N°59 Novembre 2014 - Cour de cassationLe droit au bénéfice de l’indemnité de clientèle...

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N°59 Novembre 2014

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SOMMAIRE A - CONTRAT DE TRAVAIL, ORGANISATION ET EXÉCUTION DU TRAVAIL

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B - DURÉE DU TRAVAIL ET RÉMUNÉRATIONS

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D - ACCORDS COLLECTIFS ET CONFLITS COLLECTIFS DU TRAVAIL

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E - REPRÉSENTATION DU PERSONNEL ET ELECTIONS PROFESSIONNELLES

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F - RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

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G - ACTIONS EN JUSTICE

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A - CONTRAT DE TRAVAIL, ORGANISATION ET EXÉCUTION DU TRAVAIL

1. Emploi et formation

*Période d’essai

Sommaire

Selon l’article L. 1221-25, alinéa 6, du code du travail, la période d’essai, renouvellement inclus, ne peut être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance.

Il en résulte qu’en cas de rupture pendant la période d’essai, le contrat prend fin au terme du délai de prévenance s’il est exécuté et au plus tard à l’expiration de la période d’essai. La poursuite de la relation de travail au-delà du terme de l’essai donne naissance à un nouveau contrat de travail à durée indéterminée qui ne peut être rompu à l’initiative de l’employeur que par un licenciement.

Doit en conséquence être cassé l’arrêt qui, pour débouter le salarié de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail, retient que celui-ci a été valablement rompu pendant la période d’essai et que le salarié a bénéficié du délai de prévenance auquel il avait droit, alors qu’il résultait de ses constatations que la relation de travail s’était poursuivie au-delà du terme de l’essai pour permettre l’exécution du délai de prévenance.

Soc., 5 novembre 2014 Cassation partielle

Arrêt n° 1932 FS-P+B

N° 13-18.114 - C.A. Metz, 26 mars 2013

M. Frouin, Pt.- Mme Mariette, Rap. - M. Liffran, Av. gén.

2 - Droits et obligations des parties au contrat de travail

*Pouvoir de direction de l’employeur

Sommaire

Le contrôle de l’activité d’un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l’entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l’absence d’information préalable du salarié, un mode de preuve illicite.

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Soc, 5 novembre 2014 Rejet

Arrêt n° 1987 FS-P+B

N° 13-18.427 - C.A. Versailles, 28 mars 2013

M. Frouin, Pt - M. Contamine, Rap. - M. Richard de la Tour, Av. Gén.

3 - Modification dans la situation juridique de l'employeur

*Redressement et liquidation judiciaires

Sommaire

Les actes juridiques accomplis par le débiteur au cours de la période d’observation du redressement judiciaire ne sont pas frappés de nullité mais simplement d’inopposabilité à la procédure collective et l’employeur qui succède à l’employeur en redressement judiciaire, ne peut opposer au salarié la méconnaissance de la règle du dessaisissement.

Viole dès lors les dispositions de l’article L. 621-23 du code de commerce alors en vigueur, la cour d’appel qui rejette la demande en paiement d’une indemnité contractuelle consentie au salarié par l’employeur en redressement judiciaire en vertu d’une clause de son contrat de travail, alors que cette clause devait recevoir application sous réserve du pouvoir du juge de réduire, même d’office, le montant de l’indemnité prévue s’il présentait un caractère manifestement excessif.

Soc, 5 novembre 2014 Cassation partielle

Arrêt n° 1982 FS-P+B

N° 13-19.662 - C.A. Paris, 17 avril 2013

M. Frouin, Pt. - M. Chauvet, Rap. - M. Richard de la Tour, Av. Gén.

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5. Statuts particuliers

*Sportifs professionnels

Sommaire

L'article 265 de la charte du football professionnel, qui a valeur de convention collective, ne permet pas la rupture de contrat à durée déterminée d'un joueur professionnel en raison de son absence aux entraînements, dès lors que les dispositions spéciales de l'article 607 de la même charte ne prévoient pas la rupture du contrat parmi les sanctions applicables.

Soc., 5 novembre 2014 Rejet

Arrêt n° 1934 FS-P+B

N° 12-23.135 - C.A. Amiens, 30 mai 2012

M. Frouin, Pt. - M. Flores, Rap. -M. Liffran, Av. Gén.

Note

Un footballeur avait été engagé en qualité de joueur professionnel par contrat de travail à durée déterminée pour une durée de deux ans. Après renouvellement du contrat, les relations s’étaient dégradées entre les parties et à partir du 4 juillet 2008, le salarié avait cessé de paraître à l’entraînement. Le club avait obtenu de la commission juridique de la Ligue de football professionnel la suspension provisoire des effets du contrat rétroactivement à compter du 3 juillet 2008. Après échec de la tentative de conciliation devant la commission juridique de la Ligue, le club a procédé au « licenciement » du joueur pour faute grave. Alors que le conseil de prud’hommes avait déclaré fondé le licenciement, la cour d’appel a jugé que la rupture anticipée du contrat n’était pas justifiée par une faute grave. Constatant que le seul motif évoqué dans la lettre résidait dans l’absence du joueur aux entraînements depuis le 4 juillet 2008, elle a relevé qu’aux termes de l’article 607 de la charte du football professionnel, le licenciement ne figurait pas parmi les sanctions disciplinaires pouvant être prononcées en cas d’absence de joueur. Cette décision est approuvée par la Cour de cassation.

La chambre sociale reconnaît de longue date à la charte du football professionnel la valeur de convention collective (Soc., 23 mars 1999, pourvoi n° 96-40.181, Bull. 1999, V, n° 136), ce qui implique qu’elle ne peut déroger aux dispositions d’ordre public du code du travail que dans un sens plus favorable au salarié (Soc., 1er février 2000, pourvoi n° 97-44.100, Bull. 2000, V, n° 47). Or il est constant que les partenaires sociaux, via la convention collective, ou l’employeur, via le règlement intérieur, peuvent encadrer l’exercice du pouvoir disciplinaire et limiter les sanctions applicables.

Ainsi, en cas d’absence du salarié, dès lors que le règlement intérieur de l'entreprise prévoit que les absences injustifiées ne donneront lieu, pour la première fois, qu' à un avertissement sans sanction et que le "renvoi avec préavis" ne pourra être décidé qu'au quatrième avertissement, une cour d'appel ne peut retenir l'existence d'une seule absence sans autorisation pour caractériser l'existence

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d'une cause réelle et sérieuse (Soc., 13 octobre 1993, pourvoi n° 92-40.474, Bull. 1993, V, n° 231). La jurisprudence énonce dans le même sens que « les conventions et accords collectifs de travail peuvent limiter les possibilités de licenciement aux causes et conditions qu'ils déterminent et qui ne rendent pas impossible toute rupture du contrat de travail » (Soc., 3 décembre 2002, pourvoi n° 00-46.055, Bull. 2002, V, n° 362). La convention collective peut donc subordonner le licenciement au prononcé de précédentes sanctions disciplinaires (Soc., 30 juin 2004, pourvoi n° 02-41.993, Bull. 2004, V, n° 184).

En l’espèce, l’employeur faisait valoir que l’article 265 de la charte prévoyant expressément la possibilité de la rupture du contrat, laquelle ne pouvait procéder d’une action en résiliation judiciaire prohibée par le code du travail s’agissant d’un contrat à durée déterminée, il convenait de comprendre l’article 607 comme fixant une sanction des échelles a minima devant figurer dans le règlement intérieur. Par ailleurs, il soutenait que le fait que l’article 607 ne mentionne pas le licenciement parmi les sanctions applicables en cas d’absence ne signifiait pas que la rupture ne repose pas sur une cause grave.

La chambre sociale confirme que le contrat en question ne pouvait être rompu que pour faute grave : l’article 265 précité, selon lequel « Le contrat de joueur s’exécute conformément aux dispositions du code du travail. Il n’est pas résolu de plein droit si l’une des parties ne satisfait pas à son engagement. Conformément aux dispositions du code du travail, la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible ou de demander la résolution avec dommages et intérêts » ne permet pas de s’abstraire des règles applicables au contrat à durée déterminée. Cependant, ainsi que l’avaient relevé les juges d’appel, l’article 607 fixait de la manière suivante l’échelle des sanctions en cas d’absence aux entraînements : « 1. Absence non motivée à la date de reprise de l’entraînement : – réduction de 1/30e du salaire fixe mensuel par jour de retard. Au bout de dix jours, si le joueur ne s’est pas mis à la disposition de son club, celui-ci pourra demander la suspension des effets du contrat à la commission juridique. 2. Absence aux autres entraînements sans motif valable, ainsi qu’à toute convocation officielle telle que conférence technique, visite médicale, séance de soins, etc. : – réduction de 1/30e du salaire fixe mensuel par jour d’absence. »

Il résulte de cette norme négociée que seule une réduction de salaire s’applique en cas d’absence injustifiée à l’entraînement du footballeur professionnel, de sorte que ce fait fautif ne peut venir justifier un licenciement.

* Voyageur, représentant, placier (VRP)

Sommaire

Le droit au bénéfice de l’indemnité de clientèle prévue par l’article L. 751-9, devenu L. 7313-13 du code du travail, n’est pas subordonné au fait que l’inaptitude invoquée comme motif de licenciement corresponde à une incapacité permanente totale de travail.

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Soc., 19 novembre 2014 Rejet

Arrêt n° 2053 FS - P+B

N° 13-15.775 - C.A. Paris, 14 février 2013

M. Frouin, Pt.- Mme Ducloz, Rap. - M. Aldigé, Av. gén.

B - DURÉE DU TRAVAIL ET RÉMUNÉRATIONS

1- Durée du travail, repos et congés

*Convention de forfait par jours

Sommaire

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Les dispositions de la convention collective nationale du notariat n'étant pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, est nulle la convention individuelle de forfait en jours conclue avec le salarié.

