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RésuméVoilàcinqansqueNerissaetHarryétaientsansnouvellesdeleursœurDelphine,jusqu’àcequ’elleréapparaisseunbeaumatin.Elleadécidéd’épouserleducdeLynchesteretl’ainvitéàdîner.Toutdoitêtreparfait.Maiscommentorganiserundîneralorsqu’ilsn’ontpasd’argent?Qu’àcelanetienne,NerissaferalerepasetHarryserviraàtable.PoutantDelphinen’apastoutprévu.Commentaurait-ellepuimaginerqueleducserendraitdanslacuisineetqu’iltomberaitsouslecharmedeNerissa,sijoliemalgrésarobeéliméeetsonvieuxtablier?

N’oubliejamaisl’amour

Traduitdel’anglaisparJean-AndréRey

NEVERFORGETLOVEFirstpublishedbyNewEnglishLibrary

Copyright©BarbaraCartland,1986Pourlatraductionfrançaise:

©ÉditionsJ’ailu,1992

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NOTEDEL’AUTEURLamaisonque j’aibaptisée«Lyn»dansce livreporteen réalité lenomdeLongleat,et

c’estlaplusbelledemeureancestraled’Angleterre.Longleat,quiappartientà lamarquisedeBath,est leplusparfait exempled’architecture

élisabéthaineitalianisantedupays.Cefutàl’origineunprieurébâtipar leschanoinesréguliersdeSaint-Augustinetvenduen

1515 à Sir John Thynne pour la somme de cinquante-trois livres sterling, lorsque Henry VIIIsupprimalesmonastères.

Lebâtimentestd’unearchitecturesibelle, si aérienne,que l’ons’attendrait presqueà levoirflottercommeunmiragedanslesoleil.

Legrandhall,avecsondallagesomptueuxetsonplafondàpoutresapparentes,estrestéinchangédepuis1559.Danslabibliothèque,onpeuttrouverunexemplairedelaGrandeBibledeHenryVIIIéditéeen1641.

LareineElisabethIèreaétéreçueen1574danslagrandesalleàmangerd’apparat,etilyabienentenduunfantôme.Jen’aipasparlédufantômedeLongleat,maisd’unautre,toutàfaitfascinant,quim’estapparuenrêve.

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1818—Harry,tuesenretard,ditNerissa,tandisquesonfrèrefranchissait leseuildelaporte

d’entrée.Iljetasacravachesurunechaise.—Jesaisetjetedemandepardon,maisjemontaisunebêtedotéed’unsacrécaractère,

etilm’aétédifficiledelamater.Lajeunefilleesquissaundiscretsourire.Ellesavaitquel’équitationétaitlesportfavoride

Harry.Parfois,toutenvaquantàsesoccupationsménagères,elleseplaisaitàimaginerquel’un

des livresécritspar sonpère connaîtrait enfin le succèset que,du jourau lendemain, ils seretrouveraientàlatêted’unejoliefortune.C’étaithélasunrêveillusoire,etelles’amusaitalorsdesaproprepuérilité.

Malgrécela,ellesouhaitaitde toutcœurqueHarrypûtposséderun jour lechevaldont ilavait envie et revêtir les habits qui le rendraient aussi chic et élégant que ses condisciplesd’Oxford.Car il nemanquait pasd’allure,mêmeavec cette culottede cheval usée jusqu’à lacorde qu’il portait en cemoment. Elle avait été si souvent raccommodée et reprisée qu’il nerestaitplusgrand-choseduvêtementd’origine.Acettepensée,Nerissasoupira.L’élégancedesonfrèren’avaitpourtantriendebiensurprenant,carleurpère,endépitdesescheveuxgrisetdesonvisageridé,gardaitencoretoutesaprestance.Enfait,Nerissas’étonnaitparfoisque,depuislamortdesonépouse,aucuneautrefemmen’eûttentédeleséduire.

Etpuisellesemoquaitdesafolleimagination,persuadéequepourMarcusStanley,plongédans ses ouvrages sur l’évolution de l’architecture en Grande-Bretagne, il ne devait existeraucunefemmeaumonde.

Harryadmettait franchementqu’iln’étaitpasassezintelligentpourcomprendrel’œuvredeleurpère.Quantàlajeunefille,bienqu’ellel’aimâtbeaucoup,elletrouvaitparfoisseslonguesdissertations quelque peu ennuyeuses. Ses livres étaient néanmoins accueillis favorablementpar la Société d’architecture. Hélas ! le nombre d’ouvrages vendus était si infime qu’il nepercevait pratiquement aucuns droits d’auteur. Il n’en était pas moins vrai que la jeune filleéprouvait toujoursunecertaine fierté lorsqu’elleépoussetait lesétagèresde labibliothèqueetadmiraitlescinqgrosvolumesquiportaientlenomdesonpère.

Harryétaitàprésentoccupéàretirersesbottesmaculéesdeboue.—J’espèrequetuasremerciélefermierJacksonpourt’avoirpermisdemonterundeses

chevaux,ditNerissa.—C’estplutôt luiquim’a remercié. Ilaacheté récemmentcetanimal,et iléprouvaitune

certaineappréhensionà lemonter. Ilavaithâtedemevoir revenircheznous,sachantquesiquelqu’unétaitcapablededressersoncheval,c’étaitmoi!

Nerissaconsidéra labouequisalissaitnonseulement lesbottesdeson frère,maisaussisaculotte,etHarrydevinaaussitôtsespensées.

—D’accord, ilm’adésarçonnédeux fois,admit-il,et laseconde, j’aimêmeeuunpeude

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malàlerattraper.Maislorsquejel’airamenéàlaferme,ilcommençaitdéjààcomprendrequiétaitlemaître.

IlyavaitdanslavoixdeHarryunepointed’orgueilquin’échappapasàsasœur.— Rejoins-moi dans la salle à manger dès que tu auras fait un brin de toilette. En

attendant,jevaisannonceràpapaqueledînerestprêt.Enfait,ill’estdepuislongtemps.—Ilneseserasûrementpasaperçuquel’heureestdépassée.Nerissa poussa un soupir et s’éloigna vers la cuisine. Il y flottait une agréable odeur de

fricassée de lapin, et une femmeâgée auxmains déformées par les rhumatismes sortait dufourlesassietteschaudes.

—Laissez-moi faire,madameCosnet, déclara vivementNerissa en songeant à tous lesobjetsquelapauvrefemmeavaitbrisésdanslepassé.

Ellerattrapalesassiettesauvoletlestransportaàlasalleàmangeravantderevenirpourdisposerlafricasséedansunplatdeporcelaine.Aprèsl’avoirdéposéaumilieudelatable,ellecourutjusqu’aupetitbureauoùtravaillaitsonpère.

— Le déjeuner est servi, papa. Dépêchez-vous, je vous prie, parce que Harry vient derentrer,etilestaffamé.

—C’estdéjàl’heuredudéjeuner?s’étonnasonpère,plongédanssesnotes.Nerissa résista à la tentation de lui répliquer que l’heure était passée depuis un bon

momentetquesonfrèren’étaitpasleseulàavoirfaim.Abandonnantàcontrecœursonmanuscritetl’ouvragederéférencequ’ilconsultait,Marcus

Stanleyselevaetsuivitsafille.—Avez-vousbien travaillécematin,papa?demanda-t-elleen luiservantuneportionde

lapin dont elle se rendait parfaitement compte qu’il était trop cuit. Après le déjeuner, il vousfaudrafaireunepetitepromenadeavantderetourneràvotreouvrage.Ilfautvousdégourdirunpeu,respirerl’airpur.Vousrestezconstammentenfermédansvotrebureau.

—J’arriveàunepartietrèsintéressantedemonchapitresurlapériodeélisabéthaine.Et,naturellement, je ne puis faire autrement que de mentionner notre antique demeure.J’expliqueraicommentsespierresontsuperbement résistéauxsièclesetaux intempéries,etpourquoi elle est en bienmeilleur état que d’autres bâtiments construits deux cents ans plustard.

Nerissaneréponditpas,carHarryfaisaitsonentréeaumêmemoment.— Désolé d’être en retard, papa, mais j’étais parti monter un cheval un peu rétif, et je

tenaisàluiprouverquec’étaitmoilemaître.LesyeuxdeMarcusStanleyseposèrentuninstantsur levisagesouriantdesonfils,et il

déclarad’unairsongeur:—Jemerappellequelorsquej’avaistonâge,j’adoraiscela,moiaussi.—Jesuismêmecertainquecelavousplairaitencoremaintenant,affirmalejeunehomme.Toutenparlant, il prit l’assietteque lui présentait sasœur,et commençaàmangeravec

grand appétit. Nerissa l’observait du coin de l’œil, se demandant si elle aurait les moyens,durant toutes lesvacancesuniversitaires,deseprocurerunequantitédenourrituresuffisantepourlerassasier.Lorsqu’ilétaitàOxford,elleavaitdéjàdegrandesdifficultésàs’entireraveclamaigreallocationquesonpèreluiattribuaitpour leménage.Alors,avecHarryà lamaison,elleallaitsûrementêtreobligéedes’endettersiellenevoulaitpasquesonfrère–lequelneseplaignaitjamais–restâtquotidiennementsursafaim.

Le lapin constituait la base de leur nourriture durant une bonne partie de l’année, mais

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bientôt les fermiers allaient tirer les pigeons qui ravageaient les jeunes récoltes, et elle seréjouissait par avance. Elle recevait toujours les félicitations de Harry pour sa façon de lesaccommoder.Ellesedisaitaussiquec’étaitdéjàlasaisondesagneauxdelait,maisilyavaitune éternité qu’on n’en avait dégusté à la maison. Tout ce que l’on pouvait habituellements’offrir, c’était du vieux mouton, beaucoup moins cher parce que plus coriace, même si elleprenaitsoindelefairecuireconvenablement.

Tout en portant à sa bouche un morceau de lapin, elle songeait qu’elle avait eu de lachanced’avoirunemèreaussibonnemaîtressedemaison.Avantdedisparaître,elleavaiteuletempsdeluiapprendreàcuisiner lesplatsquesonpèreetHarrypréféraient.Lespommesdeterreconstituaientévidemmentuntrésorinestimable;qu’ellesfussentfrites,rôties,bouilliesou sautées, elles remplissaient bien l’estomac lorsqu’on devait se contenter d’une maigreportiondeviande.Harryl’arrachasoudainàsespensées:

—Est-cequ’ilyenaencoreunpeu,Nerissa?—Oui,biensûr.Elleluiservitpresquetoutcequ’ilrestaitdansleplat,àl’exceptiond’unecuilleréeàsoupe

qu’elle ajouta à l’assiette de son père. Celui-ci, perdu dans le siècle de la reine Elisabeth,mâchaitmachinalement,sansavoirapparemment lamoindre idéedecequ’ilétaiten traindemanger.Ilyavaitsurlatableunemichedepaindecampagnenonencoreentamée;Harrys’encoupa une grande tranche pour éponger la délicieuse sauce qui tapissait le fond de sonassiette.

—C’estunrégal,commenta-t-il.Personnen’estcapabled’accommoderunlapinaussibienquetoi,Nerissa!Celuiqu’onnoussertàOxfordestparfaitementimmangeable.

Sasœursouritàcecompliment, toutenrassemblant lesassiettesvideset leplatqu’elleemportaà lacuisine.Connaissant l’appétitdeson frère,creuséparsesexercicesphysiques,elleavaiteulabonneidéedepréparerunpuddingconsistant,gonfléetdoréàsouhait.Ellelerecouvrit d’une excellente confiture de fraises qu’elle avait confectionnée la saison passée.Accompagnédelapetitequantitédecrèmeprélevéesurlelait,elleleprésentaàHarryquienchoisitunegrossepartavecgourmandise.

Pour terminer le repas, il ne restait qu’un petit morceau de fromage. Nerissa projetaitd’aller faire des courses durant l’après-midi, car Harry avait englouti, hier et aujourd’hui, unequantitédenourritureplusimportantequ’ellenel’avaitprévu.

Ayantachevésaportiondepudding,lemaîtredemaisonselevadetable.—Situveuxbienm’excuser,Nerissa,jevaisretourneràmontravail.—Non, papa, répliqua la jeune fille d’un ton ferme. Vous devez d’abord prendre un peu

d’exercice. Je vous suggère d’aller jusqu’au fond du verger pour voir comment poussent lesnouveauxarbresfruitiersquenousavonsplantés.Vousvousrappelez?Nousavonsétéobligésderemplacerceuxquiavaientétéendommagésparlesbourrasquesdumoisdemars.

—Oui,biensûr,machérie.Tuasraison.Etcommes’ilavaithâted’alleraccompliraussirapidementquepossiblecettecorvéeavant

de regagner son bureau, il traversa le hall à grands pas, se coiffa de son vieux chapeaudefeutretoutcabosséetpritladirectiondujardin.

—Est-cequetun’aspasl’impressiondelegronderunpeutrop?demandaHarryavecunpetitrire.

—Ilest trèsmauvaispour luidedemeurerenfermé jouretnuitdanscepetitbureaumal

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aéré.—Cen’estpeut-êtrepasexcellentpoursasantémaisc’estlàtoutsonbonheur.—Jen’ensuispascertaine.J’aisouventl’impressionquemamanluimanqueàuntelpoint

quesaseulefaçondel’oublier,mêmepouruninstant,c’estdeseplongercomplètementdanssesécrits.

Lajeunefilleavaitexprimésapenséed’unevoixdouceetrêveuse.—Etelletemanqueaussi,n’est-cepas?murmurasonfrère.—Terriblement.Sanselle, rienn’estpareil. Lorsque tuesàOxfordetquepapasemble

parfoisnepasmêmes’apercevoirdemonexistence,j’ail’impressiond’êtreàboutdeforces.—Pardonne-moi, dit Harry avec sympathie. Je n’avais pas idée de ce que tu éprouvais

vraiment ici, et je me sens très égoïste de prendre du bon temps en compagnie de mescamaradespendantquetut’éreintesautravail.

—Celam’est égal dem’« éreinter », comme tu dis.Mais il y a des jours où je ne voispersonne, sauf bien sûr lorsque je descendsau village. Les gens sont très gentils avecmoi,mais ce n’est pas comme autrefois, quand toutes les amies de maman venaient lui rendrevisite.

—Biensûr,jecomprendsparfaitement.Etquesontdevenuescesamies?—Ellessesontmontréestrèsbonnes,àleurfaçon,aprèslamortdemaman,maisc’était

avecellequ’ellessouhaitaientvenirbavarder;pasavecunejeunefillequin’avaitalorsquedix-septans.Etmêmelorsquel’uned’ellesm’invitaitàunequelconqueréception, jen’avaisaucunmoyendem’yrendre;etaussi,pourtoutdire,rienàmemettre.

Harrygardalesilencependantunmoment,puisrepritd’unairsongeur:—Jen’aiplusqu’uneannéeàpasseràOxford.Aprèscela,jepourraigagnerdel’argent,

et notre situation s’améliorera. Ce ne serait sans doute pas très sensé de tout abandonneravantd’avoirobtenumondiplôme.

Nerissalaissaéchapperunpetitcri.— Évidemment pas ! Il est absolument essentiel que tu continues jusqu’au bout. Sans

diplômeenpoche,tun’arriverasàrien,crois-moi.— Jem’en rends compte. J’ai travaillé dur ce trimestre, etmon directeur d’études s’est

déclarétrèssatisfaitdemesefforts.Nerissafitletourdelatableetjetasesbrasautourducoudesonfrèrepourl’embrasser.—Jesuistrèsfièredetoi,etsijesuisparfoisdemauvaisehumeurilnefautpasyprêter

attention.J’aibeaucoupdeproblèmesàrésoudre,maisjesuissiheureusedevousavoir,toietpapa. Enfin… lorsque papa daigne se rappeler que j’existe. Mais j’ai tort de me plaindrecommeunevieillefemmegrincheuse.

—Jevaisessayerde trouverunesolutionpourque tupuisses teconfectionnerunerobeneuve,ditlejeunehommeenentourantaffectueusementlatailledesasœur.

—Unerobeneuve!s’écriaNerissa.Etlemoyendelapayer?—Toutestpossiblequandonledésiretrèsfort,disaittoujoursNanny.Nouspourrionspar

exemple jeûner une journée entière, et avec l’argent ainsi économisé, nous t’achèterions uneparuredigned’unreinedeSaba.

—Quelleexcellente idée!commenta la jeunefilleenéclatantderire.J’imagineaisémentlegenrederobequejepourraisavoiraprèsunaussiterriblesacrifice!

—Jevaist’expliquercommentjevoisleschoses…

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Mais Nerissa ne devait jamais connaître l’idée géniale apparue dans le cerveau de sonfrère,caraumêmemomentplusieurscoupsénergiquesretentirentàlaported’entrée.

Lefrèreetlasœurseregardèrent,intrigués.—Quicelapeut-ilbienêtre?demandaHarry.Entoutcas,unvisiteurquifaitpreuved’une

certaine impatience. Est-ce que par hasard il s’agirait de l’huissier pour une dette que tun’auraispasréglée?

—Biensûrquenon,réponditNerissaavecunhaussementd’épaules.Elleôtarapidementletablierqu’elleavaitmispourdébarrasserlatable,traversalagrande

salleàmangeretgagnalehall.Harrydemeuraassisàsaplace.Ilramassamachinalementunboutdepainquitraînaitsurlatableetleportaàsabouche.Cefutalorsqu’ilentenditsasœurs’écrier:

—Maiscen’estpaspossible!Delphine,cen’estpastoi!Harryselevaettournasonregardverslaporte.—J’étaissûrequetuseraissurprisedemevoir!réponditunevoixsophistiquée.Harrytraversaàsontourlasalleàmangerpourserendredanslehall.Lesyeuxagrandis

d’étonnement, ilcontemplait lavisiteuse,vêtueà ladernièremode,coifféed’unchapeaugarnide petites plumes d’autruche dont la couleur s’harmonisait avec celle de la robe. Une capebordéedefourrurerecouvraitlesépaulesdelajeunefemme.Ellefitquelquespasenavantetexaminalapièceautourd’elle.

—J’avaisoubliéquec’étaitsipetit!dit-elle.—Nouspensions,quantànous,quenousétionstellementpetitsquetunousavaisoubliés,

commenta Harry d’un ton sec. Et comment vas-tu, Delphine. Mais est-il utile de te ledemander?

Lajeunefemmes’immobilisanetetconsidéralejeuneimpertinent.Elleletoisadespiedsàlatêted’unairglacialeninsistantsurlacravatemalnouée.

—Commetuasgrandietchangé,Harry!s’exclamalavisiteuse.—Cen’estpassurprenant,étantdonnéquetunem’aspasvudepuissixans.Et jedois

direquetumeparais,toiaussi,engrandeforme.—Merci,réponditDelphineavecunepointedesarcasmedanslavoix.Puis,suruntondifférent,chargéd’unriendebrusquerie:— Je voudrais vous parler, à tous les deux. Je suppose que nous pouvons aller nous

asseoirdansunendroittranquille.—Danslesalon,proposaNerissa.Iln’apaschangé,etjesuissûrequ’ilterappellerades

souvenirs.Cedisant,elleallaouvrirlaporteaufondduhalletpénétradansunepièceauplafondbas

quesamèreutilisaitautrefois lorsqu’elle recevaitdeshôtes.Làétaient rassemblés leursplusbeaux meubles et les objets les plus précieux qu’ils possédaient. Des portraits d’ancêtresétaientaccrochésauxmurslambrissés.

Delphineentraet les juponsde soiequ’elleportait sous sa robe firent entendreun légerfrou-frou.Puis,ôtantsacapebordéedefourrureprécieuse,ellelatenditàNerissad’ungestenégligentavantd’allers’asseoirdansundesfauteuilsdisposésdevantlacheminée.Ellen’avaitd’ailleurspasaccordéunseul regardàsasœur,sesyeuxétantoccupésà faire le tourde lapièce.

—C’estexactementcommedansmessouvenirs,dit-elle.Maisnaturellement,cesalonestbeaucoupplusbeauàlalueurdesbougies.

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— Nous n’y venons guère depuis la mort de maman, expliqua Nerissa. Nous nouscontentonsplutôtdubureaudepapa,oubiendelapetitesalleàmangerlorsqueHarryestàlamaison.

Maiselleserendaitparfaitementcomptequesasœurne l’écoutaitpas,etelle-mêmesedemandait la raison de cette soudaine visite deDelphine, après des années de silence. ElleavaitquatreansdeplusqueHarryetcinqdeplusqueNerissa.Adix-huitans,elleavaitépouséLordBramwell,qu’elleavaitrencontréparhasardàunegarden-party.Ils’agissaitd’unhommebeaucoup plus âgé qu’elle, et lamère deDelphine avaitmontré quelque réticence face à sademandeenmariage.

—C’estunechoseàlaquelletudevraisréfléchirtrèssérieusement,machérie,luiavait-ellefait remarquer. Jusqu’ici, tu n’as pas connu beaucoup d’hommes, et Lord Bramwell esttellementplusâgéquetoi.

— Ilest richeetade l’influence,maman,avaitobjecté la jeune fille,et jesuisdécidéeàl’épouser.

Ellen’avaitpasécoutélesconseilsdeprudencedesamère,etelleavaitdemêmetoutfaitpourabréger les fiançailles.MaisM.etMmeStanleyn’ayantaprès toutaucuneraisonvalablede refuser leur consentement aumariage de leur fille, celle-ci avait obtenu gain de cause etépouséLordBramwellavecunehâtequipouvaitparaîtreunpeuprécipitée.Quandelleavaitquitté lamaison, dans son élégante voiture tirée par quatremagnifiques chevaux, c’était uneautreDelphinequis’enallaitloindesafamille.

Lorsque Nerissa se rappelait le passé, elle ne pouvait encore croire à la réalitéd’événements aussi soudains. Delphine paraissait heureuse dans leur vieille demeureélisabéthaine,aumilieudesesparents,desasœuretdesonfrère,etpuis,avecunerapiditéqui tenaitduprodige,elleavaitcomplètementdisparu.Elle,auraitaussibienpun’avoir jamaisexisté, cela n’aurait rien changé.Elle se trouvait àParis lorsqueMme Stanley était décédée,quatreansplustôt,etellen’étaitmêmepasvenueauxobsèques,secontentantd’écrireàsonpèreunebrèveet froide lettredecondoléances.Etpuis,plusrien.Nerissa,quiavaitaimésasœur simplement parce qu’elle faisait partie de la famille, avait trouvé la chose absolumentincroyable. Rien ne pouvait expliquer une telle attitude,même pas le fait que Lord BramwellvivaitàLondresetqu’ilpossédaitunemaisondecampagnedansunlointaincomté.

—Jeluiaiécritpoursonanniversaire,ditunefoisNerissaàsonfrère,maisjen’aijamaisreçuderéponse.

—Ellen’aplusbesoindenous,avaitsoupiréHarry.Elleestdevenueunejeunefemmeàlamode, considéréecommeunedesbeautésdeSt. James’s.Mesamis d’Oxfordm’enparlentparfois, et son nom apparaît régulièrement dans les chroniques mondaines. La semainedernièreencore,onprétendaitquec’était laplus jolie femmeduDevonshire,quiestpourtantréputépouraccueillirlespluséblouissantesbeautésdetoutlepays.

Harry s’était mis à rire, cette situation paraissait l’amuser. Quant à Nerissa, elle étaitblesséeensongeantquesasœursedésintéressaittotalementdelafamille.

Aprésent,enconsidérantDelphineavecattention,ellecomprenaitdumoinsqu’ellepassâtpour laplusbellefemmedeLondres.Elleétaitvraimentravissante,avecsescheveuxcouleurdeblémur.Sonvisagesansdéfauts’ornaitdedeuxyeuxd’unbleuintense.ElleavaitlemêmetypequeGeorgina, laduchessedeDevonshire,etelleressemblaitauxautres jeunesfemmesdontluiavaitparléHarry,courtiséesparlesjeunesgensdelasuiteduprince-régent.Elleétaitplusmincequ’avantsonmariage,etsonlongcouavaitquelquechosedesensuel.Sesgestes

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aussiétaientplusétudiés.Toutenellerespiraitlecharmeetlagrâce.Harrys’étaitassisàsontour,etaprèsunmoment,Delphinepritlaparole:

—Jesavaisbienquevousseriezsurprisdemevoir.Sijesuisvenue,c’estparcequej’aibesoindevotreaide.

—Denotre…aide ! s’écriaHarry. Je ne vois pas très bien ce quenouspourrions fairepourtoi.J’aientenduparlerdel’écuriedecoursesdetonmari,etjesaismêmequ’ilagagnéleCritériumilyadeuxans.

Unbrefsilence,puisDelphineannonçad’unairétonnammentindifférent:—Monmariestmort.—Mort ? répétaNerissaen sedressant d’unbond.Tuesdonc…veuve.Maispourquoi

n’avons-nouspasétéprévenus?—Jesupposequevousn’avezpasdequoiacheterlesjournaux!répliqualajeunefemme

avec une pointe demépris. Il y a un an qu’il est mort, et je viens tout juste de quitter mesvêtementsdedeuil.

—Excuse-moi,ditdoucementNerissa.Est-cequ’iltemanquebeaucoup?—Paslemoinsdumonde,réponditDelphined’untonglacial.C’estd’ailleurspourcelaque

j’aibesoindevotreaide.—Iln’estpaspossiblequ’ilt’aitlaisséesansargent.OhDelphine,commentpourrions-nous

t’aider?Nosressources…—Tudoisbiencomprendrequejeneseraispasvenueicipourvousdemanderdel’argent.

Enfait,jemetrouveàlatêted’unejoliefortune.— Mais alors, de quoi donc peux-tu avoir besoin ? demanda Harry. Je crois d’ailleurs

devoir tesignaleraupassageque tuas faitbeaucoupdepeineàNerissaetàpapaennouslaissantsilongtempssansnouvelles.

Delphineesquissaungestevaguedesamaingracieuseetbiensoignée.—Celam’était difficile, répondit-elle d’un ton léger,monmari ne s’intéressait pas àma

famille.D’ailleurs,pourquoiaurait-ildûlefaire?—Tuétaisdoncparfaitementsatisfaited’êtreainsidébarrasséedenous,repritHarrysans

ménagements.—Cen’étaitpasexactementcela,maisjem’étaisinstalléedansunenouvelleexistence,et

jepréféraisoublierlesmisèrespassées.—Lesmisères?répétaNerissasanscomprendre.—Jeveuxparlerdecettemédiocrité,deceséconomies,quinenouspermettaientmême

pasd’avoirdesvêtementsconvenablesetdemangerànotrefaim.Nerissatressaillit,maiselleneprotestapas,tandisquesasœurpoursuivait:—Malgrécela,noussommestoujoursdumêmesang,et jenepeuxpascroirequevous

refuserezdem’accordercequejevousdemande.—Explique-nousd’aborddequoiils’agit,ditHarry.Alafaçondontilréagissait,Nerissasongeaque,endépitdesaffirmationsdeDelphine, il

devaitêtrepersuadéqu’elledésiraitdel’argent.Danscecas,ilneseraitpossibledel’aiderques’ilabandonnaitdéfinitivementsesétudes.Machinalement,Nerissaavança lamainet laposaavecdouceursurcelledesonfrère.

—Ilsepeutquelachosevoussurprenne,repritDelphine,maisjevaisépouserleducdeLynchester.

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Stupéfait,Harrysedressasursonsiège,commemûparunressort.—Leducde…Lynchester?J’aiquelquepeineàlecroire.—Cen’estpas très flatteurpourmoi.J’avaisaucontrairedans l’idéeque tu tesentirais

trèsfierdemevoirdevenirlafemmed’unmembreéminentdelapairieanglaise.—Situveuxconnaîtremaconvictionintime,jediraiquecelatiendraitdumiracle.Etquand

allez-vousvousmarier?Delphinehésitaquelquessecondes,puisdéclara:—Pourêtre toutà fait sincère, jedois reconnaîtrequ’il nem’apasencoredemandéde

l’épouser;maisjesaisdesourcesûrequ’ilal’intentiondelefaire.— Eh bien, si mon opinion est susceptible de t’intéresser, je te conseillerai de ne pas

vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Comme tout un chacun, j’ai beaucoup entenduparlerdeLynchester,mais jusqu’àprésentaucune femmen’estparvenueà le fairecourir, lui,jusqu’àl’église.

—C’estpourtantmonintention,répliquaDelphined’untonsec.Elle remarqua parfaitement que Harry la croyait incapable de réussir un tel exploit, et

pendantuninstantleursregardssecroisèrent,chargésdedéfi.Nerissaintervintalors:—Sileducpeutterendreheureuse,machérie,nousseronslespremiersànousenréjouir

et à t’adresser tous nos vœux de bonheur. Papa sera, lui aussi, très fier lorsque tu luiannoncerastesfiançailles.

— Ce qui l’intéressera au premier chef, déclara Harry, c’est le fait que Lynchester estpropriétairede laplusbelledemeureélisabéthainedupays,etcettepériodeestprécisémentcellesurlaquelleiltravailleencemoment.

—Danscecas,ditvivementDelphine,cepourraitnousêtred’uneaideprécieuse.—Commentça?demandaNerissa.Jenesaisispastrèsbienlerapport.— Essayez tous les deux de comprendre ce que je vais vous expliquer. Le duc de

Lynchestermepoursuitdesesassiduitésdepuisdeuxmois,etjesuispresquepersuadéequ’ils’apprêteàmedemanderdedevenirsafemme.Peut-êtred’iciquelquesjours.

Ellelaissaéchapperunpetitrire,presqueuncridetriomphe,avantdepoursuivre:—Songezàtoutcequecetteunionsignifierapourmoi.Jeserail’undespersonnagesles

plus importantsdupays, justeaprès lesmembresde la famille royale, et la châtelained’unedouzaine de demeures historiques, dont la plus magnifique est le château de Lyn, dans lecomté de Kent. Je porterai des bijoux qui rendront toutes les femmes folles d’envie et dejalousie, et je rentrerai dans l’histoire comme la plus belle de toutes les duchesses deLynchester.

Ses paroles sonores et arrogantes résonnaient comme une déclaration royale. Ellesauraientpuêtreaccompagnéesparunefanfaredetrompettes.

—Est-cequetul’aimesbeaucoup?demandaNerissa,moinsexaltéequesasœuraînée.— L’aimer ? répétaDelphine comme si elle se posait la question pour la première fois.

MonDieu, c’est un hommedifficile à comprendre et dont on ne sait jamais très bien ce qu’ilpense. De plus, il semontre souvent cynique envers toutes ces femmes qui tombent à sespiedscommepourlesupplierderemarquerleurexistence.

Elleémitunpetitriremoqueuravantd’ajouteravecsuffisance:—Maismoi, ilm’a remarquée ! Ilm’adistinguéeaumilieude toutes lesautres,desorte

qu’on ne parle plus que de moi dans tout Londres. Et nous sommes tous les deux en ce

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momentlesinvitésdelamarquisedeSwirequidonneunegranderéception.L’airétonné,Harryhaussalessourcils.—TurésidesdoncauchâteaudeSwire!s’écria-t-il.Maisc’estàpeineàcinqmilesd’ici.—Biensûr.C’estpourquoij’aipuvenirpendantqueleshommespartaientpourlachasse.—J’imaginequ’ildoityavoirauchâteaudeschevauxdetoutebeauté,neputs’empêcher

demurmurerHarry.—C’estenraisondecetteproximitéqueleducadéclaréqu’ilaimeraitvisitermamaison.

Etilaajoutéqu’ilseraitravisiluietmoipouvionsdînericidemainsoir.Unsilencepesantsuivitcesparoles,etelleserenditcomptequesonfrèreetsasœurla

considéraientavecdesyeuxexorbités.—Dînerici?s’écriaNerissad’unevoixmalassurée.Mais…commentserait-cepossible?— Le duc a prévu notre arrivée pour sept heures. Je lui avais parlé de notre antique

demeure de Queen’s Rest, où la reine Elisabeth s’est arrêtée lors d’un voyage, et je lui aiégalementsignalélapassiondepapapourl’architecture.Chosesurprenante,ilsavaitdéjàquenotrepèreavaitécritplusieursouvragessurcettequestion.

—Mais… comment est-il possible qu’il… dîne ici ? répétaNerissa, visiblement inquiète.Quepourrais-jebienluidonnerà…manger?

—C’est ce que je vais t’expliquer, reprit Delphine, et c’est pour cela que je suis venueaujourd’hui.

Elleparcourutlesalondesyeux,commepourserassurer,puiscontinua:—Cettepiècemeparaîtencoreacceptable,pourpeuquetul’ornesdefleursfraîcheset

quetut’assuresquetoutestesbougiesn’ontjamaisservi.Ilenvaévidemmentdemêmedelasalleàmanger.Jesupposequecettedernièrepièceestaussiternequ’autrefoisdutempsoùj’habitais ici, mais du moins les portraits de nos ancêtres sont-ils impressionnants et lesmeublesenharmonieaveclerestedelamaison.

—Mais…Delphine…bégayaencoreNerissa.—Écoute-moi,interrompitsasœur.LeducignoretonexistenceetcelledeHarry,etjene

voispaspourquoijeferaissoudainapparaîtreunefamillequ’ilpourraitjugergênantepourlui.— Et où suggères-tu que nous allions nous cacher ? demanda Harry d’un ton sec. Par

ailleurs,vousn’auriezpasgrand-choseàmanger,àmoinsquevousn’apportiezvotrenourritureavecvous.

—J’aitoutprévu.Nerissaseraprésente,maisleducnelaverrapas.—Etoùdoncserai-je?s’exclamalajeunefemme,l’airébahi.—A la cuisine ! décrétaDelphine.C’est-à-direà l’endroit où toi etmamanavez toujours

été!—Cherches-tu à insinuer que… je vais préparer votre repas sans que tu daignes…me

présenteràl’hommequetuasl’intentiond’épouser?—C’estaussisimplequecela,ettuasparfaitementcompris.—Etquidoncserviraàtablesijenedoispasparaîtredanslasalleàmanger?Delphine tourna lentementson regardversson frèresansprononcerunmot. Il n’enétait

d’ailleursnulbesoin,sesyeuxparlaientpourelle.—Quelediablem’emportesijemelivreàcettecomédie!s’écria-t-il,visiblementfurieux.

Tun’asjamaisdaignérépondreauxlettresquet’aadresséesNerissa,tun’esmêmepasvenueà l’enterrement denotremère, et aujourd’hui tu nous tombesbrusquement dessus comme la

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misère sur les pauvres gens pour exiger de nous des choses impossibles et… quasimentindécentes ! Nous souhaitons vraiment que tu parviennes à épouser ton duc, ainsi que tu ledésires,mais nous n’allons pas t’aider à luimettre le grappin dessus – pour parler net – enutilisantdesméthodesassezdouteuses.

Pourtant,Delphinenesemblapaslemoinsdumondetroubléeparlesparolesdesonfrère.Aussifût-ced’unevoixparfaitementcalmequ’ellereprit:

— Je ne puis croire que tu seras assez stupide pour me refuser ton aide et celle deNerissalorsquejet’auraiexpliquédequellemanièrejecompterécompenseruntelservice.

—Jenesouhaitepasenentendreplus,et jesuissûrqueNerissapartagemonopinion.Quantànotrepère,ilseraithorrifiés’ilétaitaucourantdelasuggestionquetuosesvenirnousfaire.Noussommespeut-êtrepauvres,Delphine,mais lesangquicouledansnosveinesvautbien–sinonplus–celuidetonducdeLynchester!Etnousavonsenoutrequelquechosequ’ilapeut-êtreomisdemettredanssapanoplie:lafierté!

