que tout sépare habituellement,dont la séparation même est organisée dans le but d’empê-cher qu’il ne se passe quelque chose, un événement scienti-fique, amoureux, artistique ou politique. Casser ces sépara-

DOSSIER

PUISSANCE DEL’AUTO-STOP

VOYAGES ET RÉVOLUTION

L’AUTO-STOP EST LA PRATIQUE LA PLUS RÉVOLUTIONNAIRE QUI SOIT. D’AILLEURS,TOUTES LES TENDANCES POLITIQUES S’Y RECONNAISSENT. ÉCRIT À SIX MAINS, CETEXTE POINTE, NON SANS IRONIE, COMMENT PRATIQUES SOCIALES ET DISCOURSIDÉOLOGIQUES S’ACCORDENT PARFOIS À MERVEILLE.

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tions, opérer des déplacements, des décalages, voilà ce quepermet l’auto-stop à celles et ceux qui essaient aujourd’huide redonner à cette pratique sa charge politique et révolu-tionnaire. Plutôt que d’aller tendre des tracts à la sortie desusines comme les dernier-e-s des mohicans, certain-e-s fontdu stop, et c’est dans les voitures qu’ils et elles rencontrentdes ouvrier-e-s, des précaires, des commerciaux fatigués, uséset à bout de nerf. C’est devant un cappuccino de la cafétériaTotal qu’ils essayent de convaincre les forces prolétaires etexploitées qu’il est grand temps de faire quelque chose,ensemble. La cafétéria de la station-service est ce lieu oùtoutes les rencontres sont possibles, où des discussionsenflammées et mémorables ont débouché sur de nombreusesluttes. Ce n’est pas dans les usines, dans les universités quegermeront les prochains combats mais dans les stations-ser-vice où celles et ceux qui ne devaient pas se rencontrer serencontrent quand même, et élaborent ensemble des pro-jets de lutte. Ce que l’auto-stoppeur porte, c’est le motif del’égalité. Quand bien même il y a inégalité mécanique (cer-tain-e-s ont un véhicule, plus ou moins puissant, et d’autresn’en ont pas), il s’agit d’emblée de postuler l’égalité. L’auto-stoppeur va donc proposer, par exemple, au conducteur deprendre sa place, de conduire pendant que celui-ci se repose.Et cela, même s’il ignore tout de la conduite, qu’il n’a jamaispassé son permis. Et donc, bien souvent, c’est l’automobi-liste qui se retrouve sur le siège passager pendant que l’auto-stoppeur, ignorant tout ou presque du code de la route, a levolant entre les mains, prouvant par là queles leçons et les maîtres sont inutiles et quel’ignorant en sait toujours bien plus qu’ilne croit. Ainsi l’auto-stop, pratique de laliaison, est aussi l’occasion de poser la ques-tion brûlante, et cela de manière originale,de l’égalité.

L’AUTO-STOPPEUR CHAUVIN S’il n’y a pas de frontières pour le ou lanomade postmoderne, d’autres se posent laquestion de l’auto-stop d’une tout autremanière. En effet, plutôt que de se déterritorialiser, il s’agitavant tout de se reterritorialiser et d’affirmer l’appartenance àun territoire, une terre, un pays. Ces auto-stoppeurs-là refu-sent de monter dans les voitures étrangères qui sillonnent leursi beau pays comme les Jeep des colonisateurs dans quelquedésert africain. Les plaques d’immatriculation sont alors deséléments d’identification précieux témoignant de telle ou telleappartenance. Et la lutte pour la libération d’un territoire nepasse pas seulement par le boycott de ces véhicules-là maisaussi par leur détérioration, voire même leur sabotage. Si cesauto-stoppeurs s’aventurent à l’étranger, c’est pour aller à larencontre de peuples opprimés qui sont confrontés aux mêmesimpasses qu’eux. On les a vu-e-s sillonner en stop les routesde l’Irlande du Nord, du Pays Basque et du Kurdistan. À Erzu-rum, par des températures polaires, ces auto-stoppeurs ontplusieurs fois manqué de périr, non pas sous les rafales desarmes turques mais bel et bien sous les rafales d’un vent glacé.Mais bien qu’internationalistes, il faut bien reconnaître querares sont leurs incursions dans les territoires étrangers. Laplupart du temps, ils font du stop sur des autoroutes sans péageentre Quimper, Brest et Nantes. Et si ces autoroutes sont gra-tuites, leur activisme forcené n’y est pas pour rien. Les diffi-cultés que rencontrent ces auto-stoppeurs résident souventdans le fait que leurs panneaux ne sont pas toujours compré-hensibles car les noms des villes y sont écrits dans la langue

de leur si beau pays, langue dont la pratique a été longtempscombattue par l’État colonisateur. De plus, la langue que cesauto-stoppeurs utilisent pour aborder les automobilistes dansles stations Total n’est pas toujours très bien comprise, car deVannes-Gwened à Morlaix-Montroulez, en passant par Rennes-Roazhon, les différences linguistiques sont telles que les locu-teurs ont souvent du mal à se comprendre et à se mettre d’ac-cord sur la direction. Une carte bilingue suffisamment préciseest souvent d’un grand secours. Inlassablement, ils sillonnentles routes du plus beau pays du monde à la rencontre de ceuxet celles qui ignorent encore que ce pays et cette culture méri-tent d’être défendus, pour ne pas dire libérés.

L’AUTO-STOP, SI JE VEUX, QUAND JE VEUX Une dimension importante qu’il s’agit de ne pas négliger estcelle des genres. Malgré toutes les mises en garde sécuri-taires et paranoïaques, certaines femmes font de l’auto-stopet, par cette pratique, affirment une position directement poli-

tique. Ces femmes ne veulent pas êtrecantonnées à des espaces intérieurs et àtoutes ces activités qu’une société patriar-cale oppressive réserve aux femmes.Quand bien même on les dissuade defaire du stop car les routes et les auto-routes sont considérées comme des uni-vers masculins et dangereux, certainesfemmes n’hésitent pas à en faire, seules.Elles transgressent ainsi des codessociaux implicites et revendiquent ellesaussi l’espace public et autoroutier. Sou-

vent ce sont d’ailleurs des femmes qui s’arrêtent pour lesprendre et les auto-stoppeuses vérifient ainsi l’existence dela solidarité féminine. Toutefois, certain-e-s chercheurs-eusess’intéressant à ces pratiques ont remarqué qu’il y avait beau-coup d’ambivalence dans cette solidarité. Comme si cetteentraide était inconsciemment motivée par le désir de sous-traire l’autre femme à la jouissance que pourrait leur procu-rer la rencontre avec un homme. Ce que ces femmes ont aussiexpérimenté, c’est l’importance du regard, de la reconnais-sance du conducteur (qu’il soit homme ou femme) et du désirde l’autre. Pour que le stop fonctionne, il faut qu’il y ait à lafois des regards qui s’échangent et des désirs qui circulent.Jamais une voiture ne s’arrêtera si, à un moment ou à unautre, un désir n’est pas en jeu. Si certaines femmes refu-sent de monter dans une voiture conduite par un homme etpréfèrent l’atmosphère non mixte d’un habitacle, d’autresmènent le combat dans les véhicules où l’on trouvera les plusardents partisans du patriarcat. Certaines disparitions res-tent d’ailleurs à ce jour inexpliquées et, depuis lors, toutessortes d’histoires circulent dans les cafétérias Total sur lesdangereux-euses auto-stoppeurs-euses… Mythe autoroutierou conséquences d’une guerre secrète Depuis la cafétéria Total : Antoine F., depuis la Jeep des colonisateurs : Paul B., depuis Erzurum : Sylvie H.

L’auto-stop estune forme de vie,et la route est cet

espace où lesformes de vie

se croisent À LIRE TÔT OU TARD.Politique de l’auto-stopHervé Décaudin et Fabien Revard,Pontcerq, 2011, 318 p.

GUIDE DES VOYAGESLIBRES.Anton Krotov, Pontcerq, à paraître en 2013

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DANS LA RÉGION DE SÉVILLE, EN ESPAGNE, DES ALTERNATIVES COLLECTIVES FLEURISSENT SUR TOUS LES FRONTS : LUTTES DANS LES QUARTIERS, AUTONOMIE ALIMENTAIRE, SOLIDARITÉSMATÉRIELLES AU QUOTIDIEN. CANTAGAIA, EST UN JARDIN COLLECTIF, ET UN VIVIERD’EXPÉRIMENTATIONS ET DE LUTTES COLLECTIVES. RENCONTRE AVEC DEUX CANTAGALLER@S.

ERRANCE À DEUX en auto-stop àtravers l’Andalousie, la province la pluspauvre d’Espagne, mais une des plusriches en luttes et en tentativesd’organisation collective. C’est àSéville, dans le quartier populaire duPumarejo, où l’on peut lire l’histoiredes luttes sur les murs, que, le soir, surla place, les personnes se retrouventpour partager des projets, tisser desliens, s’organiser… C’est dans cettedynamique que nous nous sommeslaissé-e-s embarquer par cetenthousiasme collectif et que nousavons trouvé un écho à nos proprespréoccupations. De rencontre endiscussion, nous avons échangé surnos différents modes de lutte,d’organisation et d’alternative pourrenverser toutes les formes dedomination. Nos rencontres nous ontamené-e-s à passer une journée dans lejardin collectif de Cantagaia, pourplanter des pommes de terre sous lapaille et discuter autour d’une bièreavec Marcos et Ana, deuxcantagallerr@s1.

Comment vous êtes-vous retrouvé-e-sdans ce projet de Cantagaia ?Marcos : J’ai commencé à travailler en2003 avec des populations gitanes,dans une perspective d’insertion par letravail. Au bout de cinq ans, je me suisrendu compte que ce travail n’avaitaucun sens, à part justifier l’exclusionsociale. À peu près au même moment,j’ai découvert la gravité écologique eténergétique de la crise. Pour moi, celatransforme un peu la lutte de classestraditionnelle, qui présuppose commecontexte cette société industrielle demasse, qui est justement aujourd’hui

en train de s’effondrer. Je me suisrapproché du mouvement pour ladécroissance et la transition : il s’agitde rompre avec le consumérisme et leproductivisme et d’avoir des relationsdifférentes avec les personnes et avecla terre. Avec un groupe d’ami-e-s,nous avons commencé à partager desdocumentaires, des livres sur cesquestions et à prendre des décisions engroupe. Nous cherchions à être plusautosuffisant-e-s pour nous rendreplus puissant-e-s, empoderarnos2. Maisnous ne savions pas cultiver, noussommes des urbain-e-s inutiles. Ons’est donc formé-e-s en agricultureécologique : certain-e-s ont pris descours, d’autres ont travaillé dans unjardin social urbain. Puis Myriam apostulé pour une formation enagriculture bio pour laquelle il fallaitun terrain de mille mètres carrés, et ons’est retrouvé-e-s à huit pour cultivertout cet espace. On s’est alors dit quece serait intéressant d’ouvrir le projet,pour expérimenter plus de choses, nonseulement cultiver mais transformerles aliments, apprendre à construire,tout un tas de pratiques pourempoderarnos et construire une formede communauté. En février 2011, nousavons fait une présentation publiqueau Pumarejo, invitant les gens àparticiper. C’est de là que viennent lessoixante-treize personnes de Cantagaia.

