N° 18 Février – mars 2010 sommaire - Anciens...

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édito N° 18 Février – mars 2010 Interview Rapport de l’A.E.R.E.S. La liérature médiévale russe Islam et argent Les Burakumin Wangari Muta Maathai (ci-contre) Tania et le livre bleu Un week-end avec « Un Techo Para Mi País » Agenda 2 4 5 6 7 8 10 12 9 N° 18 Février – mars 2010 La tête dans les parels que l'on vient juste de terminer, nous voici déjà de plein pied dans le deuxième semestre. Mais où passe le temps ? Pourquoi ai-je l'impression d'avoir retrouvé mes professeurs il y a trois jours et fêté la nouvelle année avant- hier ? Comme certains aiment à nous le rappeler, voici donc la dernière ligne droite de notre année scolaire. Mais inule de stresser, cela ne change jamais grand’ chose. Alors autant commencer par la lecture du tout dernier Langues zOne. Je vous recommande de vous servir un bon café (ou un chocolat chaud, chacun ses goûts) et de choisir une chaise assez confortable. Car en quelques pages nous vous proposons de traverser les connents et même les époques. Nous vous invitons également à rencontrer non pas deux, mais trois femmes d’aujourd’hui, exceponnelles chacune à sa façon. Et Julien vous fera jalouser son dernier voyage au Paraguay, de quoi avoir envie de s’acheter tout de suite un billet d’avion. Rassurez-vous, pour les plus sérieux, Marie-Amélie propose même une page économie ! Bonne lecture à tous. Ursula CHENU sommaire

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édito

N° 18 Février – mars 2010

Interview Rapport de l’A.E.R.E.S.

La littérature médiévale russe Islam et argent

Les Burakumin Wangari Muta Maathai(ci-contre)

Tania et le livre bleu

Un week-end avec « Un Techo Para Mi País » Agenda

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N° 18 Février – mars 2010

La tête dans les partiels que l'on vient juste de terminer, nous voici déjà de plein pied dans le deuxième semestre. Mais où passe le temps ? Pourquoi ai-je l'impression d'avoir retrouvé mes professeurs il y a trois jours et fêté la nouvelle année avant-hier ? Comme certains aiment à nous le rappeler, voici donc la dernière ligne droite de notre année scolaire. Mais inutile de stresser, cela ne change jamais grand’ chose.

Alors autant commencer par la lecture du tout dernier Langues zOne. Je vous recommande de vous servir un bon café (ou un chocolat chaud, chacun ses goûts) et de choisir une chaise assez confortable. Car en quelques pages nous vous proposons de traverser les continents et même les époques. Nous vous invitons également à rencontrer non pas deux, mais trois femmes d’aujourd’hui, exceptionnelles chacune à sa façon. Et Julien vous fera jalouser son dernier voyage au Paraguay,

de quoi avoir envie de s’acheter tout de suite un billet d’avion. Rassurez-vous, pour les plus sérieux, Marie-Amélie propose même une page économie !

Bonne lecture à tous.

Ursula CHENU

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Virginie Dupuch, 34 ans, Vietnam, Responsable de la Petite Maison (la maison des francophones de Saïgon)

En quelle année universitaire es-tu entrée à l’INALCO et quel y a été ton parcours ?

Je suis entrée en première année de D.U.L.C.O. de langue et civilisation vietnamiennes en 2002. J’avais 26 ans et étais fonctionnaire à la Ville de Paris. L’emploi du temps un peu particulier de mon travail m’a permis de cumuler travail à plein temps et études pendant 6 ans. J’ai ainsi obtenu le D.U.L.C.O. en trois ans puis, au niveau licence, je me suis mise en congé de formation pour pouvoir cumuler la licence de langue et civilisation vietnamiennes et la LIPEC (Licence Pluridisciplinaire d’Études Contemporaines), qui a permis par la suite mon orientation en H.E.I. (Hautes Études Internationales) au niveau maîtrise puis master 2. Des études en parallèle ?

J’avais commencé le birman et le khmer, mais je fus trop gourmande et n’ai pas pu continuer… Que t’ont apporté tes études à l’INALCO ?

Lors de mes études de langue et civilisation vietnamiennes, j’ai bien sûr appris énormément sur la langue, l’histoire et la culture vietnamiennes ; je possède, grâce a l’INALCO, des connaissances théoriques très solides, qui me permettent d’intégrer sans problème le vocabulaire et les expressions que je découvre en vivant au Vietnam et de mieux comprendre le pays dans lequel je vis.Mes professeurs étaient tous passionnés

et exigeants, ce qui fut très motivant… Au fil des années, des liens se tissent avec nos professeurs et les autres élèves, et l’on a vite l’impression de faire partie d’une petite famille. La diversité des étudiants est aussi source d’enrichissement. Nous partagions le même intérêt pour une culture donnée, mais pour des raisons différentes et à des moments différents de notre vie. Grâce aux enseignements de civilisation, je me suis intéressée à des sujets comme l’économie, qui n’avait auparavant pour moi aucun attrait. J’ai aussi appris beaucoup sur tous les autres pays d’Asie du Sud-Est, ce qui est à mon avis très important. Sur un plan plus personnel, au final, on a envie de suivre tous les cursus de la région… et on se fait des amis dans les autres sections.

Le cursus de Relations Internationales m’a aussi beaucoup apporté et m’a permis d’envisager un débouché professionnel à des études entreprises par simple intérêt pour la langue vietnamienne. Ce qui était au départ un simple passe-temps dans la vie d’une fonctionnaire a fini par changer ma vie, puisque je vis et travaille maintenant au Vietnam. Durant tes études à l’INALCO, as-tu fait des stages en entreprise, des jobs étudiants ou encore participé à une association estudiantine ayant contribué à ta formation ?

