Notre sol s'en va - Marie Antoni

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« Notre sol s’en va » Marie ANTONI sous la direction de Monique Toublanc mémoire de 3 e année mai 2015

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Ecole Nationale Supérieure de Paysage de Versailles Mémoire de 3e année sous la direction de Monique Toublanc mai 2015

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« Notre sol s’en va »

Marie ANTONI

sous la direction de Monique Toublanc

mémoire de 3e année

mai 2015

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« Notre sol s’en va »Histoire de coulées de boue

dans le Bas-Rhin

ENSP Versaillesformation paysagistes DPLGmémoire de 3e annéemai 2015

Marie ANTONIsous la direction de Monique Toublanc

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«Notre sol s’en va»

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Chapitres

Prologue 9Introduction 13

1- Les coulées d’eau boueuse en Alsace 171a- Quatre communes des collines sous-vosgiennes 171b- Portraits d’agriculteurs 561c - La coulée de boue, une «catastrophe locale» 701d- Controverses sur les origines du risque 92

2- Stopper la boue 1072a- Conflits et médiatisation du problème 1072b- La mise en place de groupes de travail 1112c- Un panel de mesures de luttes 116 A- Protéger le village des inondations 118 B- Ralentir l’eau et stopper la boue 128 C- Retenir la terre dans les champs 144

3- Le risque, outil de prise de conscience paysagère 1753a- De mesures techniques à des projets de paysage 1763b- Paysage social : regards sur le travail agricole 1843c- Le rôle du paysagiste 194

Conclusion 203

Sigles utilisés 206Mots alsaciens employés 207Bibliographie 208Remerciements 215

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AM

Toutes les figures signalées par les initiales AM sont réalisées par l’auteur.

«Notre sol s’en va»

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prologue

Les coulées d’eau boueuse… drôle de sujet ! Elle pouvait choisir ce qu’elle voulait, et elle nous parle de boue ! C’est bien que, si le problème est précis et qu’il reste un phénomène très lo-calisé, il soulève pourtant des questions actuelles et essentielles. Il parle de la place de l’agriculture en milieu rural, des évolutions du paysage agricole, et du regard qu’on porte à ces espaces tour-nés vers la production alimentaire.

Je suis partie d’une envie, celle de rencontrer des agricul-teurs, et de parler avec eux de la terre. Je voulais mettre en lien le paysage, le sol dans sa dimension physique, et l’agriculture. Je souhaitais faire du terrain, avoir les mains dans la terre, écouter, demander qu’on me raconte. Entendre l’histoire de vies. Ce qui m’avait plu dans les mémoires antérieurs, c’était le travail sur la parole, des histoires contées, des carnets de bord, de notes, de voyage.

L’agriculteur et son sol, c’est vaste, comme sujet. Déjà, il fal-lait trouver un terrain d’étude. J’ai choisi l’Alsace, où j’habite. Ce n’est pas par paresse ou par défaut que je choisis mon pays. Je désirais travailler sur un espace rural, à vocation agricole, mais, parce que la rencontre d’agriculteurs ne se fait pas toujours d’un claquement de doigts. Je devais bien connaître la région, pouvoir y aller souvent et plusieurs jours de suite, et si possible avoir déjà quelques contacts pour faciliter les premiers entretiens.

Pour les rencontres, venir de la région aide beaucoup. Cer-taines personnes ont été très surprises quand je leur ai dit que j’habitais Versailles (quelqu’un de Paris s’intéresse à nous?). Il va-lait mieux montrer que je connaissais la région, ses paysages, et les problèmes qu’elles vivaient ; chez ces personnes qui descendent

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des familles paysannes, ancrées au cœur de leurs villages, il faut comprendre un minimum la langue, les expressions, les usages.

La question des coulées d’eau boueuse m’est venue lors de ma première visite. En me promenant, je voyais les aménagements récents du village : des fossés, des plantations nouvelles dans les champs… m’est revenue l’histoire des coulées de boue. Histoire dans laquelle je me suis plongée, tirant les fils, et que j’essaie de vous raconter ici.

J’ai fait un premier tour d’horizon du site d’étude une se-maine en novembre. Les communes d’étude n’étaient pas encore fixés, je me suis promenée, j’ai dessiné. J’ai fait un entretien. Déjà, le temps était au gris, et je n’ai pas croisé grand monde sur les routes molles de terre.

J’y suis retournée du 25 au 31 janvier 2015. La neige était présente par intermittence. Le temps humide et froid ne donnait pas l’envie au dessin. Pendant cette semaine, j’ai surtout rencon-tré des agriculteurs.

Je les avais appelés la semaine d’avant. J’avais lu ce que disait F.Divernesse dans son mémoire (Divernesse, 2014) , et j’ai pris ses recommandations en compte. C’est vrai que c’est dur d’ap-procher les agriculteurs, surtout si notre sujet est vague comme le paysage. Je ne voulais pas les interroger frontalement sur les questions de coulées de boue : il fallait voir s’ils en parlaient d’eux-mêmes, si c’était un vrai problème pour eux. J’ai donc pris mes rendez-vous en expliquant que je venais de Grassendorf, que je voulais les rencontrer, discuter un peu de la région, de l’évolution de l’agriculture par ici, du paysage. J’ai essayé de les contacter d’abord après le repas, dans les alentours de 13h, mais soit on ne décrochait pas, soit c’était la femme qui répondait, me disant un peu sèchement que le mari n’était disponible. J’ai alors passé mes appels entre 19h et 20h. Tous les agriculteurs qui ont répondu à mon coup de fil ont accepté que je vienne les voir. J’avais de la chance, on était au mois de janvier, la plupart étaient principalement céréaliers, et je les appelais juste dans la saison

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creuse, en plein hiver. J’ai donc pu voir un ou deux agriculteurs par jour pendant toute la semaine, six rencontres en tout. J’étais épuisée : trouver l’endroit, être attentive, prendre des notes, po-ser les bonnes questions. J’avais déjà réalisé quelques entretiens lors de l’exercice du canton, mais nous n’étions jamais seul, et j’ai pu voir que c’est très différent, demandant une implication et une énergie beaucoup plus grandes.

Je suis sortie de cette semaine pleine d’élan et d’envies, mais j’ai pris conscience du temps que me prendraient les entretiens: il ne fallait pas seulement rencontrer les personnes, je devais par la suite retranscrire et analyser ce qu’ils avaient dit ! Heureusement aussi que je n’avais pas pris plus de rendez-vous dans la semaine, j’avais décidé de garder quelques contacts pour plus tard, une fois que j’aurai fait le bilan de cette première session.

Ma troisième visite s’est faite la semaine du 23 au 28 février. J’ai rencontré un agriculteur de Grassendorf, pour avoir le point de vue d’au moins un agriculteur par commune, et un maire, très impliqué dans le sujet. Il m’a donné beaucoup de plans, d’études, m’a parlé de l’avancement des projets en cours. Le reste de la semaine, comme le temps était bien plus clément et que le prin-temps arrivait, j’ai vadrouillé à nouveau autour de ces villages que je connaissais bien, mais en étant attentive à ce dont les agri-culteurs m’avaient parlé pendant les entretiens. A vélo avec la tarière, j’ai fait quelques trous pour toucher la terre, des croquis, des photos. A cette époque de l’année, on pouvait bien voir dans les champs si un engrais vert était encore en place, mais surtout si la culture était d’hiver ou de printemps, ce qui, nous allons le voir, est important pour ce sujet.

J’ai pris des notes, des croquis. Ce matériau brut se retrouve dans mon carnet de bord.

Mon matériau part donc en premier lieu du terrain et des personnes que j’y ai rencontré : ce mémoire est donc surtout basé sur la parole des neuf personnes rencontrées, racontant l’histoire de ce paysage alsacien.

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Weitbruch, mai 2012. ©DNA, Franck Kobi

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introduCtion

La boue.Quelle saleté, ni eau, ni terre, entre-deux toujours détesté.

Ça colle, ça glisse, le chariot s’y enfonce, les chemins deviennent impraticables, le pas doit se faire prudent.

Boue haïe des soldats par temps de guerre, mouillés du des-sus, mouillés du dessous, et dans les tranchées inondées, la boue tapissant toute chose, créant des golem mi-morts mi-vivants.

Et ici, la boue, terre arable, fines particules d’argile, empor-tée par l’eau tombant à verse d’un ciel de printemps, emportant quelques millimètres de cette terre précieuse, ravinant dans les parcelles, noyant les betteraves, et glissant vers les villages pour se déposer, narquoise, sur les rues, les cours, les caves. La terre, un jour ici, reprend ses droits sur le sol enrobé, si propre, si lisse. Le temps d’une heure, d’une demi-journée, elle recouvre tout, se venge de la volonté des hommes à imperméabiliser son sol. Catastrophe ! Ça durcit, ça craquelle.

Saleté de boue.

Ce mémoire parle d’un risque. Un risque pas très grave à priori, très localisé dans le temps et dans l’espace, auquel sont confrontés beaucoup de villages en Alsace. Presque chaque an-née, au printemps, quelques villages alsaciens, pas toujours les mêmes, sont touchés par des coulées d’eau boueuse. Commu-nément appelées « coulées de boue », elles tapissent en quelques minutes les villages d’une vingtaine de centimètres d’eau chargée d’argile. Cette boue, c’est la terre agricole, qui fuit les champs au moment où les cultures de printemps laissent le sol à nu. Les agriculteurs sont jugés responsables de la saleté des villages, mais ils sont aussi les principales victimes des orages qui érodent leur terre. « Lutter contre les coulées de boue », est alors un devoir que se font les communes et les agriculteurs.

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Les quatre communes que nous allons explorer mettent en place des actions différentes pour prévenir ce risque et protéger les habitants. De la maison au champ, un éventail de mesures apparaissent. Aucune n’est miraculeuse, mais les réunions, les discussions entre les différents acteurs mettent des projets en marche.

Quels impacts ces projets ont-ils sur le paysage ?

Un risque comme celui-ci suffit-il à renouer le dialogue entre les habitants et leur village, entre les agriculteurs et leur outil de travail qu’est le sol ?

Le paysage alsacien risque de se banaliser, entre l’extension urbaine en poches de lotissements et l’agriculture qui doit suivre les lois du marché en s’intensifiant. Les coulées de boue touchent à l’agricole, peuvent-elles remettre en cause un système produc-tif ?

Pour trouver des solutions durables, une collaboration doit se faire entre le village et ses champs. Comment peuvent en émerger des projets positifs pour la société, l’environnement et le paysage ? Un paysagiste peut-il s’emparer des projets qui émer-gent à l’échelle du bassin versant pour redonner une cohérence au paysage local ?

Le risque de coulées d’eau boueuse et d’érosion des terres ne serait-il pas une aubaine pour le paysage des collines alsaciennes ?

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Ettendorf, mai 2012. ©DNA

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1- Les couLées d’eau boueuse en aLsace

1a- Quatre communes des collines sous-vosgiennes

Alteckendorf, Ettendorf, Grassendorf, Morschwiller. Voici les noms des communes que nous allons découvrir. Elles se si-tuent dans le département du Bas-Rhin, au Nord-Ouest de Stras-bourg, entre Saverne et Haguenau. Ce sont des villages voisins. Les quatre ont été plus ou moins touchés par les coulées d’eau boueuse, tous ont été portés au moins une fois en état de catas-trophe naturelle pour « inondation et coulées d’eau boueuse ».

Nous allons d’abord nous intéresser à ce territoire rural : dans quel ensemble il se situe, les logiques d’implantation des vil-lages, l’histoire qui les a façonnés. Nous allons dans ce premier temps comprendre les enjeux du territoire d’une part, du risque de coulées de boue d’autre part.

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Outre-forêt

Vosges du Nord

Collines de BrumathZorn

Moder

Sauer

Bruche

Ill

RhinmassifVosgien

Kochersberg

Piém

ont

Piém

ont v

itico

le

Agglomérationde Strasbourg

Forêt de Haguenau

Plained’Erstein

Secteur d’étude

Le Bas-Rhin et ses unités paysagères

(d’après la carte topographique IGN)

N10 km

AM

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Les collines sous-vosgiennes

Le Bas-Rhin est composé d’unités paysagères globalement organisées en bandes Nord/Sud, Entre le massif vosgien à l’Ouest séparant l’Alsace de la « France de l’intérieur », et le Rhin à l’Est, qui forme la frontière avec l’Allemagne. A l’Ouest d’abord, la montagne vosgienne recouvre par les bois les reliefs bombés et le sol granitique (Hautes Vosges) ou gréseux (Vosges du Nord).

A ses pieds, une bande de quelques kilomètres, au relief moins marqué mais dont le sol ne permet pas la culture céréa-lière, forme la transition entre les montagnes et la plaine. C’est le Piémont Vosgien, vêtu de vignes au Sud, de prairies au Nord de la Bruche.

A l’Est des piémonts et jusqu’au Ried du Rhin dont Stras-bourg forme le centre, la plaine vallonnée se découpe selon les cours d’eau : la Bruche, la Zorn, la Moder, la Sauer, qui encadrent des paysages différents. Au Sud de la Bruche, la plaine plate d’Erstein s’avance jusqu’aux vignes du piémont. Entre la Bruche et la Zorn, le Kochersberg est directement rattaché à Strasbourg ; son sol de loess profond en fait le grenier de l’Alsace. C’est l’es-pace le plus riche, et ses villages replets, tournés jusqu’à peu ex-clusivement vers l’agriculture, sont destinés à nourrir la capitale régionale.

Entre la Zorn et la Moder, les collines de Brumath et de Hochfelden, où nous nous trouvons, forment un écho à cette région, en un peu moins riche. Les pentes sont un peu plus mar-quées, les sols un peu moins fertiles.

Au Nord de la Moder, un paysage de Hardt, au sol sableux, a laissé s’installer une immense forêt domaniale, la forêt de Hague-nau. Au Nord reprend l’agriculture : c’est l’Outre-forêt limoneux, limite Nord de l’Alsace, connu pour ses traditions populaires qui persistent et sa poterie.

Secteur d’étude

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Quatre communes, deux bassins versants

A : AlteckendorfE : EttendorfG : GrassendorfM : Morschwiller

Landgraben

Lomdgraben

Moder

M301.

288.

150.

270.

G

A

°Mommenheim

Pfaffenhoffen

Schweighouse

E

ZornN

1 km

AM

(d’après les cartographies IGN)

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L’eau et le relief

Nous sommes entre la Zorn et la Moder, qui coulent d’Ouest en Est, se rejoignant après Rorhwiller avant de se jeter dans le Rhin.

Nous sommes à la limite de deux bassins versants : par Etten-dorf puis Alteckendorf passe le Landgraben, qui coule du Nord au Sud. C’est un affluent de la Zorn. Grassendorf et Morschwiller eux sont implantés le long d’un fossé, le Lomdgraben, coulant lui de l’Ouest vers l’Est, et affluent de la Moder. Ces communes se situent en amont de ces petits cours d’eau : la pluie qui tombe à Grassendorf se retrouve à Ohlungen et dans la Moder, celle qui coule à Ettendorf descend vers Mommenheim et vers la Zorn. Ces communes sont donc peu touchées par des problèmes d’inondation de cours d’eau, mais une mauvaise gestion de l’eau à ce niveau pourrait aggraver la situation des communes en aval.

Nous nous trouvons donc dans une région de petites col-lines douces et larges, avec des bas de pente autour de 170, 200m d’altitude, et des collines qui atteignent 270 à 300m. Le dénivelé n’est pas très important, rares sont les pentes qui dépassent 10%, sauf au dessus de Morschwiller (15%) et à Ettendorf où il y a des pentes jusqu’à 20%. Ces pentes-là ne sont pas cultivées.

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Les villages

Grassendorf et Morschwiller vus depuis la colline - 23/02/2015

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Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Les communes m’ont été décrites par les agriculteurs que j’ai rencontrés. Je les présente ici, des portraits plus complets seront faits plus loin.

A Morschwiller : Raymond

A Grassendorf : Pierre et Michel

A Ettendorf : Henri

Raymond, 40-45ans,éleveur laitiernon-labour depuis 2004

Pierre, env. 45ans,double actifcéréalier

Michel, 60-65 ans, ingénieur agronomeet agriculteurretraitéattention forte au sol et au paysage

Henri, env.65 ans, éleveur de taurillons et céréalierretraité

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A Alteckendorf : Jacques, Alain et Didier

Hors du terrain d’études, à Néewiller-près-Lauterbourg : Serge

Jacques, 55-60 ans,éleveur vaches allaitanteset céréalier

Alain, env.45 ans,céréalier

Didier, env.50 ans,éleveur de taurillons et céréalier

Serge, env.50 ans,céréaliernon-labour depuis 2001militant du non-labour

AM

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Morschwiller

Postée sur une colline, je regarde Morschwiller.C’est une commune de 500 habitants, qui s’adosse au versant

Sud de la « colline de Morschwiller » (je n’ai pas trouvé d’autres noms sur l’IGN, bien qu’elle doit en avoir un), qui s’étire dans la direction Est-Ouest. Il y a 100m de différence entre le haut de cette colline, qui culmine à 301m, et le bas de la commune. Ni les maisons ni le clocher ne dépassent de cette butte molle. De l’autre coté, Morschwiller se repère pourtant de loin : un pylône radio ou téléphonique dressé au plus haut point de la colline indique la position du village comme une flèche. Et il se voit de loin: on le distingue encore depuis le château de Lichtenberg dans les Vosges du Nord. Cette colline nous fait basculer de vil-lages connectés à Hochfelden, au Sud, à la vallée de la Moder avec la ville de Pfaffenhoffen, au Nord.

Morschwillersuperficie communale : 462 hanombre d’habitants : 584 (2012)

SAU1 : 429 hasurface labourable : 379 ha (~290 ha de céréales)surface toujours en herbe : 50 ha (53 en 1988)nombre d’exploitations : 7 (21 en 1988)cheptel : 259 UGB2 (311 en 1988) (source : recensement agricole 2010)

1- SAU : Surface Agricole Utilisée

2- UGB : Unité Gros Bétail

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N

0 200 500m 1 km

le territoire de la commune de Morschwiller

relief

village

forêt

cours d’eau

Lomdgraben

AM

prairie

maïs

blé

colza

(d’après les données cartographiques IGN et le registre parcellaire gra-

phique 2011 ©Géoportail)

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Morschwiller se reconnait à son église au clocher fin, au cré-pis brun, à mi-pente d’une colline. Autour d’elle s’étire le village, articulé le long de la route principale, la D419. C’est une voie fortement empruntée, très passante. Le bruit des voitures et des camions qui passent par le village pour rejoindre l’autoroute s’en-tend de loin. Nous sommes à une demi-heure de Strasbourg.

En venant de Pfaffenhoffen, la colline de Morschwiller se contourne par Ringeldorf. La première partie du village, à l’Est, est à mi-hauteur de colline. La route tourne ensuite vers le Sud, descend la pente, et reprend sa direction Est-Ouest plus bas dans le creux du vallon. Les maisons s’étirent un peu suivant un Z. Un lotissement récent s’est installé loin de la route, derrière l’église, mais le cœur du village est plus bas. Quelques hangars industriels se sont implantés à la sortie du village, avant que la route ne file vers Strasbourg au Sud. Les hangars agricoles s’organisent plutôt en contrebas du village, sur des routes secondaires. Ils sont verts, gris, bleus, au toits de tôle rappelant la couleur des tuiles.

« C’est un village qui se situe dans le vallon au Nord du Bas Rhin, un village type rural avec 550 habitants, qui avait il y a une trentaine d’années environ 20 agriculteurs, aujourd’hui il en reste 6 dont 3 double-actifs, il y a deux élevages laitiers, d’où quelques prairies qui restent derrière le village, dans les zones à pente, qui protègent le village de l’érosion et des coulées de boue, sinon le reste de la commune est en agriculture intensive, en travail TCS, technique culturale sans labour, depuis 2004. » (Raymond)

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Morschwiller vu du Sud-Ouest

AM

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Grassendorf

Grassendorf, dont les premières maisons frôlent presque les dernières de Morschwiller, présente une configuration très diffé-rente. C’est un village en cul-de-sac, particularité très rare en Al-sace, où chaque village s’est construit au croisement de rues qui relient les communes espacées environ de 2-3km en moyenne les unes des autres. Le seul moyen aujourd’hui pour entrer et sortir de Grassendorf est de passer par la D419 au Nord, qui coupe le flanc de la colline en deux et qui lie Morschwiller à Ringeldorf. Grassendorf (de Graben, le fossé) se situe en fond de vallon. Sa rue principale est parallèle au fossé, le Lombdgraben, cours d’eau qui prend sa source à Grassendorf et file ensuite à l’Est vers Morschwiller et Ohlungen. Au Sud du village, une colline parallèle à la colline de Morschwiller montre son versant Nord. Vers l’Ouest, il reste aujourd’hui un chemin reliant Grassendorf à Ettendorf par le fond de vallon, suivant le talweg qui monte puis redescend vers Ettendorf. C’est la trace de l’ancienne rue qui reliait les deux villages, abandonnée lorsque la D419 est devenue prioritaire, laissant le village dans une heureuse impasse : « Oui, ce qui est bien au niveau de Grassendorf, c’est que le passage il se fait en dehors du village, et ça c’est appréciable. Chez nous il n’y a que ceux qui veulent rentrer qui viennent. Nous gamins on a toujours joué dans la rue, Morschwiller ils peuvent pas faire ça !» (Pierre)

Autour du cœur de village composé de corps de ferme à cour carrée, en colombages ou en briques, des extensions se sont construites : de grands hangars agricoles à l’Ouest, quelques mai-sons montant vers la route au Nord et un lotissement récent en bas de pente à l’Est. Celui-ci se glisse jusque sous Morschwiller, ne laissant entre les deux villages qu’une mince parcelle de 200, 300 mètres de large. Dans Grassendorf, le calme prime : le village n’entend jamais le bruit de la route, la seule circulation vient des deux cents habitants de la commune ou de quelques tracteurs.

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Grassendorf vu du Sud

vers Morschwiller

AM

AM

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Grassendorf derrière ses vergersAM

Grassendorfsuperficie communale : 224 hanombre d’habitants : 219 (2012)

SAU : 237 hasurface labourable : 225 ha (190 ha de céréales)surface toujours en herbe : 10 ha (51 en 1988)nombre d’exploitations : 5 (13 en 1988)cheptel : 5 UGB (192 en 1988) (source : recensement agricole 2010)

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N

0 200 500m 1 km

relief

village

forêt

cours d’eau

le territoire de la commune de Grassendorf

Lomdgraben

AM

(d’après les données cartographiques IGN et le registre parcellaire gra-

phique 2011 ©Géoportail)

prairie

maïs

blé

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Ettendorf

Engoncé entre ses collines, au pied d’un thalweg venant de Grassendorf et débouchant sur une vallée tournée vers le Sud, on n’aperçoit jamais Ettendorf en entier. Le village s’est construit en croix, une branche vers Grassendorf, une autre, plus longue, orientée Nord/Sud, le long de la vallée où coule le Landgraben. La voie ferrée ligne Strasbourg-Sarguemine l’accompagne. Des quatre communes étudiées, c’est la plus touchée par les coulées d’eau boueuse. C’est dû surtout à la situation du village, l’agricul-teur que j’ai rencontré l’a tout de suite souligné :

« C’est très vallonné chez nous. Et pour dire, toutes les eaux, que ce soit du Nord du Sud, de l’Ouest, elles rentrent dans le vil-lage. De partout ! Ça vient même de Grassendorf ! Le village est dans la cuve. » (Henri)

Sur les fortes pentes qui entourent le village au Nord et au Sud, il reste de nombreux vergers, des prés, quelques vignes. Cer-taines parcelles se sont enfrichées avec le temps et forment des bosquets qui regorgent de gibier.

C’est une commune de 800 habitants, ce qui est beaucoup pour une commune alsacienne. Son église est de grès rose des Vosges.

Ettendorfsuperficie communale : 634 hanombre d’habitants : 795 (2012)

SAU : 473 hasurface labourable : 393 ha (282 ha de céréales)surface toujours en herbe : 76 ha (148 en 1988)nombre d’exploitations : 20 (38 en 1988)cheptel : 507 UGB (718 en 1988) (source : recensement agricole 2010)

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N

0 200 500m 1 km

relief

village

forêt

cours d’eau

le territoire de la commune d’Ettendorf

Landgraben

chemin de fer

AM

(d’après les données cartographiques IGN et le registre parcellaire gra-

phique 2011 ©Géoportail)

prairie

maïs

blé

colza

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vue d’Ettendorf, partie Sud

(document remis par la mairie d’Ettendorf)

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clocher et maisons d’Ettendorf

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Alteckendorf

Alteckendorf est, des quatre communes sur lesquelles nous nous penchons, celle qui se trouve le plus au Sud. Comme nous venons de le voir, le village est en fond de vallée. Les agriculteurs le décrivent tout de suite ainsi :

« C’est un assez vieux village, qui a été construit dans une vallée, là où la terre est la plus fertile. » (Jacques)

C’est un village à deux clochers, non, comme certains vil-lages d’Alsace, parce qu’il possède une église catholique et une église protestante, mais parce qu’il est la réunion de deux com-munes, Altdorf (au Nord) et Eckendorf (au Sud), unis au XVIIIe siècle. On distingue encore maintenant les deux cœurs de vil-lages qui s’inscrivent dans deux thalwegs Ouest/Est, reliés par la rue principale qui elle longe le Landgraben. Il en résulte un village tout en longueur :

« Il y n’a pas tellement de rues chez nous hein. C’est plutôt une rue principale, c’est long, c’est un village long. Et là ça y est elle est presque trop petite : maintenant on est presque à 900. » (Alain)

Nous sommes à l’amont du bassin versant : les cours d’eau ressemblent plutôt à des fossés. Ils ne se voient que peu, et ne sont pas accompagnés de ripisylves :

« Ça c’est le cours d’eau qui traverse derrière là, c’est pas des cours d’eau hein c’est plutôt des petits ruisseaux. C’est traversé par un chemin de fer. Là il y a une partie des prairies, la plus grosse partie disons, avec un fossé. C’est inondable. » (Didier)

Alteckendorfsuperficie communale : 572 hanombre d’habitants : 824

SAU : 405 hasurface labourable : 347 ha (233 ha de céréales)surface toujours en herbe : 58 ha (119 en 1988)nombre d’exploitations : 10 (49 en 1988)cheptel : 406 UGB (697 en 1988) (source : recensement agricole 2010)

«Notre sol s’en va»

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N

0 200 500m 1 km

relief

village

forêt

cours d’eau

le territoire de la commune d’Alteckendorf

Altdorf

Eckendorf

Ettendorf

Landgraben

AM

prairie

maïs

blé

betterave

(d’après les données cartographiques IGN et le registre parcellaire gra-

phique 2011 ©Géoportail)

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Le Landgraben est aussi longé par la voie de chemin de fer. La butte de terre qui le soutient, surélevée à cet endroit, coupe le village de ses collines au Nord.

Même si c’est une commune d’environ 850 habitants, elle conserve son caractère rural, auxquels tiennent les agriculteurs.

« C’est une commune à dominante agricole, enfin, c’est une grande parole, il y a 5-6 exploitations encore, dont trois exploita-tions majeures, et disons le reste il y a beaucoup de retraités dans le village, il y a beaucoup de gens qui travaillent à l’extérieur, qui vivent ici disons voir… dans des lotissements-dortoirs si on veut,

«Notre sol s’en va»

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qui ne s’impliquent pas dans le village. L’implication dans le vil-lage c’est plutôt l’ancien noyau si on veut, des nouveaux il y en a quelques uns, mais pas beaucoup » (Didier)

Le village, avec les siècles et les extensions, reste en fond de vallon. Cela parait important à Jacques qui souligne :

« Comme Alteckendorf est construit dans la vallée, il y a vingt ans il y avait une délibération qui n’a permis à personne de construire en haut, le toit ne devait pas dépasser les collines. Ca c’est bien. » (Jacques)

AM Alteckendorf vu du Nord-Est (clocher d’Eckendorf)

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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L’organisation du territoire

L’histoire des pratiques agricoles et des villages du Bas-Rhin sert à comprendre l’organisation du territoire aujourd’hui. Etienne Juillard la raconte très bien ( Juillard, 1953), et c’est à partir de ce livre que je vais essayer, en simplifiant, d’expliquer le fonctionnement de la commune. Cela nous servira à com-prendre pourquoi les villages aujourd’hui doivent faire face au risque de coulées de boue.

La position des villages est entièrement liée aux pratiques agricoles passées : nous sommes dans des paysages de champs ouverts : le territoire est organisé autour du village.

Dans notre région, l’habitat est extrêmement concentré : les village sont des Gewanndorf 1(village-tas), ils sont formés de groupes de fermes rapprochées qui constituent l’espace habité, l’Etter 1(espace enclos), nettement distinct du Bann 1(ban2) qui l’entoure.

