mutations de la vie matérielle (XVIIIe années...

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1 Habiter et construire en pays bushinengue : l’architecture, l’une des clés de lecture des mutations de la vie matérielle (XVIII e années 1990) 1 Le thème traité ici s’inscrit dans l’évolution de la culture matérielle d’un des groupes socioculturels de la Guyane française et du Surinam, les Bushinengue. Apparus à l’issue du marronnage en Guyane hollandaise (Surinam) au XVIII e siècle, les Marrons organisent leur société et exploitent les ressources de l'espace dans lequel ils ont choisi de vivre. Dans les colonies du Surinam et de la Guyane française, ils connaissent une histoire différente de celle du monde des plantations, et fondent une identité collective aux facettes multiples, puisant leurs ressources dans la manière d’être et dans le savoir -faire de chaque marron. Cette manière d’être et ce savoir-faire sont étroitement imbriqués dans les pratiques culturelles portées depuis l’Afrique, ou empruntées à la vie menée dans les plantations. S'ajoutent également des éléments culturels venus des Amérindiens de la Guyane hollandaise et de la Guyane française. Parmi les éléments constitutifs de leur identité, l’architecture est révélatrice des changements qu’ont connus ces sociétés marronnes puis post-marronnes, entre la fin XVIII e et le début des années 1990. L’étude relative au modèle architectural bushinengue, à son évolution et à la manière dont les Bushinengue pensent l’organisation de l’espace villageois n’a pas fait l’objet de travail approfondi. L’architecture est néanmoins présente dans les contribution s des chercheurs qui nous ont précédé, tels que Richard et Sally Price (anthropologues), ou encore Jean Hurault (ingénieur-géographe) qui a décrit les techniques de construction des Boni, peu différentes de ce que nous pouvons observer ailleurs, parmi les autres groupes bushinengue. A ces auteurs, peuvent être ajoutés Anne Hublin 2 (1987), Carole Aubert 3 , Jeanne Bianchi 4 , Marie-Pascale Mallé 5 et plus récemment Martina Amoksi 6 , Clémence Léobal 7 . Le modèle 1 Version longue de l’article sur « Les Bushinengue du Surinam et de la Guyane française : le modèle architectural développé, une clé de lecture de leur évolution », Emile Eadie (dir), L’esclavage de l’Africain en Amérique du 16 e au 19 e siècle- les héritages, Collection Etudes, Presse Universitaire de Perpignan et Association Dodine, 2011, p. 191-194. Ce nouvel article, avec un titre différent du premier, fait l’objet d’une étude plus approfondie de la question. Nétions pas en mesure de fournir le texte définitif après le colloque, seule la version orale a été publiée. 2 Hublin Anne, « La prolétarisation de l’habitat des Marrons de Guyane, MELATT, Bureau de la recherche architecturale, Paris, Ecole d’architecture de Paris-Villemin, 1987. Lire également son article sur « Marges urbaines et minorités ethniques. L’habitat marron de Guyane française », in Cahier de la recherche architecturale, n° 27-28, 1992, p. 183-196. 3 Aubert Carole. « L’habitat des bushi-nenge du Maroni en Guyane française », in P. Erny, (dir), Cultures et habitat. Douze contributions à une ethnologie de la maison. Coll. Culture et Cosmologie. Langres, 2000, p. 42-60. 4 Bianchi Jeanne, Modes de vie traditionnels et modernisme dans l’habitat en Guyane, Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction, Plan Urbanisme Construction Architecture Atelier de sociologie, Guyane, octobre 2002, 27 p. 5 Marie Pascale Mallet (Conservatrice en chef du patrimoine, Musée national des Arts et Traditions populaires-antenne de préfiguration du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille), « Les maisons des Noirs marrons de Guyane », In Situ n°5 - décembre 2004. 6 Amoksi Martina, De Marronvrouw in de stad, Een historische analyse van de gevolgen van de urbanisatie voor de Marronvrouwen in Suriname, NINSEE REEKS, Amrit, Amsterdam, 2009. 7 Léobal Clémence, Saint-Laurent du Maroni. Une porte sur le fleuve, Editions Ibis Rouge, Matoury, 2013, p. 84-95, 109- 144.

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Habiter et construire en pays bushinengue : l’architecture, l’une des clés de lecture des

mutations de la vie matérielle (XVIIIe – années 1990)

1

Le thème traité ici s’inscrit dans l’évolution de la culture matérielle d’un des groupes

socioculturels de la Guyane française et du Surinam, les Bushinengue. Apparus à l’issue du

marronnage en Guyane hollandaise (Surinam) au XVIIIe siècle, les Marrons organisent leur

société et exploitent les ressources de l'espace dans lequel ils ont choisi de vivre. Dans les

colonies du Surinam et de la Guyane française, ils connaissent une histoire différente de celle

du monde des plantations, et fondent une identité collective aux facettes multiples, puisant

leurs ressources dans la manière d’être et dans le savoir-faire de chaque marron. Cette

manière d’être et ce savoir-faire sont étroitement imbriqués dans les pratiques culturelles

portées depuis l’Afrique, ou empruntées à la vie menée dans les plantations. S'ajoutent

également des éléments culturels venus des Amérindiens de la Guyane hollandaise et de la

Guyane française. Parmi les éléments constitutifs de leur identité, l’architecture est révélatrice

des changements qu’ont connus ces sociétés marronnes puis post-marronnes, entre la fin

XVIIIe et le début des années 1990.

L’étude relative au modèle architectural bushinengue, à son évolution et à la manière

dont les Bushinengue pensent l’organisation de l’espace villageois n’a pas fait l’objet de

travail approfondi. L’architecture est néanmoins présente dans les contributions des

chercheurs qui nous ont précédé, tels que Richard et Sally Price (anthropologues), ou encore

Jean Hurault (ingénieur-géographe) qui a décrit les techniques de construction des Boni, peu

différentes de ce que nous pouvons observer ailleurs, parmi les autres groupes bushinengue. A

ces auteurs, peuvent être ajoutés Anne Hublin2 (1987), Carole Aubert

3, Jeanne Bianchi

4,

Marie-Pascale Mallé5 et plus récemment Martina Amoksi

6, Clémence Léobal

7. Le modèle

1 Version longue de l’article sur « Les Bushinengue du Surinam et de la Guyane française : le modèle architectural

développé, une clé de lecture de leur évolution », Emile Eadie (dir), L’esclavage de l’Africain en Amérique du 16e au 19e

siècle- les héritages, Collection Etudes, Presse Universitaire de Perpignan et Association Dodine, 2011, p. 191-194. Ce

nouvel article, avec un titre différent du premier, fait l’objet d’une étude plus approfondie de la question. N’étions pas en

mesure de fournir le texte définitif après le colloque, seule la version orale a été publiée.

2 Hublin Anne, « La prolétarisation de l’habitat des Marrons de Guyane, MELATT, Bureau de la recherche architecturale,

Paris, Ecole d’architecture de Paris-Villemin, 1987. Lire également son article sur « Marges urbaines et minorités ethniques.

L’habitat marron de Guyane française », in Cahier de la recherche architecturale, n° 27-28, 1992, p. 183-196.

3 Aubert Carole. « L’habitat des bushi-nenge du Maroni en Guyane française », in P. Erny, (dir), Cultures et habitat. Douze

contributions à une ethnologie de la maison. Coll. Culture et Cosmologie. Langres, 2000, p. 42-60.

4 Bianchi Jeanne, Modes de vie traditionnels et modernisme dans l’habitat en Guyane, Direction générale de l’urbanisme, de

l’habitat et de la construction, Plan Urbanisme Construction Architecture Atelier de sociologie, Guyane, octobre 2002, 27 p.

5 Marie Pascale Mallet (Conservatrice en chef du patrimoine, Musée national des Arts et Traditions populaires-antenne de

préfiguration du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille), « Les maisons des Noirs marrons de

Guyane », In Situ n°5 - décembre 2004.

6 Amoksi Martina, De Marronvrouw in de stad, Een historische analyse van de gevolgen van de urbanisatie voor de

Marronvrouwen in Suriname, NINSEE REEKS, Amrit, Amsterdam, 2009.

7 Léobal Clémence, Saint-Laurent du Maroni. Une porte sur le fleuve, Editions Ibis Rouge, Matoury, 2013, p. 84-95, 109-

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architectural réalisé par les Marrons bushinengue et leurs descendants peut être interprété

comme un héritage direct de leurs ancêtres, ouest-africains8 et centre-africains, devenus

esclaves en Guyane hollandaise. Des données ethnographiques témoignent de cette origine,

tels la forme architecturale (document 1 f g) adoptée jadis (base rectangulaire, carrée,

circulaire ; forme conique de la toiture) et le savoir-faire technique. Par conséquent, l’origine

africaine reste indéniable, comme le remarquait à juste titre Gabriel Debien à propos des cases

d’esclaves de plantation (physionomie, plan des cases, silhouette). Mais il se pourrait que les

Marrons bushinengue aient aussi épousé le style architectural des Amérindiens (document 1 a,

5) avec lesquels ils ont été durablement en contact. Sous certains aspects, des similitudes

peuvent également être observées avec le modèle de construction coloniale dont les traces

existent encore dans le paysage urbain de Paramaribo. La recherche d’une origine purement

africaine dans ce domaine peut être nuancée compte tenu du fait que les sociétés bushinengue

sont nées de la rencontre entre l’Amérindien, l’Européen et l’Africain aux Amériques dans le

cadre de la colonisation, de l’esclavage puis du marronnage. D’ailleurs, le modèle

architectural bushinengue diffère peu de la case en bois que nous observons dans le monde

rural des régions tropicales, parfois urbain du littoral guyanais, caribéen (document 1 e h).

L’identité culturelle, artistique ou cultuelle des Marrons bushinengue, entre le XVIIIe et la

première moitié du XIXe siècles, oscillait en effet entre africanisation et américanisation.

Nous parlons, d’une part, d’africanisation chez les Marrons bushinengue dans la mesure où

ils ont reproduit, adapté, juxtaposé, transformé parfois réinterprété [voire reconstitué à travers

la mémoire collective, clanique, familiale des divers individus marrons et du savoir des wenti

(divinité) par l’intermédiaire des cultes de possession] la culture, les savoirs et les savoir-faire

de leurs Ancêtres du Centre et de l’Ouest africains. D’autre part, nous utilisons le terme

américanisation par rapport au contexte des XVIIe, XVIII

e et XIX

e siècles et non pas à celui

d’aujourd’hui, en raison de la domination de la puissance états-unienne qui pourrait fausser

notre analyse. En effet, au contact de la civilisation de leurs anciens maîtres de plantation et

au contact des Amérindiens, ces groupes en ont épousé les caractéristiques culturelles. Parmi

la population bushinengue du Maroni-Lawa, s’est opéré, entre la fin du XIXe et la première

moitié du XXe siècles, un processus de créolisation dû aux relations entretenues avec les

orpailleurs créoles du littoral guyanais, des Antilles française et anglaise. Enfin, depuis les

années 1960 et aux cours des années 1990, de nouveaux « ingrédients » sont entrés en ligne

de compte (scolarisation, politisation, urbanisation, christianisation, etc).

N’étant pas expert du domaine, notre étude s’inscrit dans une perspective historique,

anthropologique, voire sociologique et dans une analyse comparée des pratiques

architecturales des Bushinengue du Maroni-Lawa. Il s’agit, à travers des sources croisées et

souvent complémentaires, iconographies, documentaires, incluant notre enquête de terrain,

notre propre expérience en tant que descendant de Marron, incluant la mémoire des sabiman9

et des sabiuman bushinengue, les récits de voyage du XVIIIe et de la première moitié du XX

e

siècles, d’étudier les mutations de l’architecture et de l’aménagement de l’espace des lieux de

vie des Bushinengue, comme stratégie d’appropriation de l’espace, entre le XVIIIe siècle

(époque du marronnage) jusqu’aux années 1990, années qui signent définitivement leur entrée

dans la société urbaine du littoral guyanais et surinamien. L’insertion progressive des

Bushinengue dans la société urbaine, qui commence dès la fin du XIXe siècle et s’accentue au

cours des années 1950 et 1960, traduit également une appropriation lente, mais progressive du

8 Zones particulièrement pourvoyeuses de la traite négrière transatlantique hollandaise (Côte au vent, Côte de l’Or, Côte des

esclaves, Loangos/Congo) : cf, Johannes Postma, « The Dutch Slave. A quantitative assessment », RFHOM, tome 62, n°226-

227, 1975, p. 232-244 ; Curtin Philip. D, The Atlantic slave Trade : A census, University of Wisconsin Press, Madison,

Milwaukee, 1969, p. 123.

9 Terme évoquant celui ou celle qui a le savoir et le savoir-faire. Il désigne la personne qui maîtrise la connaissance.

3

modèle architectural urbain (maison citadine). Conséquence de l’exode rural10

, l’urbanité se

diffuse à l’intérieur de leur village et génère une nouvelle manière d’utiliser l’espace et de

nouveaux rapports sociaux. L’étude évoquera également la question liée à la représentation

dont fait l’objet la maison dite « traditionnelle »11

(fositen osu ou fookitaosu : maison des

temps passés ou maison aux ailes d’oiseau au repos) et celle dite « moderne » (bakaaosu,

bakaa conde sama osu, keyoluosu ou dooseï-sama osu)12

aux yeux des Bushinengue. Elle

s’intéressera à l’ensemble des sociétés bushinengue, plus particulièrement celles qui habitent

le long du fleuve Maroni-Lawa et du Tapanahony. Néanmoins, entreprendre une démarche

globalisante paraît très délicat, dans la mesure où les groupes n’évoluent pas au même rythme.

La situation socio-économique d’un Bushinengue et la distance géographique entre son

village et la ville peuvent représenter des facteurs explicatifs. Le cadrage chronologique varie

également puisqu’il n’y a pas de décalque temporel exact d’un groupe à l’autre. Ainsi, nous

avons préféré, à partir de l’exemple des Boni, élargir le sujet aux autres groupes. Après avoir

enquêté auprès d’eux et lu des travaux les concernant, nous constatons en effet que

l’évolution de leur bâti est similaire à celle qu’ont connue les Boni. Plusieurs échelles

d’analyse sont possibles puisque certains groupes semblent plus avancés dans la modification

de l’habitat et dans l’appropriation du modèle architectural urbain que d’autres. De même, à

l’intérieur de chaque groupe, certains clans enregistrent une avance par rapport à d’autres. Ce

processus s’opère également à l’intérieur des familles. Toutefois, dans tous les groupes, le

modèle du bâti suit sensiblement la même logique : partant de la maison intégralement

végétale habitée du XVIIIe à la fin du XIX

e siècles, voire jusqu’à la fin de la première moitié

du XXe siècle, selon les groupes, les clans, les familles, les Bushinengue intègrent

progressivement le matériel de construction utilisé dans le monde colonial tout en conservant

l’ancienne architecture (1880-1950). Néanmoins, à partir des années 1950-1960 (selon les

groupes), ils importent de plus en plus le style architectural du monde urbain en adoptant deux

attitudes : soit en détruisant la maison « traditionnelle » pour construire à sa place la maison

citadine, soit en la laissant à l’abandon pour bâtir sur un autre site. De nos jours, le modèle

urbain est la norme architecturale qui s’impose, selon un processus irréversible, à l’instar de

ce que nous observons dans d’autres territoires. La question de la sauvegarde de la maison

« traditionnelle » se pose.

Mots-clés : architecture traditionnelle, architecture coloniale, maison, habitat, tchanga,

patrimoine bâti, Amérique tropicale, marron, bushinengue, Djuka, Boni, Pamaka, Saamaka,

exode rural, Maroni-Lawa, maison citadine, urbanisation, « quartiers-villages », intégration.

Le bâti bushinengue entre permanence et mutation (XVIIIe siècle et milieu du XX

e) :

l’exemple des Boni du Maroni-Lawa

La maison intégralement végétale (XVIII

e-1880)

Jules Crevaux, de passage parmi les Boni, chez les Redimusu (Peïgudu-nengue), et les

Djuka en 1877, témoigne à propos de l’habitat boni ; une description d’ailleurs valable pour

l’ensemble des Bushinengue du Maroni-Lawa et du Tapanahony : « […] les Boni vivent

10 Lire, Frédéric Piantoni, « Les recompositions territoriales dans le Maroni : relation mobilité-environnement », Revue

Européenne des Migrations Internationales, vol. 18 n°2, 2002.

11 Ce terme est à utiliser avec précaution puisqu’une tradition peut être « fabriquée », « inventée » ou « reconstruite ». Lire

Eric Hobsbawm & T. Ranger, The Invention of Tradition, Cambridge, 1983 (traduction française: L'invention de la tradition,

trad. par Christine Vivier, Éditions Amsterdam, 2006).

12 Termes signifiant : maison des Blancs ou maison du pays des Blancs, des Créoles autrement dit, la maison des gens du

dehors, c’est-à-dire des étrangers.

4

généralement sous des huttes carrées, [ajoutons aussi rectangulaires] recouvertes de feuilles

de palmier. Quelques-unes de ces habitations sont ouvertes à tous les vents

[langa/pikiosu/fayaosu/boliosu : première catégorie de maison]. La plupart sont fermées de

tous les côtés [gaaosu/chiibiosu/lontuosu : deuxième catégorie de maison], et l’on ne peut y

entrer que par un office étroit et très bas, qui est quelquefois muni d’une serrure en bois

[…] » (J. Crevaux : 1987, p. 75). Les deux catégories de maisons renvoient à des réalités

différentes en raison de leur contexte d’émergence et remplissent chacune une fonction

spécifique :

La première catégorie correspond à ce que les sabiman qualifient d’abri temporaire et

spontané, hérité de l’époque du marronnage (XVIIIe siècle- 1863) et recouvrant différents

aspects, transposé en une version améliorée dans le contexte de paix, dans les villages

sédentaires et permanents. A l’époque du marronnage, avant la signature du traité entre le

pouvoir colonial et les Djuka et les Saamaka, au cours des années 1760 par exemple et plus

tard chez les autres marrons, la structure de l’habitat qui prévalait répondait à une logique de

fuite et de guerre. Cet habitat13

avait une durée d’existence variable (une semaine, un mois,

voire davantage selon les circonstances), liée au contexte de la fuite et à la capacité de

résistance à l’esclavage et à la situation économique des marrons. Il arrivait qu’il ne dure

qu’une nuit pour être détruit le lendemain en raison de la proximité des troupes coloniales

mises à leur poursuite. Ce type d’habitation, dont l’équivalent serait la cabane au sens

occidental du terme, est réalisé à l’aide de branchages, de feuillage et de lianes, à l’image de

ce qu’on trouve chez les Pygmées encore de nos jours, et est désigné par des termes

génériques qui changent d’appellation selon le lieu où il a été construit : au village, dans un

espace agricole, ou en milieu forestier. Le tchanga épouse le modèle de construction d’un tipi

avec sa forme conique. Les Boni appellent également cet abri wayapoku tiki, pour faire

allusion à l’habitat des Amérindiens de l’Oyapock. Il s’élabore à l’aide de trois perches

formant un brêlage tripode au sommet et un triangle équilatéral au sol. D’autres perches sont

ensuite ajoutées pour permettre l’étalage des feuilles de palmier. Le latioko14

(déformation du

mot créole latche hocco signifiant la queue du hocco), appelé aussi paawichi tee en

nenguetongo (langue des Bushinengue), est un style d’habitat dont l’ossature du toit emprunte

la forme de la queue du hocco (oiseau de la famille des cracidés), c’est-à-dire un triangle

isocèle. Il se conçoit de deux manières : soit par l’installation de trois fourches disposées en

triangle isocèle pour soutenir l’ossature ; soit par la présence de deux à trois perches fichées

au sol, jointes au sommet à une fourche centrale ou à un tronc d’arbre axé verticalement.