Ana : Je suis arrivée à Cantagaia via lemouvement écologique et lesproblématiques de la souverainetéalimentaire. Lors de la présentation duprojet, il y avait énormément de gensque je n’avais jamais vus, des gens detous les âges, avec aussi des enfants,

c’était incroyable. Elles et ils ont crééune dynamique à partir de nosmotivations, ce qui nous a permisd’apprendre à nous connaître. Ce quim’intéressait, c’était de produire mapropre alimentation mais je nem’imaginais pas créer unecommunauté.

Quels étaient les enjeux débattus aumoment de la formation du projet?Marcos: Nous avons hésité entre unprojet plus productif pour vendre nosrécoltes, mais cela suppose d’utiliserun tracteur, un motoculteur, detravailler plus pour produire plus, ouquelque chose de plus expérimental etcommunautaire. Nous avons privilégiéla dimension expérimentale, incluantdes apprentissages divers, plusouverte, basée sur la permaculture etmoins focalisée sur la production et lesrécoltes. Il est important de produiremais, pour nous, le plus important estd’avoir un espace de partage,d’apprentissage, d’entraide à la foiséconomique mais aussi dans nosmodes d’organisation. Nous avionsclairement l’idée de empodernanos, decréer une économie communautairede subsistance, en opposition à lasociété de consommation, deconstruire des communautés qui nesoient pas des collectifs fermés.

Quelles sont les personnes qui se sontretrouvées dans ce projet?Marcos: Il y a une grande diversitéd’âge (de 18 à 60 ans), de nationalitéset de professions. On trouve desanthropologues, des professeurs, deskinésithérapeutes, des artistes, maisaussi des gens qui n’ont pas fait

PROPOS RECUEILLIS ET

MIS EN FORME PAR

LENI ET TONIE.

horizons

Cantagaia!Souveraineté alimentaire

et organisations collectives: un projet de communauté

agricole à Séville

1. Nom des personnesse reconnaissant

comme faisant partie dela communauté agricole

de Cantagaia.2. Le verbe

empoderarse renvoieaux processus qui nous

rendent plus fort-e-s,plus puissant-e-s, qui

augmentent notrepuissance d’agir.

Empoderamiento setraduit par

empowerment enanglais, mais n’a pas de

traduction ferme enlangue française. Ils’agit d’un concept

particulièrementimportant dans les

théories et pratiquesféministes.

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d’études, des carreleurs-euses,plombiers-bières, électricien-ne-s... Il ya beaucoup de variété mais le profil,c’est plutôt des personnes issues de laclasse moyenne, déclassées, et qui onttrès peu d’aspirations à rester ou àretourner dans leur classe !

Ana : Il y a beaucoup de gens dont lapremière priorité est de créer un autretype de société, des personnes âgées,d’autres plus jeunes, celles et ceux quiveulent changer le monde par letravail de la terre. Il y a aussibeaucoup de femmes, ce qui est trèsintéressant, comme un retour desfemmes à la terre. Avec desmotivations différentes : pour l’unec’est récupérer la souverainetéalimentaire, pour l’autre c’est uneforme de travail du cuidado3, avec lapermaculture. Nous prenons soin(cuidamos) de la terre, nous nel’exploitons pas. Exploiter la terrecomme une ressource de plus, c’estperpétuer les logiques capitalistes,néolibérales, patriarcales et racistesdans lesquelles nous vivons.L’économie féministe, qui visibilise letravail du cuidado, constitue pour moiun changement de paradigme.Prendre soin (cuidarse) de la terre,

c’est penser le processus productifdans sa globalité. Le travail que nousfaisons en ce moment, protéger laterre pour l’hiver, est essentiel si nousvoulons cultiver au printemps. Nousreproduisons des modèles anciens deproduction vivrière. L’exploitation de laterre dans le cadre de l’agricultureintensive et mécanisée participe aucontraire à la réduction de sa fertilitéet de ses rythmes.

Quelles sont les dynamiquesd’organisation au sein de Cantagaia ?Comment se formalisent-elles ?Ana : Cantagaia est un projetcommunautaire de travail enpermaculture mais avec plein dechoses possibles en parallèle. Desgroupes s’organisent pour faire de labière artisanale, des chantiers, desconserves. Le thème de l’éducationintéresse aussi les gens, l’idée deconstruire des relationsintergénérationnelles avec despersonnes âgées et des enfants.Cantagaia, comme organisation de laculture au jardin, c’est une chosemais, à un autre niveau, beaucoup dechoses émergent, et là, il faut s’asseoiret s’organiser. Le projet n’implique pasque la terre, il s’agit aussi de produire

des actions. Tu vas travailler au jardin,et quand il y a beaucoup de gens à lapause, tout le monde discute, c’estune énergie très contagieuse quichange les possibilités existantes. À ceniveau, les relations de confiance sontvraiment importantes.

Marcos : Nous avons des assembléestous les trois mois, ouvertes à touteset tous. Ensuite, la participation dechacun-e passe par des commissionsde travail : la commission « économieet administration », « logistique ettransport » (pour ramener les outils, lapaille, le fumier…), celle qui se chargede planifier le travail et de dessiner lejardin et la commission « participationet communication », qui doit veiller àfaire circuler les informations et à ceque tout le monde se sente departiciper. Il y a aussi le rôle des deuxjardinières qui ont une vision un peuglobale, organisent les journées detravail et transmettent des savoir-faire.J’aimerais maintenant que l’on puisseouvrir de nouveaux espaces pourpartager nos ressentis et nos envies,pour parler de choses difficiles àtraiter dans les assemblées générales,qui sont plutôt consacrées aux prisesde décision. nnn

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SUR LA PLACE du Pumarejo, une vieilleet belle bâtisse arbore fièrement ses résistances. Ce « centro vecinal »,sorte de centre social de quartier, a été sauvegardé et conquis par dix ansde lutte des habitant-e-s et de leurssoutiens contre les promoteurs im -mobiliers. C’est un centre d’organisationpour beaucoup de collectifs et de luttes à Séville, entre autres Cantagaia, le réseau de monnaie social Puma, une bibliothèque autogérée, des projections de films, des cantines

populaires, des ateliers de couture,musique, apprentissage de languesétrangères, d’histoire orale des luttes,des réunions et des chantiersinterminables. Les militant-e-s et les habitant-e-s sont organisé-e-s en assemblée pour continuer de faire de la Casa Pumarejo « plus qu’un lieu de vie, un lieu de voisinages divers, de rencontres, de création et de rébellioncollective »1.1. Extrait d’un appel pour la défense de la Casa Pumarejo,

publié sur estrecho.indymedia.org en mars 2012.

El Pumarejo no es Espana !

3. Le cuidado renvoie ausoin dans son sens le plusgénéral possible. C’est untravail souvent invisibilisé,ou stigmatisé, largementassumé par les femmes, lesfemmes racisées enparticulier, dans le systèmecapitaliste, patriarcal etraciste. C’est le concept ducare en langue anglaise. Ceconcept fait l’objet deréappropriationsféministes : il permet devisibiliser certaines formesde domination et de penserdes stratégies de lutte.

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Économiquement, commentfaites-vous ?Marcos : A Cantagaia, nous offronsune période d’engagement de septmois, avec un engagement de base de 25 euros et 10 heures de travailmensuel. Pour les personnes qui ontdes difficultés économiques, cela peutêtre 15 euros et 15 heures de travailmensuel ou 20 heures de travailmensuel sans cotisation. C’est lasource principale de financement.Ensuite, il y a le bar du cinéma d’étéavec le centre social de quartier (centrovecinal) et les spectacles de théâtreorganisés par Franck, un desmembres de Cantagaia.

Avez-vous noué des relationsprivilégiées autour du projet avec desagricultrices et des agriculteurs ?Marcos : Nous avons quelques liens à travers Cantagaia... avec un agriculteur en biodynamie chez qui nous prenons les semences ;avec Luciano, jardinier enpermaculture dans un jardin socialurbain à Séville ; avec un berger, à quinous achetons le lait pour faire notrefromage de chèvre ; avec uneproductrice d’un village au sud deSéville qui est assez liée à lacommunauté de Cantagaia. Dans lazone du jardin, en revanche, les voisin-e-s ne sont pas très concerné- e- s parl’autosuffisance alimentaire et lespratiques écologiques.

Cet entretien, nous le concevonscomme une mise en circulation de pratiques et de problématisationscollectives. Penses-tu qu’il y ait desenjeux cruciaux à des expériencescommunautaires agricoles, auquel il faudrait faire particulièrementattention ? Marcos : Je crois qu’il faut prendresoin de la partie sociale et communautaire. Ce que je trouvetrès positif, c’est la communicationinterne, le wiki6, et la transparence des documents, des informations, cela aide beaucoup à ce que tout le monde se sente invité à participerou que l’on ait confiance pour

déléguer parfois. L’important estaussi qu’il y ait des espaces pourpartager nos ressentis, nos rêves,pour festoyer, cela peut aider à ceque les gens s’expriment, à faireémerger d’éventuels conflits. C’estvraiment la partie à laquelle il faut faire leplus attention. Essayer de prendresoin des relations, que tout le monde se sente à l’aise, que les tensionspuissent être travailléescollectivement. Au Pumarejo, il yavait un graff qui disait « El afecto esrevolutionario » (« L’affection estrévolutionnaire »).

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4. « Il faut s’asseoir et s’organiser. »5. « L’affect est

révolutionnaire. »6. Wiki : site Internetcollaboratif, outil de

travail collectif dont lespages sont modifiablespar les participant-e-s.

Cantagaia : un blog sur http://cantagaia.blogspot.fr

L’écoféminisme : voir « L’écoféminisme, entre matérialisme etutopie », un chouette article de Chiara Bonfiglioli qui expose lestensions et les enjeux de ce courant de luttes et de réflexion(disponible sur Internet).

