Journal de la Société desocéanistes

Notice historique du Musée Gauguin de Tahiti suivie de quelqueslettres inédites de Paul GauguinGilles Artur

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Artur Gilles. Notice historique du Musée Gauguin de Tahiti suivie de quelques lettres inédites de Paul Gauguin. In:

Journal de la Société des océanistes, n°74-75, tome 38, 1982. Hommage au R. P. Patrick O'Reilly. pp. 7-17.

doi : 10.3406/jso.1982.2492

http://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_1982_num_38_74_2492

Document généré le 16/10/2015

Notice historique du Musée Gauguin de

Tahiti suivie de quelques lettres inédites de

Paul Gauguin.

par

Gilles ARTUR*

Papeari, Motu Ovini. Mardi 15 juin 1965, 16 heures précises. M. le gouverneur Jean Sicurani, chef du Territoire de la Polynésie française, prend place devant un public de 4 à 500 personnes pour présider au nom du Gouvernement français l'inauguration du Musée Gauguin. A ses côtés, M. le Député de la Polynésie, John Teariki, et Monsieur le Professeur Roger Heim, membre de l'Institut, Directeur du Muséum d'Histoire Naturelle et Président de la Fondation Singer-Polignac. Une importante délégation de la Fondation a effectué le voyage de Paris. Elle comprend notamment : M. le Professeur Robert Courrier, Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, M. Jean Hourticq, Président de section au Conseil d'Etat, et M. le Prince Louis de Polignac.

Parmi les invités à cette cérémonie accourus de Papeete et de tous les districts de Tahiti, debout à quelques mètres des officiels, discret, attentif, un homme plus que tout autre a quelque raison d'éprouver une joie et une émotion intenses. Chasseur impénitent de documents historiques, témoin vigilant, il nous a laissé une description de cette soirée exceptionnelle :

"Après les discours, le Gouverneur qui avait été accueilli par le chœur du district de Hitiaa, coupa les trois guirlandes de fleurs de tiare qui empêchaient l'entrée du Musée... Les invités avaient revêtu pour la circonstance les longues robes traditionnelles dont les coloris vifs, les soies mauves, puces ou noires, ornées de bandes de velours et de dentelles assorties, faisaient revivre toute une époque, l'époque de Gauguin. Et l'on cherchait presque du regard la silhouette massive de la Reine Marau, la dernière reine de Tahiti, qui portait ses robes avec une si extraordinaire dignité...

"La soirée était d'une extrême douceur. Sur le lagon proche, nuancé à l'infini par les derniers feux du couchant, des pirogues évoluaient en silence. Sur le podium du Musée, un intermède de danses et de chants fut présenté, dont les rythmes et la perfection enchantèrent la foule. Vers la fin, des danseuses apparurent, porteuses de torches,

* Conservateur du Musée Gauguin de Tahiti

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pour les ballets de flammes. La nuit était venue : une nuit d'une parfaite sérénité ; la nuit idéale des mers du Sud.

Alors que la lune montait sur l'horizon, un spectacle "son et lumière" commença dans la cour. Il fut une évocation de la vie de Gauguin qui se retrouvait ainsi sur cette terre d'élection qu'il avait tant aimée et qui, ce soir, assurait à l'errant inquiet des rivages polynésiens la maison solidement bâtie qui serait désormais la sienne".

Ce témoin poétique est aussi le "poète d'une belle idée". Ainsi l'a nommé le Gouverneur Sicurani avant de le décorer de la médaille de chevalier de l'ordre des Arts et Lettres. Cette soirée est pour lui le couronnement de plus de cinq années d'efforts. En témoignent les paroles que prononce en cette occasion M. le Professeur Roger Heim : "La Fondation remercie avec un double sentiment, de reconnaissance et d'admiration, celui qui fut à la fois l'initiateur et le constant inspirateur de cette réalisation, le R.P. O'Reilly, qui jeta la semence et la fit fructifier. Sans lui le Musée ne serait sans doute pas encore dans son germe. Sa pensée obstinée a conquis successivement le Président, le Conseil de la Fondation, son Contrôleur financier - ce qui était fort important - et les étapes difficiles de la détection et du rassemblement des objets. Il a fallu une perspicacité rare, une compétence exceptionnelle, une insistance exemplaire pour mettre à la disposition de l'entreprise les richesses réunies ici. Depuis le petit croquis colorié que votre imagination et votre témérité avaient dessiné, il y a peu d'années, mon Père, comme un phantasme de rêve, le chemin était long. Mais il a été rapidement franchi. Nous réalisons ce que peut être en ce jour la satisfaction profonde que cet achèvement et cette réussite vous procurent. Vous l'avez bien méritée, l'intensité de cette joie !"