Soc, 13 novembre 2014 Cassation partielle

Arrêt n° 2073 FS-P+B

N° 13-14.206 - C.A. Paris, 15 janvier 2013

M. Frouin, Pt - Mme Ducloz, Rap. - M. Liffran, Av. Gén.

Note

En l’espèce, un salarié avait été engagé en qualité de notaire assistant par une société civile professionnelle dont l’activité relevait de la convention collective nationale du notariat du 8 juin 2001. En octobre 2001, les parties avaient conclu par voie d’avenant au contrat de travail une convention individuelle de forfait portant sur 215 jours de travail annuel. Contestant la validité de ce forfait au regard des dispositions de l’article L. 3121-45 du code du travail dans sa rédaction alors applicable au litige, le salarié avait saisi le conseil de prud’hommes aux fins, notamment, d’obtenir le paiement d’un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires.

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Par la présente décision, la chambre sociale censure l’arrêt d’appel qui, confirmant le jugement rendu en première instance, avait déclaré valide la convention individuelle de forfait litigieuse. Par un moyen soulevé d’office, elle juge que cette convention aurait dû être déclarée nulle, faute pour la convention collective nationale du notariat de garantir la protection de la sécurité et de la santé du salarié concerné.

Rendu au visa de l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, de l'article L. 212-15-3 devenu L. 3121-45 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, interprété à la lumière de l'article 17, paragraphes 1 et 4 de la Directive 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la Directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l’arrêt ici commenté s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle bien établie.

Depuis 2011, la chambre sociale exerce un contrôle des dispositions conventionnelles relatives aux modalités de suivi de l’amplitude de la journée d’activité et de la charge de travail des salariés soumis au régime du forfait en jours sur l’année. Elle juge depuis lors que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, tant journaliers qu’hebdomadaires, dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n° 09-71.107, Bull. 2011, V, n° 181).

D’une part, la chambre sociale juge que lorsque l’employeur ne respecte pas les stipulations de la convention ou de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, la convention de forfait en jours doit être déclarée privée d’effet (Soc., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-11.940, en cours de publication) en sorte que le salarié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l’existence et le nombre (Soc., 29 juin 2011, précité).

D’autre part, elle juge qu’est entachée de nullité la convention de forfait en jours conclue dans le cadre de stipulations de conventions ou d’accords collectifs ne présentant pas de garanties suffisantes en termes de protection de la sécurité et de la santé du salarié (Soc., 24 avril 2013, pourvoi n° 11-28.398, Bull. 2013, V, n° 117 ; Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 12-35.033, Bull. 2014, V, n° 121). A cet égard, ont été jugées insuffisantes les stipulations de l’accord ARTT pris en application de la convention collective nationale de commerces de gros qui se limitent à prévoir, s’agissant de l’amplitude et de la charge de travail, un entretien annuel du salarié avec son supérieur hiérarchique ; il en est de même pour les stipulations de l’avenant à un accord d’entreprise qui ne prévoient qu’un examen trimestriel par la direction des informations communiquées sur ces points par la hiérarchie (Soc., 26 septembre 2012, pourvoi n° 11-14.540, Bull. 2012, V, n° 250). Ne respectent également pas les principes sus-énoncés les dispositions de l’accord national relatif à la durée du travail dans les entreprises de bâtiment et de travaux publics et les stipulations de l’accord d’entreprise qui, au regard de l’amplitude et de la charge de travail, prévoient seulement qu’il appartient aux salariés de tenir compte des limites journalières et hebdomadaires, d’organiser leurs actions dans ce cadre, et en cas de circonstances particulières d’en référer à leur hiérarchie de rattachement (Soc., 11 juin 2014, pourvoi n° 11-20.985, Bull. 2014, V, n° 137).

L’article 8.4.2. de la convention collective nationale du notariat, objet du présent litige, stipule notamment que dans le cadre de conventions individuelles de forfait en jours, le nombre de jours travaillés ne peut dépasser un plafond de 217 jours, que l’amplitude de la journée d’activité « ne

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doit pas dépasser 10 heures sauf surcharge exceptionnelle de travail », et que « chaque trimestre, chaque salarié concerné effectue un bilan de son temps de travail qu’il communique à l’employeur ». Le texte ajoute que sur ce bilan, le salarié mentionne « le nombre de jours travaillés et le nombre de jours non travaillés, le cumul depuis le début de l’année et le nombre de jours qui ne doivent pas être travaillés pour que le plafond de 217 jours ne soit pas dépassé », et que l’intéressé précise, « le cas échéant, ses heures habituelles d’entrée et de sortie afin que puisse être appréciée l’amplitude habituelle de ses journées de travail et qu’il puisse être remédié aux éventuels excès ».

La chambre sociale juge que de telles dispositions conventionnelles sont insuffisantes à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, en ce qu’elles se limitent à prévoir un plafond pour l’amplitude de sa journée de travail, et la communication à l’employeur d’un bilan trimestriel relatif à son temps de travail. En effet, aucune disposition ne précise les conditions dans lesquelles l’employeur, de sa propre initiative et sans attendre d’être alerté par le salarié, veille à ce que le salarié ne se trouve pas en situation de surcharge de travail. La Haute juridiction maintient ainsi sa jurisprudence, selon laquelle les stipulations conventionnelles ne doivent pas se limiter à un simple rappel de principes, mais doivent organiser un dispositif de contrôle précis de l’amplitude et de la charge de travail, ainsi qu’un suivi régulier par l’employeur de l’organisation du travail de l’intéressé, afin de s’assurer que cette amplitude et cette charge restent raisonnables.

*Heures supplémentaires

Sommaire

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 3122-9 et L. 3122-10 du code du travail dans leur rédaction alors applicable, qu’en l’absence de fixation par l’accord collectif d’un seuil de déclenchement inférieur à 1607 heures, seules les heures effectuées au-delà de ce seuil constituent des heures supplémentaires.

Soc, 13 novembre 2014 Cassation partielle

Arrêt n° 2069 FS-P+B

N° 13-10.721 - C.A. Rennes, 21 novembre 2012

M. Frouin, Pt - Mme Goasguen, Rap. - M. Liffran, Av. Gén.

Note

Un salarié, travaillant au service d’une société de transports en qualité de chauffeur depuis novembre 1998, a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives à l’application de l’accord de réduction du temps de travail, conclu le 10 avril 1997 dans son entreprise dans le cadre de la loi “de Robien” n° 96-502 du 11 juin 1996 “tendant à favoriser l’emploi par l’aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail”. Complété par deux autres accords signés les 14 février 2005 et 5 juillet 2007, le texte conventionnel stipulait, s’agissant de l’horaire collectif, que

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“la durée collective du travail (...) s’établit sans changement et compte tenu de la journée de solidarité dont le régime sera déterminé par entité, à 32 heures 30 centièmes en moyenne hebdomadaire, soit 1470 heures par an (...)”. Le salarié soutenait notamment que la durée de travail conventionnellement fixée à 32 heures 30 en moyenne par semaine devait être considérée comme étant le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, et réclamait en conséquence une majoration des heures de travail comprises entre 32 heures 30 et 35 heures qu’il avait effectuées.

Sa demande n’avait pas prospéré devant les premiers juges, lesquels avaient noté que “l’accord RTT [restait], dans sa partie rédactionnelle, très évasif quant au traitement des heures comprises entre 32 heures 30 et 35 heures”. En revanche, la cour d’appel avait jugé que le décompte des heures supplémentaires devait être effectué au-delà du plafond annuel fixé par l’accord, soit 1470 heures.

La question posée par le présent pourvoi est la suivante : la durée conventionnelle du travail inférieure à la durée légale peut-elle constituer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, lorsque l’accord de réduction du temps de travail ne le stipule pas expressément ?

La notion d’heure supplémentaire s’entend de toute heure de travail effectif accomplie au-delà de la durée légale du travail, fixée par l’article L. 3121-10 du code du travail à 35 heures par semaine civile. La durée collective du travail peut toutefois être fixée à une durée inférieure à la durée légale par application d’une convention ou d’un accord collectif. A cet égard, l’article L. 3122-9 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, disposait en ses deux premiers alinéas : “Une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement peut prévoir que la durée hebdomadaire du travail peut varier sur tout ou partie de l’année à condition que, sur un an, cette durée n’excède pas un plafond de 1607 heures. La convention ou l’accord peut fixer un plafond inférieur”.

L’article L. 3122-10-II du même code, alors applicable, énonçait quant à lui que “Constituent des heures supplémentaires auxquelles s’appliquent les dispositions relatives au décompte et au paiement des heures supplémentaires, au contingent annuel d’heures supplémentaire et au repos compensateur obligatoire : (...) 2° Les heures effectuées au-delà de 1607 heures ou d’un plafond inférieur fixé par la convention ou l’accord (...)”.

Ces articles devaient par la suite être abrogés par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, l’objectif du législateur étant d’instaurer un dispositif unique d’aménagement du temps de travail sur l’année venant se substituer aux dispositifs existants. Cependant, en vertu de l’article 20 V de la loi, restent en vigueur les accords conclus en application de l’article L. 3122-9 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la publication de la loi.

S’il avait été déjà jugé, sur le fondement des dispositions légales précitées, que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires prévu par un accord de modulation ne peut être supérieur au plafond de 1607 heures de travail par an (Soc., 26 septembre 2012, pourvoi n° 11-14.083, Bull. 2012, V, n° 251 ; Soc., 14 novembre 2013, pourvoi nos 11-17.644, Bull. 2013, V, n° 270), on pouvait se demander si, dans le silence de la convention ou de l’accord fixant une durée du travail inférieure à la durée légale, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires peut être assimilé au plafond conventionnel de la durée du travail.

