New Extrait de la publication… · 2013. 11. 7. · AUX ANTURIOS Palmas. professeursLe licenciéde...

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  • Aux Éditions Gallimard

    Romans

    ABRAXAS.

    SEPTIÈME.

    URUJAC.

    CARNAGE.

    LE RETOUR DU DIVIN.

    LA NA.

    LE VICTORIEUX.

    LES MÉDECINS NE SONT PAS DES PLOM-

    BIERS.

    CENT JOURS.

    LE MAÎTRE DE MILAN.

    MARIE DUBOIS.

    LES JARDINS ET LES FLEUVES.

    LA POUPÉE.

    INFANTICIDE PRÉCONISÉ.

    LES TOMBEAUX FERMENT MAL.

    MONORAIL.

    DIMANCHE M'ATTEND.

    Essais

    L'OUVRE-BOÎTE,™ collaboration avec Camille Bryen.

    L'ABHUMANISME.

    ENTRETIENS AVEC GEORGES CHARBONNIER.

    Suite de la bibliographie en fin de volume.

    DU MÊME AUTEUR

  • LA POUPÉE

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  • JACQUES AUDIBERTI

    LA POUPÉE

    roman

    nrf

    GALLIMARD

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  • © Éditions Gallimard, 1956, renouvelé en 1984.

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  • Pour son plaisir amer, Mirt s'amusaità chantonner un résumé de l'histoire du

    monde « Vers l'Atlantique, en dévalant lacordillère, à cinquante kilomètres de la ca-pitale, le domaine des Anturios affirme lapuissance, la richesse, la civilisation de Guil-lermo Lloira Moren, champion industriel etfinancier toutes catégories. Massive et gra-cieuse pyramide tronquée avec arcades et ter-rasses, la demeure baigne dans un délugeorganisé de plantes et de fleurs, cent millepieds d'essence diverse, où dominent les or-chidées, les œillets à plume, les anturios eux-mêmes et les rosiers de San Joaquin, quedes jardiniers en livrée verte et bleue entre-tiennent avec le soin le plus savant. Guil-lermo a une femme, dont il est fou, Marion,bien en chair, teinte, l'œil bleu, venue à lui

    AUX ANTURIOS

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  • LA POUPÉE

    à travers deux mariages homologués. A Ma-rion l'un de ces mariages donna une fille,Cynthia, Cynthia Ferrystone, qui vit à Pariset que Mirt n'a jamais vue. L'autre mariagelui laissa, moralement, le titre de baronne,contracté, en Angleterre, au flanc d'un maribaron.

    « Guillermo a lui-même une fille, Marta,dite Mirt, issue d'une première union. Ellea, disons, vingt ans. Ses cheveux surprennentd'être blonds, vu ses yeux noirs. Or ils sontblonds.

    « Est-ce tout? Ce serait trop beau Il fautencore compter, au nombre des familiers desAnturios et, aussi, du palais résidentiel queles Moren possèdent en ville, avenue duQuinze-Septembre, le colonel Octavio PradoRoth, ministre de la Guerre et chef réel dugouvernement. »

    Ce qui déplaît à Mirt, ce n'est pas tantque le colonel couche avec la baronne. Ils sevalent et ça les regarde. C'est que son père,qu'elle aime et qu'elle admire, ne s'en aper-çoive pas. Le bellâtre et la mondaine, pour-tant, ne se cachent guère. Elle, Mirt, elleconnaît leurs habitudes par le menu. Plu-sieurs fois, sans le vouloir, ensuite en le vou-lant, elle les a lorgnés, tant aux Anturiosqu'avenue du Quinze-Septembre, en train de

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  • AUX' ANTURIOS

    faire l'amour, l'homme chocolat très clair, lafemme jambon cuit.

    Sur le colonel Mirt a, d'ailleurs, des ren-seignements personnels.

    Leur souvenir précis la révolte, non sansla préoccuper d'une picotante nostalgie.

    Aux Anturios, dans la serre, des végétauxvert sombre masquent, de leurs feuilles, deleurs flammes et de leurs palmes, les murstransparents. C'est la forêt primitive, illimi-tée. Une pluie invisible enchante. On de-vient feuille. On devient flamme. On devient

    palme. A hauteur de sein, les anturios étalentleurs larges corolles mauves, lourdes ome-lettes un peu convulsées, lisérées de carminsur les bords, avec, au centre, le long pistiljaune foncé, tantôt rigide, tantôt recourbé, àl'épiderme granuleux. Un jour, Mirt, un bou-quin à la main, Pirandello, en italien, étaitvenue dans la serre.

