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1 JANVIER 1989 N° 8908 HISTOIRE DES TECHNIQUES ET THÉORIES ÉCONOMIQUES VERS UN NOUVEAU PROGRAMME DE RECHERCHE ? Robert BOYER Directeur d'Études E.H.E.S.S. CNRS – CEPREMAP Version révisée d'une intervention présentée aux "Journées de l'E.H.E.S.S." Montrouge et Marseille.

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JANVIER 1989

N° 8908 HISTOIRE DES TECHNIQUES ET THÉORIES ÉCONOMIQUES

VERS UN NOUVEAU PROGRAMME DE RECHERCHE ?

Robert BOYER Directeur d'Études E.H.E.S.S.

CNRS – CEPREMAP

Version révisée d'une intervention présentée aux "Journées de l'E.H.E.S.S." Montrouge et Marseille.

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HISTOIRE DES TECHNIQUES ET THÉORIES ÉCONOMIQUES

VERS UN NOUVEAU PROGRAMME DE RECHERCHE ? Robert BOYER

RÉSUMÉ

Le surgissement puis le déroulement de la crise actuelle ont replacé au premier plan la question des mutations techniques et industrielles. Ce peut être l'occasion pour l'économiste d'un renouvellement de ses interrogations : Quelle est la place de la technique dans les tendances économiques de longue période, en particulier l'alternance de phases de croissance puis de crise ? Y répondre suppose non seulement que l'on utilise les théories forgées dans les années soixante mais que l'on élabore des constructions originales qui insèrent la technique dans un réseau de procédures et de règles de gestion. Ces recherches pourraient converger vers les notions de paradigme et de trajectoire sociotechniques. Par nature ce projet appelle des compétences multiples, dès lors que l'on récuserait une explication technologiste de la technique : sociologie du travail, histoire économique et socia1e, théorie de la croissance et bien d'autres disciplines encore pourraient trouver de fructueux domaines de collaboration.

HISTORY OF TECHNIQUES AND ECONOMIC THÉORIES TOWARDS A NEW RESEARCH AGENDA ?

Robert BOYER

ABSTRACT The breaking down of previous economic trends about growth and productivity defines a puzzle for

most of prevailing economic theories. It might be an opportunity for economists to reconsider the links between long term growth and techno1ogical and industrial changes. The paper proposes first a survey of conventiona1 growth theories and argues that they experience severe difficulties in explaining the succession of long up-swings and down-swings, as well as very contrasted nationa1 performances. Therefore, an alternative and tentative framework is elaborated. Starting from the radical uncertainty specific to structural - as opposed to marginal - technical choices, it adopts a bounded rationality approach, in order to build the notion of technical paradigm. Given the related institutional and economic factors filtering creation and diffusion of new technologies, the mode of "régulation" combines itself with the technological paradigm in order to generate social, economic and technical trajectories. This opens a multidisciplinary approach in which hi story and economy can no more be disentangled, whereas sociology and management can help in understanding the growth process in capitalist economies.

J.E.L. CLASSIFICATION SYSTEM : 040 - 110 - 620. KEY WORDS : History of techniques, Technological choices, Theory of growth, Radical

uncertainty, Technical paradigm, National trajectories, Mode of development, "Régulation" mode.

MOTS CLES : Histoire des techniques, Choix des techniques en avenir incertain,

Théorie de la croissance, Paradigme technologique, Trajectoires nationales, mode de développement, théorie de la régulation.

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HISTOIRE DES TECHNIQUES ET THÉORIES ÉCONOMIQUES

Vers un nouveau programme de recherche ? Robert BOYER

SOMMAIRE I. LES ANNEES SOIXANTE: UN CHANGEMENT TECHNIQUE GARANTI ET

EXOGENE............................................................................................................................... 1 II. LES ANNEES QUATRE VINGT : AMPLEUR DES MUTATIONS SOCIOTECHNIQUES. INCERTITUDE ET

MULTIPLICITE DE LEURS DETERMINANTS .................................................................................... 6 1. Comment expliquer un ralentissement durable de la croissance, alors que le

progrès technique est loin de se tarir? .............................................................................. 62. De la difficulté de cerner les conséquences d’un nouveau système technique.......... 83. Apparente universalité des changements techniques, mais spécificité des

trajectoires nationales. .......................................................................................................10 III. LES RELATIONS TECHNOLOGIE, ECONOMIE ET SOCIETE : VERS UN NOUVEAU PROGRAMHE DE

RECHERCHE ? ..............................................................................................................................12 1. Un ensemble hiérarchisé de notions et méthodes. .......................................................12

° Une incertitude radicale préside aux choix technologiques majeurs ..............................................12 o Des limites évidentes aux possibilités d’optimisation de l’homo eoconomicus..............................13 o La nécessité des procédures empruntées à la rationalité limitée. ...................................................13 o Le paradigme technique comme moyen de coordination d'un en6emble de choix

décentralisés. ....................................................................................................................15 o Le filtre des relations sociales..........................................................................................15 o La viabilité économique à moyen long terme.................................................................17 o La cohérence d’un système sociotechnique. ...................................................................17 o La compatibilité avec un régime de croissance et un mode de régulation.....................19 o Les trajectoires économiques et sociotechniques. ..........................................................19

2. Des résultats encore partiels mais prometteurs ............................................................20 o Croissance et crise : les deux phases d’un même processus...........................................20 o Les conditions de viabilité d’un nouveau système technique.........................................21 o Une interprétation des différenciations entre firmes, régions, nations..........................22

IV. QUELQUES PISTES DE RECHERCHES.....................................................................22

1. Examiner la cohérence de la problématique proposée. ...............................................22 2. Rechercher des formalisations microéconomiques des processus d’innovation.....23 3. Modéliser les conséquences de l’automatisation flexibles...........................................23 4. Essayer de formaliser les relations entre structures de l’industrie et dynamique

macroéconomique..............................................................................................................23 5. Faire retour sur certains cas exemplaires en matière d’histoire industrielle et

technique .............................................................................................................................23 6. Tester les enseignements de ces divers modèles à l’aide de comparaisons

internationales.....................................................................................................................24 V. BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................24

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Pour l'économiste, la technique se situe aujourd'hui à l'intersection de deux

questions majeures. D'une part les sociétés contemporaines sont traversées par une série de mutations qui, pour une fraction notable, dérivent des changements techniques portés parce que certains n'hésitent pas à qualifier de révolution industrielle. Le praticien aussi bien que le chercheur s'aperçoivent alors que les relations de la technique avec la société sont beaucoup plus complexes qu'on ne pouvait le concevoir dans la période de croissance stabilisée des trente glorieuses. D'autre part en effet, le cours même des recherches en économie a conduit à faire apparaître de nouvelles problématiques et d'autres outils d'analyse. Si dans Une première phase la crise a été pensée comme un désajustement conjoncturel ou une adaptation retardée à une série de chocs exogènes, elle apparaît aujourd'hui comme rupture des régularités qui guidaient le processus de croissance lui-même. Or traditionnellement, le changement technique entretient des relations étroites avec la dynamique économique de longue période. Plus encore si l'on prend au sérieux le caractère incertain et radicalement neuf des mutations techniques en cours, force est de développer des notions originales permettant d'analyser la logique des procédures de gestion que développent en réponse les firmes comme les économies nationales.

Dans ces conditions, la présente communication développe l'argumentation

suivante. Est d'abord avancée l'idée que la technique occupe traditionnellement une place quelque peu seconde dans la floraison des recherches en sciences économiques (§ I). Or les évolutions observées depuis deux décennies ou les faits stylisés dérivés des travaux des spécialistes du changement technique, de la gestion des firmes ou l'organisation du travail ne sont que difficilement interprétables au sein des grands modèles auxquels ont abouti les économistes depuis la seconde guerre mondiale (§ II), Dès lors, un certain nombre de chercheurs sont partis de l'innovation et du changement technique pour proposer un nouveau programme d'investigation aux économistes. Tenir compte de l'historicité des trajectoires sociotechniques, des phénomènes d'irréversibilité et de réversibilité, des déterminants et des conséquences de l'adoption des nouvelles techniques, tels sont quelques-unes des défis adressés aux théories économiques ( § III). C'est à un tel programme international de recherches que pourrait contribuer l'École, unissant en un projet interdisciplinaire les compétences dont elle est riche. Des rapprochements entre historiens, sociologues, ethnologues et économistes s'imposent dans un paradigme qui insère la technique dans une série de déterminations croisées entre sphère technique, économie et société (§ IV).