L’habitat rudimentaire pouvait également se construire au pied d’un arbre imposant pourvu de

grandes racines et de contreforts faisant office de cloisons (gaan udu fu olo), mais aussi en

hauteur, autour d’un tronc d’arbre (baakoto : de l’anglais bracket). Le baakoto, qui désigne

également un grenier (sous la forme d’une étagère aménagée), permettait d’atteindre la partie

mince du tronc situé dans l’abattis et facilitait ainsi son abattage. Il pouvait servir de couchage

lorsque l’abatteur était fatigué ; lorsqu’un chasseur perdu n’avait pas suffisamment de temps

pour regagner le village à la tombée de la nuit ou lorsqu’il guettait un animal nocturne après

lui avoir tendu un piège (seti baakoto).

Il existe d’autres formes d’abris sommaires, à toiture plate (paatadaki : du néerlandais,

plat dak), à toiture légèrement arrondie (lontudaki : du néerlandais, afgeronde dak), à toiture

en tonneau (botoosu) et à toiture en bâtière à forte ou faible pente (masanga ou langa). On

13 L’iconographie, tirée des livres de J. Gabriel Stedman (Stedman : 1796, p. 336), de l’illustrateur et planteur belge,

Theodore Bray (habitat de trois nègres marrons au Surinam, 1850), de Frédéric Bouyer (F. Bouyer : 1867, p. 303), de Jules

Brunetti (J. Brunetti : 1893), nous éclaire sur ce type d’habitat.

14 Ce terme peut être utilisé aussi pour parler au sujet d’une belle maison. Son emploi, par le propriétaire, est certes une

marque d’humilité, mais il s’agit d’un moyen aussi de mettre à distance le mauvais œil éventuel des villageois qui le

complimentent.

5

rencontre les deux premiers dans les abattis, dans la brousse ou au bord du débarcadère d’un

village lors de la construction d’un canot. La charpente est soutenue par quatre fourches

(parfois davantage) fichées au sol de manière à former un carré ou un rectangle. Le troisième

(abri à toiture en tonneau) est construit sur un canot et sert de couverture (botoosu ou

pomacari). Son émergence coïncide avec l’époque du transport des orpailleurs et des

marchandises à destination des champs aurifères du haut Maroni entre 1880 et 1960 et avec

l’époque de l’acheminement des explorateurs en mission scientifique et ethnographique. Placé

au milieu du canot, à environ un mètre de la poupe devant le patoon (guide du canot), le

botoosu était réalisé à l’aide de branchages et recouvert de feuilles de waï tressées. Sa

fonction était multiple : lieu où s’asseyaient les orpailleurs et les administrateurs en mission

durant la navigation, pour se protéger des intempéries ; espace de couchage et de cuisine,

lorsque les canotiers n’avaient pas suffisamment de temps pour construire un carbet sur la

berge ; lieu qui servait également de dépôt d’objets précieux.

Le quatrième, le masanga15

(carbet), appelé aussi gooosu (cabane de l’abattis), est

l’abri le plus élaboré parmi les habitations élémentaires évoquées. Il est situé généralement

dans les lieux de culture, en zone forestière, lorsque les bushiman (chasseurs) partent à la

chasse ou à la pêche durant plusieurs jours, dans le contexte de fêtes funéraires. Le masanga

était aussi l’abri que les guides bushinengue, au service des explorateurs, réalisaient lors des

missions ethnographiques, scientifiques, géologiques entre 1880 et 1950. Aujourd’hui, il est

l’habitat par excellence, des orpailleurs des zones isolées de la Guyane et du Surinam. Cet

abri, est identique à celui que l’on rencontre dans l’espace villageois, à proximité de la maison

principale (gaaosu, chiibiosu, lontuosu)16

ou en bordure du fleuve, non loin du débarcadère.

Au village, il permet d’héberger les personnes de passage et remplit une pluralité de

fonctions. Contrairement au masanga, situé en zone agricole, qui disparaît une fois la récolte

terminée, le langa (hangar) désigne l’abri des zones de vie (village), plus durable. Il est le

nom générique employé pour désigner en général une habitation dont les quatre côtés restent

ouverts au vent. Il porte des dénominations différentes en fonction des activités spécifiques

qui s’y déroulent : keeosu (maison des pleurs) pour les rites funéraires ; lantiosu/kuutuosu

(maison des justiciers/maison des réunions/maison commune) pour rendre la justice ;

dansiosu/peeosu/dansi sali (salle de danse et de jeux) pour les activités de réjouissance et les

loisirs ; pikiosu (maisonnette)17

, appelé aussi fayaosu (abri du feu) ou boliosu (maison de

cuisson) pour la cuisine, le grenier, le débarras (mortier, pilon, couleuvre, platine pour le

couac…), le lieu de préparation du manioc, la salle à manger, l’espace de rencontre et de

discussion entre résidents (condeeman) et visiteurs (conlibiman/wakaman), d’apprentissage et

de transmission des savoirs et des savoir-faire.

A l’exception du botoosu (abri du canot) qui émerge à partir des années 1880,

l’époque du loweten (marronnage) se caractérisait par l’existence de ces différents types

d’abris sommaires (tchanga, latioko, baakoto, masanga…). Ces constructions, qui ne

comportaient en général aucune fermeture latérale, frontale ou arrière, facilitaient la

circulation de l’air, mais aussi le va-et-vient des personnes. Toutefois, la sédentarisation, plus

ou moins durable, qui s’est produite à des époques différentes selon les groupes (traité de

paix, éloignement de la zone de vie par rapport à la plantation, abolition de l’esclavage), puis

définitive, a permis non seulement la stabilisation des villages, mais a également donné lieu à

de véritables constructions (gaaosu, chiibiosu, lontuosu) non dénuées d’ingéniosité de la part

des Marrons bushinengue et de leurs descendants.

15 Ce mot signifie cabane en ki-kongo.

16 Traduction littérale : grande maison/maison pour dormir/maison fermée.

17 Le pikiosu, construit loin de la maison principale, remplit une autre fonction. Endroit généralement fermé, il sert d’abri à la

divinité chtonienne (gadu baakotoosu, nommée aussi mamagoosu ou goongaduosu) ou à la divinité protectrice du groupe

(sweliosu).

6

La deuxième catégorie d’habitation dont parle Jules Crevaux est le lontuosu, que les

Bushinengue nomment également gaaosu (grande maison), chiibiosu (maison pour dormir).

Une demeure dont la réalisation n’a été possible qu’en situation de paix durable et de

permanence des villages. A l’époque du marronnage (au XVIIIe siècle et jusqu’en 1863), cette

maison était souvent constituée d’une seule pièce, modèle de base de la maison traditionnelle

bushinengue. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas eu de maisons à deux pièces,

voire davantage, construites durant cette période. Néanmoins, selon le récit des sabiman, la

pratique n’était pas courante. La chambre (document 2 c), quand elle existait, servait au

rangement d’objets précieux, de lieu de repos pour les parents, parfois de lieu d’hébergement

de l’autel de la divinité familiale. Cette divinité pouvait aussi avoir une demeure spécifique

appelée, kunuosu ou wentiosu. Le séjour attenant était un espace consacré à l’étalage des

ustensiles de cuisine, de manière à révéler la richesse matérielle d’une femme (document 2 c).

Il était utilisé aussi pour le rangement des beenki kuaka (barils de farine de manioc), des goô

(gourdes servant de récipients pour garder l’eau à boire ou conserver le riz). Ce séjour servait

également de dortoir quand la famille était nombreuse. D’après le témoignage des sabiman

d’aujourd’hui, les Anciens mangeaient dans le séjour seulement à de rares occasions (sortie

tardive des champs, forte pluie…). De manière générale, seul le père de famille jouissait de ce

privilège quand ses amis venaient partager le repas avec lui. De nos jours, dans les villages, le

salon des maisons citadines est devenu un espace de vie et d’échange (cf, chapitre III).

Lorsque le lontuosu était constitué deux pièces, il possédait trois portes fixées en

dessous des trois arbalétriers de la ferme. La porte d’entrée (fesiosu doo) était située au milieu

ou dans un coin du mur pignon (façade principale), en dessous du tympan ; une autre porte

(iniosu doo) accédait à la chambre18

des parents ; une dernière (bakaosu doo) se trouvait sur le

mur pignon arrière. Comme l’écrit Jules Crevaux, les portes étaient généralement étroites et

basses (en moyenne un mètre de hauteur sur soixante-dix centimètres de largeur)19

. Leur

faible dimension s’expliquait par la structure très basse de la maison et nécessitait l’usage de

peu de matériaux. A l’époque du marronnage, l’étroitesse des portes, de la porte d’entrée

notamment, constituait une arme de défense redoutable. Obligé de se baisser pour entrer, le

soldat des troupes coloniales ou l’individu malintentionné prenait le risque d’être frappé,

neutralisé et même de se faire tuer par l’occupant des lieux. La porte à glissière, fabriquée à

l’aide de tiges de bois et de feuilles de palmier, facilement démontable, comme l’était

également la serrure en bois, n’assurait pas une grande sécurité. En revanche, lorsqu’elle était

montée sur des gonds en bois (doo kaanpu), elle produisait tant de bruit lors de son ouverture

que l’intrus ne pouvait faire preuve d’aucune discrétion. La façade principale des maisons

était généralement orientée, soit vers le débarcadère ou la place centrale du village, soit vers le

carbet-cuisine (langa). L’adossement de la façade postérieure à la forêt donnait à la porte

arrière une fonction très importante à l’époque du marronnage : en cas d’attaque du village ou

du kampu (hameau) par les troupes coloniales, les marrons l’empruntaient pour s’enfuir. La

couverture de la toiture, des murs pignons et des gouttereaux du lontuosu se composait de

feuilles de palmier20

issues du maripa (maïpa), du tcheemaka/keemaka (astrocayum

paramaca), du bugu (astrocaryum sciophilum), de l’awara (astrocaryum vulgare) et du pinot

(apodo/pina), mais aussi de feuilles de waï tressées (tasi) provenant d’espèces comme le

geonoma oldemanii, le paalu (arbre voyageur) ou le tutu (bambou). Le feuillage de ces

palmiers a servi également d’élément d’identification des maisons, comme vont l’être, la

18 Parfois, cette pièce est séparée du salon par un rideau.

19 L’apparence de la porte est en rapport avec la condition socio-économique des Bushinengue d’avant les années 1960.

L’amélioration de leur condition de vie aura un impact dans leur art de construire. Les portes seront alors plus grandes et

plus larges.

20 Lire Jean-Jacques de Granville, « Les palmiers de la Guyane française », ORSTOM, Revue Bois et Forêts des Tropiques,

n°220, numéro spécial Guyane, 1989, pp. 43-54, pour plus de renseignements.

7

planche (paangaosu), le bardeau (baadoosu), la tôle ondulée (sinkiosu), le ciment (sitoosu ou

simaosu) au cours du XXe siècle. Citons : maïpaosu (maison couverte de feuilles de palmier

maripa), tasiosu (maison couverte de feuilles de waï), paaluosu (maison couverte de feuilles

de palmier voyageur), buguosu (maison couverte de feuilles de palmier astrocaryum

sciophilum), tutuosu (maison couverte de feuilles de bambou).

La base de ce lontuosu était généralement rectangulaire. Sur les quatre ou six piliers

reliés entre eux par des poutres, était posée une charpente dont la ferme en forme de lettre A,

tel un triangle isocèle (document 2 a b), supportait le poids de la toiture (daki), elle-même

composée de deux longs-pans21

symétriques à pente très forte qui descendaient jusqu’au sol.

Cette maison à toit en bâtière à forte pente est qualifiée par les Bushinengue, fookitaosu

(Alphonse Richenel : source orale). Elle est désignée ainsi en raison de sa similitude avec la

position des ailes d’un oiseau au repos. Un auvent est parfois ajouté à la façade principale

(fesi osu), au niveau du mur pignon, au-dessus de la porte d’entrée. La plupart des maisons

étaient autrefois sans fenêtre. Toutefois, la disposition des planches (baguette de bois) ou la

disposition de lucarnes sur le mur pignon permettaient d’éclaircir l’intérieur. Seule, la porte

d’entrée apportait la lumière nécessaire pour pouvoir nettoyer et ranger les affaires.

L’explication vient du fait que le lontuosu servait uniquement pour dormir, puisque les

activités quotidiennes se pratiquaient essentiellement à l’extérieur (ganda). Ces

caractéristiques constituent les singularités de la maison « traditionnelle » bushinengue

(document 1 b c d, 9, 10 b c d e) en Amérique tropicale. Notons toutefois que cette forme de

construction est encore visible en Afrique de l’Ouest, en zone forestière22

, et centrale

(document 1 d e), dans l’espace caribéen23

(document 1 c f) durant l’époque esclavagiste et

coloniale24

et l’est encore de nos jours dans certaines zones rurales. Elle a aussi existé en

Europe. Citons, par exemple, la cabane de gardian, habitat de l’ouvrier agricole (document 1

i) en Camargue (France) au XIXe siècle et au début du XX

e, dont la structure (toit en bâtière à

forte pente, façade principale sur mur pignon) et l’emploi de végétaux ne diffèrent pas du

modèle architectural bushinengue.

Document 1, Style architectural amérindien (1743), boni (1886 et 1930), à Cuba dans la région de Vinalez (2009), au Congo et à Costa Rica

Sources : (a), Pierre Barrère, Habitat amérindien, 1743), p. 141 ; (b), Maison boni, in Jules Brunetti, 1886 ; (c), Maison boni au début du XXe siècle aux murs gouttereaux en bambou, in ADGuy : Fonds iconographiques, volume n° 1, 2, 3. ; (d), Maison boni, in R. Grébert, op.cit, 1936, p. 40 ; (e) cliché, Jean Moomou, Maison de séchage du tabac, Cuba, 15/08/09 ; (f),

Forme architecturale des maisons du village de Teke de Kinshasa vers 1912, et chez les Bakuba en 1907, in Starr Frederick, Congo natives - an ethnographic album, The Lakeside Press,

Chicago, 1912 ; (g), Maison au Congo, in F. Lamal, Basuku et Bayaka des districts Kwango et Kwilu au Congo, 1965 ; (h), Village indien Cabecar, in http://www.costarica-nature.org; (i),

Cabanes de gardian », carte postale ancienne, B. F., Chalons-sur-Saône, début XXe siècle, in http://commons.wikimedia.org (sous licence Public domain via Wikimedia Commons).

21 Il existe aussi de lontuosu qui dispose d’un toit en bâtière avec un comble retroussé (yaki wata), mais aussi à un seul

versant (paatadakiosu : maison à toit plat) à forte pente. La différence du paatadaki de l’abri sommaire de celui du lontuosu

est que ce dernier, plus élaboré, est plus solide.

22 Lire, (Bjerhagen Torbjörn et Sävfors Ingemar : 1972).

23 Lire Jack Berthelot, « L'habitat rural : la case guadeloupéenne », Présence Africaine, 1982/1 N° 121-122, p. 54-58.

24 Citons, par exemple, les jardins de cases à Saint-Pierre en 1845 (gravure d’Alcide d’Orbigny, publiée en 1854) ou la

cabane en Martinique avant 1900.

8

Les deux types de construction évoqués par Jules Crevaux n’ont pas disparu du

paysage villageois. Toutefois, le fookitaosu (maison à toit en bâtière à forte pente), en tant que

style architectural ancien du lontuosu, n’est pratiquement plus construit aujourd’hui dans les

villages bushinengue du Maroni-Lawa, à l’exception du langa. La plupart des lontuosu qui

ont été construits dans ce style, et qui sont présents encore de nos jours dans les villages,

datent d’avant les années 1970, parfois des années 1980. On peut toutefois les retrouver

encore dans les abattis (espaces agricoles) proches ou éloignés des villages, dans la plupart

des hameaux, aux abords des axes routiers (Cayenne-Saint-Laurent, Albina-Paramaribo), mais

aussi dans les villes du littoral guyanais ou surinamien. On les rencontrait par exemple, il y a

encore une quinzaine d’années au cœur du village saamaka de Kourou. Même s’ils sont

devenus rares, on peut les voir encore à Saint-Laurent du Maroni dans certains quartiers-

villages bushinengue éloignés du centre-ville (document 16 c), avec une modification

apportée à la toiture, maintenant recouverte de tôles à la place des feuilles de waï.

Document 2, Ferme en forme de A (a/b), croquis de maison de type boni (c/d)

Source (a), Le reste de la forme d’une ferme (lettre A) de maison bushinengue (Redimusu-nengue/Peïgudu-nengue) en 1903, in C.H. de Goeje, Uit Gefotografeerd voor de wetenschap,

exotische volken tussen 1860 en 1920 van Museum Volkenkunde) ; source (b), Le reste de la forme d’une ferme (lettre A), village wanfinga, Emmanuel Bendayo, 2010; source (c), Jean

Hurault, (boni) 1965, p. 69 ; Source (d), Christian Martin, Etude patrimoniale des habitations traditionnelles Boni, Villages de Boniville et Loka, commune de Papaïchton (Guyane),

Mission de janvier-février 2013.

