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Sylvie Parthenay Techniques d’Écriture LE TEMPS DE LA NARRATION Les repères spatio-temporels (II) INTRODUCTION Pour comprendre ou mettre au point l’organisation temporelle d’un récit, il ne suffit pas seulement de choisir un ou plusieurs temps de conjugaison pour nos verbes. Selon les impératifs de l’histoire, les choix de l’auteur conduisent souvent à « saucissonner » des « portions » séquentielles où l’écriture n’accordera pas la même valeur à une heure d’action endiablée qui va nécessiter un chapitre entier et dix ans de la vie du personnage principal que l’auteur traitera rapidement en deux ou trois pages parce que cette « portion » de la vie du personnage n’a que peu d’intérêt sur le plan dramatique. Pour cela, l’auteur dispose de plusieurs « outils » que cette fiche se propose de recenser pour les plus courants, tout en essayant toujours de relier leur utilisation à la recherche d’un style d’écriture. UNE SERIE D’INDICES L’auteur peut se servir de détails chronologiques permettant de situer dans le temps les différentes actions les unes par rapport aux autres. Je distingue : Le repérage absolu, essentiellement par la date : « Le 14 juillet 2006 naissait ma petite soeur, et pour moi, son petit frère, les ennuis commencèrent ! » Le repérage relatif par rapport au moment où l’on énonce l’action : « Jusqu’à ce jour, elle ne faisait pas attention à son aspect extérieur. Depuis qu’ils se sont rencontrés, elle ne sait que faire pour lui plaire au point de vouloir se transformer en top model : cures d’amaigrissement sauvages, soins du visage, etc. »

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Conseils d'écriture : le temps de la narration (Partie 2)

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LE TEMPS DE LA NARRATION

Les repères spatio -temporels

(II)

INTRODUCTION

Pour comprendre ou mettre au point l’organisation temporelle d’un récit, il ne

suffit pas seulement de choisir un ou plusieurs temps de conjugaison pour nos verbes. Selon les impératifs de l’histoire, les choix de l’auteur conduisent souvent à « saucissonner » des « portions » séquentielles où l’écriture n’accordera pas la même valeur à une heure d’action endiablée qui va nécessiter un chapitre entier et dix ans de la vie du personnage principal que l’auteur traitera rapidement en deux ou trois pages parce que cette « portion » de la vie du personnage n’a que peu d’intérêt sur le plan dramatique.

Pour cela, l’auteur dispose de plusieurs « outils » que cette fiche se propose

de recenser pour les plus courants, tout en essayant toujours de relier leur utilisation à la recherche d’un style d’écriture.

UNE SERIE D’INDICES L’auteur peut se servir de détails chronologiques permettant de situer dans le temps les différentes actions les unes par rapport aux autres. Je distingue :

• Le repérage absolu, essentiellement par la date :

« Le 14 juillet 2006 naissait ma petite sœur, et pour moi, son petit frère, les ennuis commencèrent ! »

• Le repérage relatif par rapport au moment où l’on énonce l’action :

« Jusqu’à ce jour , elle ne faisait pas attention à son aspect extérieur. Depuis qu ’ils se sont rencontrés, elle ne sait que faire pour lui plaire au point de vouloir se transformer en top model : cures d’amaigrissement sauvages, soins du visage, etc. »

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• Les groupes nominaux : le lendemain matin, dimanche, au bout d’un mois,

etc.

• Les adverbes, les prépositions, les conjonctions de temps :

« Cette salle, entièrement boisée, fut jadis peinte en une couleur indistincte aujourd’hui, qui forme un fond sur lequel la crasse a imprimé ses couches de manière à y dessiner des figures bizarres… »

Le Père Goriot – Balzac

Les adverbes de temps Hier, … (date) Longtemps, … (durée) Rarement, … (fréquence) Les prépositions et les conjonctions de subordination Après, depuis que, … (antériorité) Pendant, pendant que, … (simultanéité) Avant, avant que, … (postériorité) Dès que, …. (début) Chaque fois que, … (fréquence).