I. LES ANNÉES SOIXANTE : UN CHANGEMENT TECHNIQUE GARANTI ET EXOGÈNE

Au cours de cette période, l'économiste avait pour habitude d'opérer une

distinction, et presque juxtaposition, de deux corpus. D'un côté, la théorie microéconomique culminait dans les formalisations

modernes de l’équilibre général, à la suite de l'axiomatisation et la mathématisation proposées par Gérard DEBREU. Le modèle correspondant, par nature statique, supposait donné l'ensemble des conditions de production. Sous une série d'hypothèses

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aux premiers rangs desquelles l'existence de rendements d'échelle unitaires et d'une productivité marginale décroissante, étaient étudiées les conditions d'une équivalence entre équilibre de concurrence pure et parfaite et optimum parétien. Telle était la

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SCHÉMA 1 - LA CROISSANCE : LE MODÈLE EXPLICATIF DES ANNÉES SOIXANTE

SCIENCE ET TECHNIQUE

Productivité globale Π

DÉMOGRAPHIE Population

CROISSANCE A LONG TERME

EMPLOI

Q = n + Π n

SOCIOLOGIE Taux d’activité

Exode rural

ÉCONOMIE Taux d’actualisation

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base du calcul économique, destiné à aider les ingénieurs lorsqu'ils avaient à choisir entre plusieurs projets d'investissement - et donc techniques de production - ou qu'ils avaient à décider de principes de tarification. Au sein de cet ensemble, la technique est clairement une donnée, les conditions de l'équilibre déterminant celles des combinaisons productives qui seront effectivement utilisées.

D'un autre côté, la conjonction de l'irruption de la crise de 1929, de la révolution

keynésienne et de la confection de comptes nationaux, avait abouti à ta. théorie macroéconomique, donnant elle-même lieu grâce au développement de l'économétrie et l'essor des moyens de calcul électronique, à des modèles appliqués servant de base aux prévisions de croissance, d'emploi et d'inflation. Mais leur usage essentiel tournait autour de l'éclairage de politiques économiques contra-cycliques, destinées à maintenir l'économie au voisinage d'un plein-emploi sans accélération de l'inflation. Là encore, et tout au moins à court terme, la technique et les capacités de production étaient supposées héritées du passé, quasi indépendantes donc du niveau d'activité de la période même.

Mais simultanément, la macroéconomie se développait selon un second axe, celui

de la croissance à long terme. Il était en effet clair que la théorie keynésienne était réservée à l'explication du degré d'utilisation des capacités de production. Restait à comprendre le processus de croissance cumulative, supposant pleinement utilisées ces capacités de production. La réminiscence des évolutions heurtées de l'entre-deux-guerres conduisit d'abord les auteurs keynésiens tels que R.F. HARROD et E. DOMAR à extrapoler au long terme l'hypothèse d'instabilité que J.-M. KEYNES avait développée pour le court terme. Mais la constatation à partir de la fin des années cinquante et soixante d'une croissance forte et régulière conduisit R.M. SOLOW à proposer le modèle cardinal par rapport auquel devait se constituer un domaine entier de l'analyse économique. La flexibilité du coefficient de capital, permise par une fonction de production à facteurs substituables permettait de satisfaire l'égalité de l'épargne et de l'investissement tout en garantissant le plein-emploi de la main-d'œuvre.

Dans l'équilibre de longue période, le rythme de croissance tendanciel était alors

la somme de l'évolution de la population active et du rythme du progrès technique, entendu comme augmentation de la productivité globale des deux facteurs travail et capital (schéma 1). Ce modèle simple fut bien sûr sophistiqué dans de très nombreuses directions, sans altérer pourtant ce résultat central. Il servit même de référence implicite ou explicite aux travaux appliqués, par exemple à l'occasion de la préparation des Plans français et la détermination du taux d'actualisation. Cette contribution avait en outre le mérite d'opérer une décentralisation des travaux de recherche selon les différentes disciplines des sciences sociales. Quitte à schématiser, voire caricaturer, la division du travail était la suivante :

• Au démographe de prévoir l'évolution de la population totale à l'aide de ses propres

techniques et modèles ; • Au sociologue d'estimer la variation des taux d'activité, masculin et féminin, urbain et

rural, etc ... ;

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• Au spécialiste du changement technique d'anticiper la croissance de la productivité globale des facteurs ;

• À l’économiste enfin de formaliser comment devrait se résorber l'écart entre le sentier de

croissance équilibrée et les conditions initiales de l'économie. De nombreuses études ont ainsi procédé à ce type de décomposition comptable

des sources de la croissance. Initiées par E.F. DENISON (1962), elles ont donné lieu pour la France à l'étude de base que constitue l'ouvrage de J.-J. CARRE, P. DUBOIS et E. MALINVAUD (1972). Or, même si l'on raffine les mesures de la qualité de la main-d'œuvre, de l'âge moyen du capital, des effets de transferts de l'agriculture vers l'industrie ou des services, il ressort que près de la moitié de la croissance demeure inexpliquée. Le résidu correspondant se doit d'être attribué à l'ensemble des autres facteurs non examinés, aux premiers rangs desquels vient le changement technique, lui-même conditionné par l'avancement des connaissances scientifiques.

Comme par ailleurs les économies connaissaient un quasi plein-emploi, explorer

un sentier de croissance revenait en définitive à demander au démographe une évaluation de la population et au technologue une appréciation du rythme du changement technique. Quant au sociologue il lui était moins demandé le pourquoi que le comment des transformations sociales ainsi induites par le dynamisme de la croissance. En un sens cette décomposition des études satisfaisait finalement l’impératif de clôture de chaque sous--discipline des sciences sociales. Le changement technique s'expliquait par les avancées de la science. Pour sa part, le sociologue rendait compte du social par le social, fidèle en cela à l'adage durkheimien. Le démographe développait les modèles élégants propres à sa discipline et dont H. LEBRAS a montré les ambitions et les limites, lors d'une précédente session de ces rencontres. Quant à l'économiste, force lui était d'expliquer l'économie par l'économique…quitte, dans la pratique, à utiliser de façon beaucoup plus éclectique les résultats venus de la démographie, des analyses de la science ou de la technologie, de la sociologie ….

Bien sûr, il importe de nuancer le diagnostic précédent : certains chercheurs

étaient amenés à remettre en question cette séparabilité des disciplines. On donnera deux exemples parmi d'autres.

En premier lieu, des sociologues et économistes du travail menèrent des

recherches internationales comparatives qui montraient Que le même système de machines produisant des biens identiques pouvait donner lieu à une organisation et division du travail très différentes selon les pays (M. MAURICE, S. SELLIER, J.-J. SILVESTRE (1982)). De même, plus récemment, il a été suggéré que l'implantation du modèle fordiste de développement après la seconde guerre mondiale a connu des modalités institutionnelles très variées dans les divers pays européens (R. BOYER Ed. (1986)). Ce type de résultats tendrait à infirmer une hypothèse implicite à bien des travaux des économistes, à savoir que les transformations techniques et économiques finiraient par déterminer les formes d'organisation elles-mêmes. Mais il est un autre résultat de la sociologie du travail beaucoup plus dévastateur quant à la possibilité de la division du travail, précédemment esquissée. En effet, les performances économiques (en particulier

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la productivité) d'un système technique dépendent très notablement des facteurs sociétaux qui conditionnent la formation, les représentations et les attentes concernant le travail industriel, ces différences se traduisant même au sein des multinationales (F. PRATTEN (1976)).

En second lieu, une sous-discipline de l'analyse économique se consacra à la

réinsertion des choix scientifiques et techniques dans le giron de l'économie. On ne se contentait plus de caractériser la direction du progrès technique par rapport à une définition de la neutralité, mais étaient recherchés les déterminants d'un tel biais. Fondamentalement, la direction plus ou moins économe en travail et en capital dérivait de l'évolution du prix relatif de ces deux facteurs. Ainsi se trouvait généralisée aux changements techniques la notion de fonction de production. Quant au rythme d'évolution de la productivité globale, il pouvait dériver d'une série d'effets d'apprentissage par les producteurs et les gestionnaires eux-mêmes améliorant de période en période leur façon de faire, sans aucun investissement matériel (K. ARROW (1962)). Mais il peut aussi résulter d'investissement dans la recherche et le développement dont le but est de livrer de nouveaux procédés, en général par application à l'économie de résultats scientifiques précédemment obtenus (E. MANSFIELD (1968), J. MAIRESSE (1985), J. MAIRESSE et Ph. CUENO (1985)).

