De La Maison Des Morts

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D e l a Mai s on des m o r ts 239       L             A       V       A       N       T          S       C        È       N       E       O       P        É       R       A Prix: 22 ISBN 978-2-84385-238-1 www.asopera.com L’ŒUVRE 3 Points de repère Marianne Frip pia t 6 Argument Harr y Halbrei ch 10 Guide d’écoute Leo š Janá ček 13 L ivr e t intégral Marie- Elisabeth Du cr eux T raduction française Revue et complét ée en 2007 par Lenka Stránská et Václav Stránskýý Fédor M.Dos toï e vski 56 Les CARN ET S DE LAM AIS ON MORTE (extraits) Pi erre Mic hot 58 Saint- P é t e rsbourg, 22décembre 184 9 Georges Nivat 60 Au pays des morts, l a «vie vivante » Milan Kundera 64 Sit ua t i on de Janáček Mar ianne Fri ppiat 70 DE LAMAISON MORT E, ou l’étincelle de vie Pi erre Flin o is 76 Le bagne s ur scène An d ré Lisch ke 82 Di sco g ra p hie Elisabetta Soldini 86 L ’œuvre à l’affiche Les grandes productions à travers le monde (1930-2007) Elisabetta Soldini 91 Bi bliographi e Sommaire D e la M ais on d es m orts -:HSMIOD=]ZWX]V:    J    A    N    A    C    E    K    D    E    L    A    M    A    I    S    O    N    D    E    S    M    O    R    T    S Regards sur Dostoïevski Regards sur l’œuvre de Janáč ek SÉLECTIONS CD ETDVD par Jea n Cabo urg, Alfred Caron, Pierre Fl inois, J ean-Charles Hoff elé, Chris tian Merlin, T imothée Picard et Didier van Moere À propo s de la n ouvelle produ ction 200 7 Wi ener Festwochen, Aix- en-Provence, Hollande Festival, Met , La Scala Entretien a vec Pierr e Bou lez, par Christian Merlin (page 100 ) Entretien a vec Patrice Chéreau, pa r Al ain Perroux (pag e 104 ) Prochain numéro: Salomé (Strauss ) • Livret bilingue • Guide d’éc oute Études littéraires • Les sources de l’œuvre • Nouvelle pr oduction 2007 : Boulez – Chéreau – P eduzzi N°239 Janáček Avant Scène OPÉRA asopera.com D e l a M a i s on des m o r ts

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De la Maisondes morts

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      L      ’      A      V      A      N      T   -      S      C       È      N      E

      O      P       É      R      A

Prix: 22€ISBN 978-2-84385-238-1

www.asopera.com

L’ŒUVRE

3 Po in t s d e r ep è re

M a ria n ne Frip pia t 6 Arg u me ntHa r ry Ha lb re ich 10 Guide d’écoute

Leo š Janá če k 13 Livret in té gra lM a rie -Elisa b e t h Du cr eu x Tr a du ct io n f ra n ça ise

Revue et complét ée en 2007 par

Lenka Stránská et Václav Stránskýý

Fé d or M . D o st o ïe vski 56 Le s CARNETS DE LAM AISON MORTE(extraits)

P ier re Micho t 58 Sa in t -Pé t ersbo u rg , 22 d écembre 1849

Geo rges Niva t 60 Au p ays d es mo rt s, la «v ie vivan t e »

Mila n Kun de ra 64 Sit ua t io n de J an áček

M a ria n ne Frip pia t 70 DE LAMAISON MORTE, ou l’étincelle de vie

P ie rr e Flin o is 76 Le b a g n e su r scè n e

An d ré Lisch ke 82 D isco g ra p hie

Elisa b e t t a So ld in i 86 L’ œ uvre à l’ a f fich e Les grandes productions

à travers le monde (1930-2007)

Elisa b e t t a So ld in i 91 B ib lio g r a ph ie

Sommaire

D e la M aison des morts

-:HSMIOD=]ZWX]V:

   J   A   N   A   C   E   K

   D   E   L   A   M   A   I   S   O   N   D   E   S   M   O   R   T   S

Regards sur Dostoïevski

Regards sur l’œuvre de   Janáček

SÉLECTIONS CD ETDVD

par Jea n Cabo urg, Alfred Caron, Pierre Flinois, Jean-Charles Hoff elé,

Christian Merlin, Timothée Picard et Didier van Moere

À propo s de la n ouvelle produ ction 2007Wiener Festw ochen, Aix-en-Provence, Hollande Festival, Met , La Scala

Entretien a vec Pierre Bou lez, par Christian Merlin (page 100)

Entretien a vec Patrice Chéreau, pa r Alain Perroux (pag e 104)

Prochain numéro: Salomé (Strauss)

• Livret bilingue

• Guide d’écoute• Études littéraires

• Les sources de l’œuvre• Nouvelle production 2007 :

Boulez – Chéreau – Peduzzi

N°239

Janáček

AvantScèneOPÉRAasopera.com

De la Maisondes morts

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En couverture:

Gerd Grochowski(Chichkov),Eri c Stoklossa (Alyeya) et O laf Bär(Goryantchikov),mise en scène dePat r ice Chéreau,Wiener Festwochen,2007. Ros Ribas.

Ci-contre:

Fédor Dostoïevski ,par Vassi l i Perov, 1872.Hui le sur toil e.Galerie Trétiakov, Moscou.

« Janáček  – cas unique – a écrit son œ uvre – celle q ui reste ra – seulemen t

entre cinq uan te et soixa nte-q uat orze a ns. Il est do nc, parmi les grand s com-positeu rs de to us les temps, un vieux sa g e. Et le mo t sa g esse me vient à l’es-

prit quand j ’écoute ses opéras où la musique est à la recherche perpétuelle

de la d imension cachée d es homm es, des paro les, des s itua t ions . Ce n ’es t

pa s un ha sard s i je pa r le précisémen t De la M aison d es mo rt s . J e su is

am oureux de cet o péra, hélas si dif f icile à trad uire et à mett re en scène. »

Lire le texte de Milan Kundera, page 65

Relire Les Carnet s de Dostoïevski. «Not re prison ét a it bâ tie au f ond de la

fo r teresse , jus te fa ce au mur d ’en ceinte . Vous reg a rdiez , pa r fo i s, par une

fente de l a pal i ssade , l a lumière du jour : n ’apercevai t -on pas quelquechose ? – et, t out ce que vous pouviez voir, c’éta it un pet it coin de ciel , et le

ha ut d e terre recouvert de ronces, a vec, de long en larg e sur le mur, de jour

comme d e nui t , des sentinelles q ui ma rcha ient… »

Lire les extraits desCarnets de Dostoïevski, page 56

Au cœur de l’œuvre. Les opéras de Janáček se d ist ing uent pa r leur ex-

trême concision , et De la M aison d es mo rt s représente un sommet a bsolu

da ns cet t e d irect ion. Chacun d es trois a ctes se d ivise en un certa in nomb re

de «séquen ces», une ving ta ine au t ot a l, pouva nt se regroupe r à leur to ur

en «scène s», ou «ta blea ux »(q ua tre p a r acte ). Le t rava il sur le mo tif f ou r-ni t to ute l a t ex ture musicale , a insi q ue sa mo tr icité , e t l ’a n imat ion ry th-

miqu e de la m usiq ue n’est pa s l ’une de ses mo indres vertu s. Ma is surto ut

elle s’inscrit dans un climat, une couleur, fruits de l ’harmonie et du timbre

conjugués.

Lire le Guide d’écoute de Harry Halbreich, pages10 à55

Au pays des morts. Dosto ïevski es t le grand maî t re de l a peinture des

â mes aut ot orturées, boi teuses, q ui ne parviennen t pa s à êt re elles-mêmes.

Le milieu social de ses romans est la ville, ses bas-fonds, ses tricheurs et ses

humi liés . Mais a u ba g ne préd omine le mi lieu paysan , e t les g rand s récit sde s meurt res, pou r lesque ls les codé ten us de G orya nt chikov son t d a ns les

fers. Ce sont des drames de l’obscurantisme pa ysa n.

Lire l’étude de Georges Nivat, page 60

Les fers aux pieds. Le 23 a vril 1849, à q ua tre h eures du ma tin, Dostoïevski

est réveil lé en sursaut et a rrêté. I l pa sse neu f mo is à la tr iste men t célèbre

fo rteresse Pierre-et-Pa ul, pend a nt q ue d ure l ’instruction . On a saisi chez lui

de ux livres interdits (Proud ho n et Eug ène Sue), i l a pa rticipé à l ’a chat de la

presse c la nd est ine , i l a prôné la nécessité de ré fo rmes, il a d é fe nd u l a l i-

berté de la presse. Après six sema ines d’aud ience, le tr ibun a l le cond a mne

«à la d ég rad a t ion , à l a conf i scat ion d e to us ses biens e t à l a pe ine capi-

ta le ». Attén uat ion d’importa nce, quelques jours après: hui t a ns de tra vaux

fo rcés, q ue le tsar diminue en core à q ua tre, puis service oblig a to ire comme

soldat de rang .

Lire la présentation des événements par Pierre Michot, page 58

Points de repère

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La rage de vivre. En 1861, Dostoïevski entrepren d d e pub lier sous le t itre Carn ets de la 

maison mo rte , les «not es »inspirées par son séjour com me prisonn ier polit ique a u pén i-

ten cier d’Omsk, en Sibérie. La «ma ison m orte »c’est d onc ce ba g ne em preint de solitud e,

de mono tonie , d ’humeur sombre, de temps in terminab lement long , la «maison »des pri-

sonniers, mais une ma ison «où il fa it mo rt ». Et si les fo rça ts de Dosto ïevski son t d épo urvus

de t out sentiment a lisme, ils ne le sont pa s de vie aff ective.

Lire l’étude Marianne Frippiat, page 70

Peut-on le mettre en scène? De la Maison d es mo rt s à la scène ? Ga geure, pourrai t -on

écrire, puisq u’il s’a g it de m et tre en scène le néa nt, celui d’un un ivers ca rcéral qui impliq ue

le vide mê me, l’an éa ntisseme nt de l ’huma in. L’act ion ? Inexista nte , prat iquem ent réd uite

a u schéma d ’un simple repère te mpo rel – l ’arrivée, le séjour de G orya ntchikov a u ba gn e,

puis son dépa rt.

Lire l’étude de Pierre Flinois, page 76

Pierre Boulez, Patrice Chéreau: une production revigorante. Tren te a ns a près un e Té-

tra logie w ag nérienne q ui a ma rqué l ’histoire et une Lulu pa risienn e q ui ressemb lait à

une second e na issa nce de l’ouvrag e, Pierre Boulez et Pa trice Chérea u se retrou vent. Et

ces retrou vailles on t lieu sur un des ouvrag es les plus atypiq ues du répert oire : De la Mai- 

son d es mo rt s de Leoš Janáček. Auta nt préciser d’em blée q u’on n e ressort pa s indemn e

de ce spectacle coup-de-poing q ui s’apprête à pa rcourir le mo nde .

Lire les entretiens avec Pierre Boulez et Patrice Chéreau, pages 100-108

Traduction du titre original:DE LA MAISONMORTE

Biza rrement , en f ra nçais, la t rad uct ion d éfo rmée du t i t re pa r «Maison des morts »a

longte mps prédo miné, e t es t encore ancrée. El le es t pourta nt d oublement contes table .

D ’abo rd, le ba gn e es t b ien un microcosme posséda nt une v ie propre , cel le-là mêm e sur

laq uelle se porte le rega rd de Dostoïevski, qui semble met tre son a rt de roma ncier au ser-

vice d’un t émo igna g e q ua si sociolog ique : «Chez nous, il y avait un monde a bsolument à

part, q ui ne ressemb lait plus à rien, il y avait d es lois à pa rt, des costumes, des mœ urs et des

coutumes, et une Maison mort e en vie, une vie – comm e nulle part a illeurs, et des g ens à

part . C’est cet endroi t à par t q ue j ’ent reprends de décrire .» (Trad. A. Markow icz .)

Aujou rd’hui, la tra ductio n fra nçaise par «Ma ison m ort e », fidèle à l’origina l, se réimposepeu à peu.

DesCarnets à l’opéra

«J’ai été bo uleversé jusq ue da ns mon sang »: telle est la réact ion d e Janáček à la lecture

du livre d e Do stoïevski. Il lisa it le russe et é ta blit le livret de son op éra en pa ssa nt directe-

ment au tchèque , san s utiliser une t raduction d e l ’ensemble du livre, q u’ il avait pourta nt

a ussi sous les yeux. Il com men ça pa r relire le texte o rigina l plusieurs fois, en no ta nt d a ns

la ma rge ce q u’ il avait envie de retenir et en dressant une liste d es événement s avec réfé-

rence aux pag es de l’éd ition russe. Il travailla it rapidem ent , translitt éran t pa rfois les mots

plutôt q ue les trad uisan t , a llant même – et encore da ns sa dernière version de la pa rt it ion– jusq u’à g ard er la gra phie cyrillique .

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Leoš Janáček en quelques dates

1854 – Na issance à Hukva ldy, en Mora vie.

1865 – À la mo rt de son père, on le pla ce à l ’école con ventue lle de s Aug ustins de

Brno, o ù il reçoit une éd ucation et off icie en ta nt q ue choriste.

1869 – ent re à l’école Norma le d’institut eurs.

1872 – est enga gé comme instituteur a uxiliaire et comm e ma ître de musiq ue.

1974-75 – acq uiert une solide f orma tion à l ’École d’o rgue d e Prag ue.

1878-80 – se per fect ionn e à Sa int-Péte rsbo urg, à Leipzig et a u Conservat oire de

Vienne.

1880 – De retour à Brno, en ga gé comme prof esseur de musique à l ’École Normale.

1881 – fo nde et d irige sa propre école d ’o rgue. I l épouse Zden ka Schulz , don t i l

aura deux enfa nts, Olga et Vladimir, qui mourront préma turément . Premières

compo sition s chora les.

1887-88 – Compo sit ion d e son premier opéra : š  árka .

1893 – com pose les Dan ses lachi enn es , issues de ses étud es

sur le folklore des Lachs et des Valaques. Il publiera

aussi, au cours des années suivantes, plusieurs séries

d’arrang ement s de chant s popula ires qu’ i l est a l lé col-

lecter.

1903 – écrit Jen ůf a .

1904 – Création de Jen ůf a à Brno.

1916 – Première d e Jen ůf a à Prag ue, don t le succès rend Ja -nacek enf in célèbre.

1917 – En vacance à Luhakovice, Jana cek to mb e am oureux

de Kam ila Stö sslova, fe mme ma riée d e 25 a ns (le com-

positeur en a 63). C’est le déb ut d ’une pa ssion durab le,

do nt t émo ignent d’innom brab les lettres. Il compose le

cycle de m élod ies Jou rnal d’u n disparu .

1919 – prend sa retra i te en quit ta nt son po ste d e directeur

de l ’Éco le d ’o rgue . Début de la composit ion d e Kat ia 

Kabanova .

1921 – Création de Katia Kabanova à Brno.

1923 – Compo sition d e son premier Quatuo r à cord es .

1924 – Création de La Pet it e Renarde ru sée à Brno.

1926 – Créat ion de L’Aff a i re Makropoulos à Brno. Composi-

tion de la Messe glagolit ique et de la Sinf oniett a , qui de-

viennent ses œuvres de con cert les plus souven t joué es.

1928 – Il compose De la M aison des mo rts , opéra d ’a près

Dostoïevski et termine la composition de son deuxième

Quat uo r à cord es «Let tres intime s », co mm encé en

1927. Il meurt à Ostrava le 12 ao ût.

1930 – Créa t ion posthume de De la M aison d es mo rt s 

au Théâ tre nat ional de Brno. Devant sa mai son de Brno, en 1927. DR.

Chronologie établiepar Alain Perroux

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6 L’Avant-Scène Opéra

Josévan Dam (Goryant chikov) et Jir i Sulzenko (l e Commandant ) .M ise en scène de Kl aus Michael Grüber, Opéra Basti l le, Par is 2005. C. Masson/ Roger-Violet.

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L’Avant-Scène Opéra 7

De la Maison des morts

titre original: Z mrtvého domu

Opéra en trois actes

Musique de Leoš Janáček (1854-1928)

Création: Théâtre National, Brno, 12 avril 1930

Personnages

Alexandre Pétrovitch Goryantchikov, un prisonnier politique, basse

Alyeya, un jeune Tatare, soprano ou ténor

Filka Morosov (Louka Kouzmitch), ténor

Le Grand Prisonnier, ténor

Le Petit Prisonnier, baryton

Le Commandant, baryton

Le Vieillard, ténor

Skouratov, ténor

Tchekounov, baryton

Le Prisonnier ivre, ténorLe Prisonnier cuisinier, baryton

Le Prisonnier forgeron, basse

Le Pope, baryton

Le Jeune Prisonnier, ténor

Une Prostituée, mezzo-soprano

Le Prisonnier Don Juan, baryton

Le Prisonnier Kedril, ténor

Chapkine, ténor

Chichkov, basse

Tcherevine, ténor

Un gardien, ténor

Chœurs de prisonniers et de gardiensRôles muets (dans la pièce) : un chevalier, Elvire, la femme du cordonnier,la femme du Pope, le meunier, la femme du meunier, un scribe, un diable.

Livret intégral du compositeur d’aprèsLes Carnets de la mai son mor te (1862) de F.M.Dostoïevski

Traduction française de Marie-Elisabeth Ducreux,revue et complétée par Lenka Stránská et Václav Stránsky

©L’Avant-Scène Opéra 1987, 2007

Guide d’écoute de Harry Halbreich

©L’Avant-Scène Opéra 1987, 2007

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Acte I

La cour intérieure d’un pénitencier, en Sibérie, sur la rivière Irtych.Pet it mat in.

Les prisonniers sortent des casernes. Dans un coin certains taquinentun a igle blessé ; d’aut res vont à la cuisine.

On annonce l’arrivée d’un noble. Des prisonniers se chamaillent.Un g arde fa i t entrer Alexan dre Pétrovitch Go ryantchikov, effrayé, en

costume de ville. Le major ordonne de lui raser le crâne, de lui mettreles fers, de prendre ses vêtements et de les vendre. «Un prisonnier nedo it rien a voir à lui ». Et q ue l criminel est-il? «Je suis un prison nier po li-t i que . – Inso le nt , ce nt ve rg e s , de su ite ! » Le g a rde e mmè neGo ryan tchikov. Cris de do uleur en coulisse.

Les prison niers con sidè rent l’aigle, libre. L’oiseau ba t de son a ile ca s-sée et va se ca cher da ns un coin. «L’aig le, roi des fo rêts ! », s’excla men tles prison niers.

Le g ard e les po usse a u tra vail. Certains s’assoient ; d’a utres, sur unchant no sta lg ique , par tent pour les t ravaux à la campag ne .

Skouratov s’assied près de ceux qui cousent. Il s’adresse à LoukaKouzm itch : à Moscou, il voula it deven ir riche, il cousait d es cha ussures.Il fa i t le fo u et chan te.Récit de Lo uka. Il s’éta it retrou vé en prison a vec douz e Ukrainiens, les

a excité s à se plaind re. Leur ma jor s’est a lors emport é : «Je suis le tsar etDieu ». Louka l’a t ué d ’un coup d e coute au. On l ’a fo uett é en public.

Un garde ramène Goryantchikov.

Acte IIUn a n plus ta rd. Soleil au couchan t, ciel bleu somb re. La rive de l’Irtych.

Au loin, da ns la steppe kirghize, une yourte fume ; on ent end un chant.Des prisonniers réparent un ba tea u, d’aut res fo nt d e la ma çonnerie.

Go ryan tchikov q uestionn e Alyeya sur sa sœur, sur sa mère. Alyeya arêvé de sa mère cette nuit , el le pleurait . Goryan tchikov lui apprendra àlire et à écrire.

Oh hisse ! Le mâ t t omb e. On a nno nce la relâche, les cloches sonn entla f ê te ; il y aura t héâ tre .

Ma rche : des ga rdes, le ma jor, des invités entrent . Le po pe bé nit lerepa s et l ’Irtych. Les prisonniers et les invités se me tt ent à ta ble.Récit de Skoura t ov. Il avait é té envoyé da ns une ville pleine d’Allemand s

et s’était épris d’une Allemande, Louisa, blanchisseuse. Mais elle a cesséde le voir: un riche parent à elle, horloger, voulait l’épouser. Lui, étaiteff on dré. Il a pris son pisto let, est a llé chez eux. Là, il a exigé d’être traitéen ég a l. Le m a rié, b ien sap é, s’est reb iffé : «Tu e s un simple solda t ». Alorsil s’est échauf fé, a tiré. On l’a cond am né a u supplice de s can nes.

Le th éât re comm ence : décor fa i t de pièces de b at eau , les prisonniersda ns des costum es impro visés.Jeu de Kédri l et Don Juan .

C’est le dernier jour de Don Juan. Son valet Kédril lui amène Elvire.Mais un chevalier surgit e t e lle s’enfuit. Kédril introd uit ensuite la fem medu cordonnier: trop hideuse, puis la femme d u pope : amo urette de sonmaître. Il en profite pour se cacher sous la table et lui avaler son repas.

Les diables emportent Don Juan. Rire de Kédril! Il attrape la femme dupo pe, câlineries. Un pet it diab le empo rte la f emm e. Le pub lic est ra vi.

©L’Avant-Scène Opéra, Paris8

Repères livret

«On nous amènera un seigneur!»les Prisonniers, p. 17

«Je suis un prisonnier politique»Goryantchikov, p. 19

«Mes yeux ne verront plusces contrées»

les Prisonniers, p. 19

«Adieu Moscou»Skouratov, p. 21

«Je regarde autour de moi»Louka, p. 23

«Cher, cher Alyeya!»Goryantchikov, p. 25

«Salut à vous en ce jour de fête»le Pope, p. 27

«J’ai tiré sur un Allemand»Skouratov, p. 28

«L’opéra commence»Kedril, p. 31

«Les diables emmènentmon maître»Kedril, p. 33

ARGUMENT

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Pant om ime de l a Belle M eun ière.

Le meun ier mon tre le fouet à sa femm e et lui dit a dieu. À peine s’est-elle mise à son rouet q ue trois aman ts, l’un ap rès l ’aut re, frappent à laporte : le voisin, le g reffier, en ha bit de solda t , puis Don Juan , en cos-tume d e brah ma ne. Elle les cache tour à t our sous la ta ble, dans un cof-fre, da ns un sac. Tôt revenu, le meun ier jett e de ho rs les deu x premiers.Don Jua n sort de sa cachett e et le tue ; les diab les surgissent. Don Jua nda nse avec la m eunière à perdre haleine.

La nuit est tombée. La plupart des prisonniers sont rentrés dans lescasernes. Goryant chikov et Alyeya bo ivent du thé. Un Jeune Prison niers’éloigne avec une prostituée hideuse. Le Petit Prisonnier, en haine dunoble Goryantchikov, cherche querelle aux buveurs. Il empoigne unba q uet, le lance et blesse Alyeya.

Acte IIIL’hôpital du pénitencier, le soir. Au fond, le Vieux, assis sur le poêle.

Alyeya e n f ièvre. Go ryant chikov l’interrog e sur sa lecture. «Qu’est-ce q uit’a plu le plus chez Jésus? – Quand il dit de pardonner et d’aimer. Il fai-sait de grands miracles, il formait des oiseaux en argile, soufflait dessuset i ls s’envolaient. » Alyeya sait écrire mainten an t. Louka, m ouran t,to usse. Cha pkine intervient : aucune d ouleur n’est pire qu e de se fairetirer les oreilles lon g tem ps.Récit de Chap ki ne. Il s’est fa i t coffrer pour vagabondage. Avec deux

complices, ils ava ient volé un riche ma rcha nd . Le com missaire d e d istricts’est acharné sur son oreille, le forçant à écrire. Il l ’avait pris pour un

autre voleur, un greffier qui avait lui aussi de longues oreilles.Skoura to v, fo u, délire, se lève ; on le ma intient sur son lit.Nuit. Les malades s’endorment. Seul le Vieux veille. Chichkov parle à son

voisin. On en tend de temps à aut re la respirat ion difficile d es malade s.Récit de Ch ich kov. Son a mi, Filka Mo rozo v, court isait Akou lina , la fille

d’un g rand propriéta ire. Un jour, Filka d it au père : tr imer comm e unvalet che z t oi, c’est f ini. Et Akoulka, je ne la m arierai pa s, je va is pa rtir àl’armée, j ’a i déjà couché a vec el le , et je fera i tan t et si bien q ue personnene voud ra d ’elle . Les parents ba tt ent leur fil le dé shon orée. La mère deChichkov l’incite alors à épouser Akoulina pour l’argent. Il s’enivrejusqu’aux noces, découvre que la mariée est vierge. Il va rosser Filka,ma is le va urien lui rappelle q u’il éta i t ivre, et n e po uvait r ien constate r !Chichkov bat sa femme jusqu’à n’en plus pouvoir. Filka part à l ’armée,

salue Akou lina . Elle a voue à son m a ri a imer Filka plus q ue t ou t. Le len-demain à l ’aube, Chichkov l ’égorgeait . – Louka vient de mourir .Chichkov s’ap proche d u mo rt et recon na ît… Filka ! «Lui aussi est néd’u ne m ère », rap pelle le Vieux.

Le g arde convoq ue Go ryantchikov.Décor du p rem ier acte. Le major, ivre, lui présente ses excuses. «De

q uoi a s-tu rêvé a ujourd’hui? – De ma mère.»Justemen t, el le a intercédépour lui, il est libre. On lui enlève les fers. Alyeya se jette au cou de son«père ». Les prisonn iers o uvrent la cag e de l’aigle g uéri ; il s’envo le, au x

cris de «libe rté ! ». «Ma rche ! »– Le g a rde les pou sse a u tra vail.

M.F.

©L’Avant-Scène Opéra, Paris   9

Repères livret

«Ils ont bien joué, n’est-ce pas?»Alyeya, p. 35

«Vous pintez du thé en prison?»le Petit Prisonnier, p. 37

«Ô frères, votre souffrancen’est rien»

Chapkine, p. 39

«On nous a tous coffrés»Chapkine, p. 39

«Mes chers petits enfants»le Vieillard, p. 43

«Attends, pas si vite! »Chichkov, p. 43

«Et Filka crie: Akoulina,fille illustre»

Chichkov, p. 45

«Akoulka, allons aux champs»Chichkov, p. 49

«Pétrovitch, je t’ai outragé»le Commandant, p. 51

«Une vie nouvelle!»Goryantchikov, p. 53

par Marianne Frippiat

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Genèse et méthode de travail *

Les manuscrits autographes de Janáček sont d’une lectureexceptionnellement difficile: il écrivait extrêmement vite,d’un seul jet, et souvent sur papier libre, traçant lui-même lesportées (à la main, pas à la règle!) au fur et à mesure de sesbesoins, par souci de dépouillement et d’économie. Une por-tée vide, disait-il, était une invitation à la remplir, alors quel’effort physique de tracer une portée le faisait réfléchir à deuxfois avant de faire entrer un nouvel instrument ! De plus, ilutilisait le premier morceau de papier qui lui tombait sous lamain, quel qu’en fût le format ! C’est ainsi qu’il rédigeait laplupart de ses œuvres, mais non ses opéras, notés sur dupapier à musique «normal ». À l’exception, cependant, deDe la Maison des Morts. Il y a une explication plausible à cette

exception.En novembre 1925, Janáček avait achevé son avant-der-

nier opéra, L’Affaire Makropoulos . 1926 fut une année sansopéra, la première depuis 1918, mais le septuagénaire infati-gable et juvénile n’en chôma pas pour autant : laSinfonietta,la Messe Glagolitique, le Capriccio et les Rikadla (Comp-tines) virent successivement le jour, puis, vers la fin de l’an-née, Janáček commença unConcerto pour violon, qui devaits’intituler le Pè lerinage de l’  â me. Le projet fut abandonné,mais la musique déjà écrite devint l’Ouverture du nouvelopéra, De la Maison des Morts, dont le compositeur conçutle projet sans doute peu avant la fin de 1926, et dont ilentama la composition le 6 février 1927. Ayant commencé leConcerto projeté sur papier l ibre, i l aurait simplement conti-nué sur sa lancée…

Heureusement,  Janáček disposait de copistes deconfiance, habitués à son écriture, avec lesquels il travaillaiten étroit contact. Ils n’intervenaient du reste qu’au deuxièmestade du travail, lorsque l’œuvre avait atteint à un stade semi-définitif. Le compositeur revoyait alors avec eux la partitioncopiée, y ajoutant corrections et modifications, et c’est à cemoment-là qu’en principe elle pouvait être envoyée à l’édi-teur. Mais il n’était pas rare que le compositeur continuât àaméliorer son œuvre, souvent même il apportait d’ultimesretouches durant les répétitions, voire même après la créa-tion. Pour De la Maison des Morts, il n’en eut plus le temps.La part ition est datée du 8 juin 1928, mais cela correspond à

un stade déjà tardif. En effet, la correspondance de Janáčeknous apprend que, dès le 2 décembre 1927, i l approchait dela fin, et le 4 janvier 1928, il apprend à son amie tendrementchérie Kamila Stôsslova que l’œuvre est achevée. Le 10 dumême mois, il signale à Max Brod qu’elle est déjà entre lesmains des copistes. Et le 29, il entreprend la composition desonDeuxiè me quatuor à cordes, «Lettres intimes», créé d’unseul jet et terminé le 19février, ultime gage d’amour à Kamila.

Il s’écoule alors quelques mois, nécessaires aux copistespour accomplir leur dur labeur, et aussi à l’auteur pourprendre un peu de recul avant les ajouts et remaniements. Le23 mai, les deux fidèles copistes Václav Sedláček et Josef Kulhánek ont terminé leur travail. Janáček les convoque aus-sitôt chez lui et travaille avec eux durant un mois, polissant et

repolissant son ouvrage. Le 20juin, i l peut les renvoyer. Maisil emmène la partition corrigée lorsqu’il se rend, pour tout le

mois de juillet, aux bains de Luhačovice pour y soigner sesrhumatismes, et soumet les deux premiers actes à un dernier

ravalement. Le 1er

août, il s’installe pour l ’été dans son villagenatal de Hukvaldy, en compagnie de Kamila et de son jeunefils. Il a pris avec lui la partition du troisième acte. Douze

 jours plus tard, il succombe à une pneumonie foudroyante,sans avoir pu mener à bien l’ultime révision de cet acte. À en

 juger par les deux autres, il n’aurait plus modifié que d’in-fimes détails, concernant l’instrumentation, au cours desrépétitions.

Lorsque deux fidèles disciples de Janáček, le compositeurOsvald Chlubna et le chef d’orchestre Bretislav Bakala, semirent à préparer la création posthume de l’ouvrage, ilsfurent totalement déroutés par sa nouveauté, qui allait eneffet infiniment plus loin que tout ce que le compositeuravait écrit jusqu’alors. Au caractère apparemment fragmen-

taire du livret, privé de toute intrigue continue, correspon-dait l’aspect visuel d’un autographe sur papier libre qui, dansson extrême dépouillement instrumental, pouvait faire pen-ser à une ébauche plutôt qu’à une œuvre réellement achevée.Chlubna et Bakala décidèrent donc qu’il fallait la «complé-ter», y compris pour les paroles, ce dont ils chargèrent le met-teur en scène prévu, Ota Zitek. Ce fut cette version que lepublic de Brno découvrit le 12 avril 1930, et qui fut publiéepar Universal Edition à Vienne, tant en parti tion d’orchestrequ’en réduction chant-piano. Ce fut la seule connue pendantprès de trente ans.

De la Maison des Morts n’est certes pas la seule œuvre de Janáček qui eut à souffrir du zèle, sans nul doute bien inten-tionné, de certains adaptateurs. Rappelons que Karel Kova-rovic, alors tout-puissant directeur du Théâtre National dePrague, avait exigé de pouvoir opérer d’importantesretouches sur Jenůfa avant de l’y faire représenter. À cesretouches s’ajoutèrent celles de Vaclav Talich, qui affectèrentégalement les opéras suivants, tout particulièrement  Katja Kabanova. Ce n’est que longtemps après la seconde guerremondiale que l’on revint graduellement aux originaux de Janáček, mais à de rares exceptions près, il n’en existe pasencore d’éditions accessibles au public.

Pareille mésaventure était arrivée déjà à d’autres composi-teurs, coupables seulement d’être trop originaux et trop enavance sur la sensibilité et le goût de leur époque. On penseimmédiatement à Bruckner ou à Moussorgsky. Pour l’un

comme pour l’autre, et pour  Janáček également, il s’agissaitde corriger de soi-disant maladresses d’écriture, en réalité degommer les angles et les aspérités, d’atténuer, voire de sup-primer certains heurts dissonants, tout au moins en étoffantl’orchestration pour rendre l’écoute plus «confortable», deredresser des asymétries dans les discours périodiques, bref,de banaliser l’écoute en la rendant plus flatteuse. Le souci desadaptateurs, louable en soi, était de hâter l’acceptation desœuvres par le grand public et leur intégration au répertoire:des générations ultérieures pouvaient toujours revenir à l’ori-ginal si le goût évoluait… Cela s’est effectivement produitpour Bruckner, alors que l’espri t de routine prévalant dans lesthéâtres lyriques rend la chose plus lente et plus aléatoirepour Moussorgsky. Quant à  Janáček , à présent qu’il esttombé dans le domaine public, il est urgent de réaliser uneédition critique de ses œuvres, et en priorité de celle dont il

10 Introduction

GUIDE D’ÉCOUTE PAR HARRY HALBREICH

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est question ici, qui, pour les raisons que nous avons expo-sées, a souffert plus gravement que toute autre.

Bilan des dégâts et retour aux sources

Les changements sont de plusieurs ordres. En ce qui

concerne les voix, il s’agit d’une part de légers déplacementsde répliques (pouvant varier d’un ou deux temps à deux outrois mesures), ce qui a pour effet d’altérer la prosodie, doncl’articulation et la structure rythmique dans le sens d’unesymétrisation. Certaines paroles sont changées (celles dumonologue de Louka au premier acte le sont même totale-ment), mais surtout, Ota Zitek a ajouté de nombreusesrépliques là où les silences imposés aux voix semblaient tropprolongés à Chlubna et Bakala. En laissant parfois parler l’or-chestre seul, Janáček savait pourtant parfaitement pourquoiil le faisait : ainsi pour exprimer la rage muette et impuissantedu commandant lorsque Pétrovitch lui déclare qu’il est pri-sonnier politique. À quelques endroits, plus rares, Zitek a aucontraire enlevé des répliques ou des parties de répliques. Ceschangements sont les plus visibles à première vue, et ne sontpas les plus graves, loin de là. Chlubna et Bakala, sans tou-cher vraiment aux structures harmoniques de la musique, enmodifient souvent le sens par leurs retouches orchestrales.Celles-ci, dictées au départ par la crainte que l’ins-trumentation originale ne soit trop mince et pas assez sonorepour un théâtre, consistent non seulement en doublures abu-sives et lassantes, brouillant les couleurs pures qu’affectionne Janáček, elles visent surtout à combler le fossé sciemmentcreusé par le compositeur entre registres extrêmes. Cettetechnique, dont les premiers exemples remontent auRequiem de Berlioz, amplifie considérablement la sensationd’espace et de vide, et sert à  Janáček (qui l’utilise souvent

ailleurs, mais pas de manière aussi poussée qu’ici) à suggérerle froid, le vide et la totale misère physique régnant dans lebagne sibérien. «Habiller» ces vides détrui t complètement leclimat recherché par le compositeur, et de même le rôle enva-hissant attribué par Chlubna et Bakala à la harpe semble toutà fait déplacé. Mais tout cela pèse de peu de poids à côté dece que les arrangeurs ont fait de la scène finale!

Scène finale

Chez  Janáček, après l’envol de l’Aigle et le départ dePétrovitch libéré, les prisonniers, sur un triple appel duGarde («Marrrrche!»), reprennent le chemin de leur prisonsur une musique de piétinement déjà entendue brièvement

lors du changement de décor précédant ce dernier tableau. Etla musique s’arrête brusquement, sans se terminer à propre-ment parler : audacieuse fin «ouverte» qu’on n’a pas manquéde rapprocher de celle de Wozzeck, car dans les deux cas, lavie (mais quelle vie?) continue. Les réalisateurs de 1930 onttrouvé cette fin à la fois trop négative et pas assez spectacu-laire, et ont choisi de terminer sur une amplification del’hymne à la liberté des prisonniers saluant l’Aigle. La«musique de piétinement » de la fin de la part ition originalea été renvoyée avant le lever du rideau du dernier tableau,pour étoffer la musique de changement de décor, effective-ment très courte dans l’original (mais cette brièveté est vou-lue par Janáček, et le problème concerne le metteur en scène,non les musiciens). Ensuite, Chlubna et Bakala ont composédouze mesures d’épilogue orchestral fastueux et grandiose, encombinant contrapuntiquement deux thèmes (ex.12 et 5).

En revanche, quelques mesures de Janáček n’ont pas pu êtreréutilisées. Tout en condamnant cette fin du point de vuepsychologique et dramatique, il faut reconnaître que sesauteurs ont réussi leur propos avec un strict minimumd’ajouts de leur cru. Il reste que le sens de l’opéra tout entieren est totalement changé, et c’est inadmissible.

Le livret: une gageure, un pari gagné

Le choix du sujet du dernier opéra de Janáček s’explique àtous points de vue: si le compositeur morave est, avec AlbanBerg, le plus grand maître de l’«opéra de la compassionsociale», c’est-à-dire celui qui se penche avec tendresse, maisaussi avec vigilance, vers les victimes d’un ordre social injuste(qu’il s’agisse de  Jenůfa, de Katja ou de Bystrouska laRenarde), aucun l ivre ne devait le concerner davantage que lebouleversant compte rendu autobiographique du jeune Dos-toïevski relatant le sort des plus misérables parias de la sociétédes hommes entassés dans la pire des antichambres de l’En-fer. Rappelons en passant que le titre du livre est toujours maltraduit en français: il faudrait dire: de la Maison morte, et sil’on estime que cela ne sonne pas bien, à la rigueur : de laMaison de la Mort ou de la Maison de Mort. Néanmoins,l’usage a prévalu, même si les habitants de ce lieu sinistre sont

pour leur malheur bien vivants… L’humanisme profond de Janáček lui fait aborder ces déshérités non seulement avecsympathie mais aussi avec amour, un amour qui s’inscrit en

11Introduction

COM POSITION D E L’ORCHESTRE

ÉTENDUE DES VOIX

4 Flûtes2 HautboisCor anglais

3 Clarinettes

3 Bassons

4 Cors3 Trompettes3 Trombones

1 Tuba

Timbales

BatterieHarpeCélestaCordes

 ======      =lPétrovitch ?   H   »_

_

l ======      =lAlyeya &•   b h b H_ l ======      =lLouka &•   b h

b H_

l ======      =lLe Commandant ?   h

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l ======      =lSkouratov &•   b h

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 ======      =

lTchekounov

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l ======      =lChapkin &•   h   # H l ======      =lChichkov ? h

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( )

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faux contre ses déclarations réitérées et virulentes d’athéisme:c’est seulement aux Églises qu’il en voulait, trop souvent fer-mées à cet amour dont il débordait, trop souvent complices del’injustice au nom de l’ordre, alors qu’il n’existe pas de piredésordre, ô mânes de Goethe!… L’épigraphe qu’il a inscrite entête de sa partition: «Dans chaque créature, une étincelle

divine» (admirons le choix du mot créature, d’une largeurtoute franciscaine!), rejoint la phrase bouleversante du VieuxPrisonnier à la mort de Louka («Lui aussi est né d’unemère») comme expression de la plus haute Charité.

D’autre part, la profonde russophilie de  Janáček (àl’époque où les Tchèques dépendaient de l’Empire germa-nique des Habsbourg, les Russes étaient les grands frèresslaves garants d’une proche libération, et i l a fallu 1968 pouréteindre la russophilie de ce peuple!) a également joué unrôle déterminant dans le choix de son sujet : Katja Kabanovas’inspirait de l’Orage d’Ostrovski, la Rhapsodie pourorchestreTaras Boulba de l’ouvrage homonyme de Gogol, lePremier quatuor à cordes de la Sonate à  Kreutzer de Tol-stoï, dont  Janáček avait également projeté d’utiliser  Anna Karénine pour un opéra… Le compositeur parlait et écrivaitle russe, et il a rédigé lui-même son livret à partir de l’origi-nal, et non point de la traduction tchèque. Ce livret estd’ailleurs demeuré truffé d’expressions russes ou ukrai-niennes, qu’Ota Zitek s’était employé à faire en grande par-tie disparaître.

Cependant, le texte de Dostoïevski ne semblait nullementse prêter à un opéra, ne comportant ni intrigue suivie, ni per-sonnages principaux, à l’exception de ce grand personnagecollecti f : l’ensemble des bagnards. Il est fait de longues des-criptions, d’observations et de réflexions diverses sur la vie aupénitencier d’Omsk, et aussi d’une série de récits par lesquelsles condamnés expliquent comment ils sont arrivés là.

 Janáček a choisi et concentré à l’extrême, n’hésitant pas àamalgamer plusieurs personnages en un pour en réduire lenombre. La plupart sortent de l’ombre pour y replonger aus-sitôt leur récit terminé, et rares sont ceux qui demeurent pré-sents du commencement à la fin. Mais le dramaturge-com-positeur a joué en maître de la dialectique entre passé etprésent, et les rares points d’intersection entre ces deuxcouches temporelles sont autant de brefs paroxysmes de ten-sion. Et puis, i l y a un troisième plan: théâtre dans le théâtre,au cours de la représentation donnée par les convicts audeuxième acte.

Comme chez Dostoïevski, l’unité d’action est assurée parla présence d’Alexandre Pétrovitch Goriantchikov (que nousappellerons désormais Pétrovitch, comme ses compagnons

dans l’opéra), narrateur et double de l’écrivain, qui se dis-tingue certes des autres prisonniers par sa classe sociale (aris-tocrate ou grand bourgeois), mais dont  Janáček, l’amalga-mant avec un autre personnage du roman, a fait unprisonnier politique, ce qui donne une résonance accrue à salibération. L’arrivée et le départ de Pétrovitch délimitent ledéroulement de l’opéra tout comme celui du livre, et le féroceCommandant du camp ne paraît qu’à ces deux moments cru-ciaux. Une seule relation humaine se développe, s’épanouitmême, au cours du séjour de Pétrovitch: celle qui le lie à sonprotégé, le jeune Tartare Alyeya, auquel il apprend à lire et àécrire. Cet Alyeya, un adolescent de dix-sept ans, tranche surses co-détenus par sa douceur et sa délicatesse, et ce contrasteest souligné par le choix de Janáček d’en faire un travesti. Ilfaut n’y voir aucune connotation sexuelle (pas plus que dansle cas du jeune Renard qui épouse Bystrouska, soprano lui

aussi, et contrairement à ce qui se passe chez Richard Straussou Mozart, par exemple), mais un choix nécessaire du pointde vue musical: à part la Prosti tuée, qui n’a que quelquesbrèves répliques à la fin de l’acte II, l’opéra ne comporteaucun rôle féminin!

Les seuls autres personnages «permanents» (en dehors du

Chœur, bien entendu!) sont ceux de Louka Kouzmitch (quise révèle à la fin être Filka Morozov), dont la mort survientau sommet d’une longue gradation dramatique, et Skoura-tov, qui sombre dans la folie. En revanche, les deux autres«narrateurs», Chapkine et Chichkov, n’interviennent qu’aumoment de leur récit, très tard dans le déroulement del’œuvre, ce qui est paradoxal dans le cas de Chichkov, dont lerôle est le plus long de tous! Deux des narrateurs (Skouratovet Chichkov), ceux dont le récit est le plus développé, ont un«faire-valoir » ponctuant leur récit de ses questions etréflexions (respectivement l’Ivrogne et Tcherévine), qui n’ap-paraît lui aussi qu’en ce seul endroit.

Les péripéties dramatiques du «présent » de l’action sontpeu nombreuses: en dehors de l’arrivée et du départ de Pétro-vitch, on n’en compte que deux autres: l’agression du PetitPrisonnier qui blesse Alyeya à la fin du deuxième acte, et lamort de Louka, en qui, à ce moment, Chichkov identifie leresponsable de tous ses maux, Filka Morozov. Ce détail est de Janáček lui-même, qui ne nous offre aucune explicationquant à la raison pour laquelle Chichkov n’a jamais reconnuFilka auparavant, mais c’est un coup de théâtre très efficace,l’un des deux points d’intersection dramatique entre Passé etPrésent, l’autre se situant tout à la fin du premier acte,lorsque le retour de Pétrovitch à moitié mort sous le knoutinterrompt le premier récit, celui de Louka, à l’instant mêmeoù il se décrit sauvagement battu lui aussi. Janáček a très habilement réparti les divers éléments de

son livret dans le déroulement temporel des trois actes: auxquatre Récits, ou évocations du passé (un dans chaque acte,sauf dans le troisième, qui en comporte deux, mais celui deChapkine est beaucoup plus court que les autres) s’opposentles Dialogues, qui montrent diverses relations entre détenus,ou, par deux fois, entre Pétrovitch et le Commandant. Troisde ces Dialogues montrent l’évolution de l’amitié entrePétrovitch et son protégé Alyeya, et j’y inclus leurs adieux,car c’est le plus intense de tous, bien qu’Alyeya n’y dise quequelques mots. Deux autres Dialogues sont d’âpres querelles,et c’est le cas pour le tout premier, entre le Grand et le PetitPrisonnier, au début du premier acte, qui montre d’emblée ledegré de tension régnant dans ce milieu inhumain (Dos-toïevski fait remarquer que, sans la contrainte du travail

forcé, les prisonniers se seraient entre-dévorés comme desaraignées dans un bocal !). Le dosage de ces divers élémentsest très judicieusement calculé, de même que leur alternance:les Récits occupent un grand tiers de l’ensemble, les Dia-logues un petit quart. Quant aux Chœurs, ils sont sans cesseprésents (sauf pendant les deux Pantomimes, bien sûr), maisils n’ont qu’une intervention de quelque durée par acte(autour de l’Aigle au premier, avant la fête au deuxième, ettout à la fin du troisième), et aucune des trois n’atteint trentemesures. Par une articulation aussi souple et aussi ramifiée, Janáček a donc fait l’impossible pour éviter le statisme dansune œuvre somme toute dénuée de toute intrigue, et sa réus-site de ce point de vue n’est pas niable.

De même, dans une œuvre où la narration occupe une sigrande place, le compositeur a été remarquablement éco-nome de paroles (au point que ses arrangeurs ont cru devoir

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en ajouter !), et à maintes reprises, c’est l’orchestre seul quis’exprime, et avec quelle intensité! C’est ainsi que l’œuvrecommence par une Ouverture amplement développée, et quela représentation théâtrale du deuxième acte, presque entiè-rement mimée, s’étend sur près de 400 mesures au total. Etceci nous amène à parler de la musique.

La musique: une modernité stupéfiante

Les opéras de  Janáček se distinguent par leur extrêmeconcision, et De la Maison des Morts, eu égard à soncontenu, représente un sommet absolu dans cette direction.Il dépasse de très peu une heure et demie, ouverture com-prise, et son minutage est ainsi comparable à celui des troisopéras précédents du même auteur, qui de son côté équivautà peu près à celui de Wozzeck.

Chacun des trois actes se divise en un certain nombre de«séquences», une vingtaine au total, pouvant se regrouper àleur tour en «scènes», ou «tableaux» (quatre par acte). Musi-calement, une «séquence» est faite généralement de la suc-cession, par «montage» d’un petit nombre de «sections»,chacune développant jusqu’à épuisement un motif unique.Les combinaisons de motifs sont rares, comme le sont lesretours d’un motif d’un tableau ou d’un acte à l’autre. On netrouve donc que très peu de leitmotive au sens habituel duterme (bien que certains motifs présentent entre eux des affi-nités biologiques si évidentes qu’on peut parler de transfor-mation par filiation), mais ils n’en sont que plus saisissants. Eton peut parler de «leit-timbres», voire de «leit-couleurs». Parailleurs, chaque acte a son atmosphère propre, et c’est une res-source supplémentaire de Janáček pour échapper à la mono-tonie et au statisme. Le premier, le plus concentré, le plustendu et le plus dur, se passe en hiver, et l’on perçoit le froid

terrible. Dostoïevski a situé la fête en hiver également, et plusprécisément à Noël. Janáček, lui, la déplace à Pâques, ce quilui permet de la faire se dérouler en plein air. Mais les hiverssont longs, les printemps tardifs en Sibérie, et l’ambiancequ’évoque ce deuxième acte rappelle plutôt l’été nordique,avec ses crépuscules clairs. En toute logique, le troisième actedoit succéder assez vite au précédent, puisque Alyeya, blessé,est à présent à l’hôpital. Le compositeur ne nous dit pas com-ment il a appris à lire et à écrire depuis l’acte précédent, etd’autre part, selon Dostoïevski, la libération de Pétrovitch sepasse en hiver, comme son arrivée. Au prix de ces petitesinconséquences, d’ailleurs sans gravité, Janáček nous donneun troisième acte qui se situe en été, comme le précédent,mais les contrastes sont ici celui de la nuit succédant au jour,

et celui du confinement de l’hôpital après le plein air. Le bref tableau final, enfin, retrouvant le décor du premier acte,referme le cercle.

Le travail sur le motif fournit toute la texture musicale,ainsi que sa motricité, et l’animation rythmique de lamusique n’est pas l’une de ses moindres vertus. Mais surtoutelle s’inscrit dans un climat, une couleur, fruits de l’harmonieet du timbre conjugués.

 Janáčekest demeuré jusqu’à la fin de sa vie un compositeurtonal, du moins au sens large du terme, celui qui englobe l’ap-pel aux échelles modales les plus variées, préexistantes ouinventées. Et il a «émancipé la dissonance» bien avant le siècle,n’hésitant pas à revendiquer son indépendance et sa prioritévis-à-vis de Debussy dans ce domaine. À l’époque de Schön-berg et de ses premiers disciples, c’était là l’aspect «tradition-nel» de sa musique. Mais la modernité d’une musique ne se

définit plus par son degré de non-tonalité ou de dissonance.Cette dernière atteint, surtout dans De la Maison des Morts,à une acuité qui n’a rien à envier aux cadets les plus extrémistesde notre auteur, dont on est toujours stupéfait de se rappelerqu’il était de huit ans l’aîné de Debussy, et de toute une géné-ration celui de Stravinsky et de Bartok. Par sa conceptiond’une harmonie-couleur issue d’échelles modales autant quepar son extrême liberté de la syntaxe rythmico-temporelle, sa

musique est beaucoup plus proche de celle d’un Olivier Mes-siaen, alors que ses dispositions instrumentales, son utilisationdes registres extrêmes, traités en complexes très dissonants,évoquent même Edgard Varèse. La couleur orchestrale de sondernier opéra est d’une audace et d’une nouveauté prodi-gieuses, digne de servir de modèle aux plus jeunes aujourd’huiencore. C’est ce qui a tellement dérouté les Chlubna, Bakalaet autres.

Comme celle de Debussy, comme celle de Messiaen, lamusique de Janáček module peu, et les mouvements harmo-niques chromatiques y sont rares, ce qui le situe aux antipodesdes Viennois et de l’héritage post-wagnérien. CommeDebussy et Messiaen, il dispose de bien d’autres ressourcespour assurer le renouvellement et la variété du discours. Mais

dans De la Maison des Morts, la fixité tonale a une fonctiontoute particulière, d’ordre dramatique. Si l’Ouverture etpresque tout le premier acte demeurent dans l’obsession de Labémol mineur (la tonalité préférée de cet amateur des zonesles plus richement bémolisées du cycle des quintes, aussitypique pour lui que Sol mineur pour Mozart ou Purcell !),c’est pour mieux montrer l’effroyable monotonie de la vie desdétenus, prisonniers jusque dans l’enchaînement à une tona-lité, et pour qui moduler est un luxe aussi impensablequ’échapper à leur rata quotidien. Les principales tonalités del’opéra tournent autour des quintes descendantes de Mi bémolà Mi naturel : Mi bémol (majeur et mineur), La bémol (majeur,mais surtout mineur), Ré bémol majeur, Sol bémol majeur(parfois mineur), Si majeur, Mi mineur. Si le premier acte, car-céral et hivernal, est en La bémol mineur, le deuxième, estivalet de plein air, est en Ré bémol majeur. Le troisième demeure

13Introduction

Page ti tr e de la parti ti on, manuscri t au tographe.Musée morave, Br no .

