Notre qualité de vie au - Happy at Work

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Le Matin Dimanche 2 février 2020 2 Suisse L’édito Peur, pas peur? O n a tout bien lu et pourtant on ne sait plus. Mais alors plus du tout. Au contraire, plus on avale d’in- fos sur le coronavirus et plus on se sent l’estomac vide. Laissant une place grandissante à cette petite chose qui semblait n’attendre que ça: la trouille. Galopante, planétaire. Qui sait vraiment? Qui doit-on croire? Qui faut-il suivre? Cette fois-ci est-elle la bonne – si l’on ose dire –, la fameuse épidémie pré- vue par les collapsologues? Celle que la pla- nète déclencherait par esprit de survie, pour élaguer un peu ces humains devenus trop nombreux. Sur ce terrain, le baromètre le plus évident, le premier repère, devrait être l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS. Elle vient de dé- clarer la maladie «urgence sanitaire de por- tée internationale», il convient donc de pren- dre les choses au sérieux. Seulement, quand on se penche sur les critères examinés, on re- lève presque autant de considérations politi- ques, financières ou réputationnelles que sa- nitaires. Le souci de ne pas blesser la Chine, gros contributeur, ou celui de faire oublier les atermoiements de l’organisation à l’épo- que de la pandémie de H1N1 en 2009. Croire les gouverne- ments alors? Pas sûr que cela soit plus fondé. Le pays qui ose- rait, dans les jours qui viennent, ne pas dé- clencher de plan d’ur- gence sera accusé de laisser le danger planer sur ses citoyens. Im- possible à assumer. Restent les médecins, que nous espérons plus à l’abri des considérations politiques. Las, leur honnêteté à admettre qu’ils mécon- naissent le comportement futur du virus est louable, mais peu réconfortante. Même lors- qu’ils analysent les protections sanitaires possibles, ils inquiètent: pour qu’un masque soit efficace et étanche – pour autant qu’il en reste – il faudrait à peu près se le greffer sur la peau et le changer chaque deux ou trois heu- res, facile. Nos sociétés de l’expertise s’accommodent décidément mal du flou. La médecine pré- dictive, la robotisation, la sismologie, des di- zaines d’outils ont créé en même temps un progrès objectif et une illusion de maîtrise. Une sorte de certitude du contrôle qui nous laisse, en cas de panne, encore plus stupé- faits qu’autrefois. Se techniciser, c’est accroî- tre le risque de s’affoler. Par son impact clini- que et ses effets psychologiques, le corona- virus a le potentiel de semer une panique croissante dans les heures qui viennent. Nous allons tous essayer de ne pas mourir de peur, tout en sachant que la seule chose cer- taine est que, si ça vient, ce ne sera pas non plus de rire. À LIRE EN PAGE 12 [email protected] Se technici- ser, c’est accroître le risque de s’affoler Ariane Dayer Rédactrice en chef Notre qualité de vie au bureau peut augmenter de 89% «Il faut une révolution dans les bureaux», assure Alexandre Jost, le fondateur de la Fabrique Spinoza, un «think tank du bon- heur citoyen» basé en France, dont le pré- sident d’honneur est le philosophe du bien vivre Frédéric Lenoir. «Grâce aux neuro- sciences et aux sciences cognitives, on connaît les ingrédients qui sont nécessai- res pour replacer le bonheur au cœur du travail. Nous lançons donc un appel à tou- tes les organisations pour qu’elles se trans- forment ou créent de meilleurs cadres pro- fessionnels, plus proches des salariés. Les collaborateurs en ont vraiment besoin.» Voilà pour le projet imaginé par la Fabri- que Spinoza, qui détaille son programme dans un document de 250 pages, synthéti- sant la recherche scientifique de la der- nière décennie, afin de pousser «les entre- prises et les décideurs à s’emparer du sujet, tant pour le bien-être de leurs salariés, que pour leur croissance économique». Cette révolution du bien-être s’inspire encore d’autres travaux qui sont arrivés à des conclusions similaires, notamment l’enquête Fellowes de 2019, qui a brossé avec Emma un portrait type cauchemar- desque du collaborateur de demain (lire ci- contre). Pour William Higham, qui a piloté cette étude inquiétante, «la santé se dégrade, notamment parce que nous en négligeons