Hommage est aussi rendu au Père O'Reilly dans le discours en tahitien prononcé par M. Martial Iorss :" E tia'toa hoi iaù ia faahiti taaè atu i te ioa o te Père O'Reilly i roto i teie mau arueraa i te mea e o ona mau te tahuà rahi i teie oroa. Auaa to'na itoito', to'na paari, e to'na here i to tatou fenua o Tahiti. E mauruuru atoa ia oe O'Reilly tane.

(Je me dois aussi de vous signaler le nom du R.P. O'Reilly pour l'associer à nos louanges, car il a été le grand organisateur de cette fête. Rendons grâce à son courage, à sa sagesse, et à son amour de notre pays, Tahiti. Merci à vous Père O'Reilly ).

Que de réticences vaincues, que d'obstacles franchis depuis la naissance en 1959 d'un projet de Musée Gauguin ou plutôt d'une "case atelier" comme elle est nommée sur le croquis d'origine, "à établir sur un terrain plat au bord de mer ; sol surélevé légèrement, deux marches ; construction en dur 16 m 30 sur 7 m 70, avec un habillage en matériau indigène : toit de chaume, murs en bambou tressé, avec poteaux de bois apparents etc.."

Pour mesurer le chemin parcouru précisons qu'en ce 15 juin 1965 ce ne sont plus les 125 mètres carrés de la case atelier que les invités de la Fondation Singer-Polignac ont la joie de découvrir, mais 600 mètres carrés de salles d'exposition où sont rassemblés près d'un millier de documents, photographies, reproductions de tableaux de sculptures, de dessins, objets divers allant du menhir breton ou de l'harmonium de la Maison du Jouir aux coiffes de Pont-Aven ou au morceau de béret vert porté par Gauguin aux îles Marquises.

Mais le Père O'Reilly n'attache pas la plus grande importance aux éloges et aux médailles. Avant tout, le Père est alors intrigué de savoir de quel pouvoir est chargée son œuvre. Dans l'immédiat quelle fréquentation connaîtra le Musée. A plus long terme pourra-t-il devenir un lieu d'activités culturelles, un centre d'étude et de documentation sur Gauguin et la peinture, l'aimant qui attirera un jour une ou plusieurs œuvres originales du Maître. Un rapide survol des quinzes premières années d'existence du Musée nous apporte quelques éléments de réponse.

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Le nombre des visiteurs payants est passé de 13. 500 en 1965 à 55. 500 €n 1979. La liste des personnalités de toutes sortes françaises et étrangères qui se sont attardées au Musée est beaucoup trop longue pour être citée. Contentons-nous de mentionner la visite en 1966 de deux chefs d'Etats, le Général de Gaulle et le Président de la République italienne Giuseppe Saragat.

Pendant cette période de temps près d'une cinquantaine de manifestations ont attiré un nombreux public local. Nous relevons 14 concerts donnés par des musiciens de renommée internationale ( Quatuor Lôwenguth, Orchestre de chambre de Jean- François Paillard, Ensemble de musique ancienne Ars Antiqua, Dominique et Patrice Fontanarosa, Oscar Ghiglia, Louis Kaufman, Ronald Woodcock, Roman Ridnitsky, Bernard Ringeissen etc. ). Sept conférences avec notamment les écrivains René de Obaldia, Roger Garaudy, Emmanuel Roblès. Quatre spectacles dont une soirée théâtrale et enfin une vingtaine d'expositions : 3 expositions historiques ( Bougainville, la Reine Marau... ) 2 expositions consacrées à des écrivains ( Victor Segalen, James Norman Hall ) et une dizaine d'expositions d'artistes européens, américains ou asiatiques dont l'œuvre est étrangère au Territoire. Parmi les autres expositions notons le vif succès obtenu en 1977 par les aquarelles de Constance Gordon Cumming peintes à Tahiti et à Mooréa il y a un siècle, et en 1978 par la présentation de 60 œuvres de Charles- Alfred Le Moine qui vécut en Polynésie de 1902 à 1918. Ces deux expositions ainsi que celle célébrant en 1972 la publication par la Princesse Takau des mémoires de la Reine Marau, eussent été impossibles sans les conseils et le concours actif du Père O'Reilly.