L’Etter regroupe les corps de ferme le long des rares rues structurant le village (deux ou trois souvent, pas plus). Les fermes alsaciennes sont souvent construites en U autour d’une cour, la maison d’habitation donnant pignon sur rue, mais s’ouvrant latéralement sur la cour. Elles sont construites sur une cave semi-enterrée, le premier étage d’habitation est ainsi surélevé de quelques marches. Les autres bâtiments servent de grange (en fond de cour), d’étables et de hangars. Les maisons d’habitation et parfois les granges anciennes sont construites en colombage à torchis, elles datent d’avant le XVIIIe. La plupart des bâtiments du XIXe siècle sont en briques de terre cuite.

De l’extérieur, l’Etter laissait ainsi voir l’arrière des granges, encadrées de potagers et de vergers. Cet espace intime était sou-vent séparé des champs cultivés par un fossé.

1- en alsacien2- ban : finage, ensemble des terres exploitables d’une commune ou petites autonomies de culture (Alsace, Lorraine, Vosges) (TLF)

«Notre sol s’en va»

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Grassendorf et Morschwiller au XIVe s : on voit bien l’espace du village, l’Etter, distingué des prairies et du Bann.

(d’après la carte d’état major 1820-1866 - données cartographiques ©Géoportail)

Grassendorf

Morschwiller

N

0 200 500m 1 km

Etter, espace du village

prairies humides

bois

Bann, finage

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Les villages sont presque tous construits en bas de pente, «On est dans la cuvette » (Pierre), jamais sur les cours d’eau mais dans les fonds de vallons. Pourquoi là ? Henri explique que c’est «sûrement à cause de l’eau. A cause des puits autrefois. Parce que dans le temps on n’avait pas encore le robinet, dans chaque ferme il y avait un puits pour pomper. Et je pense que c’est à cause de ça.» (Henri). Le village se situe dans le bas de la pente pour capter l’eau dans de profonds puits, et se positionne donc sur les meil-leures terres ; a-t-on construit si groupé pour préserver la terre nourricière ? Je pense que c’est probable.

Le village devait être au centre de ses cultures : chaque pay-san cultivait des parcelles dispersées sur les deux ou trois soles1

du ban communal. Avant 1800, les animaux étaient gérés col-lectivement ; ce troupeau communal pâturait les Allmende (biens communaux1). Le Bann (finage) n’était donc pas clôturé. Il était presque entièrement labouré, sauf les zones inondables et les trop fortes pentes. Les travaux collectifs étaient fréquents : labours, fenaisons… la conscience de groupe était donc très forte, chaque commune portant une vraie communauté villageoise.

Le Bann alsacien est caractérisé par des parcelles extrême-ment morcelées. Cela s’explique par les pratiques successorales. Chaque paysan devait avoir des parcelles dans chaque sole du ban. A cela s’ajoute que dans ces collines sous-vosgiennes, les sols sont variés, et leurs performances très différentes selon les parcelles. A partir de 1800 environ, les terres reviennent aux agriculteurs qui en sont les propriétaires. L’usage est alors de donner à chaque enfant une fraction de chaque parcelle, divisée dans le sens du labour. On voit encore aujourd’hui sur le cadastre les effets de ce partage équitable entre chaque enfant : les par-celles deviennent très vite exiguës à l’extrême, chaque paysan possédant un nombre important de parcelles tout en longueur, très étroites, réparties sur l’ensemble du finage.

1- sole : unité de l’assolement formée de parcelles groupées en quartiers et consa-crées à la même culture ou à la jachère (CABANNE Géogr. 1984)2-biens communaux : biens fonciers appartenant à la commune et gérés collec-tivement

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Alteckendorf : des parcelles très morcelées

(d’après les plans cadastraux 2013- données cartographiques ©Géoportail)

N

0 200 500m 1 km

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Encore maintenant, les exploitants se plaignent du morcel-lement du parcellaire. Il n’y a eu qu’un remembrement par com-mune ici : en 1964 pour Grassendorf, Morschwiller, Ettendorf, peut-être un peu plus tôt pour Alteckendorf. A cette époque, il restait de nombreux agriculteurs dans chaque commune. La plupart ont arrêté entre 1980 et 2000. Nous n’en sommes plus aux années 1950 avant le remembrement où la moyenne du par-cellaire, complètement laniéré, atteignait péniblement les 20 ares, mais les parcelles restent petites (3ha en moyenne), et surtout, les agriculteurs, pour survivre, ont de nombreuses parcelles répar-ties sur tout le ban communal, et la plupart du temps sur les com-munes alentours également. Ils vont jusqu’à environ 10 km de leur exploitation pour cultiver des terres dont ils ont pu hériter.

« J’ai aussi des parcelles sur Morschwiller, Huttendorf et Minversheim. J’en ai ici, ici, là derrière, j’en ai là haut, c’est quand même assez morcelé chez nous, il y a beaucoup de parcelles. Pas comme certaines régions, après divers remembrements, tu peux avoir tout centré sur un bout du village.» (Pierre)

« Chez nous vous voyez le nombre qu’il y a là. C’est morcelé. Nous on échange les parcelles, on fait des échanges, pour agrandir nos parcelles.» (Didier)

Nous sommes donc dans un paysage où domine l’agricul-ture, avec un village au centre du ban communal, en bas de pente, longeant le cours d’eau. Les maisons traditionnelles sont surélevées donc s’il y a inondation, l’eau n’arrive jamais jusqu’aux parties habitables. Le village est groupé, clos par un fossé. Les fermes sont entourées d’un espace qui forme une lisière entre champs et bati. Les champs sont morcelés, les parcelles petites. Pour comprendre l’agriculture actuelle, intéressons-nous mainte-nant aux cultures traditionnelles sur ce territoire.

«Notre sol s’en va»

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Cultures : entre « on a de tout » et « on peut pas vraiment diversifier »

Historiquement, l’agriculture régionale est dans un système de polyculture-élevage, une partie des cultures alimentant le bé-tail. Blé, seigle, orge se cultivent depuis des centaines d’années. Au XVIIIe siècle apparaissent les pommes de terre (ce « pain tout-fait »), et des cultures fourragères pour nourrir le bétail qui passe du pâturage à la stabulation : la betterave fourragère, le trèfle, la luzerne, le sainfoin. D’autres cultures encore apparaissent dans différents secteurs du Bas-Rhin : le chanvre dans les rieds, la garance près de Haguenau, le tabac dans les collines de Brumath et le pays de Hanau, le colza, le pavot, et des légumes de plein-champ (choux, navets…). Dans cette région, l’assolement utilisé au 18e siècle est biennal : entre chaque année de blé s’intercale une année de culture dite « nettoyante » ou « enrichissante » : pomme de terre, betterave, chanvre, trèfle, colza, tabac. ( Juillard, 1953)

Même si l’assolement biennal a disparu, les agriculteurs se rappellent cette diversité des cultures :

« Ben, s’il y avait plus d’animaux, il y avait plus [de cultures], hein. Quarante ans en arrière, il y avait des betteraves fourragères pour les bêtes à la maison. Il y avait des pommes de terre, il y avait de la luzerne, il y avait du trèfle, il y avait de tout. C’était pas encore spécialisé. Sur toutes les exploitations on va dire, il y avait de tout. […] A l’époque c’était fait pour se nourrir, et au jour d’aujourd’hui c’est un métier. C’est comme chacun qui part travailler, c’est pour gagner sa vie. Il y a plus forcément le même lien. » (Jacques)

« Il y avait du pois d’hiver à Néewiller fin des années 80, on faisait 50-60 quintaux/ha, on arrive encore à en faire 32 à 35. C’est tout, on a une baisse de rendements. Le tournesol, identique, plus tardif, on faisait du tournesol jusque dans les années 95-96, avec du 40-45 quintaux/ha, on arrive encore à peine à faire 35. Coté

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variétal, coté recherche, parce qu’on fait plus de tournesol en Al-sace. Dans les années 80, l’Alsace était jaune. Au 14 juillet, c’était en fleurs. » (Serge)

« Avant quand mes parents avaient l’exploitation oui il y avait d’autres cultures. Il y avait des animaux déjà. Et il y avait du tabac aussi. Oui, c’est quand nous on était jeunes, on avait du tabac. » (Pierre)

Cette diversité s’est amoindrie avec la mécanisation et la di-minution de la main d’œuvre ; les progrès agricoles ont rendu les terres plus productives, mais leur culture moins diversifiée. Aujourd’hui, les agriculteurs sont obligés de se spécialiser pour suivre le marché :

« Un agriculteur c’est comme un chef d’entreprise, si ça rap-porte plus, ben voilà, on va pas faire ça parce que c’est joli ! Après lui il faut qu’il en vive ! » (Pierre)

« Chacun s’est un peu spécialisé, un fait du tabac, moi de la viande, je parle que de ceux qui vivent de ça, parce qu’il y a beau-coup de double actifs, eux ils n’ont que des céréales, mais sinon il y a deux laitiers, un engraisseur, et un qui fait du tabac » (Henri)

Des cultures ont donc disparu : le pois d’hiver, le tourne-sol par exemple, ne rapportent plus rien dans la région. Manque de recherche, manque de marchés : « [Le tabac] c’était aussi une culture qui était présente sur pas mal d’exploitations, et au jour d’aujourd’hui il y en a de moins en moins aussi, comme pour les éleveurs et ce genre de choses, des structures il y a de plus en plus d’animaux, nous c’est le tabac, ça se spécialise, c’est juste parce que ben les prix ont baissé, il faut réussir à produire à un certain coût, c’est comme les usines hein, c’est le même raisonnement. Après c’est une marche forcée à un moment. Soit on suit, soit on passe sous la roue hein, ben voilà. Sur chaque exploitation, il y a un do-maine qui doit devenir prioritaire à un moment. Il faut quasiment spécialiser aujourd’hui dans une chose, pour qu’on puisse quand même économiquement marcher. Il faut que ça passe financière-ment hein. » (le gendre de Jacques)

«Notre sol s’en va»

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D’autres cultures plus rémunératrices ont donc pris le dessus. Il y a d’abord eu la montée fulgurante du maïs : il occupe presque 70% de la SAU (Surface Agricole Utilisée). C’est soit du maïs ensilage pour les éleveurs, soit du maïs grain pour les céréaliers. Il y a dix ans, de nombreux agriculteurs en Alsace avaient une monoculture de maïs : « Il fallait beaucoup moins de matériel, et comme ça marchait bien, et comme tu peux faire maïs sur maïs, maïs maïs, avec le blé ça marche moins bien, tu peux aussi deux trois ans mais c’est tout. Mais maintenant ils ont quand même mis un peu des lois en place.» (Pierre)

C’est que le maïs est une «adaptation parfaite au climat et au sol» dit le comptoir agricole1 sur son site internet. Les rende-ments moyens en Alsace sont les plus hauts de France !

Le maïs supplante de loin le blé, culture qui reste présente chez tous les agriculteurs que j’ai rencontré : ils ont toujours fait du blé. Ce sont les cultures les plus simples, bien connues, et qui ont le meilleur marché dans la région.

« Maïs, blé, de toute façon c’est les céréales les plus mécani-sées, et qui ramènent, qui rapportent le plus. [...] Comme déjà je suis double actif, je prends pas des cultures qui me sont encore un peu compliquées ou qui ont un peu plus de spécificités. Alors que maïs et blé, on l’a toujours fait. C’est le plus simple et on a toujours fait. » (Pierre)

D’autres cultures demandent plus de travail mais rapportent bien, comme la betterave qu’ils cultivent à Alteckendorf : « La betterave c’est intéressant au niveau économique, c’est la culture la plus intéressante. Et puis il y a une partie des pulpes de bet-teraves surpressées qui sont récupérées pour l’alimentation ani-male. » (Didier). Morschwiller fait du colza « c’est tout jaune au printemps » (Pierre)

1- le comptoir agricole est une entreprise coopérative alsacienne d’approvisionne-ment et de collecte des productions végétales.

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La croissance des principales cultures au cours de l’année

blé d’hiver

maïs

betterave à sucre

colza

50cm

2m

1m

40cm

AM

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40cm

Dans toute la France, on affirme que « on ne fait que du maïs en Alsace ». C’est vrai qu’elle occupe aujourd’hui une grande part des cultures, mais il en reste d’autres, et on continue à voir un peu de houblon, de tabac, selon les régions. Pour les agriculteurs, ça reste une région diversifiée :

« On n’est pas en Champagne, où il y a beaucoup plus de blé, ici il y a un peu de tout, c’est diversifié, il y a de la betterave, y’a du colza, y’a du blé, du maïs, de la betterave, y’a un peu de tout quoi.» (Didier)

La réforme de la PAC va dans le sens de cette diversité en imposant aux agriculteurs qui possèdent plus de 30ha de terres labourables d’avoir trois cultures minimum. « c’est pour ça que j’ai de l’orge. Donc même si elle représente pas beaucoup, mais elle représente une troisième culture. (Pierre)

Pourquoi alors imagine-t-on l’Alsace pleine de maïs ? Serge l’explique par rapport à la perception des cultures : « En hiver, les gens disent ‘‘ah il y a beaucoup de blé.’’ Mais dès que le maïs est haut comme ça, quand on se balade on voit plus ce qu’il y a derrière, on croit qu’il n’y a plus que du maïs. » (Serge) En effet, le maïs est haut sur une bonne partie de l’année, surtout les mois d’été, quand les habitants se promènent, les touristes visitent la région. Le maïs cache pendant cette partie de l’année les autres cultures, qui deviennent presque anecdotiques.

La présence du maïs aujourd’hui et la diversité des cultures traditionnelles peuvent s’expliquer par les sols alsaciens, réputés profonds et riches. Sur le territoire d’étude, la pédologie est plus complexe.

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Le sol

Dans les vallons, en orange clair, se trouve «la meilleure terre», profonde et limoneuse. Les agriculteurs la comparent aux sols des collines, beaucoup plus argileuses : «Ce qui est dans le fond de la vallée, c’est du loess, une super terre, si demain je veux labourer, j’y vais, ça se renverse, il y a pas de mottes, mais si tu vas là-bas sur la colline, c’est la catastrophe ! Ca brille de tous les cotés, c’est très très argileux ici, ça colle ! Le loess c’est du limon, si tu roules avec le tracteur dessus, tu t’enfonces pas comme dans l’argile, l’eau elle part, avec l’argile ça stagne quand même. En ce moment pour aller sur un champ il faut attendre au moins dix jours de beau temps, parce que c’est gorgé d’eau ! Et l’eau descend tout doucement, dans un loess youp trois jours après tu peux y aller. » (Henri)

« Et dès que tu montes, serait-ce de ce côté ou de l’autre, le taux d’argile il est plus important et les terres sont plus difficiles à travailler.» (Pierre)

Ces terres argileuses, en violet sur la carte, sont lourdes et dures à travailler : asphyxiantes et plastiques en période humides, dures comme de la brique en période sèche, on n’entre pas facile-ment dedans au printemps. Le labour hivernal est conseillé pour l’aérer et casser les mottes. (Lebreton-Thaler, 2001)

A.Fonds de vallons hydromorphes

B.Argiles hydromorphes et calcaires des collines sous-vosgiennesC.Lehms lourds des collines sous-vosgiennes

D.Calcaires durs des collines sous-vosgiennes

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N

1 km

Des sols variés

(d’après le guide des sols d’Alsace n°5 (Lebreton-Thaler, 2001)et les données cartographies IGN)

Ettendorf

Alteckendorf

Grasssendorf Morschwiller

AM

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En orange, ce sont des loess ou des lehms lourds. Autour d’Alteckendorf, il y a plus de sols limono-argileux. Ce sont des sols profonds, au ressuyage rapide, sur des pentes douces, ce qui explique les cultures de betterave dans ce village.

Sur la colline de Morschwiller mais aussi dans les fortes pentes, au Sud-Est et au Nord d’Ettendorf, il y a un sol très cail-louteux. «On a un champ là haut, et le monsieur avait 90 ans c’était un oncle à mon père. J’ai dit ‘‘j’ai ramassé toutes les pierres, deux voitures 7T pleines. Maintenant on est tranquilles.’’ Mais il m’a dit ‘‘Mais non, les pierres ça pousse !!’’ Et il avait raison. Maintenant on en a de nouveau. » (Henri) Ce sont des sols qui abiment les ou-tils, il faut donc essayer de les travailler le moins possible. Ils sont peu profonds (50cm), et sont donc plus sensibles à l’érosion. Pour Henri, ce sont des terres qui ne sont pas à jeter pour autant : elles chauffent beaucoup plus vite au printemps que les sols argileux !

Nous sommes en présence de sols argilo-limoneux à limo-no-argileux. Ce ne sont pas des sols battants comme dans le Nord de l’Alsace, où la terre se durcit sous l’impact des gouttes d’eau. L’érosion hydrique des sols se fait surtout sur des limons, mais la composition des sols ici n’empêchent pas l’eau d’arracher les particules d’argile. On voit sur cette coupe la profondeur des lehms (loess argileux), qui peuvent atteindre plusieurs mètres. On pourrait penser que l’érosion à cette échelle, n’emportant «que» quelques millimètres de terre chaque année, n’est pas si grave pour un sol si profond. Mais d’une part, les plus fortes pentes (en brun) ont un sol caillouteux et peu profond : l’érosion là est plus problématique. Enfin, l’érosion, pour tous les sols, quelle que soit sa profondeur, appauvrit les sols. Ce sont les pre-miers centimètres qui contiennent la plus grande partie de la vie de la terre.

o

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Alteckendorf Minversheim

o

Couches pédologiques entre Alteckendorf et Minversheim

Fonds de vallons hydromorphes

Lehms lourds des collines ss-vosgiennes

Argiles hydromorphes et calcaires des collines sous-vosgiennesCalcaires durs des collines ss-vosgiennes

Alluvions actuels

Loess argileux

Marnes

Calcaires

Couches pédologiques entre Alteckendorf et Minversheim

source : guide des sols d’Alsace n°5 (Lebreton-Thaler, 2001)

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1b- Portraits des agriculteurs rencontrés

Dans cet espace rural où l’agriculture domine dans le pay-sage, j’ai rencontré sept exploitants venant de cinq communes. Je leur ai posé des questions sur leurs paysages, leurs sols, leur exploitation, sur leur vision du risque des coulées de boue, et leur idée de l’avenir dans leur commune. Ils éclairent la situation des agriculteurs aujourd’hui en Alsace. Leurs témoignages seront omniprésents tout au long de cette étude, il m’ a donc semblé important de faire leur portrait en quelques lignes.

Serge - Néewiller-près-Lauterbourg env.50ans - céréalier- rencontré le 26/01/2015 à 9h

C’est Serge que j’ai rencontré le premier. Il n’habite pas sur notre secteur d’étude mais dans l’Outre-Forêt, à la limite Nord de l’Alsace, à Néewiller-près-Lauterbourg. J’ai voulu le rencon-trer parce qu’il est passé au non-labour à cause des coulées de boue : il y a un article sur lui dans la revue TCS (Techniques Culturales Simplifiées ou Techniques de Conservation des Sols). « Pour moi le déclic c’était en 2000. […] J’étais pompier bénévole de 1986 jusqu’en 2000, et c’est en 2000 en pompant un nuit l’eau dans une cave que j’ai réfléchi un peu là dessus. »

Il arrête sa monoculture de maïs et passe en TCS en 2001 : c’est l’un des premiers agriculteurs à avoir réagi dans le départe-ment. A l’époque en Alsace, il fallait oser se lancer. « moi je suis agriculteur, l’agronomie me concerne. Ou m’intéresse. »

Il doit avoir environ 50 ans, et c’est un agriculteur passion-né : il essaie, il apprend de ses erreurs quand ça ne marche pas : « Pour moi c’est un bon apprentissage, j’ai appris beaucoup de choses, mais l’essai n’était concluant en soi » , il expérimente : « pratiquement toute l’exploitation était à ce moment là, sur ex-périmentations. Et ça j’arrivais plus à tenir, et à un moment don-

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Serge

AM

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né chaque période de semis se reposaient les questions ‘’on fait comment ? ‘’, on fait autrement ou on fait la même chose ? Et ça c’est lourd à gérer psychologiquement. » C’est le seul agriculteur qui m’a parlé de livres, de formations, de visites d’exploitations ailleurs en France et dans le monde.

Il est tourné vers l’agriculture durable, sans passer au bio parce que « c’est un autre métier, on fait pas du bio parce qu’on a envie, on fait du bio parce qu’on a appris », mais ce n’est pas non plus un écolo militant, mal vu par ses voisins, devant se cacher. Même si au début les exploitants du village étaient sceptiques, il a su montrer les bénéfices du non-labour et aujourd’hui, presque toutes les terres du ban sont en TCS.

Serge cultive 104 ha, il est céréalier, et sa rotation est ré-fléchie : « Il y a une rotation sur 5 ans, deux années de maïs, blé d’hiver, colza d’hiver, blé d’hiver. Maintenant si on veut affiner tout ça maintenant parce que ça c’est bien, ça c’est les cultures. Maintenant qu’est ce qu’on peut faire entre ? C’est ça qui est peut être intéressant. » Les engrais verts font partie intégrante de sa rotation. Je peux les voir quand il m’invite à faire un tour en 4x4 sur les parcelles. Il est propriétaire de la moitié environ, le reste est réparti sur 110 propriétaires !

Ce qui a changé son métier, c’est l’attention qu’il a appris à prêter à son sol : « Et là vous pouvez retrouver chaque couche qui s’est déposée et c’est quelque chose moi je trouve ça fascinant de voir ça tient enfin fascinant quoi, ça m’intéresse. […] Oui, celui qui s’intéresse au sol, qui se prend le temps, moi j’ai ... j’aime de nouveau mon métier. (souriant) J’ai ma fille qui dit toujours ‘‘mais toi quand tu parles de vers de terre quand tu parles du sol c’est autre chose’’... C’est vrai, il... il y a de l’âme, il y a quelque chose. » Il travaille ses sols limoneux et sujets à la battance le plus légère-ment possible : « Il faut commencer par respecter son sol. C’est le sol qui dicte le travail qu’on va faire. »

Tout est réfléchi, pensé pour inventer un système adapté à la région, tout aussi productif que l’agriculture conventionnelle, mais qui protège les sols de l’érosion. « Et je le fais pas pour l’en-vironnement, je le fais pour l’économie, mais les deux choses vont de pair donc ça ne peut être que positif. »

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Alain - Alteckendorf env.45 ans - céréalier- rencontré le 27/01/2015 à 14h

Alain, 45-50 ans environ, m’accueille dans l’ancienne maison de ses parents : « là c’est la ferme, de mes parents. Moi j’habite plus là haut dans le village. » Je l’avais aperçu plus tôt dans la journée, lorsque je prenais des bassins de rétention en photo, il m’avait croisé dans un beau tracteur bleu. C’est un céréalier. Il a repris l’exploitation familiale en arrêtant le lait en 1993 : «A l’époque j’avais pas encore cette surface, j’avais à peu près la moitié, une cinquantaine d’hectares, après j’ai réussi à avoir des terres, c’est pour ça qu’on a aussi arrêté tout de suite les bêtes. »

Comme la plupart des agriculteurs ici, il est propriétaire de la moitié environ de ses terres, le reste est en fermage. Ses 90 hectares labourables sont éclatés sur plusieurs communes, « Sur Alteckendorf je crois qu’on est à 30 ha à peu près. » Il a des terres jusqu’à 13 km de l’exploitation. Il fait de la grande culture mais ses parcelles sont morcelées : « Ah ! Pour l’instant je pense que je suis encore à... en îlots à peu près je crois qu’on est encore à 50 îlots. »

Il cultive « blé, betterave sucrière, maïs grain ». « La rotation des fois je l’inverse. Mais je suis aux trois cultures. La rotation, on peut la changer, mais bon c’est un choix après, les betteraves c’est mieux après le blé que après le maïs, c’est une meilleure structure. Une meilleure préparation, ça se travaille mieux, il y a moins de paille, après vous avez des pailles de maïs qui traînent encore, des trucs comme ça, les betteraves c’est surtout après le blé. »

Il n’a pas de bêtes donc n’amende pas ses terres avec du fu-mier.

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Alain

AM

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Ce qui le passionne dans son métier, ce sont les machines. Il aime avoir du neuf, il en change très souvent. « J’ai pas…peut être pas absolument besoin d’un matériel aussi grand ou aussi truc, mais bon… j’aime bien, et puis tant que je peux l’acheter, je l’achète et voilà ! C’est un peu mon hobby, j’aime bien, j’aime bien la nouveauté ! »

Lui n’a donc pas eu de problèmes de machines pour le TCS. « c’est un Horsch, un outil à dents, qui retourne, enfin qui aère la terre, mais pas comme la charrue ». Le problème pour lui, c’est l’humidité des champs qui freine le non-labour : « la terre, ça ce serait le but de la retenir, mais bon c’est pas évident. Parce que les terres c’est des terres que tu peux pas les travailler tous les ans pareil, parce que si c’est humide tu peux pas, tu peux pas faire du non-labour quand c’est humide, tu y arrives pas. T’as pas de structure, après l’année d’après t’as rien dans le champ ».

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Jacques - Alteckendorf env. 60 ans - éleveur de vaches allaitantes et céréalier - rencontré le 27/01/2015 à 9h

J’ai rencontré trois agriculteurs d’Alteckendorf. Le premier fut Jacques, 60 ans environ, qui m’a accueillie en invitant aus-si son gendre, exploitant agricole dans une commune voisin. L’entretien était très découpé, avec beaucoup de réponses très courtes, des temps de parole très différents par rapport à Serge qui parlait sans interruptions.

Jacques a toujours habité Alteckendorf : il a repris la ferme de ses parents. Aujourd’hui, il cultive 102 ha, avec 28 ha de prairie et 74 ha labourés. Comme tous les exploitants d’Alteckendorf, il fait des betteraves, du maïs et du blé. C’est d’abord un céréalier, mais il a aussi des vaches allaitantes et des poulets label. « J’ai des vaches pour la viande. Donc, il y a les veaux. Donc c’est pas trop contraignant. »

Il travaille avec un autre agriculteur, ils se partagent les ma-chines, ce qui en allège les coûts, « Et puis hop ça nous aide comme chacun est seul, pour travailler ensemble, et puis pour acheter des machines. Il y a pas besoin de toutes les machines pour chacun. »

Il est proche de la retraite. Pour lui, l’érosion des sols est im-portant, «primordial» même, mais il ne veut pas se lancer dans le TCS : il n’a pas les machines pour. Il a fait quelques essais, mais seulement sur les parcelles en pente vers le village et quand le temps le permettait.

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Jacques et son gendre

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Didier - Alteckendorf env. 50 ans - éleveur de taurillons et céréalier- rencontré le 28/01/2015 à 13h30

Didier (environ 50 ans), lui, est d’abord éleveur. Il fait de l’engraissement, avec quatre-cents taurillons répartis dans trois bâtiments. « Je suis pratiquement le seul éleveur dans le village». C’est que la plupart des agriculteurs ont arrêté les animaux : «Mon voisin il aurait pu continuer le lait, mais il a pas voulu. Etre éleveur, il faut être éleveur dans l’âme, sinon ça marche pas. »

Il a construit sa maison à l’écart du village, à côté de ses bâtiments agricoles. C’est là que s’était installé son père, dans les prairies humides autour du Landgraben, « quand j’ai construit j’ai surélevé le terrain ».

Il cultive une centaine d’hectares, qui lui servent en premier lieu à nourrir ses bêtes : il fait du maïs « Ensilage hein. Pas du grain. C’est pour nourrir les taurillons » , du blé dont il utilise la paille, et des betteraves qu’il vend en en récupérant la pulpe pour le fourrage. Sa rotation : betterave, maïs, maïs, blé. Il a aussi des prairies pour le foin. Les veaux viennent du Massif central, restent 10 mois, puis sont vendus à l’abattoir dans sa coopérative à Holtzheim, pour être distribués en Alsace. « On essaie. Enfin c’est l’objectif. C’est en circuit court, transporter des animaux c’est bien, mais trop loin c’est pas bon. » Il a essayé le TCS, il fait partie de l’assolement concerté, mais les questions économiques viennent avant le local, l’environnement ou le paysage ; il fait des engrais verts, « c’est une obligation parce qu’on est en zone vulnérable», il essaie d’adapter les traitements parce que « on fait des économies à toutes les échelles».