L’économie du cuidado/du care : une approche originale estdéveloppée dans un article de Pascale Molinier « Des féministeset de leurs femmes de ménage : entre réciprocité du « care » etsouhait de dépersonnalisation », paru dans la revue Multitudes en2009 (n° 37-38) et disponible sur Internet.

La permaculture : deux bouquins très intéressants sont publiés chezPasserelle éco: Graines de permaculture, de Patrick Whitefield, etPremiers pas en permaculture, de Ross et Jenny Mars.

Pour en savoir plus

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EN TURQUIE, le parti au pouvoir,l’AKP, à la fois conservateurislamiste et néolibéral, s’en prend deplus en plus aux droits destravailleuses et des travailleurs, auxdroits des femmes (l’avortement esten cours d’interdiction), mais aussiaux Kurdes (trente-quatrepersonnes tuées lors d’unbombardement à Roboski le28 décembre 2011) et aux minoritéssexuelles, ethniques et religieuses(les alévis, notamment). C’est dansce contexte que, début mai, la policea arrêté une soixantaine de militant-e-s anarchistes, dont quinze ont étéemprisonné-e-s et doivent passer enprocès pour association terroriste(les lois antiterroristes permettent

d’enfermer tous lesopposants et opposantessans procès pendant plusieursannées). Ils et elles sontaujourd’hui en grève de lafaim. En Turquie comme ailleursdans le monde, des actions desolidarité ont lieu. À Paris, unemanifestation s’est tenue le 26 juin àl’initiative de plusieurs organisationsanarchistes françaises (dont l’OLS).

LIBERTÉ POUR LES PRISONNIER-E-S ANARCHISTES,ET POUR TOUTES ET TOUS LESPRISONNIER-E-S POLITIQUES !

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RUSSIE

APRÈS LA RÉVOLUTION

LE PARTI ISLAMISTEENNAHDA a beau avoir obtenula majorité des sièges à l’Assemblée nationaleconstituante le 23 octobre 2011,la population tunisiennedemeure sur le qui-vive et continue de lutter contre le chômage, la pauvreté et la répression. Le gouvernement estmaintenant au centre de toutesles exaspérations, et l’un des slogans du moment n’estautre que « Ennahda dégage» !Les luttes de chômeurs contreles fermetures d’usine et les concours de recrutementtruqués sont légion. On noterapar exemple les blocages de routes par des habitant-e-s de la cité Al- Milaha, dans

le quartier de Radès, à Tunis,pour protester contre les résultats du concours de recrutement de la STAM,Société tunisienne d’acconage et de manutention. Suite à cela,les flics ont fait irruption dans le quartier pour tabasser au petitbonheur et même saccager des maisons. En novembre2012, c’est la ville de Siliana qui s’est soulevée pour exiger le départ du gouverneur de la région, la libération de quatorze prisonniers arrêtéslors du soulèvement d’avril 2011 et un plan d’aide économique.Ils ont réussi à virer legouverneur, mais ils en ontmaintenant un nouveau et larépression à coups de tirs à lachevrotine a fait de nombreuxblessés et mutilés. La mobilisation ne s’arrête pas là : collectifs de soutien pourla libération des prisonnierspolitiques, mouvement contrel’extraction du gaz de schiste,manifestations pour la fermeture d’usinespolluantes… Affaires à suivre !

LE SPECTACLE DELA DIPLOMATIEFIN NOVEMBRE 2012,l’Assemblée générale de l’ONU a reconnu la Palestine comme Étatobservateur non membre de l’ONU. La diplomatiefrançaise s’est félicitée de cette décision empreinte de « sagesse et d’audace ». Sur le terrain, la réalité est celle de la colonisationqui se poursuit à marcheforcée, le gouvernement de Benjamin Nétanyahouayant annoncé la construction de trois millenouveaux logements dans les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. La solidarité affichée

en mots par la diplomatieinternationale envers le peuple palestinien cachemal la complicité active avecl’État d’Israël : la colonisationpoursuit son court sansentrave. En novembre, en l’espace de huit jours, les bombardements de la bande de Gaza ontcoûté la vie à 164Palestiniens et fait 1 200 blessés.

TUNISIE

LE 6 MAI 2012 est le jour qui a précédé l’investi-ture de Poutine à la présidence. Après des moisde manifestation de masse des «anti-Poutine»,sans doute pour signifier le retour de la «vertica-le du pouvoir», l’énorme manifestation s’est ter-minée par une violente répression. Les jours sui-

vants, des poursuites pour «troubles de masse»ont été engagées à l’encontre de dix-neuf per-sonnes. Parmi ces militant-e-s, certain-e-s sontdu mouvement LGBT, antifasciste ou anarchiste.Suite aux mauvaises conditions de détention,Vladimir Akimenkov risque de devenir aveugle.

Maxime Louzianine a été le premier jugé: 4 anset demi de camp. En janvier  2013, AlexandreDolmatov, exilé aux Pays-Bas, s’est suicidé, suiteà un refus d’asile politique. Il aurait dû rejoindreles autres prisonnier-e-s qui risquent jusqu’à 8ans de camp. Site internet : 6may.org

SOLIDARITÉ AVEC LESLIBERTAIRES CUBAIN-E-SL’ATELIER LIBERTAIRE AlfredoLópez de La Havane représente un espace et une union de volontéspour retrouver et développer une perspective libertaire et antiautoritaire dans la dynamiquedu Cuba contem porain. Un appel à contribution a été lancé pourconstituer un fond dedocumentation sur l’anarchisme(livres, revues, CD, DVD, etc.).Contact : [email protected]

COMME BEAUCOUP de pays européens,l’Allemagne applique une politiquemigratoire inhumaine dans le but de dissuader les migrant-e-s de s’installersur son territoire. Depuis début 2012, les demandeurs et demandeuses d’asilesont en lutte. Cela a commencé par une tente plantée dans la commune de Würzburg (Bavière). Ça a continué en septembre avec une marche de six cents kilomètres jusqu’à Berlin pourprotester contre leur assignation à résidence, les camps de réfugié-e-set les expulsions. Après qu’ils et elles

se soient rendu-e-s dans les camps des villes traversées, une cinquantained’autres demandeurs et demandeusesd’asile les ont rejoint-e- s. Une manifestation de cinq millepersonnes les a accueilli à Berlin débutoctobre. Elles et ils décident alors de monter un campement sur Oranienplatz, dans le centre de Berlin,puis d’investir une école. Les actionsmenées sont multiples : occupation de consulats, grève de la faim,manifestations. Les coups et les arrestations pleuvent. Cela n’entame en rien la détermination de ces migrant-e- s. Quelques avancéesont été obtenues, comme l’abolition de l’assignation à résidence dans certainsÉtats fédéraux allemands, mais cela ne leur suffit pas. Leur lutteessaime d’ailleurs au Danemark, en Turquie, en Bulgarie, en Grèce, en France (Lille) aux Pays-Bas et en Autriche.http://thevoiceforum.org/http://thecaravan.org/

CHIAPAS

SUISSE

FIN DU MONDELE 21 DÉCEMBRE, date d’un changement de cycle,un changement de monde pour les Mayas, leszapatistes ont réalisé par surprise une mobilisationpacifique de grande ampleur. «Votre monde va s’ef-fondrer, le nôtre est en train de resurgir. » Près de cin-quante mille personnes ont investi les principalesvilles de l’État du Chiapas (Mexique) où ils et ellesont marché dans un silence de plomb. « Qui restesilencieux est ingouvernable », disait Ivan Illich. Dela même manière qu’elles et ils se couvrent le visa-ge pour être vu-e-s, les zapatistes ont ce jour làmanifesté en silence pour être écoutés.

PALESTINE

CUBA

en brefailleurs

ALLEMAGNE

LE 5 DÉCEMBRE 2012 un pavé a éclaté la vitrine de la librairieFahrenheit 451, au 24 rueVoltaire à Genève prouvant quela diffusion de littératurelibertaire dérange encorecertain-e-s individu-e-s audébut de ce XXIe siècle !...

BRIS DE vitreE

LES PRISONNIER-E-S DU 6 MAI 2012

JUSTICE ET LIBERTÉ POURLES DEMANDEURS ETDEMANDEUSES D’ASILE

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entretien QUELLES RAISONS, HISTORIQUES OU POLITIQUES, PEUVENT EXPLIQUER LA RÉPRESSION SUBIE PARLES RROMS EN EUROPE OCCIDENTALE? QUELLES LUTTES DES RROMS, OU AVEC LES RROMS, SONTPOSSIBLES? MARION SALIN A EFFECTUÉ PLUSIEURS RECHERCHES AVEC DES RROMS EN RÉGIONPARISIENNE. GUILLAUME SIBERTIN-BLANC ET PIERRE SAUVÊTRE ONT CONTRIBUÉ AU DOSSIER« L’EXEMPLE DES RROMS. LES RROMS POUR L’EXEMPLE », PARU DANS LA REVUE LIGNES.

Les Rroms arrivent en Europe au XVe siècle. D’où viennent-ils ?Marion : Les Rroms, pour denombreux chercheurs et denombreuses chercheuses, viennentd’Inde. Ils auraient migré à traversl’Europe en plusieurs vagues. EnFrance, ils ne sont pas considérésd’emblée comme une populationproblématique. Henriette Asséo,historienne, parle d’un âge d’or desTziganes en France, avant le XVIe

siècle. Notamment parce que lesTziganes étaient engagés dans desarmées seigneuriales et qu’ils avaientbonne réputation. Tout se corse avec laconstruction de l’État moderne, oùapparaissent des légendes sur l’originemaudite des Tziganes. L’une d’entreelles raconte notamment que lesTziganes auraient volé les clous de lacrucifixion et qu’ils seraient

condamnés à une errance perpétuellepour expier leurs fautes.

