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LES ACTIVITÉSLOGICO-MATHÉMATIQUES

Sommaire Septembre 1999 N° 199

Rééducation Orthophonique, 2, rue des deux gares, 75010 Paris

Ce numéro a été dirigé par Alain Ménissier, orthophoniste

Michel Fayol, LAPSCO/CNRS, Clermont-Ferrand 3

1. Petites histoires sur l’histoire d’une grande invention : la numération 7Alain Ménissier, orthophoniste, Arc-Les-Gray

2. Le dénombrement : une activité complexe à deux composantes 21Valérie Camos, LEAD/CNRS, Dijon

1. Les élèves en difficulté : calculent-ils autrement ? 33Jean-Paul Fischer, Maître de Conférences, IUFM, Montigny-lès-Metz

2. Quelques dysfonctionnements dans l’appropriation du nombre,leur diagnostic et leur abord pédagogique 53Rémi Brissiaud, IUFM de Versailles, Cergy

3. Relations entre des performances à des épreuves perceptivo-tactileset des épreuves aruthmétiques chez des jeunes enfants 69C. Marinthe, M. Fayol, LAPSCO/CNRS, Clermont-Ferrandet P. Barrouillet, LEAD/CNRS, Dijon

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1. Compétences arithmétiques : une aide à l’évaluation et à l’action pédagogique 81Françoise Duquesne, CNEFEI, Suresnes

2. L’UDN 2 : un instrument révisé pour des évaluations plus fines 91Claire Meljac, psychologue, Paris

3. Utilisation du jeu de stratégie « Quarto » comme stimulus développementaldu fonctionnement cognitif. Application chez un enfant présentantun syndrome de Williams Beuren (S.W.B.) 101Pascale Op de Beeck, logopède, Kain (Belgique)

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1. Aspects cliniques des dyscalculies chez l’enfant 113Michèle Mazeau, Médecin de Rééducation, Paris

2. La délicate question de la compétence professionnelleface aux dysfonctionnements dans le fraitement des données numériques 131Pierre Dessailly, logopède, Roux (Belgique)

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Peu de domaines de la psychologie cognitive ont autant évolué en si peude temps que celui qui traite des connaissances arithmétiques et de leur mise enœuvre. Au cours des deux dernières décennies, les travaux se sont multipliés, àtel point qu'il est aujourd'hui difficile d'en effectuer une synthèse ou même sim-plement d'avoir une idée générale des acquis et des questions qui restent posées.Cela s'avère d'autant plus que les ouvrages de référence sont rares, en français(Bideaud, Meljac & Fisher, 1991 ; Dehaene, 1997 ; Fayol, 1990) comme enanglais (English & Halford, 1995 ; Geary, 1994). Curieusement, et contraire-ment à ce qui vaut pour les travaux concernant la lecture, peu de recherches ontjusqu'alors été consacrées aux troubles de l'apprentissage. Les acalculies n'ontguère retenu l'attention que des neuropsychologues traitant des patients adultes(cf. Fayol, 1990, chapitre 1 ; Pesenti & Seron, sous presse). L'étude des dyscal-culies en reste à des balbutiements, malgré des tentatives intéressantes mais par-tielles de Geary (1993, 1994).

Le présent recueil de travaux montre que cette situation est en train d'évo-luer. Paradoxalement (pour le psychologue que je suis!), ce ne sont pas les psy-chologues qui s'intéressent le plus et le plus vite aux dyscalculies, mais lesorthophonistes. Confrontés à la demande sociale, moins réticents à engager desinterventions sur les apprentissages, mieux armés aussi pour le faire comptetenu de leurs compétences acquises relativement à la lecture, ils ont rapidementengagé des actions et recherché des informations. Il n'est donc guère surprenantque ce soit dans Rééducation Orthophonique que paraisse ce modeste recueil detravaux aux orientations diverses. En fait, il s'agit plus d'une collecte de contri-butions que d'une publication organisée de manière focalisée autour d'un thèmerestreint. L'éclectisme des préoccupations y transparaît, et reflète très probable-ment celui des praticiens dont les formations, les préoccupations, les perspec-tives varient sans doute de manière considérable. Le lecteur ne doit donc pas

Michel FAYOL(*) LAPSCO/CNRSUniversité Blaise Pascal34 avenue Carnot63037 Clermont Ferrand cedex

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être surpris de la diversité. Elle ne pouvait être réduite qu'en donnant la paroleaux chercheurs, mais la publication aurait alors perdu en réalisme ce qu'elleaurait gagné en cohérence. Acceptons donc la variété des points de vue en sou-haitant qu'elle aiguise l'esprit critique. Après tout, l'essentiel est sans doute queles lecteurs trouvent ici des raisons de poursuivre leur quête d'informations endécouvrant des approches nouvelles qui suscitent leur curiosité.

Ce numéro s'organise autour de trois grands axes.

En premier, Alain Ménissier dresse un bilan de l'évolution des systèmesnumériques écrits. En s'inspirant largement de la littérature, il met ainsi à la dis-position des lecteurs peu informés un document simple, clair qui permet demieux saisir la nature de certaines difficultés d'apprentissage. Vient ensuite unarticle de Valérie Camos, qui présente de manière très pertinente les problèmessoulevés par le dénombrement. Pour cela, elle fait référence à des conceptionsthéoriques qui ont en quelque sorte impulsé la recherche sur ce thème au coursdes 20 dernières années. Ces deux premières contributions ont une tonalitéessentiellement théorique. Elles offrent des synthèses utiles plus que desexemples de cas ou des réflexions à partir de pratiques.

La deuxième partie regroupe six contributions partageant le même soucid'aborder le problème des difficultés rencontrées par les enfants au cours del'apprentissage. Trois d'entre elles rapportent des études empiriques et visent àrechercher des critères de diagnostic (tel enfant est-il dyscalculique ou non ?).Deux autres exposent des épreuves destinées précisément à aider le praticien àposer un tel diagnostic. Jean-Paul Fisher s'attache à montrer que les connais-sances mobilisées par les élèves en difficultés ne diffèrent pas de celles qui sontmises en œuvre par les « normaux ». En revanche, les premiers sont handicapéslorsque le mode de réponse est verbal. Rémi Brissiaud rapporte des données enfaveur d'une typologie des dysfonctionnements en calcul. Il distingue entre ceuxqui présentent des difficultés de mise en relation entre concepts numériques dela vie quotidienne et concepts numériques de la vie scolaire, lesquels, selon lui,ne présentent pas de déficience, et ceux qui ont un défaut de codage spatial durésultat du comptage, défaut qui serait associé à la « vraie dyscalculie » .C. Marinthe et al. font état de données empiriques montrant l'existence d'uneforte corrélation entre performances à des épreuves neuropsychologiques pas-sées à l'âge de 5 ans et réussite à des épreuves arithmétiques réalisées un an plustard. Ce résultat soulève le problème des relations qu'entretiennent ces deuxfamilles d'habiletés et oblige à rechercher des composantes neuropsycholo-giques sous-jacentes aux capacités arithmétiques, mais qui, évidemment, ne sau-raient rendre compte à elles seules des performances arithmétiques.

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Françoise Duquesne présente un outil d'évaluation des compétences numériques(ECPN) destiné à des enfants en difficulté d'apprentissage en mathématiques.Claire Meljac, elle, évoque la nouvelle version de l'UDN (UDN 2), laquellecomporte des améliorations portant sur l'éventail des épreuves, l'étalonnage etl'empan des âges concernés. Pascale Op de Beeck fait état de l'utilisation d'unjeu de stratégie destiné à stimuler le développement cognitif et illustre cela parun exposé concernant un enfant présentant un syndrome de Williams Beuren.

La troisième partie de ce numéro concerne très directement les enfantsdyscalculiques et la dyscalculie. Michèle Mazeau souligne très justement qu'enl'état actuel de nos connaissances, les dyscalculies ne constituent pas unensemble homogène. Aussi est-il indispensable de disposer d'analyses neuro-psychologiques pour déterminer les troubles à l'origine de la dyscalculie. Elleillustre cette démarche en rapportant trois études de cas. Pierre Dessailly s'inter-roge ensuite sur la définition de la dyscalculie, et sur les questions que soulèveinévitablement son diagnostic. Il va toutefois bien au delà d'un questionnementrelatif aux critères. En effet, et de manière très pertinente, il tente de mettre enrelation les connaissances du praticien et celles du théoricien. Qu'il sache quenous nous interrogeons tous sur les propos (et les pensées !) de J. Piaget, et deschercheurs contemporains dont le travail est (c'est leur métier!) d'élaborer et detester des théories et de la meilleure manière d'articuler leur démarche avec celledes praticiens dont la tâche est de prévenir ou de remédier, et qui pour cela usentde techniques dont les raisons de l'efficacité ou de l'inefficacité nous échappenttrès largement. Et encore pour très longtemps. D'autant plus longtemps que lesrelations entre chercheurs et praticiens ne seront pas régulières et faites de res-pect et d'échanges mutuels.

Peut-être ce numéro contribuera-t-il, modestement, à l'instauration de cetéchange.

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REFERENCES

BIDEAUD, J, MELJAC, C. & FISCHER, J.C. (1991). Les chemins du nombre. Lille : Presses universi-taires de Lille.

DEHAENE, S. (1997). La bosse des Maths. Paris : O. Jacob.ENGLISH, L.D. & HALFORD, G.S. (1995). Mathematics education. Mahwah, NJ : L.E.A.FAYOL, M. (1990). L'enfant et le nombre. Paris : Delachaux & Niestlé.GEARY, D.C. (1994). Children's mathematical development. Washington, D.C. : American Psychological

Association.GEARY, D.C. (1993). Mathematical disabilities : Cognitive, neuropsychological, and genetic components.

Psychological Review, 114, 345-362.PESENTI, M. & SERON, X. (sous presse). La neuropsychologie du calcul. Marseille : Solal.

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Petites histoires sur l'histoire d'une grandeinvention : la numération

Alain Ménissier

R é s u m éLes hommes, tout au long de leur histoire, ont élaboré de nombreux systèmes avant d'abou-tir à la forme définitive de notre numération actuelle. La compréhension des difficultés ren-contrées dans la construction d'un tel système aidera le praticien dans son travail avec l'en-fant lorsque celui-ci s'approprie le système décimal de position.Mots-clés : chiffres, histoire, numération.

Stories about the history of a major invention : numbering

AbstractThroughout the history of mankind, man has developed many different numbering systemsbefore reaching the final form of numbering which is currently in use. An understanding ofthose problems encountered in the process of constructing this system should help practi-tioners in their work with children who are learning to master the decimal system.Key Words : digits, history, numbering

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S'il est une histoire passionnante, c'est bien celle de la numération. L'inven-tion des chiffres et la mise en place des numérations figurées, écrites etparlées sont l'aboutissement d'une longue et lente histoire recouvrant plu-

sieurs millénaires. Des os porteurs d'entailles, premières marques numériques,ont été datés de 30 000 ans, période du Paléolithique. Loin de nous l'idée d'évo-quer une théorie de la récapitulation où l'ontogenèse reproduirait pas à pas lesétapes franchies par l'humanité : à travers l'histoire du nombre, nous prendronsconscience néanmoins des obstacles et des difficultés rencontrés lors de laconstruction d'un système numérique fonctionnel et opératoire.

Certains groupes humains se contentèrent de quelques nombres : un, deux,trois, beaucoup. Mais, dès qu'une civilisation apparaissait, elle éprouvait le besoinde dénombrer ses membres et ses biens. Il lui fallait se doter pour cela d'un sys-tème de représentation plus élaboré : un procédé de construction des nombres quipermet de m o n t rer beaucoup avec peu. En revanche, lorsqu'une civilisation dispa-raissait, comme par exemple celle de Babylone ou celle des Mayas, s'effa ç a i taussi sa façon de compter et de calculer. Il n'y a donc pas une histoire du nombremais des histoires de systèmes de numération, où découvertes et redécouve r t e sse succèdent : les hommes, bien qu'ils se soient trouvés dans des espaces et dansdes périodes fort éloignés, ont bien souvent abouti à des résultats similaires. Demultiples combinaisons ont été tentées avec la mise en oeuvre de numérationsd i fférentes : additives, hybrides (utilisation conjointe de l'addition et de la multi-plication) et positionnelles. Les Egyptiens utilisèrent jusqu'à trois numérations,comme les Chinois et les Grecs, alors que les Mayas n'en produisirent que deux !Aztèques, Ethiopiens, Hébreux et Romains eurent également la leur.

Compter des objets, écrire un calcul, effectuer une opération sont pournous des actes intellectuels élémentaires. C'est oublier que pendant des siècles,

Alain MÉNISSIEROrthophoniste1, place Aragon70100 Arc-les-Gray

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ces pratiques étaient réservées à de rares initiés, et que le calcul restait un artobscur et complexe. Il faudra l'arrivée et la diffusion de la numération indiennepour démocratiser le calcul. Bien sûr, compter sur ses doigts, faire des apparie-ments, utiliser des abaques ou des bouliers sont toujours des procédés actuels,mais seul, l'emploi de notre numération permet les calculs les plus simplescomme les plus complexes.

Ces petites histoires introduisent chacune un problème particulier quis'est posé dans l'élaboration des systèmes de numération. Non exhaustives, ellesne sont que des illustrations du bricolage incessant de toute activité mentale enconstruction.

◆ Compter avec des cailloux

Il y a très longtemps, vers 3500 avant J.C, les hommes ne connaissaient nil'écriture avec des chiffres ni l'écriture avec des lettres. Comment sedébrouillaient-ils alors pour compter leurs fruits, leurs sacs de blé ou leurs mou-tons lorsqu'ils les emmenaient paître dans la campagne environnante.

Avant le départ du berger, il suffisait d'enfermer dans une petite bouled'argile (appelée bulle) le nombre de petits cailloux correspondant au nombre demoutons qui allaient sortir : un mouton, un caillou, un mouton, un caillou... Encas de doute, au retour du troupeau, la boule d'argile était brisée pour vérifierqu'aucun animal ne manquait. Mais les troupeaux devenaient de plus en plusimportants et cela finissait par faire beaucoup de petits cailloux à collectionner :pour compter mille moutons, il fallait amasser mille cailloux! Il y avait doncbeaucoup de risques à se tromper dans l'appariement entre les moutons et lescailloux. Alors, il fallut faire preuve d'imagination : en remplaçant les habituelscailloux par des pierres de dimension variée, on peut leur attribuer, selon leurtaille respective, des valeurs différentes. L'unité est représentée par un petitcaillou, la dizaine par un caillou un peu plus gros, la centaine par un caillouencore plus gros et ainsi de suite. C'était bien plus pratique qu'un tas de petitscailloux et ça tenait moins de place...

Mais ce n'est pas si facile de trouver dans la nature des cailloux ayantexactement la même forme. Il y a même des régions où il n'y a pas de cailloux!Il fallut de nouveau améliorer le système. En façonnant de l'argile, il était com-mode d'obtenir des jetons de la taille que l'on voulait. On pouvait même déciderde la forme et de la couleur du jeton. Cependant, le plus important fut d'établirune hiérarchie entre tous ces jetons. Peut-être est-ce ainsi qu'est né le principede la base, sur lequel reposent toutes les numérations.

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Un jour, quelqu'un eut l'idée de perfectionner ce système qui, malgré soningéniosité, ne permettait pas de garder la trace du calcul effectué : plutôt qued'enfermer les jetons dans la bulle d'argile, il représenta ceux-ci par des encochesfaites sur la surface de la bulle : cela évitait même de la casser ! Les jetons dev i n-rent inutiles puisqu'il suffisait de vérifier le compte sur « l ' e nve l o p p e ». La formeronde ne s'imposait plus, elle s'aplatit pour devenir tablette. A la place des jetons,le scribe inscrivit avec la pointe d'un roseau, des combinaisons de trous circu-laires et d'encoches : les premiers chiffres étaient nés...

◆ Des petits traits, des petits traits, encore des petits traits...

Plusieurs siècles avant Jules César et les Romains, les Etrusques avaientinventé des signes de numération particuliers. Les bergers avaient pris l'habitudede graver sur leur bâton le nombre de leurs animaux. Une entaille pour le pre-mier mouton, une entaille pour le mouton suivant et encore une entaille pour lesuivant, etc. Cette pratique venait tout simplement des temps préhistoriques.Pour un petit troupeau, le berger pouvait s'en contenter ; mais plus le berger pos-sédait de moutons, plus il devait graver de petits traits les uns à côté des autres.Cela n'était pas très commode : à partir de quatre, l'oeil du berger se trompaitsouvent et il devait recommencer son comptage depuis le début. Plutôt que decompter et de recompter sans cesse ses encoches, notre berger eut un jour uneidée : après quatre traits semblables consécutifs, il lui suffisait de modifierl'orientation de la cinquième entaille pour que d'un seul coup d'oeil, il recon-naisse la série de cinq traits. Le berger reproduisait intuitivement la forme de samain : quatre doigts verticaux et le pouce disposé obliquement...

Le berger était content de lui : il venait d'inventer un signe graphique quireprésentait une nouvelle unité de compte. Pour bien le reconnaître, il chercha àle différencier des simples traits verticaux. Alors, il lui adjoint un petit trait sup-plémentaire, parfois horizontal, parfois oblique : la cinquième encoche ressem-blait alors tantôt à un t, tantôt à un V.

Reprenant son comptage, le berger arrive à la neuvième entaille. Va-t-ilgarder le même signe graphique? Voyant que ce nombre est similaire au nombrede doigts des deux mains réunies, pourquoi ne pas choisir un signe représentantle double de cinq. Le signe en forme de X s'impose comme la facture d'unedouble entaille en oblique. D'autre part, la reconnaissance de cette nouvellequantité, la dizaine, concorde parfaitement avec le comptage digital. Peu à peu,cette écriture donnera naissance à un système décimal où la quantité cinq jouele rôle d'une base secondaire, puisque dix est l'addition de deux mains de cinqdoigts.

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Dans un premier temps, notre berger avait appliqué une notation cardinalepour transcrire sur son bâton ou sur une planchette le nombre de ses animaux.Ainsi pour indiquer qu'il possédait 28 moutons, il marquait :

I I I I V I I I I X I I I I V I I I I X I I I I V I I I1 5 10 15 20 25 28

Ce procédé, quoique de lecture plus facile, restait encore long à écrire.Comment améliorer cette notation pour en abréger le nombre de traits et en faci-liter la transcription ? Si les nombres de 1 à 4 conservent leur représentation ori-ginelle (respectivement I II III IIII), il n'en va pas de même pour 5 ; lesimple signe V le distingue des autres traits et suffit à représenter cette quantité.Le berger « invente » alors le principe cardinal , tout en se servant d'une nota-tion ordinale : au lieu de graver IIIIV pour indiquer qu'il possède cinq animaux,il se contente d'écrire V, puisque celui-ci sert précisément à distinguer le cin-quième trait des quatre précédents. Il fera de même avec la quantité dix, en écri-vant X comme seul signe signifiant, et en supprimant tous les traits qui précé-daient. Plus tard, il inventera un autre principe : par souci d'économie, au lieud'écrire 4 par quatre traits verticaux successifs, il notera IV, exprimant que lequatrième trait de la série se situe juste avant V. Il poursuivra en écrivant lenombre 6 par VI et non plus IIIIVI. Cette écriture implique à présent l'emploisimultané du principe additif ( tout signe à droite d'un signe supérieur s'yajoute) et du principe soustractif (à gauche d'un signe supérieur, il seretranche) : ainsi s'élabore ce qui deviendra la numération étrusque puis romainedérivée de la pratique archaïque de l'entaille.

◆ La première machine à compter : la main

De tout temps, l'homme a eu recours à ses mains pour dénombrer. Quoi deplus naturel que de lever successivement un ou plusieurs doigts pour effectuer uncomptage ! Nos enfants utilisent spontanément ce procédé dans l'apprentissagedes premiers nombres. Il existe de nombreuses variantes de cette technique digi-tale à travers le monde : soit les doigts se lèvent en partant des mains repliées,soit on les rabaisse à partir de la position étendue des deux mains. Le déroule-ment peut s'effectuer de droite à gauche ou de gauche à droite : on commence àcompter à partir du pouce, du petit doigt ou à partir de l'index comme chez lesmusulmans d'Afrique du Nord. Mais si la main possède 5 doigts, elle comporteaussi des phalanges et des articulations. Il n'est donc pas surprenant de retrouve rcette pratique dans de nombreuses civilisations : chaque phalange représente uneunité et l'on compte sur chacune des deux mains à l'aide d'un doigt de l'autre. Lanumération manuelle devient alors très vite un code élaboré : grâce à l'aide de

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gestes effectués sur une main ou sur les deux, certains systèmes permettent defigurer les nombres de 1 à 9999. Même après la chute de l'empire romain, un sys-tème de comptage manuel a été utilisé en Occident jusqu'à la fin du Moyen-Age :c'était d'ailleurs l'un des plus remarquables instruments pédagogiques de l'ensei-gnement médiéval et il faudra l'introduction des chiffres arabes pour que cettearithmétique manuelle soit peu à peu abandonnée (figure n° 1).

Fig. 1. Technique de numération permettant de compter jusqu’à 9999 avec deux mains(d’après G. IFRAH, 1985)

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Notre système numérique actuel est dit « à base 10 ». L'idée fondamen-tale réside dans la prédominance du groupement par dizaines (paquets de10 unités), par centaines (ou dizaines de dizaines), etc. L'adoption de cette basea été et reste la plus répandue au cours de l'histoire. Calquée sur le nombre dedoigts des deux mains, cette base correspond à un ordre de grandeur satisfaisantpour notre mémoire : des signes et des mots-nombres en quantité limitée avecdes tables d'addition et de multiplication pouvant être apprises par coeur sansune trop grande charge cognitive. Pourtant, les avantages de cette base ne sontni des plus pratiques ni des plus mathématiques. En effet, un bon systèmenumérique se doit de posséder une base comportant un maximum de diviseurs,et la base dix n'est multiple que de 2 et de 5, alors que le choix d'une baseproche, comme la base 12, permettrait des diviseurs tels que 2, 3, 4, et 6.Ne nous étonnons donc pas que le commerce ait adopté dans les faits cette baseduodécimale, ce qui lui permet de prendre assez facilement de cette base la moi-tié, le tiers, le quart et même le sixième : les œufs et les huîtres se vendent et sevendront encore longtemps par douzaines, quand ce n'est pas par grosses(douzaines de douzaines) !

Les Sumériens, et après eux les Assyro-Babyloniens, employèrent cettebase dans les mesures temporelles et géométriques (division de la journée, duzodiaque par exemple). La base 12 a permis aussi la constitution de la base 60,base qui nous sert encore de nos jours pour mesurer le temps (en heures, enminutes et en secondes) ou les arcs et les angles (en degrés, en minutes et ensecondes). L'origine de cette base soixante semble être le résultat d'une combi-naison naturelle de la base douze avec le comptage digital élémentaire de basecinq (12 x 5 = 60).

La base 12 se pratique en n'utilisant que les doigts d'une seule main lorsd'un comptage manuel. Le pouce est le calculateur qui appuie successivementsur chacune des trois phalanges des quatre doigts opposés de cette main : aubout du compte, la douzaine est obtenue. Pour « retenir » cette douzaine, il suf-fira de replier l'auriculaire de l'autre main : les cinq doigts de cette main retien-dront donc chaque nouvelle douzaine jusqu'au terme de soixante (12 x 5).

Ce procédé reste attesté de nos jours puisqu'il est encore pratiqué duProche-Orient à l'Inde et à l'Indochine. Compter sur ses doigts peut nous sem-bler un des degrés les plus élémentaires dans l'ordre des acquisitions numé-riques : il demeure cependant le pilier fondamental de la pratique numérique detoutes les civilisations du monde entier. Dépassé par l'imagination des hommes,il a ouvert la voie aux découvertes arithmétiques les plus élaborées.

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◆ Une autre façon de compter

Les égyptiens ont inventé eux aussi un système de numération en se ser-vant de pictogrammes représentant la flore et la faune de la vallée du Nil. Cettenumération a permis l'écriture de nombres pouvant atteindre et dépasser le mil-lion. La base est strictement décimale : le chiffre de l'unité est un petit trait ver-tical, celui de la dizaine un signe en forme d'anse, celui de la centaine est unespirale, le millier une fleur de lotus... Les premiers dessins furent trèsarchaïques, irréguliers et mal délimités. Puis les scribes égyptiens organisèrentsur deux ou trois lignes le positionnement des signes en les regroupant par petitsgroupes de deux, trois ou quatre : la vision impose ici ses contraintes. Ce n'étaitau fond que le calque d'un dénombrement concret qui consistait à représenter unnombre par l'alignement d'objets associés chacun à un ordre d'unité du systèmede numération. Celui-ci est donc fondé sur le principe additif où la valeur d'unereprésentation chiffrée s'obtient en faisant la somme des valeurs des chiffres

Fig. 2. (d'après G. IFRAH, 1985)

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qu'elle contient. Pour écrire un nombre, le scribe devait donc répéter le chiffrede chaque classe décimale autant de fois qu'il le fallait. Ainsi, l'addition et lasoustraction ne présentaient pas de difficulté particulière : pour additionner, onjuxtaposait les représentations chiffrées, puis on groupait mentalement leschiffres identiques en remplaçant toutefois dix signes d'une catégorie par lechiffre de la classe décimale supérieure.

De même, les égyptiens savaient obtenir le résultat de la multiplication oude la division d'un nombre par dix, en remplaçant dans l'écriture chaque signepar le chiffre de son décuple dans le premier cas, et par celui de son dixièmedans le second. Pour les autres opérations, ils procédaient par duplications suc-cessives en élaborant des séries de multiplications par deux.

Imaginons qu'un fonctionnaire répertorie une livraison et que ce travaill'oblige à effectuer la multiplication 82 x 12. Il inscrira le multiplicateur 12 àdroite et 1 à gauche, puis il doublera successivement chacun des deux nombresjusqu'au moment où il obtient le plus grand nombre contenu dans le multipli-cande.

1 12(2) 24+

4 488 96

(16) 192+32 384

(64) 768+

Il cherche maintenant dans la colonne de gauche les nombres dont lasomme est égale à 82, soient 2 + 16 + 64 (nombres mis entre parenthèses). Enadditionnant les nombres correspondants de la colonne de droite (marqués d'unplus), il obtient 24 + 192 + 768 = 984 qui est bien le résultat de 82 x 12. Cetteméthode avait au moins le mérite d'éviter de faire appel à la mémoire puisqu'ilsuffisait de savoir additionner et multiplier par deux. Néanmoins, ce type d'opé-rations restait lent, complexe et de lecture difficile. Les calculs devenant plusfréquents et plus nombreux, il faudra donc écrire plus vite, en simplifiant aumaximum la notation. Il ne faut d'ailleurs pas croire que le système des hiéro-glyphes fut employé pour consigner les comptes-courants ou les inventaires. Lesscribes avaient schématisé le tracé pictural en éliminant peu à peu les détails :les auteurs grecs ont donné à cette pratique le nom d'écriture hiératique. Lesgroupements hiéroglyphiques de traits identiques pour représenter les neuf uni-tés simples, laisseront ainsi la place à des signes cursifs indépendants les unsdes autres et détachés de toute symbolisation motivée. Malgré cette évolution,

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l'attachement au principe additif et à la conservation de tous les signes supé-rieurs ou égaux à la dizaine a empêché les scribes égyptiens de concevoir unenumération mathématiquement équivalente à notre numération.

◆ L'invention du zéro

Dans les numérations romaine, grecque, hébraïque ou dans le systèmehiéroglyphe égyptien, les chiffres ont une valeur fixe, indépendante de leurplace dans l'écriture. Par exemple, chez les romains, V vaut toujours 5 quelleque soit sa place ; par contre, dans notre système numérique actuel, le chiffre 5prend une valeur différente selon la place qu'il occupe dans l'écriture d'unnombre. Autrement dit, 5 est multiplié par dix pour passer de l'ordre des unitéssimples à l'ordre des dizaines, de nouveau multiplié par dix à l'ordre des cen-taines et ainsi de suite... Ce système est dit à base dix (ou décimal) et va per-mettre une pratique aisée des opérations arithmétiques grâce à ce principe deposition.

La seconde trouvaille fut de n'utiliser que 9 symboles (appelés chiffres)pour écrire n'importe quel nombre, à l'inverse des romains ou des égyptiens quiformaient leur nombre à rallonges par répétitions des symboles (principe addi-tif). Mais pour que la numération de position fonctionne, il faut pouvoir mar-quer l'absence de chiffre dans la colonne des unités, dans celle des dizaines, descentaines etc. Marquer ce qui n'est pas, marquer l'absence n'est pas chose aisée :les savants mésopotamiens utilisaient bien le signe du double clou oblique pourmarquer le vide (la place vide marquant l'absence des unités d'un certain ordre)mais ce n'était pas compris comme un nombre, comme une quantité nulle. Lesigne zéro apparaîtra en Inde au début du VIème siècle : son premier sens, dési-gné en langue sanscrite par le mot shûnya signifie « vide » ; et il faudra attendrele VIIème siècle pour qu'il devienne en lui-même un nombre à part entière : lezéro exprime alors la quantité nulle. Ce pas est décisif et conduira à l'ultime per-fectionnement de la notation numérique, car ce nombre a des propriétés particu-lières quand on fait des opérations arithmétiques : par exemple, en ajoutant lesigne zéro, à la fin d'un nombre, on multiplie sa valeur par la base ; pour multi-plier 24 par 10, il suffit de mettre un zéro à la droite de 24 : 24 x 10 = 240.

Comment ce « vide » s'imposa-t-il comme un signe ? Une numérationavant d'être figurée est d'abord une numération parlée. Les mathématiciens etastronomes indiens avaient pris l'habitude d'exprimer un nombre en énonçant lasuccession des noms des unités correspondantes, tout en respectant l'ordre deleur progression dans la base. Par exemple, le nombre 2 437 s'exprimait « sept /trois / quatre / deux » (= 7 + 3 x 10 + 4 x 100 + 2 x 1000). Cette numération

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parlée était donc une véritable numération de position. Pourtant, celle-ci ne pou-vait exprimer un nombre tel 402, où manque une décimale : « deux / quatre »,voulait dire quarante-deux et non quatre cent deux. Il fallait donc trouver unnom particulier pour marquer l'absence de la dizaine. Le mot vide vient comblerle manque et 402 pourra s'énoncer « deux / vide / quatre », ce qui exclura désor-mais toute équivoque.

Pourtant, le zéro attendra encore quelques siècles avant de passer en occi-dent (au XIIe siècle). Bien avant, lorsque les arabes découvrent la numérationindienne, ils traduisent shûnya par sifr. Avec les croisades, le petit sifr seratranscrit sous diverses formes aux consonances plus latines : sifra, cifra, cifre,cyfre... Dans son Liber Abaci, Léonard de Pise (vers 1170-1250), dit fibonacci,lui donne le nom de zephirum qui aboutira à l'italien zefiro et qui donnera en finde compte notre mot zéro (à partir de 1491). Le mot arabe sifr désignera quant àlui, l'ensemble des signes de la numération arabo-indienne. C'est ce sens élargique possède aujourd'hui le mot français chiffre (d'abord chifre puis chiffre),ziffer en allemand ainsi que cifra en espagnol et en italien.

◆ Chiffres arabes ou chiffres indiens ?

Lorsque les arabes découvrirent la numération indienne, ils se contentè-rent dans un premier temps de recopier les neuf chiffres existants. Mais, peu àpeu, les scribes et les copistes arabes adaptèrent la forme des chiffres indiens àleur calligraphie. Pour des raisons matérielles, dues aux dimensions des rou-leaux de parchemin, ces chiffres étaient souvent copiés non de droite à gauchemais de haut en bas (n°1 fig.3). La graphie indienne se modifia alors pour don-ner naissance aux chiffres employés actuellement dans tous les pays environnantle golfe Arabo-Persique : les arabes les appellent d'ailleurs les chiffres hindi cequi atteste bien de leur origine (n°3 fig.3).

Nos chiffres usuels proviennent, quant à eux, des Arabes Occidentaux,lorsque ceux-ci peuplèrent l'Afrique du Nord et une grande partie de l'Espagne.La manipulation des chiffres indiens permettait d'effectuer des calculs sur detrès grands nombres et cette pratique se déroulait le plus souvent à même lesable ou sur des tablettes saupoudrées de poussière. Tout naturellement, lesArabes Occidentaux nommèrent leurs chiffres ghobar, mot signifiant la « pous-sière », pour évoquer cette matière utilisée dans le tracé des chiffres d'un calcul(n°4 fig.3 ). Les chiffres indiens étaient maintenant aux portes de l'Europemédiévale grâce à l'influence arabe. On oublia pourtant l'origine pour ne se sou-venir que de ceux desquels on les avait reçus. Cependant, malgré sa facilitéd'utilisation, la numération arabo-indienne mit plusieurs siècles pour pénétrer la

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Fig. 3

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Chrétienté. Résistance à une science propagée par les infidèles Sarrasins,défense des abacistes soucieux de conserver leur pouvoir (l'abaque est un dispo-sitif de calcul se présentant comme des tables à colonnes où les chiffres sontinscrits sur des jetons, les apices ), il faudra attendre la Renaissance pour assis-ter à la grande vulgarisation et à la stabilité définitive de la forme des chiffres(n°6 fig.3). L'arrivée de cette numération marquait indiscutablement une démo-cratisation du calcul et rendait dorénavant son utilisation généralisable. L'usagede l'abaque restera dans les moeurs jusqu'à la Révolution Française qui en inter-dira sa manipulation dans les écoles et les administrations. Les « algoristes »(tenants du calcul chiffré d'origine indienne) triomphaient définitivement des« abacistes », permettant à chacun de faire de l'arithmétique. Les qualités de lanumération indienne ont assuré à présent son universalité. Elle est aujourd'hui leseul et unique système de numération écrite pour tous les peuples du monde.

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Le dénombrement :une activité complexe à deux composantes

Valérie Camos

R é s u m éL'activité de dénombrement est à la base des apprentissages arithmétiques comme la réso-lution d'opérations. Le dénombrement est une tâche complexe qui nécessite le pointageexhaustif des objets et l'énonciation des noms de nombre dans l'ordre correct. Afin dedéterminer la cardinalité correcte d'une collection, ces deux habiletés doivent être menéesde façon synchrone. Nous exposerons dans cet article les différents facteurs pouvant avoirun impact sur ces deux habiletés et qui influenceront donc les performances en dénombre-ment.

Mots-clés : Dénombrement, pointage, énonciation de la chaîne numérique verbale.

Counting : a complex two-dimensional activity

AbstractCounting constitutes the necessary basis for learning arithmetic skills such as solving ope-rations. Counting is a complex activity which requires pointing at objects and naming num-ber-words in the correct order. In order to determine the cardinality of an array, these twoskills (pointing and naming) must progress in a synchronized manner. In this paper, we pre-sent various factors which have an impact on these two activities and which, as a result,influence counting skills.

Key Wo r d s : counting, pointing, number-word naming.

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Valérie CAMOSLEAD/CNRSUniversité de Bourgogne6 Bd Gabriel 21000 Dijone-mail : [email protected]

Selon Halford (1993), il serait impossible de véritablement développer leconcept de nombre sans les processus de quantification car on ne pourraitni assigner de valeurs numériques à des collections, ni explorer les rela-

tions de taille entre collections, ni déterminer aucune des relations complexesexistant entre les nombres. Les processus de quantification sont donc fondamen-taux. Ils consistent à déterminer la numérosité d'un ensemble d'objets.

Parmi les trois processus de quantification, le dénombrement est celui quia suscité le plus de recherches. Il est souvent considéré comme étant à la base detous les autres apprentissages arithmétiques. En effet, comme le mentionnentGrégoire et van Nieuwenhoven (1995), le dénombrement est une technique depreuve qui permet de vérifier empiriquement la validité d'un raisonnement, parexemple dans des tâches de conservation (Mc Evoy & O'Moore, 1991) ou dansla résolution d'opérations arithmétiques (Groen & Parkman, 1972 ; Svenson,1975).

Dénombrer un ensemble d'objets exige de les considérer les uns après lesautres et d'associer à chacun un nombre dans un ordre fixe (Potter & Levy,1968). En d'autres termes, le dénombrement est décrit comme une activ i t énécessitant (1) la connaissance et l'énonciation des noms de nombre dans l'ordrecorrect, et (2) le pointage, visuel ou manuel, de chaque élément jusqu'à ce quetous aient été considérés une fois et une fois seulement (Beckwith & Restle,1966 ; Potter & Levy, 1968). La coordination de ces deux activités doit per-mettre d'établir une correspondance stricte entre les objets et les noms denombre afin d'éviter les oublis et les doubles comptages (Fayol, 1985, 1990 ;Fuson, 1988).

Gelman et Fuson qui ont des points de vue contradictoires sur la primautédes principes sous-jacents au dénombrement (i.e., principes-en-premier et prin-

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cipes-après respectivement ; Camos, 1998 ; Camos, à paraître), se sont égale-ment intéressées à cette activité sous l'angle de sa mise en oeuvre.