La maison incorporant le matériel de construction du monde colonial (1880-1950)

En 1946, R. de Lamberterie publiait un article dans la revue Société des Américanistes

consacré aux Boni. Il écrivait à propos de l’architecture : « […] une évolution a dû se

produire pendant les soixante ou quatre-vingt dernières années […] »25

. Son constat nous

interpelle. Que s’est-il passé dans l’architecture boni ? Les changements concernent-ils le

choix des matériaux ou la conception même de la maison ? Le témoignage des sabiman, des

timbeeman (menuisiers-charpentiers-sculpteurs) et des bôman (bâtisseurs/architectes)

maintenant âgés, qu’ils soient boni, djuka, pamaka, ajouté à l’iconographie des récits de

voyage du XIXe et de la première moitié du XX

e siècles, celle des missionnaires néerlandais,

installés dans leur espace de vie ou en visite lors d’enquêtes ethnographiques sur le terrain,

nous renseignent à propos de l’habitat bushinengue. Comme dans le timbe (art géométrique)

et la broderie, « […] chaque génération [écrit Richard Price] a introduit des innovations

techniques, des changements stylistiques […] des formes nouvelles » (Richard et Sally Price :

2003, p. 104). Alors qu’ils avaient vécu jusque-là dans des habitations aux faibles dimensions,

couvertes de feuilles de palmier, les Boni, les Pamaka et les Djuka transforment peu à peu la

25 R. de Lamberterie, « Notes sur les Boni de la Guyane française », Société des Américanistes, tome 35, 1943, p. 132.

9

structure de la maison traditionnelle qu’ils qualifient dorénavant de fookitaosu (maison à ailes

d’oiseau) ou de fositen osu (maison des temps passés), par opposition à la maison urbaine ;

une mutation architecturale intervenue lors de leur contact avec les chercheurs d’or créoles

vers la fin du XIXe siècle et rendue possible grâce à l’argent obtenu au cours de la première

moitié du XXe siècle du canotage, de la coupe du balata (1920-1925, 1960-1970) ou dans

diverses activités : scieur de long, layonneur, porteur de charges, guide des missions à

vocation ethnographique, scientifique, géostratégique, géologique.

Les premières maisons décrites (maisons entièrement végétales), généralement

exiguës, renvoient à la situation économique de l’époque qui précède le ma-udo-nengue ten

(époque des orpailleurs créoles) et le cula boto ten (époque du grand transport de

marchandises), c’est-à-dire avant les années 1880 selon les groupes. Ne disposant pas des

moyens suffisants en matière d’outillage pour leur permettre de construire de grandes maisons

aux parois latérales surélevées (heï bansa osu), les Boni, les Saamaka, les Djuka et les

Pamaka faisaient descendre la toiture jusqu’au sol (document 9, 10), de manière à protéger les

quelques planches des murs gouttereaux (bansaosu paanga). La panne faîtière élevée de ces

maisons favorisait un écoulement des eaux efficace dans un environnement pluvieux, humide,

ensoleillé et évitait le changement rapide des feuilles de waï ou du bois. On y appréciait

également le maintien d’une température idéale. Cette technique économique leur permettait

d’utiliser le moins de planches possible. Les murs gouttereaux étaient composés de deux ou

trois planches (parfois une seule), façonnées à l’aide d’une hache et d’un sabre. La hache étant

un outil encore très rare avant 1880, ces planches pouvaient être utilisées alors qu’elles étaient

à peine travaillées. Les murs pignons et les portes étaient réalisés à partir de rondins de pinot

(apodo), de paasaa26

, du kwali (bois wapa), de tige tutu (bambou) ou fendus en deux pour les

transformer en lattes. Ces végétaux souples étaient plus faciles à travailler que certains arbres

de la forêt, comme l’acajou. Toutefois, des feuilles de palmier tressées ou de paalu pliées en

deux pouvaient être utilisées pour couvrir les parois latérales et les murs pignons. Jusqu’aux

années 1990, cette technique se pratiquait encore dans la plupart des villages bushinengue du

Surinam et du fleuve Maroni-Lawa.

La maison intégralement végétale découlait certes des conditions socio-économiques

des Bushinengue, de l’importante distance géographique qui les séparait du monde colonial

jadis, mais elle découlait aussi du milieu environnemental qui offrait gratuitement les

ressources naturelles en quantité, facilement exploitables, et ne nécessitant aucune

modification. La topographie, associée à la hauteur des moyens financiers de la personne,

influençaient également le bâti. Ainsi, dans la plupart des zones inondables du Maroni-Lawa

et du Tapanahony (villages insulaires ou en terre ferme), un certain nombre de Bushinengue

ont construit des sodo27

(maisons sur pilotis ou à deux niveaux) au style fookitaosu (document

3 a c, 10 a). Nous retrouvons également des sodo dans la plupart des villages bushinengue,

sur les berges proches d’Albina ou de Saint-Laurent du Maroni (1950-1990), en remarquant

une nette influence du style architectural urbain (document 3 b d). Le style architectural des

annamites du village Chinois (Saint-Laurent du Maroni) a pu servir aussi de modèle aux

Bushinengue qui se sont s’installés en ville. En témoignent les documents iconographiques

des anciens résidents, de l’architecte Jean-Pierre Wieczorek (1984) et de l’ARUAG28

, les

rapports sur les Villages insalubres à Saint-Laurent du Maroni (Hublin Anne, Bonnet

Philippe, Pojol Alain : 1981 ; Barnard Chatain et Léon Attila Cheyssial : 1981).

26 « Palmier awara monpère ».

27 Déformation du terme néerlandais, zolder, signifiant grenier. Par analogie, les Bushinengue utilisent ce mot pour désigner

à la fois la maison sur pilotis et la maison à deux niveaux.

28 Agence Régionale de l’Urbanisme et de l’Aménagement de la Guyane.

10

Document 3, Maisons sur pilotis à Assissi (boni), à Tabiki (djuka) et dans un quartier-village des berges de

Saint-Laurent du Maroni (années 1980)

Cliché (a/b), Jean Moomou, Assissi, 27/03/ 09 ; Cliché (c), Clémence Léobal, Tabiki, (pays djuka), 20/02/10 ; source (d), Quartier-village, des berges de Saint-Laurent du Maroni, in Saint-

Laurent du Maroni, in Barnard Chatain et Léon Attila Cheyssial, Villages insalubres à Saint-Laurent du Maroni, 1981.

L’argent gagné dans l’activité du canotage, de la coupe de balata, du commerce

(kolupote) a été investi en partie dans l’achat d’outils comme la scie, la cognée canadienne, le

sabre, le compas de menuisier, la hache, les clous, le marteau, la pioche, la pelle, l’herminette,

le ciseau à bois, le rabot et, plus tard, la tronçonneuse (fin des années 1960 en pays boni). La

tronçonneuse a facilité l’abattage d’arbres plus résistants. L’usage de ces outils modernes a

rendu possible le débitage de planches en grandes quantités, ce qui a favorisé l’augmentation

de la hauteur des parois latérales ainsi qu’une diminution de la longueur des pans à pente très

forte du toit de jadis, qui se rapprochait alors des toitures de style urbain. Chez les Boni, ce

type de maison connaît son âge d’or au moment de l’ouverture de la scierie de la commune de

Papaïchton, au cours des années 1970.

Le changement dans l’habitat des Bushinengue du Maroni-Lawa et du Surinam, en

général, s’est d’abord opéré à l’extérieur des maisons. Elles sont plus longues, plus larges et

plus spacieuses. Pour remplacer les toits en bâtière à très forte pente, les Bushinengue

adoptent progressivement des toits en bâtière à faible pente (faible inclinaison des pans,

élévation des murs gouttereaux, rétrécissement de la toiture, entrée placée du côté des murs

gouttereaux, mise en place de fenêtre). De plus, l’utilisation de nouveaux matériaux (tôle

ondulée) ne nécessitait pas de prévoir des toitures à forte pente. L’arrivée des clous (fin XIXe

siècle), qui marque progressivement la fin de l’utilisation de la technique du pen29

et de

lianes, a permis de construire des maisons solides et plus durables, aux planches plus

nombreuses, aux arbalétriers et aux chevrons mieux fixés. Le système de revêtement du sol a

connu aussi un changement. A la place des sols en terre battue (pampan doti), le linoléum

(kalipeti) a fait son apparition à partir des années 1960 et 1970, suivi du béton (chima) vers la

fin des années 1980 et le début des années 1990, puis du carrelage (cawo) au milieu des

années 1990.

Notons que l’intégration progressive des matériaux de construction modernes, entre

1880 et 1950, n’a pas modifié, dans un premier temps, la structure ancienne des maisons. En

effet, au cours de la période, on remarque, à travers les sources iconographiques (cartes

postales, photographies), à travers les données écrites et les sources orales, que la maison,

dans sa combinaison des techniques de construction traditionnelle avec les matériaux du

monde colonial (document 9, 10), comme les bardeaux30

(baado), les gaulettes [(golote) vers

la fin des années 1880 et dont les techniques de fabrication ont été transmises par les

orpailleurs créoles (F. Germany , B. Midaye : source orale)] et la tôle ondulée [(sinki :

déformation du mot zinc) dont l’acquisition date des années 1950], reste identique à la maison

rectangulaire intégralement végétale à toit en bâtière à forte pente. Le bardeau et la tôle

ondulée, comme éléments de couverture du toit, n’ont fait que remplacer la feuille de waï

29 Morceau de bois dur servant à fixer les planches ou les poutres.

30 Planchettes en bois dur. A titre d’exemple, une maison du village de Cottica durant les années 1930 était entièrement

couverte en bardeaux (cf, René Grébert : 1936, p. 36). De même, gaanman Difou possédait une maison à Boniville

entièrement faite de bardeaux.

11

jadis. En témoigne encore de nos jours le paysage villageois, dont la plupart des plus

anciennes maisons ont été construites entre 1920 et 1950. Toutefois, durant les années 1950,

l’appropriation définitive du style architectural des orpailleurs créoles (heï bansa osu : maison

aux murs latéraux surélevés, à la toiture en bâtière à faible pente, à la porte élevée au niveau

des murs gouttereaux, équipée de fenêtres) et sa démocratisation progressive apportent un

changement majeur dans l’art et la manière de construire dans les sociétés bushinengue.

Architecture bushinengue : du style hybride (Afrique-Europe-Amérique) au modèle importé

Dans l’introduction de cet article nous évoquions l’idée que le modèle architectural

développé par les Bushinengue pouvait avoir un lien avec leur origine ouest-africaine ou

centre-africaine ; provenance que nous ne nions pas, dans la mesure où des réminiscences ont

pu réapparaître dans le contexte de la plantation esclavagiste du XVIIIe siècle puis, plus tard,

en fonction de l’ingéniosité du bâtisseur. Nous retrouvons ce style de maison entièrement

végétale dans l’Afrique forestière (document 1 f g) avec des façades couvertes de bois, de

feuilles de palmier, de tiges de bambou ou d’écorce ; avec une toiture en bâtière à très forte

pente couverte de feuilles de palmier, un sol en terre battue (pampa doti), une porte arrière31

réalisée dans le but de s’enfuir en cas d’attaque. La maison étant perçue comme un objet

vivant, des rites sont accomplis en vue de la protéger, elle et ses occupants, contre les forces

maléfiques, par la pose ou la suspension d’objets de protection à l’entrée ou dans un coin de la

maison). Ainsi, l’organisation du village bushinengue (espace profane, espace sacré, espaces

marginaux) et la physionomie de l’habitat rappellent, sous certains aspects, ce que l’on

retrouve à l’intérieur de certains villages, jadis et encore de nos jours, dans la région du

Congo32

(village de Teke de Kinshasa vers 1912 : document 1 f g) ou de l’Afrique centrale,

pour ne citer que ces deux exemples. Les marrons semblent néanmoins avoir incorporé le

modèle des planteurs de la Guyane hollandaise (XVIIe-XIX

e siècles) et des Amérindiens

(kalin’na et arawak…) avec qui ils ont cohabité durant l’époque de l’esclavage et du

marronnage par la suite.

L’exemple du modèle architectural (document 5 et 1 a), comme la technique de

construction du carbet (langa), atteste de l’influence amérindienne dans l’art de construire des

Boni et des autres sociétés bushinengue. Jusqu’au début des années 1980, il existait, à

Boniville notamment, un tukusipan réalisé avec le concours des Amérindiens wayana. Ce

style de maison date du début du règne de gaanman Ochi (1891-1915), probablement vers la

fin des années 1890. Il a été introduit en pays boni par Awensaï (frère d’Ochi) qui a épousé

une amérindienne. Les Amérindiens wayana l’ont donc bâti pour le gaanman et pour

symboliser l’alliance entre les deux sociétés. Depuis, le tukusipan est devenu l’un des

emblèmes du pouvoir des gaanman boni. Celui de Boniville, qui servait de lieu où se

déroulaient les réunions coutumières, d’espace de rencontre et d’échange, s’est effondré en

raison du manque d’entretien. En revanche, le tukusipan construit à Papaïchton (résidence du

successeur de Difou, Tolinga Emmanuel) existe toujours.

31 Par exemple, chez les Manjas, « des vieux (…) aménageaient secrètement une porte de sortie (…). Cette ouverture était

dissimulée par la paille de la couverture (…). En cas de guerre, d’attaque, cette sortie était utilisée pour faire évacuer la

case à la femme et aux enfants, pendant que l’indigène parlementait avec l’assaillant (…) il s’enfuyait ensuite lui-même, au

dernier moment, par cette issue (…) » : A. M. Vergiat, Mœurs et coutumes des Manjas, Editions L’Harmattan, Paris, 1981, p.

88.

32 Lire, (S. Frederick: 1912) et (S. Denyer: 1978).

12

Document 5, Le tukusipan de Boniville en 1903 et à Papaïchton au début des années 1970 en pays boni

Source (a), C.H. de Goeje, Uit Gefotografeerd voor de wetenschap, exotische volken tussen 1860 en 1920 van Museum Volkenkunde ; source (b) Cliché, Jean Moomou, Papaïchton,

27/02/11

A l’influence amérindienne peut être ajoutée celle du modèle architectural colonial.

Les sources iconographiques (du XVIIIe jusqu’à la première moitié du XX

e siècle) permettent

d’établir cette corrélation entre la structure de l’habitat des esclaves, l’organisation de l’espace

et l’art de construire des descendants de Marrons bushinengue (document 6). La connexion

s’explique en partie par le fait que dans les plantations, il y avait des « esclaves-charpentiers

pour construire des maisons » (J. G. Stedman : 1806, p. 372). Devenus marrons, ce savoir-

faire a été réinvesti dans leur nouvel espace de vie. Ainsi, hormis les chevrons qui dépassent

la panne sablière (langa udu) en atteignant le sol et sur lesquels repose une toiture composée

de deux longs-pans à pente très forte, les éléments constitutifs de la charpente de la maison

bushinengue, notamment la ferme (poinçon, extrait simple, faux-entrait, entrait retroussé,

blochet, aisselier…), semblent s’inspirer du modèle de construction des planteurs du Surinam.

De même, la maison principale et ses dépendances, l’espace commun laissé libre en face des

maisons rappellent, d’une certaine manière, la distribution spatiale de l’habitat33

du monde de

la plantation (plan d’une plantation de café traditionnelle, Stedman : 1806, p. 366). La

structure de la case des esclaves est à mettre en parallèle avec ce qu’on observe dans d’autres

colonies esclavagistes34

des Amériques ou dans l’Océan Indien, sur l’île de la Réunion par

exemple. L’organisation spatiale du monde de la plantation esclavagiste a certainement

influencé la structuration des villages bushinengue ; toutefois, des approfondissements sont

encore nécessaires pour étayer la réflexion.

Document 6, Maisons d’esclaves dans les plantations du Surinam en 1708 (a), en 1820 (a) et en 1839 (c)

Source (a), Plantation Waterland (Surinam), réalisée en 1708 par Dirk Valkenburg, une maison d’esclaves (n°5 à droite), Rijksmuseum (Amsterdam), in https://apps.carleton.edu. Cf, également (Richard Price : 2013, p. 90); Source (b) : Clazien Medendorp, Kijkkasten Uit Suriname De diorama’s van Gerrit Schouten

35, KIT Publishers, Amsterdam, 2008, p. 82; Source (c), Jacques Benoist, op. cit., 1839.

Nous observons également cette influence coloniale dans le système métrique (mesure

de longueur, de poids, de capacité, mesure de surface, de volume), dans le lexique propre à

33 Lire, (Anne Hublin: 1988, p. 17-18).

34 Lire Dutertre, Histoire naturelle des Antilles habitées par les Français, (publié en 1667), rééd. Kolodziej, Fort-de-France,

1978, tome 2, p.457. Lire également le Journal de Charles de l’Yver, Annales des Antilles, n° 26, 1983-1987, p. 66.

35 Gerrit Schouten (1779-1839) : artiste important de la Guyane hollandaise du xixe siècle. Il dépeint à travers ses tableaux la

vie quotidienne des esclaves, des Amérindiens, etc du Surinam au cours des années 1820.

13

l’architecture (document 7), dans la désignation des figures géométriques (rectangle,

triangle)36

que les Bushinengue utilisent pour décrire la composition de la charpente de leur

maison. Le vocabulaire employé, en dehors du terme masanga, n’est pas originaire de

l’Afrique de l’Ouest ni du Centre. Il semble tombé dans l’oubli au profit de notions véhiculées

par les anciens maîtres dans leur nouvel espace d’expérience, la plantation esclavagiste. Cette

appropriation du vocabulaire tiré de l’anglais, du néerlandais, voire du portugais ou de

l’espagnol, s’explique sans doute par le fait que les esclaves construisaient non seulement

leurs propres cases, mais ils participaient également à la construction de demeures, de hangars

destinés à leurs maîtres, dans les plantations du Surinam. Ainsi, l’origine anglaise se retrouve

dans le vocabulaire des mesures de longueur, de surface, de masse et de capacité. Même si les

appellations consacrées à chacune des catégories citées n’ont pas été conservées en totalité,

chacune est néanmoins représentée. Pour mesurer les longueurs, nous relevons les termes inch

(le pouce) et foot/feet (le pied/les pieds), le yard et le mile étant ignorés. Il est rare d’entendre

un Bushinengue parler de la longueur de son canot en mètres ; il dira plutôt que son canot est

long de tant de futu. Pour mesurer une superficie, seul le mot one square inch (wan skuensi) a

été gardé. Avec ces appellations interfèrent des termes provenant de la langue néerlandaise,

portugaise, espagnole. A titre d’exemple, le mètre carré, tiré du néerlandais vierkante meter,

se dit fiikanti meti. Il en est de même pour la longueur (langa : lengte en néerlandais ou length

en anglais), la largeur (baadi: du néerlandais, breedte), le volume (lun : déformation probable

du terme volume en néerlandais ou en anglais) et l’encoignure (uku: du néerlandais hoek) des

maisons.

