MUSIQUE PÉDAGOGIE

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MUSIQUE PÉDAGOGIE & La revue FAMEQ à la une volume 33 | numéro 3 | Été 2019 INFORMATION • Mot du président • René Joly : 40 ans de carrière et phénomène toujours non expliqué • Les Jeunesses Musicales Canada au rythme des régions APPROCHES PÉDAGOGIQUES • Le « SKOOG » SANTÉ DU MUSICIEN • L’art de conjuguer pédagogie musicale et santé corporelle CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTES • Une perspective féministe dans la pédagogie musicale ? CHRONIQUES • Musique et apprentissages ! • Les Musicales de l’éducation

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MUSIQUE PÉDAGOGIE&L a r e v u e F A M E Q à l a u n e volume 33 | numéro 3 | Été 2019

INFORMATION• Mot du président

• René Joly : 40 ans de carrière et phénomène toujours non expliqué

• Les Jeunesses Musicales Canada au rythme des régions

APPROCHES PÉDAGOGIQUES• Le « SKOOG »

SANTÉ DU MUSICIEN• L’art de conjuguer pédagogie musicale et santé corporelle

CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTES• Une perspective féministe dans la pédagogie musicale ?

CHRONIQUES • Musique et apprentissages !

• Les Musicales de l’éducation

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MUSIQUE PÉDAGOGIE&

1 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 33 | numéro 3

ÉditeurFédération des Associations de Musiciens Éducateurs du Québec

Éditrice déléguée Daniela GiudiceProfesseure de piano, Cégep de Saint-Laurent [email protected]

Coordination, administration et abonnement institutionnelMaryse ForandDirectrice générale de la FAMEQ [email protected]

Révision linguistiqueAmélie BoisProfesseure de clarinette et chef de l’Orchestre à vent du Cégep de Sainte-Foy

Comité scientifique • Jonathan Bolduc, Ph.D.Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages

Professeur agrégé en éducation musicale au préscolaire et au primaire, Faculté de musique, Université Laval

Directeur du laboratoire Mus-Alpha

• Thierry Champs, Ph.D. Professeur agrégé en pédagogie musicale, Département de musique, Université du

Québec à Montréal

Directeur de l’unité des programmes de 1er cycle

• Muriel Deltand, Ph.D.

Enseignante chercheuse qualifiée en Art (section 18) et en Sciences Psychologiques et de l’éducation (section 70) – CNU (France)

Chercheuse permanente du laboratoire CIREL, équipe Trigone (EA 4354), Université de Lille 1 (France)

Titulaire du programme de formation en éducation musicale des futurs enseignants du primaire, Haute École de Bruxelles, département pédagogique (Belgique)

Didacticienne des Arts et coréférence du pôle éveil, Haute École de Bruxelles, Département pédagogique (Belgique)

Conférencière dans les Écoles Supérieures des Arts belges

Musique et pédagogie accepte la soumission de textes et de photos, selon les conditions énoncées sur le site www.fameq.org

Les textes publiés présentent l’opinion de leurs auteurs et n’engagent pas la FAMEQ.

Dépôt légal : ISSN 0841 9428

sommaire MOT DU PRÉSIDENT par Thierry Champs 2

INFORMATION René Joly : 40 ans de carrière et phénomène toujours non expliqué par Amélie Bois 3

Les Jeunesses Musicales Canada au rythme des régions par Daniela Giudice 6

APPROCHES PÉDAGOGIQUESLe « SKOOG » par Marie-Dominique Boivin et Dominique Labrecque 8

SANTÉ DU MUSICIENL’art de conjuguer pédagogie musicale et santé corporelle par Julie Boisvert 10

CONTRIBUTIONS ÉTUDIANTESUne perspective féministe dans la pédagogie musicale ? par Anaïs Constantin 12

CHRONIQUES Musique et apprentissages ! par Jonathan Bolduc et Véronique Gaboury 7

Les Musicales de l’éducation : (Re)considérer les « savoirs insus » élaborés en dehors des temps scolaires à l’entrée en formation par Muriel Deltand 7

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Mot du président

Vous êtes-vous déjà demandé quel est le rôle d’un président ? Eh bien moi oui, et ce, jusqu’à tout récemment.

Un président se doit de rassembler, d’être à l’écoute et de soutenir ses membres. Mais surtout, il doit être capable de déléguer. Cet aspect de ma fonction m’a permis de constater à quel point les personnes qui m’entourent sont compétentes et dévouées.

J’aimerais profiter de ce dernier mot du président avant les vacances pour remercier les personnes qui portent certains dossiers qui auront un impact important sur l’éducation musicale dans les prochains mois.

Tout d’abord, le dossier CNéAQ (Coalition pour une éducation artistique de qualité, souvent aussi appelée Coaliton 4 arts) qui a été piloté de main de maître par un comité composé de Martin Bellemare, François Lafortune, Maryse Forand et Stéphane Proulx, le responsable. Ces deux dernières personnes nous représentent à la table de la CNéAQ, et travaillent présentement sur un document qui sera déposé aux ministères de la Culture et de l’Éducation prochainement. Ce dernier met notamment l’accent sur l’importance de l’éducation artistique, la valorisation de notre profession et l’amélioration des conditions de travail. L’enseignement des arts dans les écoles est important, mais pas aux dépens de nos acquis.