Pour Gelman et Gallistel (1978), le dénombrement nécessiterait deux pro-cessus : l'étiquetage (« tagging ») et la partition (« partitioning ») qui devraientêtre coordonnés. L'étiquetage nécessiterait d'assigner un mot-nombre à chaqueobjet de la collection. La partition serait la séparation des objets en deuxgroupes, ceux ayant déjà été comptés et ceux qu'il reste à compter. Lors dudénombrement, les enfants pointent du doigt chaque objet (les adultes pointantplus fréquemment du regard) ou bien les déplacent dès qu'ils ont été comptés,marquant ainsi leur progression dans le dénombrement. Les enfants peuventproduire des erreurs aussi bien dans l'étiquetage que dans la partition. Uneerreur d'étiquetage serait par exemple l'attribution d'un même mot-nombre à plu-sieurs objets. Oublier de déplacer un objet du groupe « encore-à-compter » àcelui des « déjà-comptés » (déplacement réel ou au niveau de la représentationde la collection) constituerait une erreur de partition. Gelman et Gallistel (1978)ont observé que l'erreur la plus commune impliquait la coordination des proces-sus d'étiquetage et de partition, soit l'échec dans l'arrêt simultané des deux acti-vités. La règle permettant l'arrêt de l'activité (« Stop rule ») a particulièrementretenu leur attention.

Fuson (1988) a également très largement étudié les erreurs de dénombre-ment produites par les enfants dans diverses situations. Elle a analysé en détailla structure spatiale et temporelle du comportement de l'enfant lors de diversestâches de dénombrement ainsi que l'influence de facteurs physiques (taille, dis-positions spatiales) et contextuels (limites temporelles) sur les stratégies dedénombrement. Parce que les mots sont organisés temporellement et les objetsspatialement, la coordination de l'activité verbale et de l'activité motrice devraitse faire par l'intermédiaire du pointage (visuel ou manuel). Ce pointage, quiserait aussi bien temporel que spatial, servirait de médiateur et impliqueraitdeux types de correspondance : une correspondance temporelle entre l'énoncia-tion d'un mot-nombre et le pointage d'un objet et une correspondance spatialeentre le pointage de l'objet et sa position dans la collection. Le dénombrementnécessiterait pour être réussi cette double correspondance temporelle et spatiale.

Ces auteurs s'accordent à voir dans le dénombrement une activité compo-site comportant le pointage des objets et l'énonciation des mots-nombres (mêmesi tous ne les désignent pas de la même manière). Ces deux composantes méri-tent donc d'être étudiées pour elles-mêmes afin de comprendre leur mise enoeuvre lors du dénombrement. En effet, certains résultats révèlent que le coût dupointage, comme celui de l'énonciation, se répercuterait sur les performances en

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dénombrement. Gelman et Meck (1983) ont ainsi montré qu'il suffit de rendreplus difficile le contrôle du pointage pour entraîner une chute des performancesen dénombrement. De façon similaire, Nairne et Healy (1983) ont montré quel'utilisation par des adultes d'une chaîne non-automatisée, e.g., la chaîne numé-rique en sens inverse, accroît la durée et le nombre d'erreurs dans une tâche dedénombrement.

◆ Le pointage

Le pointage nécessite un contrôle perceptif et une discrimination encontinu des objets comptés par rapport à ceux qui ne l'ont pas encore été (Beck-with & Restle, 1966). Chaque fois qu'un nouvel objet est compté, il passe del'ensemble des « encore-à-compter » à celui des « déjà-comptés ». Le processusse termine lorsque l'ensemble des « encore-à-compter » est vide. Un des fac-teurs influant sur le contrôle de ce processus est la disposition des objets.

Si les objets sont en ligne, l'activité de pointage se simplifie pour ne deve-nir qu'un simple déplacement linéaire, le plus souvent de la gauche vers ladroite. La limite entre les deux ensembles (« encore-à-compter » et « déjà-comptés ») est directement déterminée par la position du doigt (ou du regard,pour un pointage visuel) sur la ligne. Par contre, si les objets sont disposés aléa-toirement (espacés de façon régulière, mais sans configuration particulière), lesujet doit concevoir et planifier un trajet à travers la collection. Si aucune carac-téristique ne lui permet de distinguer les « déjà-comptés » des « encore-à-comp-ter », il devra alors construire une représentation de la collection et des indicespermettant de ne pas confondre les deux ensembles.

Beckwith et Restle (1966) ont montré que la disposition des objetsinfluait sur les temps de dénombrement. Les enfants (de 7 à 10 ans) ava i e n tdes temps plus longs pour les dispositions aléatoires que pour les dispositionscirculaire, linéaire, ou rectangulaire (cette dernière disposition étant la plusrapidement dénombrée). La proportion d'erreurs était également plus impor-tante pour les dispositions aléatoires. Les performances des adultes diff é-raient peu pour ces dispositions, la disposition en rectangle restant toutefoisla plus rapidement dénombrée. Les enfants, plus que les adultes, semblaiento rganiser leur trajet en fonction de la disposition spatiale présentée. Lesadultes se distinguaient par l'utilisation qu'ils faisaient de la disposition rec-tangulaire. En effet, ils effectuaient une multiplication (i.e., nombre de lignesx nombre de colonnes) et déterminaient ainsi le cardinal. Lorsque les sujetsn ' avaient pas la possibilité d'utiliser la multiplication (pour les jeunes enfa n t set pour certaines dispositions chez les adultes), ils pouvaient diviser la collec-

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tion en plusieurs sous-groupes (possiblement selon les principes de reg r o u p e-ments perceptifs), dénombrer chaque sous-groupe puis additionner les diff é-rents cardinaux. Les groupes de 5 ou 6 objets pouvant être subitizés, lavitesse de dénombrement dépendrait donc de la facilité à former des sous-groupes et à additionner les nombres. Aoki (1977) a montré en effet que lessujets discriminaient des sous-groupes qu'ils pouvaient subitizer puis ils addi-tionnaient les résultats des subitizings successifs. Lorsqu'il n'était pas pos-sible de former de tels sous-groupes, les sujets devaient dénombrer en comp-tant un par un les objets. Ces deux stratégies avaient déjà été décrites parKlahr et Wallace (1976) qui remarquaient que leurs sujets pouvaient éga l e-ment utiliser des méthodes mixtes, i.e., utiliser les deux stratégies lors dudénombrement d'une même collection.

Dans leur étude portant sur la composante de pointage du dénombrement,Potter et Levy (1968) ont également montré que la disposition des objets avaitun effet sur la précision du pointage chez des enfants de 3-4 ans. Cependant,contrairement aux résultats de Beckwith et Restle (1966), les dispositions aléa-toires semblaient plus faciles à dénombrer que les dispositions en rectangle.Pour comprendre la difficulté que rencontraient les enfants avec ces dispositionsà deux dimensions (en rectangle), il faut analyser la nature de la tâche. L'enfantdénombrant doit disposer d'informations sur les objets déjà pris en compte et surceux qu'il n'a pas encore dénombrés. Deux stratégies peuvent être utilisées àcette fin.

La première consiste à considérer la collection comme un ensembleunique et à adopter un plan global permettant de prendre en compte tous lesobjets. Par exemple, pour une disposition en cercle, on peut débuter par l'objeten haut à gauche et déplacer le pointage dans le sens des aiguilles d'une montreou, pour une disposition en rectangle, considérer les colonnes les unes après lesautres de haut en bas et de gauche à droite. La forme du trajet doit êtrecongruente avec la disposition et permettre aisément de déterminer quand lesujet doit s'arrêter (la « Stop rule » de Gelman et Gallistel, 1978). Beckwith etRestle (1966) ont montré que la présence de sous-groupes facilitait le dénom-brement et suggérait aux sujets d'utiliser de tels plans d'ensemble (« overallplan »). La seconde stratégie, plus coûteuse, consiste à mémoriser chaque objetnouvellement pointé grâce, par exemple, à une caractéristique distinctive (saposition, forme ou couleur). Le sujet peut ainsi sélectionner l'objet au hasard, lepointer s'il est « nouveau » et s'arrêter lorsqu'il n'y a plus d'objets nouveaux. Leproblème reste de distinguer les objets les uns des autres. Lorsqu'ils sont tousidentiques, seule leur position (relative ou par rapport au sujet) permet de lesdistinguer.

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La plus grande facilité de la disposition aléatoire sur la disposition rectan-gulaire observée par Potter et Levy (1968) pourrait être due à ce que, dans laseconde, plusieurs objets partagent des caractéristiques identiques (e.g., être enhaut, à droite...). Par contre, la position d'un objet dans une disposition aléatoireest plus distinctive. A l'inverse, la stratégie de planification d'un trajet s'appli-querait plus facilement à la disposition rectangulaire (e.g., ligne par ligne) qu'àune disposition aléatoire.

La plupart des enfants dans l'étude de Potter et Levy (1968) ne suivaientaucun plan d'ensemble, comme en témoignait la complexité de leurs trajets. Leseul principe « spatial » qu'ils utilisaient était de débuter par l'objet se trouvantdans l'angle le plus proche de leur main. Indépendamment de la disposition spa-tiale des objets, les pointages étaient d'autant plus ordonnés et réussis que lesenfants étaient âgés. Ainsi, on peut penser que les enfants de 8 ans participant àl'expérience de Beckwith et Restle (1966), plus âgés que ceux de l'expérience dePotter et Levy (1968), avaient développé des stratégies spatiales leur permettantde mieux traiter les dispositions ordonnées (particulièrement en rectangle) queles dispositions aléatoires.

Toutefois, de tels changements de stratégie ne sont pas seulement liés àl'âge. Shannon (1978) a montré que de jeunes enfants (de 3 à 6 ans) changeaientde procédure en fonction de la taille et de la disposition spatiale des items lors-qu'on leur demandait de les toucher tous une seule fois. Plus la configurationspatiale facilitait le contrôle (e.g., des jetons alignés vs. en disposition aléatoire),plus la mise en oeuvre du pointage était aisée. En règle générale, la régularitédes dispositions affectait les stratégies, la vitesse et l'efficacité du comptage(Aoki, 1977 ; Beckwith & Restle, 1966 ; Potter & Levy, 1968). Bien qu'une dis-cussion subsiste quant à l'impact des dispositions en rectangle (Beckwith &Restle, 1966 ; Potter & Levy, 1968), il semble certain que les dispositions régu-lières (i.e., en ligne) permettent de procéder à un scanning visuel systématiquede la collection et diminuent ainsi les risques d'erreurs (Newman, Friedman &Gockley, 1987). Plus généralement, tout facteur améliorant la discrimination desobjets facilite le pointage. Ainsi, des objets de couleurs ou formes différentesfacilitent la distinction entre « déjà-comptés » et « encore-à-compter » et amé-liorent les performances (Frick, 1987 ; Fuson, 1988 ; Schaeffer, Eggleston &Scott, 1974 ; Towse & Hitch, 1996 ; Trick & Pylyshyn, 1994).

Les divers facteurs (i.e., taille, dispositions, formes, couleurs) affectant lepointage doivent également influer sur les performances en dénombrement. Defaçon similaire, on peut penser que les facteurs entravant ou facilitant l'énoncia-tion auront un impact sur la vitesse et l'exactitude du dénombrement.

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◆ L'énonciation

L'acquisition de la chaîne numérique verbale est amorcée dès deux ans(Fuson & Hall, 1983 ; Fuson, Richards, & Briars, 1982). Les enfants atteignent100 en fin de première année de scolarité allant ainsi en général au-delà de cequi est enseigné. Des régularités peuvent être observées dans les séquencesincorrectes produites par les enfants avant l'acquisition définitive de la chaînenumérique (Fuson, Richards & Briars, 1982). Les séquences se caractérisent parune première portion dite conventionnelle et stable. Cette partie se compose desnoms de nombres corrects dans l'ordre de succession standard. Elle est suivied'une portion stable mais non-conventionnelle, dans laquelle les mots utilisés(soit des mots-nombres ne se trouvant pas dans l'ordre conventionnel soitd'autres mots) sont produits de façon constante lors de divers essais. Enfin, cettepartie est elle-même suivie d'une portion ni stable ni conventionnelle, qui varieavec les essais. Au cours du développement, la partie stable et conventionnelledevient de plus en plus importante jusqu'à ce que l'ensemble de la chaîne numé-rique soit stable et conventionnel, comme c'est le cas chez l'adulte, où la produc-tion de la chaîne numérique verbale est considérée comme une activité haute-ment automatisée.

La constitution des séquences incorrectes en diverses portions pourraitêtre une conséquence des irrégularités du système des noms de nombre. Eneffet, dans la plupart des langues européennes, les mot-nombres jusqu'à 100sont irréguliers, i.e., la structure sous-jacente en base 10 n'est pas transparente,contrairement aux chaînes numériques dans les langues asiatiques (Miura, Oka-moto, Kim, Steere & Fayol, 1993 ; Yoshida & Kuriyama, 1991). Alors que dansles langues asiatiques (chinois, japonais et coréen) 12, par exemple, s'énoncera« dix-deux » (ce qui fait apparaître clairement la base 10), dans les langueseuropéennes on emploie un mot particulier (e.g., douze en français, twelve enanglais, dodici en italien, zwölf en allemand, doce en espagnol, doze en portu-gais), dans lequel il est plus ou moins difficile selon les langues de retrouver labase 10 (Fayol, Barrouillet, & Camos, 1996, 1997). Ces irrégularités rendentl'apprentissage de la chaîne plus lent pour les langues européennes que pour leslangues asiatiques régulières (Fuson & Kwon, 1991a, 1991b, 1992 ; Miller &Stigler, 1987). De plus, l'étude des points d'arrêt lors de la récitation de la chaînea montré que les enfants rencontraient des difficultés particulières lors du chan-gement de dizaine (Fischer, 1992 ; Meljac, 1979).

Du fait de ces irrégularités, les premières expériences que font les enfantsde l'arithmétique (i.e., la manipulation de la chaîne numérique) sont complexeset nécessitent une acquisition laborieuse. L'apprentissage de la chaîne numé-

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rique continue longtemps après que l'enfant a pu énoncer ces premiers noms denombre. La représentation de la séquence s'élabore entre 4 et 7/8 ans (Fuson,1988, 1991a). Cette élaboration commence par le début de la séquence et lesdifférentes portions de la séquence pourront se trouver, à un même moment, àdes niveaux d'élaboration différents. Fuson, qui a largement étudié le mode d'or-ganisation de la chaîne numérique, décrit cinq niveaux d'élaboration qui mar-quent une progression dans l'acquisition d'habiletés de plus en plus complexes :1 - le niveau « chapelet » : les mots sont liés entre eux en un tout indissociable ;2 - le niveau « chaîne insécable » : les mots sont séparés mais la séquencen'existe que sous la forme d'une suite qui ne peut être produite qu'à partir dudébut ; 3 - le niveau « chaîne sécable » : la séquence peut être produite à partird'un mot-nombre arbitraire. Ainsi l'enfant pourra commencer à résoudre desopérations simples (Groen & Parkman, 1972 ; Groen & Resnick, 1977 ; Sven-son, 1975) ; 4 - le niveau « chaîne numérique » : les noms de nombre devien-nent des unités, l'enfant dispose ainsi d'une ligne numérique rendant comptageet comparaisons possibles (Resnick, 1983) ; 5 - le niveau « chaîne bidirection-nelle » : les mots-nombres peuvent être produits aussi facilement dans un sensque dans l'autre. Toutefois, le parcours en sens inverse peut encore présenter desdifficultés chez l'adulte (Nairne & Healy, 1983).

Les travaux en psycholinguistique montrent classiquement que l'accès aulexique et la récupération des mots dépendent de leur fréquence d'occurrence(Fayol et al., 1992). Or la fréquence des noms de nombre décroît avec l'augmen-tation de leur taille (Dehaene & Mehler, 1992). La récupération d'une chaînenumérique comportant des grands nombres devrait donc être plus difficile quecelle comportant de petits nombres. De plus, les grands nombres comportentsouvent plus de syllabes (e.g., un, deux vs. dix-sept, vingt-et-un) et demandentdonc plus de temps pour être énoncés. Cet accroissement des temps de pronon-ciation a un impact sur le coût de l'énonciation. En effet, Ellis et Hennelly(1980) ont montré que l'empan des chiffres en mémoire à court-terme est plusfaible pour des enfants comptant en gallois que pour des enfants utilisant l'an-glais. Ils expliquent cette différence par le temps de prononciation des mot-nombres. Les mot-nombres sont en effet plus longs à prononcer en gallois qu'enanglais, ce qui affecte la charge en mémoire (voir Chapitre III). Stigler, Lee etStevenson (1986) mettent également en évidence un lien semblable entre l'em-pan des chiffres et les temps de prononciation de la chaîne numérique en anglaiset en chinois.

Ces études suggèrent que l'utilisation de la chaîne numérique utilisée dansce type de tâches reposerait sur une forme phonologique des noms de nombre. Ilexisterait donc en mémoire une représentation phonologique de la chaîne numé-

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rique. Nairne et Healy (1983) ont observé, dans la production de chaînes numé-riques en sens inverse, deux types d'erreurs. Les sujets omettaient les mot-nombres composés de deux mêmes chiffres (e.g., 77) ou les mots-nombres desdizaines (e.g., 80). Les auteurs suggèrent que les sujets utilisent une représenta-tion en mémoire à court terme du dernier mot-nombre produit pour générer lemot suivant. Les sujets conserveraient donc une trace de leur position dans lachaîne numérique en examinant les représentations phonologiques des mots pré-cédemment énoncés. Cette hypothèse d'un codage phonologique est confirméepar les résultats de Hitch, Cundick, Haughey, Pugh et Wright (1987). Cesauteurs ont en effet montré que le nombre d'erreurs et les temps de réponse aug-mentaient lorsque des enfants devaient déterminer la cardinalité d'une collectionsous condition de suppression articulatoire (i.e., alors qu'ils devaient dire « bla »tout en dénombrant silencieusement la collection). Logie et Baddeley (1987) onttrouvé des résultats similaires chez des adultes dans une tâche identique. Cesrésultats suggèrent que l'augmentation de la difficulté de la composante d'énon-ciation affecterait les performances en dénombrement.

En résumé, la revue de littérature présentée dans cet article amène plu-sieurs conclusions. Le dénombrement est une activité à deux composantes dontla difficulté dépend de la capacité du sujet à pointer les objets et à énoncer lachaîne numérique. Les performances en dénombrement devraient donc êtrecontraintes par la quantité de ressources disponibles pour effectuer correctementces deux habiletés. De plus, la réussite à une tâche de dénombrement nécessitela synchronisation du déroulement des deux activités, pointage et énonciation.Cette synchonisation devrait être prise en charge par un processus central decontrôle qui permettrait la coordination des activités. Nos recherches (Camos,1998 ; Camos, Barrouillet & Fayol, en révision ; Camos, Fayol & Barrouillet,sous presse) ainsi que celles de Towse (1993 ; Towse & Hitch, 1997) et de Mil-ler et Stigler (1987) ont permis de conclure que la coordination du pointage etde l'énonciation ne présentait plus de coût cognitif chez les enfants à partir de 6ans et chez des enfants présentant des déficits au niveau moteur ou langagier(Camos, Fayol, Lacert, Bardi & Laquière, 1998).

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Les élèves en difficulté :calculent-ils autrement ?

Jean-Paul Fischer

R é s u m éL’auteur procède à une revue de la littérature internationale (y compris ses propresrecherches) sur le comptage ou calcul des élèves en difficulté dans le but de savoir si lesélèves en difficulté (d’origine pathologique ou non) utilisent des procédures qualitativementdifférentes de celles des autres élèves.Les conclusions de cette revue, formulées dans le cadre de la distinction entre connais-sances procédurales et déclaratives, doivent être différenciées en fonction de l’origine de ladifficulté. Néanmoins, en général, elles ne suggèrent pas de différences qualitatives impor-tantes entre le calcul des élèves en difficulté et des autres élèves (à niveau de performancecomparable). En fait, l’une des principales différences relevées ne concerne pas le calcullui-même, mais le mode de réponse : les jeunes élèves de milieu défavorisé, ainsi que lesélèves déficients auditifs, sont handicapés par un mode verbal de réponse. Mots-clés : calcul, comptage, échec scolaire, pathologie, handicap d’apprentissage.

Do children who have academic difficulties use different methods ofcalculation?

AbstractIn order to examine whether pupils who have academic difficulties use qualitatively differentmethods of calculation, the author reviewed the relevant international literature on countingor calculation. The selected studies deal with school failure of both pathological and non-pathological origins.Our conclusions, based on the distinction between procedural knowledge and declarativeknowledge, vary according to the source of the academic problem. But results generallysuggest that there are no significant qualitative differences between students who are failingin school and other students in their method of calculation (when the two populations arematched according to their performance). Indeed, one of the most important differencesdoes not concern the method of calculation itself, but the type of response: young pupilsfrom low-income background and pupils with auditory deficits are hindered by a verbal typeof response.Key Wo r d s : calculation, counting, school failure, pathology, learning disability.

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D ans une perspective d’aide à l’apprentissage du calcul, qu’elle soit pre-mière (enseignement) ou seconde (rééducation), il serait important desavoir si les élèves en difficulté réalisent leurs calculs élémentaires dif-

féremment de leurs camarades de niveau comparable (du moins en calcul). Pré-cisons d’emblée que nous limitons cet article aux calculs mentaux. Parmi cesderniers, nous traitons surtout de calculs simples, voire de comptages, car il estdifficile de trouver des données, autres qu’anecdotiques, pour des calculs pluscomplexes. Par ailleurs, le calcul mental nous semble, avec l’avènement des cal-culettes, beaucoup plus important à développer que les techniques opératoiresécrites.

Nous procédons à une revue de la littérature concernant les élèves en dif-ficulté, que cette difficulté soit d’origine pathologique (parties 2 à 5), ou non(partie 1), dans le cadre de la distinction entre connaissances procédurales etdéclaratives que nous avons adaptée aux apprentissages numériques élémen-taires (Fischer, 1992, 1998). Cette distinction nous paraît psychologiquement etpédagogiquement fondamentale. En outre, elle est simple à comprendre et àobserver dans le domaine des calculs élémentaires : un élève peut savoir que8+4 c’est 12 (connaissance déclarative, par coeur) ou seulement savoir commenton fait pour le trouver (connaissance procédurale), les procédures pouvant êtrevariées (surcomptage : 9, 10, 11, 12 ; passage par 10 : 8+2 + 2 = 10+2 = 12,etc.). Un résultat majeur, que nous utiliserons dans les analyses subséquentes,est apparu dans nos recherches sur le tout-venant en fin d’école élémentaire : lamultiplication est l’opération arithmétique la plus déclarative, alors que la sous-traction est l’opération la plus procédurale.

Jean-Paul FischerMaître de Conférences 1

Site IUFM16 rue de la Victoire57950 Montigny-lès-Metze-mail : [email protected]

1. L’auteur voudrait remercier Claire Meljac et Alain Ménissier pour leurs conseils de rédaction.

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Pour tous les élèves en difficulté concernés par cette revue, il nous a sem-blé inutile de nous intéresser à l’infériorité de leurs performances par rapport àdes sujets d’âge comparable puisque cette infériorité résulte presque de leurcatégorisation. En revanche, dans une perspective pédagogique, il nous paraîtimportant (1) d’examiner si le développement des performances en calcul de cesélèves suit un chemin (qualitativement) différent de ceux des autres sujets, (2)d’identifier leurs points forts/faibles.

Une telle revue de question constitue un préalable à une approche péda-gogique ou rééducative scientifiquement fondée, mais nous avons consciencequ’elle n’est pas suffisante. Par exemple, ayant repéré un point fort (resp. faible)chez un groupe d’élèves, ou chez un élève particulier, le pédagogue ne sait tou-jours pas comment gérer de manière optimale ce point fort (resp. faible). Unexemple (extrême) de point fort est celui des « compétences bizarres », entreautres en calcul, qui accompagnent certains cas de psychose, d’autisme en parti-culier. Selon Chaulet (1994), il conviendrait, dans ces cas, de mettre un termeimpératif, un interdit formel et sans concession, à un tel développement, en dys-harmonie flagrante avec l’ensemble du niveau de développement intellectuel,affectif, social. Une telle prise de position, étayée par l’expérience rééducativede l’auteur, a le mérite d’être claire et tranchée ; mais elle nous interpelle parson aspect radical : est-ce la seule voie possible ? Est-elle optimale pour tous lesenfants concernés ?

◆ Cas non pathologiques

La notion d’élève en difficulté - surtout lorsqu’elle n’est pas associée àune pathologie connue - est difficile à définir. Même si l’on se limite aux diffi-cultés en mathématiques, il n’existe pas actuellement de diagnostic complète-ment satisfaisant. Ainsi, dans leur récente revue de question, Fritz et Ricken(1998) concluent que les méthodes diagnostiques actuelles n’envisagent quecertains aspects des habiletés mathématiques. En tout état de cause, une défini-tion de l’élève en difficulté ne peut être que relative, même si cette relativité estplus ou moins cachée, comme par exemple dans la mesure du QI ou les évalua-tions nationales françaises (CE2 ou 6e).

En dépit de ces difficultés de définition, nous disposons de plusieursmanières d’approcher la question. D’abord, nous pouvons nous appuyer surl’observation récurrente que les enfants issus de milieux défavorisés d’un pointde vue socio-économique réussissent moins bien à l’école que les autres : ilsseront en effet sur-représentés dans les échantillons d’élèves en diffi c u l t é .Ensuite, nous pouvons nous baser sur les pratiques institutionnelles françaises

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qui ont conduit à regrouper des élèves en difficulté dans des classes spéciales,perfectionnement pour le primaire et SES pour le secondaire jusqu’au début desannées 1990, CLIS1 et SEGPA depuis. Nous pouvons aussi utiliser l’approchestatistique usuelle consistant à considérer un élève en difficulté s’il se situe deuxécarts-types (ou plus) en-dessous de la moyenne (ce qui, pour le QI, correspondà un QI < 70) à un test standardisé (e.g., le WISC-III). Enfin, nous pouvonsnous référer au concept américain de handicap d’apprentissage (Learning Disa-bility).

Les élèves issus de milieux socio-économiques pauvres. Kerkman et Sie-gler (1993) ont étudié le choix de stratégies d’enfants de familles à faible revenupour l’addition, la soustraction et l’identification de mots. Ils concluent leurétude en soulignant que, pour ces domaines dans lesquels ils ont acquis de l’ex-périence, les enfants de familles à faible revenu, même s’ils ne sont pas bonsélèves, adaptent leurs stratégies à la situation.

Mais l’observation la plus pertinente pour notre présente revue est uncommentaire de Griffin, Case et Siegler (1994) à propos de cette recherche. Eneffet, pour avoir des niveaux absolus de performance comparables, ces enfantsde 1ère année d’école issus de familles à faible revenu ont été interrogés en avrilpour comparaison avec ceux issus de familles à revenu moyen interrogés anté-rieurement en novembre/décembre (soit environ 5 mois avant). Or, constatentGriffin et al., dans plus de 90 % des essais, les stratégies des enfants issus defamilles à faible revenu sont alors comparables à celles des enfants de familles àrevenu moyen ; dans seulement 5 % des essais apparaissent deux stratégies nonobservées chez ces derniers : il s’agit du surcomptage à partir du plus petit desdeux nombres (par ex., pour 5+9, les enfants commencent à surcompter au-delàde 5 : 6, 7, …, 14) et d’un surcomptage incompréhensible ou incompris (par ex.,pour 5+9 ou 9+5 les enfants commencent à surcompter à partir de 7 ou 8).

Jordan, Huttenlocher et Levine (1992) ont étudié 42+42 enfants, entre 5et 6 ans 1/2 et de familles à revenu respectivement faible et moyen, sur quatretâches de calculs additifs et soustractifs : (1) une tâche non verbale dans laquelleon montre d’abord à l’enfant un ensemble de disques, ensuite on les recouvre,on en enlève ou ajoute, et l’enfant doit mettre un ensemble équivalent à celuiqu’il y a sous la couverture ; (2) une tâche verbale de problème avec contexte(histoire) ; (3) une tâche verbale de problème sans contexte : « Combien c’est mpennies et n pennies ? » et, (4) une tâche verbale de faits numériques : « Com-bien c’est m et n ? », les nombres impliqués étant toujours inférieurs ou égauxà 7. Le résultat principal est une interaction significative entre le niveau derevenu et la nature de la tâche : les enfants de familles à revenu moyen sont

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significativement meilleurs que les enfants de familles à revenu faible à toutesles tâches verbales, mais pas à la tâche non verbale. Les auteurs observent aussi,secondairement, que les enfants de familles à revenu moyen utilisent davantageleurs doigts pour représenter les numérosités aux problèmes présentés verbale-ment que les enfants de familles à revenu faible.

Par la suite, ces mêmes auteurs ont encore comparé ces deux catégoriesd ’ e n fants à trois variantes de tâches de calcul (Jordan, Huttenlocher &L evine, 1994). Les trois tâches expérimentales ont utilisé le même mode nonverbal de présentation, mais ont été variées selon trois types de réponse : (1)sortir les disques (production non verbale) ; (2) choisir le nombre correct dedisques à partir d’une collection à choix multiples (reconnaissance non ve r-bale) ; et (3) donner un nom de nombre (production verbale). Chez les enfa n t sde familles à revenu moyen, les réponses aux additions et soustractionsétaient disponibles à la fois dans les formes verbales et non verbales ; enr evanche, les enfants de familles à revenu faible ont été signifi c a t ive m e n tmeilleurs aux deux tâches à réponse non verbale qu’à la tâche à réponse ve r-bale. En outre, l’analyse des données individuelles indique qu’un grandnombre de ces enfants de 3 et 4 ans issus de familles à faible revenu ontréussi aux tâches de calcul complètement non verbales, même s’ils éprou-vaient des difficultés à compter ve r b a l e m e n t .

Les élèves issus de classes spécialisées. A la fin des années 1980, nousavons utilisé le programme Juste-Faux (Fischer, 1988) dans toutes sortes declasses, y compris dans des classes de perfectionnement et d’enseignement spé-cialisé (SES). Rappelons brièvement les principes de la méthode et de laconstruction d’une image de la classe à laquelle elle conduit.

La méthode repose sur la mesure des Temps de Réponse (TR) au juge-ment d’égalités élémentaires, justes (e.g., 3+4 = 7 ; 9-3 = 6 ; 2x6 = 12 ; 48:6 = 8)ou fausses (e.g., 2+5 = 9 ; 11-5 = 8 ; 2x5 = 11 ; 24:3 = 6). Pour chacune des4 opérations arithmétiques, on distingue en outre les petites (e.g., 4+2 = 6) etgrandes (e.g., 8+7 = 15) opérations. Chaque élève, après les deux passations quenécessite la méthode, aura jugé 14 égalités pour une opération arithmétique den iveau donné. Sa performance à cette dernière est alors visualisée ainsi : si, pourl’opération de niveau donné, l’élève a plus de deux réponses non correctes, lacase correspondante reste blanche ; sinon : si son Temps de Réponse correcte(TRc) est inférieur à un palier P1, il voit sa case noircie ; si son TRc est comprisentre P1 et P2, sa case est noircie à 50 % (gris foncé) ; enfin, si son TRc estcompris entre P2 et le délai de réponse, sa case est noircie à 25 % (gris clair). Lelogiciel détermine les paliers P1 et P2 afin d’avo i r, à peu près, une équiréparti-

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tion des trois niveaux de gris. Ainsi, l’essentiel de ce qu’il faut savoir pour la lec-ture des images des figures 1 (classe de perfectionnement) et 2 (classes de SES),est que plus l’image (ou une ligne, colonne, ou case élémentaire) est foncée,meilleure est la performance correspondante.

Ces images sont destinées à visualiser les différences entre les opérationsdans ces classes spéciales et à vérifier si la hiérarchie de difficulté dans l’exécu-tion des opérations y est la même que dans les classes de l’enseignement nor-mal. Elles ne sont pas destinées à comparer directement et simplement les per-formances en Perfectionnement et SES car les réglages (égalités, délai deréponse) du logiciel n’y étaient pas identiques.

Figure 1. Visualisation de la complexité relative de 3 opérations arithmétiques dans uneclasse de perfectionnement (noir = facile, … , blanc = difficile)

Addit.<-------- Petites opérations --------> <------- Grandes opérations ------->

Soust. Multi. Addit. Soust. Multi.Elève

123456789

1011121314

L’image de la classe de perfectionnement, qui ne comprenait que 14élèves, se limite à trois opérations arithmétiques : la division avait été trop peupratiquée par les élèves pour que nous puissions l’inclure dans nos mesures.Comme le montre l’image, l’addition est clairement l’opération la mieux maîtri-sée. Mais l’observation la plus intéressante est que ces élèves de perfectionne-ment, au contraire des élèves de CE2 et de CM de l’enseignement normal (cf.,par ex., Fischer, 1996a), semblent mieux maîtriser la soustraction que la multi-

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plication. La multiplication étant le prototype des connaissances déclaratives, onpeut émettre l’hypothèse que les élèves de perfectionnement privilégient lesprocédures reconstructives, ce qui marche assez bien pour les additions (d’au-tant que le délai de réponse était de près de 10 s), moins bien pour les soustrac-tions et presque pas du tout pour la multiplication.

Add. Sou. Mul. Div. Add. Sou. Mul. Div.<-------- Petites opérations --------> <------- Grandes opérations ------->

Elève

123456789

1011121314151617181920212223242526272829303132

Figure 2. Visualisation de la complexité relative des 4 opérations arithmétiques dans uneSection d’Enseignement Spécialisée (noir = facile, … , blanc = difficile)

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Le plus grand recours à des connaissances procédurales dans la mémoiredes tables élémentaires serait-il donc une particularité des élèves en difficulté ?L’image des 32 élèves de SES ne confirme pas cette hypothèse. En effet, onpeut y observer que les colonnes des multiplications (petites et grandes) sontpresque aussi noircies que celles des additions correspondantes et, surtout,qu’elles le sont beaucoup plus que celles des soustractions correspondantes. Auniveau individuel, très peu d’élèves ont été meilleurs dans les soustractions quedans les multiplications, alors que beaucoup ont été meilleurs dans les multipli-cations que dans les soustractions.

Ce que suggèrent donc nos données, c’est que les élèves de SES, s’ilsconnaissaient les multiplications élémentaires, semblaient les récupérer, davan-tage que les soustractions, par un processus déclaratif. Notre hypothèse de déve-loppement qualitativement différent, au profit des connaissances procédurales etau détriment des connaissances déclaratives, initialement avancée sur la base del’image de la classe de perfectionnement, ne se confirme donc pas. Si l’on saitque la SES était souvent, du point de vue du parcours scolaire, le prolongementde la classe de perfectionnement, on peut alors penser que le pattern atypique del’image de la classe de perfectionnement est plutôt dû à un retard de développe-ment qu’à un développement différent.

Les élèves à faible QI. Baroody (1996) s’est interrogé sur la possibi-lité, pour des enfants retardés mentaux, d’inventer des stratégies d’addition.Pour ce faire, il a partagé 30 sujets retardés mentaux (QI entre 31 et 66),âgés de 6.8 à 20.8 ans, en groupes expérimental et témoin. Une stratégiebasique de comptage a été présentée aux deux groupes. Pendant 6 mois,alors que le groupe expérimental s’est vu offrir des occasions régulières pourpratiquer le calcul des sommes, le groupe témoin travaillait sur la lecture desdemi-heures et la valeur des pièces de monnaie. Aux post-tests, immédiat etaprès les grandes vacances, les sujets à retard mental ont utilisé signifi c a t ive-ment plus de stratégies sophistiquées de calcul des sommes que les sujetstémoins.

Les résultats de l’expérience de Baroody suggèrent que des sujets à retardmental peuvent inventer, transférer, et retenir des stratégies pour l’apprentissagede tâches. Malgré la sélectivité de l’échantillon, ils sont donc encourageants.Néanmoins, le temps nécessaire à une telle invention, considérablement pluslong que celui nécessaire aux sujets normaux, amène à formuler une réservequant aux applications possibles de cette observation : s’il est en effet possiblede faire inventer certaines stratégies à certains élèves retardés mentaux à proposd’un calcul précis (petites additions), le temps que nécessite cette invention fait

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craindre, si on voulait la généraliser, que l’on débouche sur des méthodes tropcontraignantes (cf. celle de Doman).

Les élèves à handicap d’apprentissage. Le concept d’élève à handicapd’apprentissage est un concept typiquement américain connu sous le nom de(LD). Mais, même aux Etats-Unis, ce concept a donné - et continue à donner -lieu à de nombreux désaccords et controverses au sujet de ses définitions, cri-tères diagnostiques, pratiques évaluatives, procédures d’intervention ou d’ensei-gnement et politique éducative (Shin, 1998). Dans une revue un peu ancienneAllardice et Ginsburg (1983) soutiennent que les enfants LD sont essentielle-ment « normaux » du point de vue cognitif, mais admettent que ces enfantssouffrent peut-être de difficultés particulières pour ce qui concerne la connais-sance des faits numériques. Ils suggèrent que certaines difficultés d’attention nesont pas une caractéristique générale de l’enfant mais sont spécifiquement liéesà l’utilisation de procédures inutilement encombrantes. A ce propos, ils citentnotamment l’exemple de David, qui calcule 8+4 par « 8 plus 8 c’est16...15...14...13...12. La réponse est 12 », et commentent : « Cette procédureindirecte conduit à une grande demande en capacité attentionnelle de la part deDavid » (p.341), en remarquant que n’importe quelle distraction la fait échouer.En continuité, Allardice et Ginsburg relèvent la fréquente non-connaissance(déclarative) des faits numériques chez les LD et le regrettent : « si les faitsnumériques ne sont pas facilement disponibles, les élèves doivent passer par descalculs coûteux en temps et fatigants. Souvent ces élèves ne terminent pas leurtâche et sont épuisés par l’effort » (p.342).

