Nouveaux anticoagulants oraux dans le traitement curatif de la maladie thromboembolique veineuse

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Nouveaux anticoagulants oraux dans le traitement curatif de la maladie thromboembolique veineuse Laurent Bertoletti 1,2,3 , Jean-Christophe Lega 1,4,5 , Nathalie Moulin 3 , Andréa Buchmuller 2,3 , Patrick Mismetti 1,2,3 , Hervé Decousus 1,2,3 1. Université Saint-Étienne, Jean-Monnet, groupe de recherche sur la thrombose, EA3065, 42000 Saint-Étienne, France 2. Inserm, CIE3, 42000 Saint-Étienne, France 3. CHU de Saint-Étienne, hôpital Nord, service de médecine et thérapeutique, Saint- Étienne, France 4. Université Claude-Bernard Lyon-1, département de thérapeutique, 69000 Lyon, France 5. Hospices civils de Lyon, hôpital Lyon-Sud, service de médecine interne et vasculaire, 69000 Lyon, France Correspondance : Laurent Bertoletti, CHU de Saint-Étienne, hôpital Nord, service de médecine et thérapeutique, avenue Albert-Raimond, 42055 Saint-Étienne, France. [email protected] Disponible sur internet le : 19 juillet 2013 Anticoagulation en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Dossier thématique Presse Med. 2013; 42: 12321238 ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 1232 Mise au point Key points New oral anticoagulants in the treatment of venous thromboembolism Rivaroxaban (with initial increased dosage) may be used as a stand-alone therapy in patients with venous thrombo- embolism. The development of new anticoagulant drugs opened seve- ral options in the management of venous thrombo-embo- lism. The efficacy and safety of these new oral anticoagulants in specific population as elderly and those with renal impair- ment deserve future research. At that time, only rivaroxaban is licensed in France, in the treatment of deep venous thrombosis. Points essentiels Sous réserve d’une majoration initiale de la dose, le rivaroxa- ban permet une prise en charge thérapeutique orale des patients avec maladie thromboembolique veineuse, sans recours à un traitement parentéral. Les nouveaux anticoagulants oraux (NAO) ouvrent des per- spectives d’enrichissement des possibilités d’adaptation de la décision thérapeutique au patient. Leur expérience reste trop limitée dans des populations à risque comme l’insuffisance rénale non sévère, les personnes âgées, le cancer. À l’heure actuelle, seul le rivaroxaban bénéficie d’une auto- risation de mise sur le marché, dans l’indication suivante : « Traitement des thromboses veineuses profondes (TVP) et prévention des récidives sous forme de TVP et d’embolie pulmonaire (EP) suite à une TVP aiguë chez l’adulte ». tome 42 > n89 > septembre 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.06.001

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Anticoagulation

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

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Presse Med. 2013; 42: 1232–1238� 2013 Elsevier Masson SAS.

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Key points

New oral anticoagulants in

thromboembolism

Rivaroxaban (with initial increaa stand-alone therapy in patiembolism.The development of new anticoral options in the managemenlism.The efficacy and safety of thesspecific population as elderly ament deserve future research.At that time, only rivaroxabantreatment of deep venous throm

Nouveaux anticoagulants oraux dans letraitement curatif de la maladiethromboembolique veineuse

Laurent Bertoletti1,2,3, Jean-Christophe Lega1,4,5, Nathalie Moulin3,Andréa Buchmuller2,3, Patrick Mismetti1,2,3, Hervé Decousus1,2,3

1. Université Saint-Étienne, Jean-Monnet, groupe de recherche sur la thrombose,EA3065, 42000 Saint-Étienne, France

2. Inserm, CIE3, 42000 Saint-Étienne, France3. CHU de Saint-Étienne, hôpital Nord, service de médecine et thérapeutique, Saint-

Étienne, France4. Université Claude-Bernard – Lyon-1, département de thérapeutique, 69000 Lyon,

France5. Hospices civils de Lyon, hôpital Lyon-Sud, service de médecine interne et

vasculaire, 69000 Lyon, France

Correspondance :Laurent Bertoletti, CHU de Saint-Étienne, hôpital Nord, service de médecine etthérapeutique, avenue Albert-Raimond, 42055 Saint-Étienne, [email protected]

Disponible sur internet le :19 juillet 2013

the treatment of venous

sed dosage) may be used asents with venous thrombo-

agulant drugs opened seve-t of venous thrombo-embo-

e new oral anticoagulants innd those with renal impair-

is licensed in France, in thebosis.

