MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des...

21

Transcript of MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des...

Page 1: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,
Page 2: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

MYTHOLOGIE DES

SÉRIES TÉLÉ

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 1

Page 3: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

© Le Cavalier bleu, 2009www.lecavalierbleu.comImprimé en France sur les presses d’EMD à Lassay-les-Châteaux

ISBN : 978 2 84670 268 3

MythO !

Une collection dirigée

par Hélène Latreille-Renais

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 2

Page 4: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

SOMMAIRE

Chapitre I

Les publics des séries télévisées1. Passions sérielles, 5

2. Le vaste public des séries… américaines, 11

3. Les séries, une culture passionnée, 15

4. Phénomène culturel ou événement artistique ?, 18

Chapitre II

Le contexte culturel américain1. La richesse des séries américaines, 25

2. Le cas français, 37

3. Engagements culturels américains, 42

4. Le cadre de la fiction populaire, 46

Chapitre III

La fabrication des séries télévisées1. Un produit commercial ET un objet culturel, 57

2. Créateurs de séries, 65

Chapitre IV

Spécificités des séries télévisées1. Des univers fictionnels plantureux, 73

2. Pérennité des séries et culture de l’intimité, 80

3. Séries et critique sociale, 86

Conclusion… en forme de supplique, 91

Bibliographie, 93

– 3 –

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 3

Page 5: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

Aux miens, Fabienne, Julie, Anne, Antoine

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 4

Page 6: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

Chapitre I

Les publics des séries télévisées

1. Passions sérielles

Agathe, comme elle se plaît à me le répéter,est « fana » d’Urgences. Elle a vingt-trois ans, estplutôt vive, spontanée, sportive et aime beau-coup la télévision. Elle aimerait bien aller plussouvent au cinéma mais le prix des places est,comme elle le regrette, excessif. Elle a un« petit boulot » pour pouvoir poursuivre sonMaster. Elle vit dans un petit appartementavec son « copain ». Elle me parle surtout del’un de ses plus grands souvenirs télévisuels, ladiffusion de la série américaine sur France 2 ledimanche soir. Alors, Agathe et son ami sepréparent en conséquence : ils commencentpar couper le téléphone, disposent deuxplateaux-repas bien complets sur leursgenoux et se blottissent au fond du lit etdevant le petit écran. Ils font les sourds si onfrappe à la porte. En cas d’« urgence », ils uti-lisent éventuellement les interruptions publi-citaires pour téléphoner. Elle savoure, tout enme le racontant, ce rituel de préparation :comme si celui-ci était autant attaché à un

– 5 –

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 5

Page 7: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

grand moment de complicité et d’intimitéavec son compagnon qu’au visionnement dela série…

Ce sentiment d’intimité associée à une sérieet vécue par un petit groupe de téléspectateursrevient dans la cinquantaine d’entretiens avecdes jeunes gens grands amateurs de séries télé-visées réalisés au printemps 2008 dans le cadred’une enquête sur la passion pour le genre. Parexemple Joséphine, grande et belle Martini-quaise de vingt-et-un ans – qui fait des étudesde gestion et fréquente les musées d’artmoderne – me parle des Feux de l’amour qu’elleregarde en famille depuis « toujours ». Sa mèreest la grande animatrice de ces visionnementshauts en couleur : la maîtresse des lieuxenflamme la représentation de commentairesrailleurs ou émus, les fous rires sont fréquentscomme les crises de larmes. Sa famille vit enAlsace : quand elle regarde Les Feux de l’amourseule dans son studio lyonnais, elle est surprisede trouver les personnages stéréotypés et« vieux jeu », et la narration très lente : lui man-que l’atmosphère du déjeuner familial (la sérieest diffusée en début d’après-midi) pour se« remettre dans l’ambiance ». Pour Joséphine,le rituel de visionnement devient une condi-tion nécessaire du plaisir ! Quant à Marianne,qui a dix-neuf ans et commence des études dedroit, elle aime particulièrement Les FrèresScott ; elle a vu tous les épisodes en avant-pre-mière grâce au téléchargement, sans manqueraucune rediffusion. À la différence d’Agathe et