En deuxième année de D.U.L.C.O., j’ai créé, avec d’autres amis de la section et des amis vietnamiens, l’association Vietnamis (association des étudiants en langue vietnamienne). Le but était de faire découvrir la culture vietnamienne aux Français et la culture française aux étudiants vietnamiens. Nous avions envie de mettre en contact les étudiants vietnamiens de Paris et les Français qui apprenaient le vietnamien. Nos activités consistaient essentiellement en l’organisation de rencontres et sorties culturelles en commun (café–concert, expos, ciné, restau…) et d’événements culturels visant à faire découvrir la culture vietnamienne (langue, gastronomie, musique…).Nous participions aussi à la vie associative de l’INALCO (le Langues O’ Show, les conseils de département, la fête du Têt, la décoration des panneaux…) en collaboration avec les autres associations de l’INALCO, ce qui nous a permis de tisser des liens avec les étudiants d’autres sections.

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Interview

Virginie à son bureau

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En ce qui concerne les stages, j’ai effectué un stage de trois mois en fin de première année de Master H.E.I. à l’UNESCO à Paris pour l’Index Translationum, (base de données bibliographiques des œuvres traduites dans le monde). Le stage n’était pas rémunéré, mais j’ai pu adapter mes horaires de stage avec mon planning de travail. Ce fut une très bonne expérience et je suis toujours en contact avec mes responsables de stage.

Mon stage de fin de Master H.E.I. s’est déroulé à l’Institut des Échanges Culturels avec la France (I.D.E.C.A.F.) d’Ho Chi Minh Ville. Il consistait en la préparation d’étudiants vietnamiens aux études en France dans le cadre du programme A.S.I.U.T. Pour obtenir ce poste, mon expérience associative et un stage linguistique effectué à l’université de Can Tho dans le cadre d’un échange avec l’INALCO en 2005 furent déterminants. J’ai tout de suite été considérée comme un professeur à part entière et donc rémunérée. Quel a été ton parcours professionnel à la sortie de l’INALCO et quelle est ta situation aujourd’hui ? Comment t’y es-tu prise pour trouver du travail ?

Un an et demi plus tard, cet emploi me permet toujours de vivre et d’être heureuse au Vietnam au contact quotidien des étudiants vietnamiens. J’ai par ailleurs ouvert, depuis peu, ma propre structure dédiée à la culture française et à la rencontre avec la culture vietnamienne : la Petite Maison. Je me suis associée à un ami vietnamien francophone. Nous avons ouvert notre Petite Maison il y a un mois et nous proposons des ateliers de civilisations française et vietnamienne, de l’aide à l’installation en France et au Vietnam, des services touristiques et événementiels francophones, etc.

Nous souhaitons développer notre collaboration avec l’INALCO, avec les élèves de la section vietnamienne, mais pas seulement. Nous venons de créer un blog, qui sera, je l’espère, un lien entre les

apprenants de français au Vietnam et de vietnamien en France. Chacun est invité à y contribuer en nous envoyant des photos, vidéos ou articles sur ce qu’il aime (musique, culture, auteur, etc.), sur les cultures française et vietnamienne, mais pas seulement. Je voudrais que ce blog et, par la suite, notre site soient une ouverture sur toutes les cultures du monde et je fais donc appel à tous ! (Je suis

particulièrement intéressée par des contributions sur la musique malienne et la culture rrom.)

Je continue ainsi, de façon professionnelle et dans le pays de mes rêves, à faire ce que j’ai toujours fait par passion : faire découvrir les cultures qui me passionnent et mettre en contact ceux qui ont envie de passer les barrières… d’aller voir de l’autre côté… Quels conseils une ancienne étudiante de l’INALCO telle que toi peut nous donner, à nous, actuellement étudiants, afin de trouver des débouchés professionnels en fin d’études ?

Quelques conseils : s’impliquer dans la vie associative ; créer des liens avec les autres étudiants de sa section ; créer des liens avec des étudiants du pays étudié ; saisir toutes les opportunités de stages linguistiques, d’échanges dans le pays concerné ; compléter son cursus par une autre compétence professionnelle ; être conscient de la rareté de son profil.

Aller au bout de ses rêves et y croire, le lien avec un pays et une culture, c’est un destin… Il y a donc forcément quelque chose au bout…

Pour toute proposition de collaboration, merci de contacter Virginie Dupuch à l’adresse suivante : [email protected].

Venez consulter notre blog et y participer : http://lapetite-maison.over-blog.com/

Quelques étudiants en salle de classe

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L’AERES vISItE L’INALCO !

En juillet dernier, l’AERES a publié sur son site internet le rapport d’évaluation effectué dans notre établissement. Via sa rubrique INALCO, Langues zOne vous propose une synthèse du volet «Licence», afin d’en apprendre plus sur ce que vaut votre formation !tout d’abord l’AERES, qu’est-ce que c’est ?

L’Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES) est une autorité administrative indépendante chargée de l’évaluation des établissements universitaires français, qu’elle visite depuis 2007. Si sur son site n’apparaissent que les critères d’évaluation de la recherche, il semble que les autres modalités retenues soient la cohérence des diplômes, l’insertion professionnelle et le suivi des étudiants. Et l’INALCO dans tout cela ?

Le rapport accorde la seconde meilleure note aux Langues O’, puisque l’institut obtient un A, qui «répond très bien ou bien aux critères d’évaluation» : le pilotage des licences mis en place depuis 2007 ; les objectifs et moyens de la réussite ; les domaines de formation ; et la qualité de l’enseignement, soit pour l’insertion professionnelle, soit pour la poursuite des études. Chaque domaine a reçu respectivement les notes A, B, A et B.