Points essentiels

Sous réserve d’une majoration initiale de la dose, le rivaroxa-ban permet une prise en charge thérapeutique orale despatients avec maladie thromboembolique veineuse, sansrecours à un traitement parentéral.Les nouveaux anticoagulants oraux (NAO) ouvrent des per-spectives d’enrichissement des possibilités d’adaptation dela décision thérapeutique au patient.Leur expérience reste trop limitée dans des populations àrisque comme l’insuffisance rénale non sévère, les personnesâgées, le cancer.À l’heure actuelle, seul le rivaroxaban bénéficie d’une auto-risation de mise sur le marché, dans l’indication suivante :« Traitement des thromboses veineuses profondes (TVP) etprévention des récidives sous forme de TVP et d’emboliepulmonaire (EP) suite à une TVP aiguë chez l’adulte ».

tome 42 > n89 > septembre 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.06.001

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Nouveaux anticoagulants oraux dans le traitement curatif de la maladie thromboembolique veineuseAnticoagulation

Le traitement anticoagulant de la maladie thromboembo-lique veineuse (MTEV) était jusqu’à présent multimodal etséquentiel (figure 1), faisant appel à un traitement parentéralinitial (par héparine ou ses dérivés) suivi d’un relais par uneantivitamine K (AVK) dont la dose est adaptée à l’INR [1]. Enfonction des circonstances de survenue de la MTEV, ce traite-ment anticoagulant d’entretien est soit poursuivi pour unedurée comprise habituellement entre trois et 12 mois, soitmaintenu au long cours [2]. Les nouveaux anticoagulants oraux(NAO) présentés dans les chapitres précédents sont aussidéveloppés dans le traitement de la MTEV. Le rivaroxaban(XareltoW) et le dabigatran (PradaxaW) sont les moléculesdont le développement est le plus avancé, suivis de l’apixaban(EliquisW) puis de l’édoxaban (LixianaW). Leurs propriétés phar-macologiques ont été précédemment présentées [3]. Succinc-tement, ces molécules ont une variabilité biologiqueimportante, mais un intervalle thérapeutique lui aussi large,permettant une administration sans contrôle biologique. Ilssont tous éliminés par le rein et les anti-Xa sont métabolisésau niveau hépatique en particulier par le cytochrome P3A4.Leur utilisation est donc contre-indiquée en cas d’insuffisancerénale sévère (clearance de la créatinine inférieure à 30 mL/min/m2 selon Cockcroft et Gault) et en cas d’insuffisancehépatique. Leurs autres contre-indications seront préciséesen cas d’obtention d’une autorisation de mise sur le marché,ce qui n’est le cas que pour le rivaroxaban, à l’heure actuelle.Dans la présente mise au point, nous présentons les principauxrésultats des NAO en séparant le traitement initial et d’entre-tien du traitement au long cours, les problématiqueset alternatives thérapeutiques différant sensiblement d’unesituation à une autre. Puis nous tenterons de dresser lesprincipales problématiques à venir avec les NAO dans le trai-tement curatif de la MTEV.