G e a r y, Brown et Samaranayake (1991) ont entrepris une courte étudelongitudinale sur 26 sujets normaux et 12 sujets Mathematically Disabled(MD) de 1r e et 2e année d’école. Au moment de la 1r e mesure, les élèves ont euà calculer 40 additions extraites des 56 que l’on obtient en enlevant les 0, 1 etdoubles dans la table des 100 additions élémentaires. Dix mois après, la tâched’addition a été administrée une seconde fois. Chez les élèves normaux, Gearyet al. ont alors observé un recours plus important à la récupération en mémoire( d é c l a r a t ive) et moins important au comptage, aussi bien qu’une améliorationdes vitesses de comptage et de récupération. En revanche, chez les élèves MDaucun changement fiable dans le mixage des stratégies ou dans la vitessed ’ exécution des comptage et récupération en mémoire n’a été observé. Demanière précise, d’une session à l’autre, la fréquence d’utilisation du comp-tage a baissé de 14 % et celle de la récupération a augmenté de 12 % chez lesNormaux, alors que chez les MD on observe une certaine stabilité, voire unpattern évolutif inverse : le comptage a augmenté de 6 %, alors que la récupé-ration a baissé de 1 %.

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◆ Troubles du comportement ou du développement

Les difficultés attentionnelles et l’hyperactivité. Zentall (1990) a étudié15 sujets LD et 27 à déficits attentionnels (ADD : Attention Deficit Disorder),comparativement à 30 sujets témoins, en 7 e et 8e année d’école, sur les 100 addi-tions, 100 soustractions et 100 multiplications élémentaires. Les temps deréponse ne suggèrent pas que l’infériorité des LD et des ADD, comparativementaux sujets témoins, doive être différenciée en fonction de l’opération arithmé-tique.

Ce premier résultat est toutefois nuancé par la recherche Zentall et Smith(1993) sur des garçons plus jeunes, recrutés de la 2e à la 5e année d’école. Zen-tall et Smith en ont extrait 35 HyperActifs (HA), Agressifs (n=13) ou Non(n=22), et 57 sans trouble (Normaux). Les opérations arithmétiques étudiéessont aussi l’addition, la soustraction et la multiplication. En dépit de la pratiquecurieuse de la soustraction, qui peut être posée dans l’ensemble Z des relatifs(e.g., « 2-7= »), il est intéressant d’observer que les temps de réponse aux addi-tions différencient nettement les trois groupes suivant une hiérarchie prévisible :Normaux > HAN > HAA. En revanche, pour la multiplication, l’opération arith-métique la plus déclarative, cette hiérarchie est moins accusée. La recherche deZentall et Smith suggère donc que les HA, en particulier les HAA, seraient plu-tôt handicapés dans la connaissance procédurale que dans la connaissancedéclarative des faits numériques.

L’autisme. On sait de longue date (cf. Bettelheim, 1967) que les enfantsautistes ont souvent moins de difficultés pour apprendre les nombres et lesconcepts numériques que pour comprendre des phrases ou des pensées (et, sur-tout, pour comprendre que les autres ont des pensées : cf. Shin, 1998). Ceci leurpermet d’arrive r, parfois, à réaliser des additions simples dès la maternelle(Magerotte & Montreuil, 1994) et, ensuite, à des performances en calcul quipeuvent être supérieures à celles des sujets normaux moyens (cf., par ex., lesujet RH de Kelly, Macaruso et Sokol, 1997). Néanmoins, qualitativement, leurperformance ne semble pas différer de celles des sujets normaux. Ainsi, (1) auniveau des performances numériques de base, on a pu retrouver sur des adoles-cents autistes (cf. Papy, Papy & Schuler, 1995) la même discontinuité après troisdans l’appréhension cardinale du nombre que chez les sujets normaux (cf.,Fischer, 1991) ; (2) au niveau des performances de pointe, RH, l’adulte autisteobservé par Kelly et al., ne semble pas mettre en oeuvre de raccourcis particu-liers pour les calculs qui lui ont été soumis : ses temps de réponse s’accordentavec l’application d’une procédure de calcul gauche-droite employée par les cal-culateurs experts ; en outre, RH a aussi répondu extrêmement vite aux carrés de

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nombres à deux chiffres, suggérant qu’il peut avoir stocké les réponses enmémoire déclarative comme nombre d’autres grands calculateurs experts (e.g.,l’expert AG connaissait, entre autres, les carrés de tous les nombres jusqu’à130 : cf. Staszewski, 1988).

◆ Déficients sensorielsLes déficients auditifs. Hitch, Arnold et Phillips (1983) ont comparé un

groupe de 10 enfants sourds profonds (10 ans 11 mois en moyenne) à un groupede 10 enfants normaux (6 ans 11 mois en moyenne) appariés sur la base de leurperformance en arithmétique. L’hypothèse des auteurs était que, pour le calculdes additions élémentaires, les sourds s’appuient beaucoup moins sur un comp-tage sous-vocal, et donc recourent plus à des faits stockés en mémoire à longterme déclarative. Cette hypothèse ne s’est pas confirmée : le même modèle decomptage semble s’appliquer aux deux groupes d’enfants.

Abdelli (1985), en revanche, a observé certaines particularités de calculou de réponse chez trois élèves Déficients Auditifs. Le tableau 1 rapporte, dansles colonnes successives, l’addition proposée, le nom d’expérience de l’élève, saréponse en écriture littérale et chiffrée.

Tableau 1. Quelques calculs d’élèves déficients auditifs de 8/9 ans en fonction du typed’écriture de la réponse (d’après le tableau d’Abdelli, 1985 p. 39)

Calcul Elève Réponse

littérale chiffrée

60 + 14 DA12 soixante-onze quatre 74

60 + 18 DA12 soixante un huit 78

DA12 quatre huit un deux 92

80 + 12 DA14 quatre douze 92

DA15 quatre douze dix douze 92

80 + 6 DA12 quatre huit six 86

DA15 quatre vingt dix six 86

10+10+10+5 DA14 cinquante cinq 35

Ce tableau est particulièrement éloquent : alors que, pour tous lesexemples rapportés, les trois élèves produisent des écritures chiffrées toujourscorrectes, aucun ne produit, en aucune occasion, une écriture littérale correcte.

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Une telle observation suggère une indépendance des traitements numérique(symbolique) et linguistique. Notons aussi que le premier calcul, avec lesréponses de DA12, est particulièrement instructif quant à une particularité desélèves déficients auditifs : en effet, alors que pour un sujet normal la connais-sance déclarative verbale est, oralement ou par écrit, triviale, ce même sujet nor-mal, à l’inverse de DA12, risque d’avoir des difficultés avec l’écriture chiffrée74 (il peut écrire 6014 par lexicalisation totale ; ou aussi 614 par analogie avecl’écriture des nombres de 61 à 69).

A partir de cette observation, entre autres, Abdelli conclut que l’oralisa-tion, dont l’intérêt pour la communication avec les entendants ne peut être nié,peut, en revanche, aussi s’avérer un détour cognitif coûteux et inutile.

Les aveugles. Sicilian (1988) a étudié le comptage sur 24 aveugles de nais-sance de 3 à 13 ans, en variant les configurations et la mobilité des objets. Il décritlonguement les trois dimensions des stratégies tactiles qu’ils utilisent :( 1 ) balayage de la collection pour obtenir des informations sur la configuration etles caractéristiques des objets ; (2) organisation du processus de comptage d’aprèsl’arrangement des objets, et (3), partition des objets pour différencier ceux déjàcomptés de ceux qui restent à compter. Mais, aussi bien ces stratégies, qui sontpresque imposées par la nature du déficit, que la progression déve l o p p e m e n t a l eobservée par l’auteur, ne constituent pas des observations vraiment surprenantes.

◆ Déficients moteursUne catégorie importante de déficients moteurs est constituée par les

Infirmes Moteurs Cérébraux (IMC) et a été étudiée par de Barbot et al. (1989).Les observations rapportées par ces auteurs sont variées, voire imprévues (Mel-jac, 1991) : une interprétation générale est donc délicate. On peut cependantremarquer que ces IMC connaissent en général la suite des mots de nombre,mais semblent souvent en difficulté sur des aspects plus procéduraux du comp-tage (e.g., la correspondance terme à terme). L’observation dans une CLIS4(Classe d’intégration pour handicapés moteurs), que nous allons maintenantdévelopper, étaye elle aussi cette hypothèse d’une faiblesse plutôt procédurale(parfois d’origine conceptuelle) que déclarative.

Dans le but de sensibiliser les élèves - ou 3 ou 4 d’entre eux (sur les 8présents) - à la possibilité de données numériques inutiles dans un énoncé deproblème, la maîtresse de cette CLIS4 présente un problème qu’elle avait déjàtraité antérieurement avec les élèves (sans les données inutiles) et qui est bienintégré à la vie de l’école. Les élèves avaient en effet participé à la vente de sty-los dans le but de financer un voyage à Paris.

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L’énoncé initial, présenté au tableau, est :

Nous avons commandé : 1100 stylos.

Nous les avions achetés : 3300 F.

On les revend 10 F pièce.

Participations familiales : 1200 F.

Participations d’entreprises : 900 F.

Quel est le bénéfice sur 1 stylo ?

Un élève G donne aussitôt la réponse : « 7F » ; il précise le calcul qui aconduit à cette réponse : « 10-3=7 ». Mais il est totalement incapable d’expli-quer pourquoi, à partir des données du problème, il a fait un tel calcul. En fait, ilse souvient simplement de la réponse au problème antérieurement traité. Lesdifficultés d’abstraction que manifesteront par la suite tous les élèves, et G enparticulier, suggèrent qu’il s’agit ici d’une connaissance purement déclarative.Plus généralement, cette observation suggère une certaine indépendance de lamémoire (déclarative) et des facultés de raisonnement, indépendance qui estpeut-être plus prononcée chez ces élèves déficients moteurs que celle que nousavons pu observer expérimentalement chez les sujets normaux (Fischer, 1996b).

Devant l’incapacité des élèves à déduire, de l’énoncé, le prix d’achat d’unstylo, la maîtresse improvise des exercices plus simples.

1) D’abord, elle demande de trouver le prix d’un stylo si deux stylos coû-taient 10 F. Les élèves trouvent, assez facilement. La maîtresse demande :« Comment avez-vous trouvé ? » - L’un des élèves répond : « 5+5 ». La maî-tresse écrit au tableau : « 5+5 », mais ajoute, fort justement, « mais vous nesaviez pas 5 ! » 2.

2) Devant l’absence de réaction des élèves à son commentaire, elle déve-loppe, également au tableau, un deuxième exemple : « 3 stylos coûtent 9 F » .Avec toujours la même question : « Combien coûte 1 stylo ? » Les élèves trou-vent, tant bien que mal, la réponse 3 F. La maîtresse en profite pour écrire autableau : « 9F=3x3F ». Elle revient alors au premier exercice, pour faire remarquerque 5+5 peut s’écrire autrement : les élèves, qui venaient de voir 3 x 3, proposent,par un transfert syntaxique analogique inapproprié, « 5x5 ». La maîtresse com-plète, au tableau, « 5+5=5x5 » en faisant évidemment remarquer que c’est fa u x .

2. Ce qui suggère qu’il a trouvé 5 intuitivement et a, ensuite, assuré sa réponse grâce à sa connaissance décla-rative « cinq et cinq, dix » ! Erreur de syntaxe, !

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3) Devant la myopie des élèves à l’égard des structures multiplicatives 3,la maîtresse propose un troisième exemple : j’achète huit stylos pour 24 F, com-bien coûte un stylo ? - Un des élèves, occupé à nettoyer son écran d’ordinateur,répond spontanément : « Tu peux pas en acheter, il en reste plus », montrant quece type de raisonnement hypothético-déductif n’est pas compatible avec sa pen-sée concrète. Comme un autre élève propose « 24+4 », la maîtresse expliquequ’elle va « nécessairement payer moins » pour quatre stylos que pour huit. Lemême élève, probablement parce qu’il a entendu le mot « moins », proposealors immédiatement : « 24 moins 4 égale 20 ». Voyant que la complexité ducalcul risque de faire échouer ce troisième exemple, la maîtresse revient àl’exemple initial avec 5.

4) G repropose 5 F comme réponse. La maîtresse, toujours dans l’espoirde faire émerger l’idée de division, redemande à G, non plus comment il a faitpour trouver, mais : « Qu’est-ce que tu as fait comme calcul ? ». G réplique :« J’ai pas fait de calcul ». Finalement, la maîtresse écrit : « 10:2=5 ».

5) Par une analogie avec le problème « 2 stylos coûtent 10F », et sa solu-tion « 10:2 », la maîtresse arrive à écrire, à propos des 1100 stylos qui coûtent3300 F, qu’un stylo coûte 3300 : 1100. Une élève tape le calcul sur sa calculetteet trouve la réponse : 3 F.

La maîtresse explicite l’état courant de la résolution du problème autableau :

Le prix d’achat d’un stylo est 3 F.

Le prix de vente d’un stylo est 10 F.

G, i.e. l’élève qui avait déjà, initialement répondu 10 - 3 de mémoire,répond maintenant, vraisemblablement à cause de la disposition des deuxnombres au tableau, « 3-10 ». Après rectification, on en arrive à 10 - 3 = 7,moment auquel la maîtresse peut enfin attirer l’attention des élèves sur le faitqu’une partie des données numériques de son énoncé initial étaient inutiles.

◆ Aberrations chromosomiquesNous étudions d’abord le comptage des sujets trisomiques et, ensuite, le

calcul de filles victimes d’une variété moins fréquente d’aberration chromoso-mique, le syndrome de Turner.

3. Piaget (1977, p.35) souligne cette myopie vers 5-6 ans chez l’enfant ordinaire.

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Les sujets trisomiques. Le titre de Gelman et Cohen (1988) annonce desdifférences qualitatives dans la manière dont les enfants trisomiques abordent,comparativement à des enfants normaux, une nouvelle tâche de comptage.Mais, à la lecture de l’article, il apparaît que ces différences qualitatives consis-tent essentiellement en des insuffisances chez les enfants trisomiques. Ainsi, parrapport à ces derniers, les enfants normaux auto-corrigent davantage leurs mau-vais départs, comprennent mieux des indications subtiles, et varient plus leurstypes de solution lorsque les buts et conditions varient. Par ailleurs, les enfantsprésentant le syndrome de Down (trisomie 21) ne semblent pas capables debénéficier des indications sur la manière de résoudre le nouveau problème,même si ces indications incluent des instructions ou démonstrations explicitesde solutions possibles.

L’approche méthodologique de Caycho, Gunn et Siegal (1991) nousparaît plus pertinente. Ces chercheurs ont en effet comparé un groupe de 15enfants trisomiques (9 ans 7 mois en moyenne) avec 15 enfants préscolaires nor-maux (4 ans 6 mois en moyenne), de même âge mental, sur différents tests decomptage : détection d’erreurs violant l’un des trois premiers principes de Gel-man et Gallistel (1978), production de comptages, production d’un cardinal(e.g., extraire 5 objets d’une collection plus grande), principe d’ordre non perti-nent (i.e., attribuer, lors d’un comptage, le numéro 1, ou 2, ou 3,… à un objetprécisé par l’expérimentateur). Dans l’ensemble les performances des deuxgroupes sont comparables. Les auteurs en concluent que c’est plutôt le niveaudéveloppemental que le syndrome de Down, qui détermine le comportement decomptage.

Le syndrome de Turner. Le syndrome de Turner (ST) résulte d’une aberra-tion chromosomique concernant les chromosomes sexuels, à savoir la présenced’un seul chromosome X.

L’étude 1 de Rovet, Szekely et Hockenberry (1994) implique 45 fillesST entre 7.4 et 16.8 ans, appariées suivant l’âge à des filles témoins. Le testWRAT-R montre que les ST sont inférieures aux sujets témoins dans la récupé-ration des faits d’addition et de multiplication et dans la connaissance procédu-rale des additions et divisions. Dans l’étude 2, portant sur 10 filles extraites del’étude 1 et utilisant le test Keymath, les ST n’ont été inférieures que dans l’exé-cution des procédures, mais pas dans la connaissance des faits (mais il pourraits’agir d’un artefact puisque le Keymath n’est pas limité en temps). En dépit dumanque de netteté de ces observations Rovet et al. concluent que leurs « don-nées fournissent des preuves fortes que les enfants avec ST ont des difficultésdans le domaine procédural » (p.832).

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◆ Conclusion

Que pouvons-nous répondre, à l’issue de cette revue qui ne peut avoir laprétention d’être exhaustive, à la question soulevée dans le titre de cet article :les élèves en difficulté calculent-ils autrement que leurs camarades ? Notreréponse n’est pas franchement tranchée.

D’abord, parce que la différence la plus clairement apparue n’est pas vrai-ment une différence dans le calcul lui-même, mais est relative au mode deréponse : les enfants issus de milieux socio-économiques défavorisés sont sélec-tivement en difficulté lorsque le mode de réponse est verbal. De manière ana-logue, les déficients auditifs ont des difficultés lorsque les réponses à des calculssont à fournir en toutes lettres (mode verbal écrit ; évidemment aussi à l’oral),alors que ces difficultés peuvent disparaître totalement lorsqu’ils ont la possibi-lité de répondre en écrivant les nombres en chiffres (mode symbolique). Ce pre-mier point plaide en faveur d’un apprentissage, voire d’une évaluation, nonpurement verbal, accordant une place majeure aux manipulations et aux visuali-sations, tout au moins pour ces deux groupes d’élèves. Cette conséquence péda-gogique n’est pas totalement nouvelle et a, par exemple, pu être soutenue pourl’ensemble des élèves (cas non pathologiques) au travers de la théorie desniveaux de représentation de Bruner (1966 ; voir aussi Fischer, 1993).

Ensuite, parce quelques recherches seulement, et jamais très nettement,suggèrent des différences dans le processus de calcul et de représentation enmémoire. D’un côté, nous avons principalement l’étude longitudinale de Geary etal. (1991) qui a mis en évidence que les élèves à difficulté d’apprentissage enmathématiques ne forment pas, comme les sujets témoins, des connaissancesd é c l a r a t ives par mémorisation des résultats de l’exécution de leurs procédures decalcul. Secondairement, nous avions aussi observé quelques signes d’une telle fa i-blesse dans le développement des connaissances déclaratives (multiplications élé-mentaires) chez des élèves en classe de perfectionnement. De l’autre côté, leso b s e r vations sur trois groupes particuliers (HA, ST et déficients moteurs) suggè-rent des difficultés plutôt procédurales. Pour ce deuxième point, notons que lesimplications pédagogiques sont cependant moins évidentes. Par exemple, ayantconstaté que des élèves LD, spécifiquement en difficulté en arithmétique (pas seu-lement en calcul), ont des déficits en mémoire non verbale (i.e., plutôt en mémoireprocédurale), Brandys et Rourke (1991) préconisent l’apprentissage mécanique destratégies verbales, i.e. de s’appuyer fondamentalement sur la mémoire déclara-t ive. Mais, si une telle suggestion paraît fondée sur le plan cognitif, il faut s’inter-roger sur la motivation d’un élève qui apprendrait, mécaniquement et ve r b a l e-ment, des stratégies dont il ne comprendrait ni la logique, ni l’intérêt.

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Enfin, notre revue de question contient également des observations enopposition forte avec l’idée que les élèves en difficulté auraient un développe-ment en calcul différent de celui des autres élèves. Nous pensons notamment àl’observation de Hitch et al. (1983) qui a montré que les enfants sourds ne sem-blent pas avoir une connaissance des additions élémentaires différente de cellesleurs camarades entendants (de niveau de performance comparable), voire àl’observation plus anecdotique, par Kelly et al. (1997), de RH, un adulte autistequi semble calculer comme les experts (non pathologiques).

Cette réponse, plutôt mitigée et parfois néga t ive comme dans lesexemples juste précédents, à notre question initiale, présente cependant, demanière indirecte, un intérêt pédagogique plus général. En effet, si, même dansdes conditions extrêmes comme celles engendrées par la surdité ou l’autisme,les méthodes de calcul observées par les chercheurs étaient fondamentalementles mêmes, on pourrait émettre l’hypothèse que les pédagogues n’ont pas pu, su,ou voulu, mettre en oeuvre des méthodes différentes avec les élèves victimes deces déficiences ou troubles. Or cela est, peut-être, regrettable. D’une part, parcequ’il est aujourd’hui clairement et scientifiquement établi que des populationsparticulières, comme les sourds pratiquant le langage américain des signes (dansles rotations mentales : cf. Emmorey, Klima & Hickok, 1998) ou les aveugles(dans les localisations des sources sonores : cf. Lessard et al., 1998) peuventavoir des points forts pour lesquels elles sont supérieures aux sujets normaux.D’autre part, parce que le bilan actuel offre une grande marge de progression.Par exemple, à travers la froide réalité des appariements il est apparu que lesenfants sourds de 11 ans ont un niveau de performance dans le calcul des addi-tions équivalent à celui d’enfants normaux de 7 ans, ou que des enfants triso-miques de 9 ans 1/2 ont des performances en comptage comparables à cellesd’enfants normaux de 4 ans 1/2 ; ou encore, plus généralement, la grande pressenous rappelle périodiquement que 80 % des sourds sont illettrés. De telsconstats doivent être considérablement améliorables.

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Quelques dysfonctionnementsdans l’appropriation du nombre,leur diagnostic et leur abord pédagogique

Rémi Brissiaud

R é s u m é

Les dysfonctionnements abordés sont de deux types : 1°) L’absence de mise en relation desconcepts numériques quotidiens et scolaires. 2°) Un défaut de codage spatial du résultatd’un comptage. Le point de vue défendu est que le premier de ces dysfonctionnements nerelève pas d’une déficience, bien qu’il conduise à des retards développementaux impor-tants. A titre d’hypothèse, il est avancé que le second de ces dysfonctionnements corres-pond à une déficience qu’on pourrait appeler : la « vraie dyscalculie ». Un entretien cliniquepermettant de diagnostiquer ces dysfonctionnements, ainsi que des pratiques pédagogiquesadaptées à chacun d’eux, sont présentés succinctement.

M o t s - clés : dyscalculie, enfant, conceptualisation, nombre.

Different types of impairment in the development of number concepts,their diagnosis and remediation

AbstractThis article discusses two types of disabilities: 1) an inability to associate daily life and aca-demic number concepts; 2) a deficiency in the spatial coding of the product of counting. Ourhypothesis is that the former does not reflect a deficiency, although it does result in signifi-cant developmental delays, while the latter reflects a real deficiency which could be called« a true developmental arithmetic disorder ». We briefly describe how to diagnose thesedisabilities through clinical interviewing, and present remediation tools which are appro-priate to each type of disability.

Key Wo r d s : developmental arithmetic disorder, child, conceptualization, number.

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L e titre de cet article est incomplet : il convient de préciser qui porte lediagnostic dont il est question et qui a les pratiques pédagogiques quis’ensuivent.

Etant maître de conférences de psychologie en IUFM, chargé de la forma-tion en psychologie des maîtres spécialisés E, le point de vue qui sera adopté iciest celui d’un tel maître E. Rappelons que les enseignements spécialisés sontorganisés en options qui, pour les premières d’entre elles, correspondent à desd é ficiences sensorielles (option A : handicapés auditifs, B : visuels et C :moteurs) et à la déficience intellectuelle (option D). L’enseignant relevant del’option E, en revanche, est chargé de « l’enseignement et de l’aide pédagogiqueauprès des enfants en difficulté ». Dans ce libellé, il n’est question ni de défi-cience, ni de handicap. Et pourtant, il est clair que parmi les enfants dont lemaître E a la charge, certains consultent chez l’orthophoniste pour une « dys-lexie » et que d’autres, beaucoup plus rares, le font pour une « dyscalculie ». Orles termes « dyslexie » et « dyscalculie » renvoient à des déficiences.

L’existence éventuelle de ces déficiences, qui ne seraient ni sensorielles,ni intellectuelles (au sens où l’on parle habituellement de « déficiences senso-rielles et intellectuelles ») mais seraient des déficiences qui correspondent spéci-fiquement à un domaine de savoirs et savoir-faire, ne peut évidemment pas lais-ser indifférent un maître E.

Cette question structurera le plan de cet article. Je commencerai par yaborder un dysfonctionnement majeur qui, à mon sens, ne doit pas être consi-déré comme relevant d’une déficience : l’absence de mise en relation desconcepts numériques quotidiens et des concepts « scolaires » (Vygotski, 1935-1997, parle le plus souvent de « concepts scientifiques »). J’examinerai ensuiteun dysfonctionnement qui relève probablement d’une déficience : le défaut de

Rémi BRISSIAUDIUFM de VersaillesESA CNRS 7021 (Laboratoire Cognitionet activités finalisées)Centre de Cergy de l’IUFM de VersaillesAvenue Bernard Hirsch - B.P. 30895 027 Cergye-mail : [email protected]

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codage spatial du résultat d’un comptage. Je terminerai enfin par l’abord d’undysfonctionnement qui a partie liée avec les deux précédents : le manque deconceptualisation de la numération décimale.

◆ Un 1er type de dysfonctionnement qui ne relève pasd’une déficience : l’absence de mise en relation des conceptsnumériques quotidiens et scolaires

Le cas Julie

Considérons le cas de Julie, élève de CP prise en charge par le maître Edu réseau d’aide depuis le mois de novembre parce qu’en difficulté dans l’ap-propriation de la langue écrite. Au mois de mars, Julie a compris le principealphabétique et, vu ses progrès en lecture, le maître E mène un entretien avecelle pour apprécier ce qu’il en est concernant le nombre.

Cet entretien débute par ce qu’on appellera ici des « problèmes d’antici-pation ». Considérons par exemple ce problème, qui s’inspire d’une épreuve uti-lisée par Huttenlocher et al (1994) : l’enseignant et l’enfant disposent chacund’un « tapis » (en fait, une feuille format A 4). L’enseignant aligne 8 jetons, parexemple, sur son tapis et dit à l’enfant de bien les regarder parce qu’il va lescacher et que lui, devra mettre « pareil de jetons » sur le sien. Cette tâche per-met de savoir si l’enfant pense à mesurer la collection (le plus souvent parcomptage) pour garder la mémoire d’une quantité qui va être masquée et, bienentendu, s’il sait le faire.

Julie réussit sans aucune difficulté avec 8 et 12 jetons (sinon, l’entretiense serait poursuivi en proposant la même tâche avec 3 jetons parce que la réus-site n’exige pas que l’enfant sache compter. Cf. Huttenlocher et al, 1994).

Le même dispositif permet de savoir si l’enfant est capable de résoudredes problèmes d’addition et de soustraction. L’ é p r e u ve correspondante com-mence comme la précédente : l’enseignant met 8 jetons, par exemple, sur sontapis, invite l’enfant à garder la mémoire de la quantité correspondante, puisil les cache avec un couvercle parallélépipédique en carton. En fait, unepetite face de ce couvercle manque, ce qui permet de glisser la main à l’inté-rieur du « tunnel » ainsi formé et d’ajouter ou retirer un nombre donné dejetons. Après que 8 jetons aient été cachés, l’enseignant en met 3 autres àl’entrée du « tunnel », il invite l’enfant à quantifier cette nouvelle collectionpuis glisse les 3 jetons sous le couvercle en un seul geste (et non l’un aprèsl’autre).

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Il s’agit d’un « problème d’anticipation » puisqu’il s’agit d’anticiper cequ’on verra lorsque le couvercle en carton sera soulevé. Là encore, l’enfant doitmettre sur son tapis « pareil de jetons » que ceux qui sont cachés (ces jetons per-mettent éventuellement à l’enfant de contrôler par lui-même l’exactitude de saréponse).

Julie réussit ce problème quasi immédiatement, vraisemblablement parune procédure de comptage mental. Elle réussit un autre problème d’addition etdeux de soustraction (dans ce cas, la main se glisse dans le « tunnel », en retiredes jetons dont la quantité est montrée au sujet).

En revanche, vers la fin de l’entretien, quand on lui demande « un plusdeux » (il s’agit dans ce cas d’un énoncé formel oral), elle sort 1 doigt sur unemain, 2 autres sur l’autre et répond d’abord 5, puis 6. Pour « un plus trois », ellepropose 8. Comme l’adulte ne dit rien, elle se remet à compter et propose 14puis, interrogative, « 15 ? ». Comme l’adulte ne répond toujours pas, elle seremet à nouveau à compter et propose 12. A ce moment, l’enseignant luidemande ce qu’elle est en train de chercher. Elle répond « un plus trois », ellen’a pas oublié. Pour « deux plus trois », elle propose 12 puis 19.

Le phénomène intéressant est évidemment qu’elle réussisse immédiate-ment « 8 et encore 3 » dans le contexte d’un problème d’anticipation alorsqu’elle échoue à « 1 + 3 » dans celui d’un énoncé formel.

Concepts quotidiens, concepts scolaires et activité de l’élève

Il suffirait que Julie pense au contexte des jetons cachés pour qu’ellesache calculer « 1 + 3 » (la suite de l’entretien l’a d’ailleurs montré). Elle a desconnaissances numériques, celles qui fonctionnent dans la vie quotidienne,mais, dans un contexte scolaire, elle ne les mobilise pas. A l’école, elle est avanttout soucieuse de se comporter conformément à ce qu’elle pense être l’attentedu maître. A divers moments de l’entretien, d’ailleurs, on perçoit clairementqu’elle a une forte propension à mettre de côté le sens des tâches qui lui sontproposées, pour rechercher dans le comportement de l’adulte des indices de labonne réponse.

Brousseau (1980) a défendu l’idée que l’interprétation que certains élèvesfont des tâches scolaires est vraisemblablement une des causes importantes deleur échec avec le nombre. Précisons cette idée en utilisant le vocabulaire de lapsychologie ergonomique. Il est normal, pour un élève, de chercher à se repré-senter la tâche attendue par le maître. Or l’activité des élèves, c’est-à-dire cequ’ils font réellement, varie considérablement selon la représentation qu’ilsconstruisent de la tâche attendue.

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A un extrême, on trouve les élèves qui pensent que l’enseignant attendessentiellement d’eux qu’ils montrent leur savo i r- faire dans l’utilisation desalgorithmes qu’il leur a enseignés. Leur activité ne commence que lorsqu’ils ontla réponse à la question : « Lequel veut-il que j’utilise ? ». Dans les petitesclasses, d’ailleurs, ces élèves sont encore ingénus : ils questionnent souvent lemaître pour savoir « ce qu’il faut faire », comme s’il pouvait leur dire ! Par lasuite, face à l’absence de réponses des maîtres, ils tentent de choisir le « bonalgorithme » à partir d’indices contextuels : celui qui est en cours d’étude aumoment où le problème est posé, celui qui, vu la taille des nombres, est le plusprobable, etc.

A l’autre extrême, on trouve des élèves qui fonctionnent dans une véri-table « connivence épistémologique » avec le maître parce qu’ils savent trèsbien que l’enjeu véritable des situations scolaires est moins l’utilisation de telou tel algorithme que l’appropriation des raisons qui fondent un tel choix.

Les uns et les autres n’ont pas le même « rapport au savoir scolaire »(Charlot et al, 1992), la même tâche ne les conduit pas à la même activité. Lespremiers pourront, éventuellement, apprendre des savoirs scolaires (apprendre àfaire une addition en colonnes, par exemple). Mais ces savoirs scolaires risquentde n’être utilisés que pour eux-mêmes, c’est-à-dire sans répercussions sur lessavoirs numériques quotidiens. Chez les seconds, en revanche, la dialectiquevygotskienne entre concepts scolaires et concepts quotidiens fonctionne pleine-ment. D’une part, chez eux, les concepts scolaires se construisent à partir desconcepts quotidiens qui les précèdent. D’autre part, lorsque ces élèves utilisentles concepts scolaires, ils expérimentent un système qui ne fonctionne pas àvide, parce qu’à terme, leurs concepts quotidiens viendront s’y réorganiser.

Ce dysfonctionnement (absence de mise en relation des concepts quoti-diens et des concepts scolaires) ne doit pas être interprété comme relevant d’unedéficience du sujet. Il s’agit d’un dysfonctionnement de l’activité du sujet etl’on sait que celle-ci est co-déterminée par le sujet et par les tâches.

Dans une épreuve visant à diagnostiquer ce type de dysfonctionnement,les « problèmes d’anticipation » doivent vraisemblablement jouer un rôle priv i l é-gié. Dans ces problèmes, en effet, le but de la tâche est d’élucider une propriétécachée d’un dispositif (Combien y a-t-il de jetons cachés par le couvercle, parexemple). Les enfants s’y représentent plus facilement le but de la tâche en rela-tion avec le dispositif lui-même, c’est-à-dire avec les moyens dont ils disposentpour trouver la solution, plutôt qu’avec une intention d’enseigner ou d’éva l u e rqu’ils attribuent au maître. C’est d’ailleurs en agissant sur le dispositif qu’onvalidera ou non leur réponse (lorsqu’on soulèvera le couvercle, par exe m p l e ) .

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On peut même conseiller au maître E qui doit mener un tel entretiend’évaluation, de le commencer par des problèmes d’anticipation, pour que larencontre avec les enfants prenne, au départ, la forme la moins scolaire possibleet, partant, qu’il puisse apprécier à leur juste mesure, les connaissances numé-riques quotidiennes de ces enfants.

◆ Un 2e type de dysfonctionnement qui correspondvraisemblablement à une déficience :le défaut de codage spatial du résultat d’un comptage

Le cas Kévin

Dans le cadre d’un travail commun, le Centre pour Enfants InfirmesMoteurs Cérébraux de Bailly (Yvelines), m’a communiqué un enregistrementvidéo d’un entretien avec cet enfant. Cet entretien suit une toute autre logiqueque celui que j’ai évoqué jusqu’ici : il commence par les aspects les plus for-mels du nombre : réciter la suite des mots-nombres, dictée de nombres, etc., lesrésolutions de problèmes se trouvent plutôt en fin d’entretien. J’ai quand mêmechoisi de m’appuyer ici sur ce cas, parce qu’il me semble exemplaire de ceuxpour lesquels on peut légitimement parler de déficience.

Kévin est un enfant de 13 ans, infirme moteur cérébral, ayant eu un déve-loppement verbal à peu près normal bien qu’il ait une légère dysphasie d’ex-pression.

Au cours de l’entretien, il montre qu’il sait compter au delà de 100, lireles écritures chiffrées jusqu’à 999, écrire les nombres sans hésitation jusqu’à 99.En revanche, pour écrire « huit cent trente et un «, il hésite entre 831 et 8031. Saconnaissance de la suite orale ou chiffrée des mots-nombres, s’avère donc glo-balement assez correcte.

Par contre, pour déterminer 8+3, il n’a pas d’autre moyen que de dessinerd’abord 8 bâtons puis 3 bâtons, avant de recompter le tout. Il sait faire une addi-tion en colonnes : il aligne correctement les chiffres, pose la retenue au bonendroit dans les cas simples (c’est-à-dire quand il n’y a pas de zéros interca-laires), mais pour chaque addition correspondant aux chiffres situés dans unemême colonne, il est obligé de dessiner des bâtons et de recompter le tout.

Un autre élément de l’entretien attire l’attention : Kévin ne reconnaît pasd’emblée le nombre associé à 4 unités alignées, ni celui qui correspond à la face« 5 » d’un dé (4 points au sommet d’un carré, le 5e au centre de ce carré). Dansles deux cas, il a besoin de recompter une à une les unités de ces collections.

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Différencier les retards développementaux et les déficits durables

Pourquoi, à mon sens, peut-on légitimement parler de dyscalculie dans lecas de Kévin? Pour l’essentiel, les recherches concernant les enfants en grandedifficulté dans leurs apprentissages numériques s’accordent sur une caractéris-tique commune à la quasi-totalité de ces sujets : ils ne mémorisent pas le résultatd’additions élémentaires telles que 7 + 5, 8 + 3, etc. A 12, 13 ans, ils sont tou-jours obligés de compter sur leurs doigts, de compter des objets ou encore decompter mentalement pour obtenir le résultat (pour une revue de question, voir,par exemple, Geary, 1993).

Mais avant de parler de dyscalculie, il faut s’assurer qu’on n’est pas enprésence d’un simple retard développemental. La distinction entre décalagedéveloppemental et déficit durable est ici cruciale parce qu’elle renvoie à desfacteurs causaux de natures différentes : alors que les facteurs pédagogiques et,plus largement, culturels, suffisent à expliquer des décalages développementaux,la notion de déficit renvoie nécessairement à des caractéristiques individuelles.

Rappelons que les enfants américains ont, en moyenne, un retard déve-loppemental de 2 ans par rapport aux enfants asiatiques dans la mémorisation durépertoire additif (Geary et al, 1992) et il ne viendrait à l’idée de personne d’af-firmer qu’ils souffrent d’un déficit ! C’est un facteur culturel qui explique un telphénomène : les enfants asiatiques disent les nombres après dix, « dix-un, dix-deux, dix-trois, etc. dix-sept, dix-huit, dix-neuf ». Du coup, quand un enfantasiatique doit calculer 9 + 6, par exemple, il est rapidement conduit à ne pluscompter, son cheminement de pensée pouvant se décrire comme suit.