– 6 –

Mythologie des séries télé

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 6

Page 8: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

de Joséphine, elle regarde Les Frères Scott seuleet n’a guère envie de partager sa passion pourla série, du moins lors du visionnement. Elleexplique ce phénomène par sa proximité avecce que vivent les personnages : en regardant lasérie avec quelqu’un d’autre, elle aurait l’im-pression de dévoiler son intimité. Pourtant, sameilleure amie est elle aussi une fanatique : dèsqu’elles ont regardé les mêmes épisodes, ellespassent beaucoup de temps à les commenter, àen imaginer la suite ou quelquefois aussi à lesréécrire quand un épisode ne les a pas tout àfait satisfaites. Leur plus grand plaisir restecependant celui de mélanger la vie dans lasérie et la vie réelle : les points de rencontresont nombreux et les conduites des personna-ges servent aisément de modèle ou de contre-modèle ; ces comportements imaginaires sontpour elles des incarnations de leurs proprestentatives de solutions face aux difficultés de lavie.

Les séries, pour entretenir de véritablesfans, semblent avoir besoin de l’appui de peti-tes communautés de téléspectateurs – un cou-ple, une famille, quelques amis, un lieu oùl’on peut raconter, ressasser, commenter.Comme l’écrit le sociologue anglais JohnFiske (1985), « le succès de la télévision [et enparticulier des séries] est dû en partie à la faci-lité avec laquelle ses programmes peuventêtre insérés dans des formes de cultureorale ». Nous adorons parler de télévision,nous moquer, critiquer, y compris pendant les

– 7 –

Les publics des séries télévisées

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 7

Page 9: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

diffusions. Ces collectifs intimes ne sont passecrets : si l’on trouve d’autres fans, on agran-dira avec plaisir le cercle de famille autour dela série. Il faut cependant que ces fansnouveaux partagent la profonde connivenceque ressentent les premiers avec l’univers ima-ginaire de la série. Les fans sont à la fois déli-cieusement et intimement immergés au seind’un ou de plusieurs univers sériels et prêts àpartager leur attachement avec d’autrespourvu que ceux-ci affichent des goûts analo-gues. En d’autres termes, la première granderéussite du genre sériel, c’est d’être parvenu ànous proposer des mondes fictionnels qui réussissentà partager notre intimité.

Le phénomène n’est pas nouveau : depuis lemilieu du XIXe siècle, l’industrialisation mas-sive du monde occidental et l’alphabétisationdes classes moyennes et populaires, le besoinde fiction et l’envie de parcourir des mondesfictionnels aussi riches, développés et diversque possible, sont patents. Anne-MarieThiesse (2000) raconte comment, au sein descampagnes françaises, on se passionnait pourles romans-feuilletons publiés par des jour-naux comme Le Siècle ou Le Petit Parisien. Lesfeuilletons filmés de Louis Feuillade Fantômasou Les Vampires remplissaient les salles decinéma de quartiers chaque samedi soirdurant les années dix. Les collections de livresmélodramatiques bon marché, de Delly auxauteurs Harlequin, ont enthousiasmé des fou-les innombrables de lectrices de toutes sortes.

– 8 –

Mythologie des séries télé

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 8

Page 10: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

Aujourd’hui, la télévision et particulièrementles séries ont pris le relais. Le goût des jeunesFrançais s’inscrit donc à l’intérieur d’unecontinuité historique de l’imaginaire. Il y a àpeine un paradoxe à constater que ce sont lesséries américaines qui leur apportent le plaisirqu’ils attendent : leurs parents avaient éténourris par le cinéma hollywoodien et lesmythologies américaines… Il est cependantprobable que les difficultés de la vie contem-poraine amplifient le besoin actuel de mon-des imaginaires à l’intérieur desquels il faitbon vivre. Le genre de la série télévisée, pourpeu qu’on le prenne au sérieux, est parfaite-ment armé pour répondre à ce désir, commenous allons le voir en détail.

