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THE OFFICIAL HISTORY OF THE FALKLANDS CAMPAIGNLawrence Freedman

Routledge, Londres, 2005, 2 tomes, 1 102 pages

Il y a tout juste un quart de siècle, en 1982, l’Argentine et le Royaume-Unis’affrontèrent pendant deux mois et demi dans un conflit d’un autre âge,au fin fond de l’Atlantique Sud, pour la possession de l’archipel desMalouines (Falklands en anglais). Scorie post-coloniale pour les uns,affaire de principe pour les autres, ce conflit meurtrier causa la perte d’unmillier d’hommes dans les deux camps. Quatorze navires furent coulés(dont le croiseur argentin Belgrano et le destroyer britannique Sheffield), 15autres furent gravement endommagés et 135 aéronefs furent détruits dansce qui reste la seule bataille aéronavale d’envergure depuis la fin de laSeconde Guerre mondiale. C’est la raison pour laquelle les experts sepenchèrent sur ce conflit riche en enseignements militaires, mais aussidiplomatiques.

C’est à la jonction de ces deux dimensions que se situe l’imposant ouvragede Sir Lawrence Freedman, figure emblématique du King’s College deLondres, consacré à cette campagne. Celui-ci privilégie en effet l’approchepolitico-militaire, montrant l’interaction permanente entre la sphère gou-vernementale et décisionnelle d’une part, et la sphère opérationnelled’autre part. Il ne s’agit pas d’un coup d’essai pour Freedman, puisque cetauteur avait déjà commis un ouvrage sur la même question intitulé Signalsof War (Londres, Faber & Faber, 1990). Ce nouvel opus constitue en faitdavantage une version actualisée et retravaillée du précédent ouvrage, quitient compte notamment d’un certain nombre de faits reconnus depuis parle gouvernement britannique, qu’il s’agisse de la présence de minesanti-sous-marines nucléaires à bord de bâtiments impliqués dans l’opéra-tion « Corporate » (qui furent transbordées très rapidement sur d’autresbâtiments ne participant pas à l’opération), du torpillage du croiseurBelgrano en dehors de la zone d’exclusion maritime ou bien encore du rôleimportant joué par le Chili en appui du Royaume-Uni. On apprend ainsila présence secrète de plusieurs avions de reconnaissance et de ravitaille-ment en vol de la Royal Air Force sur l’aérodrome chilien de San Felix, demême que de nombreux détails sur la livraison discrète d’armes britan-niques à la junte chilienne.

Le premier tome (253 pages) est consacré aux prémices du conflit etprésente de manière équilibrée l’ensemble des revendications défenduespar chacun des protagonistes. L’auteur estime à cet égard que l’argumen-taire britannique ne va pas de soi au regard du droit international etmériterait sans doute l’arbitrage de la Cour internationale de justice (CIJ).Il est cependant étonnant que le professeur Freedman, qui fait preuved’érudition et remonte aux lointaines origines du conflit, passe sous

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silence l’établissement sur place de pêcheurs français bien avant 1764 et setrompe sur l’origine étymologique du mot Malouines, celui-ci s’inspirantdirectement des Malouins, ces fameux pêcheurs originaires de Saint-Malo,et non pas du roi Louis. De même, l’auteur interprète de manière sansdoute abusive le silence du gouvernement américain face au coup de forcede la Royal Navy pour s’approprier l’archipel des Malvinas revendiquépar la toute nouvelle République argentine, en 1830, comme un soutientacite à la thèse britannique. Ce premier tome reste néanmoins précieuxcar il détaille la phase diplomatique qui a précédé le déclenchement de lacrise de 1982, soulignant le rôle déterminant de l’annonce faite par legouvernement britannique du retrait du patrouilleur HMS Endurance pourraison d’économie, laissant ainsi la junte argentine penser à tort queLondres se désintéressait de cet archipel. On peut cependant regretter queLawrence Freedman, qui a eu accès aux témoignages et aux archivesbritanniques, n’apporte aucune information sur la source qui a informéLondres de l’imminence de l’agression argentine, alors même que laplupart des historiens qui se sont sérieusement penchés sur le sujetpointent du doigt le Chili du général Pinochet. L’auteur de cette somme nedit rien non plus sur les arrière-pensées de l’amiral Leach, chef d’état-major de la Royal Navy, qui, seul contre tous, a conforté MargaretThatcher dans sa détermination à reprendre l’archipel par la force, jouantainsi sa dernière carte pour préserver l’avenir de sa marine sérieusementmenacé par d’importantes coupes budgétaires. Concernant le réarmementargentin de la fin des années 1970, Lawrence Freedman rappelle les ventesd’armes françaises, allemandes et israéliennes à la junte, mais élude lavente à celle-ci, par le gouvernement britannique, de deux destroyers detype 42 armés de missiles Exocet, quelques mois seulement avant ledéclenchement de la crise. L’auteur nous révèle en revanche qu’en 1978,Whitehall avait sérieusement envisagé de vendre à la marine argentinel’un des porte-avions de la Royal Navy condamné à la casse par un récentLivre blanc sur la défense, ainsi qu’une dizaine de chasseurs à décollagevertical Sea Harrier !

Le second tome (849 pages) nous plonge au cœur du conflit, relatant demanière très précise les opérations militaires et les manœuvres diploma-tiques conduites par chacun des deux camps. Parmi les nombreux pointsnovateurs développés ici figure l’exposé détaillé des règles d’engagementimposées aux unités britanniques, de même que leur évolution au fil desévénements, permettant ainsi au lecteur de mieux appréhender l’affairedu torpillage du croiseur Belgrano hors de la zone d’exclusion maritimeédictée par Londres au début de la crise. Lawrence Freedman ne s’aven-ture toutefois que rarement en dehors de la sphère du politiquementcorrect. Les accrocs à la relation spéciale unissant Londres à Washingtonsont ainsi minorés, alors même que Margaret Thatcher s’était montrée très

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dure envers la Maison-Blanche et le département d’État, allant jusqu’àexiger la tête du secrétaire d’État Alexander Haig au président Reagan.Distribuant malgré tout quelques coups d’épingle, l’auteur n’hésite pas àdévoiler que l’Administration américaine avait fourni de l’imagerie spa-tiale Landsat à Buenos Aires, en vertu d’un accord commercial liantl’Argentine aux États-Unis. Pour se racheter, il consacre un volumineuxchapitre à l’étendue de la coopération entre Washington et Londres,relatant en détail l’assistance militaire du Pentagone au profit du ministèrede la Défense. De manière similaire, Freedman consacre un chapitre entierde son étude à la coopération militaire entre le Royaume-Uni et le Chili.On ne peut dès lors s’empêcher de se demander pourquoi il ne s’est pasappesanti sur la coopération militaire et diplomatique qui a uni la Franceau Royaume-Uni pendant cette crise, François Mitterrand s’étant immé-diatement et très fermement rangé aux côtés de Margaret Thatcher.L’importance opérationnelle de cette alliance ponctuelle, évacuée enquelques lignes par l’auteur (p. 491), a pourtant été soulignée par leministre de la Défense britannique de l’époque, John Nott, qui rappelaitdans le Daily Telegraph du 13 mars 2002 que, « à bien des égards, leprésident Mitterrand et les Français furent nos plus grands alliés pendantcette crise ». En effet, Paris n’avait pas hésité à livrer de précieusesinformations aux Britanniques, à entraîner leur groupe aéronaval lors deson passage au large des côtes bretonnes, à mettre à leur disposition sabase de Dakar, à faire échec à plusieurs tentatives argentines visant à seprocurer de précieux missiles Exocet par des voies détournées, à contri-buer à l’échec d’une tentative de sabotage conduite à Gibraltar par desnageurs de combat argentins et à faire pression sur plusieurs pays clés afinque ceux-ci soutiennent le Royaume-Uni au Conseil de sécurité desNations unies.

De même, le lecteur averti reste sur sa faim sur un certain nombre depoints ayant fait l’objet de controverses. Lawrence Freedman admet bienainsi une fuite au niveau gouvernemental, qui a précipité la coûteusebataille de Goose Green et Darwin, inutile d’un point de vue stratégique,sans dire si, comme le supputent de nombreux historiens, c’est l’entourageimmédiat de Margaret Thatcher qui fut à son origine. L’auteur nes’appesantit pas non plus sur la crise de commandement très grave qui aopposé l’amiral Woodward, commandant le groupe aéronaval, à certainsgénéraux impliqués dans l’opération. Il ne dit enfin pas un mot surl’opération « Mikado », véritable raid suicide qu’aurait dû conduire leSpecial Air Service (SAS) contre la base de Rio Grande abritant lesSuper-Étendard et les missiles Exocet argentins, en Terre de Feu. Cetteopération fut annulée in extremis après avoir suscité une véritable rébellionau sein du SAS et provoqué le limogeage de plusieurs de ses cadres.