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14 Introduction

plus ambigu et plus subtil, après un départ en Sol mineur. Lafin «postiche» de Chlubna et Bakala le fait se terminer dansun Si majeur éclatant, celui de l’hymne à l’Aigle libéré. La véri-table fin est en Ré bémol majeur, tonalité «carcérale» commeLa bémol mineur, sa proche voisine dans le cycle des quintes,mais moins sombre, liée au «plein air » de l’acte central. Certes,les prisonniers retournent à leur géhenne, mais la libération du«politique» Pétrovitch leur est gage d’espoir, lointain et vague,sans doute, mais néanmoins inéluctable pour l’homme deprogrès  Janáček : voilà une nuance qui, me semble-t-il, aéchappé à tous les commentateurs qui ne font que soulignerle pessimisme sans recours de son dernier ouvrage lyrique…

Au cours de l’analyse qui suit, il y aura maints prétextespour revenir sur la conception  janáčekienne si neuve pourl’époque de l’harmonie-timbre génératrice de couleur. Lechoix des tessitures est essentiel de ce point de vue, et lesabîmes surgissant parfois entre les registres de l’orchestre sontlà à bon escient, pour éviter tout confort audit if, toute «culi-narisation» au sens brechtien du terme, là où elle est inop-portune. Ceux que cela choque n’ont qu’à écouter le Cheva-

lier à la Rose…

INTRODUCTION

Rappelons qu’elle fut conçue avant le reste de l’opéra etdestinée au départ à un Concerto pour violon : quelquesbrefs mais périlleux soli de violon sont les vestiges de ce pro-

 jet. En dehors du rappel de son premier thème à la fin du pre-mier acte et de certains gestes archétypaux (sauts de quarte),elle ne présente pas de liens musicaux avec l’opéra, dont ellen’a pas non plus la terrible âpreté de ton et de couleur : ledébut brutal du premier acte s’enchaînant d’emblée n’en estque plus saisissant. Cette Ouverture peut se décomposer enhuit sections se regroupant en trois volets d’équilibre très asy-

métrique: les cinq premières forment une sorte de rondo fai-sant alterner le thème initial et des développements qui ensont issus; la sixième, beaucoup plus étendue, abandonne cethème jusque-là omniprésent et introduit un autre élémentimportant ; les septième et huitième, enfin, constituent unereprise très resserrée du début, avec adjonction del’élément leplus important de la sixième section.

Le ton principal de La bémol mineur, qui sera aussi celuidu premier acte, est établi par le thème principal :

Exemple 1

exposé deux fois par deux violons soli en tierces, puis deuxfois par le tutti. Les très nombreuses apparitions de ce thèmeseront toujours légèrement différentes, soit par ajout d’unenoire dans le groupe initial, soit par déplacement d’accents,soit par l’harmonisation, sans parler de l’instrumentation. Audépart, le thème repose paradoxalement sur le 6èmedegré (Fabémol), ce qui lui donne un caractère curieusement instable,«gauchi », et crée passagèrement l ’illusion de Fa bémolmajeur.

C’est sans étonnement que nous apprenons que ce thèmea été inventé dès 1926, car il est proche parent du deuxièmethème du deuxième mouvement de la Sinfonietta :

Exemple 2

La section 2 (mes. 25) introduit le violon solo en méta-

morphoses mélodico-rythmiques de l’ex.1, successivementen valeurs de plus en plus rapidés. Ce premier «couplet » a lecaractère d’un scherzando, éclaircie favorisant les tonalitésmajeures. La section 3 (mes. 61) marque le retour du thèmesous son aspect originel, en La bémol mineur, et ponctuépour la première fois par les chaînes qui joueront un rôle siimportant et si terrible dans la suite de l’opéra. La section 4(deuxième couplet, mes. 69) développe ce thème inchangé,dans différentes tonalités et différentes couleurs instru-mentales, et se termine par un nouveau et bref solo de violonacrobatique. Le retour du refrain au ton principal (mes.101)termine ce premier volet. Le deuxième (section 6, mes.109)va voir prédominer peu à peu les sauts de quarte, souvent trai-tés enostinato, et qui nous accompagneront jusqu’à la fin de

l’Ouverture.

Exemple 3

Ils donnent naissance à un vigoureux thème de fanfare auxcuivres, qui éclate en Mi majeur (mes. 128) :

Exemple 4

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Introduction

PREMIER ACTE

Dans un b agn e ru sse sit uéau b ord de l’ Irtych. La cour de la p rison, au peti t m ati n. Les déten us sort ent de leurs blocs et vont se laver… Dans un coin, q uelqu es pri son nier s taq uin ent un aig le estr op ié, d’aut res von t  à la cuisine… Le jeune Alyeya sor t à son tour… La plu part des pri son nier s se taisent, som bres, beau - coup se sign ent , ou bien se lavent à des baqu ets… 

LES PRISONNIERS(Ténors I) On a mènera un seigneur, aujourd’hui !(Ténors II) Chez n ous, un seigne ur!(Ténors I) Un seig neur, avec no us!

LOUKALe diable a usé trois paires de b ott es avant d e nousent asser ici!

LE GRAND PRISONNIER (NIKITA)Où vas-tu comme ça ? Stupide cab oche !Arrête-toi!

ÚvodO

1. JEDNÁNÍ

Na dvoře vězeňských budov ruské trestnice na řeceIrtyši. časné ráno. Vězňové vycházejí z kasáren, umý-

vají se… V koutě dvora dráždí několik vězňů zchrom-lého orla, jiní jdou do vězeňské kuchyně… Mladistvý 

 Aljeja vychází z kasáren…Většina vězňů je mlčenlivá, mnozí se žehnají, u věder 

 s vodou se umývají…

1 VĚZŇOVÉ(Ten. I) Přivedou dnes pána!(Ten. II) K nám pána!(Ten. I ) Mezi nás pána!

2 LUKAČert troje boty roztrhal než nás tu všecky sehnal!

3 VELKÝ VĚZEŇ (NIKITA)Kudy lezeš? Pitomá palice!Postůj!

15Acte I

puis en Si bémol et enfin en Si majeur. À partir du Presto,les quartes demeurent seules maîtresses du terrain, bientôtponctuées par les chaînes. Le troisième volet, beaucoup pluscourt que les précédents, fait entendre d’abord (mes.172)l’ex.1 mais ponctué maintenant par les quartes en fanfare, et

durant la brève coda de sept mesures (mes. 186), l ’ex.1 seréduit à ses trois noires initiales, toujours de concert avec lesquartes, qui terminent à découvert, avec la brusquerie cou-tumière de Janáček.

PREMIER ACTE

Rien, sauf le ton de La bémol mineur, ne nous avait pré-parés à ce qui suit. Le thème de la Souffrance:

Exemples 5 et 6 

nous mord le visage avec la violence d’une bourrasque deneige, et son froid nous broie le cœur. C’est un monde cruelet inhumain qu’il évoque, avec la perçante dissonance de saseconde ajoutée heurtant la tierce mineure, geste harmo-nique fondamental pour toute l’œuvre. Ces chocs de

seconde mineure pourront se situer sur divers degrés (sen-sible contre tonique; quinte contre sixte mineure, etc.),mais leur griffure donnera toujours une distorsion, commeune grimace de douleur, aux gestes cadentiels les plus sim-ples. Ce thème si bref est l’un des plus puissants et des plusmémorables de tout le répertoire lyrique, avec son saut dequinte, vite retombé, et sa chute résignée sur le 7ème degrémodal (Sol bémol mineur). Mais c’est surtout sa couleurinstrumentale qui accentue son horreur : opposition deregistres extrêmes, sans rien au milieu, et reproduisant lesmêmes agrégats dissonants à plusieurs octaves de distance,par un effet de miroir : violons suraigus en trémolo serré ettrombones caverneux aux secondes vénéneuses, les Chiensde l’Erèbe glapissant leur «Lasciate ogni speranza »…

Au bagne, la suite de la musique le confirmera sans cesse,tout fait mal, tout grince, tout est tordu, rien n’est spontanéni naturel : en l’absence de tout (ré)confort, de toute dou-ceur, de toute présence féminine, de toute couche protec-trice, nous sommes exposés à nu à l’hostilité virulente d’unenvironnement anti-humain et meurtrier. Que de géniepour nous dire tout cela en un thème de quatre notes, toutde· suite! C’est pourquoi il était indispensable de parler dece thème avant même de pénétrer dans l’acte.

Une remarque d’ordre général : chez Janáček, tous lesthèmes sont en principes instrumentaux, et le travail thé-matique se déroule à l’orchestre seul : c’est la raison pourlaquelle presque tous nos exemples musicaux sont instru-mentaux eux aussi. Le thème de l’ex. 5 plante donc d’em-

blée le décor d’un petit matin sordide et glacial, d’où sedétache le motif plaintif au hautbois (cf. l’ex. 6).

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Ex. 5 

( = 80)Moderato

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4 MALÝ VĚZEŇCo křičíš? Ty sám uhni!Jak mamut tu stojí.

5 VELKÝ VĚZEŇ (NIKITA) (karikuje tloušt’ku maléhovězňě)Birjulina kráva stelná z chleba čistákak hodum vrhne šestnáct telátek.

6 MALÝ VĚZEŇCo to [za] ptáka? Jaký?(Pěstí dorážejí na sebe.)

7 VELKÝ VĚZEŇ (NIKITA)Taký!

8 MALÝ VĚZEŇJaký?

9 VELKÝ VĚZEŇ (NIKITA)Taký!

16 Acte I

Son étroite parenté avec le Gospodi pomiluj (Kyrie Elei- son ; Seigneur ayez pitié de nous) de laMesse glagoli ti que :

Exemple 7 

me paraît hautement symbolique! Mais il est aussitôtocculté par le brutal roulement de tambour dont l’agressionnous frappera si souvent par la suite. Et le soleil se lève, pâle

et frileux, en un La bémol, majeur, certes, mais semé d’al-térations mineures infiniment poignantes. Voici la «dansedes ours» des prisonniers enchaînés:

Exemple 8

alternant avec la douceur de l’ex.6 (Sol bémol, puis La

majeur), qui semble incarner «l’étincelle divine». Lamusique s’accélère en un 3 / 8 vif, d’où se précise bientôt unmotif en battement d’octave agrémenté d’une perçante dis-sonance de seconde mineure.

Exemple 9

Comme tout cela fait mal! Et, après non moins de 83 mes.d’orchestre, se terminant par une arabesque de triolets de

doubles croches au hautbois signalant l’entrée du jeuneAlyeya, voici enfin les premières répliques du chœur.

1 La querelle entre le Grand et le Peti t Prisonnier sedéroule entièrement en La bémol mineur, dans un climatde totale stérilité et de nudité harmonique. On notera labrutalité des interventions du tuba (malencontreusementsupprimées par Chlubna-Bakala). L’orchestre continue surune variante de l’ex. 6, et l’on remarquera l’insistance sur lalongue suivie de deux brèves, comme de deux roquets refu-sant de lâcher prise. Mais il se tait totalement lorsque lesdeux prisonniers en viennent aux mains.

La querelle s’exaspère en un tournoiement de plus en plus

rapide sur le même thème. Brusquement, souligné par uneintervention fortissimo des timbales et tambours, un rappeldu thème de la Souffrance signale l’entrée d’AlexandrePétrovitch. Il est accompagné par un violon tout seul, d’unefaiblesse désarmée touchante, et d’une expression tout àcoup chaude et humaine. Très vite, i l passe de Mi mineur enLa bémol mineur (car Pétrovitch est prisonnier, à présent, ilfait part ie du monde carcéral !), cependant que le Petit Pri-sonnier commente son arrivée («Mezi nás vedou pána, Onnous amène un seigneur !») sur un rappel des palpitations del’ex.8, d’où naît, en quelques mesures de trombones caver-neux, le thème du Commandant :

Exemple 10

développé enostinato, et dont la dureté (le personnage est unesombre brute) ne connaît ni tierces, ni sixtes, mais seulementdes quintes, quartes, secondes et septièmes (intervalles varé-siens!).

20 Deux mesures avant « A jaké to sineli», ses ricanements

sonnent aux trombones grimaçants et horribles (ex.10 enharmonies grinçantes). Juste avant « A jak to vyhlízís ! De

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LE PETITPRISONNIERPourquoi tu gueules ! Pousse-toi to i-même !Il reste plant é là , comme un ma mmouth.

LE GRAND PRISONNIER (NIKITA) (caricature l ’embon point du pet i t forçat) La va che de Biryoula, g rosse de b on pa in blan c,

met tra b as seize veaux pour les fêt es.LE PETITPRISONNIERQuelle sorte d’oiseau es-tu ? Comme q uoi?(Ils échangen t des coup s de po in g.) 

LE GRAND PRISONNIER (NIKITA)Comme ça !

LE PETITPRISONNIERComme quoi ?

LE GRAND PRISONNIER (NIKITA)Comme ça !

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LE PETITPRISONNIERComme quoi ?

LE GRAND PRISONNIER (NIKITA)Comme ça !

LE PETITPRISONNIERComme quoi ?

LE GRAND PRISONNIER (NIKITA)Comme ça ! Comme un Khan !

LE PETITPRISONNIERTu n’es qu ’un vau rien, pa s un Kha n.

LOUKA (les séparan t ) Vous êtes bien g entils to us les deux ! Ils ont man gé le laitcaillé et le pain d’une vieille, on leur donna le knout !(Le Grand Prisonni er (Niki ta) s’en va.) 

LES PRISONNIERSOn nous amène un seigneur! (Ent re Goryantchikov,escortéde gar des, eff rayé, encor e en hab it de v ille .) 

LE PETITPRISONNIEROn nous amène un seigneur. (Ent re le command ant de la place, accom pagnéd’ un lieu ten ant .) 

LE COMMANDANT(à Gor yant chik ov) Ton n om ?

GORYANTCHIKOVAlexan dre Pétrovitch Go ryant chikov.

LE COMMANDANTLieutenant, qu’on le mette en prison sur-le-champ!Qu’on lui rase la tête! Qu’on lui mette les fers ! Etqu’est-ce que ce manteau? C’est la dernière mode?Où l’as-tu trouvé ? À Péte rsbo urg ?

UN GARDEC’est son ma ntea u à lui , Votre G randeur !

LE COMMANDANTPrenez-lui tout ! Vendez tout ! Un prisonnier ne do i trien avoir à lui! Et attention, conduis-toi bien!

10 MALÝ VĚZEŇJaký?

11 VELKÝ VĚZEŇ (NIKITA)Taký!

12 MALÝ VĚZEŇJaký?

13 VELKÝ VĚZEŇ (NIKITA)Taký! Kagan!

14 MALÝ VĚZEŇTys podlec a ne kagan !

15LUKA (roztrhává je od sebe)Jste oba hodní! Snědli babě kyšku s chlebem, a dos-tali knutem!(Velký vězeň (Nikita) odchází.)

16 VĚZŇOVÉMezi nás vedou pána! (Vstupuje pod stráží Gorjanči-kov, vystrašený, v městském ještě ústrojí.)

17 MALÝ VĚZEŇ (NIKITA)Mezi nás vedou pána.(Placmajor přichází, doprovázen poručíkem.)

18 PLACMAJOR (ke Gorjančikovovi)Jak tě nazývají?

19 GORJANČIKOVAlexandr Petrovič Gorjančikov.

20 PLACMAJORPoručíku, hned s ním do vězení, hlavu odřít!Okovy přikovat! A jaké to šiněli?Je to nejnovější? Odkuds to vzal? Z Petrohradu?

21STRÁŽJeho vlastní šat, vaše Blahorodí!

22 PLACMAJORVšechno sebrat ! Prodat! Vězeň nemá mít nicvlastního! A hleď se dobře chovat! Abych neslyšel.

17Acte I

«Al exandr e Pétrovi tch 

Goryantchikov» Peter Mi kulas (Goryantchikov) et 

Pavlo Hunka(Chichkov),

mise en scène dePierre Strosser,Grand Théâtre,Genève, 2004.

GTG/M. del Curto.

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18 Acte I

quoi as-tu l’air ?» les longs heurts de tierce mineure suraccord majeur évoquent le Bartok du Ch â teau de Barbe-Bleue ( Janáček le connaissait-il ?). Pétrovitch répond: «Je

suis un condamné poli tique» en essayant de garder le maxi-mum de dignité. Lorsque le Commandant ordonne les centcoups de fouet, on entend se déchaîner un ostinato de tim-bales en quartolets de noires avec quarte ascendante: lesmêmes illustreront à l’acte II les diables assaillant DonJuan! Cependant que reprend la danse sautillante etimpuissante à 3/ 8 des prisonniers, les cris de douleur dePétrovitch derrière la scène sont ponctués par des rappels del’ex.5 particulièrement perçants (3 petites flûtes, 3 trom-bones, altos et contrebasses en trémolos) et par la danse à3/ 8 qui s’émiette pour finir sur des échos assourdis des tim-bales.

34 La scène de l’Aigle s’ouvre sur une danse au rythme dac-tylique obstiné:

Exemple 11

thème apparenté à celui de la future danse de Skouratov(cf. l’ex.14). La musique demeure harmoniquement très

nue et stérile (ni tierces, ni sixtes, aucune altération chro-matique ni modulante). Mais voici que les prisonnierssaluent l’Aigle, tsar des forêts:

Exemple 12

un thème que l’on retrouvera dans la scène finale de l’opéra.Chlubna et Bakala ont gravement altéré l’original en rem-plaçant par des harmonies l’unisson voulu par Janáček surle Si bémol aigu (blanche) et les deux Fa qui suivent, unis-son qui accentue l’impression d’envol, et qui de plus montremieux qu’on peut voir dans le profil mélodique de cet ex.12une transfiguration du thème de la Souffrance.

38 Le retour du Commandant met brutalement f in à ce bref rêve de liberté: sous les coups et dans les bruits de chaînes,les détenus se mettent au travail, dans l’omniprésence del’ex. 5.  Janáček le juxtapose à l’ordre du Garde («Au tra-vail !»), et il faut donc impérativement supprimer les 8mesures d’orchestre interpolées ici par Chlubna-Bakala.

40 Ceux des détenus qui partent t ravail ler à l’extérieurentonnent un très beau chœur, harmonieux et consonant(avec, même, des imitations) («Mes yeux ne verront plus lacontrée où je suis né»): cette évocation déchirante d’unpassé heureux crée l’effet de la musique tonale, avec tierceset sixtes, en Sol bémol majeur, tout d’abord, puis passantdans les tons mineurs pour retrouver Sol et Fa bémolmajeur, mais toujours environnée par les ponctuations del’ex. 5 à l’orchestre.

Un effet de fondu enchaîné permet de passer à la scène

suivante: Skouratov chante et danse en sautillant, mais onentend encore, l’écho lointain sans paroles, et maintenantsans rythme, du chœur des détenus (La bémol majeur). À

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«Au travail ! Au tr avail ! » Mise en scène da David Pountney, Welsh Nat ional Opera, Car di ff , 1984. Coll. Opera/ C. Burton.

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(Ils s’en von t . Alyeya et le vieil lar d s’asseyen t à l’en- t rée du corp s de gard e.) (Ténors) Mon cœur souffre, se languit,(Basses) Mon cœur souffre, se lan guit.

SKOURATOV (se joi nt à un gr ou pe q ui , assis, coud des 

chaussons de teil le, et ento nne u n chant .) Jeunette, j ’éta is à la f ête,je lava is les cuillers,j’ajouta is de l ’eau d an s la soupe,je g rat ta is la g raisse des pots,je faisais cuire les pirochkis.

LES PRISONNIERS (d’une grande distance, sans paroles)A a a ah…

SKOURATOV (chanté)On m’a ma rié sans ma présence,moi j’éta is au mo ulin !

LOUKA (à Sko ur at ov ) Il hurle !

Un loup chant ai t et i l lui a volé son chant !SKOURATOVOh, Louka , oh, Louka ! (en le m enaçant ) «Petit oisillon, g riffe a cérée ! »

LOUKA (brusquement)Quel Louka ? Pour t oi, je suis Louka Kouzmitch !

SKOURATOVEh bien, va po ur Louka Kouzmitch !

LOUKAIl n’y a pa s de Louka Kouzm itch!Pour to i, je suis un o ncle !

(Odcházejí. Aljeja se stařečkem usedají u vchodu dokordekvardije.)(Ten.) Srdce zabolí, zateskní.(Bassi) Srdce zabolí, zateskní.

41 SKURATOV (přisedne si ke skupině, jež šije laptě, a zpíva píseň.)

Já mladá na hodech byla,lžíce umyla,v polévku vlila,omastek seškrábla,pirohu napekla.

42 VĚZŇOVÉ (z velké dálky beze slov)A-a-

43 SKURATOV (zpívá)Beze mne mě oženili,

 já ve mlýně byl !

44LUKA (na Skuratova)Vyje!Zpíval vlk a on mu píseň ukrad.

45 SKURATOVO Luka, o Luka! (s pohrůžkou)„Malý ptáček, ostrý drápek!“

46LUKA (prudce)Jaký Luka? Pro tebe jsem Luka Kuzmič!

47 SKURATOVNu tedy, Luka Kuzmič!

48LUKAŽádný Luka Kuzmič.Pro tebe jsem strejček!

20 Acte I

présent s’aff irme le thème dansant (quasi-valse) à 3/ 8 de lafolie de Skouratov, en Ré bémol mineur (ou plutôt dorien)et l’on retrouvera ce thème:

Exemple 13

à la fin du premier acte (sans raisons dramatiques propre-ment dites) et aussi lors de la folie définitive du personnageà l’acte III. Sa basse descendante est d’autre part l’une descellules génératrices les plus importantes de toute la parti-tion. La conversation entre Skouratov et Louka peu à peuse réchauffe et s’humanise à l’évocation de Moscou, enaccents de chaude nostalgie sur une variante de l’ex.13.Skouratov est un personnage gai et affectueux qui, dans lavie «normale», fut sans doute un joyeux drille: il n’est aubagne que pour avoir trop follement aimé! Ici comme parla suite, toujours l’évocation du passé s’accompagne decou-

leurs (harmonies consonantes, tonalités majeures), oppo-sées à l’univers carcéral tout en gris et noir. Ici, La bémolmajeur (si près de La bémol mineur, une altération de tierce

fait toute la différence entre bonheur et malheur, par lagrâce du génie si janáčekien des gestes archétypaux!), puisMi majeur. Soudain, Skouratov «déraille» et se met à dan-ser comme un fou.

Exemple 14

Sa danse en Ré bémol lydien est évidemment ponctuée parle bruit sinistre des chaînes qui l’entravent, et dont  Janáčekne nous permet jamais d’oublier l’horreur dès qu’un pri-

sonnier bouge. L’orchestre enfle, le chœur commente, et lepauvre Skouratov s’effondre, épuisé, sur le tout-puissantthème de la Souffrance.

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Allegro

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( = 88)Allegretto

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SKOURATOVEh bien, va a u diable, toi et to n oncle !(douloureusement)Et mo i qui voulais te d ire de b onn es paroles!Et m oi q ui voulais m’enrichir, oui, je voula is m’en richir !Ah, f rère, ma têt e, ma chère tête !Lorsque j’ai q uitté Mo scou,j’éta is heureux de l ’avoir encore !(languissant) Adieu, Moscou ! Dieu merci je suis envie, à l ’air libre ! Adieu, Mo scou.

LOUKAEnsuite, com ment es-tu d evenu riche ?

SKOURATOVJ’ai essayé de fa ire d es chaussures.

LOUKAOn t ’en a acheté ?

SKOURATOVJ’ai trouvé des client s. Ils ne craig na ient pa s Dieu,n’hon ora ient ni leur père, ni leur mère.Oh, qu el échec, ma pauvre vie,Oh, quel échec, ma vie ! Oh, at tend s un tout pe tit peu.Le ma ri d’Akoulina a rriva da ns la cour. Tra-la -la-la …(Sko ur ato v danse.) 

LOUKATssss! Idiot !

LES PRISONNIERS

Homme inutile ! Homme inutile!(Sko ur at ov cont inue à danser ju squ’à ce qu ’i l s’écroule.) 

49 SKURATOVNu tedy, čert s tebou, i se strejčkem!(rozlítostněn)A já ti chtěl dobré slovo povědět !A já ti chtěl zbohatnout, už chtělo se mi zbohatnout!Ach bratře, hlavo, drahá!Když jsem se s Moskvou rozloučil,byl jsem rád, že hlava šla se mnou.(roztouženě) S Bohem, Moskvo! zaplat’ Bůh za život,za volný vítr! S Bohem, Moskvo!

50LUKAA číms potom zbohatnul?

51 SKURATOVZkusil jsem boty šít.

52LUKAA kupovali?

53 SKURATOVNašli se takoví.Boha se nebáli, otce, matku nectili.O, selhal můj život ubohý!O, selhal můj život! O, počkej na chvilčičku.Akulin muž přišel na dvůr. Tra-la-la-la…(Skuratov křepčí.)

54LUKAJšššš! Blázne!

55 VĚZŇOVÉ

Člověk zbytečný! Človlěk zbytečný!(Skuratov tančí a víří, až se zhroutí.)

21Acte I

«Eh bien, va au diable, toi et t on oncle! » John Mark Ainsley (Skourat ov) , Eri c Stoklossa (Alyeya) et Stefan Margit a ( Louka),

mi se en scène de Patr ice Chéreau, W iener Festwochen, 2007. R. Ribas.

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22 Acte I

Le récit de Louka

62 C’est ici qu’enchaîne le premier des quatre grands récitsde l’opéra, celui de Louka, dont les paroles originales sontsciemment truffées d’idiomatismes ukrainiens par Janáček,conformément à l’original de Dostoïevski. On voit ici àquel point le compositeur modèle étroitement sa déclama-tion vocale sur le rythme naturel du langage! Ce Louka,dont toute l’ignominie ne nous sera révélée qu’au dernieracte, est un vantard, un redresseur de torts de prime abordsympathique, mais aussi un être impulsif et violent. C’est leseul des quatre narrateurs qui mérite son sort, mais il n’aévidement pas été condamné au bagne pour la conduiteabominable qui y justifierait sa présence… Son récit peut sediviser en trois grandes parties.

La première continue sur la lancée de la conversationprécédente, dont le récit se dégage insensiblement par

fondu enchaîné. C’est pourquoi elle se déroule dans uneatmosphère détendue (deux détenus qui conversent et ne sequerellent pas!), une orchestration aérée et légère coupée desilences. Mais l’orchestre nous rappelle que Skouratov gîttoujours inanimé (dissonances grinçantes) avec un échodérisoire de «Z Bohem Moskvo! ».

Un nouveau thème en Mi mineur:

Exemple 15

accompagne l’évocation du cruel Commandant, que nemanque pas de ponctuer l’ex. 5, et qui marque le début dela deuxième partie du récit : elle se déroule sur ce thème(ex. 15) de caractère heurté et querelleur, le plus souventhaché en miettes et scandé d’accents violents et très disso-nants. C’est un modèle de liberté et de naturel dans ladéclamation, avec son rythme vocal très libre, quasi récita-tif, et différent de celui de l’orchestre: c’est pourquoi il estsi important de respecter les paroles originales de Janáček.

B Lorsque Louka s’adresse à l’officier, ce sont là des argu-ments humains, suscitant par conséquent une musiqueconsonante et tonale, avec tierces. Mais au point culmi-nant, lors de l’évocation du coup de couteau meurtrier(ponctué par deux fusées descendantes des cors), l’ex. 5résonne en pleine force: la souffrance est là, et du coup laraison de la présence de Louka au bagne se trouve confron-tée à la réalité de cette présence. La troisième partie du récitenchaîne immédiatement par le retour inopiné de l’ex. 1 de

l’Ouverture, en Fa# mineur nostalgique et tendre, puis ensi mineur aux deux violons soli jouant en harmoniques. Audeuxième «Alyeya, dufi l !» furieux de Louka, un nouveauthème:

Exemple 16 

fait irruption aux cors, thème têtu et brutal dont les quatrepremières notes répétées soulignent son caractère obstiné.

Mais Alyeya n’écoute pas, il est fasciné par la porte derrièrelaquelle il sait que se trouve Pétrovitch martyrisé.

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«Homme inuti le ! Homme inuti le ! » Mikael Roider (Skouratov) , mi se en scène de Volker Schlöndorf f, D eutsche Oper, Berl in, 2005. B. Uhlig.

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LOUKA (sans faire at ten ti on à Sko urat ov) Alyeya , pa sse-moi du fil ! Il est moisi, celui de l’armé e.

ALYEYA (accourant) Celui-ci vient du ma rché.

LOUKA

Celui de notre tailleur est meilleur.Chez que lle sale bonn e fem me il l ’achète, l ’invalide ?

ALYEYAChez la pet i te mère.

LOUKATu veux dire chez la com mère ?

ALYEYAOui, chez la commè re.

LOUKAMais qu’il éta it do nc ridicule.(Sko ur ato v est allo ngépar t erre, imm ob ile.) Je regarde autour de moi, nous étions douze Ukrai-niens prisonniers. Et lui parmi nous, et il pleure! Il a

parlé, on l’a cond am né. «Et me s enfan ts, que vo nt-ilsdevenir?»Je lui ai dit : «Pardieu ! »Et ce fils de démo nq ui note, q ui note. Bon , me dis-je, q u’il crève !Et lui qui not e, q ui note sans cesse.Et q uand il a f ini d’écrire, ma conda mnat ion est to mbée.Il nous en a f ait voir, le comma nda nt !Viens, mais viens do nc ! Pa rle-lui! Tu verra s!Mais je n’ai rien dit. J’ai incité les Ukrainiens à se révol-ter. Ils se sont plaints du comma nda ntEt moi, le matin, j’emprunte un couteau à mon voisin.Le comma nda nt s’est emport é. Il arrive.La révolte g rond e pa rmi les Ukrainiens!Surgit le comma nda nt : «Qu’est-ce que c’est ?Je suis le t sar et je suis Dieu ! »À peine e ût-t-il fini de pa rler que j’ava is mon coutea u àla main.«Non », d is-je, «Vot re Gra nd eur ! »Et je m’a pproche d e lui de plus en plus.«Comment po urriez-vous donc êt re not re tsar et no treDieu ? »«Et t oi, q ui es-tu ? Un b riga nd ? »«Non », dis-je,et je m’a pproche de plus en plus.«Not re Dieu tout -puissant, est uniq ue ! Il est uniq ue !Et le tsar ? Lui seul règne sur nous to us! »«Quan t àvous », dis-je, «vous n’êt es qu e comm a nda nt , pa r lagrâ ce du tsar, et puis pour vos mérites.»«Quoi, quo i, quo i? »caq ueta -t-il.

Je lui ai planté le couteau dans le ventre.Il est tombé sur lui-même.… Alyeya , du f il ! (Il casse son fi l, fu rieu semen t.) Alyeya, du f il ! Il est po urri!(On entend grin cer la port e du corps de garde.) 

LES PRISONNIERSOn t ’a rossé po ur cela ?

LOUKA… Oui, rossé. Alyeya, les cisea ux!(Alyeya regarde la po rte, fixemen t. Un g arde escort e Goryant chiko v, qui vient d’êtr e f ou etté.) Oh ou i, rossé, me s frères. «Il sera ma té , ce briga nd ».Et le peuple entier d’accourir.

«Assassin ! »«Assassin ! »«Ils vont le ma ter, l ’assassin, le ma ter ! »

56LUKA (nepovšimme si Skuratova)Aljejo, podávej nitku! Jsou zpuchřelé, komisní.

57 ALJEJA (přiběhne)Na trhu koupili.

58LUKA

Naše krejčovské jsou lepší.U které podlé baby je bere invalida?

59 ALJEJAU tetky.

60LUKATo značí u kmotry?

61 ALJEJAU kmotry.

62LUKATakový směšný byl.(Skuratov leží nehybně. )Dívám se, věznili nás dvanáct chochlů.Mezi nimi on, a pláče ! Pravil, odsoudili.

„A což ty moje děti? “

Já jemu pravil: „Bašu, ni!“ A vin bisov syn, a píšet,píšet. Nu, baču sobi, co by zdechl!A pořád píše, a pořád píše.A jak to dopsal, tak i propadla moje hlava.

A I tak čert by solil, ten major.Pojď jen, pojď jen! Mluv s ním ! Uvidíš!Mlčel jsem. Vzbouřil jsem chochly.Na majora si stěžovali.A já už zrána půjčil jsem si u souseda nůžRozzuřil se major. Jede.Vře to mezi chochly.Vletěl major. „Co to?Já car i Bůh! “Jak to řek, byl nůž v mojich rukou.

„Ne,“ pravím, „ Vaše blahorodí ! “A jdu k němu blíž a blíž.

B „Jak by bylo možno, byste nám byl car i Bůh?“A „ty, co? Zbojník?“ „Ne,“ pravím, a jdu k němu blíža blíž. „Bůh náš vševědoucí, všev ědoucí,On jedin jest ! On jedin jest!A car? On jedin jest nade všemi námi!“„A vy,“ pravím, „vy jen jeste jenom major z carskémilosti, a pro vaše zásluhy.“„Jak, jak, jak?“

zakdákal! Vbodl jsem mu nůž do života.Převalil se…Aljeja, niti ! (Zuřivě přetrhne nit.)Aljeja, niti ! Jsou shnilé!(Skřípají vrata z kordekvardije.)

63 VĚZŇOVÉA zpražili tě za to?

64LUKA… Nu, zpražili. Aljeja, nůžky!(Aljeja se stále upřeně dívá na vrata. Stráž vyvádí ztý-raného Gorjančikova.)Oj, zpražili, bratři. „Zbojníka budou káznit.“A všechen národ se sběhl.

„Vražedník!» „Vražedník!“„Vražedníka budou káznit — káznit!“

23Acte I

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Cria ient -ils. Oh, q uelle race imbé cile !Le bou rreau me dit : «Je vais t ’en fa ire voir! »Je croyais mourir…(La po rt e se ref erm e derr ière Goryan tchik ov.) 

LE VIEILLARDEt tu es mort?

LOUKACrétin! (I l lui lance son att irai l de cout ure.) Tro is ga rd ien s amènent un Gor yan t chik ov m art yrisé.Ils s’en ret our nent . Ent re-temps, Goryant chikov tr a- verse la cour en b oit ant et se laisse t om ber près du pu it s. Goryant chiko v se saisit secrèt emen t d ’un tr an- chet , il se cache dans un coin , prêt à at t aquer. Les t ro is gard iens reviennen t. Il bon dit , mais sa volon téet ses fo rces l’ab andon nen t. Il cache le tran chet et se laisse emmen er par les gardien s.

A Řvali. O, jak hlup ten národ!Kat na mne křičí: „ Přilípnu ti !“

B Myslím, že umírám…(Za Gorjančikovem se zavírají vrata.)

65 STAŘÍKA umřels?

66LUKAHlupáku! (Uhodí náčiním.)Tříčlenná stráž vyvádí Gorjančika ztýraného. Stráž sevrací. Zatím se Gorjančikov belhá přes dvůr a klesne u

 studně. Gorjančikov vytáhne tajně anglický kneijp adrží jej v rukou, kryje se v rohu připraven k vípadu. Z věznice vycházi tříčlená stráž. Gorjančikov se vzchopí,

 skrývá knejp a dá se vésti stráží.)

24 Acte II

64 Précisément, Louka décrit maintenant le supplice duknout qu’il dut subir pour avoir tué l’officier. La tensionmonte et devient insoutenable, avec le retour en force del’ex. 5, lorsque Louka commente «Rvali, Criaient-ils!»Arrivé au sommet d’intensité, l’orchestre s’interrompt brus-quement et Louka termine en disant : «Je croyais mouri r».C’est à ce moment que Pétrovitch fait son entrée, chance-lant, à moitié mort, soutenu par trois hommes: première etdramatique collision du passé et du présent.

La brève scène finale se déroule entièrement sur l’ex.13,sans aucune raison dramaturgique, mais avec toutes lesmeilleures raisons musicales! C’est une colossale gradationorchestrale, d’une orchestration prodigieusement colorée etpuissante. À la chute du rideau, l’orchestre augmente

encore de puissance, timbales et cymbales s’entrechoquent,les trilles de trompettes braient dans l’aigu, et enfin les der-niers coups de boutoir des timbales trillées, accompagnentla déchirante et catastrophique cadence (si peu) parfaitefinale, avec sa quarte augmentée et sa sixte mineure heur-tant l’accord parfait de La bémol mineur avec seconde ajou-tée dans le grave (on entend simultanément les notes Labémol, Si bémol, Ut bémol, Ré, Mi bémol et Fa bémol !).

DEUXIÈME ACTE

De longues tenues d’harmoniques des violons dessinentla ligne d’horizon. Les flûtes, en quintes parallèles (évoca-

trices d’espace, de vide) scandent de petites notes détachéesd’où sort ira l’ex.18. Une voix, au loin dans la steppe,chante:

Exemple 17 

C’est l’immensité, dans la clarté très blanche des étés nor-diques. l’ex.18 se précise, cependant que les doublescroches obstinées des basses et les rythmes de scies nousmontrent les bagnards au travail, en train de démolir un

vieux bateau. Nous sommes en Ré bémol majeur, proche deLa bémol mineur, mais pourtant si différent. La gradations’effectue sur :

Exemple 18

qui cadence bientôt sur un conséquent :

Exemple 19

en La bémol majeur, qui sera aussi exploité séparément. Lesdeux motifs passent d’un instrument à l’autre (l’ex.19 unefois au violon solo), et l’ex.18 s’emballe enfin en un presto

en triolets de noires, ponctué à la fin par des coups sombressur des enclumes (toujours le travail).

68 Pétrovitch commence son duo avec Alyeya dans un cli-mat très moussorgskyen (le chromatisme descendant rap-pelle l’Innocent de Boris Godounov) :

Exemple 20

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DEUXIÈME ACTE

Un an pl us tard . Le sol eil décline d ans un ciel l ivid e. Au bord de l’Irtych. Le regard po rte lo in dans la stepp e 

kirg hize : une yo urt e d’o ù mo nt e de la f umée on ent end chant er. Les pr ison nier s réparen t un bat eau,d’au tr es maçon nen t. Plus tar d ent rent Goryant chi- kov, Skou rato v et Alyeya.

UNE VOIX (en coulisse, chan t d e la step pe kir gh ize) A… a … a … a … (le br uit métal liq ue d es ou ti ls, des pio ches et des pelles) A… a … (Sur le b ateau , des charpen ti ers. Sko ur ato v et Goryant chiko v passent d es br iqu es.) 

GORYANTCHIKOVCher, cher Alyeya ! Écoute , Alyeya ! Tu a vais une sœur ?

ALYEYAOui, pourquo i me dem and es-tu cela ?

GORYANTCHIKOVElle do it être une b ea uté, je pense,si elle t e ressemble !

ALYEYAAh, que vois-tu en moi? C’était une telle beautéque nulle ne l’éga la it da ns tout le Daghestan.Jama is tu n’a s vu de bea uté pa reil le.Ma mè re aussi éta it très belle.

GORYANTCHIKOVElle t ’a imait ?

ALYEYAAh q ue dis-tu ? Elle est sûrement m orte de cha g rin.Elle m’a imait plus que ma sœur.

Cette n uit, elle est venue me voir en rêve,elle pleurait sur mon sort.

2. JEDNÁNÍ

O rok později. Slunce nad západem, nebe siné. BřehIrtyše. Vidět daleko na kirgizskou step; jurta, z ní sedýme a je slyšet zpěv. Vězňové spravují loď, jiní zed-ničí. Později vystoupí Gorjančikov se Skuratovem a

 Aljejou.

67HLAS (za jevištěm, zpěv kirgizské stepi)A… a… a… a… (kovový zvuk nářadi, motyk, lopat)A… a…(Tesaři na lodi. Skuratov s Gorjančikovem podávaji cihly.)

68 GORJANČIKOVMilý, milý Aljejo! Poslyš, Aljejo! Tys měl sestru?

69 ALJEJAMěI — a proč se ptáš?

70 GORJANČIKOVMyslím, že byla krasavice,byla-li tobě podobna.

71 ALJEJAAch, co na mně vidíš? Ona byla taká krasavice,že v celém Dagestaně nebylo krásnější.Tys neviděl nikdy takou krasavici.I moje matka krasavice byla.

72 GORJANČIKOVA milovala tě?

73 ALJEJAA co mluvíš? Ona jistě ted’ z hoře umřela.Ona mě měla víc než sestru ráda.

Ona dnes v noci ke mně přišla.a nade mnou plakala.

25Acte II

«Ah, que vois-tu en moi ?» Eri c Stokl ossa ( Alyeya) et Ol af Bär (Goryant chikov) ,mi se en scène de Pat r ice Chéreau, W iener Festwochen, 2007. R. Ribas.

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26 Acte II

Il y a beaucoup de tendresse dans ce dialogue, particulière-ment touchant lorsque Pétrovitch interroge le jeune Tartareau sujet de sa sœur : nul doute qu’i l y a là une sublimation,un transfert sexuel, d’ailleurs très pur et dénué de touteéquivoque.

Le chœur des détenus entre par fondu enchaîné sur unnouveau motif :

Exemple 21

exprimant une joie barbare qui accompagne la chute trèsréaliste de l’arbre abattu à coups de hache et les exclama-tions «Prázdník! La fête!» Soudain, le tutti s’arrête, onentend les cloches lointaines, dont le paisible balancementsert de fond au joyeux thème:

Exemple 22

pentaphone comme le seront plusieurs des thèmes du troi-sième acte, et d’autre part consanguin et descendant decelui du Prélude de l’acteIII de Jenůfa :

Exemple 23

Aux accents bondissants de ce thème, les détenus jettentleurs outils, car ils ont droit au repos. Puis, dans la pléthoredes cloches résonant de partout en véritable contrepointspatial (la partition en exige non moins de vingt-cinq, celadépasse de loin Tosca !), la musique s’accélère vers la lourdeet sonore Marche (avec petit orchestre de scène) en Labémol majeur, aux sons de laquelle le Pope bénit les plats etle fleuve. La Marche s’interrompt, pour faire place à nou-veau aux cloches en doux balancement : c’est maintenant labénédiction de paix du Pope qui vient s’y superposer, béné-diction extrêmement succincte ( Janáček l’anticlérical viscé-ral ne saurait lui en accorder davantage), à laquelle répli-quent les bagnards. Un bref motif descendant accompagne

les réjouissances, interrompu par quelques mesures de laMarche, signalant le départ du Pope et du Commandant.Une brève scène dialoguée, très animée, toujours sur fonddu motif descendant, privé à présent de son rythme pointé(les détenus mangent, boivent…), conduit au récit deSkouratov (9 mes. de rallentando).

Le récit de Skouratov

88 Musicalement, l’ introduction poursuit encore sur la lan-cée de ce qui précède, en une détente graduelle. La questiondu chœur « Jsme zvědavi ? On est curieux!» introduit lerécit proprement dit, qui sera un «montage» de six élé-ments différents sous forme de libre rondo asymétrique. Au

total nous avons le schéma: A-B-A-B-A-C-D-A-E-A-F-E-F-A. A c’est le thème du refrain:

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 ========   =l & c q_ >q   b q_ >q   lHoj   -   ho,   hoj   -   ho,

«Ho-ho, ho-hisse! » Mise en scène de Götz Fri edri ch, D eut sche Oper, Berl in, 1981. Archi ves du Théâtre.

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GORYANTCHIKOVÉcoute , Alyeya ! Je veux t’a pprend re à lire et à écrire.

ALYEYAOh, je voudrais bien! J’apprendrais volontiers!Apprend s-mo i, s’il te plaît.

LES PRISONNIERSHo-ho , ho-hisse !

GORYANTCHIKOVJe t ’apprendra i.

LES PRISONNIERSHo-ho, ho-hisse ! Ho-ho, ho-hisse ! Ho-ho, ho-hisse !(des cou ps de hache) Ho-ho , ho-hisse ! Ho -ho , ho-hisse !(Le mât s’af fai sse et to mb e.) La f ê t e … ! l a f êt e ! la f ê t e !(Des cloches au l oin . Les pri son nier s laissent to mb er leur s ou t ils.) 

LE PRISONNIER CUISINIERAlexand re Pétrovitch, ce sera la fê te, il y aura t héâ tre !(I l s’éclipse.) 

(Une m arche : les gardes, au gar de à vou s, le Com- mand an t , des invités. Le Pope béni t les alim ent s et l a ri vière .) 

LE POPESalut à vous en ce jour de fê te !

LES PRISONNIERS (se sign ant ) Salut à vous aussi! (Ils se divisent ; cert ains von t m an- ger, d’au t res saut ent dan s la ri vière o u se sign ent . Le Pope et le Command ant s’en von t. Prisonn iers et in vi- tés s’in st all en t à tab le, b oi ven t d u t hé, mangent .) 

LE PRISONNIER CUISINIER (off rant des piro chkis) Pour un sou ? Pour deux?

LE PETITPRISONNIER

Va pour deux !

74 GORJANČIKOVPoslyš, Aljejo! Chci tě učit číst a psát.

75 ALJEJAÓ, rád bych, rád bych naučil se!Nauč, prosím tě.

76 VĚZŇOVÉHoj-ho, hoj-hi!

77 GORJANČIKOVNaučím tě.

78 VĚZŇOVÉHoj-ho, hoj-hi! Hoj-ho, hoj-hi ! Hoj-ho, hoj-hi!(údery sekerou)Hoj-ho, hoj-hi! Hoj-ho, hoj-hi !(Stožár se kácí … stožár padne.)Prazdnik…! Prazdnik! Prazdnik!(Zvony z dálky. Vězňové zahazují náčiní.)

79 VĚZEŇ KUCHAŘAlexandr Petrovič, bude prazdnik, i těatr !(Odkvapí.)

(Pochod: stráže, placmajor, hosté. Stráž v pozoru,duchovní žehná pokrmy a řeku Irtyš.)

80 DUCHOVNÍPozdravljajem s prazdnikom!

81 VĚZŇOVÉ (křižují se)I my pozdravlajem!(Vězňové se rozcházejí za jídlem, skáčou do řeky,křižují se. Duchovní a major odcházejí. Vězňové ahosté zasedají za stolem, pijí čaj, jedí.)

82 VĚZEŇ KUCHAŘ (nabízí pirožky)Za groš? Nebo za dva?

83 MALÝ VĚZEŇ

Řež z a d va !

27Acte II

«La fête...! la fête ! » Mise en scène de Klaus Michael Grüber, Fest ival de Salzbourg, 1992. Salzburger Festspiele/ R. Walz.

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(Goryant chikov, Alyeya et Skou rato v s’at t ablent à leur tou r.) 

SKOURATOVFrères, le g énéra l arrive ! Il inspecte to ute la Sibérie !

LE PETITPRISONNIER

Il vient ég orger le Comma nda nt ?TCHEKOUNOVQuoi donc? Qu’est-ce que ça peut te fa ire ?

LE PETITPRISONNIEREt mo i , je te d is que tu es bête, bêt e !

SKOURATOVAïe, je suis un ho mme vide, inutile !Et c’est parce q ue j’étais amoureux q u’on m’a envoyé ici.

LES PRISONNIERSAh ! c’est pour cela !

SKOURATOVOui, pour cela ; penda nt cet te a venture, j’a i t i ré surun Allemand. Voyons, dites un peu, cela valait-il le

coup de me mett re en prison ?LES PRISONNIERSOn est curieux! Raconte !

(Ke stolu zasedají Gorjančikov, Aljeja a Skuratov.)

84 SKURATOVBratři, generál jede! Celou Sibiř prohlížlet bude!

85MALÝ VĚZEŇ

Zadávit majora?86 ČEKUNOVJakže? Je ti co do toho?

87 MALÝ VĚZEŇA já tobě pravím, žes hlupák, hlupák!

88 SKURATOVJaj, já pustý, zbytečný člověk!A mne sem poslali, že jsem se zamiloval.

89 VĚZŇOVÉA proto tě sem poslali!

90 SKURATOVNu proto; při té příhodě postřelil jsem jednohoNěmce. No, suď tě, stojí to za to mne věznit?

91 VĚZŇOVÉJsme zvědavi! Povídej!

28 Acte II

Exemple 24

B c’est le 9/ 16 nostalgique:

Exemple 25

C un développement de quatre notes de l’ex.24 (les quatrecroches Do-Si bémol-Sol-Si bémol), D une brève boufféede folie de doubles-croches, E un 3 / 8 rappelant l’ex. 9, F

un motif nouveau:

Exemple 26 

Le début du récit, tout de suite (et puis fréquemment)ponctué par les «il ment !» de l’Ivrogne, montre avec beau-coup de tendre délicatesse le retour de la mémoire. Commeune image charmante depuis longtemps enfouie, le refrainémerge peu à peu de l’oubli : d’abord le début de sa mélo-die, puis, à «mnoho  Němců, Beaucoup d’Allemands» lacaractéristique et obsédante cadence lydienne, avec lanuance douce-amère de la fausse relation entre cette quarte

lydienne la naturel et le La bémol de l’harmonie cadentiellede dominante. À cet endroit, le thème est pour la premièrefois complet, à la clarinette, et dans sa tonalité de Mi bémolmajeur, mais il s’affirme mieux encore (car à découvert) unpeu plus loin, à la première mention du nom de Louisa.C’est un climat de tendresse mais aussi de concentration:on sent que Skouratov essaye de ne pas perdre le fil de sonrécit, et ce fil, le fil d’Ariane, est l’ex.24! Cette musiquelyrique et charmante connaît un léger accroissement de pas-sion menant au 9 / 16 ardent et nostalgique, en Ré bémolmineur («Tu Lujza jednov nepřišla, Un jour, Louisa ne vintpas»), avec son extraordinaire incise de hautbois et de coranglais, purement debussyste, qui donne lieu ensuite à uneprogression ascendante en gamme par tons. Elle aboutit à

un bref retour du refrain de l’ex. 24 en Sol bémol majeur,(«Vždyt’ nikdy nelhala!, Elle qui n’a jamais menti !»). Mais

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SKOURATOVS’il fa ut ra conte r, je dis tout !

UN PRISONNIER IVREIl ment, il ment sur to ut !

SKOURATOV

Écoutez!Un jour, on m’a envoyé à Youryev, une b elle ville,avec beaucoup d’Allemands.Je lorgn e les Allema nde s.L’une d’e lles me plaît, Lou isa .Elle et sa ta nte éta ient b lanchisseuses.Au début, j’allais sous leurs fenêtres.Mais bient ôt , nous somm es devenus amis.Elle était si gentille, je n’avais jamais connu cela.Je voulais d’elle ceci ou cela, et elle :«Sacha , c’est impossible,je veux ga rder mon inno cencepour ê t re d igne d ’ê t re t a f emme! »Et elle rit , me provoq ue : «Marie-to i! »

Hé, réfléchissez, m e ma rier, mo i?LE PRISONNIER IVRE (en t i tubant ) Il ment ! Tout n’est que mensong e ! mensong e !

SKOURATOVMe marier, moi ? Me ma rier ?Je vais droit chez le colonel.

LE PRISONNIER IVREIl ment , tout est mensonge !

SKOURATOVUn jour, Louisa ne vint pas. Le lendemain non plus,ni le surlend ema in. Je lui écris: pa s de répo nse !Que se pa sse-t-il? Elle f ait des cacho tt eries?Elle q ui n’a jama is ment i!

Louisa ne savait pa s mentir! J’écris:«Si tu n e viens pa s, moi, je viend rai, c’est sûreme nt lafaut e de ta ta nte ! »Elle est venue. El le est venue, etpleure. «Sacha, m on riche parent veut m’épouser! »Je reste f rappé de stupeur. Elle pleure.«Tu me priverais de cet te cha nce ? »Et e l le me serre d an s ses bras . O Louisa ! Quellechance, en ef fet , d ’épouser un solda t ,un sous-of ficier q ui plus est !Le lende ma in, je vais au ma ga sin de l ’Allema nd.Je rega rde à travers les carreaux!(Le prisonnier ivre se rapp roche, les aut res le ret iennen t.) Je le vois, assis, qua rant e-cinq an s, un nez crochu,

des yeux globuleux, il répa re une mo ntre.J’ai voulu casser la vitre. Ma is à q uoi bo n, me dis-je ?«Ce qui to mbe de voiture est perd u, bien perd u ».Je suis rent ré le soir à la caserne , je me suis couché– et, Pét rovitch,j ’ai pleuré amèrement. (Il pleure.)

LE PRISONNIER IVREMensonge ! tou t n ’est que mensonge !(Skou rato v att rape l’ ivro gne et le jett e à terre.) 

LES PRISONNIERSHo u ! Ho u ! H o u ! H o u !

SKOURATOV (Il s’assoit tr anqu il lement .) Un jour pa ssa, un aut re, puis un a utre.

Nous ne nous sommes pas revus, Louisa et moi.Il lui a fa it promet tre, dit-on, de n e plus me conna ître.

92 SKURATOVKdyž povídat, tak povídat.

93 OPILÝ VĚZEŇOn lže, všechno lže!

94 SKURATOV

Poslouchejte!Poslali mne v Jurjev, pěkné to město,A mnoho Němců.Divám se po Němkách.I zalíbila se mi německá Lujza.Lujza a tetka byly pračky.Z počátku jsem jen pod okny chodíval.Ale brzo nás přátelství spojilo.Ona byla taková milá, jakou jsem nikdy nepoznal.Já chtěl po ní to či ono…A ona mně :„Sášo, to nemůže být,

 já si chci svou nevinnost uchovat,abych byla tvojí důstojnou ženou! “A směje se, vybízí: „Ožeň se !“

Nu, pomyslete, já se ženit?95 OPILÝ VĚZEŇ (se připotácí)

Lže! Všechno lež! Lež !