    Le colonel, immobile, était dans la serre.Elle ne l'avait pas vu.

    Il attendait Marion quel nomMirt, d'un coup, eut, devant elle, les dents

    du colonel, qui riait d'un rire nasal. Elleesquissa un cri. Lui, déjà, il s'était mis àreproduire, au moyen de son propre orga-nisme, avec une prodigieuse fidélité, en ren-chérissant, le pistil des anturios. Elle s'en-

  • LA POUPÉE

    fuit, montrée au doigt par cette nudité crue.Dans la brusque fente révélatrice du pan-

    talon de cette ordure de colonel elle avait

    encaissé, elle en était mortifiée! la répliquede ses propres regards avides et furtifs sur cecouple de cochons. L'exhibition, du tac autac, équilibrait l'indiscrétion. La voyeuse en-trait dans le champ.

    Aujourd'hui, dimanche, la baronne estseule aux Anturios. Guillermo est reparti laveille, après avoir, comme à l'ordinaire, cou-vert sa femme de bons procédés. La baronnes'est foulé une cheville. C'est, du moins, cequ'elle prétend. Mirt opte pour le rhuma-tisme. De toute façon cette assommante per-sonne ne rentrera que lundi avenue duQuinze-Septembre.

    Mirt, ce matin, a fait semblant de partir,elle aussi. Elle a pris la Plymouth crème. Apeine hors du domaine, elle a laissé la voi-ture, invisible de la maison, au premier tour-nant de la route qui, là, vers la hauteur,commence à s'encaisser. Elle a longé le talusgazonné, le fossé d'eau courante. Elle estrentrée, à la corne du parc, vers le couchant,par les caféiers expérimentaux.

    La baronne attend quelqu'un. Pas le colo-nel. Quelqu'un.

    Qui?

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  • AUX ANTURIOS

    Palmas.

    Le licencié Democrito Palmas, l'un desprofesseurs de Mirt, un homme de la plusgrande valeur.

    Mirt n'est pas le moins du monde éprisede Palmas. Mais elle s'agace, elle s'enrage,jusqu'à se gratter, de la convoitise conqué-rante de Marion. Le colonel et la baronne,

    parfait! Mais Guillermo, mais Palmas, com-ment est-il même possible que cette pouffiasseles connaisse, qu'elle leur parle!

    La baronne a téléphoné à Palmas. Detoute sa voix, comme d'habitude. Ainsi Mirta su.

    Palmas! Quand elle pense à lui, elle ritd'attendrissement.

    « La formule que vous avez devant lesyeux, Mesdemoiselles, cette formule ramassedans son équilibre toutes les phases de lamatière. de la matière. Notez, Mesdemoi-selles, vous n'avez pas à vous en servir tousles jours. Le fameux problème élémentairedes deux robinets, vous savez, les deux robi-nets. Il n'est pas écorné, le problème. Lesdeux robinets robinettent toujours. Je veuxdire, ce n'est pas une formule qui. Le rai-sonnement mathématique, jusqu'à présent,masquait le vide sous une apparence decontinuité logique. La science n'est rien tant

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    qu'elle n'a pas trouvé le joint d'une commu-nauté transgénitale des agrégats personnels.Mais il va de soi que son but le plus proche,le plus urgent et le plus passionnant demeurela réfraction cellulaire. »

    La réfraction cellulaire. Sa manie. Sa

    forteresse. Probablement la meilleure carte

    de la république. Les connaisseurs, en effet,jugeaient grandiose cette théorie. Ils n'étaientpas loin de voir, en Democrito Palmas, unnouvel Einstein, capable de résoudre lesénigmes laissées en suspens par le père de larelativité, au premier rang desquelles la dé-concertante aptitude des feuilles de thé à serire de toutes les passoires et le pli qu'ontles chiens de tourner trois fois sur eux-mêmes

    avant de se coucher.

