Nous, catholiques, refusons de condamner « le genre »

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Nous, catholiques, refusons de condamner « le genre » Dimanche 27 janvier 2013 Par Comité Chanter le blues était l'apanage des hommes. Avoir le droit d'exprimer leur détresse et leurs espoirs en chantant fut aussi au XXe siècle, pour les femmes noires, pauvres et américaines, l'exercice d'un droit. (Huile, Musée de Kansas-City USA Copyright, Comité de la Jupe.) Nous sommes des chrétiennes et des chrétiens, attachés au message de l’Évangile, et nous vivons fidèlement cet attachement au sein de l’Église catholique. Notre expérience professionnelle, nos engagements associatifs et nos vies d’hommes et de femmes nous donnent compétence pour analyser les évolutions des rapports entre les hommes et les femmes dans les sociétés contemporaines, et pour y discerner les signes des temps. Nous avons pris connaissance des recommandations de notre Saint Père le pape Benoît XVI adressées au conseil pontifical Cor Unum, dans lesquelles il exprime son opposition à l’égard de ce qu’il appelle « la théorie du genre », en la mettant sur le même plan que « les idéologies qui exaltaient le culte de la nation, de la race, de la classe sociale ». Nous jugeons cette condamnation non fondée et infamante. Le refus qui l’accompagne de collaborer avec toute institution susceptible d’adhérer à ce type de pensée, est à nos yeux une erreur grave, tant du point

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Nous sommes des chrétiennes et des chrétiens, attachés au message de l’Évangile, et nous vivons fidèlement cet attachement au sein de l’Église catholique. Notre expérience professionnelle, nos engagements associatifs et nos vies d’hommes et de femmes nous donnent compétence pour analyser les évolutions des rapports entre les hommes et les femmes dans les sociétés contemporaines, et pour y discerner les signes des temps...

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Nous, catholiques, refusons de condamner « le genre »Dimanche 27 janvier 2013Par Comité

Chanter le blues était l'apanage des hommes. Avoir le droit d'exprimer leur détresse et leurs espoirs en chantant fut aussi au XXe siècle, pour les femmes noires, pauvres et américaines,

l'exercice d'un droit. (Huile, Musée de Kansas-City USA Copyright, Comité de la Jupe.)

Nous sommes des chrétiennes et des chrétiens, attachés au message de l’Évangile, et nous vivons fidèlement cet attachement au sein de l’Église catholique. Notre expérience professionnelle, nos engagements associatifs et nos vies d’hommes et de femmes nous donnent compétence pour analyser les évolutions des rapports entre les hommes et les femmes dans les sociétés contemporaines, et pour y discerner les signes des temps.

Nous avons pris connaissance des recommandations de notre Saint Père le pape Benoît XVI adressées au conseil pontifical Cor Unum, dans lesquelles il exprime son opposition à l’égard de ce qu’il appelle « la théorie du genre », en la mettant sur le même plan que « les idéologies qui exaltaient le culte de la nation, de la race, de la classe sociale ». Nous jugeons cette condamnation non fondée et infamante. Le refus qui l’accompagne de collaborer avec toute institution susceptible d’adhérer à ce type de pensée, est à nos yeux une erreur grave, tant du point de vue de la démarche intellectuelle que du choix des actions engagées au service de l’Évangile. Nous affirmons ici, avec la plus grande solennité, que nous ne pouvons y souscrire.

En premier lieu, elle est stérilisante. En effet, dans le domaine de la pensée, refuser de prendre connaissance de certaines œuvres, ou d’échanger des arguments avec certains partenaires sans montrer un a priori bienveillant et enclin au débat n’est pas le meilleur moyen de progresser et d’aller vers la vérité. Que serait devenu Thomas d’Aquin s’il s’était abstenu de lire Aristote, au prétexte qu’il ne connaissait pas le vrai Dieu, et que ses œuvres lui étaient transmises par des traducteurs musulmans ?