Au lieu d’acheter des machines neuves, il a choisi d’embau-cher un employé à mi-temps : « Il donne un coup de main. Disons on fait de l’entraide, il est employé chez son père à 50% et chez

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moi à 50%. » Ça lui allège son travail. Malgré tout, la situation est difficile : « ... encore un an comme ça, moi j’arrête. Ah ouais. C’est pas que je veux arrêter, mais je me pose la question si on sera pas obligés d’arrêter ». Il porte un regard assez pessimiste sur l’agriculture : « moi je voudrais pas faire autre chose, mais c’est un métier qui pfff on est trop liés au marché, la bourse elle joue trop avec les aliments […] Après il y a la pression des grandes surfaces, qui font que ça ne marche plus, on veut toujours aller vers les prix les plus bas et puis en fin de compte on sacrifie l’agriculture. »

Didier pourtant aime son métier, et ne compte pas ses heures par semaine : « On va de 35 à 80h, par moment un peu plus, après c’est un métier […] De toute façon si vous comptez le temps de tra-vail sur une exploitation vous pouvez arrêter tout de suite. Mais c’est un très très beau métier. Après faut vouloir le faire.»

Didier

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Henri - Ettendorf env. 65 ans - éleveur de taurillons et céréalier - retraité - rencontré le 29/01/2015 à 19h

Je n’ai rencontré qu’un agriculteur d’Ettendorf. Il a l’âge d’être à la retraite, mais il travaille encore à mi-temps sur son exploitation, son neveu double-actif assurant l’autre moitié. « De toute façon je suis retraité hein. […] moi je fais les animaux, et le soir lui il m’aide, et voila. C’est pas du tout la retraite ! »

Comme Didier, il a des taurillons pour l’engraissement. Il a environ 80 ha, avec 60ha labourables. Ses terres aussi sont ré-parties sur plusieurs communes, « les terres les plus lointaines sont à Wittersheim, parce que ma mère vient de là-bas, sinon c’est autour d’Ettendorf, Buswiller, Alteckendorf, Ringeldorf, juste pas Grassendorf.»

Il cultive du blé, de l’orge d’hiver et du maïs.Il m’a servi du jus de pomme de ses vergers.

Henri

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Raymond - Morschwiller 40-45 ans - éleveur laitier - rencontré le 30/01/2015 à 13h30

A Morschwiller, Raymond (40-45 ans environ), m’accueille dans son bureau. Sa ferme et sa maison se situent au milieu du village, dans une maison traditionnelle à cour fermée. Il est plus jeune que les autres agriculteurs que j’ai rencontrés, et plus le goût du nouveau, des pratiques nouvelles. Confiant en l’avenir, il a l’intelligence des sols et de son métier, et surtout du bon sens. Son fils qui a 19 ans va reprendre l’exploitation, il n’a jamais labouré.

Il est éleveur laitier « Moi j’ai des vaches, des prairies, les vaches ont une aire de pâturage, les génisses sont en pâture entre avril et novembre. » Il cultive quatre-vingts hectares dont une trentaine en prairies, qui sont soit pâturées soit utilisées pour le foin. Le reste produit du maïs ensilage, du colza et du blé.

A Morschwiller, les agriculteurs font du colza « jusqu’à l’an-née dernière. Depuis cette année je suis le seul. Les autres font maïs-blé. »

Adjoint au maire depuis l’année dernière, président de l’asso-ciation foncière, il s’investit dans la commune.

La particularité de Morschwiller, c’est que tous les agricul-teurs ont arrêté le labour à partir de 2004, après la coulée de boue de 2003. Depuis 2009, toutes ses parcelles sont conduites en TCS. Il essaie aussi de supprimer les engrais : le fumier de ses vaches suffit. Il y ajoute un mélange de champignons qui active le compostage de la matière organique. Mais les normes le gênent : il a du mettre des engrais chimiques près d’une rivière parce qu’il a été poursuivi pour avoir épandu du fumier à la place.

« On essaie d’être dans le bon sens mais bon apparemment les lois ne suivent pas. »

L’avenir pour lui, c’est d’aller jusqu’au semis direct, mais on n’y est pas encore ! C’est long de mettre au point une autre ma-nière de travailler.

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Pierre - Grassendorf env. 45 ans - double actif - céréalier - rencontré le 23/02/2015 à 18h

Pierre (environ 45ans) est double-actif, c’est-à-dire qu’il n’est agriculteur qu’à mi-temps. La surface de ses terres ne lui per-met pas de vivre de ce métier. Il cultive une trentaine d’hectares autour de Grassendorf, où il habite. « Pour en vivre toute la fa-mille c’était plus possible, c’est trop juste. Ou faire vraiment que des cultures très spécialisées, genre maraîchage, ou des cultures spéciales où il faut pas trop de surface. Mais c’est plus de boulot. »

Comme beaucoup d’agriculteurs ici, il est propriétaire de la moitié de ses terres. Il m’explique que, même s’il y a de moins en moins d’agriculteurs, les familles gardent les terres et les louent : ça fait partie du patrimoine de la famille. Ça marche bien comme ça : les agriculteurs n’auraient peut-être pas les moyens d’acheter toutes les terres qu’ils cultivent : l’Alsace est dense, la terre est chère.

Les parents de Pierre, dont il a hérité l’exploitation, avaient un élevage laitier. Déjà à l’époque, cela permettait de faire une

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rentrée d’argent chaque mois, ce qui compensait le manque de surface. C’est pour la même raison qu’ils faisaient aussi du tabac, culture spéciale qui demande beaucoup de main d’œuvre. Lui a choisi d’arrêter le lait, trop contraignant. En tant que double actif, il doit faire au plus simple : il est céréalier, il cultive du maïs, du blé et de l’orge. Environ deux tiers de maïs, un tiers en blé, un peu d’orge pour la troisième culture qui est maintenant obligatoire pour toucher la prime PAC.

Pour lui, Grassendorf n’a pas été trop touché par les cou-lées de boue. Il a aidé quand la commune a choisit de mettre du miscanthus. Humble et honnête, il m’explique qu’il n’a pas l’intention de changer ses pratiques à cause de l’érosion : si le problème des coulées de boue revenait, il se poserait peut être la question, mais là l’investissement à fournir est trop grand. Il ne peut pas se permettre de changer ses pratiques surtout s’il n’y a aucun bénéfice économique derrière.

Quand on parle de paysage, il a du mal à me répondre : c’est difficile d’analyser un endroit où on a toujours vécu. « Ben le paysage, tu sais, moi j’ai grandi là, il a toujours été.. C’est pour ça, j’ai un peu du mal à... qu’est ce que tu veux que je te réponde. Le paysage, il est ce qu’il est, c’est sûr qu’il a évolué avec les années. […] Après, moi j’habite là depuis quarante ans, et on s’y habitue. Je peux pas dire c’est bien, c’est pas bien. Si, je peux dire c’est bien, moi ça me plaît d’habiter ici ! »

Pierre

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Nous sommes donc dans une unité paysagère de collines sous-vosgiennes, encadrée par deux rivières, la Moder au Nord et la Zorn au Sud. Les quatres villages que nous étudions se si-tuent entre les deux bassins versants : Les eaux de Grassendorf et Morschwiller coulent vers la Moder, celles d’Ettendorf et Al-teckendorf vers la Zorn.

C’est un paysage de collines rondes entre lesquelles sont construits les villages, très resserrés, en bas de pente. L’espace habité est au centre de l’espace cultivé, qui s’est implanté sur les flancs des collines. Les eaux venant des champs ruissellent donc jusqu’au bâti.

L’agriculture est omniprésente, tournée surtout vers les cé-réales. Ce sont des paysages de grandes cultures, rythmés par la petite taille des parcelles et par la topographie ondulée.

La boue venant du flanc des collines dévale dans les villages par ses rues. L’espace de la rue est un élément important dans la commune. C’est l’espace public du village. Les enfants y jouent, les adultes se rencontrent, y discutent. Elles sont balayées tous les samedis. Une grande attention y est portée. Mais ce sont ces rues qui, lors des orages de mai, véhiculent la boue, deviennent rivières et amènent l’eau jusque dans les maisons.

Aujourd’hui, la séparation entre l’espace villageois et l’espace agricole est peu définie : c’est parfois la rue, parfois un jardin. Le maïs pousse souvent juste sous les fenêtres des nouvelles constructions. La disparition d’un espace des prés-vergers ou de potagers entre le bourg et les champs n’est pas le seul respon-sable de la montée du risque. Les dernières décennies ont vu de grands changements agricoles (remembrement, diminution du nombre d’agriculteurs, apparition du maïs comme culture prin-cipale, diminution du nombre de vaches et des prairies...) mais aussi urbains (villages attrayants, infrastructures de transport

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permettant de rejoindre les villes rapidement donc construction de lotissements dans les villages, population plus «urbaine» ...).

Ces transformations progressives du paysage, accompagnées de phénomènes climatiques inattendus, ont conduit à la montée d’un incident répétitif ces dix dernières années : les coulées de boue.

Qu’entendons-nous par ce terme, comment sont-elles per-çues par les populations, et quelles en sont les causes ?

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1c - La coulée de boue, une «catastrophe locale»

« Avec les pluies diluviennes qu’on a dans les derniers temps, surtout au mois de mai, lorsque les cultures n’ont pas encore pris, les feuilles ne ferment pas les terres, il y a la bonne terre super-ficielle, celle qui est la plus fertile, qui part. Il y a de l’eau qui ra-vine. C’est pour toutes les cultures de printemps qui sont encore jeunes.» (Jacques, A.)

Les coulées de boue alsaciennes touchent les villages au prin-temps, entre fin avril et début juin. Des orages violents et très localisés tombent sur les collines cultivées. A cette période, les cultures de printemps (maïs, betteraves, tabac…) viennent d’être semées, le premier engrais est apporté. Le sol est encore presque nu, il est encore tout léger d’avoir été travaillé récemment. C’est pour cela que lors de ces pluies fortes, de courtes durées mais très violentes, la terre ne peut éponger si vite toute cette eau, l’eau ruisselle le long des collines en emportant la terre avec elle, et la boue arrive dans les villages.

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Coulée de boue à Ettendorf, 23 mai 2012 ©DNA

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L’expression « coulée de boue »

« En 1988 on a eu la première coulée de boue, on appelait ça toujours comme ça. Scientifiquement il y a une différence entre coulée de boue et coulée d’eau boueuse. Coulée d’eau boueuse c’est de l’eau qui entraîne de la boue, c’est à dire que l’eau est chargée de boue. Et une coulée de boue, c’est de la boue qui est chargée d’eau. C’est de la terre qui est chargée d’eau et qui part. Pour les scien-tifiques c’est clair, ils disent « on doit savoir de quoi on parle », ils voient la différence. Alors chez l’agriculteur coulée d’eau boueuse ou coulée de boue, ça change pas grand chose, enfin tout le monde a compris de quoi on parle. Voilà, on se comprend, c’est ce qu’on a dans nos régions quoi. » (Serge, N.)

En effet, les écrits des agronomes qui se sont penchés sur la question ne parlent pas de « coulées de boue ». Le terme est largement plus employé par les médias. Dans l’analyse d’A.V. Auzet, « le terme prête à confusion » (Auzet et al., 2005). En effet géomorphologiquement parlant, la coulée de boue est un mou-vement de terrain, un pan de colline qui s’effondre sous l’effet de l’eau. La coulée d’eau boueuse, c’est de l’eau qui ruisselle des collines cultivées, emportant avec elle des particules d’argile.

« Chez nous c’est des coulées d’eau boueuse. C’est de l’eau chargée d’argile. La coulée d’eau boueuse, c’est de l’eau chargée d’éléments nobles. Mais après les médias diffusent un mot, il faut l’accepter. Ça permet de parler de la même chose. » (Michel, G.)

Pourtant c’est vrai, le terme n’est pas tellement positif. La boue, du gallois baw « saleté », est un mélange de terre et d’eau formant une couche plus ou moins sale sur le sol. (TLF) La définition déjà ren-voie à la saleté, l’immondice, et fait écho à la perception du risque pour les habitants. Les Alsaciens ont peut être une notion de pro-preté un peu exacerbée. Le samedi, il est de coutume de balayer le trottoir devant l’emprise de sa maison. La propreté même est

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un terme qu’on retrouve dans les discours des agriculteurs que j’ai rencontrés : « il faut que la parcelle soit propre »(Jacques, A.). C’est aussi avec cette culture germanique qu’il faut voir l’arrivée d’un phénomène tel que les coulées d’eau boueuse : les rues si propres, qu’on brosse chaque semaine, les cours soigneusement pavées, les caves rangées, tout est d’un coup envahi par un mélange extrêmement sale de terre, d’eau et d’immondices (TLF).

Des termes différents sont employés selon les régions de France et selon la nature des rapports.

Dans les rapports scientifiques, les termes utilisés sont «inon-dation boueuse », « érosion hydrique des sols », « ruissellement et érosion des sols ». Les médias préfèrent « coulées de boue », «pluies torrentielles », « orages », « inondations ».

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Un risque qui touche d’autres régions

Boardman (2006) montre que la plupart des pays d’Europe sont affectés par l’érosion des sols. La coulée d’eau boueuse alsa-cienne n’en est qu’une des manifestations possibles.

Le phénomène de coulées d’eau boueuse associé à l’érosion hydrique des sols est un risque présent dans de nombreuses zones d’Europe, non seulement dans les paysages montagneux ou de bords de mer, où l’explication de la matière emportée est facile (mais problématique), elle touche aussi les paysages de colline limoneuses dominées par la grande culture. L’ensemble de la « ceinture loessique » d’Europe du Nord, terres riches où l’agri-culture s’est installée depuis des millénaires, est ainsi touché, notamment en Angleterre, en Belgique, et dans le Nord de la France (Boardman, 2006).

Dans la lutte contre l’érosion, la plupart des références que l’on trouve se situent en Belgique et en Haute-Normandie, no-tamment en Seine-Maritime. Dans ces régions les termes sont lé-gèrement différents, on y parle de « crues torrentielles », «coulées boueuses », « inondation par ruissellement » (site de l’AREHN1).La Seine Maritime a quelques années d’avance sur l’Alsace dans ses expérimentations sur la lutte contre l’érosion : elle organise chaque année « les trophées de l’hydraulique douce», récom-pensant des agriculteurs pour les mesures mises en place.

On voit sur cette carte les régions touchées par ce risque : l’Alsace est loin d’être une exception.

1-Agence régionale de l’environnement de Haute Normandie : www.arehn.asso.fr

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Densité de coulées de boues pour 100km² par petite région agricole (janv. 1985-avr.2001)

source : INRA, 2001

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Un phénomène récent ?

«Quand j’étais un petit garçon [env. 1960], j’avais 7 ans, 8 ans, derrière l’école, je me rappelle un orage intense comme tout, ça flottait comme tout, et il y avait de l’eau, mais juste de l’eau, pas de boue ! La cour d’école, c’est la première qui est inondée. Depuis toujours. Mais il n’y avait pas de boue, à la fin de l’orage il y avait juste quelques brins de paille qui traînaient.

Maintenant ça fait des remorques et des remorques de boue!» (Henri, E.)

On en parle depuis 2003. Pour beaucoup d’agriculteurs, la première coulée d’eau boueuse dans cette région, c’était en 2003. J’ai voulu savoir si réellement le phénomène était récent. Quand je posais la question aux agriculteurs, leur premier réflexe était de me répondre qu’il n’y en avait jamais eu avant : « C’est venu récemment » (Pierre, G.), « Ca vient depuis 2003. Ca a commencé, les vrais problèmes qu’on avait. Et les inondations qu’on avait dans le village. » (Jacques, A.), « Non, non comme ça pas, avant on n’a jamais vu comme ça. Jamais l’eau coulait là comme ça... enfin la boue ! C’était pas que de l’eau hein. » (Alain, A.)

Et puis la plupart continuaient en racontant les inondations qu’ils avaient connues jeunes. Mais c’était des inondations d’eau, aucun ne se rappelle avoir eu à enlever de la boue.

« Les caves inondées, ça il y aura toujours hein. Il y a toujours eu ! […] Ca il y a toujours eu, moi je me rappelle, gros orage, la cave qui est en bas chez mes parents, il y avait 30 cm d’eau parce que ça pouvait plus partir. C’était quand j’étais jeune. » (Pierre, G.)

Ces phénomènes restaient rares. « Alors pour moi le déclic, ça a été les années 2000. Mais il faut savoir que le village avait déjà eu des problèmes d’eau. En 1936 ou 1937, on a eu l’effondrement d’une cave. Donc c’est un phénomène qui existait, mais avec une périodicité de je dis maintenant de vingt ou de vingt-cinq ans un truc comme ça quoi c’est à dire aussi un phénomène entre paren-

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thèses toujours exceptionnel qu’on voit une fois par génération et qui est malheureusement devenu à un moment donné une problé-matique. » (Serge, N.)

Parallèlement, les agronomes constatent depuis longtemps une perte de matière organique dans les sols et l’érosion : « L’éro-sion des sols n’est pas un phénomène nouveau : il est attesté dans de nombreux documents d’archives » (Auzet et al., 2004).

Mais c’est récemment que les villages ont été touchés, et que les inondations se sont combinées à l’érosion pour former les coulées de boue.

Il y a donc toujours eu des orages, toujours eu quelques inon-dations, mais jamais de boue, et jamais à cette fréquence.

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Etat de catastrophe naturelle :

16 mai 1985 : Ettendorf, Alteckendorf

8 mai 2003 : Ettendorf, Alteckendorf, Morschwiller

9 mai 2003 : Alteckendorf

12 juin 2003 : Ettendorf

11 juin 2007 : Ettendorf, Morschwiller, Grassendorf

30 mai 2008 : Ettendorf, Alteckendorf, Morschwiller, Grassendorf

21 mai 2012 : Morschwiller

(d’après Prim.net, prévention risques majeurs, et Auzet et al.,2005)

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Des «désastres» pour les communes alsaciennes

Au total, 236 communes du Bas-Rhin sont concernées par le risque de coulées d’eaux boueuses.

L’état de catastrophe naturelle a été constaté dans les quatre communes que nous étudions, pour des phénomènes qui surve-naient toujours entre mai et juin. En voici la liste ci-contre. Ce n’est pas parce qu’une année, l’état de catastrophe naturelle n’a pas été constaté qu’il n’y a pas eu de coulée de boue : en 2012 par exemple à Ettendorf, la coulée n’a pas fait de dégâts, les habitants en ayant pris l’habitude s’étaient protégés.

Les agriculteurs racontent ces épisodes brefs et intenses, qui se sont répétés presque chaque année dans certains villages.

C’est un phénomène aléatoire mais répétitif : « On en a eu deux, trois grosses, après maintenant ça fait de

nouveau trois ans qu’on n’en a pas eu. C’est vrai que si c’était vrai-ment tous les ans, déjà ce serait plus grave et il faudrait vraiment faire peut-être encore plus de choses.

C’est aléatoire hein, il y a eu deux années de suite où il y a eu un gros orage, un orage suffit, après si cet orage il vient au mois de juillet c’est plus pareil, c’est plus les mêmes conséquences. [...]Il y en a quand même eu dans le département, cette fois-ci c’est pas tombé chez nous c’est tombé un peu plus loin, c’est localisé mais c’est quand même répétitif. On se dit on espère que ça va pas tom-ber chez nous. Parce que ça va de nouveau tomber. » (Pierre, G.)

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Il y a des dégâts matériels, mais aussi des problèmes de net-toyage des rues :

« La première coulée de boue, je me rappelle bien. C’était un soir avant le ramassage des ordures ménagères. Il y a toutes les poubelles qui ont descendu le village ! Le voisin a crié il a de l’eau dans la cave, je pouvais plus traverser la route, elle était trop forte! Ça coulait sur toute la largeur de la route, du trottoir. Et puis là en bas, eux ils prenaient. Et lorsque les portes elles s’ouvraient, l’eau était devant la cave, dans la descente des garages. C’est ça le pro-blème. Là où tout est ras du sol, là il y a moins de problème. Sauf que chez nous les caves sont un mètre plus basses que la route.

Et après il restait la boue. Il a fallu gratter, heureusement que là il y avait pas encore les convention pompier-département comme maintenant, là on pouvait encore travailler avec les pom-piers, avec l’eau. Avec les lances, maintenant on n’a plus le droit. Et avec le tuyau d’arrosage, si vous n’avez plus de pression, la boue elle part pas ! » (Jacques, A.)

Les maisons sont touchées inégalement : « Ça fait dix ans à peu près maintenant, et bon on avait prati-

quement tous les ans. […] Moi j’habite là en haut, moi personnel-lement j’avais pas de problèmes, mais le voisin lui il avait toujours des problèmes. Il avait la cave au moins quatre fois remplie. Et deux fois une année, deux jours de suite ! C’était au début. Ça c’était le plus dur, à l’époque, les premières années c’était là où il y avait le plus de dégâts. » (Alain, A.)

« Là il y a un espèce d’entonnoir, il y a une maison, il avait laissé le portail fermé, l’eau elle s’est accumulée derrière sur un mètre et le portail il a volé en éclats. L’eau déménage jusque là. […] C’est la route surtout. C’est la route qui était remplie d’eau. Dans les maisons ça allait. C’était pas trop trop grave. » (Didier, A.)

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Une cave inondée à Weitbruch, mai 2012©Franck Kobi, DNA

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L’entraide pour évacuer la boue à Ettendorf, mai 2012©DNA

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L’entraide pour évacuer la boue à Ettendorf, mai 2012©DNA

« Ça allait dans les caves, la route principale c’était une pe-tite rivière, et toutes les maisons sur la droite quand tu viens de Grassendorf, une maison sur deux était remplie de boue dans la cour, et quelques maisons avaient un mètre d’eau dans la cave. » (Raymond, M.)

« Chez Jacqueline c’est rentré dans sa cave. Mais c’est le point le plus bas. Comme nous dans la route là, nous on est de ce côté on n’avait pas vraiment de problèmes, mais les maisons de l’autre coté, il y en avait un peu dans toutes les caves. Ça rentre dans la cour, ça va dans la cave. » (Pierre, G.)

Ce sont toujours les mêmes maisons qui sont touchées. Après les orages, les habitants s’entraident pour nettoyer la rue qui est tapissée de boue.

La répétition du phénomène rend les gens méfiants. Dès mai, ils guettent l’arrivée des orages :

« Maintenant il y a des personnes qui s’affolent quand il y a un orage. Tout le monde a des planchesdevant chez eux ! Des planches, des sacs de sables... Parce que la route est plus haute, alors ça rentre là dedans et ça va jusque derrière dans les garages.

Si vous descendez de Ringeldorf, personne ne reçoit plus de boue, parce que tout le monde a pris des planches et des trucs pour colmater. Mais le problème c’est les routes, la place de l’école, là bas tout est inondé. Et par derrière, le Voltbarri, ça descend par les champs et ça rentre même dans le chemin de fer. La SNCF voulait même faire un procès à la commune : toutes les traverses étaient pourries, et les rails ça glissait, et ils ont dû tout mettre à neuf. Ils disent que ça ne doit plus arriver ! »(Henri, E.)

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Page 86: Notre sol s'en va - Marie Antoni

Les dégâts sont donc surtout dans les villages, mais les agri-culteurs aussi perdent des semences, des engrais...

« Nous on a eu des problèmes. [...] Une fois on était à trois à se-mer de l’engrais, et lorsqu’on avait vidé nos bennes, il y a un orage qui est venu. Et c’est parti dans le village. Presque tout l’engrais. Ca a moussé ! Il faut qu’il y ait une pluie mais pas trop forte. En tout cas, ça a moussé dans le village ! » (Jacques, A.)

« Le gars il était venu avec une remorque énorme d’ammoni-trates, tout blanc, il a épandu sur le maïs, il y a eu l’orage le jour même, ou le soir, parce que ça avait pas encore fondu : tout était blanc ! Ça passait tu voyais les grains blancs passer sur la route. Alors là, qu’est ce qu’il a fait ? La semaine d’après il est revenu avec une nouvelle remorque.

Mais bon. Ça c’était l’extrême. Alors on a peur, tu attends un peu plus longtemps pour mettre l’engrais pour éviter les pre-miers orages là en mai, mais des fois c’est en début juin. Alors moi j’écoute la météo et même s’il y a pas trop de pluie annoncé, j’essaie de le faire, qu’il y ait pas les coulées après qui t’emmènent tout. S’il y a les coulées, tu verras plus les grains mais ce sera le sol alors c’est pareil. C’est dans les premiers centimètres du sol l’engrais, il sera pas descendu en deux semaines.» (Alain, A.)

« La pluie a emporté tous les plants de betteraves, surtout ceux qui étaient semés dans les traces, près des traces du tracteur, là c’est tassé, là l’eau elle coule. J’avais un petit semoir, sur six rangs, et à chaque fois j’avais les traces de tracteur, et les rangs qui étaient concernés par les traces, bon pas partout tout, mais après il y avait même plus de betteraves, en bas là où ça devenait de nou-veau plat, il y avait des tas de boue ! C’était enseveli, les betteraves tu les voyais plus, ça avait crevé. Il y a plus rien qui serait sorti. Et après il y avait des mauvaises herbes qui repoussaient, là on a eu la merde avec les mauvaises herbes. C’était pas beau à voir ! » (Alain, A.)

Les agriculteurs sont même les premiers touchés par le risque, car aux coulées de boue s’associe l’érosion des sols agricoles.

«Notre sol s’en va»

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Page 87: Notre sol s'en va - Marie Antoni

coulée de boue à Ettendorf, vers Buswiller - 2012- document remis par la mairie

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Page 88: Notre sol s'en va - Marie Antoni

Coulée de boue et érosion des sols agricoles

Ce qu’il faut surtout comprendre, c’est que la coulée de boue qui fait des dégâts dans le village va de pair avec la terre qui part des champs. Au phénomène « coulées de boue » dont tout le monde parle est associée l’érosion des sols. La coulée de boue, catastrophe pour les habitants, est en fait surtout une catastrophe pour les agriculteurs : « Il y a les bonnes terres qui partent. La bonne terre végétale, la superficielle, c’est celle qui est la plus fer-tile. » (Jacques)

« Ça vient du champ, la meilleure terre elle part. La bonne terre elle part, la terre fine, la terre meuble, et après vous avez la terre.... comment on dit ? So bilde bode, c’est la terre pauvre quoi, qui est en dessous, qui n’est jamais travaillée. » (Alain)

Selon Michel, au départ, les agriculteurs ne se rendaient pas compte que la boue leur était précieuse : « Je leur disais ‘’Chez eux c’est de la saleté, mais chez vous c’est ce qu’il y a de plus utile, de plus vital, c’est l’élément le plus noble ‘’. Mais tout le monde avait le regard péjoratif, c’était de la saleté, «les paysans nous envoient leur saleté». Mais personne ne sait de quoi vous parlez. C’est pas de la boue, c’est la richesse même de l’humanité qui s’en va.» (Mi-chel)

Mais, même s’ils ne saisissaient pas complètement la valeur de cette terre qui partait, les agriculteurs le disent : ils ont bien vu que la « boue », c’était la terre de leur champ.

« A l’époque quand il y avait les premiers gros orages, quand on a eu les coulées là, on savait tout de suite que ça vient pas de n’importe où hein, ça peut venir que de là en haut. Et après, la pre-mière fois tu te dis hop, tu regardes, et puis quand tu vas dehors tu vois, tu savais. La deuxième fois t’as même pas besoin de regar-der, tu te dis déjà ça vient aussi, dans ton champ c’est pareil. Mais c’est vrai qu’il y a des différences, ça dépend aussi des champs,

«Notre sol s’en va»

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Page 89: Notre sol s'en va - Marie Antoni

Les pertes en terre par érosion hydrique en France

sources : BRGM, 2010, d’après Cerdan et al.,2010. traitements SOeS, 2013

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Page 90: Notre sol s'en va - Marie Antoni

t’as des champs où il y a moins, des champs où il y a plus. Selon le travail du sol, selon les trucs. » (Alain)

Serge observe la terre en bas des champs avec un profil du sol, au couteau. Il voit la terre qui est partie en une année :

« Vous avez la dernière couche qui est arrivée, le fin au dessus, le plus gros en bas. Et après vous avez la couche d’avant, fin en haut, grossier en bas. Et là vous pouvez retrouver chaque couche qui s’est déposée. Vous avez trois orages dans un mois, chaque fois la première couche va être plus épaisse après deuxième coup on en ramène encore un peu, c’est un peu plus fin il y a moins de terre qui part parce que ce qui peut partir est pratiquement parti au premier coup, troisième coup encore un peu moins, mais les couches sont superposées comme ça en bas de la parcelle et ça donne une notion de quantité aussi. » (Serge)

« En France on estime l’érosion annuelle en moyenne à 17 tonnes de terre par hectare. Et quand j’ai expliqué ça à un gars de la DDT, il m’a dit «Serge c’est pas possible c’est de trop.» Il prend sa calculette et il dit «Ah, mais c’est à peine 2 mm. oh, vu comme ça...» Bon moi j’ai pas fait le calcul. C’est une moyenne, une moyenne c’est pas grave, mais quand on voit les ravines on se dit que c’est là que ça se passe. » (Serge)

D’autres agriculteurs observent une différence de niveau qui se forme entre les parcelles labourées et les prairies :

« Qui dit érosion dit perte de terre, perte de matière orga-nique, dit perte de richesse du sol. Quand on peut observer ici une parcelle en pente avec une prairie à côté, il y a dix ans, la parcelle en prairie elle est restée, au niveau, et la parcelle cultivée à côté, il y avait -40 cm en bout de parcelle. On voit la différence de niveau, en haut de la parcelle, moi je calculais un cm dans l’année, en haut! » (Raymond)

Enfin, d’autres agriculteurs le voient surtout à une baisse de rendement les années de forts orages : « Moi je le remarque à mes résultats, et je regarde, depuis 2010, on a souvent des orages et tout ça, mes rendements, ça baisse. Et même si j’augmente les engrais,

«Notre sol s’en va»

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Page 91: Notre sol s'en va - Marie Antoni

l’azote ! Donc il y a un problème de terre fertile. Qu’on n’a plus. » (Jacques),

« Et après vous le voyez dans les champs. Les années d’après ou l’année d’après, ou deux trois ans après, vous le voyez encore, là où a passé l’eau, où a été enlevé la terre, les cultures vous voyez que c’est un peu plus bas. Et c’est lié aux baisses de rendement. » (Alain),

« Dans le thalweg au milieu du champ, tout a été emmené, on était à 0% d’humus là. Et quand il y a 0% d’humus, plus rien ne pousse. Ça pousse plus ! Ça monte, ça monte, et si il y a trois semaines pas de pluie, hoplà, ça commence à périr. Ça c’est sûr. » (Henri)

Michel souligne la catastrophe pour des agriculteurs qui sont arrivés à des performances inégalées pour faire produire la terre, et qui voient leur travail dévasté par les coulées de boue :

« Ces orages là arrivaient au moment où ils venaient de faire leur travail le plus précieux, ils venaient de fignoler leur travail à l’optimum, ils étaient quelques jours où ils venaient de semer. Ils venaient de semer à un tel niveau de performance que par exemple un champ de maïs, 98% des grains levaient et ils levaient le même jour. Quand je suis entré dans le métier, on avait 60% des graines qui partaient et elles levaient sur un étalement de trois semaines. Et là il y a que la façon de travailler le sol qui est en cause.» (Michel)

Ce travail du sol qu’il avaient appris à maîtriser est tout à coup remis en cause par les coulées d’eau boueuse. Il faudra ten-ter de produire autant mais en laissant le sol en place.