Mais ces quelques passerelles entre société, économie et technique étaient loin de

remettre en cause le paradigme en vigueur dont le pouvoir explicatif donnait assez largement satisfaction. Il n'en est plus de même depuis une ou deux décennies.

II. LES ANNÉES QUATRE VINGT : AMPLEUR DES MUTATIONS SOCIOTECHNIQUES. INCERTITUDE ET MULTIPLICITÉ DE LEURS DÉTERMINANTS

Tout travail intellectuel, fût-il éminemment abstrait, finit toujours par être

déterminé, de façon implicite ou explicite, par les problèmes et les conflits qui traversent la société lors de chaque période historique. Ainsi en est-il de la théorie de la croissance et de l'articulation des différentes disciplines, qui viennent d'être rappelées et qui caractérisaient une période de croissance forte et stabilisée. Or à partir des années soixante-dix, s'observent une série d’anomalies, dont trois méritent plus particulièrement attention.

Comment expliquer un ralentissement durable de la croissance, alors que le progrès technique est loin de se tarir ?

Dans un premier temps, l'accélération de l'inflation, la montée du chômage, la

récurrence de déséquilibres extérieurs et plus encore l'échec de relances nationales ou internationales introduisirent le doute quant à la pertinence du modèle keynésien. Nombre de recherches contemporaines tentent de lui trouver une alternative en explorant des pistes fort diverses : théorie du déséquilibre, nouvelle théorie classique, hypothèse des anticipations rationnelles, approches en terme de contrats implicites ou salaire

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d'efficience, ont en commun de répondre au défi de la crise actuelle. Principalement centrées sur le court terme ou tout au plus sur les processus dynamiques conduisant aux cycles, ces constructions n'accordent à la technique qu'un rôle second. En conséquence la productivité demeure une variable très largement exogène, qui enregistre un ralentissement, dont on peut seulement apprécier l'impact en matière d'emploi.

Mais il apparaît, dans un second temps, que la question dépasse les seuls

ajustements à une série de chocs pétroliers..., d'autant plus que le contre-choc observé à la fin de 1985, qui pourtant annule une grande partie de l'augmentation antérieure du prix relatif de l'énergie, n'a pas conduit à la reprise, tant attendue, de la croissance. Alors même que de multiples mesures ont visé à flexibiliser les marchés du travail, que la déréglementation et globalisation des marchés financiers permettent une grande mobilité des capitaux, le chômage, qui en Europe n'avait cessé d'augmenter depuis la fin des années soixante, ne s'est que peu ou pas réduit. Font problème les ressorts même de la croissance de l'après guerre.

Or les théories économiques ne livrent pas d'explication totalement satisfaisante

de cette rupture. D'une part, se trouve invalidée l'hypothèse d'une pleine utilisation des ressources en main-d'œuvre. Dès lors, peu de modèles s'affranchissent de cette hypothèse, si l'on fait exception des tout premiers modèles keynésiens des années trente et quarante qui, supplantés par la théorie de SOLOW, n'ont que peu amendés et enrichis depuis lors. D'autre part, semble s'être inversé le sens même des causalités régissant les relations croisées entre emploi, productivité et croissance. Dans les années soixante cette dernière était contrainte par les ressources en main-d'œuvre, de sorte qu'une intensification du progrès technique était toujours favorable. Depuis les années soixante-dix, la croissance de chaque pays est limitée par sa compétitivité et les perspectives de l'économie internationale. Dans ce nouveau contexte, une amélioration de la productivité semble réduire l'emploi (R. BOYER, P. PETIT (1984)). Plus généralement, ce dernier apparaît dériver aussi bien des caractéristiques du modèle de régulation que de déterminants techniques.

Face à ce puzzle, il n'est peut-être pas surprenant que les conceptions

schumpétériennes aient fait un retour remarqué en matière de recherche comme de politique économique. Même si elles n'ont pas encore une grande précision analytique, elles permettent de rendre compte de la dynamique logique de l'emploi : croissant lorsque l'essor de nouveaux produits compense les gains de productivité, décroissant lorsque la prédominance d'investissement de rationalisation se conjugue avec un relatif épuisement de la diffusion de ces nouveaux produits (C. FREEMAN et alii (1982), G. MENSCH (1979)).

Mais il est un autre défi auquel la théorie néoclassique de la croissance est

confrontée : alors que les avancées scientifiques se poursuivent à un rythme qui ne se dément pas, est-il fondé d'attribuer le ralentissement de la productivité américaine à des difficultés en matière de science et technologie (E.F. DENISON (1979)) ? Supposant que l'on renonce à cette dernière assimilation, peut-on pour autant affirmer que les changements techniques ne jouent aucun rôle dans les problèmes actuels (E. MALINVAUD (1986), P. DUBOIS (1985)) ? Pour leur part, certains spécialistes de la

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science et de la technologie présentent un diagnostic différent, corroboré par un réseau convergent d'indices.

De la difficulté de cerner les conséquences d’un nouveau système technique

Pour le macroéconomiste, le changement technique peut se résumer en un paramètre clé (la progression de la productivité globale des facteurs) ou, de façon plus générale, à une série de paramètres cernant son degré d'incorporation au capital, la part des phénomènes d'apprentissage, etc... comme le font par exemple les modèles à génération de capital (A. SALTER (1960), J.-P. BENASSY et alii (1976)). C'est sans doute une contribution importante, qui donna très largement satisfaction lorsque la croissance était forte et stabilisée.

Les enseignements de la présente décennie incitent à adopter une vision moins

pauvre du progrès technique, d'autant plus que s'impose avec une relative évidence l'hypothèse d'un basculement des systèmes productifs. Les méthodes fordiennes centrées sur la mécanique et les biens durables ont vieilli et rencontré des obstacles alors que l'émergence et de la diffusion des techniques modernes de l'information et de la communication laissent augurer un nouvel âge industriel. Avant d'être quantitatif, ce changement est qualitatif, en ce qu'il affecte la plupart des formes antérieures d'organisation de la production. Dès lors s'impose une caractérisation fondée sur une série de critères, dont quatre s'avèrent essentiels.

o Le changement technique est à la fois lancement de produits nouveaux et amélioration de

produits existants. Les premiers posent de redoutables problèmes à l'économiste car l'innovation de produits n'est pas aisément intégrable dans une approche où les préférences sont formées une fois pour toutes sur l'ensemble des biens passés, présents et à venir. Rares sont les tentatives de dépassement (K.J. LANCASTER (1971), L. LEVY-GARBOUA (1986)). L'innovation de produit est pourtant essentielle si l'on entend procéder à une analyse des effets du progrès technique sur l'emploi. Le changement technique aura un impact d'autant plus défavorable que l'on négligera le renouvellement permanent des produits (Y. KATSOULACOS (1986), B. REAL (1984), R. BOYER (1988)).

Une boutade, pour donner un tour moins abstrait au raisonnement. La modernisation industrielle n'a pas consisté à produire en série des diligences mais à inventer puis produire en masse un nouveau moyen de locomotion : l'automobile !

o Il faut prendre au sérieux l’incertitude propre à l’innovation. Il était sans doute loisible de

considérer le changement technique comme un processus quasi-déterministe lorsqu'il s'agissait de diffuser et d’améliorer à la marge le système mis en place après la seconde guerre mondiale. L'incertitude qui caractérise tout effort de recherche et développement pouvait se réduire au risque, compte tenu de l'expérience accumulée. Tel n'est plus le cas lorsque par exemple les techniques de l'information autorisent des perspectives tout à fait originales par rapport à l'ancien système. L'incertitude est alors radicale : ce n'est plus en scrutant les régularités passées que l'on peut se forger une idée du rendement économique d'un investissement, mais en effectuant des paris sur la base d'informations tout à fait embryonnaires, et dont on ne saura qu'ex-post s'ils

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seront ou non validés. Mais il est deux autres distinctions à introduire pour rendre compte de la particularité des changements techniques contemporains.