Pour les points positifs, on observe deux tendances. D’une part, l’AERES a mis l’accent sur le statut de «conservatoire des langues et cultures du monde», grâce aux 93 langues enseignées. Cette singularité a surtout été remarquée pour ses apports « en termes stratégiques pour l’économie, la diplomatie et la recherche », et ce essentiellement pour les langues rares, qui comptent souvent peu d’effectifs.D’autre part, l’application de la réforme L.M.D., l’enseignement généraliste et disciplinaire, tout comme la professionnalisation, ont été appréciés. L’agence met ainsi en avant la méthodologie, obligatoire en L1, ainsi que la bonne articulation des cursus entre sociologie, politique et esthétisme. La future création du B.A.I.P. (Bureau d’Aide à l’Insertion Professionnelle) et l’incitation à faire un stage en L3 pour les mentions L.M.F.A. se placent sur le même plan.

À l’inverse, il était aussi question de points négatifs.Pour les mentions L.M.F.A. en L3, il serait « souhaitable de rendre le stage obligatoire et

de le faire suivre d’un rapport [...] évalué et crédité ». L’AERES regrette également que cette aide à la professionnalisation ne fonctionne réellement que dans cette mention, défaut apparemment lié à un manque de connaissance flagrant de la population estudiantine, très diverse, âgée, avec de nombreux doubles cursus. Savoir ce qu’il advient des étudiants après l’obtention de leur diplôme s’avère alors complexe, et pénalise le retour sur la formation. Il est d’ailleurs suggéré que celle-ci soit évaluée par les étudiants. « L’Annexe Descriptive au Diplôme » (A.D.D.), document délivré avec le diplôme et qui contient notamment une description du cursus et des compétences acquises, devra également être créée, puisqu’elle n’existe tout simplement pas, alors qu’elle est obligatoire en France depuis 2002. La réponse de l’INALCO

À ce rapport, le président de l’INALCO, Jacques Legrand, a répondu par une lettre disponible en annexe. Les conclusions retenues ont été plutôt acceptées et comprises, mais M. Legrand a insisté sur les actions entreprises en vue de mieux connaître les étudiants, de réformer, ainsi que sur les obstacles rencontrés. Le L.M.D. a en effet entraîné une nouvelle organisation, via la création de licences réparties en plusieurs mentions (l’essentiel des diplômes étaient auparavant d’établissement, et non nationaux) et de nouveaux enseignements (notamment, en L1, la méthodologie et l’anglais). Cette transition s’est faite « à moyens strictement constants », alors qu’un tel changement appelait un investissement supplémentaire. C’est pourquoi ont été reportées un certain nombre d’obligations telles que l’A.D.D. (liée au diplôme depuis juin 2009), ainsi que la création (à l’été 2008) de la Direction des Études, chargée du suivi et de l’encadrement des cursus, ainsi que d’autres missions liées à la professionnalisation et à la vie étudiante.

Conclusion Alors que les bruits de couloirs annonçaient un rapport cinglant, il apparaît qu’au vu des moyens disponibles et des réformes engagées, l’INALCO répond bien aux critères retenus par l’AERES. Son offre de licences est unique, variée, et même si elle souffre d’un manque de professionnalisation et d’un déficit de suivi des étudiants, des dispositifs

Zoom sur l’Inalco

Renaud BARNE

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LA LIttéRAtuRE méDIévALE RuSSE

On a souvent dit que la littérature russe commençait avec Pouchkine. S’il est juste de rendre ainsi hommage à ce grand écrivain, il est excessif de faire abstraction de tout ce qui précède, car l’époque médiévale (du XIème à la fin du XVIIème siècle en Russie) a bien sa propre littérature.On distingue trois types de littérature à cette époque : la littérature orale, la littérature religieuse et la littérature séculière.On ne sait ni quand ni où naît la littérature orale. Consignée par écrit à partir du XVIIIème siècle, elle est vraisemblablement plus ancienne que la littérature écrite, née vers le XIème siècle. Elle se compose de différents types de textes : - les chansons : chansons rituelles et chants calendaires ; - les contes : dotés d’une fonction magique puis morale, ils forment le genre le plus répandu. On constate également une riche tradition de contes pornographiques à vocation transgressive ; - les bylines : légendes épiques, que l’on peut dater facilement car elles s’inscrivent dans un contexte historique. On distingue ainsi deux cycles de bylines : le cycle de Kiev, dont le héros principal (bogatyr’) est le guerrier Mouromiets, et le cycle de Novgorod, dont le héros est le marchand Sadko, parti à la recherche de l’oiseau-bonheur. Contrairement à la littérature orale qui est en vieux russe, la littérature religieuse est écrite en slavon, langue savante distincte du russe. C’est la littérature la plus prolifique car les moines étaient les gardiens de la culture pendant tout le Moyen-Âge. Le premier livre imprimé est d’ailleurs un livre religieux, L’Apôtre, qui fut publié en 1564. Cette littérature se compose de différents types de livres :- les traductions de la Bible et des Évangiles ; - les compilations de vie de saints : recueils byzantins axés sur la morale, hagiographies. C’est un genre très populaire qui marquera plus tard des écrivains comme Dostoïevski. Peu à peu la perspective religieuse est contaminée par le profane.La littérature séculière, ou profane, quant à

elle, est écrite au départ en slavon avant d’être un mélange de slavon et de vieux russe. Là encore, il existe plusieurs genres :- les chroniques historiques (annales) : monuments littéraires de la Russie de Kiev. La plus ancienne est la Chronique de Nestor, qui date du XIIème siècle et se présente comme une grande fresque, mélange de faits historiques précis et de merveilleux chrétien ; - les discours moraux ; - les aphorismes ; - les récits de voyages ; - les correspondances : la plus connue est celle entre Ivan IV et le prince Kourbski, exilé.- les récits de guerre : le plus connu est le Dit de la troupe d’Igor, découvert au XVIIIème siècle, mais daté du XIIème siècle. Ce texte, fondamental dans l’histoire de la littérature russe, relate la campagne d’Igor, prince de Novgorod, contre les Coumans en 1185. Ce n’est pas une chronique historique mais un ouvrage de littérature, à buts historique (éloge de la terre russe et exhortation aux princes à s’unir) et littéraire (alliance de l’épique et du lyrique ). Comparable à notre Chanson de Roland, ce texte était fait non pour être lu,