certains aspects. Nous devons cesser de nous concentrer sur les salles de sport et les restaurants. Notre environnement pro- fessionnel est l’une des clés du problème. Un espace de travail mal conçu a des réper- cussions importantes sur la productivité, l’implication, l’absentéisme et le chiffre d’affaires.» Un sondage OpinionWay pour CD & B le confirme: les salariés considèrent que leur espace de travail a une influence détermi- nante sur le plaisir de travailler (89%), le stress (79%) et la créativité (74%). Heureusement, ce nouveau mal du siè- cle ne serait pas inéluctable, assure la Fa- brique Spinoza, dont voici quelques-unes des idées phares pour réhabiliter la vie dans les bureaux. «On me dit: sympa, mais on est là pour bosser» ANNIKA MÅNSSON Consultante, coach et fondatrice de la société Happy at Work, basée à Genève Estimez-vous que la Suisse se distingue, quand on parle de bonheur au travail? Non, la Suisse n’est pas en avance sur ces questions. Cela fait quinze ans que je suis consultante, ici comme dans une dou- zaine de pays, et j’observe que de nom- breuses entreprises ont pris des initiati- ves, mais que l’ouverture d’esprit n’y est pas. Encore aujourd’hui, j’entends des re- marques et des questions du genre: An- nika, c’est très sympa, votre truc, mais on n’est pas au bureau pour être happy, on est là pour bosser. La croyance qui postule que «professionnel égale sérieux» reste très forte, et c’est comme si la porte restait un peu fermée quand on parle des émo- tions au travail. Cela reste un sujet très dé- licat à aborder. C’est un problème? Oui, parce que l’être humain fonctionne au partage, aux relations, à l’écoute, à l’empathie et aux émotions positives comme négatives. Quand il faut gérer le stress et la pression, qui augmentent for- tement dans nos sociétés actuelles, il est important de pouvoir en parler. Mais, comme c’est souvent vu comme quelque chose de négatif, comme une faiblesse, on met cet aspect à la porte de l’entreprise et on n’en parle pas. Il y a quelque temps, on a beaucoup parlé de ce nouveau métier de Chief Happiness Officer. Vous qui en formez, pouvez-vous nous confirmer que ce métier se déve- loppe aussi en Suisse? Je reçois plusieurs demandes par semaine pour suivre cette formation. On a choisi de l’appeler ainsi parce que les gens intéres- sés connaissent cette dénomination de Chief Happiness Officer, mais, dans la vraie vie, ces CHO ont beaucoup d’autres noms. Ils peuvent être responsables des Ressources humaines, chef de projet bien- être au travail, people manager, etc. Ce rôle dévolu à une personne qui se met au centre de la toile, et qui s’assure que tout se passe bien au travail, commence sou- vent par un travail à temps partiel. Au dé- but, c’est du 20-30%, et ça progresse. Donc oui, la fonction s’installe par petites gouttes, et pas forcément sous ce nom-là. Mais avant tout, chaque employé et ma- nager devrait être un CHO à son niveau, avec des comportements créateurs de confiance et une posture qui bannit la toxicité dans son cercle d’influence. JOBS Remettre de la nature dans le béton améliore les performances des collaborateurs. C’est l’une des idées au programme de la révolution du bien-être au bureau qui est en marche. JOCELYN ROCHAT [email protected] Si rien ne cha «Le mal-être au travail et nos modes de vie sédentaires ont un impact négatif majeur. Si on ne fait rien à ce sujet, cela va chan- ger notre apparence», prévient William Higham. Ce chercheur britannique a signé un récent rapport intitulé «Collègue du futur», pour la société Fellowes, une multinationale dont le siège est aux États-Unis, et qui est spécialisée dans les solu- tions innovantes pour le lieu de DOS ARTICULATIONS MEMBRES Emma a le dos voûté. Cet état est permanent, et il a été causé par de trop nombreuses heures passées devant un écran, assise dans une mauvaise position. Emma a des poignets et des chevilles enflés, à cause des mouvements trop répétitifs. Elle souffre d’eczéma dû au stress. Emma a des varices, dues à une mauvaise circulation sanguine. La chaleur de l’ordinateur portable provoque des rougeurs sur le haut de ses bras et de ses jambes, en contact régulier avec l’appareil. Fellowes Brand DR