Tu parles de Tziganes. Peux-tu faire un point sur les différentesappellations en France ?Marion : C’est très difficile. Touteutilisation de terme revient à enfermerces personnes dans des catégories quisont très politiques. Je peux raconterune anecdote de terrain... J’ai travailléavec des personnes qu’on peut appeler« rroms » en Seine-Saint-Denis. Ellesme disaient : « À chaque fois qu’onparle de nous, cela nous porte tort ». À plusieurs reprises, les personnesque je rencontrais me disaient :« Finalement, on se demande si lesilence n’est pas le meilleur desrapports à entretenir avec nous ». Lesilence comme une sorte derevendication, parce qu’à chaque fois

qu’on parle des Rroms, c’est pour lesenfermer dans des catégoriespolitiques. Il existe plusieurs termes,on ne sait jamais lequel utiliser. Rromest un mot de la langue rromani quiveut dire « être humain », « homme »,« mari », « époux ». C’est un peul’équivalent du mot « inuit », qui veutdire « être humain ». J’ai choisi de lesappeler comme cela parce que c’est unmot qui est encore peu utilisé par lesinstitutions et les administrations,mais qui est revendiqué par certainsgroupes qui se mobilisent pour fairereconnaître les Rroms comme desacteurs légitimes, notamment sur leterritoire européen. On rencontreaussi souvent l’appellation « gens duvoyage ». C’est une catégorieadministrative qui a été mise en placeen France en 1969, et qui est utiliséeseulement en France et en Belgique.Elle désigne les gens qui vivent dansun habitat mobile : la caravane. Depuispeu, cette expression qualifieseulement les personnes de nationalitéfrançaise. À la différence de « Rromsmigrants », une catégorie qui apparaîtà la fin des années 1980, suite à lachute du mur, à un moment où l’on avu arriver en France des gens que l’ondisait roumains. Ces personnesrelevaient de problématiques degestion de l’immigration, on les adonc appelées « Rroms migrants »parce qu’elles se revendiquaientrroms. Tout à l’heure, on disaittziganes. C’est une appellationgénérale qui a deux origines. À partirdu XVIe siècle, l’une des légendes quej’ai citées tout à l’heure disait que lesRroms ne voulaient pas se mélangerau reste de la population. On leur aappliqué un nom, «atziganoi»,désignant une secte qui était établie enPerse et dont un des principes étaitque ses membres ne pouvaient pas semélanger avec le reste de la

Propos recueillispar Patrick

Marcolini et mis enforme par Camille.

Cet entretien esttiré de l’émission

Offensive sonore du25 juin 2011. Ellepeut être écoutée

en ligne sur le sited’Offensive.

RROMS : LES ENNEMI-E-SINTÉRIEURS DE L’EUROPE

RROMS EXPULSÉSLE 28 AOÛT 2012 À SAINT-PRIEST. PHOTO DE PHILIPPE

DESMAZES

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population. L’appellation tzigane a étélargement reprise. Elle amalheureusement été rendue couranteavec le génocide nazi, mais elle nevient pas des Rroms eux-même. Selonles contextes, ils peuvent utiliser cetteappellation, mais ils ne larevendiquent pas. J’ai parlé decatégories très générales. Au cours desmigrations, des divisions sontintervenues entre ces personnesvenues d’Inde, qui se sont répartiesdans trois espaces géographiques, ence qui concerne l’Europe : le Sud del’Europe, la péninsule Ibérique, où onles a appelés « gitans » ou « calós » ;l’Europe de l’Ouest (France,Allemagne, et une partie de l’Italie),où on les a appelés « manouches » ou« sinté » ; et l’Europe de l’Est où l’onparle des Roms (avec un seul « r »).Tracer des frontières est très difficile,les populations ont beaucoup circuléet les contextes sont différents. Jeserais très prudente avec l’utilisationde ces catégories. Les Rromsrevendiquent des appellations trèsdiverses à différentes échelles. Parexemple, à Saint-Denis, certainsdisaient : « Attends ! Moi, je suis aussiun habitant de Saint-Denis ! ».

Une autre image de l’imaginairecollectif : tout le monde pense quetous les Rroms sont des nomades quicirculent en permanence à l’échelleplanétaire, alors que les situations sontextrêmement variées...Marion : Quand on parle denomadisme, on aborde un mode devie très complexe qui mêle des tempsde mouvement et des temps de pause,d’arrêt. Beaucoup de Rroms, alorsqu’ils circulent en général entreplusieurs lieux, s’arrêtent à un endroitpendant plusieurs années suivant lesopportunités de travail, les relationssociales qu’ils construisent. Lenomadisme n’est pas du toutéquivalent à un mouvement perpétuel.Il faut savoir que certains Rroms n’ontjamais vécu en caravane, se déplacenttrès rarement, principalement pourdes raisons liées à la persécution dontils font l’objet ou pour des raisonséconomiques. Mais dans leur discours,on entend un certain rapport aumouvement, au voyage, ce qu’onpourrait appeler un rapport aunomadisme, notamment enconvoquant beaucoup d’espacesdifférents, de leurs origines familiales,des lieux où leurs grands-parents ontvécu. Dans un grand nombre de récits

et de chants, la thématique du voyageest également très présente. Il fautabsolument éviter de construire descatégories qui seraient fondées sur lesrapports à l’espace et au mouvement,parce que ces rapports sont multiples.

Ce que tu dis nous permet de nousvoir que, quand il y a mobilité, celle-ciest souvent contrainte...Marion : Il est difficile de faire la partdes choses entre des mobilitéscontraintes et des mobilités choisies.Certains Rroms choisissent d’adopterun mode de vie itinérant, des habitatsqui peuvent être déplacés à n’importequel moment. Une femme avec quij’ai beaucoup discuté l’an dernierdisait : « L’important, c’est qu’on soittoujours prêt à partir, même si l’on nepartira jamais ». Cet aspect de lamobilité choisie est indissociable de lamobilité contrainte. Parce que lesdéplacements se font forcément selonles contraintes et les personnes que lesfamilles connaissent. Les Rroms nevont pas se rendre dans des endroitsoù ils ne connaissent personne, où ilsn’ont aucun ancrage.

Est-ce qu’on peut parler d’un ancrage,métaphorique celui-là, dans unelangue ? Une des choses que lesRroms ont en commun sur desdistances extrêmement grandes...Marion : Le rromani est une langueassez particulière, avec une structureassez souple. Je ne suis pas linguiste,

mais j’ai pris des cours de rromani.Cette langue est fondée sur les sonsconsonants. Par exemple, « je suis »peut se dire avec énormément demoyens différents. Ils sont repris demanière très diverse selon lescontextes. Il est possible de secomprendre même si l’on n’a pasexactement les mêmes mots, et mêmesi la structure grammaticale de laphrase n’est pas exactement la même.Avec Céline Bergeon, nous avons faitune étude. Elle a travaillé avec desgroupes qu’on dit « manouches » quivivent dans la région Poitou-Charentes. Nous avons comparé lesmots de la vie quotidienne utilisés pardes familles avec lesquelles elle atravaillé avec ceux des Rroms aveclesquels j’ai travaillé. Nous avons

constaté beaucoup de similitudes,notamment à l’oral.

Guillaume : Est-ce que ces proximitéslinguistiques sont appréhendées parles Rroms ? Ou la langue est-elle poureux un critère de discrimination ou deséparation des groupes en fonctiondes origines territoriales ou des lieuxde circulation ?Marion : Cela dépend descirconstances. J’ai connu deuxsituations très différentes. J’airencontré une famille que les pouvoirspublics mettaient dans la case « gensdu voyage » et qui habitait une airepour les gens du voyage à laCourneuve. Sur cette aire se jouait uneconcurrence pour l’espace, car lamairie voulait installer un groupe deRroms venus de Roumanie. Jediscutais avec une femme manouchequi me disait : « Ces gens-là, on n’arien à voir avec eux, on ne veut pasd’eux ici ». J’essayais de l’amener àparler du rapport à la langue : « Celan’a absolument rien à voir. La languequ’ils parlent, c’est la langue desbarbares. Nous, c’est une langue àlaquelle nous tenons, une langueparlée par nos parents ». Je lui aidemandé de parler un petit peu danscette langue. Il se trouve que j’arrivaisà la comprendre parce que c’est lalangue que j’avais apprise à l’INALCO1

sous l’appellation « rromani ». Doncj’ai été un peu surprise. Dans ce cas,la langue ne fonde pas une

communauté, parce qu’un tas deprocessus jouent, notamment laconcurrence pour l’espace. J’ai vécuune autre situation, justementpendant mes cours de rromani àl’INALCO. J’y ai rencontré une femmequi venait de Grenade, qu’on peut diregitane, elle-même désignait parfois safamille de cette façon. Pendant un deces cours, elle s’est rendu compte queles mots que l’on nous enseignaitétaient les mêmes que ceux de lalangue qu’elle appelait « caló ». Elleétait absolument ébahie de trouvercette communauté de langue.

On a démonté plusieurs stéréotypessur les Rroms. Bizarrement, cesclichés se renouvellent. On avait ceuxqui avaient volé les clous de la  nnn

«À chaque fois qu’on parle de nous,cela nous porte tort.»

1. Institut national deslangues et civilisations orien-tales.2. Les Origines du totalitaris-me. L’impérialisme, HannahArendt, Points, 2010.

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croix du Christ, les voleurs, leschapardeurs, puis les trafiquants. Unautre est apparu ces dernières années :le Rrom roumain. Pourquoi ?Guillaume : La question de l’amalgameentre les Rroms et les Roumains estintéressante, d’un point de vueméthodologique, pour comprendre larépression qui s’est intensifiée l’annéedernière en France. C’est unerépression qui s’inscrit à l’échelle del’Europe. Cela se passe non seulementen France, mais aussi en Italie, danscertains pays des Balkans, etc. On saitque les Rroms ont fait l’objet derapports d’oppression séculairesdepuis quatre ou cinq siècles. Cetteinterminable répression s’explique-t-elle par des facteurs historiques ?L’histoire des Rroms roumains obligeà chercher des raisons actuelles carc’est un amalgame qui est apparu trèsrécemment. L’hypothèse que jeformule est que cet amalgame secomprend à partir des rapports entreles pays d’Europe occidentale et lespays d’Europe centrale et orientale,plus exactement les pays de l’ancienbloc soviétique et les derniers entrantsdans l’Union européenne. L’idée quiressort de cette lecture est que lesRroms sont un instrument utilisé parles différents États européens pourrégler leurs comptes entre eux et pourexercer une sorte de racismeinterétatique. Pierre, dans son texte,mentionne la déclaration d’uneurodéputé roumain : « Il ne fautsurtout pas confondre les Rroms et lesRoumains. Les Roumains n’apprécientpas du tout l’amalgame ». Cela donneun très bon jeu de miroir. Du côtéfrançais, mais c’est sans doute le casdans d’autres pays d’Europeoccidentale, l’amalgame... De l’autrecôté de l’Europe, celui-ci intensifie lavolonté de bien séparer et d’éviter lesconfusions. À travers cet amalgame,c’est aussi la question de l’intégration

ou de la non-intégration des paysd’Europe orientale dans l’Unioneuropéenne qui est en jeu. C’est sansdoute également une manière derégler les comptes avec le passécommuniste de ces pays. La diversitédes interprétations de l’héritagecommuniste se formule aussi dans lesdiscours en fonction de l’appréciationde la situation des Rroms : Est-ce queles communistes ont bien fait ceci ?Ou est-ce qu’au contraire ils ont malfait cela ? Parce que la situation desRroms aujourd’hui est la suivante... Cequi me paraît intéressant dans cettehistoire des Rroms roumains, c’estque la répression des Rromsfonctionne encore une fois comme unsymptôme et révèle les rapports deforce entre les différents Étatseuropéens, l’intensité et la vivacité desrapports de pouvoir – des rapports dedomination en quelque sorte – entreles différents États. Cela n’annuleévidemment pas du tout lesrépressions effectives qui ont lieu danstel ou tel pays. L’été dernier, les médiasfrançais disaient « Regardez cesRoumains, comme ils sont racistesenvers leur population rrom », aumoment où, en France, on expulsaitdes Rroms par milliers.