mais dit ou chanté.Au XVIème siècle, le besoin d’organisation de la société russe se ressent dans la littérature, qui donne naissance à des œuvres comme le Stoglav, ouvrage sur l’organisation monastique, et le Domostroy (ou ménagier), consacré aux affaires domestiques. En 1672, l’archiprêtre vieux-croyant Avvakoum publie sa propre hagiographie, inventant

l’autobiographie. Le XVIIème siècle est aussi le siècle des traductions, qui encouragent l’introduction du roman de chevalerie, du roman picaresque, et le développement du théâtre et de la poésie laïque.Parmi les spécificités russes, on note l’absence de littérature courtoise, due au poids de l’orthodoxie, l’apparition tardive de littérature de divertissement et l’apparition affaiblie de la Renaissance et du Baroque. La sortie de l’époque médiévale se fera par un passage du modèle gréco-byzantin à un modèle latin, favorisé par l’ouverture sur l’Europe occidentale voulue par Pierre le Grand.

Hélène GéRARDIN

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Culture

Première page du premier livre imprimé en Russie, l’Apôtre (Apostol), Librairie nationale de Russie, 1564

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ISLAm Et ARGENt ou comment concilier

prohibition de l’intérêt et profit bancaire ?

Trois facteurs sont à l’origine de l’apparition de la banque islamique : le pétrole, qui a généré une augmentation du prix du baril et des liquidités (pétro-dollars) ; la décolonisation, symbole de l’indépendance des États, et un facteur identitaire : la résurgence de l’Islam.La finance islamique est née dans les années 1970 et consiste en l’exercice d’une activité financière en conformité avec la Charia (loi coranique). Ce n’est ni l’activité financière dans le monde musulman, ni du financement d’activités en relation avec l’Islam. Concentrée dans le Golfe, elle s’étend depuis l’ouverture d’une banque en Grande-Bretagne, en août 2004. Elle compte en tout 40 000 clients, 8 agences et 105 milliards de dépôts clients.La banque islamique, qui pourrait apparaître en France, suscite beaucoup de questions tant pour les Occidentaux qui ne connaissent pas forcément le principe, que pour les banques elles-mêmes, qui recherchent toujours l’équilibre parfait entre finance et Charia.

Le point de départ est une prohibition de l’intérêt en Islam, que l’on retrouve dans le Coran. « Ribh » en arabe, c’est l’augmentation ; la ribh est prohibée mais n’a pas de définition exacte. On la traduit par « usure ». Il en existe une interprétation restrictive dans la sourate 3, verset 130, concernant la ribh al-jahiliya (antéislamique). Si on ne peut pas rembourser, l’intérêt double : « […] Ne vivez pas de l’usure produisant plusieurs fois le double […] ». Mais si l’intérêt est prohibé, le profit peut rester licite, comme on peut le lire dans la sourate 2, verset 275 : « […] Mais Dieu a permis la vente et a interdit l’usure. Celui qui renonce au profit de l’usure, dès qu’une exhortation de son Seigneur lui parvient, gardera ce qu’il a gagné […] ». Dès lors, il s’agit de trouver une alternative au mécanisme de l’intérêt.

Le prêt à intérêt est condamnable à plusieurs niveaux : la monnaie est un moyen d’échange, pas une fin ; le prêteur n’est pas associé aux risques que prend l’emprunteur et enfin, le

temps peut-il être créateur de valeur ?Le mécanisme de la mudaraba est très courant : la banque effectue un apport en capital, le client fait un apport en nature et ensemble ils forment un projet économique, qui permet un profit. Celui qui réalise l’apport en capital ne s’immisce pas dans la gestion ; le profit généré est partagé selon un pourcentage préalablement défini ; les pertes éventuelles sont supportées à hauteur des apports (la banque perd en argent et le client perd le temps et l’énergie investis dans le projet). Les ressources de la banque sont les dépôts des clients.Mais la mudaraba ne garantit pas la maîtrise des risques liés à chacun des marchés des clients (une banque normale évalue la capacité de remboursement du client). Il s’agit

d’un modèle fondé sur un comportement vertueux sans présélection, pas toujours synonyme du comportement habituel d’une banque.Ainsi, la banque islamique est conduite à financer des projets risqués, et un investisseur sûr de son projet préfère une banque normale, où il n’y a qu’un petit intérêt à rembourser.

Aujourd’hui la banque islamique a de plus en plus recours, comme alternative à la mudaraba (même racine que ribh), à la murabaha : la vente à profit avec ordre d’achat. Le client commande tel bien à la banque, qui l’achète et lui revend, évitant ainsi le recours au prêt à intérêt.L’apparition de la tawarruq (monétisation) - le système est le même mais le paiement est échelonné, l’acheteur peut donc revendre le bien et avoir ainsi de l’argent pour rembourser et continuer son business - est également preuve que la finance islamique cherche encore le produit parfait propre à assurer son prestige tant économique que moral. Il existe bien sûr à cet effet des champs économiques interdits, tels tabac, alcool, assurance (car ils reposent sur un pari), armement et défense, etc.

Ainsi, l’« économie islamique » se veut être la troisième voie entre capitalisme et socialisme, une voie intéressante et originale qui a encore de l’avenir devant elle.

Marie-Amélie GIRAUx

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Finance

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LES BuRAkumIN 部落民

« Le Japon lisse, homogène et vissé à son travail n’a existé que dans l’imagination de ceux qui espèrent y trouver un patron à copier ». (Le Japon Mal Rasé, de J.-M. Traimond)Voilà comment, de loin, de nombreuses personnes voient le Japon. Un Japon parfait, propre et droit dans ses bottes.