Par ailleurs, sur le terrain, savoir si l’on doit ou non collaborer avec des acteurs animés par d’autres idées que les nôtres est une décision qui ne peut être prise que localement et à un moment donné, en fonction des forces en présence et de l’urgence de la situation. Que serait

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devenue la lutte contre le nazisme et le fascisme, si les résistants chrétiens avaient refusé de se battre aux côtés des communistes, athées et solidaires d’un régime criminel ?

Si l’on en vient maintenant au fond du sujet, cessons de laisser dire que la notion de genre est une machine de guerre contre la conception de l’humanité qui est la nôtre. C’est faux. Elle est le fruit d’un combat social qui s’est développé depuis environ un siècle, au départ dans les pays développés (États-Unis d’Amérique et Europe), et dont les pays en développement commencent à ressentir les fruits, le combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce combat social a stimulé la réflexion de chercheurs dans de nombreuses disciplines des sciences humaines, ces recherches ne sont pas closes, et ne constituent pas du tout une « théorie » unique, mais un champ diversifié et toujours en mouvement, qu’il ne faudrait pas réduire à certaines de ses expressions très radicales.

La vraie question n’est donc pas ce que l’on pense de la notion de genre, mais ce que l’on pense de l’égalité homme/femme. Et, de fait, la lutte pour les droits des femmes remet en cause la conception traditionnelle, patriarcale, inégalitaire, des rôles attribués aux hommes et aux femmes au sein de l’humanité. Dans les sociétés en développement en particulier, la situation des femmes est encore tragiquement inégalitaire. L’accès des femmes à l’éducation, à la santé, à l’autonomie, à la maîtrise de leur fécondité se heurte à des résistances puissantes des sociétés traditionnelles. Pire encore : c’est le simple droit des femmes à la vie, à la sécurité et à l’intégrité physique qui est dans certains lieux constamment menacé. On ne peut pas, comme le fait le pape dans ses interventions à ce sujet, prétendre que l’on salue comme un authentique progrès l’accès des femmes à l’égalité des droits, et continuer néanmoins de défendre une conception de l’humanité où la différence des sexes implique une différence de nature et de vocation entre les hommes et les femmes. Il y a là une contorsion intellectuelle insoutenable.

Comment nier en effet que les rapports homme/femme soient l’objet d’apprentissages influencés par le contexte historique et social ? Prétendre connaître absolument, et au mépris de toute investigation menée avec les acquis des sciences sociales, quelle part des relations homme/femme doit échapper à l’analyse sociologique et historique manifeste un blocage de la pensée que rien ne justifie. Derrière ce blocage de la pensée, nous soupçonnons une incapacité à prendre parti dans le combat pour les droits des femmes. Et pourtant, ce combat n’est-il pas celui des opprimées contre leur oppression, et la place des chrétiens n’est-elle pas tout naturellement de renverser les puissants de leur trône ?

S’élever a priori contre la seule utilisation de la notion de genre, c’est confondre la défense de l’Évangile avec celle d’un système social particulier. L’Église a fait cette erreur voici deux siècles et demi, en confondant défense de la foi et défense des institutions monarchiques, puis des privilèges de la bourgeoisie. En refaisant une erreur analogue, nous nous condamnerions à une marginalisation plus grande encore que celle qui est déjà la nôtre. Comment ne pas craindre que cette condamnation hâtive ne soit l’un des maillons d’une croisade antimoderniste visant à diaboliser une évolution contraire aux positions acquises de l’institution ?

C’est pourquoi nous en appelons, avec un souci brûlant, aux fidèles catholiques, aux prêtres, aux religieux et religieuses, aux diacres, aux évêques, pour qu’ils évitent à notre Église cette impasse intellectuelle et pour qu’ils sachent reconnaître, derrière une dispute sur des mots, les vrais enjeux de la lutte pour les droits des femmes, et la juste place de leur Église dans ce combat évangélique.

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Anne-Marie de la Haye et l’ensemble du bureau du Comité de la Jupe