Les Roumains affirment être « ladernière porte de l’Europe auxfrontières de l’Asie ». Dans ton article,tu dis : « La construction de cet Orientcréé par l’Occident fait des Rromsl’“Autre” sur lequel les États del’Union européenne projettent leurpropre sentiment de supériorité etvient justifier le comportement post-colonial à leur égard »...Pierre : Post-colonial au sens où il nes’agit pas d’une colonisation effective,où il y aurait véritablement deuxstatuts juridiques distincts, un statutde supériorité et un statut d’infériorité,puisque, en théorie, ce sont des

citoyens européens. Post-colonial en cesens d’un colonialisme qui n’est pasofficiel, pas institutionnalisé. Deuxchoses me semblent intéressantes...D’abord le fait que les Rroms sonttraités de la même manière que lesimmigrés d’origineextracommunautaire. J’ai repris dansmon texte la formule qu’ÉtienneBalibar utilise à propos des migrantsextracommunautaires, « apartheideuropéen », c’est-à-dire que lefonctionnement même desinstitutions européennes repose surl’exclusion des migrantsextracommunautaires. Cela rejoint ceque Marion disait au début : que lesRroms sont maintenant pris dans desproblématiques de politiquespubliques liées aux migrations. Pourautant, on peut voir une différenceentre un ennemi extérieur, quiconcerne les migrantsextracommunautaires, originairesd’Afrique notamment, qui sont perçuscomme totalement autres, et lesRroms, qui sont des ennemisintérieurs parce qu’ils sont construitscomme ennemis. Le problème desRroms est aussi un problème inventépar les institutions, et la mise en placemême de politiques cherchant àintégrer les Rroms participe de cetteconstruction d’un « problème rom »,sans quoi ils ne seraient pasnécessairement visibles dans l’espacepublic.

Guillaume, tu parles de colonisationintérieure et tu inscris le traitementdes Rroms au sein de cetteproblématique...Guillaume : Il faut essayer d’analyserce qui se passe, et en même tempsbien faire attention au langage quel’on utilise, essayer de penser lesvirtualités politiques du langage quel’on emploie, même quand on est dansl’ordre de l’analyse. J’ai l’impressionqu’il faut prendre cette histoire decolonisation intérieure sur deux plans.D’abord, il faut l’entendre dans unsens très littéral, du point de vued’une analyse économique duprocessus de colonisation, qui pendantplusieurs siècles a été une colonisationde l’espace planétaire par l’Europe etqui, maintenant, au niveau des leviersd’économie politique très concrets,procède à une sorte de recolonisationpar le capital du cœur de l’Europemême. C’est du Rosa Luxemburg lu àl’envers : une fois que l’on a colonisél’espace planétaire, on reproduit aucentre de l’économie-monde, l’espace

 nnnMANIFESTATION DE RROMS

LE 31 OCTOBRE 2007 A� SAINT-DENIS, RÉGION

PARISIENNE.

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européen, les techniquesd’accumulation primitive que l’onavait utilisées pour coloniser l’espaceplanétaire. Ce sont des techniques trèsviolentes que l’on connaît à traversl’histoire de l’impérialisme :destruction des territoires, espacesrendus inhabitables, dépréciation de laforce de travail par les phénomènes dechômage structurel massifié, formesde privatisation de toute sorte, capturepar expropriation étendue même audomaine de la culture, capture desformes de culture populaires, etc. Toutcela se passe maintenant en Europe.De ce point de vue, j’ai l’impressionque la répression qui s’exerce sur lesRroms n’est que l’annonce de ce quiattend des masses beaucoup pluslarges de gens. Il faut prendre encompte un deuxième facteur quirejoint un peu les discussions que l’onavait tout à l’heure sur le contexteeuropéen d’analyse de la répressiondes Rroms... Le processus deconstruction européenne s’est fait surla base d’une sorte d’alternative entrel’institutionnalisation des minorités –je pense aux analyses d’Arendt dans ledernier chapitre de L’Impérialisme2 – etune colonisation intracontinentale, quia été une option très sérieusementdébattue après la Première Guerremondiale : savoir ce qu’on allait fairedans les espaces de l’ancien empiredes Habsbourg, voire dans l’Empireottoman, sur l’espace continental, dansles Balkans, etc. Les mouvementssionistes ont proposé de coloniser unepartie de l’Europe, d’ailleurs bienavant le XXe siècle. Cette disjonctionhistorique est fondamentale. Est-cequ’on constitue, comme le dit Arendt,les minorités comme institutionpermanente ? C’est-à-dire que lesystème européen, tel qu’il seconstruira autour de l’État-nation, aurabesoin de produire des minorités enpermanence et de réprimer cesminorités. C’est l’option qui a étéchoisie historiquement, on le constateen ce moment avec l’exemple desRroms, comme on a pu le voir avecd’autres populations... Ou est-ce quel’on colonisera une partie de l’Europe ?Ce qui est intéressant dans l’analysed’Arendt, et que l’on observeaujourd’hui, c’est qu’en réalité on afait les deux. C’est-à-dire que l’on ainstitutionnalisé l’état de minorité,notamment avec les Rroms, et dans lemême temps on a appliqué à cespopulations des techniques d’abordéprouvées dans les colonies. C’estcette fusion du processus de

minoration et de celui de lacolonisation qui me semble porteused’autant de violence et de racismed’État, de racisme institutionnel.

Dans vos articles, des perspectives delutte sont évoquées. Soit des luttes deRroms, ou bien des connexions entrela lutte que peuvent mener les Rromset d’autres catégories de la population,celles qui sont victimes dediscrimination.Pierre : Le dossier de Lignes comprenddeux types d’analyses. Des articlesétudient la répression des Rromscomme une suite logique de celles desmusulmans, des femmes voilées, etd’autres types de persécutionsétatiques. Mais un des aspects queGuillaume et moi avons voulusouligner est vraiment cetteinscription des Rroms dans ladomination capitaliste. Dans uneconjoncture de crise telle qu’elle sedessine dans les pays occidentaux,avec des mouvements de la jeunesseprécarisée de plus en plus forts, si onsuppose que les Rroms sont, commele disent Deleuze et Guattari, le TiersMonde intérieur, le sous-prolétariatradical à l’échelle de l’Europe, on voitbien comment ces tactiques sont destactiques de division entre le sous-prolétariat et un prolétariat de lajeunesse précarisée. À mon sens,l’enjeu des mouvements tels qu’ilsvont se développer est la façon dont ilsvont pouvoir intégrer les populations

sous-prolétarisées à la lutte. Laquestion d’une lutte populaire enEurope est également liée au fait derelier les mouvements entre eux.

À un moment, tu parles d’« un devenirmineur des luttes de classe », commeun transfert du modèle des minoritésà l’intérieur des luttes de classe, ce quiserait une manière de relier les luttesdu prolétariat à la situation des Rromset à leur résistance aux dispositifsd’États. Est-ce que tu peux expliquer ceque tu entends par là ?Pierre : Ce que je voulais mettre enévidence, c’est une sorte de cerclevicieux entre l’idéologique etl’économique dans la situation desRroms. C’est-à-dire que, plus lesRroms sont dominés d’un point devue économique, plus la perception

idéologique que l’on a d'eux tend àexercer des formes de racisme et à lesexclure. Et précisément, le devenirmineur, qui est un concept de Deleuzeaussi repris par Balibar, permetjustement, en reprenant certainesvariables de la culture rrom, de sortirde cette perception de rejet vis-à-visdes Rroms, et c’est là peut-êtrequ’intervient la question de la culture.

Jusqu’à présent, on a parlé des formesde domination comme de choses quisurplombaient les populations rroms,qui s’en prenaient à elle. Mais desformes de domination sont internesaux populations rroms. Les luttes desRroms, ce sont aussi les luttes desfemmes rroms. Marion : Il me semble important d’enparler également. La lutte contre lesystème d’exploitation patriarcale peutêtre un élément important deconnexion des luttes. Il me sembleque ces problèmes de domination, derapports sociaux de sexe inégaux, seposent à l’intérieur des familles rroms,bien sûr, mais pas uniquement. Il fautfaire très attention. Comme onstigmatise la population musulmaneen l’accusant d’être machiste, on atendance à faire la même chose avecles Rroms. J’ai rencontré des femmesde différentes familles quis’organisent entre elles pour partagerleurs expériences, notamment parrapport à la violence domestique, pouressayer d’échanger des solutions, de

mettre en place des systèmes dedéfense contre cette violence. Peut-êtrefaut-il aussi connecter cette violenceau sexisme des rapports sociaux demanière plus générale. Destravailleurs sociaux notamment :quand ils essaient de chercher dutravail avec un couple, ils privilégientl’homme dans la recherche de travail.L’un d’eux m’expliquait que c’étaitpour ne pas trop perturber leurorganisation familiale. Donc qu’il étaitimportant que la femme ait du tempspour s’occuper des enfants quand lemari cherchait un emploi. Il mesemble que ce point est un point deconnexion entre plusieurs luttes, à lafois contre l’exploitation patriarcalemais aussi contre l’exploitationcapitaliste. n

À LIRE

« L’exemple des Rroms.Les Rroms pourl’exemple »Revue Lignesn° 34, février 2011, & n° 35,juin 2011Éditions Lignes

«Comme on stigmatise la population musulmane en l’accusant d’être machiste, on a tendance à faire la même chose avec les Rroms.»

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alternatives

LE PLAISIR D’ENTRER et d’errer un moment le long des étagères et des tables de Quilombo tient d’abord au choix des titres. C’est un foisonnement plein d’échosentre plusieurs perspectives radicales : des luttesféministes et antipatriarcales au thème des prisons, de la critique de l’enfance aux luttes antiracistes et post-coloniales, du mouvement ouvrier aux récits de piraterie et des analyses de la société industrielle aux romansenragés. Il s’agit de mettre à la disposition de chacun-e des armes de papier pour lutter contre toutes les formesde domination.