Nous avons également reçu un soutien non négligeable du Collectif pour la musique au Québec qui travaille pour reconnaître le droit de tous à une éducation musicale de qualité et à un accès facilité à la pratique musicale. Je vous invite à lire leur manifeste : https://www.musi.quebec/telecharger-le-manifeste.

Enfin, d’autres dossiers sont en cours comme la Fondation FAMEQ dont la mission sera de soutenir les projets de nos membres et la préparation du congrès qui aura lieu du 23 au 25 octobre prochains au département de musique de l’UQAM pour ne citer qu’eux.

Je terminerai ce mot du président pour vous remercier de votre dévouement envers vos élèves. Ces longues heures de préparation, souvent seul(e), les recherches constantes de financement ou de soutien logistique ou encore la gestion d’un département font partie d’un quotidien qui nous mettent à rude épreuve, mais qui est ô combien gratifiant.

Dans les moments de doute, et il y en a, retenez l’essentiel : l’enseignement d’une passion qui rassemble et qui laisse une trace permanente chez vos élèves.

Je vous souhaite une magnifique fin de session et de belles vacances bien méritées.

Musicalement,

Thierry Champs

T H I E R R Y C H A M P S , président de la FAMEQ, directeur Unité de programmes de 1er cycledépartement de musique de l’Université du Québec à Montréal.

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M OT D U P R É S I D E N T

Crédit : © UQAM | Service de l’audiovisuel, photographe : Émilie Tournevache, 2015

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René Joly : 40 ans de carrière et phénomène toujours non expliqué

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A M É L I E B O I S , enseignante de clarinette et chef de l’Orchestre à vent au Département de musique du Cégep de Sainte-Foy.

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Lors de son Congrès annuel, la FAMEQ a créé en 2011 le prix George Little afin de souligner

la contribution exceptionnelle de musiciens qui se sont illustrés tout particulièrement dans le

domaine de l’enseignement de la musique.

Ce prix n’a été décerné que deux fois depuis sa création : à Monsieur Iwan Edwards d’abord

et, en 2012, à Madame Élise Paré-Tousignant.

Le 1er novembre 2018, il a été remis à Monsieur René Joly.

En novembre dernier, lors de son 51e congrès tenu à l’Université Laval, la FAMEQ a rendu hommage à l’un des

pédagogues et des chefs les plus influents et les plus marquants de sa génération. Au cours des 40 dernières années, René Joly a contribué à la formation des jeunes et des moins jeunes musiciens partout dans la province. Il a permis l’essor de la musique dans nombre de régions du Québec et mis sur pied plusieurs projets, tous couronnés du plus vif succès. René Joly, c’est un feu d’artifice expressif qui carbure à l’énergie musicale. Portrait d’un pédagogue passionné animé d’une fougue hors du commun et d’un amour démesuré pour la musique et les musiciens.

LE PERSONNAGE

Percussionniste et trompettiste de formation, René bouffe de la musique depuis fort longtemps. Il fait ses études à Québec et se démarque rapidement comme instrumentiste et comme chef. Il s’intéresse très tôt à la direction et fait ses premières armes dans ce domaine avec la direction chorale, formation qu’il affectionne particulièrement et qui constitue la base de son enseignement, tant de l’instrument que du jeu d’ensemble : la respiration et l’élan naturel de la voix. « Si vous pouvez le chanter, vous pouvez le jouer ».

En 1981, il entre à l’Orchestre Symphonique de Québec comme percussionniste. Parallèlement, il enseigne la percussion et les ensembles de percussion au Département de musique du Cégep de Sainte-Foy, dont il dirigera aussi l’Orchestre à vent pendant 15 ans. Directeur musical et clinicien habituel au Camp musical d’Asbestos, au camp CAMMAC, au MusicFest et au Festival des Harmonies et des Orchestres symphoniques de Sherbrooke, il siège sur nombre de jurys et de concours d’un océan à l’autre. D’abord musicien au sein de la Musique des Voltigeurs de Québec de 1974 à 1984, il en a ensuite été le directeur musical pendant 12 ans. L’Ensemble à vent de Sherbrooke a aussi eu le plaisir de travailler sous sa direction de 1995 à 2000.

René a bien entendu été invité régulièrement à donner des ateliers de direction lors des Congrès FAMEQ et a aussi dirigé plus d’une fois l’Harmonie FAMEQ lors de ces mêmes congrès. Saviez-vous d’ailleurs que son père est à l’origine de la mise sur pied de la FAMEQ avec nul autre que monsieur George Little, oui oui, le monsieur du prix du même nom ? René a donc assisté tout jeune à la mise sur pied de cette fédération et c’est d’ailleurs musicien qu’il a eu son premier contact avec l’Harmonie FAMEQ, tout comme André Moisan et Gilles Auger, pour ne nommer que deux des musiciens aguerris qui sont passés par là.