o Aux innovations marginales qui se développaient aux frontières du système

sociotechnique établi, s'opposent aujourd'hui des innovations radicales au sens où elles sont à même de définir à terme un nouveau paradigme technologique. La distinction entre l'un et l'autre cas est certes difficile et entachée de certaines marges d'incertitude. Pourtant il est clair, pour ne prendre que cet exemple, que le lancement d'un nouveau modèle d'automobile appartenant au même type (passage de quatre à six du nombre de cylindres, de quatre à cinq du nombre de vitesses…) ne pose pas des problèmes aussi considérables que l'innovation consistant par exemple à concevoir puis construire à coûts compétitifs une voiture électrique. Une série convergente d'indices suggère que dans nombre d'industries les changements sociotechniques actuels appartiennent plus au second type qu'au premier. D'où une nouvelle source d'incertitudes, irréductibles aux enseignements raisonnés tirés des connaissances progressivement acquises au sein de l'ancien paradigme technologique.

o Il convient enfin de distinguer entre des changements de nature strictement locale et des mutations globales, qui potentiellement sont susceptibles d'affecter l'ensemble du système. Mais ce critère ne se ramène pas à l'opposition marginal/local, puisque l'on peut concevoir qu'une innovation radicale voit sa diffusion restreinte à un petit nombre de branches, de régions ou d'individus. À cet égard, la planche à roulettes n'a pas joué le rôle du téléviseur ou des appareils ménagers dans la transformation du mode de vie des années soixante-dix et quatre-vingt, contrairement à ce qui était intervenu après la seconde guerre mondiale. De même, une innovation mécanique sur tel équipement textile n'a pas nécessairement la même portée que la généralisation des microprocesseurs dans l'asservissement et le contrôle d'équipements automatisés. Alors que la première reste par nature limitée à des tâches et secteurs strictement circonscrits, la seconde innovation est susceptible d'affecter la quasi-totalité des outillages et équipements, industriels comme tertiaires, qu'ils soient utilisés dans la production ou qu'ils contribuent à la consommation finale.

En définitive, les deux dernières décennies donnent tout leur poids à ces

distinctions puisque la myriade de recherches et d'études de cas tend à conclure de façon quasi unanime à un basculement de l'ensemble du système sociotechnique. Il se caractériserait par un nouvel équilibre entre innovations de processus et de produits, une incertitude radicale concernant l'avenir d'un certain nombre de nouvelles industries. D'où le caractère original et global du paradigme technologique en voie d'émergence. Les économistes sont donc incités à adopter une conception moins réductrice du changement technique, s'ils entendent rendre compte de la spécificité des transformations actuelles. On ne saurait les réduire aux seules variations de la productivité globale : de fait cet indicateur ne fait qu'enregistrer ex post les conséquences d'un ensemble complexe de changements affectant l'organisation interne des firmes, la diffusion intersectorielle des technologies de l'information, la création et la disparition des processus productifs.

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Apparente universalité des changements techniques, mais spécificité des trajectoires nationales.

Telle est en effet la troisième anomalie que fait ressortir l'application des problématiques traditionnelles à la situation contemporaine. Pour une très large part les théories du commerce international supposent un libre accès des divers pays au savoir-faire technologique, de sorte que les seules différenciations pertinentes concernent les dotations factorielles initiales. Certes, de longue date, les études internationales comparatives visant à expliquer les différences des rythmes de croissance entre pays avaient fait ressortir des différences significatives... sans pour autant parvenir à les expliquer de façon totalement satisfaisante (E.F. DENISON et J.-P. POULLIER (1967)).

À ses débuts, la révolution de l information avait fait naître l'espoir que

pourraient ainsi s'égaliser les différences de développement entre le Nord et le Sud ou entre les pays de l'O.C.D.E. eux-mêmes. Depuis lors, l'expérience a très largement démenti ce pronostic, au demeurant quelque peu naïf. Certes, certains pays du sud-est asiatique sont en passe de pénétrer dans le club des pays industrialisés – contrairement aux pronostics formulés par les théories du développement (P. BAIROCH (1974)) et en particulier celles de la dépendance. Pourtant, dans leur majorité les pays de la périphérie n'ont que fort peu bénéficié de la nouvelle donne technologique. Plus encore au sein des pays de vieille industrialisation, les différenciations sont loin de s'être atténuées : certains pays tels le Japon sont passés maîtres dans l'art de lancer des productions de masse à partir de novations techniques venues d'ailleurs, alors que la plupart des pays européens ont eu quelques difficultés à lier avancées scientifiques, innovations techniques et compétitivité.

Il est donc difficile de maintenir l'hypothèse que tous les pays ont bénéficiés

également de la manne technologique, quelles que soient leurs modalités d'organisation ou, vue plus extrême, que les mutations techniques fin iront par déterminer les formes institutionnelles adéquates, quitte à bouleverser les traditions nationales les mieux établies. Le lecteur aura reconnu les conceptions schumpétériennes de l'évolution à long terme des économies capitalistes (J. SCHUMPETER (1911)). Selon cette lecture, quelque peu réductrice, 1es innovations technologiques façonneraient complètement les institutions et la position relative des groupes sociaux. Au demeurant, les visions les plus orthodoxes de la théorie marxiste, même modernisées convergent aussi vers cette même détermination "en dernière instance" des rapports sociaux par les forces productives.

Or ces hypothèses extrêmes sont démenties par l'observation : les formes

d'organisation sont tout autant des filtres de l'innovation qu'elles en sont la conséquence. Quelques exemples parmi une vaste littérature. Ainsi, des comparaisons entre établissements appartenant à une même multinationale, mais situés dans divers pays font ressortir qu'une même organisation technique l ivre des niveaux de productivité et des résultats économiques fort différents, selon les traditions ouvrières nationales, les relations entre activités productives et vie collective, etc... (Ph. d'IRIBARNE (1986), G. HOFSTEDE (1986)), expliquant ainsi des disparités déjà mises en évidence par des recherches antérieures (C.F. PRATTEN (1970)). De même, l'un des grands acquis des études comparatives en sociologie du travail a précisément été de montrer la non

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détermination de l'organisation et de la division du travail par les seuls équipements techniques. A contrario, des traits nationaux communs tenant à la formation, à la mobilité interentreprises, aux conceptions de l'organisation du travail semblent s'imposer à des firmes appartenant à des branches différentes, désignant ce que l'on a convenu d'appeler un effet sociétal (M. MAURICE, S. SELLIER, J.-J. SILVESTRE (1982)).

Nulle surprise donc si, au niveau global, un même principe général d'organisation

technique donne naissance à une grande variété de trajectoires nationales. Les recherches sur l'implantation du taylorisme (H. de MONTMOLLIN, O. PASTRE (1984), P. FRIDENSON (1987)) aussi bien que sur la diffusion du fordisme (R. BOYER Ed. (1986)) laissent peu de doute quant au degré de détermination de ces méthodes d'organisation du travail et de gestion par la nature des compromis institutionnalisés propres à chaque pays. Le social fait donc retour sur l'économique (degré de compétitivité national) comme sur la technique (vitesse de diffusion et d'adoption des innovations).

Si par exemple le modèle fordiste ne s'est jamais véritablement épanoui en

Angleterre, ce n'est pas du fait d'une insuffisance proprement scientifique ou technique en la matière, mais des blocages qui sont l'expression même de la socialité anglaise : rapports du travail conflictuels et antagoniques, dévalorisation de la production et de la technique par rapport aux activités nobles de la finance et de la politique, etc… Tout au contraire les équipements automatisés se sont diffusés si rapidement au Japon car ils s'insèrent sans difficulté dans les représentations et les pratiques de la coopération au sein de l'entreprise, établies de longue date (M. AOKI (1987)). Il est ainsi possible d'imaginer que face à un défi technologique identique, les sociétés explorent des voies qui, à long terme, peuvent s'avérer divergentes déclin et désindustrialisation du capitalisme britannique, ascension continue et rapide dans la division internationale du travail pour le Japon. Ainsi s'ouvre la perspective de stimulantes comparaisons internationales mettant en œuvre des approches pluridisciplinaires (R. HOLLINGWORTH, W. STREECK, R. SCHMITTER (1988)).

Cette ligne d’interprétation n'est pas sans conséquences pour les recherches en

sciences sociales : la technique loin d'être un objet distant et quelque peu exotique serait au contraire un révélateur aigu d'entrelacs de déterminations politiques, sociales et économiques. Le point de vue est d'autant plus intéressant que "l'air du temps" est tout au contraire imprégné par un fort déterminisme technologique : que s'accélère l'adoption des nouvelles techniques et sera restaurée la compétitivité nationale, garant d'un essor de l'emploi, du niveau de vie et du maintien ou d'une extension de la couverture sociale. Le raisonnement est ainsi clairement hiérarchisé de la technique à l'organisation sociale :

CHANGEMENT TECHNIQUE

CROISSANCE ÉCONOMIQUE

PROGRÈS SOCIAL

À la lumière des développements qui précèdent c'est une interprétation tout autre

qui semble prévaloir, mettant en jeu une causalité circulaire.

