Néphrotoxicité des médicaments

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REIN ET PATHOLOGIES REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2013 - N°455 // 75 article reçu le 30 mai, accepté le 3 juin 2013. © 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. SUMMARY Drug-induced nephrotoxicity All compartments of the kidney can be affected by drug induced nephrotoxicity. Different mechanisms of drug induced acute kidney injury (AKI) can be des- cribed such as prerenal AKI, tubulopathies, interstitial nephritis, glomerulonephritis, vascular nephropa- thies, crystalluria etc. Drug induced nephrotoxicity is multifactorial. A number of factors enhance the vulnerability of the kidney to the nephrotoxic effects of drugs. They are broadly categorized as patient- specific, kidney-related, and drug-related factors. Drug-induced kidney disease occurs primarily in patients with underlying risk factors. Recognizing risk factors, using preventive strategies and avoiding nephrotoxic medications are the first steps in reducing the renal complications of drugs. Acute kidney injury – acute tubular necrosis – acute interstitial nephritis – chronic renal disease – aminoglycosides – platinum – targeted therapies – methotrexate – hydration. RÉSUMÉ Les effets rénaux des médicaments se manifestent par divers mécanismes et peuvent potentiellement toucher toutes les parties du rein. Il existe six types d’atteintes rénales induites par les médicaments : les atteintes pré- rénales ; les néphropathies tubulaires ; les néphropathies interstitielles ; les néphropathies glomérulaires ; les néphropathies vasculaires et les néphropathies obstructives, telles que les cristalluries, les insuffisances rénales aiguës secondaires à des rhabdomyolyses, etc. La néphrotoxicité des médicaments survient principalement chez des patients ayant des facteurs de risque sous-jacents, pouvant rendre le rein plus fragile aux effets iatrogènes. On distingue les facteurs de risque liés au patient (âges extrêmes, hypovolémie, insuffisance rénale chronique préexistante…), ceux liés au rein et ceux liés au traitement (posologie non adaptée, néphro- toxicité cumulée, diurétiques, anti-inflammatoires non stéroïdiens…). La connaissance des facteurs de risque et des mécanismes de néphrotoxi- cité sont la base d’une meilleure prévention et également d’une meilleure prise en charge de ces patients. Insuffisance rénale aiguë – nécrose tubulaire aiguë – néphropathie interstitielle aiguë – insuffisance rénale chronique – aminosides – platine – thérapies ciblées – méthotrexate – hydratation. Sarah Zimner-Rapuch a, *, Sabine Amet a , Nicolas Janus a , Gilbert Deray b , Vincent Launay-Vacher a Néphrotoxicité des médicaments 1. Introduction Le rein et le foie ont des fonctions d’élimination complé- mentaires. Le rein assure l’élimination des substances hydrophiles dont le poids moléculaire est approximative- ment inférieur à 500 daltons. Le foie prend en charge les substances non ioniques lipophiles dont le poids molécu- laire est supérieur à 300-500 daltons et fortement liées aux protéines plasmatiques. Le métabolisme des médicaments a principalement lieu au niveau hépatique et entraîne la formation de métabolites polaires et hydrophiles dont l’éli- mination est principalement rénale. Ainsi, d’une manière ou d’une autre, la plupart des médicaments transitent par le rein. Au-delà de cet aspect, le rein est particulièrement sensible à la toxicité des médicaments et ce pour diverses raisons. Tout d’abord, le débit sanguin rénal correspondant a Service ICAR – Service de néphrologie b Service de néphrologie Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière – Charles-Foix (AP-HP) 47, bd de l’Hôpital 75651 Paris cedex 13 * Correspondance [email protected] à 25 % du débit cardiaque. Comparé aux autres tissus, excepté le cerveau, cela correspond à une exposition potentiellement 50 fois plus importante au médicament. De plus, le rein possède la plus importante surface endo- théliale par gramme de tissu et la plus grande pression capillaire hydrostatique favorisant le captage d’anticorps et de complexes immuns. C’est également au niveau rénal que se produit majoritairement la dissociation des liaisons protéiques. En outre, c’est au niveau distal du néphron que les urines sont concentrées et qu’il existe un risque majeur de précipitation de cristaux. Au-delà de cet aspect physiologique, la néphrotoxicité des médicaments survient principalement chez des patients ayant des facteurs de risque sous-jacents, pouvant rendre le rein d’autant plus fragile aux effets iatrogènes [1]. 2. Épidémiologie L’étude prospective EMIR, menée en 2007 par le réseau des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) de Bordeaux sur un échantillon représentatif des services de spécialités médicales (court séjour) tirés au sort dans l’ensemble des centres hospitaliers universitaires (CHU) et CH, visait à disposer de données actualisées de l’inci- dence des hospitalisations motivées par la survenue d’un effet indésirable médicamenteux. Selon les résultats de cette étude, l’incidence d’événements iatrogènes était

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2013 - N°455 // 75

article reçu le 30 mai, accepté le 3 juin 2013.

© 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

SUMMARY

Drug-induced nephrotoxicity

All compartments of the kidney can be affected by drug induced nephrotoxicity. Different mechanisms of drug induced acute kidney injury (AKI) can be des-cribed such as prerenal AKI, tubulopathies, interstitial nephritis, glomerulonephritis, vascular nephropa-thies, crystalluria etc. Drug induced nephrotoxicity is multifactorial. A number of factors enhance the vulnerability of the kidney to the nephrotoxic effects of drugs. They are broadly categorized as patient-specific, kidney-related, and drug-related factors. Drug-induced kidney disease occurs primarily in patients with underlying risk factors. Recognizing risk factors, using preventive strategies and avoiding nephrotoxic medications are the first steps in reducing the renal complications of drugs.