Pourtant le Japon a aussi ses exclus, ses discriminés, ses déshonorés. Parmi ceux-ci se trouvent les Burakumin. Ils représentent la minorité la plus importante du Japon : trois millions de personnes, selon la Ligue de Libération des Buraku (Buraku Kaiho Dômei). Leur nom signifie littéralement « les gens du hameau », mais pour « hameau », on comprendra « ghetto ». Ils forment deux groupes d’individus : les Eta 穢多 (« abondamment souillés ») et les Hinin 非人 (« non-humains »). Le premier concerne les corps de métiers ayant trait à la mort, comme les bouchers, les tanneurs, les fossoyeurs, les gardiens de tombes royales, les bourreaux ; tandis que le second comprend principalement des courtisanes, comédiens, camelots, devins et autres charlatans.

Aujourd’hui ils sont rassemblés dans des ghettos de grandes villes, ou même à la sortie de petits villages. Cette localisation s’explique par l’ancienne structure des Bé 部 japonais, de la période Yamato (250-710), qui étaient des collectivités de sujets au service de la Cour organisées selon les professions de chacun. Ce système a été aboli en 646, mais les Burakumin sont toujours restés à l’écart des Japonais dits « normaux, purs ». On retrouve donc, dans le Japon moderne, des Buraku urbains ou ruraux, plus ou moins importants selon la taille de la ville.

Cette distinction pur / impur est très vieille au Japon et a subsisté à travers les siècles. Même si la loi de 1871 abolit le système de castes et considère désormais les Burakumin comme « nouveaux citoyens », en permettant notamment d’amasser de nouveaux revenus provenant de cette récente imposition, les Burakumin restent un sujet tabou. Très peu de gens connaissent leur histoire, surtout

à l’étranger. Qui pourrait imaginer qu’au Japon, pays développé et deuxième puissance économique mondiale (voire troisième avec la croissance de son voisin chinois), il existe encore une très grande discrimination vis-à-vis de ceux qui portent le lourd fardeau de leurs ancêtres ? Cette mise à l’écart est désormais proscrite par la loi.

La plupart des Burakumin souffrent des problèmes récurrents des ghettos populaires : violence, chômage (la plupart des actifs sont des journaliers mal rémunérés), alcool, drogue, analphabétisme et échec scolaire. On dit d’ailleurs que le célèbre clan yakuza Yamaguchi-gumi est composé à 70 % de Burakumin. Pour en sortir, il n’existe bien souvent qu’une solution : « passer », c’est-à-dire faire passer son enfant dans la société nippone comme s’il n’était pas et n’avait jamais été Burakumin. C’est très difficile, puisque même si elle est illégale, la distinction Japonais / Burakumin se fait dans le secret par des enquêtes et par, entre autres, de la discrimination à l’embauche (à l’aide de listes et d’annuaires interdits). On

voit régulièrement des cas de Japonais qui, apprenant sur le tard leur situation d’ « être impur », préfèrent se suicider, sachant toute la difficulté de vivre avec ce statut.

Pourtant le contexte actuel s’est amélioré avec le temps. Le 3 mars 1922, la Suiheisha (l’association des niveleurs) inaugure son premier congrès, avec la

participation de 2 000 représentants des Buraku. Ils décident d’utiliser la dénonciation totale comme arme. En se dénonçant et en assumant leur statut, ils ne risquent plus de souffrir d’une telle discrimination.Plus tard, est créé par divers leaders le Comité national pour la libération des Bukaru, dont on connaît aujourd’hui la version moderne, la Ligue de Libération des Buraku. C’est elle qui défend à présent les conditions de vie de ceux-ci et qui a obtenu une série de lois (les lois Dôwa) en faveur de leur intégration. De plus, le budget alloué à la cause Burakumin par l’État est de plus en plus important chaque année. On peut donc espérer qu’un jour les choses s’arrangent pour ceux qui vivent en dépit d’une origine qu’ils n’ont pas choisie.

Alexis BARBIN

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Société

Des Burakumins© Shinichi Suzuki - 1873

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uNE FEmmE Du mONDE : WANGARI mutA mAAthAI

Wangari Maathai a obtenu en 2004 le Prix Nobel de la Paix. Elle est la première femme noire africaine à recevoir ce prestigieux prix. Au regard de son parcours, elle semble habituée à ce titre de « première femme » et presque tout

autant à recevoir des prix.

1er avril 1940 : elle naît dans une famille paysanne progressiste au nord du Kenya, à Nyeri. Sa famille la pousse à fréquenter l’école. Ses résultats brillants lui permettent de décrocher la Bourse d’étude J.F. Kennedy et de s’envoler pour le Kansas, aux États-Unis, où elle décroche un baccalauréat de biologie en 1964. D’une université à l’autre, des États-Unis au Kenya, en passant par l’Allemagne, elle étudie les sciences biologiques et la médecine vétérinaire, jusqu’à l’obtention d’un doctorat de biologie en 1971.

1977 : Wangari Maathai fait un choix. Elle quitte sa carrière universitaire et crée « The Green Belt Movement ». Son projet : reboiser l’Afrique. Son arme : des femmes volontaires, prêtes à travailler pour obtenir leur indépendance. Son projet prend rapidement de l’ampleur et face à son succès, il est repris dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est.

Elle mène de front son mouvement, mais aussi son rôle de directrice de la Croix-Rouge kenyane et celui de mère de trois enfants. Cela ne l’empêche pas de dénoncer la corruption et les dérives autoritaires du gouvernement de Daniel Arap Moi, président du Kenya de 1978 à 2002. Sa lutte pour les Droits de l’Homme l’a conduite plusieurs fois en prison, dont elle sort entre autres en 1991 grâce au soutien d’Amnesty International. Elle crée alors le « Forum for the Restoration of Democracy » et devient le porte-voix des prisonniers politiques kenyans.