L’enfant asiatique s’aperçoit rapidement que 9 + 6 dépassera 10 (parceque 10, c’est le nombre qui vient tout de suite après 9). Comme les nombresaprès 10 se disent « dix-un, dix-deux, etc. », il sait qu’il lui suffit de répondre àla question : « De combien 9+6, dépasse-t-il 10 ? », pour connaître le résultat(un nombre qui dépasse 10 de 3, par exemple, c’est « dix-trois »). Il fait donc cequ’on appelle un « passage de la dizaine » : « 9 auquel on ajoute 6, il fautd’abord ajouter 1 pour faire 10, et, du coup, on va dépasser 10 de… 5 (6 a étédécomposé en 1 + 5). Ça fait donc dix-cinq ».

Il n’est guère étonnant pour un psychologue que ce type de stratégie de« décomposition - recomposition » conduise beaucoup plus rapidement à lamémorisation du résultat que la statégie de comptage de 15 bâtons ou mêmecelle de surcomptage au dessus de 9 (Rappelons qu’on appelle ainsi la procé-dure où l’enfant, pour déterminer 9 + 6, dit « 9 » pour « positionner » son sur-comptage, sort 6 doigts et compte après 9 sur les doigts qu’il a sortis : 10, 11,12, 13, 14 et 15).

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En effet, mémoriser « neuf et six, quinze », c’est construire l’unité d’in-formation, le « chunk » correspondant. Or lorsqu’un enfant surcompte, les mots« dix », « onze », « douze », « treize », « quatorze », qu’il prononce entre lesdonnées du problème, « neuf et cinq », et le résultat, « quinze », font obstacle àl’association des données au résultat (Fischer, 1992, présente un modèle théo-rique de la mémoire qui explique la supériorité du passage de la dizaine, à tra-vers la distinction entre apprentissage procédural et apprentissage déclaratif).

Le retard développemental des enfants américains, par rapport aux enfa n t sasiatiques, s’explique donc par un facteur culturel. Or, bien avant la publication deces études interculturelles, les pédagogues français savaient que deux processusexpliquent le progrès des enfants vers le nombre : d’une part, la mentalisation desprocédures de comptage (les élèves ont de moins en moins besoin d’objets, leurcomptage est de plus en plus un comptage mental où ils comptent des mots-nombres plutôt que des objets) et, d’autre part, l’utilisation de collections-témoinso rganisées telles que les configurations de doigts ou les constellations qui, elles,conduisent à des stratégies de décomposition-recomposition. (voir le chapitre 6dans Brissiaud, 1989). En fait, une question telle que : « Faut-il enseigner ex p l i c i-tement le surcomptage aux enfants ou faut-il favoriser une découverte autonomede cette stratégie ? », structure la vie pédagogique depuis bien longtemps et, vrai-semblablement, pour longtemps encore (Brissiaud, 1997).

La façon dont on dit les nombres dans une langue, n’est donc pas le seuloutil culturel qui soit la source de décalages développementaux entre enfants : lapratique pédagogique des maîtres, selon qu’elle favorise un cheminement versle nombre « à l’américaine » ou « à l’asiatique » est, elle aussi, susceptible deproduire des décalages importants, qu’il convient de ne pas confondre avec desdéficiences.

Un défaut de codage spatial du résultat d’un comptage à l’origine de ladyscalculie ?

Cependant, dans le cas de Kévin, il n’est plus temps de parler de décalagedéveloppemental : il a 13 ans et il emploie toujours, pour déterminer 8 + 3, laprocédure la plus primitive, celle où l’on recompte le tout.

Parmi les données disponibles concernant ce cas, j’ai souligné que l’uned’elle doit attirer l’attention : à 13 ans, cet enfant est incapable, lorsqu’il voit 5points disposés comme sur un dé, de dire directement combien il y en a. Il abesoin de compter les points 1 à 1. A 13 ans, il a probablement vu et compté descentaines de fois les points de cette face du dé. Et pourtant il n’anticipe toujourspas le fait que s’il compte un nouvelle fois des points qui sont disposés ainsi, il

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trouvera 5. Chez lui, la constellation (la forme géométrique) ne constitue tou-jours pas un codage figural (donc spatial) du résultat du comptage des points.

Le cas de Kévin est évidemment très différent de celui de Julie : à 7 ans,celle-ci reconnaît déjà qu’il y a 5 points quand ils sont disposés comme sur undé. Il s’agit là d’un savoir-faire numérique quotidien, que la plupart des enfantss’approprient dès l’école maternelle, c’est-à-dire avant de rencontrer, à l’écoleélémentaire, le formalisme arithmétique.

On comprend qu’un tel enfant n’ait pas découvert de façon autonome lesurcomptage : la possibilité de réaliser un codage spatial du résultat d’un comp-tage fonctionne vraisemblablement comme pré-requis pour une telle découverte(Fuson, 1982 ; Brissiaud, 1995a). On comprend tout autant qu’il soit encoreobligé de compter 4 points alignés pour dire combien il y en a. En effet, pourrépondre sans compter, il faut interpréter la collection à l’aide d’une décomposi-tion : 2 + 2 ou 3 + 1 (Fischer, 1991) et le codage figural du résultat d’un comp-tage est vraisemblablement nécessaire pour qu’une connaissance verbale telleque « deux et deux, quatre », devienne fonctionnelle.

D’une façon générale, il me semble que le défaut de codage spatial durésultat d’un comptage, entraîne un défaut de connaissance des décompositionsdes nombres et, en fin de course, un défaut de mémorisation du répertoire addi-tif. Dans ce cas, l’absence de mémorisation n’est vraisemblablement pas unsimple retard développemental mais le signe d’une authentique dyscalculie.

En fait, c’est la conceptualisation même du nombre qui se trouve empê-chée. Précisons cette idée. Pour mesurer la « taille » d’une collection, pour gar-der la mémoire de cette « taille », il existe deux moyens (Brissiaud, 1989,1995b) :

- La collection-témoin : c’est ce que construisaient les bergers macédo-niens, par exemple, lorsqu’ils faisaient correspondre un caillou à chaquemouton. Dans ce cas, une pluralité (de moutons) est représentée par unepluralité (de cailloux) équivalente.

- Le nombre où une pluralité est représentée par un signe unique, denature linguistique, que ce soit le chiffre écrit, « 9 » par exemple, ou lemot-nombre oral, « neuf », qui lui correspond.

Pour conceptualiser le nombre, il faut donc passer de la pluralité de lareprésentation par une collection-témoin, à l’unité de la représentation linguis-tique. Ou encore : il faut passer de la séquentialité du comptage (1, 2, 3, 4, 5, 6,7, 8, 9) à la simultanéité de la dénomination du nombre (il y en a 9). Le codagespatial du résultat d’un comptage est vraisemblablement nécessaire à de tellesopérations de pensée et, donc, nécessaire à la conceptualisation du nombre.

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◆ Un dysfonctionnement qui renvoie à l’un des deux précédents :un manque de conceptualisation de la numération décimale

L’enseignement de la numération décimale échoue très souvent (vo i r, parexemple, Bednarz et Janv i e r, 1986). D’un de vue point conceptuel, la numérationdécimale trouve son fondement dans un changement de taille des collectionsqu’on utilise comme « unités » pour quantifier une grande collection. S’il s’agit des avoir combien il y a d’objets dans une collection qui en contient 458, parexemple, on peut évidemment compter ces objets 1 à 1. Mais c’est long ! Aussi,plutôt que de « compter des 1 », il vaut mieux choisir une grande unité, le cent, etse mettre à « compter des cents » : un cent, deux cents, trois cents, quatre cents.Quand on ne peut plus compter des cents, on se met à « compter des dix » : quatrecents et dix, quatre cents et deux dix (malheureusement, ce nombre se dit : quatrecent vingt), quatre cents et trois dix (malheureusement, ce nombre se dit : quatrecent trente), etc. C’est seulement en fin de procédure qu’on se met à « c o m p t e rdes 1 ». Conceptualiser la numération décimale, c’est comprendre et utiliserl ’ é q u ivalence de ces deux procédures (Brissiaud, 1989 ; Fuson et al, 1997).

Concernant la conceptualisation de la numération décimale, on saitaujourd’hui que le facteur culturel est crucial. Là encore, on peut évoquer lesétudes interculturelles à l’appui d’une telle affirmation : toutes les recherchesmontrent que les enfants asiatiques conceptualisent mieux la numération déci-male que les enfants américains et l’explication la plus souvent avancée renvoieà la façon dont les peuples asiatiques disent les nombres. Plutôt que dire « dix,vingt, trente, etc. », les asiatiques disent « un dix, deux dix, trois dix, etc. ». Ilest donc explicite dans leur langue que dix est une « grande unité » de compte,ce qui, évidemment, aide à la conceptualiser comme telle. D’autres recherchesmettent en évidence le rôle des pratiques pédagogiques (voir par exemple Fusonet al, 1997).

Le cas où ce défaut de conceptualisation correspond à un dysfonctionnementdu 1er type

En fait, le plus souvent, le manque de conceptualisation de la numérationdécimale résulte d’un manque de mise en relation des concepts numériques quo-tidiens et scolaires. De façon plus précise, un enseignement précoce et systéma-tique de l’addition en colonnes est souvent à l’origine d’un tel dysfonctionne-ment (Brissiaud, 1989). Rappelons-en les raisons.

Remarquons tout d’abord que les enfants peuvent calculer des additionstelles que 36 + 21, par exemple, avant qu’on leur ait enseigné l’addition encolonnes. Ils peuvent évidemment compter 1 à 1 pour former une collection de

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36 objets, faire de même pour former une autre collection de 21, et enfinrecompter le tout 1 à 1. Mais c’est long ! Ils ont intérêt à travailler avec dixcomme « grande unité » : 36 c’est 3 dix et 6 ; 21 c’est 2 dix et 1 ; 3 dix et 2 dix,ça fait 5 dix ; 6 et 1, ça fait 7 ; le résultat est 5 dix et 7, soit cinquante sept.

L’addition en colonnes conduit elle aussi au résultat exact, mais c’est lepositionnement des chiffres dans les colonnes, qui prend entièrement en chargele changement d’unité. L’enfant qui a conceptualisé la numération décimalecomprend les raisons d’un tel positionnement ; mais pour celui qui ne l’a pasencore conceptualisée, ce n’est pas gênant : il peut quand même apprendre l’ad-dition en colonnes en s’y exerçant de façon répétée (l’alignement en colonnes,comme le phénomène de la retenue, sont alors des « trucs scolaires » que l’élèveapplique pour avoir les bonnes réponses). Lorsque c’est le cas, l’addition encolonnes se substitue au comptage des « grandes unités » que sont les dizaines.Alors que ce comptage permettrait à l’ensemble des élèves de progresser dans laconceptualisation de la numération, la technique de l’addition en colonnes leurpermet seulement d’avoir le résultat exact, masquant ainsi le manque de concep-tualisation chez certains d’entre eux.

En résumé, au moment où le pédagogue enseigne l’addition en colonnes,il y a deux sortes d’élèves : ceux qui ont déjà conceptualisé la numération(c’est-à-dire le « changement d’unités ») et ceux pour qui ce n’est pas encore lecas. Concernant ces derniers, leur enseigner l’addition en colonnes, c’est les pri-ver de la situation pédagogique qui favorise vraisemblablement le mieux cetteconceptualisation : utiliser le groupement de 10 pour déterminer le résultatd’une addition de manière plus économique qu’en comptant 1 à 1.

Un manque de conceptualisation de la numération décimale a donc sou-vent des causes pédagogiques. Il ne renvoie pas nécessairement à une quel-conque déficience.

Le cas où ce défaut de conceptualisation correspond à un dysfonctionnementdu 2e type

En revanche, quelles que soient les pratiques pédagogiques des maîtres,un élève tel que Kévin aura probablement des difficultés à conceptualiser lanumération décimale : on voit mal comment il serait possible de prendre dixcomme « grande unité » de compte, sans que le groupement de 10 unités élé-mentaires ne renvoie directement au résultat de leur comptage, dix. L’élève défi-cient dans le codage spatial du résultat d’un comptage (cas de ce qu’on pourraitappeler la « vraie dyscalculie »), le sera vraisemblablement tout autant dans laconceptualisation de la numération.

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La plupart du temps, ces enfants vont alterner deux points de vue sur lescollections : soit ils considèrent que l’unité est le « 1 », soit ils considèrent quel’unité est « la dizaine », mais dans ce dernier cas, le « 1 » disparaît de leuresprit. A aucun moment, ils ne coordonnent les deux points de vue nécessaires àla conceptualisation de la dizaine : composée de 10 unités élémentaires, elle estelle-même une grande unité de compte.

Rappelons enfin que Kévin sait faire une addition en colonnes commeune suite d’additions de chiffres (à chaque fois il dessine les bâtons correspon-dants et recompte le tout). Ce constat est conforme à l’analyse menée précédem-ment : de nombreux élèves apprennent l’addition en colonnes par l’exercicerépété. Ils travaillent colonnes par colonnes, sans attribuer leurs valeurs déci-males aux différents chiffres. Cette technique ne nécessite pas la conceptualisa-tion de la numération décimale, elle ne nécessite pas de savoir que le même des-sin, « 2 », par exemple, selon sa position, désigne deux, vingt, deux cents, etc.

Ce 3e dysfonctionnement renvoie donc à l’un ou l’autre des deux précé-dents. Il était quand même important d’aborder ici de manière spécifique le dys-fonctionnement correspondant à un manque de conceptualisation de la numéra-tion décimale, et ceci pour deux raisons au moins. D’abord parce que, sansnumération décimale, il n’y a pas de représentation numérique des grandesquantités qui soit possible. Ensuite parce que ce dysfonctionnement entretientdes liens étroits avec l’enseignement des techniques opératoires. Or cet ensei-gnement a longtemps constitué l’alpha et l’oméga de l’arithmétique scolaire.

◆ Conclusion : comment diagnostiquer ces diversdysfonctionnements et quelle prise en charge pédagogique ?

A un certain niveau de généralité, les trois dysfonctionnements envisagésprécédemment sont donc de deux types seulement. Le premier type correspondà un manque d’articulation entre concepts scolaires et concepts quotidiens et lesecond à « un défaut de codage spatial du résultat d’un comptage ». Avantd’avancer des éléments de réponse aux questions posées concernant le diagnos-tic et une éventuelle prise en charge pédagogique de ces dysfonctionnements, ilconvient d’insister sur le caractère hypothétique de la proposition selon laquelle« la vraie dyscalculie » correspondrait au second d’entre eux.

Un parallèle entre l’abord de la dyscalculie et celui de la dyslexie

En fait, un seul phénomène est, à ma connaissance, bien attesté aujour-d’hui : les enfants en grande difficulté dans leurs apprentissages numériques nemémorisent pas, sur le long terme, le répertoire additif élémentaire. Or, de

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même qu’on ne définit généralement plus aujourd’hui la dyslexie de la manièresuivante : « trouble persistant de la lecture-écriture, malgré une intelligence nor-male et un environnement scolaire adéquat », il faut résister à la tentation dedéfinir la dyscalculie comme « un trouble persistant de la mémorisation durépertoire additif, malgré une intelligence normale et un environnement scolaireadéquat ». Ce type de définition a conduit, concernant la dyslexie, à confondredurablement retard développemental et déficience. Le même effet est à craindreconcernant la dyscalculie.

Aujourd’hui, on considère généralement que l’origine de la dyslexie est àchercher du côté de déficiences ténues dans certaines opérations conscientes trèsparticulières sur les phonèmes. Du coup, alors qu’il était courant, il y a quelquesannées, de considérer que 10 % de la population souffre de dyslexie, les propor-tions avancées aujourd’hui sont beaucoup plus prudentes : de l’ordre de 1 à 3 %.Et elles sont plutôt sur une pente descendante !

Le point de vue développé dans cet article postule qu’on assistera, dansles années qui viennent, à une évolution comparable concernant la dyscalculie.De manière plus précise, le « défaut de codage spatial du résultat d’uncomptage » est un bon candidat au statut de « déficience ténue susceptible d’en-traver de manière grave, l’appropriation du nombre chez l’enfant ». Est-ce leseul candidat ? Cette façon de décrire cette déficience est-elle la meilleure ?Bien des progrès restent à faire pour répondre à ces questions.

En revanche, cette façon d’aborder les difficultés persistantes avec lesnombres, où l’on ne se risque à parler de dyscalculie que lorsqu’on pense avoirisolé une déficience dont on comprend le statut causal, me semble devoir êtreretenue. On dispose d’une vaste panoplie de moyens pédagogiques pour aborderles dysfonctionnement du 1er type alors qu’à ma connaissance, on est relative-ment démuni face à ceux du 2e type (Peut-être, dans ce cas, est-il raisonnabled’adopter une stratégie de compensation ?). Toute approche de la dyscalculiequi conduirait à renoncer à l’usage de la panoplie pédagogique habituelle pourune trop grande proportion d’enfants, ne pourrait qu’avoir des conséquencessociales néfastes.

Diagnostiquer

Avec quelques étudiants et collègues, nous travaillons actuellement àl’élaboration d’un guide d’entretien permettant un tel diagnostic. Je me conten-terai ici de rapporter les principales idées qui nous guident.

Un moyen de repérer les dysfonctionnements du 1er type consiste à menerun entretien clinique qui 1°) commence par ce que j’ai appelé des « problèmes

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d’anticipation » et 2°) se termine par les mêmes problèmes alors qu’ils sonténoncés sous une forme plus formelle. La réussite aux problèmes d’anticipationet l’échec à leurs équivalents énoncés de façon formelle, révèle un tel dysfonc-tionnement.

Une grande variété de problèmes peuvent être énoncés sous la forme de« problèmes d’anticipation ». Une description théorique de cette façon d’énon-cer les problèmes se trouve dans Brissiaud, (1989, p. 105-109). Un problèmecélèbre qui est énoncé ainsi, est le « problème des poupées » (Meljac, 1979) :l’enfant dispose d’une collection d’images de poupées et il doit, en un voyage,aller chercher « exactement ce qu’il faut de robes, pas plus, pas moins », alorsque les robes sont à l’autre bout de la pièce. Une caractéristique de ces pro-blèmes est que l’arithmétisation de la situation (Barrouillet et Fayol, 1995) est àla charge de l’enfant. Les compétences numériques quotidiennes peuvent s’yrévéler.

Nous avons vu qu’un autre avantage des problèmes d’anticipation estqu’ils permettent à l’enfant un auto-contrôle de la réalisation du but. Du coup, ilest souvent intéressant de proposer la même tâche une deuxième fois, en chan-geant les valeurs numériques : il est fréquent que cette possibilité d’auto-contrôle change chez l’enfant la représentation de la tâche attendue et, par suite,qu’il progresse lors de la reprise de la tâche. On procède ainsi à ce qu’on appelleaujourd’hui une « évaluation dynamique », au sens où elle renseigne égalementsur les progrès que l’enfant est susceptible de réaliser à court ou moyen terme.

Concernant le dysfonctionnement du 2e type, on peut insérer dans l’entre-tien des phases où l’adulte et l’enfant jouent ensemble à des jeux comme un jeude dominos dont on aurait réorganisé les collections : 3 est représenté sous laforme 2 + 1 (2 points rapprochés et 1 éloigné du groupe de 2), 4 comme sur ledé ou sous la forme 2 + 2, 5 comme sur le dé ou sous la forme 2 + 2 + 1, etc. Ils’agit, au cours d’une « évaluation dynamique », d’apprécier si l’enfant utiliseces décompositions ou est susceptible de se les utiliser pour reconnaître lesnombres.

Quelle prise en charge pédagogique pour les dysfonctionnement du 1er type ?

Le 1 er type de dysfonctionnement correspond à un manque d’articulationentre concepts scolaires (ou « scientifiques ») et concepts quotidiens. Dans uneperspective vygotskienne, ceci peut s’exprimer ainsi : l’enseignement qui a étéprodigué à l’enfant n’a pas été source de développement parce que l’élève n’ena retenu, au mieux, que les aspects formels. Considérons le processus queVygotski décrit ainsi (1935, 1997, p. 371) : « le concept scientifique évolue

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…/… en se liant à l’expérience que l’enfant a dans ce domaine et en absorbantcelle-ci ». Dans ce cas, ce processus n’a pas lieu. Plus que d’un dysfonctionne-ment de l’enfant (ou de l’enseignant, d’ailleurs), il s’agit d’un dysfonctionne-ment, pour cet enfant, de la médiation que l’enseignant a organisé entre l’en-semble des enfants et la connaissance arithmétique. Un maître E qui travaille enréseau d’aide (RASED) devra vraisemblablement, pour cet enfant, s’orientervers une re-médiation. Il s’agit, pour les différents contenus de connaissancesarithmétiques, de changer la représentation que ces élèves ont des tâches atten-dues. Comme nous l’avons vu, les problèmes d’anticipation doivent certaine-ment jouer un grand rôle dans cette re-médiation.

Quelle prise en charge pédagogique pour les dysfonctionnements du 2e type ?

Il n’est pas facile de répondre à cette question. Un élément de l’entretienavec Kévin suggère peut-être une piste. A 13 ans, il ne sait toujours pas com-bien il y a de jours dans la semaine. En revanche, il sait compter les jours sur sesdoigts. Il commence en sortant les doigts de la main gauche : « lundi, mardi,mercredi, jeudi, vendredi » puis il dit « samedi » et « dimanche » en pointant lepouce et l’index de la main droite avec l’index gauche. En fin de procédure, ilsait dire directement (sans compter oralement un, deux… les doigts qu’il vientde considérer), qu’il y a 7 jours. C’est donc le pattern de ses doigts sortis qui luia permis d’accéder directement au mot-nombre « sept ».

Cette observation semble contradictoire avec le fait que, face à la face 5du dé, il ne sait pas dire combien il y a de points. Mais la contradiction n’estqu’apparente : l’organisation spatiale des collections de doigts ne s’appréhendepas seulement sur le mode figural (visuel), elle s’appréhende aussi sur un modekinesthésique. Cette observation montre que Kévin, s’il n’accède pas à uncodage figural du résultat d’un comptage, a cependant la possibilité d’utiliserune autre forme de codage spatial : le codage kinesthésique. Il ne souffrirait qued’une « forme atténuée » de dyscalculie.

Dès lors, peut-être est-il possible de s’appuyer sur cette compétence pré-servée pour l’aider à progresser. Les questions suivantes se posent : dans quellemesure un codage kinesthésique du résultat d’un comptage, permet-il de com-penser l’absence de codage figural ? Et quelles sont les pratiques pédagogiquesqui favorisent une telle compensation ?

De manière évidente, on peut penser à utiliser cette capacité préservéepour lui enseigner le surcomptage, en utilisant des patterns kinesthésiques dedoigts. Attention cependant : on sait que lorsqu’on enseigne explicitement lesurcomptage sur les doigts, certains enfants s’enferment dans l’emploi de cette

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procédure et ne mémorisent jamais le répertoire additif élémentaire ; et cecialors qu’ils n’ont pas la déficience de Kévin. Il est clair qu’il convient d’hésiteravant de prendre une telle décision pédagogique : c’est pratiquement décider apriori du niveau de compétence maximum que Kévin est susceptible d’atteindre(il apprendra à surcompter, mais pas plus).

S’il convient d’hésiter dans ce cas, qui est l’un de ceux où le diagnosticde dyscalculie semble assuré, que dire d’un cas où ce diagnostic serait moinsbien assuré ? Il faut le répéter encore une fois : le diagnostic de dyscalculie nedoit jamais être porté à la légère.

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Performances perceptivo-tactiles etperformances arithmétiques chez le jeune enfant

C. Marinthe, M. Fayol et P. Barrouillet

R é s u m éLes objectifs principaux de cet article sont de 1) confirmer que les capacités perceptivo-tac-tiles des enfants de 5-6 ans, attestant d’un niveau de maturation du lobe pariétal, seraientplus prédictives de la réussite des apprentissages en calcul que le niveau de développementintellectuel ; 2) rechercher si ce niveau de maturation prédit davantage une réussite dansles activités numériques nécessitant une manipulation mentale des quantités que danscelles utilisant la récupération des séquences verbales ; 3) vérifier que, le niveau de matura-tion du lobe pariétal étant évalué à partir des performances des enfants dans des tâchesperceptivo-tactiles et d’analyse visuo-spatiale, le degré de développement des habiletésintermodales tactilo-visuelles est un meilleur prédicteur des compétences numériques quele degré de développement des habiletés intramodales, visuelle ou tactile seules. Cent vingtenfants de 5-6 ans ont été soumis à des épreuves neuropsychologiques de perception, desépreuves de développement et enfin, des épreuves numériques. Des analyses de régressionont permis de répondre aux trois objectifs poursuivis.

Mots-clés : capacités numériques, épreuves neuropsychologiques, habiletés intermodales,performances arithmétiques, performances perceptivo-tactiles.

Perceptual-tactile and arithmetic performances in the young child

AbstractThe main objectives of this article were 1) to confirm that perceptual-tactile skills (reflectingthe level of mat u r ation of the parietal lobe) in 5 to 6 year-old children are more predictive ofthe mastery of arithmetic skills than is the child's level of intellectual development; 2) todetermine whether this level of mat u r ation is a better predictor of the mastery of those nume-rical activities requiring mental manipulation of quantities than of those activities requiring theretrieving of verbal sequences; 3) to verify that, when the level of mat u r ation of the parietallobe is measured on the basis of the child's performance on perceptual-tactile and visual-s p atial tasks, the level of development of inter-modal tactile-visual skills is a better predictorof numerical skills than is the developmental level of intra-modal skills, when visual and tac-tile skills are assessed separat e l y. One-hundred-and-twenty 5 to 6 year old children wereadministered the following tests: neuropsychological tests of perception, tests of develop-ment and numerical tasks. Our three objectives were addressed through regression analyses.Key Wo r d s : numerical skills, neuropsychological tests, inter-modal skills, arithmetic achie-vement, perceptual-tactile skills.

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D ans une précédente recherche nous avons montré que des performancesen arithmétique d’enfants de 5-6 ans pouvaient être prédites à partir deleurs performances à des épreuves neuropsychologiques perceptivo - t a c-

tiles administrées plusieurs mois auparavant, et ceci indépendamment de leurn iveau intellectuel (Fayol, Barrouillet et Marinthe, 1998). Pour tester cette hy p o-thèse, 189 enfants de grande section de maternelle avaient été soumis à troistypes de tâches : 1) Des tests neuropsychologiques perceptivo-tactiles reg r o u p a n tquatre épreuves : simultagnosie - gnosies digitales - discriminations digitales etgraphiesthésie ; 2) Des épreuves de développement intellectuel incluant des des-sins du losange et du bonhomme ; 3) Enfin, des épreuves numériques portant surl’écriture et la comparaison de nombres, le dénombrement de collections et réso-lution de problèmes. Six mois plus tard, en première année primaire, les 172e n fants restants avaient à nouveau été soumis à quatre épreuves numériques : dic-tée de nombres - numération - opérations et résolution de problèmes. Les résul-tats avaient mis en évidence que le niveau de développement neuropsycholo-gique des enfants évalué à 5 ans expliquait mieux que le niveau ded é veloppement intellectuel les performances en arithmétique, en grande sectionmaternelle comme en première année primaire. Ces résultats conduisent à s’in-terroger sur les relations entre fonctions perceptives et fonctions cognitive s .

◆ Relations entre performances perceptives et arithmétiquesDès 1924, Gerstmann a observé chez l’adulte, un syndrome dont l’élé-

ment central est l’agnosie digitale qui s’associe à une indistinction droite-gauche, une agraphie et une acalculie (Benson et Geschwind, 1970 ; Gerstmann,1940). Ce syndrome a été discuté par Benton (1961) du fait que la réunion desquatre symptômes n’est pas obligatoire et que d’autres symptômes peuvent yêtre associés. Toutefois, la liaison agnosie digitale - troubles arithmétiques a été

C. MARINTHE (*), M. FAYOL (*)et P. BARROUILLET (**).(*) LAPSCO/CNRS

Université Blaise Pascal34 avenue Carnot63037 Clermont Ferrand cedex

(**) LEAD/CNRSFaculté des Sciences6 boulevard Gabriel21000 Dijon

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confirmée. Sur le plan anatomique, la lésion intéresse la région pariétale posté-rieure de l’hémisphère dominant (cf. plus loin).

Les résultats précédemment rapportés concernent uniquement des adultes.R o u r ke (1993) a étudié les performances en mathématiques, en lecture et neuro-psychologiques (motrices, psychomotrices, perceptivo-tactiles et visuo-spatiales)de trois groupes d’enfants de 9 - 14 ans. Le premier présentait des résultats fa i b l e sen mathématiques comme en lecture ; le deuxième avait de meilleurs résultats enmathématiques qu’en lecture, avec néanmoins des performances en arithmétiqueinférieures à la normale. Ces deux groupes ne présentaient par ailleurs aucuned é ficience signifi c a t ive dans le domaine neuropsychologique. Le troisième groupes’opposait au deuxième du fait de résultats meilleurs en lecture qu’en mathéma-tiques. Ces enfants ne savaient pas ranger les chiffres dans la colonne adéquatelorsqu’ils écrivaient une opération en colonne. Ils avaient également des diffi c u l t é sà placer la virgule d’un nombre décimal ; ils oubliaient ou ajoutaient des étapesdans les opérations. En situation de jugement et de raisonnement, ils n’arriva i e n tpas à appliquer une connaissance particulière à un domaine. Par ailleurs, leurs per-formances aux épreuves neuropsychologiques étaient faibles. Les difficultés gra-pho-motrices étaient source d’erreurs dans l’écriture des nombres. Ces enfa n t sé p r o u vaient des difficultés de l’organisation visuo-spatiale et des capacités psy-cho-motrices. Par contraste, leur mémoire verbale était normale. Rourke (1993 ;R o u r ke et Conwa y, 1997) a ainsi mis en évidence que des enfants ayant des défi-cits des capacités perceptivo-tactiles présentaient également des difficultés d’ap-prentissage des mathématiques. Ces troubles rappellent ceux du syndrome deGerstmann. En effet, chez les adultes porteurs de ce syndrome, l’acalculie atteintde manière plus marquée les activités conceptuelles que verbales. Ainsi, on peutfaire l’hypothèse d’une certaine continuité entre le syndrome de Gerstmann et cer-tains troubles arithmétiques chez l’enfant.

En résumé, les troubles décrits relativement au syndrome de Gerstmannet ceux qui ont été mis en évidence chez certains enfants présentant des difficul-tés d’apprentissage de l’arithmétique font soupçonner l’existence de liaisonsentre d’une part, les habiletés perceptives, notamment tactiles et visuo-spatiales,et d’autre part, les capacités arithmétiques à dominante conceptuelle. Une possi-bilité serait que ces différentes habiletés et capacités partagent les mêmes sitesanatomiques.

◆ Le rôle potentiel de l’aire de Brodmann

Du point de vue neuro-anatomique, les aires associatives somesthésiquessont situées dans la partie centrale (aires 5 et 7 de Brodmann) et postérieure

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(aires 39 et 40 de Brodmann) du lobe pariétal. Les informations provenant de larétine sont intégrées par le système nerveux central au niveau du cortex visuelprimaire, ou aire 17 de Brodmann. Cette aire située dans le cortex occipital pos-sède des projections sur les aires visuelles associatives correspondant aux aires18 et 19 de Brodmann. Au sein de ces aires associatives, il existe deux circuitscorticaux distincts : un situé dans le cortex inféro-temporal spécialisé dans laperception des formes et un autre situé dans le cortex pariétal postérieur (aires39 et 40) spécialisé dans la localisation spatiale des objets. L’aire 39 du lobepariétal intervient donc dans l’intégration perceptive tant tactile que visuelle.

Du point de vue cognitif, l’aire 39 de Brodmann est impliquée dans letraitement des nombres. Dehaene et Cohen (1995) ont élaboré un modèle archi-tectural fonctionnel et anatomique du traitement des nombres : « the triple-codemodel ». Ce modèle suggère que les nombres peuvent être représentés, dans lecerveau humain, selon trois codes distincts : 1) visuel arabe, situé dans les airesoccipito-temporales droite et gauche ; 2) verbal, selon lequel les nombres sontencodés sous forme de séquences syntaxiquement organisées de mots, sous ladépendance des aires périsylviennes gauches et du ganglion basal gauche et 3)analogique, selon lequel les nombres sont représentés sous forme analogiquedans les aires pariétales inférieures (aire 39 de Brodmann). Ces trois représenta-tions sont reliées par des voies permettant la traduction rapide d’un format àl’autre. Deux voies principales sont ainsi disponibles. La « voie directe nonsémantique » dans laquelle les entrées numériques sont transformées en formatverbal accessible à la mémoire verbale des faits arithmétiques. La récupérationde ces séquences verbales est assurée par une boucle cortico-sous-corticalegauche à travers le ganglion basal. Cette région sous-corticale appartenant auxnoyaux gris centraux de l’HG serait impliquée dans l’addition et la multiplica-tion. La deuxième voie est une voie « sémantique directe » par laquelle lesmanipulations mentales des quantités numériques sont utilisées pour effectuerdes opérations. Cette voie se situerait dans le cortex pariétal inférieur. Le gyrusangulaire, ou aire 39 de Brodmann de I’HG, est crucial dans la représentationquantitative et la manipulation mentale des nombres (Geschwind et Galaburda,1985). Il permet d’accéder au sens des nombres en tant que quantité abstraite.

Pour conclure, l’aire 39 de Brodmann est impliquée comme aire intégra-trice dans la perception haptique, l’analyse des relations visuo-spatiales entreobjets et la manipulation mentale des quantités. La proximité anatomique, dufait qu’elle favorise l’intégration des dimensions précédemment évoquées, pour-rait ainsi être à l’origine des corrélations relevées entre performances concer-nant ces dimensions, impliquées aussi bien dans le syndrome de Gerstmann quedans les troubles présentés par certaines populations d’enfants ayant des diffi-

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cultés en arithmétique. Si tel est le cas, on peut s’attendre à ce que les perfor-mances les plus affectées soient celles qui nécessitent pour la détermination desquantités la coordination de deux modalités, par exemple visuelle et tactile, etque les moins affectées soient celles qui ne concernent qu’une modalité, parexemple visuelle ou tactile seule. En revanche, cette aire ne semble pas interve-nir dans l’intégration des dimensions verbales du traitement numérique. Enconséquence, comme l’a déjà observé Rourke, les performances numériques fai-sant intervenir une forte composante verbale ne devraient pas se trouver asso-ciées à celles qui mobilisent les dimensions haptique et visuo-spatiale.

◆ La présente étude

Les objectifs principaux sont ici de 1) confirmer que les capacités percep-tivo-tactiles des enfants de 5-6 ans, attestant d’un niveau de maturation du lobepariétal, seraient plus prédictives de la réussite des apprentissages en calcul quele niveau de développement intellectuel ; 2) rechercher si ce niveau de matura-tion prédit davantage une réussite dans les activités numériques nécessitant unemanipulation mentale des quantités que dans celles utilisant la récupération desséquences verbales ; 3) vérifier que, le niveau de maturation du lobe pariétalétant évalué à partir des performances des enfants dans des tâches perceptivo-tactiles et d’analyse visuo-spatiale, le degré de développement des habiletésintermodales tactilo-visuelles est un meilleur prédicteur des compétences numé-riques que le degré de développement des habiletés intramodales, visuelle outactile seules.

Cent vingt enfants de 5-6 ans ont été soumis à des épreuves neuropsycho-logiques de perception, des épreuves de développement et enfin, des épreuvesnumériques.

a) Epreuves neuropsychologiques : les enfants devaient comparer unepaire de stimuli pour décider s’ils étaient identiques ou différents. Cette tâcheétait exécutée selon deux modalités perceptives : 1) intramodale (l’explorationet la reconnaissance de la paire de stimuli mobilisaient simultanément le mêmetype de perception), tactile (tâche de stimulation tactilo-tactile ou TT) ouvisuelle (tâche de stimulation visuo-visuelle ou VV) ; 2) intermodale (l’explora-tion et la reconnaissance de la paire de stimuli mobilisaient simultanément lesperceptions tactile et visuelle, tâche de stimulation tactilo-visuelle ou TV). Dansla condition TT, les paires étaient composées de plaques en carton rigide sur les-quelles étaient collées 3, 4, ou 5 figures différentes (rectangle, carré, triangle,flèche, croix) ou 3, 4 ou 5 carrés de 1cm de côté. Les enfants ignoraient lenombre d’éléments présents sur chaque plaque. Ils touchaient avec la main

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droite les paires de stimuli dissimulées sous un carton. La main gauche demeu-rait immobile sur les genoux. L’exploration était libre et non chronométrée. Illeur était demandé de dire si ce qu’ils touchaient sur les deux plaques était ounon pareil. Une seule réponse (oui versus non) était acceptée. Dans la conditionVV, les paires étaient composées de rectangles de carton souple sur lesquelsétaient dessinées 6, 7 ou 8 figures différentes (les mêmes que précédemment) ou6, 7 ou 8 carrés de 1cm de côté. Les paires étaient présentées visuellement àl’enfant. Celui-ci ne pouvait se servir des mains pour pointer et repérer les élé-ments saillants du stimulus. Dans la condition TV, les paires étaient composéesd’une plaque de carton rigide et d’un rectangle de carton souple avec les mêmes3, 4 ou 5 figures et carrés. L’enfant touchait une plaque dissimulée sous un car-ton et devait décider si le rectangle présenté simultanément mais visuellementétait semblable ou différent de la plaque perçue tactilement. Les épreuves ontété passées individuellement. Le nombre total de paires à explorer était de 36 :12 en condition TT, 12 en VV et 12 en TV. L’ordre de présentation était aléa-toire. Chaque bonne réponse s’est vue attribuer la note 1 et chaque mauvaiseréponse la note 0. Le score total des épreuves neuropsychologiques était de 36.

b) Les épreuves de développement appartenaient à l’Echelle d’Admissionau Cycle Elémentaire (E.A.C.E). Elles comportaient deux parties.