Quelques esprits chagrins épris de sémantique ont bien sûr reproché au Révérend Père O'Reilly d'avoir préféré le nom de "musée" à celui de "mémorial". Mais le Père indiquait une route à suivre. Son vœu secret était que son mémorial devînt un jour le musée de peinture de Tahiti. En 1967 lors d'une exposition consacrée à une vingtaine de peintres de Tahiti, la peinture fait une timide apparition dans le sanctuaire dont l'existence même va permettre à la Fondation Singer-Polignac d'encourager dons ou prêts d' œuvres d'art. En 1968 l'événement est le retour pour la première fois à Tahiti d'une œuvre de Gauguin près d'un demi-siècle après que le dernier tableau eût quitté le Territoire. "Vairumati", tel est son nom, l'épouse du dieu Oro, débarque à Tahiti par la voie des airs comme il sied à une divinité. Elle séjourne douze jours au Musée dans la salle au bord du lagon, soignée, protégée, admirée, encensée comme une véritable déesse, puis regagne sa résidence parisienne du Musée du Jeu de Paume. L'intérêt soulevé par ce prêt est encourageant et incite la Fondation à accepter le don d'une vingtaine; d'œuvres contemporaines que lui propose Madame Henri Bing. Des œuvres d'artistes connus dans le monde entier : Modigliani, Robert Delaunay, Sonia Delaunay, Atlan, Poliakoff, Lanskoy, Debré, Piaubert, Buffet... La seule condition de cette donation est la construction d'une salle d'exposition appelée "Salle Henri Bing" en mémoire du célèbre marchand de tableaux époux de la donatrice. Cette salle inaugurée officiellement en mai 1976 par Monsieur Marc Barbet, Président de section au Conseil d'Etat et Secrétaire général de la Fondation Singer-Polignac est équipé de moyens modernes de protection et de contrôle de température et d'humidité.

En 1979, 23 œuvres originales de Gauguin sont exposées en permanence dans la salle Henri Bing. En voici la liste : - Une huile sur toile datée de 1883 et signée P. Gauguin représentant les deux enfants de l'artiste, Clovis et Aline, acquise en 1979 par un ami du Musée. - Une huile sur toile exécutée vers 1884, appelée "Les Enfants dans la Rue", prêtée par Forbes Magazine le célèbre mensuel économique new-yorkais. Monsieur Malcom Forbes a précisé en déposant ce tableau au Musée en octobre 1976 qu'il voulait que jusqu'à la "fin de sa vie" ce tableau demeurât exposé à Papeari. - Une huile sur toile de Tahiti intitulée "Le Rêve", signée PGO et datée 92, acquise en 1975 par Monsieur Paul Yeou Chichong pour être mise en dépôt au Musée. Ancienne

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collection Vollard. ( Hormis Vairumati trois autres tableaux de Gauguin ont été exposés au Musée : "Te Bourao" et "Cavalier devant la case" pendant huit mois en 1976 ; "Vache accroupie", une toile bretonne, pendant trois mois en 1979 )• - Quatre cuillères sculptées. Trois sont la propriété de la fondation Singer-Polignac et proviennent de l'ancienne collection de Madame Hue de Monfreid. La quatrième est prêtée par un ami du Musée. - Un plat ou "Umete" ( 90 cm de long ) sculpté et peint par Gauguin pendant son premier séjour à Tahiti. Ancienne collection Georges-Daniel de Monfreid. - "Soyez Mystérieuses", un des cinq bois sculptés et peints qui ornaient l'entrée de l'atelier de la "Maison du Jouir" à Atuona aux îles Marquises. Ce bois a été acquis en 1978 par un ami du Musée. Les quatre, autres pièces acquises par Victor Segalen à la vente des biens de Gauguin en septembre 1903 à Papeete ont été vendues en 1953 au Musée du Louvre et sont maintenant exposées au Musée du Jeu de Paume. - Onze aquarelles. Ce sont les onze menus de Gauguin exposés pour la première fois en 1949 à l'Orangerie pour "l'exposition du Centenaire". Ils ont été l'objet d'une édition à tirage limité en 1950 à Genève avec une présentation de Robert Rey. Ces aquarelles sopt prêtées au Musée Gauguin par Simone et Jacques Martin. - Une gravure "Te Atua", propriété de la Société des Etudes Océaniennes. - Une gravure "Intérieur de Case", exemplaire N° 17, prêtée par un ami du Musée. Ancienne collection du peintre ami de Gauguin O'Connor. - Une eau-forte, le portrait de Stéphane Mallarmé, prêtée par un ami du Musée. Ancienne collection Victor Segalen. Il s'agit de l'exemplaire que Gauguin avait conservé en sa possession jusqu'au moment de sa mort.