EP

Ttt parentéral AVK

Ttt initial Ttt d’entretien ttt au long cours

périodes

T� conven�onnel

RE-COVER / HOKUSAI

NOA

NOA (dose majoré e) NOA (dose d’entre tien) EINSTEIN / AMPLI FY

Figure 1

Différents schémas de traitement de l’embolie pulmonaire

tome 42 > n89 > septembre 2013

Nouveaux anticoagulants oraux dans letraitement initial et d’entretien de lamaladie thromboembolique veineuseLe plan de développement des NAO dans le traitement curatifd’un patient ayant une thrombose veineuse profonde (TVP) et/ou une embolie pulmonaire (EP) a été très fortement influencépar les résultats de deux études réalisées au début des années2000 : l’étude THRIVE II (avec le ximelagatran) [4] et l’étudeVAN GOGH (avec l’idraparinux) [5]. Dans ces deux dernièresétudes, il était noté un excès de récidives thromboemboliquespendant les premiers jours de traitement par le ximelagatran etl’idraparinux, par rapport au traitement de référence reposantsur un traitement parentéral initial (héparine ou fondaparinux)suivi d’un relais AVK. Il apparaissait que la période initiale étaitparticulièrement critique et nécessitait un traitement anticoa-gulant très rapidement efficace. Le développement des molé-cules a donc suivi deux stratégies opposées. Dans la premièreoption, le rivaroxaban et l’apixaban sont testés à la fois dans letraitement initial comme dans le traitement d’entretien, sousréserve de doses majorées lors de la période de traitementinitial. Dans la seconde option, le dabigatran et l’édoxaban sontcomparés seulement aux AVK dans le traitement d’entretien,après une période de traitement parentéral par héparine de baspoids moléculaire ou fondaparinux.L’évaluation de l’efficacité des NOA porte sur le taux derécidives de MTEV par rapport au traitement comparateur, etl’évaluation de leur sécurité d’action sur le taux d’hémorragies,avec une distinction entre hémorragies majeures (définie habi-tuellement par toute hémorragie aiguë extériorisée accompa-gnée d’au moins un des éléments suivants : chute de 2 g/dL dutaux d’hémoglobine ou transfusion de deux concentrés, outouchant un organe critique ou entraînant le décès) et leshémorragies non-majeures mais cliniquement significatives(correspondant grossièrement à une hémorragie modifiant laprise en charge médicale du patient mais sans rentrer dans ladéfinition d’hémorragie majeure).

Rivaroxaban

Le rivaroxaban a été étudié dans le programme EINSTEIN, sedéclinant dans deux études principales : EINSTEIN-TVP [6] ayantinclus plus de 3400 patients avec TVP, EINSTEIN-EP [7] ayantinclus plus de 4800 patients avec EP. Sur la base d’études dedoses [8,9], une dose majorée de rivaroxaban (15 mg toutesles 12 heures) pendant les 21 premiers jours suivie d’une dosed’entretien à 20 mg par jour a été comparée au traitementconventionnel (énoxaparine puis AVK). Le plan expérimentalutilisé dans chacune des deux études était un essai ouvert denon-infériorité.Les principales caractéristiques des patients inclus dans d’EINS-TEIN-TVP et d’EINSTEIN-EP ainsi que les résultats principaux sontprésentés dans le tableau I.

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Tableau I

Rivaroxaban dans le traitement initial et d’entretien de la MTEV : programme EINSTEIN

EINSTEIN-TVP EINSTEIN-EP

Rivaroxabann = 1731

Enoxaparine/AVKn = 1718

p Rivaroxabann = 2419

Enoxaparine/AVKn = 2413

p

Population

Âge moyen 56 ans 56 ans NS 58 ans 58 ans NS

Cancer 6,8 % 5,2 % NS 4,7 % 4,5 % NS

Clearance de la créatinine > 80 mL/min 69 % 69 % NS 64 % 67 % NS

Résultats

Récidives de MTEV (à 1 an) 2,1 % 3,0 % < 0,051 2,1 % 1,8 % < 0,051

Hémorragies majeures 0,8 % 1,2 % NS 1,1 % 2,2 % < 0,05

Hémorragies majeures + cliniquement significatives 8,1 % 8,1 % NS 10,3 % 11,4 % NS

NS : non-significatif.1 p : test pour la non-infériorité.