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Le Matin Dimanche2 février 20202 Suisse

L’édito

Peur, pas peur?

On a tout bien lu et pourtant on nesait plus. Mais alors plus du tout.Au contraire, plus on avale d’in-fos sur le coronavirus et plus onse sent l’estomac vide. Laissant

une place grandissante à cette petite chose qui semblait n’attendre que ça: la trouille. Galopante, planétaire.

Qui sait vraiment? Qui doit-on croire? Quifaut-il suivre? Cette fois-ci est-elle la bonne – si l’on ose dire –, la fameuse épidémie pré-vue par les collapsologues? Celle que la pla-nète déclencherait par esprit de survie, pour élaguer un peu ces humains devenus trop nombreux.

Sur ce terrain, le baromètre le plus évident,le premier repère, devrait être l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS. Elle vient de dé-clarer la maladie «urgence sanitaire de por-tée internationale», il convient donc de pren-dre les choses au sérieux. Seulement, quand on se penche sur les critères examinés, on re-lève presque autant de considérations politi-ques, financières ou réputationnelles que sa-nitaires. Le souci de ne pas blesser la Chine, gros contributeur, ou celui de faire oublier les atermoiements de l’organisation à l’épo-que de la pandémie de H1N1 en 2009.

Croire les gouverne-ments alors? Pas sûrque cela soit plusfondé. Le pays qui ose-rait, dans les jours quiviennent, ne pas dé-clencher de plan d’ur-gence sera accusé delaisser le danger planersur ses citoyens. Im-possible à assumer.

Restent les médecins, que nous espérons plus à l’abri des considérations politiques. Las, leur honnêteté à admettre qu’ils mécon-naissent le comportement futur du virus est louable, mais peu réconfortante. Même lors-qu’ils analysent les protections sanitaires possibles, ils inquiètent: pour qu’un masque soit efficace et étanche – pour autant qu’il en reste – il faudrait à peu près se le greffer sur la peau et le changer chaque deux ou trois heu-res, facile.

Nos sociétés de l’expertise s’accommodentdécidément mal du flou. La médecine pré-dictive, la robotisation, la sismologie, des di-zaines d’outils ont créé en même temps un progrès objectif et une illusion de maîtrise. Une sorte de certitude du contrôle qui nous laisse, en cas de panne, encore plus stupé-faits qu’autrefois. Se techniciser, c’est accroî-tre le risque de s’affoler. Par son impact clini-que et ses effets psychologiques, le corona-virus a le potentiel de semer une panique croissante dans les heures qui viennent. Nous allons tous essayer de ne pas mourir de peur, tout en sachant que la seule chose cer-taine est que, si ça vient, ce ne sera pas non plus de rire.À LIRE EN PAGE [email protected]

Se technici-ser, c’estaccroîtrele risquede s’affoler

Ariane DayerRédactriceen chef

Notre qualité de vie au bureau peut augmenterde 89%

«Il faut une révolution dans les bureaux»,assure Alexandre Jost, le fondateur de laFabrique Spinoza, un «think tank du bon-heur citoyen» basé en France, dont le pré-sident d’honneur est le philosophe du bienvivre Frédéric Lenoir. «Grâce aux neuro-sciences et aux sciences cognitives, onconnaît les ingrédients qui sont nécessai-res pour replacer le bonheur au cœur dutravail. Nous lançons donc un appel à tou-tes les organisations pour qu’elles se trans-forment ou créent de meilleurs cadres pro-fessionnels, plus proches des salariés. Lescollaborateurs en ont vraiment besoin.»