Acute kidney injury – acute tubular necrosis – acute interstitial nephritis – chronic renal disease – aminoglycosides – platinum – targeted therapies –

methotrexate – hydration.

RÉSUMÉLes effets rénaux des médicaments se manifestent par divers mécanismes et peuvent potentiellement toucher toutes les parties du rein. Il existe six types d’atteintes rénales induites par les médicaments : les atteintes pré-rénales ; les néphropathies tubulaires ; les néphropathies interstitielles ; les néphropathies glomérulaires ; les néphropathies vasculaires et les néphropathies obstructives, telles que les cristalluries, les insuffisances rénales aiguës secondaires à des rhabdomyolyses, etc. La néphrotoxicité des médicaments survient principalement chez des patients ayant des facteurs de risque sous-jacents, pouvant rendre le rein plus fragile aux effets iatrogènes. On distingue les facteurs de risque liés au patient (âges extrêmes, hypovolémie, insuffisance rénale chronique préexistante…), ceux liés au rein et ceux liés au traitement (posologie non adaptée, néphro-toxicité cumulée, diurétiques, anti-inflammatoires non stéroïdiens…). La connaissance des facteurs de risque et des mécanismes de néphrotoxi-cité sont la base d’une meilleure prévention et également d’une meilleure prise en charge de ces patients.

Insuffisance rénale aiguë – nécrose tubulaire aiguë – néphropathie interstitielle aiguë – insuffisance rénale chronique –

aminosides – platine – thérapies ciblées – méthotrexate – hydratation.

Sarah Zimner-Rapucha,*, Sabine Ameta, Nicolas Janusa, Gilbert Derayb, Vincent Launay-Vachera

Néphrotoxicité des médicaments

1. Introduction

Le rein et le foie ont des fonctions d’élimination complé-mentaires. Le rein assure l’élimination des substances hydrophiles dont le poids moléculaire est approximative-ment inférieur à 500 daltons. Le foie prend en charge les substances non ioniques lipophiles dont le poids molécu-laire est supérieur à 300-500 daltons et fortement liées aux protéines plasmatiques. Le métabolisme des médicaments a principalement lieu au niveau hépatique et entraîne la formation de métabolites polaires et hydrophiles dont l’éli-mination est principalement rénale. Ainsi, d’une manière ou d’une autre, la plupart des médicaments transitent par le rein. Au-delà de cet aspect, le rein est particulièrement sensible à la toxicité des médicaments et ce pour diverses raisons. Tout d’abord, le débit sanguin rénal correspondant

a Service ICAR – Service de néphrologie b Service de néphrologieGroupe hospitalier Pitié-Salpêtrière – Charles-Foix (AP-HP)47, bd de l’Hôpital75651 Paris cedex 13

* [email protected]

à 25 % du débit cardiaque. Comparé aux autres tissus, excepté le cerveau, cela correspond à une exposition potentiellement 50 fois plus importante au médicament. De plus, le rein possède la plus importante surface endo-théliale par gramme de tissu et la plus grande pression capillaire hydrostatique favorisant le captage d’anticorps et de complexes immuns. C’est également au niveau rénal que se produit majoritairement la dissociation des liaisons protéiques. En outre, c’est au niveau distal du néphron que les urines sont concentrées et qu’il existe un risque majeur de précipitation de cristaux. Au-delà de cet aspect physiologique, la néphrotoxicité des médicaments survient principalement chez des patients ayant des facteurs de risque sous-jacents, pouvant rendre le rein d’autant plus fragile aux effets iatrogènes [1].

2. Épidémiologie

L’étude prospective EMIR, menée en 2007 par le réseau des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) de Bordeaux sur un échantillon représentatif des services de spécialités médicales (court séjour) tirés au sort dans l’ensemble des centres hospitaliers universitaires (CHU) et CH, visait à disposer de données actualisées de l’inci-dence des hospitalisations motivées par la survenue d’un effet indésirable médicamenteux. Selon les résultats de cette étude, l’incidence d’événements iatrogènes était

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de 4,91 % chez les 65 ans et plus et de 5,50 % chez les plus de 75 ans [2]. Plus particulièrement, la toxicité rénale induite par les médicaments représente 15 à 27 % des cas d’insuffisance rénale aiguë (IRA) recensés à l’hôpital [3-5].Les principales formes de néphrotoxicité sont une néphrite interstitielle et des modifications hémodynamiques. Les médicaments les plus souvent en cause sont les amino-sides et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) [6]. L’IRA est d’autant plus fréquente chez les patients âgés, avec une incidence pouvant aller jusqu’à 60 % [4, 7], et chez les patients admis en unité de soins intensifs avec une incidence de 20 à 30 % dont 6 % nécessitant une épuration extra-rénale continue [4].