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Page 92: Notre sol s'en va - Marie Antoni

« C’est une mécanique grave. Faire produire la terre, c’est cette méthode simplifiée NPK. Ça marche de façon géniale. Tu peux pas prendre un agriculteur et lui dire «tu devrais ne plus en mettre». Il dit «Tu me dis que je tue ma terre, mais comment je tue ma terre, j’augmente mes rendements tous les ans !» tu lui dis «je sais bien, ta terre elle est capable, mais cette terre elle doit durer encore quelques millénaires, or on est fatalement sur une pente d’érosion, la terre se meurt, la surface fertile meurt au fil des millénaires, mais tout notre enjeu c’est de ralentir cette dégradation le plus longtemps possible». » (Michel)

Les coulées d’eau boueuse vont donc de pair avec l’érosion des sols agricoles. Les agriculteurs sont les principales victimes d’un sol qui s’en va. Mais quelles sont les causes des coulées de boue ? L’Homme en général et l’agriculteur en particulier ne sont-ils pas à l’origine de la montée de ce risque ?

HAGUENAU

BRUMATH

BISCHWILLER

WISSEMBOURG

REICHSHOFFEN

GRIES

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INGWILLER

WOERTH

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SURBOURG

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DURRENBACH

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WALBOURG

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BATZENDORF

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SIEGEN

WINGERSHEIM

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KRIEGSHEIM

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WILWISHEIM

STATTMATTEN

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UHLWILLER

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WALDOLWISHEIM

SCHIRRHOFFEN

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WAHLENHEIM

SCHILLERSDORF

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ERNOLSHEIM-LES-SAVERNE

OBERROEDERN

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LITTENHEIM

WINDSTEIN

NEUHAEUSEL

MORSBRONN-LES-BAINS

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0 4 82 Kilomètres

Méthode utilisée : INRA-BRGM (2006) / ARAAConception et traitement des données :ARAA, Paul van Dijk (2007)Fonds cartographiques :BD-OCS 2000- CIGAL (R)BD CARTHAGE V3.0 (2002) (R)

Risque potentiel de couléesd'eaux boueuses par bassin versantconnecté aux zones urbaines

Outre-Forêt et Pays de Hanau ±Légende

cours d'eau

surface amont > 10 ha

zone urbaine

point d'entrée potentieldans zone urbaine

bassin versantavec code (n°)

Elevé

Faible

Niveau de risquepotentiel

# # #

«Notre sol s’en va»

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Page 93: Notre sol s'en va - Marie Antoni

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BRUMATH

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GRIES

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OHLUNGEN

BUHL

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SCHWINDRATZHEIM

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DALHUNDEN

DAMBACH

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BIBLISHEIM

NEUWILLER-LES-SAVERNE

HUTTENDORF

NIEDERSCHAEFFOLSHEIM

BERNOLSHEIM

ENGWILLER

SCHEIBENHARD

SCHOENENBOURG

NIEDERLAUTERBACH

WALDOLWISHEIM

SCHIRRHOFFEN

WINTERSHOUSE

MERKWILLER-PECHELBRONNEBERBACH-SELTZ

WITTERSHEIM

INGENHEIM

BERSTHEIM

OBERLAUTERBACH

MORSCHWILLER

BITSCHHOFFEN

MENCHHOFFEN

FORT-LOUIS

HEGENEY

WEITERSWILLER

OBERSTEINBACH

KUTZENHAUSEN

FROESCHWILLER

MULHAUSEN

OBERMODERN-ZUTZENDORF

GOTTESHEIM

SPARSBACH

WEINBOURG

WAHLENHEIM

SCHILLERSDORF

STUNDWILLER

ERNOLSHEIM-LES-SAVERNE

OBERROEDERN

RINGENDORF

LITTENHEIM

WINDSTEIN

NEUHAEUSEL

MORSBRONN-LES-BAINS

ROTTELSHEIM

KESSELDORF

WALTENHEIM-SUR-ZORN

MUTZENHOUSE

BISCHHOLTZ

BIETLENHEIM

BOSSENDORF

HOCHSTETT

LAUBACH

LIXHAUSEN

INGOLSHEIM

BUSWILLER

PRINTZHEIM

OBERSOULTZBACH

RETSCHWILLER

KIRRWILLER-BOSSELSHAUSEN

HOHFRANKENHEIM

MEMMELSHOFFEN

GEISWILLER

NEEWILLER-PRES-LAUTERBOURG

NIEDERSTEINBACH

KEFFENACH

SCHALKENDORF

DIEFFENBACH-LES-WOERTH

SCHAFFHOUSE-SUR-ZORN

KAUFFENHEIM

UTTWILLER

UTTENHOFFEN

WICKERSHEIM-WILSHAUSEN

DRACHENBRONN-BIRLENBACH

GRASSENDORF

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NIEDERSOULTZBACH

CROETTWILLER

KRAUTWILLER

OBERDORF-SPACHBACH

RINGELDORF

ZOEBERSDORF

SCHERLENHEIM

DONNENHEIM

OBERHOFFEN-LES-WISSEMBOURG

ISSENHAUSEN

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OTTERSWILLER

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690

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320

781769

0 4 82 Kilomètres

Méthode utilisée : INRA-BRGM (2006) / ARAAConception et traitement des données :ARAA, Paul van Dijk (2007)Fonds cartographiques :BD-OCS 2000- CIGAL (R)BD CARTHAGE V3.0 (2002) (R)

Risque potentiel de couléesd'eaux boueuses par bassin versantconnecté aux zones urbaines

Outre-Forêt et Pays de Hanau ±Légende

cours d'eau

surface amont > 10 ha

zone urbaine

point d'entrée potentieldans zone urbaine

bassin versantavec code (n°)

Elevé

Faible

Niveau de risquepotentiel

# # #

HAGUENAU

BRUMATH

BISCHWILLER

WISSEMBOURG

REICHSHOFFEN

GRIES

SELTZ

INGWILLER

WOERTH

HATTEN

HERRLISHEIM

DRUSENHEIM

SOUFFLENHEIM

BETSCHDORF

SEEBACH

MERTZWILLER

BOUXWILLER

HOCHFELDEN

MOTHERN

SAVERNE

WEITBRUCH

SESSENHEIM

DETTWILLER

WEYERSHEIM

BEINHEIM

NIEDERBRONN-LES-BAINS

LEMBACH

ROESCHWOOG

SCHLEITHAL

SURBOURG

GUNDERSHOFFEN

OFFENDORF

MONSWILLER

SCHIRRHEIN

RIEDSELTZ

WIMMENAU

SCHWEIGHOUSE-SUR-MODER

MOMMENHEIM

GEUDERTHEIM

STEINBOURG

PFAFFENHOFFEN

LAUTERBOURG

UBERACH

KALTENHOUSE

HOFFEN

SOULTZ-SOUS-FORETS

OBERBRONN

OBERHOFFEN-SUR-MODER

OHLUNGEN

BUHL

ROTT

ESCHBACH

LA WALCK

ROPPENHEIM

GUNSTETT

DURRENBACH

ZINSWILLER

ROHRWILLER

AUENHEIMDAUENDORF

WALBOURG

SCHWINDRATZHEIM

SALMBACH

DALHUNDEN

DAMBACH

FORSTFELDMIETESHEIM

HATTMATT

UHRWILLER

WINGEN

BATZENDORF

KURTZENHOUSE

SIEGEN

WINGERSHEIM

GUMBRECHTSHOFFEN

ETTENDORF

HUNSPACH

GOERSDORF

OFFWILLER

ROUNTZENHEIM

LUPSTEIN

PREUSCHDORF

TRIMBACH

NIEDERROEDERN

LOBSANN

WINTZENBACH

RITTERSHOFFEN

LEUTENHEIM

ALTECKENDORF

KRIEGSHEIM

STEINSELTZ

WILWISHEIM

STATTMATTEN

ASCHBACH

CLEEBOURG

UHLWILLER

CLIMBACH

DOSSENHEIM-SUR-ZINSEL

FORSTHEIM

MELSHEIM

MUNCHHAUSEN

KINDWILLER

LANGENSOULTZBACH

MINVERSHEIM

LAMPERTSLOCH

ROTHBACH

LICHTENBERG

NIEDERMODERN

REIPERTSWILLER

BIBLISHEIM

NEUWILLER-LES-SAVERNE

HUTTENDORF

NIEDERSCHAEFFOLSHEIM

BERNOLSHEIM

ENGWILLER

SCHEIBENHARD

SCHOENENBOURG

NIEDERLAUTERBACH

WALDOLWISHEIM

SCHIRRHOFFEN

WINTERSHOUSE

MERKWILLER-PECHELBRONNEBERBACH-SELTZ

WITTERSHEIM

INGENHEIM

BERSTHEIM

OBERLAUTERBACH

MORSCHWILLER

BITSCHHOFFEN

MENCHHOFFEN

FORT-LOUIS

HEGENEY

WEITERSWILLER

OBERSTEINBACH

KUTZENHAUSEN

FROESCHWILLER

MULHAUSEN

OBERMODERN-ZUTZENDORF

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SPARSBACH

WEINBOURG

WAHLENHEIM

SCHILLERSDORF

STUNDWILLER

ERNOLSHEIM-LES-SAVERNE

OBERROEDERN

RINGENDORF

LITTENHEIM

WINDSTEIN

NEUHAEUSEL

MORSBRONN-LES-BAINS

ROTTELSHEIM

KESSELDORF

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MUTZENHOUSE

BISCHHOLTZ

BIETLENHEIM

BOSSENDORF

HOCHSTETT

LAUBACH

LIXHAUSEN

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PRINTZHEIM

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UTTENHOFFEN

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Méthode utilisée : INRA-BRGM (2006) / ARAAConception et traitement des données :ARAA, Paul van Dijk (2007)Fonds cartographiques :BD-OCS 2000- CIGAL (R)BD CARTHAGE V3.0 (2002) (R)

Risque potentiel de couléesd'eaux boueuses par bassin versantconnecté aux zones urbaines

Outre-Forêt et Pays de Hanau ±Légende

cours d'eau

surface amont > 10 ha

zone urbaine

point d'entrée potentieldans zone urbaine

bassin versantavec code (n°)

Elevé

Faible

Niveau de risquepotentiel

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Risque potentiel de coulées d’eaux boueuses dans le Bas-Rhinsource : ARAA

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Page 94: Notre sol s'en va - Marie Antoni

1d- Controverses sur les origines du risque

Des causes climatiques : « Les orages, ils sont beaucoup trop violents »

La première cause dont parlent tous les agriculteurs est d’ordre climatique : c’est la répétition d’orages au mois de mai.

L’Alsace est caractérisée par un climat continental : des étés chauds et humides et des hivers froids et secs.

La période de gel s’étend d’octobre à avril, avec des risques de gel précoce (début novembre) ou tardif (avril). L’été est sou-vent très chaud et très lourd.

Les périodes pluvieuses viennent au printemps et en été. La pluie de printemps est plutôt liée au passage des perturbations atlantiques, alors qu’en été ce sont les orages qui apportent l’eau. Le mois le plus pluvieux est mai, avec en moyenne 81,9mm de pluie dans le mois.

Le graphique ci-contre montre les précipitations et les orages entre 1961 et 1990. On peut voir que, même avant les premières coulées de boue, mai est un mois pluvieux. C’est en mai qu’il y a les plus fortes pluies en un jour (plus de 60mm en 24h). Quand les agriculteurs nous disent qu’ils n’avaient jamais vu d’orages de cette violence en mai, c’est à tempérer par ce graphique où on voit que mai est déjà un mois orageux.

Après, il est difficile de savoir si c’était déjà à l’époque les épisodes orageux qui amenaient les fortes pluies.

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Les précipitations dans la station de Strasbourg-Entzheim1961-1990

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(d’après les relevés pluviométriques de la sta-tion Strasbourg Entzheim 1961-1990)

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Page 96: Notre sol s'en va - Marie Antoni

C’est difficile à vérifier et à quantifier, les orages sont très localisés et je n’ai pas trouvé de données climatiques précises ; le mois de mai a toujours été un mois pluvieux, mais, dans les dictons par exemple, la pluie de mai est bienvenue : « Poussière en mars, feuillage en avril, pluie en mai valent de l’or» ( Juillard, 1953).

Encore maintenant, les agriculteurs voudraient une belle pluie sur leurs semis : « Au printemps ça ce serait bien, nous on attend toujours une demi-journée de bonne pluie, que la terre se tasse bien.» (Jacques)

Mais au lieu de ça, depuis les années 2000, ce sont des orages violents qui tombent en mai, dans des laps de temps très courts. Ils sont très localisés « C’est ponctuel, c’est pas partout mais là en haut ça passait toujours là en haut et là il y avait un débit énorme de pluie en quelques minutes, comme à Ringeldorf ou à Ettendorf. C’était toujours pareil, ça restait accroché, je sais pas pourquoi » (Alain). Les agriculteurs soulignent surtout leur intensité : « Le problème c’est que les orages de début mai c’est des orages de 70, 80, 90 mm en une demi-heure. Et là vous pouvez faire ce que vous voulez, si moi je prends un seau d’eau je vous le mets sur la tête, obligé vous êtes mouillé dans la seconde qui vient.» Didier

« Si vous avez 40, 50 mm de pluie, les premiers 20 mm rentrent dans le sol, mais après ça part. C’est comme une éponge. Au début ça aspire, et quand elle est pleine elle est pleine. » Jacques

Des orages violents poseraient moins de problèmes en hi-ver, « En hiver, les sols sont beaucoup plus rugueux, l’eau ne part pas si vite. » (Jacques), ou en été : « Les anciens ils disent que les orages comme ça, ces gros orages c’était plutôt au mois de juil-let-août qu’on les avait, donc la terre elle est beaucoup plus tassée, les cultures sont bien en place, la terre elle partait pas » (Pierre)

Le souci, c’est l’état des sols à cette période : « là c’est des orages au mois de mai, début mai. Fin avril. Les sols ils sont nus » (Didier) « la terre elle est vraiment meuble elle a tendance à partir » (Pierre) « Au printemps le sol il est émietté, il est fin et sec » (Jacques)

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Page 97: Notre sol s'en va - Marie Antoni

Des causes topographiques : « Toutes les pentes rentrent dans le village »

Une autre cause est topographique : la positions des villages en bas de collines les rendent plus vulnérables au risque : « si le village était sur la colline, on parlerait pas des problèmes de cou-lées de boue. » (Pierre), mais aussi les parcelles cultivées en pente : l’eau ruisselle. « C’est aussi les pentes. Morschwiller il y a encore presque plus de pentes que chez nous. […] Et les pentes, toutes les pentes, rentrent dans le village. » (Jacques)

Mais les constructions récentes en bas de pentes augmentent la vulnérabilité face au risque. « Ils ont construit en bas dans le trou. Donc à chaque fois qu’il y a de la pluie, ils ont de la flotte ils arrivent pas à l’évacuer, donc maintenant ils mettent des bassins partout parce que la zone s’étend, mais […] si l’aménagement de base était un peu raisonné, qu’ils étaient pas allés à l’endroit le plus profond, parfois on se demande. Ça doit être faramineux ce que ça coute. […] On met pas des bâtiments là et après on construit des bassins gigantesques. Parfois il y a des choses aberrantes qui se font. » (le gendre de Jacques)

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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coulée de boue au Nord-Est d’Ettendorf - 2012- document remis par la mairie

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Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Des causes anthropiques : évolutions agricoles et augmentation du risque Les remembrements

« Dans le sillon1, on produit zéro. Dans les premiers mètres après le sillon de part et d’autre on produit 10, 20, 30, 40 %, et puis seulement au milieu on produit 100%. Et comme on avait un sillon tous les 20m. Tu t’imagines ce qu’on perdait par le simple morcel-lement, ils faisaient le même travail, même labour, ils dépensaient tout pareil, la même énergie. Alors on a formé des personnes du monde non agricole […] pour redécouper le paysage, pour éviter ces gaspillages. Alors il y avait pas que le gaspillage du voisinage, il y avait le gaspillage des terrains morts, des endroits où on pou-vait pas accéder parce qu’il y avait une haie, des endroits où il y avait un talus, des endroits qu’on devait labourer à l’horizontale parce que les chevaux ne pouvaient pas tirer dans la pente. Et il y avait l’histoire des fossés qui faisaient des méandres et du coup l’eau les trois quart de l’année était répandue partout au lieu de filer, et de se drainer, de sortir du terrain fertile, donc tout ça était repensé, on enlevait les murets, les haies de voisinage, et on faisait un bon énorme de productivité. Avant même de modifier la façon de travailler. » (Michel)

Le premier atout du remembrement : ce gain énorme de productivité. Mais il a eu d’autres avantages aussi : de nombreux chemins ont été créés à cette époque là, avec des associations foncières dans chaque commune pour les gérer. « Avant le re-membrement il n’y avait pas de chemins, il y avait quelques chemins dans les champs mais c’était des droits de passage, et ils passaient l’un sur l’autre, le 24 juin, si le premier avait pas fauché les autres pouvaient lui rouler dessus. Il n’y avait pas de chemin officiel ! Il y avait pas ça à l’époque ! » (Raymond).

1-il s’agit ici du petit fossé creusé par la charrue en bordure du champ, séparant deux parcelles

«Notre sol s’en va»

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Page 101: Notre sol s'en va - Marie Antoni

Mais le remembrement crée des parcelles plus grandes, la-bourées dans le sens de la pente. «Il n’y a plus de raies qui sé-parent des parcelles de 20 ou 30 ares […] La raie, c’est ce que fait la charrue entre deux parcelles, à la limite de parcelle c’était toujours un creux […] où il y avait toujours les dépôts de boue. Même si ça coulait en travers, il y avait toujours un petit arrêt, un frein, la boue se déposait, et après l’eau qui débordait allait jusqu’à la prochaine raie, et se déposait de nouveau. L’eau se calmait un peu donc dépôt des sédiments, puis repartait, arrachait de nouveau sur la prochaine parcelle, mais déposait de nouveau à la limite de la parcelle. » (Serge) Ces raies ont disparu avec les nouvelles charrues et en agrandissant les parcelles.

Il n’y a eu qu’un remembrement en 1964 dans ces communes «c’était dans les années 63, 64. Il me semble, en tout cas avant que je sois né. Mais là bas il y a encore beaucoup d’exploitants. Entre ces années là et les années 80 je pense, c’est là que le plus grand nombre a arrêté, et là on est encore 4-5 sur le village. » (Pierre) Aujourd’hui, les agriculteurs restants pourraient travailler sur des parcelles encore beaucoup plus grandes. « Le remembrement, c’est depuis 1954, mais maintenant, comme il y a moins d’exploi-tants, et ceux qui restent, ils échangent, on fait des échanges pour avoir des grandes parcelles, et si vous avez une grande parcelle, car autrefois chaque culture était sur 15-20 ares, 30 ares, mais bon ça c’est plus possible au jour d’aujourd’hui. il vaut mieux avoir des grandes parcelles, c’est plus simple. » (Jacques)

Peu des agriculteurs que j’ai rencontrés voient le remem-brement comme une des causes des coulées de boue. Raymond, voyant le niveau d’un champ baisser par rapport à la prairie d’à côté, compte l’érosion à partir du remembrement : « Moi je calcule à partir de là, parce que à ce moment ceux qui avaient des prairies ont laissé, les autres ont labouré. C’est pour ça que je dis, je vois 40 cm d’érosion, sur 40 ans, en gros 1cm dans l’année. » (Raymond)

Mais c’est surtout Serge, à Néewiller, qui rapproche tout de suite les deux évènements : « on peut dire que c’est lié au remem-brement, alors le remembrement on l’a eu en 1982-83, […] 1988, le 28 mai, on a eu la première coulée de boue.» (Serge)

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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« Les prairies ont disparu »

Les prairies et les vergers disparaissent des finages : c’est d’une part parce qu’il n’y a presque plus d’animaux pour les pâ-turer. « Ah oui, [il y a 15 ans] il y avait plus de prairies. Toutes les exploitations il y avait, je pense qu’il y avait 20-25 exploitations, tout le monde avait des animaux ! »(Didier) Il y a de moins en moins de vaches, et de moins en moins d’exploitants. Très peu d’agriculteurs aujourd’hui continuent le lait, je n’en ai rencontré qu’un. « Il y a des exploitations qui ont arrêté le lait en 2004 par là, après c’était 2006-2007, après ça c’est effrité quoi, ils partaient à la retraite, ou ils ont arrêté le lait pour faire de la céréale. » (Di-dier). « Dans les années 50 et 60, il y avait six vaches pour une exploitation... Pas plus. Juste pour vivre. Après les années 60, ça a commencé à se développer, à construire des étables, et puis on a aménagé, et puis on avait une quinzaine, vingtaine de vaches, et puis c’est terminé par là, on a arrêté. Il y avait trop de normes et tout ça, dans le temps, moi j’ai construit, moi je fais du taurillon, de l’engraissement. Alors comme je suis seul, je me suis dit écoute je vais pas faire du lait. Et quand t’es seul c’est pas évident, t’as déjà le boulot dans les champs, t’as les fenaisons, et tout ça, et si t’es seul c’est presque pas faisable. » (Henri)

Aujourd’hui, certains agriculteurs ont toujours des animaux, et ils sont nombreux, 400 taurillons pour Didier par exemple, mais ils ne sont presque plus nourris d’herbe : leur fourrage est fait de maïs ensilage, de pulpes de betteraves surpressées, de drèche1 de brasserie, des correcteurs azotés. L’herbe n’est pas as-sez énergétique ! Pourtant, c’est le meilleur manteau couvrant : « L’herbe, c’est vraiment le manteau protecteur le plus performant. Là, c’est sans comparaison. Parce qu’il y a un feutrage de racines, de vie organique, tellement élevé que c’est une éponge filtrante. Mais nous on ne mange pas d’herbe, on mange du blé on mange du maïs, des carottes, des betteraves, enfin surtout du sucre, de l’énergie. » (Michel) Michel raconte aussi que l’envie des habi-

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tants, c’est de voir des paysages enherbés, comme un beau gazon tondu. Mais on ne peut pas nourrir la planète avec de l’herbe. Beaucoup d’agriculteurs m’ont parlé de ces prairies labourées, comme s’il regrettaient cette disparition du vert : « Et si on re-garde autour du village, c’est simple. Là en haut il y avait que des prairies sur la pente, c’était des prairies, c’était des parcs, c’était des pâturages. Le premier champ là c’était vert, c’était de l’herbe, et il y avait des vaches. » (Alain)

Les pâtures ont disparu, c’est le cas aussi des prairies humides qui se trouvaient en bout de champ : « C’est le remembrement qui a fait disparaître les prairies humides. Avant, en haut on cultivait et en bas les parcelles n’avaient même pas de chemin, après les terres arables il y avait zone humide en bas, sans vrai fossé, l’eau s’évacuait un petit peu, et même si la boue elle descend, stop, il y a une bande enherbée, on peut le dire comme ça, il y avait pas vraiment de ruisseau pour évacuer ça rapidement. Et après c’est simple, on a fait un fossé de drainage, et c’est labourable. Mainte-nant on laboure jusqu’à la limite du fossé. » (Serge)

Une ceinture verte de prés-vergers et de jardins protégeait aussi le village des coulées. Les vergers disparaissent eux aussi petit à petit : ils ne sont plus pâturés, les arbres vieillissent, et puis « le problème, c’est que les fruits qu’ils avaient dans les vergers n’ont plus de valeur, donc plus personne ne les ramasse. Autrefois si j’écoute mes parents, eux ils cueillaient les pommes aux arbres, et il y avait des marchands qui achetaient les pommes ici, qui les revendaient dans les mines. Comme là il y avait pas de fruits. Maintenant avec le transport, tout ça, chez nous, ça revient trop cher ! » (Jacques)

Cette ceinture verte est aussi grignotée par l’urbain qui s’étale sur ces espaces tampon : « Il y avait pas mal de vergers autour, il y avait une ceinture verte autour des villages, autrefois, et mainte-nant avec les lotissements tout ça ça a été supprimé. Car les terres, les champs qu’on cultivait ne rentraient pas dans le village comme maintenant. […] Il y a pas mal de lotissements qui se sont faits dans les vergers qui existaient. Comme c’était autour du village, donc on grignotait.» (Jacques)

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« Tout le monde dit que c’est le maïs »

Quand on interroge les habitants des villages, les coulées de boue viennent à cause du maïs. « C’est le maïs. C’est tout de suite le maïs. Les réflexions. » (Jacques) C’est vrai qu’il joue un rôle dans les phénomènes de coulées d’eau boueuse, mais sa diaboli-sation vient aussi de son effet dans le paysage.

Le maïs a un fort discrédit auprès des villageois : « On ne voit que ça » (Mathilde, 50 ans, habitante de Grassendorf depuis 20 ans). C’est une culture haute, qui ferme la vue entre juillet et novembre. « Actuellement les gens disent «ah il y a beaucoup de blé d’hiver.» Et moi j’entends ça depuis des années, en hiver il y a beaucoup de blé. Et dès que le maïs il est comme ça, quand on se balade on voit plus ce qu’il y a derrière, il y a plus que le maïs. » (Serge)

La vue joue beaucoup sur la perception des cultures. «Il suffit d’avoir deux parcelles de maïs côte à côte pour se sentir enfermé » (Jean, 50 ans, Grassendorf, mari de Mathilde).

Mais le maïs, c’est pour les agriculteurs la culture qui leur permet de s’en sortir financièrement, celle qui rapporte le plus : « En plus, on est passé dans une approche complètement écono-mique et une économie annuelle, avec des résultats annuels, et surtout je parle de l’Alsace ou du Bas-Rhin encore un peu plus, pour faire de bonnes marges brutes. Et les bonnes marges brutes, c’est le maïs. » (Serge) C’est une culture qui est apparue dans les années 70, et qui a très vite progressé en Alsace, aux dépens des autres cultures. Beaucoup d’agriculteurs ont été une période en monoculture de maïs : c’est possible de la mettre plusieurs années de suite sur la même parcelle.

C’est vrai que le maïs est parfaitement adapté à l’Alsace : sol profond et pluie abondante en été.