• Les périphrases verbales : (cf. mode verbal et mode aspectuel dans la fiche « Le temps de la narration 1 »)

Aller : valeur de futur « Nous allons nous en occuper. » Venir de : passé proche « Il venait de fermer la porte quand le téléphone sonna. » Etre sur le point de : imminence « Il était sur le point de partir quand le téléphone sonna. »

• Les périphrases aspectuelles : (cf. mode verbal et mode aspectuel dans la

fiche « Le temps de la narration 1 »)

Aspect inchoactif : se mettre à « Il se mit à vomir quand il compris ce qui l’attendait. » Aspect progressif : être en train de « Il était en train de manger. Il avalait la nourriture sans précipitation mais sans lenteur non plus. » Aspect terminatif : finir de « Je finis d’écrire ma lettre et je viens ! »

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Aspect duratif : ne pas arrêter de – continuer à « Depuis qu’il est mort, elle n’arrête pas de pleurer. » « Depuis l’enterrement, elle continue de fleurir sa tombe toutes les semaines. »

• Les notations atmosphériques ou saisonnières. C’est une petite astuce pour varier la façon de situer la scène dans le temps. Plutôt que de dire que l’action se situe en été, on peut dire : « Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert. »

Bouvard et Pécuchet, Flaubert

LE TEMPS DE LA NARRATION Pour mémoire, la narration ultérieure et la narration simultanée ont été traitées dans la fiche « Le temps de la narration (I). » Rappel : une histoire peut être racontée au passé, au présent ou au futur. La narration au futur ou narration antérieure est relativement rare. Cependant elle ne saurait être évincée car, sur le plan littéraire et plus particulièrement concernant la maîtrise du temps, elle peut être une solution pour l’écrivain, pour des cas très particuliers.

La narration antérieure Le narrateur raconte sous forme d’anticipation ce qui va se passer dans un

avenir plus ou moins lointain. La narration antérieure est utilisée généralement dans un fragment de récit

plutôt que dans sa totalité. Ce peut être une bonne solution quand l’auteur souhaite exprimer un rêve ou une prophétie.

La narration antérieure correspond donc plutôt à un récit de type prédictif

conduit au futur ou au présent. Elle peut servir par exemple, dans des textes de Science-Fiction ou de Fantastique, notamment pour écrire des textes à vocation « apocalyptique », à des visions du personnage, etc.

Autre utilisation à nature prédictive, dans l’exemple ci-dessous : ici, la

narration antérieure me semble aussi avoir une valeur de mise en accusation : « Pourquoi aussi attendre ce qui n’a pas de raison de venir ? Pourquoi

chercher à la convaincre ? Qu’est-ce que vous allez l’embêter avec vos histoires ?

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Bientôt vous travaillerez sans son regard, vous pour rez la faire entrer dans vos livres quand vous la teniez à l’écart de vos manœuvr es par crainte d’affronter sa réaction. Sans risque qu’elle vous contredise ou vous fasse la tête. Car bientôt elle ne lira plus vos lignes, la petite sil houette blafarde qui se vide inexorablement de son sang. »

Pour vos cadeaux, Jean Rouaud La narration intercalé e Autre effet narratif qui peut être utile pour l’écrivain, toujours dans un cadre

particulier : la narration intercalée. Ici la narration est intercalée entre les événements comme si le récit était composé en plusieurs fois, par étape.

C’est le cas typique du roman épistolaire , c’est-à-dire sous forme de lettres

successives entre plusieurs personnages : « Les liaisons dangereuses » de Laclos par exemple. Le style du roman épistolaire peut être revisité par une écriture contemporaine…

Cette possibilité narrative permet de donner deux points de vue différents pour

une même action, par exemple avec deux témoignages écrits de deux protagonistes pour une même scène. C’est le cas typique d’une enquête de police où l’inspecteur pourrait donner à lire ces deux témoignages totalement contradictoires dans un polar….