Document 7, Tableau illustrant l’origine du lexique de l’architecture chez les Bushinengue du Maroni-Lawa

Ces exemples nous laissent penser que l’appropriation du vocabulaire lié à

l’architecture et aux figures géométriques, au système métrique ne date pas de la fin du XIXe

ni de la première moitié du XXe siècles. Son origine remonterait plutôt à l’époque où les

Ancêtres des Marrons bushinengue étaient en esclavage dans les plantations en Guyane

hollandaise ; période « creuset » dans laquelle ils puisent des éléments dont ils se resservent.

Notons cependant que ces lexiques ont été complétés par de nouvelles appropriations, en

raison de leur participation active dans la construction des édifices publics ou ecclésiastiques

au sein de leur espace de vie et de leur contact de plus en plus fréquent (exode rural) avec la

bourgade d’Albina et de Paramaribo, à partir des années 1960. Les Boni de la rive française

du Maroni-Lawa, notamment ceux qui ont travaillé dans le domaine du bâtiment (à

Maripasoula, Papaïchton, Saint-Laurent, Kourou et Cayenne) et les générations scolarisées

intègrent, depuis les années 1960 et 1970, le vocabulaire architectural, métrique d’origine

française : maison (meson), ferme (feem), mètre (meti), mètre carré (meti cawe), mètre cube

(meti kibi)…. A ces lexiques d’origine étrangère interfère aussi un vocabulaire ésotérique issu

du langage des divinités que les Bushinengue ont intégré dans leur propre discours. A titre

d’exemple, la maison peut être désignée, dani ou langasa, deux termes qui proviennent de la

divinité ampuku (divinité forestière).

36 Respectivement : letioku du néerlandais rechtoek ; diiuku du néerlandais driehoek.

Lexique de l’architecture Anglais Néerlandais Portugais Espagnol Traduction française et sens ou

l’entendent les Bushinengue

osu,

daki

noko-tiki

fense,

paanga/lati

kamba

postu (posu)

doo

langa

baliki

tchanga

Kopo

Baïkon

Taapu

house/home

deck

……

……

plank

chamber

post

door

hangar

…..

…..

….

….

….

huis

dak/dakstoel

nok

venster

raad

kamer

post

deur

hangar

dwarsbalk /dakbalk

……

kop

balkon

trappen

casa

post

door

hangar

tenda

casa

tienda

maison

charpente/toiture/ferme

panne faîtière

fenêtre

planche

chambre

poteau

porte

hangar

grosse solive/poutre/petite solive

tente de campagne

tympan

balcon

escalier

14

La pratique architecturale bushinengue, née de la rencontre entre l’Africain,

l’Européen et l’Amérindien en Guyane hollandaise (1650-1863), cède progressivement sa

place à un modèle importé, qui rompt avec le fookitaosu. Au cours des années 195037

et au

début des années 1960 environ, des demeures bushinengue imitent de plus en plus l’apparence

des maisons construites par les populations créoles qui habitent le long de l’axe fluvial

Maroni-Lawa (villages de Gransanti, d’Abounami, de Wacapou, de Benzdorp, de

Maripasoula, de Dorlin, de Palôfini, d’Etats-Unis38

, de Grigel, d’Antouca,…) et par les

populations de la côte, particulièrement au Surinam (Albina et Paramaribo). En visite à

Paramaribo, des Bushinengue qui logeaient dans des maisons créoles se sont inspirés du

modèle architectural39

pour le transposer dans leur village. Ainsi, en observant les maisons du

quartier Frimangron40

de Paramaribo (1950-1980), ou encore récemment des vieux quartiers

de cette ville, on note des similitudes avec la nouvelle manière de construire des Bushinengue

des années 1950 et 1970. Chez les Boni41

, des maisons de style urbain émergent alors dans la

plupart des villages (Cottica, Enfant-Perdu, Boniville, Loka, Assissi, ancien Papaïchton et

Comantibo). Le domicile du gaanman Difou (1937-1965), construit au début des années

194042

selon le modèle créole, était entièrement réalisé en bardeaux43

. Citons également la

construction de type créole de Finkual Zouti à Boniville (section mindi conde), au début des

années 1950, de ses deux épouses (ma-odido, entre 1966 et 1967, à la section ede-conde de

Boniville : document 8 d, et ma-Abuyu, à Assissi-ede-conde, en 1976). Evoquons enfin les

maisons à deux niveaux du timbeeman Aténi à Loka (années 1950), de papa Aalo, de papa

Nguté (années 1950), de papa Afanichi (années 1960) à Cottica, du kapitein Komisè44

(Charles Tafanier) et de gaanman Tolinga dans l’ancien Papaïchton (1930-1970) et dans le

bourg de Papaïchton-Pompidou au cours des années 1970.

La maison créole, appelée bakaaosu (maison des Blancs) ou keyoluosu (maison

créole), perçue comme moderne, influence lentement mais progressivement l’art et la manière

de construire des populations bushinengue. Sur le Maroni-Lawa, les Boni, les Djuka et les

Pamaka ont longuement et assidûment participé à la construction des maisons des orpailleurs

créoles, au centre minier surinamien de Benzdorp qui appartenait à la Compagnie des Mines

d’or du Maroni (Lawa), puis ont activement travaillé dans les chantiers de construction

(écoles, internats, dispensaires) mis en place par les missionnaires (document 4) et par

l’Administration hollandaise à Langatabiki, à Nasso (Pamaka), à Masseï-Lanti (île hollandaise

située en aval de Gransanti, peuplée de Djuka), à Cottica (dans le haut Maroni chez les Boni)

sans oublier les constructions entreprises par la France en 1946, au niveau du poste de

Maripasoula. Ces facteurs ont fortement influencé les Bushinengue du Maroni-Lawa dans

l’élaboration de demeures aux formes analogues à celles du littoral urbain, considérées

37 Citons un exemple dans le village d’Assisi (pays boni) en 1956 : cf, Bernard Quris, film Bivouacs en Guyane, 1956,

cinémathèque de Bretagne.

38 In Bernard Quris, op. cit.

39 Lire Klooster Olga van der & Bakker Michel, Architectuur en bouwcultuur in Suriname, KIT Publishers, Amsterdam,

2009.

40 Espace où vivaient les Chasseurs Noirs (Zwarte Jagers). Après l’abolition de l’esclavage (1863), des lopins de terre furent

attribués aux nouveaux libres.

41 Source orale : entretien, ma-Kulu, ma-Oyoo, Omissi Fossé, Patrick Santomé, ma-Betisi, Antoine Bayonne, 23/07/2014.

42 R. de Lamberterie parle de cette maison dans son article (R. de Lamberterie : 1943, p. 129).

43 Cette maison s’effondre vers la fin des années 1980, par manque d’entretien. Les bardeaux ont d’ailleurs servi à faire du

feu pour cuisiner.

44 Cf, Dirou Daniel et Lamptey J., Ougouchi ou vers une renaissance de l'art boni (tembe) en Guyane –1/ 2 (Sur le chemin

d’Antoine Dinguyou), Wasaï Production, Maripasoula, juin 1992, mise en ligne 19 et 21 juillet 2011

(http//www.youtube.com)

15

comme un signe de progrès. D’ailleurs, les phrases « mi abi bakaaosu ; mi bô wan

bakaaosu »45

sont une manière d’afficher la fierté et la satisfaction de soi. A ces facteurs,

peuvent s’ajouter d’autres sources d’inspiration : le contact de plus en plus soutenu avec la

bourgade d’Albina (fin XIXe et début XX

e siècles), la fréquentation progressive de

Paramaribo (à partir des années 1930 et 1950) et l’exode rural vers cette ville (1950-1970).

Une autre pratique peut être relevée. Au cours des années 1960 et surtout durant les années

1970-1980, afin d’embellir leur maison, les Bushinengue aménageaient l’extérieur avec des

plantes à fleurs46

(sandragon rouge, hibiscus…), à l’image des habitations créoles du Maroni-

Lawa et de la ville. Chez les Boni, citons les maisons de la famille Amaïkon de Boniville

(ma-Maanu, ma-Fiifii, ma-Aleïna).

Document 4, Maisons (a) construites par les missionnaires protestants (E-BG S)47 à Cottica (pays boni) et par

les autorités surinamiennes (b) au village Nasso (pays pamaka) entre 1970 et 1980

Sources : (a) Village Cottica-Lape entre 1965-1969, dessin d’Antoine Bayonne, 28/08/14. Détail : 1-logement des enseignants (EBGS) -2 Internat de des garçons -3 école-Eglise (EBGS) – 4 cuisine centrale -5 logement du maître assistant (boni) ; direction vers le village Cottica ; direction vers le commerce de Galimot ; degrad (débarcadère), (b) Nouveaux logements des enseignants et internats (filles et garçons) vers 1970 (cliché, Jean Moomou, Cottica et Nasso, 27/03/11); (c) Salle polyvalente du village de Nasso (pays pamaka), cliché, Jean Moomou, Cottica et Nasso, 27/03/11.

Rappelons cependant que les Bushinengue du Maroni-Lawa, les Boni notamment, ont

adopté le modèle créole bien avant les années 1950, mais la pratique n’était pas répandue. Il

était un privilège de quelques hommes. Les documents révèlent les premières traces datées

des années 1880. Ainsi, le gaanman48

Anato49

, le kapitein Apatou et Aponchy50

sont les

premiers, dans le monde boni, à construire une maison qui s’inspire du modèle architectural

du monde colonial : « […] la maison d’Apatou est une construction créole, tout en bois, avec

un plancher sur terre, et une véranda […]. Elle est couverte de bardeaux […] »51

. La

maison52

de gaanman (chef suprême) Awensaï (1917-1937) à Boniville (pays boni),

construite au début des années 1920, épouse la forme architecturale des demeures créoles

45 Traduction littérale, « j’ai une maison de Blanc ; j’ai construit une maison de Blanc ».

46 Ces fleurs, notamment le sandragon rouge, entrent dans la composition de certains bains rituels. D’autres entrent dans la

composition des bains de chance.

47 (Evangelische Broeder Gemeenschap Scool).

48 Chef suprême du groupe concentrant pouvoir temporal et spirituel. Le kapitein (capitaine) est un chef de village. Il est sous

l’autorité du gaanman.

49 Cf, Henri Coudreau, op.cit., p. 46.

50 « […] Le petit village boni de Ouécondo (pois sucré à l'ombre), aussi appelé Pomofou […] est […] fort joli, comptant dix

cases habitées. Bien construit, bien aéré, avec des maisons espacées, il respire la santé. Du plateau élevé sur lequel il a été

édifié, on jouit d'une vue superbe de l'Aoua qui coule à une dizaine de mètres en bas […]. L'une des cases de Pomofou

[Puumofu], case appartenant au nommé Aponchi [Aponchy], un des nombreux oncles d'Apatou, est la plus grande, la mieux

bâtie, la mieux comprise des cases indigènes du Maroni des Noirs réfugiés. Elle a un étage, et est entièrement construite en

bois avec des galeries sur les deux côtés […] » : Henri Coudreau, op.cit., p. 50-51.

51 In Henri Coudreau, op. cit., p. 8.

52 Cette maison s’est effondrée en 2011.

16

(keyoluosu) du Lawa. Son habitation et celle d’Aponchy sont les deux premières maisons en

pays boni du Lawa à disposer d’une toiture en tôle ondulée, au cours des années 1920 et 1930.

Innovation architecturale et aménagement de l’espace : usages et représentations

Le modèle du bâti, témoin de la position sociale du propriétaire et signe de progrès

« Mi na koo ! mi nee tcha mi osu na mi baka » (je ne suis pas une tortue, je ne

transporte pas ma maison sur le dos) peuvent dire les sabiman ou sabiuman. Cette citation

rappelle l’importance pour l’homme bushinengue de posséder un toit, un foyer, un espace

privilégié dans son cadre de vie. Jusqu’aux environs des années 1970, avant de se mettre en

couple, l’homme bushinengue devait prouver sa capacité, non seulement à être un taanga

wookoman (bon travailleur), un chasseur ou un pêcheur pour nourrir sa famille, mais il devait

aussi être en mesure de construire une maison dans son village pour héberger sa future femme

et ses enfants. Il devait également en bâtir une dans le village de la mère de sa fiancée,

puisqu’en cas de décès, ni sa femme, ni ses enfants n’héritaient de sa maison ; elle revenait à

ses frères, ses sœurs, ses neveux et à ses nièces. L’objectif étant qu’en cas de séparation ou de

décès de l’un des deux conjoints, les enfants puissent continuer à vivre sous un toit. Ainsi,

dans les villages bushinengue du Maroni-Lawa, de nombreuses maisons relèvent de cette

pratique.

Entre le loweten et les années 1880, l’acte de construire une maison ne nécessitait pas

de moyens financiers, puisqu’il dépendait essentiellement de l’énergie physique, de

l’ingéniosité des hommes bushinengue à exploiter les matières premières issues de leur

environnement proche, comme le bois, le feuillage et les lianes : « (…) Le latanier ou le

pineau leur fournissent tous les matériaux pour construire leurs maisons (…). Les lianes de

toutes sortes leur servent de cordes (…) » (John Gabriel Stedman : 1960, p. 215). Un

changement s’opère peu à peu à l’époque du transport de marchandises pratiqué à l’aide des

pali boto (canots à pagaie) et du takari53

(cula) ; changement qui coïncide avec la ruée vers

l’or de la fin du XIXe et du début du XX

e siècle sur le fleuve Maroni-Lawa et ses affluents. En

effet, à partir de 1880, bâtir une demeure dépend de la capacité à acheter des produits

manufacturés (bardeaux, clous, scies, rabots, tôles ondulées, gonds et serrures en métal),

autrement dit de la capacité financière à intégrer les matériaux modernes dans le processus de

construction de l’habitat. Par conséquent, construire devient dispendieux, dès lors que l’on

construit avec le matériau du monde colonial et selon le modèle créole. En observant

l’apparence et la structure des maisons construites par les hommes considérés comme riches à

l’époque, le matériel utilisé, la situation socio-économique de leurs propriétaires décédés ou

encore en vie, le site sur lequel elles ont été bâties, nous constatons que la hauteur des parois

latérales de ces maisons, construites entre 1880 et les années 1970, est proportionnelle au

niveau de richesse des hommes qui les ont édifiées. Ces demeures, appelées bakaaosu,

contrastent avec celles de la majorité de Bushinengue qui avaient toujours recours à

l’architecture traditionnelle classique (fookitaosu) petite en général ; habitations qualifiées de

kaapanaosu54

, de tchunguuosu (maison en forme conique), de kubuuosu (maison épousant la

forme d’une tortue, d’une boîte) par les propriétaires des maisons « modernes » plus

spacieuses, mieux aérées et mieux éclairées.

L’analyse des documents iconographiques et des données écrites, combinée à

l’enquête ethnographique que nous avons menée, nous permet de saisir les changements.

Citons la maison du kapitein Aponchy du village Puumofu en 1887, évoquée dans le

53 Il s’agit d’une longue perche en bois, l’équivalent de la pigouille, utilisée pour propulser les barques dans le marais

poitevin en France.

54 Le kaapanaosu signifie que la maison traditionnelle ressemble à un piège à oiseau. Elle ne peut faire l’objet d’extension

qu’au niveau des murs pignons.

17

paragraphe précédent. Prenons également un exemple chez les Redimusu (Peïgudu-nengue), à

la confluence du Tapanahony et du Maroni-Lawa, en 1904 (document 8 b). La trace

matérielle, visible encore de nos jours, au sein des villages boni par exemple, révèle cette

différence entre les maisons qui épousent le style créole et les maisons dites traditionnelles.

On peut ainsi rencontrer des maisons à deux niveaux, s’élevant jusqu’à huit mètres de hauteur

environ ; des maisons entièrement réalisées à partir de matériaux extérieurs à l’environnement

(tôles ondulées et planches rabotées). L’aménagement révèle parfois deux à trois chambres à

coucher, des escaliers à l’intérieur comme à l’extérieur, un salon au rez-de-chaussée et un

débarras, des balconnets. L’entrée principale de la maison se situe sur l’un des murs

gouttereaux ; des fenêtres apparaissent alors pour donner plus de luminosité à la maison,

comme en témoignent les documents suivants.

Document 8, L’adoption d’une architecture moderne

Source (a), maison du kapitein Apatou en 1887, in Henri Coudreau, op.cit., p. 1 ; source (b), maison d’un redimusu-nengue en novembre 1904, in C.H. de Goeje, Uit Gefotografeerd voor

de wetenschap; exotische volken tussen 1860 en 1920 van Museum Volkenkunde ; Source (c/d), Jean Moomou, Loka (années 1950) et Boniville (1967-1968), 27/02/11.

Toutefois, entre 1880 et 1950, des Bushinengue pourtant modestes, du Maroni-Lawa

et du Surinam, commencent à utiliser la tôle ondulée pour réaliser la toiture de la maison

traditionnelle, induisant ainsi des conséquences. Elle permet, certes, une meilleure étanchéité,

mais elle est inadaptée au climat, dans la mesure où elle favorise l’augmentation de la

température dans la maison. Son emploi entraîne ainsi un recul progressif des constructions à

toiture en feuilles de waï dans le paysage (document 9 a, 10 b c).

Document 9, Maison du village boni (pays boni), Wanfinga (pays djuka), Kayana (pays saamaka, Kaïmanston (pays kwinty)

Cliché, J. P. Menu, Maison couverte de feuilles de waï d’un village boni de Maripasoula (1967-1968) ; Cliché (b), Loka, Jean Moomou, avril 2012 ; cliché (c), Maisons du village

Wanfinga (la première maison a une double couverture : feuille de waï et la tôle ondulée), Emmanuel Bendayo, 2010 ; source (d/e), Une maison de Kaïmanston aux parois latérales,

frontales et arrières couvertes de feuilles de palmier, Dobros Anne-Laure (Professeur d’histoire/géographie, Kaïmanston (novembre 2009).

L’aspect esthétique, propre à l’art bushinengue, ne doit pas être négligé. Il peut être

considéré comme critère d’analyse et de distinction sociale chez les Bushinengue, dans la

période située entre 1880 et 1960. Sur la façade principale, le kopo (tympan) est parfois orné

de figures géométriques (timbe). Il peut être sculpté, gravé ou peint (document 9 a, 10 b c d

e). Il peut être également décoré d’un treillage de baguettes, faisant office de claustra, ou de

planches de couleur naturelle (document 10 c). Sont également peintes, la porte d’entrée,

montée dorénavant sur des gonds en métal (à partir de 1880) et équipée d’une serrure

métallique, ainsi que la porte intérieure qui donne accès à la chambre à coucher. La décoration

de ces portes, notamment de la porte intérieure, est très importante, car l’homme peut déclarer

son amour à sa femme à travers elle. Par le choix des motifs, il représente la vie qu’il désire

mener avec elle, lui promettant de lui offrir une famille nombreuse, de subvenir à ses besoins

et à ceux des enfants. Il lui promet également la prospérité, la protection et l’amour éternel,

illustré par le signe gueebi lobi (toi et moi, c’est jusqu’à ce que la mort nous sépare). A travers

18

les motifs, l’homme cherche aussi à affirmer son autorité au sein de sa famille. Il peut ainsi

menacer un homme qui tenterait de courtiser sa femme en représentant un kofu (poing fermé).