Pourtant, ce n’est pas que le maïs qui est concerné par les coulées de boue, mais toutes les cultures de printemps sont concernées : « Y’a tout le monde qui dit ‘‘c’est le maïs’’, c’est pas

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le maïs qui fait qu’il y a des coulées de boue. C’est les cultures de printemps. Toutes les cultures sont englobées, vous pouvez prendre ce que vous voulez. » (Dider). Donc maïs, betterave, ... Et quoi ? Sur les quatre communes, il n’y a plus tellement d’autres cultures : du houblon à Grassendorf, du tabac à Hochfelden… Les cultures se sont spécialisées. « Le tournesol, c’est pas plus intéressant que ça, c’est une culture il y a 15-20 ans, il y en avait en-core pas mal. Ça a disparu.[…] L’orge aussi il y avait encore plus…» (le gendre de Jacques)

« Il y a trente ans il y avait déjà du maïs, mais beaucoup moins. C’était pas la culture principale. Là sur le village il y a au moins 70%, je pense, et le reste c’est prairies et céréales. Oui, la plu-part, de toute façon moi je fais plus de maïs que de blé, les autres agriculteurs aussi, voilà. » (Pierre)

« Bon après le choix en terme de cultures est vite limité dans la région, parce que pour la transformation ou ce genre de choses, il y a pas forcément, ça suit pas forcément, comme le comptoir ils veulent pas trop de tournesol ou de soja ou ce genre de choses, ils en veulent pas forcément, donc pour se diversifier plus, il faut déjà trouver des personnes qui interviennent derrière. Ils ont pas forcément les marchés derrière. Il faut qu’économiquement ça passe aussi, c’est pas forcément le cas, par rapport au coût de l’itinéraire... » (le gendre de Jacques)

La montée en puissance des cultures de printemps est donc un facteur aggravant des coulées boueuses. Mais les agriculteurs en ont besoin pour s’assurer un revenu. Ils défendent donc le maïs et cherchent des solutions au niveau des pratiques cultu-rales: « C’est pas le maïs qui fait l’érosion, c’est la façon de le culti-ver qui fait que. Donc maintenant on cherche à planter du maïs sans érosion. » (Raymond)

1-résidu d’orge cuit

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Labour profond et sol qui s’appauvrit

Peu d’agriculteurs mettent en cause le travail du sol. Pour la plupart, c’est plutôt en changeant leurs pratiques qu’ils trouve-ront des solutions, mais les agriculteurs n’accusent pas leurs pra-tiques. Sauf Serge. Pour lui les causes des coulées de boue, sont le remembrement et le labour. Le labour est devenu très profond :

« Agronomiquement il y a eu un grand changement aussi dans cette période c’est l’apprentissage au lycée agricole de labou-rer profond, 30-40 cm de profond, et économiquement les agricul-teurs avaient les moyens d’acheter des tracteurs de plus en plus grands.» (Serge)

Dans nos têtes, le labour est une pratique ancestrale, le sym-bole de l’agriculture, du travail de la terre. Mais Serge explique : «La charrue a quel âge d’après vous ? Tout le monde dit ‘’mais oui mais les Égyptiens avaient déjà ça.’’ Ben oui c’est l’image qu’on a, mais c’était un araire, c’était qu’une pointe. Et la charrue c’est quand même retourner. Et le versoir, il a d’abord été en bois, alors là ça retournait pas bien du tout, après il y a eu des versoir en fonte, la fonte étant poreuse, la terre humide se collait dessus donc retournait pas bien, et en 1837 John Deere a inventé le versoir acier, l’acier qui était lisse qui glissait. Donc 1837. […] C’est pas si vieux que ça. En fin de compte ça fait 175 ans. » (Serge)

Le labour profond diminue le taux de matière organique. Le complexe argilo-humique ne se forme plus, et le sol capte beau-coup moins d’eau :

«La profondeur du labour a quasi doublé, avec les chevaux c’était du 5-10-12, et c’était fini, aujourd’hui le 25-30 c’est encore dans les habitudes des laboureurs, donc vu qu’on augmente la profondeur du labour, on diminue le taux de matière organique, c’est logique, et c’est bien le taux de matière organique qui fait rete-

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nir l’eau. […] En général on peut dire que sur un sol limon battant nu, on capte environ 1mm d’eau par heure. Et dès qu’on passe au non-labour, on va de 25 jusqu’à, quand le sol fonctionne bien, au delà des 140mm/h en semis direct sous couvert. Entre le 1 et le 140 c’est tout un monde, plusieurs planètes je dirais, la différence elle est énorme » (Serge)

Il n’y a presque plus de vaches dans les exploitations, donc il n’y a plus toujours d’apport de fumier, donc perte de matière organique . Même si les anciens labouraient, le taux de matière organique ne chutait pas énormément puisque du fumier était apporté aux champs chaque année :

« Il y avait les parents qui labouraient encore, et eux ils avaient appris ben on laboure, on nettoie la parcelle, labourer c’est retour-ner le truc, c’est enfouir le fumier, c’est détruire les mauvaises herbes donc c’est tout un ensemble, et ne se posait pas la question de taux de matière organique etc, parce que ça ça se maintenait automatiquement avec leurs manières de faire. Est ce qu’ils le sa-vaient ou pas c’était pas la question c’était comme ça.» (Serge)

Donc déjà le sol ne fait plus éponge comme il devrait, donc ne peut plus absorber l’eau qui ruisselle, mais en plus l’argile, qui n’est pas prise dans le complexe argilo-humique, a tendance à s’en aller, le sol ne se tient plus.

« Et après ça, il y a cette charrue qui retourne, mais qui laissait encore les débris en haut. Et uniquement à partir des années 80 qu’on avait la rasette, c’est à dire qui raclait les débris végétaux au fond de la raie et qui refermait. Donc c’est ce qui fait qu’on a des parcelles comme on dit maintenant soi-disant «propres», bon moi ça me convient pas, moi ça me dérange mais, «bien propre, que de la terre», il y a pas de débris végétaux qui sortent qui remontent, donc c’est ça qui permet de faire ça. Et une pluie battante là dessus il y a que de la terre, la terre se ferme. » (Serge)

Serge nous parle de la rasette, cette partie de la charrue qui permet d’enfouir tous les débris végétaux au fond. L’eau ruisselle

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d’autant mieux sur ce sol nu et lisse, sans micro-relief pouvant faire des petites retenues d’eau.

C’est donc là toute une remise en cause du système agricole. Michel exagère un peu le trait de ces agriculteurs qui ne res-pectent pas leur sol :

« Pour que la plante pousse il faut un support physique : le sol. Mon agriculture NPK [azote, phosphore, potassium] me dit «mon support il marche bien, moi je met la nourriture à ce support» Lui il est capable de dire «je prends un tas de gravier, j’apporte NPK et je produis des plantes». Seulement, moi ça me va pas. On tue la vie. Un tas de gravier n’est pas un élément de vie. Il ne nourrit rien d’autre que sa plante. Il faut aussi que ce sol puisse stocker de l’eau. » (Michel)

Les causes des coulées de boue sont donc d’une part clima-tiques : la recrudescence d’orages plus tôt dans l’année, d’autre part topographiques : des pentes limono-argileuses, avec le vil-lage en fond de vallon. Mais le problème vient aussi de la montée d’une agriculture plus intensive et plus spécialisée.

Entre la commune et les agriculteurs, des conflits et des pro-jets sont apparus, pour lutter contre le risque.

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1950

Les causes des coulées de boue

pluies en maiorages en juillet

zone de prés et vergers autour du village

animaux > fumier > matière organique

urbanisationimperméabilisationvulnérabilité

parcelles nombreuseset petites

remem-brements : par-celles grandes

cultures d’hivereau «libre»

fossé dessiné cultures de printemps dominantes

sol «gratté»

labour profond dans le sens de la pente

orages en mai

2010

Les coulées d’eau boueuse en Alsace

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Nombre d’articles régionaux dans les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) où apparaissent les mots «coulées» et «boue»

(d’après les archives DNA)

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2- stopper La boue

Face aux coulées de boue à répétition, des processus se sont mis en route pour d’abord poser le problème, puis pour tenter de le résoudre. Comment le problème a-t-il pris de l’ampleur, dans les médias d’une part, dans les conflits entre habitants et agricul-teurs d’autre part ?

2a- Conflits et médiatisation du problème

Les mots des médias

Une coulée de boue, ça passe, mais elles sont survenues à répétition, tombant sur un même village parfois plusieurs fois la même année, ou touchant de nouvelles communes. Les médias se sont alors emparé du problème, contribuant à faire de l’inci-dent une catastrophe.

« Le lendemain il y avait aussi un journaliste DNA, j’ai dit «notre outil de travail fout le camp». Et ça a été reproduit dans les DNA. Et ça c’était le déclic. » (Serge)

Pourtant, les articles que j’ai trouvés parlent finalement peu du rôle de l’agriculteur. Les évènements comme les mesures sont centrés sur les villages.

En consultant les archives DNA (le journal quotidien le plus lu dans la région) entre 1996 et 2016, j’ai compté les occurrences des termes « coulées » et « boue » dans les articles de la presse régionale. On voit que le nombre d’articles sur le sujet augmente globalement. D’abord utilisé pour les incidents du Haut-Rhin (le Sundgau est touché en premier), c’est là que le terme apparaît

AM

Stopper la boue

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en Alsace. Les grosses coulées de boue de 2003 marquent un premier pic dans l’occurrence des articles sur le sujet. Dans un premier temps, les médias relatent les incidents. En 2008, c’est l’année où les bombes médiatiques sont envoyées, s’enflammant, lançant des expressions de plus en plus catastrophiques sur les évènements. Enfin, ces dernières années voient plutôt des ar-ticles d’une part sur un ras-le-bol des habitants et des communes, d’autres part sur les solutions qui voient le jour.

Michel met en garde contre l’influence médiatique : « Après le journaliste s’en mêle, lui non plus n’est pas technicien, il fait son papier, tout le monde lit les papiers, les gens trouvent leur ar-gumentaire dans ce qui a été publié, et le paysan qui n’a aucune approche analytique, il dit «je suis toujours l’accusé alors que je bosse durement»

La faute des agriculteurs

Nous l’avons vu, les causes des coulées de boue sont multi-ples, mais beaucoup remettent en question le travail de l’agricul-teur. « Ah, c’est clair ! C’est clair, c’est venu des terres agricoles, c’est chargé de terres agricoles, il y avait des semences de maïs des grains de maïs qui traînaient dans les caves ou dans les rues, dire que c’est pas l’agriculture c’est difficile. Donc oui, c’était la faute des agriculteurs... » (Serge)

« On se retrouve à 2% de la population en tant qu’agriculteur, alors si on est pointés du doigt tout le temps, c’est pas... A Mor-schwiller depuis qu’on est passé en TCS on est tranquilles. On va pas dire qu’on a été harcelés à cause de ça, mais forcément c’est toujours «c’est à cause des agriculteurs, c’est à cause de ça...» » (Raymond)

«Notre sol s’en va»

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dégâts Considérables

Vignoble déVasté

ras-le-bol

agissons ensemble

Que de boue

lourds dégâts

la boue des Champs dans les rues

mommenheim dans la gadoue

speCtaCles de désolation

boues amères

40 minutes de déluge

trombes d’eau

préVenir les Coulées de boue

groupe de traVail

solutions ConCertées

arrêter la boue

préVenir aVant de s’enliser

lutter

endiguer les Coulées de boue

enCore des traVaux

Chantiers

Juguler

réagir faCe

de la boue, du dégoût

a bout de la boue

Contrer

limiter

antiCiper

inondations boueuses

petits torrents de boue

tempête

Coulées d’eaux torrentielles

déluge

orages

dégâts

Catastrophe naturelle

Violent orage

sinistres

dégradation de l’enVironnement

risQue d’érosion

déluge

trombes d’eau

flots de boue

nuit de CauChemar

pluies diluViennes

torrents de boue

ettendorf sous la boue

des Centaines de CaVes inondées

VainCre la boue

impressionnantes Coulées de boue

l’ire des habitants

lutter

aVançons

de nouVelles teChniQues Contre les Coulées de boue

sinistrose au Village

la boue partout

premières ViCtoires

eté Calamiteux

d’après les archives DNA 1996-2014, articles régionaux contenant «cou-lées» et «boue»

Les mots associés aux coulées de boue dans les DNA classés par ordre chronologique : une évolution sémantique du dé-sastre à l’action

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Au départ, l’agriculteur est donc perçu comme le principal responsable du risque.

La terre vient des champs, les agriculteurs sont donc res-ponsables. En fait, ils sont les plus touchés : non seulement ils voient la boue dans leur ferme, leur cour et leur cave comme les autres habitants, mais ils sont face, en plus, à leur terre qui part. « C’est quand même con, de travailler, de pomper des caves, c’est nos meilleures terres qui partent, c’est nos semences nos engrais nos produits de traitement !» (Serge)

Ce mauvais rôle de l’agriculteur tourne même parfois jusqu’à des conflits entre les exploitants : « il y a eu un coup de téléphone d’un gars de la fédé, «Serge tu peux pas dire ça, c’est quand même pas entre agriculteurs qu’on va se taper dessus, ça suffit déjà que les autres tapent sur nous» (Serge)

Pour Michel, les accusations portées aux agriculteurs étaient un gros problème : elles entravaient la mise en place d’actions sur les communes : «on transforme ça en conflit qui ne génère plus le progrès. Tu enfermes l’autre dans une façon de faire, il se replie sur lui-même. […] Mais les agriculteurs n’avaient pas conscience parce qu’on leur envoyait un mauvais message, on disait «tu nous envoies tes saletés». C’était pire que ça, c’était «Tous ces paysans qui tuent la nature, qui nous esquintent nos paysages». » (Michel)

Les agriculteurs rencontrés nuancent tout de même ces pro-pos : les conflits entre habitants et agriculteurs n’éclatent pas sou-vent au grand jour ; les agriculteurs restent des villageois, tout le monde se connait, et les choses peuvent être dites. Au contraire, certains agriculteurs soulignent même que c’est pour aller au-de-là du conflit avec les villageois qu’ils ont changé leurs pratiques:

« Ça arrive dans certains villages, les agriculteurs ils sont un peu insultés, mais nous on n’a pas eu de problèmes à ce niveau là. Comme dit, on est perdants aussi. […] Après, c’est pour ça que des trucs ont été mis en place, on n’est pas restés à rien faire ! » (Pierre)

« Au début, c’était nous, tout le monde «C’est vous, c’est vous». C’est pour ça que maintenant au moins on fait des efforts, au moins personne ne pourra dire qu’on ne fait rien » (Raymond)

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2b- La mise en place de groupes de travail

C’est dans ce climat un peu tendu entre habitants et agricul-teurs qu’il a fallu se mettre d’accord et expérimenter des mesures pour diminuer les coulées de boue.

Serge raconte les premières réunions en 2000, à Néewiller, qui a été touché avant les communes que nous étudions. Après la coulée de boue, les maires se sont donné rendez-vous à la sous-préfecture, en présence de la chambre d’agriculture et de la DDA (Direction Départementale de l’Agriculture) actuellement DDT(Direction Départementale du Territoire). « On était une dizaine de personnes. […] Le sous-préfet a dit «on se rencontre dans 15 jours, […] dites moi qui on peut inviter. Qui, le plus large possible, a une petite ou une grande influence sur ce qui se passe sur le terrain». » (Serge). Alors ont été invités des responsables de l’autoroute qui passait près des villages, ou encore les chasseurs. Les habitants étaient représentés par les maires, les agriculteurs par le syndicat agricole et la chambre d’agriculture. « On n’était pas là pour le ‘‘pourquoi c’est arrivé’’, mais pour le ‘‘comment on fait pour que ça n’arrive plus’’. » (Serge)

Dans ces réunions avec les décideurs politiques émergent les premières idées. Par la suite, la chambre d’agriculture va de-venir un acteur phare dans la mise en commun des savoirs et des décisions. Un poste «coulées de boue» est créé en son sein après les premières catastrophes. C’est Michel B. qui est nommé. Conseiller développement à la chambre d’agriculture, il a à cœur la discussion avec les agriculteurs et les points de vue partagés pour avancer.

Après les premières coulées de boue, il a surtout eu un rôle de médiateur pour gérer la situation de crise. « Chacun reste dans sa façon de voir, le fossé se creuse et ce qui m’importait c’était ce fossé. Mais sur un argumentaire analytique. Donc je prenais les

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équipes à tour de rôle, les agriculteurs, les corps intermédiaires, les services de l’État, les élus communaux, et les riverains touchés. Mon point fort c’était sur ce registre : restaurer le dialogue produc-tif d’une relation. » (Michel)

Pour lui le principal enjeu a été d’élaborer des projets en commun : « on avait mis au point toute une procédure de com-préhension réciproque[…] Et du coup on produisait ensemble des paysages nouveaux. Parce que chacun ayant compris et le métier de l’autre, et les contraintes de l’autre, et ses erreurs, et les siennes, il faut qu’on réagisse différemment, il faut qu’on élabore des pro-jets en commun » (Michel)

Dans chaque commune touché par les inondations, il faisait des réunions « Avec les élus, avec les gens de l’administration, de l’Etat, du département, avec les boites privées, d’ingénierie, des bureaux d’études, avec le monde agricole pour lequel je travaillais, et avec les riverains quand les élus n’arrivaient plus à donner des réponses. J’allais au plus proche. » (Michel) Il a fait jusqu’à 200 réunions par an, avec une grande diversité d’acteurs : « On a créé des lieux de dialogues dans les communes, dans les mairies, sous la responsabilité du maire, on faisait se rencontrer, et on élaborait des projets. Et intervenaient les techniciens, c’était les bureaux d’études qui proposaient des solutions d’ouvrages, des ingénieurs rivière de Conseil Général qui avaient un autre regard, ils por-taient leurs options et les contraintes qu’ils mettaient en avant, il y avait ceux qui avaient le regard des nécessités de l’agriculteur, de ce qui était possible pour lui, le regard des urbanistes, et t’avais éventuellement ceux qui accordaient les permis, qui plaçaient les emplacements de lotissement, on associait même les services de sécurité, les pompiers...» (Michel)

Il essayait d’être à l’écoute des contraintes qui pesaient, de comprendre pourquoi untel ne voulait pas changer : « et on repoussait chacun dans sa capacité de donner l’authentique de lui-même, pour progresser dans la recherche de solutions, quelles contributions êtes vous prêts à donner malgré votre opposition ?» (Michel)

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Michel

Ce qui était le plus difficile, c’était de réussir à trouver des solutions pérennes dans des laps de temps très courts. « Le pre-mier mai ils me disaient «alors c’est comment cette année ?» C’est comme si je faisais le temps quoi. Manque de bol, ça arrivait, peut être le 10 juin mais ça arrivait. Et pas sur le village où ils angois-saient le plus mais sur le village d’à coté. » (Michel) Les orages re-venaient chaque année, ayant atteint « une régularité d’horloge» (Michel). Les communes en état d’urgence demandaient des ré-ponses rapides : « ‘’Et qu’est ce que tu arrives à faire pour le mois de mai l’année prochaine ?’’ C’était impossible, au plus pressé on peut, mais la conception d’ensemble consolidée qui fait que ça va résister à cette tendance de fond, c’est un travail dans la durée. Et un travail dans la durée, c’est pas seulement le consensus, c’est la

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collaboration de tous. La contribution de tous. Et c’est le dialogue. Mais je savais que ça ne se faisait pas du jour au lendemain. »

C’était le cas surtout pour les mesures agricoles : les expéri-mentations sur les cultures ne donnent des résultats que l’année suivant leur mise en place. Mais le premier travail avec les agri-culteurs, c’était de les convaincre de changer leurs pratiques, en leur faisant prendre conscience des risques à long terme pour eux, pour leurs terres : « On voyait un sillon délavé, je leur disais «Regardez avec vos yeux», là je jouais sur leur relation à la nature. «Qui d’entre vous arrive à se consoler de voir partir le patrimoine de son père ?» Parce que l’humus, l’argile, c’est l’héritage du père, c’est des générations qu’ils l’ont constitué. Et là du coup non, la réponse était claire. » (Michel).

Les réunions se sont organisées chaque année avec les maires et les agriculteurs : parfois, plusieurs communes se voyaient en-semble (Ettendorf, Ringeldorf, Buswiller). Etaient conviés les agriculteurs de la commune mais aussi les agriculteurs de l’exté-rieur qui avaient des terres sur le ban.

Michel est parti à la retraite en 2009. Il raconte que ça n’a pas été facile de lui trouver un remplaçant : ses collègues étaient techniciens, ils ne voulaient pas « s’embêter à ça » (Michel).

Mais pour lui, inventer l’avenir doit se faire avec le regard du technicien, qui peut juger et connait les contraintes, mais aussi avec des traducteurs, qui jouent le rôle de médiateur, pour « dé-velopper une intelligence commune, une intelligence collective. »

Et c’est ainsi qu’ont été mis en place des projets en colla-boration entre ces acteurs locaux : la commune et les agricul-teurs: « c’était toujours une coordination, une discussion entre les agriculteurs, les agriculteurs font quelque chose, la commune fait quelque chose donc on a toujours un peu travaillé là dessus. » (Serge)

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Commune

Chambre d’agriculture

Com.com.1 postemédiateur

intermédiairepossibleaide

PROJETSindemnisationentretien des ouvrages

informationprévention

aide psychologique

ARAA (Association pour la Relance Agronomique

en Alsace)Conseil Général du

Bas-Rhin

Etat(PAPI)

Europe(projet LIFE)

Agence de l’eau Rhin-Meuse

Bureaux d’étudeshydrauliques

Entreprisesd’aménagement

subventions

Habitants

Agriculteurs

recherche appliquéeappui technique

Le jeu des acteurs autour des projets de lutte contre les coulées d’eau boueuse

dessin et mise en place des ouvrages

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AM

2c- Du village aux champs, un panel de mesures pour lutter contre les coulées de boue

Les mesures mises en place pour tenter de régler le problème des coulées de boue vont de la maison au champ. Ce sont des me-sures de protection ou de prévention, plus ou moins éphémères.

Il n’y a pas de recette miracle : dans chaque commune, c’est en combinant les solutions qu’on peut arriver à lutter contre les coulées de boue.

Certains aménagements relèvent de l’hydraulique «dure»: bassins, retenue, barrages... Ce sont des aménagements coû-teux qui stockent l’eau. D’autres relèvent plutôt de l’hydraulique «douce» : fascines, haies... Ces ouvrages permettent de ralentir l’eau et de gérer son ruissellement à la source.

Voici un éventail des mesures mises en oeuvre par les com-munes étudiées. Ci-contre, le tableau récapitule les moyens de financement des mesures, leur mise en oeuvre, leur entretien. On voit que la mise en oeuvre divise les actions en deux grandes catégories : celles qui relèvent de la commune donc du pouvoir public, et celles qui relèvent de l’agriculteur. Je vais développer les mesures en les classant par objectifs : d’abord seront analysées les mesures déstinées à protéger le village des inondations, en déviant les coulées de boue ou en les stockant ; la deuxième par-tie développera les actions qui ralentissent l’écoulement de l’eau pour que la boue se dépose au fur et à mesure le long du bassin versant. Enfin la troisième partie développera les actions menées pour lutter contre l’érosion des sols, et éviter que la terre ne sorte des champs.

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Mes

ures

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Entre

tien

Pere

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sacs de sable, barrières

protéger l’habitation H C-H --

avaloirs, ca-nalisations

protéger le village des inondations

C C ++

bassins protéger le village des inond. C C C ++

fossés protéger le village des inond. C C +

fascines ralentir l’eau-stopper la boue C(+A) C>A A -

haies ralentir l’eau-stopper la boue C(+A) C>A C +

miscanthus ralentir l’eau-stopper la boue C(+A) C>A C/A +

bandes enherbées

ralentir l’eau-stopper la boue A C>A A +

augmenta-tion culture de blé

ralentir l’eau-retenir la terre dans le champ

A

stabilité structurale du sol

retenir la terre dans le champ A

engrais verts

retenir la terre dans le champ A

non-labour retenir la terre dans le champ A

assolement concerté

retenir la terre dans les champs

A

C : communeH : habitantA : agriculteurC>A :financement de la commune + indemnisation pour les agriculteurs

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A- Protéger le village des inondations

Les actions individuelles : planches, clapets et sacs de sable

Ce sont les mesures les plus éphémères : à Ettendorf surtout, Morschwiller un peu aussi, des sacs de sable apparaissent courant mai, à chaque annonce de pluie. Donnés par la commune les pre-mières années, ils sont maintenant à la charge des habitants, tout comme les barrières anti-inondation ou les clapets anti-retour à placer aux entrées des caves.

Les sacs de sables n’apparaissent que juste avant les orages, ils n’ont pas un gros impact visuel, par contre les barrières restent souvent en place toute l’année. Fabrication artisanale ou sys-tèmes complexes, ils sont la plupart du temps peu esthétiques. Ils restent une mesure d’urgence.

> en haut : planches anti-inondation à Grassendorf en bas ; sacs de sable (source : lutter contre les coulées d’eau

boueuse, Conseil Général 67 et chambre d’agriculture)

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A- Protéger le village des inondations

Les actions individuelles : planches, clapets et sacs de sable

Ce sont les mesures les plus éphémères : à Ettendorf surtout, Morschwiller un peu aussi, des sacs de sable apparaissent courant mai, à chaque annonce de pluie. Donnés par la commune les pre-mières années, ils sont maintenant à la charge des habitants, tout comme les barrières anti-inondation ou les clapets anti-retour à placer aux entrées des caves.

Les sacs de sables n’apparaissent que juste avant les orages, ils n’ont pas un gros impact visuel, par contre les barrières restent souvent en place toute l’année. Fabrication artisanale ou sys-tèmes complexes, ils sont la plupart du temps peu esthétiques. Ils restent une mesure d’urgence.

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Avaloirs, canalisation et buttes de terre

Des avaloirs larges et profonds ont été installés par les com-munes. Ici, au Nord de Grassendorf, il protège la route principale et le village. Ces avaloirs, souvent assez voyants, pourraient être plus dessinés pour souligner le tracé d’un fossé. Ils marquent la rupture de pente.

Une des actions possibles pour la commune est de revoir ses réseaux d’assainissement : les tuyaux prévus ont un trop petit diamètre et rejettent l’eau en excès dans la rue à chaque orage. Un agriculteur explique que les aménagements d’assainissement dans les communes ont remplacé des ruisseaux ouverts, mais leurs diamètres n’ont pas été calculés pour prendre en charge l’eau des bassins versants.

«Quand moi j’étais petit, derrière l’église il y avait un ruisseau, un gros ruisseau hein, haut, qui était ouvert, qui allait là derrière, il montait justement là il passait, à côté de la maison du voisin, et il allait en haut jusqu’au bassin hein. Et l’eau coule toujours pareil que à l’époque.» (Alain)

< Avaloir au Nord de Grassendorf, entre la D419 et les champs

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le fossé entre Grassendorf et Morschwiller

Fossés

Entre Grassendorf et Morschwiller, le Lombdgraben a été approfondi. Il fait maintenant environ deux mètres cinquante de profondeur ! Cela permet d’évacuer l’eau plus vite et d’éviter qu’il ne déborde. Ce qu’il faudrait faire c’est au contraire de ra-lentir l’eau le plus possible, alors que là, les parois verticales ne permettent à aucune végétation de s’implanter et de retenir les bords, qui sont arrachés à chaque pluie. Le fossé se creuse de plus en plus en s’élargissant.

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AM Le fossé creusé, gratté par l’eau AM

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Alteckendorf, les deux bassins profonds. En bas, une vanne permet de réguler le débit d’eau qui en sort.

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Bassins de rétention

Les bassins d’Alteckendorf ont été inaugurés en 2010. La commune a acheté les parcelles, elles ont été nivelées et enga-zonnées. Les travaux ont coûté cher, c’est la commune qui les a financés, grâce aux subventions du Conseil Général. Les agri-culteurs d’Alteckendorf sont d’accord pour dire que les bassins ont été efficaces lors de l’orage de 2012 :« les bassins ils ont fait leur boulot »(Didier), mais ils n’en sont pas contents pour autant. L’entretien en est très difficile, surtout pour les bassins profonds: l’eau a du mal à s’évacuer. La boue, si elle ne nappe plus les rues du village, se retrouvent dans le bassin. La boue se dépose au fond: « Le bassin là haut je crois il est déjà monté de ça (40 cm) , et rentrez là-dedans vous pourrez rigoler. » (Didier). Il faudra sûrement bientôt vider le bassin de la boue, qui lui fait perdre un peu de sa contenance. Mais qui pourrait le faire, et qui pourrait payer ? Les agriculteurs en tout cas n’imaginent pas devoir curer les bassins.

Didier préfèrerait une retenue moins profonde, qu’on pour-rait faucher : « Moins profond ce serait mieux, mais il faudrait à ce moment là il faudrait que ce soit plus large, après les exploitants ils veulent pas, les propriétaires ne veulent pas. Puis comme il y a pas d’élevage, c’est pas intéressant, ils préfèrent mettre des cultures» (Didier) Mais il rappelle aussi qu’un bassin profond comme celui là permet de stocker une grande quantité d’eau sur une petite surface pour ne pas trop gâcher de terres agricoles.