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Enfin, compte tenu de son ambition affichée, il est dommage que ce livrene contienne aucun cahier photographique et que son éditeur n’ait pasinvesti davantage de moyens pour mettre en valeur une cartographieriche, mais trop épurée. Dernier regret qui ne doit pas occulter le caractèreremarquable de son œuvre, Lawrence Freedman ne fonde sa bibliographieque sur des sources britanniques et ne prend en compte ni les nombreuxrécits et témoignages publiés en Argentine qui éclairent cette guerre sousun angle original, ni certains ouvrages parus en France et aux États-Unisqui se sont imposés comme des références incontournables sur le sujet,qu’il s’agisse de la Guerre des Malouines de Charles Maisonneuve (Paris,Larivière, 2002), primé par l’Académie de marine, ou de Lessons of ModernWar: The Falklands Conflict d’Anthony Cordesman et Abraham Wagner(Boulder, Westview Press, 1990). Au bilan, la somme du professeurFreedman est fidèle à son titre puisqu’elle retrace l’histoire « officielle » decette campagne militaro-diplomatique vue sous le prisme britannique,montrant par-là même les limites de l’exercice délicat qui consiste à graverdans le marbre des faits historiques complexes, alors même que leursacteurs demeurent influents. Elle n’en constitue pas moins un ouvrageincontournable.

Pierre RazouxChargé des relations avec le Royaume-Uni

à la Délégation aux affaires stratégiques (ministère de la Défense)

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SÉCURITÉ/STRATÉGIE

GUERRES ET CIVILISATIONSGérard ChaliandParis, Odile Jacob, 2005,446 pages

Ce livre s’inscrit dans le prolonge-ment de l’Anthologie mondiale de lastratégie que Gérard Chaliand apublié en 1990 dans la collection« Bouquins » chez Robert Laffont.Il s’agissait d’un recueil de textesémanant de stratégistes et d’écri-vains militaires représentatifs desgrandes civilisations et le proposde l’auteur était de souligner à lafois la permanence du phénomènebelliqueux dans les sociétés humai-nes et les variations de l’« art de laguerre » sous l’influence de fac-teurs techniques et culturels.L’accent était mis sur les concep-tions stratégiques des Occidentauxmais, comme celles-ci ont dûs’adapter aux tactiques et aux pro-cédés de leurs adversaires, l’antho-logie mondiale accordait égale-ment une place aux théoriciensextra-européens. Depuis lors,l’auteur a multiplié les écrits et lesenquêtes sur les conflits armésdans le Tiers-Monde et publié seulou en collaboration des atlas poli-tiques et historiques et un diction-naire de stratégie militaire. Iln’avait pas pour autant abandonnéle projet d’écrire une histoire de laguerre des origines jusqu’à nosjours et son dernier livre constituel’aboutissement de cette démarche.

À l’examen, cet ouvrage portedavantage sur les principales cul-

tures stratégiques qui ont marquéle continent eurasiatique que surl’histoire de la guerre qui faitl’objet d’une vue cavalière dans unpréambule d’une soixantaine depages. On y retrouve le reflet de lavaste érudition de l’auteur et unevision géopolitique qui se distin-gue de celle qu’a tenté d’accréditerle géographe britannique Mackin-der au début du XXe siècle. Alorsque celui-ci raisonnait en termesd’antagonisme entre « l’empiremaritime et la masse terrestre »,Gérard Chaliand privilégie leconflit récurrent entre « les pertur-bateurs nomades de la steppe asia-tique et les sociétés sédentaires »qu’il s’agisse de la Chine, de l’Inde,de l’Iran ou de la Russie. Aussiattache-t-il une importance parti-culière à la conquête arabe et àl’expansion mongole et consacre-t-il des développements substantielsaux tactiques et aux stratégiesmises en œuvre aussi bien par lesconquérants que par les dirigeantsdes empires exposés à leursassauts. En outre, il analyse avecsoin le processus de formation desempires post-mongols et se livre àdes considérations pertinentes surles facteurs qui ont conditionnéleur grandeur et leur décadence.Enfin, il relève que l’Europe occi-dentale a réussi à contenir la pous-sée des peuples nomades au Xe siè-cle et que l’absence d’unedomination étrangère à partir decette époque lui a permis de sedoter des instruments intellectuelset matériels d’une expansion mon-diale amorcée à l’époque des gran-

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des découvertes et parachevée auxXIXe et XXe siècles avec la constitu-tion d’empires coloniaux.

Dans l’avant-propos de son livre,Gérard Chaliand déplore que latradition militaire et les culturesstratégiques des sociétés non euro-péennes aient été négligées par leschercheurs qui se réclament del’orientalisme et n’aient guèreretenu l’attention d’un historiencomme Hans Delbrück qui ne leuraccorde qu’une place dérisoiredans sa monumentale Histoire del’art de la guerre parue en Allema-gne à la fin de l’ère wilhelmi-nienne1. L’intention de GérardChaliand est de combler cettelacune et il y parvient en fournis-sant au lecteur des informationsprécises sur l’organisation des for-ces armées et leurs modes d’enga-gement dans des sociétés aussidiverses que les empires byzantin,ottoman, séfévide ou chinois ; ilévoque également la genèse etl’évolution des conflits qui se sontsuccédé dans l’espace eurasiatiquedepuis l’émergence de l’empiremilitaire assyrien et en tire lesleçons quant à la vie et la mort descivilisations qui se sont affrontées.Enfin, il souligne l’incidence desprogrès de l’armement sur laconduite des opérations militaires

et l’importance d’une combinaisonde la négociation et du recours à laforce pour atteindre l’objectif quel’on s’est assigné. Ainsi, l’Empirebyzantin a réussi à persévérer dansson être pendant un millénaire parl’usage intelligent d’un outil mili-taire éprouvé et l’habileté de sesdiplomates. Par ailleurs, les théori-ciens byzantins ont apporté unecontribution fondamentale à laréflexion sur la tactique et la stra-tégie militaires qui était restée enfriche dans le monde occidentaldepuis la publication du De re mili-tari de Végèce au IVe siècle.

En conclusion de son étude,l’auteur prend quelque distanceavec son propos initial et nouslivre ses réflexions sur l’« envoléede l’Europe » et la transformationde la guerre depuis la Révolutionfrançaise. Il souligne notammentles dérives des guerres nationalesvers la guerre totale et analyse lesstratégies indirectes mises enœuvre par les peuples colonisésdans la lutte pour leur indépen-dance. Enfin, il s’interroge sur lasignification du défi lancé par desorganisations terroristes à la civili-sation occidentale et exprime desdoutes sur l’adéquation des ripos-tes conçues et mises en œuvre parles États-Unis. Il est probable queles jugements et les analyses deGérard Chaliand sur ces questionsne rallieront pas tous les suffragesmais elles ont le mérite de mettreen lumière l’ambivalence de laguerre comme facteur de destruc-tion et de renouveau des civilisa-tions. Ce thème classique illustré

1. H. Delbrück, Geschichte der Kriegskunst imRahmen der politischen Geschichte, Berlin, 1920,traduction anglaise : History of the Art of War withinthe Framework of Political History, Westport,Greenwood Press, 1975-1985, I. Warfare in Anti-quity, II.The Barbarian Invasions, III. MedievalWarfare, IV. The Dawn of Modern Warfare (réim-pression : Londres/Lincoln, Bison Books/University of Nebraska Press, 1990).

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par Arnold Toynbee avait égale-ment retenu l’attention de l’Institutfrançais de polémologie il y a unquart de siècle2. Une comparaisondes vues exprimées aujourd’huipar Gérard Chaliand avec cellesformulées jadis par GastonBouthoul et ses disciples est unexercice intellectuel stimulantauquel nous convions les lecteursde Politique étrangère.

Jean Klein

U.S. NUCLEAR WEAPONS POLICY:CONFRONTING TODAY’S THREATSGeorge Bunn et ChristopherChyba (dir.)Washington, Brookings InstitutionPress, 2006, 340 pages

Les nouvelles orientations adop-tées en 2001 par l’AdministrationBush en matière d’armes nucléai-res ont suscité un intense débatmais aucun ouvrage n’était encorevenu faire le point de manièreexhaustive sur le sujet.

La rupture la plus évidente sur leplan stratégique depuis 2001 est laplace centrale accordée au conceptlarge et vague de préemption quiva jusqu’à inclure la guerre pré-ventive (p. 49-50). La « doctrineBush » traduit une volonté réaffir-mée de suprématie et un manquede confiance dans la dissuasionmutuelle. Le leitmotiv de l’Admi-nistration est en effet que la dissua-

sion est un concept démodé datantde la guerre froide, qui n’est plusadapté aux nouvelles menaces. Leconstat n’est pas neuf3 mais legrand mérite de la contribution deD. Holloway est de resituer cetteévolution dans un contexte histori-que. L’auteur rappelle que cettevolonté d’échapper à la dissuasionest un phénomène récurrent quel’on a notamment pu observer sousles Administrations Eisenhower etReagan. Il souligne les difficultés etles coûts d’une telle stratégie –notamment le risque d’opprobreinternational – sans toutefois lacondamner totalement. La conclu-sion est néanmoins sans appel : laguerre préventive n’est pas unoutil adapté et efficace en matièrede lutte contre la prolifération.