Voici deux façons « intelligentes » d’utiliser un type de narration en fonction de

ses besoins en écriture et en fonction des besoins de l’histoire que l’on se propose d’écrire.

NOTA : ce sont ces subtilités de ton, de sens, de choix de l’auteur qui façonne

un style littéraire personnel…

L’ORDRE DE LA NARRATION

• Le récit linéaire : quand il se déroule dans un ordre chronologique c’est-à-dire que les actions sont rapportées au fur et à mesure de leur déroulement.

Le schéma narratif est alors linéaire : Situation initiale moment 1 Elément perturbateur moment 2 Péripéties moment 3 Résolution du conflit moment 4 Situation finale moment 5

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• Les modifications de la chronologie :

Le narrateur peut choisir d’introduire des ruptures temporelles ou anachronies dans le récit, c’est-à-dire de ne pas respecter la chronologie en bouleversant le déroulement linéaire par des retours en arrière, des anticipations, etc.

Le retour en arrièr e : un fait antérieur au récit est raconté ou FLASH -BACK OU ANALEPSE Exemple : Le narrateur a besoin de rappeler un fait passé pour expliquer le

comportement d’un personnage. Le souvenir d’un personnage qui se remémore une situation passée. L’auteur désire créer une situation de suspense : il peut commencer l’histoire

par le résultat des actions qu’il va raconter : l’explosion d’une bombe terroriste ou son héros en train de mourir, puis il raconte le pourquoi de cette situation finale en remontant dans le temps, dans la chronologie. Ce procédé est fréquemment utilisé dans les romans policiers.

Les retours en arrière peuvent couvrir une durée plus ou moins longue. Il se

signale par un avertissement du narrateur, comme un indice de temps ou un terme appartenant au vocabulaire du souvenir.

Le flash-back a essentiellement deux valeurs :

o Une valeur explicative : Il éclaire le lecteur sur l’histoire et comble des lacunes d’un récit.

o Une valeur de rappel : Notamment quand l’évènement rapporté est amené par le souvenir.

La notion de suspense générée par le flash -back est une variation de la valeur explicative du retour en arrière. Comment insérer un flash-back dans un récit ? Le plus simple est une phrase de transition qui permet de faire appel au

passé, soit parce que l’un des personnages fait appel à sa mémoire : « Je me souviens…. » soit parce que le passé s’impose à lui, par des effets comme la réminiscence olfactive, par exemple, l’odeur d’un parfum qui renvoie à une situation antérieure, une femme qui portait ce parfum des années auparavant, etc. Procédé rendu célèbre par Proust.

Une phrase de conclusion peut ramener le lecteur dans la chronologie initiale du récit : « Mais aujourd’hui, je suis de retour chez moi. Après ce long périple, je retrouve avec joie ma maison…. »

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L’anticipation Est un fait postérieur aux événements relatés. Le narrateur omniscient (voir

fiche pratique concernant la focalisation, le narrateur et les points de vue) donne au lecteur des informations que les personnages de l’histoire ne connaissent pas.

Exemple : « Sophie venait de dire « oui » devant monsieur le Maire. Elle ne savait pas encore que le plus beau jour de sa vie, ce « oui » prononcé, signaient son arrêt de mort » L’anticipation peut également, dans la bouche d’un des personnages, devenir

une sorte de prophétie et le faire ainsi jouer le rôle de l’oiseau de mauvaise augure, toujours dans l’optique, pour l’auteur, de ménager le suspense et entretenir la curiosité du lecteur. Ici, on a envie de savoir quelle relation bizarre relie le mariage de Sophie et le fait qu’elle est en danger de mort…

Elle peut consister également à interrompre la narration pour évoquer un

événement devant se produire plus tard. Introduite par une formule du type « comme on le verra plus tard » et par un indice de temps, elle a ici une valeur d’annonce et crée un effet d’écho.