1) la copie de formes géométriques : croix, rond, lettre X, carré, triangleet losange. La reproduction des trois premières formes étant acquise à l’âge dela population, seules les trois dernières figures interviennent dans l’estimationdu niveau de développement de l’enfant.

2) la copie de personnages : quatre personnages et un oiseau. Le premierpersonnage est un homme présenté de trois-quarts face avec le bras gauche plié.Le deuxième est également un homme présenté de trois-quarts face avec lesdeux membres supérieurs levés. Le troisième dessin est celui d’une femmeassise de profil, le bras droit plié et posé sur les cuisses. Le quatrième dessinreprésente une fillette de profil avec le bras gauche tendu en avant. Le dernierdessin représente un oiseau en vol. Ces épreuves ont été passées collectivement.Les indices de développement ont été calculés d’après les tables de cotation del’E.A.C.E.

c) Les épreuves numériques. Elles ont été réparties en deux catégories :une faisant appel à la récupération directe des nombres en mémoire (exercices1,3,5 = NumR) et l’autre nécessitant la manipulation et la représentation men-tale des quantités (exercices 2,4,6 = NumM).

- Exercice N°1 : suite de nombres. Une bande, divisée en plusieurs casesremplies par une suite de nombres, était dessinée sur une feuille. Cette bande

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comportait une case vide et l’enfant devait écrire le nombre manquant dans lacase vide (ex : 27 - 28 - - 30 - 31). L’expérimentateur ne lisait pas les nombresécrits dans les cases. Après un item d’entraînement, cinq autres items étaientproposés à l’enfant.

- Exercice N°2 : c o m p a raison de nombre s . Cinq paires de nombresétaient écrites sur la feuille. L’enfant devait lire seul la paire de nombres etentourer le plus grand des deux (9/4; 6/2; 12/20; 7/8; 17/27).

- Exercice N°3 : dénombrement de quantités. L’enfant devait dénombrerdes dessins puis sélectionner le domino correspondant au cardinal de la collec-tion. Une autre épreuve consistait à dessiner un nombre donné de ronds (9) puisde carrés (15).

- Exercice N°4 : résolution de problèmes. L’expérimentateur proposaitcinq problèmes différents, trois se résolvaient à l’aide d’une addition et deux àl’aide d’une soustraction. Quatre de ces problèmes contenaient un verbe dyna-mique tel que gagner ou perdre, ce qui pouvait guider l’enfant quant au signeopératoire à utiliser. Le cinquième comportait un verbe neutre (avoir). L’expéri-mentateur répétait l’énoncé trois fois de suite et l’enfant devait entourer le résul-tat supposé parmi six réponses proposées.

- Exercice N°5 : succession de nombres. L’expérimentateur énonçait unnombre à haute voix. L’enfant devait entourer celui qui, parmi quatre autresnombres, se trouvait immédiatement avant ou juste après.

- Exercice N°6 : sélection de nombres. L’expérimentateur lisait, à hautevoix, un nombre. L’enfant devait le reconnaître parmi cinq nombres écrits enligne sur la feuille et l’entourer. Après un item d’entraînement, l’enfant devaitrépondre à cinq autres items.

Chaque épreuve comportait donc cinq items et chaque item était noté1 ou 0. L’épreuve de récupération directe des résultats et l’épreuve de manipula-tion des quantités totalisaient chacune 15 points. Le score total de l’épreuvenumérique était de 30 points.

◆ RésultatsLe tableau 1 résume les résultats obtenus à chaque épreuve. Le score

moyen aux épreuves numériques (NumG) est de 15,46/30 (DS = 7,3) avec unemoyenne de 8,04/15 (DS = 4,12) en NumR (récupération directe en mémoire) et7,39/15 (DS = 3,65) en NumM (manipulation et représentation des quantités).Le score aux épreuves neuropsychologiques (Neuro) est de 25,85/36 (DS = 3,3)avec une moyenne de 6,8/12 (DS = 1.6) en condition tactilo- tactile (TT), de

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9,9/12 (DS = 1,39) en condition visuo-visuelle (VV) et de 9,02/12 (DS = 1,84)en condition tactilo-visuelle (TV).

Le score moyen de l’indice de développement (ID) est de 88,22 (DS =12,26).

Tableau 1 : Scores moyens aux différentes épreuves

VARIABLE MOYENNE ECART-TYPE

NumG/30 15,46 7,3

NUMERIQUE

NumV/15 8,04 4,12

NumC/15 7,39 3,65

Neuro/36 25,85 3,3

NEURO

TT/12 6,8 1,6

VV/12 9,9 1,39

TV/12 9,02 1,84

DEVELOPPEMENT ID 88,22 12,26

Afin de déterminer le pouvoir explicatif de chaque VI, nous avons effec-tué des analyses de régressions linéaires pas à pas et des corrélations partielles.Dans tous les cas, les variables indépendantes étaient d’abord, le résultat auxépreuves neuropsychologiques (Neuro), aux épreuves de développement (ID)puis le résultat à chacune des trois épreuves perceptives (TT, VV, TV). La pre-mière analyse prenait pour variable dépendante le résultat aux épreuves numé-riques (NumG) ; la seconde, le résultat aux épreuves numériques de manipula-tion (NumM) ; et la troisième, le résultat aux épreuves numériques derécupération (NumR).

Tableau 2 : Corrélations partielles et part de variance expliquée (R2) :Numérique/ Neuro/ Développement (ID). * : p<.05 ; **: p<.01, *** : P<.001

Neuro ID

NumG .54*** (32%) .24** (4%)

NumR .55*** (33%) .25 * (4%)

NumM .45*** (23%) .19** (3%)

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Les corrélations partielles montrent que la variable Neuro est à chaquefois plus fortement corrélée avec les résultats aux épreuves numériques. Lesrégressions pas à pas mettent en évidence que le score aux épreuves neuropsy-chologiques prédit mieux que le niveau de développement le résultat auxépreuves numériques prises en totalité ou réparties en épreuves numériques derécupération et de manipulation.

Les mêmes analyses ont été effectuées en prenant les différentes compo-santes de la variable Neuro comme variables indépendantes (TT, VV, TV) et engardant les mêmes variables dépendantes. La liaison entre les différents typesd’épreuves numériques et la condition TT n’est jamais significative. Les régres-sions linéaires pas à pas montrent que la variable TV sort toujours en premier,suivie de VV, significative en deuxième pas.

Tableau 3 : Corrélations partielles et variance expliquée (R2) :Numérique/ TT VV TV. *** p< .001

TT VV TVNumG -.06ns (<1%) .44*** (13%) .50*** (30%)

NumR -.04ns (<1%) .45*** (14%) .50*** (31%)

NumM -.07ns (<1%) .37*** (10.5%) .42*** (22.5%)

◆ DiscussionDeux résultats ont été mis en évidence : 1) le score aux épreuves testant le

n iveau de maturation du système nerveux central prédit mieux la réussite desapprentissages en calcul que celui évaluant le développement intellectuel et 2) led é veloppement des habiletés intermodales TV prédit mieux les compétencesnumériques que les habiletés intramodales TT ou VV. Seule la condition TT n’apas d’impact sur les scores aux épreuves numériques. Ce fait peut s’expliquer parla difficulté des enfants à exécuter la tâche dans cette condition. En effet, à cetâge, le balayage tactile d’un stimulus n’est pas encore organisé. L’ e n fant oubliede toucher certaines parties ou au contraire explore deux fois le même objet. Deplus, il ne saisit pas en général les indices marquants et, du point de vue cognitif,a du mal à élaborer une représentation mentale de la situation (Hatwell, 1981).Dans ces conditions, les capacités perceptives des jeunes enfants sont donc engénéral sous-estimées et cette modalité sensorielle ne semble pas pertinente pourexplorer le degré de maturation du lobe pariétal chez des enfants de 5 - 6 ans.

Par contre, dans la condition visuo-visuelle, l’oeil saisit le stimulus danssa globalité et peut en extraire les éléments saillants. De plus, ajouter la percep-

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tion tactile à la perception visuelle (condition TV) fait progresser la réponse. Lamain organise le balayage en fonction de la vue. L’enfant confirme ou précisepar le toucher les informations recueillies par la vue, ce qui explique que lacondition tactilo-visuelle soit plus plus prédictive des résultats en arithmétiqueque les conditions intramodales tactile ou visuelle.

Ainsi les résultats établis par Gerstman et Rourke sur des sujets porteursde troubles numériques ont été étendus à des enfants plus jeunes et ne présen-tant pas de troubles identifiés. Ces résultats confirment que les habiletés percep-tivo-tactiles et visuo-spatiales constituent un prédicteur des capacités numé-riques. Les enfants ayant les meilleurs (vs les plus faibles) résultats auxépreuves numériques ont également de meilleures (vs les plus faibles) perfor-mances aux épreuves neuropsychologiques.

En revanche, l’hypothèse que le niveau de maturation du SNC préditmieux la réussite aux activités numériques de manipulation qu’aux activitésnumériques de récupération n’a pas été validée. Ce résultat tient probablementau fait que la plupart des tâches numériques proposées aux enfants impliquaientune activité relevant de la mémoire verbale ou de la manipulation des quantités,même si elles faisaient intervenir une autre dimension pour l’expérimentateur.Par exemple, dans l’épreuve de dénombrement de collections, les dessins étaientdisposés en vrac à l’intérieur d’un rectangle. L’enfant devait coordonner lecomptage oral et le pointage afin de ne pas dénombrer deux fois le même élé-ment ou ne pas en omettre un (Camos, Fayol & Barrouillet, sous presse). Ildevait de plus associer le nombre total trouvé à un domino représentant la mêmequantité. Cette épreuve imposait sans doute non seulement une bonne mémoireverbale des faits numériques et des capacités à contrôler le déroulement d’unetâche complexe. Il n’est alors plus possible de parler uniquement de récupéra-tion en mémoire verbale ou de manipulation et représentation des quantités. Ilsemble nécessaire, pour tester cette différenciation, d’attendre que les connais-sances des enfants soient suffisamment avancées car, à six ans, toute activiténumérique est à la fois conceptuelle et computationnelle.

La présente étude a confirmé les résultats mis en évidence lors d’une précé-dente recherche, à savoir que les performances d’enfants de 5 ans à des épreuve sneuropsychologiques perceptivo-tactiles prédisent mieux que le niveau intellectuelleurs performances en arithmétique. Elle a en plus précisé qu’ajouter la perceptiontactile à la perception visuelle améliore les réponses des enfants aux épreuves neu-ropsychologiques. En revanche, la jeunesse des enfants ne permet pas de mettreen évidence une différence signifi c a t ive entre réussite aux épreuves numériquesfaisant appel à la récupération directe en mémoire et réussite à celles qui nécessi-tent la manipulation et la représentation mentale des quantités.

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tives from neurology and neuropsychology. Journal of Learning Disabilities, 30, 1, 34-46.

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Compétences arithmétiques : une aide àl’évaluation et à l’action pédagogique

Françoise Duquesne

R é s u m éCet article présente un outil d’évaluation des compétences numériques (ECPN) destiné à desenfants ayant des difficultés d’apprentissage en mathématiques. Il relate des élémentsd’une étude en cours concernant un échantillon de 132 enfants tout-venant et des enfantsen difficulté : plus particulièrement, des enfants atteints d’I.M.C. avec dyspraxies ou de dys-phasies développementales. L’analyse proposée porte sur quelques résultats comparatifsentre les différentes stratégies mises en oeuvre par les enfants de ces populations.

Mots-clés : Compétences numériques, conceptualisation, difficultés d’apprentissage, réso-lution de problèmes, stratégies de résolution.

Arithmetic skills : description of an evaluation tool

AbstractThis paper describes a tool devised for the evaluation of number-related skills in childrenwith specific learning difficulties in mathematics : the ECPN (a conceptual test of the abilityto solve numerical problems). It summarizes the first results of an ongoing study involving132 pupils with no academic difficulties and children with learning difficulties : more specifi-cally, children with cerebral palsy and dysphasia or dyspraxia. We took a special interest incomparing the strategies used by these two populations when solving arithmetic problems.

Key Wo r d s : arithmetic skills, conceptualization, learning difficulties, problem solving,solving strategies.

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Pour repérer des difficultés d’apprentissage, il faut des outils. Il y en arelativement peu pour évaluer les apprentissages mathématiques, en tout casbeaucoup moins qu’il n’en existe dans les domaines de la langue comme en lec-ture par exemple.

En mathématiques, nous avons à notre disposition, d’un côté des outilsqui s’intéressent au développement logique et opératoire de l’enfant, d’un autrecôté ceux qui analysent minutieusement des savoirs-faire comme le dénombre-ment, le transcodage entre les numérations écrite et orale, la mémorisation desfaits numériques ou encore la maîtrise des algorithmes.

Nous avons cherché à proposer aux praticiens un autre type d’outil qui apour but d’obtenir des indications sur la façon dont les enfants construisent etutilisent les propriétés distinctives du nombre, celles qui fondent le concept denombre même : d’où son nom ECPN 2.

Cette épreuve n’exige que peu de connaissances puisque ne sont en jeuque de petites quantités et que le recours à l’écrit est évité ainsi que l’appelexplicite à la mémorisation des faits numériques. Les six items se présententsous la forme de situations problèmes, décrites oralement, avec un supportmatériel et dans une mise en scène plutôt ludique.

Bien qu’il soit apparemment simple et pratiquement rapide à faire passer(10 à 30 mn selon les enfants), ce test met en jeu des compétences assez com-plexes qu’on observe au travers des différentes procédures utilisées par lessujets pour résoudre ces problèmes.

Françoise DUQUESNECNEFEI 58 - 60 av. des Landes 92500 Suresnespour le groupe CIMETE 1

1. CIMETE : Groupe composé de : F. de Barbot ; C. Bernardeau, F. Duquesne ; M.H. Marchand ; C. Meljacavec la participation de R. Collomp, C. Larrère, M. Mazeau, D.Truscelli, G. Vergnaud.2. ECPN : Epreuve Conceptuelle de résolution de Problème Numérique. Test paru dans ANAE, n° hors série,janvier 95, « Apprentissage du calcul et dyscalculies ».

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Cette batterie a été appliquée, d’une part auprès d’un groupe de 132enfants tout venant de 4 à 9 ans, d’autre part à environ 80 sujets présentant dif-férents troubles du développement.

Dans cet exposé, nous présenterons très succinctement les différentesépreuves ainsi que quelques résultats relatifs aux deux catégories d’enfants.

Cet outil d’évaluation explore les possibilités de conceptualisation numé-rique des enfants en ce qui concerne essentiellement quatre grandes fonctionsdu nombre : évaluer, égaliser, comparer et transformer des quantités.

◆ Situation initiale du testOn constitue devant l’enfant, trois tas de jetons qui sont attribués chacun

à l’une des trois figurines suivantes : un chat, un chien, un lapin, à qui des jetonsont été distribués.

chat chien lapin

Une boite de réserve de 20 jetons est mise à la disposition de l’enfant,sans ostentation. Elle sera éventuellement retirée de manière que l’expérimenta-teur puisse ainsi inciter à modifier la stratégie adoptée. Tous les jetons sontidentiques. Il est important de faire tous les exercices, y compris en cas d’échecde certains (sauf ceux indiqués dans le texte).

◆ Evaluer et comparer des quantités

Item 1 : On demande à l’enfant de décrire la situation :

« Voici le chat, voici le chien, voici le lapin, ils ont chacun des jetons,que peut-on en dire ? »

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Après une pre m i è re réponse spontanée, on peut aider l’enfant enajoutant : « Comment a-t-on donné les jetons à chacun ? »

Item 2 : A partir de la situation initiale, on demande à l’enfant : « Qui ale plus de jetons ? comment le sais tu ? »

Compétences recherchées

Le but est de repérer ce qui, pour un enfant mis devant une situation dedistribution numérique, semble le plus prégnant à communiquer.

L’enfant reconnaît-il cette situation comme relevant du nombre ou s’at-tache-t-il plutôt aux aspects figuratifs du matériel ? Imagine-t-il une histoire oujoue-t-il avec les jetons ( comme le « chien court après le chat » ou « le lapinmange des carottes ») ?

Procédures observées

A-t-il l’idée de compter les trois collections ou la plus grande ou en com-parant les quantités?

Estime-t-il globalement la taille des collections par subitizing 3 des pluspetites ou par correspondance terme à terme ?

C’est l’occasion aussi, lorsque le dénombrement est incorrect, d’examinerplus précisément les procédures de comptage avec tout le lot d’erreurs possiblesque nous ne rappellerons pas ici (cf. Chichignoud).

Quelques résultats

Les réponses non numériques représentent un fort pourcentage chez lespetits (75 % des enfants de moins de 5 ans 6 mois) et diminuent en fonction del’âge avec une modification brutale à 6 ans. Au final, près de 80 % d’enfantstout-venant savent évaluer des petites quantités.

D’autre part, dès 4 ans, tous les enfants savent aussi les comparer et com-prennent le terme « plus ».

On retrouve un taux moins élevé de réussite chez les enfants endifficulté : certains enfants dyspraxiques interprètent bien la situation commerelevant du nombre mais se trompent très souvent dans leurs dénombrementsalors qu’à l’inverse des enfants dysphasiques, par exemple, ne perçoivent passpontanément l’aspect numérique du problème bien que leurs techniques decomptage soit en général tout à fait efficaces.

La stratégie la plus fréquente, le dénombrement, est en moyenne utiliséepar un enfant sur deux dans la population ordinaire. Il nous semble intéressanttoutefois de souligner que, dans la population d’enfants tout-venant, à partir de

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8 ans, ils sont de plus en plus nombreux à opter pour la comparaison directe,sans dénombrement, en référence à la plus grande collection : passé le capd’une certaine maîtrise du dénombrement, cette stratégie est donc plus écono-mique. Nous ne retrouvons pas dans la population en difficulté cette évolutiondans les choix de procédures.

◆ Egaliser des collectionsItem 3 : Revenir à la situation initiale si nécessaire et demander à l’en-

fant : « Que faire pour qu’ils en aient tous pareil ? »

3. Subitzing : capacité à appréhender globalement, sans dénombrement, une petite collection.

La même consigne est répétée trois fois de suite en incitant l’enfant àtrouver à chaque essai des procédures différentes. Revenir à la situation initialeentre chaque manipulation et chaque consigne.

Compétences recherchées

Notre objectif est de repérer des capacités non seulement à comprendrel’égalisation mais aussi à mettre en oeuvre plusieurs procédures différentes pourrésoudre le même problème. C’est pourquoi les enfants sont sollicités trois foisde suite. En les poussant dans leurs retranchements, nous cherchons à leur faireutiliser des stratégies plus inhabituelles ou plus élaborées que, sans cet acharne-ment, les enfants n’auraient peut-être pas mobilisées.

Procédures observées

Chacune des différentes façons d’égaliser deux collections repose sur uneconceptualisation de niveau différent, selon que le sujet s’intéresse plutôt aux

chat chien lapin

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objets, plutôt aux mots-nombres associés aux collections ou éventuellement àdes calculs.

Quelques résultats

Dès 5 ans, les enfants savent pratiquement tous égaliser de petites collec-tions et ce, en mobilisant deux stratégies différentes. Un tiers des sujets demoins de 5 ans 6 mois est capable d’en solliciter trois différentes.

Les enfants en difficulté trouvent tous au moins une stratégie mais parcontre, ils sont très nombreux à n’en trouver qu’une seule.

On peut penser que mettre en oeuvre plusieurs procédures pour résoudreune même tâche, c’est déjà être capable de prendre du recul par rapport à sonaction, de la formaliser en en reconnaissant les caractéristiques (comme se dire« là j’en ai remis » ou « maintenant, il faut que j’en retire »). Cette capacitésemble cruellement faire défaut aux enfants en grandes difficultés d’apprentis-sage.

Quant aux types de stratégies, les deux populations n’utilisent pas lesmêmes procédures résolvantes dans les mêmes situations ni avec la même fré-quence ni dans le même ordre.

◆ Utiliser la relation d’ordre quantifiéeItem 4 a) On modifie la distribution des jetons placés devant chaque figu-

rine et on demande : « Arrange toi pour que le chien en ait 4 de plus que lechat »

Item 4 b) Avec la même distribution des jetons on demande : « Arrangetoi pour que le chien en ait 1 de plus que le chat »

chat chien lapin

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Item 4 c) On modifie à nouveau la distribution des jetons et on demande :« Arrange toi pour que le chien en ait 3 de plus que le chat »

Item 4 d) On modifie la distribution des jetons. Il s’agit de la situationfinale de l’exercice précédent. On pose la question : « Arrange toi pour que lelapin en ait 5 de plus que le chat »

Compétences recherchées

Le but est de repérer quel sens les enfants donnent à l’expression « avoirn de plus que ». Sont-ils capables, à la fois, d’établir une relation d’ordre entredeux collections et de la quantifier en lui associant un nombre qui mesurel’écart entre les deux quantités en jeu?

Nous proposons quatre situations apparemment semblables mais qui, làencore, correspondent à des niveaux de conceptualisation différents puisqu’ilsdemandent des opérations de pensée différentes.

chat chien lapin

chat chien lapin

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Procédures observées

L’enfant peut égaliser les deux collections avant d’effectuer un ajout ouajouter le nombre de jetons qui est énoncé dans la consigne ou ajouter à la col-lection la plus petite ou retirer à la collection la plus grande ; il peut aussi utili-ser un calcul plus ou moins élaboré.

Quelques résultats

Cette série d’items constitue l’une des épreuves la plus difficile de notreprotocole puisque les conduites inefficaces sont très majoritaires.

On trouve deux grands types d’erreur :• celles qui consistent à réduire la relation « avoir n de plus que » à son

aspect qualitatif, la comparaison, sans tenir compte des quantités : l’ex-pression « le chien a 4 jetons de plus que le chat » est comprise comme« le chien a plus que le chat »

• celles qui, au contraire, ne retiennent de cette relation que l’informationnumérique : dans ce cas l’expression « le chien a 4 jetons de plus que lechat » est comprise comme « le chien a 4 jetons ».

C’est cette dernière conduite qui est la plus fréquente. Au final, un enfantsur deux est incapable de coordonner les aspects relationnels et numériques quiconstituent la compétence à ordonner des quantités en fonction de la mesure deleur différence.

En ce qui concerne la population en difficulté, on trouve un taux de réus-site inférieur encore. Le recours à la contraction de la relation est aussi très fré-quent mais pas dans les mêmes proportions : par exemple les enfants dyspha-siques ont tendance à privilégier très nettement l’aspect quantitatif de la relationalors qu’inversement les enfants dyspraxiques sont particulièrement nombreux àne se préoccuper que de l’aspect comparatif.

◆ Ajouter et retrancher des quantitésItem 5 : rechercher l’état initial d’une augmentation

Dans la main fermée, l’examinateur retient 3 jetons. D’emblée il dit àl’enfant : « J’ai des jetons cachés dans ma main, fais bien attention et compteavec moi, il faudra que tu trouves combien j’en ai ». L’examinateur ajouteostensiblement 4 jetons dans sa main fermée en proposant à l’enfant de lesdénombrer en même temps que lui.

a) L’examinateur dit : « J’en ai maintenant 7, j’en avais combien audébut ? »

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b) En cas d’échec, l’examinateur renouvelle la question en présentant samain ouverte.

Item 6 : repérer et évaluer une diminution

L’examinateur prend 5 jetons dans sa main en les montrant et en lesdénombrant avec l’enfant. Puis il en enlève 2 en cachette de l’enfant.

a) Il présente ensuite sa main fermée avec les 3 jetons restants et déclare :« J’ai fait quelque chose que tu n’as pas vu et maintenant j’ai 3jetons dans la main, qu’est ce que j’ai fait ? » Si l’enfant ne donnepas une réponse quantifiée, l’y inciter « combien...comment le saistu ? »

b) En cas d’échec, l’examinateur renouvelle la question en présentant samain ouverte.

Compétences recherchées

Le but est de repérer comment les enfants utilisent les nombres pourrésoudre des petits problèmes additifs ou soustractifs puisque le traitement deces situations est une fonction fondamentale du nombre.

Nous avons choisi deux situations de base :• trouver l’état initial quand on connaît la transformation (l’ajout) et l’état

final (item 5).• trouver la transformation (le retrait) quand on connaît les états, initial et

final (item 6).

Procédures observées

De nombreuses stratégies de résolution peuvent être mobilisées sans uneréférence explicite à l’addition ou à la soustraction comme les comptagescontrôlés ou non à l’aide de collections témoins, une estimation globale suivieou non de vérifications par recomptages ou encore une addition à complément.

Quelques résultats

Lorsque les jetons ne sont pas visibles (la main de l’examinateur étantfermée), environ un enfant sur deux répond correctement. Encore une fois, onnote une très forte différence entre les taux de réussite des enfants de moins de6 ans et ceux de plus de 6 ans. Globalement, d’après nos résultats, rechercherl’état initial d’une transformation additive (un ajout) est plus facile que trouverune transformation négative (un retrait).

Dans notre population en difficulté les taux de réussite sont nettementplus bas, particulièrement chez les enfants dyspraxiques.

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◆ ConclusionUn des points les plus importants qui émerge de notre étude, semble être

le constat qu’on ne retrouve pas chez les enfants en grandes difficultés d’ap-prentissage, la capacité à mobiliser plusieurs procédures pour résoudre unemême tâche. D’autre part, ce test nous a permis de repérer parmi les sujets tout-venant, un fonctionnement qui consiste à privilégier des procédures qu’on pour-rait qualifier « d’économiques ». En effet, arrivés à un certain niveau de maîtrisedes stratégies mathématiques les plus rationnelles, certains enfants les abandon-nent au profit de conduites locales qui peuvent sembler moins élaborées maisqui se révèlent être plus efficaces. Nous n’avons pas repéré une telle évolutiondes conduites chez les enfants en difficulté.

Nous pensons que l’ECPN peut apporter une vision différente, en tout cascomplémentaire, de celles que nous fournissent les autres tests qui servent habi-tuellement à établir des diagnostics de dyscalculies.

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L’UDN 2 : un instrument révisépour des évaluations plus fines

Claire Meljac

R é s u m éL’U.D.N.2 a pour ambition de devenir l’outil indispensable du clinicien interrogé sur les com-pétences éventuellement « dissimulées » d’un enfant, et sur l’intérêt possible d’une prise encharge spécifique dans le domaine logico-mathématique. L’U.D.N.2 fournira aussi des indi-cations sur le pronostic de succès d’une telle mesure de remédiation et donnera desmoyens d’évaluer les progrès accomplis.

Mots-clés : difficultés en mathématiques, examen spécialisé, remédiation, U.D.N.2.

The UDN 2 : a revised instrument allowing for more precise evaluations

AbstractThe U.D.N.2 purports to become an essential tool for the clinician who is interested in bothassessing potentially « masked » abilities in a child and in the specific treatment of logical-mathematical difficulties. The U.D.N.2 also provides information on the chances of successof this remedial approach as well as ways of assessing progress in therapy.Key Wo r d s : mathematical difficulties, specialized evaluation, remediation, U.D.N.2.

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L e praticien désirant évaluer le niveau du langage - oral ou écrit - d’unsujet consultant n’a que l’embarras du choix devant le riche éventail desépreuves à proposer. Dans ce domaine, il y en a pour tous les goûts et

pour tous les âges ; pour tous les tableaux cliniques aussi, et dans toutes lesperspectives. La multiplicité des techniques mises au point ces dernières annéesdonne une bonne idée du renouvellement théorique dont le champ langagier aété l’objet. Elle reflète aussi l’intensité de la demande. Une grande partie desconsultations spécialisées répondent à des besoins relatifs à ce domaine : retardsdu développement, dysphasie, échecs en lecture, difficultés de transcription,etc., sans parler des conséquences, essentiellement chez les adultes, d’atteintescérébrales à l’origine d’incapacités diverses.

Les instruments à la disposition des cliniciens s’occupant de la sphèremathématique sont nettement moins nombreux et moins variés. Marchand, Cau-chet et Duquesne (1999) ont récemment fourni une remarquable revue des pos-sibilités offertes par le marché. Elles sont restreintes, car, comme l’a soulignéGrégoire (1996), les travaux consacrés à ce type d’évaluation apparaissent plu-tôt rares.

On peut distinguer, en gros, trois types de familles regroupant de tellesétudes. Il peut s’agir :

- de tests psychométriques classiques (ou du moins des subtests consacrésà des explorations en mathématiques) ;

- d’épreuves dont l’inspiration est clairement pédagogique (comme deséchelles d’évaluation de niveau scolaire) ;

- d’approches plus spécifiquement piagétiennes.

C’est à cette dernière catégorie d’investigations que l’UDN a appartenu,dès sa création.

Inspirée, sur le plan pratique, par les tableaux que présentent des enfantsdont les échecs en calcul sont précocement repérables et, sur le plan théorique,

Claire MELJACPsychologueUnité de Psycho-Pathologie de l’enfant etde l’Adolescent Hôpital Sainte-Anne1 rue Cabanis 75014 Paris

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par les importantes contributions de l’Ecole de Genève, l’UDN, tout en ne res-pectant pas ce qu’on pourrait appeler une stricte orthodoxie, n’en fait pas moinsl a rgement appel aux apports fondamentaux de l’épistémologie piagétienne,source d’inspiration inépuisable. La Genèse du Nombre (Piaget & Szeminska,1941) est chronologiquement le premier d’une longue série d’ouvrages dont laconsultation est nécessaire pour tout praticien désirant travailler sur ce terrain.On en trouvera la liste, par exemple, dans Meljac, Voyazopoulos et Hatwell(1998).

Nous nous bornerons, ici, à résumer brièvement les propriétés de l’UDN80 pour développer ensuite de façon un peu plus détaillée celles de l’UDN 2, saversion révisée et enrichie, très prochainement disponible aux Editions duCentre de Psychologie Appliquée. Nous nous centrerons plus spécialement surles compléments et prolongements apportés à la forme première et sur l’opéra-tion de véritable rénovation qu’a constitué le réétalonnage aux normes actuelle-ment en vigueur. Nous conclurons cette présentation en soulignant l’importancedes formations spécialisées, encore bien trop rares. Destinées à informer les pra-ticiens, tant sur les aspects techniques de la passation de techniques innovantesque sur les modalités de leur interprétation et de leur utilisation dans un projetde prise en charge, elles devraient constituer une étape indispensable pour toututilisateur désirant enrichir son répertoire d’instruments. C’est une remarque quivaut, bien sûr, pour l’UDN2, mais qui pourrait s’appliquer à d’autres épreuvesméritant d’être mieux connues et interprétées. Si le report à des textes écritss’avère indispensable, ceux-ci ne peuvent cependant pas toujours se substitueraux apports vivants que constituent les échanges et les discussions entre desn ovices et un formateur- expert (lui-même d’ailleurs souvent éclairé par lesquestions des débutants qui abordent les faits sous un jour nouveau et stimu-lant). Les professionnels américains l’ont bien compris qui organisent, la plupartdu temps, des sessions d’entraînement aux instruments qu’ils proposent aux col-lègues.

◆ L’UDN : un instrument destiné aux praticiens

Les initiales formant le nom de cette épreuve n’ont rien de mystérieux : ils’agit de l’Utilisation Du Nombre, en fait des premiers nombres, car, à son ori-gine, le test était destiné à des enfants jeunes. On manquait cruellement (en1980, date de la parution de cette batterie) d’épreuves conçues à l’intention de« d é bu t a n t s » abordant les fondements même des apprentissages. En eff e t ,l’EPL de Longeot s’inspirant, elle aussi, de la théorie piagétienne (et qui a faitl’objet d’études détaillées, en particulier par Gibello ; pour des références

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détaillées, voir Meljac et al.; 1998, ouvr.cit.) vise plutôt un public d’adolescentset de pré-adolescents.

Outre sa population-cible, bien spécifique, l’UDN s’est caractérisée, dèsl’origine, par le point de vue qu’elle adopte, qu’on pourrait qualifier de « fonc-tionnel » ou bien d’« utilitaire ». Le projet de Piaget, on le sait, était de fonderune épistémologie génétique, rendant compte des progrès de la connaissance etdes démarches de l’esprit humain engagé dans une entreprise de fondation dusavoir. En ce qui concerne le nombre et sa genèse, le chercheur genevois avaitdéveloppé ce qu’on peut appeler un « système » articulant la maîtrise des pro-priétés des concepts arithmétiques à l’organisation d’autres notions fondamen-tales : les opérations de classification et de sériation se retrouvaient, ainsi, auxfondements mêmes des futures élaborations numériques.

La tâche que se fixait l’UDN était celle d’apprécier non seulement leniveau opératoire d’un sujet mais aussi le mode sous lequel il se trouvait enmesure d’exploiter ses outils de pensée. Dans une situation exigeant des évalua-tions numériques, l’apprenti-mathématicien aurait-il spontanément l’initiativede procéder à un comptage ou resterait-il impuissant ? Cette optique « fonction-nelle » qui paraît, dans l’ensemble, avoir peu retenu l’attention des chercheursest d’une grande fécondité, au moins sur le plan diagnostic : il ne suffit pas tou-jours de posséder certaines capacités pour apparaître en mesure de les utiliser.Cet écart entre compétence et performance rend compte d’évidentes disparitésde comportements (et bien sûr de rendement scolaire) entre des sujets dont lerépertoire est pourtant apparemment du même ordre.

Ces choix théoriques ont inspiré les cinq familles de départ (ou secteursstratégiques) composant l’UDN 80 :

- épreuves de conservation (de la conservation terme à terme à la conser-vation des longueurs) empruntées aux protocoles piagétiens classiques ;

- épreuves de logique élémentaire (classifications à plusieurs critères etsériations) ;

- épreuves portant sur la détermination d’une origine spatiale (coupe d’unmorceau de ficelle, analogue à un témoin, par exemple - ou de bandesde papier de mêmes dimensions qu’une troisième) ;

- épreuves relatives à l’utilisation du nombre, se subdivisant elles-mêmesen tâches de constat (description d’une collection) et en tâches opéra-tionnelles (par exemple apporter le nombre pertinent de robes pourhabiller une collection de poupées, placée à distance) ;

- l’UDN 80 était complétée par une exploration rapide des connaissancesacquises par l’enfant : écriture des nombres, petites opérations, etc.

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Pendant vingt ans, l’UDN 80 a rendu des services (qu’on espère fidèles) àl’ensemble des praticiens dont l’attention se portait sur les troubles d’apprentis-sage, en particulier en mathématiques, et qui avaient appris à connaître cet ins-trument et à l’employer de façon souple et dynamique (c’était pour une bonnepart des psychologues scolaires).

◆ Mise au point de l’UDN 2

Cependant, à l’issue d’une période d’emploi aussi longue, il était évidentque s’imposait une révision :

- une pratique intensive de l’UDN auprès de populations en difficultésavait suggéré une extension de quelques épreuves, qui apparaissaientparticulièrement intéressantes (et la suppression d’autres) ;

- certains travaux des néo-piagétiens (aussi bien que d’opposants auxthéories développées à Genève) se trouvaient susceptibles d’enrichirl’éventail des tâches proposées ;

- l’UDN 80, dans sa première version, semblait une batterie trop spécifi-quement destinée à des enfants jeunes et la plupart des collègues récla-maient un instrument pouvant être appliqué à la totalité de la populationfréquentant l’école élémentaire (ou même plus âgés, en cas de troublesou de retards) ;

- enfin un étalonnage plus complet et plus précis devenait indispensableaux différents praticiens désirant employer l’UDN avec une plus granderigueur.

Pour toutes ces raisons Gilles Lemmel et moi-même avons, avec le sou-tien des ECPA, « reconstruit » l’UDN 80, présentée aujourd’hui sous le nomd’UDN 2. Cette opération a exigé un vaste travail d’élaboration préparatoireaccompli en concertation avec un groupe important de collègues : relevé sys-tématique par les « ex p e r t s » pratiquant l’UDN depuis de nombreuses annéesdes conduites susceptibles d’être produites à chaque épreuve (dont n’ont étéconservées dans la forme ultime que les plus fréquentes et les plus signifi c a-t ives), explicitation des consignes, exposé des buts théoriques et de la signifi-cation de chaque sub-test, partage de ces informations au cours de réunions desynthèse et grâce à l’envoi de documents de travail ponctuant diverses étapesde l’étude. Cette entreprise a été rendue possible grâce à la collaboration sansfaille des Editions du Centre de Psychologie Appliquée et d’un grand nombre( e nviron 50) de psychologues scolaires dispersés sur l’ensemble de l’Hex a-gone, qui ont pu ainsi se trouver en mesure de réaliser un nouvel étalonnagevalide et sensible.

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◆ L’UDN II : Des épreuves plus nombreuseset un nouvel étalonnage

A l’issue de cet important effort, le praticien intéressé par la batterieUDN 2 et les explorations qu’elle permet de réaliser se trouvera en possessiond’un ensemble ayant subi de profondes transformations.