Alasurprisedesonfrère,Delphineéclataderire.—Voilàbienundiscoursdigned’unStanley!railla-t-elle.Ondevrait l’ajouterauxhistoires

que nous racontaient nos parents lorsque nous étions enfants.On ymentionnait la bravouredes Stanley au combat, la manière dont ils avaient soutenu le roi Charles II en exil. Quelhonneurdeportercet illustrenom,mêmesansunsouenpoche!Toutcelaestpeut-êtretrèsestimable;maisencequimeconcerne,jepréfèrel’argent.

—La chosenousparaît évidente, et tu asdumoins la franchisedenepas t’en cacher,répliquaHarryd’untonsarcastique.

—J’auraiscruquecelapouvaitaussivousintéressertouslesdeux.Aumomentoùtum’as

interrompuesibrutalement,j’étaissurlepointdevouspréciserque,sivousagissezselonmesdésirs,jesuisdisposéeàvousverserunesommedetroiscentslivres.

Nerissaetsonfrèreeneurent lesoufflecoupé.Cefut la jeunefillequi réagit lapremièrepourdemanderd’unevoixmalassurée:

—Tuasbiendit…troiscentslivres?—C’estunesommequipermettraitàHarrydeposséderenfin lechevaldont ilatoujours

rêvé.Quantàtoi,petitesœur,tupourraispourunefoist’offrirunerobeconvenable,aulieudecellequetuportesencemomentetquiferaithonteàunebohémienne.

Elle avait parlé d’un ton chargé demépris en dévisageant la pauvreNerissa, tandis queHarrysecontentaitderépéterentresesdents:

—Troiscentslivres!—Oui, reprit Delphine. Et tu peux les avoir sur-le-champ ; bien sûr, papa n’en doit rien

savoir. Il demeure persuadé que l’argent est sans importance en comparaison de quelquesvieilles pierres qui n’intéressent personne d’autre que lui. Mais vous deux, qui êtes jeunes,possédezsansdouteunpeuplusdebonsens.

—Pourquoinousproposes-tuunetellesomme?demandaNerissa.—Parcequ’il est importantdemeconstituer,en tantquedescendantedesStanley,une

imagequimontreraauducquesonunionavecmoin’aurariend’unemésalliance.—Mais…s’ilt’aime,tagaleried’ancêtresnedoitpasavoirgrandeimportanceàsesyeux.—Jeme réjouisqu’aucunedemesconnaissancesnepuisse t’entendredébiterde telles

sottises, répliqua sèchement Delphine. Tu n’imagines tout de même pas que le duc deLynchester, qui peut posséder n’importe quelle femme du royaume, serait capable de

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contracterunemésalliance lorsqu’ils’agitdemariage!Jepourraisdevenirsamaîtresse, je lesais,maisjesuisabsolumentrésolueàêtresafemme.

Elle parlait avec une extrême détermination, et Nerissa se souvint que, étant enfant,Delphinedéfiaitsouventleurmèreetfinissaittoujoursparavoirgaindecause.

—Si tu veuxmonavis, intervintHarry, je trouve insultant que le duc – oun’importe quelhommed’ailleurs– te considèreainsi commeunevulgairepouliche. Il te jauge,examinesi tupossèdes les qualités suffisantes pour enfin daigner t’acheter et faire de toi sa chose, sapropriété!

—Tu exposes la situation d’unemanière assez vulgaire,Harry,mais je dois reconnaître

quetuémetslàunevéritéessentielle.Iln’estpaspossiblequetusoisaussistupideetnaïfqueNerissa, et que tu ne comprennes pas que, dans le monde où j’évolue, le sang et lesantécédentssontd’une importancecapitale lorsqu’ils’agitdemariage.Unemaîtresseestunechose,uneduchesseenestuneautre.

—Toutcequejepuisdire,c’estquetuastonfrancparler,commentaHarryavecunpetitrire.

—Jemebatspourunechoseextrêmementimportantepourmoi.Etmaintenant,dites-moisiouiounonvousêtesdisposésàm’aider.

Nerissa, sentant que cette question la dépassait, se retourna vers son frère. Elle avaitl’impressionque les trois cents livres promisesdansaient devant ses yeuxenune sarabandefolle,elleentrevoyaitlebouleversementquecelaproduiraitdansleurvie,etspécialementpoursonfrère.

Enregardantcelui-ci,elle remarquaqu’uncombatse livraità l’intérieurde lui-même.Bienqu’ildétestâttouteslesformesdetromperieetdemensonge,ilétaittoutaussitentéqu’elleparcette occasion unique. Entrer en possession d’une pareille somme lui permettrait, parmid’autres choses,des’acheteruncheval. Il aurait également lapossibilitédeseprocurerdesvêtementscorrects.Ilnepouvaitôterdesonespritlapenséeque,avantderegagnerOxford,ilallaitêtreobligédedemanderàNerissadequois’acheterunnouveausmoking,carceluiqu’ilavaitencemomentétait presqueen lambeaux.Or,undesescondisciplesne luiavait-il paslaissé entendre qu’ils pourraient être, au cours du trimestre prochain, invités à un dîner àBlenheimPalace!

—Delphine,dit-ilenfind’unevoixlenteethésitante,queferas-tusinousterefusonsnotreaide?

—Si jeperdsleducparvotrefaute, jevoushaïraietvousmaudirai jusqu’àlafindemesjours.Ilm’ademandédeluifairevisiternotrevieilledemeureélisabéthaine,quejeluiaidécriteentermeséloquents,etdeluifairerencontrernotrepère.Qu’ya-t-ildemalàcela?

—Cequ’ilyademal–ettulesaisfortbien,c’estdetransformertasœurencuisinièreetmoienvaletdechambre.Jesupposequenousseronscapablesdejouercettepetitecomédie,etj’espèrequeleducnesoupçonnerajamaisqu’ilaétéodieusementtrompé.

Delphinepoussaunpetitcrid’horreur.— Dans ce cas, c’est que vous vous seriez comportés comme deux imbéciles

incompétents!Maissinousréussissons,jedeviendrailaduchessedeLynchester!Une lueur brillait dans les yeux de Delphine, et Nerissa se rendit compte qu’elle n’avait

jamais eu l’intention de perdre la bataille. Malgré cela, elle éprouvait au plus profond d’elle-même lesentimentétrangequesasœurnecoifferait jamais lacouronnededuchessequ’elle

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convoitaitsiardemment.

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2— Delphine a certainement pensé à tout, dit Nerissa en s’approchant de la table de la

cuisine.—Elleacertesessayédemettretoutesleschancesdesoncôté.Iln’yavaitmêmepasdesarcasmedanslecommentairedeHarry,carilétaittropsurexcité

parcetévénement imprévu. Ilavaitdéjà remarquéunchevaldont ilétaitpersuadéqu’il feraitparfaitementsonaffaire.Pourtant–ainsiqu’il l’avait faitobserveràsasœur–, il devait fairepreuvedeprudence,carlescentcinquantelivresquiconstituaientsapartdevaientdureraussilongtempsquepossible.

C’était lui qui avait insisté pour que Delphine leur remît la somme promise avant sondépart.

— Peut-être serait-il plus sage de ma part de m’assurer d’abord que vous exécutezcorrectementmesinstructions.

Harrys’étaitmisàrire.— Si tu crois que nous te faisons confiance, tu commets une erreur monumentale, ma

chèresœur.Delphineluiavaitlancéunregardfurieux,maisilavaitpoursuivisanssetroubler:— Tu me dois encore une paire de bottes que tu m’avais promise avant d’épouser

Bramwell,sij’acceptaisdet’aideràorganiserlaréceptiondemariage.Unelégèrerougeurcoloralevisagedelajeunefemme.— J’admets l’avoir oublié, dit-elle après quelques secondes de silence, comme si elle

voulaitéviterd’irritersonfrère.—Ehbien,voilàquiprouvelavaleurdetespromesses,repritHarryavecunpetitsourire

ambigu.C’estpourcelaqueNerissaetmoipréféronsêtrepayésd’avance.Nerissaesquissaunpetitgestedeprotestation, trouvantunpeugênantde tellesparoles

vis-à-visde leursœur.Maisdéjà,commesielleacceptait laméfiancedeson frère,Delphinetiraitdesonsacàmainuneenveloppegonfléequi,augrandétonnementdeNerissa,contenaitenbilletsdebanquelasommepromise.Etcelle-cibredouillad’unevoixmalassurée:

— Il nous fautmettre cet argent en lieu sûr, et le confier ensuiteàunebanquedèsquepossible.

—Ce serait très sage de votre part, car si vous perdez cette somme ou si on vous ladérobe,jenevouspaieraipasunesecondefois.

—Merci,Delphine,ditHarryens’emparantde l’enveloppe.Jepuist’assurerquenousenferonsbonusageetquepasunseulpennyneseragaspillé.

—Sivousexécutezà la lettreceque jevousaidemandé, jene regretterai rien,déclaraDelphined’unpetittonacide.Maissivousfaiteséchouermonpland’unequelconquemanière,jenelevouspardonneraijamais.

Acesmots,Nerissacompritàquelpointcedînerétaitimportantpoursasœuretcombienelle rêvaitd’impressionner leducen lui faisantvisiter leurantiquedemeure.Maisellesongeaavec tristesse que, selonDelphine, niHarry ni elle-mêmen’étaient dignes d’être présentés àsonfuturmari.

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Lorsqueleursœursefutretirée,demeuréseulavecNerissa,Harryrepritlaparole.—Ilsouffleunvilainventquin’apporterariendebonàquiconque.Enattendant,réfléchisà

lameilleurefaçond’employercetargent.—J’auraisvoulupouvoirrefusercetteaumône,réponditlajeunefilled’unevoixsourde.Asagrandesurprise,Harryfutdesonavis.— C’est exactement ce que j’avais envie de faire. J’aurais pris un plaisir extrême à

répondreàDelphinequenousl’aiderionsvolontiersparcequ’elleestdenotrefamille,qu’elleestdumêmesangquenous,maisquenousrefusionsd’accepteruntelmarchandage.

Onlesentaitblessédanssafierté,maisilpoursuivitd’untonplusléger:—Jeseraisdisposéàm’habillercommeunvagabondou joueraubabouinsiceladevait

me permettre dem’acheter un bon cheval et des vêtements dans lesquels, pour une fois, jen’auraispashontedememontrer.

Il faisaitpenseràunjeunegarçonquivarecevoiruncadeaudeNoël,etNerissas’abstintd’exprimer ses sentiments profonds :Delphineétait en train de les avilir, non seulement elle-mêmeetsonfrère,maislafamilletoutentière.Unefoisduchesse,elleauraobtenucequ’elleveutetnousnelareverronsplusjamais,sedit-elleensongeantàl’attitudedeDelphineaprèssonmariageavecLordBramwell.Maiselleavait tantà fairequ’ellen’avaitguère le tempsderessassersonamertume.Illuifallaitabsolumentsemettreautravail.

Delphinen’avaitpasexagéréendisantqu’elleavaitapportétoutcequiseraitnécessaireàlapréparationdudîner.Lorsqu’ellevitcetamoncellementdevictuaillesdéposésur latabledelacuisine,Nerissacrutêtrelejouetd’unehallucination.Ilyavaitlàungigotd’agneausemblableà celui qu’elle désirait depuis longtemps acheter pour la table familiale, et un saumon fraisrécemmentpêchédans larivièrequipassaitàquelquesmilesde larésidencede lamarquisede Swire. Delphine avait dû habilement persuader la marquise de lui procurer tous lesingrédientsnécessaires :desplaquettesdebeurre,unénormepotdecrèmeonctueuse,desherbesetdejeuneslégumesfraîchementcueillis.Ilyavaitégalementdesfruitsprovenantdesserresduchâteau.Ilnemanquaitmêmepaslespetitschampignonsfraisdestinésàparfumerlepotage.

Nerissaesquissaunsourireamusé.LorsqueDelphinehabitaitaveceux,ellen’avaitjamaisdonné son avis sur les plats succulents que servait leurmère ; mais elle avait certainementobservéleurpréparation,ets’enétaitsouvenue.Aprèsledépartdesonfrère,partiexplorerlevoisinageàlarecherched’uncheval,elleavaitmislecouvertdanslagrandesalleàmanger,etplacé des bougies neuves dans tous les chandeliers, ainsi que l’avait suggéréDelphine. Elleavaitmêmetrouvéletempsd’allercueillirdesfleursaujardinetdelesdisposerdanslesvasesdelasalleàmanger,duhalletdusalon.

Sij’avaisletemps,sedit-elle,jecireraislesmeubles,maisleducnes’enapercevraitpeut-êtremêmepas.

Elleavaitdemandéàson frères’ilconnaissaitcet importantpersonnage,etelleavaitétésurprisedeconstaterqu’ilensavaitbeaucoupsursoncompte.

—Onl’admirenonseulementparcequ’ilestduc–iltefaudraitenentendreparlerparmesamisd’Oxford–maisaussiparcequec’estundespluséminentssportifsdetoutel’Angleterre.Il possède la plus belle écurie du pays, et c’est un remarquable cavalier. Il pratique aussi leyachting,laboxeetl’escrime.

Harry avait parlé sur un ton presque admiratif et il fut tout étonné d’entendre sa sœuréclaterderire.

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—Jenecroirai jamaisqu’unhommepuisseavoir tantdequalités. Ildoitbienexisterunefaillequelquepart.

— Tu as raison, admit le jeune homme avec un sourire. Mais c’est un truc dont je nedevraispasparleràmasœur.

—Ehbien,parle-m’entoutdemême,jet’enprie.—Puisque tu tiens à tout savoir, je dois te préciser qu’il se conduit assezmal avec les

femmeset,situveuxmonavis,jedoutefortqu’ilépouseDelphine.—Elleenestpourtantconvaincue.Tul’asentenduecommemoi.—Certes.Maisdestasd’autresfillesenontétéconvaincuesavantelle.Lasœurde l’un

demesamis,restéeveuveaprèsWaterloo,amenacédesetuersileducnel’épousaitpas.—Dese…tuer!s’écriaNerissa,horrifiée.—Apparemment, il lui avait laissé croire qu’il l’aimait vraiment.Et puis, quand il en a eu

assez,ilestallés’occuperd’uneautre.—C’estaffreusementcruel,tunetrouvespas?—Jen’aiévidemmentaucuneraisondeprendresadéfense.Mais,queveux-tu,lorsqueles

femmessemettent àpoursuivre leshommes, ellesnedoivent paspleurnicheret seplaindrelorsqu’ellessontabandonnées.

Nerissaconsidérasonfrèrecommesiellenesaisissaitpastoutesapensée.—Quedevraient-ellesdoncfaire?demanda-t-elle.—Attendrequel’hommefasselespremierspas.C’estluiquidoitêtrelechasseur.Etnon

pasl’inverse.Lajeunefilleécarquillalesyeux,visiblementébahie.—C’estainsiquetu…procèdes?—Bienévidemment.Maisjedoisadmettreque,n’ayantpasunsouvaillant,aucunefemme

douéedebonsensn’aurait l’idéedemepoursuivre.Amoinsqu’ellenetombesous lecharmedemesbeauxyeux,naturellement.

—Voilàbienleplusgrandtraitdevanitéquej’aiejamaisentendu,commentaNerissaenluilançantuncoussinàlatête.

Ilfitunpasenarrièrepourl’éviter,etilssemirenttousdeuxàriredeboncœur.Lorsque, une heure et demie avant le dîner, Harry descendit, les bras chargés de

vêtements,Nerissaneputdissimulersacuriosité.—Qu’est-cequetuaslà?— Comme Delphine a l’intention de nous transformer en larbins, j’ai pensé que nous

pourrions aussi bien faire ça dans les règles. Et je me suis souvenu qu’il y avait encore augrenierunevieille livréedu tempsdegrand-père. J’aiaussidécouvertunevestequimevaàpeu près, sinon qu’elle est un peu étriquée, une paire de culottes qui descendait jusqu’auxgenouxetungiletrayéavecdesboutonsfantaisie.

—J’avouequej’avaisoublié l’existencedecesvêtements.Situpeuxlesmettre,tuserasexactementdanslanote.

—J’ailaissémonvieuxsmokingàOxford,eticijeneportequ’uneantiquevestedeveloursdans laquelle jeme sens très à l’aise.Seulement, je ne suis pas certain que cela ferait trèsbonneimpressionsur lafutureduchesse, laquelle imaginecertainement lemaîtred’hôtelde lamaisonfamilialedansunetenueplusadéquate.Jevaisdonctenterdeluifairehonneur.

Iléclataderire toutenbrandissantuneperruqueblanche,autrefoispropriétéduvaletde

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pieddesongrand-père.Aprèsavoirastiqué lesboutonsd’argent, ilmontas’habillerdanssachambre.Nerissasongeaqu’illuifallaitabsolumentmettresonpèreaucourantdecequiallaitse passer. Il avait déjà montré quelque surprise lorsqu’elle lui avait parlé de la visite deDelphineetdesonintentiond’inviterleducdeLynchesterlelendemain.

—Lynchester!s’étaitécriélevieilhomme.Mafoi,jeprendraigrandplaisiràluiparlerdesonchâteauetàluidemanderuncertainnombrederenseignements.C’esttrèsexactementcedont j’ai besoin pour mon chapitre sur l’architecture élisabéthaine. Je crois qu’il n’existe pasdanslepaysunevieilledemeureaussibienconservéequeLyn.

—Nousallons faireuneffort spécialpourplaireauduc.Nesoisdoncpassurprispar lemenu.Etpasdavantageparlemaîtred’hôtelquiserviraàtable.

—Quidoncas-tuprévupourremplircerôle?—George,lefilsaînédufermierJackson.Ilest,paraît-il,trèscompétent;jesuiscertaine

qu’ilaccompliraparfaitementsontravail.Elleavaitparlédu filsdu fermierJacksonparcequ’ilétaitsensiblementde lamêmetaille

queHarry,etelleétaitconvaincuequesonpère,toujoursincroyablementdistrait,neserendraitmêmepascomptedelavéritableidentitédecemaîtred’hôteltemporaire.

LorsqueHarry redescendità lacuisineaffubléde lavieille livréeetcoifféde laperruque,elle le trouvad’abordplutôt ridicule.Etpuis,elleseditquecette tenueétaitexactementcellequeporteraitundomestiquedegrandemaison.

—Tuavaisraison,murmura-t-elle,jecroisquetuvasimpressionnerDelphine.Puiselleéclataderireenentendantsonfrèredéclameravecunaccentpaysansolidement

corsé:— Ben l’bonjour, Vot’Grâce. Et on espèr’ que vous pass’rez un’bon’soirée auprès

d’péqu’notscom’nous!— Je t’en prie, Harry, ne me fais pas rire. Si tu te livrais à une pareille plaisanterie,

Delphineseraitfollederageetnousdemanderaitsûrementdeluiremboursersonargent.—Ilnemedéplairaitpasdelafaireenrager.Mais,commetuviensdelefaireremarquer

très sagement, ça ne vaudrait pas la peine de risquer de perdre cettemanne providentielle.D’autantqu’ellevamepermettredem’acheterunchevalderaceaveclequelj’aibienl’intentiondegagnerleprochainconcoursdudomainedesSwire.

—Situveuxvraimentt’inscrirepouryparticiper, j’espèrequetut’arrangeraspournepasdévoilertonidentité.CarlesSwirepourraientparlerdetoiauducdeLynchester,etrappelle-toiqu’encequileconcernenousn’existonsnitoinimoi.

—Jenel’oublieraicertespas.MaisjeneparvienspasàcomprendrepourquoiDelphineserefuseàadmettrequ’elleaunfrèreetunesœur.

Toutenparlant, ilobservaitattentivementNerissa,etquiconqueseraitentréàcet instantdans la cuisine aurait pu déceler une nouvelle lueur dans son regard. Les deux sœurs seressemblaientbeaucoup,maispourlapremièrefoisHarryconstataitqueNerissa–quiétait laplusjeunedelafamilleetavaittoujoursétéconsidéréecommeunegosse–s’étaittransforméeenuneravissantejeunefemme.

Lavoitureduducs’arrêtadevantleperronàseptheuresmoinsdix.Harryavaitdéjàouvertla porte d’entrée et déroulé sur les marches un vieux tapis rouge usé jusqu’à la corde. Ildemeuraun instantmuetd’admirationdevant leschevaux. Il savaitquechacund’euxavaitdûcoûterpluscherquecequeDelphineleuravaitdonné,àluietàsasœur.Ilsongeaitauplaisirqu’ilauraitàconduiredetellesbêtesou,mieuxencore,àlesmonter.Ilsesouvinttoutefoisde

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son rôle et attendit devant la grande porte, tandis qu’un valet de pied vêtu d’une livréeresplendissantesautaitdesonsiègepourouvrir laportièredelavoiture.Leducdescendit,etHarrydevinadupremiercoupd’œilquetoussesamisneluiavaientpasmentiausujetdecetimportantpersonnage.Iln’aurait jamaisimaginéunhommeaussigrand,aussilarged’épaules,aussi viril et, en même temps, habillé avec une élégance aussi raffinée. C’est ainsi que jevoudraisêtre,songealejeunehommeavecunbrind’amertume.Asontour,Delphineapparutetdescenditavecunegrâce infinie, toutebruissantedesoieetembaumantunparfumexotique.Elle passa très digne devant lui pour gagner le hall, tandis qu’il s’inclinait respectueusementdevant le duc et lui prenait son chapeau haut de forme avant de l’aider à ôter sa cape desoirée.

Sansattendred’êtreannoncée,Delphineavaitrapidementtraversélehall,aussi légèreetimpatientequ’unepetitefille,pourseprécipiterdanslesalon.

—Noussommeslà,papa!s’écria-t-elled’unevoixchantantequelquepeuforcée.Sur les instructionsdeDelphine,Nerissaavaitprissesdispositionspourque leurpèrese

tînt tout au fond de la pièce. Malgré ses habits vieux et usagés, Marcus Stanley étaitextrêmementdistinguéetavaitgrandeallure.Delphinedéposaunbaiserlégersursajoueavantdepoursuivre:

—C’estmerveilleuxdeterevoirenaussibonnesanté,papa.Puis-jeteprésenterleducdeLynchester,quiaeulabontédemeconduirejusqu’ici?

— Je suis littéralement ravi de faire votre connaissance, dit le maître de maison ens’avançant, lamain tendue, vers son illustre visiteur. Et je dois avouer que j’ai passé la plusgrande partie de l’après-midi à me documenter sur Lyn et sur celui de vos ancêtres qui aconstruitcettemerveilled’architecture.

L’expressionunpeusévèreduducs’éclairad’unsourire.—J’imagineàquelouvragededocumentationvousfaitesallusion,monsieurStanley,etje

crainsqu’ilnevousaitparupassablementennuyeux.—Bienaucontraire,jel’aitrouvéd’ungrandintérêt,etilm’afourniavecuneremarquable

précision les renseignements dont j’ai besoin pour le livre que je suis en train d’écrire. Vousvoyezdoncquevotrevisiten’auraitpuêtreplusopportune.

— Papa, intervint Delphine, avant que vous n’attaquiez votre sujet favori, j’aimerais quevous nous serviez une coupe de champagne. Car j’ai la conviction que lorsque vous serezplongédansl’architectureanglaise,nulnem’adresserapluslaparoledetoutelasoirée.

Ellelevalesyeuxversleduc,lequelsecrutobligédeladétromper.—Voussavezbienque telneserapas lecas.Jevousprometsquesi intéressanteque

soitlaconversationdevotrepère,jen’oublieraipasunseulinstantvotreprésence.—Jesouhaiteraispouvoirmecomparerauxcélébritésde l’époqueélisabéthaine,mais je

crainshélasdenepasêtreàlahauteur.—J’ail’impressionquevousrecherchezlescompliments,répliqualeducavecunsourire.Et sesyeuxs’attardaient complaisamment sur la jeune femme, laquelleenétait d’ailleurs

parfaitementconsciente.Elle avait, ce soir, apporté un soin tout particulier à son apparence, tout en évitant de

paraître trop resplendissanteetde laissercroireauducqu’ellevoulait lesubjuguer.Elleavaitdonc choisi pour la circonstance une robe pervenche qui accentuait le bleu de ses yeux,achetée dans Bond Street pour un prix exorbitant, et qui était d’une simplicité trompeuse.Autour de son cou, un collier de turquoises et de diamants étincelait ; d’autres turquoises

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ornaientsesoreilleset sespoignets.Cesbijoux,endépitduprixqu’ilsavaientcoûté,étaientmoins sophistiqués que ceux qu’elle portait d’habitude et sur lesquels le duc l’avait déjà sichaudementcomplimentée.

Ellepromenasesregardsautourdelasalleàmangeretconstataavecsoulagementquelegrandchandelierdissimulaitassezbienletapisuséetlesrideauxfanés.

—C’estbondeseretrouverchezsoi, fit-elleremarquerd’unevoixdouceetenfantine.Etlorsqu’unemaisonreprésenteautantdechosesquecelle-cienreprésentepourmoi, il importepeuqu’elleaitétébâtieilyatroiscentsansoulasemainedernière.

Leducnefitaucuncommentaire,maissesyeuxfroidss’étaientadoucisets’attardaientsurseslèvrespulpeusescommes’ilmouraitd’enviedelesembrasser.Bientôt,Harryvintannoncer– d’une voix un peu bourrue afin que son père ne le reconnût pas – que le dîner était servi.Delphineseditavecsatisfactionquelasoiréecommençaitbien.

Lesconvivess’installèrentàlatable.MarcusStanleyparlaavecpassiondesonlivreetdesrecherchesépuisantesqu’ilavaiteffectuéessurcettepériodeélisabéthaine.Leduc,quantàlui,énumératouslessoinsqu’ilavaitapportésàsavieilledemeurepourlaconserverenbonétat.Eneffet,ellerestaitl’undesplusbeauxspécimensd’architecturedusiècleélisabéthain.

— Il nous paraît extraordinaire, maintenant, de songer que les matériaux utilisésprovenaientd’endroitstrèsdifférentsetparfoisfortéloignés,cequiadûcoûteràcetteépoqueunesommed’effortsconsidérable.

—J’ai toujours entenduaffirmer, ditMarcusStanley, que Lyn est véritablement un joyaud’architecture,uneœuvreexceptionnelle.

—Jepuisprétendreentoutehonnêtetéqu’iln’existeguèredanstoutlepaysunedemeuresusceptible de l’égaler. Je me rappelle les paroles prononcées une fois par mon père. Ilracontaitn’avoir jamais rencontréuneseule femmequi l’eûtcaptivécommeLyn était capablede le faire.Et lorsque je résidedanscetteantiquemerveille, jemesentiraispresquecapabled’exprimerlemêmesentiment.

Delphineneputretenirunepetiteexclamation,etelleluilançaunregarddereproche.—C’estcequevouspensezencore?demanda-t-elle.—Dois-jepréciserquetouterèglecomportedesexceptions?La jeunefemmeluiadressaenréponseunsourireradieux,et lerepassepoursuivitsans

incident.—Leducaappréciétouslesplats,déclaraHarryàsasœuraumomentoùilrevenaitàla

cuisinechercherledessert.Cequisignifiequetusemblesavoirmerveilleusementremplitapartducontrat!

—Papaa-t-iluneidéedetonidentité?— Il ne m’a pas adressé un seul regard. Il est plongé dans le siècle élisabéthain,

exactement comme s’il supervisait la construction de Lyn. Et s’il lui est arrivé par hasard deposerlesyeuxsurmoi,ilasansdoutepenséquej’étaisunfantômeissud’unpassélointain.

Nerissasemitàrireettenditàsonfrèreleplatd’entremetsquiconstituaitledessert.—Emporte-leavantqu’ilrefroidisse.Aprèsceci,ilnerestequelecafé.—Dieusoitloué!soupiraHarryens’éloignant.Nerissalepréparadanslagrandecafetièred’argentqu’elleavaitsoigneusementastiquée

danslamatinée,etelleremplitdecrèmelepetitpotd’argentassorti.Lorsquesonfrèrerevintenfindelasalleàmanger,ilselaissatombersurunedeschaisesdecuisineenmurmurant:

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—Cettecomédieestenfinterminée!—As-tupenséàdéposerleflacondeportodevantpapa?—J’aipenséàtout,réponditlejeunehommeenôtantsaperruquequ’iljetasurlatable.Et

maintenant, si tu veux bienm’excuser, je vaisme débarrasser de cette tunique quime gêneautantqu’unecamisoledeforce.

—En toutcas,elle t’abienaidéà remplir ton rôle,commenta la jeune filleavecunpetitsourireironique,etDelphinen’aurapaslieudeseplaindre.

—Jel’espèrebien.Elleaatteintsonbut,leducaétéimpressionnéparlavieilledemeuredesonenfanceetparnotreaugustepère.Desorteque,selonmoi,nousnenouslareverronsqu’aprèslamortdesonmari…quandelleseraàlarecherched’untroisième.

—Oh!Harry,tunedevraispasdiredetelleschoses,protestaNerissa.Leducestjeune,etlepauvreLordBramwellétaittrèsâgé.

—Ma foi, quand on y songe, lorsqueDelphine aura définitivementmis le grappin sur leduc,ellenepourraespérergrimperbeaucoupplushaut,àmoinsdevisercette foisunprinceouunroi!

— A présent, dit la jeune fille en riant, je vais te servir ton dîner, tu l’as bien mérité.Commenceparunedarnedesaumon,puistuprendrasunetranchedegigotd’agneau,unrégaldontnousavionsenviedepuislongtempssanspouvoirnouslepayer.

—Jepeuxt’assurerquejevaisfairehonneurauxdeux.Nerissa se dirigea vers le fourneau. Aumêmemoment, elle entendit des voix d’hommes

danslecouloiretdespasquiserapprochaientdelaportedelacuisine.Reconnaissantlavoixdesonpère,ellesedemandacequiavaitbienpusepasser.Delphineavaitsûrementlaissélesdeuxhommesdevantleurverredeporto,etelledevaitêtremontéepourunbrindetoilette.ElleavaitannoncésesintentionsàNerissaetavaitmêmeajouté:

—N’oubliepasd’allumerlesbougiesdanstachambre.Jenevoudraispasêtreobligéedemonterdansl’obscurité.

Maisalors,sielleétaitàprésentaupremierétage,pourquoisonpèresedirigeait-ilverslacuisine?Lespass’arrêtèrent,etsoudainlaportes’ouvrit.MarcusStanleyentra,suividuduc.Le frère et la sœur demeurèrent un moment comme pétrifiés. Leur père s’avança d’un pascalmeverslecentredelapièce,toutens’adressantauduc.

—Ainsiquevouspouvezleconstater,VotreGrâce,c’estlàunparfaitexempledeplafondélisabéthain qui n’a jamais été altéré et n’a subi au cours des siècles que de minimesrestaurations.

Le duc ne répondant pas, lemaître demaison se rendit compte que sa fille cadette leconsidéraitd’unairconsternéetqueson fils,pourune raisonqui luiéchappait,étaitassisenbrasdechemiseàlatabledecuisine.MaissiNerissaetHarryétaientsurpris,leducnel’étaitpasmoins.Lorsquesonhôteluiavaitproposédeluimontrerl’architectureuniquedelacuisine,il s’attendait à trouver dans cette pièce les vieux et fidèles domestiques que l’on rencontregénéralementdanscegenrededemeuresancestrales.Aulieudecela,ilvoyaitdevantluiunejeunefilledontlestraitsluiparaissaientvaguementfamiliers.Elleavaitdescheveuxtrèsblonds,de la couleur du soleil lorsqu’il commence à monter à l’horizon ; ses yeux verts sablés d’orilluminaient toutsonvisage,etsapeauau teintéclatant tranchaitsur lesmurssombresde lapièce.Ilremarquaqu’ellel’observaitavecunmélangedeconsternationetdecrainte.

Acetinstant,rompantlesilencequis’étaitinstallédanslapièce,d’autrespas,pluslégersquelesprécédents,retentirentdanslecouloir,etlaportes’ouvritdenouveaudevantDelphine,

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visiblement furieuse.Pendantquelquessecondes,nuln’osaouvrir labouche,etcefutNerissaqui lapremière retrouvasavoix.Unevoixd’ailleursassezmalassuréeetd’où transparaissaitsonémotion.

—Jesuppose,machèreDelphine,que…tudoisêtresurprisedenousvoirici.C’estque…lapauvrevieillemadameCosnetestbrusquement tombéemalade,et…plutôtquedegâchervotredîner,nousavonsprissaplace.

Tandis qu’elle fournissait cette explication pour le moins fantaisiste, elle vit s’atténuerquelquepeu lacolèredesasœuraînée,commesicelle-cis’efforçaitdecomprendre lesensdecesmots.

—C’esteneffetunesurprise,finit-elleparmurmurer.Tum’avaisannoncéquetoietHarryseriezabsents.

—Jesais, réponditNerissaavecunehésitationqui nepouvait que trahir lesmensongesqu’elleaccumulait.Mais lesenfantsde lamaisonoùnousséjournionsontattrapé larougeole,et…commenotreprésenceétaitplusgênantequ’autrechose,nous…sommesrevenus.

Harry, saisi d’une profonde admiration pour sa sœur, avait presque envie d’applaudir enconstatantquelecerveaudeNerissatravaillaitplusvitequelesien.Ilseleva,avecunpeuderetard,tandisqueleducprenaitlaparole:

—Jetrouvecelaplutôtdéroutant,etj’aimeraisbienêtreprésentéàcettejeunepersonne,sielleestàl’originedel’excellentrepasdecesoir.

MarcusStanleydescenditsoudaindesonnuageélisabéthain.—Biensûr,bredouilla-t-il.Biensûr…Jevousprésentema fillecadette,Nerissa.Etvoici

monfils,quiarrived’Oxford.Nerissaesquissaunerévérence,etleductenditlamain.—Jemedoisdevousféliciter,MissStanley,etdevousdireentoutehonnêtetéquejen’ai

jamaisdégustéunaussisucculentdîner.Nerissasourittimidement,etellesesentitrougirensentantlesyeuxduducplongésdans

lessiens.MaisdéjàilsedétournaitpourserrerlamaindeHarry.—JesuissûrquevousvousplaisezàOxford,dit-il.Aquelcollègeêtes-vous?—AMagdalen,VotreGrâce.—C’est là que j’ai suivi moi-mêmemes études. Je suppose que l’ambiance n’a pas dû

tellementchanger.—Entoutcas,onsesouvientavecfiertéduséjourdeVotreGrâce.Pendant ce temps, Delphine s’était un peu rapprochée, et elle sentait qu’elle devait

intervenirpourreprendrelasituationenmain.— Je suppose, Nerissa, commença-t-elle, que je te dois des remerciements pour avoir

sauvénotresoirée,carj’auraisétéaffreusementconfusesinousavionsdûrepartirsansdîner.—Cequiestsûr,c’estquenousavonsétégâtés,ajoutaleduc.—Etmaintenant,jecroisqu’ilseraittempsdenousretirer,repritlajeunefemme.Nerissa sentait qu’elle avait effectivement envie de partir, impatiente de réparer la gaffe

involontaire de son père. J’aurais dû prévoir, songeait-elle, que papa souhaiteraitmontrer auduc le plafond de la cuisine. Il a toujours affirmé qu’il était une des choses les plusremarquablesdetoutelamaisonpourquiconques’intéressaitàl’architectureélisabéthaine.