Les trois contributions de G. Bunn,C. Chyba et C. Braun se penchentsur l’histoire, la logique et le bilandu régime de non-prolifération.Ces auteurs cherchent aussi à éva-luer son adéquation face aux nou-veaux défis : la proliférationlatente, le terrorisme nucléaire, lesréseaux proliférants. Ils s’intéres-sent enfin aux nouveaux outils enmatière de lutte contre la proliféra-tion : protocole additionnel, Prolife-ration Security Initiative (PSI), réso-lution 1540 ou extension desgroupes de fournisseurs. Le juge-ment est nuancé et conclut sanssurprise à la nécessité de renforcer

2. G. Bouthoul, R. Carrère et J.-L. Annequin,« Guerres et civilisations » (préface de Jean Guit-ton), Cahiers de la Fondation pour les études dedéfense nationale, n° 14, 4e trimestre 1979.

3. Cf. R. Jervis, « The Confontation between Iraqand the US: Implications for the Theory and Prac-tice of Deterrence », European Jounal of Interna-tional Relations, vol. 9, n° 2, juin 2003.

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le régime en luttant contre l’offremais aussi la demande de prolifé-ration. Dans ce dernier domaine,les auteurs reprennent à leurcompte les propositions en faveurd’un système international defourniture de combustible quiserait accompagné d’un traité« cut-off » sur les matières fissiles.

W. K. H. Panofsky et D. Wilkeningétudient les diverses formes dedéfense contre les armes nucléai-res. Ils proposent une critique sansconcession du projet de bouclierantimissile qui a peu de chance derenverser l’avantage à l’offensiveen matière d’armes nucléaires. Ilest en effet très difficile d’atteindreune probabilité satisfaisanted’interception tandis que lescontre-mesures sont relativementaisées à déployer. Les auteurs rap-pellent surtout que l’attaque parmissile intercontinental est loind’être le scénario le plus probable.Ils plaident en conséquence pourune réorientation de la politique dedéfense qui doit, selon eux, surtoutviser à empêcher l’introductionclandestine d’armes nucléaires surle territoire américain.

R. Speed et M. May procèdent àune évaluation minutieuse etdocumentée de la Nuclear PostureReview adoptée en 2001. Ce docu-ment classifié1 insiste notammentsur la nécessité pour les États-Unisde se doter de charges nucléairesmoins puissantes et plus précises

afin de détruire des cibles durcieset profondément enterrées. Selonles auteurs, ce choix a peu de sensdu point de vue de la dissuasion, ilne peut donc s’expliquer que dansune perspective de retour vers laguerre nucléaire avec un net accentmis sur l’emploi en premier. L’arti-cle détaille les difficultés techni-ques – les effets collatéraux notam-ment – et les incohérences duprojet ; il rappelle également que leCongrès a jusqu’ici refusé de finan-cer les études pour la réalisationdes nouvelles charges. Speed etMay démontrent surtout qu’un telprojet est potentiellement contre-productif puisqu’il risque à termed’encourager la prolifération, ver-ticale comme horizontale.

Les différents auteurs s’appuientsur leur expertise technique et cen-trent leurs critiques sur des ques-tions d’efficacité de la politiqueaméricaine, sans accorder beau-coup de poids aux considérationsmorales ou juridiques. C’était déjàla perspective choisie par G. Alli-son pour traiter du problème duterrorisme nucléaire2. Il s’agit doncde prendre l’Administration Bushà son propre jeu en montrant quesa politique est peu pertinente faceaux nouveaux défis. L’ouvrage, quin’évite pas toujours les répétitionsou les banalités, propose néan-moins un réquisitoire documenté,convaincant et stimulant. Le choixde l’éditeur – un think tank plutôt

1. Plusieurs extraits ont néanmoins été renduspublics : <www.globalsecurity.org/wmd/library/policy/dod/npr.htm>.

2. Gr. Allison, Nuclear Terrorism : the Ultimate Pre-ventable Catastrophe, New York, Times Book,2004.

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proche des démocrates – n’est sansdoute pas anodin.

Alexandre Hummel

LA DOUBLE DÉFAITE DU RENSEIGNEMENTAMÉRICAINFranck DaninosParis, Ellipses, 2006, 318 pages

Depuis les attentats du 11 septem-bre 2001, les faiblesses du rensei-gnement américain occupent uneplace de choix dans l’édition fran-çaise : cet ouvrage complète lessynthèses et les témoignages déjàdisponibles. Son objectif avoué estdouble : il s’agit, d’une part, depréciser pourquoi les services spé-cialisés sont devenus la cible depolémiques récurrentes, ciblantleurs retards, leurs mensonges ouleurs lacunes et, d’autre part, dedéterminer si les réformes en courssont de nature à rehausser leursperformances organisationnelles.

Le texte apporte sur ces deux sujetsdes éléments d’appréciation bien-venus. L’un de ses mérites vient desa mise en perspective historique.Dans la première partie, F. Daninosdécrit les processus ayant présidé àla création de la Central Intelli-gence Agency (CIA), puis à sonexpansion, au-delà des missionsoriginellement envisagées. Il évo-que aussi les polémiques qui ontémaillé la vie de l’agence puisrecense les erreurs d’appréciationcommises dans le domaine antiter-roriste. La deuxième partie évoqueplutôt la radicalisation des grou-puscules activistes et les réponses

de l’appareil d’État américain :extension des aires de contrôle,détentions arbitraires et tortures,création de nouvelles structures decoordination. Les rivalités inter-organisationnelles occupent ici unebonne place.

Les troisième et quatrième partiesapparaissent comme les plusimportantes. On y trouve une ana-lyse détaillée des opérations demanipulation et de désinformationmenées en amont de l’interventionen Irak : armes de destruction mas-sive (ADM), liens du régime avecAl-Qaida, etc. On relève égalementune évocation des traumas cultu-rels générés par les pressions idéo-logiques des élites conservatrices.On y lit des passages très intéres-sants relatifs à la mauvaiseinfluence de feu Leo Strauss, phi-losophe « diétrologue1 » de l’uni-versité de Chicago, sur tel ou teldoctrinaire contemporain du ren-seignement. Enfin, dans une cin-quième partie, l’auteur se penchesur les réformes en cours d’appli-cation, leur impact apparent, et lesthérapies à venir.

Écrivant avec le bénéfice de la dis-tance géographique, F. Daninos acherché à rendre compte des mul-tiples aspects de la crise du rensei-gnement américain. L’ouvrages’appuie sur une bibliographieabondante. On peut lui reprocher

1. Diétrologie : terme forgé par l’écrivain sicilienLeonardo Sciascia pour désigner, le plus souventironiquement, la « science » de ce qu’il y a der-rière (dietro signifiant derrière en italien), le soup-çon permanent.

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un côté légèrement fuyant : le foi-sonnement d’interprétations, lemélange de considérations théori-ques et d’observations journalisti-ques, et surtout le manque de hié-rarchie explicative donnent parfoisle tournis. Les spécialistes appré-cieront la qualité de la synthèsemais les non-initiés auront peut-être du mal à s’y retrouver.

Jérôme Marchand

HISTOIRE

DÉFENSE CONTRE LES MISSILESBALISTIQUES. DEPUIS 1945Jean-Philippe BaulonParis, Economica, 2006,314 pages

Avec le déploiement d’une dizained’intercepteurs ces deux dernièresannées, après soixante ans et plusd’une centaine de milliards de dol-lars de dépenses, la défense anti-missile américaine semble enfinavoir atteint le stade opérationnel.Le livre de Jean-Philippe Baulonarrive donc à point nommé, à plusforte raison en France où trop peud’ouvrages ont été consacrés auxdéfenses antimissiles balistiques(Ballistic Missile Defense, BMD).

L’ouvrage est découpé chronologi-quement en cinq chapitres biendéfinis et cohérents : on y retrouvetout d’abord les origines des pro-grammes de BMD (1945-1957, cha-pitre I), période durant laquelle les

conceptions de la défense stratégi-que évoluent lentement – avec ledéveloppement des missiles balis-tiques – de la défense aérienne versla défense antimissile. Le rapportentre les BMD et la proliférationqualitative et quantitative desarmes nucléaires et balistiques,de 1957 et 1969, fait l’objet dudeuxième chapitre. Le lecteur s’yfamiliarise avec les atermoiementstechniques, doctrinaux et politi-ques de la période, aussi bien enUnion soviétique qu’outre-Atlantique. Les excès de cettecourse aux armements, les décep-tions que génèrent les innombra-bles difficultés auxquelles seheurtent les tentatives de dévelop-pement des BMD et l’évolutiondoctrinale favorable à la dissua-sion par capacité de « destructionmutuelle assurée » incitent lesdeux superpuissances à inscrire lesdéfenses antimissiles dans lesnégociations de maîtrise des arme-ments (chapitre III, 1969-1980). Lasignature du traité antimissilesbalistiques (ABM) de 1972 et deson protocole restreint sans lesempêcher les recherches et déve-loppements sur la BMD, comme entémoigne la décennie 1980 (chapi-tre IV), qui voit le lancement del’initiative de défense stratégique(IDS), ainsi que l’après-guerrefroide (chapitre V), durant laquelleles défenses antimissiles repren-nent progressivement une placemajeure dans la posture stratégi-que et le budget de la défenseaméricains.