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FORMES

SOCIALES D'ORGANISATION

ADHÉSION OU NON AU

CHANGEMENT TECHNIQUE

COMPÉTITIVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

D'un côté, les facteurs institutionnels constituent effectivement un filtre à la diffusion des tec niques et à leur mobilisation économique. Mais de l'autre, du succès ou de l'échec économique dépend la viabilité à long terme des formes nationales d’organisation de la vie en société. Dès lors, si l'on admet ce point de vue, s’ouvre un ambitieux et difficile programme de recherche.

III. LES RELATIONS TECHNOLOGIE, ÉCONOMIE ET SOCIÉTÉ : VERS UN NOUVEAU PROGRAMME DE RECHERCHE ?

Il se trouve en effet que l'ensemble des anomalies qui ont été passées en revue ont suscité un regain d'analyses et de recherches. Après avoir exploré diverses pistes, elles semblent aujourd'hui déboucher sur un ensemble d'hypothèses et de méthodes, susceptibles de fonder un programme original. On se propose d'en présenter les contours et d'esquisser certains résultats d'ores et déjà obtenus. Les arguments exposés s'inspirent fortement des lignes de force d'un ouvrage collectif à paraître, rassemblant quelques-unes des spécialistes internationaux de l'analyse du changement technique (G. DOS l, C. FREEMAN, R. NELSON, Q. SILVERBERG, L. SOETE (1988)).

1. Un ensemble hiérarchisé de notions et méthodes.

Partant des caractéristiques les plus fondamentales qui président aux choix techniques, la démarche construit progressivement une série de concepts permettant in fine de rendre compte des trajectoires sociotechniques observées à l'échelle internationale. Le raisonnement met en jeu huit étapes (voir schéma n° 2, p 18).

° Une incertitude radicale préside aux choix technologiques majeurs Comme cela a été précédemment rappelé, il faut prendre au sérieux le caractère

neuf propre à toute invention puis innovation. Cette caractéristique est d'autan, plus marquée que l'on s'intéresse à des changements radicaux et globaux, c'est-à-dire affectant l'ensemble du système sociotechnique. On ne peut plus alors recourir à l'évaluation de probabilités à partir des fréquences observées sur un vaste ensemble d'expériences, dans un contexte où la loi de distribution demeure invariante, où ne subit que peu de changements au cours du temps. Qu'on songe par exemple aux tables de mortalité qui guident la politique des compagnies en matière d'assurances vie. Rien de tel quand l'entreprise cherche à analyser les conséquences de ses choix stratégiques en matière de recherche et de développement. Lorsque, par exemple, à l'issue de la seconde guerre mondiale, est envisagée l'exploration des possibilités d'application civile du nucléaire, par

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définition même, les décideurs publics et privés ne disposent pas des informations, même les plus essentielles, nécessaires à leurs choix (L. PUISEUX (1982)).

Par rapport à l'axiomatique des choix développée par les théories modernes,

s'introduit une césure importante : alors que la décision optimale devrait maximiser l'espérance mathématique du bénéfice net en fonction de probabilités attribuées aux divers états de la nature, la description même de ces derniers ne sera disponible qu'ex post, une fois prise la décision de rechercher des méthodes de production d'électricité par le nucléaire. En un mot, la hiérarchie entre description des états de la nature, évaluation de leur probabilité et décision optimale est alors inversée. Mutatis mutandis, nombreux sont les choix technologiques contemporains qui mettent en œuvre une incertitude radicale de ce type : pourra-t-on obtenir des ordinateurs de la cinquième génération ? Quelles seront les techniques de télécommunication les plus efficaces ? Quelle sera la configuration des processus industriels automatisés ?

o Des limites évidentes aux possibilités d’optimisation de l’homo eoconomicus

Dans ces conditions, il devient quasiment impossible de ramener le problème à une maximisation de l'espérance de profit sous un ensemble de contraintes. En effet, la fonction de production du progrès technique est elle-même inconnue, les coûts à engager demeurent soumis à des aléas, et les états de la nature ne se révéleront qu'une fois prise la décision d'explorer un certain sentier technologique : s'il conduit à une impasse on ne le saura qu'ex post, les probabilités subjectives données ex ante par les meilleurs spécialistes ne fournissant qu'un piètre balisage de ces terra incognita. Cet argument, très tôt avancé par J. SCHUMPETER, a longtemps été négligé par les théories économiques usuelles, entraînant des difficultés certaines dans la conception des politiques scientifiques.

Au demeurant, les recherches récentes ont précisément mis en évidence ces

limites du calcul économique traditionnel. Dès lors que l'on sait aujourd'hui que l'on disposera à une date future d'informations plus complètes sur les possibilités techniques disponibles, le critère de l'espérance mathématique peut conduire à privilégier des décisions irréversibles par rapport à celles préservant des marges d'adaptation à l'état de la nature qui prévaudra dans le futur. La littérature sur les valeurs d'option, née à propos des choix en matière d'environnement, montre comment l'introduction de certaines irréversibilités modifie les critères usuels de rationalité (C. HENRY (1974), O. FAVEREAU (1987)). Fondamentalement les paradoxes dérivent de la dépendance des états de la nature par rapport aux décisions, en rupture avec la stricte séparation nécessaire au calcul microéconomique traditionnel. Dès lors, comment éclairer les choix correspondants ?

o La nécessité des procédures empruntées à la rationalité limitée.

Dans ces conditions prennent toute leur importance celles des théories qui ne supposent pas la pleine connaissance des états de la nature et des contraintes à venir, de sorte que le choix ne peut plus se ramener au calcul ex-ante d'un optimum, qu'il suffirait ensuite de mettre en œuvre. Or, les spécialistes de la décision et des organisations ont de longue date explicité des critères et des méthodes, lorsqu'il est impossible de se référer au

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cas idéal de la théorie microéconomique : face à l'incertitude et un environnement incomplètement probabilisable, les décideurs sont amenés à adopter des procédures et des règles appartenant au domaine de la rationalité limitée. De l'expérience passée, ils tirent un principe de comportement, partiel et intuitif, vraisemblable plus qu'optimal. Au demeurant les recherches en psychologie montrent que les exceptions à la théorie des choix rationnels sont nombreux et peuvent être expliquées (R.M. HOGARTH, M.W. REDER (1986)). Les procédures que les agents parviennent à forger ne sont remises en cause que si s'introduit un écart trop flagrant entre le résultat et les attentes, conformément à un principe de satisfaction plus que de maximisation (H. SIMON (1982)). L'organisation interne des firmes dérive précisément de cet impératif de traitement de l'information et de décomposition des décisions en une série de sous--ensembles relativement indépendants et donc décentralisables entre diverses divisions de l'entreprise.

Deux exemples aideront sans doute à comprendre les différences par rapports au

critère de rationalité en information parfaite. Le joueur d'échec décide ainsi de sa stratégie non pas en fonction de l'exploration de l'ensemble des réactions possibles de son adversaire jusqu'à la fin de la partie (les ordinateurs les plus puissants y passeraient des siècles !) mais d'un ensemble de règles implicites ou explicites, forgées par l'expérience propre et celles léguées par les grands maîtres du passé. Nombreux sont les problèmes économiques qui s'inscrivent p lus dans la logique d'une partie d'échecs que dans le calcul d'une fonction de potentiel, pour reprendre une notion empruntée à la mécanique. Le Rubik-cube fournit un exemple encore plus éclairant puisque très proche des problèmes rencontrés en matière de recherche et développement (G. DOSI et M. EGIDI (1987)). Le succès vient de la décomposition du problème en sous-ensembles tels qu'on puisse les résoudre par la combinaison de règles simples (constituer une ligne de même couleur, juxtaposer deux lignes situées sur des faces différentes, etc…). Il faut noter une relation évidente avec les sciences cognitives : la maximisation sous contrainte est loin de constituer la procédure cardinale quant à la solution de la plupart des problèmes qui sont le lot de l'activité humaine, qu'elle soit quotidienne ou savante.