1983 : elle est élue Femme de l’année. Sa toute première distinction internationale lui est remise, très rapidement suivie par de nombreux autres prix : Right Livelihood Award (Prix Nobel alternatif, 1984), Prix Windstar pour l’Environnement (1988), Prix Goldman pour

l’Environnement (1991), Prix Afrique (1991), Global 500 Award pour l’Environnement des Nations Unies, Golden Ark Award (1994),etc. 1997 : Wangari Maathai tente de se lancer sérieusement en politique à l’occasion d’élections multipartites, qui sont rapidement marquées par des violences ethniques. Mais son propre parti, le Liberal Party of Kenya, s’oppose à sa candidature à la présidence du pays. La même année, elle est élue par le Earth Times comme étant l’une des 100 personnes au monde ayant fait une véritable différence dans le domaine de l’environnement.

2002 : sa vie politique est enfin lancée lorsqu’elle devient députée écologiste du premier Parlement démocratique kenyan. Dès l’année suivante, elle est nommée ministre-adjoint à l’Environnement, aux Ressources Naturelles et à la Faune Sauvage.

2004 : c’est alors que le Comité Nobel la distingue pour “sa contribution en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix” et “son approche holistique du développement durable [qui] embrasse la démocratie, les Droits de l’Homme en général et les droits des femmes en particulier”.

2006 : les prix continuent à pleuvoir sur Wangari Maathai avec, entre autres, la Légion d’honneur, qui lui est remise par Jacques Chirac. La même année, elle fonde, avec cinq femmes, prix Nobel de la paix comme elle, « the Nobel Women’s Initiative ». Elle joint son expérience à celles de Jody Williams, Shirin Ebadi, Rigoberta Menchú Tum, Betty Williams et Mairead Corrigan, afin d’œuvrer pour une paix faite de justice et d’égalité.

2008 : Wangari Maathai se fait connaître du grand public français à travers la publication de son autobiographie, qui obtient le Prix des Lectrices de Elle (aux éditions Héloïse d’Ormesson).

Aujourd’hui Wangari Maathai est toujours aussi impliquée et continue à courir de par le monde pour partager son expérience et défendre son projet. Sources: http://www.republique-des-lettres.fr/10430-wangari-maathai.phphttp://greenbeltmovement.org http://www.nobelwomensinitiative.org/

Ursula CHENU

Ecologie

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tANIA Et LE LIvRE BLEu

Il faut 12 heures de train pour rallier L’viv, située à 400 kilomètres de Cracovie. La nuit fut ponctuée par de nombreux arrêts, l’irruption de plusieurs personnes en uniforme et l’attention soupçonneuse du chef de wagon. Vers 6 heures du matin, ce petit zébulon chauve nous jeta sur le quai. Les grosses gouttes d’un orage matinal crépitaient sur la verrière de la gare.

Il y aurait des tonnes de pages à écrire sur L’viv. Ce qui la caractérise le mieux ? Sans doute ses rues sur lesquelles des rails de tortueux tramways se battent avec des pavés déchaussés et luisants. Il y a aussi de vieilles maisons 17ème, des porches sombres, des immeubles cossus et des habitants que l’on découvre, avec surprise, si semblables à nous. Le temps s’améliorant, nous sommes partis visiter l’ancien quartier juif. Quelques commerces portaient encore des inscriptions en yiddish, en allemand et en polonais. L’viv était l’une des grandes villes juives d’Europe. Les juifs y représentaient 40 % de la population. Ils furent décimés par les nazis, sur place, dans le ghetto, ou déportés vers le camp de Belzec. Par le plus grand des hasards j’avais, la veille, trouvé un livre relatant l’histoire des juifs de L’viv. Il traînait sur la margelle d’une fontaine à sec qui faisait office d’étal pour quelques bouquinistes de rue. Son auteur s’appelait Vladimir Melamed. Je peinais à déchiffrer les têtes de chapitres. Il était question des grandes phases de l’histoire de la communauté. À la fin, dans des annexes particulièrement émouvantes, l’auteur listait les noms des commerçants juifs, leurs spécialités et leurs adresses ! Comme « Lonely Planet » nous y invitait, nous sommes allés au centre culturel juif situé, comme il se doit, au 12 de la rue Shalom Aleichem. Un portier muet ouvrit la lourde porte cochère et nous tira par la manche vers un bureau. Une jeune femme nous y reçut avec empressement. Elle parlait un bon

anglais et déversa sur nous un flot de paroles. Tatiana dirigeait les lieux. Elle nous expliqua ses objectifs : solidarité avec les nécessiteux, éducation juive pour les jeunes, fêtes…Comme elle dressait un tableau de la situation passée et présente des juifs de la ville (il en reste 4 000 environ), je lui posai cette question :- Connaissez-vous Vladimir Melamed ?- Bien sûr ! Il a écrit « le » livre sur les juifs de L’viv. Il est introuvable. Je le consulte en bibliothèque.

Je lui tendis alors « le » livre à la couverture bleue. Elle devint toute rouge et les larmes lui montèrent aux yeux.- ça fait des années que je recherche ce livre, où l’avez-vous trouvé ? »Je lui expliquai les circonstances fortuites de ma découverte et le lui donnai. Elle le serra contre elle comme un trésor, le temps que dura la visite du quartier juif. L’hôpital

juif, notre première étape, était toujours sur pied. Il était ouvert à tous mais le personnel médical et administratif était juif. En 1941, tout son personnel a été fusillé par les nazis. Les murs portent encore les traces des balles allemandes. Maintenant c’est une maternité. Ensuite, nous avons parcouru les rues du quartier juif, fait un pèlerinage devant la maison où résida Shalom Aleichem. Tania montrait l’emplacement des mezouza1 fixées au seuil des portes, les rails de chariots dans les cours des commerçants, les fenêtres en demi-cercle, signe distinctif des demeures juives. Elle décryptait la ville et nous conduisit au bout du voyage, l’emplacement de la porte du ghetto où des dizaines de milliers de juifs finirent leurs pauvres vies. Il n’en reste aujourd’hui presque plus rien, juste quelques traces et la petite flamme que Tania entretient avec vaillance.