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Cette étude historique s’appuie surl’exploitation de fonds d’archivesanglophones ainsi que sur l’abon-dante littérature scientifique sur lesujet. Le résultat final s’avère trèsriche et intéressant, et permet derelever les tendances de fond destentatives de développement et dedéploiement des défenses antimis-siles dans le monde. L’omnipré-sence des rivalités bureaucrati-ques, la place importante – bienque non déterminante – de la per-ception de la menace dans les allo-cations budgétaires et les décisionspolitiques, l’impact de l’évolutiontechnique sur l’efficacité des BMD,sont autant de thèmes essentiels àla compréhension de cette problé-matique complexe et abordés dansce livre. Seul l’ancrage théorique etdoctrinal fait parfois défaut : l’évo-lution du rapport entre la dissua-sion nucléaire et les BMD auraitsans doute mérité un traitementplus approfondi et moins factuel.On ne saurait pourtant en tenirrigueur à l’auteur. Celui-ci s’entient à une très bonne analyse his-torique, et signe indéniablementun ouvrage de grande qualité,dont la lecture intéressera quicon-que suit la prise de décision dansles politiques de défense, l’histoiredes technologies militaires et deleurs applications ou l’évolutionde la stratégie nucléaire.

Corentin Brustlein

TWICE A STRANGER.HOW MASS EXPULSION FORGED MODERNGREECE AND TURKEYBruce ClarkLondres, Granta Books, 2006,274 pages

Paix et modernité sont les deuxmaîtres mots de l’ouvrage originalde Bruce Clark. Sur la base detémoignages et de documents offi-ciels, cet ancien journaliste chargéde la diplomatie au Financial Timesrevisite une page d’histoire peuconnue en France : la guerre gréco-turque, de 1919 à 1922, quis’achève par la signature du traitéde Lausanne en 1923. Militaire-ment, la Turquie de Mustafa Kemalremporte la guerre et lave l’affrontde la défaite du vieil Empire otto-man, allié de la Triple Entente lorsde la Première Guerre mondiale.Politiquement, la résolution duconflit consacre l’entrée de la Tur-quie et de la Grèce dans la moder-nité. Humainement, c’est unecatastrophe. Plus de 1,5 million depersonnes sont contraintes de quit-ter leur terre pour assurer la paixentre les deux pays. Comme letraité de Lausanne le stipule,400 000 musulmans établis enGrèce sont transférés en Turquie etau moins 1,2 million de chrétiensinstallés en Asie mineure doiventfaire leurs bagages pour l’État hel-lénique, sans retour possible.

Ce transfert de population, pre-mier de cette envergure, constituepourtant un exemple de paix réus-sie entre deux États belligérants. Ilest évoqué à titre de modèle lors

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des transferts entre Inde et Pakis-tan en 1947, sert de référence dansle conflit israélo-palestinien, maissurtout dans le processus de paixau Kosovo. « Qu’on le veuille ounon, ceux qui parmi nous vivent enEurope ou dans des zones sousinfluence européenne restent desenfants de Lausanne », écritl’auteur{

Dans une construction alternantrécits de témoins grecs ou turcs etanalyse de documents historiques,Bruce Clark livre les ingrédients decette paix, réussie entre États maisinachevée entre les populations.Concernant les États, il étudiepourquoi Lausanne constitue unmodèle du genre, grâce notam-ment à la clairvoyance des prota-gonistes de la paix : EleftheriosVenizelos, le leader grec, MustafaKemal, le père de la nation turque,Lord Curzon, le représentant bri-tannique, et le diplomate norvé-gien Fridtjof Nansen, présentécomme l’inspirateur des BernardKouchner, Bob Geldof et autresDag Hammarskjöld et qui légueraà la postérité le « passeport Nan-sen », cette carte d’identité desapatrides. Le courage de ces hom-mes fut de placer la sécurité régio-nale au cœur de leur réflexion stra-tégique.

Au plan humanitaire, l’auteurdécrit les drames, traumatismes etautres tragédies du déracinement,et comment des populations ontdû, sous la contrainte, accepterl’inacceptable : quitter la terre deleurs ancêtres pour gagner des ter-

ritoires et des cultures inconnus.Résultat : le développement d’unemémoire têtue de signes, de codesreliés au passé, toujours visiblesplus de quatre-vingts ans après leséchanges de populations. Lescohortes de déplacés se sont sou-mises aux nouvelles règles du jeusans jamais se laisser conquérir parles politiques publiques. Mêmedans leur nouvelle « patrie »,l’appel du pays est toujours là.C’est dire les limites des politiquesgouvernementales et – pourquoipas – des nationalismes turc etgrec, pourtant connus pour leurvigueur.

Au-delà, le raisonnement de BruceClark renvoie à l’entrée de cesÉtats voisins dans la modernité.Au tournant des années 1920, Tur-quie et Grèce optent pour la nationcontre la religion et le mono-ethnicisme contre le pluri-ethnicisme. Avant Lausanne, Cons-tantinople et Athènes parlaient desujets chrétiens et musulmans,vieille expression héritée du multi-culturalisme des empires byzantinet ottoman. Après Lausanne,Ankara et Athènes s’adressent auxnations turque et grecque. Toutgroupe particulier est invité à sefondre dans le moule nationalmajoritaire. Turcs originaires deGrèce et Grecs originaires d’Asiemineure se fondent dans la Tur-quie et la Grèce modernes. Ainsi enfut-il décidé à Lausanne, avec tou-tefois un bémol pour les minoritéschrétiennes de Turquie.

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Dans sa démonstration, propre àl’école critique des relations inter-nationales, l’auteur relie le proces-sus de résolution du conflit gréco-turc des années 1920 à ladécrispation actuelle des relationsentre les deux États membres del’Organisation du traité de l’Atlan-tique Nord (OTAN), à l’heure del’élargissement de l’Alliance atlan-tique vers l’Est et de l’ouverturedes négociations entre Ankara etBruxelles pour une éventuelleadhésion du géant turc à l’Unioneuropéenne (UE). La perspectiveintégrationniste est facilitée, il estvrai, par la pondération d’Athènes,en dépit de l’épineuse question dela reconnaissance de Chypre par laTurquie. C’est toute la logique del’« égéisme », cet esprit de réconci-liation dont, souligne Bruce Clark,l’acte de naissance est Lausanne.

Gaïdz Minassian

TERRORISME

LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME. ÉTUDECOMPARATIVE UNION EUROPÉENNE -ÉTATS-UNISAlexandre AdamParis, L’Harmattan, 2006,130 pages

Comment lutter contre le terro-risme ? Pour répondre à cette ques-tion, l’auteur compare deux modè-les, en insistant essentiellement surles aspects juridiques. D’un côté,les États-Unis ont choisi de mener

une véritable « guerre globalecontre le terrorisme ». De l’autre,les Européens – ou plus exacte-ment l’Union européenne (UE) –ont opté pour une approchepénale.

Ainsi décrite, la dichotomie, quin’est pas sans rappeler l’oppositionentre Mars et Vénus exposée parRobert Kagan1, est caricaturale.Alexandre Adam en est parfaite-ment conscient et l’intérêt de sadémonstration réside précisémentdans la remise en cause partielle decette idée reçue. La convergencedes approches européenne et amé-ricaine est ainsi au cœur de ce livre.

Cette convergence a connu uneforte accélération après le 11 sep-tembre 2001. Les attentats contre leWorld Trade Center et le Penta-gone ont eu un impact direct auxÉtats-Unis avec, par exemple, levote du Patriot Act ou encore duHomeland Security Act. Au niveaude l’UE, ils ont engendré une accé-lération de la constitution de l’« es-pace de liberté, de sécurité et dejustice » avec des mesures qui –comme la mise en place du mandatd’arrêt européen ou la créationd’Eurojust – ont des conséquencesbien au-delà de la lutte antiterro-riste.

Une des parties les plus intéressan-tes de cet ouvrage a trait au renfor-cement de la coopération trans-atlantique en matière de lutte

1. R. Kagan, Of Paradise and Power: America andEurope in the New World Order, New York, Knopf,2003.

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contre le terrorisme. Les accordsd’extradition et d’entraide judi-ciaire, celui entre Europol et lesÉtats-Unis ou encore l’accord Pas-senger Name Record (PNR), sontanalysés avec minutie.

Alexandre Adam reconnaît que cesaccords ont permis à l’UE d’accé-der « au statut d’acteur mondialdes politiques de sécurité », mais ilémet également de sérieuses réser-ves à leur égard : les parlementseuropéen et nationaux sont misdevant le fait accompli, on noteune déficience du contrôle juridic-tionnel et démocratique, ainsiqu’une absence de référence auxnormes européennes de protectiondes droits de l’homme, etc.

De manière assez surprenante,l’auteur démontre que « cesaccords témoignent souvent d’uneplus grande confiance dans lesÉtats-Unis qu’entre les États mem-bres eux-mêmes ». Pour illustrer cepropos, il cite l’exemple des don-nées d’Europol, qui sont plus lar-gement ouvertes aux États-Unisqu’aux autorités nationales desÉtats membres de l’Union.

Un autre point important soulevépar l’auteur concerne les déficien-ces du système juridictionnel del’UE, qui ne permettent pas auxinstances judiciaires d’exercer unvrai rôle de « garde-fou » commele fait la Cour suprême aux États-Unis. À cet égard, il regrette que leprojet de constitution européenneait été rejeté, car il aurait sansdoute permis de combler partielle-ment ces lacunes.

