A près trois jours de voyage, entre avions et bus, nous arrivons à Manikaran, dernier vil­lage où la route carrossable s'arrête. Un

petit village au fond de la vallée de Parvati, à 1 200 m d'altitude, là où commencent beaucoup de petits chemins abrupts menant à d'autres villages plus petits et à des maisons isolée~. Les gens y vivent sim­plement, en travaillant leur terre pour nourrir toute leur famille. Leurs qualités et leur mode de vie pour­raient s'apparenter à ceux de nos ancêtres qui ont vécu à la même altitude dans les Alpes ... Dans les rues de Manikaran, nos regards croisent ceux d'enfants souriants, des sikhs (1) se rendent aux sources d'eau

chaude, les femmes lavent leur linge au bord des

rivières, des babas sirotent un tchaï (2) , un sadhu fait son yoga et des vaches sacrées déambulent devant un temple paisible. Je découvre une Inde sainte où les hommes et les animaux vivent en parfaite harmonie. Malgré cette ambiance apaisante, je lève souvent la tête. La neige est là, la montagne m'attire, il est temps de monter. Après une dizaine d'heures de marche dans le brouillard et chargés comme des mulets, nous arrivons avec notre petite équipe de porteurs au camp de base, à 3 400 mètres . Là, dressé devant nous, se trouve un immense rocher et, à son pied, notre grotte aménagée par Fredo et ses aides pour nous procurer un certain confort à l'ancienne. N'ayant ni chaises, ni table, il faut s'adapter à vivre à

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même le sol, comme les indigènes. Sur le sol et les murs, des tapis, des couvertures et de la paille en guise d'iso­lation. A dix mètres de la grotte, jaillissant des pierres, une source d 'une puretè absolue coule abondamment et nous permet de nous hydrater, de cuisiner, et de nous laver. .. de temps en temps ! Du bois et de la nourriture pour plusieurs semaines sont entreposés dans la "guffa", notre grotte. Le panneau solaire qui va nous permettre de charger les batteries d'un tèléphone satellite, d'un ordinateur et d'un appareil photo numérique donne à ce décalage un caractère particulièrement surréaliste. Il aura fallu trois mois à Fredo pour préparer cette maison tro­glodyte où, trois semaines durant, nous allons jouir de la solitude.

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Le lendemain de notre arrivée au camp, la météo étant toujours incertaine, nous décidons de construire un petit snowpark à proximité de la grotte. Pendant qu'on se fait plaisir quelque temps, nos deux aides, Amernatt et Prémou, restent comme paralysés et presque trem­blants. Ils croient voir des dieux en nous en observant notre façon de glisser et d'apprivoiser l'élément neige. Nous initions Prémou au snowboard, il découvre avec joie les plaisirs de la glisse. En échange, il nous enseigne le respect des divinités qui sont si généreuses. Nous célébrons alors Shiva dignement lors de sa fête annuelle, la Shivaratri. Shiva est le dieu le plus prié et le plus craint du Panthéon ; il détient l'énergie uni­verselle, il est le destructeur et le créateur.· Si je devais

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donner une image à Shiva , ce serait sans hésiter celle de ces colossales mon tagnes qui nous en tourent, à la fois attirantes et terr ifiantes.

Après cette courte acclim atation de deux j ours, nous commençons de bonnes randonnées journalières qui nous mènent à une gr ande arrête entre 4 500 et 5 000 mètres, surplombant d un côté de nombreuses vallées avec de petits villages et des cultures pleines de contrastes ve r t s , et d l'autre , le débu t de l'Himalaya et des montagnes enneigées, a ec des sommets entre 6 000 et 7 000 mètres . Chaque jour, nos randonnées nous offren t de nouvelles décou­vertes avec la faune et la flore , tôt le matin, afin de

profiter du lever du soleil et de cette lumière magique qui illumine chacun des immenses sommets e t réveille les animaux. Nous partons à la découverte de fantastiques images, immortalisées grâce à notre super photographe René Robert. Après trois semaines de randonnée, notre journée d'héliski est une belle récompense. Etonnée par notre niveau, sl't re de notre acclimatation et surprise par notre excitation à descendre des pentes sans avoir à les rem onter, l'équipe de l'hélico nous offre une ultime descente à 5 200 mètres dans un spot secret. A cette altitude, l'air ne porte plus assez, l'hélicoptère nous emmène un par un, la dépose est périlleuse et le pilo te s'y reprend à plusieurs fois. Mais de là-haut, je