Parallèlement, pendant ces quinze années, la bibliothèque du Musée ne cesse de s'enrichir au point de devenir dans le monde l'un des tous premiers centres de documentation sur Gauguin vers lequel tous les spécialistes sont amenés à se tourner. Dans ce domaine la contribution du Père O'Reilly est considérable. Aucun chercheur, aucun historien, aucun critique d'art ou exégète de l'œuvre et des écrits de Gauguin n'a de manière aussi spontanée et désintéressée ouvert au Musée la totalité de ses archives. De quelle pièce rare ou inédite que son flair et son obstination lui ont permis de débusquer, ne nous a-t-il adressé une photocopie ou parfois l'original ! Encore aujourd'hui, à peine un nouvel écrit, un nouveau document sort-il de l'ombre et tombe entre les mains du Père que le Musée en reçoit le double la semaine suivante. Paraît-il une lettre inconnue du peintre dans le modeste bulletin d'une quelconque société savante de province que la revue atterrit par le premier courrier sur le bureau du conservateur de Motu Ovini. En exemple de cette générosité nous ne pouvons nous retenir de citer le témoignage de Richard Field, un des plus éminents spécialistes de Gauguin :

"Mon Père, I could not thank you enough for all the help you have been to me. The open friendship you have shown and the willingness to share what you know and have has been overwhelming. Would I be wrong to attribute your generosity, at least in part, to the altruism and selfless concern with others wich is a result of your calling, the priesthood ? I hope that what I have said does not offend you ; it is the only way in which I can tell you of the warmth that I have felt coming from you..."0)

Parmi les documents les plus importants obtenus grâce au concours du Père O'Reilly citons : - En 1968 acquisition de 17 lettres originales pour la plupart inédites de Mette Gauguin à Emile Schuffenecker.

(1) - "Je ne pourrais assez vous remercier pour toute l'aide que vous m'avez apportée. Votre amitié sans détour, votre volonté de partager vos connaissances et de m 'ouvrir vos archives ont dépassé tout ce que j'espé-

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- En 1969 acquisition de toutes les archives de Jean Loize concernant Gauguin, archives conservées au Musée que plusieurs spécialistes du peintre ont pu consulter avec profit.

- En 1970 acquisition de l'exemplaire numéroté V et VI de l'édition photographique des lettres de Gauguin à Georges-Daniel de Monfreid. - En 1979, le Père O'Reilly est le premier à nous signaler la mise en vente du premier manuscrit de Noa Noa. Cette célérité nous accorde juste le temps d'en faire faire l'acquisition par un ami du Musée. - Entre 1970 et 1980 12 lettres originales du maître prennent ou reprennent le chemin de Tahiti. Plusieurs d'entre elles sont en partie ou en totalité inédites. La publication de cette brochure en hommage au Père O'Reilly est l'occasion de les porter à la connaissance du public. On en trouvera ci-dessous le texte.

Lettre non datée (1881) 1 page 1/2 in. 8. N° 36 du catalogue de la vente des archives de Camille Pissarro, 21/11/75. Collection privée, Tahiti.