L Bertoletti, J-C Lega, N Moulin, A Buchmuller, P Mismetti, H Decousus

Dans EINSTEIN-TVP [6], la TVP était provoquée chez plus d’untiers des patients. L’âge moyen était de 56 ans et les comorbi-dités rares (6 % de cancer, 7 % d’insuffisance rénale modérée).La majorité des patients était traitée six mois, et un quart12 mois. Sur la période de l’étude, le taux de récidives dans lebras rivaroxaban était de 2,1 contre 3 % dans le bras conven-tionnel, ce qui permettait de retenir l’hypothèse de non-infériorité (HR = 0,68, IC95 % [0,44–1,04], p < 0,05 pour lanon-infériorité). Concernant la tolérance, il n’y avait pas dedifférence entre les deux bras, en termes d’hémorragiesmajeures et des hémorragies non-majeures mais cliniquementsignificatives (8,1 %).Dans EINSTEIN-EP [7], l’EP était provoquée chez un tiers despatients. L’âge moyen était de 58 ans et les comorbidités rares(4,6 % de cancer, 8 % d’insuffisance rénale modérée). Lamajorité des patients était traitée six mois, et un plus d’untiers 12 mois. Sur la période de l’étude, le taux de récidives dansle bras Rivaroxaban était de 2,1 % contre 1,8 % dans le brasconventionnel, ce qui permettait de retenir l’hypothèse de non-infériorité (HR = 1,12, IC95 % [0,75–1,68] ; p < 0,05 pour lanon-infériorité). Concernant la tolérance, évaluée par l’associa-tion des hémorragies majeures et des hémorragies non-majeu-res mais cliniquement significatives, il n’y avait pas dedifférence entre les deux bras (10,3 % dans le groupe rivaro-xaban, 11,4 % dans le groupe conventionnel). Si l’on seconcentrait sur les hémorragies majeures, il y en avait parcontre deux fois moins dans le groupe rivaroxaban (1,1 %) quedans le groupe conventionnel (2,2 %) (HR = 0,49 ; IC95 %[0,31–0,79] ; p < 0,05).

En conclusion, le rivaroxaban à dose majorée (15 mg toutes les12 heures) pendant les 21 premiers jours, puis à la dose de20 mg par jour était non-inférieur au traitement conventionnelpar énoxaparine/AVK en termes de récidive de MTEV. Chez lespatients ayant une EP (situation associée à un risque accrud’hémorragie majeure par rapport aux patients avec TVP), letraitement par rivaroxaban était associé à une réduction durisque d’hémorragie majeure de près de 50 %. Le rivaroxaban aainsi reçu un avis favorable à l’échelon européen. En France, lerivaroxaban est indiqué dans le « Traitement des TVP etprévention des récidives sous forme de TVP et d’EP suite àune TVP aiguë chez l’adulte ». Une extension d’indication autraitement des embolies pulmonaires est en cours d’étude.

Dabigatran

Le dabigatran a été évalué dans le programme RE-COVER, sedéclinant dans deux études jumelles : RE-COVER [8] et RE-COVER II[9] ayant inclus au total près de 5000 patients avec MTEV. SeuleRE-COVER a été publiée (RE-COVER II ayant été présentée encongrès). Trois principales différences sont à noter par rapport aurivaroxaban. Tout d’abord, le dabigatran était évalué unique-ment dans le traitement d’entretien, versus AVK. Ainsi, tous lespatients inclus avaient reçu au moins cinq jours de traitementparentéral par héparine avant d’être randomisés entre le dabi-gatran (à la dose de 150 mg toutes les 12 heures) et les AVK,pendant six mois. Deuxièmement, ces études se sont dérouléesen double aveugle. Troisièmement, il n’était pas réalisé d’étudesséparées TVP et EP, un tiers des patients inclus dans le pro-gramme RE-COVER étant pris en charge pour EP.

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Tableau II

Dabigatran dans le traitement d’entretien de la MTEV : pro-gramme RE-COVER

RE-COVER et RE-COVER II

Dabigatrann = 2553

AVKn = 2554

p

Résultats

Récidives de MTEV (à 6 mois) 2,7 % 2,4 % < 0,051

Hémorragies majeures 1 % 2 % < 0,05

1 p : test pour la non-infériorité.

Nouveaux anticoagulants oraux dans le traitement curatif de la maladie thromboembolique veineuseAnticoagulation

La population incluse dans RE-COVER était jeune (55 ans) prin-cipalement traitée pour une TVP (69 %). Les comorbiditésétaient rares (moins de 5 % de cancer, fonction rénale normale).Les études RE-COVER I et RE-COVER II étant jumelles, leursrésultats sont présentés de façon associée dans le tableau II.Globalement, le dabigatran est non-inférieur au traitementd’entretien par AVK en termes de risque de récidives deMTEV. Il est par contre associé à une baisse d’environ 50 %du risque d’hémorragie majeure. À noter qu’il persiste un signalcoronarien en défaveur du dabigatran par rapport aux AVK. Cerisque est faible mais a été confirmé par une méta-analyserécente [10]. Ainsi, le dabigatran semble une alternative pos-sible aux AVK, sans monitorage biologique, avec un gain enterme d’hémorragie majeure.