96 SKURATOVJá se ženit? Já se ženit?Tož rovnou k plukovníku.

97 OPILÝ VĚZEŇLže, všechno lže!

98 SKURATOVTu Lujza jednou nepřišla. Po druhé též —i po třetí. Píši jí, žádná odpověď!Co to? Zchytrala?

A Vždyt’ nikdy nelhala!

Lujza lhát neuměla! Píšu:B „Když nepřijdeš, sám přijdu, v tom vězí tetka!“

Přišla. Přišla a pláče.„Sášo, můj bohatý příbuzný chce si mne vzít! “Jsem jako zařezaný. Ona pláče.

C „Chtěl bys mne zbavit toho štěstí“A objímá mne. Ó Lujzo! Co za štěstí

 jít za vojáka,když je untěr!

D Na druhý den šel jsem k jeho magacínu.Dívám se v okno!(Opilý vězeň se zase blíží, ostatní ho zdržují.)Sedí Němec čtyřicet pěti let, nos hrbatý

oči vypoulené, hodinky spravuje.Chtěl jsem rozbít okno. MysIím si, ale nač?„Propadlo, co z vozu upadlo“.přišel jsem k večeru do kasáren.Leh jsem — a, Petroviči,

E hořce zaplakal.. (Pláče.)

99 OPILÝ VĚZEŇLež! Všechno lež !(Skuratov chytne opilce a mrští jím o zem.)

100VĚZŇOVÉHou! Hou! Hou! Hou!

101SKURATOV (usedá klidně)Přešel den, druhý, třetí.

S Lujzou jsem se nesešel.Vzal prý z ní přísahu, že mne znát nebude.

29Acte II

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Lorsque j ’ai su q ue to ut ét ait f ini, je prend s mon ma n-tea u et je vais droit chez eux.À tout hasard j ’emportais mon pistolet.J’entre. Le fian cé est bien coiffé, en fra c,Louisa en fa ce de lui. Près d’elle, un vieux ventripo-

ten t. Ils sont to us assis et se ta isent .La rage saisit l’Allemand.Louisa blêmit.«Que puis-je faire pour vous?»dit l’Allemand.«Ce que t u peux fa ire pour mo i? Accueillir ton h ôt e !Sers-lui de la vodka ! Je suis venu chez t oi en hôt e ! »«Asseyez-vous! »«Ma is q uelle gro ssièret é !Nous somm es cam ara des, je viens ici en ami ! »«Je ne peux l’être, tu n’es qu’un simple solda t ! »«Espèce d’épo uvant ail , sais-tu q ue je pe ux fa ire detoi ce que je veux? Veux-tu q ue je te tue ? »«Vous n’en avez pa s le d roi t ». «Pas le droi t ? » –«Non ! »«Eh b ien, voilà po ur to i! »Le coup est pa rti, il

est to mbé. Les femme s crient . Je me suis enfui. On m’ajugé. On m’a condamné à la double ha ie de s soldats .

LES PRISONNIERSEt Louisa ?

SKOURATOV (faisant un geste sauvage de la main ) Oh, Louisa .

Když jsem věděl, že se to skončí, vezmu plášť a rov-nou k nim.Pro všechen případ vsunul jsem pistole.

A Vejdu. Ženich učesaný, ve fraku,Lujza naproti němu. Z boku stařec tlustý.

Sedí a mlčí.Němec vzkypil zlostí.

B Lujza zbledla.„Co vám libo?“ pravil Němec.

C „Co mi libo ? Hosta vítej!Vodky nalívej! Já tobě v hosty příšel! “„Sedněte! “ „A co ty tak hrubě?Tys mi druhem, jdu k tobě s přátelstvím!“„Nemohu jím být, tys sprostý voják!“

D „Ty hastroši, víš, že já mohu s tebou dělat, co chci?Chceš, bych tě zastřelil?“„To nesmíte dělat“. „Nesmím?“ „Ne!“

E „Tak, tu máš. “ Vyšla rána, spadl. Ženské křičí.Já utekl.

F Soudili. Usoudili zelenou ulici.102VĚZŇOVÉ

A Lujza?

103SKURATOV (máchne divoce rukou)Ó, Lujza.

30 Acte II

tout de suite revient l’ex. 25, en un La bémol mineur trèsardent et passionné (« Když nepřijdeš ? Si tu ne viens pas»),se développant par modulations: dans ce passage de toutebeauté, c’est le grand  Janáček romantique qui s’exprime,celui de l’Amant du Deuxième quatuor «Lettres intimes».Au retour du refrain à «Chtě l bys mne zbavit?, Tu me pri-

verais de cette chance?», les chromatismes descendants semêlent au thème, évoquant les pleurs de Louisa. Ces pleursse calment, et le récit se poursuit (« Na druh ý den, Le len-demain»), sur une ondulation placide de quatre croches(Do-Si bémol-Sol-Si bémol), cheminant paisiblement surun accompagnement marquant les temps, et s’adjoignant unpetit contre-chant des bois comprenant des doublescroches. La musique demeure tendre et transparente, maisà «hoř ce zaplakal , J’ai pleuré amèrement » les doublescroches continuent à découvert aux altos et s’accélèrent enun bref ostinato au cours duquel Skouratov jette l’Ivrogneà terre pour le faire taire, approuvé par les «hou-hou» duchœur des détenus, qui veulent qu’il continue son récit.

101 Celui-ci reprend en La bémol majeur («Př eš el den, Un jour passa»), puis en Mi bémol et en Ré majeur, toujourstrès doux. Un ostinato (croche-noire/ noire-croche) marquela rencontre avec le prétendant détesté («Vejdu, J’entre»). Leretour de l’ex. 24 en La bémol évoque Louisa toute blême(«Luiza zbledla»), puis un nouveau thème (ex.26), d’uneinstrumentation très âpre (petite flûte et hautbois, harmo-nies aux trois flûtes, quatre cors, trois trombones et tuba)marque l’intervention de l’Allemand («Co mi libo? Ce quetu peux faire pour moi ?»), et l’atmosphère s’assombrit (tonsmineurs; dissonances; orchestration). La suite du récitconfirme cette montée de tension et le retour en force, trèsscandé, de l’ex.26 en Mi mineur marque l’instant dumeurtre («Tak tu má š ! Eh bien, voilà pour toi !»). Brève

césure, Skouratov prend la fuite et se fait arrêter («Soudili!On m’a jugé!») sur un dernier rappel en La bémol de l’ado-

rable vision de l’ex.24. Le chœur interroge: «Et Louisa?».Au thème de l’ex.24 pour la première fois minorisé (Labémol mineur, ton du bagne!) se mêlent déjà les couleursdu thème de la Souffrance (trémolos de violons). Skouratovfait un évasif «Oh, Louisa», et fait signe de la main qu’il neveut plus se souvenir.

105 Le thème de l’ex.26 sonne brièvement à l’orchestre en Labémol mineur, avec deux mesures de chœur, puis Chapkine,qu’on entend pour la première fois, chante une rapidechanson dansée à la cosaque en M i majeur, celle du Chevalnoir («Č erná kobyla »). Louka lance une autre chanson,vive et sauvage, l’orchestre reprend deux mesures de la pré-cédente, et brusquement le tutti s’interrompt : Kedril, juchésur la petite scène improvisée, annonce le début du spec-tacle (fondu enchaîné sur la chanson de Chapkine). Dos-toïevski lui-même s’est perdu en conjectures quant à l’ori-gine du nom du valet de Don Juan, totalement différent desLeporello et autres Sganarelle habituels: Kedri l est peut-êtreune déformation de Kyri l ?

108 Pour les sonorités orchestrales des deux petites piècesimprovisées par les détenus, Janáček s’est inspiré de l’effec-tif du petit ensemble décrit par Dostoïevski dans ses souve-nirs: deux violons, trois balalaïkas, deux guitares, un tam-bourin et deux accordéons. Nous allons entendre en guisede détente bien nécessaire une musique vive et amusante,faisant regretter (surtout la Pantomime de la Belle Meu-nière) que  Janáček n’ait jamais eu l’occasion d’écrire degrands ballets, alors qu’il en possédait le génie potentiel aumoins autant que Stravinsky ou Prokofiev…

La pièce sur Kedril et Don Juan

Voici tout d’abord La pièce sur Kedri l et Don Juan . Tout

de suite, Don Juan est aux prises avec les diables, dont levacarme de timbales en triples croches rappelle la raclée

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CHAPKINELe Comma nda nt vou lait se ma rier.On lui a mo ntré la porte.Une jument noire ne devient jamais blanche.

LE PRISONNIER CUISINIER

Une jument noire ne devient jamais blanche.LOUKA (dansant)Moi, j’ai une chemise, une culot te de velours,une culotte d e velours.

LES PRISONNIERSJ ’avais une maisonnet te à deux étag es .

KEDRIL (depu is l’estrade) L’opéra commen ce ! L’opéra Kedril !L’opéra commen ce ! L’opéra Kedril !

PIÈCE SUR KEDRIL ETDON JUANUne estrade f aite de m orceaux d ’épaves de bat eaux. Les invités et l es pr ison niers sont placés comme au théâtre.Goryan tchikov et Alyeya son t assis côte àcôte. Les pr i- 

son nier s jouen t fer s aux p ieds, en costumes improvisés.DON JUAN (mon tant sur l ’estrad e) Aujourd ’hui sera m on d ernier jour !J’appelle l ’enfer à mon secours!(Des diab les sort ent des quat re coin s. Arméde son épée, Do n Juan se défen d et les chasse.) Je ne vous crains pas ! Je ne vous crains pas !(Il se défend des diables par son épée. Kedri l tremble de f rayeur.) 

LES PRISONNIERSNa f ! Na f ! Na f ! Na f ! Na f ! Na f ! Na f !

DON JUANAmène Elvire ! N’aie pa s peur des diables!

Prépare le souper !

104 ŠŠAPKINMajor chtěl se ženit.Dveře ukázali.Černá kobyla, nevybílíš do bíla.

105VĚZEŇ KUCHAŘ

Černá kobyla, nevybílíš do bíla.106LUKA (tančí)

Mám já košilu, šaraváry plyšové,šaraváry plyšové.

107VĚZŇOVÉMěl jsem domek o dvou poschodích.

108KEDRIL (s jeviště)Opera bude, opera Kedril. Opera bude,opera Kedril.

109HRA O KEDRILOVI A JUANOVI Jeviště z částí lodních pořízené. Hosté a vězni jako v hledišti. Gorjančikov a Aljeja sedí vedle sebe. Hrají vězňové v poutech, v improvizovaných kostýmech.

110DON JUAN (vyjde na jeviště)Dnes bude můj poslední den !Já peklo volám k pomoci!(Čerti vylézaji z koutu. Don Juan se jim bráni kordem,

 zažene je.)Já se vás nebojím ! Já se vás nebojím!(Bráni se čertům kordem. Kedril se třese strachy.)

111VĚZŇOVÉNaf! Naf! Naf! Naf! Naf! Naf! Naf!

112DON JUANElvíru při ved ’ ! Čert ů se neboj !

Več eři p řiprav!

31Acte II

«J’appell e l ’enfer àmon secours! » Bernhard Stejskal (Don Juan) , mi se en scène de Peter Mussbach, Opéra de Francfort , 1994. Coll. Opera/ D. Mentzos.

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32 Acte II

donnée à Pétrovitch à son arrivée au premier acte. Toutecette première pièce se déroule sur des successions de brefsthèmes instrumentaux traités jusqu’à épuisement selon laméthode bien familière de Janáček, mais pas assez impor-tants pour être cités ici.

112 À la deuxième scène, Kedril apporte Elvire, qui se défenden vain sur un rythme iambique obstiné à 3/ 8. Le Cheva-

lier apparaît précipitamment, et bientôt les épées se croisent(chocs réalistes de cymbales). Le bref épisode avec la laidefemme du cordonnier suscite une musique ironique assezproche de Prokofiev (nouveau tempo, 4 / 4 en croches liées).Le flirt avec la femme du Pope amène un thème beaucoupplus profilé à 6/ 4:

Exemple 27 

très scandé, dont une variante donnera ensuite naissance à

l’ex. 28. Les diables tentent une nouvelle offensive (vacarmede timbales), mais Don Juan les défie avec le voluptueux etinsolent thème de valse:

Exemple 28

d’une couleur straussienne visiblement voulue, ici encoredisjoint : i l ne sera définitivement exprimé et complet qu’àla fin de la Pantomime de la Belle Meunière. Cependant, lesdiables finissent par avoir le dessus et emportent Don Juandans le fracas de la crécelle. Kedril demeuré seul conte fleu-rette à la Popesse, mais un petit diable attrape celle-ci parderrière, ce qui marque la fin de la pièce. Cette fin est saluéepar le chœur des rires du public, court et vi f, à 3/ 8, trèsamusant et réaliste, mais tôt interrompu par Kedril, qui

annonce le deuxième spectacle.

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«Non ! je ne vous crai ns pas!» Alexandre Krawetz (Chapkine) et

Alec Jeni s (Don Juan) ,mise en scène dePierre Str osser,Grand Théâtre,Genève, 2004.GTG/ M. del Curto.

La Pantomime de la Belle Meunière.M ise en scène de

Klaus Michael Grüber,Festi val de

Salzbourg, 1992.Salzbu rger Festspiele/ 

R.Walz.

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(Kedr il amène Elvir e q ui se défend . Don Juan la saisit et l’em br asse. Un chevalier sur git dan s la p ièce. Ils cro isen t l ’épée. Le cheval ie r meu rt , tr an sper cé. Elv ir e s’en f ui t en cr ian t . Don Juan essu ie son épée. Ked ri l t raîne l e cadavre ho rs de la p ièce. Il revien t avec des victu ail les, poussant d evant lu i la femm e d’un cor- don nier. Don Juan la repou sse, la femm e voudr ai t bien de lui. Kedri l renvoie le laideron.) 

DON JUANApporte le souper!

KEDRILTout de suite ! Tout de suite !(Il sort en courant . Il intr odu it la femme d’u n Pope, en larm es; pui s il s’instal le sou s la t able avec le sou per.Don Juan fait à la f emm e une cour jo yeuse. Il veut l’en t raîner. Sur gi ssent des diab les.) 

DON JUANNon ! je ne vous crains pas!(Les diab les s’empar ent de lu i.) À l’a ide ! Kedri l !

KEDRILLes diables emmènent mo n ma ître !

(Don Juan d isparaît avec les di abl es.) Les diables ont pris mon m aître, h i, hi, hi, hi, hi, hi!(Il att rape la f emme d u Pope et m inaude avec elle. Ils se met ten t à sou per. Un pet it d iable s’empar e de la fem me par -derr ière ; rires du p ub lic.) 

LES PRISONNIERSHi, hi, hi, hi, hi! Hi, hi, hi, hi, hi! Ho, ho, ho , ho, ho !Ho , h o… Hi, h i… h a , ha … et c .

KEDRILÀ présent, la pantomime de la Belle Meunière!

PANTOMIME DE LA BELLE MEUNIÈRESki ro t ki n dégu iséen meunière , Nezvyestyev dans le rôle du meunier. Celui-ci mon tr e un fo uet à sa femme,

qui compren d, et lui f ait ses adieux. La meun ière f ile la quen oui lle, pensivemen t. Quelqu ’un f rapp e à la port e.

(Kedril přivádí Elvíru, ona se brání. Juan ji uchopí alibá. Rytíř vrazí do síně. Meče se křižují. Rytíř probod-nut a Elvíra s výkřikem prchá. Don Juan si otírá meč.Kedril odvléká mrvolu. Vrací se s jídlem, strká vpřed 

 ševcovou. Don Juan ševcovou nechce, ševcová by ráda. Kedril vytlačuje šerednou ševcovou.)

113DON JUANVečeři dones!

114KEDRILSejčas! Sejčas!(Odbíhá. Kedril přivádí nařikající popovou; sámusedá s jídlem pod stůl. Veselé zamilované pletky Dona Juana s popovu. Don Juan chce si odvádět 

 popovou. Čerti vylézají.)

115DON JUANNe! Nebojím se vás!(Čerti berou Dona Juana.) Pomoc! Kedrile!

116KEDRILČerti pána berou!

(Don Juan s čerty odcházi.)Čerti pána vzali, chi, chi, chi, chi, chi, chi!(Kedril chytne popovou a miliskuje se s ní. Hoduje s

 popovou. Malý čertík chytne zezadu popovou, chech-tot v obecenstvu.)

117VĚZŇOVÉChi, chi, chi, chi, chi! Chi, chi, chi, chi, chi! Cho, cho,cho, cho, cho! Cho, cho, chi, chi… cha, cha… etc .

118KEDRILTed začne pantomima o pěkné mlynářce!

119PANTOMIMA O PĚKNÉ MLYNÁŘCESkirotkin v úboru mladé mlynářky, Nezvěstěv v úlozemlynáře. Mlynář se Ioučí, dřív však ukázal paní bič.

Ona rozumí…Mlynářka přede zamyšlena. Vtom někdo zaklepe.

33Acte II

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34 Acte II

Pantomime de la Belle Meunière

119 C’est la Pantomime de la Belle Meunière (ainsi, commedans les vrais théâtres, un «ballet » succède à un «opéra»!),sujet bien connu, espagnol comme le précédent, et évidem-

ment traité par Manuel De Falla dans le Tricorne. Il estintéressant de comparer la musique de Janáček surtout avecla version primitive de l’œuvre de De Falla (El Corregidor  y la Molinera), plus pantomime que ballet, écrite pourpetit orchestre. La pantomime de  Janáček repose entière-ment sur le thème coquet et sémillant de la Meunière:

Exemple 29

en Mi mineur dans sa première présentationà la clarinette, mais qui passera dans tous lestons et à tous les instruments possibles etimaginables. C’est une musique très spiri-tuelle, qui fait penser parfois au Martinu deSpalícek (grand ballet d’une soirée de 1931-1932) : les cadences sont typiques de Mar-tinu, mais les petites figurations rapides dedoubles croches décrivant à chaque fois l’af-folement de la Meunière sont du pur Janáček. L’épisode de l’Écrivain public rap-pelle à nouveau Prokofiev de manière trèsamusante, avec son thème:

Exemple 30

traité en canon (il avait été esquissé aupara-vant dès l’entrée du Voisin, mais s’exprimecomplètement ici). La fiesta se poursuit assezlonguement, interrompue soudain par lesviolents coups frappés à la porte par le Meu-nier rentrant chez lui, mais la même thémati-que (ex.29 et les figurati ons de doublescroches) accompagne l’extraction des amantsde leurs cachettes respectives. Enfin DonJuan, jetant son déguisement de Brahmane,parvient à se débarrasser et de ses rivaux, et duMeunier, et danse avec la Meunière la Valsetr iomphale et insolente (ex.28) en pleinegloire, en Si majeur, puis Ré bémol majeur,

enfin Ré majeur, ton dans lequel la panto-mime se termine par quelques accords sonores, tandis quele ri deau tombe rapidement : ce sont de très rapidescadences parfaites altérées, mais la dernière fois, la disso-nance est très longuement tenue avant sa résolution, et serévèle être (timbres orchestraux à l’appui) la cadence dou-loureuse de l’ex. 5:

Exemple 31

Le Sol# monte au La, le Mi au Fa#, le Ré# descend au Rénaturel, le La grave monte au Ré. C’est là l’un des traits degénie les plus étonnants de Janáček, un rappel à l’ordre aprèsl’évasion illusoire de la fête, un rappel qui fait terriblementmal ! Après tout , les forçats ont joué leurs pantomimeschaînes aux pieds, nous avions fail li l’oublier !

121 La fin de l’acte enchaîne trois scènes très courtes (moinsde cinq minutes au total). Des modulations aux flûtes, puis

aux violons, sur la «cadence douloureuse», rendue plus stri-dente par les tessitures aiguës, redescendent doucement de

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La Pan tomime de la Bell e Meunière. M ise en scène de Karel Jernek, Teatro all a Scala, Mil an, 1966.Coll. Opera/ Archivio Fotografico Teatro alla Scala.

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Entr e un meu nier, leur voisin ; i l appo rte un fou lard roug e comme présent . Ils flir ten t. Des cou ps à la p or t e.Eff rayée, la meunière cache son voi sin sou s la t abl e.Entre un pet i t g ref f ier en uni form e mi l i ta i re, plein de suf fisance. Ils se fo nt mu tu ellemen t d es courb ett es. Le gref fi er fait un p as en avant , s’arrête, bomb e le tor se,regarde f ièremen t au to ur d e lui, pui s s’appr oche à grand es enj ambées de l a meun ière. Ils tomb ent dan s les bras l’un d e l’aut re. On f rapp e. Où le dissimu ler ? Dans un coffre.Sur gi t u n b rahmane – Don Juan . Il emb rasse immé- diat emen t la m eun ière. Coups violen ts à la p ort e.Que faire du brahm ane ? Le fou rrer dans un sac! La meun ière enf i le un e aiguil le sans son fi l , et fait to ur- ner son f useau qui gît à terr e.Le meun ier en fo nce la po rt e. Il délog e les deu x pr e- mier s sou pir ant s et les jett e deh ors à coup s de p ieds.Le brahm ane sort de sa cachett e ; i l fait t omb er son dégu isemen t h ind ou . Le meu nier t om be. Des diab les 

surgissent.DON JUANSois maud it ! Sois maudit !(Il crache du feu , empo ign e la meu nière et dan se jus- qu ’à épuisem en t .) (Le rid eau se baisse sur l’estr ade . Le soi r est t om bé. La pl up art des pri son ni ers son t r ent rés dan s leu rs caser- nement s; Goryantchikov et Alyeya sont assis devant l’ en t rée et boi ven t du t hé.) 

ALYEYAIls ont bien joué, n’e st-ce pas ?

UN JEUNE PRISONNIER (à la p lu s la id e des prosti t uées,in st allée dan s un aut re coi n) 

À ta santé, o ù t ’éta is-tu cachée ?LA PROSTITUÉEUne pie reste pe rchée plus long tem ps!

LE JEUNE PRISONNIERCela fa i t longt emps que je ne t ’a i vue !Tu a s maig ri, maig ri!

LA PROSTITUÉECela se peu t. Comme si j’ava is ava lé une a iguille !

LE JEUNE PRISONNIERTu cou rs les solda ts ?

Vejde soused mlynář nese dárek, červený šátek. Milis-kují se. Klepání na dveře. Mlynářka ulekaná schovává

 souseda pod stůl.Vejde písařík ve vojenském munduru, vystupuje sebe-vědomě. Uklánějí se sobě navzájem. Písařík vykročí,

 zastaví se, hruď vypne, hrdě se dívá kolem, pak 

dlouhými kroky blíží se k mlynářce. Objímají se. Zaseklepání. Kam s ním? Mlynářka písaříka přiklopí.

Vstoupí Brahmín – Don Juan. Brahmín hned objímámlynářku. Bouchání na dveře. Kam s Brahmínem? Do

 pytle! Mlynářka navléká nit, jíž nemá, točí vřetenem, jez leží na zemi.

Mlynář vyrazí dveře. Vytahuje prvního, druhéhomilovníka, vyhazuje kopanci za dveře. Brahmínvylézá z úkrytu, spadne z něho vše brahmínské.Mlynář padá. Čerti vylézají.

120DON JUANProklel’ buď! Proklel’ buď!(Srší ohněm, popadne mlynářku a tančí s ní do úpadu.)

(Opona malého jeviště padá Setmělo se. Vězňovévětšinou zašli do kasáren, před vchodem sedí ještěGorjančikov s Aljejou a pijí čaj.)

121ALJEJAPěkně hráli, co?

122MLADÝ VĚZEŇ (k nejšeredněyší poběhlici v jiném koutě)

Na zdraví, a kdes ty zasíděla?123POBĚHLICE

Straka na bidle déle sedí!

124MLADÝ VĚZEŇUž jsem tě dlouho neviděl!Zchudlas, zchudlas!

125POBĚHLICEMůže být. Jak bych byla jehlu polkla!

126MLADÝ VĚZEŇZa vojáčky chodíš?

35Acte II

Ré majeur à Ré bémol majeur, ton du monde réel de cetacte. Alyeya commente rêveusement («Pěkně  hráli ») surdes bribes de l’ex.28 en Sol bémol majeur, qui demeure sus-pendu, inachevé…

124 Un accord tril lé de Fa# mineur s’installe aux flûtes et cla-rinettes, touche de  froid  soudain pour la brève scène duJeune Prisonnier et de la Prostituée, qui se déroule sur undébit vocal sec et haché, auquel correspond la thématiqueinstrumentale «pointue» (staccato coupé de silences,timbres extrêmes des flûtes et clarinettes suraiguës et dubasson grave), d’un petit motif de quatre notes. Le seul per-sonnage féminin de tout l’opéra demeure donc totalementprivé de tendresse et de féminité, ce qui rend d’autant plus

impératif le choix d’une voix de soprano pour le rôled’Alyeya. Cette scène ne dure que 30 mesures, la suivante

est plus brève encore: sur le fond sonore des prisonnierschantant au loin dans la caserne sur balancement de«cadence douloureuse» (Martinu s’en souviendra dans sa Juliette !), Chapkine apostrophe brièvement le Vieux Pri-sonnier. Puis c’est le chant déchirant de Louka au loin :

Exemple 32

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Luka

œ« b œ« b E E n Q   b Q   l b œ« b œ« b E E n Q   b Q   lOj, plá - ce, plá - ce mla - dy ko - zá - ce

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36 Acte II

qui semble concentrer toute la misère et la tristesse sansrecours du monde, tout comme le chant de l’Innocent dansBoris… Mais voici la dernière scène de l’acte.

L’ondulation précédente, transformée, prend une cou-leur harmonique d’une nudité et d’une désolation évoquantde manière saisissante Chostakovitch (dont la mère, rappe-lons-le, était sibérienne!), ce que le vide entre registresextrêmes accentue encore. l’ex. 33 rappelle de très près l’at-mosphère glaciale du début de laOnzième symphonie (l’An-née 1905) du maître soviétique:

Exemple 33

145 C’est sur ce fond sonore «hosti le» que se développe l’al-tercation opposant le Petit Prisonnier à Pétrovitch et Alyeyabuvant du thé, qu’interrompt seulement la voix lointaine(de la caserne) de Tchekounov reprenant la mélodie(ex.32), mais «dérail lant » à la fin chromatiquement avecdes dissonances qui percent le cœur. l’ex. 33, peu à peuaccéléré et agrandi dans ses intervalles, devient enfin l’ex.34:

Exemple 34

qui termine l’acte sur un sommet de tension et de violence,les sinistres roulements de tambour signalant l’ interventiondes Gardes. Et c’est le longdecrescendo d’un tel roulement,seul, qui met le point final.

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Un poco più mosso

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«Sois maudi t ! Sois maudi t ! » Al ec Jenis (Don Juan ) , mise en scène de Patr ice Chéreau, Wiener Festwochen, 2007. R. Ribas.

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LA PROSTITUÉEEt alors. Même avec les côtes brisées, avec les côtesbrisées, j ’aimera i encore aller voir les solda ts !

LE JEUNE PRISONNIERN’y va pa s. Nous aussi, nous a vons de l ’arg ent .(Ils s’en f on cent dan s l’ob scuri té.) 

LES PRISONNIERSAïe, aïe, aïe !

CHAPKINE (au viei l lard) Vieil Anto nitch, sois le b ienvenu ! Mets du sel sur tonpa in ! Oh , oh , oh , oh !

LE VIEILLARDViens t’asseoir, si tu es sérieux.

CHAPKINEJe te croyais mort !

LE VIEILLARDMeurs d’abo rd, je te suivrai.

LOUKA (au loin) 

Oh, il pleure, pleure le jeune cosaque, à l ’heure duma lheu r. Oh , il croasse, il croa sse le corbe au noir, da ns lavallée lointaine.

LES PRISONNIERSAïe, aïe, a ïe…

LE PETITPRISONNIER (s’appr ochant d e Goryantchikov et d’Alyeya) Pourquoi ne di tes-vous pas bonjour ? Pourquo i?Bon a ppét it , les gens de Koursk!

GORYANTCHIKOVFrère, nou s ne sommes pa s de Koursk!

LE PETITPRISONNIERDe Tam bo v, peu t-être ?

GORYANTCHIKOVDe Ta mbo v non plus.

LE GRAND PRISONNIEREh, les maîtres boivent !

LE PETITPRISONNIERQuels ma îtres?Ici, nous somm es tous éga ux, to us ég aux !

LES PRISONNIERSTous ég aux… Ici, nous sommes to us éga ux…

GORYANTCHIKOVSi vous voulez, je vous en do nnera i, je vous en d onne rai!

TCHEKOUNOV (depuis les baraquemen ts) 

Oh, il pleure , pleure, sur son che val no ir,oh, d étruis mon dé sir !

LE PETITPRISONNIER (saut ant sur p lace) P erm et t ez … ! J e v o u dr a i s v o u s dem a n der, vo u sdem an de r quels sont les revenus q ui vous permet ten tde bo ire du thé ? Vous avez sûrement de l ’argent !Alors, vous pinte z du thé en prison ? Vous pintez d ut h é ? (I l attrap e un baqu et, le leur lance à la fig ure et t ou che A lyeya q ui t om be, b lessé.) 

GORYANTCHIKOVOh, Alyeya !

LES PRISONNIERSAu meurtre ! Au meurtre! (Ils sou lèven t A lyeya.) Dieu l ’a sauvé ! (Des gard es ref ou lent les pri son nier s.) 

127POBĚHLICEA což. Třeba bez žebra. Třeba bez žebra,přece ráda za vojáčky!

128MLADÝ VĚZEŇNechoď. i my máme peníze.(Zajdou do tmy.)

129VĚZŇOVÉAj, aj, aj!

130ŠAPKIN (k staříčkovi)Staříčku Antoniči, zdráv buď! Chléb sol !Oj, oj, oj, oj !

131STAŘÍKKdyž neblázníš, sedni.

132 ŠAPKINJá myslel, žes umřel !

133STAŘIKUmři napřed, a já za tebou.

134LUKA (z dálky)

Oj pláče, pláče mladý kozáče v neštastné hodině.Oj kráče, kráče čerňounký havran v daleké dolině!

135VĚZŇOVÉAj, aj, aj…

136MALÝ VĚZEŇ (přistupuje ke Gorjančikovovi a Alejejovi)

Pročnezdravíte?Našim Kurským dobrého chutnání!

137GORJANČIKOVMy, bratře, nejsme Kurští!

138MALÝ VĚZEŇSnad Tambovští?

139GORJANČIKOVNejsme Tambovští.

140VELKÝ VĚZEŇHej, páni pijí !

141MALÝ VĚZEŇJací páni?Zde všichni rovni, všichni rovni!

142VĚZŇOVÉVšichni rovni… Zde všichni rovni…

143GORJANČIKOVChcete-li, dám vám, dám vám!

144ČEKUNOV (z kasáren)Oj, pláče, pláče na vraném koni,oj, rozbij touhu mou!

145MALÝ VĚZEŇ (poskočí)Dovolte…! chtěl bych se vás zeptat,vás se zeptat, z jakých příjmů čaj si tu pijete?Máte asi peníze!Proto vy ve vězení čaj chlastat?Čaj chlastat? (Chytne džber, mrští jím, zasáhne

 Aljeju. Aljeja padá zraněn.)

146GORJANČIKOVÓ, Aljejo!

147VĚZŇOVÉUbíjstvo! Ubíjstvo! (Zdvihají Aljeju.)Bůh spasil! (Stráže zatlačují vězně. )

37Acte II

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TROISIÈME ACTE

PREMIÈRE SCÈNE

L’in fi rm erie d e la prison. Le soir. Des lit s de p lanches les uns con t re les au t res, à l’ ar rière -pl an , un p oêle. Le vieillard est assis au coin du feu .

ALYEYA (cou ché, f iévreux ; Go ryan t chi ko v est assis à côtéde lu i.) Jésus, prophète de Dieu, a nnonce Sa pa role.

GORYANTCHIKOVLaq uelle t e plaît le plus?

ALYEYACelle-ci, lorsqu’il d it :Pardonne, ne nuis pas à t on prochain, a ime!Il faisait de grands miracles! Il façonna un oiseau degla ise, souffla dessus et il s’envola, et il s’envola !(en une exaltation fébrile)Il s’envola !

3. JEDNÁNÍ

SCÉNA I

Vězeňská nemocnice. K večeru. Pryčny jedna vedledruhé, vzadu pec — na ní stařík.

148ALJEJA (leží v horečce, u něho sedí Gorjančikov)

lsak, prorok boží, boží slova mluví.

149GORJANČIKOVA co se ti nejlépe líbilo?

150ALJEJATo, když praví :odpoušťěj, neublilžuj, miluj !Dělal velké divy! Ptáky z hlíny tvořil,vdechl na ni a on vzlétl, a on vzlétl!(v horečném zanícení)Vzlétl!

38 Acte III, scène 1

TROISIÈME ACTE

Des sombres rumeurs des cordes graves émerge unemélodie plaintive, confiée à un hautbois, un violon solo etun alto solo:

Exemple 35

en Sol mineur, puis, après une violente intervention de tim-bale, en Mi bémol mineur. Nouvelle rafale de timbale, etc’est un nouveau moti f :

Exemple 36 

qui apparaît aux flûtes, en La mineur, avec sa descente chro-matique caractéristique. Ce Prélude d’orchestre est très

instable tonalement et thématiquement, exprimant lesémotions les plus diverses. Le développement de l’ex.36 estsoudain interrompu par l’éclatante fanfare de victoire descuivres:

Exemple 37 

en Ut majeur (puis en Mi bémol et enfin en La bémol majeur),forme presque exacte du thème de Libération (ex. 55) dutableau final, qui sera à nouveau un thème pentaphone. Maisson élan rythmique est aussi exactement semblable à celui duradieux et ascensionnel Gloria («Slava vo vysních Bogu ina zeml ») de la Messe glagolitique, rapprochement lourdde sens! Cependant, la jubilation s’interrompt, et sur letonnerre d’un roulement de timbale le rideau se lève brus-quement sur la désolation de la salle d’hôpital.

148 C’est surtout sur ce thème que se déroule la brève scèneentre Pétrovitch et Alyeya, toute illuminée de tendresse etde grâce. Quel bonheur que celui de ce jeune Musulmandécouvrant le Christ et évoquant le miracle (d’ailleurs nul-lement enseigné dans les Écritures!) des oiseaux d’argilerendus vivants («Vdechl na ni a on vlzétl ») (Sol bémolmajeur) et, l’instant d’après, exprimant sa fierté de savoirlire et écrire (comment ne pas penser au jeune garçon deferme au premier acte de Jen ůfa ?)…

151 Tchekounov vient apporter du thé aux deux amis, maisl’atmosphère est troublée par les gémissements d’agonie deLouka (on passe de l’ample mesure à 6/ 4 à un 6/ 16 hale-tant et nerveux). Louka mourant raille la serviabilité de

Tchekounov, dont la charité est incarnée par un nouveauthème:

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TCHEKOUNOV (leur ap po rt ant du thé) Bois!

ALYEYARegarde, du papier, une plume, de l ’encre!

TCHEKOUNOV

Bois!ALYEYAMainte na nt je sais écrire !

LOUKA (mourant ) Tsss! Le serf ! Il s’est tro uvé un ma ître !

TCHEKOUNOVMoi, un serf ?

LOUKAOui, toi! Vous entendez, bonnes gens, il n’en croitrien, il fait l ’étonné!

TCHEKOUNOVQu’est-ce q ue ça peut te fa ire ? Regarde-les, ces deuxesseulés, on dirait q u’ils sont ma nchot s.

Pourquo i ne pas rendre service? Pa uvre fo u, groin poilu!LOUKAQui a un g roin poi lu ?

TCHEKOUNOVToi, t oi, t oi !

LOUKAEt to i , tu te prends pour un ad onis?Ta g ueule ressemble à un be c de corbea u !

TCHEKOUNOVTu es un g roin poilu! Et p uisq ue Dieu t ’a humilié,reste couché et cont inue à mourir !

LOUKA

J ’a ime mieux fa ire de s courbett es à une b ott e…LE VIEILLARD (du poêle) Seign eur, prend s pitié !

LOUKA… qu ’ à u n e pa n t o u f le . Ah ! A h ! Ah ! A h !(Au fond plusieurs malades sont assis sur un lit de

 planches.)

LE VIEILLARDSeign eur, prend s pitié !

CHAPKINE (à l’at ten t ion de Louk a qu i to usse) Ô frères, votre souffra nce n’est rien !Il n’est rien de pire de se faire tirer longtemps lesoreilles, rien de pire !

LES PRISONNIERSC’est pour cela q ue les tiennes sont si dé collées !

LE GRAND PRISONNIERQui te les a t irées ?

CHAPKINELe commissaire de distr ict ! Pour vaga bond ag e.Nous étions deux, un certa in Yéfim et moi.Aux champs on est libre, ma is en ville, méfian ce !Aussi, nou s allons d’ab ord à l ’auberg e.Nous jeto ns un coup d’œil, des gens s’appro chent.«Nous trois, nous servons sous les ordres du généralMonte-en-l ’Air .»Ils nous expliquent leur plan. Etnous, la nuit mê me, no us somm es allés cambrioler un

riche marchand.

151ČEKUNOV (donáší jim čaj)Napij se!

152ALJEJAHleď, papír, pero, inkoust — 

153ČEKUNOV

Napij se!154ALJEJAJá už umím psát!

155LUKA (umírající)Iššš! Chlap! Našel si pána!

156ČEKUNOVJá že chlap?

157LUKATy chlap! Slyšte, dobří lidé, nevěří,diví se!

158ČEKUNOVCo ti do toho?Vidíš, osamocení, jsou jak bez rukou.

Proč neposloužit? Ty blázne s štětinatým rypákem!159LUKA

Kdo štětinatý rypák?

160ČEKUNOVTy, ty, ty !

161LUKAA tys krasavec?Máš hubu jak vraní zobák!

162ČEKUNOVJsi štětinatý rypák! A když tě Bůh pokořil,lež a umírej!

163LUKA

Raději botě se pokloním —164STAŘÍK (na peci)

Gospodi pomiluj !

165LUKA— než papuči. Ach! Ach ! Ach! Ach !(V pozadí sedí na pryčně několik nemocných.)

166STAŘIKGospodi pomiluj !

167ŠAPKIN (na Lukovo kaštání)Ó bratři, ta bolest, to nic !Není horší, než když tě tahají dlouho za uši !

168VĚZŇOVÉProto ti tak trčí !

169VELKÝ VĚZEŇKdo ti vytahal za uši?

170ŠAPKINI správník. Pro tuláctví.Šli jsme dva, já a Jefim jakýsi.Na poli voli, v městě strach!Proto my nejdřív v krčmu.Rozhlížíme se, přibližují se k nám jacísi.„My troje u generála Žežulky sloužíme.“

Ukázali dílo. A my téže noci vpadli do dvora boha-

tého kupce.

39Acte III, scène 1

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40 Acte III, scène 1

Exemple 38

et la querelle se développe sur ses transformations: forme

large et chantante pour Tchekounov, diminution âpre etagressive pour Louka. D’horribles accents de trombonesavec sourdines ponctuent le sommet de leur altercation: lamisère des détenus provoque leur méchanceté, laquelle pro-voque leur souffrance, ce sont là les Chiens de l’Erèbe, ceuxqui mordent l’âme! Mais voici qu’intervient Chapkine («Óbratř i, ta bolest to nic! »), dont le récit commence ainsi envéri table fondu enchaîné.

Le récit de Chapkine

Ce récit, le plus bref des quatre et le plus vif d’allure, estune sorte descherzo (Chapkine n’est en fait coupable que de«vagabondage spécial»!), mais grinçant, car la douleur y estsans cesse présente. Après une brève introduction, transition

où le thème se dessine peu à peu, il se déroule principalementen La bémol mineur. Ce thème:

Exemple 39

170 s’affi rme lorsque Chapkine répond «I správnik , Le com-missaire de district» à la question de qui lui a tellement tiréles oreilles. C’est là un mot russe, désignant le magistratprésident du tribunal de police dans les campagnes. Le récitélabore entièrement le thème (cf. le premier exemple dutableau page suivante) en d’infinies variantes d’une éton-nante ingéniosité. Erik Chisholm en a dressé le tableau dansson magistral ouvrage sur les opéras de  Janáček, et il estintéressant de le reproduire ici pour donner au moins unexemple du processus de métamorphose thématique qui està la base de toute la musique du compositeur morave.

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«Par pi t ié, Votre Grandeur » Tomas Krejcir ik ( le Prisonnier ivre) et Peter H oare (Chapk ine), mise en scène de Pat r ice Chéreau,

Wiener Festwochen, 2007. R. Ribas.

 à droi te : «Il ti re, moi , j e gri boui ll e» Heink Zedni k ( Chapkine) , mi se en scène

de Klaus Mi chael Grüber, Festi val de Salzbourg,1992. Salzburger Festspiele/ R. Walz.

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On s’est to us fait a rrêter.Tous d es vag a bo nd s, disa ient -ils,et t out droit chez le commissaire de district.Il entre, s’assied, il a d es fa voris gros comme ça.Nous, vag abo nds, nous sommes une d rôle de ra ce.

Fend ez-nous du bo is sur la têt e, no us l’oublierons.Nous oublions tout. Le commissaire s’adresse directe-ment à moi.«Qui es-tu ? »éruct e-t-il. «Je n e sais pa s, j’a i to ut o ublié. »«Attend s, ta têt e me revient ! »Et il roule du blanc deses yeux.«Ton no m ? »«Rafle-et-déb ine-to i! »«Et le tien ? »«Mo i-Je-le-Suis. Oui, c’est vra imen tcomme ça q u’on m’appelle, Votre Grand eur! »«Et q ui t ’a d onné ce nom ? »«De bra ves ge ns, il y en a d e pa r le mon de . »«Et q ui sont ces braves ge ns? »«Je n e m ’en souviens pa s, veuillez m ’excuser,j’a i même oublié mon père et ma mère.»«Allez, en prison ! Et t oi, assis! Prends une p lume,not e ! »Il m’att rape pa r l’oreille et il tire, il tire, il ti…

LES PRISONNIERSIl est d evenu fou ?

CHAPKINE«Pa r pitié, Vot re Gra nd eur »il tire, tire,«Écri s do nc ! » Un pet i t gref f ier ava i t de long uesore illes, lui au ssi, et a vait f ilé a vec la caisse.«Écris do nc ! »

LES PRISONNIERSIl éta i t fou ?

CHAPKINE

Il tire. Mo i, je g ribouillais,l ’hom me-à-sept-yeux frapp ait.

Dopadli nás všechny.Sám tulák, sám tulák,a rovnou k okresnímu.Vstoupil, sedl s takovými bakenbardami.My tuláci divný národ.

Na hlavě mu drava štípej, zapomene.Všechno zapomene. A okresní zpříma na mne,

 jako z bečky :„Kdo jsi?“ „Nevím, všechno jsem zapomněl.“„Počkej, tvá hlava je mi známa!“A bělmo na mne vypoulí.

A „Tvé jméno?“ „ Hmátni a upaluj! “„A tvoje?“ „A já za ním. Skutečně mne tak volají,vaše blahorodí!“„A kdo tě tak nazval? “„Dobří lidé, svět není bez dobrých lidí.„A kdo jsou ti dobří lidé?“„Pozapomněl jsem, račte prominout,otce i mat’, pozapomněl.“„Hybaj do vězení! A ty sedni! Ber pero, piš!“A chytne za ucho a táhne a táhne a táhne a tá…

171VĚZŇOVÉCo se zbláznil ?

172ŠAPKIN„Pro smilování, vaše Blahorodí — “ a táhne, táhne,„Jen piš!“ A to jeden písaříktéž měl dlouhé uši, a zdrhl jim s penězi!„Jen piš!“

173VĚZŇOVÉCo se zblánil?

174ŠAPKIN

A táhne. Já čmáral,sedmeroglazyj solil, —

41Acte III, scène 1

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42 Acte III, scène 1

Tableau 1 

A Musicalement, ce récit se divise en deux parties princi-pales, dont la seconde, qui commence à «Tvé jméno? Ton

nom?» installe le 3/ 8 qui se maintiendra jusqu’à la fin (le3/ 8 de la Danse de Folie de Skouratov s’enchaînera tout

naturellement). C’est un récit très vivant, en  parlandorapide, ponctué de brèves et efficaces interjections-com-mentaires du chœur. Chapkine fait toutes les répliques,incarnant les deux personnages du dialogue avec beaucoupd’esprit, ce qui amène de rapides et habiles «montages» desdiverses formes de l’ex. 39. On notera la nuance de fraî-

cheur pastorale au motif du coucou (quatrième du tableau),qui évoque, l’espace de quelques mesures, la forêt moravedela Petite Renarde… Dans la deuxième moitié du récit,à partir de la dernière métamorphose de l’ex. 39, ons’éloigne de plus en plus de ce thème, cependant que la ten-sion monte (accélération du tempo), mais la forme pleine(cinquième du tableau de Chisholm) revient à « Já č máral ,

 je gribouillais» à la petite flûte et au violoncelle, assurantainsi l’unité du récit.

177 Soudain, voici le retour de l’ex.13 du premier acte pourla danse de Skouratov devenu fou, appelant sa Louisa, dansune orchestration limpide (bois) montrant que sa démencele retranche désormais de la souffrance ambiante. Ses com-pagnons le font taire (un xylophone chromatique se mêle

aux bois), et tout à coup voici une allusion glaçante authème de la Souffrance, aux cordes en trémolos (le xylo-phone chromatique est toujours là), ponctuée d’accordsbrefs et violents à la sonorité extraordinairement neuve etagressive (trois flûtes aiguës, deux hautbois, cymbale frap-pée).

Le récit de Chichkov

Avant le grand récit de Chichkov, Janáček nous donne unInterlude d’orchestre, merveilleuse accalmie, avec la dou-ceur déchirante de l’ex. 40, issu de la basse de l’ex. 13, dia-loguant entre violon solo, clarinette et flûte, puis se pour-

suivant aux violons, en alternance avec de brefs rappels auxbois de la danse (ex.11) du premier acte:

Exemple 40

184 C’est ici que se situe la brève plainte du Vieux Prisonnierqui ne reverra jamais ses enfants («Má d ě tátka milá »). Unenouvelle variante de la basse de l’ex.13 donne naissance àl’ex.41 (thème du Père d’Akoulka), qui introduit tout dou-cement le récit de Chichkov:

Exemple 41

187 Ce récit de près de 500 mesures (à peu près la moit ié del’acte), le plus long et le plus dramatique de tous (le rôle,qui n’apparaît qu’ici, exige aussi la tessiture la plus étendue),peut se subdiviser en six grandes sections, numérotées dansla descript ion qui suit .1. Il commence dans un climat serein et heureux, assez

debussyste, avec de belles et riches harmonies en tons francs(dominante de Mi, Sol bémol lydien, Ré bémol majeur, Famajeur…). Le récit de ce bonheur paisible se déploie

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. b Eb H l b w   b œ» œ» œ» ∫ œ»  l b h   b hLes rusés vagabonds,malicieux et bons à rien, etleurs insolentes réponses.

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l b La douleur desoreilles tirées.

Punition parle Commissairede police.

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Le brigandage

Con moto

Motif de coucou (les vagabonds sontles membres de l’armée du Général Coucou).

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Le Commissairede police

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Adagio Le sévère et impassibleCommissaire de police.

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LES PRISONNIERS (se lèven t des p lan ches) Il est d evenu fou ?

CHAPKINEJe gribouil la is , l ’homme-à-sept-yeux f rappai t ,l ’hom me-à-sept-yeux frapp ait.(En p lein e crise de démence, Sko ur at ov saut e de son châli t et se met à danser.) 

SKOURATOVÔ Louisa ! Ô Louisa ! Ô Louisa !

LES PRISONNIERSTa is-t o i !

SKOURATOVÔ Louisa !

LES PRISONNIERSTa is-t o i !

SKOURATOVJ’appuie mon p isto let sur sa temp eet …

LES PRISONNIERSTa is-t o i !

SKOURATOV– et…(Ils le jett ent sur son châlit et le main tien nent . Le calme revient à l’inf irmer ie ; il fait sombre. Seul, le vieillard a une boug ie et veille. Les mal ades s’assou pissent .) 

LE VIEILLARD (au coin du f eu) Mes chers petits enfants, je ne vous verrai plus, je nevous verrai plus. Seigneur, prends pitié…

CHICHKOVAttends, a t tends!

LE VIEILLARDSeigneur…(Ob scur itécom p lèt e. Chich kov et Tchérévin e son t assis sur leu rs châli t s.) 

CHICHKOV (à vo ix basse) Attend s, a t t ends! Pas si vi te !Il arrive sur un boulevard… to us s’inclinent ,un richard, en un mot !

TCHÉRÉVINEUn marchand ?

CHICHKOVUne g rande propriété, bea ucoup d’ouvriers,un rucher da ns la clairière, il venda it même d u bét ail .

Il va a u ma rché : «Bonjour, pet it père ! »«Bonjour,bonjour! »«Comment vont les a f fa ires? »«On ne peut mieux, comm e d e la suie b lanche »«Etpour le reste ? »«On fa it aller. La vie cont inue ma lgré mes péchés ! »Chacune de ses paroles valait son pesant de roubles.Il avait deux fils et une fille, Akoulina.

TCHÉRÉVINECelle-là , c ’éta i t t a femme ?

CHICHKOVAtt end s, pas si vite !C’est elle q ue Filka Mo rozo v a calom niée.

LOUKA

(se lève, ayan t ent end u son vérit abl e nom ) Oh ! Oh !

175VĚZŇOVÉ (zvedají se s pryčen)Co se zbláznil ?

176ŠAPKINJá čmáral, sedmeroglazyj solil,sedmeroglazyj solil(Šílený Skuratov vyskočí z pryčny, křepčí.)

177SKURATOVÓ Lujzo! Lujzo! Ó Lujzo!

178VĚZŇOVÉMlčíš!

179SKURATOVÓ Lujzo!

180VĚZŇOVÉMlčíš!

181SKURATOVJá pistol přitiskl k čelua —

182VĚZŇOVÉMlčíš!

183SKURATOV— a —(Srazí Skuratova na pryčnu a drží ho. Ztišení v nemoc-nici, tma: jen stařeček má svíčku a bdí. Choří usínají.)

184STAŘÍK (na peci)Má dětátka milá, již vás neuvidím, již vás neuvidím.Gospodi, pomiluj ny —

185ŠIŠKOVPočkej, počkej!

186STAŘÍKGospodi...(Úplná tma. Šiškov a Cerevin sedí na pryčně.)

187ŠIŠKOV (tiše)Počkej, počkej! Nepředbíhej!Přijde na bulvár — všichni se klaní —slovem boháč!

188ČEREVINObchodoval?

189ŠIŠKOVStatek velký, dělníků plno,v pasece včelín, i dobytek prodával.

Přijde do trhu. „Zdrávstě, bat’uško!“ „Zdravstvuj ity! “ „ Jak s tvou prácí? “„Moje práce jak saze bílá» « A co jinak?“

„Po hříchu, nebe zakuřuji“.Tak každé slovo u něho po rublu. Měl dva syny adcerku Akulinu.

190ČEREVINTa byla tvoje žena?

191ŠIŠKOVPočkej, nepředbíhej!Tu Filka Morozov si namluvil [oklevetil].

192LUKA

(zdvihne se zaslechne své pravé jméno))Oh! Oh!

43Acte III, scène 1

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44 Acte III, scène 1

amplement, sur un ton de narration épique évoquantMoussorgsky. Ici aussi, le narrateur alterne les personnagesen restituant leur dialogue en opposition de registres. l’ex. 41fait place à:

Exemple 42

qui se précise petit à petit, formulé sur un accelerando («Pohř íchu»), l’accroissement de tension amenant la mentionde la femme aimée, Akoul ina (généralement désignée par lasuite sous son diminutif Akoulka). Son thème, merveilleuxde tendresse nostalgique:

Exemple 43

est exposé par les cordes divisées munies de sourdines. Sonexpression indiciblement poignante rappelle la dernièrerencontre de Katja et de Boris au troisième acte de KatjaKabanova. À la mention du nom exécré de Filka Morozov,entre les trois apparitions successives de l’ex. 43, on entendLouka gémir de plus belle.

193 2. Ici, le tempo et l’atmosphère changent, avec l’appari-tion du thème de Filka, dont nous montrons aussi la légèrevariante la plus utilisée par Janáček:

Exemple 44

C’est un thème de «démarche», presque de promenade,décidé mais modéré, qui fait très bien progresser le récit àtravers de nombreuses modulations. Lorsque Filka se vanted’avoir couché avec Akoulka intervient un nouveau thèmeplus marqué, issu du précédent :

Exemple 45

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«Attends, pas si vi te! » Gerd Grochowski (Chi chkov) , Jan Gal la ( Tchekounov) et Andreas Conrad ( Tchérévine) ,

mi se en scène de Patr ice Chéreau, W iener Festwochen, 2007. R. Ribas.