Maxime GOTESMAN

1 Mezouza : petite plaque apposée sur l’huisserie extérieure de la porte d’entrée des logements occupés par les familles juives et représentant un rouleau de parchemin.

Rencontre

© Maxime Gotesman

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UN week-eNd AveC uN tEChO PARA mI PAíS

La première observation que l’on peut faire à propos des O.N.G. au Paraguay, c’est qu’elles fourmillent littéralement. Elles sont en effet impliquées dans de nombreux domaines de la vie sociale, palliant ainsi les carences de l’État.

La question est de savoir à qui l’on peut faire confiance. Si les motivations affichées vont toujours dans le sens positif – celui de la volonté d’aider la société paraguayenne à se développer – le travail même sur le terrain est moins connu. Comment connaître le travail concret des O.N.G., si ce n’est en se rendant avec elles sur ce terrain et en observant concrètement leur fonctionnement ?

J’ai connu l’O.N.G. « Un Techo Para Mi País » (Un toit pour mon pays) par le bouche à oreille. Cette organisation proposait à de jeunes citadins de la capitale du Paraguay, Asunción, de se rendre dans la banlieue proche, à trente minutes du centre, à quelques centaines de mètres d’une décharge, pour construire par groupes de 7 à 10 des maisons d’urgence sur pilotis pour des familles mal logées… en un week-end.Cette O.N.G. est née en 1997 au Chili. Peu après sa création, elle s’est assigné pour mission de dénoncer la pauvreté de milliers de familles mal logées et laissées pour compte dans le pays. C’est alors qu’elle a commencé à construire ces maisons sur pilotis. À partir de 2001, l’organisation a commencé à ouvrir des bureaux dans d’autres pays d’Amérique du Sud, du Chili jusqu’au Mexique, soit 15 pays en tout.Les maisons sont bâties sur un modèle standard, le même dans tous les pays. Une maison sur pilotis, de 3 mètres sur 6, une porte, deux fenêtres, une seule pièce. En bois brut, elles sont assemblées par panneaux. La mission première de ces maisons est de fournir un habitat d’urgence pour des familles qui sont parfois victimes d’inondations dans leur propre habitation. Cependant, le format standard et répétitif des maisons a aussi une utilité : il rend visible le problème du logement et l’absence de politiques des pouvoirs publics pour résoudre ce problème. Celui qui se promène dans le village de Porvenir (littéralement « Avenir »), juste à côté de la gigantesque pyramide de poubelles, constituée par la décharge publique dans la

banlieue de la capitale, Asunción, verra ainsi une flopée de ces maisons qui ont poussé comme des champignons.

Nous arrivons dans le village en question le vendredi soir. Dîner frugal, les équipes font connaissance. Un week-end, cela semble impossible pour construire une maison. Mais les anciens nous rassurent. Cette association a ouvert ses bureaux depuis un an au Paraguay, et certains ont suivi toutes les constructions : c’est possible.Le lendemain, nous nous attaquons au terrain. Objectif : quinze trous, quinze pilotis, et poser le sol (3 panneaux de bois assemblés). La journée est dure, le soleil tape et nous buvons très régulièrement du tereré (de l’herbe à maté prise avec de l’eau et des glaçons). Nous travaillons avec des outils rudimentaires, et le terrain est horrible : cette partie du village correspond à une ancienne partie de la décharge qui a été recouverte de terre par le gouvernement. Pas étonnant donc d’y trouver des sacs plastiques, des jouets, des vêtements, des roues de voitures et autres objets. Mais on travaille tous ensemble, et les chansons, les histoires et les rires vont bon train.Et puis, nous rencontrons aussi la famille pour laquelle nous travaillons. La nôtre, c’est Ña Herminda. Elle nous raconte qu’avant, elle travaillait à la ville, comme employée de maison, comme nourrice et femme de ménage. Mais depuis qu’elle a été renvoyée, elle est revenue vivre ici avec sa fille et part à la ville la journée pour y récolter des journaux ou y vendre des objets. La conversation se fait en espagnol et guaraní. Le guaraní est une langue indigène, la deuxième langue officielle du Paraguay, peu parlée en ville, mais de plus en plus dès qu’on s’éloigne du sud. Ña Herminda y est plus à l’aise qu’en espagnol. Ce qui impressionne le plus chez elle, c’est

Voyage

© Julien Carpentier

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son silence. Elle est très calme, elle parle très peu, mais elle nous accueille avec tout ce qu’elle a. Elle nous fait des galettes de manioc, nous offre du soda, et nous savons que c’est beaucoup pour elle. À la fin de la journée, objectif accompli, les pilotis sont en place, et le sol est posé. Retour à l’école du village, où nous dormons. Après le repas sommaire, nous formons des cercles de discussions. On n’agit pas seulement pendant la journée, le soir venu l’O.N.G. demande de partager les expériences du jour en petits groupes. On parle d’une réalité qu’on ne connaissait pas, d’action, d’engagement. Une jeune fille pleure et dit qu’elle n’avait aucune idée de cette réalité avant cette expérience. Un ami dit que pour lui, c’est le minimum qu’il puisse faire, que c’est un devoir. Comment réagir autrement, demande-t-il, lorsque l’on voit la pauvreté des gens dans la rue aussitôt que l’on sort de chez soi ? Les points de vue sont divers, et l’échange est véritable. Tous s’accordent sur la nécessité de s’engager, non pas sur un week-end ; mais sur du plus long terme, dans la vie de tous les jours, avec des gestes simples. Moi, je vois des jeunes gens passionnés par leur pays et préoccupés par les autres. Ce n’est certainement pas la majorité des cas, mais cette minorité-là agit.