Cher Pissarro,

Nous venons d'arrêter un local Bd. des Capucines à la maison de Old England, l'appartement est peut-être un peu petit mais bien éclairé et surtout très bien situé. Portier s'occupe en ce moment de faire marcher rapidement Belloin afin d'arriver tout prêts avec nos tableaux pour le 12 avril. J'oubliais de vous dire que le prix est de 2600. C'est à dire un prix très raisonnable. Il serait peut-être bon de vous voir ces temps-ci afin de vous prêter à l'organisation de cette exposition à laquelle vous êtes un des premiers intéressés. Degas avec qui je suis en ce moment me charge de vous dire qu'il vous charge à titre d'ami de Caillebotte de le prévenir que notre exposition est toute prête : par conséquent la porte est ouverte, il reste donc à savoir s'il veut comme par le passé exposer avec nous. Il est bien entendu que tout cela sera dit comme s'il n'y avait rien eu de discordant à ce sujet ; vous avez du reste tout le tact nécessaire pour pareille démarche.

Gautier m'a envoyé hier le tableau en question avec une lettre aussi extraordinaire que possible.

Tout à vous Je vous serre la main

Paul GAUGUIN

rais. Aurai-je tort d'attribuer votre générosité en partie du moins à votre altruisme, au désintéressement qui sont un effet de votre vocation, de votre état sacerdotal ? J'espère en parlant ainsi ne pas vous offenser. C'est la seule façon dont je puisse exprimer combien j'ai été sensible à tant de chaleureuse attention de votre part...".

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Lettre non datée, 2 pages in. 8. à propos du livre de Huysmans. L'Art Moderne paru en 1883. N° 50 du catalogue de la vente des archives de Camille Pissarro, 21/1 1/75. Collection privée, Tahiti.

Mon cher Pissarro,

J'enverrai demain le livre d'Huysmans à votre fils. Je viens de le parcourir grosso modo et j'avoue que c'est une désillusion. C'est premièrement une critique et non une discussion artistique avec des arguments à l'appui. Et avec cela il se trompe d'un bout à l'autre et met en avant les impressionistes sans comprendre du tout en quoi ils sont modernes. Il le prend du côté de la littérature, aussi il ne voit que par Degas, Raffaeli, Bartholomé et Cie. parce que ceux-ci font la figure ; au fond c'est le naturalisme qui le flatte.

Il n'a pas compris une seule minute Manet et vous qu'il cite il ne vous comprend pas. Sur Bastien Lepage il a raison, il est vrai qu'il est plus facile à comprendre. Je suis encore tout bleu du coup d'encensoir qu'il me jette à travers la figure et malgré le côté flatteur je vois qu'il n'est séduit que par la littérature de ma femme nue et non par le côté peintre. Nous sommes loin d'un livre qui écrive l'art impressioniste, que ne suis-je littérateur j'aimerais à le faire, il y à là quelque chose à faire.

Avec Caillebotte il dit des bêtises énormes en prétendant que celui-ci a les reins plus forts que Manet.

C'est Degas qui va rire en lisant cela. Nous en causerons longuement la prochaine fois. Je crois que je vais faire vendre quelques Guillaumin à des individus de la Bourse.

A Bientôt

Paul GAUGUIN

II paraît que mes études d'enfant rappellent Pantazis peintre grec qui expose à Bruxelles. Le connaissez-vous moi pas.

Et Guillaumin qui l'effraye.

Lettre de 2 pages 3/4 in.8 n° 56 du catalogue de la vente des archives de Camille Pissarro, 21/11/75 - Collection privée, Tahiti -

Mon cher Pissarro,

Oui vous aviez oublié de me donner votre adresse ; il me semble que depuis quelque temps vous voyagez un peu dans les nuages, c'est peut-être l'influence des temps gris dans lesquels vous vous plaisez. J'ai ri ce matin en lisant dans votre lettre le passage relatif à la foule amassée devant le peintre qui étale ses gobelets sur le quai comme le ferait un simple prestidigitateur.

Evidemment on doit être très gêné. Mais aussi pourquoi diable ne pas demander l'hospitalité à un navire et s'installer sur le pont, ou bien louer une barque que vous feriez mouiller à l'endroit choisi ? Je crois me rappeler que vous n'aimez pas être dans cet engin glissant. Vous ne me dîtes pas quand vous serez de retour. Je n'ai pas de place en vue, partout on me répond invariablement que les affaires ne vont pas et qu'il y a