La question n’était pas totalement inédite, la chambre sociale ayant été amenée à se prononcer sur cette difficulté antérieurement à l’entrée en vigueur des lois Aubry I et II. Ainsi, dans un litige opposant une clinique à des agents de santé effectuant la totalité de leur service la nuit, relativement à l’application de protocoles comportant une mesure de réduction du temps de travail pour ces derniers, la chambre sociale a jugé que “le fait de payer, en vertu des protocoles et de l’avenant à la

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convention collective, un travail de nuit de 35 heures hebdomadaires sur la base des 39 heures légales, n’a pas pour effet d’assimiler la durée effective du travail à la durée légale pour le calcul des heures supplémentaires” ; devait ainsi être cassé le jugement qui accordait aux salariés le paiement d’heures supplémentaires pour les heures excédant l’horaire hebdomadaire de 35 heures (Soc., 10 février 1998, pourvoi n° 95-42.334, Bull. 1998, V, n° 75).

L’arrêt rendu par la chambre sociale le 13 novembre 2014 ne remet pas en cause cette solution. Les signataires d’une convention ou d’un accord collectif peuvent, en même temps qu’ils définissent une durée du travail inférieure à la durée légale, déterminer un seuil de déclenchement des heures supplémentaires inférieur au seuil légal de 1607 heures annuelles.

En revanche, en l’absence de stipulation conventionnelle relative aux modalités de rémunération des heures effectuées au-delà de la durée du travail définie par la convention ou l’accord, le seuil légal doit trouver application : plafond conventionnel de la durée du travail et seuil de déclenchement des heures supplémentaires doivent, dans ce second cas, être clairement dissociés.

Devait en conséquence être cassée, au visa des articles L. 3122-9 et L. 3122-10 précités, la décision d’appel qui, nonobstant le silence des dispositions conventionnelles, avait qualifié d’heures supplémentaires les heures effectuées par le salarié au-delà du plafond de 1470 heures annuelles défini par l’accord collectif.

2- Rémunérations

*Salaire (à travail égal, salaire égal)

Sommaire

Si les qualités professionnelles ou la différence de qualité de travail peuvent constituer des motifs objectifs justifiant une différence de traitement entre deux salariés occupant le même emploi, de tels éléments susceptibles de justifier des augmentations de salaires plus importantes ou une progression plus rapide dans la grille indiciaire, pour le salarié plus méritant, ne peuvent justifier une différence de traitement lors de l'embauche, à un moment où l'employeur n'a pas encore pu apprécier les qualités professionnelles.

Soc, 13 novembre 2014 Rejet

Arrêt n° 2072 FS-P+B

Nos 12-20.069 et 13-10.274 - C.A. Toulouse, 29 mars et 8 novembre 2012

M. Frouin, Pt - Mme Mariette, Rap. - M. Liffran, Av. Gén.

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Note

Un salarié avait été engagé en 1981 par une société exerçant une activité de fabrication de turbines à gaz, en qualité d’employé aux écritures. Il avait ensuite bénéficié de promotions successives jusqu’à occuper, à compter de l’année 1993, les fonctions de responsable de zones ventes et marketing, classé cadre, position III A de la convention collective nationale de la métallurgie. Il avait saisi la juridiction prud’homale, faisant valoir que l’un de ses collègues, qui occupait les mêmes fonctions que lui au sein du même service tout en justifiant d’une ancienneté moindre, était classé au niveau III B de la convention collective et percevait une rémunération supérieure de 20% à celle dont il bénéficiait. Il soutenait que cette différence de rémunération avait été pratiquée par l’employeur dès l’embauche de son collègue en 2004.

Le conseil de prud’hommes a jugé que la différence de classification conventionnelle des deux salariés était justifiée de manière objective. A l’inverse, estimant que l’employeur ne justifiait pas la différence de salaire par des éléments concrets et pertinents, les juges d’appel ont ordonné le reclassement du salarié au niveau III B de la convention collective à compter d’avril 2004, et condamné l’employeur à lui verser, outre un rappel de salaire, des dommages-intérêts pour inégalité de traitement.

La question, inédite, posée par le pourvoi était la suivante : un employeur peut-il justifier une différence de traitement entre salariés par une différence de compétences professionnelles ou de qualité de travail, appréciée dès l’embauche du salarié mieux rémunéré ?

Par le présent arrêt, la chambre sociale approuve la cour d’appel d’avoir jugé injustifiée cette disparité de traitement. Si la différence de « qualités professionnelles » ou de « qualité de travail » fourni peut constituer, dans le cours de la carrière, un motif objectif justifiant une différence de traitement entre deux salariés occupant le même emploi, l’employeur ne peut se fonder sur ces éléments pour justifier une différence de traitement « lors de l’embauche » faute d’être en mesure d’apprécier ces qualités à ce stade.

Cette décision s’inscrit dans la jurisprudence relative à l’égalité de traitement développée depuis l’arrêt Ponsolle (Soc., 29 octobre 1996, pourvoi n° 92-43.680, Bull. 1996, V, n° 359). Ce principe interdit à l’employeur d’instituer une différence de rémunération entre ses salariés exerçant un travail égal ou de valeur égale. Les travaux de valeur égale ont été définis par le législateur comme étant ceux “qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse” (article L. 3221-4 du code du travail).

Ainsi, l’employeur ne peut instaurer une différence de rémunération entre salariés occupant le même emploi que si elle repose sur des éléments objectifs et matériellement vérifiables. Il lui appartient alors, dans le cadre du procès prud’homal, de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant la différence de traitement (Soc., 25 mai 2005, pourvoi n° 04-40.169, Bull. 2005, V, n° 178), les juges du fond devant contrôler concrètement la réalité et la pertinence des raisons alléguées (Soc., 21 janvier 2009, pourvoi nos 07-43.452, Bull. 2009, V, n° 15).

A la suite de l’affirmation solennelle du principe d’égalité de traitement, la Cour de cassation a jugé que, s’il résulte d’éléments objectifs communiqués par l’employeur que la disparité de traitement était justifiée par une différence de qualité de travail, les juges d’appel pouvaient à bon droit décider que l’employeur n’était pas tenu d’assurer aux salariés concernés une rémunération identique (Soc., 8 novembre 2005, pourvoi n° 03-46.080). La différence d’expérience et de qualités professionnelles

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appelle la même solution (Soc., 30 juin 2010, pourvoi n° 09-40.811 ; Soc., 16 mars 2011, pourvoi n° 09-42.759).

A l’inverse, l’employeur ne saurait se borner à faire état de qualités et d’un professionnalisme propres à l’un des salariés pour justifier l’inégalité de traitement ; encore faut-il qu’il fournisse au juge des critères objectifs permettant de vérifier la meilleure qualité de travail du salarié qui, à poste identique ainsi qu’à classification et à coefficient égaux, a bénéficié d’une rémunération supérieure (Soc., 10 décembre 2008, pourvoi n° 07-40.911). Enfin, si la différence de qualités professionnelles peut justifier, outre une différence de rémunération, le choix de l’employeur de promouvoir certains salariés par préférence à d’autres, celui-ci devra, en cas de contestation, fournir les critères objectifs qu’il a retenus pour le choix des candidats à la promotion, afin de permettre au juge de vérifier si le salarié non promu ne fait pas l’objet d’une discrimination (Soc., 24 septembre 2014, pourvoi nos 13-10.233, en cours de publication).

*Salaire

Sommaire

Aux termes de l’article R. 1262-8 du code du travail, transposant en droit interne les dispositions de l'article 3 de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, les allocations propres au détachement sont regardées comme faisant partie du salaire minimal à l’exception des sommes versées à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du détachement ainsi que les dépenses engagées par l'employeur du fait du détachement telles que les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture qui en sont exclues et ne peuvent être mises à la charge du salarié détaché.

Il en résulte que les sommes versées chaque mois au titre du détachement étranger, qui ne constituent pas un remboursement de frais par ailleurs pris en charge par l’employeur, doivent être prises en compte pour les comparer au minimum conventionnel applicable.

Soc, 13 novembre 2014 Rejet

Arrêt n° 2074 FS-P+B

N° 13-19.095 - C.A. Riom, 9 avril 2013

M. Frouin, Pt. - Mme Ducloz, Rap. - M. Liffran, Av. Gén.

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D - ACCORDS COLLECTIFS ET CONFLITS COLLECTIFS DU TRAVAIL

1- Accords et conventions collectives

*Champ d’application

Sommaire

L'article 45 de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 disposant que la valeur hiérarchique accordée par leurs signataires aux conventions et accords conclus avant l'entrée en vigueur de cette loi demeure opposable aux accords de niveaux inférieurs, il en résulte qu'un accord collectif d'entreprise, même conclu postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, ne peut déroger par des clauses moins favorables à une convention collective de niveau supérieur conclue antérieurement à cette date à moins que les signataires de cette convention n'en aient disposé autrement.

Doit en conséquence être approuvée la décision qui fait application, non pas des dispositions d'un accord d'entreprise, lequel, conclu postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2004, exigeait du salarié de justifier d'un second logement, mais de celles de l’article 8.10, relatif aux grands déplacements, de la convention collective nationale des ouvriers de travaux publics du 15 mai 1992 lesquelles n'exigeaient pas une telle justification par le salarié dont l'éloignement lui interdit de regagner chaque soir le lieu de résidence.

Soc, 13 novembre 2014 Rejet

Arrêt n° 2070 FS-P+B

N° 13-12.118 - C.A. Lyon, 12 décembre 2012

M. Frouin, Pt - Mme Aubert-Monpeyssen, Rap. - M. Liffran, Av. Gén.

Note

Un salarié avait été engagé par une société exerçant une activité de travaux publics en qualité de maçon coffreur. Son employeur lui ayant appliqué le régime des “petits déplacements”, il a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande tendant à se voir appliquer les dispositions de la convention collective nationale des ouvriers de travaux publics du 15 décembre 1992 concernant les “grands déplacements”.