Voilà pour le projet imaginé par la Fabri-que Spinoza, qui détaille son programmedans un document de 250 pages, synthéti-sant la recherche scientifique de la der-

nière décennie, afin de pousser «les entre-prises et les décideurs à s’emparer du sujet,tant pour le bien-être de leurs salariés, quepour leur croissance économique».

Cette révolution du bien-être s’inspireencore d’autres travaux qui sont arrivés àdes conclusions similaires, notammentl’enquête Fellowes de 2019, qui a brosséavec Emma un portrait type cauchemar-desque du collaborateur de demain (lire ci-contre).

Pour William Higham, qui a piloté cetteétude inquiétante, «la santé se dégrade,notamment parce que nous en négligeonscertains aspects. Nous devons cesser denous concentrer sur les salles de sport etles restaurants. Notre environnement pro-fessionnel est l’une des clés du problème.Un espace de travail mal conçu a des réper-cussions importantes sur la productivité,l’implication, l’absentéisme et le chiffred’affaires.»

Un sondage OpinionWay pour CD & B leconfirme: les salariés considèrent que leurespace de travail a une influence détermi-nante sur le plaisir de travailler (89%), lestress (79%) et la créativité (74%).

Heureusement, ce nouveau mal du siè-cle ne serait pas inéluctable, assure la Fa-brique Spinoza, dont voici quelques-unesdes idées phares pour réhabiliter la viedans les bureaux.

«On me dit: sympa, mais on est là pour bosser»

ANNIKA MÅNSSONConsultante, coach et fondatrice de la société Happy at Work, basée à Genève

Estimez-vous que la Suisse se distingue, quand on parle de bonheur au travail?Non, la Suisse n’est pas en avance sur ces questions. Cela fait quinze ans que je suis consultante, ici comme dans une dou-zaine de pays, et j’observe que de nom-breuses entreprises ont pris des initiati-ves, mais que l’ouverture d’esprit n’y est pas. Encore aujourd’hui, j’entends des re-marques et des questions du genre: An-nika, c’est très sympa, votre truc, mais on n’est pas au bureau pour être happy, on est là pour bosser. La croyance qui postule que «professionnel égale sérieux» reste très forte, et c’est comme si la porte restait un peu fermée quand on parle des émo-tions au travail. Cela reste un sujet très dé-licat à aborder.

C’est un problème?Oui, parce que l’être humain fonctionne au partage, aux relations, à l’écoute, à l’empathie et aux émotions positives

comme négatives. Quand il faut gérer le stress et la pression, qui augmentent for-tement dans nos sociétés actuelles, il est important de pouvoir en parler. Mais, comme c’est souvent vu comme quelque chose de négatif, comme une faiblesse, on met cet aspect à la porte de l’entreprise et on n’en parle pas.

Il y a quelque temps, on a beaucoup parlé de ce nouveau métier de Chief Happiness Officer. Vous qui en formez, pouvez-vous nous confirmer que ce métier se déve-loppe aussi en Suisse?Je reçois plusieurs demandes par semaine pour suivre cette formation. On a choisi de l’appeler ainsi parce que les gens intéres-sés connaissent cette dénomination de Chief Happiness Officer, mais, dans la vraie vie, ces CHO ont beaucoup d’autres noms. Ils peuvent être responsables des Ressources humaines, chef de projet bien-être au travail, people manager, etc. Ce rôle dévolu à une personne qui se met au centre de la toile, et qui s’assure que tout se passe bien au travail, commence sou-vent par un travail à temps partiel. Au dé-but, c’est du 20-30%, et ça progresse. Donc oui, la fonction s’installe par petites gouttes, et pas forcément sous ce nom-là. Mais avant tout, chaque employé et ma-nager devrait être un CHO à son niveau, avec des comportements créateurs de confiance et une posture qui bannit la toxicité dans son cercle d’influence.