Toutefois, la pratique de l’ornementation, comme en témoignent l’aspect de la plupart des

maisons d’avant les années 1960, n’était pas l’apanage de tous les Bushinengue. Elle exigeait

non seulement des connaissances en matière d’art timbe, mais elle dépendait surtout des

moyens financiers qui ne permettaient pas forcément d’acquérir les outils appropriés pour la

pratiquer. Ainsi, nombreux étaient les hommes à préférer investir l’argent gagné de la vente

des produits agricoles, de la chasse, de la chasse aux orpailleurs, dans l’achat de produits du

monde colonial dont ils avaient besoin pour leur survie : sel, pétrole, hamac, fusil de chasse,

fils de pêche.

Document 10, Murs pignons sculptés, peints ou décorés à l’aide de planches naturelles

Source (a/b) village djuka du Tapanahony (vers 1900) et village Apatou en 1904, in C.H. de Goeje, Uit Gefotografeerd voor de wetenschap; exotische volken tussen 1860 en 1920 van Museum Volkenkunde ; Cliché (c), Menu Jean-Paul, Une maison boni (1967-1968), Cliché (d), Jean Moomou, Boniville (pays boni, maison datant des années 1950), 26/03/10 ; Cliché (e),

Maison d’une famille djuka du village Tabiki (pays djuka), Clémence Léobal, 19/02/10.

Fondation de village, architecture et pouvoir

Les Boni et les Bushinengue en général n’ont laissé aucune trace écrite pour expliquer

les raisons qui les avaient poussés à fonder un conde (village) ou un kampu (hameau) et à

construire des maisons, selon le modèle colonial, entre les années 1880 et 1960. Néanmoins,

grâce aux souvenirs (anecdotes, chants, rires, solidarité collective55

, mets consommés lors de

la fondation de village ou de construction, rituels pratiqués) qu’ils ont légués aux sabiman et

sabiuman de leur époque qui les ont transmis à leur tour à ceux d’aujourd’hui, et aux traces

matérielles qui occupent encore l’espace villageois, il nous a été possible non seulement de

saisir les représentations qui accompagnaient l’œuvre de ces hommes, mais également la

nature de l’exercice du pouvoir des gaanman.

La fondation d’un kampu, qui peut devenir un conde quand il s’agrandit, remonte à

l’époque du marronnage, à la fin du XVIIe siècle. Elle a découlé du désir de liberté,

d’autonomie à l’égard du pouvoir des maîtres dans les plantations. Une fois le groupe

constitué en société marronne, un chef de clan, qui peut être un tiyu (oncle) dans une lignée

maternelle, voire une femme, décide, en raison de malentendus persistants entre clans (comme

entre papa Apatou et papa Aponchy), ou bien de querelles au sein d’une même famille, ou

encore de l’autorité d’un chef jugée contraignante, de s’isoler du grand village pour fonder

son propre kampu ou son propre village. Pour des raisons religieuses (besoin d’espace de

rituel d’un obiaman (tradipraticien) ou d’une obiauman) et économiques, un kampu ou un

village peut aussi être fondé. Ainsi, la plupart des kampu djuka situés sur le fleuve Lawa,

devenus des villages par la suite (Gransanti, Anaconde…), sont nés au moment de la ruée56

vers l’or durant le dernier quart du XIXe siècle et au début du XX

e. En revanche, les kampu du

55 Il était rare de voir un homme construire seul sa maison. Il recevait de l’aide de la part de ses amis, des hommes et des

femmes du village qui faisaient le plus souvent à manger. On retrouvait aussi cette solidarité lors de la fabrication d’un canot,

de la coupe d’un abattis, à l’époque de l’usage de la hache.

56 Lire Henri Coudreau, op.cit., p. 39-40.

19

bas Maroni ont émergé en même temps que le bagne de la Forestière57

, dans les années 1930.

D’autres sont nés au moment de la guerre civile du Surinam, entre 1986 et 1991. Les grands

villages boni, comme Cottica, Enfant-Perdu, Agoode, Loka, Assisi, ancien Papaïchton,

Comontibo se sont dépeuplés quand les hommes et les femmes sont partis fonder des kampu58

à proximité des centres aurifères du Lawa, en amont et en aval de Maripasoula, entre 1940 et

1970. Le mouvement de retour dans ces grands villages s’est effectué à partir de 1969 avec la

création des communes de Maripasoula et de Gransanti-Papaïchton-Apatou. Le repeuplement

des paandasi59

(grands villages) aura été néanmoins limité par le mouvement migratoire opéré

vers les villes du littoral guyanais et surinamien. Cette migration interpelait le préfet de la

Guyane Paul Bouteiller (1967-1970) en 1968 : « […] on constate que de plus en plus de Bonis

abandonnent leurs villages pour se rendre à Saint-Laurent, Kourou, Cayenne, Albina,

Paramaribo. Dans moins de 5 ans, il ne restera plus que les vieillards en pays boni. On peut

se demander à quoi va servir l’importante infrastructure qui doit être mise en place […] »60

.

La recherche de terrains agricoles propices a constitué également un facteur déterminant dans

la fondation d’un village. Toutefois, la naissance d’un kampu n’a jamais signifié pour autant

l’abandon définitif du grand village. Ne disposant ni de keeosu, ni de faakatiki, les kampuman

(habitants des kampu) retournaient momentanément dans le grand village, pour un décès, une

réunion ou sur convocation du gaanman ou du kapitein.

Le fait de fonder un kampu ou un conde a contribué, d’une certaine manière, à

l’affirmation du pouvoir de leur fondateur. Prenons chez les Boni l’exemple du village de

Cottica, résidence depuis les années 1850 des gaanman boni, appartenant plus

particulièrement au clan des jacobi-nengue. En 1892, le nouveau chef Ochi a décidé

d’installer son pouvoir sur la rive française, à Agoode (Boniville). Ce village est alors devenu

la résidence des gaanman du clan des dikan-nengue, jusqu’à la mort de gaanman Difou en

1965. Son successeur, Emmanuel Tolinga, du clan des kawina-nengue a décidé à son tour de

fonder un nouveau village du nom de Papaïchton-Pompidou. Le fait de créer un village pour

héberger son pouvoir témoigne de la volonté d’un chef de laisser son nom dans l’histoire,

mais aussi de faire entrer son voluku (peuple) dans une ère nouvelle. La caractéristique

commune à ces gaanman est la volonté de marquer une rupture avec le clan dirigeant

précédent.

L’appropriation lente et progressive, entre 1880 et 1970, du style architectural du

monde urbain par les Bushinengue qui ont les moyens de se l’offrir ou par les chefs

coutumiers apporte également une nouvelle donne aux sociétés du Maroni-Lawa. Par

exemple, en pays boni, entre les règnes de gaanman Anato (1876) et Tolinga (1967), ce

nouveau style s’immisce dans les symboles du pouvoir des gaanman. Cependant, Emmanuel

Tolinga, entre 1967 et 1991, inaugure une conception revisitée du pouvoir, fondée sur une

nouvelle appréhension de l’espace et sur une mise en œuvre véritable de l’architecture

moderne. En effet, vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, Emmanuel

Tolinga (successeur de gaanman Difou) abandonne le village ancien-Papaïchton, créé par son

oncle (papa Aponchy au début des années 1920) en aval de Comontibo, et fonde le nouveau

village de Papaïchton-Pompidou, en amont de Comontibo, pour héberger le bourg de la

commune de Gransanti-Papaïchton-Apatou créée en 1969. Il reproduit le maillage routier

57 Danielle Donet-Vincent, « Les « bagnes » des Indochinois en Guyane (1931-1963) », Criminocorpus [En ligne], Les

bagnes coloniaux, articles, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 10 août 2014.

58 Jean Moomou, Enquête ethnographique, Maroni-Lawa. Des données que confirment les travaux de l’ingénieur-géographe

Jean Hurault (J. Hurault : 1961, carte des villages et des kampu boni en 1958).

59 Ce terme fait référence à la plantation esclavagiste. Les Bushinengue l’ont repris pour désigner l’espace villageois.

60 « M.D.L.C. Loisier, Synthèse de juillet 1970, SHD Gendarmerie 41 668 Brigade de Maripasoula 1970 » (Gérard

Thabouillot : 2013, p. 360).

20

rencontré dans d’autres municipalités de la Guyane. Par la création d’axes parallèles et

perpendiculaires, Tolinga marque une rupture nette avec ses prédécesseurs (document 12).

Ordinairement, dans les villages boni ou bushinengue en général, le plan d’organisation de

l’espace peut paraître « anarchique » aux yeux de l’étranger (absence de rues, de clôtures,

agglutination de maisons). Toutefois, dans ce « désordre » apparaît une certaine logique

d’organisation et d’aménagement. Les villages, situés au bord des rives du fleuve Maroni-

Lawa ou sur un îlet, suivent un plan d’organisation bien ordonnancé (document 11):

- Le mindi conde, le cœur du village, se divise en deux parties : le fesi conde (espace

situé à l’entrée du village) communique avec le baka conde (espace arrière du village allant

jusqu’à la lisière de la forêt) et le lanti lampe (débarcadère principal), par le biais d’un lanti

pasi (chemin principal). Ce chemin sert aussi de voie d’accès au bois sacré abritant le sweli,

dans un village chef-lieu, à Cottica, Boniville ou Papaïchton-Pompidou par exemple ; ou

abritant le tapu baka fu a conde (autel sacré servant de protection) dans un village ou un

hameau. Il ne faut pas confondre le lanti pasi avec le lampe (lieu important du village servant

de lavoir pour le linge et la vaisselle ; de ponton pour l’accostage des pirogues) ni avec le

yooka pasi (passage réservé au transport des morts) qui relie le keeosu (…) à son débarcadère

(yooka lampe/gaan lampe). Ce dégrad, destiné à l’embarquement des morts pour le

cimetière61

, sert également de lieu de débarquement lorsqu’un individu décède hors de son

lieu de résidence habituel. Un autre chemin traverse entièrement le village, parallèlement au

fleuve. De ce sentier sinueux partent de multiples allées qui mènent aux différentes maisons

du village. Le mindi conde abrite habituellement la famille fondatrice du village, les familles

alliées par le mariage ; les enfants donnés (kia-pikin) aux pères par leur conjointes, comme

par exemple au début du XXe siècle, ma-Bonto (clan dju du village d’Assisi-mindi conde) et

ma-Poti (clan dikan du village Benanu en pays djuka), élevées par leur père gaanman Ochi

(1892-1915) à Boniville. Le mindi conde concentre également les éléments du pouvoir

politique (maison du gaanman ou de kapitein), judiciaire (lantiosu/kuutuosu) et religieux

(sweli, faakatiki, mamagoon, keeosu).

-S’agglomèrent ensuite, en amont (opu se conde ou ede se conde) et en aval (bilo se

conde) du mindi conde, les familles appartenant à d’autres fractions de clans ou à des clans

entiers. Ces familles peuvent disposer d’appontements secondaires, de lieux de culte (divinité

familiale, chtonienne). Elles doivent, néanmoins, utiliser le keeosu et le faakatiki de la famille

fondatrice du village. Notons que la présence de deux keeosu et de deux faakatiki dans un

même village peut s’expliquer, d’une part, par le fait que deux clans distincts se partagent le

lieu (Comantibo-nouveau Papaïchton en pays boni, Manlobi et Fandaaki, Saaye et Keementi

en pays djuka) ou, d’autre part, que deux clans ont pris possession du territoire en même

temps. Le village fondé porte le même nom. Elle relève aussi de la superficie et de la

démographie du village ou d’une autorisation de la famille à l’origine du village.

- A l’intérieur des différentes sections évoquées, délimitées au moyen d’un manguier,

d’un cocotier, d’un cajoutier, d’un palmier (awara, comu, maripas) ou éventuellement d’un

tapu wata62

, des fragments de bee63

(familles) ou des bee entiers possèdent chacun leur propre

espace « privatif » (pisi/se pisi ou pisi olo) et construisent leurs maisons à la hauteur de leurs

moyens financiers. L’ouverture principale des maisons disposées en demi-cercles est orientée

en général vers le langa (carbet-cuisine collectif) ou bien vers l’espace commun (mindi

ganda), balayé quotidiennement par la femme, ou encore vers le keeosu et le faakatiki.

Parfois, les habitations sont orientées parallèlement au fleuve ou au lanti pasi. Les ouvertures

principales sont rarement tournées vers la forêt. Les fragments de bee disposent, à l’image de

61 Il est généralement situé loin de l’espace de vie des bushinengue, sauf à Langatabiki en pays pamaka où les Frères

Moraves l’ont établi au cœur du village.

62 Barrage servant à contenir l’eau pour éviter l’érosion du sol par le ruissèlement.

63 Le bee (ventre) regroupe les descendants d’une même aïeule.

21

la famille fondatrice, d’espaces marginaux (zones de dépotoir64

, lieux d’aisance en bordure du

fleuve ou à la lisière de la forêt). En résumé, le plan d’un village illustrerait la position d’une

personne allongée sur le dos dont les pieds, orientés vers le fleuve (liba), correspondraient au

lanti pasi et au yooka pasi ; les bras prenant la direction en amont (opu se conde) et en aval

(bilo se conde) du village seraient le lanti pasi parallèle au fleuve. Les doigts des mains

représenteraient les différentes fractions de familles ou de clans. Son corps symboliserait le

mindi-conde, siège des éléments vitaux relatifs au bon fonctionnement du village (lieu du

pouvoir politique, judiciaire et religieux). Ses vaisseaux sanguins renverraient, quant à eux,

aux différentes voies de circulation au sein de l’espace villageois. Jusqu’à une époque récente,

tous les villages ou hameaux étaient généralement entourés d’un kifunga ou tifunga (mur de

protection contre les forces maléfiques) et disposaient à leur entrée d’un kondi (poteau sacré)

qui servait également à protéger la population.

Document 11, Plan type d’un village : l’exemple de Boniville (années 1950-1967)

Source : Jean Hurault, op.cit, 1961, p. 45. (En couleur les différentes sections du village).

64 Outre sa fonction pratique (on y jette les ordures ménagères), le dépotoir est aussi l’endroit où l’on vient se débarrasser de

ses malheurs. Lors d’un mauvais rêve, un individu va parfois laver son visage, par exemple dans le dépotoir pour se

débarrasser de ce mauvais songe.

22

Dans ce plan d’organisation spatiale typique d’un village, le gaanman-maire

(Emmanuel Tolinga) a introduit un nouvel aménagement : « […] il nous disait [déclare

Omissi Fossé] : les maisons ne doivent plus être côte à côte, elles doivent être espacées les

unes des autres. De même que leurs façades principales doivent donner sur la rue, comme ce

que l’on observe en ville à Saint-Laurent, à Paramaribo […]. Le gaanman devenu maire

insistait beaucoup sur cet aspect-là […] »65

. Le paysage du bourg de Papaïchton-Pompidou

illustre cette nouvelle structuration de l’espace qui épouse, à bien des égards, le plan

orthogonal à mailles carrées d’une ville du littoral guyanais ou surinamien. Ainsi, chaque

famille, appartenant au clan kawina ou à un des autres clans, habite dans une maille carrée.

Toutefois, à l’intérieur de celle-ci, l’absence de rues rappelle l’ancienne organisation

villageoise, la contiguïté de l’habitat mélangeant architecture ancienne et moderne. Sous le

règne de Tolinga, alors dépositaire des fonctions de gaanman et de maire, émerge le premier

village au style véritablement urbain de la société boni, voire bushinengue en général, et une

conception nouvelle dans la nature et dans l’exercice du pouvoir coutumier. La motivation du

gaanman s’explique en partie par la conjonction de plusieurs facteurs. Premièrement, sa

nomination en tant que gaanman était fortement contestée (1967), surtout par les jacobi-

nengue du village de Cottica (sur la rive hollandaise du Maroni-Lawa), en lutte pour le titre

également. Deuxièmement, il s’agissait pour lui de contrebalancer le poids historique,

religieux, politique, économique et culturel dont jouissait Cottica66

(surtout la section Lape).

En effet, bien avant que Boniville ne devienne la capitale des villages boni (entre 1892 et

1967) et ne prenne le nom de Papaïchton (en 1967), avant que ne soient fondés les autres

villages, Cottica était le village chef-lieu où habitaient tous les clans et les familles constitutifs

de la société boni, entre 1840 et 1860. Peuplé d’environ 15067

habitants en 1887, il était divisé

en six sections qui représentaient le territoire accordé à chacun des six clans (kawina, jacobi,

lape, dikan, dipelu et dju). Les querelles incessantes entre les familles, le désir d’autonomie

de certains chefs de famille, le changement de clan du gaanman (1892) et surtout le choix du

Lawa comme limite marquant désormais la frontière entre la colonie du Surinam et la Guyane

française (1891), faisant basculer Cottica et ses habitants sous le contrôle hollandais)

entraînent le départ progressif des clans (entre 1860 et 1892), hormis quelques fractions du

clan jacobi (clan fondateur du village et détenteur du titre de gaanman entre 1870 et 1891).

L’espace qu’ils occupaient a été au fur et à mesure envahi par la végétation (entre 1892 et

1930). Durant les années 1930, lorsque la mission chrétienne hollandaise (EBGS) a demandé

de s’installer en territoire boni, les kapitein du clan jacobi-nengue, avec l’accord de gaanman

Difou (Boniville), l’ont autorisée à occuper l’espace jadis abandonné par les clans, notamment

la section Lape. Le territoire de Cottica est alors séparé en deux sections, à partir des années

1930. Le ruisseau, qui coule le long de l’ancien yooka lampe, sert de frontière

naturelle (document 12 b) : -la section coutumière (située dans l’espace historique du clan

jacobi-nengue à Cottica) où sont présents faakatiki, keeosu, sweli (divinité tutelle du groupe),

mamagoon (divinité chtonienne). On trouve également, dans les rues exigües et sinueuses de

cette section coutumière, les maisons contigües de la plupart des familles du clan jacobi-

nengue revenues s’installer à Cottica à partir de 1940 et surtout en 1967, au moment du

différend qui les opposait aux kawina-nengue ; -la section moderne, située à Lape sur l’ancien

site du clan lape. Cette section moderne dispose de structures originaires du monde colonial.