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plutôt lieu de renvoyer des employés que d'en prendre des nouveaux. Aussi à panir de ce moment je vais m'achamer à bassiner les marchands. Si cela ne réussit pas tout de suite j'en recueillerai toujours les fruits dans six mois dans un an etc.. Il faut pour cela que vous m'y aidiez en imposant l'autorité de votre jugement. Si on n'y fait pas attention la première fois la deuxième on écoute et la troisième on est à moitié convaincu. C'est pourquoi je voudrais que Murer en parlât vigoureusement à Legrand en lui faisant sentir qu'au point de vue de spéculation il faut s'y prendre d'avance, sinon il sera trop tard. C'est bien sonner la grosse caisse mais aujourd'hui c'est partout comme cela. Du reste je suis sûr que le marchand qui m'entreprendrait n'y perdrait pas parce qu'ayant mon temps libre je veux travailler jour et nuit prendre le taureau par les cornes avec énergie et vous savez si j'ai de la force active de résistance. Une fois que M. Murer aura commencé l'attaque nous irons ensemble chez Legrand afin que si le mur a une petite brèche nous puissions y faire un trou.

Je me trouve mon cher Pissarro dans une certaine impasse en ce moment ; l'amour de mon art me tracasse trop la tête pour que je sois un bon employé dans les affaires ou il ne faut pas un rêveur et d'un autre côté j'ai une famille trop nombreuse et une femme incapable dans la misère. Je ne puis donc me lancer dans la peinture qu'avec une certitude derrière moi du demi-nécessaire. En un mot il faut à toute force que je trouve mon existence dans la peinture. Je compte sur vous et à votre retour je vous prie de me consacrer quelque temps pour m'aider dans ce que je veux faire.

Je prendrai de Bertaux les 800 F mais vous savez que je n'ai pas besoin de cet argent d'ici six mois ; Si donc vous en aviez besoin il serait toujours à votre disposition.

Allons bon courage dans vos études maritimes. Tout à vous

Paul GAUGUIN

Lettre non datée, postée à Moëlan, Finistère, le 17 août 1890, une page 1/3 in.8. Collection Fondation Singer-Polignac, Musée Gauguin, Tahiti.

Mon cher Schuff,

Merci de votre lettre et de son contenu ; elle est plus rapide que celle de Fauché. Je vous préviendrai aussitôt qu'elle arrivera. Je vous demande pardon de forcer un peu la note de l'amitié, mais vous savez les hommes d'action n'hésitent jamais quand ils veulent. D'ici peu du reste si Charlopin casque ou même s'il ne casque pas j'arriverai bien à ne plus être embarrassé pour des vétilles. Quoique cela je vous remercie. Il est vrai que si je voulais taper sur de Haan je pourrais le faire. Mais j'ai mes raisons pour attendre de ce côté et je ne veux pas faire les choses autrement qu'à son temps.

Cordialement TAV

Paul GAUGUIN

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Lettre non datée, postée à Moëlan, Finistère, le 22 juillet 1890. Une page 1/3 in.8. Collection Fondation Singer-Polignac, Musée Gauguin, Tahiti.

Mon cher Schuff,

En recevant ma dépêche vous avez dû être bien étonné. J'ai reçu les gouges le lendemain des limes alors j'ai cru un moment à un malentendu de votre part. Du coup je suis parti deux jours à Pont-Aven. Me voilà revenu.

Je suis toujours embêté par l'argent, quand cela fînira-t-il, et que j'ai hâte que Charlo- pin termine pour qu'enfin j'aille vivre dans une patrie ou on peut s'en passer. Avant de partir je veux faire un bois épatant.

Allons bonjour et bientôt de vos nouvelles. Tout à vous de cœur.

Paul GAUGUIN

Lettre de 4 pages grand in.4. papier réglé. Bulletin LUI Marc Loliée. En partie publiée par Charles Morice dans la Revue Blanche du 1er novembre 1897, tome XIV, N° 106. et Beng Danielsson dans "Gauguin à Tahiti". Collection fondation Singer-Polignac, Musée Gauguin, Tahiti.

Mon cher Morice,

Voici des nouvelles que je t'envoie afin que tu les utilises : personne ne sera averti avant toi attendu que c'est le même courrier qui les apporte. Un article dans un journal te rapportera quelque argent. Peut-être ! (Mais vite au premier informé).