JOBS Remettre de la nature dans le béton améliore les performances des collaborateurs. C’est l’une des idées au programme de la révolution du bien-être au bureau qui est en marche.

JOCELYN [email protected]

Si rien ne cha nge, nous allons ressembler à Emma«Le mal-être au travail et nos modes de vie sédentaires ont un impact négatif majeur. Si on ne fait rien à ce sujet, cela va chan-ger notre apparence», prévient William Higham. Ce chercheur britannique a signé un récent rapport intitulé «Collègue du futur», pour la société Fellowes, une multinationale dont le siège est aux États-Unis, et qui est spécialisée dans les solu-tions innovantes pour le lieu de

DOS

ARTICULATIONS

MEMBRES

Emma a le dos voûté. Cet état est permanent, et il a été causé par de trop nombreuses heures passées devant un écran, assise dans une mauvaise position.

Emma a des poignets et des chevilles enflés, à cause des mouvements trop répétitifs. Elle souffre d’eczéma dû au stress.

Emma a des varices, dues à une mauvaise circulation sanguine. La chaleur de l’ordinateur portable provoque des rougeurs sur le haut de ses bras et de ses jambes, en contact régulier avec l’appareil.

Fellowes Brand

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Le Matin Dimanche2 février 2020 Suisse 3

De l’air, de l’airPour commencer, il faut réinté-grer le corps, ce grand oublié de

l’espace de travail, dans notreconception du bureau. Car nos besoinsphysiologiques, comme la température,n’y seraient pas assurés. Une étude a établique c’est entre 21 et 22 °C que les équipesse sentent le mieux et ont, de surcroît, uneproductivité maximale. Et pourtant, plu-sieurs sondages récents et concordantsmontrent qu’une bonne moitié des colla-borateurs (51%) se plaint de la températureou de la climatisation au bureau.

Après la température, c’est la qualité del’air qui pose problème. D’autres étudesont établi que la combinaison de polluantsintérieurs (produits chimiques, ozone pro-duit par les imprimantes et les photoco-pieuses, particules fines mais aussi moisis-sures diverses) ajoutée à une ventilationinsuffisante est nocive pour les humains etentraîne une diminution des performan-ces. Il est donc recommandé de pouvoir ré-gulièrement aérer les espaces de travail, cequi n’est pas toujours le cas.

Enfin, nous devrions penser à bougerplus, même au bureau. «La première ma-nière de prendre soin de son corps, c’est dese lever de son siège», rappelle la FabriqueSpinoza. Mais, à l’ère numérique, on nemarche plus pour aller chercher un dos-sier. À la place, il faudrait se lever au mini-mum 5 minutes toutes les demi-heures. Etpeut-être, selon la technique du «nudge»(le coup de pouce), repeindre les escaliersavec des messages inspirants, des habilla-ges artistiques ou un décompte de calories,pour inviter les collaborateurs à l’exercicephysique.

Améliorer la concentration à l’ère numérique

Plusieurs études ont montré àquel point les outils technologiques au bu-reau ont fragmenté le travail. L’une d’entreelles a calculé que les employés perdent enmoyenne deux jours par année à cause desréunions qui débutent en retard, le plussouvent à cause de problèmes techniquesou de connexion, notamment liées auxadaptateurs. Une autre étude neurologi-que a calculé que nous avons besoin de23 minutes et 15 secondes pour retrouverune concentration maximale après avoirété interrompus dans une activité.