Une Eglise-école, au bâtiment construit selon le modèle architectural boni avec du paasaa, a

été mise en place par les Frères Moraves durant les années 1930 puis démolie et reconstruite

en 1967 selon le style architectural urbain (planches rabotées, tôles ondulées, ciment pour

recouvrir le sol…). Un aérodrome a été mis en service en 1965. Un internat de filles et un

65 Omissi Fossé, entretien, Papaïchton, 16/09/07 et par téléphone, 14/10/07.

66 Il a été fondé vers 1815, puis abandonné et restauré entre les années 1840 et 1860.

67 Henri Coudreau, op.cit., p. 46.

23

autre de garçons, un logement pour l’enseignant-missionnaire et un dispensaire ont été édifiés

entre 1969 et 1970. Ces bâtiments, alimentés par un générateur électrique, disposent alors de

l’eau courante. Deux axes principaux structurent la section Lape : partant de l’aérodrome, un

chemin en terre relie perpendiculairement celui qui longe le fleuve Maroni-Lawa. Du gazon

de Paramaribo est introduit à Lape et semé sur la piste d’atterrissage et autour du pôle

administratif. Enfin, situé en hauteur par rapport au fleuve Maroni-Lawa, la section Lapé

possède un appontement et un escalier modernes, en bois et en fer, qui permettent l’accès au

site. Le long des deux voies de communication, disposées en forme de T, sont érigés les

édifices bâtis selon le modèle de la ville de Paramaribo ou d’Albina. La mise en place de ces

structures modernes attire les Boni sur la section Lape, durant les années 1940 et 1970. Les

premières familles à choisir de s’y établir sont les goon-pikin (ceux qui sont originaires du

village de Cottica) et des Boni originaires d’autres villages. Citons ma-Bado, papa Galimot

(qui ouvre un commerce dès 1958), ma-Amantou, papa Pouï. D’autres s’installent par la

suite, telles que les familles ma-Amaachia, ma-Maanbo, ma-Achini, ma-Baba, etc. Devenant

un pikin bakaa-conde (petite bourgade au style colonial), la plupart des demeures construites

par ces familles, devenues chrétiennes, épousent plus ou moins le style urbain.

Document 12, Croquis sur l’organisation spatiale de Papaïchton-Pompidou (1970-1980) et de Cottica-Lape

(1940-1970)

La section Lape du village de Cottica, contrairement à Papaïchton dirigé par Tolinga,

ne révèle pas une volonté délibérée de gaanman Difou d’ériger un site pour asseoir son

pouvoir. D’ailleurs, il s’y rendait uniquement de façon épisodique pour rendre visite à sa

femme (ma-Folida). Toutefois, nous ne saurions tenir les mêmes propos au sujet de son

kampu (hameau), appelé Pikin-conde ou Acaba, qui se voulait moderne. Difou a accepté que

les autorités françaises et ecclésiastiques y installent l’école, au lieu de la prévoir à Boniville.

24

Acaba disposait d’un internat de filles68

et de garçons, d’un ponton moderne et de maisons au

style architectural créole. En revanche, même s’il bénéficie en partie d’un certain prestige

relatif à la section Lape, il s’agit de la part de Difou d’accepter la demande formulée par les

chefs coutumiers de Cottica (papa Nasinengue, papa Dua,) d’octroyer un lieu aux

missionnaires qui viennent s’installer sur leur territoire en vue d’apprendre à lire et à écrire

aux enfants boni et de soigner les malades. De leur côté, par contre, les missionnaires avaient

pour ambition d’évangéliser les Boni. La constitution de cette section moderne donne

cependant aux kapitein des jacobi-nengue un sentiment de fierté et de confiance en la prise en

charge hollandaise, contrairement aux autres clans boni installés sur la rive française du

Maroni-Lawa, chez lesquels la prise en charge française n’est pas encore effective. Ces

kapitein ont certes perdu la fonction de gaanman en 1891, mais ils disposent, entre 1930 et

1970, de nouveaux atouts (dispensaire, Eglise-école) capables d’attirer les autres clans. De

plus, le fait qu’un de leurs kapitein (papa Nasinengue) soit reconnu officiellement par les

autorités hollandaises, en 1938, leur confère une certaine autorité durant les années 1940 et

1970. D’où la lutte sévère en 1967 pour le titre de gaanman, entre les jacobi-nengue et les

kawina-nengue, suite au décès de Difou survenu en 1965.

La conciliation des deux pouvoirs, coutumier (1967) et moderne (1969), permet à

Tolinga d’influer sur les aménagements à réaliser, comme sur le modèle architectural à

adopter dans le village devenu une commune. Il n’a laissé aucun écrit à propos de sa

conception du pouvoir, pourtant l’aménagement de l’espace coutumier et administratif dans le

bourg semble révéler son état d’esprit. Premièrement, il reprend d’une certaine manière le

schéma d’organisation du village de Cottica, mais de façon plus élaborée. A l’image du

village de Cottica-Lape, il sépare le lieu consacré au pouvoir coutumier, où sont édifiés le

keeosu et le faakatiki, de l’espace où il exerce le pouvoir moderne et dans lequel sont érigés

mairie, dispensaire, gendarmerie, école, cantine scolaire, ponton en béton avec marches

d’escalier, panneau d’accueil portant l’inscription, « Papaïchton capital pays boni ». L’ancien

site de l’aérodrome69

sépare le village de Comontibo (clan dipelu) du lieu du pouvoir

politique et administratif moderne. Ce pôle administratif est délimité au moyen d’un fromager

(arbre symbolique et sacré situé au centre du bourg), du lieu d’hébergement du pouvoir

coutumier, judiciaire et religieux, comme à Cottica, où habitent les différentes familles du

clan kawina et celles qui étaient favorables à sa nomination en tant que gaanman. En

revanche, il introduit deuxièmement une nouvelle disposition des lieux de culte à l’intérieur

de l’espace coutumier. Contrairement aux autres villages où le keeosu, le faakatiki et le yooka

pasi sont contigus et situés à quelques pas du débarcadère, pour des raisons pratiques, à

Papaïchton-Pompidou, par contre, ces éléments sont placés de façon distendue (document 12)

à l’intérieur de l’espace coutumier. Des sabiman de Papaïchton disent que cette séparation est

involontaire. Le gaanman s’est contenté de reprendre le schéma d’organisation de l’ancien

village Comontibo70

, abandonné jadis par le clan kawina ; une version des faits contestée par

certains d’entre eux. Il est donc difficile pour le moment d’apporter une réponse certaine, en

raison d’un manque de sources de nature différente (écrite, iconographique, archéologique…)

autres que les témoignages oraux. Néanmoins, en étudiant le schéma d’organisation des autres

villages boni, djuka ou pamaka, nous remarquons la proximité établie entre le faakatiki et le

keeosu, ainsi que la proximité des maisons de la famille fondatrice du village, en particulier

celle du chef, par rapport à ces lieux de culte. D’ailleurs, Boniville (village des gaanman entre

1892 et 1965) illustre ce modèle d’organisation. Toutefois, même si Tolinga, à première vue,

68 Richenel Alphone, entretien, Saint-Laurent, 30/07/14.

69 Aujourd’hui cet espace abrite l’école primaire, l’agence de la banque postale et un commerce.

70 A ne pas confondre avec le village Comontibo d’aujourd’hui qui s’appelait jadis (1850-1860) Mongo-conde. Lorsque les

kawina-nengue ont abandonné le site pour fonder l’ancien Papaïchton, le nom de Comontibo a servi à désigner

progressivement le village Mongo-conde (clan dipelu) jusqu’à être identifié ainsi.

25

a voulu reproduire cette relation entre le pouvoir coutumier et les lieux de culte, on note une

différence notable dans la distribution spatiale, de par l’éloignement entre les différents

édifices. Tolinga a choisi, en revanche, de rapprocher ses demeures des lieux de culte : - sa

résidence principale fait face au keeosu ; - le faakatiki se situe entre le bâtiment-bureau et la

demeure de son épouse, ma-Mamaya, - le petit autel d’odun-sweli71

(au pied d’un prunier

mombin) et le tukusipan se trouvent à proximité de sa maison secondaire. La rue ma-Mamaya

fait la liaison entre sa maison principale et celle de son épouse. Perpendiculaire, la rue

gaanman Awensaï (père de ma-Mamaya) passe devant la maison de Doudou Paul (son neveu

et successeur décédé le 31 octobre 2014) devant faakatiki, tukusipan et le petit autel d’odun-

sweli en face desquels est construite la demeure de chacun des frères de Tolinga (kapitein

Charles Tafanié, dit Komsè, et Louis Youssou). La disposition de ces deux rues est très

significative. En quittant le débarcadère principal (situé dans la section administrative), il

suffit d’emprunter la rue gaanman Awensaï, puis la rue ma-Mamaya pour parvenir au

domicile de Tolinga. A travers le choix dans la disposition de ces deux rues, on ressent une

forme de reconnaissance : Tolinga semble conscient que, sans la fille de gaanman Awensaï, il

se serait difficile pour lui de devenir gaanman des Boni puisque cette fonction n’appartenait à

son clan. Au début des années 1970, le gaanman Tolinga sollicite, auprès de l’Administration

préfectorale et du conseil municipal, la construction d’un bâtiment qui ferait office à la fois de

lieu de résidence et de siège du pouvoir coutumier. Sa demande étant rejetée, il récupère et

personnalise le bâtiment qui hébergeait l’institution communale, avant la construction d’une

mairie officielle dans l’espace administratif du bourg. La singularité de ce bâtiment mérite

que l’on s’y attarde.

Document 13, Siège du gaanman Tolinga, architecture moderne et nouvelle appréhension de

l’espace

Source : Richard Price, Les Marrons, op. cit.

71 Lieu de prière et de distribution des biens matériels d’une personne reconnue comme pratiquante de la sorcellerie par le

biais de l’interrogatoire post-mortem.

Porte vitrée Toiture en tôles ondulées

Balcon

Panonceau

indiquant:

gaanman boni

Clôture de la

maison de son

épouse, ma-

Mamaya

Clôture du bâtiment-bureau

Faakatiki (autel des Ancêtres)

Muret en

ciment

Entrée principale du bâtiment-bureau

Emplacement

du drapeau

français

Chemin du débarcadère

secondaire

Vers sa

maison

secondaire, le

petit autel

d’odun-sweli

et le tukusipan

Voie

d’accès

26

A première vue, la résidence adopte le style de construction que nous rencontrons dans

le monde urbain. Dotée d’un étage, elle s’élève à une hauteur de presque douze mètres et

devient la plus haute maison de la commune, au début des années 1970. Du ciment recouvre

le sol intérieur et extérieur, posant ainsi la maison sur une plateforme. Elle est construite à

partir de matériaux modernes : tôles ondulées, planches, plaques de contreplaqué, vitres,

peinture. Le rez-de-chaussée, isolé de l’extérieur par des planches rabotées et des fenêtres

vitrées, est un espace équipé de chaises destinées à recevoir les visiteurs et ses « sujets ». Au

pied du poteau central, un autel de petite taille, rehaussé d’une croix, permet au gaanman de

faire des libations et d’adresser ses prières aux Ancêtres. Le deuxième niveau, bien agencé

mais inaccessible au public, renferme son bureau et des chambres. Des portes et plusieurs

fenêtres vitrées s’ouvrent sur un balcon dont la vue donne directement sur le fleuve et sur

l’autel des Ancêtres situé en contrebas. Le bâtiment est entouré d’une clôture de fil de fer.

L’inscription Grand Man boni figure sur le portail d’accès. C’est un lieu de passage obligé

pour tous les visiteurs. La présence de ces trois éléments (clôture, portail et panonceau)

marque une rupture dans la conception ancienne du pouvoir qui se devait, jusque-là, d’être

accessible à tout Boni, quel que soit le moment. Les visites s’avèrent réglementées et

contrôlées. La présence du panonceau renvoie à la notion d’obéissance, la rencontre avec le

gaanman nécessitant une soumission à son autorité. En face du bâtiment-bureau du gaanman,

séparé par la rue ganaman Awensaï cimentée en 1991, s’élève l’autel des Ancêtres, que

protège un muret de ciment et sur lequel viennent s’asseoir les personnes lors de prières ou

d’instants de recueillement. Le bâtiment-bureau (en cours de réhabilitation aujourd’hui) et

l’autel des Ancêtres font face au fleuve d’où arrivent les personnes bienveillantes ou

malveillantes, et par où transitent le bien et le mal. L’autel des Ancêtres, situé en face du

bâtiment-bureau, assure la protection du gaanman derrière lequel, d’après les sabiman, « les

mânes des Ancêtres du groupe marchent ». Il en est de même pour le petit autel d’odun-sweli

à côte de sa maison secondaire puisque le grand autel se trouve à la lisière de la forêt. Ainsi,

toute personne lui rendant visite est obligée de passer devant le faakatiki. Si l’une vient dans

le but de lui nuire, l’esprit des Ancêtres est prêt à agir en faveur du chef. L’emplacement

stratégique du faakatiki, du sweli et du keeosu permet au gaanman de s’approprier le pouvoir

des Ancêtres, de la divinité tutelle du groupe et traduit en même temps sa méfiance et sa

crainte, non exprimées, vis-à-vis de ses « sujets » qui sont à son service, certes, mais qui sont

aussi citoyens français, comme lui, depuis 1965 et sur lesquels son autorité a de moins en

moins d’influence. Cette proximité permet ainsi au gaanman de mieux surveiller les hommes

venus prier devant le faakatiki, devant le petit autel d’odun-sweli ou venus accomplir les

activités funéraires dans le keeosu. Elle permet de s’assurer qu’ils ne profèrent pas de paroles

contre lui, contre le groupe entier, par exemple. Même s’il ne participe pas à toutes les

cérémonies, il peut tout voir et tout entendre. Il peut ainsi surveiller les faits, les gestes et les

paroles de celui qui verse l’eau sacrée ou le rhum destiné aux Ancêtres.

Notre document, en présentant le style architectural adopté dans le bourg, aide à

entrevoir l’idéologie qui accompagne le pouvoir politique de gaanman Tolinga et l’image

qu’il veut donner de lui-même, à son voluku ainsi qu’aux dooseï-sama venus lui rendre visite.

Au regard du nombre de bâtiments modernes construits dans le bourg de Papaïchton, de la

manière dont il a pensé l’organisation de la commune, émerge l’ambition de Tolinga : -

diffuser une image de grand bâtisseur et de réformateur, -impressionner les Boni et les

Bushinengue vivant en pays boni, -faire taire ses opposants, -briser l’héritage moral et

politique encore puissant de ses prédécesseurs, notamment celui de gaanman Difou dont la

référence reste omniprésente dans le souvenir des Boni des années 1960 et 1980, dans leur

parole lors des réunions. Tolinga paraît, aux yeux de ses pairs et de ses « sujets » devenus

citoyens français, comme celui qui fait le lien entre la tradition et la modernité. L’architecture

moderne et l’organisation du territoire communal semblent y être utilisées à des fins

27

politiques et idéologiques lui permettant ainsi d’asseoir son autorité, d’exprimer son désir de

changement et de faire entrer les Boni dans l’ère du progrès.

Usage administratif et économique de l’architecture bushinengue

Parallèlement à l’appropriation du style architectural urbain par certains Bushinengue

ou par le pouvoir coutumier, nous avons observé, à travers le paysage bâti du monde

bushinengue du Maroni-Lawa et du monde urbain du littoral guyanais, un processus inverse.

Ainsi, l’administration (hollandaise et française) et les agents économiques de la côte ont eu

recours au modèle bushinengue, au moment de leur installation. Les maisons, construites à la

fin du XIXe siècle au poste frontière du Contesté franco-hollandais, sur le site de la

Compagnie hollandaise des mines d’or du Lawa (document 14 a), mais aussi les bâtiments de

l’école des Frères Moraves (EBGS) du village Cottica-Lape (1939-1950) épousaient le style

bushinengue. En 1899, la France a fait de même avec les maisons destinées aux bagnards du

Nouveau Camp, entre Charvein et Saint-Laurent du Maroni (document 14 b). Sur le Maroni,

elle a également choisi le style traditionnel bushinengue pour construire les bâtiments du

Camp de la Forestière, réservé aux condamnés provenant de l’Indochine (1931). Elle se le

réapproprie également, par quelques ajustements parfois, dans la construction d’édifices

publics (document 14 c d) et ecclésiastiques (document 14 f g) des communes du Maroni-

Lawa (Apatou Gransanti, Papaïchton, Maripasoula) entre 1960 et 1970. Son utilisation, dans

le cadre de l’expression républicaine (hôtel de ville, gendarmerie nationale, école) et

religieuse (chapelles), peut traduire le souhait d’adapter ces structures au milieu climatique,

de valoriser le patrimoine architectural bushinengue, mais aussi une volonté de la part de

l’administration française ou de l’Eglise catholique, comme dans l’exemple des Frères

Moraves, de se fondre dans le paysage villageois bushinengue du Maroni-Lawa en

s’inscrivant dans la trame du bâti existant. Néanmoins, cette démarche ne serait-elle pas en

même temps un moyen pour la République française et l’Eglise catholique d’apaiser des

tensions éventuelles qui pouvaient surgir parmi les populations bushinengue du Maroni-Lawa,

lors de la mise en place de structures qui leur étaient étrangères jusqu’aux années 1950-1970 ?

Cette démarche ne représenterait-elle pas un moyen de bâtir à moindre frais, puisque la

maison bushinengue nécessite l’usage de peu de matériaux ?

Le style architectural bushinengue est aujourd’hui utilisé comme « vitrine » d’une des

spécificités culturelles de la Guyane, par le biais de la reconstitution, dans la cour intérieure

de demeures hébergeant certaines instances publiques, muséographiques ou touristiques des

villes du littoral guyanais, à Cayenne et à Saint-Laurent du Maroni notamment. Ainsi, dans la

résidence du sous-préfet de Saint-Laurent du Maroni, au Musée des cultures guyanaises

(Cayenne) ou bien dans le Camp de la transportation (bâtiment-cuisine), on aperçoit une

maison reconstituée sur le modèle bushinengue. Au début des années 1990, dans le jardin de

l’hôtel Novotel de Cayenne, sur l’aire de jeu alors réalisée, ont été construites des maisons

bushinengue ornées de timbe. En gage d’authenticité, certains restaurateurs et hôteliers des

villes du Surinam ou de la Guyane française n’hésitent pas à construire des carbets couverts

de feuilles de waï. L’investissement du modèle architectural bushinengue ou amérindien

s’observe également dans le cadre des aménagements touristiques menés par les collectivités

locales. Ainsi, au cours des années 1990, sur une aire de repos située le long de la route

(Cayenne/Saint-Laurent), au lieu-dit Petit-Saut, ont été édifiées des maisons au style

bushinengue. Une expérience similaire aujourd’hui se déroule sur le fleuve Maroni-Lawa : au

lieu-dit Loka-Loka (rive surinamienne du Maroni-Lawa), des gîtes d’un site touristique

(document 14 h) ont été entièrement conçus sur le style architectural bushinengue. Ce style

traditionnel a inspiré aussi les architectes qui ont construit les logements sociaux dans les

villages de Boniville, Loka, New-Assissi ou dans les bourgs communaux du Maroni-Lawa, à

Papaïchton par exemple, en ayant recours à des toitures en bâtière, cependant à pente moins

forte et aux parois latérales plus hautes que celles de la maison traditionnelle.