De nombreuses épreuves ont été ou bien enrichies, ou bien ajoutées :la plupart s’adressent à des enfants plus âgés que ceux initialement visés.Citons, par exemple l’épreuve spatiale du choix des baguettes. Au cours decelle-ci on donne à l’enfant une collection de baguettes, toutes inégales, saufdeux d’entre elles ; il s’agit de les repérer. Cette performance est difficile à réali-ser par un sujet qui ne dispose pas d’une certaine maîtrise des propriétés de l’es-pace métrique. A l’étape antérieure, les enfants se bornent à de maladroites ettâtonnantes comparaisons deux à deux des baguettes. Ces tentatives non systé-matisées ne permettent pas, en général, de dégager les éléments semblables siles baguettes sont assez nombreuses.

Autre épreuve ajoutée au répertoire premier : la tâche d’inclusion s’ap-puyant sur les nouveaux développements théoriques suggérés par JacquelineBideaud et Jacques Lautrey.

On présente une collection d’objets dont une sous-classe est importantenumériquement. L’enfant est invité alors, grâce à un certain nombre de ques-tions-pièges à distinguer fermement entre classes et sous-classes, même dans lescas où la situation est poussée aux extrêmes (il doit, par exemple, se décider surla question de savoir si en ajoutant beaucoup d’éléments de la sous-classe onaura un jour plus d’éléments de la sous-classe que de la classe).

Mentionnons, pour les plus grands, l’ajout de l’épreuve piagétienne bienconnue de la dissociation entre poids et volume. Un cylindre de même volumequ’un témoin, en aluminium, mais plus lourd (il est en cuivre) fera-t-il monterl’eau « pareil », ou bien « plus » ou, encore « moins » ?

Les enfants les plus petits n’ont pas été oubliés : la vérification des prin-cipes de Gelman (1978) : principe de bijection, de suite stable, principe cardi-nal, principe d’ordre indifférent peut être systématiquement opéré sur le maté-riel proposé. Cette épreuve de contrôle peut sembler quelque peu étonnantepuisque Gelman, dans ses écrits, soutient une thèse innéiste selon laquelle detels principes seraient présents chez l’enfant dès la naissance. L’expérience avecdes sujets vivants, et particulièrement avec ceux qui rencontrent des difficultés,démontrent la fragilité de telles positions. L’intérêt de l’examen des principes deGelman n’en est pas diminué pour autant. Tout au contraire.

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Notons aussi que l’épreuve de connaissances scolaires a été notablementd é veloppée. Elle tient compte de nos récentes observations en matière detroubles d’apprentissage.

On a tenté de rendre la passation plus facile, plus riche, plus claire-ment analysable

Les différents aménagements apportés à la forme première ont rendud’une certaine façon la batterie plus complexe : c’est la rançon à payer, tout dumoins provisoirement, lorsqu’on souhaite disposer d’un instrument subtil etdétaillé. Nous avons cependant souhaité en rendre l’accès aisé aux praticiens etc’est pourquoi nous avons procédé à différents aménagements :

- le matériel, mieux présenté, a été rendu plus attractif et plus varié ;- la batterie a été divisée en deux formes (une pour les écoliers de Mater-

nelle, et une autre pour les plus grands). ;- les consignes ont été précisées et bien détachées de l’ensemble dans leur

exposition ;- les différentes aides apportées aux enfants durant la passation ont été

systématisées. Pour la plupart des tâches, on disposera donc de deuxindications : l’une relative aux démarches spontanées du sujet, l’autre àses réalisations avec étayage. Le praticien aura aussi recueilli les diffé-rentes explications ou justifications de chacun sur ses modes de pensée.Il pourra parvenir ainsi à une représentation affinée des possibilitésd’évolution de chaque consultant (Zone proximale de développement,selon le vocabulaire de Vygotsky ; voir, par exemple, Schneuwly etBronckart, 1985) ;

- le « cahier de relevé des conduites » où sont recensées toutes les réac-tions possibles d’un enfant, face au matériel présenté et aux consignescommuniquées a été très largement retravaillé. On y a adjoint destableaux récapitulatifs destinés à aider les praticiens dans leur démarched’évaluation à la fois analytique (chaque épreuve donne lieu à une stan-dardisation spécifique) et globale ( il convient de ne pas perdre de vueque l’ensemble des performances a été accompli par un même sujet) ;

- le manuel propose des cas cliniques (écoliers tout venant ou consultants)dont l’exposé devrait aider le praticien dans sa démarche d’élaborationdes données recueillies.

◆ L’interprétation de l’UDN 2Il ne suffit pas, bien sûr, de relever des scores, même affinées, même

regroupés, aux différentes parties de l’UDN 2 pour prétendre être arrivé au

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terme de son exploitation. Il en est pour cette batterie ainsi que pour d’autres (etpeut-être même un peu plus que pour d’autres) : un alignement de notations oude scores ne suffira pas à rendre compte des performances d’un sujet et de l’or-ganisation qui les sous-tend.

Pour être en mesure de tirer profit de l’UDN 2, au terme d’une démarchecompréhensive, il convient, en effet, non seulement d’être devenu familier del’instrument en lui-même, mais aussi :

- d’avoir acquis de bonnes connaissances en matière de développement del’enfant ;

- de faire preuve de connaissances solides dans les domaines piagétien etnéo-piagétien ;

- de posséder une certaine expérience du monde scolaire et des exigencesrelevant des programmes d’enseignement, en particulier en mathéma-tiques ;

- et, enfin et surtout, d’avoir cultivé un sens et une expérience cliniques,fruits de la pratique et d’une formation appropriée.

Ainsi qu’il a été annoncé plus haut, des actions d’accompagnement del’UDN 2 sont d’ores et déjà prévues. Elles s’inscriront, selon les besoins desprofessionnels concernés, ou bien dans un programme ponctuel et spécialisé, oubien dans des cycles poussés de perfectionnement 1 traitant du développementlogico-mathématique dans ses aspects normaux ou pathologiques. Pour tous lescas de figure, les praticiens seront initiés à l’outil, à son rationnel, aux modalitéstechniques de la passation ainsi qu’à son interprétation. Le travail portera aussisur la communication : comment faire partager à d’autres collègues les rensei-gnements que l’UDN 2 permet de collecter sur un cas concret ? Comment éla-borer, en coordination avec l’ensemble des professionnels concernés, des pro-grammes de prises en charge mieux adaptés à chaque cas?

◆ ConclusionNous espérons avoir offert aux praticiens, avec l’UDN 2, un instrument

susceptible de les aider dans un domaine jusqu’ici fort méconnu : celui de l’éva-luation et de l’analyse de la pensée logico-mathématique et de ses troubleséventuels. Le nouvel étalonnage devrait renforcer la validité des constats obte-nus, tandis que les pistes suggérées dans les publications et les formations pro-posées aux professionnels concernés se donnent pour objectif d’enrichir leursdémarches cliniques et leurs itinéraires de remédiation.

1. Le COPES (20 rue de Dantzig, 75015, Paris) est chargé d’organiser de telles formations.

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Utilisation du jeu de stratégie « QUARTO »comme stimulus développemental dufonctionnement cognitifApplication chez un enfant présentant unsyndrome de Williams Beuren (S.W.B)

Pascale Op de Beeck

R é s u m éLe jeu de stratégie « QUARTO » requiert des aptitudes cognitives minimales :- habiletés de cl a s s i f i c ation, stratégies hypothético-déductives, capacités d’anticipat i o n ,organisation spatialeSon utilisation avec un petit garçon présentant un S.W.B (syndrome génétique) a nécessitéla mise en place de situations cliniques de complexité croissante (intégration mnésique pro-gressive des différents paramètres du jeu).Notre objectif est d’essayer de développer le fonctionnement cognitif de l’enfant à travers uncontexte atypique de rééducation : toute stratégie de pensée implique en effet des capacitésde perception, comparaison, généralisation, établissement et vérification d’inférences...Mots-clés : cognition, rééducation, enfant, génétique, syndrome de Williams Beuren.

Use of a strategic game, « QUARTO », as a developmental stimulusof cognitive processes : its application to a child suffering fromWilliams Beuren Syndrome

AbstractThe game of « QUARTO » requires several basic cognitive skills :classification skills, hypothetical-deductive strategies, anticipation skills, spatial organizationWe attempted to use this strategic game with a 10 year old boy suffering from W.B.S. (agenetic syndrome). It required adjustments of the rules so as to progressively increase thecomplexity of the clinical situations (progressive mnemonic integration of the different ele-ments of the game).Our purpose was to develop the child's cognitive functioning in a nonstandard remediationsituation. Indeed, all mental strategies involve skills in the areas of perception, comparison,generalization, development and testing of inferences, etc.

Key Wo r d s : cognition, remediation, child, genetics, Williams Beuren Syndrome.

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Cet article est le compte-rendu du film que nous avons présenté au FestivalAudiovisuel de Nancy en octobre 1998.

Il comporte une partie théorique, synthèse des recherches actuellesconcernant le S.W.B. La partie pratique illustre une situation de rééducationquelque peu atypique : l’utilisation du jeu de stratégie « QUARTO » avec unenfant porteur de ce syndrome.

Notre objectif est de tenter de développer le fonctionnement cognitif del’enfant : toute stratégie de pensée implique en effet des capacités de perception,comparaison, établissement d’inférences, vérification et généralisation decelles-ci.

◆ REVUE DE LA LITTERATURE

Nous dressons ci-après le profil clinique global du S.W.B. Le lecteurt r o u vera des compléments d’information au sein des références bibliogra-phiques.

1. Définition

Le S.W.B est un trouble du développement congénital dont l’étiologieexacte reste méconnue.

Sa fréquence est estimée à 1 cas pour 20000 à 50000 naissances.

Sur 100 sujets, la sex-ratio est de 63 garçons pour 37 filles.

Pascale Op de BeecklogopèdeE.E.S.M.P de la C.F*9 bis rue de Breuze7540 KAIN (Belgique)

* Ecole d’Enseignement spécialisé maternelet primaire de la Communauté Française

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2. Etiologie

Les hypothèses actuelles sont en faveur d’une origine génétique.

L’étude du caryotype de la plupart des patients a mis en évidence unemicrodélétion au niveau du gène de l’élastine dont le locus est situé sur le braslong du chromosome n°7 en 7q 11. 23.

Les recherches se poursuivent en vue de l’identification d’autres gènesliés à ce syndrome.

3. Profil clinique

3.1) Dysmorphie faciale : « faciès d’elfe »

3.2) Signes cliniques associés :* à la naissance : état hypotonique ; hernie ombilicale, inguinale* cardiopathies* anomalies ophtalmiques

3.3) Anomalies transitoires :* troubles alimentaires* hypercalcémie

3.4) Particularités de développement :* hyperacousies* otites moyennes et/ou drains transtympaniques* retard de développement psychomoteur* troubles gastro-intestinaux

4. Profil cérébral

Les images de résonance magnétique nucléaire mettent en évidence lesparticularités suivantes :

- les morphologies frontales et temporales sont préservées, ce quiexplique les bonnes capacités en langage formel

- l’architecture corticale est modifiée dans le sens d’une densité cellulaireaccrue, une disposition horizontale des neurones, une myélinisationréduite des fibres nerveuses, une immaturité du système vasculaire

- les difficultés visuospatiales seraient dues à la réduction de la lar-geur du cerveau postérieur et à une augmentation de la distancecérébrale antéro-postérieureSelon Bellugi et al, les sujets S.W.B seraient proches comportemen-talement des sujets présentant une lésion de l’hémisphère droit

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Ces différences proviendraient d’un arrêt du développement neuronalentre la fin du 2e trimestre de la 1re année et la 2e année de vie des sujets S.W.B.

5. Examen du langage chez le sujet S.W.B.

5.1) Expression orale

L’évolution du langage de l’enfant S.W.B semble assez paradoxale : aprèsune apparition tardive des premiers mots, les caractéristiques d’un retard de lan-gage s’installent (mots-phrases, altérations phonémiques, inversions pronomi-nales, écholalie...).

Ensuite, vers 8-10 ans, les capacités tendent à se développer plus rapide-ment que chez l’enfant normal.

L’expression orale se caractérise par :- un discours incessant truffé de mimétisme et d’obsessions pour un

thème particulier- un lexique riche et érudit : l’emploi de mots peu fréquents apparaît dans

la conversation spontanée- une syntaxe complexe : les phrases sont élaborées et grammaticalement

correctes ; la longueur moyenne des productions verbales (LMPV) estde 5 à 6 mots

5.2) Compréhension orale

Les capacités langagières réceptives sont souvent moins performantes.

Ceci se traduit par des écholalies, des réponses inadaptées, des persévéra-tions.

5.3) Pragmatique

Les différentes recherches mettent en exergue des faiblesses notoires auniveau de l’organisation pragmatique. Les difficultés concernent la participationaux échanges conversationnels et le maintien du contact oculaire avec l’interlo-cuteur.

Les énoncés ont rarement un sens relationnel ou une valeur communica-tive. Ils sont répétitifs avec d’incessantes questions ne paraissant appeler aucuneréponse. Il existe des phénomènes d’écholalies partielles ou totales des proposde l’interlocuteur.

6. Examen des capacités cognitives

Le quotient intellectuel varie de 50 à 60 (dispersion [40-90])

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Les difficultés sont importantes dans le domaine de la cognition spa-tiale : les sujets S.W.B possèdent une vision globale de l’objet ou de ses élé-ments isolés mais ignorent leurs rapports fonctionnels.

Les capacités mnésiques sont situées dans la normalité : mémoire desvisages étonnante, bonne mémoire verbale.

◆ ETUDE DE CAS

1. Données anamnestiques

1.1) Antécédents médicaux

A... est né en 1988. Il présente un S.W.B. Depuis 1991, l’enfant bénéficied’une remédiation pluridisciplinaire : psychomotricité, kinésithérapie, ergothé-rapie, orthophonie.

1.2) Evaluation des aptitudes intellectuelles

En 1993, l’enfant a obtenu un Q.I global de 61 à l’échelle de TermanMerrill.

L’accès à l’abstraction, la coordination oculomanuelle, l’orientation ducorps et de l’objet dans l’espace restent très déficitaires.

2. Description de la situation expérimentale

Le jeu de stratégie « QUARTO » comporte un plateau de 16 cases : lespièces sont hautes ou basses, rondes ou carrées, blanches ou noires, pleines oucreuses. Le nombre de joueurs est de 2.

L’objectif est d’aligner (horizontalement, verticalement ou en diagonale)4 pièces ayant au moins un caractère commun (photos 1 et 2).

Les aptitudes cognitives minimales relatives à ce contexte ludique parti-culier sont :

• des habiletés de classification : à partir d’un ensemble d’éléments x,l’enfant doit pouvoir créer des classes selon 1 ou n critères de ressem-blance

• l’utilisation de stratégies hypothético-déductives : l’enfant doit maî-triser la logique des classes (relations d’intersection et d’inclusion)

• des capacités d’anticipation : l ’ e n fant apprend à établir des infé-rences à partir de ses interventions personnelles dans le jeu mais aussià partir des actions éventuelles de son partenaire. Pour cela, des opéra-tions mentales de synthèse, de logique, de combinatoire sont mises enj e u

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Photos 1 et 2

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• une appréhension correcte de l’espace : gestion des différentes orien-tations du plan de jeu

2.1) Situation expérimentale initiale

Les aptitudes précitées ont d’abord été développées et/ou renforcées àpartir d’un matériel varié et simple en vue d’effectuer un transfert ultérieur d’ap-prentissage vers le matériel du jeu « QUARTO » de niveau conceptuel pluscomplexe

=> couteaux, fourchettes, cuillères, pions, blocs logiques... de 2 couleurs(jaune et rouge)

• Habiletés de classification

Lors d’une situation de classification libre, nous avons observé le critèrede classification spontané de l’enfant : A... constitue 2 classes distinctes en res-pectant le critère de classification « couleur ».

• Stratégies hypothético-déductives

a) l’enfant apprend à percevoir le(s) critère(s) de ressemblance/différenceentre 2 classes d’objets créées par la thérapeute :

* objet identique, couleur identique* objet identique, couleur différente* objet différent, couleur identique* objet différent, couleur différente

b) l’enfant constitue un 2ème ensemble à partir des consignes de la théra-peute

ex : ensemble cible = l’ensemble des fourchettes rougesconsigne : « tu vas faire un ensemble qui comporte des objets diffé-rents de même couleur »

La perception des critères définis en a) n’a pas révélé de lacunes impor-tantes.

Par contre, la création de classes qui nécessite l’intégration simultanée de2 consignes orales a posé quelques problèmes ; seul un des éléments de laconsigne est respecté.

Afin de suppléer les processus mobilisés par la mémoire auditive de tra-vail, nous avons utilisé un support mnémotechnique visuel : des fiches représen-tatives des divers paramètres sont à la disposition de l’enfant.

N.B : nous avons opté pour le symbole x car l’élément discriminatif / ausein du signe mathématique =/ n’était pas prégnant pour l’enfant

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2.2) Application du jeu « QUARTO »

• Habiletés de classification

Les critères de classification spontanés de l’enfant sont la couleur et laforme. Les aspects « haut/bas », « creux/plein » ont été découverts avec l’adultegrâce à des prises d’indices inductives.

• Stratégies hypothético-déductives

a) la thérapeute crée un alignement de 4 pions : l’enfant nomme le(s) cri-tère(s) de ressemblance

b) l’enfant complète un alignement de 3 pions initialisé par la thérapeuteet nomme le(s) critère(s) de ressemblance

• Capacités d’anticipation

a) l’enfant et la thérapeute jouent chacun en alternance. Seules les orien-tations horizontale et verticale, abordées isolément, ont été travaillées

Des aides mnémotechniques semblables aux précédentes ont été utilisées.Une flèche directionnelle constitue un indiçage supplémentaire pour permettre àl’enfant de délimiter, à chaque tour de rôle, l’espace ciblé en cours.

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b) nous supprimons la flèche directionnelle ; les joueurs ont la possibilitéd’agir à n’importe quel endroit du plateau de jeu en respectant l’horizontalité oula verticalité.

◆ ConclusionBien que l’utilisation d’un tel jeu puisse paraître utopique au départ, nous

avons pu l’exploiter, grâce à des adaptations de la règle canonique.

Nous avons pu vérifier le stockage en mémoire de ces nouvelles aptitudes(figurant parmi les moins performantes du S.W.B) en proposant le jeu à l’enfant6 mois après l’expérimentation.

Lors de nos rééducations axées principalement cette année sur l’appren-tissage de la lecture, nous constatons, de surcroît, des changements de variablesdans le fonctionnement cognitif de l’enfant :

possibilité de décentration, formulation d’hypothèses, gestion de plu-sieurs paramètres...

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Cette expérimentation nous rappelle et nous prouve, une fois encore, quetout enfant, avec ou sans déficience mentale, est capable de mobilité et de plasti-cité de pensée. L’intervention clinique de chaque thérapeute est d’essayer derepérer et d’exploiter des potentialités existant quelquefois en filigrane maisnéanmoins bien réelles.

Cette philosophie d’approcher le profil cognitif de manière la plusexhaustive possible nous semble fondamentale tant sur le plan de l’accès auxdifférents apprentissages que sur celui d’une valorisation optimale de chaquepersonnalité.

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Aspects cliniques des dyscalculies chez l’enfant

Dr. Michèle Mazeau

R é s u m éLes dyscalculies de l’enfant, quel qu’en soit le contexte, ne sont pas une entité cliniquehomogène, circonscrite, cohérente. L’incompétence en calcul (ou dans l’ensemble des acti-vités logico-mathématiques selon les cas), est un symptôme, - et non un diagnostic -,symptôme qui doit faire l’objet d’une analyse, fonction de l’inventaire des compétencesrequises pour telle ou telle tâche. Ainsi, pourront être reconnues des dyscalculies multiples,dont les expressions sont diverses, fonction des processus sous-jacents dysfonctionnants. L’analyse neuro-psychologique est indispensable pour mettre en évidence les troubles res-ponsables, en amont (troubles visuo-practo-spatiaux, troubles des compétences linguis-tiques, mnésiques, exécutives) : elle prend ici la forme d’un bref bilan clinique, utilisécomme outil de « débrouillage » en situation de consultation. Trois cas illustrent cettedémarche, débouchant sur des diagnostics différentiels (dyscalculies « s p at i a l e » ,« linguistique » et « raisonnementale »), qui guideront les thérapeutes dans des actionsrééducatives et/ou palliatives très différentes.Mots-clés : Dyscalculies, neuropsychologie, dyspraxies.

Clinical dimensions of developmental mathematics disorders

AbstractDevelopmental mathematics disorders, whichever their context may be, are not a homoge-neous, well-delineated, coherent clinical entity. Impairment in the development of arithmeticskills (or logical-mathematical abilities) reflects a symptom, rather than a diagnostic label,which must be assessed within the context of those skills required for specific tasks. Withinthis framework, many different types of arithmetic disorders may be defined, their expres-sion varying according to specific underlying dysfunctional processes.A neuropsychological evaluation is needed to assess those disorders which are responsiblefor the impairment (visual-motor-spatial disorders, linguistic disorders, memory disorders,executive disorders); it can be conducted in the form of a brief clinical assessment, using a« screening » approach during the consultation. Three case studies illustrate this evaluationprocess and its resulting differential diagnoses (spatial mathematics disorder, « linguistic »disorder and reasoning disorder) which will guide the therapist in his(her) choice of differentremedial/palliative strategies.Key Words : mathematics disorder, neuropsychology, dyspraxia.

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D epuis une dizaine d’années, le terme de « dyscalculie » est de plus enplus souvent utilisé, comme un « diagnostic » qui doit être mis à jourpour déboucher ensuite sur une action thérapeutique.

La fréquence croissante de cette plainte lors de consultations d’enfants estprobablement due à la conjonction : I) d’une part, d ’ ex i gences scolaire s de plusen plus contraignantes socialement (l’échec scolaire constituant en soi un risqued ’ exclusion sociale), exigences où les mathématiques jouent un rôle certain desélection, et II) d’autre part, de la diffusion de connaissances en neuro - p s y ch o l o-gie infantile, ce qui induit une démarche analytique plus systématique dans lesé valuations cognitives des enfants en difficulté scolaire (Bernoussi, 1992); l’éva-luation des (in)-compétences en calcul se situe alors naturellement aux côtésd’autres bilans neuro-psychologiques, de langage ou de mémoire par exe m p l e .

Aussi, malgré son apparente transparence lexicale (dys-calculie = « dys-fonctionnement » en calcul, incompétence en calcul), ce terme doit être défini,précisé, ses contours et ses limites doivent être déterminés avec rigueur. Car lerisque est grand de considérer comme « dyscalculiques » (connotation médicale,sous-entendant un trouble) des enfants strictement normaux dont les « difficul-tés » ne seraient que le reflet d’exigences (familiales ou scolaires) mal adaptées(en termes d’âge, de maturité, d’adéquation aux « programmes », de projetd’orientation, etc.) ou mal acceptées (en termes de motivation, de talents, deplaisir, etc.).

Des critères doivent donc être fixés, qui distinguent clairement et objecti-vement l’enfant normal aux résultats scolaires faibles en mathématiques (ce qui,en soi, ne saurait constituer le symptôme d’une quelconque pathologie !), del’enfant dont le (dys)-fonctionnement cognitif constitue une pathologie quis’exprime spécifiquement dans le domaine du calcul.

Par ailleurs, le mot « calcul » nécessite lui aussi d’être cerné. Il peut êtrecompris dans son sens large - effectuer des opérations sur n’importe quelles

Dr. Michèle MAZEAU Médecin de RééducationService de Rééducation et d’Intégration pour Enfants Handicapés Moteurs(l’ADAPT) 185 bis rue Ordener 75018 Paris

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représentations mentales -, ou dans un sens restreint, c’est à dire effectuer desopérations sur des nombres.

Etymologiquement dérivé du latin calculus, - caillou servant à compter -,le calcul désigne les savoirs et savo i r s - faire en lien avec la numération et lesopérations sur les nombres (arithmétique = science des nombres). Les mathé-matiques eux, outre l’arithmétique, incluent d’autres disciplines, par exe m p l ela logique et la géométrie. Cette distinction est d’autant plus importante quel’incompétence (totale ou partielle) en calcul ne saurait donc être systémati-quement confondue avec une incompétence globale en mathématiques( « j ’suis nul en maths » !) : en effet, certains enfants présentent des troublesexclusivement liés à certains aspects de la numéra t i o n, tandis que d’autresvoient leurs difficultés s’étendre à d’autres secteurs des apprentissages,mathématiques ou non (et ce, en fonction du ou des troubles cognitifs sous-jacents dont ils souff r e n t ) .

Nous devons donc, pour définir le champ des dyscalculies, nous intéres-ser aux différents aspects du nombre (Bideau, 1991- Fayol, 1990) et auxcompétences cognitives sous-jacentes qu’ils recouvrent. En pratique, nousdistinguerons, au sein du concept de nombre, trois versants distincts mais (idéa-lement) coordonnés :

- un versant logique, résultant d’opérations de catégorisations, de classi-fications et de sériations, - cf. les travaux de Piaget (1941) -, versant certaine-ment le plus connu et le mieux investigué (épreuves dites « de conservation »,EPL ou échelles de Longeot, UDN 80, EDEI, etc) ;

- un versant linguistique, lié à l’utilisation des mots-nombres oraux et/ouécrits (essentiellement en chiffres arabes) - cf. les travaux de G.Deloche et coll(1989) et de X. Séron (1993), sur la numération, en tant que sous-ensemble dudomaine linguistique et les travaux de Gelman (1978, 1983), sur l’importance,sur le plan génétique, des aspects verbaux dans la constitution des premièresnotions de nombre chez l’enfant - ;

- un versant spatial, I)- lié à la perception de collections (quotités) ou degrandeurs (quantités), leur comparaison, leurs transformations (ajouts, retraits,réunion, …) - cf. P. Gréco (1962) -, et leur comptage (activités de dénombre-ment), mais aussi II)- lié au choix de la numération arabe (numération de posi-tion) et aux algorithmes de résolution des opérations (« technique opératoire »),algorithmes essentiellement spatiaux qu’elle impose (Mazeau 1996).

Par ailleurs, les compétences mnésiques sont sollicitées à toutes lesétapes de l’acquisition des différents savoirs afférents au nombre, qu’il s’agissede la mémoire permanente (connaissances « déclaratives » sur les nombres,

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connaissance des faits numériques 1, etc.), ou des m é m o i res tra n s i t o i re smémoire de travail (opérations mentales sur les nombres).

Enfin, les fonctions exécutives, frontales, permettant la hiérarchisationdes opérations mentales, leur organisation, la structuration de stratégies appro-priées et l’inhibition de schèmes automatiques mais non pertinents - Cf.O. Houdé (1995) -, sont également impliquées dans la structuration des compé-tences numériques et la résolution de problèmes (numériques ou non).

Chez l’enfant, la construction de chacun de ces aspects du nombre peutêtre séparément compromise du fait de troubles 2 cognitifs spécifiques : il enrésulte qu’il existe cliniquement plusieurs sortes de dyscalculies, dont lessymptômes, les mécanismes et les prises en charge seront donc très diffé-rents.

Nous nous limiterons ici à la situation où la dyscalculie constitue le motifmême de la consultation : une fois éliminée la suspicion d’une déficience men-tale, il convient de disposer d’outils permettant de repérer (= bilan de« débrouillage ») lequel - ou lesquels - des différents versants du nombre sontd é ficitaires ou déviants. Ensuite, il faudra alors investiguer le (ou les)domaine(s) cognitif(s) atteint(s).

◆ Les principes généraux de l’investigation d’une dyscalculie

a - Place de l’évaluation psychométrique

Dans tous les cas, l’évaluation psychométrique constitue un premiertemps obligé de toute investigation d’une dyscalculie de l’enfant. Il s’agit d’unpréalable incontournable, qui doit donc effectué avant la consultation, et dontl’objectif est double :

1 - Eliminer une déficience mentale globale :

Pour l’évaluation psychométrique de première intention, on choisira depréférence une échelle de Wechsler adaptée à l’âge de l’enfant (WPPSI, WISC),c’est à dire un test multi-tâches, qui permettra de mettre en évidence d’éven-

1. Faits numériques : connaissances mémorisées concernant les résultats d’opérations simples et fréquentes(doubles, compléments à 10, tables d’addition ou de multiplications, etc.) et permettant de récupérer immédia-tement le résultat (par ex : 7 et 5, 12) « d’emblée », sans vérification, ni réflexion, sans mettre en jeu aucunestratégie de comptage, sans effectuer aucune opération.2. Il peut s’agir soit de pathologies secondaires à des lésions cérébrales chez les enfants présentant une patho-logie neurologique patente, soit de troubles secondaires à des « dysfonctionnements » dans le cas de troublesdits alors « développementaux » (dyscalculie développementale). En ce qui concerne les liens avec l’architec-ture cellulaire cérébrale, cf. S. DEHAENE, 1998.

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tuelles dissociations dans les performances de l’enfant selon le type d’épreuve.Seuls des résultats faibles de façon grossièrement homogène seront considéréscomme l’indice d’une probable déficience intellectuelle.

N.B. Cependant, l’association fréquente, de troubles structurels du langa g e(dysphasie) - se traduisant par un score globalement faible aux épreuves del’échelle verbale qui peut même être incotable -, e t d’une dyspraxie - se traduisantpar un score globalement faible aux épreuves de l’échelle performance -, peut, àt o r t, donner l’impression de résultats « homogènes bas », et être interprétéecomme une déficience mentale globale. Il convient alors, pour évaluer les capaci-tés raisonnementales de l’enfant, de choisir des tests qui ne soient n i verbaux n ipracto-spatiaux (par ex e m p l e, la partie « analyse catégorielle » des EDEI).

2 - Orienter les premières investigations neuro-psychologiques :

Au contraire, toute hétérogénéité doit être, à priori et jusqu’à plus amplesinvestigations, considérée comme l’indice de trouble(s) cognitif(s) spécifiques,les sub-tests les mieux réussis reflétant les secteurs cognitifs préservés et lessub-tests les plus échoués trahissant le(s) secteur(s) spécifiquement patholo-gique(s). La répartition de ces réussites et échecs représente une configurationpropre à chaque enfant. Cependant, certains profils sont d’emblée très évoca-teurs, correspondants à des tableaux et des syndromes fréquents.

Exemples (WPPSI, WISC)- Dissociations inter-échelles (> 15 points) : aux dépens de l’échelle perfor-mance en cas de dyspraxie, aux dépens de l’échelle verbale en cas de troublelinguistique ou de troubles mnésiques ;- Dissociations intra-échelle

au sein de l’échelle verbale, une chute élective au sub-test arithmétique (et,plus modeste, en vocabulaire) doit faire évoquer une dyspraxie visuo-spatiale- une chute notable, limitée aux sub-tests vocabulaire et information, orientevers des pathologies mnésiques.Dans ces cas d’importante hétérogénéité interne à l’échelle verbale, la noteaux similitudes reste souvent le sub-test le plus pertinent pour apprécier lescapacités logiques, raisonnementales, de l’enfant. au sein de l’échelle performance, on peut noter une préservation isolée des

performances au sub-test « complètement d’images » lors de dyspraxie visuo-spatiale (échelle performance effondrée, ou globalement faible) - le complète-ment d’image s peut être au contraire particulièrement échoué en cas detrouble gnosique visuel - en ce qui concerne l’épreuve de code, elle estéchouée dans divers cas : troubles du regard, troubles mnésiques, dysphasieset aphasies (difficulté intrinsèque de transcodage).

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b - Investiguer la dyscalculie

Le bilan doit être construit de telle façon qu’apparaissent les processusdéficitaires ou dysfonctionnants ; il doit permettre « d’isoler » chacune desfonctions cognitives éventuellement en cause (logique, linguistique, spatiale,mnésique).

Dans ce but, nous proposons un bilan, certes réduit et incomplet, maissimple, rapide, facile à faire passer lors d’une consultation, et surtout capabled ’o r i e n t e r rapidement le clinicien vers le (ou les) facteur(s) probable(s) interve-nant dans l’incompétence en calcul. Nous avons en effet choisi 5 types de tâches(tableau ci-dessous) susceptibles de mettre en évidence, chez des enfants s c o l a r i-sés en primaire, des dissociations signifi c a t ives dans les compétences/incompé-tences cognitives, chez un même enfant et/ou d’un cas à l’autre.

TACHES PROPOSEES

DOMAINES EXPLORES

LITANIEdire la suite des

mots-nbres

LECTUREet ECRITURE(sous dictée)NOMBRES

TECHN. POSEET RESOLUT.OPERATIONS

addit°/soustract°

« ECPN » **EGALISAT. DE

3 COLLECT.PROBLEME*

ASPECTSLINGUISTIQUES

+++Langage oral

+++Lang. écrit

+

ASPECTSSPATIAUX

+nbres arabes

numérat. deposition

++++/–

dénombremt

+(calculs,pose etrésolut.)

ASPECTSRAISONNE-MENTAUXCompréhensionsignificationopérations :comparaisons,égalisation, ajouts,retraits

+++ +++

** Epreuve extraite de l’ECPN : on demande à l’enfant d’égaliser 3 col-lections d’au moins trois façons différentes. Cette épreuve permet d’explorerune fonction importante des opérations en mathématiques (comparaison et éga-

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lisation de collections), la souplesse de la mobilisation de procédures différentesmais pertinentes (on insiste, après une première réalisation : « peux-tu faireautrement ? »). Surtout cette épreuve peut être réalisée sans référence explicite àune situation de comptage, sans effectuer de calculs, sans aucun passage àl’écrit. Lorsque l’enfant décide d’entreprendre un comptage, il s’agit de petitescollections (7 éléments au maximum).

[ECPN, Protocole conçu par le groupe CIMETE, ANAE, 1995, Maté-riel et étalonnage : prochainement disponibles chez Ortho Editions.]

* Cf. document n° 4. Problème : il doit être adapté à l’âge et au niveauscolaire des enfants. Le problème choisi ici (niveaux CE/CM) nous semble avoirl’avantage d’être facilement illustré (l’enfant peut se référer à l’énoncé mêmes’il est en difficulté de lecture).

En outre, il est utilisable à divers niveaux : - Uniquement addition si la question est « combien doit-on payer à la

caisse ? »- Addition et soustraction si on ajoute : « je donne 50 francs à la caisse,

combien me rend-on ? »- Pour les plus grands, on peut donner tous les éléments et leur demander

de formuler la ou les questions qui leur paraissent pertinentes.

N.B. Les fonctions mnésiques et exécutives (frontales) ne sont pas men-tionnées, ni explorées spécifiquement ici : leur atteinte induit des difficultés sco-laires globales (dont une dyscalculie), et non une dyscalculie élective.

Nous avons donc choisi trois cas exemplaires pour illustrer ces troisvariétés de dyscalculies.

1 - Dyscalculie et compétences visuo-practo-spatiales : R…R… est un jeune garçon (sans aucun antécédent médical notable) qui nous

est adressé pour une première consultation à 7 1/2 ans par la psychologue sco-laire, car il est sous la menace d’un redoublement de son CE1 et présente unehétérogénéité importante, inter et intra-échelles, lors de la passation du WISC-R :

WISC-R, R..., 7 1/2 ansEchelle verbale Echelle performance :Information = 17 Complètement d’images = 15Similitudes = 14 Arrangement d’images = 11Vocabulaire = 13 *Cubes = 7Compréhens° = 16 *Assemblage d’objets = 5*Arithmétique = 7 * Code = 6

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Outre une importante dissociation « Verbal/Performance » au dépensdes épreuves « performance » (ici, plus de 30 points d’écart entre les deuxéchelles), on note la grande hétérogénéité intra-échelles, avec, au sein del’échelle verbale, une chute significative au sub-test « arithmétique », et aucontraire, au sein de l’échelle performance, le très bon score au sub-test « com-plètement d’images », seule épreuve de cette échelle qui ne soit ni praxique, nispatiale. Donc R. a d’excellentes compétences verbales et raisonnementales,mais il est en grande difficulté dans toutes les épreuves de nature practo-spa-tiales (la copie de la figure de Rey, très mauvaise, contraste également fortementavec le score qu’il obtient dans les épreuves conceptuelles verbales).

On est d’emblée frappé (document n° 1), lors de l’investigation des diffi-cultés en mathématiques, par le fossé qui existe entre son raisonnement, salogique, et ses difficultés dans des tâches « élémentaires » de numération : enparticulier, la technique de pose et de résolution des opérations est désas-treuse. Or, l’acquisition des techniques opératoires est un objectif importantdans le programme de mathématiques du CE ; en outre, il est souvent difficile,dans le cadre des activités scolaires de distinguer les différents niveaux de diffi-cultés. C’est pourquoi, les difficultés de R… seront vite « globalisées », indui-sant un jugement très péjoratif qui diffuse dans toute la perception que l’ensei-gnant a des performances de l’enfant.