Il faut noter un autre point surprenant del’enquête : tous ces jeunes gens semblent peususceptibles d’accepter des remontrances surleurs goûts sériels et peuvent même se mon-trer inflexibles sur ce point. Élodie, notam-ment, me dit que même si son beau-père ou samère trouvent les séries qu’elle regardestupides, elle affirme assumer ses choix etconstate que Newport Beach ne l’empêche pasde travailler, tout en « l’aidant plutôt à vivre ».Quant à Cédric, fidèle du lieutenantColumbo, il y voit très consciemment unefigure paternelle à laquelle il demandesouvent une « contenance » dans certainessituations difficiles. Les fans de séries sem-blent, dès l’adolescence, très peu dépendantsdes discours publics critiques ou autres à

– 9 –

Les publics des séries télévisées

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 9

Page 11: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

propos de leurs héros : pour le dire brutale-ment, ils sont indifférents aux opinions deleurs parents ou de leurs professeurs sur l’ina-nité supposée de tout ce qui passe sur le petitécran.

Ces attitudes peuvent sembler scandaleuses :quoi !? Ces jeunes gens prétendent apprendrela vie dans ces objets commerciaux et dénuésd’ambition!? Déjà Hélène et les garçons initiait lesfilles aux rapports amoureux comme nous l’ap-prenait Dominique Pasquier (1999) : mais aumoins, c’était français quand Lost, Heroes, 24,Desperate Housewives, etc., sont américains !Même les grands principes de la sociologie, entout cas française, semblent mis en échec parles comportements des amateurs de séries télé-visées : les passionnés d’objets plus ou moinsbizarres, de toute façon pas « légitimes » –comme les mordus de jazz des années cin-quante ou les férus de bande dessinée desannées soixante – tenteraient, si l’on en croit lathéorie du maître Bourdieu (1965), de mimerles postures et manières des connaisseurs dugrand art, « grande » musique ou « grande »peinture : ils introduiraient mots savants oudiscours érudits pour justifier leur passion, à lamanière cocasse d’un Jean Douchet (1967)expliquant le cinéma d’Hitchcock à la lumièrede Platon. Mais les amateurs de séries semblentse contenter d’aimer et de savourer avec leursamis leurs objets préférés. Cela ne les empêchepas d’être de vrais connaisseurs, ce que l’onpourrait appeler des « téléphiles » ou plus exac-

– 10 –

Mythologie des séries télé

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 10

Page 12: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

tement des « sériephiles ». Ils sont des observa-teurs précis des formes narratives des sériestélévisées. Sylvain, vingt-trois ans, m’expliqueen détail pourquoi, à son avis, les créateurs deHeroes ont eu et auront beaucoup de mal àpérenniser leur série alors que ceux de Lost ontpris soin de se laisser de continuelles portes desortie narratives ; et Philippe m’apprendcomment les créateurs de The Shield parvien-nent à inverser nos jugements sur leurs person-nages principaux grâce à une narrationdélibérément ambiguë. Quant à Catherine,fanatique de Friends, qui regarde la série avecses amis dans le brouhaha des commentaires etdes rires, elle analyse clairement la situationdes personnages afin d’illustrer la grande origi-nalité de sa série préférée : selon elle, c’est sacapacité à privilégier le groupe plutôt que lesindividus et même aux dépens des individusqui fait son succès.

2. Le vaste public des séries… américaines

Si mon enquête ne concerne que de jeunesamateurs de séries, il faut noter que cet intérêtpassionné pour les séries concerne tous les âgeset toutes les catégories sociales. Constatonsd’abord que les jeunes que j’ai rencontrés sontd’origines très différentes et que leurs autrescentres d’intérêts – sport, cinéma, musées,concerts, etc. – sont extrêmement variés. Lesfilles sont plus nombreuses que les garçons etaussi plus investies affectivement. Il n’y a là rien

– 11 –

Les publics des séries télévisées

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 11

Page 13: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

d’extraordinaire quand on se rappelle que surtrois romans, deux sont lus par des femmes : lafiction est aujourd’hui un domaine de plus enplus dominé par l’ex-sexe faible, y compris àtravers l’écriture de best-sellers (J. K. Rowling,P. MacDonald, A. Nothomb). Il semble égale-ment évident que le goût des séries concerneles adultes et nombreux sont les jeunes interro-gés qui disent regarder les séries avec l’un oul’autre de leurs parents, souvent leur mère. Desrelations se nouent autour de séries, commenous l’avons vu avec Joséphine ou comme nousl’a raconté Carole à propos des sériesmédicales regardées avec ses parents, respecti-vement médecin et infirmière. Quant à moi, jeme souviens des soirées passées devant NewYork District ou Boston Justice, le vendredi soiravec ma femme, mes filles et mon fils.