UNE APPROCHE POLITIQUE GLOBALE DE LA CHAÎNE DU LIVREPour retrouver une prise globale sur la chaîne du livre,Quilombo choisit de mettre tous les deux mois des maisons d’édition indépendantes en avant. La présentation du travail des éditrices-teurs se fait à partird’une table présentant une sélection d’ouvrages issus du catalogue, d’un apéritif rencontre avec les lectrices-teurs, et d’un texte de présentation publié sur le site de la librairie. Depuis sa création, Quilombo a ainsicollaboré de cette manière avec vingt-six éditrices-teurs : de sciences humaines et sociales (L’Échappée, Syllepse), de littérature (Finitude) ou de livres jeunesse (Talents

Hauts). Les structures de diffusion et de distributionindépendantes (Hobo Diffusion, par exemple) sontégalement des alliées dans cette lutte pour se réapproprierla mise en circulation de productions littéraires non standardisées.Les livres n’existent pas seuls. En détricotant la chaîneproduction/édition/diffusion, on comprend qu’il s’agitd’un champ de bataille à investir. Certains membres de Quilombo se trouvent ainsi investis dans les luttescontre « l’ordre numérique »1, avec le collectif Livres de papier, créé en 2009. Il s’agit de revendiquer un attachement politique à la matérialité du lien social et du savoir, au papier imprimé comme support de rencontres et d’échanges. À travers ses interventions en bibliothèque ou lors du Salon du livre de Paris, et avecla publication d’un journal, le collectif se pose en résistance au déferlement technologique et à l’informatisation de l’écrit et du monde.

UN LIEU AUTOGÉRÉ, POUR SERENCONTRER ET S’ORGANISEREn termes de fonctionnement, Quilombo représenteune tentative d’autogestion originale. La structurecomporte quatre personnes aux statuts différents (deuxsalariés à temps partiel et deux bénévoles), qui se réunissent toutes les trois semaines pour prendre des décisions collectives en termes d’organisation et d’investissement dans certaines luttes collectives.L’équilibre financier toujours précaire fait cependantreposer le projet sur le soutien de toutes celles et ceuxqui, de près ou de loin, participent à Quilombo.La librairie se conçoit comme une « alternative au supermarché de la culture », et résiste à la concentration grandissante de l’édition et de la librairie2. Plus généralement, c’est une tentativevisant à se réapproprier le commerce, où les livres ne sont pas les seuls objets échangés puisque les étagères accueillent aussi des produits issus de productions locales et/ou bio, comme le caféchiapanèque, l’huile d’olive palestinienne ou la bièrede… Montreuil.En tant que lieu d’échange, l’organisation de rencontresrégulières autour de livres, de films ou d’éditrices-teurs estcentrale dans la démarche de la librairie. Ce sontd’intenses moments de réappropriation collective et de mises en commun des interrogations

QUILOMBO, AU 23 RUE VOLTAIRE, À PARIS, REVENDIQUE UNE RÉAPPROPRIATIONPOLITIQUE DE LA CHAÎNE DU LIVRE DANS SA GLOBALITÉ, ET DÉFEND LA MISE EN

CIRCULATION DE TEXTES ANCRÉS DANS LES LUTTES. LIEU DE RENCONTRE ETD’ORGANISATION, CETTE LIBRAIRIE S’INSCRIT DANS UN QUARTIER EN RÉSISTANCE.

UN LIEU, DES LIVRES ET DES LUTTES

QUILOMBONote de la rédaction :L’Offensive libertaireet sociale entretient

des liens étroits avecQuilombo, d’amitié,

de soutien matériel,de combatspolitiques.

1. Contact Livres depapier, c/o Offensive,

21ter, rue Voltaire, 75011Paris,

[email protected]) 2. « En France, deux livressur trois sont publiés pardes filiales de Vivendi ou

de Matra-Hachette.Hachette possède, par

exemple, Grasset, Stock,Pauvert, Marabout,

Lattès… Dans la vente, lasituation est aussi

dramatique. Le nombrede librairies

indépendantes ne cessede se réduire. Il y a vingtans, elles représentaient

la moitié des ventescontre 18 % aujourd’hui.Les ventes de “produitsculturels” se partagent

entre la FNAC, Hachette(Virgin, Extrapole, Furet

du Nord, Relais H, etc.) etles grandes surfaces. »

(extrait du texte fondateurde Quilombo)

3. Voir l’article de JulienHage dans le journal des

dix ans de Quilombo.4. Voir l’entretien dans le

journal des dix ans deQuilombo.

« Alternatifs car nous ne cherchons pas le profitmais à faire vivre un lieu, qui se caractérise parson statut associatif, son ancrage dans le milieumilitant et par sa volonté de proposer des livres

que nous défendons avec conviction. Autogéréparce que nous sommes quatre - dont deux

salariés - à prendre les décisions sur un piedd’égalité et après discussion à propos de ce que

nous présentons sur nos tables, des initiativesque nous lançons mais aussi des luttes sociales

et de l’actualité du monde du livre. Autonomescar nous disposons d’une indépendance,

financière et politique, et que nous comptons, surle plan pratique, uniquement sur nos forces etaussi sur celles de nos camarades et amis qui

nous soutiennent et n’hésitent pas à nous donnerdes coups de main ! ».

Autodéfinition

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DEPUIS JANVIER 2009, les Montreuillois Raphaël Tomas et MarianneZuzula proposent, sous le nom La ville brûle, des livres militants, maispas n’importe lesquels. « Nous essayons de faire des livres ambitieuxdans leur propos, mais les plus accessibles possible, et ce à tous lesniveaux : accessibles dans leur contenu, dans une démarche que l’onpourrait qualifier d’éducation populaire (même si c’est un peuringard !), et accessibles par leur prix également. Nous publionsprincipalement des ouvrages de sciences humaines et sociales, et de sciences dites « dures », avec depuis cette année quelquesincursions dans le domaine de la littérature. »Notons que tous deux ont déjà un pied dans l’édition, il et elle travaillantpour des maisons d’édition spécialisées dans le scolaire et le

scientifique, car il faut bien vivre. On trouve quatre collections chez La ville brûle : « Engagé-e-s », « 360 », « Mouvement réel » et « Sous les pavés ». Très concerné-e-s par la misère du salariat, elle et iléditent aussi une poignée de titres hors collection, avec des textesconsacrés au communisme. Le sous-titre de la collection « Mouvementréel », études marxistes, ne cache pas la visée subversive de leurpublication : « En raison de la diversité des traditions qui lui sontapparentées, on ne saurait enfermer sans préjudice le “marxisme” dansdes catégories figées, partisanes ou dogmatiques : c’est au contraired’un regard renouvelé sur l’esprit et la lettre de ce vaste héritage dontnous avons besoin aujourd’hui », depuis le superbe objet livre Consignespour un communisme du XXIe siècle. Manuel rotatif, d’Isabelle Garo et Elena Vieillard, dans la collection littéraire « Sous les pavés », à Pourlire le capital, de David Harvey (« Mouvement réel »), en passant parMarx, l’histoire et les révolutions, de Jean-Numa Ducange et MohamedFayçal Touati (« Engagé-e-s »). Mais on ne peut réduire La ville brûle à une maison d’édition strictement marxiste : nombre de leurs titressont consacrés à d’autres thèmes – liés à la critique anticapitaliste,toujours – tel le nucléaire, le changement climatique ou le féminisme :J’ai avorté et je vais bien, merci. On y trouve aussi un Manuel anti-sondages (Alain Garrigou, Richard Brousse et l’Observatoire dessondages), Usages de Brecht (Olivier Neveux, à paraître), Pour en finiravec le totalitarisme (Roger Martelli), ou encore Anarchistes (IrènePereira). Avec huit titres publiés chaque année et quasiment toutes les tâches requises pour ce faire réalisées en interne (seul le graphisme est confié à un professionnel externe rémunéré), le chômage n’est pas prêt de pointer le bout de son nez. Et quand onvoit l’état du monde, on se rend compte qu’il y a du pain sur la planche !

LA VILLE BRÛLE

En collaboration avec la librairie Quilombo. www.librairie-quilombo.org

Un éditeur indépendant

La ville brûle36 rue Parmentier - 93100 Montreuil www.lavillebrule.com

et des pratiques de chacun-e. Les débats sont essentiels pournourrir de constants allers-retours entre les livres et les luttes.Enfin, Quilombo propose un soutien pratique à des structures amies, en accueillant par exemple les stocks du label de musique alternatif Crash Disques,de l’association Échanges solidaires qui vend du cafézapatiste, de la revue Offensive, des éditions L’Échappée ou du collectif Livres de papier.

UNE LIBRAIRIE POLITIQUE DE QUARTIERLa librairie s’inscrit dans l’histoire des librairies politiques,indépendantes et ancrées dans les luttes3. Elle participe d’undynamisme récent de ce type de structure en France, avecViolette and Co et Publico (Paris XIe), Folies d’Encre (Saint-Denis), La Gryffe et La Plume noire (Lyon). Instrumentsd’éducation populaire, lieux de mise en circulation des expériences vécues et des analyses théoriques, espacesd’échanges et de débats, ces librairies sont des structuresfondamentales dans les luttes émancipatrices.De plus, Quilombo, en haut de la rue Voltaire, à la limitedu XIe et du XXe arrondissement de Paris, revendique un ancrage spécifique dans son quartier, visant à désenclaver les idées et les pratiques militantes. La proximité du Centre international de culture populaire,des bars Au Bon Accueil et du 96, crée une synergieintéressante et des solidarités concrètes. Pour SylvainAlesandrini, qui travaille au CICP, cela participe de l’idéede la défense d’un quartier populaire et de la constructiond’autres façons d’exister. « C’est un vrai « territoire de lutte », au sens où l’entendent les zapatistes4. »Leni

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ROSA LUXEMBURGDEPUIS SA MORT tragique en 1919, le nomde Rosa Luxemburg est devenu une sorte de mythe dans la gaucherévolutionnaire. Mais, faute de textesdisponibles, sa connaissance resteaujourd’hui fort limitée, sauf à l’aborderdans l’esprit de l’époque sur le registrede l’émotion. On ne peut donc que se féliciter de voir cettesubstantielle biographie à nouveauaccessible, bien qu’il s’agisse d’uneversion plus courte que l’originale,traduite aux éditions François Masperoen 1972. Marquée par le contexte de sarédaction – les suites de la déstalinisation et le conflit sino-soviétique –, cette biographie n’en estpas moins la plus complète sur la révolutionnaire polonaise, tant sur sa vie que sur son œuvre, son actionpolitique et le contexte où elles se sontdéroulées. Elle est à coup sûr à lire enpriorité pour qui s’intéresse à celle quifigure parmi les rares continuateurs deMarx à avoir mêlé indissolublementrecherches sociales et actionrévolutionnaire.