Apixaban et édoxaban

L’apixaban est testé dans le traitement de la MTEV dans le cadredu programme AMPLIFY. Comme le rivaroxaban, l’apixaban estutilisé comme traitement unique, à dose majorée (10 mgtoutes les 12 heures) pendant les sept premiers jours, puis àdose d’entretien (5 mg toutes les 12 heures), versus un trai-tement conventionnel (essai de non-infériorité). À la différencedu rivaroxaban, l’étude est en double-aveugle. Plus de5400 patients avec TVP et/ou EP ont été inclus, et l’analyseest en cours.L’édoxaban est testé dans le traitement de la MTEV dans lecadre du programme HOKUSAI. Comme le dabigatran, l’édoxa-ban n’a pas été testé comme traitement unique, mais seule-ment versus un traitement AVK, dans un essai de non-inférioritéen double-aveugle (à la dose 60 mg, une fois par jour). Plus de8500 patients avec TVP et/ou EP ont été inclus, et l’analyse esten cours.

Nouveaux anticoagulants oraux dans letraitement au long coursÀ côté d’une simplification de la prise en charge initiale d’unpatient souffrant d’une TVP ou d’une EP, les NOA ouvrent des

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perspectives importantes dans le traitement au long cours. Sanss’appesantir sur la difficile question des durées de traitement,les options thérapeutiques étaient jusqu’à récemment soitl’arrêt des AVK, soit leur poursuite avec une cible d’INR entre2 et 3. Alors que les recommandations nord-américaines [11]proposent facilement la mise en route d’un traitement anti-coagulant au long cours, les recommandations françaises res-tent plus mesurées [2] du fait des risques hémorragiques et descontraintes inhérentes à un traitement AVK au long cours.Plusieurs NOA ont donc été testés dans le traitement au longcours, versus placebo, ou versus AVK, dans l’espoir de couvrirefficacement les patients et sans recours à un monitoragebiologique. On pourra d’emblée regretter qu’aucun NOA n’aitété testé versus l’aspirine dans cette situation, alors même quecelle-ci a été très récemment réintégrée dans l’arsenal théra-peutique avec la publication des études WARFASA [12] etASPIRE [13].

Versus placebo

Le rivaroxaban, le dabigatran et l’apixaban ont été comparés endouble-aveugle au placebo dans des études dites d’Extension,chez des patients déjà traités depuis au moins trois à six moispour une TVP et/ou une EP. La majeure partie des patients avaiten fait reçu au moins six mois de traitement anticoagulantavant la randomisation.Les résultats du rivaroxaban (EINSTEIN-EXTENSION) [6] et dudabigatran (RE-SONATE) [14] sont proches de ce que l’on peutattendre d’études comparant un anticoagulant à un placebo(tableau III). Les patients traités par rivaroxaban (HR = 0,18 ;IC95 % [0,09–0,39]) ou dabigatran (HR = 0,08 ; IC95 % [0,02–

0,25]) avaient significativement moins de récidives de MTEVque les patients sous placebo. Cette protection se faisait au prixd’une augmentation du risque hémorragique (association deshémorragies majeures et des hémorragies cliniquement signi-ficatives) que ce soit pour le rivaroxaban (HR = 5,19 ; IC95 %[2,3–11,7]) ou le dabigatran (HR = 2,92 ; IC95 % [1,52–5,60]).Ces résultats étaient obtenus avec les doses validées dans letraitement d’entretien (20 mg/24 h pour le rivaroxaban,150 mg/12 h pour le dabigatran).Dans AMPLIFY-EXTENSION [15], l’apixaban a lui aussi été testécontre le placebo, mais à deux doses : 2,5 mg/12 h et 5 mg/12 h. Les résultats sont très encourageants (tableau III). Lecritère de jugement principal était un critère composite asso-ciant les récidives de MTEV et la mortalité toute cause confon-due. La dose de 2,5 mg/12 (HR = 0,33 ; IC95 % [0,22–0,48])comme la dose de 5 mg/12 h (HR = 0,36 ; IC95 % [0,25–0,53])étaient associées à une réduction significative de ce critère parrapport au placebo. Cette efficacité n’était pas associée à uneaugmentation significative du risque hémorragique, que ce soitavec la dose de 2,5 mg/12 h (HR = 1,20 ; IC95 % [0,69–2,10])ou la dose de 5 mg/12 h (HR = 1,62 ; IC95 % [0,96–2,73]). Cesrésultats peuvent étonner, mais sont en cohérence avec les