La juridiction prud’homale a condamné l’employeur à lui verser un différentiel de salaire entre petits et grands déplacements, outre des dommages-intérêts en réparation du préjudice financier résultant du non-respect des dispositions de la convention collective applicable. La cour d’appel a également jugé fondée la demande du salarié et, réformant le jugement déféré, a augmenté le quantum de l’indemnité de grands déplacements et des dommages-intérêts qui lui avaient été alloués. C’est contre cette décision que la société a formé pourvoi.

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L’article 8.10 de la convention collective nationale des ouvriers de travaux publics du 15 décembre 1992 dispose qu’“Est réputé en grand déplacement l’ouvrier qui travaille dans un chantier métropolitain dont l’éloignement lui interdit - compte tenu des moyens de transport en commun utilisables - de regagner chaque soir le lieu de résidence, situé dans la métropole, qu’il a déclaré lors de son embauchage et qui figure sur son bulletin d’embauche”. Dès lors que l’éloignement du chantier répond à cette définition, la situation de grand déplacement est reconnue au salarié (Soc., 18 juin 1997, pourvoi nos 95-42.908) et celui-ci peut prétendre à ce titre à une indemnité de grand déplacement correspondant au coût d’un second logement et aux dépenses supplémentaires, notamment de nourriture, engendrés par cet éloignement (Soc., 24 mars 1999, pourvoi n° 97-40.821).

En l’espèce, la difficulté résultait du fait que la société avait signé avec deux syndicats le 29 décembre 2004 un accord d’entreprise aux termes duquel, pour les déplacements effectués sur une distance comprise entre 50 et 100 kilomètres entre le siège de l’agence régionale et le chantier d’affectation, l’octroi de l’indemnité de grand déplacement était subordonné à la preuve par le salarié des frais de logement exposés sur place.

La question posée par le pourvoi était la suivante : l’employeur pouvait-il se prévaloir d’une stipulation d’un accord d’entreprise dérogeant à une norme conventionnelle supérieure dans un sens moins favorable au salarié ?

La loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social a bouleversé la hiérarchie des normes en admettant le caractère supplétif des dispositions issues des conventions et accords de branche par rapport aux dispositions conventionnelles d’entreprise ou d’établissement. Il résulte désormais des articles L. 2253-1 et suivants du code du travail que les accords d’entreprise ou d’établissement peuvent non seulement comporter des stipulations plus favorables, mais également déroger aux stipulations applicables en vertu d’une convention ou d’un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, « sauf si cette convention ou cet accord en dispose autrement ». La dérogation dans un sens défavorable aux salariés n’est cependant pas envisageable dans quatre domaines intangibles que sont les salaires minima, les classifications, les garanties collectives complémentaires et la mutualisation des fonds de la formation professionnelle. En conséquence et à l’exception de certaines matières, l’accord d’entreprise ou d’établissement peut s’écarter des prescriptions de la convention ou de l’accord de branche, sans être tenu par le principe de faveur.

Le législateur a précisé, s’agissant des conventions et accords de branche conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, que “La valeur hiérarchique accordée par leurs signataires aux conventions et accords conclus avant l’entrée en vigueur de la présente loi demeure opposable aux accords de niveaux inférieurs” (article 45 de la loi précitée).

Le présent litige entrait dans les prévisions de cette disposition, puisque l’accord d’entreprise dérogeait par des clauses moins favorables aux dispositions d’une convention de branche antérieure à ladite loi.

La question de l’articulation entre la convention collective nationale des ouvriers de travaux publics et d’un accord d’entreprise dérogatoire s’est déjà posée en jurisprudence. Dans une affaire où un salarié avait été débouté de sa demande de complément d’indemnité de grands déplacements, dont le montant avait été calculé par l’employeur à partir de barèmes fixés par des accords d’entreprise postérieurs, la chambre sociale avait cassé l’arrêt d’appel au visa de l’article 45 précité : la valeur hiérarchique de la convention collective accordée par leurs signataires aux conventions et accords

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conclus avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 demeurant opposable aux accords de niveaux inférieurs, les juges d’appel auraient dû rechercher “si les barèmes fixés par les accords collectifs d’entreprise au titre des indemnités de grand déplacement répondaient ou non aux exigences de prise en charge des dépenses telles que prévues par l’article 8.11 de la convention collective du 15 décembre 1992" (Soc., 9 mars 2011, pourvoi n° 09-69.647, Bull. 2011, V, n° 73).

Tel est le principe rappelé par la chambre sociale dans le cas d’espèce : en vertu de l’article 45 de la loi précitée, la convention collective nationale des ouvriers de travaux publics conserve une valeur hiérarchique supérieure aux accords conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Dès lors que les signataires de ce texte n’avaient pas énoncé de possibilité de dérogation par des normes de niveau inférieur dans un sens moins favorable aux salariés, l’accord d’entreprise litigieux ne pouvait subordonner le versement de l’indemnité de grand déplacement à une condition ne figurant pas dans la convention collective de rang supérieur.

C’est donc par une exacte interprétation de l’article susvisé que la cour d’appel, faisant application des dispositions de l’article 8.10 de la convention collective et non de celles de l’accord d’entreprise, a jugé que l’indemnisation des grands déplacements consistait en un remboursement forfaitaire, non subordonné à justification par le salarié de frais de second logement.

*Accords collectifs et conventions collectives divers

Sommaire

Constitue un film cinématographique, une œuvre, ayant obtenu le visa d'exploitation au sens de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée et celle, qui n'a pas obtenu ce visa, mais a fait l'objet d'une exploitation cinématographique commerciale significative hors de France.

Soc., 19 novembre 2014 Cassation

Arrêt n° 2050 FS - P+B

N° 13-19.574 – C.A. Paris, 16 avril 2013

M. Frouin, Pt. - M. Mallard, Rap. - M. Aldigé, Av. Gén.

*Avantages individuels acquis

Sommaire

Est un avantage individuel acquis au sens de l’article L. 2261-13 du code du travail, un avantage qui, au jour de la dénonciation de la convention ou de l’accord collectif, procurait au salarié une rémunération ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit déjà ouvert et non simplement éventuel.

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Constitue un tel avantage le maintien de la rémunération du temps de pause dont avaient bénéficié les salariés faisant partie des effectifs au jour de la dénonciation de l’accord collectif qui n’avait pas été suivie d’un accord de substitution.

Soc, 5 novembre 2014 Cassation partielle

Arrêt n° 1930 FS-P+B

N° 13-14.077 - C.A. Rennes, 16 janvier 2013

M. Frouin, Pt. - Mme Aubert-Monpeyssen, Rap. -M. Liffran, Av. Gén.

Note

En application de l’article L. 2261-13, alinéa 1er, du code du travail, la convention ou l’accord collectif qui a été dénoncé mais n’a pas été remplacé par un nouveau texte dans le délai d’un an à compter de l’expiration du préavis, cesse de s’appliquer, sous réserve cependant du maintien des avantages individuels que les salariés des entreprises concernées ont acquis en application du texte dénoncé. A contrario, un avantage qui est de nature collective et non individuelle, résultant de la convention ou de l’accord collectif dénoncé, ne peut être maintenu (Soc., 17 mai 2005, pourvoi n° 02-47.223, Bull. 2005, V, n° 170).

Depuis un arrêt du 13 mars 2001, la Cour de cassation définit l’avantage individuel acquis comme celui qui, «au jour de la dénonciation de la convention ou de l’accord collectif, procurait au salarié une rémunération ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit déjà ouvert et non simplement éventuel » (Soc., 13 mars 2001, pourvoi n° 99-45.651, Bull. 2001, V, n° 90). Mais la distinction entre avantages individuels acquis et avantages collectifs n’est pas toujours aisée. Il en est ainsi de la rémunération des temps de pause dans la mesure où ils procurent un bénéfice personnel mais peuvent avoir également une portée sur l’organisation collective du temps de travail.

Dans la présente affaire, en vertu d’un accord collectif conclu au sein d’une UES, dans le cadre de l’application de la loi dite Aubry I du 13 juin 1998, les salariés étaient rémunérés sur une base de 35h pour 32h30 de travail effectif et 2h30 de pause. Cet accord ayant été dénoncé et aucun accord de substitution n’ayant été conclu à l’issue du délai d’un an prévu par l’article L. 2261-10 du code du travail, les salariés avaient continué à être rémunérés sur une base de 35h, mais pour 35h de travail effectif. Or, selon les salariés, en l’absence d’accord de substitution, l’employeur ne pouvait unilatéralement mettre un terme à la rémunération du temps de pause journalier, qu’ils analysaient en un avantage individuel acquis incorporé au contrat de travail. Plusieurs salariés avaient donc saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la condamnation de l’employeur au paiement d’un rappel de salaire et au rétablissement de la rémunération des temps de pause.

La cour d’appel avait rejeté leurs demandes au motif que le maintien de la rémunération des temps de pause au profit des seuls salariés faisant partie des effectifs au jour de la dénonciation de l’accord était incompatible avec la nouvelle organisation du temps de travail dans les entreprises concernées, puisqu’il impliquerait que ces salariés, pour conserver dans leur globalité leurs avantages antérieurs

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à la dénonciation, comme l’exige le caractère indivisible de l’accord dénoncé, travaillent 30 minutes de moins par jour que le temps de travail fixé par les employeurs.