3. Diagnostic d’une insuffisance

rénale aiguë

La créatininémie est classiquement utilisée en pratique clinique pour estimer la fonction rénale. Néanmoins, sa sensibilité et sa spécificité sont faibles dans le diagnostic d’une IRA car l’augmentation de la créatininémie est retar-dée par rapport au moment de l’atteinte rénale [8]. Dans les études toxicologiques, le « gold standard » permettant l’observation d’une IRA est l’histopathologie. Toutefois en pratique clinique, il n’est pas toujours aisé de réaliser des ponctions de biopsies rénales et d’en faire l’analyse histopathologique. Il existe néanmoins 6 « signes d’alerte » d’une IRA [9] :1. une urée sanguine et une créatininémie élevées,2. une baisse du débit de filtration glomérulaire (DFG),3. la présence de sang et/ou de protéines dans les urines,4. une tension artérielle élevée,5. une polyurie et/ou une dysurie,6. un grossissement des mains et des pieds, un gonflement

du contour des yeux.Ces signes ne sont bien entendu pas spécifiques d’une atteinte rénale et peuvent correspondre à d’autres toxi-cités organiques.Ainsi, il existe deux classifications des IRA, appelées RIFLE (risk, injury, failure, loss and end-stage renal disease) et AKIN (acute kidney injury network). Les critères de RIFLE permettent de définir le degré de sévérité de l’atteinte rénale et les conséquences de celle-ci (récupération possible ou atteinte irréversible) (tableau I) [8]. AKIN se base sur la classification RIFLE et fournit, quant à elle, une définition de l’IRA [8]. Celle-ci se définit :

- soit par une augmentation de la créatininémie (≥ 0,3 mg/dL ou 26,5 μmol/L) en valeur absolue ou ≥ 50 % en pour-centage ou ≥ 1,5 fois le taux de base,

- soit par une oligurie (≤ 0,5 mL/kg/h pendant plus de 6 heures).

Les dernières recommandations cliniques des Kidney disease improving global outcomes (KDIGO) préconisent une utilisation prospective de ces classifications afin d’anti-ciper une atteinte rénale chez des patients à risque de développer une IRA [10].Par ailleurs, des biomarqueurs d’atteinte rénale iatrogène ont été identifiés et sont en cours de validation. Ces biomar-queurs permettront de réaliser une détection plus précoce de l’atteinte rénale et procureront des informations sur le site néphronique touché et le mécanisme intrinsèque de cette toxicité. Il s’agit par exemple de la kidney injury molecule-1 (KIM-1), de la neutrophil gelatinase-associated lipocalin (NGAL), et de la N-acetyl glucosaminidase (NAG) [11] (voir l’article « L’exploration du rein en 2013 » dans RFL « Reins et pathologies (1) », N° 451, avril 2013). À terme, ces bio-marqueurs seront utilisés par l’industrie pharmaceutique au moment des essais cliniques afin de déterminer le potentiel néphrotoxique d’un médicament en développement [9].

4. Mécanismes

physiopathologiques

4.1. Atteinte pré-rénaleLorsqu’il existe une hypoperfusion rénale, la réponse physiologique normale consiste en une augmentation de la synthèse de prostaglandines par le rein. L’enzyme responsable de la biotransformation de l’acide arachido-nique en prostaglandine est la cyclo-oxygénase (COX). En conditions physiologiques, l’augmentation de la pro-duction de prostaglandines permet une vasodilatation des artérioles afférentes et une meilleure irrigation au niveau glomérulaire. Toutefois, chez les patients présentant une hypoperfusion rénale (maladie rénale préexistante, sepsis, insuffisance cardiaque…), cette réponse physiologique peut être insuffisante pour maintenir le flux sanguin rénal. Cette réponse peut en outre être altérée par des médicaments capables d’inhiber la synthèse de prostaglandines, c’est le cas des AINS [4].Cette hypoperfusion rénale associée à un traitement favo-risant l’hypovolémie peut ainsi entraîner une IRA dite pré-rénale. Celle-ci est caractérisée par une réversibilité rapide de l’atteinte rénale [4]. Les médicaments susceptibles d’entraîner une IRA pré-rénale sont ceux provoquant une déplétion volémique tels que les AINS, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les sartans, les diurétiques, la ciclosporine, etc.

4.1.1. Exemple des AINSL’inhibition de la synthèse des prostaglandines par les AINS entraîne une diminution du flux sanguin rénal et de la filtration glomérulaire. C’est essentiellement au cours des situations pathologiques où le système rénine-angiotensine est fortement stimulé que l’action des AINS favorise l’appa-rition d’une insuffisance rénale. Ces insuffisances rénales ne se traduisent en règle générale que par une élévation

Tableau I – Classification RIFLE [8].Débit de filtration

glomérulaire

(DFG)

Diurèse

Sévérité

Risk x 1,5 < 0,5 mL/kg/h pendant 6 h

Injury x 2 < 0,5 mL/kg/h pendant 12 h

Failure x 3 < 0,3 mL/kg/h ou anurie pendant 12 h

Évolution

Loss Perte complète fonction rénale > 4 semaines

End stage renal disease Besoin d’épuration extra rénale > 3 mois

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de l’urée et de la créatinine sanguines, sans protéinurie ni anomalies du sédiment urinaire. Elles sont généralement rapidement réversibles à l’arrêt du traitement, la dialyse étant exceptionnellement nécessaire [12].

4.1.2. Exemple de la ciclosporineUne des formes de toxicité rénale de la ciclosporine est liée au déséquilibre entre les médiateurs vasoconstricteurs et vasodilatateurs, menant à une vasoconstriction intra-rénale intense et à une baisse du débit sanguin rénal, une augmentation de la résistance vasculaire et une dégrada-tion du DFG. La vasoconstriction survient principalement dans l’artériole afférente [13].Il est intéressant de préciser qu’un même médicament peut être à l’origine de différentes atteintes rénales. C’est le cas des AINS qui peuvent également engendrer une néphropathie interstitielle aiguë immuno-allergique avec ou sans syndrome néphrotique.