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Tableau III

Études d’extension comparant un NOA au placebo

EINSTEIN-EXTENSION RE-SONATE AMPLIFY-EXTENSION

Rivaroxabann = 602

Placebon = 594

Dabigatrann = 681

Placebon = 662

Apixaban 2,5n = 840

Apixaban 5n = 813

Placebon = 829

Résultats

Récidives de MTEV 1,3 % 7,1 %1 0,4 % 5,4 %1 1,7 % 1,5 % 8,2 %1

Hémorragies majeures 0,7 % 0 % 0,3 % 0,0 % 0,2 % 0,1 % 0,5 %

Hémorragies majeures + cliniquement significatives 6 % 1,2 %1 5,3 % 1,8 %1 3,2 % 4,3 % 2,7 %

1 p < 0,05 pour la comparaison entre le placebo et le NAO.

L Bertoletti, J-C Lega, N Moulin, A Buchmuller, P Mismetti, H Decousus

résultats obtenus par l’apixaban dans la fibrillation atriale (FA)[16] où le risque hémorragique de l’apixaban était similaire àcelui de l’aspirine.À l’heure actuelle, seul le rivaroxaban possède une autorisationde mise sur le marché (AMM) dans la prévention secondaire dela MTEV chez les patients pris en charge pour une TVP. Si lesrésultats obtenus avec l’apixaban dans AMPLIFY-EXTENSION seconfirmaient, cette dernière molécule pourrait être un traite-ment de choix chez les patients à risque modéré de récidive.

Versus antivitamine K

Seul le dabigatran a été comparé aux AVK dans le traitement aulong cours, dans le cadre de l’étude RE-MEDY [14] (tableau IV).Pour être inclus dans cette étude randomisée en double aveu-gle, les patients devaient avoir été traités depuis au moins troismois pour une TVP et/ou une EP. La durée d’expositionmoyenne a été de 473 jours pour les 2856 patients inclus.Concernant l’efficacité du dabigatran, il y a eu 1,8 %de récidives contre 1,3 % dans le bras AVK, ce qui a permis

Tableau IV

Dabigatran dans le traitement au long cours de la MTEV : RE-MEDY

RE-MEDY

Dabigatrann = 1430

Résultats

Récidives de MTEV (dont fatales) 1,8 %

Hémorragies majeures 0,9 %

Hémorragies majeures + cliniquement pertinentes 5,6 %

Syndromes coronaires aigus 0,9 %

1 p : test pour la non-infériorité.

de retenir l’hypothèse de non-infériorité (HR = 1,44 ; IC95 %[0,78–2,64]). Sur le plan hémorragique, le taux d’hémorragiemajeure ou non-majeure mais cliniquement pertinente étaitdiminué de moitié dans le bras dabigatran (5,6 %) par rapportau bras AVK (10,2 %) (HR = 0,54 ; IC95 % [0,41–0,71]). À noterqu’il existait à nouveau une différence significative du taux desyndromes coronaires aigus en défaveur du dabigatran (0,9 %)par rapport aux AVK (0,2 %). Le dabigatran semble donc non-inférieur aux AVK en termes de récidive de MTEV, et plus sûr entermes d’hémorragie.