La France a envoyé ici un navire le Duguay-Trouin plus 150 hommes de Nouméa venus par l'Aube navire de guerre de cette station. Tout cela pour aller prendre de force les îles sous le vent, soi-disant en révolte. (Iles sous le vent : Raiatea, Bora Bora, Huahine, Taa). Lors de l'annexion de Tahiti ces îles refusèrent de faire partie de l'annexion. Puis un beau jour le nègre Lacascade gouverneur de Tahiti voulut faire des siennes et se couvrir de gloire. Il envoya un messager soi-disant muni de tous pouvoirs qui débarqué à Raiatea s'en alla trouver le chef, lui promit monts et merveilles. Ce chef accompagné d'autres chefs se rendit à la raison et vint sur la plage pour s'embarquer à bord du navire de guerre. Aussitôt sur la plage le navire de guerre qui avait des ordres du gouverneur Lacascade pour prendre les indigènes qui ont la vue très perçante et l'esprit méfiant, éventèrent la mèche et se retirèrent en bon ordre. Les troupes de débarquement furent reçues à coups de fusil et furent obligées de retourner à bord au plus vite. Plusieurs marins et un enseigne restèrent sur le carreau. Depuis les indigènes continuèrent leur commerce tranquillement en refusant toutefois aux français de circuler dans toute l'île, leur assignant une bande de terrain assez étroite. L'année dernière août 95, le délégué Chessé vint à Tahiti ayant promis au gouvernement français de venir à bout des révoltés avec la simple persuasion. Cela a coûté une centaine de mille francs à la colonie qui est déjà surchargée de dépenses. Le canard Chessé déployant ses ailes a envoyé messager sur messager, fait cadeau aux femmes indigènes de ballons rouges, petites boîtes à musique et autres joujoux (textuel -Je n'invente rien) récité un tas de bêtises de la bible. Rien ne les a tentés malgré tous les mensonges. Chessé s'est retiré, complètement battu par la diplomatie sauvage. Actuellement tout ce qui est soldat, plus des engagés volontaires tahitiens enrôlés ici, sont à Raiatea.

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Après un ultimatum envoyé le 25, le feu a commencé le 1er. janvier 1897. Depuis quinze jours il n'y a grand résultat, les montagnes pouvant cacher les habitants pendant longtemps.

Tu pourrais faire un joli article d'information avec (l'idée me paraît originale) avec un interview de P. Gauguin à un indigène avant l'action.

D. Pourquoi ne voulez pas être comme Tahiti gouverné par les lois françaises. 1 ° parce que nous ne sommes pas vendus. Ensuite parce que nous sommes très heureux tels que nous sommes gouvernés, lois conformes à notre nature et à notre sol. Aussitôt que vous vous installez quelque part, tout est à vous le sol et les femmes que vous quittez deux ans après avec un enfant dont vous n'avez plus souci. Partout des fonctionnaires, des gendarmes qu'il faut entretenir de petits cadeaux sous peine de vexations sans nombre. Et pour la moindre circulation nécessaire à notre commerce, il nous faut perdre plusieurs journées afin d'avoir un morceau de papier incompréhensible, des formalités sans nombre. Et comme cela coûte très cher on nous grèverait d'impôts auxquels l'indigène ne peut suffire. Nous connaissons de longue date vos mensonges vos belles promesses. Des amendes, de la prison, aussitôt qu'on chante et qu'on boit, tout cela pour nous donner des soi-disant vertus que vous ne pratiquez pas. Qui ne se souvient du domestique nègre du gouverneur de Tahiti, entrant de force la nuit dans les maisons pour forcer des jeunes filles. Impossible de sévir contre lui parce que le domestique du Gouverneur !!! Nous aimons obéir à un chef mais non à tous les fonctionnaires. Etc..

D. Mais maintenant si vous ne vous rendez pas à merci, le canon va vous mettre à la raison. Qu'espérez- vous ?

R. Rien. Nous savons que si nous nous rendons, les principaux chefs iront à Nouméa au bagne, et comme pour un Maorie la mort loin de son terrain est une ignominie nous préferons la mort ici. Puis je vais vous dire une chose qui simplifie tout. Tant que nous serons côte à côte vous français et nous maories il y aura du trouble et nous ne voulons pas du trouble. Il faut donc nous tuer tous, alors vous vous disputerez tous seuls, et cela vous sera facile avec vos canons et vos fusils, nous n'avons pour toute défense que la fuite chaque jour dans la montagne.