4.2. La nécrose tubulaire aiguë (NTA)Il existe plusieurs types de NTA. Celle induite par les médi-caments est dite NTA toxique. Elle est caractérisée, en histopathologie, par une nécrose de l’épithélium tubu-laire proximal. Les cellules nécrotiques tombent dans la lumière tubulaire, l’obstruent et provoquent une IRA. La membrane basale est intacte, de sorte que la régénéra-tion de l’épithélium tubulaire est possible. Les glomérules ne sont pas affectés.Les médicaments classiquement responsables des NTA toxiques sont les aminosides, les produits de contraste iodés et l’amphotéricine B sous forme nue. Des antiviraux peuvent également être à l’origine de NTA, tels que l’adé-fovir, le cidofovir, le foscarnet, le ténofovir etc.

4.2.1. Exemple des aminosidesLe mécanisme de la toxicité rénale des aminosides est lié à un effet cytotoxique direct, dose-dépendant, dû à l’accu-mulation excessive de ces médicaments dans le cortex rénal [14]. Cette accumulation est par ailleurs corrélée aux concentrations sériques de l’aminoside [15].La néphrotoxicité est le plus souvent cliniquement silen-cieuse. La polyurie, due à un défaut de concentration des urines, peut être l’un des signes précoces. C’est l’élévation de l’urée et de la créatinine sanguines qui fait découvrir l’atteinte rénale, laquelle apparaît habituellement entre le 5e et le 8e jour de traitement. Les atteintes tubulaires sont prédominantes secondaires à une fixation de l’aminoside sur les récepteurs de la bordure en brosse des cellules tubu-laires rénales et à son accumulation dans les lysosomes. Cette accumulation entraîne une libération d’enzymes qui détruisent les cellules tubulaires. Les examens histologiques mettent en évidence d’importantes lésions tubulaires sié-geant principalement dans la partie proximale du néphron. Les tubules perdent leur bordure en brosse, l’épithélium tubulaire est en partie nécrosé, les lumières sont élargies et encombrées de débris cellulaires. En plus de l’atteinte tubu-laire, il a été rapporté une atteinte glomérulaire ainsi qu’une atteinte vasculaire pouvant expliquer la baisse du débit de filtration glomérulaire et de l’excrétion rénale [16, 17]. L’atteinte due à la néphrotoxicité est habituellement réver-sible lors de l’arrêt du traitement.

4.2.2. Exemple du foscarnetLa néphrotoxicité au foscarnet, quant à elle, concerne environ 2/3 des malades traités par ce médicament. En l’absence de mesures préventives, les patients peuvent présenter une augmentation de la créatinine d’au moins 25 % par rapport aux chiffres de base [18]. Cette inci-dence est de l’ordre de 5 à 10 % lorsque les patients sont hydratés. L’IRA s’explique par un effet néphro-toxique direct essentiellement sur les cellules tubulaires proximales avec vacuolisation et nécrose. Les manifes-tations rénales sont observées en général entre la 2e et la 3e semaine du traitement et corrélées à la dose cumulative du médicament qui est en rapport avec les concentrations plasmatiques du foscarnet et la durée du traitement. Dans 10 à 15 % des cas, la mise en place d’une hémodialyse temporaire peut être nécessaire. La protéinurie est en règle générale inférieure à 1 g/jour. L’insuffisance rénale est habituellement régressive sur une dizaine de jours après l’arrêt du médicament mais dans certains cas le retour de la créatininémie à la nor-male ou aux chiffres de base peut prendre quelques mois, notamment chez les sujets ayant une insuffisance rénale préexistante.

4.2.3. Exemple des produits de contraste iodés (PCI)Concernant les PCI, la cytotoxicité tubulaire rénale est directement liée à la durée d’exposition de ces cellules à ces composés d’où l’importance d’un débit urinaire élevé avant, pendant et après la procédure pour limiter le temps de contacts entre le PCI et les cellules tubulaires [19].

4.3. La néphrite interstitielle aiguë (NIA)Les NIA sont en règle générale secondaires à un mécanisme immuno-allergique. Les manifestations extrarénales (fièvre, éruption cutanée, éosinophilie) sont alors très caractéris-tiques de ce type d’atteinte rénale et surviennent après plusieurs semaines suivant la mise en place du traitement ou bien dans les 3 à 5 jours suivant une seconde admi-nistration [4]. Les manifestations rénales peuvent être une éosinophilurie et une pyurie stérile. L’atteinte rénale est habituellement réversible en quelques jours à quelques mois, excepté dans le cas des anticalcineurines pour lesquelles la néphrite interstitielle est chronique et géné-ralement irréversible [4]. La NIA représente 3 à 15 % des IRA médicamenteuses.La famille médicamenteuse classiquement responsable de NIA sont les pénicillines [20]. Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) peuvent également être à l’origine d’une NIA [21]. Dans une étude portant sur 296 patients ayant bénéficié d’une biopsie rénale, une NIA était diagnos-tiquée chez 24 patients (8,1 %). Pour 58 % de ces cas (14 patients), l’origine était médicamenteuse. Parmi ces 14 patients, 6 ont présenté une NIA secondaire à l’utilisa-tion de l’oméprazole et 2 patients suite à l’utilisation du lansoprazole [22], tous des IPP. Il existe dans la littérature également des cas de NIA secondaire à l’esoméprazole [22], au rabéprazole [23] et au pantoprazole [24]. La NIA secondaire à l’administration des IPP est la conséquence d’une réaction d’hypersensibilité, dont le mécanisme exact n’est pas clairement élucidé.