En définitive, étant donné la qua-lité de l’analyse offerte par Alexan-dre Adam sur les aspects juridi-ques de la lutte antiterroriste àl’échelle de l’Union et des États-Unis, on regrettera qu’il n’ait pasétendu son étude aux différentesapproches de la lutte antiterroristeau sein même de l’UE. Il auraitégalement pu être intéressant dedépasser le cadre judiciaire pours’intéresser à d’autres aspects de lalutte antiterroriste, comme le ren-seignement ou les volets policier etmilitaire.

Marc Hecker

LES FRONTIÈRES DU JIHADJean Pierre FiliuParis, Fayard, 2006, 366 pages

À un moment où se propagel’amalgame entre islam et violence,le livre de Jean-Pierre Filiu appa-raît comme une contributionopportune à la connaissance d’unélément spécifique au mondemusulman.

L’auteur nous propose d’abord unedéfinition d’un terme galvaudé etune typologie du djihad ; ildénonce quelques lieux communs.Partant de la racine du mot qui enarabe signifie « effort », il note quele terme même, abusivement tra-duit par guerre sainte, correspondplutôt à la mobilisation guerrièrede la communauté musulmane soità des fins d’autodéfense, soit envue de l’islamisation de nouveauxterritoires. Mais ce djihad « mili-taire » est moins noble que le

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« grand djihad », le travail quié-tiste voire mystique du musulmansur lui-même pour atteindre leniveau le plus sublime de la foi.Contrairement à certaines idéesreçues, il ne constitue pas l’un descinq piliers de l’islam. Dans leCoran, sa présence est plus quediscrète, puisque le terme n’est uti-lisé qu’à quatre reprises. La voca-tion guerrière de Mahomet n’appa-raît d’ailleurs que tardivementdans sa vie : « c’est par le verbe etpar l’exemple qu’il prêche durantune décennie à La Mecque unmonothéisme rigoureux. »

Si l’islam se propage par laconquête, il ne s’accompagne pas,tout au moins à ses débuts, deconversions forcées. Une grandepartie de l’islam, notamment enAsie, a été répandue plus par lescommerçants arabes que par lesguerriers. Il est vrai que le terme aété largement galvaudé. Le prési-dent Roosevelt ne présentait-il pasle débarquement en Afrique duNord en novembre 1942 comme« un grand djihad de la liberté » enassimilant les G. I. à « des moudja-hidines heureux d’accomplir leurdevoir » ? Cette confusion dans lestermes est également entretenuepar le wahhabisme qui légitime ledjihad non seulement contre « lesprogressistes et autres athées »mais également « contre les voixmusulmanes dissonantes ».

J.-P. Filiu brosse ensuite une his-toire du djihad à travers les âgespour insister sur ses formes lesplus récentes, notamment sur son

dévoiement par Al-Qaida. La créa-tion de ce mouvement, son déve-loppement à la faveur du conflitafghan, en particulier grâce àl’appui du service de renseigne-ments pakistanais, l’Inter-ServicesIntelligence (ISI), son action contreles troupes soviétiques et sur lesautres fronts du djihad – Tchétché-nie, Cachemire, Bosnie – sont évo-qués avec pertinence.

On notera cependant que son effi-cacité reste marginale, en particu-lier dans l’échec de l’URSS enAfghanistan, même si son actionest parfois spectaculaire. Ce djiha-disme global, qui est ainsi distin-gué du djihadisme territorialisé ounational, s’affirme en février 1998,avec la constitution du Front isla-mique mondial pour le djihadcontre les juifs et les croisés.Al-Qaida change également denature : elle rejette le monde entier« dans le domaine de la guerre ».Après le 11 septembre 2001, pour-chassée et largement démantelée,l’organisation se réfugie dans lesconfins afghano-pakistanais. Àbout de souffle, elle entreprendcontre la famille royale saoudienneune véritable vendetta meurtrière,comptant sur l’appui de certainséléments religieux radicaux duroyaume. C’est l’échec. L’interven-tion militaire américaine en Irakpermet à Al-Qaida de se ressour-cer, de s’installer dans un nouveau« Djihadistan ». Le djihad irakienapparaît ainsi comme mobilisateuret fait allégeance à Oussama BenLaden.

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On lira également avec beaucoupd’intérêt les pages consacrées au« cyberdjihad ». Les cassettes vidéoet audio sont maintenant rempla-cées par l’utilisation efficaced’Internet. Les sites se réclamantd’Al-Qaida se multiplient, nonseulement en arabe mais égale-ment en anglais et en français. Cessites apportent non seulement uneformation doctrinale et sont utili-sés à des fins de propagande, maisils sont également les vecteursd’images violentes et contribuentau recrutement des djihadistes,attirés par des « chats » très fré-quentés. Ils servent également àdiffuser de véritables manuels pra-tiques à des apprentis terroristes.Une guerre virtuelle se développeainsi sur la Toile. Cependant,Al-Qaida, a besoin d’un territoire,d’une sorte de base arrière pourasseoir son action : l’Irak a ainsilargement remplacé l’Afghanistancomme Djihadistan.

Ce livre de référence apporte desinformations souvent inédites etun éclairage précis sur des ques-tions fréquemment traitées, cons-ciemment ou non, dans une grandeconfusion. Il montre bien commentla menace, loin de diminuer aprèsles interventions en Afghanistan eten Irak, reste présente, voires’amplifie.

Denis Bauchard

AFRIQUE

LE DARFOUR. UN GÉNOCIDE AMBIGUGérard PrunierParis, La Table ronde, 2005,266 pages

La lecture du livre de Gérard Pru-nier s’impose à qui veut compren-dre la crise du Darfour. Pour avoirarpenté la Corne depuis plus detrente ans, depuis l’Ouganda d’IdiAmin auquel il consacra sa thèsejusqu’à l’Éthiopie où il dirigeaujourd’hui le Centre françaisd’études éthiopiennes (CFEE), enpassant par la Somalie ou le Kenyadont il reste l’un des meilleursexperts, Gérard Prunier connaîtbien cette région et ses fausses évi-dences. Grâce à lui, le Darfourn’est plus seulement une crisehumanitaire lointaine, terriblementviolente et inéluctable. Cette crisedevient, par sa plume alerte, unecrise authentiquement politique.

Situé aux confins du Tchad et duSoudan, le Darfour n’a jamais inté-ressé personne. Ce territoire grandcomme la France est formidable-ment enclavé. Il est séparé de laMéditerranée par la barrière duSahara. Au sud, la malaria et lesmouches tsé-tsé freinent les échan-ges. Pendant plusieurs siècles, lesultanat du Darfour vécut à l’écartde l’Histoire. Elle le rattrapa autournant du XXe siècle, une pre-mière fois en 1874 sous l’effet de laconquête du Soudan par les Turco-Égyptiens, une seconde en 1916sous les traits du colon anglais.Pour autant, avant comme après

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l’indépendance du Soudan en1956, le Darfour demeura un terri-toire périphérique. Pendant lacolonisation, pas plus d’une demi-douzaine d’administrateurs britan-niques en assuraient la gestion.L’indépendance n’y a rien changéet Prunier – qui n’a guère d’indul-gence pour le régime de Khartoum– montre le dédain dans lequel lesawlad al-beled (les Arabes de la val-lée du Nil) tiennent les awladal-gharb (les habitants de l’Ouest).

Aussi n’était-il guère surprenantque se développent, dans ces mar-ges délaissées, des mouvementspolitiques voire insurrectionnelsréclamant sinon du pouvoir dumoins de l’attention : le Front delibération du Darfour (DarfurDevelopment Front, DDF) dans lesannées 1960, l’Alliance démocrati-que fédérale du Soudan (SudanFederal Democratic Alliance,SFDA) après le coup d’État de1989, enfin les guérillas du Mouve-ment soudanais de libération(Sudan Liberation Movement,SLM) et du Mouvement pour lajustice et l’égalité (Justice andEquality Movement, JEM) audébut des années 2000. Face à cetteguérilla, le régime de Khartoumlança une contre-guérilla enarmant des miliciens, les janjawid,qui acquirent vite une sinistreréputation. Les villages suspectésd’abriter des guérilleros étaientrazziés ; à cette campagne d’exter-mination succéda une campagned’« attrition », par la faim et lesmaladies, au moins aussi mortelle-ment efficace.

La crise du Darfour est-elle,comme l’a écrit Alex DeWaal, unecontre-insurrection qui aurait maltourné ? Gérard Prunier soutientau contraire que « la réponsearmée [...] d’un groupe racialementmarqué [...] décidé à mettre au pasun groupe ethnique qu’il considé-rait comme inférieur [...] ne pou-vait que déraper. » Y a-t-il pourautant génocide ? L’auteur penseque non, tout en soulignant quel’émoi suscité par le crime de300 000 individus ne saurait varierselon que ses auteurs aient ou nondes motivations génocidaires. Tou-jours est-il que manque probable-ment à ce génocide ambigu uneintentionnalité, une « conférencede Wannsee africaine », toutcomme subsiste pour l’avenir unepossibilité de vivre ensemble auDarfour qui semble avoir aban-donné le Rwanda des Tutsis et desHutus.