— Avant de repartir, reprit le duc en levant lamain vers le plafond, jeme dois tout demêmed’examineravecattentioncequevousavez labontédememontrer,monsieurStanley.J’admetsvolontiersquelessièclespostérieursn’ontjamaisproduituntravailaussiremarquable

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quecelui-ci,capabledesupporterprèsdetroiscentsanssansaucunerestaurationimportante.—J’étaiscertainquevousl’apprécieriez,s’exclamaMarcusStanley,visiblementravidela

remarqueduduc.Pendantcetemps,DelphinelaissaitpesersurNerissaunregardquiendisaitlong.Cequi

l’irritait,c’étaitbiensûrl’incidentquivenaitdeseproduire,maiségalementl’aspectdesasœur.Celle-ci– toutensedisantqu’elleauraitpuysongerplus tôt–ôta le tablierqu’elleavaitmispour faire lacuisine.Elleserenditcomptehélasque larobequ’elleportaitendessousn’étaitguèreplusprésentable.

Ayant fini d’admirer le plafond, le duc baissa les yeux, et il sembla deviner que chacunsouhaitaitlevoirs’enalleraussivitequepossible.

— Je viens de connaître une expérience unique, déclarat-il en s’adressant aumaître demaison,etjemesentiraisvéritablementcoupablesijenevousrendaispasvotreagréableetsiinstructivehospitalité.

Ilmarqua un temps d’arrêt, comme pour donner plus de poids à ce qu’il allait dire, puisrepritd’unairgrave:

—Jesuggèredonc,quevous,vosdeuxfillesetvotrefilsmefassiez l’honneurdeveniràLynvendrediprochain.Nousorganisonsunconcourshippiquelesamedi;maissivousaviezlapossibilité de rester jusqu’au mardi, cela nous laisserait deux jours au cours desquels jepourrais vous faire visiter à fond mon chef-d’œuvre élisabéthain, tout comme vous m’avezmontrélevôtre.

Son père ne répondant pas, Nerissa retint son souffle. Finalement, un sourire éclaira levisagedumaîtredemaison.

— Non seulement ce me sera une immense joie que de visiter Lyn, Votre Grâce, maisencorepourrai-jeretirerdevotregénéreuseinvitationunbénéficeinestimablepourmesécrits,car celamepermettra de contempler demespropres yeux lesmerveilles que je ne connaisactuellementqu’àtraverscertainesdocumentations.

—C’estdoncentendu.J’enverraiunevoiturevouschercher,vous-même,votrejeunefilleetvotre fils vendredi dans la matinée. Si nous disions neuf heures, qu’en pensez-vous ? Desdispositions seront prises pour que vous puissiez déjeuner en route.Nous vous attendrons àLynpourl’heureduthé.Bienentendu,votrefilleaînéeviendradeLondresenmacompagnie.

Le duc jeta un coup d’œil à Delphine, qui esquissa un petit sourire contraint avantd’intervenirdanslaconversation:

—J’accepteavec joiedevousaccompagner,mais jecrains fortqueNerissaetHarrynepuissenthonorervotreinvitation.Ilsontbeaucoupàfaireici.

—J’espèrepourtantquevouspourrezéchapperàvosnombreusesservitudes,ditpolimentleducensetournantversNerissa.

Celle-ci jeta un regard oblique en direction de sa sœur aînée dont l’air et l’attitude luilaissèrentclairementcomprendrequ’elledevaitrefuserl’invitation.MaisHarrynel’entendaitpasainsi.

—Si leconcourshippiquealieusamedi,VotreGrâce,dit-il, jeseraisravid’yassister.Jenepuisconcevoirspectaclepluspassionnant.Undemescondisciplesd’OxfordétaitprésentàLynl’annéedernière,etilm’aaffirméqu’iln’existaitriendesemblabledanstoutel’Angleterre.

—Jecrois,eneffet,quetelleestlaréputationdenotreconcours.Etjesuissûrquevousaimerezaussivisitermesécuries.N’oubliezpasd’apportervotretenuedecavalier.

—Jen’ymanqueraicertespas,VotreGrâce.

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Al’entendre,onauraitpucroirequ’onvenaitdeluioffrirunbilletpourleparadis.—L’affaireestdoncconclue,repritleduc.Etvousmevexeriezenrefusantmoninvitation.

Tenez-vousdoncprêts vendredimatin. Je serai heureuxde vousaccueillirmoi-mêmeà votrearrivée.

Surcesmots,ilsortitdelacuisineencompagniedumaîtredemaison.Delphinenepouvaitévidemmentquelessuivre.Cequinel’empêchapasdes’immobiliseruninstantsur leseuiletde se retourner, son beau visage déformé par la fureur, pour lancer d’une voix sourdemaisnéanmoinsintelligible:

—Pourquoin’avez-vouspasempêchécevieuxfoud’amenerleducdanslacuisine?Nerissa esquissa un geste d’impuissance, tandis que sa sœur disparaissait comme une

furie.—Jalouse!s’exclamaHarry.—Vite!ditNerissa.Ilfautquetulesraccompagnes.Maisnefaispascomprendreàpapa

qu’ilasans levouloirgâché lasoirée.Jesaiscombien ildoitêtreheureuxd’avoirété invitéàLyn.

Sans répondre, Harry se précipita hors de la cuisine, traversa en courant le hall dallé.Seulement alors, Nerissa s’aperçut qu’elle tremblait. Elle avait reçu un choc en voyantapparaîtreleducsurleseuil,etunchocplusgrandencorelorsqu’elleavaitaperçulacolèrequibouleversait le visage de Delphine. Pourtant, ni elle ni Harry ne pouvaient rien faire pourarrangerleschoses.D’ailleurs,commentprévoirqueleurpèreauraitlamalencontreuseidéedemontrerauducleplafonddelacuisine?D’autrepart,quiauraitpuimaginerquelechâtelaindeLyn pût s’intéresser à la cuisine d’un petitmanoir dont il n’avait certainement jamais entenduparler avant de faire la connaissance deDelphine ?Nerissa espérait qu’elle avait été assezconvaincante en prétendant que son frère et elle avaient momentanément pris la place deserviteursqui,enfait,n’avaientjamaisexisté.

Harry reparut quelques minutes plus tard et s’installa devant la table où l’attendait saportiondesaumon.

—Tun’aspasétélongueàréagirpourtenterdesauverlasituation,dit-ilavecunepointed’admiration.Etj’espèrequetuasréussi.Néanmoins,leducm’aparuunpeusoupçonneux.

—Tupensesqu’iln’apasétédupedemonmensonge?—Jeseraisétonnéqu’ilt’aitcrue,jel’avoue.—Qu’est-cequitefaitdirecela?—Ilalaréputationd’êtreparticulièrementperspicace.Maispeut-êtrel’est-ilmoinsqu’onle

prétend,s’iln’apaspercéàjourlesrusesdeDelphine.—Quelleaétésonattitudedurantledîner?—Elleadéployélegrandjeu.Enfait,ellesemblaitprêteàtout,hormispeut-êtreluilécher

lesbottes!Sic’estainsiquelesfemmessecomportentenverslui, jenesuispassurprisqu’ilpréfèrerestercélibataire.

—Oh,Harry,neparlepasainsi!Ilsepeutqu’iln’aitpasdechance,toutsimplement.S’ilnedemandepasDelphineenmariagemaintenant,ellediraquenousensommesresponsables,etellenenouslepardonnerajamais.

—Çane changera pas grand-chose, tu ne crois pas ?Nous ne l’avions pas vuedepuisplusieursannées,etsielleépouseLynchester,ilestpratiquementsûrquenousnelareverronsjamais.

Ilavalaavecappétituneénormebouchéedesaumonavantd’ajouter:

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—C’estbienpourquoi j’ai l’intentiondeme rendreauconcourshippiqueetdemonterundeschevauxduductantquej’enailapossibilité.Parceque,retiensbiencequejetedis,dèsque Delphine sera mariée, nous n’existerons plus. Elle nous fera passer pour morts, oumalades, ou infirmes, ou tout autre chose, afin de nous empêcher de rendre visite à cetteaugusteduchesse!

—Pourquoiferait-elleunechosepareille,Harry?Ellen’estpasainsi.Rappelle-toicomme

nousétionsheureuxtousensemble,lorsquemamanétaitencoreparminous.—Jevaisterépondretrèssimplement,machérie.—Jet’écoute,ditNerissaaucombledel’étonnement.—Regarde-toidanslaglace!Lajeunefilleéclataderire.— Tu racontes des bêtises ! Tu n’as pas la prétention deme faire croire que Delphine

pourraitêtrejalousedemoi?—Etpourquoipas?Tuesravissante.Autantquel’étaitmaman.Etmaintenantquejevous

aivuesdenouveaucôteàcôte,Delphineettoi,jesuisconfirmédansmonopinion.Endépitdetoutsonmaquillageettoutsonluxe,elleestmoinsbellequetoi,jepuistel’assurer.

—Harry,commentpeux-tudébiterdetellessottises?Ellesesentait troubléeauplusprofondd’elle-même.Non,son frèredevaitplaisanter, se

moquerd’elle!

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3Tandisqu’ellequittaitQueen’sRestencompagnieduduc,Delphinenepouvaits’empêcher

d’envouloiràsonpère.Ilavaitaffreusementgâchéleplanqu’elleavaitéchafaudéavectantdesoin.Ellen’avaitpassongéunseulinstantqu’ilpourraitavoir l’idéed’emmenerleducvisiterlacuisine.Nes’intéressantpas lemoinsdumondeà l’architecture–mêmeàcelledesapropredemeure–ellen’avaitjamaisécoutécequesonpèreavaitpudireàsafamilleouàsoninvité.Ellesesouvenaitunpeutardquetouslesvisiteursdesonpèreferventsd’architectureavaienttoujoursdemandéàvoircefameuxplafonddelacuisine.Entoutcas,ellenedevaitpaslaissersoupçonnerauducàquelpointelleétaitsoucieuseetbouleversée.

ElleserappelaquelorsqueleducdeLynchesteravaitpourlapremièrefoisposélesyeuxsur elle, sa décision avait été prise immédiatement : tout mettre en œuvre pour se faireépouserpar lui.Elleavaitentenduparlerdeluibienavantcettepremièrerencontre;mais,cejour-là, elle avait compris pourquoi toutes les femmes le trouvaient irrésistible.Cen’était passeulement pour son titre et sa position sociale,mais également pour sa personnalité et sonphysiqueavantageux.Bref,c’était l’hommeleplusattrayantqu’elleeût jamaisvu.Parailleurs,sesaventuresamoureusesdéfrayaientlachronique.Pratiquementchaquefemmeavecquielleavait l’occasion d’engager la conversation s’empressait de lui raconter la liaison qu’elle avaiteueavec luiou lesdéboiresd’autres femmes,dont lesaventuress’étaient terminéespardeslarmes de chagrin, parfois accompagnées de menaces de suicide ou même de suicidesvolontairementratés.

Bien que Delphine fût encore fort jeune lors de la mort de son mari, elle avaitconsidérablement mûri pendant cette époque. Sa richesse lui offrait la possibilité d’obtenirpresquetoutcequ’ellevoulait,cequiétaittellementfascinantaprèslesannéesdegêne,voirede pauvreté, qu’elle avait connues. L’âge avancé de sonmari ne l’avait pas troublée. Elle letrouvaitcertesunpeuennuyeux,maiscomme ilétait trèsamoureux,elleapprit trèsviteàentirerlemeilleurparti,chaquebaiserpouvantaisémentsetransformerenorouenbijoux.

Lorsqu’ilmourut, fortàpropos,en lui laissantunegrosse fortune,elle sedit qu’elleallaitmaintenantavoirl’occasiondes’éleverdansl’échellesocialeenvisantaussihautquepossible.

Et lorsqu’elle fit laconnaissanceduducdeLynchester,ellecompritaussitôtquec’était lachancedesavie.Pourtant,ellesavaitbienqu’iln’étaitpasfacilederéussirlàoùtantd’autresfemmesavaientéchoué.Illuifallaitsemontrerdifférentedecequ’elleétaitenréalité.Enclair,cela signifiait que, en dépit des avances du duc, elle devait absolument refuser de le suivredans son lit. Elle savait que plusieurs autres femmes, dans la même situation, avaientsuccombé à son charme et lui avaient joyeusement donné tout ce qu’il désirait. Il s’agissaitd’ailleurs souvent de jeunes veuves comme elle, ou encore de femmes qui possédaient desépoux complaisants, la chose étant très à la mode à l’époque. Il était cependant arrivé àplusieursreprisesqu’unmarioutragéprovoquâtsonadversaireenduel.Maisinvariablement–et fort injustementd’ailleurs–c’était leducquiavaitétévainqueur.Lepauvremari trompéseretrouvait ensuite contraint d’affronter ses amis et connaissances avec un bras en écharpe,alorsqueleduc,quiavaitlemauvaisrôledel’histoire,s’entiraitindemne.

— Pourquoi me repousser, Delphine ? demanda-t-il un jour en constatant que la jeune

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femmedemeuraitinsensibleàsesavancesrépétées.—J’ai été élevée très strictement, expliqua-t-elle d’une petite voix faussement timide, et

mamèrem’ainculquéunidéaldontjeneveuxpasmedépartir.—Commentpourriez-vousperdrevotre idéalenm’aimant?Après tout,vousêtesveuve,

vousnedépendezdepersonne.D’autrepart,vousm’avezditquevotremèreétaitmorte.—C’est vrai, répondit Delphine d’un air si pathétique qu’il aurait donné à n’importe quel

hommel’enviedelaconsoler,etellememanquebeaucoup.—Etqu’enest-ildevotrepère?C’était la question qu’espérait la jeune femme. Le duc était parfaitement conscient de

l’importance de son propre rang, et Delphine savait fort bien qu’il n’épouserait jamais unefemmequiluiseraitsocialementinférieureetdontlesangneseraitpasdignedesemélangerau sien. Il avait hérité très jeunede son titre, de sorte que sa famille n’avait jamais songéàarrangerpour lui unmariagedeconvenance.Mais il avaitmaintenant trente-quatreans,et sil’intuition de Delphine ne la trompait pas, il devait commencer à songer qu’il était peut-êtretempspourluid’avoirunhéritier.Illuifallaitdonctrouveruneépousequ’iljugeâtdignedeluietpourqui ilpûtavoirdurespect,sentimentqu’iln’avaitencorejamaisaccordéàaucunedesesconquêtes. Delphine se disait au fond d’elle-même : C’est cela que je dois obtenir ! Elles’employaitdoncàleséduire,àl’enjôler,àlecaptiver.

Mais,dans lemême temps,elle tenaitsoigneusement fermée laportedesachambreetrésistait à toutes ses supplications, même lorsqu’il lui affirmait qu’ils ne trouveraient le vraibonheurquedanslesbrasl’undel’autre.

—Vousmerendeztrèsheureuse,Talbot,luimurmurait-elle,etjevousaimesincèrement.Aquoiilrépondaitsuruntondereproche:—Maispasassezpourmerendreheureux,moi.Elleseretenaitde luidirequ’il luisuffiraitde luioffrirunealliancepour larendredocileet

disposéeàluiaccordertoutcequ’ilvoulait.Ellefeignaitmêmeparfoisdes’éloignerdelui,maispasassezvitepourqu’ilnepût la rattraper facilement.Elleavaitessayé tous lesmoyensdeséduction,ettouteslesruses,ycompriscelled’annulerauderniermomentunepromenadeenvoitureouundéjeunerdansungrandrestaurant.

Enfin, le jouroù ilmentionnasonpère,elledécidaquec’était lemomentou jamaisde luifaireadmettrequ’elleétait parfaitementdignededevenirduchesse.Biensûr, il avait entenduparler desStanley qui figuraient dans tous les livres d’histoire. Depuis Azincourt, ils s’étaientillustrésdans tous lescombats. Iln’existaitpasdebataillenavaledans laquelleunStanleynesefûtdistingué.L’arbregénéalogiquede lafamillecomprenaitégalementdeshommesd’État,etc’étaitseulementdepuisqu’elleavaitfaitlaconnaissanceduducqueDelphineavaitcomprisquesiLynétaitunparfaitexemplede l’architectureélisabéthaine,Queens’Rest– lademeurepaternelle–enétaitaussil’undesjoyaux.

Elleavaittoujoursunpeuméprisécemanoir,pasaussigrandetaussiimpressionnantqueleschâteauxoùelleavaiteul’occasiondeséjournerdurantsonmariageavecLordBramwell.Iln’yavaitnimaîtred’hôtelnivaletsdepiedpourservirsesparents,etl’écurien’abritaitpasleschevaux de race dignes d’une grandemaison. Comment aurais-je pu supporter de vivre uneautre année dans une tellemédiocrité ? se demandait-elle après être partie au bras de sonmariavecl’intentiondenejamaisrevenir.Toutefois,alorsqu’elletentaitdemettreenévidenceles vertus et les actes de bravoure passés de ses ancêtres, elle crut déceler une vagueexpressiond’incrédulitédanslesyeuxduduc.Sentait-ilqu’ellevoulaitlesrendreplusimportants

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etplusimpressionnantsqu’ilsnel’avaientétéenréalité?Entoutcas,elleétaitconvaincueaufondd’elle-mêmequ’ilneproposerait jamaislemariageàaucunefemmetantqu’iln’auraitpasétudiéattentivementsesoriginesetantécédents.

Aussi se demandait-elle avec anxiété comment elle pourrait l’amener à faire la

connaissance de son père àQueen’sRest, lorsque le hasard voulut qu’ils fussent tous deuxinvités chez lamarquisedeSwire,dont lademeuresesituait àquelquesmiles seulementdumanoirpaternel.Delphineenrageaitensongeantque,lorsqu’elleétaitpetitefille,lamarquisenelesavaitjamaisinvités,nielleniHarry,àsesgarden-partiesauxquellesétaientpourtantconviésM.etMmeStanley.C’étaitd’ailleurs laseuleetuniqueconcessionque lemarquisdeSwireetsonépousefaisaientàcequ’ilsappelaientles«gensducoin»,considéréscommen’étantpasstrictementdeleur«monde».

Mais,aprèscetteinvitationprovidentielle,Delphineseditavecsatisfaction:Aprésent,j’aitoutesmeschances.Etellecommençaàréfléchiràlamanièredontelleallaitamenerleducàfaire laconnaissancedesonpère.Toutefois, il fallaits’arrangerenmêmetempspourqu’ilnerencontrepasHarryetNerissa.Elleavaiteneffetdécidéunefoispourtoutesquesonfrèreetsa sœurn’avaient aucune importancedans sa vieet qu’il valait doncmieux lesoublier.Harrypourraitàlarigueurêtretoléréparcequec’étaitunhomme,maisellefrissonnaitàlapenséedeposséder une sœur qui promettait de devenir une extraordinaire beauté, comme le répétaitsouvent leurmère.D’ailleurs,n’avait-ellepasdità toussesamisdeLondresqu’elleétait filleunique.

—J’aipasséuneenfancetellementsolitaire ! répondait-elleauxhommesqui tentaientdelafaireparlerdesesjeunesannées.

Etcesnaïfsderépondre:—Lasolitudeestunechosequevousneconnaîtrezjamaisplus,machérie.Elleposaitalors la têtesur leurépauletandisqu’ils l’embrassaientpassionnément.Etelle

comprittrèsvitequ’elleneseraiteffectivementplusjamaisseule.Aprèslamortdesonmari,elleavaiteuplusieursamants,etavaitmêmeconnuunebrève

liaison. Mais elle faisait toujours preuve de la plus grande discrétion, et ses amies étaientpersuadées qu’elle était bien trop occupée d’elle-même pour s’intéresser aux hommes. Elleentretenait d’ailleurs adroitement cette croyance, laissant supposer qu’elle était detempérament froid et insensible aux attentions des hommes, si attrayants qu’ils fussent. Enréalité,ellepossédaitun tempéramentde feu,passionnéet insatiablesur leplansexuel. Il luiétaitpénibledoncderepoussersanscesselesavancesduduc,etellesentaitquelachoseeûtétéimpossiblesi,enmêmetemps,ellen’avaitentretenuavecLordLockeuneliaisonfougueusedontnuln’avaitconnaissance.LordLockepossédaittouteslesqualitésqueDelphineappréciaitchezunhomme.Dansd’autrescirconstances,elleluiauraitdonnésoncœur.Malheureusement,il n’était pas riche, il ne possédait pas de demeure ancestrale digne dumoindre intérêt, pasd’aïeuxéblouissantsàaucunpointdevue.Bref,saseulequalitéétaitd’êtrepassionnémentetirrésistiblement amoureux. Seulement, la jeune femme ne pouvait s’en satisfaire. Ce qu’ellesouhaitait, c’était porter sur la tête un diadème à feuilles de fraisier[1].Elle pourrait alors,comme lesautresduchesses,assisterà l’ouvertureduParlementetdonnerdes réceptionsàLynainsiquedanslesautresmagnifiquesdemeuresquepossédaitleduc.

—Pourquoinesuis-jepasnéavecunecouronne,moiaussi?selamentaitAnthonyLocke.

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Et Delphine de tenter de le consoler à sa manière, tout en lui murmurant entre deuxétreintes:

—Jevousaimetelquevousêtes.Aprésent, tandisque la voiture franchissait, à l’extrémitéde l’alléedeQueen’sRest, les

grillesdepuis longtempsenpiètreétat,Delphineglissaavecconfiancesamaindanscelledesoncompagnonetmurmura:

—Vousavezfaitpreuvedebeaucoupdebontéenversmonpère,et jesuissûrequ’ilestraviàl’idéedevisiterLyn.Ilpourraentirerprofitpourseslivres.

— Je considère qu’il est le seul auteur à avoir commenté avec talent cette périodeélisabéthaine,réponditleducd’unairpensif.

— C’est un homme d’une grande intelligence, soupira la jeune femme. Je souhaiteraisseulementtenirdeluisurceplan.

—Votrebeautédoitvoussuffire…Ilnel’entourapasdesesbras,ainsiqu’elles’yétaitattendue;aussiserapprocha-t-elleun

peuplusdeluipourposersatêtesursonépaule.—Jemeréjouisquevousayezvumamaison.—Elleesteffectivementd’unintérêtextrême.Leplafonddelacuisinesurtoutestunepure

merveille.Delphineretintsonsouffle.—Maispourquoinepasm’avoirditquevousaviezunfrèreetunesœur?J’avaistoujours

cruquevousétiezfilleunique.—Ilssonttellementplusjeunesquemoi,ilsontenvéritéfortpeucomptédansmavie.Laquestionduducétaitembarrassante,etelleavaitétéincapabledetrouveruneréponse

plusadéquate.Lorsquesoncompagnonrepritlaparole,onpouvaitdécelerunecertaineaigreurdanssespropos.

—Ilmesemblenéanmoinsfortétrangequevousnem’ayezjamaisparléd’eux.Quelâgeavotresœur?

—Elleesttrèsjeune.Elledoitavoir…autourdedix-septans,j’imagine,etjecrainsqu’ellenesesentedéplacéedansunedevosréceptions.

—Neserez-vouspaslàpourlaguideretlamettreàl’aise?Delphineauraitsouhaitéluifaireadmettrequ’ilavaitcommisuneerreureninvitantNerissa,

maisellecommençaitàserendrecomptequelesremarqueset lesobjectionsqu’ellepourraitémettreneserviraientàrien.Sadécisionétaitirrévocable.Elleconnaissaitlavolontédeferduduc,volontéqu’ellejugeaitégaleàlasiennepropre.Malgrétoutpourtant,ellerésolutdetenterunultimeargumentpourleconvaincre.

—Peut-êtreserait-ilpréférablequevousinvitiezmonpèreenuneautreoccasion,lorsquevousvousserezdébarrassédusoucidececoncourshippique.

Elle ne pouvait s’apercevoir, dans la demi-pénombre de la voiture, que le duc fronçaitlégèrementlessourcils.

—Jenepuiscroirequevousayezlecœurassezdurpourvouloirprivervotrefrèredecequi,sij’aibiencompris,constituel’invitationlapluspassionnantequ’ilaitjamaiseue.

—Biensûrquenon.—J’imaginequevouscontribuezauxfraisdesonéducationàOxford,carilestvisibleque

votrepèrenepossèdepasdegrosmoyens.Delphinerespiraàfondavantdeselancerdansuneexplicationpassablementfumeuse.

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—La vente de ses ouvrages lui rapporte quelque argent, et il a aussi les loyers que luipaientlesfermiersquicultiventsesterres.

Ellelevaunemainetluieffleuralajoueduboutdesdoigts,avantdepoursuivre:— Mais ne pensez-vous pas que nous avons assez parlé de moi ? Si vous me disiez

quelquechosesurvous,moncherTalbot?Aucunsujetnesauraitmepassionnerdavantage.Etelleparvint,avecunehabiletédontelleétaitparticulièrementfière,àéviterlesquestions

embarrassantes jusqu’au moment où la voiture pénétra dans la grande cour d’honneur dumanoir.Uncertainnombred’invitéslesattendaientavecimpatience.

—Vousavezmanquéunsucculentrepas,VotreGrâce,fitobserverl’und’eux.—Soyez sans crainte, je n’ai pas àme plaindre sur ce point.Maintenant nous voilà de

retour,etj’espèrequelasoiréevaêtredesplusagréables.Lamarquiseavait faitaménagerunepistededansedansundessalonsoùjouaitunpetit

orchestre. Mais Delphine, à la fois irritée et vexée, constata que le duc, se désintéressantd’elle,allaits’asseoiràlatabledejeu.Elleauraitaiméqu’ill’invitâtàdansertoutenbavardantdechosesetd’autres.Hélas,elleserendaitcomptequ’illuiseraitimpossibled’avoiravecluilamoindreconversationintimeavantl’heured’allersecoucher.

Pour lapremière fois,ellesentitvaciller la résolutionqu’elleavaitprisedenepasdevenirsamaîtresse,etellecaressauninstant lapenséedeluisuggérerdevenir luisouhaiterbonnenuit.Maisellesedittoutdesuiteaprèsqueceseraitunesottise.

Et, tandis qu’elle se glissait dans son lit, elle éprouvait la désagréable impression que,depuis la visite àQueen’sRest, il s’était passé quelque chose.Quoi, elle était incapable del’imaginer. Bah ! je suis fatiguée, et je me fais des idées. Pourtant, incapable de trouver lesommeil,illuisemblaitdistinguerdanslapénombrelejeuneetravissantvisagedeNerissa.Jesuis folle, se dit-elle encore. Le duc ne s’est jamais intéressé aux jeunes filles, commentpourrait-ils’yintéressermaintenant!

LorsqueHarry descendit le lendemainmatin, son père avait déjà quitté la table du petitdéjeuner.

—Ai-jerêvéouavons-nousréellementétéinvitéschezleducdeLynchester?demanda-t-iltandisqueNerissaposaitunœufàlacoquedevantlui.

Lajeunefillesemitàrire.—Jemesuisposé lamêmequestioncematinenme réveillant.Cette invitationestbien

réelle;maisàtaplace,jen’ycompteraispastrop.—Queveux-tuinsinuerpar-là?repritlejeunehomme,visiblementsurpris.—J’ai lesentimentqueDelphines’arrangerapour tout faireannuler.Tusais,ellene tient

pasdu toutàcequenous fassions la connaissancedesesamis.Et celleduducmoinsquetouteautre.

—Tuaspeut-êtreraison.Maissiellem’empêched’allerauconcourshippique,jemesenscapabledel’étrangler.

— Enfin, je te conseille de ne pas te faire trop d’illusions. Comme ça, tu ne seras pasdéçu.

Elle s’éloigna d’un pas léger en direction de la cuisine pour reparaître presque aussitôtaveclacafetière.

—Quoiqu’ilensoit,reprit-elle,iln’estpasquestionquej’yaille,moi.—Etpourquoidonc?

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—Parcequejen’airienàmemettre.Etmêmesijedépensaisenvêtementsunepartiedel’argentdeDelphine, jenepourrais trouverpar iciquedes robesdans lesquelles j’aurais l’aird’unepetitepaysanne.

—Veux-tumefairecomprendrequetuvasrefuserl’invitation?—Ilm’estimpossibled’agirautrement.—Tupeuxtoutdemêmet’acheterquelquechose,tuasmaintenantunpeud’argent!—Commejeviensdetel’expliquer,vucequel’ontrouvedanslesmagasinsdesenvirons,

jeseraisplutôtdéplacéeaumilieude tousces richesà ladernièremode.Deplus, ilyadeschosesplusimportantesàacheterquedesvêtements.

—Parexemple?—Toutd’abord,tun’espaslaseulepersonneaumondeàaimerl’équitation.Etdepuisque

lechevaldepapaestdevenutropvieuxpourmeporter,jedoismecontenterdemepromenersurmesdeuxjambes.

Harryposasatasseetdévisageasasœuravecunmélanged’étonnementetd’affection.—Oh,Nerissa,pardonne-moi!Jenemerendaispascompteàquelpointjepouvaisêtre

égoïste.—Comprends-moibien. Jenemeplainspas,et certains fermiersontétéassezgentils,

durantlasaisondelachasse,pourmeprêterleurschevauxlorsqu’ilsn’enavaientpasbesoin.En fait, j’aurais même pu avoir une importante écurie à ma disposition si je n’avais étécontrainte,pourdesraisonsassezspéciales,d’enrefermerbrutalementlaporte.

—Explique-toi.Nerissas’installasurunechaise,enfacedesonfrère.—TuconnaisJakeBridgeman?—Biensûr.C’estluiquitientlerelaisdepostesurlagrand-route.—Ehbien,un jour, ilestvenuvoirpapaet,après leurentrevue, iladéclaréqu’ilmettait

sonécurieàmadisposition,chaquefoisquej’enauraisenvie.La jeune fille n’avait nul besoin de préciser sa pensée. Son frère avait parfaitement

compris.—Quelleinsolence!s’écria-t-il.Veux-tumedirequ’ils’estmontrédésagréable?—Toutaucontraire…beaucouptropempressé.Etj’aidûluisignifierquej’avaisrenoncéà

monter.—C’estlàunechosequinedoitpassereproduire,mapetitesœurchérie.Parceques’il

t’importunaitdenouveau,jemechargeraisdeluiapprendrelesbonnesmanières,moi.—J’aiadoptéuneméthodeplusdouce.Chaquefoisquejelevoisremonterl’alléedenotre

propriété,qu’ilsoitàchevalouenvoiture,jefermeleverroudelaporte,etilpeutfrapperaussifort qu’il le veut. Papa n’entend rien depuis son bureau, et comme nous n’avons pas dedomestiques – hormis la vieille Mme Cosnet, qui ne vient que dans la matinée – l’importunvisiteurnepeutfaireautrementquederebrousserchemin.

—Écoute,machérie,situveuxuncheval,jet’entrouveraiun.—Jen’aipasl’intentiond’yengloutirautantd’argentquetuendépenserassansdoute,toi.

Cequ’ilme faut, c’est un jeuneanimalpourgaloperunpeudans lapropriétéet faireunpeud’exercice.

— Je te comprends parfaitement, dit Harry, plein de sympathie pour sa sœur. Je teprometsquetupourrasmontermonchevalaussisouventqu’ilteplaira.Excuse-moid’avoirétéaussistupideetaveugle.Tumènesiciunevieabominable,etjenem’enrendaispascompte.

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Lajeunefillelaissaéchapperunpetitcridesurprise.— Harry, c’est mal de dire ça ! Ma vie n’a rien d’abominable, je t’assure. Je suis très

heureuseavecpapa,etmaintenant jevaispouvoiremployerMmeCosnet troisouquatre joursparsemaineaulieudedeux.Jepourraioffriràpapadesrepasmeilleurs.Ilpourramêmeboirede temps à autre un verre de bordeaux au dîner. Tu sais combien il aime ça, et il y a bienlongtempsquenousn’enavionsgoûtéjusqu’àhiersoir.

—Cettenuit,dansmonlit,jemedisaisqueDelphinedevraitfairequelquechosepourtoi.Tuvasavoirdix-neufans,etjesuisconvaincuquesimamanétaitencoredecemonde,elleseseraitarrangéepour te fairesortir,pour t’accompagneràdesbals,àdessoirées. Il faudraitquandmêmequeturencontresdesjeunesgensdetonâge.

Nerissaneputs’empêcherdesourire.— Tu parles comme le ferait une vieille douairière qui chercherait à arranger mon

mariage…Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, n’est-ce pas, Harry ? Tu penses que jedevraismemarier.

—Jepensequ’ondevraitaumoins t’en fournir l’occasion.Hélas,quellepossibilitéya-t-ilici,danscetrouperduoùonnevoitjamaispersonne?

Nerissaselevaetallaembrassersonfrère.—Jet’adore,grandfrère.Maisilnefautpast’inquiéteràmonsujet.Aide-moiseulementà

meprocurerunchevalpastropcher,etjeserailafillelaplusheureusedumonde.—Tuasmapromesse.Maisj’insistepourquetuviennesàLyn,avecpapaetmoi.Plustard,alorsqueNerissasedemandaitencorelespossibilitésqu’ellepourraittirerdesa

médiocre garde-robe, un laquais vêtu de la livrée de la marquise de Swire lui apporta unelettre. Elle comprit aussitôt que lamissive était deDelphine, probablement pour lui annoncerquel’invitationàLynétaitannulée.Aussi,quellenefutpassasurpriseàlalecturedubillet!

Jesupposequenoussommesobligésdenousaccommoderde ladéplorable situation

que papa a créée hier soir. Mais le duc tenant absolument à ce que toi et HarryaccompagnieznotrepèreàLyn,jecroisutiledetefairecadeaudequelquesvêtements.

Je retourne à Londres demain matin, et je te ferai expédier une malle contenant desrobesquej’avaismisesdecôtépourlesjeteroulesdonneràuneœuvredecharité.

Je ne doute pas que tu puisses arranger celles qui en auront besoin ; elles aurontmeilleureapparencequelevieuxchiffonquetuportaishiersoir.

Dis à Harry qu’il devra se conduire correctement et faire preuve de discrétion enprésenceduduc.Sinon,ilpourraitleregretter.

Bienàtoi,

DelphineNerissarelutdeuxfoiscetétrangemessage.Elleestencorefurieusecontrenous,songea-

t-elle ;maisnousn’ypouvonspasgrand-chose,etdumoinsHarrysera-t-ilheureuxd’assisterauconcours.

Elle se disait avec amertume qu’on lui faisait la charité, en quelque sorte ; néanmoins,lorsqu’arriva lamalle annoncée, elle ne put réprimer une excitation typiquement féminine. Il yavaitdesannéesqu’ellen’avaitpaseudenouvellerobe,etdèsqu’elleeutsoulevélecouvercle

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bombédelamalle,ellesesentittransportéedejoie.Lesrobessemblaientàladernièremodeet en parfait état, car jamais Delphine n’aurait porté un vêtement ayant subi la plus légèreréparation.Dansbien des cas, elle s’en débarrassait après les avoir portées une seule fois,afin d’éviter les critiques de ses amies. Toutefois, Nerissa ignorait que, dès son retour àLondres,Delphineavaitordonnéàsafemmedechambrederetirerdelamalletoutcequiétaittroprecherchéetrisqueraitd’attirerl’attentionsursasœur.

Malgré tout, ce qu’elle avait expédié était aux yeux de Nerissa si beau et si aguichantqu’ellecourutdanssachambresansperdreuninstantetcommençalesessayages.

Il y avait trois robes du soir et des robes de cocktail, un ensemble de voyage avecmanteau et enfin – cadeau inespéré – un habit d’amazone. Lamalle était accompagnée deplusieurs petites boîtes contenant des chaussures, des chapeaux, des gants et des sacs.Nerissas’empressademontrercestrésorsàsonfrère, lequelfut impressionnéetsurprisparlagénérositédeDelphine,jusqu’aumomentoùNerissaluifitlirelalettredeleursœur.

