nathan

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29 FéVRIER 11 LA VIE PROTESTANTE Chrétiens autour du monde Religion Clément Girardot L’ Ouganda est un pays très chrétien où chaque hameau, même perdu dans la montagne, possède son ou ses églises. Dans ce pays de 30 millions d’habitants, situé entre le Kenya et le Congo, 85% de la population est chrétienne, principalement catholique ou anglicane. Les musulmans forment la principale minorité reli- gieuse, suivie par la communauté hindoue et les animistes. Mais comme le souligne Ahumuza, étudiant de 23 ans à l’Université chrétienne de l’Ouganda, le christianisme ougandais est syncrétique : « Le dimanche on prie à l’église, le samedi on va chez le chaman et le vendredi soir est dédié au dieu de la bière et de la fête ». Rien de bien étonnant, donc, que de voir se cô- toyer dans les rues de la capitale Kampala des vendeurs de bibles et de tabloïds dont le racolage et l’indécence peuvent se classer hors catégorie, loin devant The Sun ou Bild. Nathan Ngoli, 29 ans et père d’un enfant, est journaliste depuis quatre ans pour le Red Pepper (le Piment Rouge), principal tabloïd d’Ouganda. « Sexe, choc, scandale et crime », voilà le menu quotidien des milliers d’aficionados du titre à la réputation sulfureuse. Aucun détail n’est tabou « Tout ce dont rêvent les hommes c’est d’une belle femme », aurait dit l’un des directeurs du journal lors d’une réunion pour justifier le nombre de filles nues qui peuplent les pages. « Le deuxième besoin de l’homme après la nourriture, c’est le sexe », affirme pour sa part Nathan. Comme n’importe quel journaliste, il passe sa journée à « enquêter, à appeler ses sources pour vérifier des rumeurs ou à collecter des preuves ». Sauf qu’il écrit sur la vie privée et les scan- dales sexuels des personnalités ou même des citoyens lambda. « Nous combattons le crime et l’immoralité ! », tente-t-il de me convaincre. Lorsque je l’ai rencontré, il était sur une banale affaire d’adultère dans une petite ville : « On veut connaître tous les détails, quand, comment, pourquoi, où, combien de fois, avec ou sans préservatif, etc. ». Quand il s’agit de boulot, pas de tabous, il met de côté la morale chrétienne de son éducation. Bien sûr, il a beaucoup plus d’ennemis que d’amis, mais ce travail lui plaît malgré les risques. Il reçoit régulièrement des menaces de mort qu’il prend avec philosophie : « Celui qui veut vraiment te tuer, il ne te menace pas, il te tue directement ». Il évite tout de même certains lieux la nuit et des restaurants où il pourrait être empoisonné. Prier et enquêter en même temps L’Eglise est un des plus farouches ennemis du Red Pepper. Voici quelques temps, ils ont publié un article sur les mœurs peu chrétiennes d’un pasteur très célèbre. « Ensuite, des gens sont ve- nus brûler notre bureau principal, ils ont aussi fait un autodafé avec nos journaux », raconte Nathan. Pourtant, le journaliste se dit être un bon chré- tien, un croyant et un pratiquant. Il va souvent à l’église, accessoirement aussi pour des raisons professionnelles : « En allant à l’église, on est sûr de trouver des histoires croustillantes ! ». Le vendredi, alors qu’il est protestant, il va prier de temps à autres avec ses frères musulmans, plus par conscience professionnelle que par es- prit d’œcuménisme. Toutefois, « Il est plus dur de prendre des photos dans les mosquées », regrette- t-il. Après plusieurs années d’exercice du métier, il tire un bilan positif : « Aujourd’hui en Ouganda, les gens font plus attention à leur comportement. Avant, c’était vraiment n’importe quoi ! » Nathan, un chrétien atypique en Ouganda Les extrêmes cohabitent en Ouganda. La plus grande ferveur chrétienne n’empêche pas l’existence de pratiques violentes de sorcellerie. Dans les rues aussi, la Bible se vend à côté des tabloïds les plus outrageux. Nathan Ngoli, reporter dans le plus célèbre journal à sensation du pays, rassemble ces contradictions mais les vit sans aucun complexe. s Nathan Ngoli, reporter. Cément Girardot