Lolo Besse. Cyril e[ Sven dam les b.lin , choll cl, de MonikArrln .

découvre un paysage qui vaut tous les risques. C'est en ''jamily ride" que nous dévalons la longue pente de poudreuse ultra légère parsemée de séracs. Elle se ter­mine dans une gorge bordée de hauts murs de granit si imposants que je ne peux m'empêcher de penser aux "Portes des dieux et des hommes" gardées par Ganesh, fils de Sruva . Le passage de la porte se fait sans encombre, la "Concordia place", lieu où se rencontrent trois mers de glace, nous accueille, c'est grandiose ! Aussitôt redescendus à notre grotte, nous célébrons cette pure journée comme il se doit par une grande [ete, avec en prime une bouteille de vodka. Chacun s'est donné de bons moments de solitude, afin d'ap­précier chaque chose à sa juste valeur. Malgré des

conditions de vie rudimentaires, je quitte, la larme à l'œil, ce lieu qui m'a tant apporté et, avec lui, la petite souris, les ours, les chacals, les aigles et les écureuils volants qui nous ont tenu compagnie. Je regretterai enfin le grand froid aride et terrible qui pouvait chan­ger la neige transformée en poudreuse légère pendant la nuit.

Après avoir rejoint Manikaran, comme pour saluer une dernière fois cette vallée, nous décidons de repartir vers Khirganga (Il, un lieu sacré où, dit-on, du riz au lait jaillit. Un jour, un sadhu imprudent rendit les Dieux furieux, qui transformèrent la source sacrée en simple eau chaude. Même transformée, elle continuait

rI tà ut hu it heure , de marche

d'avoir des vertus curatives, notamment cel1e de soulager et de guérir les blessures. Nous en furent les premiers surpris car après huit heures de marche avec tout le matos sur de petits sentiers escarpés, nos jambes étaient vraiment lourdes et nous étions complètement épuisés. Mais après une bonne baignade, les courbatures disparurent comme par enchantement. René, qui avait amené d'un précé­dent voyage de l'eau du Gange, remercia les Dieux en versant ce précieux liquide dans cette course. Baignés par tant d'énergie et d'eau sacrée, nous étions prêts à rentrer. Mais encore fallait-il affronter Dehli, une ville beaucoup plus sournoise. A peine arrivés dans cette capitale aux mille sons et odeurs, le chauffeur de taxi

refusa de nous emmener là où on lui avait demandé .. . pour nous déposer finalement dans un hôtel beaucoup trop cher.

Les montagnes himalayennes m'ont apporté une cer­taine forme de sagesse. Notre cohabitation avec nos aides nous a apporté tout autant qu'à eux; en nous ouvrant à la différence, nous avons appris énormé­ment sur nous-mêmes, L'Inde ne laisse personne indifférent, elle peut même vous transformer. Ce voyage m'a éclairé. La découverte de ce pays aussi riche en religions qu'en culture s'est avérée passion­nante, mais l'écoute et la découverte de moi-même ont été encore plus intenses.

t'n Iode. ça st' prépare '\o ig ll ell st.:l1le n t. et avè'C de bOL1~ co ntacts . To ut è..'\l booké très longtl'nlp!lo ~ ".1 \ , net . 5wn Mennod se g:tve sur les sommets cl" Manala.

~ (1) Les sikhs O~I sadhus ou l'agis sonl des hommes q~li onl choisi une vie spiriluelle. Ils f01l1 d~1 yoga taule la journée, refusent tout apport exlé rie~lr pour vivre, porten t des dreads, vienllent de toutes les castes sans disctinction.

(2) /chaï : boisson typiquement indienne, au lait épicé.

(3) Khirganga est un lieu sacré très connu où loul le monde se rend en pèlerinage.

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