Le lendemain, grosse journée : il faut d’abord se répartir les emplacements des futures maisons et les panneaux qui constituent les murs de l’habitation (un panneau par mur latéral, deux pour l’avant de la maison, deux pour l’arrière). Les panneaux sont très lourds, massifs, on les soulève par équipes de sept ou huit. Il faut les emmener sur plusieurs centaines de mètres. Mais surtout, chaque équipe s’entraide en aidant à porter les

panneaux des autres. Parfois, il faut descendre une petite pente, traverser une petite rivière d’ordures en les portant, puis les remonter sur la berge et les emmener encore un peu plus loin. C’est un travail très dur, et on porte peut-être une vingtaine de panneaux comme ça.Puis on finit la construction des maisons. Après avoir posé les panneaux, les avoir fixés au sol et ensemble, il faut monter sur les murs pour commencer à construire une charpente. Le plus impressionnant, c’est de s’apercevoir que les murs tiennent, qu’on peut y monter à deux ou trois alors qu’il n’y a presque rien qui relie l’ensemble. C’est la fierté de voir que ça marche.Une fois la charpente fixée, on pose l’isolant avant de monter des plaques de tôle pour le toit, coupantes et lourdes. Il faut alors y enfoncer des clous spéciaux pour les fixer, traversant ainsi parfois quatre épaisseurs de tôle pour y parvenir.

Mais la maison est finie. C’est la fierté et l’étonnement de voir qu’on a pu le faire, en deux jours. On inaugure la maison avec la famille. Ña Herminda se tait, et je me sens gêné. Je ne sais pas si elle est contente de sa maison. Mais elle parle peu d’habitude, alors nous prenons les simples remerciements comme une manifestation sincère de sa reconnaissance. Nous lui remettons un manuel de bonne utilisation de la maison, puis nous rentrons à l’école.

Nous nous y retrouvons, épuisés et noirs de crasse, mais tous heureux avec le sentiment d’avoir fait quelque chose d’important. Et nous rentrons tous chez nous en ville pour continuer nos autres activités. N’était-ce qu’une parenthèse ? Peut-être pas : cette fois-ci, nous étions peut-être 200. La fois suivante, deux mois plus tard, nous étions 650. Et en un an et 5 sessions d’un week-end, 160 maisons ont été bâties…

Peut-on reprocher à cette organisation de n’agir que ponctuellement, sans traiter le travail en profondeur, en deux jours ? En tout cas, pour moi, la prochaine étape, ce sera le travail de connaissance des familles pour qui nous allons construire, et qui se déploiera sur trois mois… Adresse du site pour toute l’Amérique du Sud : http://www.untechoparamipais.org/ Adresse de l’association pour le Paraguay :http://www.untechoparamipais.org/paraguay/

Julien CARPENTIER

© UnTecho Para Mi País Uruguay

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Agenda INALCO février/mars

à VOS CLAVIERS !

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Si vous aussi, vous souhaitez faire publier un article, il vous suffit de nous faire parvenir votre texte (4000 caractères, espaces compris) et son illus-tration, à l’adresse suivante : [email protected]. En espérant que vous serez nombreux à vous passionner pour le Langues zOne et à y participer.

1er février : « Les Lundis de la BuLAC »« Langues en danger d’extinction », par Alain Peyraube, directeur de recherche en linguistique d’Asie orientale (C.N.R.S. et E.H.E.S.S.). Conférence organisée par la Bibliothèque universitaire des langues et civilisa-tions (BULAC), en collaboration avec le service de la formation continue de l’INALCO. De 10h à 12h, salle du conseil, université Paris-Descartes, 12 rue de l’école de médecine. Contact : [email protected].

1er au 5 février : Stage intensif NooJNooJ est un environnement de développement linguistique qui propose des méthodologies et des outils pour formaliser les langues en construisant des res-sources linguistiques, tester ces ressources linguistiques en les appliquant à des textes de taille importante, et gérer, accumuler et combiner un grand nombre de ressources (corpus, dictionnaires et grammaires). Le stage consiste en 2 sé-ances de cours / T.P. chaque matin, et 2 présentations d’experts utilisateurs de NooJ l’après-midi. Le stage est gratuit, mais les inscriptions sont obligatoires et les places sont limitées. Chaque participant doit venir avec son ordinateur portable sur lequel NooJ aura été préalablement installé. Contact : [email protected].

Mars (date à reconfirmer) : Rencontres professionnelles« Les Organisations Non Gouvernementales et Organisations Internationales » (C.I.C.R., H.C.R., UNESCO...). Rencontre organisée par le Bureau des stages et emplois. Contact et réserva-tions : [email protected].

15 mars : « Les Lundis de la BuLAC »« La ville d’Alexandrie », par Arlette Tadié, et focus sur la bibliothèque d’Alexandrie (intervenant à confirmer).Conférence organisée par la Bibliothèque universitaire des langues et civili-sations (BULAC) en collaboration avec le service de la formation continue de l’INALCO. De 10h à 12h, salle du conseil, université Paris-Descartes, 12 rue de l’école de médecine. Contact : [email protected].

Jusqu’au 1er avril : Concours de nouvelles sur le thème « le métro »Ce concours, organisé par Langues zOnes, est ouvert à tous les étu-diants. La nouvelle doit parvenir, par mail uniquement, à [email protected]. Elle doit être un texte court, de 5 pages Word maximum (environ 18 000 car-actères, espaces / ponctuation com-pris) en Times New Roman, taille de