28

Document 14, Style architectural bushinengue et édifices publics, ecclésiastiques, touristiques

Source (a), Kerncollectie Fotografie, Museum Volkenkunde, Maison de la Campagnie hollandaise des Mines d'Or du Lawa (rive hollandaise du Maroni-Lawa),

Gonini expeditie Suriname 1903-1904. Il en est de même pour les maisons destinées au poste du Contesté franco-hollandais du Lawa ; (b) Adguy : fonds iconographiques ; (c) Jean Moomou, Mairie d’Apatou, 26/03/11 ; (d), Ancienne gendarmerie nationale d’Apatou (http://www.potomitan.info/ki_nov/guiyan/guiyan1.html); (e), Adam Lénaïck, Marché de la

commune d’Apatou, 22/08/14 ; (f) Jean Moomou, Chapelle catholique de Maripasoula, 30/03/11 ; (g), Jean Moomou, Chapelle catholique de Papaïchton, 22/07/12, (h) Jean Moomou,

Maisons touristiques, fleuve Maroni, Loka-Loka, 26/03/11.

Cette utilisation de l’architecture bushinengue par les pouvoirs publics et

ecclésiastiques, par les agents économiques (restaurateurs, hôteliers, promoteurs immobiliers)

permet un affichage des spécificités culturelles de la Guyane, comme produit touristiques.

Néanmoins, au regard du contexte, le recours à cette architecture peut révéler d’autres aspects

d’ordre politique, idéologique, prosélytique, muséographique pour certains, et commercial

pour d’autres.

Modernisation des techniques de construction et métamorphose de l’espace villageois

(1950-1990)

Nouvelle gestion de l’espace et nouvel aménagement de l’intérieur des maisons

Le modèle architectural urbain, en particulier la maison citadine, s’impose vers la fin

des années 1980 et surtout depuis les années 1990 dans l’espace de vie des populations

bushinengue du Maroni-Lawa, du Tapanahony et dans les villages de l’intérieur du Surinam.

Il suscite l’attrait de ces populations qui le considèrent comme un signe d’évolution, de

progrès et de confort par rapport à l’habitat « traditionnel » de plus en plus délaissé.

D’ailleurs, l’expression : bakaaosu en dit long. Le désintérêt qu’éprouvent les Bushinengue à

l’égard de la maison traditionnelle s’observe entre 1983 et 1986, à travers la déception de

quelques-uns face au style architectural « traditionnel » des logements sociaux construits pour

eux à la Charbonnière par la municipalité de Saint-Laurent du Maroni, par exemple. Un

dilemme se pose alors parmi les Bushinengue : vivre à l’aube du XXIe siècle dans une maison

qui épouse le modèle ancien (fositen osu) avec les représentations négatives qui

l’accompagnent désormais (signe de pauvreté, de régression, de non intégration) ou habiter

une maison citadine qui évoque le progrès, la réussite sociale, le prestige, le respect et

l’intégration à la culture dominante. Dans les villages, des Bushinengue n’hésitent pas à raser

les anciennes maisons pour les reconstruire selon le modèle urbain ou les laissent partir en

ruines. Certaines familles font appel à des architectes surinamiens pour marquer la différence

avec les autres maisons, en intégrant des matériaux dispendieux dans un environnement où le

bois est omniprésent : ciment, carrelage, parpaings, barres de fer, lambris (qui connaît son âge

d’or durant les années 1990), contreplaqué, briques, portes et fenêtres vitrées, tôles ondulées

de couleur, peinture. De nouveaux modèles de toitures importées de la ville, parfois très

complexes, émergent dans le paysage villageois (document 15 b c d e f g). Le modèle de toit

29

appelé italianidaki (toiture à l’italienne) ou fokantidaki (toit à quatre versants) est celui qui

s’impose depuis ces dix dernières années. Si le fookitaosu a subi une influence du modèle

colonial ou créole (1880-1950), en combinant les matériaux de construction modernes et en

s’adaptant à son environnement, il n’en est pas de même pour la maison citadine (maison à

étage, villa), consommatrice d’espace.

Document 15, La maison citadine en pays boni (a, b, c, d, e) et djuka (f, g) du Lawa à partir des années 1990

Cliché (a, b, c, d,e), Jean Moomou, Maroni-Lawa, 16/03/11/ cliché (f,g), Adam Lénaïck, Gransanti, 22/08/14

Dans cette dynamique, les femmes72

sont particulièrement actives. Commençant à

percevoir les minimas sociaux, vendant le surplus de leurs produits agricoles sur les marchés

des villes du littoral guyanais et surinamien ou exerçant un emploi salarié (au milieu des

années 1990), certaines d’entre elles investissent, à partir de la fin des années 1980, non

seulement dans la scolarité de leurs enfants mais aussi dans la construction de leur propre

demeure. Cette charge qui était jadis dévolue à leur conjoint n’est pas sans susciter des

rivalités dans le couple ni des frustrations chez les hommes. En raison des inégalités socio-

économiques, l’appropriation du style urbain ne s’est pas encore véritablement démocratisée

en pays bushinengue. On peut ainsi observer des différences entre les groupes, mais aussi à

l’intérieur des groupes, ou encore entre clans et familles à l’intérieur d’un même village. Un

fossé sépare les Bushinengue qui peuvent prétendre construire une maison citadine car ils

disposent de moyens financiers (chefs d’entreprise, orpailleurs, fonctionnaires, bénéficiaires

de minimas sociaux) de ceux qui n’ont pour seule source de revenus que la vente du surplus

de l’agriculture de subsistance et qui vivent de l’économie du « naki taanga » (économie de la

débrouille par le travail). La plupart d’entre eux occupent encore la maison dite traditionnelle.

Dans l’espace villageois mais également à l’intérieur des bourgs communaux, comme

Apatou, Gransanti, Papaïchton, ou encore Maripasoula, des maisons de style urbain jouxtent

l’habitat traditionnel, offrant ainsi un contraste entre riches et pauvres.

L’adoption du modèle urbain entraîne une nouvelle gestion et un nouvel aménagement

de l’intérieur des maisons. Apparaissent des chambres équipées en lits pour remplacer les

hamacs, une salle de cuisine aménagée avec les accessoires de la société de consommation

(réfrigérateur, machine à laver, gazinière). Un salon meublé de fauteuils, table à manger,

chaises abrite le nouveau « totem familial », le poste de télévision, que les premiers

Bushinengue du Maroni-Lawa commencent à acquérir vers la fin des années 1980. Son

arrivée dans les foyers se démocratise en 1998, lors de l’électrification progressive des

villages, au moment de la coupe du monde de football. Avant cette date, seules de rares

personnes, qui tenaient un petit commerce (wenkiman) et disposaient d’un groupe

électrogène, achetaient des cassettes vidéo qu’elles visionnaient le soir en faisant profiter les

villageois. A Maripasoula, au début des années 1990, les programmes enregistrés sur cassettes

72 Dans son livre, Amoksi Martina (2009) donne une lecture intéressante de l’émancipation de la femme bushinengue au

Surinam.

30

vidéo de RFO Guyane étaient envoyés par avion et diffusés dans le bourg par la chaîne locale

(TRM : Télé-Radio-Maripasoula). Dans les maisons, jusqu’à une période récente, le poste de

télévision, objet presque « sacralisé », était recouvert d’une nappe brodée.

Le modèle urbain se distingue par sa surface habitable. Jadis, plus ou moins jusqu’aux

années 1990, la maison traditionnelle (document 9, 10) se composait de deux pièces : la

chambre à coucher des parents située à l’arrière ; un salon exigu et multifonctionnel faisant

office de salle à manger le soir, quand il était trop tard pour manger dans le langa ou lors des

périodes de fortes pluies, et qui servait aussi de dortoir pour les enfants ; ce salon était équipé

d’un mobilier rudimentaire (une crédence permettant à la femme de montrer sa richesse en

ustensiles de cuisine, un banc et une petite table pour le repas de son conjoint). Jusqu’aux

années 1980, seulement quelques salons disposaient d’une grande table et de chaises. Cette

habitation principale (lontuosu) possédait des dépendances : - langa qui servait d’espace de

cuisine, de grenier, de débarras, -munuosu (maison des impures) quand le village ne disposait

pas d’un tel endroit pour accueillir l’ensemble des femmes, - daguosu (niche) et fooosu

(basse-cour), -machiniosu ou maguiching (maison pour l’outillage), - washiosu (douche) et

cacaosu (lieu d’aisance)73

. Dorénavant, les sanitaires sont situés à l’intérieur de la maison.

Toutefois, on note une forme de résistance de certaines familles qui refusent de les incorporer

pour des questions d’hygiène, d’intimité ou de croyances religieuses. Le nouveau mode de vie

des Bushinengue rendant la maison traditionnelle inadaptée, peu confortable, ils n’hésitent

pas à y apporter des modifications. L’entrée de la maison, souvent décorée de sculptures, est

attaquée au moyen d’une tronçonneuse, soit pour la rehausser soit pour l’élargir afin de

permettre le passage du téléviseur, du réfrigérateur, de la gazinière, du mobilier (lit, buffet,

table à manger,…). Des aménagements qui dénaturent et enlaidissent l’architecture

traditionnelle.

Urbanité et discordance spatiale

La diffusion de l’habitat urbain, ajoutée à la transformation de la famille traditionnelle

(élargie, polygame, monogame) en famille nucléaire calquée sur le modèle occidental,

entraîne également un nouvel aménagement et une recomposition de l’espace villageois. En

effet, à l’« anarchie » apparente qui prévalait au sein des villages, bien qu’adaptée à la façon

dont les Bushinengue concevaient la vie familiale et les relations de voisinage, succède un

schéma d’organisation spatiale urbaine. Les nouvelles constructions s’alignent le long d’allées

parallèles et perpendiculaires. Les membres d’une même famille s’éloignent les uns des

autres. Désormais, à l’intérieur des villages cohabitent deux types d’organisation spatiale : le

« coutumier » et le « moderne ». Le nouvel aménagement spatial de type urbain a pour

corollaire une privatisation de l’espace. Des clôtures en bois, en béton, en fer forgé, en fils

barbelés séparent parfois les maisons ; des chemins les desservent. Ces nouvelles

constructions et édifications provoquent une modification de l’espace collectif et une

transformation des liens sociaux. Jadis, la contiguïté des maisons obligeait les villageois à

développer des relations de voisinage, d’entraide, de maintenir la cohésion et de resserrer les

liens d’appartenance. Désormais, la privatisation des espaces engendre un certain isolement,

constitue même un frein à l’échange. En témoigne l’adage, « te yu na wani taki anga sama da

yu osu na mu de na mofu fu pasi anga mofu liba » (si tu ne veux pas communiquer avec tes

semblables, il ne faut pas que ta maison soit située sur un chemin ou au bord du fleuve).

Auparavant, tout un chacun pouvait emprunter le chemin le plus court et passer aux abords de

n’importe quelle maison ; la courtoisie obligeait les salutations.

Cette question des liens sociaux se pose avec une plus grande acuité en ville, quand les

membres d’une même famille sont éloignés géographiquement les uns des autres. Toutefois,

73 Les « feuillées » se situent rarement à proximité du domicile. On les trouve à la lisière de la forêt et souvent auprès du

débarcadère.

31

dans les quartiers-villages (bidonvilles) ou dans les habitations situées à la périphérie de la

ville, les Bushinengue semblent recréer « la vie du village ». Citons les quartiers Ilet Malouin

(dans les années 1980 et au début des années 1990) et Mango à Cayenne ; le village

saamaka74

(en 1967 et au début des années 2000) à Kourou ; à Saint-Laurent du Maroni la

Roche-bleue75

, Derrière la météo, Derrière l’hôpital hier (en 1960 et à la fin des années

1980) et aujourd’hui (Charbonnière, Vampire, Viêtnam76

, Djakata) ; Vanderlick, Combee,

Langulaweg, Saramakastraat à Paramaribo (1960-1990). Des quartiers-villages existent aussi

dans le bourg des communes du fleuve Maroni-Lawa (Apatou, Gransanti, Papaïchton,

Maripasoula) depuis les années 1970. Nous parlons de quartiers-villages dans la mesure où

les Bushinengue, partis habiter en ville au cours des années 1960 et 1970, voire 1980, n’ont

pas tous, en dépit de quelques adaptations et d’influences extérieures, abandonné pour autant

les pratiques culturelles (fêtes traditionnelles), artistiques (timbe) et cultuelles de leur village

(érection de faakatiki à l’intérieur de la cour des maisons familiales, d’un autel de la divinité

familiale ou chtonienne, de keeosu), ni les manières de vivre (maison des impures, carbet-

cuisine, lessive et vaisselle au bord du fleuve…), ni les formes de solidarité. Toutefois, leurs

pratiques s’altèrent au fur et à mesure que les Bushinengue de ces quartiers intègrent les

mœurs et les modes de vie urbains.

Document 16, Quartiers-villages bushinengue, Saint-Laurent du Maroni (Guyane française) et à Albina

(Surinam)

Source (a), Ancien quartier Viêtnam ; source (b), Quartier démoli en 2010, Route de Vampire ; source (c), Une maison traditionnelle bushinengue, Route de Vampire, Jean Moomou, Saint-

Laurent du Maroni ; source (d), Art timbe devant une maison bushinengue à Saint-Laurent du Maroni ; source (e), Maison d’une famille bushinengue en zone inondable au bord d’un canal d’évacuation à Albina ; Source (f), Petit autel dans la cour intérieure d’une maison bushinengue à Albina, Jean Moomou, Albina, 12/11/10.

Les maisons de ces quartiers-villages, construites pour la plupart avec des matériaux

de récupération, ne répondent pas aux normes de construction urbaine. Très souvent, elles

sont alimentées par des raccordements sauvages au réseau électrique, dans la rue ou chez un

habitant, ou encore sur des groupes électrogènes. Parfois les habitants s’éclairent à l’aide de

lampes à pétrole (lanteï) ou de bougies (tiki kanda). Comme ces nouveaux lieux de vie

manquent souvent d’alimentation en eau courante, les bidonvillageois font leur lessive aux

abords des rivières (dans les quartiers éloignés du centre-urbain) ou aux abords du fleuve

(dans les quartiers situés à proximité du fleuve Maroni, comme nous pouvions le voir à Saint-

Laurent du Maroni ou à Albina jadis entre 1950 et 1990, ou bien dans le village Saramaka, au

bord du fleuve Kourou, entre 1967 et 1990) et encore de nos jours dans certains quartiers.

Dans ces quartiers-villages se posent également des problèmes de cohabitation entre

groupes bushinengue ou entre familles, aux mœurs et aux parcours historiques parfois

différents, des problèmes de promiscuité, d’insalubrité77

, d’intégration, d’insécurité et de

délinquance. Jean Hurault, durant les années 1980, à travers ses lettres adressées au Sous-

74 Lire Bianchi Jeanne, op.cit., p. 14.

75 Pour de plus amples renseignements, cf, J. Moomou : thèse de doctorat, 2009 ; C. Léobal : 2013, p. 55-57.

76 Ce quartier a disparu en 2012, en raison de la politique de résorption de l’habitat insalubre. Des HLM occupent désormais

l’emplacement de cet ancien quartier-village.

77 Lire Lamur Humphrey, « De levensomstandingheden van de in Paramaribo werkende Aukaner arbeiders », in NWIG, 44,

1965, pp. 119-132 ; Lamur Humphrey E. The demographic evolution of Surinam, 1920-1970: a socio-demographic analysis.

The Hague: Martinus Nijhoff, 1973. (Verhandelingen van het Koninklijk Instituut voor taal-, land- en volkenkunde, 65.)

(Diss.)

32

préfet de Saint-Laurent du Maroni, Henri Masse78

, et au directeur de la D-D-E79

(Direction

Départementale de l’Equipement) dénonçait déjà l’installation des Boni à Saint-Laurent du

Maroni ainsi que d’autres groupes bushinengue dans les années suivantes. Très attaché à ce

groupe comme il l’écrit lui-même dans la lettre, il s’inquiète de la situation déplorable dans

laquelle vivent, à Saint-Laurent, les Boni qui ont abandonné leur village. Il évoque les

bidonvilles, la promiscuité, le chômage, l’éclatement de la structure traditionnelle, les

maisons traditionnelles dénaturées…. Il suggère aux pouvoirs publics qu’au lieu de reloger

« […] ces migrants aux frais de l’Etat […] », les « […] bidonvilles devraient être rasés au

bulldozer et leurs occupants qui ne justifient pas d’un emploi régulier, invités à regagner

leurs villages, voire reconduits manu militari. Cette solution serait dans une perspective à

long terme la plus favorable aux intéressés […] »80

. La politique de relogement des

Bushinengue, menée entre 1983 et 1986 à la Charbonnière81

pour les déloger des cités

lacustres de la Roche bleue ou du long de la berge, était accueillie avec un grand

enthousiasme, en dépit de quelques réserves émises par certains d’entre eux. A court terme,

cette politique paraissait intéressante : création d’un espace dédié à ces populations dans une

ville où la mixité sociale ou « ethnique » était peu envisageable, en raison de la prégnance des

représentations négatives réciproques entre les habitants de la ville et ceux des villages ;

construction de maisons correspondant à la morphologie de leur habitat traditionnel ; un

moyen pour les Bushinengue de conserver leur mode vie en ville. Quinze ans plus tard, cette

politique montrait ses limites.