Gérard Prunier consacre un chapi-tre passionnant à la perception decette crise dans l’opinion publiqueinternationale. Il souligne combienle conflit au Sud-Soudan a cons-tamment biaisé l’appréhension dela crise au Darfour. Pendant plusde vingt ans, la communauté inter-nationale a œuvré à la fin de laguerre au sud et, alors que lesnégociations allaient bon train auKenya en 2003-2004, elle a refuséde se laisser distraire dans sesefforts par une autre guerre. Cetaveuglement a une seconde cause :l’obnubilation culturaliste quicaractérise nombre d’observateurs

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du Soudan. Pour beaucoup, la cou-pure entre le nord musulman et lesud chrétien est l’unique grille delecture de la géopolitique souda-naise. Cette explication n’est passans fondements, mais elle ne suffità rendre compte ni de la guerre auSud-Soudan ni des autres rivalités,notamment inter-musulmanes, quimarquent l’espace soudanais.L’aveuglement a cessé en 2004 et leDarfour est macabrement devenu àla mode. Mais, sous l’effet combinédu tsunami asiatique et del’euphorie de l’accord de paix« global » de Naivasha signé le9 janvier 2005 entre le Mouvementde libération des peuples du Sou-dan (Sudanese People LiberationMovement, SPLM) et Khartoum,l’opinion internationale s’est las-sée, abandonnant à l’Union afri-caine et aux Nations unies la ges-tion de cet obscur conflit.

Yves Gounin

AMÉRIQUES

MAKING FOREIGN POLICY.PRESIDENTIAL MANAGEMENT OF THEDECISION-MAKING PROCESSDavid MitchellAldershot, Ashgate Publishing,2005, 272 pages

La littérature savante sur la prisede décision en politique étrangèrepeut, en dernière analyse, être divi-sée en deux ensembles de recher-ches. Dans la lignée de l’approche

réaliste incarnée notamment parH. Kissinger dans son ouvrageDiplomatie1, la majorité des cher-cheurs postulent que les décisionsdiplomatiques sont prises parl’homme d’État rationnel guidépar le seul souci de l’intérêt natio-nal. Suite à la révolution behaviou-raliste en science politique, uneimportante minorité de chercheursposent au contraire comme hypo-thèse la rationalité limitée des déci-deurs, soit influencés par les biaispsychologiques inhérents à toutprocessus cognitif, comme le souli-gne R. Jervis dans Perception andMisperception in International Poli-tics, soit contraints par l’environne-ment sociologique qui est le leur,comme l’ont montré I. Janis dansVictims of Groupthink et G. Allisondans Essence of Decision2.

L’étude de D. Mitchell s’inscritdans ce dernier programme derecherche. Mais, parce qu’il part del’idée que leur poids est aussi fonc-tion de la façon dont un présidentorganise le fonctionnement de songroupe de conseillers, il cherche àétablir une passerelle entre lesmodèles idéal-typiques du prési-dent « prince-en-son-domaine-réservé » et du président-« prisonnier-de-son-entourage ».

1. Paris, Fayard, 1996 (édition originale : Diplo-macy, New York, Simon & Schuster, 1994).2. R. Jervis, Perception and Misperception inInternational Politics, Princeton (NJ), PrincetonUniversity Press, 1976 ; I. Janis, Victims of Group-think, Wilmington (MA), Houghton Mifflin, 1972 ;G. Allison, Essence of Decision. New York, HarperCollins, 1971.

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Dans les détails, l’auteur distinguequatre systèmes d’organisationpossibles des conseillers du prési-dent, selon que leur structure estformelle ou collégiale, leur fonc-tionnement hiérarchisé ou non. Parexemple, Nixon était partisand’une organisation à la fois trèsrigide et centralisée (les objectifsprécis à atteindre sont fixés par lechef d’État qui par ailleurs évaluelui-même la faisabilité des optionsenvisageables ; il existe un hommede confiance qui sert d’intermé-diaire privilégié entre le présidentet les autres conseillers qui, entreeux, se consultent selon des procé-dures fixes ; les conflits et mar-chandages entre conseillers sontdécouragés et les voix dissidentesmarginalisées, etc.), alors queB. Clinton faisait tout au contraireconfiance à une structure collégialeet décentralisée (le président délè-gue volontiers l’autorité auxconseillers compétents, le conflitentre conseillers est encouragé eton ne recherche pas le compromisà tout prix, l’accès au président estassez libre et il n’y a pas d’hommede confiance). À mi-chemin entreces deux systèmes purs, l’Adminis-tration Carter était à la fois collé-giale et centralisée (le présidentdiscute avec tout le monde maisselon des procédures préétablies eten vue d’aboutir à un consensusallant dans le sens de ses préféren-ces propres), par opposition à cel-les de R. Reagan et de G. W. Bush,formalisées mais décentralisées (leprésident choisit l’option finale,celle-ci sera retenue parmi celles

qui lui sont présentées par sonhomme/sa femme de confianceaprès qu’aient eu lieu au niveausubalterne les conflits et marchan-dages entre conseillers ne respec-tant pas toujours l’organigrammeexistant et tentant d’avoir l’oreilledu président).

Le modèle théorique présenté, Mit-chell l’applique à quelques prisesde décision importantes desditesAdministrations : l’escalade auNord-Vietnam pour Nixon, lesnégociations SALT pour Carter,puis START pour Reagan, l’entréeen guerre en Bosnie en 1995 pourClinton, et l’ensemble des déci-sions diplomatico-stratégiques deG. W. Bush, du retrait du protocolede Kyoto et de la gestion du dos-sier nord-coréen jusqu’aux opéra-tions « Liberté immuable » (Endu-ring Freedom) et « Liberté pourl’Irak » (Iraqi Freedom). Du point devue de l’actualité internationale, cedernier cas est bien entendu le plusintéressant. La recherche de Mit-chell confirme ce qu’ont déjà sou-ligné d’autres études. Avant le11 septembre 2001, Bush nes’implique guère dans les discus-sions de politique étrangère ; illaisse faire ses subordonnés, qui secombattent les uns les autres, entrenationalistes – D. Rumsfeld etD. Cheney –, néoconservateurs –P. Wolfowitz – et réalistes pragma-tiques – C. Powell – ; d’oùl’impression d’amateurisme diplo-matique dont fait preuve l’Admi-nistration Bush dans les premiersmois de son mandat, impression

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imputable à des rivalités internesentre lesquelles Bush se refuse àtrancher, donnant raison tantôt auclan Powell – dans la gestion de lacrise nord-coréenne –, tantôt auxnationalistes – lors du retrait duprotocole de Kyoto –, et se fiantsouvent aux préférences deC. Rice. Les choses changent à par-tir du 11 septembre : G. W. Bushs’implique davantage dans les pro-cessus de prise de décision, consul-tant directement les uns et lesautres, sans pour autant mettre finaux rapports de force entreconseillers. La conséquence estconnue : le point de vue de lacoalition Rumsfeld-Wolfowitzl’emporte sur celui de Powell,grâce aussi au rôle de D. Cheney,qui fait pencher la balance enfaveur d’une politique offensive etunilatérale.

Reste que ce dernier constat vientpartiellement contredire l’hypo-thèse de départ : si un contexte decrise tel que l’après-11 septembreprovoque une plus grande impli-cation du président, alors le facteurcrucial expliquant les décisionsdiplomatiques est à chercher dansl’environnement contraignant lecomportement extérieur d’un Étatet non dans le fonctionnementinterne du gouvernement. Autre-ment dit, la recherche de Mitchellapporte, en partie en tout cas, del’eau au moulin réaliste plusqu’elle ne conforte les approchessociologiques d’études de la prisede décision. Cela n’hypothèque enrien la qualité de l’étude, qui méri-

terait d’être appliquée dans uncontexte autre, pourquoi pas fran-çais.

Dario Battistella

WAR AND THE AMERICAN PRESIDENCYArthur M. Schlesinger Jr

New York, Norton, 2005,186 pages

Le doyen des historiens libérauxaméricains est en colère. A. Schle-singer, auteur d’une trentained’ouvrages consacrés aux grandesétapes de la présidence américaineau xxe siècle, nous livre un crid’alarme contre les conséquencescatastrophiques – tant pour leMoyen-Orient et le monde quepour le système démocratiqueaméricain – de la doctrine Bush.L’abandon par George W. Bush dela traditionnelle politique étran-gère américaine – mélange prag-matique d’isolationnisme etd’engagement, de multilatéralismeet de volontarisme, de dissuasionet d’endiguement – à la faveurd’un unilatéralisme idéologiquemarqué par la pratique de laguerre préemptive mène, à sesyeux, directement à Abou Ghraib.Pire, en tournant le dos aux misesen garde de John Quincy Adamscontre la tentation de parcourir lemonde « à la recherche de mons-tres à détruire », l’AdministrationBush a ouvert deux boîtes de Pan-dore : d’une part, la renaissance dela « présidence impériale » contrelaquelle l’auteur s’insurge depuis

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Nixon1 ; d’autre part, la chute de lacote des États-Unis, tombée à sonscore historique le plus bas.