A Ettendorf et à Morschwiller, les bassins sont en projet. Une étude très poussée sur les communes d’Ettendorf, Ringel-dorf et Buswiller prévoit treize retenues d’eau autour du village. A Morschwiller, deux sont prévues. Elles ne serviront pas à pro-téger le village lui-même, mais sont élaborées à l’échelle du bassin versant pour les communes en aval. Raymond, qui est adjoint au maire et peut donc donner son avis sur les études qui sont faites,

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Bassins de rétention

Les bassins d’Alteckendorf ont été inaugurés en 2010. La commune a acheté les parcelles, elles ont été nivelées et enga-zonnées. Les travaux ont coûté cher, c’est la commune qui les a financés, grâce aux subventions du Conseil Général. Les agri-culteurs d’Alteckendorf sont d’accord pour dire que les bassins ont été efficaces lors de l’orage de 2012 :« les bassins ils ont fait leur boulot »(Didier), mais ils n’en sont pas contents pour autant. L’entretien en est très difficile, surtout pour les bassins profonds: l’eau a du mal à s’évacuer. La boue, si elle ne nappe plus les rues du village, se retrouvent dans le bassin. La boue se dépose au fond: « Le bassin là haut je crois il est déjà monté de ça (40 cm) , et rentrez là-dedans vous pourrez rigoler. » (Didier). Il faudra sûrement bientôt vider le bassin de la boue, qui lui fait perdre un peu de sa contenance. Mais qui pourrait le faire, et qui pourrait payer ? Les agriculteurs en tout cas n’imaginent pas devoir curer les bassins.

Didier préfèrerait une retenue moins profonde, qu’on pour-rait faucher : « Moins profond ce serait mieux, mais il faudrait à ce moment là il faudrait que ce soit plus large, après les exploitants ils veulent pas, les propriétaires ne veulent pas. Puis comme il y a pas d’élevage, c’est pas intéressant, ils préfèrent mettre des cultures» (Didier) Mais il rappelle aussi qu’un bassin profond comme celui là permet de stocker une grande quantité d’eau sur une petite surface pour ne pas trop gâcher de terres agricoles.

A Ettendorf et à Morschwiller, les bassins sont en projet. Une étude très poussée sur les communes d’Ettendorf, Ringel-dorf et Buswiller prévoit treize retenues d’eau autour du village. A Morschwiller, deux sont prévues. Elles ne serviront pas à pro-téger le village lui-même, mais sont élaborées à l’échelle du bassin versant pour les communes en aval. Raymond, qui est adjoint au maire et peut donc donner son avis sur les études qui sont faites,

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aimerait que les techniciens fassent preuve de plus de bon sens: Ils ne pensent pas forcément à l’entretien, et, on l’a vu pour les bassins d’Alteckendorf, c’est ce qui pose le plus de problèmes.

Les ouvrages proposés par ce bureau d’étude sont efficaces techniquement mais n’intègrent pas la dimension esthétique ou économique : sont dessinés gabions et murets qui ne seraient pas à leur place dans le paysage agricole. Une butée de terre suffirait, pourrait même être faite par les agriculteurs si on les payait en échange. Les agriculteurs de Morschwiller proposent de conti-nuer à cultiver dans les retenues : « notre idée c’est de mettre une butte en terre avec une régulation au milieu. Notre idée ce serait de la travailler, de continuer à planter le maïs-blé comme avant, et la butte elle arrête l’eau quoi. Sachant que quand il y a un orage il faudra prendre la boue et la mettre sur la butte. Il faut entretenir les bassins. C’est prévu, c’est un contrat avec la commune, et les pertes de récolte seraient payées s’il y a perte de récolte. C’est pas un trou, c’est pas un bassin. L’eau ne stagne que quand il y a orage, donc c’est juste une rétention.» (Raymond)

Ramond parle d’un contrat entre la commune et les agricul-teurs pour l’entretien des futurs bassins. Pour le moment ce n’est qu’un projet.

Les bassins de rétention sont souvent des ouvrages lourds, très coûteux. Ils rassurent les villageois : «Ça permet quand même d’être plus tranquille »(Alain), mais ils ne résolvent pas les problèmes d’érosion. Au contraire, les boues se déposent au fond, ne sèchent pas, rendant le curage malaisé. Un bassin comme à Alteckendorf est peu souhaitable. Par contre des mesures moins coûteuses sont à trouver, comme à Morschwiller où le bon sens des agriculteurs intervient dans le projet. Des prairies humides, des champs cultivés inondables : l’entretien doit être pensé dès le départ.

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Alteckendorf : la route a été surélevée pour créer un petit barrage. L’espace est entretenu en prairie. Des fascines ou des haies l’encadrent : le thalweg est ainsi souligné.(Au loin, Alain dans son tracteur bleu)

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B- Ralentir l’eau et stopper la boue

Fascines mortes

Les fascines mortes sont des ouvrages qui ont pour but de laisser passer l’eau mais de retenir la boue. Elles sont faites de pieux de bois enfoncés dans le sol, espacés de 30 à 50cm, entre lesquels sont empilés des branches fines dans le sens de la lon-gueur. Elles font environ 50cm de haut.

Il y en a deux à Grassendorf, quelques unes à Alteckendorf, beaucoup à Ettendorf. Morschwiller n’en a pas voulu, ça les gê-nait : « A Morschwiller on a vu rouge ! C’est pas possible, on a mis 20 ans à avoir des parcelles un peu correctes en échangeant, et maintenant on veut mettre des fascines au milieu, moi avec l’épandeur je commence en haut mais avec les fascines en bas je peux même pas ressortir de ma parcelle. Là on s’est dit non on veut pas de ça, mais on promet de jamais ressortir la charrue. On était contre les fascines. » (Raymond)

Les fascines sont des mesures peu pérennes, assez coûteuses. Elles ont été mises en place dans l’urgence, lorsque chaque année de nouvelles coulées arrivaient sur le village et qu’il fallait tester des solutions, fussent-elles provisoires. Quatre ans après leur mise en place, elles ne sont plus vraiment efficaces : certaines sont mal placées, le bois pourrit, des renardes apparaissent, créant un trou dans la fascine par où l’eau peut raviner, et elles sont « pleines » : la boue s’est accumulée derrière jusqu’à les rem-plir. Il faudrait les curer, mais la terre ne sèche pas. Et surtout, les agriculteurs et les habitants ne croient plus en leur efficacité. Pour les agriculteurs, ce n’est pas beau, et surtout, ça les embête, alors que ça ne sert plus à rien. « Maintenant les fascines, elles

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le principe d’une fascine

fascine morte à Alteckendorf AM

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renarde

fascine pleine

mauvais emplacement

de nombreux problèmes...

30-50cm

50cm

fagots empilés

pieux

50cm

profil d’une fascine AM

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de nombreux problèmes...

fagots empilés

pieux

sont foutues, elles sont bouchées, il y a tellement de boue, de terre collée dans les branches, l’eau ne ruisselle plus, elle passe plus, c’est comme un mur. » (Henri)

Certes, ils sont indemnisés, mais aujourd’hui, les fascines ont plutôt tendance à générer des conflits : qui doit les vider, la com-mune ou l’agriculteur ? Faut-il les remettre en état ? Qui doit le faire ? Dans le paysage, ce bois mort empilé, affaissé maintenant, disposé soit en coin soit en ligne, ne parle plus d’eau, de protec-tion. Plus personne n’y croit. Le projet d’Ettendorf propose de créer de nombreuses nouvelles fascines. Mais combien de temps tiendront-elles ?

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Haies

Les haies vivantes doublent parfois aujourd’hui les fascines. Les haies sont à la mode, et il faut se rappeler que l’Alsace n’a jamais été un territoire bocager ! Pourtant, l’installation de haies dans les thalwegs et à proximité des villages, qui ne clôturent pas un champ mais forment des bandes dans le paysage serait à valo-riser. Leur coût est plus important, il y a également un entretien à faire et des gestes à apprendre : il faut recéper entièrement la haie régulièrement pour que des branches fines repartent de la base, et sélectionner des essences qui rejettent abondamment type noi-setier. Les communes ou les agriculteurs qui s’en chargent ont trop tendance à passer le lamier pour que la haie ne devienne pas gênante pour l’œil ou les cultures, or c’est à 2 cm du sol que l’eau passe et qu’elle doit être freinée. Ce bois pourrait être valorisé en bois énergie ou bois raméal fragmenté, ou alimenter une fascine morte. De nombreuses études pro-haies démontrent les bienfaits qu’elles apportent à une culture et à la faune. En la recépant ré-gulièrement, mais il faut que ce soit fait, la haie ne monterait pas trop haut.

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Haie de saules à Alteckendorf

racines dans le drain

hauteur souhaitée par les agriculteurs : 1m

La haie et ses inconvénientsla taille

coupe à 1m laissant les troncs se développer, l’eau passe

recépage : haie repartant du sol, l’eau est freinée

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Miscanthus

Le miscanthus, ou «herbe à éléphant» est une plante qui vient de Chine. Elle se plaît dans tous types de sols, et a la capacité que n’ont pas trop les haies de refaire des tiges neuves tous les ans. Elle couvre donc bien le sol dans les premiers centimètres, où coule l’eau. Michel en liste tous les avantages : «le miscanthus c’est un plante qui rejette toutes ses tiges en rideau depuis le sol, on n’a trouvé aucune nuisance collatérale, c’est un roseau des ré-gions sèches de Chine. Elle est stérile, elle tient vingt ans, les tiges sèches restent en place, les nouvelles poussent entre, si tu veux récolter et brûler, tu peux faire du chauffage avec, ça pousse à 2,5, 3m, ça bloque un peu la vue, c’est la seule nuisance.» C’est une plante attractive.

La culture du miscanthus est en plein essor : on en fait du bois-énergie, utilisé en plaquettes pour se chauffer. A Brumath, un chauffage multi-source a récemment été mis en place, et les agriculteurs du coin ont transformé des parcelles agricoles en cultures de miscanthus produisant du bois de chauffage.

Les agriculteurs restent méfiants quant à cette plante assez nouvelle sur le marché. Du point de vue du paysage, son princi-pal défaut est sa taille, qui bouche la vue une grande partie de l’année (voir double-page suivante). De plus, c’est une plante pérenne, les champs de miscanthus se détachent de la rotation, le pay-sage ne change alors plus chaque année.Enfin, la culture pour l’énergie remet en question la fonction première de l’agriculture, qui est de nourrir les hommes. Le lien est ténu entre ce que l’on mange et ce qui est cultivé dans les champs, dédier des parcelles à une plante qui n’est pas destinée à nourrir les habitants peut donc poser question.

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Miscanthus au Nord de Grassendorf, protégeant la D417

haie de miscanthus associé à une fascine AM

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La croissance du miscanthus pendant une annéeLa récolte se fait en avril, après un hiver où les cannes perdent leur feuilles, qui tapissent le sol

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A Grassendorf, les haies de miscanthus rythment le thalweg

Un miscanthus à maturité : une culture haute

3-3,5m

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Pourtant, le choix du miscanthus en tant que haies fines est, de mon point de vue, plutôt judicieux, parce que c’est une plante qui parle d’eau. Ses longues tiges droites surmontées d’une plume rappellent les formes des roseaux, ses couleurs changent avec les saisons, séchant à l’automne, prenant une teinte de miel. Ses formes font aussi penser au rôle épurateur du roseau sur l’eau : le miscanthus ici aussi est là pour filtrer l’eau et la boue.

Des essais ont été faits à Grassendorf : de fines bandes de 50cm de large ont été mises en place. Certains agriculteurs des villages voisins pensent que leur largeur n’est pas suffisante : «A Grassendorf c’est juste quelques lignes, mais moi j’y crois pas, on les a plantées au printemps, je pense pas que deux lignes de 50 cm c’est assez large» (Raymond). C’est vrai que pour le moment, surtout à cette période de l’année, les haies ont triste mine. Il faudra voir comment elles reprennent au printemps !

Leur placement est bien étudié : dans le thalweg, entre chaque parcelle cultivée, une ligne de miscanthus s’étire. Leur but est de ralentir la vitesse de l’eau pour éviter le ravinement mais sans la retenir : «Parce que l’eau ravine, donc elle creuse son ravin, elle se crée son chenal. Ce qui accélère la vitesse de l’eau. S’il y avait une plateforme à chaque fin de parcelle, l’eau s’étale, le dépôt on souhaite le laisser en place pour avoir une suface horizontale qui pour nous joue bien son rôle.» (Michel)

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Les haies de miscanthus nivelant le thalweg : principe

la terre part en amont puis se répand devant les haies

installation des haies en limite de parcelles

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Bandes enherbées

Les bandes enherbées sont mises en place au bas des par-celles cultivées. L’agriculteur accepte de semer une bande de 10-15m d’herbe, d’avoine ou d’orge de printemps. La perte de surface cultivée est compensée par une rémunération de la commune. La bande enherbée reste en place l’hiver, mais elle peut aussi être traitée comme une partie de la parcelle et être la-bourée ou travaillée en hiver puis resemée aux premières heures du printemps : il faut que la couverture soit opérationnelle en mai. A Alteckendorf, les bandes enherbées sont utilisées comme aire de dépôt des betteraves, il faut donc en resemer une partie chaque année. Les années où la parcelle est en blé d’hiver, la bande enherbée disparaît : comme il n’y a pas de risques de cou-lées de boue, les agriculteurs sèment du blé sur l’ensemble. Ici à Grassendorf, ça devient une prairie fine et longue qui borde le chemin. Elles sont fauchées, mais le nombre d’animaux chute, et peu d’agriculteurs en ont l’utilité en foin : des arrangements sont donc faits entre agriculteurs : celui qui a des bêtes sème l’herbe sur toutes les parcelles et peut en retour récolter le foin. C’est ce qu’ils font à Alteckendorf. Elles peuvent aussi servir au retourne-ment des machines, et elles sont utiles pour casser un angle peu pratique ou en bordure d’éléments gênants (arbres...)

Les bandes enherbées doivent être assez larges : la terre n’y part pas mais l’eau a tendance à passer dessus sans trop ralentir.

Entre un champ et un chemin ou une route comme ici (la haie la cache), la bande enherbée peut faire une bordure agréable au promeneur. Elle est plus facile d’entretien quand elle est en place et en longueur : la fauche est plus pratique que lorsque une parcelle sur deux est cultivée en blé. Elle mène à une organisa-tion du travail intéressante entre agriculteurs : un peu de foin pour les uns, moins de travail pour les autres.

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Bande enherbée et haie, en février, au Nord de Grassendorf, protégeant la route et le village

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rue espace privé champ

rue espace privé BE champ

appropriation

espace tamponvue agréable

espace redéfiniverger, chemin

Les bandes enherbées près des maisons

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«On la met en surface fourragère, on récupère la PAC plus un euro du mètre linéaire de la commune, et on s’en sort quoi fina-lement.» (Jacques) La PAC impose la mise en place de bandes enherbées le long des cours d’eau. Ici, elles ne sont donc pas obligatoires, cependant leur surface peut être comptée en Sur-face Équivalente Topographique (SET). Cette mesure de la PAC permet de préserver des éléments naturels d’intérêt écologque (haies, talus, murets, mares, arbres…). Les SET doivent recou-vrir 4% de la SAU (en 2013) pour que l’agriculteur puisse toucher les primes et aides de la PAC.

Les bandes enherbées créées dans le cadre des coulées de boue peuvent faire partie des SET : elles permettent donc aux agriculteurs de toucher leurs aides PAC. C’est un exemple inté-ressant de la superposition entre une action locale communale et une politique agricole européenne.

Je pense que les bandes enherbées peuvent se révéler inté-ressantes surtout aux abords des zones habitées. Certains agri-culteurs le font d’eux-même : «J’ai deux copains de classe qui ont construit là, alors ils sont contents, ils disent toujours ‘‘ah, t’as bien fait, t’as bien fait’’.» (Alain)

Cela permet de recréer cet espace-tampon entre le village et les champs : les cultures ne viennent plus jusque sous les fe-nêtres des maisons, il y a un espace de graminées et de fleurs sous les yeux des habitants, qui pourraient aussi l’utiliser comme espace de jeux quand l’herbe n’est pas trop haute (il faut que les agriculteurs puissent récolter le foin). A terme, ces bandes pour-raient devenir des espaces plus pérennes. Certaines pourraient être plantées de vergers, loués à des particuliers par l’agriculteur. La commune pourrait peut être aussi voir dans ces espaces des projets potentiels et passer des accords avec les agriculteurs pour en faire des potagers, des vergers partagés ou simplement des chemins entre villages et champs.

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C- Retenir la terre dans les champs

Le blé

La PAC impose maintenant de faire au moins trois cultures quand la surface cultivée est importante. Le maïs est la culture dominante, le blé est souvent la deuxième culture. Elle rapporte un peu moins que le maïs (moins de quintaux à l’hectare), mais elle permet de nettoyer les parcelles, de faire un couvert d’hiver ou de rattraper une mauvaise année de maïs. Mais surtout, c’est une culture d’hiver, qui est donc bien implantée en mai et qui retient les coulées de boue. Alain m’explique que sa surface en blé augmente presque tous les ans depuis 2000 : il est passé de 20% de blé à 40% cette année (36 ha sur les 90 ha labourables qu’il cultive).

L’orge aussi est une culture d’hiver qui a l’avantage de se récolter plus tôt que le blé : on peut alors y faire «un beau, beau engrais vert» (Henri). C’est la troisième culture obligatoire des agriculteurs qui ne veulent pas de cultures spéciales ou qui de-mandent trop de travail.

Le colza est aussi une culture d’hiver. Raymond l’a choisie à Morschwiller. Elle a un avantage sur les deux autres, c’est son aspect esthétique : les habitants et les agriculteurs que j’ai ren-contrés aiment ces fleurs, ces touches de jaune dans les champs au printemps.

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Une parcelle de blé en février, Morschwiller AM

Coulée de boue stoppée par un champ de blé à Ettendorf -2012-document remis par la mairie

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Une parcelle labourée, entre Ettendorf et Grassendorf AM

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La stabilité structurale du sol

Stopper les coulées de boue, c’est d’une part ralentir l’eau des orages qui ruisselle sur les pentes et éviter qu’elles n’inondent les villages, mais c’est aussi, et c’est le plus important, éviter que la terre ne sorte des champs.

Il faut ralentir l’érosion des sols et préserver le sol, ce pré-cieux outil de travail.

Dans les champs en mai, l’eau arrive à emporter les parti-cules d’argile parce que le sol à cette période, n’a pas une struc-ture assez stable.

La structure d’un sol, c’est le mode d’assemblage de ses constituants, l’état d’agrégation ou de division des éléments qui le constituent, à un moment donné. La stabilité structurale est la résistance de cette sructure à la dégradation. Une bonne struc-ture est grumeleuse, poreuse, drainante, aérée (Soltner, 2011).

Dans notre cas, la difficulté est double : en mai, les céréales de printemps sont semées. Il faut que l’agriculteur travaille son sol pour que les semis lèvent : c’est le travail le plus délicat du métier d’agriculteur. Mais maintenant, on leur demande en plus qu’au même moment, le sol «se tienne», et qu’il ait en plus la capacité de stocker l’eau d’un orage.

Lors des orages de mai, les gouttes de pluie percutent la terre, éclatent les agrégats, dispersent les colloïdes. Le sol a également pu être tassé par les roues des tracteurs, et surtout, le sol a été travaillé finement pour les semis.

Les éléments argileux ne sont plus pris dans le complexe argilo-humique.

Une bonne structure est formée par des agents climatiques (alternance de gel et dégel et de périodes sèches et humides) et par les êtres vivants (anthropodes, vers de terre, microorganismes,

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racines...). Mais c’est le travail de l’agriculteur qui améliore ou détériore la structure.

Nous avons vu que le labour profond «ramène en surface une terre plus sensible à la battance faute d’humus» (Soltner, 2011).

Pour augmenter la stabilité strucurale du sol, il faut le cou-vrir pour le protéger de la battance des pluies, en implantant un engrais vert ou en mettant un paillage, l’amender par un compos-tage de surface, ou laisser les chaumes sur place.

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Une parcelle en TCS à Morschwiller en janvier: débris de maïs à la surface AM

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Les engrais verts

Les cultures d’hiver sont récoltées tôt dans l’année, il est possible de les faire suivre d’un engrais vert. Le couvert est obli-gatoire dans les zones vulnérables à la pollution diffuse par les nitrates d’origine agricole. Alteckendorf et Morschwiller en font partie.

Les agriculteurs choisissent leurs engrais verts : entre la moutarde, semence la moins chère, les légumineuses, les gra-minées, les fleurs mellifères, le choix est large. Des mélanges sont aussi vendus. Vesce, féverole, phacélie, avoine de printemps, moutarde, trèfle, luzerne, radis, tournesol, chacun a ses préfé-rences: Les crucifères sont des «pièges à nitrates», les fabacées captent l’azote de l’air et la restituent au sol, les radis descendent profondément dans le sol... Chaque espèce a ses qualités.

La structure du sol est améliorée : «avec les racines des en-grais verts quand on roule dessus on tasse beaucoup moins la terre qu’avant. Pour nous ça c’est un énorme avantage, parce qu’on entre dans les parcelles sans faire de dégâts.» (Raymond)

Mais elles permettent aussi de faire des économies d’engrais. Finalement, c’est une dépense en plus qui n’apporte pas d’argent directement, mais les agriculteurs qui les utilisent voient bien la qualité de leurs sols s’améliorer.

Faut-il les broyer en automne ou les laisser l’hiver ? Beaucoup d’agriculteurs préfèrent la première solution par crainte de ne pas pouvoir détruire l’engrais au printemps et qu’il concurrence les cultures. Raymond préfère mettre des engrais verts gélifs et les garder le plus longtemps possible. Pour le moment, il les broie au printemps, mais il aimerait à terme pouvoir faire du semis sous couvert directement dans les engrais verts, afin de protéger au maximum les sols pendant cette période délicate.

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Engrais verts en février à Ettendorf et Morschwiller

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Ces engrais verts ont un fort impact sur le paysage d’au-tomne : quand le maïs est récolté en novembre, le blé est semé, les champs sont nus. Les parcelles d’engrais vert, elles, sont alors en pleine croissance : on voit des fleurs, des couleurs. «Pour l’oeil, ça change, c’est pas que la paille de maïs ou la terre retournée ou les chaumes» (Serge) Les habitants et les agriculteurs apprécient beaucoup ce nouveau couvert diversifié, et même s’ils sont par-fois un peu gênés de le dire, ils trouvent ça beau : «Un peu de tournesol pour la beauté, ça commence à fleurir au 15 octobre, ça va être un peu jaune dans les champs bon moi j’aime ça, il y a une personne qui m’a demandé ‘‘mais pourquoi tu mets du tournesol là dedans?’’ j’ai dit ‘‘je préfère, je trouve que c’est bien’’. [...] oui maintenant après chacun a son appréciation, moi je trouve trois fleurs de tournesol au milieu du champ je trouve c’est super» (Serge)

Les fleurs en automne, mais en hiver aussi, quand les blé commencent à pousser, ou quand la neige envahit les collines, ce sont les seules cultures qu’on continue à distinguer :

« Quand on rentre dans Morschwiller, il y a des parcelles quand il y avait la neige qui sont foncées, elles sont en engrais verts donc la neige est tombée dans le fond, on voit pas la neige quoi. Et c’était vert jusqu’aux gelées entre Noël et Nouvel An, les parcelles en engrais vert étaient complétement vertes, alors que maintenant elles ont desséché puisqu’on utilise des plantes géli-ves.» (Raymond)

Les engrais verts, c’est un peu la seule liberté offerte à l’agri-culteur de mettre en place des cultures qu’il trouve belles : qu’il en profite plus, et les habitants des villages apprécieront autant que lui.

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Phacélie et féverole© Gilles Domenech, jardinonssolvivant.fr

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Des parcelles non labourées, entre Morschwiller et Grassendorf

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Des parcelles non labourées, entre Morschwiller et Grassendorf

Les techniques de non-labour

Le labour est ancré dans les mentalités « ils disent ‘‘on a tou-jours labouré alors on continue à labourer, et puis les rendements y sont alors pourquoi on devrait changer ?’’ » (Serge). Mais avec les coulées de boue, tout a été remis en question : « Tout ce qu’on avait appris était remis en cause ! Tout ce qu’on avait appris volait en éclat, on leur disait d’un coup ‘‘il faut plus labourer, il faut plus préparer les lits de semence’’ ‘‘mais comment tu veux que je fasse lever la graine ?’’ ils avaient mis 25 ans à réussir à faire lever 100% des graines» (Michel)

Mais, nous l’avons vu, le labour est l’une des causes de la perte de terre : la matière organique est enfouie profondément au lieu de se composter dans les premiers centimètres du sol, l’humus est dilué dans tout le profil, en échange est remontée en surface une terre plus pauvre qui ne s’agrège pas de la même fa-çon et a plus tendance à partir. Il fallait proposer une alternative au labour.

Les agronomes de la chambre d’agriculture ont donc aidé les agriculteurs à passer à un système sans labour. Il a d’abord fallu leur montrer que ce n’était pas un retour en arrière, mais une avancée : « la charrue nous a permis de sortir de la famine, et maintenant qu’on maitrise tout il faut l’abandonner. » (Michel).

Ils ont donc conseillé les agriculteurs pour mettre au point des TCS : Technique Culturale Simplifiée, devenue aussi Tech-nique Culturale Superficielle, et Technique de Conservation des Sols.

Mais l’investissement des agriculteurs a été très différent selon les communes. Personne ne s’est lancé à Grassendorf, à Alteckendorf un peu, à Ettendorf plus, et à Morschwiller tous les agriculteurs s’y sont mis.

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Les difficultés pour passer au TCS sont nombreuses.Les agriculteurs évoquent en premier lieu le besoin de chan-

ger de machines : les semoirs habituels ne sont pas assez lourds pour semer dans une terre peu travaillée et où il y a des débris de végétaux. Et les machines coûtent cher. « Tu y passes pas du jour au lendemain hop maintenant on fait ça, il faut le faire par étapes quoi ! » (Pierre)

Chisel, Rotoherse, Horsch, déchaumeur, broyeur, décompac-teur, strip-till, vibroculteur, discomulch, semoirs spécifiques… je me perdais un peu dans tous ces noms de machines !

A Morschwiller, pour réduire le coût de l’investissement, ils ont acheté à quatre : «Tout seul on a moins droit à l’erreur » (Raymond)

Ce qui freine surtout les agriculteurs d’Alteckendorf, c’est la difficulté de faire du non-labour sur les betteraves : «A Mor-schwiller, c’est complètement presque du TCR. Mais avec leur rotation, ça marche bien ! Maïs, blé, colza, et le maïs c’est en en-silage donc le sol est libéré assez tôt, donc vous pouvez bien le travailler.» (Jacques)

Les betteraves sont récoltées en novembre, à ce moment là le sol risque de ne pas aimer un travail superficiel. A Ettendorf aus-si, Henri soulève les difficultés des sols argileux qui ne se prêtent pas trop au non-labour : «Après un maïs, il y a un compactage. Déjà il y a presque plus de vie dans ton sol. Le non-labour marche super bien après blé, orge, engrais vert, mais comme 2013 où il y avait tout le temps de la flotte et que la moissonneuse a fait des crevasses énormes parce qu’il y avait trop d’eau, il faut labourer !» (Henri)

Le TCS est une technique nouvelle mais les agriculteurs se rappellent qu’il arrivait déjà à leur parents de supprimer le labour quand ce n’était pas nécessaire : « Au niveau blé, mon père a déjà travaillé en sans-labour pour semer le blé à l’automne, mais ça c’était une année sur deux, ce qu’il ne faut pas faire, enfin ça sert

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Néewiller, TCS : le blé pousse dans les débris de maïs (novembre)

Morschwiller, TCS : le blé quelques mois plus tard (février)

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pas à grand chose, c’était juste pour simplifier le travail, c’était pas dans l’objectif des coulées de boue » (Raymond) Ce n’était donc pas la technique mise au point pour lutter contre l’érosion.