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4.4. Les néphropathies obstructivesLa néphropathie obstructive est objectivée par l’existence d’un obstacle sur la voie excrétrice. Une obstruction tubu-laire peut être induite par divers médicaments tels que l’aciclovir, le methotrexate, la sulfadiazine… L’obstruction créée par le médicament ou bien par ses métabolites peut être située au niveau tubulaire ou bien plus bas dans l’appareil urinaire et provoquer des lithiases. Les facteurs de risque les plus fréquents sont une insuffisance rénale préexistante, des antécédents lithiasiques et un manque d’hydratation.L’aciclovir (antiviral) est un produit cristallin, relativement insoluble dans les urines en particulier dans la partie distale des tubules où le flux urinaire est diminué. Ce phénomène peut être à l’origine d’une insuffisance rénale de type obstructif suite à la précipitation de cristaux d’aciclovir dans la lumière tubulaire dont plusieurs cas ont été rapportés dans la littérature et dont la fréquence est d’environ 10 % chez l’adulte [25]. En dehors d’une insuffisance rénale de type obstructif, l’aciclovir peut entraîner une atteinte interstitielle aiguë [26, 27] et une nécrose tubulaire aiguë [28]. Une cristallurie isolée est un signe précoce de néphropathie cristalline à l’aciclovir [29]. L’insuffisance rénale secondaire à la précipitation de cristaux, semble être dépendante de la dose administrée et de la voie d’administration. L’administration rapide d’aciclovir à une forte posologie par voie intraveineuse (bolus) est associée à un risque élevé de précipitation de cristaux dans les tubules [25, 30]. L’insuffisance rénale peut être anurique [31]. Le délai d’apparition de l’insuffisance rénale est généralement très rapide et se situe entre 24 h et 96 h après le début du traitement [25]. Son évolution est favorable après l’arrêt de l’aciclovir et l’augmenta-tion des apports hydriques. De rares cas d’insuffisance rénale sévère ont nécessité une épuration extrarénale [30, 32]. Les facteurs de risques d’insuffisance rénale liée à l’aciclovir consistent en une restriction hydrique, une posologie élevée administrée en bolus, une concentration plasmatique > 20 μg/mL [33], une insuffisance rénale pré-existante et une association avec un autre médicament néphrotoxique.La rhabdomyolyse, effet indésirable potentiellement grave provoqué par certains surdosages en médicaments comme les statines [34], peut également entraîner une IRA de type obstructif. La physiopathologie de l’IRA induite par la rhabdomyolyse est multiple et comprend également une cytotoxicité tubulaire directe de la myoglobine et une vasoconstriction [35].

4.5. Les néphropathies glomérulairesUne atteinte glomérulaire ne se manifeste pas nécessaire-ment par une baisse du débit de filtration glomérulaire. En effet, il existe des mécanismes de compensation du rein permettant un maintien de la filtration glomérulaire normale par les néphrons sains restants, même si une part impor-tante des néphrons est lésée de façon irréversible. C’est ce que l’on nomme la capacité de réserve fonctionnelle rénale [36]. Un des marqueurs de toxicité glomérulaire est une protéinurie de masse moléculaire élevée, par opposition aux atteintes tubulaires pour lesquelles la protéinurie est de masse moléculaire faible. La présence d’une hématurie est

également caractéristique d›une atteinte glomérulaire [36] (voir les articles « L’exploration du rein en 2013 » et « Explo-ration de la protéinurie au laboratoire » dans RFL « Reins et pathologies (1) », N° 451, avril 2013).Les médicaments classiquement mis en cause dans le déve-loppement d’une atteinte glomérulaire sont les sels d’or et la D-pénicillamine. La toxicité rénale de la D-pénicillamine peut se manifester par un syndrome néphrotique, défini par une protéinurie > 3 g/24 h ; une hypo-albuminémie < 30 g/L ; des œdèmes et une hyperlipidémie (voir l’article « Syndrome néphrotique » dans ce dossier). Dans une revue de la littéra-ture, 63 cas de syndromes néphrotiques ont été répertoriés sous D-pénicillamine entre 1963 et 2004 [37]. Dans certains cas, le syndrome néphrotique a surgi environ 3 semaines après le début du traitement. Classiquement, le syndrome néphrotique est réversible à l’arrêt du traitement avec ou sans corticoïdes. Chez certains patients, une protéinurie isolée peut néanmoins subsister. Par ailleurs, plusieurs cas de syndrome de Goodpasture ont été rapportés dans la littérature : sur 15 patients répertoriés, 6 sont décédés en moins de 3 mois après apparition des symptômes malgré un traitement par plasmaphérèse ou par dialyse péritonéale [38, 39]. Un cas de glomérulonéphrite avec ANCA positives a également été rapporté : une patiente a développé une vascularite à ANCA anti-MPO, deux ans après initiation d’un traitement par D-pénicillamine, engendrant une IRA et une détresse respiratoire [40].Par ailleurs, les thérapies ciblées tels que les anticorps monoclonaux, les inhibiteurs de tyrosines-kinases et les inhibiteurs de mTOR peuvent être à l’origine de plusieurs types de glomérulonéphrites : membrano-proliférative, à lésions glomérulaires minimes, cryoglobulinémique ou à type de hyalinose segmentaire focale [41]. La protéinurie retrouvée sous thérapie ciblée n’est généralement pas associée à une insuffisance rénale. Il existe, en revanche, une corrélation entre hypertension artérielle et protéinurie. Un œdème peut également survenir et s’intégrer dans un syndrome néphrotique. Ces complications sont aussi ren-contrées avec des agents anti-angiogéniques multi-cibles (VEGFR, PDGFR…) tels que le sunitibib, le valatanib, le vandétanib et l’axitinib [42, 43].