Dans une série de chapitres impi-toyables pour la doctrine Bush,A. Schlesinger illustre surtout larupture que représente celle-ciavec les valeurs traditionnelles dela diplomatie et du système politi-que américain. L’auteur nous rap-pelle des moments clés où degrands Américains ont su éviter lestraquenards dans lesquels l’équipeBush est allégrement tombée.Ainsi, le jeune Abraham Lincoln,s’est-il déjà en 1848 insurgé contreles périls d’un chèque en blancoffert à quelque président que cesoit pour décider de la guerre (enl’occurrence contre le Mexique). Laprésidence impériale, c’est juste-ment celle dans laquelle un seulindividu s’érige comme juge, juryet exécuteur. En principe, ce dan-ger est proscrit par la Constitutionqui confère au Congrès non seule-ment le contrôle budgétaire del’utilisation de la force armée, maisaussi le pouvoir de déclarer laguerre. En principe, le président nedispose, en matière de politiqueétrangère, que du pouvoir de nom-mer et de recevoir des ambassa-deurs et donc d’être le principalinterlocuteur des puissances étran-gères. En réalité, la force des chosesfait pencher la balance en faveurde la Maison-Blanche. A. Schlesin-ger nous retrace l’histoire du brasde fer entre les deux piliers du

système américain, qui aboutit,dans la foulée du 11 septembre2001, à ce que la séparation despouvoirs des pères fondateurs estsoumise à « une tension sans pré-cédent et par moments intoléra-ble » (p. 66). Méditant la dichoto-mie entre patriotisme et pacifismeen temps de guerre, l’auteurdéplore le propos simpliste deBush : « avec nous ou avec les ter-roristes ». Il rappelle judicieuse-ment le mot de l’immigré allemandCarl Schurz, devenu dans lesannées 1860 collaborateur de Lin-coln et orateur du Parti républi-cain : « Notre pays, à tort ou àraison ! Quand il a raison, il faut lemaintenir dans cette voie. Quand ila tort, il faut le ramener à la rai-son2. »

Surtout, A. Schlesinger s’interrogesur le sens et sur l’avenir de ladémocratie américaine. À quatrereprises, en 1824, 1876, 1888 et2000, « le système le plus démocra-tique du monde » a introduit à laMaison-Blanche le perdant duscrutin populaire. Le fonctionne-ment du « collège électoral » quitraduit en victoire ou en défaitejuridique le verdict des urnespopulaires reste opaque aux Amé-ricains et quasi incompréhensibleaux étrangers. Pour l’auteur,l’accession de Bush à la Maison-Blanche met en cause le fondementdu processus constitutionnel.L’absence de contestation popu-

1. The Imperial Presidency, Boston, HoughtonMifflin, 1973.

2. « Our country right or wrong. When right, to bekept right; when wrong, to be put right » (p. 82).

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laire, conséquence ironique du faitque le système lui-même jouit de laconfiance du peuple, poussel’auteur à réfléchir à un systèmed’élection directe du magistratsuprême et d’abolition du collègeélectoral. Mais, en fin de compte,A. Schlesinger lui-même rejettecette hypothèse à la faveur d’unemodification du collège lui-même.Sa solution consisterait à offrir auvainqueur du vote populaire unbloc supplémentaire de 102 voixau collège afin d’interdire au per-dant l’entrée à la Maison-Blanche.Son analyse historique du pour etdu contre du système actuel, struc-turé autour de deux grands partispolitiques, constitue une leçon endémocratie qui mérite réflexion enEurope. Elle l’amène à réfléchir surl’avenir même de la « démocratie »au XXIe siècle, à mesurer l’« utilité »de l’histoire, et à sonner le tocsincontre les périls incalculables dumariage de la politique et de la foitel que le pratique George W. Bush.

« Si nous devons survivre », écri-vait l’auteur au moment de la crisede Cuba, « il nous faut des idées,de la vision et du courage. » Sonlivre témoigne éloquemment dufait que ceux-ci continuent d’exis-ter aux États-Unis.

Jolyon Howorth

EUROPE

PARTNER ODER BEITRITTSKANDIDATEN?DIE NACHBARSCHAFTSPOLITIK DEREUROPÄISCHEN UNION AUF DEMPRÜFSTANDMartin Koopmann et ChristianLequesne (dir.)Baden Baden, Nomos Verlags,2006, 226 pages

Cet ouvrage entend analyser lapolitique européenne de voisinage(PEV) grâce aux contributions de12 chercheurs et experts originairesprincipalement de France etd’Allemagne.

Dans une première partie, lescontributeurs tentent de cerner lesnouvelles perspectives du voisi-nage à l’est de l’Europe aprèsl’élargissement de 2004. En refu-sant d’envisager de nouveau toutélargissement, les « anciens »membres de l’Union européenne(UE) suppriment un levier trèsimportant de la PEV : en effet, uneperspective d’adhésion est tou-jours un argument fort pour inciterles pays voisins à plus de démocra-tie et de stabilité et à la libéralisa-tion de leur marché. À la périphé-rie orientale de l’UE, les situationséconomiques des pays voisins sonttrès hétérogènes, ce qui rend lastratégie de la PEV particulière-ment complexe. Celle-ci, fruit deplans d’actions individualisés pourchaque pays, et de programmesbilatéraux déjà en place, ne peutétablir de plan uniforme :l’Ukraine démocratisée est ainsi

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déçue de se retrouver avec la Bié-lorussie et la Moldavie dans lesprogrammes de la PEV. La Russierefuse quant à elle entièrement laPEV et ressent cette politiquecomme une intrusion dans sachasse gardée.

Dans la deuxième partie durecueil, les auteurs s’interrogentsur la coopération dans le sud del’Europe : celle-ci est-elle un com-plément ou une alternative au par-tenariat méditerranéen ? Par sonapproche bilatérale, l’action de laPEV dans ces régions de la péri-phérie sud de l’UE déstabilise lesactivités régionales et transnatio-nales en place et elle ne remplit pastoujours sa fonction de complé-ment du partenariat Euromed. Deplus, elle entre en collision avec la« doctrine Bush » mise en placepour refonder le monde arabo-musulman en « Grand Moyen-Orient », conséquence de l’actionaméricaine contre le terrorismeislamiste.

L’ouvrage se conclut sur une ana-lyse des enjeux futurs de la politi-que de voisinage. L’objectif sera desurmonter son manque de cohé-sion, de coordination et d’efficacité.Les questions énergétiques, deconvergence économique et demigrations devraient ainsi êtreenvisagées dans le cadre d’objectifsplus précis et mieux adaptés auxsituations des différents voisins.

Martin Koopmann, pour favoriserune « multilatéralisation » et éviterl’émergence de nouvelles frontiè-res, suggère une « coopération

fonctionnelle », c’est-à-dire la créa-tion de plans d’actions limités à unou plusieurs secteurs (infrastructu-res, crime organisé, etc.). Cetteapproche ne mettrait-elle pas fin àla logique des adhésions automati-ques en développant une autrelogique, celle du « cordon sani-taire » ?

Boris Vormann

LE COMMUNISME ET LES ÉLITESEN EUROPE CENTRALENicolas Bauquet et FrançoisBocholier (dir.)Préface de François FejtöParis, PUF, 2006, 372 pages

Depuis la chute du mur de Berlin,peu de livres ont eu pour thèmel’étude de la nomenklatura : la listedes postes de direction politique,économique et culturelle, et despersonnes susceptibles de les occu-per en régime communiste, essen-tiellement en raison de leur dévo-tion au pouvoir. Rappelons que sesmembres constituaient partout enEurope centrale et orientale la nou-velle aristocratie, profitant de pri-vilèges exorbitants. En mêmetemps, ils ont largement contribuéau « recodage » stalinien des cultu-res historiques nationales. Long-temps, la construction des élitesnouvelles d’origine ouvrière etpaysanne a, dans toutes les démo-craties populaires, fidèlement suivile modèle soviétique. À partir de1970 cependant, la tension entreloyauté politique et professionna-lisme a pris des formes nouvellesavec la présence de « sans-parti » à

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des postes de responsabilité dansplusieurs pays, notamment enHongrie et en Pologne.

Fruit de la rencontre d’une ving-taine de chercheurs européensissus de différents versants dessciences sociales, le présentouvrage est d’autant plus intéres-sant que les auteurs abordent, sousdivers aspects, l’actualité. Aprèsavoir constaté l’ampleur des des-tructions subies par les anciennesélites civiles, militaires et religieu-ses d’avant-guerre, et décrit lescaractéristiques de la nomenkla-tura, ils révèlent des continuitésparfois insoupçonnées depuis1989. Parfois d’une manière inat-tendue, les membres de la nomen-klatura (théoriquement disparusavec la fin du communisme) sem-blent avoir réussi leur reconver-sion dans le nouvel ordre capita-liste et démocratique. Ainsi àl’heure actuelle en Europe centraleet orientale, le pouvoir économi-que et financier réel est d’unemanière générale exercé par desanciens de la nomenklatura ou parleurs descendants, bénéficiaires,grâce à la situation privilégiée deleurs parents dans les années 1980,d’une scolarité occidentale. Plu-sieurs chapitres s’intéressent à laplace de l’Église et au rôle actueldes universités catholiques – enpremier lieu en Pologne. À cetégard, la contribution de MatéBoos est d’un intérêt particulier. Ilnote qu’en Pologne, le traditiona-lisme, le conservatisme, voiremême le conservatisme libéraltrouvent un foyer intellectuel et

une base de recrutement politique,ce qui facilite, en dernière analyse,la compréhension de la situationactuelle dans ce pays. En Hongrie,l’université catholique a été consi-dérée comme l’université del’opposition entre 1994-1998, puiscomme celle du gouvernement jus-qu’à 2002, lorsque le parti de droiteAlliance des jeunes démocrates-Union civique (FIDESZ-MPP) deViktor Orban s’est défini commeparti populaire et trouvait une baseintellectuelle solide dans son corpsenseignant. Aujourd’hui, avec legouvernement de centre gauche aupouvoir depuis plus de quatre ans,l’image de l’université retourne àcelle des années 1994-1998...