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CHICHKOV«Dis do nc », s’ad ressa Filka a u vieux,«Réglons nos compt es. Rend s-moi mo n a rgen t !Pourquoi fa ire le valet chez to i?Nous n’a vons plus rien à voir ensemb le !Et Akoulka, »ajout e-t-il, «je ne l’ép ousera i pas,

je vais part ir à l ’armée, et je reviendrai ma réchal ! »Le vieux le paya jusqu’a u d ernier kopeck.«Tu es un ho mme p erdu ! »Filka répon d : «Perdu o u pa s!Mais chez t oi, vieux ba rbon,on n’apprend qu’à écrémer le la i t a vec une a lêne.Et je n ’épouserai pa s Akoulka, c’est dit.J ’a i déjà couché avec elle! »«Quoi, tu oses déshon orer un père ho nnêt e,une ho nnêt e f i ll e ? Quand as-tu , f i ls de ch ienne,lang ue de vipère, couché avec el le ? »Et il trembla d e to ut son corps.

GORYANTCHIKOV

Calme-to i, Alyeya, calme-to i!CHICHKOV«Et ce n’e st pa s to ut », d it Filka,«Je fera i en sorte q ue personne n e l ’épouse,puisq u’elle e st sans ho nneur.Ça fa it un an q ue je couche a vec elle,et je n’en veux plus.»Le vieux poussait des cris à fa ire t rembler la terre.

LOUKA (mourant ) Ah ! A h !

CHICHKOVIvre mort d u mat in au soir, et en compag nie de g arcesjusqu’à l ’aube.

TCHÉRÉVINECela signifie q u’il éta it to ujours avec Akoulina ?

CHICHKOVAtt end s, pas si vite !Mainten ant , allons barbouiller les portes de go udron !Nous y a llons. Le vieux s’époum one :«Monde d e ténèbres et de pourriture ! »Maria Chtepa novna crie :«Cette f ille, j’en d éba rrasserai la terre ! »Les voisinsles entendent la bat tre comme plâtre toute la jour-née ! Et Akoulina hurle et pleure.

LES PRISONNIERS (respirant lourdement) M…

CHICHKOVEt Filka crie :«Akoulina , fille illustre !Amant e célèbre !Te voilà bien propret te, to ute d e blanc vêtue !Dis, qui aimes-tu ? »(Louk a se lève en râlan t .) Je pa ssais par là et je m’écrie:«Mes homma g es, Vot re Grâce !Te voilà bien proprett e !D’où t ires-tu t out cela ? Avec qui vis-tu ? »J’a i à peine f ini de pa rler q u’elle m’a reg ardéavec de g rands yeux.

LES PRISONNIERS (respirant lourdement) M…

193ŠIŠKOV„Ty“, pravil Filka ku starýmu,„Dělme se. Vrat’ mi moje peníze!Což já u tebe pacholčím?Nechci s tebou obchodovat !A Akulku“, pravil, „brát si nebudu,

 já na vojnu pujdu, feldmaršál se vrátím ! “Starý jej na kopejku vyplatil.„ Jsi ztracený člověk!“A on jemu: „Ztracen či neztracen!Ale u tebe, šedá brado,naučí se člověk šídlem mléko sbírat.A Akulku si přece nevezmu.Já už s ní spal! “„Jak, ty smíš hanobit poctivého otce, poctivoudceru? Kdy jsi s ní, psí maso, hadí žíhadlo, spal?“

A celý se zatřásl.

194GORJANČIKOV

Ztiš se, Aljeja, ztiš se!195ŠIŠKOV„A nejen to,“, povídá„Tak to zatočím, že si ji nikdo nevezme,protože je nečestná.S podzimku do podzimku s ní obcuji —a už ji nechci.“A starý tak řval až zem se zatřásla.

196LUKA (umírající)Ach! Ach !

197ŠIŠKOVA z jitra do večera, zpit,u děvek seděl do rána.

198ČEREVINTo značí, že s Akulinou držel stále?

199ŠIŠKOVPočkej, nepředbíhej!„A teď půjdem vrata dehtem mazat!“A šli jsme a namazali. Stařík kříčí:„Tma ve světě a hniloba! “Marja Štepanovna křičí :„Ze světa ji shladím! “ Sousedé slyší jak Akulinuřežou z rána do noci! A ta holka řve a pláče.

200VĚZŇOVÉ (těžký dech)M —

201ŠIŠKOVA Filka křičí:„Slavná děvečka Akulina!Slavná milovnice!Čisto si chodíš, bělo se nosíš!Mluv, koho miluješ?“(Luka se zdvihá a chraptí.)A já šel mimo a křičím :„Čest budiž vaší milosti !Čisto si chodíš !Kde to bereš? S kýmže to žiješ?“Sotva jsem domluvil, pohlédla na mnetakovýma velkýma očima.

202VĚZŇOVÉ (těžký dech)M —

45Acte III, scène 1

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CHICHKOVSa mère croit q u’elle minaud e avec moi.«Tu fa is de s riset te s, eff ron té e ! Je vais te tue r.Elle n’e st plus ma fille ! Elle n’e st plus ma fille ! »

TCHÉRÉVINEParce q u’elle avai t été légère ?

CHICHKOVAtt end s, écoute ! Je suis da ns mon lit , ma m ère a rrive.«Espèce d e va urien, m a rie-to i.À présent, ils te d onn eront vo lontiers Akoulka ! »Filka m e m ena ce : «Toi, le ma ri d’Akou lka ?Mais je va is t ’enf oncer les côtes !

203ŠIŠKOVA matka myslí, že se mnou dovádí.„Co se zubíš, nestydatá? Zabiju tě.Už není mou dcerou! Už není mou dcerou!“

204ČEREVINTo že lehká byla?

205ŠIŠKOVPočkej, poslouchej ! Ležím, moje mát’ přichází.„Tys podlec, žeň se.Akulku teď ti rádi dají!“Filka mi hrozí: „Žes Akulčin muž?A já tobě žebra vyrazím!

46 Acte III, scène 1

à la sonorité très particulière (clarinette, cor et cordes collegno). Le thème de Filka revient à « A nejen to, Ce n’est pastout » et la tension monte. Chaque fois que Tchérévine,impatient de connaître la suite, interrompt Chichkov,

celui-ci répète «Počkej, nepředbíhej!, Attends, pas si vite!».Soudain, l’ensorcelant ex.43 est de retour à l’évocation dela honte du barbouillage de la porte. Toute la tendresse dela musique vise à exprimer la compassion de Janáček pourla malheureuse fille. Ici, touche géniale, le chœur sans paro-les des convicts endormis (on pense à la scène de la cham-brée au deuxième acte de Wozzeck !) s’intègre sans heurtsdans la musique de l’ex. 43 et demeure même suspendu enquatre longues mesures a cappella.

201 À « A Filka křičí , Et Filka crie», son thème reprend samarche, interrompue une fois par le chœur sans paroles à« pohlédla na mne takovýma velkýma očima, Elle m’a regardéavec de grands yeux comme ça.». Puis le débit s’accélère,d’abord en mouvement de croches, puis dans une ryth-mique plus complexe et une texture plus dissonante, d’oùnaît progressivement le nouveau thème:

Exemple 46 

celui de Chichkov («Žes Akulčin muž?, Toi, le marid’Akoulka?»), d’allure et de traitement un peu debussystes,et surtout frappant par son rythme alternant trois noires etun quartolet de noires. Un suspens en point d’orgue pré-cède la suite du récit.

208 3. Cette section commence avec un thème descendantpentaphone sur « A já byl, bratříčku, Frère, je n’ai pas des-saoulé», en La bémol, puis en Sol # mineur, passage har-moniquement stéri le. Quelques mesures superposant 9/ 4et duolets en une sorte de valse servent de transition enfondu enchaîné vers le thème:

Exemple 47 

celui de l’Amour (à 6/ 4) sur «Ona sedí bílá , Elle est assise,pâle», sur les transformations duquel se déroule la suite dela musique, à travers des modulations expressives de toutebeauté (La majeur, Si bémol mineur, Fa# mineur…). Erik

Chisholm a souligné la parenté de ce thème avec l’ex. 5(le saut descendant de quinte), et cela s’appliquera aussi àl’ex. 49.

La découverte de l’ innocence d’Akoulka (exclamation deTchérévine et commentaire du chœur) se termine par dessoupirs du violon solo (désinence de la désinence ajoutée àl’ex.47) : c’est simple et touchant. La musique reprend enun Mi bémol majeur chaud et rayonnant (maestoso), d’oùémerge un nouveau motif :

Exemple 48

(l’innocence d’Akoulka), se répétant à travers des modula-tions magnifiques (Mi bémol majeur, Mi mineur (!), Utbémol majeur, Sol majeur, Mi bémol majeur). Il se réduitpeu à peu à sa désinence, qui se transforme légèrement. Lamusique devient lumineuse, extatique (« A ona taková milá , Et gentille, si gentille»), dans une orchestration dia-phane sous le voile frémissant des violons en trémolo. Ladésinence se transforme pour donner progressivement nais-sance, par renversement de ses deux dernières notes, à l’ex.49, le thème de la Vengeance («ruce vztyč il , Les mains ten-dues»). En un merveilleux fondu enchaîné d’une rare sub-

tilité psychologique les deux motifs coexistent jusqu’à laflambée de passion (trois mesures de violents coups de cra-vache à l’orchestre) qui fait éclater l’ex. 49, seul et à décou-vert, à l’exclamation «Potkat Filku! Si je rencontre Filka!».Ce thème s’apparente aussi à l’ex. 10 (le Commandant !) :

Exemple 49

213 4.La musique se calme, et l ’ex.49 cède progressivementla place à un nouveau thème:

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Et q uand l ’envie me prendra ,je passerai la nui t avec ta femme ! »Moi, je répo nd s: «Tu men s, chien ! »

LES PRISONNIERS (respirant lourdement) M…

TCHÉRÉVINEIls te l ’ont pro posée.

CHICHKOVPas si vite !Frère, je n’a i pas dessaoulé jusq u’aux no ces!Après le mariage, o n no us raccompagn e,on n ous fa it asseoir.L’on cle d it : «L’a ffa ire est te rminée ,sans ho nneur, peut-être, mais sol idement ! »Selon l’usage, o n nous a me nés dans la petite chamb re,et o n no us y a laissés.Elle est assise, pâle, le visage exsangue. Des cheveuxde l in , de g rands yeux, tel le une muet te, s i étrang e !J’avais pris un fouet pour la battre! Et voilà que je la

trouve…TCHÉRÉVINEComment ? sans t ache ?

LES PRISONNIERS (respirant lourdement) A…

CHICHKOVPure, sans tache! Sans tache! Chaste, digne de sonhon nêt e fa mille. Et g ent ille, si gen tille…Oh, pourquoi Fi lka l ’avai t-i l publiquement tra înéedans la boue ?

TCHÉRÉVINEOh oui ! Oui !

CHICHKOVJe suis tombé à g eno ux au pied d u lit , les ma ins ten -dues : «Mon am our, Akoulina , ma chère,pardonne-moi !Je t ’a i crue infâme , moi aussi.»Assise sur le lit, de van t m oi, elle pleure.Je pose mes mains sur ses épaules,elle rit , rit , et pleure en même tem ps.À la voir ainsi, je me dis:«Si je rencon tre Filka, c’est un ho mme mort ! »Ses vieux parent s sont épouva nté s.La mère pleure, à g enoux ; quant a u père :«Si j’a vais su q u’elle ét ait pure,je lui aurais trouvé un a utre mari ! »

TCHÉRÉVINEOui, oui ! Comme ça , c ’est b ien!

CHICHKOVAtt end s, pas si vite !Le lendemain, complètement saoul,Je cours sur la place du villag e en crian t :«Qu’on me do nne Filka Mo rozo v,ce vaurien, ce sat yre! »Trois hom mes sont venu s à b out de moi,Fi lka me di t devant t out le monde :«Imbé cile ! On t ’a ma rié ivre mort !Tu sais, da ns cet éta t, q ue po uvais-tu vérif ier? »Je rentre chez moi.

«Vous m’avez m arié ivre mort ! »Ma mè re s’en prend à moi, je dis:

A s ženou tvojí,kdy zachci, celou noc spát budu “.A já na to: „Lžeš, psí maso“.

206VĚZŇOVÉ (těžký dech)M —

207ČEREVINA nabízeli ti ji?

208ŠIŠKOVNepospíchej!A já byl, bratříčku, až do svatby zpit!Po oddavkách nás přivezlia posadili.A strýc praví: „ Dílo skončeno,když ne čestně, tož pevně!“Po zvyku nás do komůrky dali a zanechali.

Ona sedí bílá ni kapky krve v líci. Vlasy jako len, očivelké, jak němá v domě, tak divná!A já na ni býkovec si připravil!

A ona vyšla přede mnou —209ČEREVIN

Jak? Nevinná?

210VĚZŇOVÉ (těžký dech)A —

211ŠIŠKOVČistá, nevinná! Nevinná! Čestná, z čestného rodu.A ona taková milá, přemilá…Ó, proč ji Filka před světem o čest připravil?

212ČEREVINÓ, ano! Ano!

213ŠIŠKOVJá poklekl u postele, ruce vztyčil.„Milenko, Akulino, dítě drahé,odpusť mi!Já též tě měl za nečestnou.“Ona sedí přede mnou na posteli a pláče.Položím jí ruce na ramena,směje se, směje se a pláče.A jak ji tak vidím, říkám si:Potkat Filku, nebude živ na světě!A stařičtí rodičové jsou z toho zděšení.A matka na kolenou pláče a stařík:„Kdybych byl věděl, že je čistá,

 jiného byl bych jí vyhledal !“

214ČEREVINTak, tak! Tak to má být !

215ŠIŠKOVPočkej, nepředbíhej!Na druhý den, celý zpit,běžím po návsi a křičím:„Dejte mně Filku Morozova,podlce, nestydu!“Brzo mne tři lidé zmohli.A Filka mi před lidmi:„Tys hlupák! Vždyt’ tebe zpitého ženili!A víš, v tom stavu, cos ty mohl poznat? “Já přijdu domů.

„Vy jste mne zpitého ženili!“Matka se do mne pustí a já :

47Acte III, scène 1

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«Ma chère Ma ma n, l ’or te bo uche les oreilles,Fais venir Akoulka ! »

LE VIEILLARD (au coin du f eu) Qui est-ce q ui crie ?

CHICHKOV

Oh mon f rère, je l ’a i bat tue.J’ai rossé Akoulka jusq u’à ce q ue j ’en to mbe par t erre.

TCHÉRÉVINEOui, on a b eau d ire ne ba ts pas ta femme…Et elle, a lors?

CHICHKOVAssise, elle se t ait , reg ard e la f enêt re, pleure.Moi, je la b at s, je la b at s. Elle m’en fa it pitié…

LE VIEILLARDTu es un vau rien, un f ils de chienn e !

CHICHKOV– et je la ba ts, je la ba ts toujours!Je l ’assomme !

LES PRISONNIERS (se lèvent sur leu rs cou chet t es) Ta is-to i ! Ta is-to i ! Ta is-to i !

TCHÉRÉVINET’es-tu réco ncilié ave c Filka ?

„Ty máš, mátuško, zlatem uši ověnčeny.Podej sem Akulku!“

216STAŘÍK (na peci)Kdo to křičí?

217ŠIŠKOV

Ó, bratře, já bil,mlátil Akulku, dokud jsem nepadl.

218ČEREVINAno, nakonec nebij ženy, nebij ženytak ona — ?

219ŠIŠKOVOna sedí, mlčí, v okno hledí, pláče.A já biju, biju. Mně je jí žal —

220STAŘÍKJsi podlec, psí maso!

221ŠIŠKOV— a já přece biju, biju!Ubiju!

222VĚZŇOVÉ (pozdvihují se s pryčen)Užmlč ! Už mlč! Už mlč!

223ČEREVINS Filkou jste se opět spřátelili?

48 Acte III, scène 1

Exemple 50

(« A matka na kolenou plá č e, La mère pleure, à genoux»)dont  Janáček développera surtout le groupe de quartoletsde noires, lequel, accéléré, devient le soubassement en osti-nato à des chromatismes legato au moment où Filka semoque de la crédulité de Chichkov (« A Filka mi př ed lidmi, Filka me dit devant tout le monde»). La fièvre monteà nouveau, pour culminer à «Ubiju, Je l’assomme». À cetendroit, le chœur interrompt le récit par son commentairehorri fié, suivi d’un silence en point d’orgue. I l faut di re quela sottise de Chichkov en fait une proie facile pour la per-versité de Filka!…

223 5. Aux cordes, une simple oscillation montante et des-cendante, de coloration lydienne, relance le récit par l’in-terrogation de Tchérévine («S Filkou jste se opět spřátelili?Tu t’es réconcilié avec Filka?»). Il en sort un balancementtrochaïque (blanche-noire), familier à Janáček, qui va pro-céder par agrandissements successifs, d’abord d’intervalles(quartes, quintes), puis de valeurs rythmiques (blanches,rondes) pour arriver à un arrêt complet du mouvement(«hluboce se jí poklonil , Et il s’incline bien bas devantelle»), d’où surgit, dans sa tendresse immaculée, le thèmed’Akoulka (ex.43), plus envoûtant que jamais, au momentoù elle pardonne à Filka et lui demande de lui pardonner, àelle! (Ré bémol majeur rayonnant). À ce moment, Alyeya,horrifié parce qu’il entend, pousse des cris.6.Le pauvre Chichkov réagit par une bouffée de colère bien

compréhensible: on entend un violent et rapide thèmeascendant des cors, avec saut de sixte:

Exemple 51

issu à la fois des ex. 43 et 49 (« A ja zá ní v jizbu, Moi, je lasuis dans la maison»), ponctué d’accords arrachés à l’or-chestre. Et c’est alors, sur l’ex. 43, ensorcelant, indicible,qu’Akoulka avoue audacieusement (effrontément, même)son amour pour Filka! Chichkov réagit par un cri de rageanimale («Jssss-ty!», prononcez Chchchch-ty!), véritablesifflement de serpent, suivi du «ty!» semblable à un crachatpuis (« A ten den, Ce jour-là»), par son thème (ex. 46). Lerécit se poursuit, ponctué par les cris d’agonie de Louka etla fin de l’ex. 43 en valeurs accélérées.

232 À «Zapřahám koně , J’attelle le cheval » commence la der-nière progression en rythmes trochées, entièrement en cou-leur de gamme par tons. À «Vstávej, Akulko! Tvůj je konec!Lève-toi, Akoulka, ta fin est arrivée!», c’est l’ex. 5 quirésonne sinistrement, avec trombones en sourdine caver-neux, thème de souffrance et de mort ! Dès lors, tout sepasse très vite. Les quintes des thèmes d’amour et de ven-geance (ex. 47 et 49) sont distendues en 7èmesmajeures stri-dentes, et Louka meurt au même instant qu’Akoulka dans

le récit de Chichkov: deuxième, et plus formidable chocrencontre des deux couches temporelles, passé et présent,dans le déroulement de l’opéra. L’orchestre s’arrête, Chich-

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CHICHKOVAtt end s, pas si vite !Il avait pris la place du fils d’Ivano v à l ’armée.«Je suis vot re b ienfa iteur,vous devez me rendre honneur ! »Il couche a vec la f ille, mène Ivan ov pa r le bo ut d u nez.

Les femmes doivent le baigner dans du vin!«Je ne pa sserai pas la porte ! Enfoncez la clôture ! »Ils s’exécutent, et il entre. Filka a fini par dessaouler.On emmène Fi lka Morozo v!On l’emmè ne à l ’armée ! Lui, il salue de to us côt és!Au mêm e instant , Akoulka revient du jard in.Il s’arrête à la porte, saute d e la charret te.Il lui fait un pro fon d salut.«Mon â me, ma f ramb oise,je t ’a ime depuis trois an s!Pardonne-moi, digne f i l le d’un père ho nnête !Je suis un misérable, je suis la ca use de to ut ! »Et il s’inclina bien b as d evant elle.Akoulka s ’arrêta , ef f rayée ;puis elle lui f it un e prof ond e révérenceet d it : «Pardo nne-moi, toi aussi, brave jeune h omm e,je ne t ’en veux plus ! »

ALYEYAAh !

CHICHKOVMoi, je la suis da ns la ma ison,«Chienne , q ue lui as-tu d it ? »

ALYEYAAh ! A h ! A h !

CHICHKOVEt e lle, croyez-moi ou no n,

elle me reg ard e : «Je l ’aime,je l ’a ime p lus que to u t au mo nde ! »Chchchch –… toi !Ce jour-là, je ne lui ai plus adressé la parole.Ma is le soir, je lui dis: «Akoulka , je vais te tu er ! »Je n’ai pas dormi de la nuit,a l lant et venant boire de la vodka d ans l’entrée.

LOUKA (mourant ) Ah !

CHICHKOVLe soleil montait dans le ciel.

LOUKAAh !

CHICHKOVJe dis: «Akoulka, a llons au x cha mps! »Elle, là-dessus: «Peu de tem ps, beaucoup d e tra vail ! »J’att elle le cheval, en silence.(Louk a meurt.) Nous parcouron s trois verstes da ns la fo rêt.J’arrête le cheval.«Lève-toi, Akoulka ! Ta f in est arrivée ! »Elle est d ebout , épouvant ée ; el le se ta i t .«Fa is te s prières ! »Je tire mon couteau, je l ’attrape par les cheveuxet lui passe ma lame sur la g orge !

LE VIEILLARD

Un homme est mor t !(Chichkov se retour ne. Tous s’appro chent du mo rt.) 

224ŠIŠKOVPočkej, nepředbíhej!Za Ivanova syna dal se na vojnu.„ Já váš dobrodinec,vy mne musíte ctít!“S dcerou spí, za bradu hospodaře tahá.

Do vinné lázně báby ho nosily !„Vratama nechci! Vylomte plot!“Vylomili a on vešel. Filka konečně vystřízlivěl.Filku Morozova vedou!Na vojnu vedou! A on se uklání na všechny strany!A v tu chvíli jde Akulka ze zahrady.On u vrat zastaví, seskočí s vozu.Hluboce se jí uklání.„Duša moja, jahoda,miloval jsem tě tři goda!Odpust’ i ty, čestného otce čestná dcero!Já podlec, já vším vinen!“A hluboce se jí poklonil.Akulka se zastavila, zaleknuta;potom poklonila se mu až po pása pravila: „ Odpust’ i ty, dobrý molodče,zla nemám na tebe! “

225ALJEJAAch!

226ŠIŠKOVA já za ní v jizbu,„Cos to jemu, psí maso, řekla?“

227ALJEJAAch! Ach! Ach!

228 ŠIŠKOVA ona, věr či nevěř,

pohlédne na mne: „ Já jeho miluju,víc než celý svět jeho miluju!“Jššš — ty!A ten den, celý den já s ní nemluvil.A večer pravím: „Akulko, já tebe zabiju!“V noci jsem nespal,v síň jsem vyšel vodky se napít.

229LUKA (umírající)Ach!

230ŠIŠKOVSlunce vyskočilo.

231 LUKAAch!

232ŠIŠKOVPravím: „Akulko, pojedem na pole !“Ona nato: „Času málo, práce mnoho!“Zapřahám koně, mlčím.(Luka umírá.)Versty tři jsme projeli lesem.Koně zastavím.„Vstávej, Akulko! Tvůj je konec! “Ona stojí dolekaná. Mlčí…„Modli se k Bohu! “Vytáhnu nůž a chytnu ji za vlasya po hrdle nožem!

233STAŘÍK

Člověk zahynul!(Šiško v se vymrští. Všichni k mrtvému.)

49Acte III, scène 1

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ALYEYAUn criminel, Pétro vitch. Ah, c’est un criminel.

LE VIEILLARDGardes !(Les port es s’ou vrent, ent re un garde. Le garde et un médecin se dirig ent vers le mo rt . Un pr ison nier lui ferm e les yeux. Le viei l lard lui place une croix de b ois sur la p oi t rin e. Les yeux f ixés sur les tr ait s du défun t ,Chichk ov r econnaît en l ui Filka.) 

CHICHKOVFilka ! C’est toi !

234ALJEJAZločinec, Petrovič. Ach to je zločinec.

235STAŘÍKStráž!(Vrata se rozevřou, vejde stráž. Stráž a lékař kráčí k mrtvému. Jeden z vězňu zakryje mu oči. Stařík mu

klade na hrud’ dřevěný křížek. Siškov upře obě oči dotváře mrtvého, pozná v něm Filku.)

236ŠIŠKOVFilko! Tos ty!

50 Acte III, scène 1

kov stupéfait reconnaît en l’homme qui vient de mourir sonpersécuteur (« Filko ! Tos ty? Filka, c’est toi?»), init iative de Janáček, nous le savons, et dont, sous le coup de l’émotionintense (le compositeur a bien compté là-dessus!), le spec-tateur ne songe pas à critiquer l’invraisemblance.

237 Suivent deux mesures de fracas d’orchestre en Ré bémolmineur, dont la frénésie est coupée net. Et c’est le com-mentaire si sobre, si bouleversant, du Vieux Prisonnier, («I  jeho matka zrodila!, Lui aussi est né d’une mère!»), brève,mais saisissante catharsis (c’est l’un de ces grands momentsde noblesse humaine, comme le «Si j’étais Dieu j’auraispit ié du cœur des hommes» d’Arkel !), d’où Chichkovretombe en La bémol mineur pour maudire LoukaFilka au-delà de la mort, trop abîmé lui-même pour pouvoir par-donner (d’où le choix de la tonalité symbolique du bagne).Une double allusion des trompettes à l’ex. 51 est commen-tée par les sauts déments et virulents des clarinettes surai-guës qui en distendent les intervalles (10èmes!), mais ellessont noyées dans le vacarme des roulements de tambour

signalant l’entrée du Garde qui vient chercher Pétrovitch.On admirera ce timing d’une efficacité toute ciné-matographique! Pendant qu’Alyeya s’accroche désespéré-ment à son protecteur, le rideau tombe rapidement.

Ainsi que nous l’avons dit, l’interlude orchestral de laversion originale est très court, et à la scène, à moins de dis-poser d’un plateau tournant ou d’effectuer un changementà vue, il faut recourir à la version longue de Chlubna etBakala, dont l’utilisation n’empêche d’ailleurs nullement deconserver la fin originale, comme le montre l’enregistre-ment de Neumann. Cet interlude est bâti surtout surl’ex. 52, apparenté, notons-le, au thème de Filka (ex. 44), etdont les sonorités perçantes (bois dans l’aigu, avec cordes

 jouant simultanément  pizzicato et col legno) sont ponc-tuées par les chaînes et par les appels « Hou-hou! » des pri-sonniers:

Exemple 52

241 En un instant, nous retrouvons ainsi l’atmosphère carcé-rale et cauchemardesque du premier acte. La ronde gro-tesque et révoltante des forçats me rappelle toujours celle,célèbre, des pensionnaires de l’asile de Saint-Rémy dans letableau de Van Gogh! Trois mesures interjetées de 9/ 4:

Exemple 53avec leur allusion à l’ex. 22 (la Fête) et leurs rudes accordscuivrés de 13èmede dominante, montrent pourtant que cesprisonniers sont indomptables, et cela s’affirmera de plus enplus au cours du tableau final.

242 Très vite le rideau se lève, l’orchestre poursuit sur unmotif 

Exemple 54

issu de la fin de l’ex.52 (identique au « Houhou ! »), etd’ail leurs l’ex.52 en entier, dans une orchestration stridenteavec petites flûtes et chaines, continuera à ponctuer le dis-cours du Commandant. Celui-ci est visiblement aviné, et

l’alcool lui prête une humanité aussi factice qu’éphémère,comme au Puntila de Bertolt Brecht ! Mais personne n’estdupe, et déjà le début en gamme par tons illustre l’inanitéde sa harangue, mais mieux encore la musique volon-tairement idiote dérivée de l’ex.52, d’une redoutable effica-cité dans la férocité satirique.  Janáček porte le coup fatallorsque le Commandant dit à sa victime: (« Já se s nímsmířím, Moi, je viens faire la paix avec lui »). À cet instant,l’ex.5 dans toute son horreur est clamé par l’orchestre!

Le Commandant demande alors à Pétrovitch de quoi i l arêvé. L’andante avec guirlandes de triolets de croches auviolon solo souligne la tendresse de Pétrovitch évoquant samère. L’impatience de la liberté s’exprime dans les sautsimpulsifs de quinte ascendante, à contretemps, des bois et

de la harpe. Les chaines du «politique» libéré sont descel-lées aux sons de l’ex. 5, et ce thème continue à se faire

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LE VIEILLARDLui aussi est né d’une mère.(A la vue du mort , l ’of f ic ier a un mo uvement de recul .Le vieillard bénit Filk a. Chichk ov n e qu it t e pas des yeux le corp s que les gardes emport ent.) 

CHICHKOV

Fils de chienne ! Fils de chienne ! Fils de chienne !UN GARDE (appelle) On dem and e Alexandre Pét rovitch Go ryantchikov!

ALYEYAPourquoi t ’appelle-t-on?(Il s’accroche à Goryant chiko v. Le garde fai t sort ir ce der ni er. Les ma lad es son t st upéfait s.) 

LES PRISONNIERS (dans les cou li sses) Hou, hou ! Hou , hou ! (cliqu eti s des ou ti ls au t ravail) Hou, hou ! etc.

DEUXIÈME SCÈNE

Même décor qu ’au pr em ier acte ; à l’ar rière-p lan , l’ in - f irm eri e. Le sol eil b ril le. Les pr isonn ier s son t al ig nés en rang avant d e part ir au t ravail . Un g arde amène Gor yan t chi ko v. Le commandan t de la pl ace éméché.

LE COMMANDANTPétrovi tch! Je t ’a i outragé.Je t ’a i fa i t foue tter sans moti f .Je le sa is ! Je le regret te . Comprends-tu ?Moi, moi, moi, je le regret te.

GORYANTCHIKOVJe comprends !

LE COMMANDANTEh, g ard e-à-vous !

LES PRISONNIERSHou, hou !

LE COMMANDANTMoi, ton commandant , je te demandede me pardonn er… Tu sais ce q ue cela veut dire?À côté d e mo i, tu n’es qu ’un vermissea u !Et mo ins encore : un forçat !(Les pr ison nier s s’agi ten t.) Et moi command ant de la place par la g râce de Dieu,commandant .Comprends-tu cela ? Gard e-à-vous !

LES PRISONNIERSHou, hou !

LE COMMANDANTMoi, je viens faire la paix avec lui.Sens-tu pleinement cela ?Peux-tu le comprendre?Moi, le commandant !(Il serre Goryant chiko v d ans ses bras.) Eh bien, Pétrovitch, de q uoi as-tu rêvé cette n uit ?

GORYANTCHIKOVDe ma mère !

LE COMMANDANTIl y a plus et mieux ! Tu es libre ! Ta m ère a inte rcédé

pour toi . Voici l’ordre ! (au garde) Ôte z-lui ses fers !(Alyeya app araît à la po rt e de l ’in fi rm erie.) 

237STAŘÍKI jeho matka zrodila.(Dustojník zarazí se pohledem na mrtvého. Stařík 

 žehná Filku. Siškov vleče oči za mrtvolou jíž stráževynášejí.)

238ŠIŠKOV

Psí maso! Psí maso! Psí maso! Psí maso!239STRÁŽ (volá)

Volají : Alexandr Petrovič Gorjancikov !

240ALJEJAProč tě volají?(Věsí se na Gorjančikova. Gorjančikova vyvádí stráž.Choří vězňové jsou zaraženi.)

241VĚZŇOVÉ (za scénou)Hou, hou! Hou, hou! (třeskot nástroju ku práci)Hou, hou! etc.

SCÉNA II

Scéna jako v I. jednáni; v pozadí trakt nemocnice.Slunce. Vězňové k práci seřazeni. Stráž předvádí Gor-

 jančikova. Placmajor podnapilý.

242PLACMAJORPetroviči! Já jsem tě urazil.Dal jsem tě zmrskat nadarmo.Vím to! Já toho lituji. Rozumíš mi?Já, já, já toho lituji.

243GORJANČIKOVRozumím!

244PLACMAJORHej, postůjte.

245VĚZŇOVÉHou, hou!

246PLACMAJORJá, tvůj velitel, tě pozval,abys mi odpustil…Víš, co to je?Tys červík přede mnou!A ještě méně: tys arestant!(Vězňové se pošťuchují.)A já, z boží milosti placmajor, major.

Rozumíš ty tomu? Postůjte!

247VĚZŇOVÉHou, hou!

248PLACMAJORJá se s ním smířím.Cítíš to plně?Dovedeš to chápat?Já, major!(Objímá Gorjančikova.)Nu — a — Petroviči, co se ti dnes zdálo?

249GORJANČIKOVO matce se mi zdálo.

250PLACMAJORVíc — a lepší! Tys svoboden! Máť prosila. Zde příkaz!

(k stráži) Odkujte okovy!(Aljeja se objeví ve vratech nemocnice.)

51Acte III, scène 2

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52 Acte III, scène 2

entendre pendant que Pétrovitch s’efforce de consolerAlyeya, qui lui doit rester au bagne. Mais très vite éclatel’hymne à la liberté, alors que l’Aigle guéri va s’envoler sans

retour, établissant bientôt un Si majeur éclatant. À ce tuttiexultant se mêlent même les quartes descendantes des trom-pettes, agrandissement de la tête de l’ex. 52! Alors que l’Aigleprend son essor en plein ciel («Vídiš, ani se neohlíží! Tu vois,il ne se retourne même pas!»), le thème un peu modifié del’ex. 55 plane aux quatre cors à l’unisson, à la mâle sonorité.Le même hymne (ex.12 et 55 combinés) reprend en Labémol majeur, tonique du bagne: aussi un strident roule-ment de tambour ponctue-t-il le premier «Marrrrche!» duGarde, vite suivi d’un deuxième. Cependant que Pétrovitchchante « Nový život! Une vie nouvelle!» en Si majeur, ton dela Liberté, Alyeya lui fait un dernier et déchirant adieu. Maisl’ultime «Merci !» du jeune Tartare est ponctué par :

Exemple 55

Le troisième et péremptoire «Marrrrche!» sur roulement detambour amène la débandade et la désintégration de lamusique. En trois mesures géniales, l’ex.55 devient l ’ex.52, etle piétinement absurde et dérisoire reprend sa noria sans fin…

Et pourtant ! 19 mesures avant la fin, une saisissantemodulation nous arrache à Mi mineur pour nous réinstalleren Ré bémol majeur. De plus, la seconde ajoutée à l’accord

parfait en position de quarte et sixte retrouve tous les inter-valles de l’ex. 12! Les forçats ne sont vaincus que provisoi-rement. En eux aussi «brille l’étincelle divine». La liberté de

Pétrovitch le politique est garante de la leur. Et l’œuvres’achève sur le fier geste de défi d’une quinte ascendante auxtimbales à découvert, comme d’un poing levé, confirmantRé bémol majeur : un jour eux aussi, ou bien leurs descen-dants, seront libres!

Cette fin est beaucoup plus forte, plus belle, plus vraie,plus révolut ionnaire surtout, que celle de Chlubna et Bakala,qui combinent, très habilement il faut le dire, l’ex.12 etl’ex. 5 modifié de manière à former une cadence myxoly-dienne (parfaite avec 7ème mineure) en Si majeur : cela rap-pelle les péroraisons de la Sinfonietta ou de Taras Boulba.La souffrance transfigurée ou rédemptrice au lieu de laliberté révolutionnaire voulue par le compositeur, ou unconcept foncièrement chrétien (et dostoïevskien, ne le nions

pas!), opposé à un autre, plus largement humaniste: le choixn’est pas que musical!

Harry Halbreich

* La rédaction de cette analyse en 1988 s’est heurtée à des problèmes très sérieux,

qui empêchent qu’elle atteigne à toute la précision dont je suis coutumier. En

deux mots: la partition originale de Janáček n’était pas éditée. L’œuvre n’était

accessible que dans une version considérablement remaniée. Pour effectuer le

premier et, jusqu’ici, le seul enregistrement conforme à la volonté du composi-

teur, Sir Charles Mackerras, partant de documents manuscrits, s’est confec-

tionné une partition de travail personnelle, dont il n’existe aucune copie pour

l’instant. Soixante ans après la mort de  Janáček, aucune édition critique de

l’ensemble de son œuvre n’a encore été entreprise. C’est elle qu’il faudra

attendre, cependant, pour pouvoir effectuer une analyse véritablement précise.

Le travail d’analyse, très ardu, est le fruit d’une confrontation constante entre la

partition disponible et l’enregistrement de Mackerras.

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Cordes

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«Tu es mon père ! » John Mark Ainsley (Skouratov) , Eri c Stoklossa (Alyeya), O laf Bär (Goryantchikov) , Peter Straka ( le Vieil lar d) ,

et Jan Gal la ( Tchekounov) , mise en scène de Pat r ice Chéreau, Wiener Festwochen, 2007. R. Ribas.

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LE PRISONNIER FORGERONVoilà qui est fait !

LES PRISONNIERSHou, hou !

ALYEYA (se jetant au cou de Goryant chikov) 

Tu es mo n pè re !LES PRISONNIERSH o u !

GORYANTCHIKOVMon cher, très cher ! Te reverra i-je un jou r ?

ALYEYATu es mo n pè re !

GORYANTCHIKOV (Il couvr e ses f ers de baisers.) Une vie no uvelle !

LES PRISONNIERS (au Grand Prisonn ier qui t ient l ’aig le dan s la cage) Relâche-le, Nikita !

GORYANTCHIKOVLiberté chérie !

LES PRISONNIERSL’aigle t sar ! L’aigle t sar !(Le Grand Prisonni er ou vre la cage.) Liberté!

GORYANTCHIKOVRésurrection d ’entre les morts !

LES PRISONNIERSLiberté !(L’a ig le s’envo le, son ail e bl essée est guéri e.) Liberté, liberté ! Liberté , liberté !Tu vois, il ne se ret ourne même pa s! Liberté, liberté !L’aigle tsar !

UN GARDEMarche!

LES PRISONNIERSLiberté, liberté ! L’aigle t sar !

UN GARDEMarche!

GORYANTCHIKOVUne vie no uvelle !(Alyeya, en pl eurs, se serre con tr e lui.) Tu penses sûremen t a u lointain Dag hesta n !

ALYEYADieu te le rende ! Dieu te récompense !(Il t om be. Pétr ovitch p art. Le command ant de la place sor t aussi.) 

GARDE (aux prisonni ers) Marche!

LES PRISONNIERSHou, hou !(Ils se di sper sen t d ans leur s cellu les.) 

Trad uction : Ma rie-Elisabe th Ducreux.Revue et complétée pa r

Lenka Stránská et Václav Stránský.Remerciements à M. Jiří Zahrádka,

Conservateur au Musée morave, Brno.

© L’Avant -Scèn e Opé ra , Pa ris 1987, 2007

251VĚZEŇ KOVÁŘOdklepnuto!

252VĚZŇOVÉHou! Hou!

253ALJEJA (vrhá se Gorjančikovovi na šíji)

Tys otec můj!254VĚZŇOVÉHou!

255GORJANČIKOVMilý, dobrý! Zda někdy tě ještě uvidím.

256ALJEJATys otec můj!

257GORJANČIKOV (líbá okovy)Nový život!

258VĚZŇOVÉ (velkému vězňovi, jenž drží orla v kleci)

Pusť ho, Nikito!

259GORJANČIKOVZlatá svoboda!

260VĚZŇOVÉOrel car! Orel car!(Velký vězeň otvírá klec.) Svoboda!

261GORJANČIKOVVzkříšení z mrtvých!

262VĚZŇOVÉSvobodička!(Orel, jehož poraněné kř í dlo se zhojilo, odletí.)Svoboda, svobodička! Svoboda, svobodička!Vídiš, ani se neohlíží ! Svoboda, svobodička!Orel car!

263STRÁŽMarrrš!

264VĚZŇOVÉSvoboda, svobodička! Orel car !

265STRÁŽMarrš!

266GORJANČIKOVNový život!(Aljeja s pláčem se k němu tulí.)A ty jistě myslíš na dálný Dagestan!

267ALJEJABůh zaplať tobě! Bůh odplat’!(Klesá. Petrovič odchází. Placmajor též odchází.)

268STRÁŽ (no vězně)Marrrš!

269VĚZŇOVÉHou, hou!(Odcházejí do svých kobek.)

Livret t chèq ue conf orme à l’édition Un iversa l (1996),version revisée pa r Charles Mackerras.

53Acte III, scène 2

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54 Acte III, scène 2

«Liber té!» 

Mise en scène de Rudol f Wal ter, Théâtre de Brno, 1937. Archi ves du Théâtre.

Mise en scène de Karel Jernek, Teat ro al la Scala, Milan, 1966. Coll. Opera/ Archivio Fotografico Teatro alla Scala.

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55Acte III, scène 2

«Une vie nouvel le! » Mise en scène de Mi los Wasserbauer, Théâtre de Brno, 1968. R. Sedlacek.

Les dernières mesures de LA M AISON DES MORTS , parti ti on autographe. Musée morave, Brno .

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56 L’Avan t-Scèn e Opéra

La maison morte

Notre prison était bâtie au fond de la for-teresse, juste face au mur d’enceinte.Vousregardiez, parfois, par une fente de la palis-sade, la lumière du jour: n’apercevait-on pasquelque chose? – et, tout ce que vous pou-viez voir, c’était un petit coin de ciel, et lehaut de terre recouvert de ronces, avec, delong en large sur le mur, de jour comme denuit, des sentinelles qui marchaient; et, là,vous vous disiez qu’il se passerait des annéesentières, et, vous, toujours de la même façon,vous viendriez regarder par cette fente de lapalissade, et vous verriez le même mur, lesmêmes sentinelles, et le même petit coin deciel, pas de ce ciel qui était au-dessus de la

prison, mais de l’autre ciel, du ciel lointain,le ciel libre. Imaginez une grande cour,longue d’environ deux cents pas et large decent cinquante, entièrement entourée,comme un hexagone irrégulier, d’une hauteenceinte, c’est-à-dire d’une palissade faite depieux élevés, dressés et plantés profondé-ment dans la terre, étroitement serrés les unscontre les autres, renforcés par des planchesperpendiculaires et taillés en pointe: voilàl’enceinte extérieure de la prison. Dans l’undes côtés de l’enceinte, on avait construit un

solide portail, toujours fermé, toujours, denuit comme de jour, surveillé par des senti-nelles; on l’ouvrait sur ordre, pour la sortieau travail. Derrière ce portail, il y avait lemonde libre, lumineux, des gens vivaient,comme tout un chacun. Mais, de notre côtédu portail, ce monde-là, on se le représentaitcomme une espèce de conte de fées.Cheznous, il avait un monde absolument à part,qui ne ressemblait plus à rien, il y avait là deslois à part, des costumes, des mœurs et descoutumes, et une Maison morte en vie, unevie – comme nulle part ailleurs, et des gens à

part. C’est cet endroit à part que j’entre-prends de décrire. […]

Le premier mois

 Trois jours après mon arrivée au bagne, jerecevais l’ordre de sortir au travail. Je me sou-viens parfaitement de ce premier jour de tra-vail, même s’il ne m’est rien arrivé d’extraor-dinaire au cours de cette journée, comptetenu de la situation, elle-même extraordi-naire, qui était la mienne. Mais, là aussi,c’était l’une de mes premières impressionset, moi, je continuais encore d’observer toutavec avidité. J’avais vécu ces trois premiers jours empli des impressions les pluspénibles. «Voilà la fin de mon voyage: je suisau bagne! me disais-je à tout instant. Voilàmon havre pour de longues, longues années,ce coin dans lequel je pénètre avec une telle

méfiance, une telle douleur… mais, qui sait?Peut-être, quand, d’ici de nombreusesannées, il faudra que je le quitte – je seraiscapable de le regretter!…» ajoutais-je, nonsans y mêler cette sorte de sensation de joiemauvaise qui touche parfois au besoin de jeter soi-même du sel sur ses propres plaies,comme si l’on voulait contempler sa dou-leur, comme si la sensation de l’immensitéde son malheur faisait en soi, réellement,une jouissance. L’idée d’avoir avec le temps àregretter ce coin me plongeait moi-même

dans la frayeur: et à ce moment-là déjà, jepressentais jusqu’à quel degré monstrueuxl’homme est capable de s’habituer à tout.Mais, cela, c’était encore devant moi, et, enattendant, tout ce qui m’entourait était hos-tile et – terrifiant… pas tout, bien sûr, mais j’avais bien cette impression. La curiosité fré-nétique avec laquelle m’observaient mesnouveaux camarades forçats, renforcée parleur dureté à l’égard d’un nouveau de sangnoble apparaissant soudain dans leur corpo-ration, une dureté qui touche parfois à lahaine, – cela me faisait tellement souffrir que

 je voulais moi-même aller au travail le plusvite possible, pour savoir et connaître, mais

Les Carnets de la maiso n morte

Extraits

par Fédor M.Dostoïevski

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L’Avan t-Scène Opéra 57

le plus vite possible, tous mes malheurs d’uncoup, et commencer à vivre comme ils le fai-saient tous, me couler dans le même moule

que les autres. […]

L’argent – je l’ai déjà dit – avait en prisonune importance terrible, un vrai pouvoir. Onpeut dire positivement qu’un détenu quipossédait au bagne ne serait-ce qu’un peud’argent souffrait au minimum dix foismoins qu’un autre qui n’en avait pas du tout,même s’il recevait tout ce que prévoyait lerèglement, et pourquoi, pourrait-on croire,aurait-il eu besoin d’argent? – se disaientnos chefs. Là encore, je le répète, si les déte-nus se trouvaient privés de toute possibilitéde gagner leur argent à eux, soit ils devien-draient fous, soit ils mourraient comme desmouches (même s’ils reçoivent tout ce quiest nécessaire), soit, enfin, ils se lanceraientdans des crimes inouïs – les uns par ennui,les autres pour être au plus vite exécutés etdisparaître ou, d’une façon ou d’une autre,«changer de sort» (terme technique). Si ledétenu qui gagne son kopeck en suant,autant dire, sang et eau, ou qui, pour l’ac-quérir, se résout à des ruses invraisem-blables, accompagnées souvent de vols ou

d’escroqueries, peut dans le même temps ledépenser d’une façon si frivole, avec une siabsurde gaminerie, cela ne prouve pas dutout qu’il n’y attache aucune valeur, malgréce qu’on pourrait croire au premier regard.Le détenu, devant l’argent, se trouve pris defrissons, il sent que son esprit s’embrouille,et si, réellement, il le jette par la fenêtrequand il fait la bringue, il le jette au nom dequelque chose qu’il considère comme étantencore un degré plus haut que l’argent.Qu’est-ce que le détenu place plus haut que

l’argent? La liberté, ou ne serait-ce qu’un cer-tain rêve de liberté. Or les détenus sont degrands rêveurs. Cela, j’en parlerai encoreplus tard, mais, puisque j’y suis: me croira-t-on, si je dis que j’ai vu des condamnés à vingt 

ans me dire, très tranquillement, des phrases,comme par exemple, celle-ci: «Attends, avecl’aide de Dieu, je finis mon temps, et, là…» Tout le sens du mot «détenu» désigne unhomme sans liberté; dépensant son argent,il agit déjà libre . Malgré toutes les marquesau fer rouge, les chaînes, les pieux détestés del’enceinte qui lui cachent le monde et font

de lui un animal en cage, il peut se trouver del’alcool, c’est-à-dire un plaisir interdit abso-

lument, profiter d’une prostituée et même,parfois (mais pas toujours, de loin) achetertel ou tel de ses chefs immédiats, les inva-lides, voire le sous-officier, qui fermeront lesyeux quand, lui, il violera la loi et la disci-pline; même, peut-être, par-dessus le mar-ché, il fanfaronnera un petit peu devant eux,

or le détenu adore fanfaronner, c’est-à-dire jouer la comédie devant ses camarades et lesassurer – voire s’assurer lui-même, ne serai t- ce que pour un temps , qu’il dispose de beau-coup plus de liberté et de pouvoir qu’il n’yparaît – bref, il peut faire la bringue, faire duscandale, vous rabaisser plus bas que terre etvous prouver que, tout cela, il peut le faire ,que tout est «entre ses mains», c’est-à-dires’assurer d’une chose dont un pauvre ne peutmême pas rêver.À propos: voilà pourquoi,peut-être, même quand ils n’ont pas bu, les

détenus sont si souvent pris à fanfaronner, àse vanter, à exalter si comiquement, si naïve-ment, leur propre personne, même si cetteexaltation n’est que fantomatique. Et puis,toute cette bringue comporte un risque –cela signifie qu’elle porte ne serait-ce qu’unpetit signe de vie, une ombre, même floue,de liberté. Et que ne donnerait-on pas pourla liberté? Quel millionnaire, s’il avait unecorde autour du cou, ne donnerait pas tousses millions pour une seule bouffée d’air?

Les Carnets de la maison mort e.

 Traduction André Markowicz.©Actes Sud, 1999 pour la traduction française

Dostoïevski (àgauche) au bagne en 1853. D.R.

239 Dostoïevski 6/06/07 16:51 Page 57

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58 L’Avan t-Scèn e Opéra

Le 22décembre 1849 à Saint-Pétersbourg, Dos-toïevski, en compagnie de vingt et un autrescondamnés, est amené sur une charrette, en proces-sion sous la neige, derrière un pope croix à la main, jusqu’à la place Semenovskaïa, où un échafaud estdressé.

Dostoïevski raconte: «Là on nous a lu à tousnotre condamnation à mort, on nous a fait baiser lecrucifix, on a brisé nos épées au-dessus de nos têtes,on a fait notre toilette pré-mortuaire», c’est-à-diresarrau, bonnet blanc et linceul. On a attaché à troispoteaux les trois premiers hommes du groupe.«J’étais au second rang, et je n’avais donc plusqu’une minute à vivre». Les tambours battent, le

peloton couche en joue les condamnés… Puis lesfusils se relèvent. «Et on nous lut que Sa MajestéImpériale dans sa clémence infinie nous faisait donde la vie. Puis suivirent les verdicts véritables». PourDostoïevski, le bagne en Sibérie.

Pourquoi cette comédie macabre, dont la victimedira dans son roman L’Idiot , où il évoque cesminutes horribles: «C’est la plus atroce torture; iln’y a en a pas de plus cruelle au monde. […] Non,on n’a pas le droit de traiter ainsi un être humain»?Pourquoi cette mascarade sadique? Le tsar voulaitdonner une leçon exemplaire à de jeunes écervelés

qui avaient osé des pensées révolutionnaires. Ques’était-il passé?

1848 :les lectures et les débats

Dès sa première jeunesse, Dostoïevski a été ungrand lecteur. Outre les auteurs classiques, ceux quile marquent parmi les romantiques, ce sont leschantres de la liberté, Friedrich Schiller, VictorHugo, George Sand. Schiller avant tout. «J’ai serinéSchil ler; je parlais Schiller ; je rêvais Schil ler». Schil-ler l’auteur de Guillaume Tell , de Don Carlos, desBrigands, de l’H ymne àla Joie – qui est en fait un

hymne à la liberté –, Schiller l’ennemi des despotes,Schiller qui dénonce la tyrannie, Schiller a quelque

chose à dire à un jeune Russe qui souffre de voir sonpeuple asservi au régime impitoyable du tsar. Àcette époque en Russie, il est très dangereux de lireun auteur qui peut passer pour libertaire.

Alors qu’en Europe fleurit ce qu’on a appelé le«Printemps des peuples», qui voit dès 1848 révolu-tions et insurrections éclater à Paris, à Berlin, àVienne, en Italie, la Russie demeure à l’écart dumouvement. C’est qu’on y muselle toute activitéscientifique et littéraire: la censure craint les livresplus que tout et persécute toute pensée tant soit peuouverte au progrès.

Pour connaître des ouvrages que la censure inter-dit, pour se tenir au courant des idées qui sont en

train de remuer l’Europe, persuadé que la Russiedoit elle aussi évoluer, Dostoïevski fréquente à par-tir de 1847 les «vendredis» d’un jeune écrivain degauche, Petrachevski, dont la bibliothèque attire desintellectuels en quête de progrès. On se passe deslivres de Fourier, de Saint-Simon, de Proudhon, deGeorge Sand. Il assiste aussi aux réunions d’uncercle d’«adeptes du socialisme», réuni autour deDourov et de Spechnev. On débat de problèmesvitaux pour l’avenir du pays. On tourne autour dela question centrale: la libération du peuple russepassera-t-elle par l’instruction ou par les armes?

Dostoïevski est un socialisant chrétien, aux idéesardentes mais aux perspectives politiques modérées.S’il est socialiste, c’est plutôt tendance Fourier quetendance Bakounine.