Le TCS est donc une technique récente, qui s’est surtout développée depuis les années 2000, et est en pleine expérimenta-tion. Il y a donc des points sur lesquels les agriculteurs divergent :

Augmenter les produits phytosanitaires ?Une des utilités du labour était d’assainir la parcelle, de re-

tourner la terre pour enfouir les graines d’adventices. Mais les agriculteurs ne pensent pas tous que le TCS apporte plus de mau-vaises herbes : il faut de toute façon passer un herbicide. Henri lui souligne surtout l’utilité de l’engrais vert : «si tu as un beau engrais vert, ça couvre, t’as pas de mauvaises herbes. » (Henri)

Une augmentation des champignons ?Peut être, quoique Raymond ne soit pas sûr que les maladies

se propagent mieux en non-labour. Lui n’a jamais eu de pro-blèmes. Et toutes les cultures de l’année ont été touchées par une explosion de maladies. Mais les champignons, c’est aussi la vie, et les mycélium aident à maintenir les sols en place. « Il y a plus de champignons dans les deux sens, le coté positif et négatif, c’est à double tranchant. » (Jacques)

Une baisse de rendements ?Les agriculteurs qui se méfient du TCS voient surtout la

baisse de rendements les premières années. C’est vrai que le sol met du temps à se mettre en place : « On m’a dit, après 5 ans tu y es. D’abord, la première année de toute façon il y a encore la structure du sol liée au labour, deuxième année reste encore un peu troisième année t’es au fond. Quatrième année tu commences à remonter. Cinquième année tu es bon, au plus tard sixième. » (Serge)

Mais pour Raymond, les baisses de rendement dépendent des cultures : « En passant au TCS, tout ce qui est culture de blé il y a jamais eu de baisse de rendements, colza non plus, par contre en

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maïs la première et la deuxième année, si on met tout de suite du maïs dedans, il y a baisse de rendement. C’est presque impossible de faire autrement, mais bon on parle de 10-15% de baisse.» (Ray-mond) Pour ceux qui sont en TCS depuis une dizaine d’années, la baisse ne leur parait plus si grave, parce qu’ils ont augmenté leurs rendements par la suite : « Aujourd’hui on constate qu’il y a des parcelles qui ont gagné, je pars de 100, on a perdu 10, et aujourd’hui on se retrouve avec des parcelles qui ont +30% par rapport au labour. Les meilleures parcelles sont restées les meil-leures, le rendement n’a pas forcément augmenté beaucoup, par contre dans les parcelles les moins bonnes où il y a de l’érosion, là on a gagné en rendement.» (Raymond)

C’est surtout un travail de persévérance : reconstruire un sol, c’est long ! « C’est pas parce que vous avez fait un automne ou deux pas de labour qu’au printemps ça va pas partir. Il faut un peu plus de recul quand même. » (Jacques)

Pour certains agriculteurs, les bénéfices ne valent pas le coup : il faut changer ses machines, mieux penser sa rotation, subir une baisse de rendements les premiers temps, mais « au final c’est de nouveau pour faire du maïs et du blé. » (Pierre)

Et puis, la terre part tout de même, malgré le TCS : « Ça tient un peu mieux, mais à un moment donné ça part quand même »(Didier) « Non, la terre elle part, c’est divisé par deux en volume de terre qui part, c’est au moins divisé par deux, par contre à un certain moment l’eau elle part aussi. C’est impossible de retenir des milliers de m3 dans le champ . » (Raymond)

Alors certains agriculteurs tentent le TCS mais à moitié, soit quand l’année le permet, soit juste sur les versants qui sont tour-nés vers le village : « Moi j’ai fait les points un peu stratégiques, là où il y a le plus, la grosse pente. » (Alain)

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Dans le paysage, le TCS n’apporte pas de net changement. Raymond décrit ce qui change pour qui sait observer : « Les ter-rains sont beaucoup plus plats […]il y a des débris en surface. En-suite, une parcelle en pente en labour elle est plate, et les derniers dix mètres on laboure en travers donc il y avait toujours un décalé, il y avait plus de plantes au bout que dans la parcelle. Aujourd’hui avec les outils à dents la parcelle est pratiquement uniforme du début à la fin. Et puis on modifie le plan de travail, c’est pas de l’érosion, mais l’ensemble a tendance un peu à glisser, donc il y a un décalé entre le chemin et les terres après dix ans. Sur le labour la terre elle part, alors que là elle se décale. Ça c’est quand on re-garde la terre à nu. » (Raymond)

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Atouts et limites du TCS

Atouts :

lutte contre l’érosiondiminution du lessivage des nitrates et des pesticidesbonne stabilité structurale du sol-bonne aération-bonne portance-limitation de la battance-teneur élevée en matière organique de surface-bonne activité biologique-préservation de la microfaune du sol-réduction des charges de mécanisation, des émissions de CO2-gain de temps

Limites :

-risque de salissement des terres-semis d’intercultures conseillé-augmentation de l’emploi de pesticides-invasions de limaces possibles les premières années-terres drainantes et sols nivelés préférables-difficulté pour la culture de pommes de terre-temps d’adaptation nécessaire

source : BERTRAND J., Agriculture et biodiversité, un partenariat à valoriser, ed. Educagri, 2001

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L’assolement concerté

C’est une mesure collective, prise au niveau de la commune ou de plusieurs communes. Il est élaboré à l’échelle de petits bassins versants pendant des réunions qui regroupent des élus, un responsable de la chambre d’agriculture et les agriculteurs concernés (ceux de la commune mais aussi tous ceux qui ont des parcelles concernées).

Il s’agit d’élaborer un plan des cultures de l’année suivante pour que chaque bassin versant soit couvert par une alternance de cultures de printemps et de cultures d’hiver. Une parcelle de maïs entraine de la boue mais elle sera stoppée par la parcelle de blé qui la suivra.

La mise en place de l’assolement concerté se fait en deux temps : en septembre, les agriculteurs concernés envoient à la

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chambre d’agriculture un plan de leurs parcelles en indiquant leur mode de travail du sol (TCS ou non) et la culture (d’hiver ou de printemps) qu’ils ont l’intention de faire. Une réunion a ensuite lieu, chaque année, vers septembre (avant les semis de blé). Tous les agriculteurs discutent alors autour d’un plan des bassins versants de la commune. Le représentant de la chambre indique les endroits où il faudrait plus de cultures d’hiver : les agriculteurs doivent alors se mettre d’accord pour équilibrer chaque versant en cultures de printemps/cultures d’hiver.

Ce système est mis en place à Alteckendorf, Ettendorf et Morschwiller.

Beaucoup de communes aujourd’hui dans le Bas-Rhin ont mis en place l’assolement concerté.

L’assolement concerté à Ettendorf (partie Nord) AM

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Les communes qui font l’assolement concerté en sont contentes. Pour eux, c’est l’une des mesures les plus simples à mettre en place : il suffit juste de se mettre d’accord.

« Si on veut, c’est pas compliqué. » (Jacques)« Moi je trouve que c’est pas compliqué, il faut juste voilà qu’ils

demandent aux gens de remplir leur papier, et après moi je dirais que c’est plutôt le plus simple, c’est un truc qui est quand même assez simple à faire, juste pour dire ce qu’on veut mettre et pour voir par rapport à l’autre éventuellement, c’est ça aussi la réunion, parce que tu vois, ils te montrent, ‘‘Sur ce versant il y a un petit souci, il y a trop de cultures de printemps’’, bon après c’est encore au bon vouloir des gens, s’ils disent non mais moi je vais faire ça comme ils peuvent » (Alain)

Chacun est donc libre de faire ce qu’il veut, il n’y a aucune obligation, mais il faut tout de même que chaque agriculteur y mette du sien. Souvent, les agriculteurs qui n’habitent pas le vil-lage se sentent moins concernés ; cela peut amener à des petits conflits entre agriculteurs du village et les « extérieurs ». « les extérieurs, nous on sait ce qu’ils vont mettre, si il y a rien, for-cément ils vont mettre du maïs ou des betteraves. S’il y a rien à l’automne, c’est forcément une culture de printemps. » (Alain) Le but est d’arriver à un partenariat avec tous les exploitants, mais Pierre explique que « même si il reste une parcelle de quelqu’un qui le fait pas, c’est pas ça qui va faire échouer le projet. » : de toute façon, les cultures d’hiver et d’été alternent dans le temps.

Pour les agriculteurs, c’est une mesure simple, une réunion suffit. Mais collecter toutes les informations pour chaque agri-culteur, faire un plan des cultures tous les ans, organiser une réunion, c’est tout de même une charge d’animation et d’organi-sation assez lourde pour la chambre d’agriculture : les réunions doivent se faire à la même période de l’année et dans de nom-breuses communes !

Un autre problème, c’est la pérennité de ce fonctionnement : il suffirait que le médiateur de la chambre d’agriculture s’en aille, et tout s’arrêterait. A Alteckendorf, ils n’ont pas fait d’assolement

«Notre sol s’en va»

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Extrait du plan d’assolement concerté d’Ettendorf 2014-2015

(document remis par la mairie d’Ettendorf)

Stopper la boue

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assolement concerté à Ettendorf -2012- document remis par la mairie

«Notre sol s’en va»

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concerté deux ans de suite, un des agriculteurs a demandé que ce soit remis en place. Les réunions doivent se refaire chaque année.

Une autre limite pour Serge, c’est que l’assolement concerté suppose qu’on puisse changer ses cultures en fonction des autres. Or pour lui, sa rotation est pensée sur plusieurs cycles, il a un ordre d’alternance des cultures qu’il ne peut pas modifier : ce serait alors aux autres de changer leurs parcelles à chaque fois, et cela pourrait générer des conflits.

C’est la mesure la plus intéressante par rapport aux impacts paysagers : il n’y a plus de grandes étendues monotones, aucune culture ne prime sur les autres. Nous sommes loin des paysages en lanières répartis sur une même sole.

Dans le paysage, l’assolement concerté donne une structure en damier : deux cultures doivent se succéder le plus possible en alternance. Quand il y a avait plus de maïs, les parcelles pou-vaient être petites mais cela ne se voyait pas à l’œil puisque tout le monde mettait les mêmes cultures. Là, chaque parcelle est visible. Il y a une succession dans l’espace de parcelles en blé, parcelles en maïs.

Mais cela devient encore plus intéressant lorsque le damier ne se compose pas que de blé et de maïs : en diversifiant les cultures, un damier de couleurs, de hauteurs, de textures appa-raitrait, changeant le visage des collines selon la saison.

L’assolement concerté est un peu comme un retour aux usages locaux1 : les agriculteurs se mettent d’accord pour un pay-sage élaboré collectivement.

1-usages locaux : Règles établies, dans certains lieux, pour l’exécution des conventions et qui, sans avoir été déterminées par la loi, sont adoptées par tout le monde (TLF, d’apr. BARR. 1974).

Stopper la boue

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Les mesures qui peuvent être mises en oeuvre contre les coulées boueuses

prévision des épisodes orageux de mai-juin

PLU : zones à ne pas bâtir (risque d’inondation ou d’agra-vation des inondations)

haiesralentissant l’eau assolement alterné

cultures de printemps/d’hiver

diversification

TCS / non-labour

petites retenues d’eau

création d’une nouvelle zone tampon

AM

Aucune mesure n’est efficace à 100% : elles n’agissent pas sur les mêmes éléments : les mesures agricoles retiennent la terre dans le champ mais laissent passer l’eau, les bassins par exemple au contraire retiennent l’eau pour la redistribuer aux réseaux dou-cement, mais ne change rien par rapport à la perte de sol.

Il faut donc combiner les mesures entre elles.

«Notre sol s’en va»

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Des mesures combinées dans les villages

Selon l’engagement des agriculteurs, la politique de la com-mune, l’importance du risque, les aménagements mis en place ne sont pas de même ampleur : beaucoup plus de projets sont lancés à Ettendorf qu’à Grassendorf par exemple, car la sensibilité au risque et les politiques menées sont différentes. Aujourd’hui, chaque commune choisit ses mesures. Pour certaines, ce sont les agriculteurs qui font les plus gros efforts en mettant en place des techniques de conservation des sols, comme à Morschwiller, dans d’autres cas c’est plutôt la commune qui porte des projets coûteux, comme à Ettendorf et Alteckendorf.

Morsch-willer

Grassen-dorf

Ettendorf Alteck-endorf

sacs de sable, ... ++ + +++ ?

avaloirs, ... ? ++ ++ ?

bassins en projet - en projet +++

fascines - + +++ ++

haies - - + +

miscanthus - ++ - -

bdes enherbées + + + ++

augmentation blé ++ + ++ ++

structure du sol +++ - + +

engrais verts +++ - ++ ++

non-labour +++ - ++ +

assolement concerté

oui non oui oui

Chaque village choisit ses mesures pour diminuer les coulées

Le risque, outil de prise de consciencepaysagère

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les mesures mises en place à Ettendorf

Grassendorf

Ettendorf

Alteckendorf

N

0 200 500m 1 km

AM

(d’après les données cartographiques IGN)

bassin-projetfascine

fascine projet

«Notre sol s’en va»

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les mesures mises en place à Alteckendorf

Ettendorf

N

0 200 500m 1 km

AM

(d’après les données cartographiques IGN)

Alteckendorf

bassin

bande enherbée

fascine

Le risque, outil de prise de consciencepaysagère

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les mesures mises en place à Morschwiller

Huttendorf

Grassendorf

Pfaffenhoffen

Ringeldorf

N

0 200 500m 1 km

AM

(d’après les données cartographiques IGN)

Morschwiller

bassin-projet

«Notre sol s’en va»

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les mesures mises en place à Grassendorf

Ettendorf

N

0 200 500m 1 km

AM

(d’après les données cartographiques IGN)

Grassendorf

miscanthus

bande enherbée

fascine

Le risque, outil de prise de consciencepaysagère

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«Notre sol s’en va»

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3- Le risque, outiL de prise de conscience paysagère

Les communes sont amenées à mettre en place des aménage-ments pour diminuer le risque de coulées de boue. Ce sont des mesures techniques, hydrauliques ou agronomiques. Les études sont souvent très poussées : calculs des volumes d’eau à stocker, des débits... L’approche est donc assez rationnelle. Je n’ai pas eu le temps de rencontrer un bureau d’étude pour savoir de quelle manière l’esthétique par exemple était prise en compte dans les aménagements.

Vient la question du paysage : quel est l’incidence paysagère des mesures mises en place dans les communes ? Ont-elles aussi des effets sociologiques, notamment pour les agriculteurs ?

Enfin, quels rôles peuvent jouer des paysagistes dans la mise en place de solutions plus satisfaisantes du point de vue tant tech-nique que paysager ?

Le risque, outil de prise de conscience paysagère

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3a- De mesures locales et techniques à des projets de paysage

Des aménagements techniques et diversifiés

Les communes ont à leur disposition tout un panel de me-sures de lutte contre les coulées de boue. Souvent, ils en com-binent plusieurs, comme à Alteckendorf où on trouve fascines, TCS, haies et bassins. A Néewiller-près-Lauterbourg, il sont simplement passés au TCS et ont créé une retenue d’eau à l’amont du village. Serge m’assure qu’ils n’ont plus de coulées de boue depuis 2003. Plus de coulées… ou plus d’orages ? Dans les quatre communes étudiées, seul Morschwiller n’a ni haies, ni fascines, ni miscanthus. Ils n’en ont pas voulu. Mais les techniques sans-la-bour ne suffisent pas à absorber les 50 mm d’eau qui tombent en une heure. Avec une pluie de cette intensité pendant une heure, 1km² doit absorber ou évacuer 50 000 m3 d’eau. Le sol conduit en TCS en absorbe une partie, mais le reste ruisselle et doit être pris en charge. Il faut freiner l’eau, ou la stocker.

Aujourd’hui, chaque commune teste des actions différentes. Nous avons donc des projets patchwork, avec pour chaque com-mune une solution préférée : les fascines à Ettendorf, le miscan-thus à Grassendorf, les bassins à Alteckendorf, le TCS à Mor-schwiller. Ce sont des projets purement techniques, certaines mesures sont peu pérennes, et dans la plupart des cas le paysage n’intervient pas dans le choix d’une mesure ou d’une autre.

Même quand le projet se situe au niveau du bassin versant, la coordination se fait pour chaque étude mais il n’y a pas vrai-ment de projet commun autre que « lutter contre » un risque. Les

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projets se font au cas par cas selon la volonté et l’implication des agriculteurs.

Les agriculteurs parlent peu du paysage. Ils citent une cou-leur, un état de la végétation, puis passent à autre chose. Certains m’avouent qu’ils ont du mal à donner leur avis sur un endroit qu’ils connaissent si bien. Peu osent me parler de ce qu’ils trouvent beau, ou agréable, ou le font avec gêne ou en appuyant que ce n’est que leur opinion à eux. Peut être n’ai-je pas eu beau-coup d’exemples aussi parce que nous étions en plein hiver : il me parlaient de neige, mais il est plus facile de raconter la douceur d’un paysage au printemps ou en été, lorsqu’on l’a habité toute la journée.

La question du paysage n’a donc pas beaucoup été discutée : les solutions sont pragmatiques et techniques.

Pourtant, il serait intéressant d’assumer le risque des coulées de boue en faisant émerger un paysage cohérent entre les villages. Souvent, le bon sens et les projets le servent d’eux-mêmes, mais, dans cette région où la demande de paysage se fait entendre, il ne faut pas négliger ce point dans le choix des aménagements. Privilégier les haies plutôt que les fascines mortes, se servir des chemins comme de digues pour laisser voir les prairies humides, aménager des espaces inondables entre communes et champs, re-créer l’espace tampon autour des villages, laisser aux champs leur caractère agricole sans poser en plein milieu un élément lourd ou utilisant le vocabulaire urbain, quelques pistes sont données.

Le risque, outil de prise de consciencepaysagère

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De la commune au bassin versant :

Les communes sont prêtes à créer des ouvrages pour retenir l’eau pour l’aval : « si [Ettendorf] ils font leur retenue d’eau, ça va nous donner un coup de main à nous [Alteckendorf] aussi.» (Didier). C’est le cas à Morschwiller : « ça n’apporte rien [à Mor-schwiller], les bassins qu’on fait c’est pour en bas. On est quand même prêt à le faire. » (Raymond) On passe donc peu à peu d’une échelle communale à une échelle plus large : les communes s’allient pour faire face au problème. Morschwiller fait partie du Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de Schweighouse, qui gère le bassin versant Moder et Amont. Une étude est menée à cette échelle sur l’ensemble du bassin versant.

Une difficulté a récemment obligé les communes à penser des projets plus larges : cette année, le Conseil Général du Bas-Rhin a arrêté de financer les dispositifs de lutte contre les coulées de boue.

Ettendorf est engagé depuis plusieurs années dans des études poussées pour stopper les coulées de boue : sans subventions, la commune n’a pas les moyens de mettre en œuvre la dizaine de bassins et les nombreuses fascines projetées ; les études reste-raient lettre morte. Il faut donc trouver d’autres moyens de sub-ventions. C’est ainsi que la commune s’est jointe à deux projets : le PAPI (Programme d’Action et de Prévention des Inondations) et le LIFE (L’Instrument Financier pour l’Environnement). Ils permettraient de débloquer des fonds nationaux ou européens : une commune seul aurait donc peu de poids. C’est pourquoi les communes de tout le bassin versant de la Zorn se sont associées.

C’est la Communauté de Communes de la Région de Bru-math (CCRG) qui porte le projet, même si toutes les communes n’en font pas partie. Une chargée de mission est en place depuis novembre 2014 pour mettre en forme le projet.

Le PAPI est un projet financé par l’Etat.

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Zorn

Lombgraben

Landgraben

E A G M

MommenheimBrumath

E : EttendorfA : AlteckendorfG : GrassendorfM : Morschwiller

Une échelle élargie : celle du bassin versant

AMN

2 km

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Ici, il est lancé pour subventionner les projets de 79 com-munes concernées par des inondations.

Il est mis en place à l’origine pour lutter contre les débor-dements de cours d’eau, notamment de la Zorn. Ettendorf et Alteckendorf sont en amont du bassin versant du Landgraben, mais l’eau qui y coule peut créer des problèmes à Mommenheim, qui se situe à la confluence du Landgraben et de la Zorn. «là il y a le grand ruisseau, c’est celui qui vient de Ettendorf. S’ils ont de l’eau là elle va aussi chez nous, et elle va jusqu’à Mommenheim. Alors eux ils prennent tout. Mommenheim avait des soucis hein.» (Alain). Les communes touchées par les coulées de boue ont donc été intégrées au PAPI.

Le compte-rendu de la réunion du 20 janvier 2015 cerne bien les enjeux d’un travail à cette échelle : « Une gestion à l’échelle du bassin versant permet une approche globale de la problématique inondation et de proposer des actions cohérentes et pertinentes, par exemple des solutions qui n’aggraveront pas le risque sur les communes plus à l’aval » (compte rendu de réunion PAPI, fev.2015).

Le PAPI est donc en premier lieu orienté vers les communes le long de la Zorn faisant partie du Plan de prévention du risque inondation (PPRI). Il ciblera surtout les projets d’hydraulique dure (les bassins de rétention). Le PAPI sera complété par des subventions de l’Agence de l’eau. Cela pourra couvrir 50% des dépenses. Les communes n’ont pas les moyens de donner l’autre moitié, sera donc présenté un projet LIFE en complémentarité du PAPI.

Le projet LIFE mobilise des fonds européens pour des pro-jets pilotes innovants. Il porte sur le changement climatique. Les chargés du projet voient le LIFE comme « un pendant environ-nemental au PAPI ». Y seraientt surtout ciblés les travaux d’hy-draulique douce et l’accompagnement agricole (création d’une CUMA (Coopérative d’Utilisation du Matériel Agricole) pour les machines de TCS, assolement concerté…). Les projets soumis au

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LIFE doivent être exemplaires en gestion des ressources, ici le sol. Le taux de financement est de 60%.

Chaque année, une centaines de projets sont acceptés (1/6 environ). L’enjeu est donc de présenter une innovation : ce se-rait ici l’échelle du projet et le périmètre : tout un bassin versant est engagé. D’autres innovations vont être mises en valeur (le remembrement érosion, les actions collectives sur les pratiques culturales…)

C’est donc une nouvelle échelle de projet qui voit le jour ; même si chaque commune est responsable de ses études et de la mise en œuvre des projets : les projets lancés, même s’ils ont bénéficié d’un regard global à un moment donné, risquent de rester des juxtapositions d’ouvrages techniques.

Le projet, pour demander un financement européen, gagne-rait à présenter encore plus de cohésion en faisant intervenir le paysage.

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Parler de terre et d’eau

Le risque des coulées d’eau boueuse vient de la confrontation entre l’eau et la terre au niveau presque microscopique : les parti-cules d’argile et les gouttes d’eau se mélangent et forment la boue. Au niveau macroscopique, la terre et l’eau sont les constituants des paysages. L’eau creuse les collines, elle a décidé de l’implanta-tion des villages, la terre se cultive.

Le paysage se compose dans cette imbrication d’échelles, entre les particules, la ferme, le village, le bassin versant. Le risque permet de faire émerger des projets : il faut que ceux-ci mettent en valeur ces éléments du paysage que sont la terre et l’eau.

L’eau d’abord : les cours d’eau ont été malmenés dans la deuxième partie du XXe siècle. Bouchés, canalisés, redessinés, creusés… Aujourd’hui, l’eau a une valeur environnementale : on rêve qu’elle soit claire, baignable, potable.

Le travail sur les thalwegs est important : adoucir le profil des fossés, y amener des haies pour ralentir l’eau. Pour freiner l’eau également, les haies de miscanthus par exemple égaient le thalweg en le chatouillant de leurs plumeaux. Elles rythment les champs.

La terre aussi est très importante. Elle doit rester tournée vers l’agriculture. Nous avons pris l’habitude de voir le sol re-tourné et la terre à nu. Cela va peut être tendre à disparaître dans nos régions de collines : la couleur de la terre, qui s’expose chaque hiver, restera cachée. L’avenir est sûrement aux TCS, où les champs n’ont plus le même rendu : un aspect plus plat, moins «propre». Plus de grosses mottes ni de vagues houleuses de terre qui surgissent à l’automne, et se rendormentt au printemps, mais des débris végétaux et des couverts qui s’entremêlent.

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Le paysage doit pouvoir accueillir de gros orages en pré-servant les habitations. Aujourd’hui, les extensions du village brouillent la distinction entre champs et espace du village. Pour protéger les communes des coulées de boue, la zone bâtie pour-rait rester différenciée de l’espace agricole. Entre les deux, un espace tampon pourrait être recréé. A Grassendorf, le fils d’un agriculteur, ayant construit à la sortie du village, a transformé le champ de maïs devant sa maison en prairie. C’est ainsi possible de changer l’orientation d’une parcelle, mais ce n’est pas une so-lution qui doit être appliquée partout : il faut que l’espace reste productif. Tant qu’il n’y a plus d’animaux pour pâturer les prai-ries, elles sont stériles. De même pour les vergers : les habitants les trouvent beaux, ils pourraient être implantés autour du vil-lage, à condition que les fruits puissent se vendre. De nouveaux accords sont à trouver entre les habitants de la commune et les vergers. Les habitants des lotissements n’ont souvent pas d’arbres producteurs, ils pourraient bénéficier de prés-vergers gérés col-lectivement autour de leur espace d’habitation et qui sépareraient mieux les champs des habitations.

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3b- Paysage social : regards sur le travail agricole

« Je me souviens toujours de cette réunion technique que j’ai faite avec des élus, début des années 90, c’était évident que l’agri-culture était méprisée, parce que les produits de consommation s’achetaient tellement facilement qu’on avait oublié qui les produi-sait. Tu allais acheter le yaourt, et personne ne savait que c’était l’agriculteur qui se levait à 5h du matin pour aller traire les vaches. Il n’y avait plus aucun lien de continuité. Et puis simultanément s’est développé le discours «les agriculteurs détruisent la nature». Ils détruisaient la nature dès que les gens voyaient un champ labouré. Les agriculteurs étaient très frustrés. Qu’est ce qu’ils avaient loupé ? Ils avaient laissé fonctionner les techniciens, les organismes de l’économie qui enferme chacun dans son secteur, «fais ton boulot et le reste c’est moi qui m’en occupe.» Il n’y avait plus ce lien de continuité entre les groupes. Vos clients se sont transformés en consommateurs. Et maintenant ils sont consom-mateurs d’un nouveau bien, et ce nouveau bien c’est le paysage qui repose les yeux. Et là vous devez produire un paysage qui cor-responde à ce besoin de consommation. Et là ils font le lien entre vous et eux, si vous arrivez à satisfaire ce besoin, vous recréez le lien, et vous pourrez recommuniquer sur les autres productions.» (Michel)

«Notre sol s’en va»

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la botteleuse près du chemin, l’agriculteur dans son tracteur©Eric Antoni

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Le regard des habitants sur les agriculteurs

Le paysage lui-même change, mais c’est surtout dans ce cas les représentations sociales qu’on a des paysages et des personnes qui l’habitent –notamment les agriculteurs- qui changent. Je n’ai pas eu le temps d’interroger beaucoup d’habitants. Il aurait fallu s’y pencher. Je ne vais donc pas m’étendre sur ce point, même s’il est important.

L’Alsace est la deuxième région la plus dense de France (après l’Ile de France). Les communes accueillent des « urbains » qui s’installent à l’écart de Strasbourg en continuant à y travailler. Le paysage agricole doit donc répondre à une forte demande de paysage. Il est parcouru, perçu par les habitants. Mais les volon-tés entre habitants et agriculteurs, qui demandent à la terre de produire, suivant les contraintes géographiques et économiques, ne vont pas toujours dans le même sens.

Un point qui profite aux deux, c’est la quantité de chemins : assez larges pour laisser passer les gros tracteurs, nombreux pour desservir chaque champ, ils quadrillent les collines. Collines qui permettent au promeneur d’avoir toujours un autre point de vue, et de changer rapidement dans sa balade d’exposition, de pente, d’occupation du sol.

Le problème, c’est la grande différence entre ce que voudrait le promeneur et ce que doit faire l’agriculteur. L’agriculteur rêve de travail facile : de grandes surfaces planes, sans obstacles, sur lesquelles ne pousse que ce qu’ils souhaitent faire pousser. Les promeneurs, et ils sont nombreux le week-end, veulent des ac-cidents dans le paysage, des fleurs, des prés, de la diversité. Ils aiment les arbres, les vergers, rêveraient d’en chaparder les fruits. Les cultures oui, mais elles ne doivent pas boucher la vue. Et le paysage doit changer avec les saisons.

«Notre sol s’en va»

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C’est cette réputation de « destructeur de la nature » qu’ont les agriculteurs : pesticides, engrais, maïs, gros tracteurs, ils ne sont pas les plus loués au village. Et reste cette image de Bür1, paysan grossier et rustre. Les coulées de boue ne pouvaient, au départ, qu’empirer cette image.

En contrepoint, les agriculteurs sont souvent « l’ancien noyau » des villages : des familles implantées depuis longtemps. Ils se connaissent depuis toujours, et le village les connaît bien. J’ai l’impression qu’il y a une coupure entre l’image de l’agricul-teur et les agriculteurs du village qu’on connait.

Après les coulées d’eau boueuse, les agriculteurs ont fait beaucoup de choses. Ils essaient de mettre de l’herbe devant les maisons, ils changent leurs pratiques… Les habitants le voient ou en sont informés, à Ettendorf par exemple, par le bulletin mu-nicipal semestriel. Ils savent donc que les agriculteurs adaptent leurs pratiques pour stopper le risque. Est-ce que ça change leur point de vue sur le métier ? « ... A Morschwiller depuis qu’on est passé en TCS on est tranquilles. On va pas dire qu’on a été harce-lés à cause de ça, mais forcément c’est toujours ‘’c’est à cause des agriculteurs, c’est à cause de ça...’’ Aujourd’hui les gens se rendent compte surtout dans le village même dans les villages alentours, qu’on essaie vraiment de faire quelque chose. On est le seul je pense village du Bas-Rhin à être en TCS pratiquement à 100% » (Raymond)

Le rôle des agriculteurs est grand : ils sont les gestionnaires du paysage. On leur donne pour mission de nourrir la planète, d’être gestionnaires des espaces ouverts, et on veut en plus qu’ils nous fabriquent un beau paysage. Lourdes tâches !