Les grands projets technologiques (nucléaire, espace, ordinateurs,

télécommunications, usines flexibles...) mettent en œuvre, sur une échelle élargie, ce type de stratégie…avec la complexité qui tient à la multiplication des opérations élémentaires, sans compter que rien ne garantit qu'existe finalement une solution. Alors que le Rubik-cube est construit pour en avoir une, les savants et ingénieurs de l'après seconde guerre mondiale ne savaient pas si existeraient les moyens d'exploiter l'énergie nucléaire à des fins pacifiques, et ce à des coûts non prohibitifs. Dès lors ce sont les choix initiaux, l'ampleur des moyens financiers consentis, les formes d'organisation et les procédures heuristiques qui finissent par déterminer le sentier technologique suivi. En conséquence s'introduit un principe d'historicité selon la configuration de ces facteurs, des avenirs différents seront explorés, de sorte qu’ex post, les structures et performances économiques seront distinctes (M. WILLINGER et E. ZUSCOVITCH (1987)).

On est donc fort loin de la conception traditionnelle de la théorie économique

qui s'intéresse d'abord au choix de la technique optimale (ce qui revient à supposer Que les informations nécessaires sont disponibles en totalité) puis aux facteurs de sa diffusion

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(admettant en cela que l'environnement ne changera plus jusqu'à ce que le processus soit achevé). Tout au contraire, c'est un processus d'essais et d'erreurs, d'imitations et de recherches de techniques nouvelles qui aboutira à ce qui sera considéré ex-post comme une fonction de production agrégée (R. NELSON, S.G. WINTER (1982)). Dès lors cette dernière serait un résultat et non le principe explicatif du changement technique. Tel est le cœur du message schumpétérien, que la problématique de la rationalité limitée et les techniques modernes de simulation, permettent de pousser plus avant.

o Le paradigme technique comme moyen de coordination d'un ensemble de choix décentralisés.

L'application des principes de rationalité limitée aboutit à un certain nombre de règles concernant la gestion du changement technique. Mais se pose alors le redoutable problème du passage micro-macro : comment expliquer certaines régularités observées au niveau global, alors qu'à l'échelle individuelle semble prévaloir un processus brownien d'essais et d'erreurs ? Il est tentant d'avancer l'hypothèse que ces règles décentralisées font appel à des représentations collectives de la technique, et en tant que telles sont partagées par un grand nombre d'acteurs économiques. Ainsi s'introduit le rôle des visions technologiques, dont les historiens (B. GILLES (1982)) nous montrent la prégnance et la relative homogénéité au cours de grandes périodes historiques. Ainsi peut-on diagnostiquer un âge de la vapeur, de l'électricité puis du pétrole, l'époque contemporaine semblant caractérisée par la confiance attribuée à la "révolution de l'information".

Il se pourrait que ces configurations, au-delà de phénomènes de mode, désignent

une caractéristique importante du changement technique : il serait toujours orienté par référence à un paradigme technologique (G. DOSI (1982) et (1987)). Ce dernier indiquerait aux ingénieurs et entrepreneurs selon quelles directions chercher et selon quels principes, et a contrario qu'elles sont les voies qu'il est peu, ou pas, fructueux d'explorer. Ce qui s'applique aux programmes de recherche scientifique pourrait donc s'étendre à l'activité technique elle-même. Non pas que la technique dérive de la seule application de la science, mais parce que les processus cognitifs à l'œuvre dans l'un et l'autre champs seraient de même nature.

Ainsi de même que les paradigmes scientifiques contribuent à la socialisation de

l'activité intellectuelle, le partage d'un paradigme technologique, ou tout au moins d'une vision commune, réaliserait ce même passage de l'individuel au collectif et vice versa. Notons au passage que la notion de paradigme technologique appartient de plein droit aux sciences sociales puisqu'elle exprime les modalités d'interaction entre individus et groupes, au sein d'une société et d'une économie données. Mais il importe alors de pousser plus avant l'analyse de ces interdépendances.

o Le filtre des relations sociales

L'exploration de nouvelles combinaisons techniques résultant de procédures organisationnelles, il n'est pas surprenant que leur adoption ou non, leur rapidité de diffusion, dépendent de façon cruciale de l'ensemble des autres règles régissant la gestion de l'entreprise, la division sociale du travail, bref, la reproduction du lien social dans son

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ensemble. S'établit en effet un continuum entre les diverses routines, qu'elles soient de nature technique, organisationnelle, comptable, ou juridique. Il convient en effet de souligner une remarquable convergence des recherches les plus récentes : si les spécialistes de la gestion insistent sur la comptabilité analytique comme technique invisible de gestion (M. BERRY (1983)), certains juristes font du droit du travail une technique de gestion pour les petites comme pour les entreprises (A. LYON-CAEN (1986)).

Dans le domaine des relations entre innovations techniques et formes sociales

d'organisation, deux exemples peuvent être éclairants. Pourquoi l'industrie du bâtiment et de la construction n'a-t-elle pas suivi le chemin de l'organisation taylorienne puis fordienne du travail ? Ce n'est pourtant pas faute d'en avoir tenté l'application : entre les deux guerres n'a-t-on pas envisagé la production d'habitations métalliques sur le modèle de la construction automobile (G. RIBEILL (1983)) ? Tel ne sera pas le sentier suivi après la seconde guerre mondiale, car s'y opposeront les caractéristiques mêmes de ce secteur : forte affirmation du métier et de la polyvalence, stricte division des fonctions de financement, promotion et production de logements, rôle tout à fait particulier de la rente foncière, etc… (M. CAMPINOS (1983)). Bel exemple d'un blocage par les relations sociales existantes d'un paradigme technologique pourtant envahissant. En matière de choix technologiques, les relations sociales importent : elles ne sont pas la seule conséquence différée de l'essor de techniques plus productives. Force est de rétablir une causalité bi directionnelle entre technique, société et économie.

Ce même principe s'applique lorsque l'on cherche à cerner les déterminants des

différences de compétitivité entre nations. Ainsi les performances fort contrastées entre industries britannique et japonaise ne semblent pas dériver de la maîtrise du changement scientifique et technique, mais plutôt de l'état des relations industrielles dans l'un et l'autre pays. En Grande Bretagne, l'organisation syndicale s'est construite au niveau de l'atelier sur la défense de métiers très étroitement définis, sur la base desquels se définit l'identité sociale, la qualification et le revenu de chaque salarié. Par ailleurs, les relations patronat-syndicat sont traditionnellement entachées de défiance mutuelle et de forte conflictualité. Dans ces conditions, le changement technique est perçu par les salariés comme une remise en cause de leur statut, mouvement auquel ils s'opposent en général avec la plus extrême détermination. Dans ce pays, ce n'est donc pas la politique scientifique qui fait problème mais bien les formes sociales d'organisation. A contrario, l'économie japonaise ne se caractérise pas essentiellement par le dynamisme des inventions scientifiques et techniques, mais son aptitude à en tirer des productions de masse à faible coût et qui s'inscrivent sur des marchés porteurs, voire même les créent. Or la malléabilité de l'organisation du travail et la ' tradition de négociation – fut-elle implicite – des changements techniques constituent autant d'atouts dans la mise en œuvre de cette stratégie.

On pourrait multiplier les exemples : tous suggèrent que les formes d'organisation

internes aux firmes aussi bien que les représentations et conceptions qui tissent le lien social au sein de chaque Etat-Nation filtrent et canalisent les changements techniques. Mais il ne faudrait pas pour autant en oublier tout critère économique.

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o La viabilité économique à moyen long terme

On l'a souligné, le critère pur de maximisation des profits n'est pas opératoire en matière de choix technologiques structurels. Pourtant ex post, un critère économique finit toujours par s'imposer et introduire un second filtre à défaut de déterminer une valeur optimale. Au niveau de l'unité de production, l'innovation devra satisfaire à un certain nombre de critères (niveau minimum de rentabilité, préservation de la solvabilité financière, etc...), conformément à un principe de rationalité limitée à la H.A. SIMON (1982) ou de X-efficience à la H. LEIBENSTEIN (1980). Similairement, pour l'économie dans son ensemble, la viabilité d'un système technique dépend de son aptitude à engendrer un surplus, conformément aux critères de reproductibilité analysés dans les théories néo-cambridgiennes (L. PASSINETTI (1974)).