Il ne pense pas que le peuple russe va suivre lesrévolutionnaires d’Europe, il refuse la révolte etespère que c’est le pouvoir lui-même qui va pro-mouvoir les réformes nécessaires. Il attend uneréforme du système judiciaire, il pense qu’il fautdonner la liberté aux serfs et permettre la libre cir-culation des idées. Les groupes qu’ils fréquententn’ourdissent pas des complots, ne préparent niattentat ni insurrection: ce ne sont pas des sociétés

de conspirateurs. Les petrachevtzy se bornent à fairel’acquisition d’une presse à imprimer, moyen

Saint-Pétersbourg, 22 décembre 1849

par Pierre Michot

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d’échapper aux rigueurs de la censure. C’est leurseule action révolutionnaire. Elle suffira à provo-quer le drame.

1849 :les fers aux pieds

Le 23avril 1849, à quatre heures du matin, Dos-toïevski est réveillé en sursaut et arrêté. Il passe neuf mois à la tristement célèbre forteresse Pierre-et-Paul, pendant que dure l’instruction. On a saisichez lui deux livres interdits (Proudhon et Eugène

Sue), il a participé à l’achat de la presse clandestine,il a lu au cours des réunions une lettre de Bielinskiconsidérée comme criminelle, il a prôné la nécessitéde réformes, il a défendu la liberté de la presse.Après six semaines d’audience, le tribunal lecondamne «à la dégradation, à la confiscation detous ses biens et à la peine capitale». Atténuationd’importance, quelques jours après: huit ans de tra-vaux forcés, que le tsar diminue encore à quatre,puis service obligatoire comme soldat de rang.Mais – et c’est là que Sa Majesté est particulière-ment ingénieuse – Nicolas Ier ordonne cette comé-die sadique: on fera croire aux condamnés qu’ils

vont être fusillés. C’est le jour de Noël 1849 àminuit que, les fers aux pieds, Dostoïevski part pour

la Sibérie. Il y restera neuf ans, quatre au bagne,cinq comme soldat.

Pourquoi insister ainsi longuement sur ce rappelbiographique? Parce qu’il donne le contexte derépression terrible de ce régime impitoyable, parcequ’i l donne une idée de la dureté effroyable des châ-timents qu’il inflige.

Le récit de ces années de camp, de ce goulag avantla lettre, ce seront ces «Souvenirs de la maison desmorts», selon le titre qui s’est imposé avec le temps.Cette traduction n’est pas exacte, Dostoïevski parle

de lamaison morte (Mertvyi dom) , morte parce queles hommes qui y sont enfermés sont comme enter-rés vivants. Quant au terme de souvenirs , il prétendrendre le mot de zapiski , que l’on pourrait aussi tra-duire par notes, carnets, cahier. On pourra donc pré-férer dire les Carnets de la maison morte.

Extraits de la Conférence de Pierre Michotdonnée dans le cadre de l'Association genevoise

des Amis de l’Opéra, en novembre 2004

Il lustration de Karazine (1890) pour LES C ARNETS DE LA MAISON MORTE de F.M . Dostoïevski . Novosti Press.

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tion à l’antique du chœur des forçats horrifiés. Janáček

n’a d’ailleurs pas exploité toutes les horreurs du récit deDostoïevski. Il a voulu endiguer le déferlement de rageet de perversité dramatique par les interventions régu-lières de Tcherevine, qui sont autant de refrains retar-dateurs, soulignant le côté rituel de ce «skaz », ou récitoral qui, ici, est récit chanté.

Les quatre récits enchâssés, les deux saynètes bouf-fonnes nous donnent à comprendre le lien intimeentre la maison des morts et celle des vivants. Lesâmes des forçats sont des âmes mortes en ce sensqu’une infinie insensibilité les caractérise. Mais cesont des âmes vivantes en ce sens que leur crime viten eux, qu’il les habite comme il habite le «non-bagne», ce vaste et cruel monde paysan d’où vien-nent la plupart d’entre eux, et qui est, en somme, unepréparation au bagne, l’antichambre des morts.

La tendresse et la férocité

Dostoïevski est le grand maître de la peinture desâmes auto-torturées, boiteuses, qui ne parviennentpas à être elles-mêmes. Le milieu social de ses romansest la ville, ses bas-fonds, ses tricheurs et ses humiliés.Mais au bagne prédomine le milieu paysan, et lesgrands récits des meurtres, pour lesquels les codéte-

nus de Goryantchikov sont dans les fers, ce sont desdrames de l’obscurantisme paysan. Avant le Tche-khov des Paysans ou le Tolstoï de La Pui ssance des ténèbres 1, Dostoïevski dépeint le noir Érèbe d’unmonde où l’infanticide et l’homicide accompagnentsouvent la clandestinité du sexe, sans compter lesportails peints au goudron nuitamment pour dénon-cer les filles qui ont fauté, et qui sont ainsi désignéesà l’opprobre. Káťa Kabánová , l ’autre grand opéra de Janáček est écrit d’après un drame marchand terribledu dramaturge Ostrovski, L’Orage , et nous plongedans la même violence obscurantiste. «Je te laverai

les pieds et puis je boirai l’eau», dit Avdotia, une despaysannes martyres mentionnées dans lesNotes de la Maison morte . Ce singulier «lavement de pieds»,venu des icônes et des fresques du temple orthodoxe,dénonce bien l’envers infernal et sacrilège d’uneSainte Russie qui cache ses horreurs sociales.

 Janáček transpose dans son écriture musicale vio-lente, griffue, parfois éructée, vomie, hurlée, la vio-lence de ce double pays des morts: celui du bagne, etcelui qui a nourri le bagne, la maison morte et lasociété pourvoyeuse d’âmes mortes. Il y a au bagnede la tendresse – celle qui auréole le doux Daghesta-

nais Alyeya – comme il y a dans «l’avant-bagne» unestridence et une férocité sauvages.

 Janáček ne pouvait transcrire le si étonnant cha-

pitre de Dostoïevski sur le bourreau, où l’écrivainexplique le bagne par la part de bourreau toujourslatente en l’homme. La cruauté et le sadisme sont lefond de l’homme, ici comme là. L’«allée verte», c’est-à-dire la double rangée de soldats entre lesquels lecondamné passe pour recevoir mille, cinq mille oudix mille coups de verges n’est que la version mili-taire, pénitentiaire, d’une cruauté bien plus perverseencore dans le monde «libre». L’allée du suppl ice paroù passe la malheureuse Akoulka dans sa courte viede paysanne ne lui laisse aucune chance de survie.«Les facultés de bourreau existent en germe chezpresque chaque homme moderne», écrit Dostoïevskiau chapitre «L’hôpital », expliquant que «la tyrannieest une habitude» qui évolue finalement en maladie.Ou encore: «Je suis d’avis que le meilleur deshommes peut tomber, avec l’habitude, dans la gros-sièreté et la stupidité des bêtes fauves.»

 Janáček, au fond, a illustré cette contagion de lasauvagerie. Comme le texte donneur de Dostoïevski,l’opéra récepteur de  Janáček montre la mort desâmes. Mais il redécoupe l’action et la narration enfonction des besoins d’un récit chanté qui ne peutexcéder deux à trois heures, retenant du cadre narra-

tif des Notes le temps de la peine subie par Goryan-tchikov depuis son arrivée au bagne d’Omsk (tout lepremier acte) jusqu’à son départ pour la liberté, cequi lui permet d’achever l’opéra sur un chant deliberté et de délivrance de l’aigle encagé, finale nette-ment plus emphatique que celui de Dostoïevski quinuance la joie de la délivrance: «Je noterai ici, aupassage, que, avec notre propension au rêve et parsuite de la longue privation, la liberté, en prison,nous paraissait plus libre que la liberté réelle.» Enrevanche, Dostoïevski le croyant termine sur les mots«la résurrection des morts», l’espérance de tout chré-

tien qui récite le Credo, tandis que Janáček l’anticlé-rical supprime l’épisode de l’exemplaire de l’Évangiledonné à Goryantchikov par une femme à Tobolsk(en fait une épouse de décembriste, car il en restait àTobolsk, en 1850, lorsque le convoi du bagnard Dos-toïevski y passa).

Du bagne au goulag

Écrit à quelques mois de la mort du compositeur,De la Maison des morts est un texte musical dont laviolence, la rudesse, les grinçantes alternances de ten-dresse et de cruauté doivent, musicalement parlant, à

Moussorgski, à de Falla ou à Stravinsky, mais égale-ment au contexte inquiet qui a succédé à la bouche-

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rie de la guerre mondiale d’où est née la Tchéco-

slovaquie indépendante, qui périra dix ans plus tard.Un autre bagne, infiniment plus dévoreur d’hommes,est déjà né et en pleine expansion: le goulag. Et il estdifficile de ne pas évoquer ici cette autre «maisonmorte» aux millions d’occupants qu’Alexandre Solje-nitsyne, bien plus tard, en 1972, appelleraArchipel du goulag . Le texte de Dostoïevski est présent dans lesmarges de Soljenitsyne, comme un renvoi à un goulagenfant qui n’avait pas encore déroulé son ampleur uni-verselle. Soljenitsyne suit peu ou prou le modèle de sesprédécesseurs. Les impressions des premières journées(la moitié du texte de Dostoïevski, tout le premier actede Janáček) occupent une place prépondérante: lachute dans l’Érèbe paralyse pour longtemps le bagnardou le zek , et mobilise toutes ses forces de survie. Maisl’Archipel mentionne en ricanant les «imperfections»criantes du bagne d’Omsk: on y mange à sa faim, l’hô-pital est commun aux forçats et aux gardiens. Allonsdonc! La faim constante, la délation, la propagandesans relâche (au lieu des «congés» et de la «fête» desprisonniers du deuxième acte de Janáček) caractérisentle goulag stalinien et poststalinien. L’énormité du bras-sage humain, l’ inexistence des motifs d’arrestation–tout différencie le goulag du bagne d’Omsk.

Mais une donnée leur est commune: la «zone» dugoulag n’est que l’épicentre de la férocité de la «grandezone», celle du pays entier. Dostoïevski relie laméchanceté humaine du bagne à celle de l’hommehors bagne. Soljenitsyne relie la peur et la déchéancede la petite zone à celle de la grande zone. Et sansdoute faut-il également rappeler que l’opéra de GilbertAmy Le Premier Cercle est venu interpréter musicale-ment le goulag, comme Janáček a interprété le bagnetsariste vécu par Dostoïevski. L’opéra d’Amy fut donnéà Lyon en 1999, le compositeur a lui aussi tiré lui-même le livret de l’œuvre de Soljenitsyne, tentant d’or-

ganiser la coexistence entre un chœur d’incarcérés etplusieurs protagonistes, ajoutant des projections ciné-matographiques oniriques sur un écran, et de longspassages parlés. Tentant d’inoculer de la tendresse etdu lyrisme à un univers violent et pauvre.

LesNotes de la Maison morte , le plus célèbre texte surle bagne tsariste (avec L’Île Sakhal ine d’Anton Tche-khov et Résurrection de Léon Tolstoï), partagent avec la«littérature du goulag» le souci de relier la «petitezone» à la «grande zone», mais deux grandes diffé-rences sautent aux yeux. Les auteurs du goulag consi-dèrent la «maison morte» dostoïevskienne avec la

commisération qu’on doit à un bébé: la violence insti-tutionnalisée d’Ancien Régime est encore dans les

langes. Varlam Chalamov, dans ses remarquables et

féroces Récits de Kolyma , semble hausser les épaulesface à la galerie des «monstres» de Dostoïevski(Gazine, Orlov, Koreniov, Petrov, V. Antonov): «Dos-toïevski, dans sesNotes de la Maison morte , relève avecattendrissement les actes et le comportement de mal-heureux qui se conduisent comme de grands enfants,s’enthousiasmant pour le théâtre, se querellant commedes gosses sans méchanceté. C’est que Dostoïevski n’ani rencontré, ni connu de gens issus du vrai monde destruands.» Autrement dit, la Maison morte n’est qu’un

 jardin d’enfant, comparée au goulag qui gèle les âmesplus vite que le froid absolu de la Kolyma ne gèle uncrachat…

Les êtres sous l’habit du bagnard

Ce qui nous amène à la deuxième grande différencesoulignée par tous les rescapés du goulag (avec des gra-dations allant de plus à moins selon qu’on passe deChalamov à Soljenitsyne). Dostoïevski dit qu’il aperçu de mieux en mieux, au cours de ses quatre ans debagne, la profonde bonté du peuple russe, une conclu-sion qui est radicalement étrangère à Chalamov et àpresque tous les auteurs de la littérature concentra-tionnaire de l’époque communiste. Certes, Goryant-

chikov se heurte tout d’abord à l’hostili té des condam-nés de droit commun à l’égard des nobles, dont il faitpartie. Mais peu à peu cet obstacle disparaît et si, dansla première partie, le narrateur se sent isolé au milieude criminels «sans le moindre indice de repentir »,cette impression de «maison morte» recule et s’es-tompe. Goryantchikov apprend à discerner les êtresréels sous l’habit du bagnard. «Les hommes sont par-tout des hommes. Même au bagne parmi les brigands,en quatre années, je distinguai enfin des êtreshumains.»

Pas seulement les êtres bons qu’il remarque d’em-blée, tel le jeune et touchant Alyeya (qui s’éprend de lafigure du Christ, un Christ transformé par la légende)ou encore le vieux-croyant qui sauve son âme par laprière, ou encore le simplet Souchilov. Même parmi lesautres, soldats, vagabonds, paysans, si les raisons deleurs crimes sont variées, et s’il leur arrive d’en tirervanité devant leurs camarades, à moins qu’ils ne secloîtrent dans le mutisme, ne parlant que pour jurereffroyablement, en définitive ce sont des êtres douésd’un sens inné de l’art, de la chanson, du proverbe, desêtres venus du peuple, et honnêtes à leur façon. Et plusavance le récit, plus Dostoïevski semble aimer ces

grands enfants. Des enfants qui certes peuvent êtreredoutables. Mais des enfants. Un peu comme le bri-

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AU PAYS D ES MO RTS

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gand Pougatchov chez Pouchkine, dans La Fil le du capitaine .

Le bagne de la «maison morte» est un lieu désolé,mais où l’on peut découvrir et aimer le peuple, en

dépit de ses accès de violence qui restent souventincompréhensibles. «Ce ne fut pas du temps perdupour moi, écrit Dostoïevski à son frère en 1854. Si jen’y ai pas connu la Russie, du moins, j’y ai bien connule peuple russe, comme peut-être cela est arrivé à trèspeu d’hommes.» Nul doute que Janáček n’ait été fas-ciné par cette ambiguïté que lui apportait Dostoïevski,bien plus que Ostrovski à qui  Janáček a emprunté l’ar-gument terrible de la pièce L’Orage , entièrementimmergée dans les ténèbres: un peuple à la fois féroceet enfant, un peuple à la fois bourreau et poète, poètedans sa misère, bourreau surtout de lui-même.

L’Europe où se trouve  Janáček à la fin de sa viesemble en rémission de ses péchés et de ses guerresintestines effroyables. Mais dans ce qu’on peut consi-dérer comme une brève accalmie, Janáček, une fois deplus, a prêté l’oreille à ce que lui disait la littératurerusse. La Russie – maison morte – s’avère au fil desannées de supplice un lieu de rédemption, et une mai-son de vie. Un grand contemporain de Dostoïevski, unde ses éditeurs aussi, le poète national et populaireNikolaï Nekrassov, a chanté, lui aussi, en 1856, lesoccupants de la Maison mort e , les «malheureux»,comme dit le peuple russe en parlant des criminelsemmenés au bagne. Lui aussi a serti le récit dans un

contexte de folklore, de la poésie populaire qui, avecses adages percutants, ses ostinati répétitifs, impose le

rythme de la mort résurrection au dit des souffranceshumaines, et résiste au processus de mort. Nul douteque l’âpre, le strident, et le tendre poème vocal et ins-trumental de Janáček ne soit inspiré par cette tradition

de la louange des «malheureux». Accompagné dudoux et tendre Alyeya, Goryantchikov traverse l’arideet ricanant monde des morts vivants du bagne, et il ydécouvre la vie. Janáček confie souvent les stridences et discordances

de ce monde terrible à l’orchestre, et le récit lyrique desdestins des «malheureux», au récitatif vocal. Il recoudle texte de Dostoïevski, le dramatise en inventant l’épi-sode des retrouvailles au bagne des deux bourreauxd’Akoulka, mais reste fidèle à la grande leçon de Dos-toïevski : derrière les pieux, dont chacun représente un

 jour d’enfer, la Vie vivante brûle encore dans les âmes,

telle une braise obstinée.

* Georges Nivat, né en 1935 à Clermont-Ferrand, a étudiéà l’École normale supérieure et aux universités d’Oxford et deMoscou. Professeur honoraire à l’université de Genève depuis1992, il est président des Rencontres internationales deGenève. Il a publié plusieurs livres et études sur Soljenitsyne,dont un paru à Moscou en 1993. Autres ouvrages: Vers la fin du mythe russe (Lausanne, 1982 et 1988), Russie-Europe, la fin du schisme (Lausanne, 1993, Moscou 1999), deux livres de«Regards» sur la Russie d’après le communisme: L’Europe de la pomme de terre et de la métaphysique (Kiev, 2002) et La Rus- sie àpas lents(Bucarest, 2004).

1.   Janáček a composé sur ce texte de Tolstoï un opéra inachevé.

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Chri stophe Fel ( le Commandant ) et Henk Smit (Goryantchikov) .M ise en scène de Wladyslaw Znorko, Opéra de Nice, 1996. Vi lle de Nice.

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1.

Né en 1854. Tout le paradoxe de Leoš Janáček est là.Ce personnage héroïque du postromantisme est l’aînédes grands romantiques: il avait quatre ans de plus quePuccini, six ans de plus que Mahler, dix ans de plus que

Richard Strauss.Jusqu’à la fin du siècle, il écrit des compositions qui,

en raison de son allergie aux excès du romantisme, ne sedistinguent que par leur t raditionalisme accusé. Mécon-tent, exigeant pour lui-même, il a jalonné sa vie de par-titions brûlées et déchirées. C’est seulement au tournantdu siècle qu’après cette longue gestation il découvre sonpropre style. Il a alors près de cinquante ans.

Il travaille toute sa vie à Brno, capitale de province,dans un isolement qu’aucun grand compositeur de notresiècle n’aurait su même imaginer. Il est méconnu et sous-estimé jusqu’en 1916 quand, après la première long-

temps différée de Jen ůfa sur la scène de Prague, sa gloireéclate. Il a alors soixante-deux ans.

Les douze dernières années de sa vie sont heureuses,enfin. Il écrit fiévreusement et dans une grande libertéses compositions les plus audacieuses, applaudies auxfestivals internationaux de musique contemporaine. Onle voit d’emblée parmi les plus jeunes: Bartók, Stra-vinsky, Hindemith, Krenek, Schoenberg. Mais il atrente, quarante ans de plus qu’eux!

Conservateur solitaire dans sa jeunesse, il est devenunovateur quand il est vieux. Pourtant, il est toujoursseul. Solidaire de ses jeunes collègues, il est différentd’eux. Il est parvenu à son style sans eux. Leur esthétique

ne peut l’expliquer. Son modernisme a un autre carac-tère, une autre genèse, d’autres racines.

2.

 Janáček, qui n’aima jamais la grande gesticulation duromantisme, fut le premier (avec Erik Satie, certes) àrejeter la pléthore des moyens orchestraux, l’élaborationcontrapuntique hypertrophiée. La manière dont il le fit

était si radicale qu’on pourrait la qualifier de révolte.Toutefois, par rapport aux tendances générales de

l’Histoire, ses révoltes étaient toujours curieusementasynchrones. La sobriété courageuse de ses compositionscoïncidait avec le plus grand épanouissement de la sono-rité romantique, avec l’époque des gigantesques sym-phonies de Gustav Mahler et de Richard Strauss. MêmeSchönberg participait encore à cette ivresse sonore quifaisait alors partie de l’image même de la modernité. Ilest donc compréhensible que la simplicité délibéréed’un provincial ait été considérée non pas comme unerévolte, mais comme une incompétence.

Cependant, ce n’est qu’après une riche expérience dechef d’orchestre et après avoir écrit beaucoup de com-positions parfaitement élaborées que ce solitaire, dont laformation musicale et esthétique était tout à fait excep-tionnelle, renonce tout à coup à poursuivre la marchecollective vers la complexité de plus en plus grande del’orchestration. Cette révolte du dépouillement est àl’origine de son style. C’était vers 1900. Il écrit alors unepeti te cantate, Pater noster 1, pour orgue, harpe et voix,d’une naïveté captivante, il compose des pièces pourharmonium, cet instrument idyllique des instituteursvillageois (plus tard transcrites pour piano et connuessous le titre Sur le sent ier recouvert 2).

Le sens de l’économie marquera pour toujours sonœuvre. Il sera tenté par l’originalité et la clarté du son

Situation

de Janáček

par Milan Kundera

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(voir les ensembles très particuliers du Concertino , du

Capriccio et desComptines 3, écrits vers la fin de sa vie),et restera toujours fidèle à sa règle d’or : i l ne faut écrireque les notes absolument indispensables.

3.

La polémique de  Janáček contre le romantisme futdifférente de celle qu’ont menée ses plus jeunes collèguesqui ont mis en cause le principe même de l’expression etont battu en brèche la musique conçue comme unmiroir de l’âme. Or, à cet égard,  Janáček était plusromantique que tous les romantiques. Sa musique n’estqu’émotion. Voici la signification profonde de sa révoltedu dépouillement : il chasse de la composition toute latechnique de transition, de développement, d’élabora-tion contrapuntique, parce qu’il ne veut que les noteschargées d’expression. Oui, i l est le seul véritable expres-sionniste4 dans le sens le plus littéral du mot.

Il reproche aux romantiques non pas d’avoir parlé dessentiments, mais de les avoir falsifiés; d’avoir substituéles clichés à la vérité, le théâtre des sentiments à leur réa-lité. La réalité, la vérité, ces mots chers à  Janáček,devaient faire sourire un Stravinsky. Utilisés dans ledomaine de la musique, ne relèvent-ils pas d’une naïvetéassez désuète?

Dans le deuxième acte de son opéra le plus connu,Jen ůfa apprend la mort de son enfant nouveau-né. Saréaction est étrangement discrète, calme, résignée.Comme glacée, elle répète seulement : alors il est mort,mon peti t, il est donc un peti t ange, mon petit…

Vítězslav Novák, compositeur tchèque, beaucoupplus jeune que Janáček et, à l’époque, beaucoup plus res-pecté que lui, s’est moqué de cette scène: c’est comme siJen ůfa apprenait la mort de son perroquet et non celle deson enfant !

Cette petite anecdote révèle le sens concret de ce quereprésentait pour Janáček sa devise de la vérité. Il voulait

casser la barrière des clichés musicaux et des expressionspréfabriquées qui empêchent d’atteindre la vérité immé-diate des émotions humaines5.

4.

Longtemps avant Messiaen et la musique concrète, Janáček fut fasciné par la «musique de la vie», par lesbruits, par le chant des oiseaux, mais surtout par le côtémusical du langage parlé. Il devait paraître bien bizarreà ses contemporains quand, armé d’un calepin, il trans-crivait en notes les propos des vendeuses sur les marchés,les cris des enfants, les périodes d’un discours politique,

et surtout les phrases qu’il volait littéralement (tel unphotographe indiscret) aux situations intimes. Dans le

musée de Janáček à Brno, on garde des centaines de ces

notations dont plusieurs ont été incorporées dans sescauseries publiées dans les journaux et revues.«15 février 1922, le soir. Le crépuscule tombe sur la

gare. Deux jeunes femmes attendent. La plus grande, joues saines et roses, dit énergiquement : «Nous restonsici et je sais qu’il n’arrivera pas».

Exemple 1 

«Sa compagne, joues pâles, jupe foncée et pauvre,interrompt le dernier ton par l’écho triste et sombre deson âme: «Qu’importe!».

Exemple 2 

«Et elle ne bouge pas, pleine de dépit.Autre exemple: une jeune femme, pauvrement vêtue,

regarde son ami, un soldat. La figure maladive, l’œilterne, elle lui dit : «Tu n’y es pas allé.»

Exemple 3 

«Je rentrais chez moi. Le souvenir du reproche de la jeune femme devenait de plus en plus tendre:

Exemple 4 

Le deuxième exemple montre comment la musiqueconcrète de la vie se mue en une minicomposition et laremplit d’une mélodie et d’un rythme très spécifique (la

mesure à 5/ 8 et, dans le motif, la répéti tion rapide etpointue de l’Ut).

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Naturellement, Janáček n’imitait pas dans ses compo-sitions les intonations du langage parlé. Entre ses nota-tions et ses compositions, il y a au moins autant de dis-tance qu’entre un carnet et un roman. Mais de même que

le carnet est le témoignage précieux des préoccupationset des orientations du romancier, les études du langageparlé, dont  Janáček lui-même ne cessait de soulignerl’importance, trahissent clairement deux intentionsmajeures du compositeur :

1. Se débarrasser des stéréotypes rythmiques, mélo-diques, métriques de la musique qui ne se nourrit que dela musique, et découvrir une nouvelle source de lamatière musicale même (des motifs, des «mélodies»).

2. Comprendre l’énigme de la sémantique musicale,apprendre le vocabulaire psychologique des intonationset trouver ainsi un instrument subtil pour capter les émo-

tions les plus nuancées, les plus cachées de l’homme.Cette quête était sa passion. Il nota même le derniersoupir de sa fille agonisante comme s’il voulait arracherson secret à la mort. C’était d’ailleurs une tierce mineuredescendante.

5.

On voit souvent l’essentiel de la musique romantiquedans son caractère dramatique: au détriment de l’élabora-tion classique et de la logique purement musicale, elles’adonnerait à la narration des événements conflictuels, desdrames du cœur. Mais si l’on veut se servir du vocabulaire

qui appartient à la théorie de la littérature, il serait plus exactd’appeler épique ce que l’on considère comme dramatique.

Les poèmes symphoniques d’un Liszt ou d’un RichardStrauss ressemblent au monologue agité d’un seul narra-teur. La structure dramatique suppose, en revanche, laprésence simultanée de différents sujets, de différentes

attitudes indépendantes sur la même scène. Or, c’est lecas de Janáček : sa musique constitue un espace authenti-quement dramatique; des expressions diverses y sontconfrontées non pas l’une après l’autre, successivement,mais à la fois, dans le même segment de temps.

Chaque thème et souvent chaque petit motif de Janáček contiennent en germe cet espace dramatique.Prenons comme exemple les premières mesures de laSonate pour piano (1905):

Exemple 5 

Le motif joué par la main gauche dans la quatrièmemesure fait encore partie du thème (il est composé des

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66 L’Avan t-Scène Opéra

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mêmes intervalles), mais il forme en même temps

– du point de vue de l’expression – son opposition 6.Quelques mesures plus tard, on voit à quel point ce motif «scissionniste» contredit par sa brutalité la mélodie élé-giaque dont il provient :

Exemple 6 

Dans la mesure suivante, les deux mélodies, l’originaleet la «scissionniste» se rejoignent :

Exemple 7 

Ce serait donc faire preuve d’incompréhension totaleque de jouer la partie de la main gauche comme «accom-pagnement » de la mélodie. Non seulement les deuxlignes musicales ont la même importance, mais elles par-

lent chacune d’une chose différente. Elles ne s’accompa-gnent pas, elles crient l’une contre l’autre et s’affrontentcomme les pleurs et la rage.

Il y a donc de la polyphonie chez Janáček, mais qui aun sens spécial : ce n’est pas la conduite savante des voixrelativement indépendantes qui forment une unitéd’émotion. C’est la confrontation simultanée et sauvagede plusieurs entités musicales (même de très petites com-posées de deux, trois tons) dont chacune a une autresignification, un autre contenu émotionnel. Dans l’es-pace dramatique, il y a non pas transition entre lesthèmes, mais interruption. Les mélodies ne se complè-tent pas, elles s’opposent l’une à l’autre. Tout cela crée

une extrême tension qui permet de reconnaître  Janáčekdès les premières mesures.

Ascétiquement dépouillée à l’heure de sa naissance,

cette musique parvient aussitôt à sa propre complexitéqui pose souvent des problèmes considérables aux inter-prètes. Je pense aux chœurs pour voix d’hommes et parmieux surtout auxSoixante-dix mil le 7 écrits en 1909 sur unepoésie inspirée par le sort tragique des mineurs tchèquesde Silésie. Rien de pareil n’a été écrit à l’époque et, en fait,ne l’a jamais été. Les voix s’entremêlent, s’entrecroisent,s’enchevêtrent en une polyrythmie fascinante, de sortequ’on a de temps en temps l’impression d’entendre les crissauvages de la foule où chacun hurle sa vérité sans écouterl’autre. Ce n’est ni de l’homophonie ni du contrepoint.C’est l’inimitable polyphonie des expressions8.

6.

Le caractère exceptionnellement dramatique de samusique l’a prédestiné à avoir été le seul parmi lesmodernes pour qui le théâtre lyrique ait représenté ungenre primordial et qui ait créé une esthétique d’opéranouvelle et cohérente. On est de nouveau frappé par ladivergence entre ses entreprises et les tendances prédo-minantes de la musique contemporaine. Il suff it de regar-der les livrets: Debussy s’inspire d’une légende poétique.Bartók est tenté par les contes allégoriques. Stravinsky etMilhaud se tournent vers les mythes antiques. Honegger

construit des opéras-oratorios, l’action de l’opéra deSchoenberg frise l’hallucination. Partout, on cherche àlibérer l’opéra de tout ce qui peut paraître une imitationde la réalité9.

 Janáček est à l’opposé: il veut débarrasser l’opéra detout ce qui est stylisé et artificiel et s’approcher radicale-ment du réel. C’est pourquoi, à partir de Jen ůfa et unefois pour toutes, il rejette la versification qui, selon lui,conditionne le chant par ses schémas métriques etempêche ainsi de saisir la réalité psychologique immé-diate. Il se sert donc de pièces «réalistes» (Jen ůfa ,  Káťa Kabánová , L’Affaire Makropoulos ) ou il adapte lui-même

des textes littéraires, comme c’est le cas pour La Peti te Renarde rusée et pour la Maison des morts 10. Ces deuxœuvres sont les plus significatives de son esthétiqued’opéra. Elles nous font comprendre que son esprit dra-matique ne recherchait pas naïvement un suspense à laPuccini, sachant que l’action trop captivante risque deréduire la musique à la simple illustration des évé-nements scéniques. En effet, ces deux opéras, audacieuxet astucieux du point de vue dramaturgique, n’ont pas devéritable histoire dramatique, l’un n’étant qu’une suite detableaux mis bout à bout d’une idylle forestière, l’autreun «reportage» sur le bagne. Effectivement, ce n’est pasle texte, c’est la musique qui forme l’unité de l’œuvre, son

organisation, c’est elle où se concentrent «la valeurcognitive» de l’opéra, son «message», sa «philosophie»,

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L’Avan t-Scène Opéra 67

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même son «suspense». Le texte seul, sans musique, n’a

presque pas de sens. Janáček – cas unique – a écrit son œuvre –celle qui res-

tera – seulement entre cinquante et soixante-quatorzeans. Il est donc, parmi les grands compositeurs de tous lestemps, un vieux sage. Et le mot sagesse me vient à l’espritquand j’écoute ses opéras où la musique est à la rechercheperpétuelle de la dimension cachée des hommes, desparoles, des situations: Skouratov raconte à ses coprison-niers l’histoire de son amour tragique. Son chant est bru-tal, expressif, fragmenté, et parfois devient cris. Mais enmême temps la musique d’orchestre parle d’autre chose:elle est d’une mélancolie insoutenable. Dans la distanceentre la brutalité du chant et la tristesse nostalgique del’orchestre apparaît le déploiement secret de l’âme dupersonnage. I l finit son récit par un cri désespéré en appe-lant son amour perdu : Louisa! Les prisonniers quil’écoutent interrompent son cri par une chanson d’unegaieté déchaînée dans laquelle s’ouvre l’abîme de l’indif-férence humaine dont seul un homme très vieux et trèssage connaît l’infinie profondeur.

Ce n’est pas un hasard si je parle précisément de laMaison des morts 11. Je suis amoureux de cet opéra, hélassi difficile à traduire et à mettre en scène. Je me demandetoujours: comment expliquer que ce vieillard, absorbépar son amour tardif pour une jeune femme, content,

heureux même, à l’apogée de son succès, dans les annéesd’ailleurs les plus paisibles de l’entre-deux-guerres, achoisi pour son opéra la description de la vie dans uncamp de prisonniers qui, mis en scène, investi par l’hy-persensibilité moderne de sa musique, devient image ducamp de concentration d’aujourd’hui ?

Oui, je le sais, c’est le bagne du XIXesiècle, c’est l’adap-tation d’un livre de Dostoïevski, du romancier qu’il ado-rait. Mais pourquoi a-t-il choisi de tous ses livres celui-ciqui est le moins dramatique, le moins «adaptable» et lemoins acceptable pour le public?En 1938 encore, dixans après sa mort, une personnalité respectueuse de la

musique tchèque, Vaclav Jeremias, le morigéna pour lepessimisme injustifié et inexplicable de cet opéra. La stu-pidité de l’optimisme bien-pensant est inépuisable. En1938, l’univers concentrationnaire était déjà en traind’investir le monde. Mais en 1928?Comment est-il pos-sible que sa dernière œuvre, son testament musical — ilest mort la même année —, ait été une vision de l’enferd’aujourd’hui ?Pourquoi était-il atti ré par la situation quin’avait aucun lien perceptible avec ses expériences per-sonnelles?Était-ce de la nuit de l’avenir qu’elle est venuele voir?La Maison des morts , superbe, unique et inexplicable, est

une prévision du monde concentrationnaire, de même

que Le Procès et Le Château de son grand compatriote12

préfigurent notre avenir totalitaire.

7.

Jen ůfa fut une œuvre novatrice. Mais, conçue en 1894,achevée en 1903, elle n’a été montée sur les scènes mon-diales que dans les années vingt. Si Le Sacre du printemps avait eu sa première en 1933 au lieu de 1913, il n’auraitcertainement pas perdu sa beauté, mais son influenceesthétique aurait été considérablement diminuée et avecelle toute sa légendaire renommée. Voilà le sort de

 Janáček.Non sans une certaine stupidité, les critiques d’art

considèrent les auteurs comme des coureurs sur la pistede l’Histoire et les apprécient selon leur vitesse: qui a étéle premier à peindre un tableau cubiste, qui est parvenule premier à la polytonali té, à l’atonali té, etc.

Si l’on garde cette métaphore, on peut constater que Janáček courait aussi mais sans être vu. Il était même sou-vent le premier du peloton et, coureur invisible, il se sen-tait blessé quand on ignorait ses performances sur lapiste. «La liberté des accords a été proclamée par moiavant Debussy et je n’ai que faire de l’impressionnismefrançais», répondit-il furieusement à un critique alle-mand.

Il n’exagérait pas. Il était souvent le premier à faire ceque personne n’avait fait avant lui. Mais il faut pourtantcorriger la métaphore: il ne se trouvait pas sur la même

piste que les autres. Ses innovations (études du langageparlé, polyphonie des expressions, technique des chœurs,esthétique nouvelle de l’opéra) n’existaient que pour lui.Du point de vue de l’évolution de la musique, elles sontrestées lettre morte, personne ne les a poursuivies.

Son œuvre a donc l’air d’un simple accident en dehorsde l’Histoire, d’un beau jardin à côté de la grande route.Mais si l’œuvre de Schönberg avait été connue avec vingtans de retard, la dodécaphonie n’aurait-elle pas été unesimple curiosité, une belle bizarrerie?

Inversement : si l’œuvre de Janáček avait été connue àtemps dans les centres culturels d’Europe, n’aurait-elle

pas infléchi – surtout dans le domaine de l’opéra – cequ’on appelle l’Histoire et sa grande route?Le fait que l’Histoire ne se fait qu’une fois et qu’elle

n’est qu’une n’implique pas nécessairement qu’elle soit laseule possible. L’œuvre de Janáček me fait croire qu’il y atoujours plusieurs éventualités à l’intérieur d’une évolu-tion. Sa musique recèle une puissante initiative histo-rique qui est restée inutilisée.

Mais ce handicap ne contient-il pas un avantage rare?On écoute cette musique comme une valeur qui s’imposeseule sans qu’elle soit véhiculée par sa signification histo-rique. Elle reste inclassable, toujours surprenante et, aprèsun demi-siècle, toujours à redécouvrir 13.

© Milan Kundera, 1978.

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1.   Leoš Janáček : Ot č enaš (Pater noster ), chez Supraphon, estbonne interprétation. Celle de Audite est glacialement acadé-mique.

2. Très peu d’enregistrements satisfaisants. Belles interprétationsde Radoslav Kvapil (chez Panton) et d’Ivan Klánský (chezSupraphon).

3. Capriccio et Concertino avec Radoslav Kvapil (piano) sur l’enre-gistrement de Panton. Excellente interprétation. La meilleurecomposition de  Janáček pour piano est V mlhách  (Dans la brume ). Elle aussi est merveilleusement jouée par Radoslav Kva-pil qui, selon moi, est le meilleur interprète des compositionspour piano de Janáček.

4. Il faut que je prévienne tout malentendu: Janáček n’a rien à voiravec l’expressionnisme allemand dont l’esprit est tenté un peu

unilatéralement par l’hystérique, l’hallucinatoire et l’exception-nel. Sa musique est la confrontation vertigineusement serrée dela tendresse et de la brutalité, de la folie et de la paix ; ellecondense toute la vie, avec son enfer et son paradis. Il n’est pasfacile pour les interprètes de bien comprendre cet expression-nisme janáčekien. C’est pourquoi je voudrais mentionner l’en-registrement de ses deux Quatuors  joués par le Quatuor Janáček(chez Supraphon, Grand Prix de l’Académie Charles Cros), lemeilleur disque de sa musique que je connaisse. Interprétationmagistrale qui peut servir de modèle de ce qui est la compré-hension authentique de  Janáček. (Un jour, par hasard, j’aientendu à la radio le Deuxième quatuor dans l’interprétation duQuatuor Enescu: j’ai été enchanté!)

5. Les opéras de  Janáček ont beaucoup souffert des correctionsapportées par des chefs d’orchestre qui voulaient aider le pré-

tendu dilettante. On joue Jenůfa jusqu’à ce jour avec les ratureset modifications de Kovarovic, ancien chef omnipotent del’Opéra de Prague et musicien médiocre qui, après avoir pen-dant treize ans refusé cet opéra, lui a imposé ses améliorations.Il a changé ainsi par exemple la simplicité lyrique inouïe de la scène finale : après la découverte de son nouveau-né assassiné etaprès l’arrestation de sa mère adoptive,  Jenůfa reste seule avecLatso qui l’aime. Elle lui demande de partir seul, sans elle qui estmaudite, méprisée par tous. Latso refuse : il veut qu’ils restentensemble, l’un étant la consolation de l’autre. Le chant del’émouvante tendresse, né de la terreur et de l’angoisse, futchangé par Kovarovic en une apothéose bruyante de l’amour. Etce qui est encore pire: tout le monde approuva cette mutilation(l’orchestration appuyée, le contrepoint ajouté) : l’originalitépsychologique de Janáček resta incomprise même par ses admi-

rateurs et lui, l’ennemi déclaré du pathos, fut puccinisé parforce.6. Détail révélateur: dans presque tous les enregistrements que je

connais, les pianistes négligent la prescription de  Janáček quidemande de jouer forte les six notes de la quatrième mesure dela Sonate . Ils préfèrent les jouer piano et ce, précisément, parcequ’ils ne veulent pas rompre l’unité émotionnelle du thème.Toute l’incompréhension de la musique  janáčekienne, de sonessence, est là.

7.  Leoš Janáček : Mužské sbory (chœurs pour voix d’hommes, chezSupraphon), Pěvecké sdružení moravských učitelů . Inter-prétation excellente. Dans cet ensemble, il faut distinguer leschœurs de jeunesse qui font partie de la «préhistoire» de son style,et quatre chœurs de sa grande période: 70 000 , Kantor Halfar ,Maryčka Magdonová  et Le Fou erran t (selon RabindranathTagore).

8. Si l’on prive la musique de Janáčekde sa structure dramatique, desa «polyphonie des expressions», on détruit tout. Il suffit pour

cela de souligner la mélodie lyrique et d’estomper l’expressivitédes passages brutaux qui la contredisent. En transformant ceux-cien accompagnement  pianissimo , en brume impressionniste, onfait disparaître toute la tension.

9. Sans doute, de tous les opéras modernes, c’est Wozzeck d’AlbanBerg qui lui était le plus proche.  Janáček l’a d’ailleurs défenduavec acharnement.

10. C’est délibérément que je ne mentionne pas parmi les grandsopéras de  Janáček Les Aventures de Monsieur Brouček, satireconfuse et incohérente dont la musique a succombé aux fai-blesses du livret. Janáček n’était pas un esprit ironique. La satireforcée et maladroite a étouffé les sources les plus naturelles deson invention.

11. L’enregistrement de la Maison des morts (chez Supraphon, direc-

tion Bohumír Gregor) est bon et fidèle. En effet, on joue sou-vent la Maison des morts avec la fin ajoutée par un chef d’or-chestre de Brno qui, après la mort de  Janáček, a préparé la première de cet opéra dont la rédaction est restée inachevée parl’auteur. Ce n’est que quelques mesures, un court chant de la liberté, mais c’est détestable. J’avertis les interprètes de la Mai- son des morts de cet optimisme ajouté.

12. L’allusion à Franz Kafka n’est pas gratuite. Tous les deux étaientsolitaires, « outsiders », et à la fois les plus grands artistes de leurpays à leur époque. Tous les deux sont découverts, défendus etlancés par Max Brod, ami et éditeur de Kafka et premier bio-graphe de Janáček (son livre sur lui a paru en 1924, l’année dela mort de Kafka). Kafka a comparé d’ailleurs le combat de Max Brod pour Janáček à celui des intellectuels français pour Drey-fus. Un rapprochement apparemment exagéré. Mais on sait le

grand souci de Kafka de l’exactitude de ses jugements.13. La solitude de Janáček dans sa vie et dans l’histoire de la musi-

que a quand même une conséquence grave: il n’a pu créer uneécole suffisamment influente qui expliquerait et interpréteraitfidèlement son œuvre. Tous les grands créateurs modernes ontété entourés par leurs élèves et apôtres. Au lieu d’être interprétépar ses partisans,  Janáček a été, dès le commencement, à la merci de ses adversaires. Il y a quelque chose de symbolique dansle fait que la représentation praguoise de  Jenůfa (sa premièregrande victoire) a été exécutée par son ennemi notoire, Kovaro-vic. Jusqu’à aujourd’hui, la musique de  Janáček mène un com-bat désespéré contre ses interprètes qui le jouent une fois à la manière d’un Dvořák, une autre fois à celle d’un Stravinsky,mais rarement à la manière de  Janáček. Cette situation a étéencore aggravée par les catastrophes politiques: après l’instaura-

tion de la dictature prosoviétique en 1948,  Janáček a été mis à l’index comme formaliste, naturaliste, etc. (en Russie, sonœuvre est presque inconnue). Pour adoucir le pouvoir commu-niste, ses défenseurs étaient forcés de souligner les aspects tradi-tionnels de son œuvre, son amour pour le folklore, son admira-tion pour la Russie (surtout ça !) et d’estomper sa modernitéirritante. Il a été déseuropéanisé et reprovincialisé. Faute demeilleure source, on le comprend souvent à l’étranger (enFrance, hélas, aussi!) selon cette lamentable déformation.

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Notes

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70 L’Avan t-Scèn e Opéra

En 1861, Dostoïevski entreprend de publier sousle titre Carnets de la maison morte les «notes» inspi-rées par son séjour comme prisonnier politique aupénitencier d’Omsk, en Sibérie. La «maison morte»,c’est donc ce bagne empreint de solitude, de mono-tonie, d’humeur sombre, de temps interminablementlong, la «maison» des prisonniers, mais une maison«où il fait mort ». Bizarrement, en français, la traduc-tion déformée du titre par «maison des morts» alongtemps prédominé, et est encore bien ancrée. Elleest pourtant doublement contestable. D’abord, lebagne est bien un microcosme possédant une viepropre, celle-là même sur laquelle se porte le regardde Dostoïevski, qui semble mettre son art de roman-cier au service d’un témoignage quasi sociologique:«Chez nous, il y avait un monde absolument à part, qui

ne ressemblait plus à rien, il y avait des lois à part, descostumes, des mœurs et des coutumes, et une Maisonmorte en vie, une vie – comme nulle part ailleurs, etdes gens à part. C’est cet endroit à part que j’entre-prends de décrire.» (Trad. A. Markowicz.) Et si les for-çats de Dostoïevski sont dépourvus de tout sentimen-talisme, ils ne le sont pas de vie affective. Ensuite, letitre, rendu moins neutre par cette traductionusuelle, met en évidence l’évolution religieuse deDostoïevski, en renvoyant à la dernière phrase desCarnets , lorsque le narrateur, Alexandre PétrovitchGoriantchikov, au moment de sa sortie du bagne,

s’exclame: «La liberté, une vie nouvelle– cette résurrection d’entre les morts… Ah, la belleminute! » C’est pendant son séjour au pénitencierque Dostoïevski, muni de la Bible, seul livre autorisé,redécouvre la religion orthodoxe dans laquelle il avaitété éduqué et qu’il avait abandonnée, c’est là que sedéveloppe sa foi ardente. Mais seule la fin des Car- nets , et de manière discrète, indique cette évolution.Aujourd’hui, la traduction française par «maisonmorte», fidèle à l’original, se réimpose peu à peu.

 Janáček, lui, respecte le titre russe. Mais, lui qui estathée, inscrit en épigraphe de l’opéra: «en chaquecréature, une étincelle divine». Cette épigraphe n’est

pas une citation de Dostoïevski.  Janáček possédaitl’original russe des Carnets de la maison morte ainsi

qu’une traduction tchèque parue en 1891. C’est dansla Postface de celle-ci qu’il a trouvé la métaphore del’«étincelle divine». Le traducteur y résume la penséedostoïevskienne: «Le lien entre toutes ses œuvres,c’est la haute idée humaine de l’auteur, que tous les“malheureux” [mot par lequel le peuple russe désigneles criminels, dans les Carnets ], tous les “humiliés etoffensés” ont indispensablement besoin de compas-sion, peut-être pas uniquement parce qu’ils souffrentet sont dans la privation, parce qu’un sort cruel lesdétruit et les pervertit, les courbe et les mutile, maisau contraire parce qu’eux aussi, d’ordinaire, sontbeaux, parce que dans leurs âmes aussi se manifestentsouvent les plus beaux traits humains, parce que, pasmême en eux, l’étincelle divine ne s’est éteinte. C’estpourquoi il ne convient pas d’avoir seulement pitié

d’eux et de les plaindre, mais il faut les aimer . C’estdans cet esprit qu’a écrit Dostoïevski, depuis le débutde sa carrière li ttéraire jusqu’à la fin ; les nuagessombres et la stupeur qu’il a peints dans ses tableaux,ne servent qu’à mettre plus clairement en évidence lalumière qui brille dans ces nuages. Ses écrits ne ces-sent de prêcher l’amour, sans cesse ils nous invitent àparvenir, même dans ces êtres réprouvés, mutilés, àvoir et à aimer nos frères.»

Ainsi, chez  Janáček, cette «étincelle divine» estmoins à comprendre dans un sens religieux littéralque de manière métaphorique: ce qu’il y a de beau et

de bon en chaque âme. Si l’ouverture de la Maison morte reprend du matériau du concerto pour violonLes Pérégrinations d’une petite âme , c’est en établissantun rapport sémantique. Depuis longtemps, le violonsolo est associé chez Janáček au côté «angélique» del’âme, soumise à l’action du destin, qui imprime àson chemin de multiples changements de direction. Janáček précise dans une interview pour la revueLiterární svět, en 1928: «En chaque créature, uneétincelle divine – ce sont des gens sacrement bien – etarrive un accident, je dirais un coup du destin, rienqu’une seule fois – et ils doivent souffrir. I ls vont l’ex-pier, et ce sont des gens, franchement en or. » Si l’ou-

verture de l’opéra possède un côté lumineux, voirevictorieux, avant de se durcir sur un geste d’oppres-

De l a Mai son mor te , ou l’étincelle de vie

par Marianne Frippiat

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sion, c’est peut-être justement parce qu’elle entendmettre en présence du spectateur ces «gens en or ».

La rage de vivre

Dans une grande partie de l’Europe, on perçoit ausein des tendances artistiques de l’après-guerre lamarque d’une désillusion profonde. Pour Janáček, enrevanche, l’après-guerre est synonyme d’une fortedynamisation: en 1916, après douze ans de refus,Prague a enfin cédé et applaudi son premier grandopéra, Jenůfa ; 1918 est l’année de la première créa-tion d’un de ses opéras en dehors de la Bohême,lorsque ce même Jenůfa est donné à Vienne, avant defaire le tour de l’Allemagne et d’assurer la renomméeinternationale de son auteur.  Janáček, à soixante-quatre ans, voit enfin son talent réellement reconnu,

et veut mordre dans la vie. Que les Tchèques aientobtenu leur indépendance, après plusieurs siècles dedomination autrichienne, que lui-même ait enfintrouvé son égérie, mènent à son comble son irrépres-sible soif de vivre, et de vivre heureux.

Plus globalement, ce qu’on pourrait appeler la«rage de vivre», fondée sur une auto-persuasiond’une grande force, est une caractéristique essentiellede la personnalité de Janáček. Quelle qu’ait été sa res-ponsabilité dans la construction de son parcours,celui-ci a été semé de «coups durs», de rebuffades, eta pris pour Janáček l’allure d’un combat, pour trou-ver son style, puis pour tenter de faire reconnaître la

valeur d’une œuvre qui répondait si peu aux critèresart istiques admis.

Placés dans des situations extrêmes qui révèlentleur force de vie, les prisonniers de laMaison morte nepouvaient pas le laisser indifférent. Dès le départ,l’opéra allait opter pour une intensité expressive quile rapproche de l’esthétique expressionniste. Mais

l’expressionnisme de Janáček est un expressionnismede la vitalité. Chez lui, la violence est mue par la ragede vivre, dont elle est l’expression, et qui éclaire lemeurtre, lorsqu’il est commis sous l’effet d’un étataffectif intense. Au fond, chez Janáček, la violence –du geste et de la parole avant tout – est le garant de lavie, elle est l’expression la plus intense des forcesvitales non altérées par un consensus social imposé,et, par là, elle est aussi gage de véracité dramatique.Violence, vérité, vie: telle pourrait être la devise janáčekienne – bien que partiellement inavouée.

L’attrait de la véritédans la littérature russe

Avide de vérité dans la représentation de la vie, Janáček a été séduit par le réalisme littéraire russe.Cet attrait s’inscrit dans le cadre de sa russophilie, surlaquelle il faut revenir, pour préciser son rapport à laRussie tsariste, qui constitue l’arrière-plan des Car- nets de la maison morte .

Dans les pays tchèques sous domination autri-chienne, la russophilie s’était particulièrement déve-loppée. Cette russophilie n’est pas une sympathiepour tout ce qui est russe: entretenant consciemment

son idéalisme, en dépit d’une réalité décevante, ellecontinuait d’espérer en une Russie tsariste qui

Mise en scène de Volker Schloendorff ,

Deut sche Oper,Berl in, 2005.

B. Uhl ig.

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deviendrait plus démocratique, en une Russie libéra-

trice de l’Occident, reprenant en cela les idées du cou-rant russe «slavophile». Opposés aux «occidenta-listes», partisans de réformes de la Russie inspirées desmodèles de l’Ouest, les «slavophiles» étaient convain-cus du messianisme russe, croyaient en une Russie tsa-riste et orthodoxe triomphante, et voulaient préserverl’authenticité russe.

 Janáček a très tôt fait part ie du milieu russophile deBrno. En 1895, ses contacts avec la Russie se consoli-dent lorsque son frère s’installe à Saint-Pétersbourg.Son seul vrai voyage en Russie, à l’invitation de sonfrère, date de cet été-là. Mais son séjour est trop bref pour lui dessiller les yeux. À son retour, il fonde avecquelques amis le «Cercle russe de Brno», chargé depromouvoir la langue et la culture russes. Parmi tousles domaines artistiques, le Cercle privilégie la littéra-ture, car elle peut relever officiellement de l’apprentis-sage de la langue, légitimant l’existence du Cercle auxyeux de la police. De même, après son intérêt pourAnton Rubinstein, rapidement passé, et mis à part sonadmiration pour Tchaïkovski et la musique choraleorthodoxe, la culture artistique russe de  Janáček estavant tout littéraire. (Rappelons que sa découverte deMoussorgski date de 1909 et n’a pas eu d’influence surla formation de son style.)