—Jesupposequetuvasluijetertoutçaàlafigure,dit-ilavecunfroncementdesourcils.C’estentoutcascequejeferais,moi!

Lajeunefillepoussaunpetitcri.— Mais tu es fou ! Tout cela m’appartient maintenant, et je n’ai aucune envie de m’en

séparer!Cesrobesontdéjàétéportéesparmasœur,maisqueveux-tu,«àchevaldonnéonneregardepaslabride!»

Harrysemitàrireetattirasasœurcontreluipourl’embrasser.—Tuesmerveilleuse.J’espèrequej’aurail’occasiondetedénicherunmariquit’aimeraet

veilleraàréaliserlemoindredetesdésirs.— Pour le moment, je ne désire rien, sauf que les jours passent très vite jusqu’au

concours.NousverronsLynetnouspourronsmonterleschevauxduduc.— Ainsi soit-il ! dit Harry avec ferveur. Je vais me rendre demain à Oxford, il faut me

procurerdesvêtementsdanslesquelsjeneteferaipashonte.—Tusaisbienquejen’auraijamaishontedetoi,Harry.Ellesavaitpourtantquesonfrèresouffraitdenepasêtrevêtuaussiélégammentqueses

condisciplesd’Oxford.Ellesesouvintalorsdelamanièreexquisedontétaitnouéelacravateduduc, le soir où il était venu àQueen’sRest, et de la perfection des pointes de son col. Elleréprima un soupir en songeant que si Harry espérait avoir lamême élégance, il risquait fortd’êtredéçu.Etpuis,toutdesuiteaprès,elleseditquenulnepouvaitêtreplusséduisant,plusprévenant, plus compréhensif que son frère. D’ailleurs pourquoi devrions-nous ressembler àquiconque ? se demanda-t-elle en contemplant son image dans la glace. Et elle redressa lementonavecunpetitaircrâne,dignedesesancêtresStanley.

Jusqu’au dernier moment, elle eut l’impression que son frère et elle ne seraient jamaisprêtspourlegrandjour.Lajeunefilledevaits’occuperdetantdedétails,etellecraignaitdenepouvoirprendreun instantdereposdurant lanuitdu jeudiauvendredi.Laremiseenétatdesvêtements de son père, en particulier, allait accaparer une grande partie de son temps. Ilsavaientcertesétéautrefoisconfectionnésparunbontailleur,maislesannéeslesavaienthélaspassablementdétériorés.Elleallait devoir leur consacrerdesheurespour lesnettoyeret lesrepasserafindeleurdonnerunaspectdécent.

Inutilededirequecescontingencesn’intéressaientenrienMarcusStanley.Laseulechosequilepréoccupât,c’étaitdemettreàjourlechapitredesonlivrequ’ilétaitentraind’écrire,demanièreàpouvoiryfaireapparaîtreLynauderniermomentetnerienoublierquipûtcontribuer

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àl’ensembledesontableaudel’architectureélisabéthaine.Sonaspectvestimentaireétaitdoncpourluid’uneimportancetoutàfaitsecondaire.

Lorsqu’il eut endossé ses meilleurs habits et que sa cravate fut soigneusement nouée,

NerissaseditnonsansfiertéqueDelphineseraitbiendifficilesielle trouvaitquelquechoseàredireàl’aspectdesonpère.

—Tues trèschic,papa !déclara la jeune filleendéposantunbaisersur la jouedesonpère.

—Ettoi,tuestrèsbelle,machérie,neput-ils’empêcherderépondre,cequiétaitdanssaboucheuncomplimentrare,carilneremarquaitjamaislafaçondontsesenfantss’habillaient.

Très contente de son allure, Nerissa pirouetta sur elle-même. Elle portait une robe develours parme ornée de rubans violets, une cape de voyage de la même couleur, et unravissantchapeauquiavaitdûcoûterunepetitefortune.

Harry fut littéralement ébloui lorsque la superbe berline du duc s’immobilisa devant leperron.Le jeunehommeremarquaaussitôtqu’elleétaitatteléedesixchevaux,alorsqu’iln’enattendait que quatre. Il en fit la remarque à sa sœur, qui lui répondit avec son bon senshabituel:

—Letrajetestlongjusqu’àLyn,etleducneveutsûrementpasnousvoirarriverenretard.Leursbagagesfurentdisposésàl’arrièredelavoiture,etilss’installèrentsurlaconfortable

banquettecapitonnée,assezlargepourleurpermettred’êtretouslestroisfortàl’aise.—Ilestheureuxquenousnesoyonspasdetropfortecorpulence,fitremarquerHarry,car

jen’aimepasvoyagerentournantledosauxchevaux.—Moi non plus, dit Nerissa. C’était pourtant ce que tum’obligeais à faire quand j’étais

gamine.Etàvraidire,jemedemandaissituallaistemontrerplusgalantaujourd’hui.Harryéclataderire.—Neperdspasde vuequenousdevons tousnous conduire demanièreexemplaire en

présencedenotrechèresœurDelphine.Carellevanoussurveillerdeprès,etchercherànousprendre en défaut. Je suis terrifié à l’idée qu’elle pourrait avoir honte de ses parentscampagnards.

Nerissa savait qu’il disait la vérité, et elle adressa auCiel unemuette prière. Il lui fallaitessayerdeserappelertoutcequesamèreluiavaitapprissur lesgrandesmaisonsetsur lecomportementquel’onattendaitdesinvités.Malgrécela,ellesentaitcroîtresonappréhension,jusqu’aumomentoù leschevauxfranchirent les immensesgrillesdefer forgéquiprotégeaientl’entréedelapropriété.

Devant eux, une longue allée de tilleuls à l’extrémité de laquelleNerissa aperçut l’illustredemeure.Ellesentitsoncœurbattreplusfort.Mêmedanssesrêveslesplusfous,ellen’auraitjamais imaginé quelque chose d’aussi beau, d’aussi féerique, d’aussi grandiose. Et pourtant,l’ensembledonnaituneimpressionlégèreetéthérée,commesiunetellemerveilleallaitsoudains’envolerverslecieletdisparaître.

— Il est certain que c’est plutôt imposant, fit observer Harry, tandis que la voitureparcouraitl’interminableallée.

—C’estmagnifique ! s’écriaNerissa. J’espère que tout cela ne va pas s’évanouir avantquenousarrivions.

Harry ne put s’empêcher de rire à la réflexion de sa sœur,mais il prit samain dans lasienneetlapressaaffectueusementcommes’ilcomprenaitcequ’elleéprouvait.

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—Toiaussi,tuestrèsbelle,dit-il.Alors,ducourage,etn’oubliepasquenousachèteronsdeuxchevauxdèsquenousseronsderetouràQueen’sRest.

—Ceseramerveilleux.—Ildoityenavoiriciungrandnombrequinousferontenvie,j’ensuissûr.Il regardait au loin les constructions aménagées pour l’exposition et le concours du

lendemain.Onapercevaitquelqueschevauxconduitsparleursladssurunepisteminiature.Unpeuplus loin, un certainnombrede tenteset debaraquesavaient étéérigéespour leplaisirdes visiteurs. Mais la voiture roulait encore vite, et les trois voyageurs ne pouvaient toutembrasserd’unseulcoupd’œil.

Enfin, la berline s’arrêta devant l’immense perron. Nerissa n’avait jamais rien vu d’aussibeau,etellesongeaqu’illuifaudraittoujourssesouvenirdecetteextraordinairevision,enfixerchaquedétail,carc’étaitlàunechosequ’ellenereverraitprobablementjamais.

Quelques instants plus tard, les yeuxencore éblouis commepar les imagesmulticolores

d’un kaléidoscope, Nerissa traversait le grand hall du château dont les murs s’ornaient deportraitsd’ancêtres.Au fond trônait une immensecheminéedemarbre. Ils prirent ensuitedelongs couloirs aux parois recouvertes de riches tapisseries, pour déboucher dans ce que lemaîtred’hôteldésignaauxvisiteurssouslenomdeBibliothèquerouge,oùleduclesattendait.Ilavaitgrandeallure,deboutdevant les rangéesde livresquicouvraientpresqueentièrementlesmursdelapièce.

—JevoussouhaitelabienvenueàLyn,dit-ild’unevoixgraveetharmonieuse.Et j’espèrequevotrevoyageaétéagréable.

Nerissaseréjouit–mêmesielleéprouvaunevaguehonteàcettepensée–queDelphinenesetrouvâtpasauprèsdelui.

—Un voyageextrêmement agréable, réponditMarcusStanley.Et nous vous remercionspourledélicieuxdéjeunerquevousaviezcommandépournousàl’étape.

— Heureux que vous en ayez été satisfaits, car ces auberges ne sont pas toujoursparfaites.Encequimeconcerne,ilm’arrivesouvent,lorsquejevoyage,d’emportermonrepas.

LemaîtredemaisonsetournaensuiteversNerissa.—Commenttrouvez-vousmademeurejusqu’àprésent,MissStanley?—Féerique.Jen’imaginaisriend’aussibeau,d’aussi…Lesmotsluimanquaient,etleducneputs’empêcherdesourire.On les conduisit ensuite jusqu’à leurs chambres. Deux gracieuses soubrettes aidèrent

Nerissaà sedébarrasser de ses vêtementsde voyageet àendosserune robed’après-midibordéed’unefinedentelleautraversdelaquellecouraientd’étroitsrubansdeveloursbleu.

Quelques minutes plus tard, Marcus Stanley, son fils et sa fille se retrouvaient dans lagrandegalerieoùlethédevaitêtreservi.Unebonnepartiedesinvitéss’yrassemblaientdéjà,parmi lesquelsDelphine.Nerissasentitunmalaise lagagnerenvoyantsasœurs’éloignerdedeux jeunesgensélégammentvêtusavecquielleétaitenconversationpours’approcherdesnouveauxvenusetlesinterpellerd’unevoixquelquepeuaffectée.

—Montrèscherpapa!Quelle joiedevousvoir !J’espèrequevotrevoyagen’apasététropépuisant.

— Pas lemoins dumonde, répondit Marcus Stanley. Et, comme je l’ai déjà dit à notrehôte,jesuislittéralementravid’êtreici.C’estencoreplusbeauetplusimpressionnantquejelepensais.

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Nerissa fut ensuite présentée à un certain nombre de personnes dont elle se sentaitincapablederetenirlesnoms,maisquisemontrèrentàsonégardd’uneextrêmeamabilité.

—Est-cevotrepremièrevisiteàLyn?luidemandaunedameâgéedontelleappritparlasuitequ’elleétaitlatanteduduc.

—Oui,madame,etvouspouvez imaginer la joiequenousressentons,monfrèreetmoi-même,àséjournerdanslaplusfameusedemeured’Angleterre.

Ladamesemitàrire.—Ilfautdirecelaànotrehôte.Ilapprécielescomplimentssursamaisonbeaucoupplus

que ceux que l’on peut faire sur lui-même, ce qui est assez inhabituel chez les jeunes gensd’aujourd’hui.

— On ne m’a jamais fait de compliments, dit Nerissa sans réfléchir. Mais s’ils étaientpersonnels,jecroisquejelestrouveraisgênants.

Ellevenaitàpeinedeprononcercesmotsqueleducsematérialisasoudainprèsd’elle,etellecompritqu’ilavaittoutentendu.

—Vousn’avez jamais reçude compliments,MissStanley? s’étonna-t-il enhaussant lessourcils.Leshommesdevotrerégionsont-ilsdonctousaveugles?

Nerissaleconsidérad’unairvaguementsoupçonneuxavantderépondre:—Cela,c’estuncompliment,mesemble-t-il.Etforthabile.Leducéclatad’unrireamusé.— D’ici quelques années, vous aurez reçu un si grand nombre de compliments et de

flatteriesquevousaurezbienledroitd’êtreblasée;mais,dansl’immédiat,réjouissez-vousdeceuxquel’onvousprodiguesansvousmontrertropsévèreoucritique.

—Loindemoilapenséedecritiquercequej’aivuicijusqu’àprésent,répliqualajeunefilled’une voix mal assurée. Mais… quand me sera-t-il permis de visiter le reste de cettemagnifiquedemeure?

Leducmarquauntempsd’hésitation.Ilsemblaitsurpris.—Ceseraitépuisantjusteaprèsvotrearrivée.Jemerappelleavoirsuggéréàvotrepère

deremettrecegenred’explorationàdemain,lorsquenousenauronsterminéavecleconcourshippique.

—Jem’ensouviens,eneffet,admitNerissa.Maistoutestsibeau,simerveilleux,ici,quejenevoudraisrienmanquer.

—Voilàuneremarquecharmante,MissStanley,etque j’apprécie,croyez-moi,àsa justevaleur.

—Pourtant, repritNerissaen rougissant légèrement,vousdevezêtrehabituéàentendredes louangessurvotremaisonetsurvous-même.Toutceladoitvousparaîtreparfoisunpeumonotoneetennuyeux.

—Quidoncvousadonnécetteversiondeschoses?—Ilsetrouvequec’estmonfrèreHarry.—J’espèrequeHarry a fait preuvedediscrétiondans les proposqu’il vousa tenus sur

moncompte.Nerissa se rappela tout à coup ce que son frère lui avait appris sur les aventures

amoureuses du duc. Aussi se sentit-elle passablement confuse et ne put-elle s’empêcher dedétournerlesyeux.Ellesesentitdenouveaurougir.

Leduclaissaéchapperunpetitrire.—Ilvousfautapprendreànepascroiretoutcequ’onraconteet,aucontraire,àjugerles

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gensparvous-même.—Jem’yefforcerai.Mamandisait autrefoisqu’il faut se servir de son instinct et nepas

croirelemalquel’onditdesgensavantd’êtreabsolumentconvaincuquec’estl’expressiondelavérité.

—Voilàeneffetlameilleureméthode.Jepensesouventquec’estparcequelesgenssonttrop pressés qu’ils acceptent sans réfléchir les jugements d’autrui. Ils feraientmieux, commevousl’avezsibiensouligné,deseconstitueruneopinionpersonnelle.

—Peut-êtrefaut-il,pourcela,êtreunpeuplusâgéquejenelesuiset,biensûr,posséderunpeuplusd’expérience.

—Chaquechoseviendraensontemps,affirmaleduc.Il s’éloigna pour parler à quelqu’un d’autre, et elle songea que c’était là une drôle de

conversationqu’ellevenaitd’avoiravec leducdeLynchester,carellene levoyaitquepour lasecondefois.

C’est alors que Delphine s’approcha d’elle pour lui faire observer qu’il était temps demonter se changer pour le dîner. Elles s’éclipsèrent ensemble et, profitant du fait qu’ellesétaientseules,lajeunefemmesouhaitamettreleschosesaupointavecsasœur.

—Tuvasmefaireleplaisirdenepaschercheràtefaireremarquer,Nerissa!Tuesvenueà cette réception – ce qui àmonavis est uneerreur – parce que le duc a sympathisé avecpapa et aussi parce qu’il voulait me faire plaisir. Alors tiens-toi à l’écart de lui autant quepossible!

—C’estentendu,murmuralajeunefilleavechumilité.Puis, comme elles étaient seules dans la chambre et que nul ne pouvait entendre leur

conversation,ellepritsoncourageàdeuxmains.—Est-cequeSaGrâcet’aenfindemandédel’épouser?— Voilà une question que je juge impertinente, répliqua Delphine, mais je vais pourtant

satisfairetacuriosité.Crois-moi,celanesauraittarder.C’estd’ailleurslavéritableraisonquil’apousséàvousinviter ici touslestrois;afinquevousayezl’occasiondefairelaconnaissancede certains membres de sa famille et que le choc soit moins dur lorsqu’il parlera de sonmariageavecmoi.

—Dequelchocveux-tuparler?—Eh bien, il y a des années que tout lemonde essaie de pousser le duc aumariage.

Jusqu’ici, il a toujours refusé de s’incliner devant les désirs de sa famille, affirmant qu’il luiplaisaitdedemeurercélibataire.Nuln’estparvenuàl’influencerjusqu’àcejour,carilsouhaitaitdéciderseuldumomentopportunpourprésenteraumondelanouvelleduchessedeLyn.

Elleavaitprononcélemot«duchesse»avecemphase.Elleallaensuites’admirerdevantlagrandepsyché.

—Essaied’imagineràquelpoint jeseraibelleavecsur latêteundiadèmeendiamants:presque l’équivalent d’une couronne de princesse. J’en aurai aussi un second avec desémeraudes,untroisièmeenrubiset,enfin,unautreavecdessaphirsquimettraenvaleur l’ordemescheveuxetlebleudemesyeux.

— Tu seras très belle, j’en suis sûre, commenta Nerissa avec sincérité. Est-ce que jepourraitevoirainsi?

Delphinelaissas’écoulerquelquessecondesavantderépondre:—Afranchementparler,jecroisquec’estassezimprobable.Jenepeuxpasmepermettre

de me laisser freiner dans mon ascension par les vestiges du passé, c’est-à-dire par une

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famille encombrante. Je désire rencontrer de nouvelles gens et m’intégrer dans la hautesociété.

—End’autrestermes,tun’auraspasuninstantànousconsacrer,àHarryetàmoi-même,soupiraNerissad’unairdésolé.

—Honnêtement, jepensequeceseraitune faute,unegraveerreurdemapart.Jusqu’àprésent, j’ai fait ce que j’ai pu pour vous deux : je vous ai donné une importante sommed’argent,jevousaiamenésjusqu’icietvousaimontréunmondedontvousignoriezl’existence.

Nerissa savait fort bien que Delphine avait agi à contrecœur. L’argent qu’elle leur avaitdonnénereprésentaitqu’unesortedesalaire,enremerciementdelacomédiejouéeauducetdestinéeàluifairecroirequelafamillevivaitsurunpiedquin’avaitjamaisétélesien.Maisellesentait enmême temps qu’il était inutile de discuter. Déjà lorsque Delphine était enfant, elleavait toujours su ce qu’elle voulait, et elle devait en cemoment se féliciter d’avoir été aussigénéreuseenverssafamille,laquellenedevaitévidemmentrienespérerdeplusdesapart.

Quoiqu’ilensoit, songeaNerissa, j’auraisdumoinsvisitéLyn,et c’estunechoseque jen’oublieraijamais.

—Jeteremercie,Delphine,dit-elleàvoixhaute,pourcequetuasfait,et jem’efforceraid’agircommetuledésirestantquenousseronsici.

Delphineabandonna lacontemplationdeson imagedans lemiroiretse retournaverssasœur.

—Cequejedésirepar-dessustout,c’estquetutetiennesàl’écartduduc.Tuestropjoliepournepas luiplaire.Etchacunsaitque lorsqueTalbotaperçoitunepossibleproiedans lesparages,ils’enflammeaussitôt.Alors,faiscequejetedis:évite-le.

Elles’interrompitquelquessecondespourdonnerplusdepoidsàlasuite.— Si tu ne te conformais pas à mes désirs, je te ferais renvoyer à la maison ou je

t’obligeraisàresterdanscettechambreduranttouttonséjouràLyn.Surprise,Nerissavoulutprotester,maissasœur,folledecolère,pivotasursestalonssans

ajouterunseulmotetquittalachambreenclaquantviolemmentlaportederrièreelle.

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4Selonsonhabitude,Nerissase réveilladebonneheure,et il lui fallut quelquessecondes

pourprendreconsciencedel’endroitoùellesetrouvait.Puisunejoieintensel’envahit:ellesesouvintquesonfrèreetelleavaientprévud’allerfaireunepromenadeàchevalcematinmême.Eneffet,laveilleausoir,Harryl’avaitpriseàpartpourluiconfier:

— Le duc m’a dit que lorsque je voudrai un cheval, il me suffira de me présenter auxécuries et d’en demander un. Pourquoi ne m’accompagnerais-tu pas demain matin, d’aussibonneheurequepossibleetavantquelesautressesoientextirpésdeleurslits?

Unéclairdebonheuravaitbrillédanslesyeuxdelajeunefille.—Pouvons-nousvraimentnouslepermettre?avait-elledemandéd’untonhésitant.—Riennenousenempêche,àmoinsquetuneteréveillespasentempsvoulu.—Jetegarantisquejeseraifinprête.Aussis’était-ellecouchéetôt.Lesautresinvitéssemblaientseconnaîtreintimement,etelle

sesentaitétrangèreaumilieud’eux,surtoutlorsquelesfemmess’étaientretiréesdanslegrandsalonenlaissantleshommesdevantleurverredeporto,ainsiquelevoulaitlatradition.D’autrepart, il était évident que, à l’instar de Delphine, toutes les femmes ne rêvaient que de serapprocherduducetneparaissaients’intéresseràpersonned’autre.Laplupartd’entreellesétaient de belles créatures extrêmement sophistiquées et possédant toutes des titresimportants.Leursrobesétaientnaturellementd’unchicadmirable,etlabeautédeleursvisagesse trouvait habilement rehausséepar l’usagede lapoudreet du rougeà lèvres.Parmielles,Nerissaavait l’air trop jeuneet, deplus,elle se rendait comptequ’ellenepossédait pas leurélégance,bienqu’ayant revêtu l’unedesplusbelles robesdontDelphine luiavait fait cadeau.Elle avait choisi celle qui lui avait paru presque trop chic pour une simple soirée dansante àLondres,maisqui lui semblait indiquéepourune réceptionauchâteaudeLyn.Mais, une foisdescendue, elle s’aperçut qu’elle était la seule à ne pas arborer de bijoux. Mary, la jeuneservantequis’occupaitd’elle,entrepritaussitôtdesauverlasituation:

—Comme vous ne portez pas de bijoux,Miss, n’aimeriez-vous pas disposer des fleursdansvoscheveuxetpeut-êtreaussisurvotrerobe?

—C’estuneidéemerveilleuse,approuvaNerissa,etvousêtesgentilled’yavoirsongé.Jenepensepasquel’onmeregardebeaucoup,maisjenevoudraistoutdemêmepasfairehonteàmafamille.

— Soyez tranquille sur ce point, Miss, vous êtes si belle ! Il y a justement là un petitbouquetderosesblanches,jevaislefixerdansvoscheveux.

Marynese trompait pas, les roses rehaussèrentencore labeautééclatantede la jeunefille, et un autre petit bouquet trouva sa place sur le devant de sa robe, qui lui avait paru,lorsqu’elle l’avait mise, un peu trop décolletée. Pourtant, lorsqu’elle redescendit, elle vitDelphine parée d’un collier de diamants étincelants, avec des boucles d’oreilles et desbraceletsassortis.Elle faisaitun telcontrasteavecsasœurqu’ellesesentitpresqueunpeudéplacée. Sa simplicité ne pouvait qu’être remarquée et commentée, les autres femmesdevaientpenserqu’ellecherchaitàsedistinguerdecettemanière.

En entrant dans le salon, elle se dirigea tout droit vers son père, et elle comprit à

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l’expression de son visage qu’il appréciait beaucoup la soirée. Harry, qui se joignit à euxquelques instantsplus tard,avait l’air, lui aussi, de fort bonnehumeur.Toutdesuiteaprès ledîner,Nerissa l’avait vuengrandeconversationavecune ravissante jeune femmeétincelantede saphirs, et tous deux s’étaient ensuite éloignés en riant vers la salle de danse. Nerissadansaelleaussideux fois ;puis,choisissantunmomentoùnulnesemblait la remarquer,elles’éclipsadiscrètementpourregagnersachambre.

Nerissaendossal’habitd’amazonequesasœurluiavaitdonné,unensembletrèséléganten tissu bleu pastel, sous lequel elle avait mis un jupon blanc bordé de dentelle. Elle avaitsoigneusement coiffé ses beaux cheveux d’or,mais elle jugea superflu de porter le ravissantpetitchapeauprévupouralleraveccethabit.Ilétaittrèstôt,aucundesinvitésnepouvaitêtrelevé,etpersonnenelaverrait.Elleavaittoujourseul’habitudedemontertêtenue,elletrouvaitcelaplusagréable.Enoutre,ellechevaucheraitseuleavecHarry,etelleseditqu’ellen’avaitnulbesoindesoignerlesdétailspoursonfrère.

Elle ouvrit sans bruit la porte de sa chambre afin de ne réveiller personne, passa sur lapointe des pieds devant celle où dormait son père et gagna la chambre de Harry située àl’extrémitéducouloir.Elleentrasansfrapper,persuadéequesonfrèredevaitl’attendredepuisun moment. A son grand étonnement, elle constata qu’il était encore au lit et dormaitpaisiblement.Elles’apprêtaitàlesecouerpourleréveillerlorsqu’elleserenditcomptequ’ilétaitplongé dans un sommeil profond. Les vêtements qu’il portait la veille au soir avaient éténégligemmentjetéssurunechaise,voiremême,pourcertains,lancéssurlesol.

Nerissaconsidérason frèrependantunmoment.Elle comprenait cequi s’était passé : ilavait dû veiller fort tard et, sans doute, apprécier plus que de raison les excellents vins etalcools offerts généreusement tout au longde la soirée.Bien sûr, il n’avait certainement pasregagnésachambreenétant ivre, ilavaitbeaucouptropdecorrectionpourcela.Mais,étantdonné que l’on n’avait pas les moyens, à Queen’s Rest, de se procurer de l’alcool et que,lorsqu’ilsetrouvaitàOxford,iln’avaitquebienrarementl’occasiond’engoûter,laboissonavaitplusd’effetsurluiquesurlesautreshommesdesonâge,engénéralplushabituésàcegenred’excitant.

Elle s’approcha davantage du lit et le regarda plus attentivement, à la faible clarté del’aurore dont les rayons commençaient à filtrer par les interstices des rideaux. Il lui parutextrêmementjeuneetapparemmentsivulnérable.Elleseditqu’ilétaitimportantpourluid’êtreenpleine forme lorsqu’il iraitvoir leschevauxetdiscuteravec leurspropriétaires respectifs. Ildevrait également faire bonne impression sur le duc s’il voulait avoir la chance d’être denouveauinvitéauchâteau.

Elleseretiradoncsurlapointedespiedsetquittalachambresansbruitpourseretrouverseuledanslecouloir.

Harry lui avait indiqué, la veille au soir, comment on se rendait aux écuries, et elle nerencontra sur son chemin que des domestiques, lesquels la considérèrent avec un brin desurprise,nes’attendantpasàtrouveruneinvitéedeboutàcetteheurematinale.Leplusgrandcalme régnait dans les écuries. Elle finit néanmoins par trouver un jeune garçon à qui elleexpliquasondésiretquis’empressadeluiselleruncheval :untrèsbeaubainerveuxetpleindefougue,maisquiavaitmanifestementsubiunexcellentdressage.Ettandisqu’ellesemettaitenselle,ellesongeaquecemomentétaitl’undespluspassionnantsdesavie.

—Entenantvotredroiteàlasortiedesécuries,Miss,luiexpliqualegroomavecunaccentprononcé du terroir, vous arriverez sur une vaste étendue où vous pourrez galoper en toute

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sécurité.Elleeutunpeudemalàcomprendresonélocution,maiselle leremercianéanmoinsd’un

sourire.Ellesavaitdéjàque lespréparatifsdestinésà l’expositionhippiquese tenaientsursagauche.Ellepritdoncàdroite,commeonleluiavait indiqué.Ellen’avaitencorejamaismontéunaussibeaucheval,maisellesentaitd’instinctqu’ellen’éprouveraitaucunedifficultéaveclui.

Elletraversaleparc,prenantsoind’éviterlesterriersdelapinsquisedissimulaientparfoissous les arbres, et elle déboucha sur la vaste plaine signalée par le groom. Elle lâcha lesrênes, et l’animal bondit littéralement. Le vent fouettait son visage, s’engouffrait dans sachevelure,etellenepercevaitdans lesilencematinalque lemartèlementdessabotsdesoncheval qui frappaient le sol en cadence. Les yeux à demi aveuglés par la lumière du soleillevant, elle avait l’impression d’évoluer dans un de ces contes de fées qu’elle aimait à seraconterlorsque,seuleàlamaison,elles’occupaitdestâchesménagères.

Apercevantl’extrémitédelavasteplaine,elleretintsamonturequi,toutcommeelle-même,avaitbesoindesoufflerunpeu.

Lorsqu’elles’arrêta,elle tournavivement la têteavec lasoudainesensationqu’ellen’étaitplusseuleetqu’unautrecavalierlasuivait.Quelquessecondesplustard,ill’avaitrattrapée.

—Bonjour,MissStanley,dit leduc.Lorsquelegarçond’écuriem’aannoncéqu’unejeunedameétaitvenuechercheruncheval,j’aitoutdesuitepenséqu’ilnepouvaits’agirquedevous.

—Pourquoicettecertitude?— Parce que toutes les autres invitées sont encore en train de paresser dans leur lit,

répondit-ilavecunsourire.Nerissaobservait lemaîtredeslieux,aussiélégammentvêtuqued’ordinaireetmontésur

unsuperbeétalonnoir. Ilavaitôtésonchapeaupours’adresserà la jeune fille,etcelle-cisesentait vaguement gênée en songeant qu’elle n’en avait pas. Elle devait être passablementébouriffée.

—Jenepouvais imaginerque…quelqu’unseraitdeboutd’aussibonneheure,s’excusa-t-elle,etc’estpourquoimatenuedoitvousparaîtrequelquepeu…négligée.

—Vousêtesabsolumentravissante,rectifialeduc,etaussifraîchequeleprintemps.Elledécelapourtantdanssavoixunenoteunpeusèche,commes’ilsemoquaitd’elle.—J’espèrequevousnem’envoulezpasd’avoiroséemprunterundevoschevauxsans

vousendemanderlapermission.MaisHarrym’aaffirméqu’ilavaitobtenudevousl’autorisationdemonterlorsqu’illedésirait.Alorsj’aicru–peut-êtreàtort–quejepouvaisenfaireautant.

—Vousavezfortbienagi,etjenesauraisvousenvouloirlemoinsdumonde.Monécurieestàvotredisposition,commeàcelledevotrefrère.Maisoùdoncest-il?N’a-t-ilpassouhaitévousaccompagnerdanscettepromenadematinale?

—Ildormaitprofondémentquandjesuispartie,etjen’aipasoséleréveiller.Leducsouritd’unairentendu.—C’est la rançon à payer pour les soirées qui se prolongent, les jolies femmes et les

aléasdescartes.Stupéfaite,Nerissaledévisagea.—Vousn’essayezpasdemedireque…Harrys’estassisàlatabledejeuhiersoir?Ilyavaitdanslavoixdelajeunefilleunmélangedesurpriseetd’effroi.—J’ail’impressiondevousavoirchoquée,ditleduc,lessourcilsfroncés.—Pasdutout,maislejeumefaitunpeupeur.Ellemarquaunlégertempsd’arrêtavantdecontinuer:

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— Je vous en prie, Votre Grâce, ne permettez pas à Harry de jouer aux cartes oud’engagerdequelconquesparis.Ilnepeutpasselepermettre.

—Êtes-vousdoncàcepoint…gênés?— Dites plutôt que nous sommes pauvres comme Job. Certes, Harry possède un peu

d’argentencemoment,maisilfautquecettesommedurelongtempsetnesoitpasdépenséeàlalégère.

Ellesongeaitaveceffroiàl’attitudedeHarry.Était-ilassezinconséquentpourallerrisquersonargentaujeuetseretrouverensuitedansl’impossibilitéd’acheter lechevalqu’ilconvoitaitet les vêtements dont il avait besoin ? Plongée dans ses pensées, elle ne se rendait pascomptequeleduclascrutaitattentivement.

— Je crois, dit-il au bout d’un moment, que chacun se fait une idée différente de lapauvreté.Si j’en jugepar le succulent repaset lesexcellents vinsquevousnousavez servischezvousl’autresoir,vousnemesemblezpassurlepointdemourirdefaim.

Son intonationétaitun riensarcastique,et la jeune filleenconclutqu’ildevait lacroireentraindeluijouerunesortedecomédie.Elleneputquerépondre,surladéfensive:

—Lesoiroùvousavezrenduvisiteàmonpère,c’étaittrèsexceptionnel,VotreGrâce.—Commentcela?Expliquez-vous.Nerissacomprittroptardsabévue,etellenesavaitcommentsesortirdecemauvaispas.

Maisleduc,mûparuneespèced’intuition,repritd’unevoixlente:—Peut-être–etjevouspriedemepardonnersijesuisdansl’erreur–lerepasquevous

aviezsimerveilleusementorganiséétait-ilfinancéparvotresœur?Lajeunefillesentit lerougeluimonterauxjoueset,commeelledétournait timidement les

yeux,ilcompritqu’ilavaitdevinéjuste.—Etvosdomestiquesétaient-ilsréellementmalades?Nerissa était de plus en plus affolée, littéralement effrayée par la situation dans laquelle

elles’étaitmise.— Je vous en prie, murmura-t-elle d’une voix tremblante, il ne faut plus…me poser de

questions… A présent que nos chevaux sont reposés, nous pourrions peut-être galoper unmoment,nepensez-vouspas?

—Biensûr,sivousledésirez.Maisjedoisavouerquevousavezsingulièrementpiquémacuriosité.Jen’avaispaslamoindreidéedevotreexistence–àvousetàvotrefrère–jusqu’aumomentoùvousvousêtesmatérialisésd’aussiétrangefaçonet,lorsquej’yréfléchis,enunlieuparfaitementinsolite.

Nerissasesentaitdeplusenplusgênée.— Je vous en prie, Votre Grâce, voulez-vous… oublier cette conversation et… me

promettrequevousn’enparlerezpasàDelphine?—C’estétrange,ondiraitquevousavezpeurdevotresœur.Jemetrompe?—Messentimentsnepeuventoffrirgrandintérêtàvosyeux,réponditlajeunefilled’unton

évasif.Et,sentantquetoutcequ’ellepourraitajouterneserviraitqu’àempirerencorelasituation,

elle talonna son cheval, qui s’élança au galop. Il ne fallut au duc que deux secondes pour larattraper,et ilschevauchèrentcôteàcôtependantunmoment,bienqueNerissas’efforçâtdeledistancer.Elleavaitd’ailleursparfaitementconsciencequec’étaitimpossible,maisellevoulaitledéfier, luiprouverqu’ellen’étaitpasunepetite fillesans importance,maisune femmeavecqui il fallaitcompter,aumoinsen tantquecavalière. Ilétaitévidemment tropbonpourqu’elle

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pûtsemesureràlui,et lorsqu’ilarrêtaenfinsamonture, ilavaitunebonnelongueurd’avance.Mais pourNerissa cette course fut passionnante.Ses yeux étincelaient, et sa chevelure d’orsemblaitêtreuneémanationdusoleil.

— Je n’avais jamais monté un cheval aussi extraordinaire, avoua-t-elle lorsqu’elle futparvenueàreprendresonsouffle.Etjeveuxvousremercier.Voilàunepromenadequiresteraàjamaisgravéeaufonddemoncœur.

— J’espère que vous en ferez beaucoup d’autres, tout aussi passionnantes et qui vouslaisserontdessouvenirsplusimpérissablesencore.

— Je n’en crois rien, répondit la jeune fille en poussant un soupir. Je souhaiteraischevaucherjusqu’auboutdumonde…sansjamaism’arrêter.

Leduclaissaéchapperunpetitrire.—Encequimeconcerne,leplaisirdemonterleplusmerveilleuxchevals’évanouiraitvite

sijen’avaisriend’autredansmavie.— Vous dites cela parce que vous avez tout, protesta Nerissa. Mais pour les gens du

commun,uneseuleexpérienceextraordinairesuffità les rendreheureuxet,quoiquevousenpensiez,àremplirleurvie.