    Aux Anturios, les vastes bâtiments mo-dernes englobent les vestiges d'une masurerustique. La chambre de Marion s'accote àune partie de cette masure, une sorte de gale-rie étroite, à jamais imprégnée d'une odeurdouceâtre, une odeur faisandée de temple oude marécage. Un soir, Mirt, toujours attiréepar le corps de logis primitif, rôdait dans cettegalerie. Elle découvrit un point vifde lumière.La chambre de la baronne était trouée, oh!à peine, juste une maille défaite entre deuxbriques, sans doute au fond de la niche que

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  • AUX ANTURIOS

    Marion a fait ménager dans la pleine épais-seur de la paroi de sa chambre pour y dres-ser une statuette. Mirt, aujourd'hui, se dis-pose à se régaler de ce qu'elle déteste.

    Le trou d'affût, par malheur, est assez bas,de telle sorte qu'elle ne peut en user que lesjambes étendues l'une sur l'autre, le bustecrispé sur un coude.

    En cette posture désagréable elle absorbe,comme par un viseur d'appareil photogra-phique, la tonalité générale bleu sombrede la pièce, où se détache l'hallucinanteblancheur des dents du colonel sur une

    photo.Avec ce sourire rectangulaire en hauteur,

    précis comme un clips, que Mirt appelle lesourire boutique, la baronne se tortille, s'alan-guit et se déploie dans un fauteuil cyclamendont une couverture faite de plusieurs peauxde jaguars, disques noirs sur fond jaune clair,drape le dossier. Elle est en corsaire et che-misier, les cheveux défaits, les pieds nus surun coffret de nacre.

    Teodora lui masse la cheville.

    Teodora est d'origine chibcha: En sarraubleu et vert, elle porte sur la tête un ridi-cule diadème de toile amidonné.

    La baronne téléphone. L'appareil est cou-ché, dans la fourrure, à côté de sa tête. Sa

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  • LA POUPÉE

    main gauche, passant sous ses cheveux peints,caresse l'appareil de la pulpe des doigts.

    Elle parle de biais. Elle parle au colonel,dans un brouhaha de rires, sanglots et rou-coulements.

    « Carnavalesque! C'est une foulure. Unetoute petite foulure. Bien sûr, je l'attends!Mais c'est vous qui me l'avez. Tu sais bienque je n'aime que toi. Quand ? Je t'en sup-plie. Dis-moi quand. C'est trop long. Vousme déchirez. Mon enrageur! Aïe! Tu mefais mal. Non, je parle à Teodora.

    C'est le mal, dit la servante. Il dit son

    nom quand il part.Tavio Tavio Tu es là ? Tavio » Elle

    se tourne sur l'autre flanc. « Il est parti.Quand c'est donc que Madame elle

    finira la folie. De plus en plus Madame elleaurait mieux fait d'être ma fille. »

    Mirt, à part « Elle l'est. De qui pourrait-elle sortir, sinon d'une vache comme toi! »

    « Si Madame elle était ma fille, je larenfermerais à triple tour, je l'empêcheraisde cavalcader. »

    La baronne se mit sur son séant. Sans rime

    ni raison elle ébaucha des exercices assou-

    plisseurs. Ses mains, allongées, touchèrent sesorteils.

    « Je me demande comment tu pourrais da-

  • AUX ANTURIOS

    vantage me tourmenter. Écoute-moi. Je vou-lais rester ici sans voir personne, personne dela famille, de la maison. Le père, la fille, j'enattrape le choléra, de leurs trombines. Pasmême toi. Pas même moi, si c'était possible.Je te l'avais dit, pourtant, je te l'avais répété.Les jardiniers suffisent pour me protéger. Per-sonne. Là-dessus, tu te ramènes par le car.

    C'est pour le bonheur de Madame.Tu n'as donc pas envie d'avoir un jour

    à toi, tout grand, à toi, pour toi. C'est tondroit.

    Ce grand jour, j'en ferais quoi?Tu compterais les bolivars que tu mets

    de côté.

    -Je n'arrête pas de les compter. Qu'est-cequ'on a pour se distraire, nous, les pauvres

    gens ? L'argent. Nous y pensons tout le temps.Tu m'emmielles. Reprends le car. J'ai

    quatre chauffeurs et ma bonne prend le car.Adorable! »

    Mirt, à elle-même « Les chauffeurs, ilssont à papa. Kleptomane »

    Téodora insiste « Mais qu'est-ce que jegratterais, Madame, toute seule, veuve dema patronne, orpheline de ma fille? Mesbras et mes yeux pour vous voir, pour voustoucher, sans que vous soyez là! Douleur!Douleur, mais justice! Si tu veux que je me

  • LA POUPÉE

    repose, donne-moi deux cents bolivars. Au-trement je ne me reposerai pas. Ma cabochetravaillera.