Questions en suspensUne des limites habituelles des essais cliniques est de seconcentrer sur une population sélectionnée. Le clinicien doitdonc toujours s’assurer de l’extrapolabilité des résultats à sapratique clinique. Les registres permettent habituellementd’étayer cette limite. Un bon exemple a été fourni par ManuelMonreal et l’équipe du registre RIETE (www.riete.org), qui estun registre multicentrique international portant sur la MTEV, et

AVKn = 1426

Hazard ratio[IC 95 %]

p

1,3 % 1,44 [0,78–2,64] < 0,051

1,8 % 0,52 [0,27–1,02] 0,06

10,2 % 0,54 [0,41–0,71] < 0,05

0,2 % 0,02

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dont la France est un des membres les plus actifs. Quand onsépare les patients selon l’existence ou l’absence de critères denon-inclusions aux principaux essais thérapeutiques, on noteque les patients ayant au moins un critère de non-inclusion ontquatre fois plus de risque de mourir d’une EP ou d’une hémor-ragie dans les 3 mois suivant une TVP ou une EP ! Plus quejamais, les médecins français doivent poursuivre leur implica-tion dans des registres comme RIETE, où il est possible derenseigner l’évolution des patients traités par NOA.Si ces molécules semblent plus sûres que les AVK, il n’existe à cejour pas d’antidote spécifique en cas d’accident hémorragique.Des résultats récents laissent à penser qu’il est plus simple deneutraliser l’effet biologique du rivaroxaban que celui dudabigatran [17,18].Parmi les populations sous-représentées dans les étudesprésentées, on note les personnes âgées de plus de 75 ans,les patients avec insuffisance rénale et les patients avec cancer.La mise en évidence d’une insuffisance rénale sévère contre-indique l’utilisation d’un NAO. Des propositions d’adaptation dedose ont été établies avec le rivaroxaban (15 mg par jour en casde clearance de la créatinine comprise entre 30 et 50 mL/min/min). Dans le cancer, des études sont en cours, mais leshéparines de bas poids moléculaires restent la classe théra-peutique principale [19].L’éducation thérapeutique sera un enjeu majeur des prochainesannées. Il existe un risque de banalisation du traitement anti-thrombotique, qui se complexifie. Une même molécule pourraavoir plusieurs posologies dans différentes indications, avecdes modifications de posologies dans la même indication. De

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plus, les NAO sont sujets aux interactions médicamenteuses [3],principalement par la P-glycoprotéine (pour tous) et par lecytochrome P3A4 (pour le rivaroxaban, l’apixaban et l’édoxa-ban).L’étude PEAGE (PHRC 2012, Pr Mismetti), se concentrant surl’évolution des patients de plus de 75 ans avec EP, devraitpermettre de nous renseigner sur le maintien d’un rapportbénéfices/risques favorable chez les patients âgés et/ou insuf-fisants rénaux, avec comorbidités, et recevant des co-médica-tions.

enouMe

owitzH, Gatomagl J

Lensr E eentsm.

7., Kak

H

he trolism2 [M

K, Sism

bigat

Déclaration d’intérêts : au cours des cinq dernières années, LaurentBertoletti a perçu des honoraires ou financements pour participation à descommunications (Bayer, Boehringer Ingelheim, Léo-Pharma) ; participationà des groupes d’experts (BMS, Pfizer, Sanofi-Aventis) ; a participé commeinvestigateur d’études cliniques promues par des Laboratoires (Bayer,Daiichi-Sankyo, Portola).Au cours des cinq dernières années, Jean-Christophe Lega déclare n’avoir euaucun conflit d’intérêt en lien avec le manuscrit.Au cours des cinq dernières années, Nathalie Moulin a participé commeinvestigateur d’études cliniques promues par des Laboratoires (Bayer, BMS,Pfizer, Portola).Au cours des cinq dernières années, Andréa Buchmuller a participé commeinvestigateur d’études cliniques promues par des Laboratoires (Bayer, BMS,Pfizer, Portola).Au cours des cinq dernières années, Patrick Mismetti a perçu des honorairesou financements pour participation à des communications (Bayer,Boehringer Ingelheim, BMS, Pfizer, Daiichi-Sankyo, Léo-Pharma) ;participation à des groupes d’experts (BMS, Pfizer, Bayer, Daiichi-Sankyo) ; aparticipé comme investigateur d’études cliniques promues par desLaboratoires (Bayer, Daiichi-Sankyo, GSK, Portola).Au cours des cinq dernières années, Hervé Decousus a perçu des honorairesou financements pour participation à des groupes d’experts (Bayer, Daiichi-Sankyo, GSK) ; a participé comme investigateur d’études cliniques promuespar des Laboratoires (Bayer, Daiichi-Sankyo, GSK, Portola).

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