Filtre social et viabilité économique discriminent ainsi parmi les divers sentiers

d'évolution technique, selon un critère de nature séquentielle, de sorte que le paradigme établi ou en voie d'émergence présente alors un caractère cumulatif. Ces deux critères sélectionnent, plus qu'ils ne déterminent complètement, les modalités d'organisation qui finiront par caractériser le système. On aura reconnu l'utilisation par certains chercheurs contemporains des intuitions qui sont à la base de l'œuvre de SCHUMPETER (R. NELSON, S.G. WINTER (1982), B. ARTHUR (1988), G. DOSI (1988)).

o La cohérence d’un système sociotechnique.

Poursuivant la remontée du micro au macroéconomique, des concepts les plus abstraits aux notions plus directement confrontables aux observations empiriques, un tel système se définit par la nature des relations qui lient innovations de produits et innovations de processus, et le type de complémentarités sectorielles en matière d'investissement et de consommations intermédiaires. L'épithète sociotechnique vient rappeler qu'un tel système s'incorpore en une série de principes d'organisation, de division du travail, bref de stratifications sociales. Cette notion vise à caractériser les propriétés d'ensemble de l'articulation entre technique et société.

On dispose a priori de deux séries d'outils pour en analyser la cohérence. On

peut· d'abord cerner par des indicateurs synthétiques l'importance relative des innovations qui visent à la création d'une nouvelle demande et de celles qui procèdent à une rationalisation des conditions de production de produits déjà anciens. À travers des relations implicites, ou mieux explicites, avec la consommation d'un côté, l'investissement et la productivité de l'autre, on peut alors rattacher la croissance ou la stagnation d'emploi respectivement à la domination des nouveaux produits ou des nouveaux processus (C. FREEMAN (1977), B. REAL (1984), R. ROTHWELL &. W. ZEGVELD (1979), Y. BALASKO &. R. BOYER (1983)). On peut même viser la formulation de modèles macroéconomiques agrégés, mettant en évidence des équilibres de plein-emploi aussi bien que de sous-emploi durable (G. MENSCH &. Alii (1980)).

Mais il est aussi possible d'adopter un traitement désagrégé utilisant la méthodologie des Tableaux Entrées-Sorties, grâce à l'introduction d'autant de branches que de nouvelles techniques et/ou de nouveaux produits. La viabilité d'un système technique en voie d'émergence se mesure alors à l'aptitude qu'il a de satisfaire à l'objectif de plein emploi de

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la main-d'œuvre, elle-même décomposée en divers niveaux de qualification (W. LEONTIEF, F. DUCHIN (1986), R. AYRES et Alii (1987)). Pour intéressante qu'elle oit, cette approche n'est pourtant pas en général suffisante. s

SCHÉMA 2 - TECHNOLOGIE. ÉCONOMIE ET SOCIÉTÉ UN ENSEMBLE HIÉRARCHISÉ DE NOTIONS

Trajectoires économiques et sociotechniques

Compatibilité avec le mode de régulation

Paradigme technique

Filtre des relations

sociales

Incertitude radicale des choix technologiques

majeurs

Règles de rationalité

limitée

Impossibilité d'optimisation

complète

Système socio-

technique

Viabilité économique

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D'abord, le recueil d'une information de façon quasi-exhaustive présente des

coûts prohibitifs de sorte qu'un minimum d'agrégation s'avère nécessaire. Ensuite, du fait d'un certain conservatisme par rapport aux TES existants, les innovations de processus semblent plus aisées à anticiper que celles concernant les produits. Cette caractéristique est responsable d'un certain pessimisme technologique quant aux effets des nouvelles technologies sur l'emploi (L. SHOLZ, H. WOLFF (1981), R. BOYER, P. PETIT (1981)). Enfin et surtout, les modèles à la Léontief pêchent trop souvent par l'extrême simplicité des comportements et mécanismes économiques retenus, de sorte que l'on s'interroge souvent sur leur pertinence par rapport aux sentiers technologiques effectivement suivis. Cette dernière remarque invite à définir deux notions supplémentaires, nécessaires à la construction proposée.

o La compatibilité avec un régime de croissance et un mode de régulation. Se plaçant au niveau d'ensemble, il importe en effet de vérifier si une

configuration sociotechnique fait système avec l'organisation institutionnelle en vigueur, décrite dans ses traits les plus essentiels : codification des relations de travail et formation du salaire (conditions de partage des gains de productivité), modalités d'articulation aux relations internationales (croissance tirée par la demande interne ou l'exportation), nature du système fiscal et de la politique économique (plus ou moins grande neutralité par rapport à l'innovation), enfin régime monétaire (accompagnant ou bloquant 1e basculement du changement technique). On aura reconnu la question centrale que cherchent à éclairer les problématiques de la régulation (M. AGLIETTA (1976), R. BOYER (1986)).

Il n'est peut être pas inintéressant de noter que nombre de spécialistes du

changement technique ont abouti à une caractérisation finalement très voisine : un régime de croissance serait viable en cas de compatibilité structurelle entre le système techno logique et la configuration institutionnelle, stagnation et crises dans le cas contraire (C. PEREZ (1981), A. COOMBS (1988)). Le projet est alors de donner un sens précis à ces deux propositions, en formulant des modèles de croissance, centrés sur une double dialectique : normes de production/normes de consommation, origine/genèse des biens de productivité. Une configuration institutionnelle et technologique sera réputée viable si elle conduit à un sentier de croissance stable et suffisamment rapide afin d'absorber les ressources en main-d'œuvre engendrées au sein du modèle sociodémographique en vigueur (R. BOYER (1987)). Il faut alors introduire une dernière notion qui en un sens constitue le point d'aboutissement de l'analyse

o Les trajectoires économiques et sociotechniques.

L'ensemble des déterminations précédentes façonne l'évolution d'un système donné au cours du temps. Selon cette conception, le temps ne se réduit pas à celui de la cinématique les innovations économiques, sociales, financières et techniques donnent lieu à des trajectoires propres à une configuration précise, dans le temps comme dans l'espace. Deux conséquences au moins dérivent de cette vision.

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En premier lieu, les systèmes sociotechniques résultent d'une création, fut-

elle inintentionnelle, car il faut pleinement incorporer dans l'analyse 1a nouveauté caractéristique des innovations radicales "qui font date". Nul impératif catégorique tenant à l'essor technologique ne vient prédéterminer la nature exacte des produits, des marchés et des machines qui structureront le mode de développement à venir.

En second lieu, paradigme technique et régulation économique contiennent

en germe l'essor, le blocage ou le dépérissement, donc 1a crise des principes qui en sont à la base. C'est un second principe d'historicité interne à chaque régime et dont on trouve trace aussi bien dans les caractérisations néo-schumpétériennes (l'âge de la machine à vapeur est supplanté par celui de l'automobile, puis de l'information, etc....) que dans celle de la régulation (à l'ancienne, concurrentielle, monopoliste…).

Cette présentation achevée, une question s'impose : cet ensemble de notions

(Schéma 2) permet-il de rendre compte des trois anomalies que le paradigme antérieur ne parvenait pas à expliquer (cf. § II) ?

2. Des résultats encore partiels mais prometteurs

On se contentera de développer brièvement quelques-unes des arguments déjà présentés au fil de la plume.

o Croissance et crise : les deux phases d’un même processus

Sont en effet renvoyées dos à dos les deux conceptions polaires par rapport auxquelles les relations entre technique et économie ont trop souvent été réduites. L'innovation n'est ni la calamité qui va automatiquement détruire les emplois, déqualifier le travail, ni la panacée qui va relever le niveau de vie et promouvoir l'emploi. Il serait en effet vain de vouloir répondre à la question des effets du changement technique indépendamment des relations économiques en vigueur (M. AMENDOLA et. J.-L. GAFFARD (1987)). Selon le cas, les mêmes innovations produiront l'une ou l'autre des deux configurations. Dès lors le vocable de chômage technologique (H. NEISSER (1942)) peut susciter un contresens : on ne saurait lire dans la seule technique les principes explicatifs de phénomènes par nature sociaux, idéologiques, économiques, etc…

De façon plus précise, une croissance rapide et stable résultera de la compatibilité

entre innovations de produits et innovations de processus, entre mécanismes de genèse des gains de productivité et ceux de leur distribution, entre paradigme technologique et configuration du régime international, etc… À l’aide de modèles macroéconomiques simples, il est possible de dégager les condit ions exactes d'une telle trajectoire (L. CAUSSAT (1981), R. BOYER &. P. PETIT (1981)). D'où a contrario, une série d'explications des dérèglements conduisant à la crise : exacerbation des conflits du fait même du succès du système, épuisement du paradigme technologique, incompatibilité

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entre certaines innovations et la régulation en vigueur… Mais l'essentiel est de développer un même principe d'explication pour la période de croissance et de crise.