Document 17, Style architectural bushinengue (a) dans la politique de relogement à Saint-Laurent du Maroni

(fin des années 1980-début 1990) et modification de la structure par leur propriétaire

Source (a/b), Quartier de la Charbonnière, Jean Moomou, Saint-Laurent du Maroni, 27/03/10

Le fait de quitter le village pour aller à la rencontre de la ville signifiait, pour la

majorité des Bushinengue interrogés qui ont migré à partir des années 1990, fuir le monde

« traditionnel » considéré comme « mort », contraignant et dépourvu d’avenir, pour rejoindre

le monde « moderne » à leurs yeux, synonyme de « progrès » (a kon a fesi/entuweïkel), de

poursuite d’études, d’emploi assuré (bakaa wooko), de liberté (fleï libi), de jouissance

immédiate des désirs, de soupape de sécurité par rapport au kunu (malédiction) qui poursuit la

lignée familiale dans les villages. Le regard diffère selon les générations car, pour celles qui

ont migré entre 1950 et 1980, les facteurs explicatifs s’articulent davantage autour de la

recherche de travail, liée à la fin de l’activité aurifère (1960-1970) sur le haut Maroni, autour

des différends entre les familles, des accusations de sorcellerie et du déroulement de la guerre

civile au Surinam. Néanmoins, leur migration n’était pas définitive, pensaient ces exilés,

puisqu’ils revenaient chaque année, au mois de juillet pour la saison des abattis ou au

moment de Noël pour passer les fêtes de fin d’année avec la famille restée au paandasi (grand

village). Avec le temps, cette migration est néanmoins devenue définitive. Faute de papiers

français ou surinamiens, de diplôme, d’emploi, de revenus mensuels (en dehors de la

78 Lire, Jean Hurault, « Pour un statut des populations tribales de Guyane française (1968-1984), in Revue Ethnies juin-

septembre 1985, p. 42-53.

79 Jean Hurault, Lettre adressée au Directeur de la D-D-E de la Guyane, archive ARUAG, 27 septembre 1983.

80 Idem.

81 Lire Léobal Clémence, Saint-Laurent du Maroni. Une porte sur le fleuve, Editions Ibis Rouge, Matoury, 2013, p. 109-144.

33

perception des minimas sociaux), en l’absence d’argent qui aurait pu provenir de

l’« économie de la débrouille » et de la vente du surplus agricole, nombreux sont ceux qui

connaissent encore de nos jours des conditions de vie parfois déplorables82

dans les villes du

Surinam (Paramaribo, Albina) et de la Guyane française (Saint-Laurent du Maroni, Kourou,

Cayenne). Certains d’entre eux bénéficiaient pourtant de conditions de logement plus dignes

dans leur village d’origine. Mais, « le miel de la ville apparaît plus délicieux que celui du

village, tout comme la saveur de son sel » déclare le sabiman-obiaman djuka Baïno Midaye

(source orale : 2010).

Les mutations que connaissent les sociétés bushinengue (en termes d’architecture ou

de mode de vie) se sont également produites dans d’autres territoires, d’autres sociétés comme

celles des Amérindiens en Amérique du Nord et du Sud, chez les paysans83

des provinces en

France hexagonale (durant la Révolution industrielle ou après la seconde guerre mondiale),

dans le monde rural espagnol au cours des années 1950 et 1960 (Nieves Conde José Antonio :

1951) ou dans le monde rural africain84

, antillais (Guadeloupe, Martinique) d’avant 1960 ( J.

Berthelot : 1982 ; B. Chérubini : 2000), pour ne citer que ces exemples. Les quartiers-

villages bushinengue peuvent être néanmoins perçus comme des espaces de transition et de

création culturelles, des laboratoires d’expériences et d’adaptation nécessaires à l’intégration

future des Bushinengue dans le monde urbain. Certes, leur identité villageoise y trouve un

nouvel espace d’expression et bénéficie de nouvelles dynamiques. Cependant, le quartier-

village peut représenter malgré tout un lieu de déculturation non exempt de frustration, de

travestissement de l’identité villageoise ; la condition pour recevoir le « new deal » urbain. Un

comportement et des conséquences que l’on retrouve dans d’autres aires culturelles et que le

film de José Antonio Nieves Conde met en évidence.

L’exode rural impacte à long terme sur la démographie des villages. Processus

affectant aujourd’hui tous les groupes bushinengue et les Amérindiens, les villages sont,

écrivait déjà Anne Hublin en 1981, dans « (…) un état plus ou moins marqué d’abandon, tant

au niveau des habitations que des espaces communautaires (…) » (Anne Hublin et al : 1981,

p. 12). Vidés de la majorité de leurs habitants, certains villages menacent de disparaître du

paysage, entraînant ainsi la perte d’une partie du patrimoine architectural. D’autres ont déjà

disparu et leur emplacement a été regagné par la végétation. Cette perte mémorielle est même

perceptible dans l’imaginaire des enfants boni scolarisés. Ainsi, à travers les dessins que nous

avons recueillis auprès des scolaires85

du premier degré du village de Loka (pays boni), la

faible présence de maisons traditionnelles est révélatrice. La majorité des maisons dessinées

s’inspire du modèle urbain. Toutefois, on remarque une persistance de l’art timbe qui

82 Daude Emmanuelle, « Guyane, l’Europe sous les tropiques », une coproduction RFO/Beau Comme une Image avec le

soutien du Centre National de la Cinématographie et de la Commission Européenne-Direction Générale du Développement,

2007.

83 Lire Trochet Jean-René, Les maisons paysannes : En France et leur environnement (XVe-XXe siècles), Editions

CREAPHIS, Paris, 2006.

84 Cf, Corinne et Laszlo Mester de Parajd, Regards sur l’habitat traditionnel au Niger, Editions Créer, Nonette, 1988 ; Igué

John .O, L'Afrique de l'Ouest : entre espace, pouvoir et société. Une géographie de l’incertitude, Editions Karthala, Paris,

2006. Lire également Yves Aurélien Kana Donfack, Evolution de l’habitat traditionnel en Afrique. Exemple de la province

de l’Ouest au Cameroun, Dissertation, Von der Fakultät VI Planen – Bauen – Umwelt der Technischen Universität Berlin zur

Erlangung des akademischen Grades, Berlin, 2011.

85 A travers la consigne (dessine-moi une maison) que nous avons donnée à une enseignante du premier degré du village boni

de Loka, les élèves ont dessiné des maisons : travail réalisé à Loka en octobre 2014. (Nous remercions l’enseignante et le

directeur de l’école primaire (capitaine Fofi) qui ont bien voulu nous accompagner dans notre étude).

34

ornemente la façade principale et surtout la porte d’entrée de ces maisons. Se pose alors la

question de la survie du patrimoine bâti.

Préservation du patrimoine architectural et limites

L’ouverture sur le monde et l’insertion dans la société de consommation provoque

chez les sociétés bushinengue des conséquences sur leur art de construire et leur manière de

penser le territoire et la vie communautaire. Le modèle architectural hybride hérité des

anciens marrons est menacé de disparition en raison des changements socioculturels, des

modes de vie, du progrès technique, de l’urbanisation, de l’exode rural et de la représentation

négative dont il fait désormais l’objet (archaïque, peu adapté au monde d’aujourd’hui,

difficile à entretenir, puisque chaque réparation équivaut à une reconstruction presque

complète). De plus, le vocabulaire employé pour qualifier leur habitat, tel que « insalubre »,

« habitat précaire », par les institutions, les élus ou par certains Bushinengue, n’est pas

approprié. Leur usage traduit une certaine mise à distance de ce style architectural, une

inadéquation par rapport aux normes de construction urbaine. C’est à travers ces qualificatifs

que se lisent les politiques d’aménagement urbain transposées dans leur espace de vie. Les

maisons les plus affectées sont souvent celles que des Bushinengue ont parfois reçues en

héritage de la part d’un parent décédé, avant de migrer vers les villes du littoral guyanais,

surinamien ou en Europe (Pays-Bas, France hexagonale, Belgique…) dans les années 1960 et

1980. Certaines d’entre elles, qui abritent un autel de la divinité familiale, sont laissées à

l’abandon par des Bushinengue urbains (villi-nengue), qui n’ont plus la connaissance

suffisante pour prendre en charge les pratiques cultuelles. Les maisons, ayant appartenu à des

personnes reconnues coupables d’avoir pratiqué la sorcellerie de leur vivant, sont également

abandonnées par leurs héritiers qui habitent aussi bien en ville qu’au village.

Notons, cependant, qu’un certain nombre de Bushinengue prennent conscience de la

valeur de la maison traditionnelle, comme trace mémorielle du savoir-faire technique et

gestuel de leurs aînés. Ce savoir-faire représente un trait d’union entre les générations mais

aussi un élément phare de leur identité de descendants de Marrons. Néanmoins, la sauvegarde

de cette spécificité culturelle reste encore limitée car l’idée de patrimonialiser ce savoir-faire

architectural ou les savoirs en général leur est étrangère. Les personnes ou les organismes

soucieux de patrimonialisation rencontrent une certaine réticence de la part de nombreux

Bushinengue qui éprouvent des difficultés à en saisir l’intérêt pour le moment. Concernant la

préservation du patrimoine architectural bushinengue de l’intérieur du Surinam, la question

n’est pas encore posée par les habitants, ni dans les politiques menées.

L’attitude hésitante des Bushinengue, quant à la patrimonialisation du bâti relevant du

style des Anciens, est à replacer dans une perspective historique. Les Bushinengue étaient des

Marrons dont l’habitat était pensé dans une « logique de fuite » : construire-détruire-

reconstruire selon le même modèle. Un village et ses maisons pouvaient être détruits à

n’importe quel moment, par les troupes coloniales qui les poursuivaient, comme le village des

Marrons boni Aroku86

en 1790, ou encore par eux-mêmes pour des raisons politiques,

économiques et religieuses. Jusqu’aux années 1970, quand un Bushinengue détruisait sa

maison traditionnelle, il la reconstruisait à l’identique avec une partie des matériaux87

encore

exploitables de son ancienne maison. Par conséquent, la question de la sauvegarde de

86 Village situé en amont du saut Hermina, sur l’îlet Lamoitié [Lamuke-sula] entre 1783 et 1790. Il s’agit d’une déformation

du nom, Aluku (autre chef de clan des Marrons boni).

87 Dans le film de l’enseignant Schaeffer, produit au milieu des années 1950, on peut voir une famille transporter dans un

canot le matériau qui avait servi à construire son ancienne demeure : Schaeffer (enseignant retraité de Saint-Jean du Maroni

durant les années 1950), « Sur les rapides du Maroni chez les peuplades primitives. Embarquement pour… Maripasoula »

(1950), (CD-rom). Une pratique qui était courante chez tous les Bushinengue.

35

l’architecture ne présentait pas d’intérêt. En revanche, avec le développement effréné du style

urbain, de l’exode rural, de l’urbanisation du paysage villageois et la politique

d’aménagement des territoires communaux88

du Maroni-Lawa, la continuation du modèle

architectural ancien est menacée. De plus, la transmission orale et l’apprentissage des

techniques de construction s’effectuent de moins en moins. A cela s’ajoute aujourd’hui le fait

que les sabiman âgés et des Bushinengue, détenteurs de la science technique à propos de ces

constructions, gardent jalousement leurs connaissances. Cette attitude ne présage pas, à

l’avenir, une pérennisation de ce savoir-faire dans des groupes minoritaires qui sont engagés

dans un processus d’intériorisation de la culture dominante ; dynamique que nous ne

remettons pas en cause puisque les identités collectives et individuelles sont mouvantes.

L’origine des sociétés bushinengue témoigne elle-même de ce processus89

de dynamique

culturelle, à l’image de ce qui s’est produit dans d’autres territoires. Néanmoins, se

transformer ne doit pas conduire à l’oubli de l’existant, sous-tendant une forme de négation de

soi non dépourvue de conséquences : problèmes d'ordre identitaire, frustration, honte, conflits

entre les générations, pertes de repères. Lors d’activités faisant appel aux savoirs ou savoir-

faire anciens (rites funéraires, confection d’un cercueil, construction d’un autel de divinité,

érection d’un autel des ancêtres, préparation de mets traditionnels, etc), on observe de plus en

plus de situations conflictuelles, parfois violentes, entre des Bushinengue qui ne parviennent

pas à se mettre d’accord sur ce qu’il faut faire. A ces oppositions s’ajoute l’attitude peu

intéressée et peu valorisante de Bushinengue qui ont adopté de nouvelles sensibilités

religieuses issues du monde urbain et qui semblent voir dans l’architecture traditionnelle,

comme dans l’accomplissement des rites anciens, la perpétuation d’un monde bushinengue

révolu qu’ils désirent changer radicalement, au profit de valeurs véhiculées par leur nouvelle

manière de croire.

Toutefois, depuis le début des années 199090

et surtout depuis l’an 2000, l’organisation

de colloques ou de séminaires touchant à la patrimonialisation91

, la publication de travaux

scientifiques92

, les débats télévisés relatifs à cette problématique, la politique de la DAC

Guyane, de la Région ou du Département ont permis à des élus (municipaux, généraux ou

régionaux) du Maroni-Lawa et à des Bushinengue d’être plus sensibles à la question. En

témoignent les labels et les projets touristiques de certaines communes, la vocation de

plusieurs associations, l’intitulé de manifestations culturelles et le contenu de programmes

festifs. Voyant, en effet, dans l’architecture traditionnelle des villages du Maroni-Lawa un

88 A titre d’exemple, les Boni du mouvement yonkuman palteï (mouvement politique des jeunes) envisageaient, au début des

années 1990, de raser certaines maisons traditionnelles du village de Loka en vue de réaliser un axe routier longeant le fleuve.

89 Bernard Formoso, « L’ethnie en question, débats sur l’identité », in Segalen Martine (dir) Ethnologie : Concepts et Aires

culturelles, Editions Armand Colin, Paris, 320 p. Lire également, et Jean-Loup Amselle (Logiques métisses, 1990) Serge

Grusinski (La pensée métisse, 1999) pour ne citer que ceux-là.

90 A Papaïchton, le fronton des maisons boni a été repeint par l’artiste peintre Antoine Dinguyou en 1992. Ce projet de

revalorisation du patrimoine artistique boni, sous l’initiative de l’association kawina (boni), a été financé par la DRAC

Guyane. Les peintures se sont altérées depuis. Elles ont totalement disparu dans l’ancien village du kapitein Aponchy (ancien

Papaïchton) l’effondrement des maisons dû à l’abandon définitif du village. Cf, le documentaire de Daniel Dirou et J.

Lamptey, Ougouchi ou vers une renaissance de l'art boni (tembe) en Guyane –1/ 2 (Sur le chemin d’Antoine Dinguyou),

Wasaï Production, Maripasoula, juin 1992, mise en ligne 19 et 21 juillet 2011 (www.youtube.com).

91 Diana Ramassamy, Patrimonialisation et développement dans la Caraïbe et les Amériques, Colloque international,

Cayenne (Guyane française), 2,3, et 4 mars 2011.

92 Serge Mam Lam Fouck et al. (dir), Diversité culturelle et patrimonialisation en Guyane française. Processus et

dynamiques des constructions identitaires, Ibis Rouge éditions, Matoury, Guyane, 2012.

36

« produit touristique »93

(lieu d’hébergement, d’histoire et de mémoire), une source de profit

potentiel, la restauration des maisons est envisagée, à Papaïchton par exemple où plus d’une

d’entre elles se trouvent dans un état de dégradation avancée. Toutefois, en dehors de la

rénovation en cours du bâtiment-bureau de gaanman Tolinga (Papaïchton) que nous avons

décrit (chapitre 2 b), les projets94

de valorisation de l’art de construire des Boni, comme celui

des autres groupes bushinengue, ne sont pas encore effectifs. Néanmoins, le désir de

patrimonialiser le bâti n’est pas exempt de problèmes futurs, surtout si l’on envisage une mise

en tourisme. Financées par la DAC Guyane, le Parc Amazonien ou par les collectivités

locales, les maisons rénovées devraient être fonctionnelles ou habitables. La plupart ayant été

abandonnées, quel sera le statut de ces maisons ? Appartiendront-elles toujours à leurs

propriétaires ou reviendront-elles à la mairie ? Seront-elles des « musées à ciel ouvert » ? Si la

mairie les transforme en gîtes, quelle part recevra le propriétaire ? Autant de questions qui

devront être élucidées avant tout projet de sauvetage.

Conclusion :

L’apport des sources livresques, iconographiques ou audiovisuelles, (1933-1956)

ajouté à notre enquête ethnographique, montre que le modèle de construction adopté par les

Bushinengue n’est pas fantaisiste, mais semble révéler, à l’instar de ce que nous observons

dans d’autres territoires (Europe, Afrique, Caraïbes), un signe de pouvoir, de séduction,

d’affirmation de soi et de distinction sociale. Le modèle construit met en lumière leur goût,

leur style, mais aussi leur ambition. Dans l’appropriation de la maison citadine et dans la

nouvelle gestion de l’espace, transparaît également l’idéologie du pouvoir coutumier. L’art de

construire des Bushinengue représente, comme le timbe et la broderie, un critère d’analyse des

mutations qu’ont connues ces sociétés depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Les modèles

bâtis évoquent à la fois les influences lointaines, locales mais aussi le style

(fookitaosu/bakaaosu) qu’ont voulu imposer leurs concepteurs.

Cette étude relative à l’architecture peut être un outil intéressant pour interroger le

passé des sociétés bushinengue, pour saisir leur manière de vivre, de penser leur territoire,

d’accéder à l’histoire de la fondation d’un village, à son fonctionnement et à son identité, pour

comprendre le jeu des relations familiales, pour appréhender enfin l’histoire du genre au sein

des groupes, des lo (clans). Les différents qualificatifs attribués à la maison, indiquant son

identité, nous permettent non seulement de connaître la matière utilisée dans sa construction,

mais de saisir également les séquences temporelles de sa transformation (maison entièrement

végétale, maison intégrant le matériel de construction du monde colonial/maison citadine). Il

n’en demeure pas moins que ce patrimoine architectural, porteur de valeurs identitaires et

mémorielles, est menacé en raison des mutations socioculturelles qu’ont connues les sociétés

bushinengue depuis les années 1960 et surtout au cours des années 1990.

Jean MOOMOU Docteur en histoire et civilisations (EHESS), MCF, histoire des mondes moderne et

contemporain, Université des Antilles, DPLSH de Saint-Claude, A-I-H-P (Archéologie

Industrielle, Histoire et Patrimoine).

93 Pour plus de renseignements sur le concept, lire Grandpré François (de), « Attraits, attractions et produits touristiques :

trois concepts distincts dans le contexte d’un développement touristique régional », Téoros, 26-2 | 2007, 12-18.

94 Cf, Rapport de l’architecte, Martin Christian, Etude patrimoniale des habitations traditionnelles Boni, Villages de Boniville

et Loka, commune de Papaïchton (Guyane), Mission de janvier-février 2013.

37

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Maroni, Mana, Albina, Moengo, Paramaribo).

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Fossé, Bruno Apouyou, Apaagui Afe, Afsende Wema, Baïnon Midaye, Martinez Amayota,

papa Guadil, Alphone Richenel, Antoine Bayonne, Antoine Abianso, Félix Germany, Paul

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