—Jesupposequevousvoulezparlerdel’amour.Cariln’yaquel’amour,m’a-t-ontoujoursaffirmé,quisoitcapabledetransformeruneexistencemorneetennuyeuseenunevieheureuseetépanouie.

—C’estvrai,admit la jeunefille.Mamannes’est jamaisplainteden’avoirpasdecheval,d’êtredansl’impossibilitéderecevoiroudeserendreàLondres,den’avoirpaslesmoyensdesepayerdesrobesélégantes.Maiselleétaitheureuseauprèsdepapa,etcelasuffisaitàsonbonheur.

—C’estsansdoutecequevoussouhaiteriezvous-même,ditleduc,commes’ilcherchaitàce qu’elle se confie davantage.Avoir unmari qui remplirait d’amour toute votre vie, de sortequeriend’autren’auraitd’importanceàvosyeux.

Il y eut unmoment de silence tandis qu’ils traversaient le petit bois, etNerissa semit àréfléchirauxproposdesoncompagnon.Ilavaitparlécalmement,avecuneapparentesincérité,et elle voulait lui répondrede lamêmemanière, exactement comme il lui arrivait dedébattrecertainssujetsavecsonpèrelorsque,parmiracle,illuiaccordaituneattentionsuffisante.

—Jesuppose, reprit-elle surun tonnaturel, qu’ilmeplairait d’êtremariéeetd’avoirunemaisonbienàmoi.Mais,évidemment,c’est lapersonneavecquion lapartagequicompte leplus.Alors,commevousvenezdeledire,riend’autren’ad’importance.

Toutendiscutant,ellesongeaitàDelphine,quiavaitépouséLordBramwellseulementpoursarichesseetquiavaitadmisl’autrejourqu’elles’étaitennuyéeauprèsdelui.

—Avez-vousenvueunepersonneparticulièreaveclaquellevousaimeriezpartageruntelparadis?

Leducavaitreprissonpetitaircynique.— Je pense que j’aimerais passerma vie auprès d’un vrai gentleman, plutôt que deme

trouverliéeàunhommetrop…ordinaire.—Nousneparlonspasd’unhommeordinaire,mais dequelqu’undebienparticulier que

vousaimezetqui,naturellement,vousaimeaussi.Nerissaavaitl’impressionqu’illataquinaitdenouveau.— Je me rends compte que je suis très… ignorante de toutes ces choses. Et aussi

passablement sotte d’aborder de tels sujets devant vous. Parlez-moi plutôt de vos chevaux,

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voulez-vous?— Voilà que vous vous dérobez pour échapper à une discussion que je commençais à

trouverparticulièrementpassionnanteetpleinedemystère.— Vous appelez cela une discussion ? répliqua Nerissa sans réfléchir. Vous avez une

grandeexpériencedusujet,alorsquejen’enaiaucune.—Vousn’avezjamaisétéamoureuse?— Nous vivons très retirés à Queen’s Rest. Les seuls hommes qui nous rendent visite

viennentpourvoirmonpère.Cesontengénéraldessavantsd’uncertainâge,etleurattentionseconcentredavantagesurlesvieillespierresquesurlesjeunesfemmes.

Leducneputs’empêcherderire.— C’est bien triste, je l’admets, Miss Stanley. Mais peut-être trouverez-vous une

compensationencompagniedecertainshommesdontvousferezlaconnaissanceaujourd’hui.—Noussommesicipouradmirervotrechâteauetvoschevaux,déclaravivementNerissa,

réflexionquifitdenouveauriresoncompagnon.Ils prirent le chemin du retour et traversèrent le petit bois, que la jeune fille romantique

imaginait peuplé de gnomes, de fées et de dragons, tout comme lorsqu’elle était enfant. Aumilieu du bois s’étendait une mare ombragée de saules pleureurs, où les iris poussaient enabondance.

—Quand j’étaispetit garçon, j’étaispersuadéquecetendroit était enchanté,expliqua leducd’unairrêveur.

LesyeuxdeNerissas’agrandirentdesurprise,tantcetaveuluiparaissaitencontradictionavecsapersonnalité.

—Lorsque jemetrouvemoi-mêmeaumilieudesarbres,dit-elle, j’aisouvent l’impressionqu’ils font partied’unmondequenousnepouvonsatteindrequ’en sortant dunôtre.Hélas, jen’aiguèreletempsdem’abandonneràdetelleschimères.Papaesttrèsseuldepuislamortdemaman,etjepassechaquejourdesheuresauprèsdelui.Ilaimem’entretenirdesestravaux,melireparfoiscertainspassagesdesonmanuscrit,et ilarrivemêmequejepuissel’aider.Jedoisaussi,biensûr,m’occuperduménage.

Leductressaillitetpinçalégèrementleslèvres.—J’avoue,dit-ilauboutd’un instant,que lorsdemavisitechezvous,deuxchosesm’ont

un peu surpris : tout d’abord, ces serviteurs qui tombent brusquementmalades, et puis cesamischezquivousséjourniezetquevousavezdûquitterparcequ’ilsavaientlarougeole.

Nerissalaissaéchapperunpetitcri.—Jevousaidemandéd’oubliertoutcela.Vousêtesentrainde…fouiller,de…fureter,et

c’estlàunechosequevousn’avezpasledroitdefaire!—Pourquoidonc,jevousprie?—ParcequeDelphineseraittrès…Elles’interrompitbrusquement. Il l’avait rendue tellementnerveusequ’elleavaitétésur le

point de lui avouer toute la vérité.Oui, sa sœur serait furieuse si elle savait que samiseenscènesibienélaboréenel’avaitpastrompéunseulinstant.

—Jevousensupplie,promettez-moidenepasluirapportercetteconversation.— Je croyais vous avoir déjà fait cette promesse, répondit doucement le duc. Ayez

confianceenmoi:jem’arrangeraipourquevousn’ayezaucunennui,nivousnivotrefrère.Lajeunefilledétournalesyeuxavantderépondre:—J’aimeraistantquepapaetHarryprofitentaumaximumdeleurséjouricietqu’ilsn’aient

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pasl’occasionderegretterd’êtrevenus.—Jevousjurequejeneferairienquipuissevousnuire.—Jevoussuistellementreconnaissantedenousavoirinvités,monpère,monfrèreetmoi.Un autre silence, plus long que les précédents, s’installa. Puis le duc finit par déclarer,

visiblementàcontrecœur:—Jepensequenousdevrionsrentrer,àprésent.Vousdevezavoirfaim.Lajeunefillesourit,soulagée.—J’admetsquejeprendraisavecplaisirunbonpetitdéjeuner.Quittant lebois, ils traversèrent leparcendirectionduchâteau.Unefoisencore,Nerissa

se dit qu’elle n’avait jamais rien vu d’aussi beau, d’aussi merveilleusement romantique. Envérité, leducenétait bien lepropriétaire idéal, commesi cetteéblouissantedemeuresortaitd’un conte de fées de son enfance et dont il était le prince charmant. Au même instant, le«prince»rompitlesilence.

—Vousavezunairsongeur,quivousvad’ailleurstrèsbien.Est-ceàmamaisonquevouspensez?

—Avotremaison,eneffet.Etàvous.—Etquelleimpressionenretirez-vous?—L’impressionqueriendetoutcelan’appartientàlaréalitéetquejemepromènedansun

rêvefabuleux.—J’acceptecelacommeundesplusbeauxcomplimentsquim’aientjamaisétéadressés.

Maisvoussavezquelesrêvesseréalisentparfois.Nerissalevadenouveaulesyeuxvers lavastedemeureéclairéepar lespremiersrayons

dusoleil.—Jepensequeceluiquiaconçucettemerveilleadûluidonnernonseulementsonesprit,

mais aussi son cœur et son âme. C’est la seule hypothèse qui puisse expliquer cetteextraordinaireperfection.

Elleparlaitpluspourelle-mêmequepourleduc,etlorsqu’elleserenditcomptequ’illafixaitavecattention,elleeutl’impressionqu’elleenavaitpeut-êtretropdit.

—Pardonnez-moi,mais…vousm’avezdemandécequejeressentais.—C’estbien,eneffet,cequejedésiraissavoir.Ilspoursuivirentleurcheminensilencejusqu’àlaported’entrée.LeconcourshippiqueétaitexactementcequeHarryavaitimaginé,etilypassabeaucoup

de temps en compagnie de Nerissa qui appréciait elle aussi beaucoup cette ambiance.Delphinel’avaitdélibérémentignoréeduranttoutl’après-midi;aussifut-elleplutôtsurprisedelavoirenfinsedirigerverselle.

— Nerissa, je veux te présenter un de nos invités qui meurt d’envie de faire taconnaissance.

Prèsd’ellesetenaitunhommedehautetailleàl’aspectvaguementmilitaireetquiarboraitunemoustache conquérante.Nerissa l’avait déjà remarqué la veille au soir à la réception, etellenel’avaitpastrouvéparticulièrementsympathique.Ilétaitassisenboutdetable,riaittrèsfortetfaisaitdefréquentesremarquessurlesautresconvives,qu’ildésignaitd’unsignedetêteenparlantàmi-voixderrièresamain.Lajeunefilleluiavaittrouvédefortmauvaisesmanières.

—JeteprésentedoncSirMontagueHepban…MoncherMontague,voicimajeunesœurNerissaquevousrêviezdeconnaître.

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—J’enavaiseneffet grandeenvie, approuva l’hommeavecunpetit signede tête,maissanss’incliner.J’avaisespérépouvoirvousinviteràdanserhiersoir,mademoiselle,maisvousavezbrusquementdisparu,etjevousaicherchéeenvain.

Delphinelaissafuserunpetitrirechargéd’ironie.— Cela vous ressemble fort peu, Montague. J’avais dans l’idée que vous parveniez

toujoursàvosfins.—J’yparviens,chèreamie,maisilfauttoutdemêmemelaisserunpeudetemps.Delphines’éloigna,etNerissademeuraseuleencompagniedeSirMontague.—N’enavez-vouspasassezde tousceschevaux?demanda-t-il sanspréambule.Si tel

estlecas,jesuggèrequenousallionsnousasseoirdansunendroittranquilleoùnouspourronsconverseramicalement,etoùjevousdiraiàquelpoint jesuiscaptivéparvotreadorablepetitvisage.

Nerissaseditquesesparolessonnaientfaux.Ilparaissaithypocrite,«visqueux»auraitditHarry.Décidément,cethommeneluiplaisaitpas.Hélas,ils’arrangeapournepaslalâcherdetoutlerestedel’après-midi.Illuiétaitdifficiledes’endébarrasser,carelleconnaissaitfortpeudegens,etbienqu’iladressâtquelquesmotsàceuxqu’ilscroisaient,ilnes’arrêtaitpas.Enfin,prenantsajeunecompagneparlebras,ilstraversèrentlafouleetquittèrentlelieuduconcourspoursedirigerverslechâteau.

—Jenedésirepasrentrertoutdesuite,protestatimidementNerissa.Jesuissûrequ’ilyaencorebeaucoupdechosesquejen’aipasvues.

— Nous en avons vu suffisamment, déclara Sir Montague d’un ton ferme qui frisaitl’insolence.D’ailleurs,toutestterminé.Commevouspouvezleconstater,leducestentrainderemettrelesprixauxpropriétaires.Cettemascaradedesolennitésestd’unennuimortel.

Sansdoute la remarquesevoulait-ellespirituelle,maisNerissa la jugeadéplacéeetà lalimitedelagrossièreté.Ellecheminaitensilence,sedisantqu’ellepouvaitdifficilementinsisterpourfairedemi-tour.D’ailleurs,elleavaitchaudetcommençaitàsesentirunpeulasse.

—Noustrouveronsdesboissonsfraîchesàl’intérieur,ditSirMontague;ensuite,sivousledésirez,nouspourronsallervisiterlaserreauxorchidées.

—J’aimeraissurtoutmonterdansmachambrepourmechanger.Ilafaitchaud,cetaprès-midi, et la seule chose dont je rêve, c’est de prendre un bain rafraîchissant avant l’heure dudîner.

—Jevoudraisavoirleprivilègedevousyadmirer.Nerissatressaillit.Elleconsidérait lesparolesdecethommecommeinsultantes,mêmesi

dans son esprit il ne s’agissait que d’une plaisanterie, d’un goût d’ailleurs fort douteux.Mais,aprèstout,elleenétaitindirectementresponsable.

— Il faudraquevousmeparliezdevous, continua ledéplaisantpersonnage. Jen’auraisjamaiscruqu’ilmeseraitdonnédevoirunejeunefilled’unebeautéaussiéblouissante.VousmefaitespenseràCoré,quiapportaitleprintempsàtousceuxquil’admiraient.

Ilavaitmaintenantglissésonbrassousceluidelajeunefille,laquellecommençaitàtrouverces façons un peu trop familières. Elle dut néanmoins gravir le perron à ses côtés pouratteindrelehall.Elleauraitvoulugagnerimmédiatementsachambre,maisill’entraînajusqu’aufondducouloiret,ayantouvertuneporte,illapoussasanstropdeménagementdansunsalondésert.

—Jevousrépète,protestat-elle,quejedésiremonterdansmachambre.—Riennepresse,etjenetienspasàcequevousm’abandonnieztoutdesuite,alorsqu’il

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m’afallutantdetempspourvousretrouver.Venezvousasseoiretparlez-moidevous.—Iln’yarienàdire,déclaraNerissasuruntonmaintenantplus ferme.Connaissez-vous

masœurdepuislongtemps?— Delphine Bramwell scintille comme une étoile dans la société londonienne, et nous

sommestousenadmirationdevantelle.—Oui,elleesttrèsbelle,c’estvrai.—Vousl’êtesaussi.SirMontague l’entraînaversuncanapé.Etcomme il luiétait impossiblede résistersans

avoiràsedébattre–cequiauraitmanquéd’élégance–,ellelesuivit.Ilpritplaceàsescôtés–beaucouptropprèsd’ailleursàsongoût–etallongeasonbraslelongdudossier,desortequ’ilseserraitcontrelajeunefille.Seredressant,elletentadefairediversionendemandant:

—Croyez-vousqu’ilmeseraitpossibled’avoirunetassedethé?J’aisoif.— Moi aussi, je m’en rends compte soudain. Mais le thé exige une assez longue

préparation. Je présume qu’il doit y avoir dans ce salon diverses boissons. Notre hôte faittoujoursleschosesàmerveille.

Il se levaet s’éloignaversuncoinde lapièceoùse trouvait effectivementune table surlaquelleétaientdisposésplusieurscarafonsetdesverres,ainsiqu’unebouteilledechampagnedans un seau à glace. Ayant débouché la bouteille et rempli généreusement deux coupes, ilretourna vers le canapéoùNerissa était toujours assise.Pendant ce temps, la jeune fille sedemandaitparquelmoyenelleallaitpouvoirluiéchappersansprovoquerdescandale.

—Avosjolisyeux!lança-t-il.Ensouhaitantqu’ilsseplongentbientôtdanslesmiensavecl’expressionquej’aimeraisyvoir.

Nerissadétournasonregard,tandisqu’ilpoursuivait:—Etc’estlàuntoastsincère,parcequedèslemomentoùjevousaivue,j’aisuquevous

représentiezcequej’aivainementcherchétoutemavie.—Jesuiscertainequevousmentez.D’ailleurs,vousnem’avezpasaccordéunegrande

attentionhiersoir,bienquevousprétendiezavoirrêvédem’inviteràdanser.Elle se rappelait très exactement le comportement de Sir Montague durant le dîner, sa

volonté de briller devant sa voisine de table, une splendide rousse dont les cheveuxflamboyants s’ornaient d’un diadème d’émeraudes. Un peu plus tard, lorsque les hommesavaientrejoint lesfemmes, ilétait retournévers labellerousseàqui,selon lesapparences, ilavait beaucoup de choses à raconter.Mais alors, songeaNerissa, pourquoi se comportait-ilainsiavecelleencemoment?

Etsoudain,laréponseluiapparutavecuneétonnanteclarté.C’étaitévidemmentDelphinequiavaitdemandéàcethommedelateniréloignéeduduc!Delphinequiavaitpeut-êtreapprisd’unemanière ou d’une autre que sa jeune sœur s’était trouvée en compagnie dumaître demaison en début de matinée. C’était peut-être une explication trop compliquée, se dit-elleensuite;etpourtant,ellerestaitconvaincuequesonhypothèsecorrespondaitàlaréalité.Non,elle ne pouvait se tromper, et elle se sentit soudain prise de frayeur. Elle posa vivement sacoupedechampagnedontellen’avaitbuqu’unegorgée,puisse levaavantqueSirMontaguen’aitpularetenir.

— Vous avez été très gentil, mais il faut maintenant que j’aille voir si mon père est deretourauchâteau.Iln’apasdûrestertrèslongtempsauconcours,carilsefatiguevite,etilyaplusieurschosesdontjedésirel’entretenir.

—Moi,c’estàvousquej’aibeaucoupàdire.Jem’arrangeraipourquenoussoyonsassis

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cesoir l’unprèsde l’autreà la tabledudîner, et ensuitenous ironsdanser.Oubien, si celavous convient mieux, je vous ferai découvrir certaines parties du château que vous ignorezencore,j’ensuissûr.

—Je vous remercie, c’est très aimable de votre part, réponditNerissa, de plus en plusgênée.

L’homme s’était levé à son tour, et lorsqu’elle parvint à la porte du salon, il se trouvaitdevantelle,luibloquantlepassage.

—Avantquevousnepartiez,jeveuxencorevousrépétercombienjevoustrouvebelleetcombienvoslèvressontattirantes.

La jeune fille tressaillit et tenta de faire quelques pas en arrière. Mais il avait prévu saréaction,etdéjàill’entouraitdesesbras.

— J’ai l’impression que vous n’avez jamais été embrassée, reprit-il, et je veux être lepremier.

—Non!Iln’enestpasquestion!Elleessayadesedégager,de le repousserdesesdeuxmains,mais il était robuste,et

ellecommençaitàpaniquer.Commentdiableallait-ellepouvoirluiéchapper?—Jevousenprie…balbutia-t-elle.Jevousenprie,laissez-moi.—Non, répliqua-t-il d’unevoixbasseet rauque. Je veux vousembrasser,Nerissa. Il y a

longtempsquejen’avaiséprouvéuneenvieaussiirrésistible.Il lamaintenait fermement, lapressaitcontre lui,s’efforçantdeparveniràses fins, tandis

qu’elle se dérobait en agitant la tête de tous les côtés. Elle sentait avec horreur qu’elle nepourrait résisterbien longtempsencoreetque,dansquelquessecondes, il allait écraser seslèvressurlessiennes,luiinfligerunbaiserbrutalqu’ellenevoulaitpourrienaumonde.

—Lâchez-moi!cria-t-elle.Maisillaplaquaitdeplusenplusfortcontrelui,etellesentaitfaiblirsarésistance.—Tuesàmoi,grogna-t-il,etjeteveux…Nerissacriadenouveau,detoutessesforcescettefois.Etsoudain,unevoixpuissanteretentitdanstoutelapièce.Leducsetenaitsurleseuil.—Quesepasse-t-ilici?demanda-t-ild’untonglacial.Etquiacrié?L’étreintedeSirMontagueserelâchainstantanément,etNerissasedégageaavecvivacité

etseprécipitaversleduc.Illuiparaissaitencoreplusimposantqued’habitude,danssonhabitde cavalier, tandis que son regard sévère toisait SirMontague. Instinctivement, la jeune filleavaitavancé lesdeuxmainspour s’agripperà lui, commepourseplacer soussaprotection.Tremblant de tous sesmembres, elle levait vers lui des yeux éplorés.Pendant un instant, lesilenceleplusabsolurégnadanslapièce.Puiss’élevadenouveaulavoixduduc.

—Jemedemandaispourquoivousnousaviezquittéssivite,Hepban.—Voussavez,Lynchester,réponditl’hommed’unevoixqu’ils’efforçaitderaffermir,jesuis

restéun longmomentauconcours,mais finalement j’enaieuassez.Tropc’est trop, commel’onditparfois.

—C’estvisiblementl’opiniondeMissStanleyencemoment,répliqualeduc,toujoursaussiglacial.

Nerissa, reprenantpeuàpeusesesprits, jugeaqu’ilvalaitmieuxseretirer.Elle lâcha lesreversde lavesteduducsur lesquelssesmainssecrispaientencorenerveusement, fitdeuxpasdecôté,franchitlaporteetdisparutdanslecouloir.

Unautresilences’installa,seulementtroublépar lespasdela jeunefillequis’éloignaiten

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directionduhall.—Elleesttropjeunepourquevousvousamusiezavecelle,Montague,continualeduc.Et

jevoussommedelalaissertranquille.—Mafoi,sivousleprenezainsi…—Jeleprendscommeilmeplaît.—Jen’insistedoncpas.Jetiensnéanmoinsàvouspréciserquel’idéevenaitdeDelphine

Bramwell, c’est-à-dire de la propre sœur de votre petite protégée. LadyBramwell trouve eneffetquevosregardss’éloignentunpeutropd’ellepourallerseposer…ailleurs.

Sans attendre la réponse du duc, Sir Montague salua rapidement et quitta le salon enarborantl’airsupérieurqu’ilprenaitlorsqu’ilsesentaitparticulièrementembarrassé.

Avec lenteur, le duc s’approcha de la fenêtre qui donnait sur le parc et resta un longmomentàréfléchir,lesyeuxperdusdanslevague.

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5LorsqueNerissadescendit,unpeuavantledîner,pourrejoindrelesautresinvités,ellese

sentaitmalàl’aise.Elleauraitsouhaitédemeurerdanssachambre,afindenepasseretrouverenprésenceduduc;car,elleenétaitconvaincue,ildevaitlaprendrepourunesotte.ElleavaitsuiviSirMontaguedansunepiècevideoùelleauraitpusubirlapiredeshumiliationssanssonarrivéeprovidentielle.

Ellesavaitqu’ellenepourraitjamaisexpliquercombienelleavaitcherchéavanttoutàéviterunscandale.Etpourtant, lascènequiavaitsuiviavaitétépluspénibleetdéshonorantequ’ellenel’auraitimaginé.

ElleavaitchoisipourledîneruneautredesjoliesrobesdeDelphine,unvêtementvaporeuxen tulle bleu pâle, et Mary lui avait procuré de petites orchidées blanches aux pétalesmouchetésderosepourmettredanssescheveux.Desfleurssibellesqu’ilétaitdommage,sedisait-elle, de les cueillir. Il aurait été préférable de les laisser dans la serre qu’ellesembellissaient merveilleusement. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de songer que cesmagnifiquesfleurscontribueraientàlarendreunpeumoinsterneaumilieudesautresinvitéesparées de leurs plus beaux atours et ornées de tous leurs bijoux. Elles étaient rassembléesautourdes lourdscandélabres.La lumièredesbougies faisait scintiller leur joyauxetéclairaitleurs beaux visages aux yeux brillants d’excitation. EtNerissa songea qu’il ne pouvait existernullepartailleursungroupedepersonnesaussiattrayant,car leshommes,euxaussi,étaientd’uneextrêmeélégance.

Elle se dirigea tout droit vers son père, qu’elle venait d’apercevoir ; mais lorsqu’elle lerejoignit,elleconstataqu’ilsetrouvaitengrandeconversationavecleducenpersonne.

— Je crois savoir, disait-il avec passion, que cette demeure était l’une de celles où setenaientlesréceptionsetlesfêteslesplussomptueusesautempsdelareineElisabeth.

—Jen’avaisjamaisentenduparlerdecelajusqu’ici,réponditlemaîtredeslieux.— Il y avait enparticulier un festival qui avait lieu les premiers joursdumois demai, un

festival très fameuxquiétaitsansdoute lecloude lasaison.PrenonsgardeaussidenepasoublierlafêtedesFruits,quenousappelonsàprésentlafêtedelaMoisson.Ilyavaitd’autrepart,dit-on,lafêtedesFleurs.Maissurcedernierpoint,jenepeuxrienaffirmer.

Leducs’apprêtaitàajouterquelquechoselorsqueDelphine,quivenaitderejoindrelepetitgroupe,s’écriad’unairenjoué:

—Quellemerveilleuse idée ! Pourquoi ne pas en organiser une demain soir ? Chacuned’entrenouspourrait apparaître paréedes fleurs qui selonellese rapprochent le plus de sapersonnalité.

—C’estcertainementuneidéeoriginale,admitleduc.Plusieurs autres jeunes femmes, qui avaient entendu la conversation, donnèrent aussitôt

leuravis.—Maisbiensûr!Ceseraitunspectaclemagnifique.Etoùpourrions-noustrouverunaussi

grandchoixdefleursquedanslesjardinsetlesserresdeVotreGrâce?—Ellessontàvotredisposition.Hormis,cependant,certainesorchidées.Ses yeux s’étaient posés sur la petite orchidée qui ornait les cheveux de Nerissa, et la

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jeune fillesesentit rougirensedisantqu’ellen’avaitévidemmentpas ledroitdeportercettefleur.

Aussitôt,Delphineprotesta:—Oh,Talbot,s’écria-t-elle,vousm’aviezpromisquemoiseuleauraisledroitdeportervos

plusbellesorchidéesdèsqu’ellesseraienten fleur.Or je lesai regardéeshier,etellesm’ontparusurlepointdes’ouvrir.

— Les fleurs auxquelles vous faites allusion sont si rares que nombre d’experts sedéplacent tout spécialement pour venir les admirer.C’est en effet la première fois que cetteespèceestcultivéeenAngleterre.

—Dans ce cas, c’est peut-être unemauvaise idéequed’organiser une fête desFleurs,déclaraDelphined’unairmaussade.

Lesautresinvitéss’indignèrentdecespropos.—Commentpouvez-vousêtreassezcruelle,machère,pourvouloirnouspriverdecette

merveilleuseoccasiondenousmettreengrandetoilette?Quelleprodigieuseidéedeseparerainsietdeparaîtredifférentesdecequenoussommeshabituellement!

—Enoutre,intervintunesecondeinvitée,jesuissûrequenotrehôte,avecsacoutumièregénérosité,offriraunprixàcellequel’onjugeralaplusbelle.

Cedisant,elledécochaàDelphineuncoupd’œilmauvais.—Jesuisparfaitementdisposéàaccorderunprix,concédaleduc,maislagagnantesera

désignéeparunscrutinsecretauquelprendrontparttouslesgentlemenprésents.Descrisd’approbations’élevèrentparmilagentmasculine,etl’undesinvitéss’écria:—Jemeréjouisquenousapparaissionsquelquepartdansce jeu,car jecraignaisqu’on

nenouslaissedecôté!— Le vote sera sans appel, reprit le duc, et je suggère que nous remercions Marcus

Stanley,quinousadonnél’idéedecedivertissementoriginal.Delphineconservaitnéanmoinssonairboudeur.—J’avaisrêvédeportercesorchidées,Talbot,et jenepuiscroirequevousserezassez

cruelpourmepriverdecettejoie.Nerissa,quin’avaitrienditjusqu’alors,setournaverssonpère.—Vousavezeulàuneidéefortoriginale,papa,etellemerappelleunrêvequej’aifaitla

nuitdernière.—Quelrêve?demandaMarcusStanley.—Sur lemoment, il était très net,mais ensuite ilm’est sorti de l’esprit, car j’étais trop

excitéeàl’idéed’allergalopercematin.Serendantcomptequesonpèreattendaitlasuite,ellepoursuivit:—J’airêvéquej’étaisdansunechambreoùsetrouvaitunetrèsbellejeunefemmevêtue

de blanc. Elle versait des larmes amères tout en ôtant de son front une couronne de fleursqu’elleaplacéeensuitedansunbonheur-du-jour.Lachosemeparaissaitétrange.Ayantainsienfermélacouronnedanslemeuble,elleaportélesmainsàsonvisageet,toujourspleurant,elleadisparu.

Nerissa se tut et s’aperçut que toutes les personnes présentes avaient écoutéattentivement le récitdeson rêve.Ce futalorsques’éleva lavoixduduc,plussècheetplusdurequedecoutume.

—Quivousaracontécettehistoire?Surprise,lajeunefilleleconsidéraavecdegrandsyeux.

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—Personne,répondit-elle.Cen’estqu’unrêve.— Il sepeut quevousayez rêvé cettehistoire,maisquelqu’undoit vous l’avoir racontée

auparavant.—Non,absolumentpas!—Celameparaîtdifficileàcroire.Sansunmotdeplus, il tourna les talonsetsortitde lapièce,suividesyeuxpar tous les

assistantsmédusés,tandisqueNerissalevaitverssonpèreunregardconsterné.—Qu’ai-jedit?demanda-t-elle.Ai-jefaitquelquechosedemal?MarcusStanleyneréponditpas.Lesautres,sedésintéressantapparemmentde l’histoire

etde la réactionduduc,semirentàparler tousensemblede laperspectiveamusantedesedéguiser en fleurs. Seule Delphine paraissait troublée par la soudaine disparition du duc et,aprèsquelquessecondesd’hésitation,ellequittalesalonàsontour.

—Je…ne…comprendspas,bégayaNerissaàvoixbasse.LadyWentworth,unedameâgéequiétaitlatanteduduc,s’approchaalorsdelajeunefille

et,laprenantparlamain,l’entraînajusqu’àunsofaoùellelafitasseoirauprèsd’elle.—Jeconçois,MissStanley,quevousayezétédésorientéeparlaconduitedemonneveu.—Mais…pourquoiétait-cemalderaconterlerêvequej’aifait?demandaNerissad’unair

chagrin.Jel’avaisd’ailleursàpeuprèsoublié,etilnem’estrevenuàl’espritqu’aumomentoùmonpèreamentionnélafêtedesFleurs.

—C’estcompréhensible.Maismonneveuest très impressionné lorsqu’onévoque,mêmeindirectement,lefantômefamilial.

—Le…fantôme?— La plupart des anciennes demeures en ont un, expliqua la tante avec un sourire.

Malheureusement,lenôtreserattacheàuneétrangemalédiction.Muettedestupéfaction,lajeunefillenequittaitpasdesyeuxlevisagedelavieilledame.—Durant le règnedeCharles II,poursuivitcelle-ci, leducde l’époqueétaitungai luron,

comme le roi lui-même. Il s’éprit cependant d’une très belle et pure jeune fille, et ils semarièrentchezelle,nonloind’ici,puisvinrentàLyndansl’intentiond’ypasserleurlunedemiel.La légendeveut–mais jenepuism’empêcherdepenserqu’elleaétéembellieaucoursdessiècles–qu’à leurarrivée ici,unedesanciennesmaîtressesduduc,une femme fortbelleetextrêmement jalouse, les attendait. Elle entra dans une violente colère, reprochant au ducd’avoirépouséuneautre femmequ’elleetdéclarantà la jeunemariéequ’ellemettrait toutenœuvrepourdétruiresonbonheur.

Nerissaretenaitsonsouffle,tantdeméchancetéétaitpourelleinconcevable,maiselleneditrien.LadyWentworthcontinua:

—Lanouvelleépouséemontaàl’étage,laissantsonmarientêteàtêteavecsonancienneamie.Puis,sentantquesonbonheurs’étaitdéjàenfui,elleôtasacouronne, lacachaquelquepartetsejetaparunedesfenêtresquidonnentsurlacour.

Nerissalaissaéchapperunpetitcrid’horreur.—Commenta-t-ellepufaireunepareillechose?murmura-t-elled’unevoixtremblante.—Sielleavait lecœurbrisé,celuiduduc l’étaitaussi,poursuivit lavieilledame.Et,bien

qu’ilseremariâtparlasuite,ilnefutjamaisheureux.Aprèscettetragédie,lafamilleatoujoursétépersuadéequetantquel’onn’aurapasretrouvélacouronnedisparue, leducquivitàLynneconnaîtrajamaislebonheur.

—Ilestimpossiblequecesoitvrai!protestalajeunefille.

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—Hélas,ilsemblequecelesoit.Nousnousefforçonstousdecroirequ’ilnes’agitquedecoïncidences,maisdepuiscetteépoquelointaine,desévénementssesonttoujoursproduitsquiontdétruitlebonheurdesducsetduchessesdeLynchester.

Elle s’interrompit et garda le silence pendant un moment, comme si elle se replongeaitdanslepassé.

— Par exemple, mon père – c’est-à-dire le grand-père de Talbot – a connu un relatifbonheurjusqu’aujouroù,sansquerienn’aitpulelaisserprévoir,safemmes’estenfuieavecunde ses meilleurs amis. Ainsi que vous pouvez l’imaginer, cette affaire déclencha un terriblescandalequel’ons’efforçaenvaind’étouffer,etlacoupablemourutàl’étranger.

Les mains crispées sur ses genoux, Nerissa écoutait dans le plus grand silencel’extraordinairerécitdeLadyWentworth.

—LepèreetlamèredeTalbotétaient–dumoinslepensait-on–parfaitementheureux,ils’agissaitpourtantd’unmariagedeconvenancearrangéparlesdeuxfamilles.Mais,auboutdequelquesannées,leducs’amourachad’unejeunefemmequivivaitsurledomaineetauprèsdequi il passait tout son temps, refusantdésormais tout contactavecsonépouseet sa famille.Vous pouvez penser à quel point sa conduite scandalisa non seulement ses parents etconnaissances,maisaussitoutlevoisinage.

— N’a-t-on jamais essayé de retrouver cette couronne que j’ai vue en rêve ? demandatimidementNerissa.

—Bien sûr que si, répondit la vieille dame.Mais si vous avez un peu de bon sens,machère enfant, vous ne reparlerez plus de cette histoire. J’ai toujours craint que Talbot n’aitbeaucoupsouffertde laconduitedesonpère,etbienqu’il semble tropsensépouradmettrecettehistoiredefantôme,c’estunechosedontilvautmieuxnepasdiscuterdevantlui.

—Je lecomprends fortbien,et jesuisvraimentnavréed’avoirmentionnéce rêve,dit lajeunefille,l’airsincèrementdésolée.

—Vousnepouviezévidemmentpasprévoirlaréactiondemonneveu.Maintenant,sivouslevoulezbien,lorsqu’ilreparaîtra,nousnouscomporteronscommes’ilnes’étaitrienpassé.

—C’esteneffetlasolutionlaplussage,soupiralajeunefille.Elle était pourtant terriblement ennuyée et vexée d’avoir par inadvertance réveillé des

souvenirs pénibles. Cette histoire paraissait aussi inexplicable qu’extraordinaire. Elle savaittoutefois,àlasuitederechercheseffectuéespourlecomptedesonpère,quedenombreuseshistoires de fantômes circulaient de génération en génération et que – coïncidence ou non –certainess’étaientvérifiées.

Lorsque leduc reparut,peuavant l’annoncedudîner,nulne revint sur l’incidentquiavaitvisiblementtroublélemaîtredemaison,etonneparlaquedelafêtedesFleurs.

Leducétaitassis,àl’extrémitédelalonguetable,dansuneattitudetrèsdigneetnaturelle,maisNerissalui trouval’airsoucieux,etellesedemandasiquelqu’und’autre l’avaitremarqué.Delphine, placée près de lui, devait sans doute tenter de lui faire oublier l’incident qui avaitmarquélafindel’après-midi.Elleétaitd’ailleursparticulièrementenbeauté,sansaucundoute,enpleineforme,et lesconvivesplacésàproximitériaientàsespropos.Nerissaseditqu’elleétincelaitlittéralement.