D’ailleurs, l’énormité du succès des séries nepeut pas s’expliquer par le seul intérêt des plusjeunes. Il suffit de considérer la grille des pro-grammes dans n’importe quel magazine pourse convaincre de leur poids. Une semaine demai 2009, trente-cinq épisodes de séries diver-ses sont diffusés en soirée (de 21 heures àminuit) sur les quatre grandes chaînes (TF1,France 2, France 3, M6). Chaque prime time(sauf le mercredi), au moins une série occupela première partie de soirée de l’une de ceschaînes (la plupart étrangères). L’après-midide ces quatre chaînes est littéralement meublépar des séries (sauf France 2, momentanémentconsacrée au tennis). Le plus souvent améri-

– 12 –

Mythologie des séries télé

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 12

Page 14: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

caines, souvent allemandes en particulier surFrance 2, elles vont d’un genre à l’autre. Sil’on ajoute la TNT, le choix s’élargit encore,profitant d’innombrables rediffusions (on sedemande combien de fois – sans doute plus devingt – TMC a pu diffuser les épisodes d’Inspec-teur Morse ou d’Inspecteur Frost, d’ailleursexcellents pour la plupart, en sa possession). Sil’on tourne la page et qu’on arrive aux chaînesdu câble, on est stupéfait ; au moins six chaînesdont les programmes sont presque continusvingt-quatre heures sur vingt-quatre doiventleur programmation presque exclusivementaux séries. Elles sont loin d’être parmi les chaî-nes les moins regardées (Jimmy, 13e rue, etc.).Ce dénombrement ne tient compte ni desachats de DVD saison par saison, dont on saitqu’ils concurrencent la vente de films (sur unchiffre d’affaires de 358 millions d’euros pour32 millions d’unités vendues, la vente de cof-frets de séries représente un bon quart desachats ; il est fréquent que dans les dix meilleu-res ventes de DVD d’Amazon.fr, l’on trouvetrois coffrets de séries) ; ni du téléchargementsur Internet, intensif. Le genre sériel est main-tenant le programme majeur sur les petitsécrans français, pourtant longs à suivre unmouvement depuis longtemps engagé un peupartout dans le monde (principalement dansles pays sud-américains et anglo-saxons),d’abord en volume ensuite en importance : lesséries sont devenues des programmes d’appelque les chaînes annoncent et dont elles font la

– 13 –

Les publics des séries télévisées

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 13

Page 15: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

promotion. La notion de bouche-trou que l’ona longtemps appliquée aux séries doit êtremise aux oubliettes.

Les jeunes générations se distinguent effec-tivement des plus anciennes sur un point.Pour les plus jeunes en effet, la notion de« série » est synonyme de « série américaine ».Une jeune fille à laquelle je demandais de meparler des séries françaises m’a répondu :« Oui, je sais que ça existe. » Remarque élo-quente qui exprime combien Navarro, JulieLescaut ou même Avocats et associés sont engénéral ignorés par les jeunes. Bien entendu,ces séries, puisqu’elles demeurent dans lagrille, ont leur public. Elles sont diffusées pardes chaînes dont les programmes semblentsouvent destinés (et sont effectivement regar-dés par) aux moins jeunes. Cependant, lesadaptations par TF1 de formules américainesà succès comme CSI ou Law & Order indiquentdes essais de renouvellement au moins sur cettechaîne : serait-il possible que les flics charisma-tiques et infaillibles dont TF1 a fait son ordi-naire finissent par lasser? Quant aux messagespleins de bons sentiments, d’honnêteté, d’anti-racisme, d’intégrité, etc., délivrés avec unelégèreté éléphantesque sur le service public,ils semblent dépassés par les Cold Case et FBI,portés disparus maintenant ordinaires. Noustenterons de comprendre tout à l’heure dequels manques souffrent les séries françaisesen les comparant de façon plus précise à leursconsœurs américaines.