( "Cette dernière réponse est celle qui a été faite à l'ultimatum" ). Tu vois mon cher Morice ce qu'il y a à faire de joli, le tout dans un langage très

simple comme parlerait un indigène. Et si tu réussis à faire passer l'article dans un journal envoies moi quelques numéros.

Je serais assez content de faire voir à quelques mufles d'ici que j'ai quelques dents. Bien entendu il faut que mon nom y soit pour avoir quelque importance. Allons à l'ouvrage.

Cordialement tout à toi

Paul GAUGUIN

Janvier 97

N'oublies pas Talboum

II est malheureux que nous n'ayons pas plus de résultat de l'expédition mais elle ne fait que commencer. En tout cas l'hôpital a déjà 10 soldats blessés qui ont été envoyés le 12. A propos d'hôpital je viens d'essayer de rentrer pour me soigner. J'ai eu de la part des fonctionnaires toutes les avanies et après bien des efforts moyennant une somme de

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5 f par jour on m'a délivré quoi ! Un billet d'entrée avec ces mots indigent. Tu comprends bien que quoique très souffrant j'ai dû refuser d'entrer mêlé aux soldats et domestiques. Il y a du reste ici comme en France un parti qui me tient pour un révolté, et comme partout, ici plus qu'ailleurs l'homme gêné d'argent est très malmené. Bien entendu que je ne parle que des Européens à Papeete, parce qu'ici dans mon coin les indigènes sont comme toujours très bons et très respectueux à mon égard.

Gilles ARTUR Conservateur du Musée Gauguin de Tahiti

Lettre écrite en février 1898, 1 page 1/3 grand in.4. Collection Association des amis du Musée Gauguin, Tahiti.

Février

Mon cher Morice,

La lettre est courte comme d'habitude. Avais-je raison de douter encore ? La Revue Blanche n'édite plus, tu ne me dis

pourquoi : elle ne m'a envoyé du reste que le premier numéro ; il y aura-t-il suite. Il faut avouer que l'esprit le plus perspicace n'y comprendrait rien.

Enfin ! 5/ Charpentier édite, cela vaudra beaucoup mieux comme publicité et vente, peut-

être pourra-t-on espérer une deuxième édition. Une chose m'étonne ; comment un éditeur peut-il traiter avec une seule personne, quand il y a deux associés, tu sais que Molard a une procuration spéciale de moi pour ce traité. Vois le donc car je t'ai écrit dernièrement en réponse à ta courte lettre ce que je voulais dans cette affaire t'en donnant les raisons tout à fait majeures. Du reste plus tard je tâcherai s'il est possible de réparer ton dommage.

Je viens en un mois comme un véritable fou de faire une grande toile de 4,50 m ; la légende inscrite est : D'oO venons nous

Que faisons nous Où allons nous

et je crois que le tableau explique la légende. Je crois en outre qu'il dépasse de cent coudées tout ce que j'ai fait et que je ferai. Est-ce-que j'étais arrivé à maturité, ou bien est-ce la grande douleur qui me l'a fait crier.

Je crois aussi que ce tableau couronne l'article sur la couleur que je t'ai envoyé. Cordialement

Paul GAUGUIN

Je t'envoie une mauvaise photographie du nid que je me suis fait ici.

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NOTICE HISTORIQUE DU MUSÉE PAUL GAUGUIN

Lettre d'une page in. 4. Ancienne collection Dr. Max Thorek, Chicago. Catalogue de vente Etude Laurin, Guilloux, Buffetaud, Tailleur du 28/2/79. N° 234. Collection privée, Tahiti.

Octobre 1900

Cher Monsieur Vollard,

Je reçois votre lettre ; peu de choses à y répondre puisque mes précédentes lettres vous ont répondu à ce que vous demandiez. Seulement cette lettre sans argent me gêne considérablement et c'est la 2ème fois que cela arrive ; comme vous le savez j'ai pour solder mon arriéré et en même temps subvenir à mon existence pris des engagements et dans un petit pays comme Tahiti je vous assure qu'il n'est pas commode de discuter avec des créanciers.

Pour Chaudet je ne comprends pas qu'il demande un reçu avant d'avoir envoyé ce qui devrait être envoyé depuis longtemps, sans compter que ce n'est qu'une faible partie de ce qui m'est dû et dont j'ai fait un deuil. Ecrivant à Daniel je lui donne un reçu qu'il remettra à Chaudet.

Cordialement Paul Gauguin

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