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février 11 LA VIE PROTESTANTE

Chrétiens autour du monde ≤ Religion

Clément Girardot

L’Ouganda est un pays très chrétien où chaque hameau, même perdu dans la montagne, possède son ou ses églises. Dans ce pays de 30 millions d’habitants, situé entre le Kenya et

le Congo, 85% de la population est chrétienne, principalement catholique ou anglicane. Les musulmans forment la principale minorité reli-gieuse, suivie par la communauté hindoue et les animistes. Mais comme le souligne Ahumuza, étudiant de 23 ans à l’Université chrétienne de l’Ouganda, le christianisme ougandais est syncrétique : « Le dimanche on prie à l’église, le samedi on va chez le chaman et le vendredi soir est dédié au dieu de la bière et de la fête ». Rien de bien étonnant, donc, que de voir se cô-toyer dans les rues de la capitale Kampala des vendeurs de bibles et de tabloïds dont le racolage et l’indécence peuvent se classer hors catégorie, loin devant The Sun ou Bild.

Nathan Ngoli, 29 ans et père d’un enfant, est journaliste depuis quatre ans pour le Red Pepper (le Piment Rouge), principal tabloïd d’Ouganda. « Sexe, choc, scandale et crime », voilà le menu quotidien des milliers d’aficionados du titre à la réputation sulfureuse.

Aucundétailn’esttabou« Tout ce dont rêvent les hommes c’est d’une belle femme », aurait dit l’un des directeurs du journal lors d’une réunion pour justifier le nombre de filles nues qui peuplent les pages. « Le deuxième besoin de l’homme après la nourriture, c’est le sexe », affirme pour sa part Nathan. Comme n’importe quel journaliste, il passe sa journée à « enquêter, à appeler ses sources pour vérifier des rumeurs ou à collecter des preuves ».

Sauf qu’il écrit sur la vie privée et les scan-dales sexuels des personnalités ou même des citoyens lambda. « Nous combattons le crime et l’immoralité ! », tente-t-il de me convaincre. Lorsque je l’ai rencontré, il était sur une banale affaire d’adultère dans une petite ville : « On veut connaître tous les détails, quand, comment, pourquoi, où, combien de fois, avec ou sans préservatif, etc. ». Quand il s’agit de boulot, pas de tabous, il met de côté la morale chrétienne de son éducation.Bien sûr, il a beaucoup plus d’ennemis que d’amis, mais ce travail lui plaît malgré les risques. Il reçoit régulièrement des menaces de mort qu’il prend avec philosophie : « Celui qui veut vraiment te tuer, il ne te menace pas, il te tue directement ». Il évite tout de même certains lieux la nuit et des restaurants où il pourrait être empoisonné.

PrieretenquêterenmêmetempsL’Eglise est un des plus farouches ennemis du Red Pepper. Voici quelques temps, ils ont publié un article sur les mœurs peu chrétiennes d’un pasteur très célèbre. « Ensuite, des gens sont ve-nus brûler notre bureau principal, ils ont aussi fait un autodafé avec nos journaux », raconte Nathan. Pourtant, le journaliste se dit être un bon chré-tien, un croyant et un pratiquant. Il va souvent à l’église, accessoirement aussi pour des raisons professionnelles : « En allant à l’église, on est sûr de trouver des histoires croustillantes ! ». Le vendredi, alors qu’il est protestant, il va prier de temps à autres avec ses frères musulmans, plus par conscience professionnelle que par es-prit d’œcuménisme. Toutefois, « Il est plus dur de prendre des photos dans les mosquées », regrette-t-il.Après plusieurs années d’exercice du métier, il tire un bilan positif : « Aujourd’hui en Ouganda, les gens font plus attention à leur comportement. Avant, c’était vraiment n’importe quoi ! »

Nathan, un chrétien atypique en OugandaLes extrêmes cohabitent en Ouganda. La plus grande ferveur chrétienne n’empêche pas l’existence de pratiques violentes de sorcellerie. Dans les rues aussi, la Bible se vend à côté des tabloïds les plus outrageux. Nathan Ngoli, reporter dans le plus célèbre journal à sensation du pays, rassemble ces contradictions mais les vit sans aucun complexe.

sNathanNgoli,reporter.

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