– 14 –

Mythologie des séries télé

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 14

Page 16: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

3. Les séries, une culture passionnée

Le terme d’« intérêt » ne rend pas vraimentcompte de la passion des jeunes gens pourleurs séries préférées. Revenons sur le casd’Agathe qui aime tant Urgences. Elle n’est passeulement fidèle au rituel de la diffusion, aucharme de la soirée qu’elle passe avec soncompagnon, elle est aussi captivée par ses« amis » de la série. Quand France 2 a cessé dela diffuser, elle a acheté des DVD pour conti-nuer à fréquenter la petite communauté desmédecins et infirmières de l’hôpital deChicago où se situe Urgences : même les« méchants » et les « antipathiques » sontindispensables, m’assure-t-telle, car ils main-tiennent l’équilibre et garantissent sonauthenticité. C’est pourquoi les moments lesplus difficiles à vivre sont, selon elle, lesdéparts et arrivées ; ainsi des départs des doc-teurs Ross (interprété par George Clooney) etCarter, réellement dramatiques. Quant auxarrivées, elles sont également délicates, caradmettre dans le cercle quasi familial desUrgences non un nouveau-né qui s’accommo-dera progressivement des habitudes de lafamille mais un individu supposé avoir déjà sapersonnalité et ses manières est évidemmentbeaucoup plus difficile. Agathe est littérale-ment fascinée par la circulation des affections,des amours, des malveillances et des rancunesentre des personnages qu’elle affirme mieuxconnaître que la plupart des gens qu’elle

– 15 –

Les publics des séries télévisées

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 15

Page 17: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

côtoie dans la vie quotidienne. Progressive-ment, elle est aussi devenue sensible au dédaledes mouvements de caméra confectionnés parl’équipe de John Wells, au rythme de sonmontage, aux accents que les responsablesont décidé de placer : sa connaissance de lasérie est donc émotive et formelle, ou peut-être devrait-on dire émotive-formelle, tant cesdeux types de connaissances sont ici étroite-ment associés. En conclusion à sa description,Agathe dit qu’elle voudrait trouver dans sa vieprofessionnelle une puissance analogue àcelle qu’elle sent circuler dans le service desurgences de Cook County : ce n’est pas l’affectqui touche Agathe, mais l’émotion, c’est-à-direle mode le plus aigu du sentiment d’apparte-nance à une communauté.

Écoutons maintenant Cédric, qui fait desétudes de droit et préfère les séries anciennesd’abord regardées avec ses parents aux sériesplus récentes : Lost ou Heroes, il « n’accrochepas », les trouvant trop compliquées. Mais ilapprécie toujours Amicalement vôtre ouColumbo, qui ont bercé son enfance. En parti-culier le célèbre lieutenant interprété parPeter Falk est beaucoup plus pour lui qu’unsimple personnage de fiction, il est plutôt unstyle de conduite. Il le décrit comme unhomme d’abord discret, mais qui impose petità petit sa personnalité et son intelligence etoblige des individus puissants, peu habitués àtenir compte de personnes plus modestes, àfaire face à sa présence et finalement à s’incli-

– 16 –

Mythologie des séries télé

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 16

Page 18: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

ner (on pense en l’écoutant à la polémiquedéclenchée en avril 1973 par le journaliste duNew York Times Jeff Greenfield, accusant lasérie de reposer sur « la haine de classe »).Cédric ajoute que les séries actuelles n’égalentpas l’ingéniosité de Columbo. La révélation audébut de chaque épisode, qui inverse lesenjeux habituels du récit policier est, selonlui, parfaitement originale et induit desmodes de narration singuliers extrêmementattrayants. Ainsi, son imprégnation du person-nage dépasse-t-elle largement le divertissementque procurent les fictions « distrayantes » etatteint un niveau narratologique tout à faitpertinent.

Quant à Alexandra, elle a fait de Friends unesorte de modèle qui, pour elle, n’est pas inacces-sible. Étudiante en Master, elle vit avec son frèrequi poursuit aussi des études. Sa passion pourMonica, Rachel et les autres est à la fois dévo-rante et amusée. Elle n’a aucun personnage« préféré » mais se sert de chacun d’entre eux,particulièrement de leurs faiblesses respectives,pour élaborer une sorte de typologie des tempé-raments qu’elle joue à appliquer à ses amis.Mais elle retient surtout, comme tous les vraisamateurs de la série, l’unité du groupe, lafamille fraternelle qu’ils forment. Friendscontient, prétend-elle, une sorte de vie rêvée etsinon parfaite du moins protégée par l’amitiéde chacun: c’est « la vie que je veux vivre », dit-elle. Elle développe une analyse sociologiqueempirique sur le besoin des jeunes d’au-

– 17 –

Les publics des séries télévisées

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 17

Page 19: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

jourd’hui de trouver des abris au sein decommunautés de solidarité solides.