La question posée à la Cour de cassation était donc de déterminer si le maintien de la rémunération du temps de pause était un avantage individuel acquis ou un avantage collectif.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 2261-10 et L. 2261-13 du code du travail. Elle rappelle tout d’abord la définition d’un avantage individuel acquis posée par l’arrêt précité du 13 mars 2001 puis décide que le maintien de la rémunération du temps de pause constitue pour chacun des salariés faisant partie des effectifs au jour de la dénonciation, non suivie d’un accord de substitution, un avantage individuel acquis.

La chambre sociale avait déjà statué dans ce sens dans une affaire concernant le même employeur mais non publiée (Soc., 16 septembre 2008, pourvoi n° 07-43.580). Cet arrêt peut également être rapproché d’une autre décision par laquelle la Cour de cassation avait jugé que, lorsque la structure de la rémunération a été fixée par un accord dénoncé et non remplacé avant l’expiration du délai de survie, elle constitue un avantage individuel acquis (Soc., 1er juillet 2008, pourvoi n° 06-44.437, Bull. 2008, V, n° 147).

Dans la présente affaire, la motivation adoptée par les juges du fond pouvait sembler s’inscrire dans la lignée d’un précédent arrêt de la Cour de cassation, qui avait considéré que « constitue, notamment, un avantage collectif, et non un avantage individuel acquis, celui dont le maintien est incompatible avec le respect par l'ensemble des salariés concernés de l'organisation collective du temps de travail qui leur est désormais applicable. Encourt en conséquence la cassation l'arrêt qui, pour décider que le bénéfice d'une pause de quarante-cinq minutes considérée comme du temps de travail effectif doit être maintenu aux salariés de l'entreprise cédante, en l'absence d'un accord de substitution, dit qu'il s'agit d'un avantage individuel acquis, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le maintien de cet avantage était incompatible avec le respect par les salariés concernés de l'organisation collective du travail qui leur était applicable, puisque cela les conduisait à travailler quarante-cinq minutes de moins que le temps de travail fixé » (Soc., 8 juin 2011, pourvoi n° 09-42.807, Bull. 2011, V, n° 146).

En réalité, ces deux jurisprudences ont, comme il est indiqué dans le rapport annuel de la Cour de cassation, sous l’arrêt du 8 juin 2011, « vocation à coexister et à s’appliquer en fonction des effets du maintien de l’avantage acquis sur l’organisation collective du travail. Ainsi, si son maintien est incompatible avec l’organisation collective du travail, l’avantage sera considéré comme collectif et ne pourra être maintenu. En revanche, si le maintien de l’avantage n’est nullement incompatible avec l’organisation collective du travail, il sera considéré comme un avantage individuel acquis. Et il devra continuer à bénéficier aux salariés ».

Dans la présente affaire, le litige reposait sur « le maintient de la rémunération des temps de pause » et non sur une modification de l’horaire hebdomadaire de travail, fixé à 35 heures de travail effectif et 2h30 de pause. Les salariés demandaient que les 2h30 hebdomadaires de pause leur soient payées au taux normal, sans remettre en cause l’organisation collective du temps de travail. Or dans l’arrêt du 8 juin 2011, était en cause le temps de pause lui-même et non sa rémunération, ce qui explique que la qualification de l’avantage ne soit pas la même.

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E - REPRÉSENTATION DU PERSONNEL ET ELECTIONS PROFESSIONNELLES

1- Elections professionnelles

*Liste des candidatures – Présentation

Sommaire n° 1

La liste commune, formée entre un syndicat catégoriel et un syndicat intercatégoriel, est valable dès lors que cette liste ne comprend de candidats que dans les collèges dans lesquels les statuts des deux organisations syndicales leur donnent vocation à en présenter.

Sommaire n° 2

Lorsqu'une liste commune est établie, la répartition des suffrages exprimés est librement déterminée par les organisations syndicales, pourvu qu'elle soit portée à la connaissance de l'employeur et des électeurs de l'entreprise ou de l'établissement concerné avant le déroulement des élections, peu important que cette répartition aboutisse à faire bénéficier l'une des organisations syndicales de l'intégralité des suffrages exprimés.

Soc., 5 novembre 2014 Rejet

Arrêt n° 1988 FS - P+B

N° 14-11.634 – T.I. Clermont-Ferrand, 24 janvier 2014

M. Frouin, Pt. – Mme Sabotier, Rap. – M. Richard de la Tour, Av. Gén.

Note

Fin 2013, les sociétés ERDF et GRDF ont organisé des élections professionnelles concernant le comité d’établissement « clients, fournisseurs, services régionaux Auvergne, Centre, Limousin ». La fédération CFE-CGC et le syndicat UNSA ont présenté une liste commune avec répartition des voix à hauteur de 100% au profit de la CFE-CGC.

Faisant valoir l’impossibilité d’établir une telle liste entre un syndicat catégoriel et un syndicat inter-catégoriel, un syndicat concurrent a formé pourvoi à l’encontre du jugement du tribunal d’instance qui a validé la liste commune.

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La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 a profondément modifié les conditions de la représentativité syndicale en faisant dépendre celle-ci de certains critères, dont celui, essentiel, de la mesure de l’audience au premier tour des élections professionnelles. Ainsi, pour un syndicat inter-catégoriel, l’article L. 2122-1 du code du travail conduit à apprécier l’obtention du taux de 10% des voix tous collèges confondus, peu important que le syndicat n’ait pas présenté de candidat dans chacun des collèges (Soc., 22 septembre 2010, pourvoi n° 10-10.678, Bull. 2010, V, n° 195).

Pour les syndicats catégoriels, la loi précitée a établi un régime dérogatoire permettant de mesurer leur audience dans les seuls collèges où leurs statuts leur donnent vocation à présenter des candidats. Cet avantage a été jugé conforme au principe constitutionnel d’égalité de traitement (Cons. const., 7 octobre 2010, décision n° 2010-42 QPC) ainsi qu’à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Soc., 2 mars 2011, pourvoi n° 10-60.214).

En effet, selon l’article L. 2122-2 du code du travail, « dans l'entreprise ou l'établissement, sont représentatives à l'égard des personnels relevant des collèges électoraux dans lesquels leurs règles statutaires leur donnent vocation à présenter des candidats les organisations syndicales catégorielles affiliées à une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale qui satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel dans ces collèges, quel que soit le nombre de votants. »

Afin de statuer sur le caractère catégoriel ou non d’un syndicat affilié à une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale, la Cour de cassation se réfère à ses statuts : ceux-ci revêtent donc une portée déterminante. Le syndicat qui ne serait pas reconnu catégoriel au vu de ses dispositions statutaires ne saurait se prévaloir des dispositions de l’article L. 2122-2 (Soc., 27 mars 2013, pourvoi n° 12-22.733, Bull. 2013, V, n° 93).

Cette qualité reconnue, la représentativité du syndicat catégoriel s’établit en fonction des suffrages recueillis dans l’ensemble des collèges où il a présenté des candidats (Soc., 28 septembre 2011, pourvoi n° 10-26.693, Bull. 2011, V, n° 215).

Par ailleurs, l’article L. 2122-3 du même code permet l’établissement de listes communes entre organisations syndicales.

C’est ainsi que pour conserver leur statut favorable et élargir leur champ d’action, les syndicats catégoriels ont été amenés à nouer des alliances électorales avec des syndicats inter-catégoriels, et le présent pourvoi posait la question de l’établissement d’une telle liste commune entre ces deux types de syndicats. Une telle alliance conduit en effet à troubler la détermination des règles applicables : cette liste commune sera-t-elle inter-catégorielle et entrainera-t-elle une appréciation de la représentativité des syndicats sur cette base, ou continuera-t-on à apprécier la représentativité du syndicat catégoriel par rapport aux suffrages obtenus dans les seuls collèges où il a vocation à présenter des candidats ?

La Cour de cassation décide qu’une telle liste n’est valable que si elle présente des candidats dans les seuls collèges au sein desquels les statuts des deux syndicats permettent cette présentation. La présentation de candidats est limitée aux collèges communs où les deux syndicats, l’un catégoriel, l’autre inter-catégoriel, ont statutairement vocation à le faire. A nouveau, la chambre fait des dispositions statutaires des syndicats le critère déterminant de la présentation des listes électorales et de la représentativité.

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2 - Représentation du personnel

2.2 Institutions représentatives du personnel

*Comités d’entreprise et d’établissement- Fonctionnement

Sommaire

Pour satisfaire aux conditions de l’article L. 2325-5 du code du travail, l’employeur qui déclare confidentielle une information donnée aux membres du comité d’entreprise doit, en cas de contestation, établir que cette information est effectivement de nature confidentielle au regard des intérêts légitimes de l’entreprise.

A défaut, l’atteinte ainsi portée aux prérogatives des membres du comité d’entreprise dans la préparation des réunions peut être réparée par la reprise de la procédure d’information consultation à son début.

Soc, 5 novembre 2014 Cassation partielle

Arrêt n° 1981 FS-P+B

N° 13-17.270 - C.A. Paris, 11 mars 2013

M. Frouin, Pt - Mme Lambremon, Rap. - M. Richard de la Tour, Av. Gén.

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F - RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

2 – Licenciements

2.1- Mise en œuvre

*Transaction

Sommaire

Ayant relevé qu’aux termes de la transaction, le salarié a déclaré n’avoir plus rien à réclamer à l’employeur à « quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit, tant en raison de l’exécution que de la rupture du contrat de travail », une cour d’appel a exactement retenu qu’il ne pouvait pas prétendre au paiement de sommes à titre de dommages et intérêts pour perte de salaires et d’une indemnité compensatrice de préavis.

Soc., 5 novembre 2014 Rejet

Arrêt n° 1935 FS - P+B

N° 13-18.984 – C.A. Paris, 24 mai 2012

M. Frouin, Pt. - Mme Goasguen, Rap. - M. Liffran, Av. Gén

Note

Après avoir été convoqué à un entretien préalable, un salarié a été licencié pour faute grave en raison de ses absences injustifiées.