Légende du document n°1Je dicte une addition (9 + 124). On note, outre la dysgraphie, la difficulté àaligner les colonnes d’unités, dizaines, centaines. 1er essai (à gauche) : « 9 + 4, 13, je pose 13 et … j’abaisse le 1 ? … Non, c’estpas comme ça ! ». Spontanément, il recommence, (2ème essai, au centre) et,cette fois, il pose d’abord le nombre le plus grand, montrant ainsi qu’il saitque l’addition est commutative. Il en entreprend la résolution, et dit : « 9 et 4,13 … je retiens 1 . (hésitations) … je le mets là ? » et il entoure sa retenue,qu’il place de façon volontairement floue, entre la colonne des dizaines etcelle des centaines. Perdu, il s’interrompt. L’examinateur pose donc pour luil’opération (à droite), lui demandant simplement de la résoudre : cette fois,très sécurisé, il énonce avec assurance : « 9 et 4, 13, je pose 3 et je retiens 1 »et il entoure la retenue … pour laquelle il fait encore une erreur de colonne !

L’ensemble du bilan neuro-psychologique mettra en évidence chez R.une dyspraxie développementale sévère, isolée, responsable d’une dysgraphieimportante, d’une grande maladresse (découper, colorier, dessiner, bricoler, acti-vités manuelles, .), avec échec concomitant en géométrie (Mazeau, 1989).

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La rééducation de cette dyscalculie fait appel au repérage des colonnes« centaines-dizaines-unités » par un code couleur, et/ou à la pré-programmationsur l’ordinateur (de la classe, ou de l’enfant s’il en possède un personnel) d’unprogramme « techniques opératoires » qui affecte automatiquement chaquechiffre à la bonne place (y compris les retenues).

La prise en charge des dyscalculies spatiales, chez ces enfants dont lesperformances logiques (catégorisations, conceptualisation, « conservations »piagétiennes) sont excellentes, fait toujours appel au raisonnement verbal, auformel, à l’explicitation des algorithmes de résolution des principales opéra-tions. En effet, le recours à la manipulation, l’expérimentation manuelle, aufiguratif, l’utilisation concrète de matériel (cubes, bûchettes, …), non seulementne sont pas utiles, mais sont véritablement « toxiques » pour ce jeune dys-praxique. La lutte contre l’échec scolaire « indu » que ces pathologies peuventgénérer passe aussi par l’information de l’enseignant sur la nature de ces diffi-cultés, et la préconisation de l’usage précoce d’une calculette.

2 - Dyscalculie et compétences linguistiques : K…K. est un petit garçon de 6 1/2 ans, atteint d’une hémiplégie cérébrale

infantile droite. Vif, curieux, intelligent et motivé par les activités intellectuelles,il est intégré dans l’école de son quartier depuis la maternelle et est en CP lorsdu bilan présenté ici. Ses compétences verbales sont normales (plutôt « nor-males/supérieures ») comme en témoigne son score au sub-test des devinettesdu K-ABC qui le situe dans la médiane des enfants de 8 1/2 ans. On note cepen-dant un faible empan de chiffres à l’endroit (4 chiffres), de même que l’empande chiffres à l’envers (mémoire de travail auditivo-verbale) qui est à 3.

La récitation de la comptine de la suite des mots-nombres pose encore deg r aves problèmes à K. en fin de CP. Ainsi, il commence correctement sa récitation,énonçant « un, deux, trois, etc. » et poursuit correctement jusqu’à « o n z e ». Deshésitations et des latences anormales interrompent la comptine, puis il énonce, d’unton peu sûr de lui, vaguement interrogatif « dix-trois, … dix-quatre ? » et enchaîne« dix-sept, dix-huit, dix-neuf, … » ; il continue ensuite sans encombre jusqu’à« v i n g t - n e u f » où il s’arrête de nouveau, et propose « vingt-dix ? » d’un air peuc o nvaincu. Nous lui soufflons « 30 », et K. repart vaillamment jusqu’à trente-neuf,disant alors « après, je sais pas l’dire, … c’est dans les quatre-zéro ».

On note déjà, outre la difficulté à dire (évoquer ?) les noms des irréguliersou des dizaines, que K., par sa formulation même (« vingt-dix » pour trente,« quatre-zéro » pour quarante), semble avoir un excellent accès à la logique dela construction de la numération arabe et de la base 10.

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Cette difficulté persistante pour les mots-nombres prédominant sur lesirréguliers de 11 à 16, et sur les noms des dizaines est d’autant plus étonnanteque K…, sur le plan du raisonnement et de la logique mathématique, réussitparfaitement à égaliser 3 collections en utilisant des procédures variées et élabo-rées. En outre, la conservation des quantités discontinues est acquise.

La dictée de nombres - document n° 2 - est très édifiante.

Légende du document n°2[colonne de gauche = les productions de K… Le signe + indique une trans-cription correcte, le signe - indique une erreur et le chiffre que nous avonsdicté figure alors entre parenthèses]Pour transcrire /douze/ énoncé oralement, le temps de latence est très impor-tant, et manifestement, K. reprend à voix basse la litanie des nombres depuis1, et il marmonne « 1,2,3, ... » ; enfin, il écrit « 12 » en interrogeant « un 1 etun 2, c’est ça ? ».Lors de la dictée de /quinze/, il écrit, après mûre réflexion « 41 », puis barreet dessine en vis à vis un petit bonhomme qui pleure, comme il a appris à lefaire à l’école lorsqu’il fait une erreur ( !). Il propose alors « 46 ». Nous fai-sons l’hypothèse que K. est parasité par l’assonance phonologique initialeentre Quinze et quatre (son initial : /k/).Pour /dix-huit/, il énonce : « un 1 et un 8 », en écrivant 18 sans hésitation.Pour /quatorze/ il propose d’abord « un 4 et un 0 », en écrivant un 4 et lalettre o ! Puis il propose « un 4 et un 4 ». En effet, K. pense bien que levocable oral /quatorze/ réfère à un nombre « de la famille des 4 », il saitqu’un seul 4 isolé se dirait /quatre/ et non /quatorze/ et qu’il faut écrire 2chiffres : il hésite en fait entre 2 solutions : ajouter un chiffre à valeur particu-lière (comme le zéro, cf sa production initiale) ou redoubler le chiffre 4, pourbien marquer l’appartenance du /quatorze/ à « la famille » des quatre ➙ 44.Pour /20/, il propose « un 1 et un 7 ». A notre demande de se relire, il énonce« seize ? »Enfin, pour /84/, il énonce : « un 4 et un 4 », et écrit « 44 » (là encore, noterla probable contamination phonologique /quatre-vingt-quatre/.

La lecture de nombre s (écrits en chiffres arabes) révèle les mêmes pro-blèmes. Les latences sont très anormalement longues. On note, par exemple, que lenombre /20/ est lu « onze », après un temps de latence important où il reprend lacomptine depuis 1 en cherchant le nombre … « qui vient après un 1 et un 0 » : ene ffet, dans « sa » logique de construction des nombres, « 2 et 0, ça vient juste après 1et 0 ». Or, 1 et 0, ça fait « dix », donc le nombre qui suit (2 et 0 !) doit être « onze » …

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Il s’agit donc bien d’une difficulté portant électivement sur les aspectslinguistiques du nombre (sans trouble de l’ensemble du secteur linguistique :développement du langage oral normal), le versant logique étant parfaitementpréservé. Pourtant, le langage de K. ne présente pas de signe d’une pathologielinguistique : il semble bien s’agir d’un trouble spécifique au sous-ensemble lin-guistique concernant spécifiquement la numération.

Chez K. nous avons rapproché ce trouble de ses faibles performances enmémoire à court terme (MCT) et mémoire de travail (MT) : nous avons étéconfortés, dans l’hypothèse de la responsabilité sous-jacente d’un déficit spéci-fique en MCT et MT, par le fait que K., en début d’apprentissage de la lecture, arencontré des difficultés évoquant celles des enfants présentant une dyslexiephonologique. Actuellement en CE1, K. lit correctement (aidé par une rééduca-tion orthophonique depuis 2 ans).

La prise en charge, en ce qui concerne cette dyscalculie, s’est essentiel-lement appuyée sur la régularité de la construction de la suite des nombresécrits en chiffres arabes (file numérique écrite, tableau cartésien) en évitant dedemander à l’enfant de « dire » le nombre : K. , désignant sur la file numériqueécrite, y avançant et y reculant avec pertinence, ou utilisant des étiquettes-nombres mises à sa disposition (remplaçant les réponses orales réclamées enclasse par l’institutrice) a ainsi travaillé, en classe et en rééducation, tous lesaspects de la numération du CP et début de CE (suite des nombres, comparai-sons, ajouts et retraits, petites additions ou soustractions). Peu à peu, K. a asso-cié le mot (dit par l’adulte) et le nombre écrit correspondant .

L’ é vo l u t i o n, sur une année scolaire est trop brève pour que l’onpuisse réellement en tirer des enseignements. On note toujours, en produc-tion écrite, un besoin constant d’utiliser la référence au nombre arabe écrit(K. « pense » toujours /36/ comme étant /3/ et /6/, et il énonce « trente six… un trois et un six »). Il parle et agit comme si le recours à la «visualisa-t i o n » du nombre arabe écrit et/ou la référence à sa structure logique étaienttoujours pour lui un intermédiaire indispensable pour appréhender lenombre. Les séries 60-70 et 80-90 restent mal maîtrisées, les connaissancesd é c l a r a t ives sur le nombre sont médiocres, et il a du mal à mettre en placeles routines de résolution des opérations (disposition des additions, rete-nues). Evolution à suivre …

3 - Dyscalculie et compétences en logique : M…M. est une jeune fille de 11 ans, ancienne prématurée, présentant des

séquelles neuro-motrices à type de diplégie spastique, scolarisée en CM1 (en

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CLIS 3). Dans l’ensemble, ses performances scolaires sont globalement jugéesinsuffisantes par les enseignants, mais c’est en calcul que ses difficultés culmi-nent, compromettant son intégration scolaire. Son score aux similitudes de laWISC-R est médiocre (notre standard = 7), et l’ensemble de ses performancesest faible, grossièrement homogène.

La conservation des nombres (au sens piagétien) n’est pas acquise, et M.est toujours sensible au leurre perceptif. Dans l’épreuve des poupées de l’UDN80 elle opère par tâtonnements successifs.

Si (contrairement au cas précédent) elle connaît bien la suite orale desmots-nombres (jusqu’à mille et au delà), elle ne peut toujours pas les écrire enchiffres arabes (après 2 années de rééducation) car elle reste parasitée par lesaspects phonologiques de la dénomination des nombres : M. écrit systématique-ment « ce qu’elle entend » - cf. document n°3 -. Quelquefois, gênée par la taillede certains nombres écrits, dont elle perçoit l’aspect peu familier, elle supprimecertains zéros ici ou là (tant en lecture qu’en production écrite), déclarant avecassurance que « de toute façon, les zéros, ça ne compte pas » !.

Ses difficultés débordent largement la lecture et l’écriture des nombres :elle ne sait pas les classer, ni les comparer. D’une façon générale, elle échoue àtoutes les opérations, et ceci est particulièrement net non seulement à l’épreuved’égalisation des 3 collections de l’ECPN, mais également dans une épreuve detransformation de collections (également extraite de l’ECPN), où il faut com-prendre la nature de la transformation (ajout ou retrait) et déduire l’état initial.

Enfin, le problème - document n° 4 - donne lieu à une confusion entre lenombre de fleurs et le prix des fleurs. Elle ne peut différencier clairement la col-lection de fleurs (collection qui a une existence concrète, dessinée sous sesyeux, et qu’elle dénombre à plusieurs reprises), des nombres qui renvoient auxprix (représentés uniquement par un nombre écrit), qu’elle néglige.

◆ ConclusionCes trois cas cliniques illustrent bien la variété clinique que recouvre le

terme de « dyscalculie » appliquée à chacun de ces trois enfants.

Ce court bilan, sans prétendre être exhaustif, s’avère cependant pertinentpour poser les bases d’un premier diagnostic différentiel, puisque chacun deces enfants présente un profil bien différencié (tableau ci-après). Il permettraaussi d’orienter la suite du bilan neuro-psychologique, dans l’un ou l’autre

3. CLIS : classe d’intégration scolaire.

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125

des domaines suspects (bilan visuo-practo-spatial, linguistique, mnésique, …),sans oublier l’évaluation systématique des fonctions exécutives (« frontales »).

Au total, les dyscalculies de l’enfant, quelqu’en soit le contexte, ne sontdonc pas une entité clinique homogène, circonscrite, cohérente. L’ i n c o m p é t e n c een calcul (ou dans l’ensemble des activités logico-mathématiques selon les cas),est un symptôme, - et non un diagnostic -, symptôme qui doit faire l’objetd’une analyse, fonction de l’inve n t a i re des compétences requises pour telleou telle tâche. Ainsi, pourront être reconnues des dyscalculies multiples, dont lesexpressions sont diverses, fonction des processus sous-jacents dysfonctionnants.

Cette analyse fonde des attitudes rééducatives et des aides pédagogiquesd i fférenciées, adaptées en fonction des mécanismes qui sous-tendent lestroubles. Un diagnostic précis, est en effet indispensable pour poser les indi-cations d’une rééducation motivée et efficace.

Enfin, qu’il s’agisse de troubles dits « développementaux » (chez dese n fants sans aucun antécédent ni trouble neurologique décelable) ou deséquelles de lésions cérébrales précoces (de Barbot 1993, 1991, 1988), lestroubles du calcul peuvent, comme dans les trois cas exemplaires choisis ici,constituer à eux seuls un véritable « handicap scolaire ». Mais, fréquemment, ilsne sont pas isolés et accompagnent d’autres pathologies neuro-psychologiquestelles certaines dysphasies, certaines dyslexies, certains troubles mnésiques, cer-tains troubles des fonctions exécutives : ils sont alors au second plan d’untableau clinique riche et complexe, ce qui ne doit pas conduire à les négliger, nià sous-estimer le sur-handicap qu’ils constituent.

TABLEAU RECAPITULATIF des réussites et des échecs contrastés pour 3 types de dyscalculies très fréquentes

LITANIE(dire la suite des

mots-nbres)

LECTURE etECRITURE

de NOMBRES

POSEET RESOLUT.Addit./soustract

« ECPN »EGALISAT. de3 COLLECT.

PROBLEME

R... (dyspraxie)Dyscalculie spatiale O.K. O.K. ECHEC O.K. O.K.

K... Hémipl. G.Tr. du secteurlinguist. de lanumération

ECHEC ECHEC O.K. O.K. O.K.

M... IMC (préma)Raisonnementlogique faible

ECHEC ECHEC ECHECO.K. O.K.

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Document 1

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Document 2

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Document 3

Document 4

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TESTS CITES

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La délicate question de la compétenceprofessionnelle face aux dysfonctionnementsdans le traitement des données numériques

Pierre Dessailly

R é s u m éL’auteur soumet à la critique du lecteur quelques outils (organigramme, tableaux, sélectiond’ouvrages en référence aux interrogations issues de la pratique) et réflexions susceptiblesd’aider les praticiens à clarifier la signification de leurs options professionnelles lors de deuxphases importantes du processus d’accompagnement des patients présentant des dysfonc-tionnements dans le traitement des données numériques (mathématiques) :1. la clarification du problème vécu par le patient et/ou par son entourage ;2. le choix du/des type(s) et modalités d’intervention en mesure de répondre le moins inadé-quatement possible à ce problème.

Mots-clés : dyscalculie, compétence professionnelle, spécificité professionnelle, qualité etefficacité professionnelles.

The critical issue of professional competency in treatingnumber-processing disabilities

AbstractThe author wants the reader to be exposed to various tools (organization charts, tables,selected publications on practice-based issues) and thoughts which may help practitionersclarify their professional choices during two important stages of their therapeutic work withpatients with a learning disorder in mathematics (impaired ability in processing numberconcepts) :1. Defining the problem as it is experienced by the patient and his family,2. Choosing the most appropriate treatment modalities.

Key Wo r d s : developmental arithmetic disorder, professional competency, professional spe-cificity, professional quality and efficiency.

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Pierre DESSAILLYLogopède, enseignant46, rue de HeigneB - 6160 Roux

Je souhaite émettre ici quelques réflexions et suggestions relatives à la pro-blématique (mot choisi à dessein) de l’accompagnement de sujets, enfantsou adultes, qui sont un jour amenés à consulter - rarement d’initiative per-

sonnelle - pour troubles supposés dans l’utilisation des notions, relations etsymboles numériques et par conséquent, mathématiques.

J’aborderai la question de la clarification nécessaire, du point de vue del’orthophoniste, du problème vécu plus ou moins consciemment par le sujet endifficulté et par son entourage (parents, école, etc.). J’envisagerai aussi celle toutaussi fondamentale et naturellement induite par la première, du choix critique etpotentiellement révisable de la (des) forme(s) d’aide optimale susceptible deremédier le moins inadéquatement possible au problème identifié.

L’évocation de ces deux questions sera l’occasion de présenter diversoutils que j’ai progressivement construits ou intégrés (organigramme, tableauxet publications sélectionnées en référence aux questionnements issus de la pra-tique) et qui m’ont aidé à structurer mon activité professionnelle et à lui confé-rer une certaine cohérence face aux différents courants d’opinion, théoriques etparfois polémiques, qui se sont développés ces 25 dernières années.

◆ Les difficultés en mathématique : une réalité aux multiples facettes

Combien de fois ne me suis-je pas demandé, faute de critères explicites àma disposition, si la prise en charge de tel ensemble de difficultés rencontréchez tel enfant relevait d’une part de ma compétence personnelle qui s’est diver-sifiée au fil des années et, d’autre part et plus largement, de la spécificité éven-tuellement réservée à ma double appartenance professionnelle (pédagogie etorthophonie) ?

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Par exemple, cet enfant qui a été absent plusieurs mois de l’école, oucelui qui, en plein milieu de sa première année d’école primaire, a été contraintde changer d’école, de maître et de méthode 1 d’apprentissage du calcul et quej’essaie de remettre le plus vite possible (parce que le programme de l’école suitinexorablement son cours !) à flot par des moyens que je ne puis qu’appeler« pédagogiques individualisés » n’auraient-ils pas pu, pas dû être pris en chargepar l’Ecole ... si la « Société » lui avait octroyé les moyens de remplir ce rôle ?Et puis, cet autre enfant qui m’a été présenté par sa mère inquiète comme souf-frant d’une « dyscalculie pour les fractions » (imaginez les représentations men-tales qui peuvent résulter de ce type d’étiquetage !), à l’exclusion évidente detout autre problème, devait-il vraiment échouer dans mon cabinet ? De quelleespèce de pouvoirs magiques pouvais-je donc être investi par ces parents déso-rientés qui, souvent en dernier recours, voyaient en moi le spécialiste tout dési-gné pour « soigner » cette forme de … « pathologie » ?

Il n’est pas difficile d’allonger la liste de ces situations toujours doulou-reuses pour les familles qui les vivent et pour l’enfant qui dispose rarement desmoyens de les gérer avec le recul et toute la lucidité qui s’imposeraient enpareils cas. Je citerai encore brièvement deux exemples destinés à montrerl’étendue et la diversité des enjeux socio-familiaux qui nous interpellent réguliè-rement et gravement au cœur de notre identité professionnelle. David d’unepart, âgé de 9 ans et dont tous les examens, y compris les miens, convergeaientpour prôner un maintien en enseignement spécialisé (en Belgique), perspectiveque les parents, manifestement blessés, refusaient obstinément d’admettre ;cette adolescente docile et passive d’autre part, qui, par le recours à des activitésdites de type « logico-mathématique » éloignées dans leur forme des contenusscolaires habituels, prenait lentement conscience de - et confiance en - ses pos-sibilités réelles de raisonnement et se métamorphosait progressivement en un« je » critique, curieux et dynamique capable d’analyser et de structurer active-ment les données de son environnement (espace, temps, nombre) tandis que la«pression» de l’école où les résultats restaient décourageants et l’impatienced’un père banquier et d’une mère relativement effacée (pour simplifier ici) m’in-vitaient à me centrer préférentiellement sur la révision de la matière mathéma-tique abordée en classe, souhaitant ainsi me confiner dans un rôle de « dépan-neur psycho-pédagogique » ou de répétiteur de luxe.

1.Il y aurait beaucoup à dire à propos des « méthodes » d’apprentissage (mais aussi, dans certains cas, de ...rééducation), des circonstances et modalités de leur adoption et de leur utilisation par l’enseignant, de leurcapacité d’entrer en résonance avec le profil des enfants à qui elles sont destinées, de leurs effets secondairespas toujours anticipés, de leur adéquation avec la rigueur mathématique, etc.

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En fait, chaque « patient » potentiel qui nous est adressé pose en termeschaque fois différents la délicate question de la légitimité, de l’opportunité et dela spécificité de notre intervention. C’est qu’un dysfonctionnement dans l’ap-prentissage des mathématiques - comme du reste dans beaucoup d’autresdomaines - constitue rarement une réalité aisée à déchiffrer, si j’ose dire … ; etce n’est pas le recours au mot « dyscalculie » qui contribue à clarifier le pro-blème, si j’en juge par le nombre relativement fréquent de fois où il se voitréduit à une étiquette passe-partout, vidée de toute substance accolée à desenfants dont les difficultés sont, tout bien considéré, relativement vénielles.Certes, on pourrait être tenté de croire que ce terme à connotation neuro-psy-chologique désigne une entité nosologique parfaitement circonscrite par les spé-cialistes. Pourtant, l’analyse attentive de la littérature montre qu’il n’en va pasainsi. Guy Brousseau (1980), pour ne citer que lui, a montré lors d’une enquêtebibliographique à quel point les symptômes de « dyscalculie » d’ordre numé-rique ou paranumérique sont nombreux et variés, sans qu’aucun d’eux fassel’objet d’un consensus.

Paradoxalement, les efforts entrepris pour tenter de clarifier les chosestendent à accroître le malaise. Ainsi, l’expression « dyscalculie vraie » qui a étéproposée par certains désignerait l’existence d’un trouble en calcul (et unique-ment en calcul) non explicable par une déficience intellectuelle (l’enfant est nor-malement « intelligent » … sauf, peut-être, en mathématique !), par un déséqui-libre affectif ou par des causes ou circonstances pédagogiques directes(absentéisme, changement d’enseignant, méthodologies inappropriées, etc.).Pour louable que paraisse semblable tentative de définition, elle n’en reste pasmoins relativement vaine étant donné que des cas aussi « purs » ne constituentcertainement pas l’essentiel de la « clientèle » de l’orthophoniste.

D’autres classifications devenues aujourd’hui obsolètes ont été proposées,selon que l’on souhaitait ou non associer le blocage en mathématique à d’autressymptômes, ou selon que l’on voulait ou non insister sur l’étiologie des difficul-tés. On a ainsi parfois distingué des « dyscalculiques pédagogiques » (ou« fabriqués ») dont les lacunes remontent à des carences dans les stimulationsscolaires ou préscolaires, et des « dyscalculiques psychologiques » caractériséspar des déficiences dites intrinsèques. On a aussi opposé la « dyscalculieisolée » à un « trouble » de l’apprentissage portant à la fois sur la lecture et lecalcul.

Aujourd’hui, le malaise persiste en s’exprimant sous des formes nou-velles. Certains (S. Calvarin & L. Morel, 1999), sans se focaliser sur le mot« dyscalculie », insistent judicieusement sur la nécessité d’identifier les enfants

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ou adolescents dont les difficultés en mathématique renvoient à des pathologiessévères du raisonnement logico-mathématique ; d’autres (C. de Callataÿ, 1999)considèrent que le mot « dyscalculie », souvent utilisé de manière abusive,devrait être réservé aux seuls troubles en mathématique associés à des troublesde la pensée logico-mathématique (à rapprocher des « retards d’organisation duraisonnement », des « dysharmonies cognitives », etc.) présents chez l’enfantd’intelligence normale 2 et nettement différenciés du retard pédagogique ou desdifficultés induites par une pédagogie inadaptée. D’autres encore (P. Op deBeeck, 1999) plaident en faveur de la distinction entre les troubles spécifiquesd’apprentissage en mathématique et les « dérapages » pédagogiques ponctuels.Tous soulignent, avec raison, combien le bilan orthophonique, cheminement cli-nique permanent, est un acte essentiel de l’accompagnement du sujet en diffi-culté et combien la sensibilité, le sens des responsabilités et l’esprit derecherche du clinicien, loin de se résumer à l’application technique d’outilsd’évaluation standardisés ou non, sont nécessaires à l’analyse éclairée des situa-tions cliniques toujours différentes d’un sujet à l’autre ... et susceptibles d’abou-tir à la décision de non prise en charge orthophonique.

Face à cette diversité d’opinions, source d’interrogations bénéfiques sansdoute, mais aussi d’insécurité bien compréhensible, certains praticiens souli-gnent qu’il n’existe pas une « dyscalculie » - opinion que je partage sans réserve- mais des enfants, tous différents, présentant des difficultés toujours singulièresqu’il importe d’aborder avec d’infinies précautions. Ces praticiens manifestentainsi très pragmatiquement leur défiance à l’égard d’étiquettes qui sèment laconfusion et l’inquiétude dans les esprits non avertis, et leur réticence à promou-voir coûte que coûte les difficultés observées au rang de syndromes ou d’entitésnosographiques assorties d’hypothèses étiologiques rigides ou simplistes 3.

Les données suivantes extraites de la recherche réalisée par A. Bondioli,P. D e s s a i l l y, E. Neufnet et E. Verlinden (1981), ajoutent une dimension supplé-

2. La dissociation régulièrement observée entre intelligence « normale » et troubles logico-mathématiquessoulève un problème théorique qui mériterait d’être approfondi. Voir plus loin dans le texte.3. Ce point de vue se pose en termes radicalement différents et ... professionnellement plus sécurisants (!) lors-qu’il renvoie aux acalculies/dyscalculies acquises ou développementales clairement liées à un dysfonctionne-ment neurologique (lésions ou désorganisation précoce de certaines régions cérébrales : cortex pariétal infé-rieur, boucles cortico-sous-corticales, cortex préfrontal, etc.) dont le caractère pathologique est avéré. Jerenvoie le lecteur intéressé au chapitre VII : « Perdre la bosse des maths » du livre fort stimulant deS.Dehaene (1997). L’occasion, assurément de réfléchir à la question délicate de la délimitation entre les « cascliniques » de nature indiscutablement paramédicale et les trop nombreux enfants frappés d’« innumérisme »,ces « automathes » (S. Baruk, 1973) figés, incapables de faire preuve de bon sens dès qu’il s’agit d’activitésmathématiques, parce que, suggère S. Dehaene, l’école a négligé de prendre en compte une propriété fonda-mentale du cerveau, à savoir sa modularité !

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mentaire à l’hétérogénéité des difficultés (et pas forcément des « troubles » )d’apprentissage en mathématique. L’étude portait sur l’évaluation de certainespotentialités cognitives supposées sous-jacentes à l’activité mathématique pro-prement dite. Pour la réaliser, une batterie diagnostique a été conçue dans le bu td ’ i d e n t i fier les stratégies mentales de jeunes enfants placés dans des situationsproblèmes exigeant d’eux la construction et/ou l’utilisation des premières notionsmathématiques. L’outil comportait 8 épreuves faisant appel à des notions fonda-mentales accessibles à des enfants entamant l’école primaire. Plusieurs d’entreelles portaient sur l’utilisation du nombre dans des situations variées :

- maîtrise des quantificateurs « plus que », « moins que », « autant que » ;- dénombrement, connaissance fonctionnelle de la suite des noms de

nombres, ordination, transitivité, association de chiffres (de 0 à 9) auxquantités qu’ils désignent, connaissance de signes et symboles courants(+, -, =, <) ;

- comparaison et manipulation quantitatives de collections d’objets (égali-ser des différences entre collections, « mettre plus », « mettre moins »d’objets dans une collection que dans une autre) ;

- utilisation spontanée du dénombrement et de l’addition.

Les enfants examinés provenaient d’une classe de 3e année maternelle etde 2 classes de première année primaire (C.P. en France) issues de la mêmeécole, la classe de 1re année B étant présentée par les enseignants comme globa-lement plus faible que celle de 1re année A. Chaque sujet a été testé individuelle-ment dans des conditions identiques, à savoir deux séances de durée approxima-tivement égale proposées des jours différents.

Le tableau ci-contre met en exergue les éléments dominants de cetterecherche.

Un système de cotation original a été introduit pour chacune des épreuvesde la batterie. Une échelle d’évaluation dégressive attribuait à l’enfant un certainnombre de points en fonction du degré de facilité avec lequel il traitait chaqueitem. Ainsi, s’il résolvait spontanément et sans difficulté une « situation-pro-blème » déterminée, il se voyait attribuer le maximum de points réservés à cetteactivité. Par contre, si des formes d’aide progressivement plus marquées s’avé-raient nécessaires, l’enfant obtenait alors des notes proportionnellement plusfaibles, la note maximale (notes brutes) attribuable à l’ensemble de la batteries’élevant à 76. (Remarque : les résultats figurant dans le tableau sont exprimésen pourcentages).

Cette étude a révélé l’hétérogénéité des performances, même au sein dechaque classe. Si les résultats de la 1r e année A (« A », dans le tableau ci-dessus) sont

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Tableau 1 : les lettres figurant dans la parenthèse de la deuxième colonne signifientrespectivement : M : école maternelle ; A : 1re année A ; B : 1re année B. Les nombres

représentent le pourcentage de réussite obtenu par chaque enfant à la batterie.

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plus homogènes (15 % de différence entre la note la plus faible et la note la plus éle-vée), ceux de la 1r e année B (« B ») et de la 3e maternelle (« M ») varient nettementplus (respectivement 38,5 % et 60,5 % de différence entre les scores ex t r ê m e s ) .

On note également que le niveau de réussite n’est pas directement lié àl’âge des élèves. Ainsi, par exemple, la cadette parmi les enfants de 1re année B(Sandra V.) obtient les meilleurs résultats dans sa classe et égale la performancede Patrick F., l’aîné des enfants de 1re année A.

D’autre part, si la moyenne des pourcentages obtenus en 1r e année primaire(1B et 1A confondues) s’établit à 80,1 %, la dispersion des notes autour de cettem oyenne ne manque pas d’étonner lorsqu’on se souvient du caractère élémentairedes notions évaluées et des modalités d’examen strictement identiques pour tousles élèves. De plus, lorsqu’on analyse les performances de plus près (informationsnon reprises dans le tableau), on note que 2 scores globaux identiques, qu’ils soientfaibles ou excellents, ne reflètent jamais des profils de réussite superposables.

On peut comprendre, suite aux enseignements de cette recherche, que laprésentation frontale d’une notion mathématique, au même moment et de lamême manière, puisse, au moins dans une certaine mesure, engendrer chez lesenfants des perceptions et représentations mentales fort variées et ce, quellesque soient l’expérience du maître et la qualité de son message. On peut égale-ment mieux saisir la genèse de certaines situations d’échec, surtout si les exi-gences de l’enseignant sont strictes et/ou élevées, la question restant alors desavoir dans quelle mesure l’échec de l’élève n’est pas, dans une certaine mesure,le reflet de celui de … l’Ecole.

◆ De l’utilité d’un difficile débat de fond …Les différents points de vue qui précèdent pourraient sans doute être

condensés sous la forme de quelques questions structurantes dont voici unéchantillon :

- Lorsqu’un enfant rencontre des difficultés d’apprentissage en calcul,quels éléments doivent entraîner la décision de faire intervenir un réédu-cateur ou un thérapeute ? Qui doit prendre cette décision ? Des mesuresde remédiation pédagogique appropriées aux difficultés spécifiques del’enfant n’auraient-elles pu suffire si elles avaient été prises à temps ?

- Une rénovation de l’enseignement de la mathématique davantage cen-trée sur l’individualisation des apprentissages, qui éviterait la rigiditédans l’acquisition des connaissances et la reproduction stéréotypée demodèles inculqués, qui prendrait en compte les stratégies cognitives, lestâtonnements, les erreurs, le rythme d’acquisition de l’enfant, qui serait

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moins écrasée par le poids des programmes, une telle rénovation n’évi-terait-elle pas maints échecs ?

- Certaines formes de rééducation ne se nourrissent-elles pas des insuffi-sances du système pédagogique ? Ne risquent-elles pas d’en cautionnerla perpétuation ? Le rééducateur n’est-il pas, dans ce contexte, un« super-pédagogue » se contentant d’enseigner ou de réenseigner lamatière scolaire dans une relation duelle privilégiée afin d’assurer laréinsertion la plus rapide possible de l’enfant dans sa classe ?

- Quelles compétences faut-il souhaiter de l’orthophoniste spécialisé dansla prise en charge des difficultés ou troubles en mathématique ?(Connaissance des fondements mathématiques des notions enseignées,des exigences et de la logique des programmes scolaires, des orienta-tions actuelles de la pédagogie des mathématiques, de la dynamique dudéveloppement cognitif et affectif, etc.).

Et puis encore, de façon plus particulière :- Un enfant en 3e année primaire de l’enseignement ordinaire se trouva n t

bloqué en mathématique (niveau de 1ère année non acquis) tandis qu’ilassimile normalement les autres disciplines, ne devrait-il pas être soutenupar un rééducateur (pas forcément un orthophoniste) ? Dans ce cas, quelled evrait être l’attitude de l’enseignant durant cette prise en charge, notam-ment en tenant compte des exigences du programme scolaire de 3e année ?

Mais aussi, pourquoi pas :- Un élève de deuxième année primaire réussissant (apparemment !) bien en

classe parce qu’il est assidûment suivi à la maison et parce qu’il mémorisetoutes les leçons, alors qu’il n’a manifestement pas intégré la matière, ned evrait-il pas, lui aussi, être pris en charge de manière spécifique ?

Cet éventail de questions et l’insécurité qu’elles génèrent constituent lemenu quotidien des orthophonistes qui, en quête d’un minimum d’identité etd’efficacité professionnelles, n’ont pas renoncé à s’interroger sur les finalités deleur mission et sur la fonction qu’ils remplissent dans le champ psycho-médico-social 4. Qu’ils le veuillent ou non, chaque acte qu’ils posent, chaque décisionqu’ils prennent renvoient régulièrement à des questions dont l’éventuelle (l’uto-pique ?) clarification nécessiterait une large et franche concertation avec l’en-semble des acteurs du système « social » concernés (enseignants, parents, psy-chologues, gestionnaires, etc.).

4. Il est vrai, sans ironie, qu’il est toujours possible de les esquiver et de se dire en toute bonne conscience quetout enfant en difficulté mérite d’être aidé dès lors que d’autres composantes du système socio-éducatif ontplus ou moins failli dans leur mission …

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◆ Est-il possible de progresser dans cette voie ?J’en suis intimement persuadé. A condition, toutefois, que l’on accepte de

s’engager dans une démarche résolument constructive et opérationnelle en com-mençant par détailler dans un langage simple mais non simpliste, la natureexacte des lacunes constatées chez l’enfant (ou chez l’adulte), par en chercher laou les causes lorsque c’est possible, par en apprécier la signification (et notam-ment le sens que revêt la symptomatologie de l’enfant en référence à son his-toire et à celle de sa famille) et par en évaluer les incidences cognitives, socialeset affectives. Peut-être pourrait-on alors espérer que sur la base d’un tel langagecommun, un dialogue fructueux se noue entre tous les partenaires concernés etque progressivement se précisent et s’ajustent les rôles propres de chacun.

Dans cette perspective, un premier obstacle pourrait déjà être franchientre orthophonistes, en tentant de mettre de l’ordre dans les décisions qu’ilsprennent et dans les actes qu’ils posent, que ceux-ci soient ou ne soient pas prisen charge par la sécurité sociale, la résolution de cette question de nature socio-économico-politique relevant actuellement d’une « logique » non entièrementassimilable à la seule argumentation scientifique.

◆ Proposition d’un outil susceptible d’aider à la clarification desactes posés par l’orthophoniste

L’ o rganigramme ci-dessous simule diverses questions de clarifi c a t i o nqu’il me paraît utile de se poser chaque fois que nous sommes interpellés à pro-pos d’un enfant en difficulté.

Certes, on pourra se dire qu’un instrument comme celui-ci n’est pas enmesure de rendre compte de la diversité des nuances propres à chacune dessituations que nous sommes amenés à vivre. Il me semble toutefois pouvoir êtreutilisé comme un support susceptible de nous guider :

- dans l’identification des tenants et aboutissants de la demande qui nousest adressée ;

- dans la recherche du (des) type d’aide approprié qui ne sera pas néces-sairement une prise en charge orthophonique 5 ;

- dans l’établissement, s’il se justifie, d’un bilan orthophonique circonstan-cié intégrant entre autres les informations résultant de contacts extérieurs ;

- dans la précision des objectifs, modalités et limites de l’action orthopho-nique qui sera entreprise.

5. Certains troubles en mathématique, révélateurs d’un « mal être » plus fondamental, ne seront pas - surtoutpas ! - approchés par une rééducation de type mathématique mais plutôt par une thérapie psychologique ouencore, par une intervention psychomotrice relationnelle. (Voir L. Weyl-Kailey, 1985, par exemple).

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L’idée centrale à la base de la création de cet outil de travail est née del’examen attentif d’un ensemble de définitions qui tentent de cerner la notion de« dyscalculie ». Toutes, à quelques nuances près, pointent les critères suivants :

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- le sujet est d’intelligence normale, généralement supposée mesurée parle calcul d’un quotient intellectuel et sans qu’une distinction soit établieentre les versants verbal et de performance ;

- les notions mathématiques « élémentaires » (la « notion de nombre »dans ses aspects conceptuels et symboliques) ne sont pas intégrées … àun âge chronologique où elles devraient pourtant l’être ;

- les difficultés sont jugées sévères, tenaces, durables voire insurmon-tables (sauf intervention spécifique ?).