Dès que l’on écoute un véritable amateur,l’on perçoit combien son goût pour une ouplusieurs séries a développé chez lui unregard affiné et un sens artistique incontesta-ble : les formes à travers lesquelles on lui com-munique d’abord une narration et ensuiteune émotion lui deviennent rapidementperceptibles au point qu’il sait parfaitementles décrire et les apprécier.

4. Phénomène culturel ou événement artistique ?

Il y a les amateurs de Nip/Tuck, les accros de24, les fans souvent très savants d’une sérieemblème du « nouveau féminisme », Buffycontre les vampires, les admirateurs de NYPD Blue,les exaltés de Six Feet Under, les adeptes d’AllyMcBeal, les complices du quatuor de Sex and theCity, sans parler de ceux, fort nombreux, quipratiquent un échangisme libéral. Il y a Chloé,qui travaille dans des restaurants quand elle abesoin d’argent et est une grande spécialiste deOz, cet extraordinaire chef-d’œuvre de TomFontana, vision effrayante et fascinante à la foisde la vie dans les prisons américaines : elle enparle avec le soin gourmet d’un Jacques Rivetteexplorant le génie de Howard Hawks. Il y a lesamusés, comme Sylvain, qui multiplie lesrecherches d’informations sur Internet à

– 18 –

Mythologie des séries télé

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 18

Page 20: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

propos de Lost et s’empresse de faire courir tou-tes les nouvelles en les transformant un peu afinde surprendre ses amis. Il y a les sérieux, commeJérôme qui regarde Les Simpson depuis sonenfance et est en relation avec un grand nom-bre d’associations d’amateurs américaines, necessant pas de discuter grâce à la communica-tion numérique de l’évolution de la série, de sescritiques irrésistibles des tares de la société amé-ricaine, des difficultés du créateur Matt Groe-ning avec le réseau Fox, foncièrementrépublicain quand la série est ouvertementlibérale. Grand connaisseur des modes de fabri-cation, il sait tout sur le budget, l’écriture desscénarios, la conception des story-boards, etc.

Bref, il est vraiment difficile de ne pas voirdans l’univers des séries un véritable phéno-mène culturel, au même titre que le cinéma ily a presque cent ans, la bande dessinée desannées soixante, les diverses époques musica-les depuis « l’invention » du rock en passantpar la pop ou le rap. Ces jeunes qui aimentégalement celui-ci la littérature, celui-là le rockdes années cinquante et soixante, cet autre lapeinture américaine des années cinquante etcet autre encore les jeux vidéo, trouvent dansles séries une sorte d’accomplissement fiction-nel. Ils savent parfaitement comment elles sontfabriquées (ce qui est une grande nouveautédans notre pays où nos critiques ont méconnujusqu’à très récemment la notion pourtantsimple de « saison ») ; ils n’ignorent rien desressorts narratifs sériels, lesquels atteignent

– 19 –

Les publics des séries télévisées

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 19

Page 21: MYTHOLOGIE DES SÉRIES TÉLÉexcerpts.numilog.com/books/9782846702683.pdf · Les publics des séries télévisées 1. Passions sérielles, 5 2. Le vaste public des séries… américaines,

LEVINE E. et PARKS L. (éd.), Undead TV, Durham, DukeU. P., 2007.

LOWRY B., Aux Frontières du réel, le guide officiel, Paris,éditions La Martingale, 1996.

POURROY J., Urgences, le guide officiel, Paris, éditions LaMartingale, 1996.

SOLOW H. F. et JUSTMAN R. F., Inside Star Trek The RealStory, New York, Pocket Books, 1996.

YEFFETH G., What Would Sipowicz Do?, Dallas, BenbellaBooks, 2004.

Autres livres citésBOURDIEU P., Un art moyen, Paris, éditions de Minuit,

1965.

NOGUEZ D., « Du futurisme à l’“underground” »,p. 285-293, in Cinéma : théories, lectures, Klinsieck,1973.

– 95 –

Mytho_Series TV_NUM.qxd 22/07/14 17:32 Page 95