On comprend que les recettes se multi-plient pour limiter les effets négatifs dunumérique sur l’attention des collabora-teurs. De son côté, la Fabrique Spinoza rap-pelle les bienfaits d’une sieste (un micro-sommeil de 15-20 minutes permettrait ungain de productivité de 30%) ou encored’un moment de méditation, pour luttercontre la fatigue cérébrale.

Le rapport contient encore un catalogued’astuces, comme l’oreiller de bureau quipermet de dormir n’importe où, mais en-core l’application ludique Forest, qui in-vite à planter une graine virtuelle dans sontéléphone portable quand on a besoin derester concentré sur une tâche. La graine setransforme en arbre au bout de 30 minu-tes, sauf si l’on quitte l’application pourfaire autre chose avec son téléphone. Dansce cas, l’arbre sèche aussitôt.

Dans un autre genre, il y a les boules decouleur que l’on pose près d’un poste detravail. On allume la lumière rouge quandon est occupé à une tâche nécessitant uneforte concentration, et une verte quand onpeut être interrompu.

Remettre de lanature et de l’artLa révolution des bureaux prô-

née par la Fabrique Spinoza seraencore verte et artistique. Il faut reprendreles espaces de travail des mains des tech-nocrates qui ont imaginé ces espaces fonc-tionnels, souvent blancs et froids, inter-changeables et sans âme. Et il faut se re-connecter avec la nature et le beau. Enajoutant des plantes et des œuvres d’artaux murs. Une révolution à la Souchon, oùil s’agit de «changer les choses avec desbouquets de roses, et de changer les hom-mes avec des géraniums».

«La nature est essentielle, et elle est bé-néfique dans l’espace de travail, assureAlexandre Jost. C’est la biophilie qui le dé-montre. Cette discipline, de bio (la vie) etphile (le fait d’aimer), étudie les modes parlesquels le vivant est vertueux. Elle a mon-tré que la nature comme l’art nous font du

bien. Pratiquement, deux manières sontpossibles. On peut végétaliser des espacesau sein de l’entreprise, ou passer par l’imi-tation de la nature. Parfois, un poster géantsuffit, le cerveau ne fait pas la différence»,déclare Alexandre Jost.

Les effets de la présence de plantes oud’œuvres d’art ont été mesurés durant unedouzaine d’années par un chercheur an-glais, le Dr Craig Knight, de l’Universitéd’Exeter. Il assure que leur présence per-met une diminution de 17 à 32% du nom-bre d’erreurs commises par les salariésdans des tâches répétitives.

Réveiller les 5 sensau bureauL’approche sensorielle de l’es-

pace a déjà investi les centrescommerciaux et les maisons de retraite,elle devrait envahir les espaces de travail,recommande la Fabrique Spinoza. La sti-mulation de nos cinq sens au bureau a ététestée sur différentes équipes dans unesalle neutre (table blanche, éclairage ho-mogène) et dans une salle sensorielle (ta-ble en bois, bibliothèque parfumée au cè-dre, plantes, lumière bleue, et étagèrescouvertes de nourriture). L’expérience arévélé que le design avait un impact cer-tain, mais qui varie selon l’activité réalisée.Les salles sensorielles permettent unemeilleure concentration pour un travail in-dividuel, mais ont un impact moindre surle travail collaboratif. Dans les bureaux dedemain, il faudra donc offrir aux collabora-teurs des choix d’environnements diffé-rents selon les tâches à accomplir.

Pour éveiller les sens, il faut encore fairela chasse aux murs blancs, qui ne sont pasinspirants, et oser la couleur dans les bu-reaux. Une enquête sur le design des cou-leurs montre que les collaborateurs sontplus créatifs dans un environnement chro-matique bleu. Que le rose a un effet eupho-risant, et que le vert favorise la tranquillité.