A sa façon, cette interprétation rejoint, et semble-t-il synthétise, une série de

recherches récentes d'auteurs aussi divers que E. MANDEL (1980) et G. MENSCH (1979), I. WALLERSTEIN (1982) et C. FREEMAN (1978), certains radicaux américains et les "régulationnistes" européens. Une telle convergence augure-t-elle de la naissance d'un programme de recherche original ou fait-elle partie de l'air du temps ? Au lecteur d'en juger à la lumière de la construction qui vient d'être esquissée.

o Les conditions de viabilité d’un nouveau système technique

C'est une propriété essentielle de tout système sociotechnique que d'organiser des complémentarités et indivisibilités, qui sont à l'origine de rendements d'échelle, statiques comme dynamiques. Une fois institué, un paradigme technologique induit des effets d'apprentissage multiformes liés à la production elle-même, mais aussi à l'activité de consommation alors que parallèlement il suppose des infrastructures (transports et communications, éducation et formation professionnelle,…), sources d'effets de réseau. Ainsi s'explique, qu'une fois institué, un système sociotechnique ait une propriété d'auto-développement, au sens où les choix individuels en matière d'organisation technologique tendent à valider le paradigme en vigueur. D'un côté, il est compatible avec les formes organisationnelles existantes, de l'autre il rend non compétitives des techniques ou systèmes techniques alternatifs. De cette conception découlent trois propriétés importantes.

– D'abord, l’état final dépend de l’histoire du système, car il ne s'impose pas par des

propriétés d'optimalité. Une série de choix en avenir incertain conduit à explorer un sentier bien particulier, lui-même canalisé par le rôle de la distribution du revenu et des prix relatifs dans la sélection des techniques. Ce qui ex-post peut être décrit comme le cheminement le long d'une fonction agrégée de production, résulterait d'un ensemble hétérogène d'innovations intervenant à l'échelle décentralisée (R. NELSON, S.G. WINTER (1982)).

– Ensuite, s'introduisent de ce fait une série d’irréversibilités. Dès lors que les

phénomènes de réseau et d'apprentissage sont importants, une technique potentiellement supérieure peut ne pas se diffuser du fait de l'avantage compétitif qui les parts de marchés occupées assurent à la technique établie grâce aux rendements d'échelle dont elle bénéficie. Des modèles néo-schumpétériens même simples, font ainsi ressortir des différences majeures par rapport à la théorie néoclassique pour laquelle toute technique supérieure finira toujours par s'imposer (B. ARTHUR (1988)).

– Enfin, et ce résultat corrige le précédent, ces irréversibilités ne sont jamais totales dans

la longue période, peuvent apparaître des innovations suffisamment radicales pour entraîner le basculement vers un autre système technique. Existeraient donc des bifurcations, en un processus combinant hasard et nécessité. En effet, elles sont l'expression de l'histoire du système et ne résultent pas nécessairement de propriétés "intrinsèques", constitutives du système et connues de longue date. Les systèmes

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sociotechniques font appel, semble-t-il plus que d'autres, à des phénomènes d'auto-organisation (I. PRIGOGINE et I. STENGERS (1979)).

Dans ce contexte, l’histoire des techniques revêt une importance majeure : plus que

d'ajouter quelques considérations événementielles à des tendances longues dominées par l'essor de processus de plus en plus efficaces, elle apporte une explication des processus complexes qui ont conduit à privilégier tel système plutôt que tel autre. Les techniques se trouvent ainsi au cœur des problématiques économiques visant à expliquer croissance et crise. Leur histoire rencontre les interrogations et les apports des autres sciences sociales (ethnologie et sociologie de l'entreprise, gestion, histoire économique et sociale, etc …).

o Une interprétation des différenciations entre firmes, régions, nations.

Dernier avantage de cette problématique, l'inégale aptitude des différents systèmes socio-économiques à mobiliser les avancées techniques ne résultent pas de quelques imperfections ou retards par rapport à un modèle cardinal, réputé unique. Les différenciations sont la conséquence directe de la prégnance des représentations, des institutions et formes d'organisation quant à la mise en œuvre des innovations : les notions de paradigme technologique, filtre social, système et trajectoire sociotechniques insèrent la technologie dans le réseau des rapports sociaux.

Nature des relations du travail, formes de la concurrence, modalités

d'organisation internes des firmes, valeur accordée au travail productif, et bien d'autres facteurs encore, se conjuguent pour façonner les trajectoires nationales, déterminées dans et par l'histoire propre à chaque formation sociale. Ce qui est traditionnellement pensé en terme de retard ou d'avance par rapport à un développement technologique réputé normal, est ici analysé par référence à une variété de trajectoires sociotechnologiques, chacune dotée de logiques originales. Cette problématique constitue peut-être un bon antidote au déterminisme technologique dont les années quatre-vingt ont enregistré le regain. Or ce dernier a un pouvoir explicatif bien faible, il opère une coupure entre technique et sciences sociales et ne facilite pas l'éclairage des choix stratégiques de politique économique. Par contraste le programme de recherche précédemment esquissé présente sur ces trois points des avantages qui méritent considération.

IV. QUELQUES PISTES DE RECHERCHES En conclusion émergent une série de questions qui pourraient se prêter à autant

de recherches. Seules quelques-unes seront esquissées.

1. Examiner la cohérence de la problématique proposée.

Il s'agirait de vérifier si l'articulation des différentes notions qui partant de l'incertitude radicale propre aux grands choix technologiques convergent vers les trajectoires nationales, résiste aux critiques croisées des spécialistes du changement

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technique, des néo-schumpétériens, des historiens de l'industrie, des macroéconomistes et des régulationnistes.

2. Rechercher des formalisations microéconomiques des processus d’innovation.

La stratégie consisterait à pousser plus avant les formulations déjà disponibles, en termes soit d'effets de réseau et d'apprentissage (B. ARTHUR (1987)), soit d'innovation et d'imitation R.R. NELSON et S.G. WINTER (1982)). Le but serait d'introduire une description plus riche des comportements économiques, par exemple en utilisant les acquis des théories de la rationalité limitée.

3. Modéliser les conséquences de l’automatisation flexibles

Il conviendrait dans un second temps de spécifier le modèle général précédent par la prise en compte des caractéristiques les plus essentiels des nouveaux équipements informatisés, et d'étudier leur diffusion en fonction d'un ensemble donné de caractéristiques macroéconomiques (rythme tendanciel de croissance, variabilité de la demande, etc... ).

4. Essayer de formaliser les relations entre structures de l’industrie et dynamique macroéconomique

Le but serait ici d'enrichir les modélisations antérieures des régimes d'accumulation et/ou modes de régulation, et ce dans une double direction. D'abord en fournissant un traitement plus riche de la technique et des formes institutionnelles régissant le rapport salarial et la concurrence. Ensuite en explicitant la configuration industrielle (nombre de firmes et type d'organisation sociotechnique mis en œuvre) associée à chaque mode de régulation macroéconomique. Le but serait donc de suivre les traces de G. ELIASSON (1983) et (1986).

5. Faire retour sur certains cas exemplaires en matière d’histoire industrielle et technique

Les effets de standardisation, de réseau et d'apprentissage sont-ils responsables de la persistance de certaines techniques alors même que d'autres sont potentiellement supérieures ? Pourrait-on rendre compte ainsi de la substitution du gaz à l'électricité à partir du début du XXe siècle, du charbon par le pétrole dans le domaine de la production d'électricité, des moyens de transports individuels aux transports collectifs, etc... ?

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6. Tester les enseignements de ces divers modèles à l’aide de comparaisons internationales.

Le rôle de filtre des relations sociales, les effets de seuil et d'irréversibilités partielles, bref, le caractère autoréférentiel de certaines créations historiques devrait apparaître d'autant plus clairement que l'on procéderait à une comparaison internationale rigoureuse de la diffusion ou non d'une même technologie : électricité d’origine nucléaire, informatisation centralisée ou décentralisée, robotique pourraient fournir autant de points de départ à des analyses serrées de ce que sont les trajectoires nationales en matière économique et sociotechnique.

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