Le salarié et son employeur ont signé, à la suite de la rupture du contrat de travail, un protocole transactionnel aux termes duquel le salarié déclare n’avoir plus rien à réclamer à la société-employeur à « quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit, tant en raison de l’exécution que de la rupture de son contrat de travail (…) ».

Le salarié a ultérieurement saisi la juridiction prud’homale d’une demande d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents et de dommages-intérêts pour perte de salaire.

Par arrêt infirmatif, la cour d’appel a débouté le salarié de ses demandes, considérant qu’en signant la transaction, le salarié avait renoncé à toute action contre son ancien employeur.

La chambre sociale était donc saisie, à l’occasion de ce pourvoi, de la question de la détermination de la portée de la transaction. Les termes de la transaction excluaient-ils de son champ le versement ultérieur de ce type de sommes, de sorte que le salarié était fondé à les réclamer devant la

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juridiction prud’homale ? Ou bien, l’objet de la transaction visait-il à exclure le versement de ces sommes demandées ultérieurement ?

Selon les termes de l’article 2044 du code civil, une transaction « est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ». En matière sociale, il est courant de recourir à la transaction pour sécuriser la rupture d’un contrat de travail. Néanmoins, le code civil circonscrit la transaction à son objet : l’article 2048 dispose que « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ». L’article 2049 du code civil, quant à lui, énonce explicitement que « les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé ».

En jurisprudence s’opposent deux courants. L’un s’appuyant sur les articles 2048 et 2049 in limine privilégiant une interprétation stricte de l’objet de la transaction par l’examen de l’intention manifestée par les parties dans les expressions spéciales ou générales figurant dans l’acte. L’autre s’appuyant sur l’article 2049 in fine, qui retient une interprétation large de l’objet de la transaction conduisant à tirer des termes mêmes de l’accord les « suites » nécessaires à celui-ci.

L’interprétation extensive a été mise en œuvre par un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui avait accordé un plein effet libératoire à la formule par laquelle « la partie demanderesse renonce à toutes réclamations de quelque nature qu’elles soient à l’encontre de la partie défenderesse relatives tant à l’exécution qu’à la rupture de son contrat de travail » (Ass. plén., 4 juillet 1997, pourvoi n° 93-43.375, Bull. 1997, Ass. plén., n° 10).

La jurisprudence de la chambre sociale se partage entre une interprétation stricte et une interprétation large de la portée de la transaction. Ainsi, dans une conception rejoignant celle de l’assemblée plénière, elle a estimé que le droit à la levée d’options sur titre, qui trouvait sa cause dans le contrat de travail, était compris dans une transaction qui réglait tous les comptes sans exception, ni réserves pouvant exister entre les parties au titre de l’exécution comme de la résiliation du contrat de travail (Soc., 3 mai 2007, pourvoi n° 05-43.053 ; voir également Soc., 28 septembre 2005, pourvoi n° 03-43.052). Mais une autre partie de la jurisprudence cantonne la portée de la transaction à ce qui est exprimé dans l’acte. La chambre sociale a ainsi, plus récemment, jugé qu’une clause selon laquelle le salarié avait déclaré « renoncer à tous les droits et actions qu’il pourrait tenir du droit commun […] et de son contrat de travail […], chaque partie renonçant de la manière la plus expresse à formuler l’une contre l’autre la moindre réclamation à quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit », n’empêchait pas le salarié de faire valoir ses droits relatifs aux options de souscription d’action ( Soc., 8 décembre 2009, pourvoi n° 08-41.554, Bull. 2009, V, n° 279 ; voir également Soc., 2 décembre 2009, pourvoi n° 08-41.665, Bull. 2009, V, n° 274 ; Soc., 24 avril 2013, pourvoi n° 11-15.204, Bull. 2013, V, n° 116).

Par le présent arrêt, la chambre sociale rejette le pourvoi formé par le salarié. Elle entérine le raisonnement de la cour d’appel qui, après avoir relevé que la transaction comportait une clause de renonciation, a retenu que la clause de la transaction excluait toute action ultérieure du salarié et que le salarié ne pouvait pas prétendre au versement des sommes demandées.

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2-8 Nullité du licenciement

*Obligation de réintégration

Sommaire

Dans ses rapports avec l'organisme d'assurance chômage, le salarié dont le licenciement est nul pour avoir été prononcé sans autorisation administrative ou malgré un refus d'autorisation, n'est pas fondé à cumuler les allocations de retour à l’emploi avec ses rémunérations ou une indemnité équivalente à celles-ci.

Soc., 19 septembre 2014 Rejet

Arrêt n° 2100 FS - P+B+R

N° 13-23.643 – C.A. Amiens, 25 juin 2013

M. Frouin, Pt. - Mme Corbel, Rap. - M. Finielz, Av. Gén.

Note

L’allocation d’aide au retour à l’emploi, qui est un revenu de remplacement, ne peut se cumuler avec les salaires (voir, par exemple, Soc., 5 mars 2014, pourvoi n° 12-29.117). La jurisprudence a élargi cette règle du non-cumul aux indemnités calculées sur la base des salaires. Ainsi, le non-cumul s’applique, par exemple, aux dommages-intérêts pour rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée (Soc., 14 janvier 1997, pourvoi n° 95-13.044, Bull. 1997, V. n° 15) ou aux indemnités dues au titre d’une clause de garantie d’emploi (Ass. plén., 13 décembre 2002, pourvoi n° 00-17.143, Bull. 2002, Ass. plén., n° 4).

Il ne suffit donc pas que les sommes au paiement desquelles a été condamné l’employeur n’aient pas la qualification juridique de salaire pour autoriser le salarié à conserver les allocations d’aide au retour à l’emploi qu’il aurait pu percevoir au titre de la même période.

S’agissant des indemnités perçues par les salariés protégés dont le licenciement est nul au cours de la période qui s’est écoulée entre leur licenciement et leur réintégration, il faut rappeler qu’une distinction est faite selon que le licenciement est intervenu après autorisation administrative ultérieurement annulée ou bien sans autorisation administrative ou malgré un refus d’autorisation. Dans le premier cas, l’indemnité due par l’employeur au salarié, devant réparer le préjudice subi par le salarié au cours de cette période, se calcule déduction faite des allocations de chômage (Soc., 19 octobre 2005, pourvoi n° 02-46.173, Bull. 2005, V, n° 293) alors que, dans le second, l’employeur doit verser une indemnité égale aux salaires sans déduction (Soc., 3 mai 2001, pourvoi n° 99-43.815).

Mais cette règle ne concerne que les rapports entre salarié et employeur.

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En effet, il faut faire la distinction selon que l’on se place dans les rapports entre salarié/organisme d’assurance-chômage ou salarié/employeur. Cela est expressément rappelé dans certains arrêts, dans des affaires où les employeurs essayaient d’échapper à leurs obligations en se prévalant du principe du non-cumul des indemnités équivalentes aux rémunérations avec les indemnités de chômage servies par l’Assedic. La Cour de cassation rappelle que ce principe du non-cumul n’a vocation à s’appliquer que dans les rapports entre le salarié et l’organisme d’assurance-chômage et que le seul fait que l’organisme d’assurance-chômage ait versé au salarié des allocations qui n’ont qu’un caractère subsidiaire et sont susceptibles de remboursement en cas de paiement par l’employeur du revenu qu’elles ont pour objet de remplacer ne saurait libérer celui-ci de ses obligations envers le salarié (voir, par exemple, Soc., 23 octobre 2007, pourvoi n° 06-42.994, Bull. 2007, V, n° 172 ; Soc., 24 mars 1988, pourvoi n° 85-44.680, Bull. 1988, V, n° 220).

La chambre sociale a déjà affirmé qu’un salarié protégé dont la réintégration a été ordonnée par une décision de justice et à qui il a été alloué une somme équivalente au montant intégral de ses salaires depuis la rupture du contrat jusqu’à sa réintégration n’est pas fondé à cumuler cette indemnité compensatrice avec les allocations de chômage servies par l’Assedic (Soc., 9 mars 1989, pourvoi n° 87-18.177, Bull. 1989, V, n° 198).

Certes, cet arrêt avait été rendu alors que n’était pas encore reconnu le caractère forfaitaire de l’indemnité compensatrice de salaire sanctionnant la méconnaissance du statut protecteur d’un salarié protégé.

De plus, il était possible de s’interroger sur la portée d’un arrêt du 11 mars 2009 qui pose la règle selon laquelle la nullité du licenciement n’a pas pour effet de priver rétroactivement un travailleur du droit à l’allocation d’assurance que l’Assedic lui a servie pendant la période comprise entre son licenciement et sa réintégration où il était involontairement privé d’emploi, apte au travail et à la recherche d’un emploi (Soc., 11 mars 2009, pourvoi n° 07-43.336, Bull. 2009, V, n° 75). Mais cet arrêt répond à une question qui n’est pas celle du cumul des indemnités perçues avec les allocations chômage, qui ne se posait d’ailleurs pas dans le cas de l’espèce où l’employeur avait été condamné à payer une indemnité déduction faite des allocations de chômage perçues par le salarié, mais celle de savoir quel est l’effet de l’annulation du licenciement sur la situation du salarié par rapport aux conditions d’octroi de l’allocation d’assurance tenant à l’absence d’emploi : le salarié devait-il, par l’effet rétroactif de la nullité, être considéré comme n’ayant pas été sans emploi après un licenciement nul ? La réponse négative qui a été donnée ne remet pas en cause le principe du non-cumul dans les rapports entre le salarié et l’organisme d’assurance-chômage. En effet, s’il a été décidé que ce n’est pas parce que son licenciement est annulé qu’un salarié ne peut conserver les allocations de chômage qu’il a perçues, cela ne signifie pas pour autant que ce droit lui serait maintenu après avoir obtenu de son employeur le revenu que ces allocations ont pour objet de remplacer, ce qui doit être le cas du salarié protégé licencié sans autorisation administrative ou malgré un refus d’autorisation.