Après la vue, l’ouïe. 70% des travailleursdu cerveau se plaignent de leur environne-ment sonore. «Le bruit est la première nui-sance dans l’open space», relève la Fabri-que Spinoza. Là encore, le think tank évo-que un certain nombre de solutions et as-tuces, comme le casque qui a été élaboréchez Panasonic pour favoriser la concen-tration en open space, en bénéficiant detechnologies antibruit, et d’une visière fa-çon œillères de cheval qui limite les stimuliexternes, sonores comme visuels.

Des animaux au travail«Comme les plantes, les ani-

maux ont un impact extrême-ment positif sur notre santé mentale etphysique, ainsi que sur notre bien-être. Ilspeuvent devenir un facteur de bonne am-biance, et détendre l’atmosphère. Ils aug-mentent les échanges entre collabora-teurs», relève Alexandre Jost. Plusieurs en-treprises, comme Facebook, Samsung,Amazon ou Google, ont tenté l’expérience,le plus souvent avec des chiens, même si àTokyo la firme informatique Ferray a laisséneuf chats déambuler librement dans lesbureaux.

Il existe encore aux États-Unis une jour-née intitulée «Amenez votre chien au tra-vail», le 24 juin. Et la société Purina a lancéun programme intitulé «Pets at work»,pour promouvoir la présence des animauxsur le lieu de travail. Un impératif à la réus-site de ce projet: les animaux doivent êtreparfaitement socialisés et propres.

Et demain?Toutes ces pistes laissent imaginer un bu-reau du futur qui sera sensiblement diffé-rent de ceux que nous occupons actuelle-ment. «On est allé trop loin avec l’openspace, estime Alexandre Jost. On a oubliéles besoins de concentration et de refuges.Le bureau de demain réintroduira large-ment des espaces calmes, voire de repos,et fera aussi une belle place à la nature et àl’art, parce que ça nous fait du bien, et sur-tout, ces espaces seront coconstruits avecles collaborateurs qui auront été préalable-ment sollicités pour faire valoir leurs be-soins.» Là encore, des études montrentque le bien-être augmente quand on asso-cie le personnel aux changements. Ça sem-ble trop beau pour être vrai. Mais ça donneenvie d’y croire, à ce rêve qui veut changerles bureaux avec des coquelicots.

Si rien ne cha nge, nous allons ressembler à Emmatravail, la maison et la technolo-gie mobile.

Afin d’illustrer les conclu-sions de son enquête, réalisée sur un échantillon de 3003 per-sonnes en France, en Allemagneet au Royaume-Uni, William Hi-gham a fait façonner un manne-quin grandeur nature qui a été baptisé Emma. La malheureuse montre ce à quoi nous pour-rions ressembler dans les vingt prochaines années si nous ne

changeons pas notre façon de travailler. Emma est notam-ment victime de ce que les ex-perts appellent «le syndrome du bâtiment malsain», qui est caractérisé par une mauvaise climatisation, le manque d’air frais et de lumière naturelle, sans oublier le mélange toxique de polluants, de bactéries dan-gereuses et de moisissures en tous genres qu’elle respire en permanence au bureau.

«Si nous ne faisons rien, pro-nostique William Higham, nous allons avoir des problèmes à nosplaces de travail aussi graves qu’à l’époque de la révolution industrielle.» Mais voilà: si l’on en croit l’étude Fellowes, 54% des employés qui ont demandé un changement de leurs condi-tions de travail attendent en-core que le problème soit traité, et 15% estiment que leur plainte n’a pas été prise au sérieux.

VISAGE

NEZ

VENTRE

L’attention qu’Emma consacre à son écran d’ordinateur lui donne des yeux secs et rouges. Son teint est jaunâtre à cause de l’éclairage artificiel.

Emma présente une pilosité accrue dans les oreilles et le nez ainsi qu’un nez gonflé, en raison de la mauvaise qualité de l’air, sec et pollué, qu’elle respire plus de huit heures par jour.

Emma a un ventre bedonnant, à cause de son travail très largement sédentaire. La numérisation a accéléré le déclin des activités physiques au travail, et ça se voit.