C’est donc par la littérature que s’exprime en prio-rité le rapport de  Janáček à la culture russe. Plutôtqu’aux occidentalistes, les russophiles tchèques accor-daient surtout leur faveur aux écrivains slavophiles.Ainsi, la bibliothèque personnelle de Janáček, qui s’estconservée, témoigne de son enthousiasme pour troisgrands Russes: Pouchkine, figure incontournable depère fondateur de la littérature russe, Tolstoï, auteurslavophile le plus populaire dans les pays tchèques autournant des XIXe et XXe siècles, et Dostoïevski, luiaussi slavophile. Des trois, c’est sans doute Tolstoï quia le plus influencé  Janáček, par sa thématique de

l’adultère, du conflit entre le Bien et le Mal, s’impo-sant dans toute son énergie brute au sein du lienconjugal. On ignore quand  Janáček a commencé às’intéresser à Dostoïevski. Une seule œuvre de celui-cifigure dans sa bibliothèque, les Carnets de la maison morte , dans une traduction tchèque de 1891, et enrusse, dans une édition de 1921. Janáček devait avoirune connaissance plus large de l’écrivain, mais ilsemble que sa pleine découverte soit tardive, sansdoute encouragée par le centième anniversaire de lanaissance de Dostoïevski, en 1921.

Que cet attrait pour Dostoïevski date des annéesvingt est en tout cas révélateur. Jusqu’à la fin de sa vie, Janáček est resté sur son ancienne russophilie. Après ladissolution forcée du Cercle russe, en 1915, et malgré

son bref essai de résurrection après la Guerre, i l semble

se distancer de l’actualité de la Russie soviétique. Enrevanche, i l continue d’indiquer une vision russophilemessianiste, ainsi qu’en témoigne sa réaction à la Pre-mière Guerre mondiale. LaSonate pour violon et piano a été écrite dès 1914, après l’entrée en guerre de laRussie contre l’Autriche-Hongrie, alors qu’il estdevenu dangereux dans les pays tchèques d’exprimerune «sympathie pour l’ennemi ». En accord avec savision d’une Russie libératrice, Janáček associe un pas-sage du finale à l’entrée des armées russes en Hongrie.Composée entre 1915 et 1918, la rhapsodie orches-trale Taras Bulba , d’après Gogol, était motivée par ledésir d’exprimer en musique les dernières paroles ducapitaine cosaque, fait prisonnier par ses ennemispolonais. Sur le bûcher, Taras a une vision de la forceindestructible de son peuple: «aucun feu, aucunesouffrance dans le monde ne pourraient briser la forcedu peuple russe». Plus tard, en 1926, la Messe glagoli- tique confirmera, par sa volonté de retour au passéslave authentique, l’orientation russophile de Janáček,comme s’il voulait ignorer l’avènement du commu-nisme en Russie.

Moins qu’une vision politique, c’est donc la pro-fonde vérité dans l’exploration de l’être humain qui apoussé Janáček à mettre en musique les Carnets de la 

maison morte . Dans une lettre ouverte à Max Brod du12 février 1927, il avoue comment sa recherche devérité l’a finalement conduit à s’intéresser à la rudesse,à la parole brute, et comment, derrière cette écorce, ilest possible de trouver une fibre bonne. Une conduited’eau éclate dans son appartement pendant la nuit ; Janáček est captivé par le bruit de l’eau. Il transposecette situation concrète sur le plan esthétique: «Dansun cas semblable, si je pensais en termes de composi-tion, j’inclinerais jusqu’àla véri té , jusqu’à cette langueâpre des éléments, et je saurais mûrir ne serait-cequ’un peu par mon art. Sur ce chemin, je ne fais halte

ni auprès de Beethoven, ni auprès de Debussy,Antonín Dvořák, ou Bedřich Smetana; parce que jene les y rencontre pas. […] Ici, je suis proche de FédorDostoïevski. Il a trouvé dans laMaison morte une âmehumaine qui est bonne même en Baklouchine[devenu Skouratov dans l’opéra], et en Pétrov, et enIsaï Fomitch. Un type bien, Isaï Fomitch! Vous, Doc-teur Brod, avez été le premier à percevoir cette pro-fondeur d’expression.»

 Janáček semble avoir trouvé dans le réalisme desCarnets de Dostoïevski, à la fois un prolongement plusuniversel à celui de Tolstoï, débordant le cadre du lienconjugal, une vérité plus puissante et un moyen de

renouer avec «l’expressionnisme social » de ses grandschœurs d’après Petr Bezruč ( Kantor Halfar , Maryčka

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Magdónová , Les 70 000 , de 1906-1909). La drama-turgie de son dernier opéra en fait même le point cul-minant de cet expressionnisme social. Certes, il étaitpresque impossible de reprendre dans un opéra les

multiples réflexions de Dostoïevski sur le crime et lapeine. Mais  Janáček semble faire passer devant lareprésentation de la «vie de la maison morte», la thé-matique, qui lui est chère, de l’oppression.

Des crimes comme légitimés

La mort violente, par suicide ou par meurtre, est uneconstante dans la thématique janáčekienne. À la fin desa carrière, il a déjà à son actif plusieurs profils demeurtriers, telle Kostelničkaqui, par volonté de sauverl’honneur de sa fille adoptive  Jenůfa, abandonne le

nouveau-né de celle-ci dans une rivière glacée, tel leprotagoniste de l’opéra Le Destin , qui avoue lefarouche désir de violence physique qu’il avait ressentià l’encontre de sa femme lorsqu’il l’avait crue adultère,tel, encore, le protagoniste de la Sonate àKreutzer deTolstoï qui, dans un accès de jalousie, tue sa femme etest, lui aussi, envoyé au pénitencier. Chacun de cescrimes bénéficie d’un contexte de tension psycholo-gique dû à une pression sociale (comme la loi moralecollective) qui constitue une circonstance atténuante etpermet d’éveiller la compassion du spectateur.

Les cas de suicide correspondent à des situationsd’injustice qui auraient pu, de même, susciter des

meurtres. Ils éveillent une compassion d’autant plusgrande qu’ils présentent des opprimés qui n’ont pas les

moyens ou la force de se révolter : le maître d’écoleHalfar, que l’on voulait forcer à abandonner sa languematernelle, l’orpheline Maryčka Magdónová, filled’un mineur, exprimant le sort d’une classe ouvrière

tchèque pauvre, exploitée par de riches Polonais, dansune région frontalière. Opprimée et humiliée dansson propre mariage, Káťa Kabánová représente, dansle triangle adultère, un pôle féminin de douceur,menant au suicide, opposé à la violence meurtrière dumari jaloux dans La Sonate àKreutzer .

Dans son approche des Carnets de la maison morte , Janáček poursuit cette lignée. Les récits de crimes qu’ilsélectionne bénéficient tous de circonstances atté-nuantes. Louka Kouzmitch a assassiné l’arrogant com-mandant qui lui criait : «je suis le tsar et Dieu». Skou-ratov s’est retrouvé au bagne à la suite d’une histoire

d’amour qui mettait en conflit les nationalités et lesclasses sociales: simple «sous-off ’ » il a tiré sur le richehorloger allemand à qui l’on venait de marier sa bien-aimée allemande, Louisa. Chapkine est un vagabond,attrapé pour avoir part icipé à un cambriolage; i l est lavictime d’une confusion avec un autre voleur, auquelil ressemblait vaguement. Chichkov tue sa femme,Akoulina, qui concentre la compassion de Janáček, àla suite d’une histoire complexe de déshonneur et demensonge. Au prisonnier politique Pétrovitch, l’opéraajoute en outre la figure «pure» du jeune Alyeya, par-fait «innocent » dont le livret n’explique en rien la pré-sence au bagne.

Dostoïevski, qui est, dans cette œuvre, plus prochede l’observation sociologique, décrit aussi des crimes

L’Avan t-Scène Opéra 73

Alexandre Krawetz (Chapkine),

mise en scène de Pierre Strosser,Gr and Théâtre,Genève, 2004 .

GTG/M. del Curto.

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froids, gratuits, qui répugnent. Son admiration pour

les bagnards apparaît pour la première fois de manièredirecte lors de l’épisode de la représentation théâtrale,pendant les fêtes de Noël: les forçats sont de vraisacteurs, doués, car ils sont authentiques – nulle sur-prise que Janáček ait fait de cette scène le cœur del’opéra. Mais la circonstance était exceptionnelle; laréalité de tous les jours ne tarde pas à reprendre le des-sus. La reconnaissance définitive de la valeur desbagnards, la critique de l’anéantissement de leursforces, c’est-à-dire de leur capacité de bien dans lasociété, et la dénonciation de l’organisation socialecomme ayant une part de responsabilité dans le crime,n’arrive dans sa formulation frontale qu’à la toute findu roman: «Et que de jeunesse avait-on enterré entreces murs, que de forces immenses étaient donc mortespour rien! Parce qu’i l faut bien que je le dise: les gensd’ici, c’étaient des gens extraordinaires. C’étaientpeut-être eux, au fond, les gens les plus doués, les pluspuissants de tout notre peuple. Mais ces forces gigan-tesques, elles étaient mortes pour rien, mortes anor-malement, illégalement, mortes à jamais. Et qui doncest coupable?Oui, certes, oui – qui est coupable? »(trad. A. Markowicz). Ce constat final a d’autant plusde poids que Dostoïevski n’a pas idéalisé les prison-niers. À l’inverse, Janáček pose comme un point de

départ incontesté la nature bonne des forçats, et réduitla vision du crime à celle du «malheur», atténuant leréalisme de la cruauté présent dans plus d’une pagedesCarnets de Dostoïevski.

Dostoïevski, un frère en esprit

Ce n’est pas là le seul point de divergence entre lesdeuxœuvres. Accompagnée d’une idéalisation des cri-minels, la recherche extrême de véri té conduit Janáčekà un expressionnisme qui accentue le caractère de fic-tion de l’opéra. Il simplifie l’aspect politique, en dur-

cissant le personnage du commandant. Il renforce ladimension symbolique de l’œuvre, en affichant demanière quasi didactique la figure de l’aigle: sa bles-sure et sa guérison sont mises en parallèle avec l’entréeet la sortie du bagne de Pétrovitch; sa valeur symbo-lique est soulignée encore par la parabole biblique dusouffle de Dieu qui donne vie à l’oiseau. De même, Janáček donne plus d’importance à la figure de lamère, incarnation de la bonté féminine, aimante, enprésentant la libération de Pétrovitch comme due àson intercession.

En outre, Janáček, qui a toujours été fasciné par lesmanifestations de la folie, choisit de la mettre en avant

à travers le personnage de Skouratov, alors qu’elle estpeu présente dans lesCarnets de Dostoïevski. Au pre-

mier acte, les inserts de chansons populaires confiés au

personnage, proches de l’euphorie, sont plus qu’unedistanciation ironique: le troisième acte indiquera demanière nette la folie de Skouratov. De plus, à l’acteI, Janáček fait contraster cette excitation, de manièrecyclothymique, avec le chant mélancolique des forçats(«Mon œil ne verra plus ces régions où je suis né»).Par moments, la «Maison morte» semble bien proched’une maison hallucinée.

 Janáček déforme donc les Carnets de la maison morte , pourtant – et là est l’essentiel – il ne trahit pasl’esprit de Dostoïevski dans son ensemble. LesCarnets sont l’une desœuvres les moins engagées de l’écrivain,l’une des plus réalistes. Dans nombre d’œuvres posté-rieures, Dostoïevski prend le parti des opprimés, idéa-lise le peuple et recourt à des personnages typés, lafolie y est récurrente et la dimension symbolique plusmanifeste. Sensible à ce qui, dans lesCarnets , annoncelesœuvres futures de Dostoïevski,  Janáček crée unopéra qui révèle sa profonde affinité d’esprit avecl’écrivain russe.

Une vivifiante altérité

Si la dramaturgie de l’opéra déconcerte de primeabord, c’est aussi par son altérité. Janáček opte pour

une dramaturgie plurielle, ni centrée sur un groupe depersonnages principaux, ni réellement collective.Caractère fort, il a souvent privilégié les dramaturgiesdéséquilibrées au profit d’un protagoniste unique,quasi omniprésent dans l’opéra et qui focalise toutel’attention. Pour la première fois, il réalise un opérasans protagoniste (Pétrovitch est davantage un per-sonnage de référence) et qui ne met pas non plus enscène une collectivité unie. Au contraire, la collectivitéapparaît ici comme un regroupement d’individualitésdivergentes.

En outre, la gestion dramaturgique par montage

remet en cause le concept même d’«action»: la succes-sion des séquences-récits n’est régie par aucun lien cau-sal ; la prise de parole des forçats est presque toujoursnon motivée, et la dramaturgie se caractérise par unetrès grande imprévisibilité. Comme le titre russe l’in-dique, Dostoïevski n’entendait pas s’inscrire dans lalogique du roman, mais livrer des «notes» («zapiski »).En s’inspirant de ce modèle,  Janáček innove dans legenre même de l’opéra. Pour pallier à l’absence de cau-salité, il ajoute des coïncidences, peu vraisemblables:Louka meurt au moment même où Chichkov racontequ’il a égorgé sa femme Akoulina, et Chichkovdécouvre, alors seulement, que le mort n’était autre

que son ancien ami, à l’origine du déshonneur de safemme.

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DE L’ÉTINCELLE DE VIE

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Autre singularité, le monde inconnu des forçatspousse Janáček à «incliner vers la vérité» en créantune «langue âpre», faite d’harmonies stridentes, demotifs musicaux obstinés et tendus, d’une orches-tration volontairement dépouillée et tranchante,où les chaînes et outils de travail sont utilisés

comme percussions. Cette «langue âpre» porte àson degré ultime l’esthétique de la «cassure» janáčekienne, cette suppression des transitions auprofit du seul nécessaire, provoquant des heurts,brisant la continuité du discours. Mais elle est aussiassociée à un parler étrange, dont Janáček accentuele caractère inintelligible. Dans le cadre de sadémarche réaliste, Dostoïevski a tenté de repro-duire le langage des prisonniers dans ses discoursdirects, mais les passages obscurs prennent placedans une écriture plus développée, qui les explique.Lors de la condensation nécessaire à la confection

du livret, Janáček a retenu certaines de ces formu-lations obscures, mais sans explications. Aussi lelivret est-il peu compréhensible par endroits. Janáček déborde ici le souci d’authenticité: plusmoderne, il entame aussi un mouvement de cas-sure du langage, un montage textuel dont le butn’est plus tant d’être compris, mais qui montrel’isolement des personnages. Cette inintelligibilitétouche surtout des passages non nécessaires à lacompréhension du sens global de l’œuvre, desendroits où le ton même suffi t pour deviner le sens.Elle révèle la caractéristique principale de la penséeet de la perception du monde de Janáček, comme

lui-même les avait définies: celles-ci ne passent pastant par le logos que par des images et des méta-

phores, qui brassent plus large et offrent une plusgrande aura à la pensée, ou par l’intuition du senspremier révélé par la musique elle-même et lesintonations de la voix du locuteur, qui trahissentles émotions.

La voix permet à Janáček de scruter l’âme, pour

parvenir à l’énergie vitale de l’homme. C’est pour-quoi, chez lui, la texture instrumentale et la voixsont conçues comme ayant pour but d’amplifierl’état affectif intérieur des personnages – ce quipermet une grande liberté d’écriture –, et l’épuise-ment des motifs, comme un procédé d’exaspéra-tion psychophysiologique. En définitive, lamusique de Janáček est tour à tour l’«étincelle» decette vie intérieure, et la rudesse de la maisonmorte dans laquelle elle se fait entendre.

Dernier opéra de Janáček, De la Maison morte est aussi le plus dense et le plus rugueux, le plus

«vrai », présentant à l’état pur sa pensée et sa phi-losophie de la vie.

Marianne Frippiat est musicologue. En 2001, elle s’ins-talle en République tchèque et apprend le tchèque pour réa-liser ses recherches surLeoš Janáček, dans le cadre d’un cyclede perfectionnement au CNSMDP. Elle vit aujourd’hui àPrague, enseigne le français à l’Université Charles, et

consacre ses travaux à la musique tchèque de la période1848-1948.

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Don Juan empor tépar les di abl es, m ise en scène de Patr ice Chéreau, Wiener Festwochen, 2007. R. Ribas 

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76 L’Ava nt -Scène Opé ra

D e la Maison d es mo rts  à l a s cè n e ?Ga g eure, pourra it-on é crire, puisq u’il s’a git d emettre en scène le néant, celui d’un universcarcéral qui implique le vide même, l’anéan-tisseme nt d e l’humain. L’action ? Inexista nte ,prat iquem ent réd uite au schéma d’un simplerepère temporel – l ’ arr ivée, le séjour deGoryan t ch ikov au bagne , pu is son dépar t .Avec q uelques moments de pure a necdote, enpon ctuat ion. Les prota g onistes? L’uniformitémême : personne d’ identif iab le vraiment, horsl’ instant de ces quelques récits, quatre frag-ments d’un pa ssé – d’une fa ute – q ui permet-tent à leurs narra teurs d ’exister à nouveau,parce qu’ainsi ils se dist inguent enfin de lamasse, parce qu’ainsi on – c’est-à-dire lesautres , nous — les écoute à nouveau. Desconda mné s, sinon , sans espoir, sans person na -

lité rema rqua ble, comme effa cés, digérés parleur condit ion. Avec l ’exception rafraîchis-sante, mais très limitée, d’Alyeya, et de sonépan ouissement au conta ct de Go ryantchikov,ce qui n’est f inalement pa s sans cruaut é pourlui qui demeurera a u ba gne.

Une a mbia nce, alors? Assuréme nt, ma is ellen’est pa s de prime a bord gén érée par la scène.Si l’on ne sort jama is indem ne d ’une représen-t a t ion du dern ier opéra de J aná ček, si l’onpart ic ipe in t imement à l ’ émot ion, cel le desrécits, certes, mais surtout celle des petits ins-

tants, celle qui sourd partout de l ’orchestre,na rrate ur-roi, c’est que , globa lement , l’ impactde l ’œuvre dépend de celui qui la dirige, q uicomme Ja ná ček, avec sa com pa ssion, sait «tra -quer l ’é t incel le de v ie des marginaux, lesublime des m ome nts o rdinaires»(V. Schloen-do rff). C’est do nc du chef q u’il fa udra it ici par-ler, de celui qui laisse dans la mémoire cetimpalpable souvenir qu’on ne peut ra nimer àregarder des photos, cette impression plus oumoins fuga ce que seul l’enregistrement aud io(et vidéo désormais) permet de raviver équi-tablement . Gregor , Mackerras , Smetáček,

Kubelík, Neumann, Cambreling, Abbado, Gie-len , Armstrong, Bělohlávek, Boulez désor-

mais, que de g rands noms, que d ’ émot ionsinfinies du son. Avouera-t-on qu’on a parfoisfermé les yeux, pour mieux se laisser enva hir?

Et po urtant , il a b ien fallu que certains osentporter cette œuvre «in-montable»à la scène.Que montrer a lors , quand i l n ’y a pas d ’ac-tion ? Le ba gn e, bien sûr, cet un ivers concen-trat ionnaire qui est devenu au XXe siècle, a vecles champ s de ma ssa cre, la chose la plus quo ti-dienne au monde dans son horreur exposéesans pudeur jusqu’a ux «20 heures »de la pla-nète ent ière . Ces images- là n ’ont pas demusique pour les faire parler: rien que leurnudité crue, et leur silence assourdissant. Lascène inverse le propos, demande un part i ,une cohérence, des choix. Réalisme? Symbo-lisme ? Les deux app roches ont vite semb lé

possibles , e t même accordables selon undosag e savant (l ’aigle b lessé en éta nt le plusimmédiat ob jet) : ab stract ion tot ale, costumesréa l i s t es dans l a f an t asmagor ie d ’ un décorabstrait , ou réalisme absolu d’un tout visuelq uasi cinéma tog raphique… Serait-ce préten-tieux cependant d’avan cer que la densité d ’ac-t ion psychologique et expressive offerte parJaná ček au ta pis orchestral impose au m ette uren scène d ’éviter la litot e, la redo nda nce, enrefusant l’ illustration naturaliste du peu d’ac-t ion théâtrale offert à la scène. I l faudra du

temps pour que pa reille logique, pourta nt fo r-mulée explic i tement par Ernst Křenek dès1931, fa sse son chemin sur les scènes.

Brno 1930 et 1948

Prague 1931 et 1964

Assurément , les images de la créat ion àBrno sont réal is tes , comme i l se doi t , vul’époq ue, vu le lieu, vu la conception conven-tionnelle de l’opéra alors. Isbas de bois, clô-ture de rondins, un potea u télégraphique d er-r ière , e t le c ie l quand même. On pense àWozzeck , ce con t empora in qu ’ on aura i tdétourné de son ambiance expressionnis te ,

Images du bagne sur scènepar Pierre Flinois

POU R UNE HISTOI RE SCÉNIQU E D E LA  MAISON DES MORTS

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L’Avan t-Scène Opéra 77

avec un peu de naïveté ,dans le surligné des ron-dins, des toits, comm e unh o m m a g e m a l a d r o i t àBilibine, tradit ion russeobl ige , ou comme pourlaisser sourdre l’espoir, ladis tance. Une not ion«iron ique »a ussitôt per-due à P rague , en 1931:l ’enceinte es t aut rementpuissante , le c ie l aut re-ment sombre, percé seu-lement de la croix ortho-doxe de que lque ég l i se ,a utre fo rme d’espoir, bienvain. Vaine aussi, cet teperspective ouverte sur

un lo inta in de col l inestout aussi surlignées (lam o d e d u t e m p s ? )qu’of fre la scène suréle-vée de Don Juan àl’acte II.

Curieusement , à Brno,en 1937, on osera l ’ in-verse a bsolu, et a vec le symbole, la mo dernité :un mur d ’ombre, percé de f enêtres carrées àbarreaux, hautes , inaccessibles , en fond descène, une grille de b arreaux à larg e tram e à

l’avant , et dans la pénombre entre les deux,les prisonniers, ma sse ind istincte, ma is ag itée,saluant la liberté perdue (voir pag e 54).

En terre tchèque, on naviguera désormaisentre ces deux tendances. À Brno, en 1968,l’enceinte sera plus sinistre, plus haute, plushérissée de pointes encore dans son réalismequ’à Prague. Mais quand la modernité , auxann ées soixant e, reprendra en Europe, mêmede l’Est , son irrésist ible ascension scénique,c’est à une symbolisat ion du réalisme qu’onassistera, avec cette enceinte finale, énormespieux de bois verticaux, espacés comme dans

les dents d’un peigne, d’où «les prisonniers,massés derrière mais jaillis dans la clarté,

visag es tourné s vers celui qu’on vient de libé-rer, tout en chantant sa délivrance semblentaussi l ’exiler, comme chassé d’une commu-nauté de souffrance, et le rideau tombe sur

cette am biguïté »(M. Cadieu).

1966 :création française à Nice

De toute façon, le monde, en mat ière decamp de concen t ra t ion , aura en t re- t empsinven t é b ien mieux q ue l a Russie de Dos-toïevski: le sta lag, le g oulag , et plus moderneencore, et tout aussi inhuma in dans son dénid’espoir, le camp de réfugiés. Difficile alors,q uand on présentera l ’œuvre dans les annéescinquante-soixante, hors la sphère culturellet c hè q u e , d ’ é ch a p p e r a u x im a g e s r é f é re n -

tielles. On se souvient de celles de la premièreproduction française à Nice, en 1966, dues à

Scène de l ’acte I , mise en scène de Ferdi nand Pujman,Théâtre nat ional , Prague,1931. Archives NDP.

Décors de Vlat islav Hofman,Théâtre nat ional , Prague,1931. D.R.

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Jean Blancon dans la mise en scène de PierreMédecin : des potea ux tend us de b arbelés, uneto ur de bo is, le sol et le ciel nus, des projecteurs(et des project ions c inématographiques) : lasymbolique est évidente à travers un certainréa lisme histo rique.

Munich 1976Hambourg 1972

Cardiff 1984

Comme chez Gün the r Renne rt, à Munich, dixa ns plus ta rd, où les costume s, rayés vertica le-ment, évoq uent un pa ssé encore récent ; alter-nat ive a ux lourdes chaînes et aut res uniformesrap iécés , t ou t venan t d ’ une imag er ie g éné-rique qu’on aperçoit ailleurs, dans des espacestrès généralement sombres, indéfinis, porteursd’oppression. Remarquable cont inuité d ’ex-

pression visuelle, qui n ’est pa s sa ns évoq uer ledestin scénique de Wozzeck , lui aussi rapide-ment un i fo rmisé jusqu ’ aux années qua t re-vingt . On ne voit g uère que la production pra-gu oise de 1964, de ssinée pa r Vá cla v Nývlt, pourrompre cette unité: pris entre deux plateauxcarrés, percés de divers trous rectangulaires,l ’un a u sol, l ’aut re au plaf ond , le monde carcé-ral, sug g éré pa r une g rille q ui court sur les troiscôtés de la scène, semble prêt à l’écrasement.Mais chaînes et costumes rayés renvoient unefois encore au réalisme courant . I l faudra devrais plasticiens (un Jo sef Svob od a , une Jenni-

fer Bart let t , un Edua rdo Arroyo… ) pour qu’onsorte enf in de ce nat uralisme plus ou m oins sty-

lisé, tel q ue le proposent e ncore John De xter etun Svob od a a lors bien peu sollicité pa r l’œuvreà Hambo urg, en 1972 (où le laza ret de l ’acte IIIfa it clin d’œ il – est-ce un ha sard ? – à la cham-b r é e d e Wozzeck) , genre qui culmine sansdout e avec la prod uction de Da vid Pount ney àCardiff en 1984, dans une o verdose d e d éta ilsna tura listes. Plus inspiré, assurémen t, Svobo da ,q ua nd il redessine l’œuvre po ur Gö tz Friedrichà Zurich, en 1979. Se souvenant de la produc-tion de 1937, il inscrit le jeu q ua si chorég raph ié

de la ma sse d es prisonniers entre une rang éede b arbe lés horizonta ux tendus entre fosse etavant-scène, et un fond sombre, percé d’uneseule baie grillagée, inaccessible, et installedans l’entre-deux ainsi (in)défini les rails d’unchemin de f er en construction plongea nt d ansl’ infini du néant . De toutes ces images figéesd’un d emi-siècle d e présence, on ne sau rait t irerl’ impression de l ’émotion que le metteur enscène y insuffla it . Mais assurément , l’ impa ct, telqu’en rend compte généralement la presse, estcelui d ’une œuvre forte , prenante , dévasta-

trice.

Paris,1988

En 1988, Volker Schloendorff innovequelque peu à l’Opéra-Comique. Ni barbelés,ni enceinte : trois structu res vides, simplesarêtes de métal, pour suggérer une architec-ture q ui n’est pas réelle et , au fo nd, du b lanc,avec quelques stries de noir, un paysage abs-trait q u’on peut interpréter comme celui d’uneneige sinistre, qui s ’animera de couleurs auxautres actes. Et qui portera la présence forte

d’un aigle devenu humain, le funambule Phi-lippe Pet it. Dan s cet u nivers incerta in, signé pa r

78 L’Avan t-Scène Opéra

Mise en scène de Pierre Médeci n, Opéra de Nice,1966. D.R.

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la p las t ic ienne Jennifer Bart le t t , «où touteimag inat ion peut se gl isser», le jeu se fa i tcertes d’un réalisme ironique et même trivial,mais avec un certain legato scénique, qui per-met à la masse d’enfanter ici et là un de sesmembres comme s’ il cond ensait souda in tout ela misère collect ive. Malgré le bleu glacé del’acte III, ou l’orang é de l ’intermède théâ tral,on g arde de ce specta cle un souvenir d’omb re,riche de silhouettes en ombres chinoises, sou-mises au jeu de pa ntins qui font da ns leur gri-

sa i l le commune contras te avec la splendeurd’une n at ure a bstraite, peut-être consolatrice,peut -être impe rturba ble, selon l‘hume ur, ou leressenti du spectateur: comme pour montrerl’insig nifiance de l’huma in ? Fort, a ssurémen t,et b ien dirigé – mais sans g rand déchirement –par Mackerras , le spectac le n ’en reste pasmoins q uelque peu esthétisant .

Bruxelles 1990

Peter Mussbach, à Bruxelles, deux ans plustard, se débarrasse à son tour du cadre carcé-ral , e t p lus rad icaleme nt en core : p lus t ra ced’architecture, pas trace de pa ysag e, ma is uneboîte scénique indéf inie, nue, permanen te, untemps historique improba ble, une lumière f as-cina nte da ns sa variab ilité, que lques symbolesforts, comme un e gra nde a ile q ui bat l ’espace,ou ce tronc d’arbre impressionnant , presque

hors d’échelle, que les prisonniers font péni-blement d escendre a u sol, tout ici raconte una utre mo nde «en plus», et m et e n valeur un

Mise en scène de Peter Mussbach, Théâtre Royalde La Monnai e, Bruxell es, 1990. A. Tüllmann.

Mise en scène deVolker Schloendor ff ,

Opéra-Comi que,Pari s, 1988.

M. Szabo.

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jeu d ’acteu rs structuré q ui invente les ident ités

fo rtes d’écorchés vifs prêts à no us sa isir d’émo-tion irrépressible. Et t out devient a insi tensionda ns la narrat ion d’un d ésespoir tang ible jus-qu’à la folie. On at teint , avec une réponse par-faite à la densité orchestrale (admirablementt endue par Camb re ling), à un b ou leversan tniveau d’huma nité pure. Saisissant !

Cologne 1991

Harry Kupfer, à Cologne, revient un an plustard à la chronique de la vie au goulag, vu del’intérieur, un goulag misérabiliste, fortementdessiné par le décor de Ha ns Schavernoch :deux rangées de cases superposées , commel’écorché d ’un bât iment dont les façades seseraient écroulées, bo îtes d’enf er oppressa nte squi ceignent une cour sans perspect iveouver t e , qu i se re fe rmera , au dépar t deGoryantchikov, sur elle-même, pour ne laisservoir qu’une tour fermée, définit ivement fer-mée. Pas d’espoir ici, dans l’illusion de vie ducamp (to ujours inte nse chez Kupfer), où le videse fait plein d’act ivité, entre une soldatesquebureaucrat isée ( jusqu’aux protège-manches

noirs des vestes), et une chiourme qui s’agiteau po in t de noyer jusqu ’ aux grands mono-logues. Un spectacle démonstrat if , mais sansémot ion réelle.

Salzbourg 1992

À Sa lzbou rg, e n 1992, Klaus Micha el Grüb erfa it lui a ussi le choix de la lumière qu i est d a nsla part it ion, et qu’Abbado fait jaillir du Phil-harmonique de Vienne. Mais ses contras tessont en tre la pa nto mime de l’acte II, avec sa

tenture noire, piquée de crânes où Arroyo afiché des bougies, impressionnante allusion àl’enfer, et les bords bleutés du fleuve où l’onrépare un bateau avec, au loin, une forme deconstruction – ou sera it-ce un ba tea u ? – ouplus près, ces trois rouleaux d e f oin ro ux, anec-do tiq ues témo ins du la beu r des prisonniers. Là ,le c iel profondément bleu est pure poésie .Esthét isme encore, par la douceur de lalumière, par le jeu d e couleurs, ce ciel aux b leusmagiques, le jaune canari des uniformes, parcet arbre abst ra i t , avec ses o iseaux quasi«hitchco ckiens », au cent re de la cour q ue d éf i-

nit un simple mur-écran, nu. Magnificenced’un décor qui donne à l ’humain l ’échelle de

l’at ome. Certains y ont vu un go ulag a u pastel.

Mais Grüber ne s’arrête heureusement pa s là,et laissant comme Mussbach l’impressionnantdésespoir humain passer au filtre de ses inter-prètes, il ajoute la dimension de malaise indi-cible qui sourd des déchirures de la partitionpar le fait de la distanciat ion quasi métaphy-siq ue. L’ inconto urnab le prima uté de l ’or-chestre se voit à nouveau équilibrée par unedime nsion visible ma jeure. Trop b elle pa rnature, cette production allégorique plus queréaliste perdra de sa force quand, quinze ansplus tard, à la reprise parisienne, elle ne seraplus «porté e » pa r la d irec t ion seulementlyriq ue, et no n dra ma tique, de Marc Albrecht .La preuve, s’il en f a lla it encore, q ue l’orchestredemeure l ’acteur premier en m at ière d ’ impact .Stutt ga rt nous confo rtera encore da ns ce sensen 1995, qua nd une prod uct ion simplementsobre n ’empêchera pas le public de sort iréprouvé de l’œuvre, par la seule puissance dela direction d’un Michae l Gielen.

Londres 1997

C’est désormais aussi le temps des goulags

d’aujourd’hui , espaces nus des prisonsmo d ern es (che z Tim Albery à l’ENO en 1997),où la fo l ie de chacun prend tout son sens ,tristes halls glacés (chez Pierre Strosser, àGenè ve, une dé cennie plus ta rd), où le réa lismerevient en force. Ainsi, sur la scène nue duGra nd Théâ tre, ponctué e de lits a lign és, d’unlong lava bo t ran sversal, et d’unifo rmes écla iréssans indulgence par les rangées de bassines àlumière blanche, l ’univers carcéral, presquetrop propre, évoque désormais l ’hôpital psy-chiatrique où l’on enferme à présent les assas-

sins. Le pe tit mo nde des solitudes individue llesdevient à no uveau d ’une uniformité hanta nte,chacun intégrant sa douleur, son histoire, sapersonn alité, sa violence exacerbée à la g risailled’un univers commun toujours aussi visible-ment sans espoir, sans futur. Magistrale visionpara lysée d’un univers déb ilitant , où cha cun setraîne, lentement , comme a néan ti par le tempsq ui n’est plus, pa r le lieu qu i n’est plus no n plus,ma is où l’âme , même laide , passe son messag epar le chant, tandis que le corps a appris à sedéshumaniser. C’est aussi que Jiři Bělohlávec,malgré un orchest re à la peine, donne ic i

encore la d imension de désespoir requise.

80 L’Avan t-Scène Opéra

POU R UNE HISTOI RE SCÉNIQU E D E LA  MAISON DES MORTS

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Vienne,Amsterdam,

Aix-en-Provence,Milan,New York…

On n’a point vu encore, sauf par quelquesima g es pub liées ici (pa g es 21, 25, 36, 40, 44 et

52), la production de Chérea u et Peduzzi, quele met teur en scène et le chef d ’orchest re ,Pierre Boulez, comment ent da ns notre d ossierspécia l en fin d e ce volume . L’on y pressent ,dans l ’urgence de déta i ls d ’un natural ismeq uasi cinémato gra phique, l ’hab ituelle tensionviscéra le qu e sait impo ser le me tt eur en scèneà ses acteurs. Citons l’ami Christian Merlin, ausortir de la première viennoise (Le Fig aro d u15 ma i) : «Sa direct ion d ’ac teurs nerveuse,hypertendue , n’édulcore e n rien la violence do s-toïevskienne de cette prison sibérienne, au

contraire de la t rop belle production G rüber vueà Salzbourg et Paris. La direction chauffée àblanc de Boulez est en osmose avec ce q ue nousmontre la scène: avec lui, le Mahler ChamberOrchestra son ne cru, irascible, impito yab le. [… ]Primitivisme et élaborat ion: tout Janá ček estlà. »On hésite cepend an t à conclure pa r un «àne pa s manq uer», donna nt a insi dans un to n«opérat ico-culinaire » hors de propos po url’opus f inal de Janá ček. Ma is, a ssurémen t, vu sarelative rareté à la scène, cette nouvelle pro-posi t ion sera marquante , comme nombre decelles, mêm e cont rad icto ires, qui o nt illustré le

parcours d ’une œuvre a typique mais incon-tournable .

L’Avan t-Scène Opéra 81

Sa lzbo urg 1992 en vidéo

Seule capta tion d e l ’œuvre publiée comm ercia-

lement à ce jour, la M aison d es mo rts de la sai-

son inaugurale de Gérard Mortier à Salzbourgat t end une édi t ion autre q ue la VHS fort ho no-

rab le de DGG . On se précipitera , si l’occa sion se

présente, pour retrouver la mise en scène de

Grüber, mais aussi pour Abbado, t rès analy-

tique, q ui la po rte à son incandescence, pas tou-

jours soucieux de l’aspérité du t exte de la pa rti-

t ion, qu’ i l universal ise plus que les chefs

tchèques, mais dont i l donne une leçon drama-

tique majeure. Et pour un Langridge, pour un

McCauley ma gnifique s. La ca pta tion a le mérite

insigne de d onn er à voir le dét ail qu’au G rosses

Festspielhaus, la jumelle seule permettait de

sa i s i r : perdant un peu de l a sub t i l i t é des

lumières et des décors , gommant l ’envol de

l’aigle, rendant impossible la vision simultanée

– quand Chichkov chante et que Filka meurt à

q uinze mèt res – elle vole de visag e en visag e, et

montre Ghiaurov tourmenté ou rayonnant de

bonté , Szmytka cherchant souda in l a ba t tue

d’Abbado, ou encore ces instants magiques où

parfo is un chant eur, éclata nt de t out e sa vérité,

s’empare d’un moment musical pour le rendre

vertigineux, comme le fait l ’admirable Monte

Pederson dans la fin du récit de Chichkov. Pré-

cieux témoin.

Mise en scène de Klaus Michael Grüber, Festi val de Salzbourg, 1992. Salzburger Festspiele/R. Walz.

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82 L’Avant-Scène Opéra

Le dernier opéra de  Janáček estaussi, sans doute, le plus difficile àaborder, à la fois par la dureté du sujet,l’âpreté du langage et, conséquence na-turelle, par le refus de la joliesse, de toutce qui pourrait banaliser musicalementles tranches de vies extraites du témoi-gnage de Dostoïevski. Pour les chefsd’orchestre, une part ition exténuanteen dépit de sa relative concision, en rai-

son de sa complexité d’écriture sym-phonique, de rythmes, d’exigences ex-pressives changeantes et contra-dictoires. Pour les chanteurs, des partiesqui, prises au premier degré, peuventsembler ingrates, car l’abandon quasitotal de la cantilène au profit du récita-tif, même richement varié comme ill’est (chaque personnage possède ses in-tonations propres), n’est pas fait pourflatter les voix, et s’avère au contraire leplus impitoyable des tests. Le contenupsychologique et sémantique est autantet plus important que le contenant so-

nore, etDe la Maison des morts imposeen outre, aux quelques exécutants desrôles principaux (Skouratov, Louka,Chapkine, Chichkov), une exigenceaussi périlleuse qu’enrichissante: àl’intérieur des monologues, l’insertionde citations de dialogues, d’où la néces-sité d’une différenciation du ton et dutimbre, l’apti tude à être alternativementsoi-même et un autre. À côté de cela,sur le nombre total de personnages,considérable, une majorité se trouven’avoir que des interventions brèves,des répliques disséminées, à commen-cer par Goryantchikov, l’auteur-témoinchez Dostoïevski, dont l’histoire person-nelle sert d’encadrement à l’action. Etpourtant, aucun d’entre eux n’est insi-gnifiant dans cette mosaïque humaine;et on regrette que les limites matériellesd’un compte rendu discographiqueobligent à opérer une sélection.De la Maison des morts existe en

quatre enregistrements intégraux (dontunlive ), qui permettent de suivre l’évo-lution de la connaissance musicolo-gique qu’on a eue de l’ouvrage, depuis

la version la plus trafiquée jusqu’à laplus authentique: Krannhals (live alle-mand, 1954), Gregor (1964), Neu-

mann (1979), Mackerras (1980). À celavient s’ajouter un disque d’extraits (ou-verture et scènes des actesI I et III). En-fin, on nous signale l’existence, à la ra-dio, d’une bande, non commercialiséeni diffusée à ce jour, réalisée sous la di-rection d’Erich Kleiber, qui avait béné-ficié des indications du compositeur.

Krannhals (1954)

Réalisée sur le vif au Festival de Hol-lande le 25 juin 1954, la première inté-grale de De la M aison des morts ras-semble plusieurs particularités quipourraient être rédhibitoire aux yeuxdes puristes  janáček iens: elle est enlangue allemande, se termine par l’apo-théose chorale sur la liberté, au lieu dela conclusion authentique du composi-teur, et remplace le rôle travestid’Alyeya par un ténor (Chris Scheffer),excellent au demeurant, mais détruisantévidemment la relation humaine et psy-

chologique voulue par Janáček. Autantde choses inacceptables aujourd’hui,mais qu’il faut replacer dans le contexted’une époque où représenter un opérade Janáček tenait déjà de l’exploit. Etlorsqu’on écoute aujourd’hui Krannhalssansa pri ori , en béotien, force est de re-connaître qu’il n’y a pas chez lui que desdéfauts, et même beaucoup de qualités!Certes, on peut, par principe, être op-posé à ce qu’un opéra soit chanté dansune langue autre que l’originale. Mais,pourquoi le nier, on constate dès lespremières répliques que l’allemand, enl’occurrence, acquiert une force aussiinattendue que redoutable, car dans lecontexte d’un camp de détenus, ilévoque aussitôt certains souvenirs…D’emblée, cette association d’idées quiest, je crois, inévitable et nullementsubjective, accentue la participationémotionnelle de l’auditeur. Celle duchef d’orchestre, pour sa part, se fait unpeu attendre, car le début est noncha-lant. On a la sensation qu’il se cherche,mais pour trouver peu à peu le ton et laconviction nécessaires; et déjà vers la

fin de l’ouverture on observe un cres- cendo d’une vigueur estimable. Au ni-veau de l’impression générale de l’exé-

cution, on peut passer sur des détails demise en place, sur des chœurs mal dé-grossis ou d’une justesse parfois dou-teuse, les conditions du live et la vétustéde la technique n’arrangeant rien. Enrevanche, lelive montre ici son atout,qui est de renforcer la vérité et la spon-tanéité dramatique du chant par le jeu;les interprètes nous font bénéficier, eneffet, de cette inspiration de l’instant

qu’ils n’auraient peut-être pas eue à cepoint dans un studio. Vocalement, ladistribution est fort correcte, mêmecompte tenu de quelques petites inéga-lités. Par exemple, le Commandant(Gerard Holthaus), qui conviendraitmieux à un rôle plus inoffensif, avecune voix dépourvue de dureté, mais quis’efforce de donner le change en pre-nant un ton aussi cassant que possiblepour «aboyer» ses ordres.

Aussitôt après, un détail particuliè-rement fort dans sa cruauté est la véra-cité des cris de douleur de Goryantchi-

kov, fouetté en coulisses. Skouratov(Zbysław Woźniak), ressassant ses sou-venirs moscovites au premier acte, réus-sit quelques larmoiements fort àpropos; au deuxième, il est encoremeilleur, atteignant à certains momentslequasi parlando , sans pour autant dé-timbrer sa voix. Louka (Jan van Mant-gem) mène son récit avec une intensitéqui le fait culminer dans une véritabledémence; son ténor criard prend par-fois des accents qui rappellent le Capi-taine de Wozzeck . Chapkine (ChrisReumer) est un type de chanteur assezproche, sec, nerveux et dur. Quant àChichkov de Caspar Broecheler, sa voixde baryton ne manque pas de noblessenaturelle. On trouve alors superflu qu’ilcherche parfois à l’épaissir artificielle-ment. La scène avec Kedril est dyna-mique et agitée, corsée par des rica-nements et divers bruits scéniques, etréussissant à créer dès le départ un sem-blant de suspense. La pantomime de laBelle Meunière, en revanche, est ryth-mée avec une certaine lourdeur.

Que dire, après tout cela, de cette

«avant-première» discographique, quine correspond certes plus au Janáčektel que nous voulons, en connaissance

André LischkeDiscographie

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de cause, l’entendre aujourd’hui ?Quemusicalement cela reste mieux que pas-sable, et qu’en tout cas, avec le peu deréférences dont Krannhals pouvaitbénéficier en 1954, il fallait le faire!

Gregor (1964)

Voici donc la première intégrale enstudio, effectuée dans le pays d’origine,et avec la conclusion authentique del’auteur. Toutefois, l ’affi rmation, dansle texte de présentation, que Gregor estrevenu presque partout au texte d’ori-gine est loin d’être exacte, ainsi qu’ilressort de la comparaison avec la ver-sion de Mackerras. Couronné par la cri-tique lors de sa parution, c’est restépendant longtemps le seul enre-

gistrement disponible, et aujourd’huiencore il est celui qui s’est le mieuxmaintenu, même à côté des deux ver-

sions ultérieures. J’avais été un peu cri-tique vis-à-vis de Gregor dans ma dis-cographie de  Jenůfa. Je continue àtrouver ici qu’il ne réussit pas à être égalà lui-même tout au long de l’enregistre-ment. Mais il est sans doute celui quiréussit à tirer le plus de diversité expres-sive de la part ition, le plus de nuancesde l’orchestre, et à montrer, que, quelleque soit la force que peut atteindre

 Janáček, elle ne s’exerce jamais au détri-ment de la finesse du détail. Dans l’ou-verture, il trouve aussitôt le rythme et lemouvement adéquat, et le seul grief estcausé par la médiocrité du violon solo,lequel heureusement s’améliorera unpeu par la suite. Les chanteurs s’impo-sent dès les premières répliques, tantpar la qualité des voix que par le ton.

La voix puissante, caverneuse, de Ja-roslav Horáček dresse dans toute sa sta-ture un Commandant avec lequel on

n’a pas envie de plaisanter. Ivo Žídek,en Skouratov, apporte à ses récits toutela sensibilité et le pathétique néces-saires, et n’a que le léger défaut de for-cer parfois sa voix, dont le registre supé-rieur est un peu serré. Lesautres rôlesimportants sont d’une excellente tenue:Beno Blachut, Louka aux nerfs à fleurde peau, doté d’un charisme indéniable;Milan Karpíšek, Chapkine remar-quable comédien, même si le timbren’est pas ce qu’on appelle beau; Pře-mysl Kočí se révèle plus avantageux vo-calement, ce qui est nécessaire pourChichkov, et doté de registres drama-tiques considérables, réussissant un ef-fet psychologique impressionnant par lepassagede la stupeur à la rage lorsqu’il dé-couvre l’identité de Louka-Filka. Plus fai-

ble est le tremblotant Hanuš Thein, dansle rôle secondaire du Petit Prisonnier. Enrevanche, on est conquis par Helena

L’Avant-Scène Opéra 83

date

direction

orchestre

chœurs

Goryantchikov

Alyeya

Louka (Filka)

le Grand Prisonnier

le Petit Prisonnier

le Commandant

le Vieillard

Skouratov

Tchekounov

le Prisonnier ivre

le Pope

le Jeune Prisonnier

la Prostituée

le Prisonnier Don Juan

le Prisonnier Kedril

Chapkine

Chichkov

Tcherevine

un gardienédition

support

1954

Alexander Krannhals

Opéra des Pa ys-Bas

Opéra des Pa ys-Bas

Siemen Jongsma

Chris Scheff er

Jan van Mantg em

Va n Trirum

Gorin

Gerard Holthaus

Chris Ta vern e

Zbyslaw Wožniak

Gé Genemans

Van Ge nt

Borelli

Van Woerkom

Jo Van d er Meent

Gorin

Chris Reum er

Chris Reum er

Caspar Broe cheler

Voogt

SmithPhilips(lp/a llema nd )

mon o-l ive 

1964

Bohumil Gregor

Théât re nationa l de Pragu e

Théât re nationa l de Pragu e

Václav Bedna r

Helena Tat termuschová

Beno Blachut

Jaroslav St říška

Hanuš The in

Jaroslav Horá ček

Antonín Vota va

Ivo Žídek

Josef Heriba n

Jaroslav Mach

Jaromír Bělo r

Viktor Kočí

Eva Zikmundo vá

Jiří Joran

Antonín Zlesák

Milan Karpíšek

Premysl Kočí

Rudolf Vonásek

Jindřich JindrákSupraphon(lp)

stéréo-studio

1979

Václav Neumann

Philharmonie tchèque

Philharmonie tchèque

Richard Novák

Milad a Jirglová

Vilém Přibyl

Jaroslav St říška

Karel Berman

Jaroslav Horá ček

Beno Blachut

Ivo Žídek

Jindřich Jindrák

Miroslav Frydlew icz

Karel Petr

Miroslav Švejda

Alena Miková

Karel Průša

Milan Karpíšek

Milan Karpíšek

Jaroslav Souček

Viktor Kočí

Jaromír Bělo rSupraphon(cd)

stéréo-studio

1980

Charles Mackerras

Philharmo nie de Vienne

Staa tsoper Vienne

Dalibor Jedlička

Jaroslava Janská

Jiří Zahrad nicek

Vlad imír Krejčík

Richard Novák

Antonín Sworc

Beno Blachut

Ivo Žídek

Jaroslav Souček

Eva Zikmundo vá

Jaroslav Souček

Zdeněk Souček

Zdeněk Souček

Václav Zítek

Zdeněk Švehla

Decca(cd)

stéréo-studio

De la Maison des morts - versions intégrales

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Tattermuschová, un Alyeya ingénu etattendrissant. Les sonorités des chœurssont judicieusement dosées au I er acte,observant bien la distance; et à la fin duII Ie, si la ferveur qu’on attendait n’a pastout à fait son plein, n’est-ce pas juste-ment parce qu’elle ne doit pas l’avoir,avant le «Marsch ! » du garde rappelantque la roue de la vie au bagne continue àtourner?Au bénéfice de Gregor, je met-trai encore la remarquable finesse detracé des motifs dans la pantomime dela Meunière (Kedril m’a en revanchesemblé un peu sage), et les sonorités at-

ténuées dans le tableau de l’infirmerie.Une version qui n’a peut-être pas tou- jours l’impact maximal, mais qui de-meure sans doute la plus sensible et hu-maine; elle a, en tout cas, bien fait sespreuves.

Neumann (1979)

Cet enregistrement ne fut diffusé enFrance qu’à partir de 1982, donc posté-rieurement à celui de Mackerras, alorsqu’il avait été réalisé avant. Ne bénéfi-ciant pas encore des dernières mises au

point musicologiques de Mackerras, i llui avait parfois été préféré musicale-ment. Le fait est que, des quatre inté-grales, c’est celle qui offre, à tous pointsde vue, les meilleures qualités sonores.Par rapport à Gregor, déjà, quinze ansd’intervalle se ressentent considérable-ment au niveau de la prise de son et dela gravure. Mais surtout, dès les pre-mières mesures et jusqu’à la fin, l’oreilleest captivée par la perfection et la ri-chesse avec lesquelles est apprêté le ma-tériau musical. Neumann prend plaisiraux sons eux-mêmes, chaque timbre,instrumental ou vocal, lui est précieux,et il ne se prive pas de nous les faire ad-mirer. La battue rythmique est objec-tive, contrôlée, disciplinée, parfois unpeu rigide: à certains moments, davan-tage de liberté, d’inattendu auraient étésouhaitables. On commence, en notantcela, à entrevoir le revers possible decette médaille.

Du fait de ce métier perfectionniste,de cet apparat,De la Maison des morts 

risque d’acquérir un certain lustre quirendrait le sujet moins cruel, et les ba-

gnards plus civil isés, ou tout au moinsdonnerait à toutes les péripéties un dé-roulement moins chaotique. C’est ce

qu’on se dit en écoutant l’ouverture(avec un violon solo impeccable, cettefois-ci) et l’introduction du Ier acte. Ra-pidement, cependant, dès les premièresrépliques chorales ou individuelles, onest rassuré: il n’y aura pas d’édul-coration. La première impression fortevient, comme chez Gregor, de JaroslavHoraček, qu’on retrouve dans le rôledu Commandant, cerbère toujoursaussi redoutable de crédibili té. IvoŽí-dek (Skouratov), semble avoir encorefait des progrès depuis l’enregistrementprécédent ; i l est en excellente forme vo-

cale, et la pureté de sa voix le fait entre-voir rêveur, le regard levé, plongé dansla contemplation nostalgique des ré-trospectives. Vilém Přibyl (Louka) pos-sède peut-être un timbre un peu plusfruste, ce qui est de circonstance, maismène ses récits avec efficacité, superbe-ment servi par l’orchestre; le momentde la flagellation est terrible de vérité,comme il l’avait été lorsqu’on fouettait,en coulisses, Goryantchikov. CommeGregor, Neumann s’est pourtant abs-tenu de faire retentir des cris derrière lascène. Les chœurs des bagnards sont

excellemment fermes et timbrés, mêmesi on regrette, dans la scène du départ autravail du Ier acte, de ne pas avoir l’effetd’éloignement progressif qu’avait bienréussi à rendre Gregor. Milada Jirglová(Alyeya), à la voix fine, convient parfai-tement au personnage, dont elle laissebien sentir la fragilité juvénile. La seulefaiblesse dans cette distribution est Mi-lan Karpíšek en Chapkine et en Kedril,et qui fait des efforts désespérés pourrattraper par le ton et le jeu une voixqui a beaucoup vieilli en quinze ans. Enrevanche, un formidable Chichkov(JaroslavSouček), au tempérament vol-canique et passionné, dont le barytongrave et puissant s’avère en mêmetemps d’une souplesse remarquable,changeant efficacement de coloris pourdistinguer les répliques à l’intérieur deson récit. Ajoutons, à l’actif de Neu-mann, la vitalité intense et colorée del’orchestre dans la représentation deKedril, et la souplesse dans les mélodiesde la Meunière, même si, dans ces der-nières, la finesse du tracé le cède légère-ment à ce qu’avait réussi à obtenir Gre-

gor. Au total, une version aux sonoritésluxuriantes, presque trop belles,remarquable de solidité technique,

d’une énergie canalisée avec fermeté etintelligence mais nullement bridéepour autant, et qui tire le le meilleurparti d’une distribution et d’un orchestrede première classe.