NOUVEAUTÉS

Siegfried KracauerLes Belles Lettres

2012, 148 p.

LES EMPLOYÉSÀ LA FIN des années 1920, SiegfriedKracauer (1889-1966) livre en une dizaine d’articles au FrankfurterZeitung cette «contribution à une sociologie des employés». Il étudiecette nouvelle catégorie de salarié-e-sen réunissant données statistiques et études de spécialistes et en se livrantà une enquête de terrain. Pour lui, le lieusocial de « l’esclavage moderne […], ce sont les bureaux». Mais ces prolétaires en col blanc n’ont pas abandonné l’illusion de faire partiedes «classes moyennes», et leur fausseconscience en fait la proie des illusionsles plus dangereuses en cas de crise.Une situation qui fait dire à WalterBenjamin: « Il n’est pas aujourd’hui de classe qui nourrisse, autant que les employés, des pensées et des sentiments aussi étrangers à la réalité concrète de sa viequotidienne». Une analyse toujoursd’actualité !

« REVUE DE CRÉATION transdisciplinaire », Gruppenparvient à réunir, sans que cela jure, des contributions de poètes, de musiciens, de philosophes, avec des ouvertures sur le cinéma, sur l’anthropologie et, chose plusrare dans les revues contemporaines, sur la pédagogie. On y vérifie avec joie que tout est bon à penser, et celles et ceux qui étouffentdans les cloisonnements du savoir ou de la création y trouveront ainsi de quoi se dépayser l’âme. Mais la politique dans tout ça ?Elle joue en basse continue, entêtante, de numéroen numéro : traduction d’un texte d’Engels

sur l’antisémitisme, réflexions sur le « comme-un-isthme », retour sur les activités du Proletkult pendant la révolution russe, etc.Dernière précision : cette revue est aussi – soyons un peu fétichistes – un très bel objet. Impriméesur du beau papier, élégamment illustrée et miseen page… Le bonheur des sens passe aussi par là.

Gruppen25 rue Saint-Jean-d’Août – 40000 [email protected]

À noter : le « groupe Gruppen » fait aussi des conférences, desperformances, des concerts en divers endroits… Les informations sontconsultables sur le site de la revue.

REVUE

LA LIBERTÉ DANS LE COMAESSAI SUR L’IDENTIFICATION ÉLECTRONIQUE

ET LES MOTIFS DE S’Y OPPOSERRICHE ESSAI CRITIQUE sur l’informatisationdu monde et la fausse liberté en sociétémoderne. Pour les auteur-e-s, il est illusoire de combattre les dérivesdu contrôle biométrique et électronique en général (puces RFID et autresmouchards) sans s’attaquer de front à l’informatisation du monde. Celle-ci a permis le développement et la rationalisation de la bureaucratie en offrant la possibilité de gérer et analyser une masse toujours plusimportante de données sur lesindividu- e-s. Sont bien démontrés les ravages du numérique sur notrepsyché et notre rapport au monde.Au bout du compte, il serait nécessaire

pour les révolutionnaires de tenir à distance les nouvelles technologiescar « chercher à s’en détacher au maximum, c’est simplement prendre au sérieux les idéaux de liberté et d’autonomie ».

Groupe MarcuseLa Lenteur2013, 248p.

John Peter NettlSpartacus

2012, 566 p.

LE GOÛT DE L’ÉMEUTEMANIFESTATIONS ET VIOLENCESDE RUE DANS PARIS ET SA BANLIEUEÀ LA « BELLE ÉPOQUE »LES MANIFESTATIONS pacifiées que nousconnaissons avec parcours déposés en préfecture, slogans et servicesd’ordre n’existaient pas au début du siècle dernier. Rendez-vous étaitdonné pour marcher sur un lieusymbolique et la manifestation viraitgénéralement à l’émeute après une première charge policière. La répression au sabre clair faisait des dégâts jusque chez les enfants, et il n’était pas rare de voir des ouvriersarmés d’un pistolet. La capacité de mobilisation est impressionnante. En quelques heures, par affichage,tractage et présence dans les meetingset réunions publiques, les militant-e-sarrivent à être plusieurs milliers pourtenter d’empêcher une exécution, par exemple. Une culture de classe vivacese traduisait par des actes violents.

Anne SteinertL’Échappée2012, 208 p.

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Gruppen

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contre cultureLIVRES

INCONTOURNABLE

BD

ROMAN GRAPHIQUE JEUNESSE

MARIE ET LES CHOSES DE LA VIEAuteure : Tine MortierIllustratrice : Kaatje Vermeire Le Sorbier, 2011, 24 p.À partir de 5 ans

LA NUIT DES PROLÉTAIRESJacques Rancière1981•Dernière parution: Hachette 2012CETTE FOISONNANTE exploration trouve son origine dans la crise du gauchisme des années 1970. Elle est le fruit du travail menépar Rancière pendant près de sept ans dans les archives dumouvement ouvrier au XIXe siècle avec pour question: commentl’émancipation a-t-elle été formulée par celles et ceux qui l’ontautant rencontrée que conçue? Ce livre est tout à la fois: une histoire sans fin du socialisme utopique; un poème en prosed’une centaine de pages ; une thèse de philosophie à partir de textes de simples ouvrier-e-s; un roman tramé de

correspondances, de journaux ouvriers et de rapports préfectoraux ; ou encore, une sociologie ne traitant que d’être exceptionnels. La Nuit des prolétaires, c’estl’obscur moment où des ouvrier-e-s décident de prendre le temps qu’ils n’ont pas,de lire les livres qui ne leur sont pas destiné-e-s, d’écrire les textes dont ils sontincapables, en somme : de devenir poètes ou philosophes, de se faire autres que ce qu’ils et elles sont. Par la puissance des mots et de la volonté, ils et elles se trouvent embarqué-e-s à expérimenter, avec les moyens de leur intelligenceégale à celle de n’importe qui, le sens du mot « émancipation ». L’émancipationredevient le point de départ de la politique, qui a pour condition l’expérience denotre dignité d’être pensant. Et ce sentiment est susceptible de nous indisposerradicalement contre tout ce qui peut en limiter le plein exercice. Dès lors, le ressortde la révolte ne peut plus être considéré comme l’expression d’une conscience de classe enfin mûre – instruite des dominations qui la déterminent – mais, à l’inverse, comme ce qui vient en interrompre la reproduction.

LA LUMIÈRE AU FOND DU PLACARDC’EST UNE PREMIÈRE BD pour cetteillustratrice. On est plongé-e dans le parcours d’une jeune fille qui avance,hésitante, vers son coming out. Elle est en quête d’elle-même, de l’autre qui fera battre son cœur, de militantisme. Avec beaucoupd’humour et d’émotion, on suit ses pérégrinations. Les illustrationssont « chouettes » et dynamiques, et accompagnent un récit réaliste et optimiste.

NOUS VOICI PLONGÉ-E-S dans un romangraphique qui se déroule en douzeépisodes et nous emmène sur les tracesde trois générations de lesbiennes des années 1950 à nos jours. On toucheici à l’intime qui est politique, on quitteles idées reçues et on raconte des histoires de vie, les tribulations de femmes qui se dévoilent dans leurquotidien, leurs émotions, leurscontradictions… Chacune est unique,mais leur parcours met en évidencel’évolution des mentalités, les problématiques liées à des époquesdifférentes. On replonge dans l’histoireau travers d’événements marquants, de souvenirs d’enfance sur la lutte pourl’égalité et l’émancipation des femmes.C’est aussi un travail graphiqueintéressant, avec un scénario et cinqillustratrices qui s’approprient un mêmepersonnage à leur manière selon les épisodes. Le seul bémol est leurparti pris de le mettre aussi en versionnumérique.

GamiDans l’Engrenage

2013, 104p.

LES CHRONIQUES MAUVESScénario de Catherine Feunteun,Illustrations de Soizick Jaffre, CaroleMaurel, Cab, La Grande Alice et Louise Mars, Catpeople production, 2012, 224p.

PRÉPAREZ-VOUS à être bouleversé-e. C’estune histoire douce-amère, l’histoire de la vie, de Marie et sa mamie. Ellessont complices, intrépides,gourmandes… Elles ont tissé un universdoux, joyeux et rempli d’amour. Maisvoilà que la grand-mère de Maries’effondre et perd la mémoire, ses capacités. Il faudra pour toutes les deux apprendre d’autres réalitéscomme l’hôpital, la vieillesse, le deuil…Mais ne vous y trompez pas, c’est un album plein d’humour, de complicitéheureuse, le tout illustré finement, avecplusieurs techniques et un foisonnement d’animaux, de végétaux, à la fois exubérant et délicat. Un pari réussi pour traiter de sujets douloureux.

Ji RoCrach

2012, 72 p.

COMME UN CHIENC’EST UN RÉCIT à la première personned’un cauchemar bien réel et de sesconséquences. Un soir d’octobre 1997,Ji Ro se retrouve dans une petite villeinconnue après s’être fait expulser du train par le contrôleur. Il croise troismecs qui vont le tabasser et le violer, et ainsi affirmer leur toute-puissancecontre cet homme qui n’en est pas unpuisqu’il a les stigmates du pédé. De la peur de mourir sous les coups de pied, coups de poing, coups de bitejusqu’au temps du procès et de lacondamnation, l’auteur nous livre ses questionnements et ses incertitudessur le statut de victime, sur la nécessitéou non de s’en remettre au trio police-justice-prison. Où quand des évidencesvacillent dans une société où l’homophobie est omniprésente.

LE FRANC CFA ET L’EUROCONTRE L’AFRIQUECE LIVRE PERMET de découvrir et comprendre l’histoire et les mécanismes du franc CFA, et ce que la possession de cette monnaiepar la France –à présent intégrée à l’euro, induit pour quinze pays d’Afrique(anciennes colonies de la France). Le professeur Nicolas Agbohou,participant à sa création en 1945,démontre de façon implacable que le franc CFA, fabriqué en France et d’où il reste entièrement contrôlé, est le pilier de la Françafrique et l’instrument de base du pillage des richesses, et du maintien sous tutelle–totale– de ces pays.

Nicolas AgbohouSolidarité mondiale

2012, 315 p.