4.6. Les néphropathies vasculairesLes néphropathies vasculaires sont caractérisées par des éléments cliniques communs, une hypertension artérielle, une absence d’anomalie majeure à l’examen du sédiment urinaire et une insuffisance rénale souvent sévère et rapi-dement progressive.Il existe deux types de néphropathies vasculaires selon le mode d’évolution aigu ou chronique. Les médicaments entraînant des néphropathies vasculaires sont principale-ment responsables de forme aiguë telle que la microan-giopathie thrombotique (MAT). Les MAT ont une définition histologique : il s’agit d’une occlusion des lumières arté-riolaires par des thrombi fibrineux. Les deux principales formes de MAT sont le purpura thrombotique thrombocy-topénique (PTT) et le syndrome hémolytique et urémique (SHU). Les médicaments classiquement responsables de MAT iatrogènes sont les thérapies ciblées dont les anti-VEGF, la mitomycine C, la ciclosporine, le tacrolimus, la quinine, la ticlopidine, et le clopidogrel.

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5. Facteurs de risque

Tous les patients exposés à des médicaments ayant une toxi-cité rénale connue ne développent pas d’insuffisance rénale. Ceci suggère qu’il existe des facteurs de risque de développer une néphrotoxicité. Ainsi, au-delà de la toxicité intrinsèque d’un médicament, il faut tenir compte des caractéristiques de chaque patient et envisager un maniement particulier de chaque médicament afin d’en limiter la toxicité, dans la mesure du possible [44].Ainsi, on distingue 3 types de facteurs de risque de dévelop-per une toxicité rénale iatrogène. Il s’agit des facteurs liés aux patients, ceux liés au rein et enfin ceux liés au médicament lui-même [1]. Ces 3 types de facteurs de risque peuvent tout à fait coexister et accroître ainsi le risque de dommage rénal (tableau II).Concernant les facteurs de risque liés au patient, certains peuvent difficilement être évités. Il s’agit par exemple d’un âge avancé, du sexe féminin, d’une insuffisance rénale préexistante, d’un diabète, d’une cirrhose, d’une ascite, d’une albuminémie basse, d’un cancer [45]. Certains troubles métaboliques du patient constituant des facteurs de risque de néphrotoxicité peuvent néanmoins être pris en charge et contrôlés. Il s’agit de l’hypo ou hyper-calcémie, de l’hypokaliémie, de l’hypo- natrémie, de l’hypomagnésémie, de l’acidose métabolique [45] et de l’hyperuricémie [44]. Il est également possible d’intervenir sur l’état d’hydratation du patient.Concernant les facteurs de risque liés au médicament lui-même, certaines interventions sont possibles, comme le choix de la posologie et de la durée de traitement. Si l’on prend l’exemple des aminosides, connus pour entraîner une toxicité rénale (voir plus haut), la connaissance de certains éléments peut permettre une meilleure tolérance au traitement : une durée de traitement supérieure à 7 jours constitue un facteur de risque. De plus, plusieurs administrations par jour sont plus néphro-toxiques qu’une administration unique journalière. En outre, la co-administration d’autres médicaments néphrotoxiques constitue également un facteur de risque de toxicité rénale.

6. Conséquences, prise en charge

et prévention de l’IRA

6.1. ConséquencesSi le patient survit au séjour hospitalier, le pronostic fonc-tionnel semble bon : la majorité récupère leur fonction

rénale de base [7]. La récupération rénale est définie par une baisse de la créatininémie inférieure à 1,1 fois la valeur de base [46]. Toutefois, l’IRA constitue un facteur de risque de développer une maladie rénale chronique (MRC) et chaque épisode d’IRA double ce risque. En outre, selon une méta-analyse récente, le risque de développer une MRC voire une insuffisance rénale terminale augmente avec la sévérité de l’IRA [47]. De plus, même les patients ayant eu une récupération totale de leur fonction rénale après un épisode d’IRA sont plus à risque de développer une MRC de stade 3, par rapport aux patients n’ayant pas fait ce type d’épisode [46]. Les conséquences d’une IRA peuvent également parfois être dramatiques : dans une étude prospective observationnelle réalisée dans des services de réanimation et soins intensifs, plus de 60 % des patients ayant développé une IRA au décours de leur hospitalisation sont décédés. De plus, le recours à la dialyse chronique concernait 13,8 % des patients survivants [5].Outre l’augmentation de la mortalité constatée en cas d’IRA, il existe d’autres conséquences majeures. Les durées d’hospitalisation peuvent être prolongées, les thérapies utilisées peuvent être coûteuses et nombreuses du fait de l’impact de l’IRA sur les autres organes : utilisation de méthodes d’épuration extra-rénales, de respirateurs. Il apparaît qu’il est plus difficile d’interrompre le recours à un respirateur chez les patients en IRA. Par ailleurs, une fois sortis de l’hôpital, les patients ayant fait une IRA nécessitent d’avantage de soins infirmiers du fait d’un temps de récupération prolongé [48]. Ainsi, au vu des conséquences à la fois sur le patient et sur la collectivité, il apparaît essentiel de prendre en considération cette problématique [48].