Dans le présent arrêt, le salarié avait bien perçu de l’employeur une somme couvrant l’intégralité de ses salaires perdus. Le principe du non-cumul l’oblige à restituer à Pôle emploi les allocations de remplacement.

La chambre sociale réaffirme ainsi sa jurisprudence sur le non-cumul, dans les rapports entre les salariés et l’organisme d’assurance-chômage, des allocations de chômage avec des salaires ou une indemnité équivalente à ceux-ci.

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4. Démission

*Manifestation de volonté claire et non équivoque

Sommaire n° 1

Une cour d’appel alloue à bon droit des sommes distinctes correspondant au préjudice résultant d’une part de l’absence de prévention par l’employeur des faits de harcèlement et d’autre part des conséquences du harcèlement effectivement subi.

Sommaire n° 2

Une cour d’appel, qui a constaté que les faits de harcèlement s’étaient produits plus de six mois avant la rupture et que l’employeur y avait rapidement mis fin, a pu décider que la démission du salarié, donnée sans réserve, n’était pas équivoque.

Soc, 19 novembre 2014 Rejet

Arrêt n° 2049 FS-P+B

N° 13-17.729 - C.A. Aix-en-Provence, 21 mars 2013

M. Frouin, Pt. - M. Mallard, Rap. - M. Aldigé, Av. Gén.

Note

La jurisprudence définit la démission comme un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail (par exemple, Soc., 21 mai 1980, pourvoi n° 78-41.833, Bull. 1980, V, n° 452 ; Soc., 5 novembre 1987, pourvoi n° 84-45.098, Bull. 1987, V, n° 621 ; Soc., 3 juin 1997, pourvoi n° 94-42.628, Bull. 1997, V, n° 201).

La qualification de démission ne saurait dépendre de la capacité du salarié à exprimer par écrits les griefs qu’il nourrit à l’égard de son employeur. C’est pourquoi, même émise sans réserve, une démission est nécessairement équivoque si le salarié parvient à démontrer qu’elle trouve sa cause dans des manquements imputables à son ancien employeur.

Par une série d’arrêts du 9 mai 2007, la Cour de cassation a posé les règles permettant d’articuler la démission donnée sans réserve avec la prise d’acte : « lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, le juge doit l'analyser en une prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'une démission » (Soc., 9 mai 2007, pourvoi n° 05-40.518, Bull. 2007, V, n° 70).

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La volonté claire et non équivoque de démissionner n’est pas caractérisée, par exemple, en cas de contentieux signalé à l’inspecteur du travail qui avait adressé à l’employeur une lettre lui demandant de rétablir le salarié dans ses droits en matière de salaire, congés payés et repos compensateur (Soc., 9 mai 2007, pourvoi n° 05-41.324, Bull. 2007, V, n° 70) ou de présence dans la lettre de démission elle-même d’une réclamation salariale (Soc., 9 mai 2007, pourvoi n° 05-40.315, Bull. 2007, V, n° 70) ou encore de rétractation rapide du salarié invoquant des impayés de salaire (Soc., 9 mai 2007, pourvoi n° 05-42.301, Bull. 2007, V, n° 70).

En revanche, une contestation tardive du salarié qui demande la « requalification » de sa démission en licenciement plus de 17 mois après celle-ci, n’est pas une circonstance permettant de retenir l’équivoque de la démission à la date à laquelle elle a été donnée (Soc., 9 mai 2007, pourvoi n° 05-40.518, Bull. 2007, V, n° 70).

Par un arrêt du 19 décembre 2007, la chambre sociale est venue préciser que pour que la remise en cause de son acte soit accueillie, avec ses effets induits, il faut que le salarié « justifie qu’un différend antérieur ou contemporain de la démission l’avait opposé à son employeur » (Soc., 19 décembre 2007, pourvoi n° 06-42.550, Bull. 2007, V, n° 218). En renvoyant à la notion de « différend », elle veut signifier qu’il ne suffit pas au salarié « démissionnaire » de faire état de manquements antérieurs de son employeur pour prétendre faire requalifier la rupture ; encore doit-il établir en avoir fait état auprès de celui-ci, en temps utile, c’est-à-dire avant sa « démission » ou de façon concomitante, en justifiant ainsi de l’existence d’un différend « déclaré », dont le juge pourra alors déduire qu’il a été la véritable cause de la démission.

Dans la présente affaire, un salarié avait été placé en arrêt de travail à la suite d’un incident survenu avec son supérieur hiérarchique. Ayant informé son employeur de cette situation, il s’était vu proposer une nouvelle affectation lui assurant l’absence de relation avec son ancien supérieur. Il avait pris ses nouvelles fonctions le 15 décembre 2009 puis, le 3 juin 2010, avait mis fin à son contrat de travail par une lettre remise en main propre à son employeur dans les termes suivants : « pour faire suite à notre entretien de ce jour, je vous confirme ma volonté de rompre mon contrat de travail à compter de ce jour. Mon préavis étant de 3 mois, je vous demande la possibilité de l’arrêter au 31 juillet 2010 et de pouvoir l’indemniser au 3 septembre 2010 ». Soutenant avoir été victime de harcèlement moral de la part de son ancien supérieur hiérarchique, il avait saisi, le 23 juillet 2010, le conseil de prud’hommes afin d’obtenir la requalification de cette rupture en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et la condamnation de son employeur à lui verser diverses sommes au titre de la rupture et en indemnisation du préjudice subi du fait du harcèlement moral allégué.

La cour d’appel avait retenu l’existence d’un harcèlement moral et condamné l’employeur à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le salarié, tout en le déboutant de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail.

La question posée à la chambre sociale de la Cour de cassation portait donc sur les conditions dans lesquelles une démission donnée sans réserve, et notamment sans imputation à l’employeur d’un fait quelconque qui l’aurait provoquée, peut être qualifiée d’équivoque et s’analyser en une prise d’acte. Il s’agissait, notamment, de déterminer si, lorsque le juge du fond constate des faits de harcèlement antérieurs à la démission, celle-ci doit être automatiquement qualifiée d’équivoque.

Par le présent arrêt, la chambre sociale approuve l’analyse des juges du fond qui, après avoir constaté que les faits de harcèlement s’étaient produits plus de six mois avant la rupture et que l’employeur y avait rapidement mis fin, ont décidé que la démission du salarié, donné sans réserve, n’était pas équivoque.

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Elle rejette ainsi la création d’un « automatisme » impliquant que toute démission, suivant des faits de harcèlement, serait équivoque et réaffirme le pouvoir du juge du fond d’analyser les circonstances antérieures ou contemporaines de la date de la démission, afin d’apprécier son caractère équivoque ou non.

G - ACTIONS EN JUSTICE

*Prescription

Sommaire

Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer et un salarié bénéficiaire de l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante (ACAATA) a connaissance du risque à l’origine de son anxiété à compter de l’arrêté ministériel ayant inscrit l’activité de son employeur sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de ce régime légal spécifique.

En conséquence, viole l’article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l’article 26-II de cette même loi et l’article 2224 du code civil, l’arrêt qui, pour déclarer irrecevables les demandes de salariés, bénéficiaires d’une telle allocation, en réparation de leur préjudice d’anxiété, retient que plus de trente ans se sont écoulés entre la date de rupture des contrats de travail et celle de la saisine de la juridiction prud’homale.

Soc, 19 novembre 2014 Cassation partielle

Arrêt n° 2051 FS-P+B

N° 13-19.263 - C.A. Aix-en-Provence, 11 avril 2013

M. Frouin, Pt - Mme Guyot, Rap. - M. Aldigé, Av. Gén.

Note

En l'espèce, onze salariés employés par une société de réparation et de construction navale sur des périodes allant de novembre 1965 à décembre 1978, ont saisi la juridiction prud’homale en 2011 d’une demande en réparation de leur préjudice d’anxiété et de bouleversement dans leurs conditions d’existence en raison de leur exposition à l’amiante. En application de l’article 41 de la loi n° 98-1194 de financement de la sécurité sociale pour 1999 du 23 décembre 1998, l’activité de leur entreprise avait été inscrite par arrêté du 7 juillet 2000 sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) au profit des salariés concernés pour la période comprise entre 1946 et 1989. La juridiction prud’homale, devant laquelle avait été soulevée une exception d’incompétence, a jugé la

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demande des salariés recevable mais, sur le fond, les en a déboutés. Relevant que plus de trente ans s’étaient écoulés entre la date de rupture des contrats de travail et la saisine du conseil de prud’hommes, la cour d’appel a jugé les demandes irrecevables par l’effet de la prescription trentenaire, celle-ci ayant couru à compter de la rupture des contrats. Le recours des salariés posait donc la question du délai de prescription de l’action en indemnisation du préjudice spécifique d’anxiété et celle de son point de départ.

La chambre sociale affirme ici que l’action en réparation du préjudice d’anxiété se rattache à la catégorie des actions visées à l’article 2224 du code civil, disposant que “Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer”. En effet, « le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés » (Soc., 2 juillet 2014, pourvoi n° 12-29.788, en cours de publication). Ce préjudice crée dans le patrimoine du salarié une créance indemnitaire que celui-ci peut invoquer à l’encontre de son employeur à la suite du classement de l’établissement parmi ceux ouvrant droit à l’ACAATA.