Ce livre nous fournit beaucoup declés pour comprendre nos toutrécents partenaires dans l’Union etpour faciliter l’étude des sociétésde l’« autre Europe », dont laconnaissance reste malheureuse-ment trop superficielle.

Thomas Schreiber

MOYEN-ORIENT

L’IRAN. NAISSANCE D’UNE RÉPUBLIQUEISLAMIQUEYann RichardParis, Éditions de la Martinière,2006, 350 pages

Cet ouvrage didactique de YannRichard, historien de l’Iranmoderne et contemporain, permet

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de comprendre les origines histori-ques, lointaines et immédiates, dela République islamique. L’auteurétudie d’abord l’Iran à la périodede la dynastie Qadjar (de 1797à 1925). Cette partie de l’ouvrageest incontestablement la plus inté-ressante. On retiendra en particu-lier l’analyse des ingérences russeet britannique dans les affairesinternes de la Perse, indispensableà la compréhension des relationsentre l’Iran d’aujourd’hui etl’étranger. C’est en effet à cetteépoque que les hommes politiquesiraniens acquièrent une grandehabileté politique en essayant dejouer les impérialismes anglais etrusse l’un contre l’autre, d’unepart, et, d’autre part, en utilisantles influences française et améri-caine comme contrepoids à ladomination anglo-russe. Les por-traits des rois Qadjars sont particu-lièrement réussis, notamment celuid’Ahmad Shah (1909-1925), souve-rain « timide, complexé par sonphysique bouffi et bedonnant, libi-dineux, avare{ » Il est le symbolede la décadence de la dynastieQadjar victime des crises consécu-tives à la révolution constitution-naliste (1906), de l’accord anglo-russe (1907) qui réduit la marge demanœuvre de Téhéran face à Lon-dres et Moscou, et enfin de sessympathies ottomanes et alleman-des dans la Grande Guerre.

La montée en puissance de RezaKhan, ministre de la Guerre, quifonde la dynastie Pahlavi en 1925,se traduit par la remise en ordre dupays au prix de la relative liberté

politique de la fin de la périodeQadjar, une période d’efferves-cence politique pendant laquellenaît le parti communiste iranien(1920). Le rôle du clergé chiite estétudié dans la phase de troublesqui précèdent son accession aupouvoir, notamment au cours de larévolution constitutionnaliste. Leclergé apparaît, dès cette époque,comme une force indispensable àla prise du pouvoir. L’auteur sou-ligne les principales réformes d’unsouverain au « nationalisme auto-ritaire » qui n’a pas fait le choixd’une alliance claire en matière depolitique étrangère entre laGrande-Bretagne, la Russie etl’Allemagne. Cette ambiguïté luicoûte son trône en 1941 après qu’ila proclamé la neutralité de l’Irandans la Seconde Guerre mondiale.Néanmoins, selon l’auteur,« contrairement à un discours sou-vent répété, l’Iran n’a pas changéfondamentalement de politiqueallemande après l’arrivée des nazisau pouvoir. »

L’occupation militaire de l’Iran parles Soviétiques et les Britanniquespermet paradoxalement une plusgrande ouverture du champ politi-que. À la fin de la guerre, le fils duroi déchu, Mohammad Reza, hérited’un Iran dont l’unité nationale estmenacée par une tentative desécession de l’Azerbaïdjan et duKurdistan avant que le shah ne« s’attribue » l’échec, en 1947, deces indépendances. L’Iran devientalors celui de l’« éveil démocrati-que » jusqu’au renversement deMossadegh par un coup d’État

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orchestré par la CIA en 1953. YannRichard critique le « nationalismepositif » qui devait permettre,selon le shah, de renforcer l’indé-pendance de l’Iran – un discoursqui, selon l’auteur, n’était pas com-patible avec l’engagement de l’Irandans la stratégie américaine. Ilremarque aussi une certaine conti-nuité entre l’arrogance verbale dushah et celle des dirigeants de laRépublique islamique. Les diffé-rents mouvements politiques etintellectuels qui seront les acteursou les inspirateurs des révolution-naires sont aussi analysés en détail.

Les comparaisons entre l’actionpolitique de Mohammad RezaShah et celle du général de Gaullepeuvent surprendre. De même,l’auteur explique qu’Hachemi Raf-sandjani aurait perdu l’électionprésidentielle de 2005, entre autresraisons parce qu’il était le « candi-dat des Américains ». L’analysesemble rapide, après la victoire dece dernier, en décembre 2006, auxélections de l’assemblée desExperts.

Il faut saluer la documentation del’ouvrage, notamment les nombreu-ses sources en persan. La richessedu livre est d’autant plus apprécia-ble que la recherche historique fran-çaise sur l’Iran reste peu accessible.Cet ouvrage, qui n’a pas d’équiva-lent en langue française, est d’ores etdéjà incontournable pour ceux quisouhaitent comprendre l’histoired’un pays complexe, trop souventcaricaturé en Occident.

Clément Therme

RUSSIE-NEI

INTEGRACIÂ I IDENTIC{NOST’. ROSSIÂ KAK« NOVYJ ZAPAD »(INTÉGRATION ET IDENTITÉ. LA RUSSIECOMME UN « NOUVEL OCCIDENT »)Dmitri TreninMoscou, Evropa, 2006, 404 pages

Intégration de la Russie à l’Occi-dent ou préservation de son iden-tité : le dilemme est séculaire etremonte à l’opposition entre « occi-dentalistes » et « slavophiles ». Cesdeux conceptions ont toujours étéconsidérées comme antagonistes.L’échec des tentatives d’intégrationà l’Occident dans les années 1990 aprovoqué la déception des Russesqui privilégient désormais unevoie spécifique de développementpour leur pays. D. Trenin, directeuradjoint du centre Carnegie de Mos-cou, propose une solution quiréconcilie les deux approches.

Son argumentation repose sur unedéfinition de l’Occident non pascomme un concept géographique,mais comme un ensemble d’insti-tutions, de normes et de valeurs(propriété privée, garanties desdroits de l’homme et des libertés,respects des lois, pluralisme politi-que, société civile, etc.) qui rendentune société compétitive dans unmonde moderne post-industriel.Selon l’auteur, l’adoption par laRussie de ces institutions la trans-formera en un « nouvel Occident »,sans qu’elle ait besoin de s’intégrer,au sens traditionnel du terme, aux

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organisations européennes et euro-atlantiques. D’autres pays ont déjàsuivi avec succès cette voie : leJapon, la Corée du Sud font partiede l’Occident tout en préservantleurs particularités.

Sans forcément le savoir, la Russie,selon D. Trenin, a déjà choisi cettedirection, mais sa progression estfreinée par l’archaïsme politique(autocratie modérée), la corrup-tion, la faiblesse des forces réfor-matrices, l’apathie politique etsociale de la majorité de la popula-tion et, surtout, l’absence d’un« désir de démocratie ». En dépitde ces blocages, deux puissantsferments de transformation sontdéjà à l’œuvre : le développementdu capitalisme russe et l’ouverturedu pays sur le monde extérieur. Eneffet, l’évolution économique a uneinfluence profonde sur la société.Le besoin des élites de légaliser, deprotéger et de transmettre leursbiens les poussera, tôt ou tard, versla construction d’un État de droit.Les intérêts de ces mêmes élites àl’étranger les obligeront à respecterles principales normes et règles dela communauté internationale. Cesdeux facteurs distinguent la Russiede l’URSS et lui ouvrent une pers-pective pour se rapprocher del’Occident. La démocratie n’estdonc pas le passé, mais le futur (àmoyen terme) de la Russie, mêmesi la route est parsemée de crises.

Cette approche est attirante parson apparente simplicité et sonoptimisme. Elle puise chez Marx etses principes d’économie politique,

selon lesquels les conditionssocioéconomiques déterminent laconscience et le système politiqued’une société. Elle n’est pas nonplus sans rappeler le mythe de« Moscou – troisième Rome ».Cependant, cette approche seheurte à la brutalité des faits. Capi-talisme et ouverture ne profitentaujourd’hui en Russie qu’à uneminorité de la population ; l’heurede la bourgeoisie n’a pas encoresonné. La constitution de la Russieen un nouvel Occident ne sera-t-elle pas bloquée pour les mêmesraisons que l’intégration, c’est-à-dire la mise à distance de la sociétédans les processus de recomposi-tion politique ? À aucun moment,l’auteur n’aborde la question sui-vante : comment intéresser etmobiliser le corps social à l’ancragedes normes et règles occidentalessur le sol russe ? La croissance éco-nomique ne suffira sans doute pasà pallier l’immaturité politique.Comme toujours synthétique,D. Trenin poursuit, de livre enlivre, sa quête identitaire de la Rus-sie et des raisons d’espérer.

Tatiana Kastouéva-Jean

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