Après le dîner, commeà l’ordinaire, les dames se retirèrent au salon et discutèrent desfleursqu’elleschoisiraientpourorner leursrobes.Nerissasecontentaitd’écouterd’uneoreilledistraite,mais il lui semblait tout demême que déjà certaines controverses commençaient ànaître à propos d’œillets, de lis, de roses et autres fleurs. Delphine était apparemment d’un

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calmeolympien ;maisNerissa, que l’attitude de sa sœur ne pouvait tromper, avait la quasi-certitudequ’elle projetait quelqueplan astucieux.Elle avait sûrement l’assurancedeporter letrouble parmi les autres femmes et de briser leurs espoirs et leurs ambitions en ce quiconcernaitleduc.

Aucunedespersonnesprésentesneluiprêtantlamoindreattention,lajeunefilles’esquivadiscrètement et s’engagea dans l’immense corridor dans l’intention de visiter les diversespièces du château qu’elle ne connaissait pas encore. Elle espérait même trouver dans l’uned’elleslepetitmeublequ’elleavaitvuenrêveetquicontenaitpeut-êtrecettecouronneperduedepuisdelonguesannées,maisqu’ellerevoyaitparlapenséeavecunehallucinanteprécision.Cebonheur-du-journ’étaitpastellementdifférentdesautresqu’elleavaitdéjàvusàLyn;maisellen’avaitpasencoreeulapossibilitédetoutvoir.

La visite de la « grande tour » – ainsi qu’elle l’avait baptisée – était prévue pour lelendemain,leducayantpromisdemontreràsonhôtedemarquelespartieslesplusanciennesduchâteau,enparticulierlespiècesdanslesquellesrienn’avaitétéchangédepuisdessiècles.Nerissasouhaitait,toutnaturellement,pouvoiraccompagnersonpèredanscettevisite.

Depuis son arrivée à Lyn, elle savait que, dès le crépuscule, des chandeliers éclairaienttouteslespièces.Ilétaitdoncaussiaisédecirculerlanuitquelejour.C’étaitMaryquiluiavaitappris ce détail dès le premier soir, tout en l’habillant, et Nerissa n’avait pu s’empêcher des’écrier:

—Celasembleplutôtextravagant.Et,entoutcas,fortcoûteux.— C’est vrai, Miss. Mais le duc est riche, et cela n’est pour lui qu’une dépense bien

modeste.Une fois engagée dans le long couloir, la jeune fille jeta un coup d’œil dans la première

pièce,puisdans lasuivanteetdansd’autresencore.Elleaperçutdesbonheurs-du-jourassezdifférents, dont certains étaient visiblement d’origine française. Il y en avait en marqueterie,d’autres incrustés d’ivoire et dematières précieuses. Plusieurs d’entre eux étaient laqués ouvernis,maisaucunnecorrespondaitexactementàceluidesonrêve.

Elleseditquelemeubleenquestionavaitcertespu,aucoursdessiècles,êtretransportéd’unepièceàl’autre,maisquelamalheureusejeunemariée,aprèslascèneviolentequis’étaitdérouléeaurez-de-chaussée,étaitcertainementmontéedanssachambre,aupremierétage.Etc’étaitsansdoute làqu’il fallaitd’abordchercher.Nerissas’engageadoncrésolumentdansl’escalierquiconduisaitauxchambresd’apparatetà lagaleriedetableauxdontMaryluiavaitparlé.Toutcelaétait,sielleencroyaitlapetitefemmedechambre,d’uneindiciblebeauté.Enoutre, son père lui avait confié, au cours de la journée, combien il avait hâte d’admirer lestableauxdemaîtresquiétaientlapropriétéduduc.

Lagalerieétait impressionnante,avecsescandélabresdecristaletsesappliques fixéestoutaulongdesmursetdontlalumièreéclairaitleschefs-d’œuvreexposés.Fascinée,lajeunefille admira plusieurs Van Dyck, avant d’arriver devant une série de portraits de splendidesjeunes femmes du temps passé peintes par sir Peter Lely[2] Elle songea un instant qu’elleauraitpeut-êtrel’occasiondevoiricilevisagedelajeunemariéeapparuedanssonrêve.Puiselleseditque,n’étantduchessedeLynchesterquedepuispeu,onn’avaitsûrementpaseuletemps de faire exécuter son portrait. Elle s’immobilisa néanmoins devant un tableau, ets’efforçaderetrouverlestraitsdecellequ’elleavaitvue,enpleurs,ôtersacouronne.Maissoninstinctluisoufflaitqu’ilnes’agissaitpasdelamêmepersonne.

Elleavançavers lapeinturesuivante,etsoudainelleentenditunbruitdepasvenantdans

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sadirection.Elletournavivementlatêteetaperçutleducquisedressaitdevantelle.Éprouvantun peu les sentiments d’une enfant prise en faute, elle attendit, muette et désemparée, lesmains crispées. Son cœur s’affolait. Le maître des lieux, encore distant de quelques pas,approchalentement,sansprononceruneparole,lesyeuxfixéssurlevisageapeurédelajeunefille.

—Je…jevousdemandepardon,balbutiacelle-ciauboutd’uninstant.—Etdequoi,monDieu?D’êtreici?Maisvousenavezparfaitementledroit.— Non… ce n’est pas exactement ça. C’est parce que… je vous ai… euh… contrarié,

bouleversé.Toutàl’heure,àcausede…Maisc’étaitsansintention,jevouslejure.—Jelesais.Ilssedévisagèrentpendantquelquessecondessansparler,puisleducreprit:—Pouvez-vousmejurersurtoutcequevousavezdeplussacréaumondequepersonne

nevousavait raconté l’histoirede l’épousedemonaïeulet cequi s’était passé toutdesuiteaprèsleursnoces?

—Jevouslejure.Cen’étaitqu’unrêve,etj’étaisloindemedouterqu’ilpouvaitavoirunesignificationparticulière.

—Etmaintenant,vousêtesvenuedanscettegaleriepourtenterdedécouvrirleportraitdelajeunefemmequevousavezvueenrêve.

—Sansdouten’aurais-jepasdû,siceladoitdenouveauvousfairedelapeine.— Rassurez-vous, je n’éprouve pas la moindre peine. Je suis seulement intrigué, et

j’aimeraissavoirsivousavezretrouvélevisagequevousêtesvenuechercher.Nerissasecoualentementlatête.—Pas jusqu’à présent, répondit-elle. Et, à vrai dire, j’étais en train de penser qu’il était

improbablequesonportraiteûtétépeintavantqu’ellenedevîntduchesse.—Raisonnementparfaitementlogique.—Malgrécela, ilm’asembléqu’ilvalaitmieuxs’assurerqu’ilnese trouvaitpas ici,parmi

ceuxdetouteslesautresduchessesdeLynchester.Leducgardalesilencependantuneminutequiparutàlajeunefilleuneéternité,etlorsqu’il

ouvritdenouveaulabouche,elleeutl’impressionquesesparolesétaientprononcéespresqueàcontrecœur.

—Jesupposedoncquenousdevrionsnouslanceràladécouvertedubonheur-du-jourquiest apparu lui aussi dans votre rêve. Seulement, j’imagine que cette couronne a dû êtrerecherchéeplusieursfoisaucoursdessiècles,pardiversmembresdemafamille.Toujoursenvain…

Nerissadétournasonregardavantd’oserluirépondre.— Sans doute allez-vous penser que je suis très… impertinente et que je me mêle de

chosesquinemeregardentenaucunefaçon,maisjenepuism’empêcherdepenserqu’ildoityavoiruneraisonàuntelrêve.

— Croyez-vous vraiment qu’un pauvre petit fantôme surgi d’un passé lointain tentaitd’entrerencontactavecvous?

Cettephraseavaitétéprononcéesuruntonlégèrementsarcastique,etlajeunefillesentaitparfaitementqueleducnecroyaitpasàuneaussiextravagantepossibilité.

— Puis-je me permettre une question ? insista néanmoins la jeune fille. Les chroniquesracontent-ellesexactementcequis’estpassélorsqueleducadécouvertquesafemmevenaitdesetuer?

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—Ilexistesurcepointplusieursversions.Dansl’uned’elles, leducauraitéprouvéunesigrande douleur qu’il se serait enfui à jamais du château. Dans l’autre, sentant qu’il lui seraitimpossibledevivresanslafemmequ’ilaimait,ilseseraittuéàsontour.

Un lourdsilencesuivitcesparoles.Nerissa réfléchissaitàcette tragédie,ausensdesonrêve.Puis,d’unevoixlenteetconfuse,elledemandaenlevantlesyeuxverssoninterlocuteur:

—Nepensez-vouspasquelajeuneduchesseapeut-êtreregrettélamalédictionquesonactea jetéesur lafamille,acted’ailleurspurement injustifié,puisqueleducl’aimaitvraiment?Dans ce cas, ne tenterait-elle pas de réparer en demandant à quelqu’un de retrouver lacouronne?

La jeune fille avait parlé comme pour elle-même. C’est une histoire à dormir debout,songea-t-elle.

—Danscetteéventualité, intervint leduc, ellene s’est en tout caspasadresséeàmoi,mais à vous-même. Ilme paraît donc évident que la seule personne susceptible de lever laprétenduemalédiction,c’estvous,Nerissa.

Nerissaretintsonsouffle.—C’estlàunepenséeeffrayantesi…jesuisincapablederetrouvercettecouronne.Elle paraissait si profondément troublée que le duc reprit d’une voix plus douce et qu’il

voulaitrassurante:—Monavisestqu’ilvousfaut,enlamatière,raisonneravecbonsens,nepasvouslaisser

emporter par votre imagination et votre sensibilité. Au cours des nombreuses années qui sesont écoulées depuis ce drame, il est fort possible que la couronne soit purement etsimplement tombée en poussière si elle était constituée de fleurs naturelles. Elle a puégalement être volée ou même jetée par inadvertance. Et on pourrait imaginer des milliersd’autreshypothèsesaussiinvraisemblableslesunesquelesautres.

Nerissaneréponditpas.—Oubliez donc les fantômes et toutes ces choses qui n’existent, j’en suis certain, que

dansl’imaginationdeceuxetcellesquin’ontriend’autreàpenser.Allezrejoindrelesinvités,ilssontentraindejouerauxcharades.Celavousamusera.

—Avecvotrepermission,VotreGrâce,j’aimeraisplutôtvisiterleschambresd’apparatquisetrouvent,sijenemetrompe,àcemêmeétage.

—Danscecas,jevaisvousaccompagner.Aprèsavoir longé la galerie desportraits, ils ressortirent dans le couloir, et le ducouvrit

l’unedesgrandesportes.—Voicicequel’onappellelaChambreduRoi,parcequeCharlesIIyapasséunenuit.Et

jecrois,sanspouvoirl’affirmer,qu’elleestrestéeàpeuprèstellequ’elleétaitàcetteépoque.La chambre, de dimensions peu communes, possédait un plafond très haut et

artistiquementdécoré,un immense lit recouvertdesoieetdesmeublesdestylequeNerissan’était nullement surprise de trouver dans un château comme Lyn. Deux portraits étaientaccrochés sur l’un des murs, mais aucun d’eux évidemment ne représentait la jeune femmequ’ellecherchait.

Leduc,unlégersouriresurleslèvres,commes’il trouvaitdeplusenplussaugrenueslesidéesdesajeuneinvitée,poussanégligemmentuneportedecommunication.

—EtvoicilaChambredelaDuchesse,expliqua-t-il.TouteslesduchessesdeLynchesteryont dormi.Mais je dois préciser qu’elle a été considérablement transformée, parma grand-mère d’abord, puis parmamère, et je suis à peu près sûr qu’aucun desmeubles que vous

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voyezlàn’estd’origine.C’était pourtant la plus belle chambre à coucher queNerissa eût jamais vue. Le brocart

dont les murs étaient tendus s’harmonisait avec la couleur bleue du plafond sur lequel sedétachaitunesuperbedéesseAphrodite,avecdesamoursetdescolombes.D’autresamoursentouraient le lit à baldaquin et supportaient les appliques murales. Il venait tout de suite àl’idéequec’étaitunechambredestinéeàl’amour.Nerissasesentitlégèrementtroubléeàcettepenséeet,enlevantlesyeuxversleduc,elleconstataqu’illaregardaitavecattention.Ellesemitàrougirdanslapénombredelavastechambre.

—J’étaissûrquecettechambrevousplairait,ditsoncompagnond’unevoixchangée.Elleneserviraquelanuitoùj’yamèneraimajeunefemme.

CeseraDelphine,songeaNerissa.Maisbiensûr,ellesegardad’exprimercetteréflexion.Choseétrangeetqu’elleneparvenaitpasàcomprendre,elleéprouvaitenversleduclebesoinde leprotéger,commesiellecraignaitqueDelphinene le fîtsouffrir,commesiellevoulait lepréserverdumalheur.Maisilnesouhaitaitévidemmentpasendireplussursonfuturmariage.

Ilallaouvriruneportequidonnaitdansleboudoircontigu.Làaussi,toutsuggéraitl’amour,avecuntableaudeFragonardmontrantdansunjardindesamoureuxtendrementenlacéset,unpeuplus loin,desamourspeintesparBoucher.Nerissaseditquecettepièceavait lacouleurbleuclairdesyeuxdeDelphine,etquelestouchesderoseparseméesçàetlàfaisaientpenseraux rayons du soleil levant. Elle promena les yeux autour d’elle, sur les sièges de styleLouisXIV,puissurunecommodeauxgrossespoignéesd’or.

—Jesuisconvaincuquevousne trouverezpascequevouscherchez,dit lavoixduducprèsd’elle.

Son intonation laissait entrevoir sa satisfaction à lui prouver qu’elle avait tort et que leshistoiresd’apparitionsetdefantômesn’étaientquepureimagination.

— Il y a plusieurs chambres à voir, reprit-il, mais je vous suggère d’attendre jusqu’àdemain.J’espèreque,d’icilà,lefantômeauracessédevoustourmenter,Nerissa.

Une foisencore, il l’avait appeléepar sonprénom.Elle trouvait celaplutôtétrange,maiscelasemblaittotalementspontané.

—Ilnemetourmenterapas,répondit-elle.Maisj’ailesentimentquec’estmaintenantvousqu’ilinquiète,bienquevoustentiezdevousendéfendre.

—Qu’est-cequivousfaitcroirecela?demanda-t-ilvivement.—J’ai l’impressionquevousêtesplussensibleàcegenredechosesque laplupartdes

hommes.—Quivousaditquej’yétaissensible?Ilavaitlancécesmotsd’unairmaussade,etNerissaneputretenirunpetitcri.—MonDieu, je vousai fait de lapeine !Mais je vous jurequec’était involontaire.Vous

vousêtesmontrésibonenversmoi,etjenevousaimêmepasremerciédem’avoirdélivréedeSirMontague.

—Iln’avaitévidemmentaucundroitdeseconduirecommeill’afait;mais,d’unautrecôté,cen’étaitpas trèsmalindevotrepartdevous laisserentraînerpar luidansunsalonvideoùpersonnenevapratiquementjamais.

—Jem’enrendscompte,soupiralajeunefilled’unairmalheureux,maisc’estainsi.Voyez-vous,jenetenaispasàdéclencherunscandale,et…

—Promettez-moientoutcasquec’estunechosequinesereproduirapas.—Jevouslepromets…etj’avouem’êtreconduitecommeunesotte.

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Elleparaissaittellementconfusequ’ilneputs’empêcherdeluiadresserunsourirepleindesympathie.

—Etmaintenant,dit-il,àmoinsquevousnesouhaitiezdéclencherlescommérages,nousserionsbieninspirésderejoindrelesautres.

—Oui…jecomprends,biensûr.—Suivez-moi.A l’extrémitéde lapièce, leducouvrit uneporte,etNerissa constata qu’ils se trouvaient

maintenant dans un petit salon, sans doute autrefois une sorte de boudoir où les femmespouvaientvenirserefairediscrètementunebeauté.Lapiècen’étaitéclairéequeparuneseulebougieposéesur lacoiffeusederrière laquelleunmiroiren formedecœurétaitsurmontédedeuxamourstenantunecouronne.

Soudain, la jeune fille sursauta. Le seul meuble de cette pièce était précisément unbonheur-du-jourincrustédenacreetdecorail.Elles’arrêtanetsurleseuilaumomentdesortir.

—Quesepasse-t-il?demandaleduc,intriguéparsonattitude.— Je crois, répondit la jeune fille d’une toute petite voix, que c’est… lemeuble demon

rêve.Le duc allait sûrement lui répliquer qu’elle divaguait et que cela suffisait. Pourtant, il

refermadoucementlaporteetserapprocha.—Commentpouvez-vouslesavoir?—Jelesens…toutsimplement.— Ce meuble a dû être ouvert des milliers de fois, car il a toujours été dans les

appartementsdeladuchesse.—C’estpourtantcelui-làdanslequelaétécachéelacouronne.J’ensuiscertaine.Bien que sceptique, le duc se dit qu’il valait mieux se prêter aux fantaisies de sa jeune

compagne,et il allaallumerunesecondechandellede l’autrecôtédumiroir.Nerissa, deboutdevant le petitmeuble, se surprit à adresser unemuette prièreà cette duchessedes tempsancienspourqu’ellel’aidâtdanssesrecherches.

—Lesportesdoiventpouvoirs’ouvriraisément, reprit leducàmi-voix ; jesuispersuadéqu’ellesnesontpasferméesàclef.

Nerissa se souvint que, dans son rêve, aucune porte dumeuble n’avait été ouverte. Lajeune femmeavaitplacé l’objetplushaut,peut-êtredansun tiroir.Pourtant,ellenedistinguaitpas le moindre tiroir. Le dessus faisait une saillie en arrondi, et elle se dit qu’une partie dumeubleavaitpuêtremodifiéeàuneépoqueouàuneautre.

Le duc la regarda en silence passer les doigts sur le bois sombre de cette avancéearrondie,commesielles’attendaitàquelquemiracle.Soncompagnonn’éprouvaitpaslamêmeconfiancedanslerésultatdecetteétrangeexpérience.Maislajeunefillecontinuaitàimplorerl’âme de cette jeune mariée, morte d’une façon aussi tragique des siècles auparavant. Ellecaressait encoredesesdoigts fins leboispoli dumeuble,mais sansparvenir àdécouvrir lamoindrefissure.

Pourtant,alorsqu’elleatteignaitl’angledelapetitecorniche,ellesentitsousl’extrémitédeson index une bosse presque imperceptible qu’elle pressa doucement. S’apercevant que labosses’enfonçait,elleappuyaplusfort.Alors,ledessusdumeublesesoulevalentement,etunpetittiroirapparutdanslequelétaitdisposéelacouronnedesonrêve…

Pendantun instant, elle restamuettedestupéfaction,nepouvantencroire sesyeux.Leducse tenaitàprésent toutprèsd’elle,soulevant labougieau-dessusde leurs têtes,afinde

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leurpermettredemieuxvoir.—C’estbienunecouronne,murmura-t-il.Maisparquelmiracleavez-vouspudécouvrirce

mystèreaprèstantd’années?Nerissasesentaitincapablederépondre.Elleéprouvaitseulementl’impressiond’avoirété

transportée plusieurs siècles en arrière, dans un monde oublié par tous. Le duc posa lachandelle sur le dessus du meuble et, plongeant la main à l’intérieur du tiroir, en retira lacouronne.Ellen’étaitpasconstituée,commelajeunefillel’avaitd’abordcru,defleursd’orangerartificielles,maisdefleursfabriquéesavecdesperlesetdesdiamants.Depetitesdimensionsmaisdélicieusementouvragée,elleétaitsuperbe.

Tandisqu’ill’approchaitduchandelier,lesbijouxétincelèrent.Nerissaavaitl’impressionquecetantique joyau luiparlait, luiannonçaitque lamalédictionavaitpris fin,que lesducset lesduchessesdeLynchesterconnaîtraientdésormaislebonheur.

Leducfixapendantunmomentlacouronneavecdesyeuxincrédules,puissonregardallaseposersurNerissa.

—Comment est-il possible que vous ayez pu connaître ce que des générations et desgénérations ont vainement cherché à savoir ? Certains membres de notre famille ont cru àcette malédiction ; d’autres, au contraire, se sont efforcés de prouver – sans d’ailleurs yparvenir–quetoutcelan’étaitqu’unelégendesansfondement.

—Puisque la couronne se trouve là, entre vosmains, c’est qu’il ne s’agissait pas d’unelégendemaisd’unehistoirevraie,ditNerissad’unepetitevoixàpeineaudible.

—Vousavezraison.Dorénavant, lamalheureusejeuneépousepourrareposerenpaixetneviendraplusnoushanter.Commentpourrai-jejamaisassezvousremercierdecequevousavez fait pour moi et pour toute ma famille présente et future ? Ma gratitude vous estéternellementacquise,maisjevoudraispouvoirfaireencoreplus.

Tousdeuxrevenaientenfinàlaréalitéaprèscettedécouvertemiraculeuse.—Jevoussupplie,repritlajeunefille,deneriendireàaucundesinvités.Apersonne,en

fait.Ilsnecomprendraientpas.D’ailleurs,jeneveuxplusparlerdecetteaffaire.Plusjamais.— Sans doute avez-vous raison, admit le duc de sa voix profonde. C’est pourquoi je

suggèredereplacerlacouronnedanscetendroitoùelleestdemeuréependantdessiècles.Etdemain,nousreviendronsiciensemblepournousassurerquenousn’avonspasrêvé.

—C’est aussi ce que j’aimerais faire, approuvaNerissa. Dites-moi, vous ne parlerez derienà…Delphine,n’est-cepas?

—Biensûrquenon,réponditleducavecfermeté.Jevousaidéjàdonnémaparolesurcepoint,Nerissa,et…jelatiendrai.

Lajeunefillepoussaunsoupirdesoulagement.—Jesuisheureuse…tellementheureused’avoirpuvousaideràmafaçon.—Peut-êtrem’avez-vousrenduunserviceplusgrandencorequevousnel’imaginez.Nous

enreparleronsdemain.Il replaça lacouronnedans lemeublequ’il refermasoigneusement,puis regarda la jeune

femmeetsourit.—Jesupposequevousvousrappelezlamanièredontilfauts’yprendrepourl’ouvrir?— Il existe un petit bouton, juste à l’angle, et si habilement dissimulé qu’il était presque

impossibledeledécouvrir.—Pourtantpersonnenevousenavaitparlé,etvousl’aveztoutdemêmetrouvé.Nerissane réponditpas.Ellesongeaitqu’elleavaitpeut-êtreétéchoisiepourcettesorte

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demissionetqueladuchessequiavaitcachélacouronneavait,parquelqueétrangesortilège,guidésesdoigts.

— Ce qui compte, dit-elle après un instant de silence, c’est que la couronne ait étéretrouvée et que, lorsque Votre Grâce se mariera, elle pourra connaître le bonheur, toutemalédictionétantdésormaiseffacée.

—Jenesouhaitepasautrechose.Ses yeux rencontrèrent ceux de Nerissa, à la clarté tremblotante de la chandelle, et ils

demeurèrentpendantunmomentincapablesdedétacherleurregardl’undel’autre.Puis,avecunvisibleeffort, leducsedétournapouraller replacer lechandelierprèsdumiroir,à l’endroitoùil l’avaitpris.Lajeunefilleouvritalorslaportequidonnaitdanslecouloir,avecl’impressionqu’ellesortaitd’unrêvepouratterrirdenouveaudanslaréalité.Acontrecœur.Elleauraitvoulurester,ressentirencorecesentimentétrangeetpresquesurnaturelqu’elleavaitéprouvédevantl’apparitiondecettecouronne,cesperlesetcesdiamantsquiavaientsansdoutecausétantdemalheurs.

Elleauraitsouhaitéaussi–maisc’étaitlàunechoseàlaquelleilluiétaitinterditdepenser– demeurer auprès du duc, lequel allait sans doute dans quelques instants s’empresser deretrouverDelphine…

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6Après l’excitation de la nuit précédente, Nerissa était convaincue qu’elle passerait une

bonne journée.Elle se réveilla avec la sensationque son cœur débordait de joie et que toutétaitpourlemieuxdanslemeilleurdesmondes.

Harryetelleavaientprévud’allerfaireunepromenadeàchevaldetrèsbonneheure,avantque les autres invités ne fussent levés, et il était déjà prêt lorsqu’elle sortit de sa chambre.L’instantd’après, ilsprenaient lechemindesécuries,où levaletdeservice leursellaaussitôtdeuxbêtesmagnifiques.

Ilsgalopaientmaintenantdanslaplaine,etlajeunefilleseretournaitsouvent,dansl’espoirdevoirapparaîtreau loin lasilhouettecaractéristiqueduduc.Hélas,sonattentefutdéçueet,après une longue chevauchée, ils rentrèrent par les bois, empruntant le chemin que Nerissaavaitsuiviencompagniedumaîtredemaison.

Ellesedemandaitpourquoiiln’avaitpasdaignésemontrer.Yavait-ilàcetteabsenceuneraisonspéciale?Cettepenséenecessaitdelahanter.Etpuiselleseditquesonattitudeétaitridicule,leducneluiayantnullementpromisdelesaccompagner,sonfrèreetelle,cematin-là.Ils’étaitcertainementcouchétrèstarddanslanuit,etilétaitsansdoutefatigué.Parailleurs,ilavait pu juger qu’il serait imprudent – et automatiquement mal interprété – de s’afficher denouveauavecelle.Delphineétait-elledéjàaucourantdeleurpromenadematinaleetleluiavait-elle reproché ? La chose n’était pas impossible. Il existait encore d’autres hypothèses,maisaucuned’entreellesnelasatisfaisait.

Ellen’aperçutmêmepasleduclorsque,plustard,aprèslepetitdéjeuner,elleserenditàl’égliseencompagniedeLadyWentworth,laquellen’auraitpourrienaumondemanquél’officedudimanche.Certaines invitéesavaientdéjà fait leurapparition,maisd’autresétaientencoredanslasalleàmanger.Nerissaavaitd’abordpenséquesonpèreserendraitaussià l’église,maiselle ledécouvritdans l’undessalons, fortoccupéànoterses remarquessurLyn et cequ’ilavaitl’intentiond’alleradmireraucoursdelamatinée.

— Tu n’as pas oublié, je suppose, lui dit-il, que le duc a prévu de nous faire visiterl’ensemble du château, et je sais qu’il a demandé à son intendant de nous accompagner,flanquédesonsecrétairequiestparticulièrementdocumentésurlesiècleélisabéthain.

Nerissaavaitespéréunpeunaïvementqueleducseraitseulencettecirconstance.Maisilen avait décidé autrement, et la déception de la jeune fille devait s’accroître encore lorsque,après leur avoirmontré deux des salles les plus caractéristiques du château, un domestiquevintlechercherpouruneaffaireurgente.Etilnereparutplus.

Elle s’efforça alors de se concentrer sur cette extraordinaire architecture élisabéthaine

dont lechâteaudeLynétaitundesplus remarquablesspécimens.Ce faisant,ellenepouvaitquandmêmepass’empêcherdesedemandersi leducn’étaitpas,encemomentmême,entrainderireetdeplaisanteravecDelphine.Enoutre,aurait-ellel’occasion,ainsiqu’illeluiavaitpromis,deretournervoirlacouronneensacompagnie?

Elle y songeait encore tandis que son père continuait à parcourir les différentes salles,posantdesquestionsetnotantlesréponses,infinimentheureuxdepouvoirenfincontemplerde

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sespropresyeuxcesimpérissablesmerveilles.Durant ledéjeuner,onneparlaguèrequede la fêtedesFleursquidevaitse tenir lesoir

même.Lesinvitéesgardaientlesecretsurlatenuequ’ellesavaientchoisie,maisNerissaétaitpersuadée queDelphinemettrait tout enœuvre pour remporter le premier prix, attribué à laplus belle. Toutefois, elle annonçait bien sûr à qui voulait l’entendre que lesmembresdu juryferaientpreuvedelaplusgrandeimpartialité.

—Lesdouzecandidatesgraviront l’uneaprès l’autre lesmarchesde l’estradeaménagéedans la salle de danse, avait-elle précisé, et lorsque les prix auront été attribués, nousdanserons.Leducademandéàuncertainnombredegensduvoisinagedesejoindreànous,etjecroisquelesréjouissancesneprendrontfinqu’aveclespremièreslueursdel’aube.

Elle tenait manifestement à faire sentir à tous que l’idée venait d’elle, agissant déjà enduchesse. A l’heure du thé, on discutait encore de l’événement, tandis que Nerissa sedemandait toujours si le duc se souviendrait de sapromessede retourneravecelle revoir lacouronnedécouvertelaveille.Pourtant, il luiarrivaitdesedirequ’elleavaitpeut-êtrerêvéunefoisdeplus.Ellecraignaitque,parvenuedevantlepetitmeuble,illuifûtimpossiblederetrouverletiroirsecret;elles’apercevraitalorsquelamerveilleusecouronnedediamantsetdeperlesn’avaitjamaisexistéautrepartquedanssonimagination.

Lorsqu’elle monta faire un brin de toilette, elle trouva Mary qui l’attendait, visiblementagitée.

—Jemedemandaisoù vousétiezpassée,Miss, dit la petite femmedechambre.Vousêteslaseuleànepasêtrealléechoisirvosfleurs.

—Jedoutequ’ilenresteencorebeaucoupàcetteheure-ci.—C’estvrai,Miss,etlesjardiniersnesaventpastropcequ’ilspourrontvousoffrir.—Oùsetrouvent-ils?— Il n’en reste qu’un : le plus jeune, tout juste un gamin. Les autres sont partis

confectionnerlescouronnesetautresfalbalascommandésparcesdames.—Tusais,j’aidesgoûtstrèssimples,moi.—Venez,Miss,allonsvoircequ’onpeutencoredénicher.Nerissa suivit la jeune femme de chambre jusqu’à une pièce où étaient entreposées les

fleurs.Untoutjeunehommes’affairaitàlestrier.Effectivement, ilnerestaitplusgrand-chose,les invitées s’étant emparées de tout ce qui était vraiment valable pour orner leurs robes etaussi leurscheveux.Promenantses regardsautourd’elle, la jeune filleconstataqu’iln’yavaitplusniroses,nilis,nicamélias.

Ilnerestaitquequelquespenséesdontlescouleursn’étaientd’ailleurspasparticulièrementattrayantes,desastersquinesemblaientguèreconvenirà laconfectiond’unecouronneetunpetit nombred’iris jaunesdontNerissasedit qu’ils ne ressortiraientpassuffisamment sur sachevelureblonde.

— Je n’ai pas autre chose,Miss, dit le jeune jardinier d’un air navré. Amoins que vousn’aimiezlesfleursdeschamps.

—Yaurait-il,parhasard,desmyosotis?— Des centaines, Miss. Dans un certain coin du jardin, ils poussent aussi vite que les

mauvaisesherbes,etnousn’arrivonspasànousendébarrasser.—Danscecas,voudriez-vousêtreassezaimablepourmeconfectionnerunecouronnede

myosotis?J’aitoujourstrouvétrèsbellescespetitesfleurschampêtres.—Ilvousfaudraautrechosequ’unesimplecouronne,Miss,intervintMaryquisetenaitsur

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leseuildelaporte.Nerissase retournaavecunsourire.Marysemontraitparticulièrementattentionnéeavec

elle.—Apportez-moiungrosbouquetdemyosotis,déclaraMaryens’adressantaujardinier,et

jem’arrangerai.Surtout,nelésinezpassurlaquantité.—C’estbien,ditlejeunehomme,j’yvaisdecepas.Ilrevintquelquesinstantsplustard.L’ayantremercié,Nerissaregagnasachambre,suivie

deMary.— Qu’avez-vous en tête ? demanda-t-elle. A quoi bon tout cela, puisque ma sœur

remporteralepremierprix?Lajeunefemmedechambrehochalatêteetpoussaunsoupir.— Elle a demandé une telle quantité de roses qu’il y en aurait assez pour un

couronnement.D’ailleurs, lechef jardiniern’étaitpasdu toutcontentcarellea faitcouper lesplusbelles.Aprèssonpassage,ilneresteplusriendevalabledanslesjardins.

Nerissa éclata de rire et décida de ne plus se préoccuper de ce sujet. Elle songea ausecretqu’ellepartageaitavec leduc ;etc’était làunechosebienplus importante–bienplusgraveaussi–que toutes les rosesdu jardinet toutes les fleursde lacréation.Seulement, lesoirapprochait,etellen’avait toujourspasdenouvelles.Unpeudéprimée,ellealla retrouversonpère,toujoursplongédansunemontagnedenotes.

—Papa,luidit-ellesanspréambule,àprésentquevousavezvisitélechâteau,neserait-ilpasplussagederentrercheznousdèsdemain?Certainsinvités,quin’étaientvenusquepourleconcourshippique,repartentdéjàpourLondres.

—Rentrercheznousdemain?répétaMarcusStanleyd’unairétonné.Ilnesauraitenêtrequestion,mapetite fille.Jesuis loind’avoirvisité lechâteaudanssonentier,et jen’aiencorepratiquement rien vu de ses dépendances. Je me suis laissé dire que le centre d’équitationn’avaitpassonpareildanstoute l’Angleterre.Enoutre, ilmefautexaminer lescolombiersquisont,m’a-t-onraconté,absolumentuniquesetd’unevaleurhistoriqueinestimable.

Sanslaisseràsafilleletempsderépondre,ilselevaetquittalapièceendéclarant:—Nouspartironsmardi.Etceseraencorebientroptôtpourmoi!Nerissaregagnasachambreensedisantqu’elleavaitétéstupidedesuggérercedépart

précipité. Elle retrouvaMary qui avait déjà préparé avec beaucoup de goût ce qu’elle devaitmettrepourlasoirée.Elle-mêmeavaitprévudeporterunerobebleupâlequiavaitappartenuàDelphine et qu’elle n’avait encore jamais utilisée,maisMary insista pour qu’elle choisît plutôtune blanche, faisant observer très justement que des myosotis ne ressortiraient passuffisammentsurunerobebleue.Nerissaadmitqu’elleavaitraison.

—Vousvous changerezaprès ledîner, comme le feront lesautres invitées, dit la petitefemmedechambrequiparaissaitposséderunsenspratiquefortaiguisé.

— Comment ? Nous serons toutes obligées de nous changer après le dîner avant deparaîtredansnosdéguisementsdefleurs?

—Vouscomprendrezceque jeveuxdire,Miss, lorsquecesbellesdamessemettrontàparader,réponditMaryenriant.Laplupartseraientdansl’impossibilitédes’asseoiràtable.

Devant l’insistance de la jeune femme de chambre, elle enfila la très jolie robe qu’ellen’avaitpasencoreportée,puisdescendità lasalleàmangerensongeantdenouveauqu’ellen’avait pas encore vu le duc. Il était évident qu’il avait oublié sa promesse, ou alors il nesouhaitaitplusretournervoirlacouronneensacompagnie.Qu’avait-ilbienpufaireduranttoute

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la journée?Sansdouteavait-ilpasséleplusclairdesontempsavecDelphinequi luiapparutsoudain, étincelante de bijoux, et il fallait bien l’admettre, d’une éblouissante beauté.L’expressiondesonvisagelaissaitd’ailleurscomprendrequ’elleétaitsûredesonsuccès.

Ledînerunefoisterminé,lorsquelesinvitéessefurentrassembléesausalon,lasœurdeNerissapritaussitôtleschosesenmain.

—Quepersonneneperdedetemps.Voussaveztoutescequevousavezàfaire:rendez-vousdans l’antichambrede lasallededanseennousefforçantdenepasnousfairevoirdesautresinvités.Dèsquenousyseronstoutes,nousfranchironslaporteconduisantàl’estradeetnousdescendrons lesmarches jusqu’aucentrede lasalleavantd’allernousplacer le longdumur.