D’autres critères ne font pas l’unanimité ou restent flous : spécificité deserreurs ; difficultés ex c l u s ivement cantonnées aux activités arithmétiques(« Echec électif » sur l’organigramme) ; incidence de paramètres pédagogiquesexternes (fréquentation scolaire, procédés pédagogiques, etc.) ; relation avec lesdésordres affectifs, sans précision de leur caractère causal ou consécutif.

Les limites de cet article ne me permettent pas (à supposer que j’en soiscapable) de développer l’ensemble des questions sous-tendues par la structurede l’organigramme. Je souhaite cependant insister sur certains points primor-diaux en laissant ensuite au lecteur le soin de poursuivre sa réflexion en réfé-rence à sa propre expérience.

◆ La sévérité de l’échecCette question pourrait paraître superflue. Tout simplement parce que

l’enfant aboutit généralement chez l’orthophoniste au terme d’un parcours sanc-tionné par un constat d’échec scolaire supposé évident.

Il convient pourtant de rester prudent. Je n’en citerai pour preuve quedeux cas vécus.

Fabrice d’abord, particulièrement surprotégé, que la mère m’inv i t aanxieusement à prendre en charge parce que ses notes en mathématique,brillantes (97 %) en fin de C.E.1, avaient sensiblement baissé au début de l’an-née suivante (85 % au premier bulletin), le maître actuel étant plus sévère queson collègue dans ses cotations. Une évaluation rapide et un contrôle deux moisplus tard rassurèrent la maman quant au bon niveau de maîtrise de la matière parson fils. Ai-je en ce cas débordé des limites de ma fonction ? Chacun jugera.

Celui plus préoccupant, ensuite, de cet enfant 6 se trouvant au début ducours préparatoire qui, manifestement, manipulait aisément sur le plan fonction-

6. J’en ai rencontré d’autres par la suite, notamment dans le cadre de l’enseignement formaliste des mathéma-tiques modernes.

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nel, les notions de nombre et d’opération (additions et soustractions élémen-taires, notamment avec le support des doigts) mais qui, selon toute apparence,n’avait pas compris le côté systématique et rituel, voire l’utilité de la codifica-tion des nombres et de leurs rapports de grandeur au moyen de couleurs (« Lesnombres en couleurs », Méthode Cuisenaire 7). L’échec était manifeste mais ilportait sur la méthode pédagogique plutôt que sur les concepts et relationsnumériques proprement dits. Ma tâche (« Remédiation pédagogiqueimmédiate » sur l’organigramme), limitée dans le temps, consista à rencontrerl’enseignante heureusement disponible et collaborante, à rassurer les parents etl’enfant sur ses compétences réelles et à expliquer à ce dernier les « règles dujeu » de la méthode et les raisons pour lesquelles la maîtresse y recourait.

Une situation radicalement différente, déjà esquissée plus haut, peut éga-lement exister, surtout lors des premières années d’école. En l’occurrence celleoù l’enfant donne l’illusion de progresser dans l’acquisition de la matière sansqu’on ne s’aperçoive tout de suite que c’est au prix d’un investissement anormalen temps et en efforts de pure mémorisation. C’est notamment dans descontextes semblables que l’orthophoniste est parfois amené à constater fort tard(trop tard ?) que l’exécution mécanique «satisfaisante» des algorithmes de réso-lution de l’addition et de la soustraction écrites, occulte la non assimilation desprincipes du système décimal de numération de position 8 dont les conséquencesnégatives se révéleront trop tard, lorsque seront abordés le système métrique etles nombres décimaux.

Il importe par conséquent, lorsqu’il nous appartient de juger sereinementdu degré de sévérité de l’échec en mathématique et des significations multiplesqu’il peut revêtir, d’apprécier objectivement, tant que faire se peut, le contextedans lequel il s’est développé (Echelle de sévérité de l’enseignant, s’il est parexemple titulaire d’une classe « forte » ou « faible » ; objectifs et pratiquespédagogiques 9 ; qualité de la relation entre maître, parents et élève ; niveau sco-laire : C.P. ou C.M.1 par exemple ; type d’enseignement : enseignement spécia-lisé ou ordinaire ; etc.) mais, dans le même temps, de mesurer les lacunes del’enfant en prenant un minimum de distance à l’égard de ce contexte. Notam-ment par le recours à un test crédible de niveau pédagogique et/ou par un son-

7. Voir à ce propos les critiques nuancées de Rémi Brissiaud (1989) et l’intéressante alternative qu’il propose(Réglettes avec caches) dans un excellent ouvrage se situant constamment au confluent de la pratique et de lathéorie.8. Je l’analyse dans le détail, ainsi que ses implications pour l’apprentissage, dans le livre intitulé «Le nombre- Réflexions pour un apprentissage fécond », L’Ortho Edition, 1992.9. Idéalement, l’espace d’intervention dévolu au « spécialiste » de la rééducation devrait entre autres pouvoirêtre défini en référence à un système pédagogique intégrant en son sein de façon structurée, les 3 temps suc-cessifs d’une action cohérente : formation, évaluation et … remédiation. Nous n’y sommes pas encore.

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dage clinique portant sur les notions mathématiques de base correspondant auniveau scolaire actuel de l’enfant ainsi, le cas échéant, qu’à celui de l’année pré-cédente.

◆ L’échec électif

Je ne m’y attarderai dans le cadre de cet article que pour évoquer le sou-venir suivant. Une enfant de 2e année primaire m’est adressée pour difficultéd’apprentissage en mathématique. Lorsque je rencontre les parents afin d’évo-quer le parcours scolaire de leur fille, ils me disent qu’elle se « débrouille » biendans les autres disciplines scolaires et que c’est surtout en calcul que le bâtblesse. En vérité, les performances de l’enfant laissaient également sérieuse-ment à désirer en langage écrit, ce que les parents rechignaient à admettre parceque les notes qu’ils valorisaient exagérément par contraste avec l’échec en cal-cul, étaient supérieures au seuil de réussite. Seul l’échec sanctionné par une notenégative dans le bulletin (en couleur rouge bien repérable !) apparaissait suscep-tible de les inquiéter, réaction au demeurant compréhensible pour des non spé-cialistes de la pédagogie issus, par surcroît, d’un milieu socioculturel défavorisé.

Cette expérience m’a été profitable en d’autres circonstances à l’occasiondesquelles j’ai appris à me méfier des évaluations scolaires en termes unique-ment quantitatifs (notes supérieures ou inférieures à la « moyenne » requise) etoù j’ai particulièrement bien ressenti combien le devoir d’information expliciteauprès des parents est essentiel. Par ailleurs, plusieurs expériences vécues m’ontconvaincu que le « verdict » d’échec électif, dans les « cas limites », n’est pastoujours aisé à décréter.

Il importerait ici aussi de se doter d’instruments d’évaluation affinés,construits en référence aux programmes scolaires et permettant d’apprécier leplus objectivement possible, hors contexte scolaire « local », le réel niveau demaîtrise de telle ou telle compétence.

◆ L’évaluation du niveau intellectuelL’analyse, sur l’organigramme, de cette composante importante du bilan

est susceptible de réserver quelques surprises.

Ainsi, d’aucuns, à juste titre, s’expliqueront difficilement la coexistence(Branche n°2 sur l’organigramme) d’un niveau intellectuel faible ou insuffisantet d’un échec électif (uniquement en mathématique dans le cas présent) alorsqu’ils s’accommoderont sans peine de l’éventualité d’un retard ou trouble péda-gogique généralisé chez un enfant normalement doué. (Branche n°3).

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Bien que conscient de cette apparente anomalie, j’ai néanmoins choisi de lac o n s e r ver sur l’organigramme. D’abord parce que rien n’exclut qu’elle puisse adve-n i r, situation qui, bien sûr, inviterait à un contrôle toujours salutaire du degré de fi a b i-lité d’examens (intellectuels ou autres - voir paragraphe précédent) qui parfois ne sesont pas déroulés dans des conditions optimales. Mais également parce qu’il fa u tbien reconnaître, d’autres l’ont dit avant moi, que le (les ?) concept(s) d’intelligenceet les modalités de son évaluation restent objets de débats, en soi plutôt rassurants …

C’est notamment pour ces raisons qu’il m’apparaît souvent fort intéressantet prudent de comparer (confronter parfois !) les informations provenant de deuxsources d’évaluation complémentaires. D’une part l’analyse nuancée, lorsque l’oc-casion nous en est fournie, des donnés cliniques issues d’un bilan intellectuel clas-sique (WISC R par exemple), en veillant à différencier les résultats obtenus auxéchelles verbale et de performance. D’autre part le relevé « en direct » des res-sources, attitudes et aptitudes mentales 1 0 révélées par l’enfant lorsqu’il est invité àrésoudre différentes situations-problèmes de type logique opportunément choisiespar le clinicien et en rapport plus ou moins étroit avec les activités scolaires.

Il arrive de temps à autre que ces deux modalités de recueil de l’informa-tion débouchent sur des constats divergents (Q.I. faible et bonne démarche opé-ratoire, ou l’inverse, pour simplifier à l’extrême) qui, ici aussi, bousculent lesconceptions habituelles et invitent en tout cas, comme suggéré ci-dessus, àreconsidérer les circonstances dans lesquelles se sont déroulés les ex a m e n s(conditions d’application, disponibilité du sujet évalué, appartenance socio-cul-turelle, etc.) … ou la signification attribuée parfois un peu trop hâtivement auxperformances de l’enfant, comme par exemple, le fait de conclure de façonhasardeuse qu’un enfant a réussi l’épreuve de sériation des réglettes, sans s’êtrebien assuré qu’il a été capable de considérer méthodiquement chaque élémentde la série sous le double point de vue « plus grand que » ET « plus petit que ».

10. Il s’agit moins ici de décider si l’enfant est ou n’est pas opératoire que d’identifier les caractéristiques desa « dynamique » intellectuelle étroitement liées à une approche objective de la réalité et notamment, desconcepts mathématiques et des symboles qui les désignent : capacité d’établir des coordinations, des corres-pondances, d’opérer des transformations mentales, des relations de ressemblance (symétriques) et de diffé-rence (asymétriques), des associations et dissociations, des catégorisations ; capacité, fondée sur la réversibi-lité mentale, d’élaborer des invariants ; capacité de prendre différents points de vue en considération ; capacitéde déduire, d’anticiper, de remettre en question, quand c’est utile, certaines de ses impressions immédiates, deses convictions, de ses certitudes provisoires, de substituer le raisonnement aux jugements intuitifs, d’accéderà la notion d’évidence logique. Mais aussi, aptitude à s’engager en tant qu’observateur actif et curieux dansl’exploration, la découverte et la compréhension des données de son environnement, à trouver en soi les res-sources nécessaires pour ne pas renoncer dès le premier échec, à se poser de multiples questions sur le «pour-quoi du comment», à contrôler son impulsivité, à avoir confiance en ses propres possibilités de jugement, etc.L’apport de l’enseignement de l’école piagétienne reste sur ce plan, et quoi qu’on en dise, une source d’enri-chissement inépuisable pour l’orthophoniste.

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◆ La non intégration des notions mathématiques « élémentaires »Cette question centrale, que j’ai réservée pour la fin, m’apparaît être le cri-

tère déterminant susceptible, dans l’immédiat, d’aider l’orthophoniste à décider del’opportunité ou, du moins, de la nature et de l’orientation de son intervention dansle cadre général des difficultés d’apprentissage en mathématique, cadre dont l’ex-tension maximale (?) est définie par l’organigramme considéré dans sa totalité.

Encore faudrait-il s’accorder sur le contenu précisément évoqué par l’ex-pression « notions mathématiques élémentaires » !

De mon point de vue, elle recouvre, dans le domaine numérique, l’en-semble des concepts et relations qui constituent les fondements de l’édificemathématique et qui figurent au menu du programme scolaire de la dernièreannée d’école maternelle (enfants âgés de 5 à 6 ans) et du début de l’école pri-maire (C.P., voire C.E.1) 11. Il s’agit en substance de l’appropriation du systèmedes nombres entiers, suite structurée et hiérarchisée conférant aux nombres leuridentité, et plus particulièrement de la construction mentale du nombre entier(« naturel ») conçu dans sa double dimension cardinale et ordinale et dans sonstatut d’invariant, via de multiples activités de comptage (dénombrement) et decorrespondance terme à terme 12, en relation étroite avec la familiarisation pro-gressive aux systèmes de désignation en mots et en chiffres.

Dans ce domaine, et du point de vue résolument pragmatique du clinicienen quête de réponses concrètes aux problèmes qui lui sont posés, l’orthopho-niste a la chance de disposer aujourd’hui d’un ensemble d’informations théo-riques et pratiques qui, bien que provenant de motivations et d’horizons variés(neurologie, psychologie, pédagogie), me paraissent converger sur l’essentiel.

D’un côté, les travaux de l’Ecole de Genève, notamment centrés sur ledéveloppement de la pensée logico-mathématique dans une perspective structu-raliste et constructiviste (approche rationaliste), continuent de représenter ungisement important d’idées qui ont inspiré de multiples et enrichissantes initia-tives dans les domaines du diagnostic et de la remédiation. (F. Jaulin-Mannoni ;M. Bacquet et B. Guéritte ; C. Meljac ; B. Gibello ; etc.).

11. Personnellement - mais la discussion est ouverte - j’ai choisi d’interpréter le mot « é l é m e n t a i r e » dans son sensabsolu. Je n’ai pas retenu l’option qui consisterait à l’appréhender dans un sens relatif, en considérant par exe m p l eque pour un élève se trouvant en CM2, la matière prévue au niveau CM1 ou CE2 pourrait être jugée élémentaire.12. Marcel Boll, dans « Histoire des mathématiques » (1970), montre comment, à la suite d’une longue etpénible évolution, l’espèce humaine a fini par se rendre maître de l’appariement (C.T.T.) et du recensement(Comptage), techniques et principes dont les mathématiques et toutes les sciences sont profondément impré-gnées. Soulignons au passage la qualité de ce petit livre très agréable où les notions mathématiques sont abor-dées sous l’angle intuitif et où il est notamment montré que leur développement résulte de l’imagination et dela créativité humaines, sources permanentes d’enrichissement de soi et donc, d’épanouissement.

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De l’autre, les sciences neuro-psycho-cognitives et pédagogiques propo-sent de nouveaux concepts et outils dont la transposition dans la pratique cli-nique s’avère également bénéfique. Elles expliquent très concrètement com-ment, sur base d’une intuition sans doute innée des petites quantités(compétence « protonumérique » que nous partagerions avec certains animauxet qui serait inscrite dans notre organisation cérébrale), l’enfant, sollicité par sonenvironnement socio-culturel (approche empiriste et culturaliste), évolue d’unereprésentation approximative des quantités vers la conceptualisation de la «lignenumérique» ou suite des nombres dont la découverte du principe organisateur del’itération de l’unité permet de trouver le successeur (ou le prédécesseur) de toutnombre en lui ajoutant (ou retirant) une unité. Ce cap décisif, qui amène l’enfantà constater que deux nombres différant d’une unité sont toujours voisins, toutcomme leurs noms dans la chaîne verbale ou leurs désignations en chiffres dansla « file numérique » (R. Brissiaud, 1989), ouvre la voie, par généralisationdynamique de cette règle, au développement naturel (si du moins, on en jugepar l’observation du comportement spontané de jeunes enfants normalement sti-mulés) des opérations d’addition et de soustraction 13.

Des auteurs comme R. Brissiaud (1989) ; A.J. Baroody (1991) ; K.C. F u s o n(1991) ; S.A. Griffin, R. Case & R.S. Siegler (1994) et S. Dehaene (1997) dont jerecommande vivement la lecture, ont décrit en détail l’ensemble des« t e c h n i q u e s » complémentaires qui, spécialement pour les enfants les plus dému-nis, « favorisent l’établissement de modèles concrets des nombres » (S. D e h a e n e ,1997) : activités diverses et contrôlées de dénombrement (qu’il faut nettement dis-socier du « comptage-numérotage »), de comparaison de collections sous l’anglequantitatif avec recours aux opérations de mise en correspondance terme à termeet aux collections témoins parmi lesquelles les précieuses configurations digitales ;variations verbales multiples renforçant ces manipulations (« plus que », « moinsq u e », « pas assez », « juste un peu plus », « x de plus que », « combien », etc.) ;exploration et mise en relation des systèmes de désignation des nombres (leurstructuration plus ou moins cohérente en référence au nombre pivot « dix » ; leurcaractère sécable ; etc.) qui jouent un rôle déterminant dans les processus deconceptualisation des nombres notamment parce que les noms de nombres et lesdésignations en chiffres forment par définition des catégories discrètes qui aident às’émanciper d’une perception approximative des quantités ; etc.

13. Ajouter, par exemple, un objet à une collection de 4 objets revient à pointer le symbole qui suit immédiate-ment le mot «quatre» ou le chiffre « 4 » dans le système approprié de désignation qui possède ses règles spé-cifiques. De même, et par simple extension de cette règle, ajouter une collection de 3 objets à une collectionde 4 objets revient à énumérer successivement les mots « cinq », « six », « sept » ou les chiffres « 5 », « 6 »,« 7 », le dernier symbole désignant le nombre d’objets présents dans l’ensemble constitué des deux collectionsréunies (conception cardinale du nombre).

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Ces différentes contributions préfigurent la mise au point de nouveaux outilsd ’ i nve s t i gation approfondie du niveau et des modalités de maîtrise par l’enfant desnotions mathématiques élémentaires. Certains projets sont actuellement en coursde développement. Je ne doute pas qu’ils enrichiront la pratique orthophonique etl’aideront à progresser dans la définition de son champ de compétences.

Cependant, quinze années de confrontation souvent ardue mais toujoursenthousiasmante avec les publications de J. Piaget et de ses collaborateurs, dansles domaines de la psychologie génétique, de la philosophie, de l’épistémologieet de la biologie m’ont également convaincu, sans que je puisse le démontrerexpérimentalement (tel n’était pas mon rôle), de la nécessité d’aider le sujet endifficulté, souvent passif, docile ou indisponible face à la matière, à transformerprogressivement son rapport au savoir, à se métamorphoser en un acteur dyna-mique pénétré du désir et du plaisir intime d’explorer, de découvrir, d’inventeret d’analyser activement - donc de manière critique - les concepts et relationslogiques et mathématiques … et de vivre à son niveau le sentiment d’appartenirà l’aventure humaine, pour plagier Amin Maalouf (1998).

Les notions d’adaptation à la « pression » et à la « résistance » du milieu,de constructivisme, d’équilibration, de coordination des actions et des opéra-tions en structures mentales efficientes, d’expériences physiques et logico-mathématiques, de distinction entre les modes d’approche figuratifs et opératifsde la réalité, de décentration, de réversibilité, d’invariance, de multiplication, decomparaison et de dissociation de différents points de vue, de mobilité mentaleet bien d’autres encore, sont aussi essentielles. Elles me paraissent constituer desolides soubassements (les « aptitudes » mathématiques élémentaires), jusqu’icinon concurrencés de façon convaincante, de notre projet de thérapeutes (plus, enl’occurrence, que de … rééducateurs !) moins préoccupés par la transmissiondes notions mathématiques que par le souci d’aider l’enfant à se les approprieren faisant appel à ses propres ressources mentales et affectives.

Je ne sais pas, bien que j’avoue être attiré par cette conception, si Kant,les intuitionnistes et S. Dehaene (1997) ont raison quand ils avancent l’hypo-thèse que le nombre fait partie des objets naturels de la pensée ou des catégoriesinnées suivant lesquelles nous analysons le monde. Je ne sais pas non plus si laconceptualisation de la notion de nombre s’enracine dans le développementpréalable de la logique des classes et des relations asymétriques ou si les expé-riences numériques concrètes vécues très tôt par l’enfant contribuent à l’enri-chissement de ses compétences logiques.

Je me demande d’ailleurs si J. Piaget (1980) avait vraiment une positiontranchée sur le sujet lorsque je me réfère au passage suivant que je n’ai pas l’im-

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pression de déformer en l’isolant de son contexte : « Nous n’entendons pas (parlà) prétendre que le nombre se réduise aux classes et aux relations, mais simple-ment montrer leurs rapports mutuels. Il est d’autant plus nécessaire de prévenirun tel malentendu que (…) la classe n’est pas antérieure au nombre maiss’achève en même temps que lui et s’appuie sur lui autant que l’inverse. (…) Laconstitution psychologique autant que logique des classes, des relations et desnombres, constitue un développement d’ensemble dont les mouvements respec-tifs sont synchroniques et solidaires les uns des autres. ».

Mon sentiment, résumé dans la figure suivante (P. Dessailly, Y. Tourneur,1984) rejoindrait plutôt celui de J. Grégoire et C. Van Niewenhoven (1998) qui,dans le cadre de l’évaluation diagnostique et de la prise en charge des « dyscal-culies », proposent « un modèle intégré qui s’appuie fermement sur le modèlepiagétien tout en tirant parti de ce que les recherches récentes nous ont appris deneuf à propos de la genèse du nombre chez l’enfant ».

Au vu de l’ensemble des réflexions qui précèdent, il me semble en effetque les différents éléments représentés sur la figure mériteraient d’être considé-rés comme des composantes minimales d’un bilan orthophonique qui viserait àévaluer chez l’enfant en difficulté son degré d’intégration des notions (aptitudescomprises) logiques et mathématiques élémentaires. Les flèches à double sensindiquent que toutes ces notions sont étroitement interdépendantes et se nourris-sent mutuellement.

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◆ Quelques illustrations complémentaires de l’exploitationde l’organigramme

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la façon de lire ou d’exploiter l’or-ganigramme susceptible de nous aider à définir le cadre de nos compétencesface aux difficultés d’apprentissage en mathématique. Mais il me faut conclure !

Je me permettrai d’abord d’insister à nouveau sur le fait qu’il ne s’agitque d’un instrument à visée plus ou moins heuristique, assurément amendable.

Je souhaiterai ensuite clôturer provisoirement la présente réflexion pardeux commentaires succincts.

Le premier concerne les branches 5 et 6, inachevées, qui soulève n td’autres questions intéressantes dans la perspective de l’établissement d’un dia-gnostic différencié. Notamment celle-ci : est-il concevable qu’un enfant n’ayantpas connu d’échec jusque-là, se trouve soudainement en difficulté lorsqu’ilaccède par exemple en CM 1 ?

L’expérience m’a prouvé que la réponse peut être résolument positive.Entre autres parce que l’enfant a par exemple vécu un traumatisme psycholo-gique grave (comme Mathilde, investie d’un secret familial lourd à porter :incarcération d’un membre de sa famille pour faits de pédophilie) qui la rendindisponible face aux apprentissages scolaires, cette indisponibilité psychiquepouvant se focaliser sur une ou plusieurs disciplines scolaires. Ou encore, parceque l’échec de l’enfant est le signe avant-coureur - qu’il importe de détectersous peine de négligence professionnelle grave - d’une dégradation neurolo-gique (tumeur cérébrale évoluant à bas bruit).

Mon second commentaire, plus lapidaire, se rapporte à la question locali-sée dans la partie inférieure de l’organigramme. Il me semble que les branches 1à 6 (avec le cas particulier de la branche 2 !) recouvrent un éventail de troublesd’apprentissage en mathématique, isolés ou non, susceptibles de correspondreau champ de compétences de l’orthophoniste collaborant souvent étroitementavec d’autres spécialistes. Sa mission ne coïncidera pas nécessairement chaquefois avec une prise en charge effective de l’enfant en difficulté. Elle pourra aussise limiter, choix pourtant déterminant pour l’épanouissement de ce dernier, à laréalisation d’un bilan différencié qui amènera l’orthophoniste à s’effacer, enconseillant une orientation plus appropriée. Cette option souvent difficile àprendre, et parfois à assumer, suppose un sens aigu des responsabilités dans lerespect des valeurs humaines et des prescriptions déontologiques.

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GREGOIRE J : Evaluer les apprentissages, Paris, De Boeck, 1996. GUEDJ D : L’empire des nombres, Coll. Découvertes, n°300, Gallimard, 1996.GUITEL G : H i s t o i re comparée des numérations écrites, Paris, Flammarion, 1966.IFRAH G : H i s t o i re universelle des ch i ff re s, Paris, Laffont (coll. Bouquins), 1994.INHELDER B, CELLERIER G et coll. : Le cheminement des découvertes de

l’enfant, re ch e rche sur les microgenèses cog n i t i v e s , Neuchâtel, Dela-chaux-Niestlé, 1992.

INHELDER B, SINCLAIR H et BOVET M : Apprentissage et structure de laconnaissance, Paris, PUF, 1974.

JAULIN-MANNONI F : Pédagogie des structures logiques élémentaires, Paris,Editions Sociales Françaises, 1973.

JAULIN-MANNONI F : L’ a p p re n t i s s age des sériations, Paris, EditionsSociales Françaises, 1974.

LEVAIN J-P : Faire des maths autrement, développement cognitif et proportion-nalité, Paris, L’Harmattan, 1997.

MAUDET C : Approche didactique des apprentissages, Lyon, Robert, 1987.MAZEAU M : Déficits visuo-spatiaux et dyspraxies de l’enfant, du trouble à la

rééducation, Paris, Masson, 1995.MELJAC C : Décrire, agir et compter. L’enfant et le dénombrement spontané,

Paris, PUF, 1979.NIMIER J : Mathématiques et affectivité, Paris, Stock, 1976.PERRET J-F : Comprendre l’écriture des nombres, Berne, Peter Lang, 1985.PIAGET J et INHELDER B : La genèse des structures logiques élémentaires,

Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1959.PIAGET J et SZEMINSKA A : La genèse du nombre chez l’enfant, Neuchâtel,

Delachaux et Niestlé, 1941.RAMOZZI-CHIAOTTINO Z : De la théorie de Piaget à ses applications, une

hypothèse de travail pour la rééducation cognitive, Paris, Editions duCenturion, 1989.

RICHARD J-F : Les activités mentales, comprendre, raisonner, trouver dessolutions, Paris, A.Colin, 1990.

SCHMID-KITSIKIS E : Théorie et clinique du fonctionnement mental,Bruxelles, Mardaga, 1985.

SERON X : La neuropsychologie cognitive, Paris, PUF (Que sais-je ?), 1993.VERGNAUD G : L’enfant, la mathématique et la réalité, Berne, P.Lang, 1983.

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VILETTE B : Le développement de la quantification chez l’enfant, Villeneuved’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1996.

WINNYKAMEN F : Apprendre en imitant ? Paris, PUF, 1991.

◆ REVUES

Actes du colloque : Les problèmes à l’école élémentaire, Editions de l’EcoleNormale du Calvados, 1985.

A.N.A.E : Apprentissage du calcul et dyscalculies, hors série, 1-76, 1995.Confrontations Orthophoniques de Franche-Comté : Les Activités numériques,

opérations logiques et formulations langagières, Presses universitairesFranc-comtoises, n°3, 1999.

Questions de Logopédie : L’évaluation des troubles d’apprentissage en mathé-matique (reflets de conceptions et pratiques variées), n°35, 1999.

Science et Vie Junior : Les Nombres, hors série n°26, 1996.

◆ ELEMENTS DE BILAN

Batterie U.D.N 80 de C.Meljac, Paris, Ed. du Centre de Psychologie Appliquée, etU.D.N 2, version révisée et enrichie (cf. article de C.Meljac dans cette rev u e ) .

ECPN (Epreuve Conceptuelle de résolution de Problèmes Numériques) groupeCIMETE, épreuve décrite dans ANAE, 1995, hors série, 58-63 (et parF.Duquesne dans cette revue).

Epreuves de Piaget in Revue de Neuropsychiatrie infantile, 18 e année, janv-fév,1970, 1-2.

Epreuves de Sadek-Khalil : (Ep.IV à Ep.VII, les 4 opérations, le dessin géomé-trique et l’expression, l’interrogation, simultanéité et successivité) Un testde langage, Neuchâtel, Delachaux-Niestlé, 1968.

Protocole de dépistage des troubles du calcul et du traitement des nombres chezl’adulte EC 301 R, par G.Deloche et X.Séron présenté dans GLOSSA,n°27, 40-42, 1991.

Protocole d’évaluation de la chaîne numérique verbale et des premiers dénom-brements, par A.Ménissier, « Quand le nombre est parlé avant d’êtreécrit », Rééducation Orthophonique, vol. 196, déc. 1998.

Test d’acquisitions scolaires CE1-CE2, CM1-CM2, Mathématiques (révision1997), Paris, Ed. du Centre de Psychologie Appliquée.

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◆ MATERIEL

Catalogue Celda « les outils de la Pédagogie », approche du nombre et de lanumération avec Abaco 20, dominos, lotos, réglettes... (BP 191 69686Chassieu Cedex).

Catalogue Eveil et Jeux, pour travailler la notion ajout-retrait : Arbres à comp-ter, Bus stop... (95907 Cergy Pontoise Cedex 9).

Catalogue Nathan, pour les boîtes Picbille et la collection d’ouvrages « J’ap-prends les Maths » de R.Brissiaud et A.Ouzoulias et pour le matériel demanipulation Base 10, matériel de tri (jetons, animaux...) (75704 ParisCedex 13).

Catalogue OPPA pour le matériel Lubienska et Montessori, jeux de cartes,tableaux d’additions et de multiplications, (80, rue du théâtre 75015Paris).

Orthoédition pour les Jeux de l’ANE (Activités Numériques Elémentaire s ) ,1999, à paraître.

Les Editions Retz publient des ouvrages parascolaires consacrés au calcul et àla maîtrise des nombres (par ex. Mes tout premiers jeux vers les nombres,Le calcul mental, c’est un jeu, 50 devinettes pour bien raisonner, deschiffres et des nombres, 180 jeux pour bien compter...)

◆ FORMATION

Diagnostic et remédiation des difficultés en mathématiques, formation de clini-ciens spécialisés, (sept. 1999 à nov. 2000) sous la direction de C.Meljac,Docteur en psychologie, COPES- 20, rue de Dantzig, 75015 Pa r i s -Tél : 01 53 68 93 40.

Formation portant sur « l’étude du développement des structures logiques,mathématiques et cognitives en vue de la prise en charge des sujets pré-sentant, à des degrés divers, des difficultés de ce déve l o p p e m e n t » ,GEPALM- 60, Boulevard Saint-Marcel, 75005 Paris Tél : 01 47 07 82 11.

Formations spécifiques organisées par les syndicats régionaux affiliés à laFNO : consulter le 3616 FNO et le catalogue FIF-PL ( Formation Conti-nue des Professionnels libéraux).

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Questions de logopédie

N° 135, 1999, 140 pages, 600 FB ou 14,88 Euros

L’évaluation des troublesd’apprentissage en mathématique

– Reflets de conceptions et pratiques variées –

Un document concret, enrichissant et fort utilepour les praticiens !

Si vous souhaitez vous procurer ce numéro et que vousrésidez en France

Il vous suffit d’envoyer un mandat postal international (toutautre mode de paiement sera refusé) libellé en francs belges(600 FB) ou en Euro (14,88 Euros) au nom de :

Questions de Logopédie - UPLFDominique Lessenne

249, rue du Nouveau Monde, B-7700 Mouscron, Belgiqueen mentionnant lisiblement vos coordonnées complètes

ainsi que la mention : « QL - N° 35 ».

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NOTES

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Aucun article ou résumé publié dans cette revue ne peut être reproduit sous forme d’imprimé, photocopie,microfilm ou par tout autre procédé sans l’autorisation expresse des auteurs et de l’éditeur.

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DERNIERS NUMÉROS PA RU S

N °1 95 : LES MALADIES NEURO-D É G É N É RATIVES - R e n c o n t r e : La prise en charge orthophonique des mala-dies neurologiques (F. MARTIN) — Données Actuelles : Plasticité du système nerveux : chances de réhabi-litation (N. ANNUNCIATO) - Importance des facteurs neurotrophiques dans la régénération du système ner-v e u x (N. ANNUNCIATO) - Les maladies neurologiques chroniques dégénératives et la réadaptation( C . HAMONET) - Les troubles de la déglutition dans la maladie de Parkinson (B. ROUBEAU) - F o n c t i o n scognitives et sclérose latérale amyotrophique (S.L.A.) (J. MÉTELLUS) — Examens et interventions : L amaladie de Steele-Richardson-Olszewski : diagnostics différentiels et rééducation orthophonique ( I . E Y O U M ,S. DEFIVES-MASSON) - Un cas particulier de chorée : l’hémiballisme (N. COHEN, I. EYOUM) - S c l é r o s een plaques : examen de la dysarthrie (G. COUTURE, A. VERMES) - L’orthophonie dans la SLA : un accom-p a g n e m e n t ? (S. BRIHAYE) — Perspectives : La communication après l’aphémie (S. BRIHAYE) - Aides tech-niques (A. VETRO, M. VETRO)

N °1 96 : LANGAGE ORAL - PRODUCTION - R e n c o n t r e : Justine ou la difficile conquête de l’autonomie et dul a n g a g e (P. AIMARD) — Données Actuelles : De l’approche neuropsychologique en général et du langageoral en particulier (J.-P. LASSERRE) - Etiologies des dysphasies : le point de la question (J.-J. DELTOUR)- Développement des productions vocales : évaluation et implications cliniques (S. VINTER) - Pour une éva-luation intégrative du langage oral (J.A. RONDAL) — Examens et interventions : Etude de cas : Emmanuelle,née le 14 novembre 1969 (A.-M. ROBERT-JAHIER) - Qui dit quoi ? Le rôle de la reformulation dans la réédu-cation du langage oral chez l’enfant de 4 ans (C. FOUASSIER, A. GADOIS, C. HÉNAULT, D. M O R-CRETTE, L. BIHOUR, N. GUÉRET) - Quand le nombre est parlé avant d’être écrit : acquisition et élabora-tion de la chaîne numérique verbale (A. MÉNISSIER) — Perspectives : Apports de la pragmatique et de lapsychologie du langage à la compréhension des troubles du développement du langage ( G . DE WECK)- Premiers pas dans l’acquisition du lexique (D. BASSANO) - Et si l’humour c’était sérieux ? ( M .F O S S A R D )- L’oral : une tâche moins discriminante que l’écrit ? ( K . D U V I G N A U )

N °1 97 : LA CONSCIENCE PHONOLOGIQUE - Rencontre : La conscience phonologique dans le cadre d’uneévaluation psycholinguistique de l’enfant (B. WELLS) — Données Actuelles : Sensibilité phonologique et trai-tement métaphonologique : compétences et défaillances (M. PLAZA) - Déficits phonologiques et métaphono-logiques chez des dyslexiques phonologiques et de surface ( L . SPRENGER-CHAROLLES, P. LACERT,P . COLÉ, W. SERNICLAES) - Evaluation de la mémoire de travail verbale chez six enfants présentant unehémiplégie congénitale (M. SANCHEZ, S. GONZALEZ, A. RITZ) - Conscience phonologique et surdité( A . DUMONT) — Examens et interventions : Approche rééducative de la conscience phonologique auprèsd’une enfant présentant une dysphasie et une dyslexie (G. BERTIN, I. RETAILLEAU, S. GONZALEZ) -P h o n o r a m a : matériel d’entraînement de la compétence métaphonologique ( N . ISSOUFALY, B. PRIMOT) -Pratique de la D.N.P. et développement de la conscience phonologique ( D . PRADO) — Perspectives :Evaluation de la conscience phonologique et entraînement des capacités phonologiques en grande section dematernelle (M. ZORMAN) - Entraînement à la parole et au langage acoustiquement modifiés : une relationentre l’entraînement à la discrimination auditive du mot et les mesures d’évolution du langage ( S . L .M I L L E R ,N . LINN, P. TALLAL, M.M. MERZENICH, W.M. J E N K I N S )

N °1 98 : LES APHASIES DE L’ADULTE - R e n c o n t r e : L’inénarrable aventure de P. (R. DEGIOVANI) —Données Actuelles : Aphaises et imagerie cérébrale fonctionnelle ( B . LECHEVALLIER) - Les formes cli-niques des aphasies corticales (R. GIL) - Les aphaises sous-corticales : données actuelles (M. PUEL,J . - F . DÉMONET, D. CARDEBAT, D. CASTAN) - Stratégies de compensation adoptées par des patients céré-b r o l é s é s : définitions conceptuelles et principes de mise en œuvre (A. KIOUA) - De la nécessité de l’évalua-tion des troubles de la compréhension dans l’aphasie (M.-N. METZ-LUTZ) — Examens et interventions :Une nouvelle batterie de tests de compréhension orale en temps réel pour patients aphasiques (F . G R O S J E A N ,I . RACINE, J. B U T T E T - S O V I L L A) - Rééducation des troubles de la compréhension de la phrase (M . - A .V A NDER KAA-DELVENNE, A. S C H W A B) - Les techniques de communication alternatives ou supplétives(M . - P . DE PARTZ) - Les thérapies de groupe en aphasiologie (J. BUTTET-SOVILLA) - Evaluer la commu-nication de la personne aphasique dans la vie quotidienne : proposition d’une Echelle de CommunicationVerbale (B. DARRIGRAND, J.-M. M A Z A U X) — Perspectives : La neuropsycholinguistique à la veille del’an 2000. Réflexions et perspectives à partir d’un exemple : l’agrammatisme (J.-L. NESPOULOUS) - Lesperspectives rééducatives en aphasiologie (J . - M . MAZAUX, P.A. JOSEPH, M. CAMPAN, P. M O L Y e tA . P O I N T R E A U)