Le visa de l’article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi précitée indique que le droit d’agir des salariés était initialement régi par la prescription trentenaire de droit commun, pour être né avant l’entrée en vigueur de cette loi. En effet, avant l’intervention du législateur, l’article 2262 du code civil, dans une rédaction inchangée depuis 1804, disposait que “Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans (...)”.

Enfin, le visa de l’article 26 II de la loi de 2008 vient rappeler que les dispositions de la loi précitée qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de cette loi, « sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ». Si depuis lors, est intervenue la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 dissociant le délai de prescription des salaires du délai de droit commun, les dispositions de cette dernière loi n’étaient pas en cause ici, la question étant de savoir si l’action des salariés était prescrite lors de la saisine du conseil de prud’homme en 2011.

L’apport essentiel de l’arrêt est d’indiquer que l’évènement caractérisant le point de départ de la prescription n’est pas la rupture du contrat, mais l’arrêté ministériel ayant inscrit l’activité en question sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre du régime de départ à la retraite anticipée. En effet, les salariés étaient supposés avoir connaissance du risque à l’origine de l’anxiété « à compter » de cet arrêté. C’est à partir de cette date qu’ils peuvent utilement exercer leur choix d’agir ou non en réparation du préjudice d’anxiété.

La chambre sociale avait déjà été amenée à se prononcer sur le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité contractuelle ouverte au salarié. Ainsi, statuant dans une espèce où un salarié, après avoir pris sa retraite, avait exercé une action en justice contre son employeur pour voir réparer son préjudice résultant de l’absence et de l’insuffisance de déclaration des salaires aux caisses de prévoyance et de retraite, la chambre sociale a jugé que “la prescription d’une action en responsabilité ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance” ; en conséquence, la cour d’appel avait à bon droit fixé le point de départ de la prescription au jour de la liquidation de la retraite de l’intéressé, puisque ce n’est qu’à cette date que son préjudice s’était trouvé réalisé (Soc., 18 décembre 1991, pourvoi n° 88-45.083, Bull. 1991, V, n° 598). Cette solution, consistant à fixer le point de départ de la prescription au jour de la réalisation du dommage ou à celui de sa révélation à la victime qui en ignorait précédemment l’existence, devait être affirmée ultérieurement dans les mêmes termes (Soc., 1er avril 1997, pourvoi n° 94-43.381, Bull.

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1997, V, n° 130 ; Soc., 26 avril 2006, pourvoi n° 03-47.525, Bull. 2006, V, n° 146 ; Soc., 19 juin 2013, pourvoi n° 12-13.684).

S’agissant du préjudice d’anxiété né d’une exposition à l’amiante, et dans la lignée de ses précédents arrêts ayant précisé que ce préjudice résultait de la connaissance par le salarié de l’exposition à un risque (Soc., 2 juillet 2014, pourvoi n° 12-29.788, précité), la chambre fixe le point de départ de la prescription au moment où cette connaissance est rendue objective, c’est-à-dire à compter de l’arrêté dont découle la mise en œuvre du dispositif pour les salariés concernés.

Il en résulte donc qu’à compter du 7 juillet 2000, date de l’arrêté ministériel, courait alors, à l’époque, un délai trentenaire (ancien article 2262 du code civil). Par l’effet de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le délai a été raccourci à 5 ans (nouvel article 2224 du code civil) qui s’applique à compter du jour d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée antérieure, c’est-à-dire 30 ans (article 26 II de la loi du 17 juin 2008). Ainsi, le 20 juin 2008, date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, courait pour les salariés un nouveau délai quinquennal pour agir en justice, délai qui ne faisait pas excéder la durée totale au-delà du délai prévu par la loi antérieur (30 ans) puisque le point de départ de la prescription est situé au 7 juillet 2000. Ainsi, lorsque les salariés agissent en 2011, leur action n’est pas prescrite puisque mise en œuvre dans le nouveau délai (de 5 ans) sans que le délai (11 ans) n’excède le délai antérieur (30 ans), le point de départ étant situé en 2000.

*Qualité à agir

Sommaire n° 1

Un comité d'entreprise n'a pas qualité pour intenter une action visant à obtenir l'exécution des engagements résultant de la convention collective applicable, cette action étant réservée aux organisations ou groupements définis à l'article L. 2231-1 du code du travail qui ont le pouvoir de conclure une convention ou un accord collectif de travail.

Sommaire n° 2

Viole les articles L. 2262-11 et L. 2132-3 du code du travail une cour d’appel qui, pour déclarer irrecevable l’action des organisations syndicales, retient qu’il ressort des dispositions de l'article L. 2262-11 du code du travail que l'action reconnue aux organisations syndicales leur permet d'obtenir l'exécution des engagements conventionnels et le cas échéant le paiement de dommages-intérêts, mais non la condamnation de l'employeur au paiement de sommes qui seraient dues à leurs adhérents en application de cette convention, alors que l'action du syndicat ne tendait pas au paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées mais à l'application des clauses de la convention collective à tous les salariés compris dans son champ d'application et poursuivait en conséquence la réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession.

Soc., 19 novembre 2014 Cassation partielle

Arrêt n° 2095 FS-P+B

Page 31: N°59 Novembre 2014 - Cour de cassationLe droit au bénéfice de l’indemnité de clientèle prévue par l’article L. 751-9, devenu L. 7313-13 du code du travail, n’est pas subordonné

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N° 13-23.899 - C.A. Versailles, 18 juin 2013

M. Frouin, Pt. - M. Huglo, Rap. - M. Finielz, Pr. Av. gén.

*Saisine du conseil de prud’hommes

Sommaire

La date de saisine du conseil de prud'hommes, lorsque celle-ci intervient par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, est celle d'envoi de la lettre.

Soc., 19 novembre 2014 Rejet

Arrêt n° 2096 FS - P+B

N° 13-22.360 - C.A. Rennes, 5 juin 2013

M. Frouin, Pt. – M. Maron, Rap. – M. Finielz, Pr. Av. Gén.

Note

Par un arrêt définitif du 10 juin 2010, la cour d’appel de Paris, statuant sur recours contre une décision d’un conseil de prud’hommes, a ordonné à EDF d’accorder à un ancien salarié le bénéfice d’une bonification prévue par le statut des industries électriques et gazières. Elle a également déclaré sa décision opposable à la caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG). Cette dernière refusant de liquider la pension de retraite sollicitée par le salarié au motif qu’elle n’avait jamais reçu de demande en ce sens avant le 1er juillet 2008 (date d’un changement législatif qui supprimait l’avantage sollicité), le salarié a saisi la commission de recours amiable, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale, qui a rejeté sa demande. La cour d’appel de Rennes y ayant fait droit, la CNIEG a formé pourvoi contre l’arrêt rendu. Elle soutenait que la cour avait violé les articles R. 1452-1 et R. 1452-2 du code du travail « en se plaçant à la date d’envoi de la lettre recommandée pour déterminer la date de la demande de pension de retraite à jouissance immédiate avec bonification pour les enfants » du demandeur ; en effet, la saisine initiale du conseil de prud’hommes résultait d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception expédiée le 28 juin 2008, et reçue au greffe le 2 juillet 2008.

Le pourvoi posait la question de la date de la saisine du conseil de prud’hommes, quand cette saisine est effectuée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, comme le permet l’article R. 1452-2 du code du travail, dont l’alinéa premier dispose que « la demande est formée au greffe du conseil de prud’hommes. Elle peut être adressée par lettre recommandée. » Rejetant le pourvoi, la chambre sociale répond que « la cour d’appel a exactement retenu que la demande formée devant le conseil de prud’hommes, qui s’analysait à l’égard de la CNIEG en une demande de liquidation de pension, l’avait été à la date de l’envoi ».

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La question, inédite, dont était saisie la chambre sociale en l’espèce nécessitait de se déterminer par analogie avec la règle applicable en matière de notification d’acte de procédure.

En cette matière, l’article 668 du code de procédure civile dispose que « sous réserve de l’article 647-1 [territoires particuliers et étranger], la date de notification par voie postale est, à l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition, et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre ». La jurisprudence en matière d’appel sur ce point est relativement abondante. Ainsi l’appel formé par lettre recommandée expédiée le dernier jour du délai n’est pas tardif (Soc., 11 janvier 1989, pourvoi n° 86-15.886, Bull. 1989, V, n° 9 ; 2e Civ., 14 février 1990, pourvoi n° 88-19.521, Bull. 1990, II, n° 29 ; 3e Civ., 9 décembre 1998, pourvoi n° 97-70.227, Bull. 1998, III, n°240). Toujours en matière d’appel, quant à la date de réception de la lettre à prendre en compte, la Cour a eu l’occasion de préciser qu’il s’agissait de la date « apposée par l’administration des Postes lors de la remise de la lettre à son destinataire » et non de la date de présentation de la lettre (2e Civ., 10 mars 2005, pourvoi n° 03-11.033, Bull. 2005, II, n° 64), conformément à l’article 669 du même code.

Un arrêt récent, quittant le domaine strict de la notification des actes de procédure, a étendu la solution à la notification du congé en matière de baux d’habitation : « La date de réception de la notification d’un congé par lettre recommandée avec demande d’avis est celle qui est apposée par le service de la poste lors de la remise de la lettre à son destinataire » (3e Civ., 13 juillet 2011, pourvoi n° 10-20.478, Bull. 2011, III, n° 129).

Le présent arrêt transpose à son tour les solutions données par l’article 668 du code de procédure civile à la saisine des juridictions du fond, et particulièrement à la saisine du conseil de prud’hommes. L’ancien salarié d’EDF ayant envoyé sa lettre par LRAR expédiée le 28 juin 2008 ; il avait valablement saisi le conseil de sa demande avant le 1er juillet 2008, et échappait ainsi au grief de la CNIEG.

 

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