Toute cette mise en scène était nouvelle pour Nerissa, qui espérait ne pas commettred’erreurdanssesmouvements.Elleremontadanssachambre,oùl’attendaitMary,etpoussauneexclamationdesurpriseencontemplant larobequ’elle luiavaitpréparée.Ils’agissaitd’unvêtementdemousselineblancheayantappartenuàDelphine,decoupesimple,maisquiavaitété orné de petits myosotis qui apportaient une note exquise à l’ensemble. Lorsqu’elle l’eutenfilée, Nerissa constata qu’elle était également pourvue d’un large ruban bleu qui rappelaitcelui de l’ordre de la Jarretière. D’autres myosotis, accrochés en grappe sur une épaule,descendaientjusqu’àlataille.Elletrouvacetagencementdélicieux,etlacouronnequientouraitsescheveuxblondsn’étaitpasmoinsréussie.

—Vous vous êtes donné beaucoup demal,Mary, et c’est vraiment très gentil de votrepart.

—Ceneserapasaussispectaculaireque les robesdecertainesautres invitées ;mais,selonmoi,c’estvousquiserezlaplusfraîcheetlaplusbelle.

Nerissasemitàrire.— Merci, Mary, de me redonner confiance, car le myosotis est une petite fleur bien

modesteetdiscrète.Elle se rendit compte de la justesse de ce propos lorsqu’elle rejoignit les autres dans

l’antichambredelasallededanse.Delphineétaitréellementéblouissante.Elleportaitunerobeà paniers entièrement recouverte de roses roses, elle était coiffée d’une couronneconfectionnée avec les mêmes fleurs, et tenait à la main une ombrelle ornée de la mêmemanière.Commesicelan’étaitpassuffisant,sesplusbeauxdiamantsétaientdisposésentreles fleursdesacouronneetautourdesongénéreuxdécolleté.Nerissa sedit qu’aucunedesautresjeunesfemmesprésentesnepouvaitrivaliseravecelle,etl’attitudedeDelphinerévélaitassezbienqu’elleenétaitelle-mêmeconvaincue.

Cependant, toutes les invitées avaient fait de leurmieux pour semettre en valeur. L’uned’elles, qui prétendait représenter un lis, était vêtue d’une longue robe blanche toute simpleavec, fixéesauxépaules,degrandesailesconstituéesdevéritables lis,dontelle tenaitaussiunegerbedanssesmains.Uneautre,ornéed’œilletsrougesquidécoraient lesbordsdesonvêtement,arboraitunetrèsjoliecouronnedestylerusse.

AinsiqueNerissal’avaitprévu,nulneluiprêtabeaucoupd’attention.Aumomentoùlesflotsdemusiquevenantdelasallededansesefaisaientplusinsistants,retentitlavoixdeDelphine:

— Tout le monde est maintenant réuni, et les juges sont en place, prêts à attribuer àchacuned’entrenous lanotequ’ellemérite.N’oubliezpasquevousdevezdécrire la fleurquevousreprésentez,soitavecdesmotspersonnels,soitavecquelquesversd’unpoètedevotrechoix.

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Nerissasesouvintavoirétésurprise,enpénétrantdansl’antichambre,devoirdeuxoutroisinvitéesoccupéesà feuilleter des livresdepoèmes.Elle sedit qu’ellen’avait pasdûécouteravecassezd’attention;oualors,onnel’avaitpasprévenuequ’elledevaitfaireladescriptiondelafleurqu’elleavaitchoisie.Rapidement,elletentadeserappelerdesversdeLordByronoude quelque autre poète. Mais en existait-il se rapportant à une fleur aussi modeste que lemyosotis?

Soudain, un roulement de tambour résonna dans le château, puis des applaudissementscrépitèrent lorsque Delphine, tenant son ombrelle au-dessus de sa tête, franchit la porte endirectiondel’estrade.Lesgensqueleducavaitinvitésàsejoindreàeuxaprèsledînerétaientdéjàarrivés.Et,d’aprèsl’intensitédesapplaudissements,ilsdevaientêtrenombreux.

Une par une, les candidates quittèrent l’antichambre d’une démarche étudiée, comme sielles avaient des années de pratique. Amesure qu’elles pénétraient dans la salle de danse,Nerissa percevait les quelques mots qu’elles prononçaient d’une voix claire mais souventhésitante,avantderetourneràleurplace.Onzejoliesfleursdéfilèrentainsi,etlajeunefilleserendit compte qu’elle était la dernière, simplement parce qu’elle n’avait pas fait l’effort de seglisser à une autre place. Elle s’avança vers la porte de communication, attendit que laprécédente candidate, aussi resplendissante qu’un camélia blanc, eût récité son poème etgagnésaplace,puiselles’avança.

Pendant un instant, les yeux éblouis par les lumières, elle se sentit prise d’une timiditésoudaine autant qu’imprévue. Puis, au milieu des visages inconnus des invités qui faisaientpartiedu jury,elleaperçutceluiduduc.D’unedémarchesoupleetgracieuse,elles’approchade l’estrade et, inconsciemment, sans y réfléchir une seconde, un poème lui revint à l’espritdontelledéclamalesversd’unevoixtrèsdoucequiforçal’attentiondechacun.

Lemyosotis,bleucommeleciel,Petitetmodeste,vousl’oublierez

Avecquelqu’und’autre,alorsquemoiJemesouviendraitoujoursdevous.

Auderniervers, lesapplaudissements fusèrent tandisque, lesyeuxbaissés, la jeune fille

regagnait rapidement saplaceparmi lesautres concurrentes. Les spectateurs continuaient àapplaudir, le duc rassemblait les bulletins de vote.Puis, ayant gravi lesmarchesde la petiteestrade, il s’adressaà l’assistance. Il déclaraquecette fêtedesFleursétait certainement laplusbelleetlamieuxréussiequelechâteaudeLyneûtjamaisconnue.

Ensuite, ilproclama le résultatduvote,etnulne fut trèssurpriscarDelphineemporta letrophée.Nerissa,nullementjalouse,songeaàlajoiequedevaitéprouversasœur.Defait,toutlemondeputliresasatisfactionsursonvisagelorsqu’elles’avançaversleducpourrecevoirdesesmainslepremierprix:uneravissantebrocheenformedefleur,enémailincrustédepetitespierres semi-précieuses. Nerissa se trouvait assez proche d’elle pour l’entendre remercier àhauteetintelligiblevoix,avantd’ajouterdansunmurmuredestinéauduc:

—Cebijoumeseraprécieuxparcequec’estvousquimel’offrez.Quelque chose dans sa voix et dans ses yeux en disait long sur ses sentiments.

Cependant,Nerissaneperçutaucuneréponsedelapartduduc,etDelphinedutseretirerpourcéderlaplaceausecondprix:lajeunefemmeornéedelis.

Une fois la distribution achevée, tous les invités se rapprochèrent pour mieux voir les

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heureuses élues et les inviter à danser, bien que ce fût, dans un petit nombre de cas, unemanœuvre plutôt délicate. Nerissa se dirigea vers son père, mais elle le trouva en grandeconversation avec un gentleman propriétaire d’un domaine des environs et dont la maisonremontaitàl’époquedesTudors.Ilparaissaitclairqu’ilnesouhaitaitpasêtreinterrompu.Aussilajeunefilleseréjouit-ellelorsqu’ellesentitlebrasdeHarryseglissersouslesien.

—Tu es formidable ! déclara son frère avec une sincère admiration. J’ai trouvé que lesmyosotisétaientenparfaiteharmonieavectongenredebeauté.Etilsétaientparticulièrementindiqués.

—Pourquelleraison?—Parcequ’enanglaisilss’appellentaussi«forget-me-not»,«nem’oubliepas».Etnous

n’oublieronsjamaisnotreséjourici,toutsimplement.J’aiunenouvelleàt’apprendre.Viens…Ilentraînasasœurdansunepetitepièceattenante,loindubruitdelasallededanse.—Dequois’agit-il?Lajeunefillesesentaitinquièted’unetelleexcitation.—Tunevaspas lecroire,mais leducm’ademandési j’avaisdeschevaux.Biensûr, j’ai

répondu non. Il m’a alors annoncé qu’il avait déjà prévu de m’en offrir un que je pourraisemmeneravecmoiàOxford.

—Il t’avraimentditça?Maisc’estmerveilleux,Harry.Tupourrasainsiemployeràautrechosel’argentqueDelphinet’adonné.

— Sur le moment, je n’en croyais pas mes oreilles ; mais, à présent, je comprends laraisonquilepousseàagirdelasorte.

—Etquelleestcetteraison,selontoi?— Elle saute aux yeux, voyons ! En dépit de mes pronostics, il paraît évident qu’il a

l’intentiond’épouserDelphine,et ilcherche,decettemanièredétournée,às’insinuerdansnosbonnesgrâces.

—Oui,biensûr,cedoitêtrecela… l’explicationdesongeste,ditNerissad’unevoixmalassurée.

Pourquoi ne se sentait-elle pas aussi heureuse qu’elle aurait dû l’être en apprenant unetellenouvelle?Ellenecomprenaitpassaréaction.

Après cette brève conversation avec son frère, la soirée lui parut interminable, et bienqu’elledansâtavecuncertainnombred’invités–enévitantavecsoinSirMontague–elle nes’amusaitpasvraiment.Elleseditqu’elledevaitêtrefatiguéeetquepersonneneremarqueraitsonabsencesielleregagnaitdiscrètementsachambre.

Delphine, reine incontestée de la soirée, était fêtée et complimentée par tout lemonde.Pourtant,lesautresfemmesnesemblaientpasjalousesdesonsuccès.Chaquegentlemansepressaitpourl’inviteràdanser,etelleétaitobligéedenefairequ’unseultourdepisteavecunhommepourpasseraussitôtdanslesbrasd’unautre,etainsidesuite.

Nerissarésolutd’allersecoucher.Maisaussitôtdanssachambre,ellesesentitprisedel’enviesoudaineetirrésistibled’allers’assurerquelacouronnesetrouvaittoujourslàoùleducetelle-mêmel’avaientlaissée.Elledécidad’enavoirlecœurnet.Ellesortitetlongealecouloir,passant devant toutes les piècesd’apparat pour atteindre enfin laChambrede laDuchesse.Apparemment,rienn’avaitchangé.Lesdeuxchandellesbrûlaienttoujours,unedechaquecôtédumiroir,etelledistinguaittrèsclairementlebonheur-du-jourquirenfermaitleprécieuxobjet.

Soudain, il luisemblasentir laprésencede lamalheureuseduchesse, justeàcôtéd’elle.«Pourquoin’avez-vouspaseuconfianceenvotremari?»avait-elleenviedeluidemander.Et

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elle eut l’impression que la duchesse essayait de lui répondre quelque chose, qu’elle neparvenait pas à comprendre. Machinalement, ainsi qu’elle l’avait fait la nuit précédente, ellelaissaglissersesdoigtssur le reborddumeuble.Elley trouva laminusculeprotubérancesurlaquelle elle exerça une pression légère. Comme rien ne se produisait, elle songea avecangoisse que tout n’avait peut-être été qu’illusion et mirage. Pourtant, lentement, le tiroirs’ouvrit.Lacouronneétaitbien là,encemêmeendroitoùelle reposaitdepuis tantd’années,portant en elle la malédiction des Lynchester, la terrible légende qui empêchait le bonheurd’habiterlechâteaudeLyn.

Nerissaavança lesmainset tiradesacachette laprécieusecouronne.Elle laconsidéraavecplusdecalmequ’ellenel’avaitfaitdansl’excitationdelanuitprécédente,etelleluiparutencore plus belle. Merveilleusement ouvragée, elle devait être l’œuvre d’un habile joaillierétranger,probablementitalien.Ellel’approchadesdeuxchandeliersetleurlumièrecaressalesperlesquichatoyèrent.Puis,saisied’uneimpulsionsoudaine,elleôtasacouronnedemyosotisetlaremplaçaparcelledediamants.Aumêmeinstant,ellecrutpercevoirunlégersoupirtoutprèsd’elle,commesilefantômedeladuchessesesentaitsoulagéetcherchaitàexprimersasatisfaction.Cen’était certes qu’une vague impression, et pourtant, elle était certaine d’avoirentenduquelquechose.L’infortunéeduchesseétaitlà,touteproche,etNerissaétaitconvaincueden’avoirpasétélejouetdesonimagination.

C’estalorsque,levantlesyeuxverslemiroirpourcontemplersonreflet,ellevits’ouvrirlaporte, et le duc apparut sur le seuil. Elle distinguait ses traits dans le miroir sans oser seretourner, tandisqu’il avançait lentement verselle. Il étaitmaintenant toutprès, et leursdeuxvisagessereflétaientcôteàcôte.

—C’estainsiquejeveuxvousvoir,dit-ild’untoncalme.Commesiellesortaitd’unrêve,Nerissaserenditcomptequ’ilétaitbien làenchaireten

os.Ellesongeaaussitôtqu’elleavaitpeut-êtrecommisunacterépréhensibleenessayantcettecouronne sans lui en demander la permission. Elle se retourna vivement dans l’intention des’excusermais, incapabledeprononcerunseulmot,elle le considéraavecdesyeux remplisd’étonnementtandisqu’ilajoutait:

—…quandnousseronsmariés.Muettedestupeur,ellen’encroyaitpassesoreilles.—Jesavaisvoustrouverici,poursuivit leduc,etj’avaisjustementl’intentiondevousprier

demettre cette couronne sur votre tête, afin de vous contempler telle que vous serez aprèsnotremariage.

—Je…nesais…cequevousvoulezdire,balbutialajeunefille.—C’estpourtantclair.Jechercheàvousfairecomprendrequejevousaime.Sijusqu’icije

nemesuispasencoremarié,c’estparcequejen’avaistrouvépersonnepourm’assurerque,lamalédictionenfinlevée,jepourraisenfinconnaîtrelebonheur.

Incapabledeparler,ellecontinuaitàregarderleducavecdegrandsyeuxeffarés.Alorsill’entouradesesbrasetl’attiraàlui.

—Jevousaime,répéta-t-ilenposantseslèvressurcellesdelajeunefille.Et pendant qu’il l’embrassait, elle se rendit compte soudain que, si elle s’était sentie

malheureuseetdésemparée,c’était toutsimplementparcequ’elle l’aimaitelleaussisansosersel’avouer.Ellel’avaitaimédèsleurpremièrerencontre,lejouroùilétaitapparusurleseuildela cuisine de Queen’s Rest. Puis, le jour de leur promenade matinale à cheval, elle avaitcomprisquesonattiranceétaituneréalitéetnonlefruitdesonimagination.

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Maintenant, il la serrait dans sesbras, il l’embrassait.Doucement d’abord, délicatement,commes’ilcraignaitdel’effaroucher.Maisbientôt,sonbaiserdevintplusappuyé,plusinsistant,plusprofond.Elleavaitl’impressiondeflotterentrecieletterre,commesileursdeuxêtresn’enfaisaient plus qu’un et que rien aumonde ne pourrait désormais les séparer. Elle sentait seresserrer sur elle les bras puissants de celui qu’elle aimait déjà de toute son âme, et uneivresse sensuelle jusqu’alors inconnue l’emportait, une sorte d’extase dont elle ignoraitmêmequ’elle pût exister. Lorsque leurs bouches se séparèrent enfin, ils se regardèrentpassionnément. Alors elle s’entenditmurmurer, d’une voix qu’elle ne reconnaissaitmême pascommelasienneetquiluisemblaitvenirdetrèsloin:

—Je…vousaime.—C’estcequejevoulaisvousentendredire,NerissaEt il l’embrassa à nouveau, avec encore plus d’ardeur que la première fois, comme s’il

craignait qu’elle ne lui échappât, comme s’il voulait la faire sienne à jamais. Puis, le soufflecoupéparcebaiserfougueux,elleblottitsatêtecontresonépaule,tandisqu’ilmurmuraitd’unevoixtremblante:

—Êtes-vousprêteàm’épouser,machérie?Nerissa redescendit du nuage sur lequel elle planait depuis unmoment pour revenir à la

réalité.—Est-ce que je rêve ? s’étonna-t-elle d’une petite voixmal assurée, ou bien…m’avez-

vousréellementdemandédevousépouser?—Commentpourrais-jevouloirautrechose,alorsquevousm’avezdonné,par jenesais

quelmiracle,laclédubonheur:cettecouronnequiadétruitceluidetantdemesancêtres?—Jenem’expliquepas,moinonplus,untelprodige;maisvoussavezquejenepeuxpas

êtrevotrefemme.Ellesentitlesbrasduducseresserrerdavantagesursoncorps.—Pourquoidites-vouscela?—ParcequevousdevezépouserDelphine.—Jen’aijamaisproposélemariageàvotresœur,etjen’aiaucuneintentiondelefaire.—Maisellecroit…jeveuxdireelleestpersuadéeque…—Je sais ce dont elle est persuadée, comme l’ont été plusieurs autres jeunes femmes

avant elle. Seulement, jem’étais promis de ne pasmemarier avant d’être sûr de trouver lebonheur.

Ils’interrompituninstantavantd’ajouter:—J’ignoresi j’ai réellementcruà l’existencedecettemalédiction,mais jesentaismalgré

tout qu’aucune des femmes à qui je faisais la cour ne représentaitmon idéal. J’attendais envaincellequidevaitdevenirmonépouse.

Nerissanedisantmot,ilpoursuivit:— Il m’est difficile de vous expliquer ce que je ressentais. Je suis devenu désabusé et

cynique parce que chaque fois que je faisais la connaissance d’une femme, je la croyaisdifférente des autres.Mais jem’apercevais rapidement qu’elle n’était pas ce que j’avais cru,qu’ellenecorrespondaitpasdutoutàl’imagequejem’étaisforgée.

—Pourtant,Delphineétaitpersuadéequevousalliezl’épouser.—Cequeje luidemandais–pardonnez-moisi jevouschoque–étaitquelquechosed’un

peudifférent.—Ellemel’avaitfaitcomprendre,maiselleétaitconvaincuequevouschangeriezd’avis.

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Leducpinçaimperceptiblementleslèvres.—Votresœurestfortbelle,c’estvrai;maisjemerendscompteàprésentquesabeauté

n’estqu’unpâlerefletdelavôtre.NerissasesouvintqueHarryavaitémislamêmeopinion,etelleprotestavivement.—Vousnedevezpaspenser cela.Et, bienque… je vousaime, jenepourraispasêtre

heureuseauprèsdevous,sachantqueDelphinesouffreàcausedemoi.Ilyeutunbrefsilence,puisleducrepritlaparoled’unairincrédule:—Dois-jecomprendre,Nerissa,quevousavezl’intentionderefusermademande?— Comment me serait-il possible d’agir autrement ? soupira la jeune fille d’un air

malheureux.Jevousaime…je lesais…j’ensuissûre,maissi jevousépousais,Delphinememaudirait, tout commevosancêtres ont étémaudits autrefois.Et peut-être cettemalédictionserait-elleaussiterriblequel’autre.Nousserionsséparés,et…jenesouhaiteraisalorsquelamort.

—Vousn’avezpasledroitdeparlerdelasorte,s’exclamaleducenattirantdenouveaulajeune fille contre lui. Croyez-vous vraiment que, vous ayant trouvée, je sois disposé à vousperdre?

Illaregardalonguementaufonddesyeux,commepourlaconvaincredesasincérité.—Vousm’appartenez,dit-ilenfin.Vousreprésentezcedontj’avaistoujoursrêvé.Pourtant,

je commençais à croire que c’était un idéal impossible. Et puis, un jour, je pénètre dans lacuisine de votre demeure – endroit invraisemblable s’il en fut – et je vois devant moi unecréaturesibelle,siparfaiteque,pendantuninstant,jemesenscommepétrifié.

—Avez-vous réellementéprouvé…cequevousdites?demandaNerissaqui n’était pasencorerevenuedesasurprise.

—Oui, j’ai ressenti cela et bien plus encore. Ensuite, j’ai essayé deme convaincre quej’avaisétéobnubilépar l’excellent repaspréparéàmon intentionetpar lesbonsvinsque l’onm’avaitservis.

Unsourireéclairaitsonvisage.—Et, enmême temps, j’étais fermement décidé à vous revoir. C’est pourquoi j’ai invité

votrepèreàvenirmerendrevisiteàLyn.—Delphinenevoulaitpasquejel’accompagne.—Jen’ensuispassurpris.Maissivotresœurpossèdeunevolontédefer,jenesuispas

moinsobstiné.Etmêmesivousaviezrefusédesuivrevotrepère,j’auraistrouvén’importequelprétextepourvousattirerici.

Les yeux plongés dans ceux de la jeune fille, il la contemplait avec une sorte deravissement.

—Depuiscettepremièrerencontre,monamourpourvousn’afaitquegrandir,d’heureenheure,deminuteenminute.

—Aujourd’huicependant,vousm’avezignorée;vousnem’avezpasadresséunseulmot.—Oui,carjeressentaislebesoindemettreunpeud’ordredansmonesprit.D’autrepart,

jemedisaisquesivotresœursoupçonnaitmessentimentsàvotreégard,ellerisquaitdevousfairedumal.

Nerissalaissaéchapperunpetitcri.—Maisellenedoit…jamaislesavoir!—Ellel’apprendraunjouroul’autre,puisquejesuisrésoluàvousprendrecommefemme,

Nerissa.Jemesensincapabledevivresansvous.

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—Il lefaudrabien.Jevousaime,c’estvrai ; jevousaimedetoutemonâme,mais jenepourraijamaisvousépouser.Commentmeserait-ilpossibled’affronterDelphine,delaregarderenface,alorsqu’elleestpersuadéequevousallezbientôtluidemandersamain?

Il posadélicatement sesdoigtssous lementondesacompagnepour l’obligerà lever latête.

—Écoutez,machérie,croyez-vousqu’avec lessentimentsquenouséprouvons l’unpourl’autreilnoussoitpossibledenousséparer?

Nerissaleregarda,etellesentitdeslarmesmonteràsespaupièresetluibrouillerlavue.—Jecomprendscequevousvoulezdire,murmura-t-elled’unevoixémue,et jepartage

lesmêmessentimentsquevous,c’estvrai.Jevousaime…plusquetoutaumonde.Maisnousn’avonspas ledroit devivrenotrebonheuraudétrimentdeDelphine.Sinous faisionscela…mavieseraitàjamaisgâchéeparl’angoisseetledésespoir.

Leduclaconsidérapendantunlongmomentsansrépondre.— J’admets votre point de vue, ma chérie. Mais je vous supplie de m’écouter avec

attention.—Voussavezbienque j’écouterai toutcequevousmedirez,soupira la jeune filled’une

voixtremblanteetàpeineperceptible.—Alors je juredevantDieuquevousserezmafemme,quevousm’appartiendrezetque

nousconnaîtronslebonheurensemble.C’estlàunsermentquejenerompraijamais.Nerissasentaitqu’iln’yavaitrienàajouter,etelleseblottitdenouveaucontrel’épaulede

soncompagnon.Illapressatoutcontrelui,tandisqu’ilcouvraitsescheveuxdelégersbaisers.Ilsrestèrentlongtempsainsi,etellesesentaitprotégée,rassurée,plongéeauseind’unamoursolide et puissant, à l’abri dumal et de la souffrance. Désormais, elle ne serait jamais plusseuleetdésemparée.Cen’étaitsansdoutelàqu’uneillusion,unrêvequiallaits’envoler;maispourl’instant,leursdeuxêtressemblaientn’enformerqu’unseulpourl’éternité.

Puis le duc relâcha avec douceur son étreinte et, levant lentement les bras, il ôta lacouronnequesacompagneavaitencoresurlatêtepourlareplacerdansletiroirqu’ilreferma.

—Ilfautmaintenantquejeregagnelasallededanse,machérie.Etjevoudraisquevousalliezbiensagementvousglisserdansvotrelitenchassanttouteinquiétudedevotreesprit.Jevous aime, et vous devez me faire confiance. Oubliez pour l’instant ces obstacles qui setrouventencoresurnotreroute.Jevousprometsdelesdispersersanstarder.

Illacontempladenouveauavecdesyeuxpleinsdetendresseetlapressafortcontrelui.—Laseulechosedontvousdevezvoussouvenir,Nerissa,dit-ild’untongrave,c’estqueje

vousaimeetquepersonneaumondenepourramedétacherdevous.Unenouvellefois,sabouches’emparadecelledesacompagneenunbaisersipassionné,

sifougueuxquelajeunefilleeutl’impressionqu’ilss’envolaienttouslesdeuxverslefirmamentétoilé.

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7Nerissa monta dans sa chambre, tandis que le duc regagnait la salle de danse, où il

entrepritdeconvaincrelesvoisinsconviésàlasoiréedeseretirersanstarder;etillefitavecunteltactquelesintéressésnes’aperçurentaucunementdelamanœuvre.

Dèsqu’ilnerestaplusquelesinvitésrésidantauchâteau,ildemandaàl’orchestredejouerleGodSavetheKing,cequisignifiaitquelasoiréeétaitterminée.

—C’esttroptôt,Talbot!protestaDelphine.—Jevousréservebiend’autressurprises,répliqua-t-ilsuruntonqu’elletrouvasansdoute

unpeusec.Etpuis,comme ilnerestequ’uneseulesoiréeavantvotredépart, jenevoudraispasquevoussoyeztropfatiguée.

Elle accepta l’explication avec un haussement d’épaules et une joliemoue de ses lèvresteintéesderouge.Puis,glissantsonbrassousceluidesoncompagnonenungesteenjôleur–pournepasdirepossessif–,ellemurmurad’unevoixcâline:

— Tout ce que je désire, c’est être près de vous. Hélas, nous ne nous sommes pastellementvuscesoir.

— Il est bien difficile de s’isoler quand lamaison est pleine demonde, dit le duc en sedégageantpourallersouhaiterbonnenuitàsatante.

Restéenfinseul,ilfranchitlagrandeporte-fenêtreetmarchaunpeudanslejardinsousleciel constellé d’étoiles. Il pensait àNerissa et se disait qu’il était l’homme le plus heureux dumonde,ayantenfintrouvécequetouthommecherche:unefemmequil’aimaitpourlui-même.Ilavaitsentienl’embrassantqu’elleluiavaitdonnésoncœuretsonâme.

Lorsqu’il rentra dans la maison, le maître d’hôtel avait déjà éteint la plupart descandélabres, laissant justeassezdelumièrepourqueleducpûtretrouveraisémentlecheminde sa chambre.Ayant gravi le grand escalier conduisant à l’étage, il s’engageadans le longcouloir et aperçut alors, à l’autre extrémité, un homme qui approchait sans bruit. N’ayantaucune envie d’entamer une banale conversation avec quiconque, il se dissimula dansl’encoignured’uneportetoutensedemandantquipouvaitbienêtrecerôdeurnocturneetoùilallaitdecepas.

L’instant d’après, il se rendit compte qu’il n’avait plus aucune raison de se cacher, carl’homme–drapédansunelonguerobedechambre–venaitd’ouvriruneporteetdedisparaîtreàl’intérieurd’unepièce.

Pendantunmoment,leducconsidéralachoseinvraisemblableetcruts’êtretrompé;mais,tandisqu’ilpoursuivaitsoncheminendirectiondesaproprechambre,ilaperçutuneroserougesurletapis,justedevantlaportequ’onvenaitd’ouvrir.Ilsebaissapourlaramasseretrepritsamarche,unsourireauxlèvres.

Nerissatrouvalajournéeinterminableetsansgrandintérêt.Celatenaitsansdouteaufait

que les festivitésse terminaientetqueplusieursdes invitésétaientdéjà repartis.Pourtant, leducavaitorganiséunepromenadeàchevaldans lamatinéeetunnouveauconcourshippiquedans l’après-midi, mais la jeune fille sentait que l’atmosphère manquait de quelque chose.C’était sansdouteparcequ’elle se sentait incapabledeprendrepart auxévénements qui se

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déroulaientautourd’elle.Acertainsmoments,elleétaittransportéed’uneindiciblejoie,commelanuitprécédente lorsqu’elleétaitalléesecoucher.Ellesesouvenaitdesbaiserspassionnésdel’hommequ’elleaimaitdetoutsonêtre.Etpuis,l’instantd’après,elleétaitprêteàsombrerdans le désespoir, car elle savait qu’il lui était impossible de devenir sa femme comme il lesouhaitait.Jel’aisauvéd’unemalédiction,sedisait-elle.Commentpourrais-jel’attirerdansuneautre?

Elle avait toujours eu un peu peur de Delphine, et elle était convaincue que sa sœurn’hésiterait pas à se venger si le duc refusait de l’épouser. Son bonheur serait ainsiirrémédiablementcompromisainsiqueceluideLynchester,quiméritaitpourtantd’êtreheureux.Jel’aime!Jel’aime!serépétait-elle,maislenomdumyosotis–«nem’oubliepas»–neditpaslavérité,etilm’oubliera.

Il lui semblait que, parmi toute l’assemblée réunie au château de Lyn, deux personnesseulement paraissaient vraiment heureuses. L’une d’elles était son père, visiblement ravi devisitercettesomptueusedemeuredansses recoins lesplussecrets ; lasecondeétaitHarry,quivivaitvéritablementunrêve.Leducluiavaitpromisdeluifairedond’uncheval,etilavaitétéd’uneexubérancefolledurantledéjeunerdemidietledînerdusoir.

Plusieurs invités étaient repartis, et l’assistance était donc relativement réduite. Leshommes présents étaient pour la plupart des intimes du duc. Delphine, pour une raison queNerissa ne parvenait pas à s’expliquer, paraissait avoir une dent contre lui. Ayant d’abordessayédebouder,puisdeseplaindreàvoixbasse,elleavaitfini,verslafindurepas,parfairedesonmieuxpouréveillerlajalousieduducenflirtantoutrageusementavecLordLocke,placéàsadroite.

Pourterminer ledînerenmusique, leducavaitengagéquelquesartistes locauxmunisdepetitsaccordéonsetd’harmonicasdontilsjouaientavecunegrandehabileté.Entempsnormal,Nerissa aurait beaucoup apprécié ce petit concert, qui était pour elle quelque chose denouveau.Mais, en cemoment, elle ne songeait qu’auxminutes qui s’écoulaient.Demain, elleretourneraitàQueen’sRest,encompagniedesonpèreetdesonfrère.Elleignoraitsi leducavaitprévude la revoir.C’étaitassezpeuprobable.En fait,ellesedemandaits’iln’avaitpasmalprislerefusqu’elleluiavaitopposélaveilleausoirlorsqu’illuiavaitoffertdel’épouser.

Bienqu’ilnefûtpasencoretrèstard,MarcusStanleyannonçaqu’ilpréféraitseretirerdanssa chambre.Sur quoi, le duc suggéraque tout lemondedevrait en faire autant.Pendant unbrefinstant,lorsqu’ilpritdanslasiennelamaindeNerissapourluisouhaiterunebonnenuit,lajeune fille sentit nettement que ses sentiments pour elle demeuraient inchangés. Elle n’osacependantpasleverlesyeux,decraintequeDelphinenelesobservâtetneremarquâtquelquechose. Tête baissée, elle suivit lentement son père qui venait de s’engager dans le grandescalier.

De nouveau, le duc se retrouva seul, sans ses invités.Mais, cette fois, il ne sortit pas,comme laveille, faireunepromenadedans le jardin. Ilmontadirectement jusqu’à lachambrede laDuchesse. Il entra et alla tout droit au petit bonheur-du-jour dont il entreprit d’ouvrir letiroirsecret,commeilavaitvuNerissalefaire.Ilnedevaitpasêtreaussihabilequ’elle,carilluifallutuncertaintempspourdécouvrirleminusculeboutonetexercerlapressionjustesuffisantepouractionner lemouvement.Enfin, le tiroirapparut,et ilaperçut lacouronneà l’endroitoù ill’avaitreplacéelanuitprécédente.

En quittant la pièce, il reprit le chemin de sa propre chambre. Et puis, d’un air résolu, ilressortitet longea lecouloir jusqu’à l’endroitoù lanuitprécédente, ilavaitvuunerosedevant

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uneporteet unhommeentrer.Ce soir, il n’y avait pasde rose.Sans sedonner la peinedefrapper,ilouvritbrusquementlaporteets’engouffradanslachambre.

Deuxchandellesseulementétaientalluméesdanscettegrandepièceluxueuse,maisellesdispensaient une clarté largement suffisante. Il découvrit Delphine, simplement vêtue d’unnégligédiaphaneetblottieentre lesbrasdeLordLocke.Celui-ciembrassait la jeune femmesurlaboucheavecuneévidentepassion,ettousdeuxmirentquelquesminutesàs’apercevoirqu’ilsn’étaientplusseuls.Ilsdénouèrentinstantanémentleurétreinte.

Il s’ensuivit un échange de propos vifs et acerbes, le duc accusant son invité de seconduired’unefaçoninconvenanteetindigned’ungentleman.Lockerépliquaqu’ilseconsidéraitcomme insulté par les paroles de son hôte, et les deux hommes poursuivirent leur querelle,tandisqueDelphines’efforçaitenvaindelescalmer.Enfindecompte,Lockes’écriad’unevoixtonnante:

—J’exige réparation, Lynchester. Je ne permets à personne deme parler comme vousvenezdelefaire.

—Jesuisàvotreentièredisposition,répliqualeduc,etjeconsidèrequ’ilestgrandtempsquel’onvousdonnelaleçonquevousméritezpourvotreimpertinence.

—Alors,quandetoù?demandal’autre,lesdentsserrées.—Iln’estmêmepasquestiond’attendrel’aube.Nousallons,sansperdreuninstant,régler

cedifférendauterraind’équitation,etj’espèrequ’uneballebienplacéedanslebrastempéreravosardeurspourlessemainesàvenir.

—Celaresteàprouver,moncher!Néanmoins,j’acceptevotreproposition.— Je vous rejoindrai donc sur les lieux dans une heure, lança le duc d’un ton sec. Et

commenousn’avonsintérêt,nil’unnil’autre,àcequetropdegenssoientdanslaconfidence,nousnouscontenteronschacund’unseul témoin.Encequimeconcerne, jeportemonchoixsurCharlesSeeham.Wilterhamremplira les fonctionsd’arbitre,et jedemanderai laprésencedeLionelHampton,quiétaitmédecinavantdedevenirexplorateur.

Delphinelaissaéchapperuncrid’horreur.—Oh,non!Vousnepouvezpasfaireça.Vousn’allezpasvousbattrepourmoi!Songez

auscandalelorsqu’onapprendraquejesuislacausedeceduel.Jenevouslaisseraipas…—C’estunedécisioncontrelaquellevousnepouvezrien,Delphine,tranchabrutalementle

duc.Cependant,commevousêteseffectivementàl’originedelasituationprésente,jesuggèrequevousveniezassisteràsondénouement.

—J’enaibienl’intention,réponditlajeunefemme.Vousvousconduiseztouslesdeuxd’unemanière abominable.Mais vous devezme jurer que, quel que soit le dénouement, aucun devousn’enparlera.

—Jesupposequenoussavonstouslesdeuxlaconduiteàtenirencequivousconcerne.En tout cas, moi, je me comporterai en gentleman. Mais je ne peux rien assurer sur ce…monsieur.

—Êtes-vousen traindem’insulterdenouveau?s’écriaLockeaveccolère.Mais jevousprometsques’ildoityavoirunbrasenécharpe,ceseralevôtre,Lynchester.Etpasseulementpourquelquessemaines!