Mackerras (1980)

Nous n’entrerons pas ici dans les dé-tails historiques de la restitution dutexte authentique de Janáček, et ren-voyons pour cela au Guide d’écoute deHarry Halbreich (cf. p. 10) ou encore àl’excellent texte de présentation de John

Tyrrel pour l’enregistrement de Mac-kerras. Rappelons seulement que lesmodifications par rapport à la partit ionde Chlubna et Bakala concernent tout àla fois le texte du livret, le rapport entrele texte et la musique au niveau du dé-placement rythmique de certaines ré-pliques, et de nombreux aspects dutexte musical, souvent importants,comme l’insertion du thème du Com-mandant, clamé avec stridence dans laconclusion orchestrale de l’acte. Rétros-pectivement, lorsqu’on réécoute aprèscela les autres versions, cette conclu-

sion, qui consiste en grande partie enformules répéti ti ves, y paraît bien mo-notone. Musicologiquement, donc,c’est évidemment la version définitive.L’est-elle aussi par son interprétation?Lors de sa parution, les critiques ne fu-rent pas unanimes. Et l’estime que mé-rite Mackerras pour son dévouement àl’authenticité de Janáček ne doit pasempêcher d’apporter quelques nuancesau jugement sur la réussite musicale deson entreprise. Il n’est, du reste, nulle-ment le seul en cause, même si on peuttrouver, dans l’ouverture, une légèreinsuffisance au niveau des contrastesdynamiques, dans la pantomime de laMeunière, une certaine lourdeur, et audébut du tableau dans l’infirmerie, uneattaque trop directe, au détriment deces demi-teintes qu’avait si bien su amé-nager Gregor. Mais ces constatations,qui ressortent à la comparaisondiscographique, ne seraient sans doutepas aussi frappantes à l’écoute de cet en-registrement isolé. En revanche, on nemanquera pas de noter la neutralité duCommandant (Antonín Sworc) dont la

voix et la présence très moyennes sontinsuffisantes pour camper un tel per-sonnage. Jiří Zahradnicek est un Louka

Discographie

84 L’Avant-Scène Opéra

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pointu et agressif, mais son récit sur lemeurtre du major manque de crescendo 

et de culmination; c’est l’orchestre, àcet endroit-là, qui l’emporte très nette-ment sur la voix. Il y a heureusementune fois de plus Ivo Žídek en Skoura-tov; si l’on excepte quelques aigus unpeu difficiles, il est toujours égal à lui-même, et peut-être même encoremeilleur ici dans son récit sur Louise auII e acte, allégeant avec finesse la der-nière note de chaque phrase. Un excel-lent Chichkov aussi (Václav Zítek), à lavoix grave et profonde, dont le discours

est rythmé avec une énergie efficace-ment conjuguée à celle de Mackerras.Certains rôles secondaires sont égale-ment bien servis, en particulier le PetitPrisonnier (un diable de caractère!), etChapkine, lui aussi pourvu d’un forttempérament. Jaroslava Janská estémouvante comme il se doit dans lerôle réduit mais captivant d’Alyeya. Deschœurs superbes, évidemment, quoiquelà encore, comme chez Neumann, l’effetd’éloignement progressif ne soit pas suf-fisamment rendu au Ier acte. La scène deKedril est savoureuse, avec un gro-

tesque un peu appuyé mais bien entraî-nant. Enfin Mackerras, comme il le feradans Jenůfa, recourt parfois à quelqueseffets de «mise en scène sonore» quicontribuent à la vie et à la véracité scéni-que de l’enregistrement : applaudis-sementsdes détenus au début et à la finde Kedril, ou cris de Goryantchikov encoulisses, un peu moins déchirantspeut-être qu’ils ne l’étaient chez Krann-hals. Au total, la version de Mackerrasest peut-être moins parfaite dans sonrésultat que celle de Neumann, et unpeu moins richement nuancée que cellede Gregor, mais, à côté de ces quelquesinégalités, les moments forts ne man-quent pas et ressortent d’autant mieux.Et de toute manière c’est la seule au-thentique, ce qui la rend, par là même,indispensable.

Extraits

En plus de ces quatre intégrales, ilexiste un disque d’extraits (Supra-phon, vers 1960), avec Břetislav Bakalaet Jaroslav Vogel, à la tête du chœur de

l’Opéra de Brno et de l’orchestre decette vil le. Quatre extraits: l’ouverture,un grand fragment du IIeacte, depuis le

récit de Skouratov sur Louise et jusqu’àla fin de la représentation (Kedril et laBelle Meunière), la conclusion del’opéra (dans la version trafiquée, mal-heureusement, avec l’hymne à la li-berté) à partir de l’apparition du Com-mandant qui demande pardon à Go-ryantchikov, et, d’autre part, le tableaude l’infirmerie au IIIe acte, le récit deChichkov jusqu’à la mort de Louka.Seuls les deux premiers extraits méri-tent vraiment l’attention. L’ouvertureest d’un dynamisme serré, frémissant,remarquablement contrasté; Skouratov(Jaroslav Ulr ich) est lyr ique et sincère,quoique un peu retenu; la scène de Ke-dri l est remarquable d’humour, parcou-rue de clins d’œil malicieux, et la BelleMeunière chante sans finasseries,fraîche et directe. La scène finale n’au-rait eu d’intérêt que dans la versionauthentique, et si Václav Halíř campeun Commandant qui a de la présenceet bat sa coulpe avec conviction, MariaSteinerova, à la voix vieillie et incer-taine, ne convient nullement pourAlyeya. Enfin, Vladimír Bauer s’avère

nettement insuffisant pour Chichkov:véhément certes, il est limité vocale-ment, surtout dans les registres ex-

trêmes; son baryton, plutôt clair, n’estpas désagréable, mais manque de poidset de dramatisme.

Conclusions

Que ressort-i l de ses comparaisons?Chaque enregistrement possède évi-demment ses mérites. M ême Krann-hals, le plus éloigné des intentions del’auteur, a été de son temps un pionnieret reste, outre son éloquence drama-tique, le témoignage d’une découverte.Gregor, dont on espère une rééditionen CD, est le plus humain, celui quidonne le plus envie de croire en cette«étincelle divine» que Dostoïevski et

 Janáček accordent même au plus déchudes hommes. Neumann est le plus beaumusicalement, le plus perfectionniste,et celui qui bénéficie de la meilleuredistribution. Et faut-il faire une nou-velle fois l’éloge musicologique de Mac-kerras, le seul définitivement conformeà la réalité? A.L.

L’Avant-Scène Opéra 85

Sir Char les Macker ra s . Decca.

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L'œ uvre à l 'aff iche

86 L’Avant-Scène Opéra

CRÉATION: 12 avril 1930, Brno, Théâtre National. [▼]

1930: 14 décembre,Mannheim. (All) [▼]1931: 21 février,Prague. [▼] - 29 mai,Berlin, Kroll-Oper. [▼]

1953: 14 mai,Paris, Radio, version de concert. Direction : J ascha Horenstein.(Fr)

1962:Paris, Théâtre des Nations.1966: 17 avril,Nice, Opéra. (Fr)

Recherches: Elisabetta Soldini

Calendrier des premières représentationsDe la Maison des morts 

d’après A. Loewenberg,Annals of Opera 1597-1940 , Londres 1978.

Le signe [▼] renvoie aux tableaux des pages suivantes.

datevillethéâtredirectionPétrovitchAlyeyaChichkovFilkale CommandantSkouratovChapkinemise en scènedéc. & cost.

datevillethéâtredirectionPétrovitchAlyeyaChichkovFilkale CommandantSkouratovChapkinemise en scènedéc. & cost.

datevillethéâtredirectionPétrovitchAlyeyaChichkovFilka/Loukale CommandantSkouratov

Chapkinemise en scènedéc. & cost.

1964ÉdimbourgFestivalBohumil GregorDalibor J edlickaHelenaTattermuschovaPremysl KociBeno BlachutA. Svorc/J . HorasekIvo Zidek

Milan KarpisekLadislavStros

V.Nyvlt/M. Pokorny

1965LucerneFestivalRafael Kubelik Kieth EngenNan PöldMarcel Cordes J osef TraxekAndrew FoldiHeinz Hoppe

version concert

12 avril 1930Brno Théâtre NationalFrantisek Hlavica

Vlastimil SimaBozena ZlabkovaGeza FischerEmil OlsovskyLeonid PribyktovAntonin PelzValentin SindlerOta Zitek Frantisek Hlavica

14 décembre 1930BerlinKroll-OperFritz Zweig

Mathieu AhlersmeyerAlfred BartolitiusFritz SootGotthold DitterArtur CavaraMartin AbendrothWilli Domgraf-FassbaenderHans CurjelCaspar Neher

14 décembre 1930MannheimNationaltheater

 Joseph Rosenstock 

Wilhelm FentenWalter J oossSydney de VriesGustav WünscheKark MangHelmut Neugebauer

Richard HeinEduard Löffer

21 février 1931Prague Théâtre NationalVincenc Maixner

Stanislav MuzBronislav ChorovicZdenek Otava J aroslav Gleich J osef KrikavaVladimir Toms

Ferdinand PujmanVlatislav Hofman

25 juin 1944AmsterdamOpéraAlexandre Krannhals

Siemen J ongsmaBronislav ChorovicCaspar Broucheler J an Van MantgemChris SchefferZbyslaw Wozniak

Heinrich AltmannDimitri Buchéne

1965LondresSadler’s WellsCharles MackerrasNeil EastonMargaret NevilleDavid BowmanRonald DowdDenis DowlingGregoryDempsey

 J on AndrewRoderick Brydon

R.Koltai/A.Stubbs

1966/67Milan Teatro alla ScalaVaclavSmetacek Giuseppe ZecchilloCarloFranziniPieroGuelfiAldo Bertocci

Ferrando Ferrari

Giampaolo CorradiKarelJernek 

Frantisek Troester

2 mars 1958HannoverLandestheater

 Johannes Schüller

 Theo ZillikenHubert WandelCarlos AlexanderWalter SchneemannCondi SiegmundDonald Grobe

Kurt EhrhardtRudolf Scholz

14 novembre 1968Düsseldorf Deutsche Oper am RheinBruno MadernaWicus SlabertVejio VarpioPeter van der BiltWilhelm ErnstHelmut FehnMatti J uhani

Georg Reinhardt

H.Wendel/G. Kappel

1972HambourgStaatsoperRafael Kubelik 

 Tom KrausePeter HaageNorman MittelmannRichard CassillyDavid OhanesianWillyCaronHelmutMelchert

 John Dexter J . Svoboda/J . Skalicky

1976MunichOpéraRafael Kubelik 

Hans Günter NöckerClaesH.AhnsjöRaimundGrumbachHermin EsserHeinz ImdahlFritzUhlHelmut MelchertGünther RennertLeni Bauer-Ecsy

1981BerlinDeutsche OperVaclavNeumannWilliam DoodleyPeter MausGottfriedHornikHermin Esser TomislavNeralicDonald GrobeWolfAppelGötz Friedrich J Svoboda/J . Skalicky

1978ZurichOpéraBohumil GregorRoland HermannPeterKeller J ozsefDeneHermin EsserHans FranzenSven-Olof Eliasson

Fritz PeterGötz Friedrich

 J . Svoboda/J . Skalicky

De la Maison des morts à travers le monde (1930-2007)

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Décor pa r Vla di mi r Nyvlt ,Festiva l d’Edim bou r g, 1964.Archi v NDP.

Décor de l ’a cte I I pa r Fra nt isek Hla v ica,Théâtr e Na ti on a l,Br no , 1930.Archiv NDB.

Mi se en scène de Götz Fri edr i ch,Opér a d e Zur i ch , 1978.S. Schimer t-Ramme.

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L'œ uvre à l 'affiche

88 L’Avant-Scène Opéra

datevillethéâtredirectionPétrovitchAlyeyaChichkovFilkale CommandantSkouratovChapkinemise en scène

déc. & cost.

2004GenèveGrand Théâtre

 J iri Belohlavek Peter MikulasStephanie NovacekPavlo HunkaStefan MargitaAlexander VassilievGordon GietzAlexandre KrawetzPierre StrosserPatrice Cauchetier

2004BonnOpéraRoman Kofman

Martin TzonevKatrina ThurmanPeter DanailovVladimir GishkoAndrej TeleginMark RosenthalSimeon EsperTomaz Pandur

S. V. Arhiteli/T. Pandur

2005BerlinDeutsche OperA. Fischer/G.Jenkins

Lenus CarlsonRobin J ohannsenPeter WeberRené KolloPier DalasMichael RoiderBurkhard UlrichVolker Schloendorff 

 J . Bartlett/D. Niefind

2005ParisOpéra BastilleMarc Albrecht

 J osé van DamGaële Le Roi J ohan ReuterHubert Delamboye J iri Sulzenko J erry Hadley J effrey FrancisKlaus Michael Grüber

E. Arroyo/E.Dessecker

2007Vienne, Wiener Festwochen* Theater an der WienPierre Boulez

Olaf BaerEric StoklossaGerd GrochowskiStefan Margita J iri Sulzenco J ohn Mark AinsleyPeter HoarePatrice Chéreau

R.Peduzzi/C.de Vivaise

2007Aix-en-Provence*Gr. Théâtre de ProvencePierre BoulezOlaf BaerEric StoklossaGerd GrochowskiStefan Margita J iri Sulzenco J ohn Mark AinsleyPeter HoarePatrice Chéreau

R.Peduzzi/C. de Vivaise

*Coproduction avec le Holland Festival, le Metropolitan de New York et le Teatro alla Scala.

datevillethéâtredirectionPétrovitchAlyeyaChichkovFilkale CommandantSkouratovChapkinemise en scènedéc. & cost.

1996NiceOpéraRichard Armstrong

Henk SmitVictoria MansoDavid Barrell J an Blinkhof Christophe FelKim Begley J ohn Graham-HallWladyslav ZnorkoWladyslav Znorko

1996Strasbourg (1)Opéra du RhinDietfried BernetStephen BronkSonia de BeaufortDimiter PetkovValentin J ar

Kenneth GarrisonIan ThomsonDaniel Diollé

Alison Nalder

1998Nantes Théâtre GraslinGuido-J ohannes RumstadtPhilip SkinnerKsenija SkacanOldrich Kriz J ohn Hurst

Peter KellerMichael Preston-RobertsPhilippe Godefroid

Françoise Terrone

1997LondresColiseumPaul DanielDavid KempsterGail PerarsonAndrew ShoreRobert BrubakerMalcom Rivers J ohn Daszak J ohn Graham-HallTimAlbery

Stewart Laing

1.Spectacle également donné à l’Opéra de Mulhouse (1996)

date

villethéâtredirectionPétrovitchAlyeyaChichkovFilkale CommandantSkouratovChapkinemise en scènedéc. & cost.

1995

StuttgartOpéraMichael Gielen

Michael EbbeckeDanielle Strauss J ohn BröchelerRandolph LockeKarl-Friedrich DürrRobert WörleRoderick KeatingWolfgang EngelH.Vogelsang/J . Harnisch

1990

Cardiff Welsh National OperaRichard Armstrong

David Barrell Yolande J onesMalcom Donnelly J effrey LawtonIan ComboyGraham ClarkNigel DouglasDavid PountneyMaria Bjornson

1991

CologneOpéraMichael Boder

 J ake GardnerBarry RyanMonte PedersonGünter NeumannUlrich HielscherWilliam Pell J ean van ReeHarry KupferH. Schavernoch/R.Heinrich

1994

FrancfortOpéraSylvain Cambreling

Dale DuesingStefanie RhaueAlan HeldIan CaleyAdalbert WallerWilliam CochranUwe SchönbeckPeter Mussbach J . Schütz/A. Futterer

1992

SalzbourgFestivalClaudio Abbado

Nicolai GhiaurovElzbieta SzmytkaMonte PedersonBarry McCauleyHarry PetersPhilip LangridgeHeinz ZednikKlaus Michael GrüberEduardo Arroyo

dateville

théâtredirectionPétrovitchAlyeyaChichkovFilkale CommandantSkouratovChapkinemise en scènedéc. & cost.

1984Cardiff 

Welsh National OperaRichard Armstrong

RobertTurner Yolande J onesDonald Maxwell J ohn MitchinsonDavid GwynneAlbertoRemediosNigel DouglasDavid PountneyMaria Bjornson

1988Paris

Opéra-ComiqueC.Mackerras/J.Burdekin

Dalibor J edlickaMiroslavKoppVaclavZitekFrantisek LivoraAntoninSvorcPeter Straka J osef HajnaVolker Schloendorff  J . Bartlett/Zoran

1988Nancy

Opéra

Dalibor J edlickaMiroslavKoppVaclavZitekFrantisek LivoraAntoninSvorc J ames Anderson J osef HajnaVolker Schloendorff  J . Bartlett/Zoran

1990Bruxelles

 Théâtre de La MonnaieSylvain Cambreling

Dale DuesingStefanie RhaueFranz Ferdinand NentwigKurt SchreibmayerMalcom KingRonald HamiltonAlexander OliverPeter Mussbach J . Schütz/A. Futterer

1990New York

City Opera (angl)Christopher Keene

Barbara ShirvisEugene Perry J ohn Absalom

 J on Garrison

Rhoda Levine J ohn Conklin

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L’Avant-Scène Opéra 89

Mise en scène de Davi d Pou nt ney, Welsh Nati on al Opera , Car di f f , 1984. Coll . Opera/ C. Burton.

Mi se en scène de Kl au s Mich ael Grüb er, Opér a Ba sti ll e, Par is, 2005. C. Masson/ Roger -Violl et.

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90

Pour compléter la présente bibliogra-phie, on peut consulter les numérosconsacrés à La Pet it e Renard e rusée (n° 84), Jenufa (n° 102, nou velle édition),De la Maison des mor ts (n° 107, ancienneédition), Katia Kabanová (n° 114) et L’Af- faire Makropo ulos (n° 188).

LESPARTITIONS

Z mr t vého domu , opéra en t ro is actesd e Leoš Janáček, d ’après Les Sou ve- n i rs de la maison d es mor ts de F.M.

Dostoïevski.

1930 : Parti t ion révisée et orchestréepar O. Chlubna et B . Bakala , l ivret ré-visé par O. Zí tek , avec un texte a l le-ma nd de Max Brod (UE 8235).– Rédu ction p our p iano (UE8221).

1958 : Rédu ct ion pour piano a vec lafin originale en appen dice I.

1964 : Parti t ion selon l ’éditeur Raf ae lKube lík. (Reprint 1968)

1964 : Rédu ct ion pour piano a vec lafin o riginale (UE 8221) et des com plé-ment s et précisions. (Reprint 1968)

1965 : Rédu ct ion pour piano a vec lafin o rigina le (UE 8221), te xte en an -gla is, trad uction de Dennis Arunde ll.

1981: Réduction pour piano avec la finoriginale e n appendix UE 8221.

1990: Pa r t i t ion , éd i teurs Sir CharlesMackerras et John Tyrrell, fondée surla première édition (1930) corrigée etavec la fin originale UE (UE 8253).

LECOMPOSITEUR

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Hollander, Hans, Leo  š  Janáček , h is L i fe and Wo rks, t r ad . de Pa u l Ham-burg er, Londo n, Ca lder, 1963.

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Elisabetta SoldiniBibliographie

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CALLIRHOÉ

Destouches

Stéphanie d’Oustrac (Callirhoé), Cyril Au-vity (Agénor), João Fernandes (Corésus),Ingrid Perruche (la Reine), Renaud De-

laigue (le Ministre), Stéphanie Révidat (une

princesse de Calydon, une Bergère). LeConcert Spirituel,dir.Hervé Niquet.Glossa GES 921612-F (2 cd).Livret et prés.en français.Distr.Harmonia Mundi.

Ce type d’objet , passionnant dans

son principe comme d ans sa réalisa tion

extrêmement réussie, constitue un bon

moyen d e c onjurer la morosité q ui s’es t

emparée du monde du disque clas-

sique. Des institutions compétentes,dynamiques et inventives (le Concert

Spirituel et le Centre de Musique Ba-

roque de Versa illes ) ont réuni des ta-

lents divers (musicologues, artistes,

universitaires interdisciplinaires) pour

faire c onnaître une œuvre digne d’inté-

rêt, inconnue, et ce, sous la forme origi-

nale et stimulante de ce livre-coffret.

Si les œ uvres d e Marais, C ampra ou

Desma rets o nt pu être remises au g oût

du jour, un a utre brillant représenta nt du

premier XVIIIe siècle – périod e de jonc -

tion entre Lully et Rame au – tarda it à

être réhabilité : André C ardinal Des-

touches. Hervé Niquet et Le Concert

S pirituel res sus citent l’adm irab le Calli- rhoé , da ns une version épurée d e 1743

(l’œuvre a é té c réée en 1712 et retou-

ché e e n 1731-1732) q ui s’affranc hit d u

modèle lullyste et lui confère, face aux

chefs-d’œuvre c ontemporains de Ra-

mea u, une incontes tab le individua lité.

La caractéristique principale en est,

par-delà les divertiss ements de circons -

tance, sa grande homogénéité drama-

tique, tendue vers un dénouement

sobre et spectaculaire. Sur un livret de

Pierre-Charles Roy, l’œuvre raconte

co mment le grand prêtre Co résus tented’utiliser ses pouvoirs pour parvenir à

pos séd er la jeune princes se Ca llirhoé,

qui aime et est aimée d’Agénor;

contraint par un retournement de son

stratagème à sacrifier celle qu’il aime

(ou son a ma nt, dès lors éternellement

regretté), Co résus s e do nne la mo rt. Un

des traits les plus étonnants d e la pa rti-

t ion est qu’el le se clôt sur ce geste

ab rupt, rompant a insi avec la trad ition

du deus ex machina et du divertisse-

ment final. Ce ress errement es t symp-

tomatique d’une œuvre q ui, tant d ans

ses si tuations q ue dans sa rhétorique

musicale (admirables récitatifs),

cherche à ob tenir un surcroît d’expres-sivité d ramatique. Si elle rogne un peu

sur les attributs théâtraux et mus ica ux

propres a u me rveilleux (ni le c iel, ni les

enfers, ni les dieux ne s ont véritab le-

ment c onvoq ués), elle ne s ac rifie po ur

autant pas les passages obligés plus

décoratifs, en particulier l’atmosphère

cha mpêtre, ad mirablement rendue.

Cette gravure, réalisée en fé-

vrier 2006, est splendide. Les c hanteurs

co mpense nt leur aud ible jeuness e pa r

une empathie stylistique et une implica-

tion dramatique extrêmement convain-

cantes. Avec son timbre riche de couleurssomb res, son e xcellente déc lama tion, et

son investissement théâtral, délicat et

raffiné, Stéphanie d’Oustrac confirme

da ns le rôle-titre qu’e lle exce lle to ut pa rti-

culièrement da ns c e type d e répertoire.

Dans la lignée d’un Fouc héco urt, ma is

ave c un timbre plus immédiatement s é-

duisant, Cyril Auvity est un Agénor élé-

ga nt et stylé. J oão Fernandes manque

de mordant, d’ampleur et de graves

da ns le rôle de Co résus mais les amb i-

guïtés morales du personnage sont im-

peccablement restituées. Hervé Niquet

fait mag nifiq uement res pirer le tout, me-

nant le discours a vec a llant, jouant sur

les contrastes qui, d’airs en récitatifs, de

danses en chœurs, le tout de dimen-

sions toujours réduites, jalonnent

l’œuvre. Le C onc ert Sp irituel, fla tté pa r

une orches tration à la fois légè re, riche,

et d’effectifs et de pupitres évolutifs sui-

vant les pa ges , bien mis e n valeur par la

prise de son, révèle ses magnifiques

co uleurs. Exce llentes interventions c ho-

rales, nota mment dans le grand c hœur

de veng eanc e q ui clôt l’ac te II.

Mais l’intérêt de l’ob jet réside é ga le-

ment da ns le livre q ui l’ac compa gne,

qui adjoint au livret cinq articles pas-sionnants sur le contexte de l’œuvre.

J ea n-Christo phe Maillard retrac e la

ca rrière lyriq ue de Des touches : un par-

cours atypique qui lui vaut pendant

longtemps une réputation d e mus icien

ama teur mais le voit peu à pe u s’a ffir-

mer, grâce à son sens du trag ique et à

sa s cience des contras tes, comme l’un

des plus brillants héritiers de Lully, et

des meilleurs rénovateurs de la trag é-

die lyriq ue. Ce qui ne l’empêc he pas de

pratiquer avec succès le genre co-

miq ue et l ’opéra-ballet . S on nom es t

suffisa mment éta bli pour revenir da ns

les grandes querelles du s iècle : vanté

pa r Lec erf de La Viéville d ans la q ue-relle de 1712 qui oppos e pa rtisa ns de

l’opéra italien et partisans de l’opéra

français, il est attaqué post mortem pa r

Grimm en 1752, lors d’une reprise

d ’Omphale , point de dép art de la q ue-

relle des Bouffons. Laura Naudeix s’at-

tache à l’intrigue et à la construction

dramatique. La première possède un

dénouement singulièrement efficace,

pathétique et édifiant ; la sec onde une

éco nomie d e moyens exceptionnelle : le

nombre d e pe rsonnag es est restreint ,

resserré sur le triangle formé par le

co uple a moureux et le rival. Ainsi, l’ac -cent est mis sur les s cènes d’amo urs

malheureuses, le caractère contradic-

toire d u grand prêtre C orésus, à la fois

vertueux et tyrannique, la relation

conflictuelle entre les hommes et les

dieux. Les vertus q ui sont cé lébrées ne

sont plus celles de l’héroïsme mais

celles du sacrifice, preuve d’une muta-

tion de valeurs et de sensibilité en ce

début du XVIIIe siècle. Françoise Es-

cande (à qui l’on doit la restitution de la

pa rtition) montre c omme nt, a u fil de s

différentes ve rsions , l’œuvre s ’es t sim-

plifiée : la réduction du prolog ue et d e

l’épilogue, en particulier, restreint la

place du personnel divin pour se

conc entrer sur le monde des hommes.

Elle insiste a insi sur la q ualité d es réci-

tatifs, la s éduction de la tona lité pa sto-

rale (obtenue g râce à l’emploi de la fa-

meus e «mus ett e »), les co uleurs de

l’orchestre et la puiss ance des chœurs

q ui donnent à l’œuvre un doub le visag e

tout de tendresse et d’énergie. J udith

le Blanc a bonde en ce s ens, en insis-

tant sur le fait que la g rande éc onomie

q ui ca ractérise l’ouvrage ne le réduit en

rien à une forme de monotonie anti-

spe cta culaire. Elle s ouligne le c arac tèretrès plastique du dénouement, qui

s’immob ilise en un ta bleau frap pa nt (la

Sélection CD

La Révérence de L’Avant-Scène Opéra accompagne les enregistrements de qualité exceptionnelle

DE

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conclusion de cet épisode mythique a

été illustrée pa r Frago nard et c ommen-

tée pa r Diderot). B enoît Dratwicki, en-

fin, rend compte des différentes re-

prises et dresse un riche pa norama d e

l’évolution d es institutions musica les ,

du style des interprètes, e t des goûts

du pub lic durant tout le siècle. Pa rfaite-

ment complémentaires, tous ces

textes, ma gnifiq uement mis en pa ge,

merveilleusement écrits, précis, docu-

mentés, illustrés, contenteront aussi

bien le spécialiste que l’amateur (éclairé

par de s notes sur les notions mus icolo-

giques et es thétiques). Une très grande

réussite, dont on espè re q u’elle a ura d e

nombreuses suites.

Timothée Picard

DOM SÉBASTIEN

ROI DU PORTUGALDonizetti

Vesselina Kasarova (Zayda), Giuseppe Fi-

lianoti (Dom Sébastien), Alastair Miles

(Dom J uam de Sylva), Simon Keenlyside

(Abayaldos), Carmelo Corrado Caruso (Ca-moens). Orch. de l’Opéra Royal de CoventGarden,dir.Mark Edler (2005)Opera Rara ORC 33 (3cd). Prés.angl./ all. Li-

vret en français.Distr.Abeille Musique.

P roba blement le véritable c hant du

cyg ne d e Donizetti, do nt il n’interrom-

pra la c omposition que pour se co nsa-

crer à Caterina Cornaro . Et même im-

mergé dans ce dernier, Donizetti

pensa it à son Dom Sébast ien . Il y réali-

sa it un rêve tenac e ; marquer de son a rt,

plus encore qu’avec La Favorite , le

grand-opéra français. Le sujet , fas-

tueux, offrant à l’ac te II une échap pée

exotique, dévié d u drame d e J ohn Dry-

den, c omporte tous les ingrédients du

ge nre, a vec une drama turgie plus res-

serrée. Le drame prend des libertés

ave c l’histoire, nota mment sur le cha -

pitre de l’annexion du Portugal par l’Es-

pag ne mais aus si sur le des tin de Dom

Sébastien, personnage historique my-thifié pa r son pe uple, q ui succomb a lors

d’une expéd ition chez les Maures.

Dom Sébast ien attenda it son heure.

En 1955, Giulini offrait un revival timoré

de la version italienne, Eve Queler reve-

nait plus près des sources pour un

concert en 1984, mais omettait le

grand b allet de l’ac te II q ui ava it fait les

délices du public de l’Opéra. Mark Ed-

ler avait depuis plusieurs années le

projet d’e nreg istrer l’intég ralité de la

version originale. Il es t pa rvenu à s es

fins, en réunissant une distribution sub-

tilement c onsti tuée o ù cha cun s oigne

au mieux son français, élément

ess entiel s’il en est. Kasa rova pos sèd e

la va ste éte ndue de Za yda , qui lui per-

met d ’employer à loisir ses deux voix,

Miles prête au grand Inquisiteur sa

ba sse chantante et ca verneuse, Keenly-side étonne par sa composition: son

Abayaldos venimeux est saisissant. Il

fallait trouver un Dom Sé ba stien: c ’est

sur ses épa ules q ue repose tout l’opéra.

Donizetti a vait éc rit le rôle po ur Gilbe rt-

Louis Duprez. S on fort ténor avide d e

notes aiguës possédait également une

so uples se q ui lui permetta it de voca liser.

Donizetti ima gina un s tyle mixte, enc ore

versé d ans le bel canto mais prolixe e n

lignes voca les plus drama tiq ues. Filia-

noti, dans un français exemplaire, ré-

dime ce rôle impossible : c ’est lui q ui

donne une nouvelle chance à cettepa rtition tournée vers l’ave nir, q ui a ura

donc dû attendre 164 ans pour

conna ître une fortune disc ograp hiq ue à

la ha uteur de s on gé nie.

 Jean-Charles Hoffelé

LA FIGLIA DEL REGGIMENTO

Donizetti

Maria Costanza Nocentini (Maria), Giorgio

Casciarri (Tonio),Luciano Miotto (Sulpizio),Milijana Nikolic (Marchesa).Orch.du TeatroMarrucino de Chieti,dir.Marzio Conti (2004.Naxos (2cd) 8.660161-62.Notice angl./all.,

pas de livret.Distr. Abeille.

La version italienne de La Fille du ré- giment . On y gagne surtout, en perdant

la romanc e de Tonio a u sec ond a cte,

des récitat ifs à la plac e des dialogues,

ce q ui, pour le mélomane franco phone,

es t loin d’ê tre réd hibitoire. Ma is c e live de Chieti se heurte à rude conc urrence.

Face à l’insolence du couple Suther-

land-Pavarotti, par exemple, quelles

sont ses armes ? Maria Co stanza No-

ce ntini n’a p our elle q ue sa conviction et

sa probité : la voix bouge, ne pos sèdepas la santé et la jeunesse de Marie,

manque de couleurs, est ordinairement

conduite, avec une vocalisation labo-

rieuse et q uelques éca rts de justesse.

Ce n’est pas indigne, c ’est médiocre.

Giorgio Ca sc ia rri ne fait pa s un Tonio

plus convaincant, surtout lorsqu’il s’agit

d’émettre des notes aiguës, dardées

avec raideur quand elles ne sont pas

éructées c omme les fameux contre-Ut

de l’air du premier acte . Tout es t à l’ave-

nant : rien de sa illant da ns les rôles se-

cond aires, rien de marqua nt non plus,

avec un Sulpizio et une Marchesa hono-

rables. C ela dit, l’orches tre tient la route,

très correctement dirigé par Marzio

Conti, q ui ne tire jama is cette œuvre lé-

gère vers le grand-opéra. Quoi qu’il en

so it, il en faut p lus pour fa ire une Figlia 

del reggimento digne d’être captée. Leplaisir de po ss éd er la version ita lienne ?

On reviendra à la vieille version Rossi. Et

pourquoi ne pas en rester à la version

française de B onynge ?

Didier van Moere

MARIA STUARDAREGINA DI SCOZIA

Mercadante

Judith Howard (Maria Stuarda), Jennifer

Larmore (Olfredo), Colin Lee (Ormondo),

Manuela Custer (Carlo), Pauls Putnins (Fer-rondo). Philharmonia Orch., dir. Antonello

Allemandi (2005).

Opera Rara ORR 241.Prés. en angl.Synopsisen fran.Texte it./angl. Distr.Abeille Musique.

Créée le 29 mai 1821, la Maria Stuarda de Mercadante est emplie de réfé-

rences ross iniennes : Maometto II et

Matilde di Shabran ont précédé de

peu, cela s’entend dans la conduction

dramat ique comme dans les grands

ensembles virtuoses que Mercada nte

conduit au crescendo avec une motri-

ci té que le Cygne de Pesaro n’aurait

pas désavouée. Avec Maria Stuarda , lecompos iteur paye un tribut à la mode de

l’époq ue : le cha nt en paraît toujours

sous influence, alors que l’orchestre

déjà s’émancipe et regarde vers une

poétique drama tiq ue qui fera sa fortune

une décennie plus tard. Ouvrage de

trans ition donc ; est-ce po ur cela

qu’Opera Rara n’a consenti qu’un vaste

disq ue d’extrai ts ? C ’est la reine da ns

un de ses épisodes d’amour de jeu-

nesse q ue Merca dante a dépeinte avec

une éc riture b rillante , co lorée, so uvent

difficile : Elisab etta Ferron s ’en plaignit

mais parvint à défier les hautes colora-tures. C ’est là que le bât blesse : J udith

Howard, brillante dans le raptus, peine

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à l’aigu, tout en honorant la partition. Le

véritable héros reste Olfredo, embléma-

tiq ue du mez zo ross inien d’a lors. Lar-

more ga rde to ujours cette tec hnique si

peu orthodoxe, do nnant du son da ns

les joues , c olorant b iza rrement, ma is le

personnage poss ède un sens drama-

tique percutant. Sa grande scène de

l’acte II («Ah ! che finor fu vano ») es t

d’a nthologie pour l’émotion sinon pour

la technique. Colin Lee assume fière-

ment le registre meurtrier d’Ormondo,

avec da ns so n italien une pointe d’ac -

cent. Direction électrique d’un Anto-

nello Allema ndi toujours à l’a ise d a ns

ce répertoire.

 Jean-Charles Hoffelé

TORVALDO E DORLISKA

Rossini

Darina Takova (Dorliska),Michele Pertusi

(Duca d’Ordow), Francesco Meli (Torvaldo),Bruno Pratico (Giorgio), Jeannette Fischer

(Carlotta), Simone Alberghini (Osmondo).

Orch.Haydn,dir.Victor Pablo Perez.Dynamic 528/1-2 (2cd). Prés.quadrilingue.Livret en italien et en anglais. Distr. Codaex.

Premier opéra compo sé po ur Rome

pa r Ross ini, Torvaldo e Do rliska (1815)

appa rtient au genre sous évalué d u se- miseria . Plus encore q ue dans Matilde di Shabran , où il les juxtapose plus qu’il

ne les mêle, ce q ui fasc ine ici c’es t la

façon dont le compositeur joue en per-

manenc e avec les registres e t les s tyles

de chant. Buffa et seria ne cessent de

se contaminer l’un l’autre dans des en-

sembles d’une originalité de ton sur-

prenante où les personnages semblent

échange r leurs langag es. Da ns Matilde ,Ross ini toucha it à une so rte d e virtuo-

sité presq ue ab strai te ; ici le mélange

d’humour et de pathétique abouti t à

une grand e express ivité. Les a irs eux-

mêmes plus classiques caractérisent

les personnages dans leur registre spé-

cifiq ue : pa thétiq ue pour l’héroïne p er-

sé cutée , lyrico -héroïque pour le jeune

héros, drama tique po ur le mécha nt de

l’affaire, le Duc d’Ordow (dont l’a ir final

semble déjà annoncer la folie d’Assur

da n s Semiramide ) et franchement

bouffe pour Giorgio le ga rdien du c hâ-

teau. I l n ’y manque même pas deux

charmants airs de sorbetto pour les

deux personnages secondaires, Or-

mondo et C arlotta. Avec c ette œuvre,

Rossini réinvente pour ainsi dire le

genre de l’opéra à s auveta ge hérité dela génération précédente. On pense

souvent à la Lodoiska de Cherubini à

ca use d u sujet (une jeune épo use e nle-

vée à son mari par un seigneur mé-

chant, amoureux d’el le, qui la sé-

questre) mais le traitement vocal

introduit un élément de caractérisation

q ui renouvelle l’intérêt d ’un a rgument

un peu mince.

Enreg istrée a u Ros sini Opera Fes ti-

val 2006, cette production offre une

distribution de premier ordre dominée

par le Duc noir et tourmenté de Michele

Pertusi, une des plus authentiques

ba sses chantantes rossiniennes de sa

génération dont la voca lisa tion impec-

cable et le sens théâtral compensent ce

que la voix a perdu en éclat. En Giorgio,

Bruno Pratico trouve un de ses

meilleurs rôles dont il communique le

mélange de bonté et de malice. Le jeuneFranc esc o Meli co nfirme tous les esp oirs

susc ités pa r sa prestation dans Bianca e Falliero en 2005, avec une voix de ténor

lyrique séduisante, large, souple pour la

voca lise, c onduite avec élégance et une

a rdeur virile c erta ine. Se ule Darina Ta -

kova d éç oit dans un rôle d ont l’écriture

ne correspo nd pa s à sa voix, trop dra-

matique po ur ce s tyle orné, en dépit d’un

timbre ma gnifiq ue. Les d eux petits rôles

sont as sumés a vec style et la d irection

de Victor Pa blo Perez emmène tout ce

beau monde avec adéq uation dans une

aventure qui constitue une redécou-verte incontesta ble.

Alfred Caron

L’OR DU RHIN

LA WALKYRIE

Wagner

John Bröcheler (Wotan), Timothy DuFore

(Donner), Andrew Brunsdon (Froh),Christo-

pher Doig (Loge), Elizabeth Campbell

(Fricka), Kate Ladner (Freia),Liane Keegan

(Erda), John Wegner (Alberich), Richard

Greager (Mime), Andrew Collis (Fasolt), Da-

vid Hibbard (Fafner), Natalie Jones (Wo-glinde),Donna-Maree Dunlop (Wellgunde),Zan McKendree-Wright (Flosshilde), Stuart

Skelton (Siegmund), Deborah Riedel (Sie-glinde), Richard Green (Hunding), Lisa Gas-

teen (Brünnhilde),Adelaide Symph. Orch.,

dir. Asher Fisch.Melba MR 301089-90. (2 SACD)/MR301091-94 (4 SACD). Prés. trilingue.Livret

all./angl.Distr.Abeille Musique.

Le Ring d’Adélaïde fit, fin 2004, évé-

nement local autant qu’international.

Le cycle était resté fort rare en Austra-lie. C ’es t Adé laïde justem ent q ui dé jà

avait créé l’événement en 1998 en im-

portant avec suc cès la production de

P ierre S tros ser montée po ur le C hâte-

let. Cette fois, le State Ope ra of South

Australia réitérait avec une production

entièrement originale, confiée à Asher

Fisc h et Elke Neidhardt, q ui ameuta les

foules e n offrant un sp ec tac le violent,

coloré et moderne, avec son plateau

de verre translucide, son mobilier

design , ses statues de héros en plexi-

glas , son Wunder Bar , rocher branché

des Walkyries , transformant l’ess ai en

retombée mondiale. Les critiques

ava ient expos é entre les lignes q ue si le

propos sc éniq ue exc itait l’esp rit, la le-

çon vocale, honorable en nos temps de

disette héroïque, ne s’imposait vraiment

pa s, to ut en sa luant le fait qu’hors Wo-

tan, Hag en et les d eux Siegfried, la d is-tribution éta it entièreme nt aus tralienne !

Une vidéo aurait eu le mérite de ga r-

der ces images fortes. La ca ptation au-

dio n’en donne pas la mesure et ne

laiss e pa s d ’interrog er sinon sur l’éd i-

tion elle-même , q ui pour le marché lo-

cal fait sens historique, mais sur l’op-

portunité d e s a diffusion mond iale, q ui

ne saurait en rien s’imposer face à un

ca talogue autrement magistral. Certes,

il s’ag it là d’une première publica tion d uRing en SACD, mais es t-ce suffisa nt?

Comme pour le Ring d’Amsterdam qui

se ta rgue de la même technologie so-nore et d’ê tre la première version enre-

gistrée de l’ultime mise au point du

texte wag nérien, on consta te q ue le ré-

sultat musica l est loin d’e nthousias mer.

L’orchestre d ’Adélaïde so us la b a-

guette allante, efficace, parfois absente

de Fisch fait des prouesses en q ualité,

en trans parence, en netteté. Mais on

reste loin des leço ns historiq ues, ver-

tiges et beautés inclus. Côté distribu-

tion, da ns c es deux premiers volumes,

seul le S iegmund de S tuart Skelton, en-

durant et fier, so mbre et mâ le, c apa ble

de tenir ses Wälse c omme pe rsonne ne

l’a fai t récemment, va ut qu’on d ress e

l’oreille. Le Wotan de Bröcheler, qui

poss ède la d imension de son rôle, ne

peut cacher une vraie usure du maté-

riau, particulièrement dans un aigu dé-

labré, impuissa nt… De même, le Loge

de Christo pher Doig. Et la Fricka d ’Eli-

sabeth Campbell ne vaut guère mieux

en matière de fa tigue d e l’aigu. Le na-

guè re exce llent Alberich de J ohn We-

gner s’épuise vite et pe rd d e s on im-

pact. Quant à la Brünnhilde de Lisa

Gasteen, si prometteuse dans le Sieg- fried de Stuttgart, elle anticipe ici les

trémolos, les aigreurs, les incertitudesd’aigu qu’on lui a entendus da ns sa dé-

sastreuse Isolde de Bastille. Il n’y a

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guère q ue la S ieglinde d e Debo rah Rie-

del, au timbre peu attachant, un rien

chevrotant, qui soit du niveau requis,

sans pour autant r ival iser avec les

q uinze g randes t itulaires de la disco-

graphie, et quant aux basses, el les

n’ont rien d’historique…

Maigre bilan, à révise r qui sa it pour

les d eux autres journées à s uivre ?

Pierre Flinois

Archives

DAS HOLLANDWEIBCHEN

KálmánGerda Scheyrer (J utta),Else Macha (Elly),Harry Fuss (Eberlus), Karl Köstler (Adal-bert).Grand Orchestre de la Radio de Vienne,

dir. Max Schönherr.Gala GL 100.780 (2cd). Prés.en anglais,pasde livret.Distr.Abeille Musique.

Emmerich Kálmán es t , a vec Franz

Lehá r, l’un des meilleurs représe ntants

de la branche viennoise de l’opérette.

Sa ns même p arler de la d imension eth-

nique de la musique, riche en danses

magyares, cela suppose une gouaille

pop ula ire et une énergie brute plus ma r-quées que dans l’univers doré et policé

des palais de Vienne. Princesse Czardas est l’exemple le plus connu et emb léma -

tique de ce style qui emprunte parfois

plus a u music-hall qu’à l’opéra. Mais ce

n’est pas une raison pour ne pa s a voir

envie d e co nnaître les a utres ouvrag es de

ce compo siteur plein d’entrain et de sens

de la fête, dont l’inspiration et l’art du dé-

veloppement ne tiennent pa s to ujours la

longue d ista nce, ma is d ont la veine mé-

lodique permet d’enchaîner les tubes

potentiels. On ignorait tout de cette Hol- landweibchen créée en 1920, dont une

archive radiophonique viennoise nous

permet de découvrir la légèreté insou-

ciante, la tendresse, le sourire. Les ar-

tistes sont rompus à ce répertoire, à com-

mencer pa r Gerda S cheyrer, q ui eut son

heure de gloire dans la Chauve-Souris pa r

Ackermann, en remplaçant Schwarzkopf

q ui s’é tait coincé les vertèbres ! Acc ents,

intonations a tmosphères, tout est d anu-

bien à souhait. De plus, les bonus sont

riches, sous forme d’une anthologie

d’airs des principales opérettes de

Kálmán, y comp ris les moins connues,

par une belle brochette d’interprètes

historiques. Une d éc ouverte auss i inté-ress ante q ue rafraîchiss ante.

Christian Merlin

IL GIURAMENTO

Mercadante

Robert Kerns (Manfredo), Agnes Baltsa

(Bianca), Mara Zampieri (Elaisa), Plácido

Domingo (Viscardo), Michele Fiotta (Bru-

noro), Silvia Herman (Isaura). Orchestre del’Opéra de Vienne,dir.Gerd Albrecht.Orfeo C 680 0621 (2cd).Prés. trilingue. Pas

de livret. Distr. Harmonia Mundi.

Les opéras de Mercada nte sont chi-

chement représentés dans les cata-

logues discographiques. D’avoir été

l’émule de Rossini, le concurrent de

P a cini, Donizetti et B ellini, c omm e l’ins-

pirate ur du jeune Verdi, a empêc hé c e

créateur fécond de trouver la placeq u’il méritait. Grâc e à Ope ra Rara et à

q uelques reprises mode rnes, le public

commenc e heureusement à prendre la

mesure d’un talent original, dont le

nom n’était as soc ié q u’aux seuls Il Giu- ramento (1837) et Il Bravo (1839). Le

premier de ces opéras milana is nous

est ici reproposé d ans une version de

conc ert cap tée à Vienne en 1979. Ge rd

Albrecht y dirige d’une ma in ferme et

sans éta ts d ’âme belcan t is tes un en-

semb le d ispa rate et un rien exotique

da ns c e répertoire. P lác ido Do mingo

est le héros de cette histoire inspiréecomme La Giocond a , d ’Angelo tyran de Padoue de Victor Hugo. Il en as-

sume, a u pied levé et sa ns préparation

suffisante, les tensions pré-verdiennes

avec son habituel panache. Agnes

Baltsa, qui enregistre dans le même

temps la Laura de Ponchielli pour

Decc a, es t déjà ici une Bianca d e belle

tenue et ne s ollicite pa s trop ouverte-

ment se s registres. En revanc he, Mara

Zampieri violente sa ligne voca le s ans

ajouter pour autant à une incarnation

des plus frustes. Le baryton Robert

Kerns, m oza rtien distingué, s’ est visi-

blement égaré dans ce mélo roman-

tique plus chargé de passion que les

premiers opéras de Verdi. Il faut néan-

moins s e c ontenter de cette intégrale

tronq uée (plus de q uarante minutes), la

seule à s e ma intenir au ca talogue. Les

passionnés de Mercadante recherche-

ront les versions radio de 1952 (Simo-

netto, Vitale, Pirazzini, Berdini, Panerai)

et 1975 (Arena, Zylis-G ara , P ec chioli,

Moles e, Miller). C elle c a ptée à Martina

Franca en 1984 (Campanella, Omilian,

Gonzales, Visconti, de Corato) est la

plus complète, la plus amoureusement

dirigée, mais son étiage vocal demeuremédiocre.

 Jean Cabourg

RIENZI

Wagner

John Mitchinson (Rienzi), Lois McDonall

(Irène), Lorna Haywood (Adriano),Michael

Langdon (Colonna),Raimund Herincx (Or-sini). BBC Northern Symphony Orch., dir.Ed-

ward Downes (1976).Ponto PO 1040 (4cd). Prés.en anglais, pasde livret.Distr.Abeille Musique.

La discog raphie de Rienzi est pour

ainsi dire sinistrée, extrêmement lacu-

naire et frustrante. Ne serait-ce que

parce q ue toutes les versions enregis-

trées q ue l’on co nnaissait, même c elle

que dirige Hollreiser chez EMI, sont in-

complètes en raison des coupures,

couramment pratiquées da ns la pa rti-t ion. Co mme s i, a u même ti tre q ue la Juive , on c onsidérait le public c omme

incapa ble d’ass umer qua tre heures et

demie de musique. Une fois de plus, le

sa lut vient de la B BC ! Comme les An-

glais l’ont fait pour plusieurs o péras de

Verdi, d ont le Don Carlos en franç ais,

ils rendaient à Rienzi sa forme originale

et exhaus tive il y a plus de trente ans,

au cours d’un de ces concerts radio-

phoniq ues d ont ils a vaient le s ecret. En

voici la publica tion en C D, q ui pas sion-

nera auss i bien les wa gnériens q ue les

ama teurs d e G rand Opéra historiq ue.Rien ne manq ue, pas mê me le ba llet :

trente-huit minutes de musique !!

Certes pa s toujours inspirée, mais c’es t

le c entre d e g ravité d e l’œuvre.

Orchestre, chœur et solistes ne

comptent pa s p armi les célébrités in-

ternationales, ma is tous se s ont inves-

tis à fond dans ce projet pharaonique,

et la b aguette d’Edward Downes, sans

germaniser à l’excès, es t tout à fait en

ad éq uation avec le style monumental

mis à la mo de p ar Meyerbeer, Auber et

Halévy, et do nt on ne s’étonne pa s d e

retrouver des traces dans la Favorit e de

Donizetti ou les Vêpres sic ilienn es de

Verdi. On est ici parfaitement d a ns le

ton. J ohn Mitchinson a vait le format

exac t du fort ténor req uis : sa ns a voir la

voix la plus inoubliab le, il n’es t pris e n

défaut ni en puissance, ni en endu-

rance, ni en cantabile , ce q ui n’est pas

rien. Les femmes font plus que tenir

leur rang (le rôle d’Adriano est bien

confié à un mezzo, contrairement au

ténor d e la version Hollreise r), les voix

graves assurent avec solidité. Ajouté à

l’intérêt do cumenta ire, il n’en faut p as

plus pour faire de cette version l’enre-

gistrement à posséder pour qui veutconna ître le vrai visa ge de Rienzi .

Christian Merlin

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COSÌ FAN TUTTE

Mozart

Miah Persson (Fiordiligi), Anke Won-dung (Dorabella), Topi Lehtipuu (Fer-r a ndo ) , Luca Pisaroni (Guglielmo),Ainhoa Garmendia (Despina), NicolasRivenq (Don Alfonso). Orch. du Siècledes Lumières, dir. Ivan Fischer, miseen scène : Nicholas Hytner (2006).Opus Arte OA 0970D. Region Code 0.16.9 ana mo rphic. LPCM Stéréo /DTSSurroun d. Distr. Coda ex.

La petite révolution que proposece cru 2006 du Festival de Glynde-

bourne ne réside pas da ns sa mise enscène, conventionnelle bien qu’ani-mée pa r une fine direction d’a cteur,ma is dans ses paris musicaux. La ren-cont re ent re Ivan Fischer et les instru-ments d ’époque de l ’Orchestre duSiècle d es Lumières produit des ét in-celles dès l ’ouverture, vive, acérée,phrasée résolument différemment . ÀAix, pour la mise en scène si nostal-g ique de Chéreau, Danie l Hard ingava i t d e vanc é c e t t e m an iè re nou -velle, ma is les instrument s mod ernesdu Mahler Chamber Orchestra nepouvaient en rendre les innom-brables subtilités. La richesse, profusee t nu anc é e à l a fo i s , d e l a p a le t t eemployée ici libère to ute la poésie deCosì . À Drott ningholm, Östma n a vaitinauguré cette renaissance de la cou-leur comme valeur expressive, don-née essentielle lorsque l’on sait queMozart réservait certaines tonalitéset des alliag es instrumen ta ux particu-l iers à l ’ i l lustra t ion d ’émotions oud ’é ta ts psychologiques préc is . Enmett ant en rega rd ces deux gravures,on constate à quel point la pratiquesur instruments d’époq ue a progressé.