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MUSIQUE

« UN JOUR, LES CHIENS et les lapins tinrent un congrèset les chiens se mirent d’accord pour ne plus courir aprèsles lapins. Un autre jour, deux lapins étaient sur le bord de la route – ils discutaient de l’affaire –, l’un d’eux regardaitau loin sur la route et il vit un vieux chien de chasse amaigriqui s’en venait. Il dit : “R’garde par là, vaut mieux que j’yaille. C’est-y pas un chien qui s’amène ?”. L’autre lapinrépondit : “Ben oui, mais tu te rappelles pas que les chiensont voté à ce congrès qu’ils ne courraient plus après leslapins ? Il va pas nous embêter”. “Ouais, qu’il dit, mais,mon frère, ce salopard qui jappe, là-bas dans les taillis, a deschances de pas avoir été à ce congrès.” Et c’est exactementcomme ça que je sens les Blancs par ici dans le Delta. »Voilà un de ces fragments de la culture noire des États-Unisd’avant la « fin de la ségrégation », recueilli par Alan Lomax,dont les éditions des Fondeurs de Briques ont publié unetraduction des mémoires, Le pays où naquit le blues. Ici, c’est une réponse qui lui est faite par un vieil ouvrier de Memphis qu’il questionnait, en 1942, sur une évolutiondes comportements racistes des Blancs. Né en 1915, Lomaxsuit son père dès les années 1930 sur les routes des étatsdu Sud afin de recueillir les expressions des musiquespopulaires, et plus particulièrement des musiques noires,dont le blues. Grâce au matériel embarqué à l’arrière de leur voiture, ils enregistrent qui ils veulent, en n’importequel lieu : fermes, prisons, etc. Leur démarche dérange...non contents de parler aux Noir-e-s sans l’autorisation des maîtres, ils leur donnent du « Monsieur ».Le livre commence en 1942, année de retour dans le Sudpour Lomax. Pour lui, il s’agit d’enregistrer cette musiqueafin de garder une trace des chants de travail et d’entraidequi ont nourri le blues, notamment dans l’usage de métaphores pour critiquer les Blancs, l’exploitation… À travers les rencontres, il se confronte avec les lois

raciales, écrites ou non, se confronte aux forces de l’ordreet aux propriétaires, étonne des descendants d’esclaves par l’attention qu’il porte à leur musique. Il a enregistré certain-e-s artistes devenus célèbres – LeadBelly, Son House, Muddy Waters – et des milliers d’autresresté-e-s anonymes. Car s’il enregistre des bluesmen, il cherche aussi à tendre le micro aux blues women, dont Florence Stamp, qui figure sur le CD dix titresaccompagnant l’ouvrage, avec un enregistrement de 1942,Satisfied. Une charmante opportunité de revivre les effortsde Lomax pour donner la parole aux sans-voix et pourrendre tant le rapport au monde que représente le bluesque son aspect musical. Clampin

Alan Lomax, Le pays où naquit le blues, traduction de Jacques Vassal,

Les Fondeurs de Briques, 2012.

Pour en savoir plus : l’émission « Alan Lomax, le pays où naquit le

blues » diffusée sur Canal Sud en novembre 2012 et disponible sur

http://sonsenluttes.net

FOCOLITUSPOÉSIE ET RÉVOLTEPRÉSENT SUR LA SCÈNE portugaise depuisles années 1990, Focolitus est sans aucundoute le projet musical libertaire le plus ancienet le plus intéressant que l’on puisse trouversur ces terres. Le son est particulièrement bientravaillé, il mélange de fantastiques expéri-mentations entre le punk, le ska et autresmusicalités. Toutefois, c’est l’expressionlyrique qui nous fait lever le poing, aussi bienpar les textes contre le système répressif (« àbas tous les organes répressifs, maintenant ! »)que par les messages qui appellent à l’unionet à la force des opprimé-e-s (« Avec des gestessimples comme se donner la main pour allersur le chemin de l’autogestion », « Je veuxm’élever encore plus/construire une

conscience/je veux graver mon irrévérence »).Ils ont récemment enregistré un album, Des-preshion das Märr Kathara, qui contient septtitres, certains déjà connus de celles et ceuxqui fréquentent les concerts dans les squattset autres espaces libertaires, ou les scènes DIY.N’hésitez pas à les contacter pour les fairevenir jouer près de chez vous.Baltazar Bresci (Bulletin Acçao Directa n° 3)

Traduit par Colyne

http://www.myspace.com/focolitus

http://focolitus.no.sapo.pt/

[email protected]

ALAN LOMAXTRIBULATIONS AU SON DU BLUES…

ALAN LOMAX LORS D’UN ENREGISTREMENT EN DOMINIQUE, 1962 (THE LOMAX ARCHIVE).

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INLAND (Gabla)film algérien de Tariq Teguia2009, 138 minMalek, topographe, est envoyédans l’Ouest algérien pourétablir le tracé d’une nouvelleligne électrique, la précédente

équipe ayant été massacrée lors de la guerrecivile. Seul et loin de tout, dans une cabinedélabrée au milieu de l’immensité, il rencontreune migrante dont les compagnons de voyage ontété tués. Comme l’a écrit Rancière, Tariq Teguia a réalisé l’une des œuvres les plus formellementsublimes de la décennie, à la fois précisémentancrée dans son pays et lumineuse par-delàtoute assignation territoriale ou politique...

STROMBOLIfilm italien de Roberto Rossellini1950, 105 minKarin, une jeune Lituaniennesoupçonnée de rapportstroubles avec l’occupant

allemand, est internée dans un camp deprisonnier-e-s en Italie à la fin de la guerre.Pour en sortir, elle se marie avec Antonio, qui laramène avec lui sur l’île de Stromboli. Ce désertvolcanique la confrontera à sa part de bassesseabjecte, puis, in extremis, à une spiritualitéirrésolue. Ingrid Bergman, perdue et pieds nusentre le volcan et les étoiles, est inoubliable.

LA CAPTIVE AUX YEUX CLAIRS (The Big Sky)film américain de Howard Hawks1952, 140 min Kirk Douglas est Jim Deakins,un aventurier qui se joint à

l’expédition historique du Mantan sur le fleuve

Missouri, au début des années 1830. Ce grandwestern, adapté assez librement du romand’Alfred Bertram Guthrie, illustre de façonemblématique l’appartenance du genre à lathématique complexe de la frontière, tout enrépondant merveilleusement à la questionencore d’actualité posée par André Bazin en1955 : «Comment peut-on être hitchcocko-hawksien?».

LE TEMPS DESFRONTIÈRESfilm français de Gulya Mirzoeva2006, 52 minUn bus traverse la frontière duKirghizstan vers le Tadjikistan,puis l’Ouzbékistan et leKazakhstan avant d’atteindre

Bichkek, au Kirghizstan oriental: road-movie et rappel de l’historique des frontières en Asiecentrale depuis les années 1920, sur l’ancienneroute de la soie, ce documentaire géopolitique estaussi l’occasion d’une réflexion sur les rapportscontemporains entre frontières et nationalismes.

DERSOU OUZALAfilm russo-japonais de Akira Kurosawa1975, 141 minDersou Ouzala a existé : letopographe Vladimir Arseniev apublié en 1921 l’histoire de sarencontre et de son amitié avec

ce chasseur, dans la taïga sino-russe. Lesextérieurs lyriques de ce grand classique deKurosawa dépeignent cette frontière hostile etenvoûtante jusqu’à sa disparition, qui coïncideavec celle du chasseur et préfigure celle, horschamp, du géographe lui-même et de sa famille,finalement persécutés par les sbires staliniens.

FRONTIÈRES À L’ÉCRAN (FICTIONS)

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LA FRONTIÈRE a étéanalysée, dans sa dimensiongéopolitique, par denombreux historien-ne-s et philosophes, de LucienFebvre à Étienne Balibar. Si quelques-uns des filmsci-dessous illustrent ou problématisent ces analyses, tous lesélargissent à d’autresaspects de la notion defrontière. Dans le fameuxplan-séquence initial de La Soif du mal (Touch of Evil), en 1958, OrsonWelles avait fait de la

frontière la nouvelleprotagoniste par excellencedu film noir à venir, capablede renvoyer à la fois aux problématiquessociales, politiques et existentielles, voiremétaphysiques. Car la frontière, c’est, dans le western classiqueégalement, le lieu du contact avec d’autresmondes ; l’endroit où l’on expérimente la vraiesolitude et la fusion avecl’univers ; l’espace où l’on se perd, pour

se redécouvrir parfoisinconnu à soi-même ; et la limite où, pour le pireet absurdement, La loi c’estla loi (Totò et Fernandel,exactement entre la Franceet l’Italie, toujours en 1958).C’est que les communautésont parfois besoin d’unebarrière, d’un mur ou d’un fossé pour se souder :et c’est alors, sans doute,qu’il faut savoir se battre, se cacher ou fuir versd’autres frontières, plus libres et plus belles. Serge Lorenzo

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contre cultureARTS VIVANTS - CINÉMA

MIKEL LABOA A DEUX ANS quand laguerre éclate. Sa famille fuit le Paysbasque et s’installe à Bordeaux. À la fin des combats, sa mère retourne à Saint-Sébastien avec les enfants. Son père, membre du Parti nationalistebasque, reste en exil. Mikel Laboacommence la guitare dans les années1950 et apprend les classiques durépertoire basque. Son premier albumest enregistré à Bayonne en 1964,l’euskara, la langue basque, étant interditpar le régime franquiste. La mêmeannée, il rencontre des poètes, dessculpteurs et des chanteurs aveclesquels il forme le groupe Ez DokAmairu, dans le but «d’amplifier etd’inventer de nouvelles formes demusique traditionnelle basque». Ces artistes sont rapidement confrontésà la censure franquiste. Le groupe joue à l’étranger jusqu’à sa dissolution, en 1972. Mikel Laboa présente alorsIkimilikiliklik, un spectacle mêlant des dessins de José Luis Zumeta, des poèmes de Joxean Artze, deschansons et des projections de films.Pendant l’agonie de Franco, la chansonbasque est en pleine effervescence.Malgré les menaces de l’extrême droiteet les charges de la police pendant ses concerts, la « figure de la consciencebasque» chante. Puis se tait en 1978... Il revient en 1984 et donne des récitalsde jazz en euskara. Toujours engagé, il chante en faveur des ikastola (école en euskara), pour la généralisation de l’enseignement en euskara et pour le rapprochement des prisonniers et prisonnières basques. Avec sa voix au timbre particulier, douce et profonde,Mikel Laboa a su trouver un équilibreentre tradition et modernité. Se jouantdes conventions, il a laissé la part belle à l’improvisation et au jeu avec lesonomatopées. Ses collaborations furentmultiples et transgénérationnels, et son empreinte dans la chanson basquen’est pas près de s’effacer.Albertine

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MIKEL LABOA

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