1-paysan en alsacien

Le risque, outil de prise de consciencepaysagère

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AM

AM

pour connaître ses sols, tous les sens sont au service de l’agriculteur

AM

épigé Les trois catégories de vers de terre

La terre sur la colline au Sud-Est d’Ettendorf, parcelle d’engrais verts

endogé

anécique

«Notre sol s’en va»

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Le regard des agriculteurs sur leur sol

Les réunions avec la chambre d’agriculture ou les preuves de bonne volonté qu’ils devaient donner aux communes ont poussé les agriculteurs à changer leurs pratiques. Tous font des efforts, mais ils se sentent plus ou moins prêts à évoluer : certains ne mo-difient leurs pratiques que lorsqu’il y a un risque pour le village, d’autres au contraire se lancent à fond : ils se renseignent sur la question, ils se cultivent.

Le risque a-t-il fait changer le regard que portent les agricul-teurs sur leur sol ?

Je voulais comprendre les relations entre les agriculteurs et leurs sols. Je leur ai demandé comment ils l’analysaient. A travers les réponses, on voit que l’attitude des agriculteurs au sol a évo-lué surtout pour les agriculteurs qui sont passés au non-labour complet.

L’agriculture intensive tend à éloigner les agriculteurs de leur sol : des machines plus grosses et plus hautes, même le rapport physique s’éloigne. Peu d’agriculteurs touchent leur sol, avoir les mains dans la terre, « c’est sale ». Il n’y a plus ce rapport physique à la terre. Le sol n’est qu’un support, et, souvent, on ne voit la richesse du sol qu’à son seul rendement.

Tous les agriculteurs, quand je leur demande de parler de leur sol, parlent de rendements. Tous ont vu des trous à la bêche, mais très peu en font eux-mêmes : ils se réfèrent à des études de sols dans le coin, auxquelles ils ont assisté. Peu encore sont convaincus.

« Et déjà aussi quand vous faites du non-labour, c’est mieux pour les vers de terre et tout aussi, pour la faune. Je regarde pas ça. Non, personnellement, comme ça, à la bêche, non. Bon des fois quand il y a une réunion ou un truc, mais bon, non. Pour l’instant non. » (Alain) Les agriculteurs connaissent les pratiques du TCS

épigé Les trois catégories de vers de terre

endogé

anécique

Le risque, outil de prise de consciencepaysagère

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qui monte dans beaucoup de pays, et la PAC aussi impose cer-tains changements, dans l’objectif d’une agriculture plus durable. Les mentalités évoluent donc, et une attention toute particulière est portée aux vers de terre, brusquement devenus le symbole de l’agriculture durable.

Le rapport entre le sol et l’agriculteur se voit surtout dans sa manière de l’analyser.

Les analyses de terre sont faites par tous les agriculteurs, mais certains ne les font pas eux-même, et les font faire par une entreprise. Serge s’en insurge : « Le gars il vient avec son quad, et tout ça c’est automatique. Et il y a des agriculteurs, «mais ça c’est super, tu vas en bout de parcelle, tu dis voilà elle va jusque là bas, et lui il roule zzz zzzz, en cinq minutes c’est fait, il a ses prélève-ments. Et je dis «et alors» ? tu passes dans ta parcelle, t’as même pas constaté qu’il y a quelque chose de dur, de pas dur, qu’est ce qu’il y a dans le sol etc. il dit «ah, mais ça j’ai pas besoin !» » (Serge)

L’analyse de terre, simple routine pour certains « Ouais. On prend des échantillons, de terre, et on les envoie au laboratoire.» (Jacques) revêt pour d’autres, souvent ceux qui sont passés au TCS, une plus grande importance : « On comprend, et on voit des choses, et c’est pour ça qu’il faut faire ses prélèvements soi-même […] Celui qui m’a vendu un prélèvement, il va me vendre tout ce que j’ai besoin pour ma culture, pas forcément pour mon sol. » (Serge)

Les analyses de sol habituelles relèvent le taux de NPK (Azote-Phosphore-Potassium), les trois éléments nutritifs de base pour la culture. Mais Raymond analyse aussi le taux de ma-tière organique

« C’est très important parce que le taux d’humus ça aide à la perméabilité du sol. Sans humus l’eau peut pas s’infiltrer, ça fait moins éponge. Si il y a de l’humus il y a des vers de terre. Donc je connais pas exactement ce que j’ai mais je vois que j’ai énormé-ment de vers de terre, qui creusent des galeries et donc l’eau peut s’infiltrer. Avant on faisait pas attention à ça. » (Raymond)

«Notre sol s’en va»

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Le sol peut même séduire certains agriculteurs, qui trouvent en lui un nouvel air à leur métier.

« c’est quelque chose moi je trouve ça fascinant de voir ça, en-fin fascinant quoi, ça m’intéresse. » (Serge)

« Moi je me balade un peu sur la parcelle, et on voit des choses.» (Serge) Le rapport physique au sol est rétabli. Les agriculteurs en TCS parlent du sol avec leurs mains, et font appel à leurs sens : la vue, le toucher, mais aussi l’odorat. Serge a été surpris que je lui demande s’il sentait sa terre : « Il prend une poignée de terre, il met ça au nez. Et moi la première pensée que j’avais là, en tant que gamin on nous a expliqué «Ne touche pas ça c’est sale.» […] et c’est vrai c’est là que j’ai appris ça ça sent une bonne cave, c’est du champignon, ou alors l’égout, il y a les deux. […] Notamment dans le labour profond, […] quand ça on sent c’est le tout à l’égout qu’on sent. ça on le sent, ça se teste. Tu fais le test, et c’est vrai, c’est pas compliqué, c’est le premier geste, il coûte rien. » (Serge)

Pour les agriculteurs, le sol ne devient plus uniquement un support économique mais un bien à protéger et à améliorer, par de nouvelles pratiques.

Le risque a permis de se questionner sur les pertes de ma-tières organique, le labour, le TCS. Le rapport au sol a changé : il n’est plus seulement support mais entité vivante nourrissant les cultures, ou encore patrimoine : « Tout ton patrimoine part dans les fossés ! » (Henri)

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Le regard des agriculteurs sur leurs terres

La sol n’est plus un support, c’est aussi un patrimoine à défendre : on cherche à acquérir plus de terre, la pression éco-nomique obligeant chaque agriculteur à cultiver plus. Les terres agricoles, même s’il n’y a personne pour reprendre les fermes, restent le plus souvent entre les mains de la famille et sont louées. « C’est assez rarement vendu, les terres sont louées. C’est du patri-moine, c’est souvent loué, plus que vendu. Les enfants gardent la terre en propriété et la louent aux exploitants. Souvent les gens ils le gardent quand même, parce que c’est du patrimoine. Ca appar-tient à la famille. » (Pierre et sa femme)

Le nombre d’agriculteurs diminue, « on est presque tous double-actifs. Le fils, est ce qu’il va reprendre? Même chez moi, je ne sais pas, je ne pense pas. » (Pierre). Ce rapport à la terre va de-venir encore plus ténu : la plupart des propriétaires ne la cultivent pas, les agriculteurs vont diminuer et agrandir leurs surfaces «Et ça va s’agrandir encore je pense à l’avenir. Il y aura peut-être un ou deux exploitants dans le village, à l’avenir » (Didier)

« Mais chez nous, les terrains agricoles pourquoi ils sont tellement chers ? Parce qu’on est nombreux sur pas beaucoup de surface. […] Ici les terres sont riches, c’est aussi ça, c’est peut être pour ça aussi qu’il y a beaucoup de monde ! Que des gens sont restés là. L’urbanisation aussi fait perdre beaucoup de terres tous les ans, les zones commerciales, les routes... Et en Alsace c’est un problème pour les agriculteurs. » (Pierre et sa femme)

La terre devient rare et chère : le nombre d’habitants aug-mente, les maisons n’accueillent plus autant de monde qu’avant. Les fermes anciennes ne sont plus les foyers de vie ; les villageois préfèrent habiter des lotissements de maisons neuves et confor-tables. L’urbanisme en poche de lotissement s’étend donc sur les zones agricoles. Les infrastructures aussi (récemment c’est la ligne de TGV Paris-Strasbourg) grignotent la terre à cultiver.

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Enfin, la pression économique oblige l’agriculteur à cultiver plus et plus vite.

La terre, c’est aussi leur outil de travail, et les agriculteurs demandent des remembrements pour avoir de plus grandes par-celles : « Aller de l’avant ? Moi personnellement c’est de faire des remembrements, des gros remembrements, mais avec des parties qui seraient mises en haies. » (Didier), mais il faudra le faire en ayant conscience que cela peut augmenter le risque de coulées de boue, si l’alternance de cultures sur un versant ne se fait plus. Un remembrement à l’échelle de la communauté de communes serait-il possible ? Nous avons vu que beaucoup d’agriculteurs cultivent des terres réparties sur plusieurs communes, un re-membrement sur plusieurs communes permettrait aux agricul-teurs qui le souhaitent de se recentrer, en échangeant les terres avec les agriculteurs des communes voisines.

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3c- Le rôle du paysagiste

Quel est, dans ce contexte, le rôle d’un paysagiste ?Que peut-il apporter ?

Pour le moment, personne ne pense à faire appel à ses com-pétences : outre le fait que la profession ne soit pas bien cernée par les responsables des communes, le problème ici est technique et ne fait intervenir le paysage qu’en arrière-plan flou. De plus les agriculteurs ont tendance à se méfier du point de vue paysager, qui reflète des envies de consommateurs de paysage et qui est vu comme une contrainte supplémentaire .

Mais nous l’avons vu, le risque permet de mettre en place des projets dans des communes souvent figées par manque de moyens. Entre le village et l’agricole, le paysage bouge. C’est une opportunité pour le paysagiste qui souhaite intervenir dans ces communes rurales, portant peu attention au paysage.

Mais comment pourrait-il intervenir ? Quel est son champ d’action ?

En cherchant des réponses à cette question, il m’est apparu que peu des livres que j’ai trouvé sur le monde agricole et le pay-sage s’adressaient au paysagiste : il était plutôt question de prise en compte du paysage par les acteurs du monde rural, en utilisant les outils des paysagistes mais sans forcément faire appel à l’un d’eux.

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Le risque est d’ordre agronomique et hydraulique, l’interlo-cuteur a donc naturellement été la chambre d’agriculture et les bureaux d’études des ingénieurs spécialisés en hydraulique.

Il n’a pas été question de paysage dans les premières années. Mais aujourd’hui, le regard porté sur la question peut changer.

Le premier rôle que pourrait jouer le paysagiste est celui de médiateur. C’est une des facettes de son métier, le paysage pouvant souvent être un outil de médiation dans les politiques publiques. Associé à la chambre d’agriculture, il assisterait l’in-génieur agronome qui a un vrai regard de technicien mais n’a pas forcément envie de jouer le rôle de médiateur. Le paysagiste allierait au regard de l’agronome sur l’agriculteur le point de vue des habitants-spectateurs de paysage. Pourrait aboutir un projet concret où le risque serait une opportunité à projets urbain, pay-sager et de requalification agricole.

Dans sa vision globale de l’espace et son regard prospectif, le paysagiste pourrait aider à la mise en place de projets cohé-rents à l’échelle du bassin versant. Cela appuierait les demandes de financement européen mais permettrait aussi aux communes concernées de se doter d’un plan de paysage cohérent, à l’échelle de l’unité paysagère définie par l’eau.

Enfin, le paysagiste pourrait participer à l’élaboration des PLU (Plans Locaux d’Urbanisme). Aujourd’hui, le règlement national d’urbanisme est encore en application pour deux des quatre communes étudiées. L’une a une carte communale, l’autre un plan d’occupation des sols. Des projets de PLUi (PLU inter-communal) sont en cours de négociation à l’échelle des commu-nautés de communes. Le risque de coulées de boue doit y être pris en compte. Un paysagiste pourrait s’en charger : attention à la situation, au nivellement, à l’agriculture… Il serait attentif non seulement à la construction mais aussi aux espaces publics

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zone inondable

la largeur d’une moisson-neuse-batteuse

Des retenues d’eau dans les champs

muret

chemin surélevé

Le nivellement et la végétalisation des fossés

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taille en têtard recépage

2m 1,5m1,5m

aujourd’huiun fossé «mort»

idée de projet : le fossé devient cours d’eau

AM

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Des retenues d’eau dans les champs

2m

recépage

1,5m

à créer, à l’utilisation du végétal, aux zones inondables. Cela permettrait de gérer l’espace ouvert par et pour ces risques de coulées d’eau boueuse.

Mais ce qu’apporte avant tout le paysagiste, c’est un regard sur l’espace rural. Les différentes mesures utilisées pour dimi-nuer le risque de coulées de boue sont aussi des outils pour le paysagiste pour rendre les paysages plus cohérents et leur ame-ner des qualités d’usage. Le projet de paysage doit améliorer les conditions d’exploitation des agriculteurs, mettre en valeur les espaces naturels et ruraux, et aménager le territoire communal.

Les paysagistes peuvent intervenir sur l’espace agricole :

Aujourd’hui, les agriculteurs préfèrent des fascines peu pérennes aux haies vivantes. Les seuls exemples de haies sont des saules taillés à un mètre de haut. Peut être une approche paysagère pourrait faire évoluer leur point de vue sur la question des hauteurs et de l’entretien des haies. D’autres essences seraient à essayer, avec une gestion par recépage des haies plutôt que des coupes au lamier. Le bois obtenu entretiendrait les fascines mortes, serait broyé en bois raméal fragmenté ou utilisé pour le chauffage.

Les fossés des villages ont été creusés, peut-être y a-t-il des solutions plus douces qu’un fossé au profil carré de deux mètres de profondeur. Des haies, stoppant les boues sur le profil en large, pourraient être mises en place le long des fossés. On dis-tinguerait ainsi mieux la présence d’eau, et on comprendrait le dessin du village qui la suit.

Les chemins aussi pourraient être nivelés pour devenir des retenues d’eau. En le surélevant, on fabrique un autre point de vue sur le paysage, au-dessus du maïs par exemple. Pour les rete-nues d’eau, près des sols où apparaît la roche calcaire, des murets de pierre pourraient faire office de digue, le promeneur pouvant s’en servir de banc.

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Le paysagiste n’est pas dans une logique de productivité : son regard balance celui de l’agriculteur qui est trop souvent soumis aux rendements. Avec l’aide d’agronomes, des idées d’évolution agricoles pourraient être lancées sur certaines exploitations.

Le paysagiste pourrait d’abord mobiliser l’agriculteur en lui faisant prendre conscience par exemple du rôle des engrais verts, non seulement pour leur sol mais aussi pour le paysage. C’est une culture de liberté, qui ne sera pas vendue mais offerte aux promeneurs. Les agriculteurs doivent choisir les plantes dont ils ont envie. Qu’ils colorent les champs d’automne des couleurs qui leur plaisent.

Il n’est pas forcément compétent en la matière, mais le paysa-giste peut aussi aider à voir l’avenir de l’exploitation à long terme, sur le plan du parcellaire ou des cultures.

Et si le risque devenait encore plus présent, et qu’il fallait augmenter la part de cultures d’hiver ? Il faudrait trouver des alternatives au blé, relancer des cultures qui ont disparu, ou mo-biliser des acteurs de la distribution ou de la transformation des produits agricoles pour créer de nouveaux circuits d’approvision-nement.

Pour ce qui est des remembrements, les parcelles vont s’ag-grandir mais il faudra veiller à ne pas augmenter le risque de coulées de boue. Le remembrement doit être réfléchi selon les pentes des collines. Au moins deux parcelles devront se succéder sur les flancs de collines sujets aux coulées de boue, pour pou-voir continuer à alterner les cultures d’hiver et de printemps. Les communes ont aujourd’hui, avec le plan d’assolement concerté, des champs en damier, qui ne quadrillent pas l’espace agricole puisqu’ils n’ont pas une forme carrée mais suivent la topogra-phie.Un paysagiste prenant part aux remembrements veillera à laisser dans les champs cette diversité formelle.

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AMLes couleurs des cultures

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Le paysagiste peut aussi utiliser les outils de lutte contre les coulées de boue pour dessiner des espaces publics dans les vil-lages. En prenant en compte la rue comme le principal espace public, il pourrait se servir des outils de lutte contre les coulées de boue pour proposer des extensions à la rue pouvant jouer le rôle d’espaces publics, comme par exemple ici, la retenue d’eau inondable, espace peu profond et accessible, serait un espace de jeux pour enfants. Aujourd’hui, les bassins de rétention «font leur boulot».On voit bien dans cette expression qu’ils sont sim-plement fonctionnels. Un paysagiste pourrait dessiner ces bas-sins, travailler leur nivellement, dessiner leurs abords, avec des effets de terrasses ou de buttées, pour qu’ils ne soient pas juste stockeurs de telle quantité d’eau, mais où pourraient pousser une végétation de zone humide.

Mais des petits projets de paysage pourraient aussi être me-nés entre le village et le champ. L’usage des bandes enherbées comme surface à compter pour les primes PAC est intéressant. Leur emploi pourrait trouver d’autres pistes, là où le risque de coulées de boue est élevé, mais aussi comme espace de lisière entre le champ et la maison. Des espaces modelables et réver-sibles pourraient en résulter : chemins, jardins, prairies, patures, vergers... Les paysagistes dessineraient les abords batis pour que les frontières du village deviennent des lisières.

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avaloir entre village et champs

digue-banc

Un espace de jeu inondable dans le village

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ConClusion

Le problème des coulées de boue n’est pas une grosse catas-trophe : il n’a jamais fait de morts, aucune maison n’a été arra-chée, aucun champ n’a perdu sa productivité.

C’est un petit incident, mais qui touche les besoins fonda-mentaux de l’homme : l’abri, l’eau, la nourriture.

Le risque est monté peu à peu jusqu’à devenir préoccupant dans la plupart des villages bas-rhinois. Les principales causes sont anthropiques, notamment l’intensification de l’agriculture.Le risque permet de requestionner un territoire agricole, et de re-mettre en question ses paysages intensifs, tendant à se banaliser.

Mais aujourd’hui, les mesures qui sont mises en place restent des solutions techniques à un problème hydraulique. Chaque vil-lage met en place ses actions, le paysage qui en résulte est plus ou moins marqué par le risque, qui est un levier pour le paysage, en mettant au point des outils qui font parler la terre et l’eau.

Ce qui change surtout grâce au risque, c’est le renouveau de l’entraide entre les agriculteurs et le village : des projets com-muns, des réunions collectives sont menées. Les agriculteurs participent aux aménagements des communes. Un renouveau de la conscience communautaire voit le jour, notamment pour les mesures d’assolement concerté, qui renoue avec les usages locaux.

Il serait intéressant de mettre en route des projets où les ha-bitants eux-mêmes puissent participer à la vie du village : des week end où les agriculteurs s’ouvriraient aux habitants pour leur offrir leur regard connaisseur sur les champs qu’ils parcourent, des chantiers collectifs pour l’entretien des haies par exemple.

Peut être que le risque des coulées de boue donnera un nou-veau souffle à l’esprit communautaire du village.

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Ettendorf, depuis le «Grassendorfsweg»

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Ettendorf, depuis le «Grassendorfsweg»

« Nous habitons un seul paysage. Et nos éléments vitaux sont simples, c’est l’eau, l’amidon, et le lieu de sécurité pour se reposer. Dormir, boire et manger. Les plantes qui poussent, l’eau sans polluants, et un endroit où on est en sécurité pour se repo-ser. Maintenant, inventons le paysage.

Paysage nourricier, paysage stockeur d’eau, patrimoine à maintenir parce que c’est notre vie future.» (Michel)

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sigles utilisés

ARAA = Association pour la Relance Agronomique en AlsaceAREHN = Agence Régionale de l’Environnement de Haute NormandieCIPAN = Culture intermédiaire piège à nitratesCUMA = Coopérative d’Utilisation du Matériel Agricole DNA = Dernières Nouvelles d’AlsaceLIFE = L’Investissement Financier pour l’EnvironnementPAC = Politique Agricole CommunePAPI = Programme d’Action et de Prévention des InondationsPLU = Plan Local d’UrbanismePLUi = Plan Local d’Urbanisme intercommunalPPRI = Plan de prévention du risque inondationSIVOM = Syndicat intercommunal à vocation multipleTCS = Techniques culturales simplifiées, ou Technique de Conservation des SolsTLF = dictionnaire Trésor de la Langue Française

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mots alsaCiens employés

Allmende : biens communauxBann : ban communal, ensemble des terres cultivéesBür : paysan (mot souvent péjoratif )Etter : espace enclos du villageGewwanndorf : village-tas, resserréGraben : fossé

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bibliographie

Ouvrages généraux :

L’enquête de terrain :

-KAUFMAN J.C., L’entretien compréhensif, L’enquête et ses méthodes, Armand Colin, 3e édition, 2011-DIVERNESSE F, Appréciations paysagères de éleveurs de vaches limousines dans la vallée de Briance, Essai d’un registre d’esthétiques paysagères, mémoire de master TDPP, 2014

L’agriculture :

-BARTHELEMY P. et al., Choisir les outils de travail du sol, ITCF, coll.Choisir les outils, 1992-GEORGE Pierre, Précis de géographie rurale, Presses universi-taires de France, 1963-SOLTNER D., Les bases de la production végétale, tome 1:Le Sol et son amélioration, 25e éd., 2011

Le rapport entre l’agriculteur et son sol :

-CAMPAGNONE C., SIGWALT A., PRIBETISCH J., Ques-tionnement sociologique sur la perception que les agriculteurs et les conseillers techniques ont des sols, Programme GESSOL, Rapport de recherche, octobre 2013-MARCHAIS D., film Le temps des grâces, 2010-DUBY G., WALLON A. (ss la direction), Histoire de la France rurale, tome 4 : La Fin de la France paysanne - De 1914 à nos jours, ed. Seuil, 1977, 665p.

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Paysage et agriculture :

-DONADIEU Pierre, Agriculture et Paysage, in. Courrier de l’Environnement de l’INRA n» 28, août 1996-AMBROISE R., HERBIN C., TOUBLANC M. et al., Agricul-ture et Paysage, juin 2009-Ministère de l’agriculture et de la pêche, L’agriculture et la forêt dans le paysage, 2002-DEFFONTAINES J.P., « Dynamique physionomique d’un pay-sage rural : Essai de modélisation de la composante agricole », Cahiers Agricultures, 4, 1995, pp434-439

Sols de France :

-BOURGUIGNON C. et L, Le sol, la terre et les champs : pour retrouver une agriculture saine, ed. Le sang de la terre, 2008-JAMAGNE Marcel, Grands paysages pédologiques de France, ed. Quae, collection Synthèses, 2011

Risques et action publique :

-LASCOUMES P.,Action publique et environnement, ed. Que sais-je,Presses universitaires de France, 2012-VEYRET Y., LAGANIER R. (sous la direction de), Atlas des risques en France : prévenir les catastrophes naturelles et tech-nologiques

Erosion des sols :

-AUZET A.V., GUERRINI M.C., MUXART T., L’agriculture et l’érosion des sols : importance en France de l’érosion liée aux pratiques agricoles, in : Économie rurale. N°208-209, 1992. -BOARDMAN, J. ; POESEN, J., Soil erosion in Europe: major processes, causes and consequences, in Soil Erosion in Europe, John Wiley & Sons, 2006

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bibliographie

Ouvrages en Alsace :

Histoire et paysages :

-ADEUS, Référentiel paysager du Bas-Rhin, décembre 2013-Chambre d’agriculture du Bas-Rhin, Codification des usages locaux à caractère agricole : Bas-Rhin, Strasbourg, ed.de la Basse-Alsace,1958-JUILLARD E., La vie rurale en Basse-Alsace dans la plaine de Basse-Alsace, Strasbourg, Le Roux, 1953-JUILLARD E., L’Alsace : le sol, les hommes et la vie régionale, ed. des dernières nouvelles, 1963

Sols :

-Les principaux sols de la plaine et des collines du Bas-Rhin, fiche Agri-mieux, aout 2011-LEBRETON-THALER A., Guide des sols d’Alsace – Petite région naturelle n°5 – Collines de Brumath, du Kochersberg et de l’arrière Kochersberg, Région Alsace, 2001

Risques :

-Prefecture du Bas-Rhin, Dossier départementale des risques majeurs du Bas-Rhin, 2011-TIMINA J., BERTIN M., Vulnérabilité du territoire alsacien aux risques naturels dans le contexte du changement climatique : synthèse de l’état des lieux de connaissances

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Coulées d’eau boueuse et érosion des sols :

Ouvrages :-AUZET A.-V., Heitz C., Armand R., Guyonnet J.,Moquet J.-S., Les « coulées de boue » dans le Bas-Rhin : analyse à partir des dossiers de demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, Rapport DREAL, 2005, Institut de Mécanique des Fluides et des Solides, Strasbourg.

-SCHAUB A, BLATZ A., RAPP O. (ARAA), Essais systèmes de culture innovants en Alsace : Mise en place des essais et cam-pagne 2009, Rapport synthétique, septembre 2010

Mémoires/thèses :

-GOETZ MILCENT G., Evaluation de l’efficacité des dispo-sitifs de lutte contre les coulées d’eau boueuse : Etat des lieux, analyses et préconisations, 2012, 78p.-HEITZ C, La perception du risque de coulées boueuses : ana-lyse sociogéographique et apports à l’économie comportemen-tale, thèse de Géographie, novembre 2009-HEITZ C, FLINOIS G, La perception des petits ouvrages de protection contre les coulées d’eau boueuse par les agriculteurs : l’exemple de la fascine (Bas-Rhin, Alsace), Unité mixte de re-cherche Gestion Territoriale de l’Eau et de l’Environnement, n°10, février 2013

Articles de presse :

-BATT M., ALVES F., HUSS R., Lutter contre les coulées d’eau boueuse : responsabilités des différents acteurs, Regards vers l’avenir, 1er semestre 2009, p.16 à 21

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-BATT M., Lutter contre l’érosion et limiter les inondations, Chambre d’agriculture, L’est agricole et viticole, n°39, septembre 2008, p.7-BATT M., BERTHOLLE C., Orages printaniers et moyens de lutte contre l’érosion, Chambre d’agriculture, L’est agricole et viticole, n°21, mai 2010, p.7-FRITSCH B., Une mosaïque de cultures pour lutter contre l’érosion, L’est agricole et viticole, n°39, septembre 2012, p.9-THOMAS F., Alsace : Couvrir le sol pour endiguer les coulées de boue, revue Techniques Culturales Simplifiées, n°29, sept/oct 2004 L’agroécologie en pratique, expériences alsaciennes

Bulletins communaux :

-Grassendorf’s Blattel, n°1 à 20, 1995 à 2014-Ettendorf Infos, n°1 à 19, 2005 à 2014

Sites internet :

-Les documents du dossier « Risques naturels » disponible sur le portail de la préfecture du Bas-Rhinwww.bas-rhin.pref.gouv.fr/medias/fichiers/ -Portail de BRGM Risques en Alsace : www.risques-alsace.fr -Risques majeurs : www.risquesmajeurs.fr-Site de la mairie d’Ettendorf : ettendorf.payszorn.com-Site de la DREAL : www.alsace.developpement-durable.gouv.fr/les-coulees-d-eau-boueuse-a2056.html-Page coulées d’eaux boueuses- chambre d’agriculture : http://www.alsace.chambagri.fr/envinnov/erosion.html-site de l’AREHN : www.arehn.asso.fr

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remerCiements

Merci à Monique Toublanc pour son accompagnement, sa disponibilité et ses conseils,

Merci à M. Patrice Weiss, maire d’Ettendorf, pour le temps qu’il a passé à me raconter sa commune et les documents qu’il m’a remis,

Merci à Michel Batt de m’avoir offert ses témoignages et son regard,

Merci aux agriculteurs que j’ai rencontrés, Gérard, Michel, Remy, Eric, René, Hubert et Cyrille, ainsi que les personnes qui les accompagnaient, leur femme, leur gendre... pour m’avoir accueilli chez eux, offert leurs paroles et consacré leur temps précieux,

Merci à Pauline Frileux pour sa relecture attentive,Merci à ma famille avec laquelle j’ai plaisir à arpenter le ter-

rain et à Steve pour son soutien,Merci à mes camarades de l’ENSP dont Cécile, Matthieu et

Violette pour leurs critiques et leurs encouragements.

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