6.2. Prise en chargeLe traitement des manifestations rénales toxiques sont, en premier lieu, des soins de support. Il s’agit de l’adaptation des apports liquidiens à l’état volémique et à la diurèse, un suivi de l’état nutritionnel, le maintien de tensions artérielles adéquates pour la perfusion rénale. Il n’existe à ce jour aucun traitement pouvant rétablir une IRA ou un désordre tubulaire, bien que des études chez l’animal tendent à proposer des solutions thérapeutiques [49]. Le recours à la dialyse est généralement réservé aux IRA associant une urémie, des désordres métaboliques et une hypervolémie [7]. Le syndrome de Fanconi est particulièrement difficile à traiter [44]. Les prises en charge d’IR varient en fonction

Tableau II – Facteurs de risque (FR) de néphrotoxicité [1,44].FR liés au patient FR liés au rein FR liés au médicament

- Sexe féminin- Age > 65 ans- Syndrome néphrotique- Cirrhose- Insuffisance rénale aiguë ou chronique- Déplétion volémique- Perturbations métaboliques (hypokaliémie,

hypomagnésémie, hypercalcémie…)- Pharmacogénétique favorisant les effets

rénaux des médicaments- Pathologie rénale préexistante- Leucémie, cancer

- Flux sanguin important (25 % du débit cardiaque)- Augmentation de la concentration des toxines

dans la medulla et l’interstitium- Biotransformation en espèces réactives de l’oxygène- Taux de métabolisation élevé au niveau tubulaire

(anse de Henlé)- Recapture au niveau tubulaire proximal des toxines- Transport basolatéral via les OAT* et OCT*

- Temps d’exposition prolongé au médicament- Effet néphrotoxique direct du médicament

ou de ses métabolites- Association de plusieurs médicaments

néphrotoxiques- Compétition au niveau des transporteurs

membranaires et accumulation de médicaments au niveau tubulaire

- Non solubilité d’une molécule mère ou de ses métabolites et précipitation de cristaux intra-tubulaires.

OAT*, organic anion transporters ; OCT*, organic cation transporters.

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de l’étiologie. Par exemple, le traitement d’une nécrose tubulaire aiguë ou d’une néphropathie immuno-allergique implique nécessairement l’arrêt du traitement en cause [50]. Par ailleurs, le maintien d’un équilibre hémodynamique et la surveillance des potentielles conséquences d’une IRA (acidose, troubles hydro-électrolytiques) doivent être mis en place. Pour les néphropathies obstructives, il convient logiquement de lever l’obstacle. En ce qui concerne les cris-talluries chimio-induites, le traitement peut varier en fonction des types de cristaux. Par exemple, le méthotrexate et la sulfadiazine sont respectivement 8 et 10 fois plus soluble à un pH de 7,5 qu’à un pH de 6,5 [3]. Par conséquent, la prévention et le traitement d’une cristallurie induite par ces médicaments implique une alcalinisation des urines [44]. Par opposition, l’indinavir est plus soluble dans des urines acides. Toutefois, l’acidification des urines n’est pas une méthode courante. Ainsi, on préférera une hydratation adap-tée [3]. Certaines toxicités rénales médicamenteuses vont impliquer une prise en charge particulière comme cela est le cas pour le méthotrexate (MTX) pour lequel l’administration de glucarpidase permet une réduction importante des taux sériques de MTX de l’ordre de 98 % en 15 minutes [51].

6.3. PréventionLes mesures de prévention consistent principalement en une estimation de la fonction rénale réalisée préalablement au traitement, en l’adaptation de la dose vis-à-vis de la fonction rénale et en une hydratation adaptée du patient. Une alcalinisation ou au contraire une acidification des urines sera envisagée en fonction du risque lithiasique encouru. La fonction rénale doit être surveillée ainsi que les items caractérisant la tubulopathie proximale, le sédi-ment urinaire, la protéinurie, le volume des urines et la pression artérielle. Les autres traitements néphrotoxiques doivent être évités ainsi que l’injection de produits de contraste iodés [52].Selon le traitement instauré, les mesures préventives peuvent varier.

6.3.1. Les aminosidesSi l’on reprend l’exemple des aminosides, il est recommandé de favoriser une administration unique journalière, l’objec-tif étant d’obtenir une concentration plasmatique maxi-male (Cmax) à 10 fois la concentration minimale inhibitrice (CMI) du germe responsable de l’infection. Il est également recommandé de ne pas dépasser 5 jours de traitements et de ne pas associer d’autres traitements néphrotoxiques. Le suivi des concentrations plasmatiques d’aminosides et la détermination du schéma posologique en fonction de la clairance de la créatinine ont jusqu’ici prouvé leur efficacité dans la prévention de la néphrotoxicité. Le suivi de la Cmax est toutefois controversé : certains auteurs le réservent aux patients immunodéprimés, pour des traitements d’une durée supérieure à 10 jours et pour les germes dont la CMI est comprise entre 8 et 16 mg/L [53]. Les recommandations de l’ANSM quant à elles suggèrent que la Cmax ne doit être mesurée qu’après la première injection chez les patients septiques sévères [54]. Une étude a mis en évidence l’effi-cacité d’un suivi thérapeutique pharmacologique (STP) dans la prévention de la néphrotoxicité. En effet, aucun cas de toxicité rénale n’a été observé chez 36 patients hospitalisés

en unités de soins intensifs et recevant un traitement par amikacine à une posologie calculée individuellement pour chaque patient en fonction des dosages plasmatiques [55]. Toutefois, les patients inclus avaient une fonction rénale définie par une clairance de la créatinine supérieure à 60 mL/min. Il est donc difficile d’extrapoler les résultats de cette étude pour les patients les plus à risque rénal.