Exemple : « C’est peu de temps après cet incident que se produisit le premier de ces mystérieux évènements qui devaient finalement nous délivrer de la présence du capitaine, mais non pas, comme vous le verrez, de ses affaires. »

L’Ile au Trésor, Robert Louis Stevenson Ici, l’auteur projette le lecteur dans la suite du roman pour maintenir la curiosité du lecteur. Mais ici, la valeur de suspense est diluée, car on sait vraiment ce qui va se passer… Dans l’exemple de Sophie, le malaise suscité par la juxtaposition temporelle d’un temps présent heureux mais responsable d’un temps futur horrible, me semble un suspense plus vif souligné par la curiosité entretenue du désir de comprendre le « comment » de cette situation.

LE RYTHME DE LA NARRATION

Chaque histoire possède une durée en temps réel mais le romancier peut matériellement ne pas rendre compte de cette durée. Il s’arrête sur des moments précis et passe sous silence des périodes entières définissant ainsi « Le rythme de la narration. » Il existe plusieurs manières pour moduler ce rythme.

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La pause Au temps du discours ne correspond aucun temps fictionnel : c’est le cas de la

description statique ! (Voir fiche pratique concernant les descriptions) Elle correspond à un ralentissement du rythme de la narration. L’auteur peut

aussi faire une pause dans la narration en donnant un commentaire ou des paroles rapportées.

La pause peut avoir différentes valeurs : explicative, poétique, pathétique… Exemple : « Quand nous fûmes à l’entrée du vallon de la rivière des Lataniers, des noirs

nous dirent que la mer jetait beaucoup de débris du vaisseau dans la baie vis- à-vis. Nous y descendîmes ; et un des premiers objets que j’aperçus sur le rivage fut le corps de Virginie. Elle était à moitié couverte de sable, dans l’attitude où nous l’avions vue périr. Ses traits n’étaient point sensiblement altérés. Ses yeux étaient fermés ; mais la sérénité était encore sur son front. »

Paul et Virginie, Bernardin de Saint -Pierre

Ici, le narrateur interrompt le cours de son récit pour décrire Virginie dont le corps vient d’être retrouvé à la suite d’un naufrage. La description a une valeur pathétique. L’ellipse

o Le narrateur passe sous silence certains événements. C’est une ellipse narrative .

o Le récit fait un saut dans le temps. C’est une ellipse temporelle.

L’ellipse produit différents effets : pour le rythme, elle donne un mouvement d’accélération de la narration. Sur le plan dramatique, elle peut renvoyer à deux traitements différents : Elle suggère que la période « mise en ellipse » est sans intérêt, c’est pour cela qu’on ne la traite pas. OU BIEN Elle suggère au contraire que cette période est très importante et que le narrateur la développera plus loin dans le récit pour produire un effet dramatique puissant.

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Le résumé Le résumé accélère le rythme de la narration. Il résume brièvement toute une période sans contenu dramatique véritable. Il a souvent une fonction d’attente et peut servir de transition entre deux scènes. Il peut également servir dans les fins de romans. La dilatation La dilatation consiste à étirer le temps réel comme dans un ralenti cinématographique. C’est le contraire de l’ellipse. Le narrateur l’utilise quand il veut s’attarder sur un moment clef de l’histoire ou pour susciter des sentiments et des émotions chez le lecteur. Elle peut aussi être mise à profit pour des cas particuliers, c’est un choix de narration qui peut rendre la vision d’un personnage qui est sous l’emprise de la drogue par exemple ou la narration d’un rêve. La scène Temps fort à valeur dramatique, la scène développe un épisode particulier de l’histoire et ralentit nécessairement le rythme de la narration. Elle permet au lecteur de se concentrer entre autre sur la psychologie du personnage ou sur un événement clef de l’action. Nota : la scène sous-tend le dialogue. Je trouve que le dialogue dynamise la scène, alors même que celle-ci ralentit nécessairement la narration. Je trouve les scènes uniquement descriptives « rasantes ». C’est du moins mon avis personnel. Pour les dialogues (qui constituent un trésor de nuances à apporter à la narration) : voir fiche pratique.