    Deux cents bolivars ? Tu rêves.

    Je suis de ces vieilles femmes qu'ellesrêvent en parlant.

    Tu les auras. Prends-les dans la com-

    mode et puis fous-moi le camp. »Ses billets dans la main, Teodora tombe

    en arrêt devant la photo du colonel, toutesdents dehors, plantée sur un guéridon demarbre. A travers la masse fagotée de lafemme de chambre,qui, pour le moment, ledissimule, ce sale type persiste à vibrer dehennissante masculinité jusque dans la racinedes cheveux de Mirt.

    « Il frise, dit Teodora. Signe de pluie.L'étoile Jupiter, d'ailleurs, elle a fait du sangcette nuit. L'homme qui viendra, trois pa-roles qu'il dira, douze larmes tu verseras. »

    A toute volée, le téléphone, un téléphoned'ivoire, truffé d'or, quel goût! frappe leslarges fesses de Teodora. La baronne hurle« Vampire Abrutie Indigène Chapeau me-lon » Teodora sort.

    La baronne se met debout, fait quelquespas. Elle tourne la tête vers la fenêtre. Elledit « Les oiseaux! » Pour une fois l'accent

    est sympathique. Mirt hausse les épaules. La

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  • AUX ANTURIOS

    baronne ajoute « Excrément! Je boite »Elle allume une cigarette, une infecte Cou-gno, la marque en vogue dans les salons decoiffure. Savourez votre Cougno sans aucune pré-occupation médicale, scientifique ou philosophique,répétait la célèbre réclame des cigarettes Cou-gno. « Avec toi, ma vieille, ricanait Mirt,elles peuvent être tranquilles. »

    La baronne se touche la peau sous lesyeux. Puis elle lèche, à grandes langues, ledos de sa main droite.

    Trois coups de klaxon résonnent, netscomme du morse. Elle se hâte vers la fe-

    nêtre, criant, riant, appelant « Professeur!Cher professeur Montez Venez Je suis làJe vous attends! Cristian, montrez le che-min au professeur! »

    Quelle voix perçante A croire que le murde la chambre fut percé par cette voix!

    Mirt a de la peine, beaucoup. L'illustremaître, ici, dans cette tanière de rombièreteinte, pourquoi?

    Elle ne le voit pas tout de suite quand ilpénètre dans la chambre. Le viseur est tropétroit. Elle sent, elle entend le gros vacarmede salamalecs embrasseurs dont la baronne

    accueille le grand homme. « Cristian n'a pasconduit trop vite?Vous devez me détester devous avoir arraché à vos travaux. Baste Un

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  • LA POUPÉE

    peu moins d'altitude fait toujours du bien. »Pour qui vient de la capitale la plaine, eneffet, s'amorce à partir d'ici. Mais, flagor-neuse, Marion parle peut-être au figuré.

    Elle lui parle, en tout cas, comme à unenfant. Mirt, à présent, l'examine à loisir.Palmas est, comme d'habitude, maigre, fra-gile, les cheveux en désordre, avec, par levisage, ce poil incompréhensible, trop longsi l'on convient que Palmas ne porte pas labarbe, trop court s'il est censé la porter.L'homme est en tissu clair, de bonne qualité,mais chiffonné, plaqué, tordu. Il a toujoursl'air en état de bourrasque ou de noyade.

    D'autorité, Marion l'a mis, près d'elle,dans le fauteuil qu'elle n'a pas quitté, contresa cuisse ferme et pantalonnée, dans un es-pace dérisoire que, rongé de timidité, lemalheureux rétrécit encore. On ne saurait

    être plus mal installé. Les fesses au bord, ila, derrière lui, la tête de Marion. Pour lui

    parler en face, il se déboîte et se dévisse. Sonprofil finit par tourner le dos à ses proprespieds inquiets. Il reçoit en écharpe dans lafigure d'épaisses bouffées de Cougno. Ellel'envahit, l'asphyxie.

    « Vous êtes bien ? Vous êtes confortable ?

    Cher professeur, la plus ignorante, la plusignorante mais la plus sincère, la plus igno-

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