Leducsecontentad’adresserunpetit salut ironiqueauxdeuxamants. Il fit volte-faceets’immobilisauninstantsurleseuilpourpréciser:

—Dansuneheure.Jevaisdecepasprendrelesdispositionsnécessaires.Dès que la porte se referma sur lui, Delphine se précipita dans les bras de son

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compagnon.—Vous n’allez pas vous prêter à ce duel stupide, Anthony ! Vous ne le pouvez pas. Et

vousdevezsavoirque…c’estunexcellenttireur.—Jenesuispasmaladroitnonplus,croyez-moi.Enfin,commenta-t-ilosém’insulterde

cettemanière?Aprèsêtreentrédansvotrechambresansfrapper.—Jevousdemandede…renoncer,Anthony.Sans répondre, il se dégagea de l’étreinte de Delphine et, comme l’avait fait le duc

quelques instants plus tôt, il sortit de la chambre. Ce qui fit comprendre à la jeune femme,mieux que des mots, qu’il n’avait pas l’intention de céder à ses supplications. Elle s’habillarapidement.Puis, jetantunecapede fourrurepar-dessussarobe,elledescendit l’escalierencourant.Une foisau rez-de-chaussée,elles’engageapar laporte latéraleetgagna le terraind’équitation,oùdevaitavoirlieuleduel.

Ce que l’on appelait le terrain d’équitation était en réalité un manège très ancien queMarcusStanley avait longuement admiré. Le bâtiment d’origine, construit à lamême époquequelechâteau,avaitétéincendié,puisreconstruitetredécoréparInigoJones[3].

LorsqueDelphinepénétradans le vasteédifice, lesdeuxadversairess’y trouvaientdéjà,flanqués de leurs témoins respectifs : Lord John Fellowes et Sir Charles Seeham. LordWilterham,quidevaitremplirlesfonctionsd’arbitre,étaitégalementprésent.

Apercevantlajeunefemme,leducs’avançapolimentverselleet,laprenantparlamain,laconduisit jusqu’au petit escalier qui permettait d’accéder à la tribune des spectateurs aumomentdesconcours.

—Delà-haut,luidit-il,vousserezbienplacéepourmevoirdonneràLockeuneleçonqu’iln’oublierapasdesitôt.

— Ilseraitbeaucoupplussensé, répliquaDelphined’unairglacial,demettreun termeàcette regrettable affaire et de cesser de vous conduire comme deux imbéciles. Songez uninstantàmaréputation…

—Cela est absolument impossible.Mais je suppose que vous allez tout demême noussouhaiterbonnechanceàtouslesdeux.

— Je ne saurais faire autrement. Et je vous demande en outre de ne pas… blesserAnthony.

—J’espèrequevousluiavezprésentélamêmerequêteencequimeconcerne!rétorqualeducsurlemodesarcastique.

Il luibaisanégligemment lamain;puis, l’abandonnantsur latribune, ildescenditrejoindrelesautres.

LordWilterhampritaussitôtlaparole,s’adressantauxdeuxadversaires.—Vous êtes, bien sûr, au courant des règles. Je compterai à voix haute jusqu’à dix et,

pendant ce temps, vous vous éloignerez l’un de l’autre de dix pas. Ensuite, vous vousretournerezetferezfeu.

Lestémoinsgagnèrentleursplacesrespectives,puisWilterhamcommençaàcompter.Lesdeuxadversaires,quise tenaientdosàdos,semirentenmarche.L’arbitresemblaitprendretoutsontemps,commes’ilvoulaitretarderlepluspossiblel’instantfatal.

—…sept…huit…neuf…dix…Feu!Les deux hommes se retournèrent. Deux coups claquèrent simultanément et se

répercutèrent dans l’immense salle. Puis, lentement, si lentement que cela paraissait irréel,LordLocketombaausol.Leducétaittoujoursdebout,considérantsonrivald’unairhébété.Et

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soudain,JohnFellowes,letémoindeLocke,seprécipitasurlui.—Vousl’avezatteintaucœur,Talbot!—C’estimpossible.—Maispourtant lavérité. Iladûbougeraumomentoùvousavez tiré.Hélas, ilnepeut

guèreyavoird’erreur.Ilestmort.Oupresque.Leducdemeuraitpétrifié,stupéfait.CharlesSeeham,sonpropre témoin,quiétaitallése

penchersurLocke,s’avançaàsontourverslui.—Nousl’avonstué,soupira-t-il.Certes,ilvitencore,maisHamptonaffirmequ’iln’enaplus

que pour quelques minutes. Vous allez devoir quitter ce pays sans délai. Sinon, vous serezarrêté et jugé, accusé d’homicide involontaire et probablement condamné à une peined’emprisonnement.

Leslèvresserrées,leducneprononçapasunmot.EtCharlesSeehamajouta:—C’estlaseulesolution.Vousnepouvezcourirlerisqued’êtreappréhendé,cequiferait

aussitôtapparaîtreenpleinjourlenomdeDelphineBramwell.La jeune femme, descendue en courant du balcon d’où elle avait assisté au drame,

s’approchad’eux,l’airéploré.— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle d’une voix tremblante. Est-ce qu’Anthony est

blessé?—Jesuisdésolé,madame,maisc’estplusgravequecela,réponditCharlesSeehamd’un

tonempreintdelaplusprofondesympathie.—Seigneur!Jenepuisycroire.C’estimpossible.Vousnevouleztoutdemêmepasdire

qu’ilva…mourir?Ilfautquejelevoie.Elleseraitpartieencourantversl’autreextrémitédelasallesiCharlesnel’avaitagrippée

parunpoignet.—N’yallezpas,Delphine,dit-ildoucement.Cen’estpasunspectaclepourunefemme.Ila

étéatteintaucœur.Elleseretournavivementversleduc.— Comment avez-vous pu faire une chose pareille, Talbot ? s’exclamat-elle d’une voix

graveetvoilée.—Vousdevezbiencomprendrequ’ils’agitd’unaccidentetquejenel’aipasviséaucœur.—Nousensommestouspersuadés,repritCharlesSeeham;nousn’endoutonspasune

seconde,maislefaitestlà.Ilvousfautpartir,Talbot.Songezàvotrefamille,songezàDelphineet,pourl’amourduCiel,allez-vous-en.

—Jesupposequec’esteffectivementlaseulesolution,soupiraleducd’unairsombre.S’approchantdeDelphine, ilpritsamaindans lasienneet l’entraînavers laporte, tandis

que les autres se rendaient vers l’autre extrémité du manège, où le médecin était en traind’examinerleblessé.

—Vouscomprendrez,Delphine,ditleducens’arrêtantsurleseuil,que,pourvouscommepourmoi, lemieux est que je prenne le chemin de l’exil. Le scandale sera ainsiminimisé, etlorsquej’aurailapossibilitéderevenir,l’affaireseraoubliée.

Mortellementpâle,lajeunefemmeregardaitencoreendirectiondel’endroitoùgisaitLordLocke.

—Ilyaunechosequejeveuxvousdemander,Delphine,repritleducsuruntondegravitéquiconvenaitauxcirconstances.Êtes-vousdisposéeàmesuivre?

—Avous…suivre?répéta-t-elled’unairdécontenancé.

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—Oui.Voulez-vousm’épouser?Nousvivronsà l’étrangerdurant troisannées,peut-êtreunpeuplus,maisjesuissûrquenousn’auronspastropàsouffrirdecettesituation.

—Troisans!s’écrialajeunefemmeavechorreur.Ceserasilongqueça?—Peut-êtremêmesix.C’estgénéralementlarègledansuncascommecelui-ci.Delphinelefixaitavecdegrandsyeuxeffrayés.Elleneputrépondre,carCharlesSeeham

revenaitverseux.—Wilterhamvous fait diredenepasperdrede temps, commença-t-il.Étant donnéses

fonctionsetsapositiondanscetteaffaire, ildevra,dès ledébutdu jour, faireunedéclarationofficiellesurlesévénements.Etilvaudraitmieuxque,àcemoment-là,vousayezdéjàtraversélaManche.

—Locken’a-t-ilaucunechancedesurvie?—Unesurmille.Etencore!—AllezinformerWilterhamquejem’envaissansplustarder.CharlesSeehamtournalestalonsets’éloigna.—Alors,Delphine,est-ce«oui»ouest-ce«non»?repritleduc.Lajeunefemmelaissaéchapperunsoupir.—Jesuisnavrée,Talbot.Voussavezquemonsouhaitlepluscherétaitdevousépouser,

mais…pasdansdetellesconditions.Pasenexil,loindetoutcequim’attireetquej’aime.—Jecomprends.Ehbien,dèsquejeseraiparti, ilvousfaudraaffirmerquevousignorez

toutcequis’estproduit,quevousn’êtespourriendanscetteaffaire.— Soyez sans crainte, assura-t-elle d’un ton ferme. Je ferai preuve de la plus extrême

prudence.Elles’éloignad’unpasrapidesansajouterunmot.Lui-mêmeregagnalamaison,gravit le

grand escalier quatre à quatre et s’en alla frapper à la chambre qu’occupait Nerissa, tout àcôté de celle de son père. Comme elle ne répondait pas, il ouvrit doucement la porte. A laclartédel’uniquechandelle,ilaperçutlajeunefilleenprière,àgenouxdevantsonlit.Elleétaitsiabsorbéequ’ellenetournapaslatêtetoutdesuiteetqu’il luifallutquelquessecondespourse rendre compte qu’elle n’était plus seule. Surprise, mais en même temps incapable dedissimuler la joie qui illuminait son visage, elle se releva lentement. Le duc referma la portederrièreluiets’avançaversellepourluiprendrelamain.

— Écoutez-moi calmement, ma chérie. Je viens de me battre en duel contre AnthonyLocke et, tout à fait par accident – je vous jure qu’il n’y avait rien d’intentionnel –, je l’aimortellementblessé.

Nerissapoussauncrid’horreur.—Vousavezdit…mortellement?—Ilvitencore,maisHamptondéclarequecen’estplusqu’unequestiondeminutes.—Oh,monDieu!…C’estaffreux!— Étant donné les circonstances et afin d’éviter le scandale que provoquerait mon

arrestation, le mieux que je puisse faire, c’est de prendre le chemin de l’exil. Et je vousdemande…dem’accompagner.

Pendantunbrefinstant,lesyeuxdelajeunefilles’éclairèrent.Puisseslèvressemirentàtrembler,etcefutd’unevoixpresqueinaudiblequ’elledemanda:

—Et…Delphine?—Commeelleétaità l’origineduduel, j’aicrubonde luidemandersielleaccepteraitde

devenirmafemme.Ainsiquejem’yattendais,ellearefusécatégoriquement.

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Nerissaretintsonsouffle.—Ellea…vraimentrefusé?Est-cesonderniermot?—Elleadéclarésesentir incapabled’affronterunexildetroisans, loindetoutcequ’elle

aime.LesyeuxdeNerissas’éclairèrentdenouveau,commeilluminésdemillechandelles.—Jepourraisdonc…vousaccompagner,moi?dit-elled’unevoixtremblanted’émotion.—Jevousledemandeàgenoux.—Oh…Talbot!C’étaitpresqueuneexclamationdebonheur.Ilseretintdel’embrasser,secontentantdelui

expliquer:—Iln’yapasdetempsàperdre.Nousdevonspartirdèsquepossible.Habillez-vous,et

j’enverraiquelqu’unprendrevosbagages.Il la fixa droit dans les yeux pendant une seconde, puis se retira sans ajouter un mot.

Nerissase retrouvaseule.Ellepouvaitàpeinecroireà la réalitédecettevisiteetsurtoutdecettedemandetellementinattendue.Mais,aprèstout,ilsétaienttouslesdeuxlibresdésormaisde se déclarer leurmutuel amour, et rien n’importait hormis le fait qu’ils allaient pouvoir êtreréunis.

Sondépartduchâteauayantétéprévupourlematinmême,elleavaitdemandéàMarydeluipréparersamalle. Ilne restaitplusqu’àyajouter la robequ’elleavaitportéeaudîner,cequ’ellefitaussitôt.Ellesemitensuiteàs’habillersansperdreuneminute.Elleétaitentraindefixerlesrubansdesonchapeauquandonfrappaàlaporte.C’étaitBanks,levaletdechambreduduc,quientrasuivid’unjeunelaquais.

—C’estlàvotremalle,Miss?—Oui.Ilneresteplusqu’àbouclerlescourroies.—SaGrâcevousattendenbas,Miss.Lorsque lesdeux serviteurseurent disparu,Nerissa jeta un coup d’œil autour d’elle pour

voir si elle n’avait rien oublié. Puis, avec l’impression qu’il lui était soudain poussé des ailes,commedanslescontesdefées,ellesortitdesachambreetdévalal’escalierencourantpourallerrejoindreleduc.Ilavaitchangédevêtementset,parlagrandeporte,Nerissaaperçutuncarrosse attelé de six chevaux auprès desquels se tenaient deux domestiques. Il n’y avaitpersonned’autreenvue.

Leducpritsajeunecompagneparlamainetluifitdescendrelesmarchesduperronavantde l’aider à monter en voiture. Tandis qu’ils s’engageaient dans la grande allée bordée dechênesséculaires,ellesedemandaitencoresiellene rêvaitpasetsi ce rêven’allaitpassetransformerencauchemar.Mais,toutdesuiteaprès,ellesentitsursamainlacaressedesoncompagnon. L’homme qu’elle aimait était bien là, tout près d’elle. Ils étaient seuls dans lavoiturequi,lagrilleduchâteauunefoisfranchie,filaitàprésentsurlaroute.

Ellelaissapourtantéchapperunpetitcriavantdebalbutierd’unevoixtremblante:—J’auraisdûlaisserunmotàpapapourluiexpliquercequisepasse.—J’yaisongé.Jeluiaifaitapporterunelettre;etuneautreàHarry.—Vouspensezàtout.—Jepensesurtoutàvous,réponditgravementleduc;etànotreamour.Toutenparlant, ilavaitpasséunbrasautourdesesépaules,et il l’attirait toutcontre lui.

Pendant un moment, ce fut le silence. Puis, de sa main gauche, il dénoua les rubans duchapeau de Nerissa et le jeta sur le siège opposé. Elle posa amoureusement sa tête sur

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l’épauledesoncompagnon.— Êtes-vous sûre, ma chérie, que vous ne regretterez pas ce départ précipité ? Vous

rendez-vous compte que si Locke meurt, nous ne pourrons rentrer en Angleterre avantlongtemps?

—Peu importe,murmura Nerissa, dumoment que je serai près de vous.Mais… vous-même,supporterez-vousl’ennuid’êtreseulavecmoi?

Pourtouteréponse,leducsepenchaverselleetl’embrassapassionnément.Lesoleilselevaitlorsqu’ilsatteignirentDouvres.Cettevillenesetrouvaitqu’àunevingtaine

demilesdeLyn,etlemagnifiqueattelageduducavaitcouvertladistanceenuntempsrecord.Nerissapensaitqu’ilssedirigeraienttoutdroitversleport,oùleducluiavaitditquesonyachtétaitancré.

—Est-cequelecapitainenousattend?demanda-t-elle.—Je l’ai faitprévenirparunmessageràchevalquinousaprécédés.De toutemanière,

lesordrespermanentsquej’aidonnésprécisentquelebateaudoitêtreprêtàpartiràn’importequelmoment.Dèsquenousseronsàbord,ilquitteraimmédiatementleport.NousrejoindronsalorslaFranceoùnousseronsensécurité.

—C’estcequicompteavanttout,murmuralajeunefille.—Auparavant,nousavonstoutdemêmequelquechoseàfaire.Ellen’eutpasletempsdes’étonner.Leschevauxvenaientdefairehalte,etelleapercevait,

parunevitredelaportière,unepetitechapellequis’élevaitàl’extrémitéduport.Ellesetournaverssoncompagnon,lesyeuxagrandisparlasurprise.

—C’est là que les pêcheurs se recueillent avant de prendre lamer ; là aussi que leursépouses viennent prier afin qu’ils rentrent au port sains et saufs. Nous y trouveronsl’atmosphèrequiconvientànotremariage.

Elleledévisageaencorependantuninstantd’unairincrédule.Ilouvritalorsunpetitcoffretdecuirquisetrouvait,depuisledébutdeleurvoyage,surlesiègeopposé.Ilentiraavecmilleprécautionslacouronnedediamantsetdeperlesdécouvertedansletiroirsecretet,avecelle,unvoilededentelle.Ilposadélicatementl’un,puisl’autre,surlescheveuxblondsdesafiancée.

Alors le cocher vint ouvrir la portière du carrosse. Le couple en descendit et gravitlentementlesquelquesmarchesdepierreconduisantàlaportedelachapelle.Enarrivantsurleseuil, la jeune filleentendit l’orguequi jouaitensourdine.L’intérieurde l’édificeétaitplongédans lapénombre,à l’exceptionde l’autel,éclairéparsixciergesetdevant lequelse tenait leprêtre.

En levant lesyeux,Nerissa constataque la voûteétait tenduede filetsdepêche, cequidonnaitàce lieuunairencoreplus intimeetmystérieux.Elle ressentaitcetteatmosphèredesainteté et de dévotion qui réveillait en elle la foi enDieu qu’elle avait toujours conservée aufonddesoncœur.

Leducseplaçaderrièreelleetluiôtasacapedevoyagequ’ildéposasurunbancvoisin.Ettandisqu’ilsremontaientlanefcôteàcôte,lajeunefille,vêtuedesarobeblanche,paréeduvoile de dentelle et de la couronne étincelante, ressemblait bien à l’heureuse mariée qu’elleavaittoujoursrêvédedevenir.

Bienquelachapellefûtdéserte,ellelasentaitremplieparlesespritsdetousceuxquilesaimaient et n’auraient pas voulu les voir semarier sans leur bénédiction. Elle était sûre quel’âme de samère était présente, comme l’était celle de la mère de son fiancé. L’infortunée

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jeuneduchessedutempspassésetrouvait là,elleaussi,tellequ’ellel’avaitaperçuedanssonrêve. A présent, la couronne revenue et la malédiction levée, son beau visage reflétait lebonheuretlapaix.Elledemeureraitpourl’éternitéauprèsdumariqu’elleavaittantaiméetquil’avait aimée. Tout cela était bien étrange etmystérieux, songeait Nerissa ; et pourtant, elleétaitcertainedesaréalité.Leduc,luiaussi,paraissaitressentirlamêmechose.

Plustard,tandisqueleprêtreprocédaitàlacérémoniedumariage,ellesentitqu’ilsétaientbénis, comme peu de couples ont le privilège de l’être, par un amour capable de supportermaints sacrificesmais qui ne pouvaitmourir. Lamusique de l’orgue les accompagnait tandisqu’ils redescendaient la nef, désormais mari et femme et unis. Dès qu’ils se retrouvèrentdehors, sur le minuscule perron de la chapelle, les yeux de Nerissa furent éblouis par lesrayonsdusoleil.Celapréfiguraitlebonheurqu’elleallaitconnaîtreauprèsdeceluiquil’aimait.

Lecarrossenemitquequelquesminutespourgagner l’endroitoù leyachtétaitancré. Ils’appelaitleSeaHorse– l’Hippocampe–,et ilétaitplusgrandqueNerissanel’avait imaginé.Dèsquelesjeunesmariésfurentmontésàbord,ils’éloignalentementduquaiendirectiondescôtes de France.Mais le duc voulut éviter à son épouse de voir disparaître la terre de sesancêtres,afindenepasl’attrister.Aussilaconduisit-ildansleurcabine,laplusbelleetlaplusconfortabledontellepûtrêver.

— A présent, vous allez dormir, lui dit-il doucement, car vous devez être épuisée. Nousavons toute la vie devant nous, mon amour, et nous aurons à votre réveil une longueconversation,carj’aimillechosesàvousconfier.

Elleauraitvouluprotester,mais ilétaitvraiqu’ellesesentait lasse,après lesévénementsquivenaientdesesuccéderensipeude temps.Toutavaitétési inattenduetsidramatique.Elleavaitfortpeudormidurantlanuitdudimanche,tropexcitéeaprèslesbaiserspassionnésduduc.Aprésent,avantdelalaissersereposer,cen’étaitpasdelapassionqu’ilmettaitdanssonbaiser,maisdeladouceuretdeladélicatesse,commesielleétaituneœuvred’art,fragileetprécieuse.Puis,sansbruit,ilsefaufiladehors,etelleseretrouvaseuledanslacabine.

—Sais-tuqu’ilyaexactementunesemainequenoussommesmariés?demandalajeune

femme.Ilsétaientétenduscôteàcôte,etelleserapprochadesonmariquil’entouradesonbras.

Illapressacontreluiavecuntelleardeurqu’ellepouvaitàpeinerespirer.—Tudois être fatiguédeme l’entendredire, reprit-elle d’une voix tremblante d’émotion,

mais…jet’aime.—Alors,parle-moidetonamour.Elleluioffritsonpluscharmantsourire.—Chaquesoir,aprèsnotrejournéepasséeensemble,jemedisqu’ilmeseraitimpossible

de t’aimerdavantage ;etpourtant, chaquematinenm’éveillant, jesensque je t’aimeencoreplusquelejourprécédent.

—Es-tucertainededirelavérité?plaisanta-t-il.D’un geste caressant, il écarta les cheveux blonds qui retombaient sur son front. Elle

contempla le visage de son mari en se disant avec bonheur que l’amour l’avait rajeuni. Ilparaissaitplusbeauquejamais,etseslèvresn’avaientplusceplid’amertumequil’inquiétaitsisouvent.Tous lesmotsqu’ilprononçait, tous lesgestesqu’il faisaitsemblaientvibrerd’amour,etellesongeaitqu’ilnepouvaitexisterdeparlemondeuncoupleplusheureuxqueceluiqu’ilsformaientensemble.

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—C’estamusant,toutescesescalesdanslespetitsportsfrançais,dit-elle,commesielleseparlaitàelle-même.Descendreàterre,admirerlespaysages,savourerladélicieusecuisinequel’onnoussertdanscesmerveilleusesauberges.

Il luiprit levisageentresesmainsetsemità l’embrasser,doucementd’abord,puisavecune passion grandissante àmesure qu’il sentait le corps de la jeune femme frémir et vibrercontrelesien.

—Lepremierjouroùjet’aivue,machérie,jet’aitrouvéetrèsbelle,maistuesencoreplusextraordinaireàprésentquetuesdevenueunefemme.

Elle se sentit rougir à cette remarque, tandis qu’il poursuivait en la caressantamoureusement:

— J’ai parfois l’impression que certaines demes paroles choquent ta pudeur. Pourtant,chaquefoisquejetefaisl’amour,jetesensdevenirunpeuplusfemme.

Ellecachasonvisagecontrelapoitrinedesonmari.—Jesaisque tum’asapprisbeaucoupdechoses,et je veuxensavoirplusencore. Je

veuxaussitoutsavoirdetavie,toutsavoirsurLynetsonhistoire.Elleprononçacesderniersmotsavecunlégertremblementdanslavoix,carellecraignait

quesonmarin’éprouvâtlanostalgiedesonantiquedemeurefamiliale.Endépitdeleurunionetdetoutcequ’ilsfaisaientensemble,ildevaitparfoisrêverdeseretrouverdanscettemaisonoùilétaitnéetqu’ilaimait.

—JesuiscertainquetoutsepassebienàLyn,dit-il,commes’ildevinaitlespenséesdelajeunefemme.J’aidemandéàtonfrèred’avoirl’œilsurlesécuries,unetâchequivaleraviretàlaquelleilapporteratoussessoins.Jel’aiégalementpriédenepasrepartiravantquetonpèren’aitrecueillitouslesrenseignementsnécessairesàlarédactiondesonlivre.

—Tuesvraimentadorable,monchéri.Tupensesàtout.—Enoutre, lorsque tonpèreet ton frèredéciderontde rentrer chezeux,mon intendant

leurattribueradeuxserviteursquilessuivrontàQueen’sRest.Lajeunefemmelevaverssonmariunregardpleind’amouretdereconnaissance.— Je me sens toute honteuse, dit-elle avec un souffle, de ne pas m’être souciée

davantagedepapaavantnotredépartprécipité.Maseuleexcuse,c’estquejenepensaisqu’àtoietànotreamour.

Leducémitunpetitrire.—Cequej’aifaitpourtonpèreetpourtonfrère,c’estdel’égoïsmeàl’étatpur,monange.

Decettefaçon,dégagéedetoustessoucis,tupeuxreportertonattentionsurmoi!Etjeseraisaffreusementjalouxsitupensaisàquelqu’und’autre.

Elleseblottitunpeupluscontrelui.—Celapeutparaîtreétrange,mais…maisjenet’aijamaisposédequestionssurleduel

etlesraisonsquetupouvaisavoirdetebattrecontreLordLocke.—Jenedésirepasenparlerpourlemoment,monamour.Plustard, jet’expliqueraitout.

Mais comme tu dois être aussi impatiente que moi de savoir ce qui se passe à Lyn, nousfaisons route en cemoment versCalais, oùmon secrétaire doit venir nous rejoindre. Il a dûtraverser la Manche ce matin à la première heure pour venir nous apporter les dernièresnouvelles.

Nerissa garda le silence pendant un instant. Puis, soudain, elle se redressa tandis qu’unéclairdefrayeurpassaitdanssesyeux.

—Tucroisqu’ilyauradespolicierspour…t’arrêteretteramenerenAngleterre?

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—Ilestimpossiblequecelaarrivetantquejesuissuruneterreétrangère.Lesmagistratset les policiers britanniques ne possèdent aucun pouvoir de l’autre côté de la Manche. Net’inquiète donc pas, mon amour. Les tracas et les ennuis, cela ne doit plus jamais tepréoccuper.J’yferaiface,aucasoù.

Nerissadevaitavouerque,toutàsonbonheur,ellen’avaitguèresongéàlasituationqu’ilsavaientlaisséderrièreeux.Aprésent,ellecomprenaitqueladisparitionsoudaineduducavaitdûprovoquerunsérieuxchoc.QuantàDelphine,malgrésonrefusdelesuivreenexil,elleavaitsûrement été furieuse en constatant que sa sœur avait pris sa place. Nerissa ne souhaitaittoutefoispasenparleràsonmari.

Versmidi,leyachtentradansleportdeCalais,etleducdescenditàterretoutseul,ainsique l’avaitprévuNerissa.Ellecomprenaitqu’il cherchaità laprotégerde l’annonceéventuelledemauvaisesnouvelles, considérant que si la situationne s’arrangeait pasd’unemanière oud’une autre, il serait toujours assez tôt pour le lui annoncer à son retour au bateau. Elle sesentait nerveuse et agitée.Montée sur le pont, elle ne pouvait s’empêcher de faire les centpas,lesyeuxfixéssurlequai,toutensachantqu’ellen’avaitaucunechanced’yapercevoirsonmari.Finalement,ellerésolutd’allers’asseoirdel’autrecôtédubateaupourcontemplerlamer.

Ilétaitpresquel’heuredudéjeunerlorsqueTalbotreparut.Elleseprécipitaversluiavecuncridejoie.Etavantqu’iln’ouvrîtlabouche,elleavaitcomprisquetoutallaitbien.

—Debonnesnouvelles?demanda-t-ellevivement.—Trèsbonnes.Illafitasseoirauprèsdeluisurunbancdeboisetpritsamaindanslasienne.—Chérie,c’estpresqueunmiracle.AnthonyLockeestparvenuàs’entirer,endépitdes

pronosticslespluspessimistes,etilestenvoiedeguérison.N’encroyantpassesoreilles,Nerissaledévisageaensilence.—Cequisignifieque,dèsquenouslesouhaiterons–c’est-à-direàlafindenotrelunede

miel–,nousseronslibresderegagnerl’Angleterre.Lajeunefemmesentitunimmensesoulagementl’envahiretsoudaindeslarmessemirent

àcoulersursesjouessatinées.Elleenfouitsatêtecontrel’épauledesonmari.—Tupleures,machérie?— Ce sont des larmes de bonheur, mon amour. J’ai prié, tellement prié pour que tout

s’arrangeetquetunesoispasforcéderestertroplongtempsenexil.—Tesprièresontétéexaucées,monange,etjeneveuxpastelaisserpleurer.Jedésire,

aucontraire,tevoirrire,tevoirheureuse.Aprésentet…duranttoutenotrevie.Ilsemitàlacouvrirdebaisersjusqu’àcequ’elleretrouvâtsonsourire.Quelquesinstantsplustard,aumomentoùilss’apprêtaientàdescendrepourledéjeuner,il

s’avança jusqu’à la proue et laissa errer son regard sur la mer. Peu d’espace séparait laFrancede l’Angleterre. Il songeaitquedans trois semaines–auplus tarddansunmois– lanouvelleduchesseferaitsonentréeofficielleauchâteaudeLyn.Etelle ignorerait toujours,sedit-il,lesdétailsduplanmachiavéliquequ’ilavaitmisaupointavecAnthonyLocke.Ilss’étaientjurémutuellementdenedévoilerlavéritéàquiconque.Seulslesamisquilesavaientaidéspourl’organisationdeleur«duel»étaientforcémentaucourant.

Justeavantleduel,LordLockeavaitavouéauducqu’ilaimaitDelphined’unamoursincèreetpartagé,maismalheureusementilnepossédaitrien,pasmêmeunemaison.

Leduc lui avait alorsproposé, connaissant sesqualitésdecavalier, desechargerde lapréparationde ses coursesde chevaux. Il lui avait expliquéqu’il possédait àNewmarket une

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maisonoù ilserait logés’il ledésirait,ainsiqu’uneautreàLondresoùDelphinetrouverait toutce qu’elle souhaitait. Locke accepta. Il était convaincu que la jeune femme, bien que cettesolutionfûtquelquepeuendessousdesesambitionsaccepteraitdésormaisdevivreaveclui.Etilsetarguaitdepouvoirlarendreheureuse.

En échange, le duc décida que le duel devait se faire avec des revolvers chargés decartouchesàblanc.Ensuite,leducprendraitlechemindel’exiltandisqueLockefeindraitd’êtreà l’article de lamort, les témoins et lemédecin étant naturellement dans la confidence. Toutavaitété réglédans lesmoindresdétails,et lebraveDrHamptonavaitmêmemaquillésur lapoitrinedu«blessé»unecicatriceparfaitementréalisteetconvaincante.Delphinen’yavaitvuquedufeu.

Aujourd’hui,lesecrétairedeTalbotLynchester–quin’étaitbienentendupasaucourantdecettemiseen scène– venait informerSaGrâceque laguérisondeSaSeigneurieétait bienplusavancéequ’onn’auraitpus’yattendreétantdonnélescirconstances,etqu’ilavaitdécidéd’épouser Lady Bramwell. Le duc fit transmettre ses félicitations aux fiancés. Il savait quelorsqu’ilannoncerait cettenouvelleàNerissa, lesderniersnuagess’envoleraientdesoncœurcommeparmagie.

J’aima foi étéassezhabile, sedisait-il non sansune certaine fierté.Et pourtant, je suispersuadéquec’est ladécouvertede lacouronnede l’infortunéeduchessequiavéritablementlevé lamalédictionquipesaitdepuisdessièclessur lamaisondesLynchester.Jedois toutàNerissa.

C’était làunehistoireabsolumentfascinantemaisqu’il lui fallaithélaséviterd’ébruiter,carlefauxdueldevaitresterunsecretpourtous.Ilétaitnéanmoinsheureuxdelaréussitedesonplan sans la moindre anicroche. Et il savait que Nerissa, avec sa douceur, sa pureté, sasensibilité,allaitapporteràLynuneèrenouvelledebonheuretdeprospérité.

Lesoirdecettemêmejournée,aprèsdenouveauxbaisersenflamméssouslesétoiles,ilsallèrentdansleurlitenlacés.Alorsleduc,prenantlamaindesajeunefemme,sedécidaenfinàluifairepartdelanouvelle.

—J’aiquelquechoseàt’apprendre,machérie,etjecroisquecelateferaplaisir.—Qu’est-ce que c’est ? Durant toute la journée, j’ai eu l’impression que tume cachais

quelquechose.—Ilnefautpaslireainsidansmespensées,monamour.Tuesbeaucouptropperspicace,

etjecommenceàmedemandersitun’espasunpeusorcière.—Si je ressens très fortcertaineschoses,c’estseulementparceque je t’aimeetque la

moindreexpressiondetonvisage,lapluslégèreintonationdetavoixmepermettentdesondertonâme.

Ill’embrassasurlefrontavantdecontinuer:—Veux-tumaintenantécoutercequej’aiàtedire?—Biensûr.Surtouts’ils’agitd’unebonnenouvelle,commetumel’aslaisséentendre.—TasœurDelphinevaépouserAnthonyLocke.Nerissalaissaéchapperuncridejoie.—Exactement ceque je souhaitais,dit-elle. Jesavaisqu’elle l’aimait autantqu’il l’aimait.

Seulement…elleauraitencorepréférédevenirduchesse.— Elle découvrira que l’amour véritable vaut mille fois une petite couronne sur ses jolis

cheveux.—Jesuis trèscontente.Désormais, jenecraindraiplusde larevoir lorsquenousserons

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deretourauchâteau.—Toutestescraintes,tesappréhensionsvontdisparaîtrepourneplusjamaisrevenir,ma

chérie.Ilsemitsuruncoudeetplongeasesyeuxdanslessiens.—Jesongeaistoutàl’heurequejesuisl’hommeleplusheureuxdelaterreparcequeje

t’ai rencontrée.Un vraimiracle, d’ailleurs. Si ta sœur n’avait pas insisté pourmemontrer samaisonnatale,jenet’auraissansdoutejamaisconnue.

—Oh,chéri,direquej’auraispupassermavieentièresansterencontrer!Biensûr,Harrym’avaitdéjàparlédetoi.Etdetaréputation,quin’étaitpasdesmeilleureslorsqu’ils’agissaitdetesrelationsaveclesfemmes.

Leducluisourit.—Celaapuêtrevraidanslepassé.Maisàprésent…jesuisdevenuunsaint,etaucune

autrefemmequetoinesauraitretenirmesregardsunseulinstant.—Est-cebiensûr?—Absolument.Jenepuisêtretentéqueparuneseule.Ettusaisdequiils’agit.Elleestsi

belle,siensorcelantequenulleautreaumondenesauraitl’égaler.Nerissapoussaunmurmuredesatisfaction.—C’estexactementcequejevoulaist’entendredire,chéri!Pourtant, lorsdelafêtedes

Fleurs, le pauvre petit myosotis paraissait tellement insignifiant, il n’était qu’un petit « nem’oubliepas».

Les lèvres du duc frôlaient celles de la jeune duchesse, tandis que ses mains avidesparcouraientamoureusementsoncorpsfrémissant.

—Commentaurais-jepul’oublier?Lepetitmyosotisétaitleseulcapabledem’inspirerunsentimentprofondetdurable.Tues laplus jolie femmeque j’aie jamais rencontrée,et jesuisamoureuxfoudetoi.

Ils’emparadeseslèvresquis’entrouvrirentsouslacaresse.Ilsesentaitdévoréparunfeud’uneprodigieuse intensité.EtNerissapartageait sonextase. Ils étaient un, unis de corpsetd’esprit. Ils découvraient ensemble des rivages inconnus, les rivages d’un amour pur et sansombre.

L’Amourquiunitdeuxêtrespourl’éternité.

[1]Thestrawberryleaves,feuillesdefraisier:termefamilierpourdésignerlacouronneducale(N.d.T.)

[2]Portraitisteanglaisd’originehollandaise(1618-1680),auteurd’élégantsportraitsduroiCharlesIeretduducdeBuckingham(N.d.T.)

[3]Célèbrearchitecteanglais(1573-1652)(N.d.T.)