Fischer reprend à son compte le stac- cato  g é né ra l , c e t t e a tm osp hè refouet tée, nerveuse sinon a bsolument

al lègre . Pourtant , ce staccato  f ié-vreux, ce pouls légèrement précipitéforment le l ien secret, le tactus q uiréunit les rythmes à peine différents –différés? – de Da Ponte et de Moza rt :l à où le poète voudrai t marquer lecoup de théâtre ou de l ’émotion, lecompositeur enlève l ’instant sur lespointes. La netteté des timbres, lefondu plus court des harmonies, lesrythmes plus pointés soulignent celéger décalage qui donne à l ’œuvreson rebond cont inu. Cela suff i t à

changer la dramaturgie d’une parti-t ion résolument ac ide . Marivaux,dans le sombre, n’ira pas flirter plusloin. Et Nicholas Hytner a raison defaire les retrouvailles du finale si dis-crètes, si formelles, si retardées: unema in sur l’épaule c’est t out ce qu’ellespeuvent espérer et to ut ce qu’ils peu-vent consentir. Le dispositif scéniqueest simple, ouvert sur un grand cielb leu . Costumes d ’époque soignés,déguisements des jouvenceaux enalbanais transparents, Hytner souli-gnant l ’ impossibil i té dramatique du

jeu inventé pa r Don Alfonso. Le spec-tateur accepte, sachant que l ’invrai-semblance est aussi un ressort dra-mat ique . Le jard in des épreuvess‘invite dans le salon des sœurs enune multi tude d’orang ers en pot s etde f leurs. Hytner suggère be aucoup,se régale du giocoso sans un insta nttent er le bu f fo . C’est en cela que Così 

demeure mod erne, son h umour n’estp as d é m ons t r a t i f m a i s d é c ou le d esi tuat ions par fois amères. Chaquescène dévoile de s finesses de lecturequi ne supporteraient de surcara cté-r iser les rôles : Don Alfonso n ’estdonc pas un Don G iovanni réchappétout aigri des flammes de l ’enfer, etDespina ne prétend pas philosopherau t re m e nt q u e p ar p u r b on se ns .Secret absolu de Così f an t ut te : per-sonne ne ma nipule personne, t out lemond e est victime de t out le mond e.C’est tellement contraire à tout es lesexégèses de ces derniers temps, queseuls Boussard , dans son é tourd is-sante rég ie pour La Monna ie, et Ché-re au , e n d r am atu rg e s ave r t i s , on tba layé d’un revers de main. Ajoutezune d is t r ibut ion impeccable où

éclate l i t téra lement le soprano deMiah Persson qui se révèle dans unlyrique splendide en Fiordiligi, fruité,

intense, aux graves amples et pleins,à l ’aigu délié et montra nt d e l ’aisancedans la vocalise électrique. AnkeWondung, dont Hytner fa i t unegran de go urmande, n’est pas en reste,avec son mezzo sombre si généreuse-ment timbré. Les amants sont fine-ment appariés, Lehtipuu délivrant«Un’aura amo rosa »sidérant de flui-dité, d ’apartés, de sous-entendus etvocalisant a u finale de l’acte I commeseul le f it Alfred o Kraus ; Pisaro ni, plusbou rru mais non sans a rrière-plans,

campant le carac tère t ranché deGuglielmo avec toute la profondeurd e son b ary ton M ozar t au x g r ave souverts et aux harmonies complexes.Don Alfonso sec et vif, suprêmeme ntbien chantant – cela devient rare aupoint que da ns «Soave sia il vent o »on suit sa l igne de chan t si finementsculptée et si rigo ureusement juste –de Nicolas Rivenq. Quant à la Des-pina d’Ainhoa Garmendia, ce jeunesoprano lyr ique s ’ impose par unesorte de pla isir conta gieux à jouer unportrait de gra nde fi louterie. Mozart

aura rarement été mieux servi dansune d e ses œuvres qui peina le plus àjustifier son importance. La ba guet teacérée e t sourian te d’Iva n Fischer luirend to utes ses amb iguïtés.

 Jean-Charles Hoffelé

DON PASQUALE

Donizetti

Ferruccio Furlanetto (Don Pasqua le),Nuccia Focile (Norina), GregoryKunde (Ernesto), Lucio Gallo (Mala-testa ). Orch. de La Scala de Milan , dir.Riccardo Muti, mise en scène : Ste-fano Vizioli. (1994)TDK DVWW-OPDPSC. Sou s-tit ra g e :f ranc. , angl . , a l l . , esp. , i t a l . FormatNTSC 4 : 3. Son PCM Sté réo /DTS5.1/Dolby Digita l 5.1. Distr. Inté gra l.

La product ion est par fa i te , d ’unluxe pour les décors qui est bien lasignature de Susanna Rossi Jost ,rég lée avec f inesse par Ste fanoVizioli qui sait ce qu’une direction

d ’ac te u r m e su ré e p e u t ap p or te r àDon Pasquale . Déba rrassés des excèsg é né r i q u e s d u bu f f o  , les person-

DE

L’Avant

Scène

OPÉRA▼

LA RÉVÉRENCE

Sélection D VD

La Révérence de L’Avant-Scène Opéra accompagne les enregistrements de qualité exceptionnelle

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nages se dessinent dans toute leuram pl itud e . L’émot ion de Norina

après qu’elle eut frappé son barbon,p re nd tou t son se ns , c om m e t an td’aut res épisodes qui parsèment uneaction rapide, l’une des plus prestesdans laquelle Donizetti ai t coulé saplume. Muti a ime l ’œuvre : i l ent rou ve d ’e m b lé e l e t on d e g r andstaccato , fou e t t an t o rc he s t re e tc han te u rs ave c u n b o nhe u r con t a -gieux. Dix ans plus tôt, La Scala affi-chait Freni, Winbergh, Bruscantini ,q u i t e na i t ave c Don P asq u a le se sgalons de maréchal, gagnés des lesannées c inqua nte ! Mais Fur lanet toest loin de démé riter, surveillant son

émission, d’un jeu très tenu, et envoix unie. Il est même émouvant. Lecombat semble perdu d’avance pourFoci le , d ’autant que Freni y avai tré introdui t l a typologie vocaleidéale , un grand lyr ique léger enplace des coloratures qui se sonta ppropriées le rôle san s vergo gn e. SaNorina ne ma nque pas d ’abat tag e , e tsi le registre aigu s’acidule trop, elleréussit a vec une belle poé sie son d uodu jardin. On ne boudera pas cetteinc arna t ion p é tu l an te . Ga l l o , se cmais alerte en Malatesta, avec dans

l ’œi l quelque chose de d iabol iqueq ui se réga le des imbro glios. Au som-met de ses moyens, e t malgré uneémission déc idément yankee , Gre-gory Kunde vocal ise d ivinement ,allégeant son téno r un rien trop cui-vré pour Ernesto . Soirée éb louissant equi se regarde d ’une t ra i te e t rendjustice à une parti t ion qu’on carica-ture trop souvent.

 Jean-Charles Hoffelé

TOSCA

PucciniFrancesca Patanè (To sca ), José Cura(Cavaradossi), Renato Bruson(Scarpia),Giancarlo Tosi (Angelotti), FedericoLonghi(Sagrestano), Nicola Sette(Spo-letta). Orch. Symph. de la province deBari, dir. Pier Giorgio Morandi, miseen scène: Enrico Castiglione.Pan Dream PDBR 2009 (1 DVD). For-mat 4 : 3. Distr. Abeil le Musique.

Une te l le product ion n ’est p lusguère imag inable sous nos lat i tudes,mais ferai t le bonheur des dé trac-

te u rs d e l a d r am atu rg ie m od e rne .Décors e t costumes reconst i tuentavec un réalisme convaincant et un

certain lustre pour les seconds, lecontexte. Quant à la mise en scène,

elle s’en tient à une mise en place res-pectueuse du livret original. Il s’agitd’un specta cle «popula ire »filmé enao ût 2000. Du côté des in terprè tesrèg ne un certa in «provincialisme ».Tout est hon nête , r ien n ’ent hou-siasme. Francesca Patanè affronte lavocalité du personnage avec des sonsgraves tubés et un vibrato qui rappel-lent la Callas des dernières années.Son physiqu e de Gina Lollobrigida d eba nlieue, am incie et pa ssée à l ’aut o-bronza nt, convient b ien à ce person-nage de chanteuse populaire que laDivina aima it à incarner de f açon un

peu vulgaire. Malgré un joli registreaigu, sa Tosca manq ue de personna -l i té e t ne semble souvent qu ’undécalque du grand modèle , mât inéde Raina Kabaivanska. Depuis sesdébut s fulgurants da ns les ann ées 90,José Cura s ’est peu assag i e t sonCavarado ssi , empât é physiquementet voca lement , reste san s relief, sinondans le duo du 3e acte où ses demi-teintes font oublier les effets véristesde son dernier air mais où sa puis-sance révèle les limites de sa parte-na ire. Reste le Sca rpia de Renat o Bru-

son. À 64 an s, le baryt on n e peut plusoffrir une véritable stabilité dans lechant à pleine voix. Extrême g rave etm onté e à l ’ a i g u l a i s se n t e n te nd reune for te pression mais dès qu ’ i ls ’ag i t de phrasé , de d ic t ion ou definesse de l’incarnation, il est encoreun modèle de distinction et d’incisi-vité. Les compr imar i i   von t d umédiocre – le geôlier – à l’excellentNicola Sette en Spoletta. L’orchestre«discret », c’est -à -dire san s la splen-deur requ ise par l’étof fe puccinienne.Comme il n’y a pa s de sous-titres et q uela distribution est parfaitemen t idioma -tique, vous en profiterez pour prendreune leçon de b on ita lien chant é.

Alfred Caron

TURANDOT

Puccini

Luana DeVol (Tura nd ot ), Josep Ruiz(Altoum), Stefano Palatchi (Timur),Franco Farina (Calaf), Barbara Frittoli(Liù), Lluis Sintes (Ping), Francisco Vas(Pang), David Allegret(Pon g). Orch. duGra nd Tea tre d el Liceu, dir. Giuliano

Carella. Mise en scène : Nuria Espert.TDK DVVV-OPTURL (1 DVD). NTSC.Format 16 :9 . Dist r. Integra l .

On connaissai t ce t te product iongrâce à une captat ion da tant de 1999

lors de la réouver ture du Liceureconstruit . L’originali té de la miseen scène de Nuria Espert repose surson interprétat ion du finale don t elledonne une vis ion t rag ique e t quasicosmique . Pour le reste , décors e tcostumes restent très classiques avecune bonne dose de kit sch et d’exo-tisme d’inspiration très éclectique.M ai s au f ina le , l e p l a te au a é tébalayé de tout décor e t sur fond d evoûte ét oilée se joue l ’ultime a ffron-tement entre Turando t et cet hommeauquel e l le se sent contrainte decéder malgré elle. Pour échapper à

cette humilia tion, la Princesse se poi-gnarde après avoir clamé le nom deson vainqueur à l ’Empereur appa rais-sant dans sa gloire lointaine, tandisqu’en coulisses le chœur chante letriomphe de l’Amour. En 1999, Ber-tra nd d e Billy avait eu l’idée d’ut iliserune éd i t ion mêlant le f inale t rad i-tionnel et des passages de la versionorigina le d’Alfano, ce qui renfo rçaitl ’ intérêt de cette vision, en donnantune rée l le épaisseur à la mutat ionpsycho logiq ue d u rôle-titre. En 2005,Giuliano Carella est revenu à la ver-

sion traditionnelle réduisant la perti-nence de cette o ption. Mais, surtout ,Luana DeVol ne possède pas la pro-fond e u r p sy c ho log iq u e q u e G io-vanna Casolla donna it à son incarna-t ion, même si après une scène desénigmes où elle semble préoccupéepar son reg istre a igu , l a chanteusetrouve une certaine dimension dansle duo. Son par tenaire , FrancoFarina, reste en revanche sommaired ’u n b ou t à l ’ au t re . Le s q u e lq u e sdemi-teintes auxquelles il a recoursçà et là semblent plutôt une m anièrede s ’épargner face à une tessi turetrop drama tique car les sollicitationsdans l ’a igu la issent entendre unepression à la limite du supportable,même si la vo ix assez centra le séduit.Le timbre généreux de Barbara Frit-toli constitue un net progrès sur lesoprano léger de María Bayo et ellecommunique une belle émotion auxdeux ai rs de Liù . Ste fano Pala tchideme ure un Timur de g rand e classeet les petits rôles sont parfaitementdistribués. Le trio d es Ministres pa raîtmoins enjoué mais reste efficace etbien caractérisé. La direction alerte

de Giuliano Carella évite le piège del a g r and i loq u e nc e e t p rop ose u nelecture moderniste voire légèrement

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ironique de la pa rti t ion à laquelle lechœur du Liceu apporte une excel-

lente contribution. Hélas, le niveaude la prise de son n’est pas satisfai-sant et l ’ensemble reste à un niveauu n t rop m oy e n p ou r d é t rône r l e sgrandes versions vidéographiques,Lon dres 1984 ou Sa n Francisco 1994.

Alfred Caron

IL BARBIERE DI SIVIGLIA

Rossini

Reinaldo Macias (Almaviva), CarlosChausson (Bartolo), Vesselina Kasa-rova (Rosina), Manuel Lanza (Figaro),

Nicolai Ghiaurov (Basilio), ElizabethRae Magnusson (Berta), ValeryMurga (Fiorello), Kenneth Roberson(Ambrog io). Orch. de l’Opéra d e Zurich,dir. Nello Santi, mise en scène : Gri-scha Asagaroff (2001).EuroArt s 2051248 (1 DVD). Forma t NTSC16: 9 Region Code 0. Distr. Integ ral .

Grandi dans l ’ombre de Ponnelle,Grischa Asagaroff trouve naturelle-ment ses marques à Zurich. Sa miseen scène repose au demeurant suru ne id é e s im p le : f a i re t e n i r t ou t

Séville dans un éventail géant dontles variant es rythment l ’action a u g rédes changements à vue qu ’auto r isela scène tournante. De soie, de den-te l le , de bois b lanc ou d ’e f f lores-cences végétales , ce t obje t symbo-liq ue a brite en son sein les péripétiesde la com édie. Que celle-ci soit situéedans les années 30, que Figaro fasseson entrée sur une mot o rutilant e negâ te pa s vraiment un ensemble cohé-rent da ns sa gra tuité. Le jeu des pro-ta go nistes ne se départi t pas quant àlui des stéréotypes les plus convenus,au gré des ta lents individuels. Sous laconduite d’un Nello Santi gran d ha bi-tué des lieux, l’orchestre se montredi l igent s inon toujours per t inentda ns ses tempi et leur articulat ion. Ladistribut ion ap pelle en revan che biende s réserves. À com men cer pa r Vesse-lina Kasarova. Do tée d ’une voix opu-lente, cultivant les graves les pluscharbo nneux et un registre aigu inso-lemment ouver t , Kasarova sembleplus soucieuse d ’en fa ire ét alag e q uede la mettre au service de son per-sonnage. À mi-chemin d’Isabella del ’ I tal ienne et d ’Arsace de Semiramide ,

sa Rosina manque de subtile espiè-glerie et de sincérité amoureuse. Aumoins conna ît-elle les règles du chant

rossinien, ce qui n’est le cas d’aucunde ses partenaires, si l’on veut bien

excepter le Bartolo de Carlos Chaus-son, assez habile coméd ien pour fa ireillusion. Ni le ténor ni le baryton nesatisfont a ux can ons de ce réperto ire.Un Almaviva au souff le cour t seprend les p ieds dans toutes leséchelles vocalisan tes, et son f acto tumdétone du début à la fin, édulcorantde manière vulgaire une ligne qu’i lrudoie de son timbre de faux ténorprivé d’aigu. Ghiaurov use de t outesles ficelles du métier pour faireoub lier la fê lure de son reg istre supé-r ieur , opportunément a idé dans laCalomnie pa r les accelerandi du chef,

qua nd le souffle vient à man quer. Lesbustes de Rossini qui ornent le salonde musique d e Barto lo restent impa-vides devant ces outra ges. On a dmireleur flegme. Sans le pa rtag er.

 Jean Cabourg

FALSTAFF

Verdi

Ambrogio Maestri (Falstaff), RobertoFrontali (Ford),  Juan Diego Flórez(Fenton), Ernesto Gavazzi (Cajus),

Paolo Barbacini (Bardolfo), Luigi Roni(Pistola), Barbara Frittoli (Alice), InvaMula(Nanetta), Bernadette Manca DiNissa (Mrs Quickly), Anna CaterinaAntonacci (Meg). Orch. du Tea tro allaScala, dir . Riccardo Muti, mise enscène: Ruggero Cappuccio.Euro Arts 2051728. Format NTSC16: 9. Reg ion Code 0. Distr. Integ ral .

2001 année Verdi: Riccardo Mutimet ses pas da ns ceux de Toscan ini etredonne à Busseto le fameux Falstaff 

da camera que le maestrissime avaitpa r deux f ois dirigé en ces lieux. Le pri-vi lège nous est of fer t de pénétrerdans ce t te bonbonnière mythiqueque le compositeur lui-même n’ajamais honorée de sa présence. Lestoiles peintes de 1913 ont servi demod èle au décorat eur de cette repriseet marient leurs coloris profus auxluxueux costumes élisabéthains réin-ventés par Carlo Poggioli. Le spectacleimaginé par Ruggero Cappuccio tired’ailleurs l’essentiel de son efficacitéde ce brassage d ’é tof fes e t de s i l-houettes hautes en couleur. Le jeuproprement dit se l imite à l ’habile

ordonnance d’un espace si restreintqu’il impose à tous une grande éco-nomie de gestes. Le vérita ble mett eur

en scène est ici le chef de cett e fo rma-tion réduite. Sa polyphonie impulse

au plateau ceconcertato 

vocal qui àlui seul fa it sens et d onne son rythmeà la comédie. Plus rapide, comme àl ’hab itude, q ue Toscanini, et d ’unemoindre incisivité, Muti orchestreavec ductilité et amour du détail cechassé-croisé. Para do xalemen t, il n’estpas sûr que l’allége ment des pupitresse traduise par une clarté optimaledes plans sonores. La mise en espacequ’autorisent les théâtres et les for-mations plus vastes ou, a fort ior i lesstudios , garant i t une texture plusaérienne à un discours ici q uelque peuconfiné. La forêt de Windsor ne s’y

réduit pas à un parc municipal . Laremarque vaut aussi pour les voix.Celle de Maestri, hab itué du rôle-titre,paraî t en plus d ’une occasioncontrainte, comme si l’artiste la bri-dait . D’où parfois l ’ impression d’undiscours sans appui quand il convien-drai t de le soutenir davantage . Lasaveur d’une d iction ita lienne particu-l ièrement évidente dans le fameux«Quand’ero paggio »at te s te né an-moins une grande familiarité avec lepancione . Heureuse surprise avec leFord de Frontali . En voilà un à qui

l’exiguïté de l’espace inspire un salu-taire contrôle vocal . Celui du jeuneFlórez est é videmmen t suprême, m aisil faudrait à ce charmant pag e le soup-çon de morbidezza que son émissionrossinienne lui refuse. Ces dames onttout pour plaire et piquer, avec unemention particulière à Barbara Frit-toli, Alice palpitante aux côtés d’uneAntonacci curieusement indifférenteen Meg et d’une Inva Mula, Nanettade luxe. Exemplaire Quickly de Berna -dett e Ma nca di Nissa, d ont les jeux demains sont toutefois bien crispants.Les trois compères de la Jarretièreconnaissent leur affaire. Un Falstaff 

convivial qui n’éclipse pas lesmeilleures version s ma is les complèt eavec bo nheur.

 Jean Cabourg

WOZZECK 

Berg

Toni Blankenheim (Wozzeck), Sena Jurinac (Marie), Richard Cassilly (leTa mb ou r-Ma jor), Gerhard Unger (leCapitaine), Hans Sotin (le Docteur).Orch. Phil. de Hambourg, dir. Bruno

Maderna, réal isat ion : Joachim Hess.ArtHau s 101 277. Forma t 4/3, Reg ionCode 0 (wo rldwide ). Distr. Int ég ral.

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Rolf Liebermann f ut pionnier da ns

bien de s do ma ines. L’un d’en tre eux

fut le film d’opéra pour la télévision.

Non pa s la capta tion d’un spectacle,

mais un vrai long-métrage , avec

t o u r n a g e e t m o n t a g e . Av a n t P o n -

nel le . Légendaire , ce Wozzeck  d e

1972 en décors naturels l ’é tai t en

particulier depuis les lignes inspirées

q ue lui a con sacrées And ré Tub euf

d ans l a tou te première éd i t ion d e

notre numéro sur Wozzeck  (n ° 36,

1981). Il serait exagéré de dire que

rien n’est démo dé : ces extérieurs, ce

réalisme fa ctice, ce play-back portent

leur âge, c’est évident. On s’est fait

depuis de l ’œuvre une imag e mo ins

illustrative, plus expressionniste ouplus onir ique. Mais qu’à cela ne

tienne : on a osé montrer ici le Woz-  

zeck  d’origine, dans une ville de g ar-

nison aux chemins pavés, entourée

de marais , où l ’on ne croise pas un

chat . Et puis il y a le jeu des acte urs,

qui bénéficie du travail théâtral de

Günther Rennert, capté par les camé-

ras de Jo achim Hess. Pour rend re pos-

s ible cet te force dramatique, plus

encore sur le pet i t écran que sur

scène, un impéra t i f : des visage s .

Celui de Ton i Bla nken heim est ino u-

bliable, portant tout le malheur dumond e , t r ans p iran t l a rés igna t ion .

Celui de Sena Jurinac, si inattendue

en Ma rie, fa it passer l ’humanité com-

plexe, pure , f ran che, s incère , ma is

auss i coupable e t culpabi l isée , ni

sainte ni pécheresse : femme . Celui

du Ta mb ou r-Ma jor de Cassilly suint e

la fatuité virile, celui du Docteur de

Sotin la fatuité obsessionnelle, celui

du Capitaine d’Unger la fatuité sen-

tencieuse. Leurs voix sont à l ’ave-

nant, sauf celle du rôle-titre, qui est

tout sauf immortelle, ce q ue l ’imag e

compense. On s’amusera a ussi à repé-

rer dans leurs petits rôles deux jeunes

troupiers qui allaient faire leur che-

min : Kurt Moll et Franz Grund hebe r !

Enfin, l’idée de confier la d irection à

Bruno Maderna es t un coup de

maître, tant il concilie la connivence

du com positeur et le lyrisme du Latin.

Christian Merlin

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En assistant à la première à Vienne, on avaitavant tout l’impression d’une réussite collective.

I l f au t que ça l e so i t , s inon l ’ouvrage nepa sse t out simplement pa s. Il y a t rois gra ndsrôles et un rôle mo yen, a u milieu d ’une multi-tude de rôles épisodiques. Il faut veiller à nepas en fa i re des moments isolés . J ’admirebea ucoup la fa çon d ont Chéreau a individua -l isé chaque personnage. I l montre que dansun camp, la société se reconstitue d’une a utrefaçon. Des moments d’intense activité succè-dent à des moments d’ennui profond, ma is aufond, chacun est isolé. La vie des autres n’in-téresse personne. Dans la mise en scène deChéreau, par exemple, Chapkine s’arrête de

racon te r l’épisod e o ù o n lui tire l’oreille car ilse rend compte que personne ne l ’écoute, au

100

« Je n’ai jamais séparé le travaildu chanteur et celui de l’acteur »

Int erview de Pierre Boulez

Prop os re cueillispar Christian Merlin

Wiener Festwochen, mai 2007 - Aix-en-Provence, juillet 2007

Trent e a ns après une Tétra log ie w a g né-

rienne q ui a ma rqué l’histo ire et un e Lulu 

parisienne qui ressemblait à une seconde

naissance de l’ouvrage, Pierre Boulez et

Patrice Chéreau se retrouvent. Et ces

retrou vailles on t lieu sur un de s ouvrag es

les plus atypiq ues du réperto ire : De la 

Maison des morts d e Leoš Janáček.

Autant préciser d’emblée qu’on ne res-

sort pa s ind emne de ce specta cle coup-de -

poing q ui s’apprête à pa rcourir le mo nde.

Au mom ent d e sa créat ion a u Thea ter a n

der Wien en ma i 2007 et avan t q u’il ne

soit représenté au Festival d’Aix-en-Pro-vence, au Holland Festival d’Amsterdam,

à la Scala de Milan et au Metropoli tan

Opera de New York, L’AVANT-SCÈNE OPÉRA

ne pouvait laisser passer si belle occasion

de rencontrer deux artistes qui, par-delà

les décennies et la reconnaissance inter-

na tiona le, conservent un e pa ssion inta cte

po ur leurs mé tiers respect ifs.

Une passion d’artisan.

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contraire du personn ag e suiva nt q ui s’ad resse à u n confident . Quant à Skou-rato v, on le bâ illonn e pou r que sa f olie n’empo isonn e pa s la vie du grou pe.L’importa nt , ce sont les relat ions entre les person na g es.

Avez-vous participé aux répétitions dès le début?Bien sûr. J’ai dirigé les répétitions avec piano, comme je le fais toujours.D’abo rd pa rce q ue cela m’inté ressait a u plus ha ut po int d e retrava il ler avecChérea u a près trente an s d’interruption. Ensuite parce q ue les deux sema inesde répét i t ions au piano permettent d e g ag ner du temps pour la suite : si nousne sommes pas du mêm e a vis, nous pouvons en discuter tout de suite et n ousmettre d’accord.

Par exemple?Ce sont des dét ails techniques : si je t rouve par exemple qu’un acteur fa i t un

geste brusque alors que la musique ne l’est pas. Si c’est un contrepoint déli-béré e ntre l’action e t la m usiq ue, d ’accord, ma is si c’est une ma uvaise coïnci-de nce, je le signa le. Mais je ne do nne pa s de conseils de mise en scène ! Ce

n’est pa s mon mé tier, et Pa trice Chérea u n’en a pa s besoin car il se la isse t ou-jours aig uiller par la vitesse e t la puissa nce d e la musiq ue.

Faites-vous beaucoup travailler musicalement les chanteurs?Non : nous n ’avon s que d eux séa nces de répét i t ion musica le a vec l es

solistes, puis nous passons aussitôt aux répétitions de mise en scène. C’estbien préférable car si l ’on répète trop longtemps à la table, tout le travaileff ectué est cad uc dès q u’arrive le tra vail scéniq ue : tout ce que l ’on a mis aupoint d an s l’immob ilité s’écroule qua nd le chant eur do it b oug er en scène. Jepréfère que le profi l musical soit immédiatement intégré aux mouvementsthéâ traux. Je n’a i jam ais sépa ré le travail du chant eur et celui de l ’acteur. J’aivu Jea n-Lou is Barra ult fa ire t rava iller les acteu rs: le texte n’ét a it mis en p laceq u’en fo nction d es déplacements. Et t ous les grand s mett eurs en scène a vec

q ui j’ai tra vaillé, Chéreau, Peter Stein, et évidemm ent Wielan d Wag ner, fa i-saient p a sser en prem ier le t rava il de l’acteur.

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Photos Ros Ribas.

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Aviez-vous déjà travaillé avec Chéreau en amont, avant le début des répétitions?Oui, nou s nous somm es rencontrés et a vons beaucoup échang é. En pa rticu-

lier sur le ra ppo rt en tre le collectif et l’ind ividuel. De la M aison des mo rt s nerepose pa s seuleme nt sur la dichot om ie ent re les solistes et le chœur : les pri-sonn iers a ppara issent t a ntô t sous fo rme de fo ule compacte, ta ntô t sous fo rmede peti ts groupes très différenciés. Je me souviens d’avoir été très impres-sionné pa r les récits des ca mps de con centra tion . J’ai lu les tou t prem iers, pa rusjuste après la g uerre, en 1946 ou 47. Il y avait not am ment le témo ig na g e deRob ert Antelme, L’Espèce humaine . J ’éta is d’aut ant plus frappé q ue, qua nd o nvivait isolé comme mo i à Pa ris penda nt la gue rre, on n’ava it pas idée q ue celapût e xister. En ou tre, les survivant s n’en pa rla ient pa s fa cilement : Györg yLiget i, pa r exemple, ne m’a ja ma is dit un m ot sur les tribulat ions de sa fa mille,dont une grande part ie est morte dans les camps nazis . De même, s i l ’onconna issait les procès de Moscou et les purges stal iniennes, on igno rait to ut du

goulag .

Quels problèmes spécifiques pose la partition?Les problèmes habituels à Janáček. A commencer par la notation, difficile à

déchiffrer, et q ui peut sembler ana rchique . Mais ce n’est plus un prob lème q ua ndon sait ce qu’elle est, quand on connaît sa marque de fabrique. Les rapportsmét riq ues et cha ng emen ts de mesure, pa r exemple, semb lent souvent illogiq ues.Face au manuscrit, le chef d’orchestre a des décisions à prendre que même lesmeilleurs musicolog ues ne peuvent lui do nne r. Il y a en pa rticulier de s ra ppo rts de3 à 2 ou de 2 à 3 où l’on est o blig é de se de ma nd er si l’unité e st la mê me, surtoutsi l’on change de valeurs. Stravinsky aussi présente des rythmes irréguliers, maistoujours d’une logique imparable: d an s Noces , par exemple, il est impossible dese tromper.

Pour l’orchestre, battez-vous toutes les mesures irrégulières ou les normalisez-vousen les ramenant à un dénominateur commun?

Je ba ts exacteme nt ce q ui est écrit , ma is je fa is très att ention a ux relationsentre les temp os. Il fa ut d onn er une tra jectoire à cet ensemble en app arencehété rocli te, ce fut peut-être la pha se la plus important e de mon trava il .

À quoi tient cette sensation d’éclatement?Janáček compose pa r blocs. A l’interprète de créer un rappo rt d ’un bloc à

l’aut re. Il n’est pa s fo lkloriq ue a u sens propre, ma is ce qu’il emp runte a u fo lk-lore, c’est l’ab sence de développement . La musiq ue po pulaire ne développepas, elle se répète. C’est très différent d e Ba rtók, q ui certes se pa ssionn a it pour

le f olklore mais était un héritier de la t radition vienno ise. Ses q ua tuo rs, pa rexemple, sont to ut à fa i t tribut aires de ceux de Beet hoven. L’avan ta ge d u pro-vincialisme de Janáček (sans nuance péjorative), c’est qu’il resta étranger à latradi t ion g ermanique.

Comment cela se traduit-il dansDe la Maison des mort s ?La f igu re de ba se de l ’opéra, c’est l ’ostinat o : Janáček compose un ostinato,

puis un a utre, et ainsi de suite. Il fa ut a lors trouver le l ien e ntre cha q ue o sti-na to af in qu’i ls ne pa raissent pa s juxtapo sés. Lorsq ue la m usique d e Janáček

s’élargit , cet é largissement passe pa r l’ostina to et n on p ar le développement .

Selon quels critères déterminez-vous ce que vous estimez être le t empo  juste?Comme t ou jours à l’opé ra, le premier critè re, c’est le te xte. Je ne conn a is pa s

le tchèq ue, ma is j’ai lu la trad uction a llema nde de Ma x Brod, q ui était de sti-née à être chan tée. Cela ne suffi t cependa nt pa s ca r le plus intéressan t d an s lalangue, ce sont les sonorités. Nous avions pendant les répétitions un coach

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Interview de Pierre Boulez

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pour la langue tchèque, capable de déterminer si la vitesse était trop grande

pour permett re d’a rticuler le te xte. A l ’opéra , c’est le te xte q ui décide d u tem po.A for t io r i chez Janáček, do nt l ’a mbition ét a it de se ra pprocher le plus possiblede la diction pa rlée. Comme po ur Debussy, do nt le style ét ait certes tout à fa itdifférent , ma is l’option identique . Mais je ne dis pa s que Janáček éta it décon-necté de l ’histo ire de la musiq ue : De la Maison des mo rt s est comp osé e n 1925-1928, à une é poq ue o ù le poids des références éta it très importa nt. Y compriscontemporaines : Janáček avai t entendu Wozzeck à Prague et s ’éta i t montréenth ousiaste. Il étai t m ême furieux pa rce q ue l ’œuvre ava it été sifflée, d ’ai lleursnon pa s ta nt à cause de la musiq ue q ue pa r cha uvinisme, Berg éta nt a utrichien.Même un nationaliste comme Janáček trouvait cela stupide. On ne peut direq u e De la Maison d es mo rt s ait été influencé par Wozzeck quant à l ’écriture(sa uf à la rig ueur po ur la scène du somm eil de s prison niers, qu i po urrait rap pe-ler de loin celle du do rtoir de la caserne), ma is certa inement q ua nt à l ’expressi-

vité et au sens drama t ique.

Et l’orchestration?C’est un e musiq ue b rute d e d écoffra ge : primitive, mais au meilleur sens du

terme. Car ce côté b rut n’exclut pa s une f orme de raff inemen t : si cett e musiq ueest na ïve, elle ne l’est q ue fa usseme nt . L’instrume nt a tion e st curieuse, pa rfo ismême somma ire, mais cela répon d pa rfaiteme nt a u propos de Janáček : la ma l-adresse est intentionnelle. Par exemple, lorsqu’il exacerbe les extrêmes de l’or-chestre. Il y a des pa ssa ge s qui fo nt ma joie, comme celui q ui est o rchestré pourtrois piccolos et trois tromb one s, et rien a u milieu! Mais tout comme a vec lesexcentricités de Berlioz, il faut soigner les dosages et les équilibres pour faireressortir ces bizarreries. Comme Berlioz, avec des moyens différents, Janáček

arrive à faire sonner un accord classique de manière étrange, uniquement enmodifiant le dispositif acoustique habituel. Dès lors, l ’accord se rapproche dubruit . Parfo is, l ’orchestre ne joue q u’un ost inato da ns l’aigu des violons, avec deto ut pe ti ts inte rvalles: cela crée comme une b an de passan te, t an dis q ue sur leplatea u, les voix sont sur une tou t a utre long ueur d’ond es.

Propos recueillis par Christian Merlin, Paris, mai2007

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Wiener Festwochen, mai 2007 - Aix-en-Provence, juillet 2007

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Quel chemin vous a conduit dans La M aison des mort s ?L’intérêt q ue présent e cet ouvrag e et le fa i t qu’i l me permett e de collab o-

rer de no uveau a vec Pierre Boulez. Quan d o n m’a proposé ce projet, j’ai ditoui immédiat ement .

Vous connaissiez déjà Les Carn et s de Dostoïevski dont est tiré le livret?Non. J’a i d’ab ord é couté un enreg istrement de l’opéra , puis j’ai lu Les Car - 

nets . Ensuite, mes collaborateurs et moi, nous avons travaillé pour voir oùéta ient les difficultés et les problèmes d’interpréta tion po sés par l ’ouvrag e d eJanáček.

Précisément, on a coutume de dire queDe la Maison d es mort s ne raconte pas d’his-

toire. Or vous avez toujours déclaré que la mise en scène consiste à raconter une his-toire le mieux possible…Mon principal métier, c’est de savoir comment raconter une histoire. Cela

veut d ire s’occuper d es person na g es et d es situa tion s, les rendre lisibles, leurdonner la capacité d’être vrais. Pour cela, il faut pouvoir analyser les difficul-té s d’un t exte. En l’occurrence, conna ître les fo rces et les fa iblesses de s int ui-tions de Janáček, puisq u’il a écrit son livret lui-mêm e. Et po ur ce fa ire, o n d oitretourner sans cesse à Dostoïevski. Il n’y a pratiquement pas une l igne dulivret d e De la Maison d es mo rts q ui soit de Janáček, i l s’ag it d’un collag e t rèsbrutal , naïf par moments. Or la parti t ion est aussi un collage. De sorte quePierre Boulez et moi , nous avions un même problème que nous devionsrésoud re a vec nos moyens propres. Lui devait t rouver un a rc, une l ig ne q uipuisse réunifier ce ma tériau musical hétérog ène et lui do nner d u sens, trou-ver des relations entre les t empi et les divers élémen ts juxta po sés. Moi a ussij’ai dû chercher une l ig ne. Cela m’a permis de répond re à to us ces gens q ui medisaient que De la maison des mo rts éta it un ouvrag e d énué d’«histo ire »: cen’est pa s vrai . Au cont raire, i l y a b ea ucoup d’histo ires da ns cet ouvrag e. Pours’en rendre compte, Dostoïevski aide énormément. Je pense qu’on ne peutpa s mett re en scène les récits de Louka, Skourat ov, Cha pkine e t Chichkov sansrelire les originaux dans le texte de Dostoïevski, la clé est là. Quelquefois,Janáček a t ellement coupé et ra ccourci q u’on en p erd la not ion d e ce que celaracon te , a lors q ue Do stoïevski reste to ujours très clair.

Ces récits, vous les mettez en scène de manière très théâtrale. Au fond, chacun seprésente comme un petit drame…

Chaq ue récit e st un morceau d e vie. Il y a une vie éno rme da ns De la Mai- son des mo rts . Tou s ces dé te nus ne pa rlent q ue d e leur vie.

104

«Dans la brûluredu souveniret du désir»

Int erview de Pat rice Chérea u

Propos recueillis par Alain Perroux

Wiener Festwochen, mai 2007 - Aix-en-Provence, juillet 2007

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Ils la rejouent?Ils la ra cont ent . Et ces cho ses q u’ils ra cont ent , à m on a vis, elles parvien-

nen t à «sort ir»pour la première fo is, com me d a ns une psychan a lyse. PourSkoura to v et Chichkov en t ou t cas, l’enjeu consiste à dire ce qui s’est pa ssé,raison po ur la q uelle ce son t d es récits ma niaq ues de d ét a ils: ils se sou vien-nent de tout. On se trouve face à des morceaux de vies terribles, obses-sion nels, de g ens q ui ne compren nen t pa s ce qu i leur est a rrivé. L’histo irede Chichkov, si pleine d e rebo nd issement s, est a hurissant e. On pe nse q u’ilpar le d’une femme, Akoul ina , mais en réal i té son sujet central es t unhomme, Filka Morosov, qui l’a persécuté sans doute depuis l’école, maisauq uel il devait vouer un e a dmiration fo lle. Dans ces récits, la pa role puise

da ns les tréfon ds du souvenir, el le ref lète une ob session et une souff rance,ma is elle est l ibéra trice. Cela me rappelle évidemment le g rand mon olog uede Wota n da ns La Walk yrie . Les monologues sont parmi les très belleschoses que l ’on est a mené à réaliser sur un plat ea u. C’est po ur moi la chosela plus simple à fa ire, et la plus passionna nte. Et c’est d u t héâ tre, ou i, pa rceq ue q uelqu’un pa rle sur une scène.

Ce sentiment d’uneM aison des mort s très théâtrale provient aussi de la scéno-graphie de Richard Peduzzi. Comme dans votre récentCosì fan tu tt e , on a l’impres-sion de se trouver devant les murs d’une cage de scène, mais en béton coffré cettefois-ci; par ailleurs, vous ouvrez ce décor sur la vraie cage de scène du théâtre, aucours du deuxième acte…

Nous voul ions une prison modulable. Une boî te qui soi t parfois t rèsétroite et t rès long ue, et à d’autres moments t rès carrée et peu profonde.C’est la ra ison pour laq uelle ces murs de b éto n bo uge nt.

Cela peut faire penser à des procédés cinématographiques comme le zoom…Au th éâ tre comme a u cinéma , ma tâ che principale consiste à orienter le

regard, à fa ire en sorte q u’une majorité d e spectateurs regardent au mêmeendroi t et écoutent la même chose. C’est par t icul ièrement intéressantq ua nd i l y a d es actions parallèles et b ea ucoup de mo nde sur un plat ea u,comme c’est le cas ici. Avec une cam éra , les mo yens son t d ifféren ts ma is lebut est le même. Savo ir racon te r une histo ire, c’est d on c pousser les gen s àrega rder da ns la même direction e t à ressentir les mêmes choses, tra cer deslign es de f orce qui font q u’à un mo ment do nné, une scène n’est pas seule-

ment une juxtaposition de moments distincts, mais que chaque élémentcond uit à l’a utre. Or c’est là q ue réside la principale diff iculté a vec Janáček.

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Scène du premier acte,la distri bution de l’eau.Wiener Festwochen 2007.

Toutes les photos du dossier : 

Ros Ribas.

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Dans De la Maison d es mo rts , il y a d es mala dresses parce q ue le compo si-teur a accordé une confiance absolue au texte de Dostoïevski: Janáček

pensait q u’en choisissan t les passag es qu’i l aimait et en les recompo san tda ns un certa in ordre, i l pouvait o bte nir un livret. Le résulta t , c ’est q u’aupremier acte , il y a la d isput e en tre le pet it et le g ran d prison nier, puis l’ar-

rivée de Goryantchikov, puis les prisonniers qui s’occupent de l’aigle, lachanson de Skoura tov , le réc it d e Louka… Comment passer de l ’un àl ’aut re ? Comment a rriver à cet épisod e de l’aigle, par exemple, qui inter-vient sans tran sition ? En l’occurrence, je crois q ue no us avons trou vé unebelle solution : l ’aigle est un jouet fa briq ué pa r un prisonn ier et les prison-niers s’en servent po ur désa mo rcer des mom ent s de crise.

Pierre Strosser, qui a mis en scène De la maison de m orts au Grand Théâtre deGenève, disait que cette pièce réclame un planning de répétitions très particulier.Quel a été le vôtre?

Tou t le mo nd e t out le te mps. Avec Thierry Thieû Nia ng , mo n collabo ra-te ur artistique , nou s a vons com men cé par tra vailler sur le te xte. Puis il fa l-lai t choisir des acteurs pour la pa nto mime du deuxième acte. En juin 2006,nous avons donc organisé de longues improvisations qui ont permis desélect ionner ces comédiens: au bout de hui t jours , nous avions notreéq uipe d’a cteurs et nous étions convaincus qu’i l fa l la it les faire jouer d an sd’autres scènes. Nous avons donc organisé de nouvelles improvisations ennovemb re. De là est née la mise en scène de l’opéra . Les acteurs ont impro-visé sur le t hème de la prison, la nourriture, le troc, le vol… Not re aigle, pa rexemple, est le fruit d ’une improvisat ion du mois de novemb re, et l ’acteurq ui a invent é le ma niement de l’oisea u s’en occupe a ussi da ns le spectaclefina l. Tout cela e st né sans aucune m usiq ue. Puis q ua nd les cha nt eurs sonta rrivés, ils ont répét é a vec les a cteurs. Je sava is q ue je réu ssira is la m ise e nscène si les acteurs, q ui forment un g roupe t rès eng ag é, pouva ient se mêlera ux cha nteurs. Nous avon s réuni do nc qua to rze a cteurs et onz e solistes q ui ,

pend a nt hu it jours, n’on t pa s chant é : tous improvisa ient sur la prison.Chan te urs et a cteurs mêlés, ils ont a ppris à vivre ensemble.

106

Scène de l ’arr ivée de Goryantchikov.

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Vous avez pour ainsi dire recréé le rapport entre les nouveaux prisonniers qui arri-vent dans un bagne où il y a des «anciens»…

Absolument . Et les cha nte urs ont ab sorbé t a nt d e choses des acteurs qu’àla fin, o n ne distingue plus les chan te urs de s acteurs. Tou te l’a ction d u pré-lude provient d’une improvisation que nous avons fai te un mois et demiavant la première: la d istr ibut ion de l ’eau, se mettre en rang … J ’a i orga -nisé ces actions sur la musique, mais le matériel était déjà là. La difficultéconsistait justement à caler cela sur la musique, car une improvisation n’apa s de d urée musica le. Tou s on t f ou rni un tra vail extra ord inaire, à te l pointq u’aujourd’hui, sur le plate au, o n ne voit plus qu’une seule troupe. Et o npeut e n dire auta nt d es choristes.

La musique de Janacek s’avère très expansive, voire envahissante. Le metteur enscène ne se sent-il pas submergé par elle?

En écouta nt les enregistrement s, j’ai eu peur de me retrouver devan t un

mur de musique. Mais avec Boulez, ce n’est jamais le cas. Sa direction estincroya b lement an a ly t iq ue , e l le es t t rès énerg ique san s que la masseorchestrale ne soit intimida nt e. Je suis éb loui par sa ma nière de dirig er. Laq ua li té instrumenta le de l ’œuvre qu’i l met e n éviden ce, on n e l ’ent end pasda ns les enregistrement s, je ne sais pas pourq uoi.

Est-ce que la musique vous aide à trouver certaines solutions scéniques?Oui, to ujours. Le d a ng er, c’est d e l’imiter o u d e l’illustrer. Quelque fo is, il

est inté ressan t d e prend re les événement s à rebo urs. Au premier acte, pa rexemple, un long solo d e violon a ccompa gn e l ’arrivée de Goriant chikov. Orj’ai décidé de faire entrer le personnage après ce solo de violon pendantlequel je fa is ava ncer le Comma nda nt, sugg érant a insi son é ta t d épressif.Que faire aussi du gigantesque fortissimo orchestral de la fin du premieracte, q uand Louka ra conte sa punit ion ta ndis que réapparaî t Go riant chi-kov, qui vient d’être battu? Voilà typiquement un endroit où Janáček aeff ectué un colla ge un peu na ïf. Du coup j’ai un peu «désaxé »la scène :Goriant chikov arrive au mome nt où l ’histo ire est presq ue f inie et i l longele mur, comme s’il voulait se cacher dan s un trou, d e ho nte . J’ai voulu q uecet te image soi t la moins spectaculaire possible par contraste avec lamusique. Il y a deux ou trois autres idées naïves dans cet opéra, commecelle qui consiste à faire mourir Filka Morosov au moment même où Chi-chkov termine son histo ire. Ça, c’est la seule chose qu e je ne peux pa s a va-ler. Je le met s en scène pa rce q u’il fa ut b ien, ma is je ne pe ux pas y croire.Éviter l’illustration est plus difficile dans la pantomime du deuxième acte,où la musiq ue est imita tive pa r déf inition.

A voir votre mise en scène de cette pantomime, on comprend soudain queDe la 

M aison des morts est un opéra gorgé de désir, comme si cette petite représentationthéâtrale permettait un retour du refoulé…

L’ouvrag e ne pa r le q ue de ça ! Janáček a emprunté l’idée de la représen-ta tion t héâ trale du deuxième a cte à Dostoïevski, ma is c’est lui qui a a jout éla référence à Don Jua n – l’écrivain, lui, ne pa rle q ue d ’un ma ître et de sonvalet. Ici, le ma ître a une histo ire a vec trois fe mme s; p uis il y a l’inverse : lameun ière et ses tro is a ma nt s. Et pu is les q ua tre récits intég rés son t d es his-to ires d’a mo ur, la d ou leur suscitée pa r le d ésir est to ujours là. Le pro blèmemajeur à résoudre dans les prisons, c’est celui du désir physique. D’où lecalendrier des p laymates dans les cel lules , l ’amour fugi t i f pendant lesvisites, le viol , l ’hom osexua li té, la ciga rette, l’alcoo l, la contreba nde … La

prison e st une société complète, pa rallèle, qui ne vit q ue da ns le ma nq ueet le souvenir, dans la brûlure de l’envie et du désir, mais d’un désir brut.

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Interview de Patrice Chéreau

Stefan Margita, scène du récit de Louka.

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Ima g inez ce que cela do it susciter chez ces détenu s de voir une pa nto mime

metta nt en scène Don Jua n et ses conq uêtes !

Avez-vous eu des difficultés à mettre en scène dans une langue que vous ne par-lez pas?

Non, car o n f init pa r sa voir où se trouve le sens. On retient d es mots pa rcœur. J ’a i fa i t le même travai l que les chanteurs qui ne par lent pas letchèq ue : qua nd o n sait où est le sens, on a pprend d eux fois plus. On saitoù se trouve le mot «coute a u », on sait o ù se tro uve le mo t «pleurer », q uirevient 38 fo is. On sait comm ent dire «mère », «père »… Il y a de s mot s qu irevienne nt sa ns cesse, comme des repères : «od pust’i» (pa rdon ne-mo i),«sta rik»(le vieux)…

Comment se passe la collaboration avec Boulez?On tra vaille. Il est ven u dirig er de s répé tition s, il a vu ce q ue je fa isa is et

j’ai vu comment il dirigeait. Donc on s’adapte, on corrige. Lui est allé unpeu dans mon sens, je suis allé dans le sien. Nous n’avons pas de longueconversat ion. Parfo is il me d it : «tel chant eur ma nq ue d e lyrisme, i l faud raitplus de mouvement.»Alors il m’indique les variétés musicales et je leurdonn e un sens théâ tral .

A quel point préméditez-vous vos mises en scène? Autrement dit: comment arri-vez-vous à produire ces images à la fois concrètes et métaphoriques qui n’appar-tiennent qu’à vous? Par exemple la circulation des lunettes de Goriantchikov,qu’Alyeya récupère puis lui rend avant d’apprendre à lire avec lui. Autre exemple:Skouratov racontant son histoire tout en se déshabillant – son récit devient une

vraie «mise à nu»…Tout n’est pa s préméd ité, ce sont des choses q ui appa raissent en t ra-vaillant. Si Skouratov se déshabille, c’est afin de revêtir son costume pourla représenta tion. Ce qui éta it préméd ité, c’éta it d e suivre exactemen t Dos-to ïevski: da ns le roma n, le dét enu q ui racont e l ’histo ire d e Skoura to v esten e ffet celui qui joue le rôle principal a u th éâ tre. Situa tion intéressa nte,car cela d evient pour Skoura to v une do uleur supplémenta ire d e jouer lemeunier, qui est le cocu de l’histoire. En même temps, ce rôle a peut-êtreq uelque chose de l ibéra teur pour lui… Après, le fa i t que Skoura to v perdeson pantalon pendant son récit est arrivé au hasard d’une répétit ion, etnous avon s décidé de le g arde r.

Vous êtes considéré comme un des pères de ce que les Allemands appellent«Regietheater » (théâtre du metteur en scène), mais en réalité vous n’êtes pas dutout un metteur en scène «à concept»…

Je ne sais pa s ce que c’est q u’un «met te ur en scène à concept ». On tra -vaille. On se penche sur un te xte sans idé e précon çue. Je lis da ns certa inescrit iques que je n’ai pas fai t prendre à Goriantchikov le couteau pour sedéfendre dans la prison, ce qui serait prescrit par certaines parti t ions…Mais c’est une indication absolument apocryphe et fausse, Janáček n’ajam ais écrit cela ! Le t exte de De la Maison d es mo rts est très corrompu.Lorsq ue l ’on exam ine le ma nuscrit a uto g raphe, q ue j’ai pu consulter chezUniversa l-Edition , on vo it q ue les a da pta te urs ne l’ont pa s compris. Ils on t,pa r exemple, ét é g ênés par d e vastes si lences entre les phrases cha ntée sdans les scènes du Commandant ou lors de la bagarre entre le peti t et le

grand prisonnier. Ils ont donc rajouté du texte pour que ces plages demutisme soient plus courtes. Or il y a une exige nce inté ressan te da ns l ’écri-

Wiener Festwochen, mai 2007 - Aix-en-Provence, juillet 2007

John Mark Ainsley,

scène du réci tde Skouratov.

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ture originale : ces personn ag es ne parlent pa s volont iers. Cet o péra est trèspassionna nt à mett re en scène, ma is il nécessite un pe u d’intervention d ra-ma turgiq ue. Il comporte des difficultés ou d es malad resses, une na ïveté q uiest extrêmement t ouchan te. Et une invention musicale stupéf ia nte, q ui osede s choses incroya bles.

En définitive, qu’est-ce que raconte De la Maison des mort s ?Beaucoup de choses qui me préoccupent et me tiennent à cœur. Cela

raconte une solitude commune et individuelle, beaucoup d’espoirs impos-sibles. Je ne sa is pa s si c’est une œu vre opt imiste o u pe ssimiste. Sans do ute nil’un ni l’autre. Ce serait sentimental de dire qu’elle est pessimiste. Les genstrouvent q ue mo n specta cle en o ffre une vision noire. Moi, je ne t rouve pas.C’est b ruta l, mais pa s no ir. Ca r on y voit de s g ens q ui vivent , un lieu incroya-blement vivant. Et c’est l’opéra qui veut ça, car la musique elle-même estvivante, elle pousse à l’action, elle va vers la vie. Je m’aperçois aussi qu’on

repère bien les personn ag es da ns le spectacle, et j’en suis heureux. Je ne m’yat ten da is pa s, mais on repère t out le mond e, on voit de s individus, pas unema sse. Ce sont de s solitud es mises ensemb le. Des allia nces, des conf lits, ma isqui débouchent sur des comportements très solitaires et brutaux. La seuledifficulté, c’est q ue la prison de Janáček est un peu ab straite. On se g arga -rise d e la ph rase q u’il a placée en front ispice: «Dan s cha q ue ho mme, un eét incelle d ivine. »Celle-là, je ne l’ai pa s trouvée chez Do stoïevski, et elle nem’intéresse pas beaucoup. Mais je comprends ce que Janáček veut dire.C’était aussi mon devoir de les aimer tous, ces gens-là.

N’est-ce pas le premier devoir du metteur en scène envers ses personnages?Oui, to ujours. Mêm e les plus gran ds criminels, o n d oit les aimer. Forcé-

ment .Propos recueillis par Alain Perroux, Vienne, mai 2007

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Scène de l ’acte I I , l a bénédict ion par le Pope.

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