6.3.2. Les chimiothérapiesDes recommandations sur la prévention de la toxicité rénale du cisplatine ont été publiées par l’European society of clinical pharmacy [56]. Selon ces recommandations, la fonc-tion rénale doit être évaluée avant chaque administration du cisplatine et 3 à 5 jours après son administration idéa-lement par la formule MDRD. Les mesures de prévention reposent sur l’hydratation : il est essentiel de maintenir une diurèse abondante. Idéalement chez le patient hospitalisé, l’hyperhydratation doit être réalisée à l’aide de sérum salé isotonique et doit être débutée au moins 12 h avant l’admi-nistration de cisplatine, poursuivie durant l’administration et maintenue pendant les 24 h suivant l’administration. Avant et après l’injection du médicament, le volume du sérum salé à perfuser est généralement de 500 à 1 000 mL par tranche de 2 à 4 h à ajuster en fonction de l’état cardiaque et de la diurèse du patient. La diurèse induite par une telle hydratation doit être au moins de 100 mL/h. Si le patient présente une oligo-anurie malgré cette hydratation, un avis néphrologique est nécessaire, l’utilisation des diurétiques est déconseillée. S’il s’agit d’un patient non-hospitalisé qui reçoit la chimiothérapie en hôpital de jour, il est conseillé de recommander une hydratation abondante, per os, de préférence à l’aide d’une eau riche en sodium la veille et le lendemain de la chimiothérapie (2 à 3 litres par jour). Le jour de la chimiothérapie une hydratation par voie IV sera mise en place selon les règles citées ci-dessus (tableau III).

Tableau III – Mesures générales de prévention

de la néphrotoxicité des chimiothérapies

anticancéreuses.

Mesures générales de prévention de la néphrotoxicité

Avant la chimiothérapie

Évaluation de la fonction rénale (Cockcroft ou MDRD, bandelette urinaire confirmée par ECBU et protéinurie des 24 h avant le début du traitement)

Vérification de l’état d’hydratation (examen clinique, ionogramme urinaire, pression artérielle)

Pendant la chimiothérapie

Hydratation (sérum physiologique 250 mL/h 6 à 8 h avant la chimiothérapie)

Prévention des complications digestives (antiémétiques) Contrôle biologique de la créatininémie, de l’ionogramme (+ magnésémie, kaliémie si cisplatine ou carboplatine)

Surveillance de la diurèse, pression artérielle Éviter les médicaments néphrotoxiques associés (aminosides, anti-inflammatoires non stéroïdiens, produits de contraste iodés, bisphosphonates et en particulier le zolédronate)

Après la chimiothérapie

Si traitement ambulatoire, prescrire un contrôle biologique à distance (5 à 8 jours après)

Avant la cure suivante

Vérifier que la fonction rénale est restée normale ou redevenue normale

Noter l’augmentation de créatinine induite par la cure antérieure pour éventuellement adapter la dose suivante

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REIN ET PATHOLOGIES

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D’autres chimiothérapies potentiellement néphrotoxiques et déjà mentionnées plus haut nécessitent des précautions particulières. Il s’agit des anti-angiogéniques, dont la toxi-cité rénale est « un effet classe » [57] et se manifeste à la fois aux niveaux vasculaire et glomérulaire. Ainsi, outre la surveillance de la pression artérielle et la réalisation d’un ionogramme sanguin régulier, un dosage de la créatininémie et l’estimation de la fonction rénale à l’aide de la formule MDRD, associé à la recherche d’une protéinurie par ban-delette urinaire seront à effectuer avant l’instauration du traitement puis, une fois par mois [58].

7. Conclusion

Les substances médicamenteuses potentiellement néphrotoxiques sont soit prescrites soit disponibles en libre-service dans des officines. La néphrotoxicité des médicaments peut potentiellement concerner chaque partie du rein.Savoir reconnaître le potentiel néphrotoxique de ces subs-tances est la première étape dans la prévention de la toxicité rénale iatrogène. De même, les facteurs de risque individuels de chaque patient doivent être identifiés avant instauration d’un traitement néphrotoxique et les mesures de prévention, mises en place afin de prévenir ce risque.

Ainsi, il est indispensable d’effectuer un suivi de la fonction rénale, en estimant le débit de filtration glomérulaire, de préférence avec la formule MDRD, avant, pendant et après le traitement. Les différents paramètres de la fonction rénale (anomalies du sédiment urinaire, protéinurie) devront égale-ment être surveillés. L’adaptation posologique du traitement au niveau de la fonction rénale est bien entendu impérative. Les mesures de prévention à type d’hydratation devront être mises en place. Les autres traitements néphrotoxiques seront si possible évités. En effet, une néphrotoxicité aiguë peut avoir des conséquences graves à court terme et à long terme. Une IRA augmente en effet le risque de développer une MRC voire une insuffisance rénale terminale et la mortalité, ce risque augmentant avec la sévérité de l’IRA. Les raisons précises pour lesquelles une IRA augmente le risque de MRC ne sont pas clairement connues. Des données issues de données expérimentales chez l’animal suggèrent que l’IRA entraîne à la fois une fibrose rénale mais aussi des effets délétères sur d’autres organes, tels que les poumons, le cœur et le foie [47]. Ainsi, malgré le fait que l’IRA soit cliniquement réversible dans la plupart des cas avec un retour à la normale du DFG, des altérations rénales et extra-rénales peuvent se produire et persister, menant à des conséquences à long terme.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de

conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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