Né le 23 septembre 1926 Mort le 17 juillet 1967 L’

1
34 PORTRAITS LÉGENDAIRES DU JAZZ LES GÉNIES DÉCISIFS L’ année 1960 fut pour Coltrane celle du grand bond en avant. Lors d’un concert à l’Olympia, le 20 mars, à l’occasion de sa dernière tournée au sein du quintet de Miles Davis, avec qui il venait d’enregistrer quelques mois plus tôt Kind of Blue et d’entrevoir les possibilités de l’improvisation modale, le saxophoniste s’illustre par de longs solos incendiaires, étirant ses phrases en coulées de lave dévastatrices. Le public, qui le découvre pour la première fois, l’accueille par une avalanche de huées et des jets de pièces de monnaie. Embarrassé, Frank Ténot veut le consoler en coulisses en lui expliquant que les spectateurs parisiens, décidément trop conservateurs, ne sont pas encore mûrs pour ses innovations. John l’interrompt : « Ils m’ont sifflé parce que je ne suis pas allé assez loin. » Tout Coltrane est dans cette phrase. Pour ce boulimique de musique, la maturation sera longue, l’apprentissage patient et forcené. Soit près d’une quinzaine d’années de travail obstiné auprès de Miles Davis, Thelonious Monk et les autres. Avant de se jeter à corps perdu dans l’autre monde qu’il pressent, il décide de dresser le bilan de toutes ses recherches sur le système harmonique du be-bop. Ainsi, en avril 1960, il en tente la synthèse avec Giant Steps. Premier chef-d’œuvre. Des générations de saxophonistes en perdront le sommeil. Coltrane aussi. En octobre, John enregistre My Favourite Things à la tête, enfin, du quartet qu’il désespérait de trouver et qui, jusqu’en 1965, va porter le jazz à son point d’incandescence maximale. « Trane », comme on l’appelait, sait qu’il a trouvé « l’instrument » de ses rêves : avec Jimmy Garrison, contrebasse terrienne, robuste comme un mât de voilier ; avec McCoy Tyner, tout piano déployé pour assurer l’assise harmonique du groupe et pousser à la transe avec son irrésistible rouleau compresseur d’accords hypnotiques; avec, enfin, ce Vulcain d’Elvin Jones, force motrice intaris- sable qui pousse avec une puissance inouïe, en un tourbillon polyrythmique, le saxophoniste vers le paroxysme. Au-delà de lui-même. « Je sens, confessera John, que suis toujours obligé d’avancer et d’aller ailleurs. » L’ère coltranienne peut commencer. Elle ne durera que sept ans. De bout en bout, la beauté y sera… convulsive. JOHN COLTRANE LA PASSION D’UN GÉANT Né le 23 septembre 1926 à Hamlet (États-Unis) Mort le 17 juillet 1967 à Long Island (États-Unis) 006-041 JAZZ_PILOTES 05/02/13 15:35 Page34

Transcript of Né le 23 septembre 1926 Mort le 17 juillet 1967 L’

Page 1: Né le 23 septembre 1926 Mort le 17 juillet 1967 L’

34 P ORTR A I T S L É GE N D A IR E S D U J A Z ZLES GÉNIES DÉCISIFS

L’année 1960 fut pour Coltrane celle du grand bond en avant. Lors d’un concert à l’Olympia,le 20 mars, à l’occasion de sa dernière tournée au sein du quintet de Miles Davis, avec

qui il venait d’enregistrer quelques mois plus tôt Kind of Blue et d’entrevoir les possibilités del’improvisation modale, le saxophoniste s’illustre par de longs solos incendiaires, étirant sesphrases en coulées de lave dévastatrices. Le public, qui le découvre pour la première fois, l’accueille par une avalanche de huées et des jets de pièces de monnaie. Embarrassé, Frank Ténot veut le consoler en coulisses en lui expliquant que les spectateurs parisiens, décidémenttrop conservateurs, ne sont pas encore mûrs pour ses innovations. John l’interrompt : « Ils m’ont sifflé parce que je ne suis pas allé assez loin. » Tout Coltrane est dans cette phrase.

Pour ce boulimique de musique, la maturation sera longue, l’apprentissage patient et forcené.Soit près d’une quinzaine d’années de travail obstiné auprès de Miles Davis, Thelonious Monk etles autres. Avant de se jeter à corps perdu dans l’autre monde qu’il pressent, il décide de dresserle bilan de toutes ses recherches sur le système harmonique du be-bop. Ainsi, en avril 1960, il entente la synthèse avec Giant Steps. Premier chef-d’œuvre. Des générations de saxophonistes enperdront le sommeil. Coltrane aussi.

En octobre, John enregistre My Favourite Things à la tête, enfin, du quartet qu’il désespérait de trouver et qui, jusqu’en 1965, va porter le jazz à son point d’incandescence maximale. « Trane »,comme on l’appelait, sait qu’il a trouvé « l’instrument » de ses rêves : avec Jimmy Garrison,contrebasse terrienne, robuste comme un mât de voilier ; avec McCoy Tyner, tout piano déployépour assurer l’assise harmonique du groupe et pousser à la transe avec son irrésistible rouleaucompresseur d’accords hypnotiques; avec, enfin, ce Vulcain d’Elvin Jones, force motrice intaris-sable qui pousse avec une puissance inouïe, en un tourbillon polyrythmique, le saxophoniste versle paroxysme. Au-delà de lui-même. « Je sens, confessera John, que suis toujours obligé d’avanceret d’aller ailleurs. » L’ère coltranienne peut commencer. Elle ne durera que sept ans. De bout en bout, la beauté y sera… convulsive.

JOHN COLTRANE LA PASSION D’UN GÉANT

Né le 23 septembre 1926 à Hamlet (États-Unis)

Mort le 17 juillet 1967 à Long Island (États-Unis)

006-041 JAZZ_PILOTES 05/02/13 15:35 Page34