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Son pèlerinage annuel à Chicago pour assister au Midwest Clinic est une occasion d’aller à la rencontre de chefs, de nouveau répertoire et de compositeurs très en vue dans le milieu des orchestres à vent avec qui il tissera des liens (Johan de Meij, Jan Van der Roost, Franco Cesarini, Jan de Haan, Jacob de Haan, Otto M. Schwarz, Robert Sheldon, Robert W. Smith, Alfred Reed) de même qu’avec des éditeurs de renom comme Luis Martinus, créateur d’Hafabra Music ou Max Desmurs des éditions Robert Martin. Les premières commandes massives d’œuvres européennes pour orchestre à vent sont venues de la ville de Québec, d’abord par René, bientôt suivi par François Dorion, contribuant à faire connaître en Amérique du Nord ce répertoire riche et si stimulant pour les musiciens.

VIENS JOUER AVEC NOUS !

Vous avez entendu parler du Viens jouer avec nous, cet événement qui rassemble bon an mal an 1 300 jeunes musiciens de la grande région de Québec ? Pendant toute l’année, des élèves travaillent avec leurs enseignants de musique afin de préparer un répertoire commun qu’ils exécutent en massband pour la première fois le jour de l’événement. Activités musicales, bazar, ateliers, quiz, concours, kiosques, répétitions, rencontres, et deux grands concerts à la salle Albert-Rousseau qui clôturent une journée mémorable autant pour le primaire que pour le secondaire, voire pour le collégial. Avec François Fréchette, Luce Roy, Pierre Côté, Guy Lefrançois, Manon Montminy, Berthe Sylvain-Dufresne, René a imaginé et mis sur pied ce rendez-vous maintenant incontournable pour les enseignants de musique.

Après plus de 30 ans d’existence, le Viens jouer avec nous est toujours aussi vivant, et continue d’être un modèle de réussite, basé uniquement sur le plaisir de faire de la musique ensemble, sans souci de performance ou de compétition : un réel partage d’une passion commune.

UN ENSEMBLE UNIQUE : MODÈLE D’EXCELLENCE ARTISTIQUE DANS LE MILIEU DES ORCHESTRES À VENT

Fondateur de l’Ensemble vent et percussion de Québec, René fait

déplacer de l’air à plus de 55 musiciens depuis 25 ans en sa qualité de directeur artistique et musical. Dès le début de cette aventure, la Faculté de musique de l’Université Laval a accueilli l’EVPQ comme ensemble partenaire afin, notamment, d’encourager le développement de la musique pour orchestre à vent de haut niveau dans la région de Québec. Avec l’EVPQ, René consacre toute son énergie à la promotion des plus belles œuvres du répertoire pour orchestre à vent et encourage les instrumentistes de la relève en leur offrant une chance de se frotter à du répertoire de très haut niveau. En 1996, l’ensemble a d’ailleurs enregistré l’intégrale de la Symphonie no 1 de Johan de Meij, « The Lord of the Rings », œuvre majeure d’un compositeur majeur du répertoire pour orchestre à vent. Cette version demeure à ce jour l’une des meilleures et est une référence dans le milieu. L’année suivante, conjointement avec l’Orchestre à vent de la Faculté de musique, l’EVPQ présentait devant un Grand Théâtre comble une version intégrale et live de cette symphonie grandiose. Plus de 800 jeunes des écoles de la région étaient dans la salle et ont eu la piqûre. Sous la baguette et l’impulsion de qui croyez-vous ?

ICI ET PARTOUT

Chef de l’Orchestre à vent de la Faculté de musique de l’Université Laval depuis 24 ans, René a imaginé, élaboré et réalisé le concept de la tournée pédagogique, événement annuel qui permet aux jeunes musiciens et pédagogues en devenir d’allumer la passion d’élèves du primaire et du secondaire, chaque année dans une région différente. De l’Abitibi-Témiscamingue en passant par le Saguenay–Lac-Saint-Jean pour remonter jusqu’à la Côte-Nord, le Bas-Saint-Laurent, la Beauce et même la région de l’Outaouais, l’autobus de l’OVFaMUL rempli de jeunes enseignants et musiciens en formation part chaque année à la rencontre d’enseignants et d’élèves fébriles qui attendent leur passage avec impatience.

Pour René Joly, le soutien aux enseignants, particulièrement en région où les conditions sont souvent moins favorables, est la pierre angulaire de la survie de la musique au Québec, en milieu tant scolaire que communautaire. Plusieurs étudiants actuels des programmes de musique du Cégep de Sainte-Foy et de l’Université Laval ont d’ailleurs

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René Joly reçoit les félicitations de Gaétan St-Laurent sous l’œil attentif d’Amélie Bois le 1er novembre 2018. Crédit : FAMEQ

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reçu la visite de l’OVFaMUL lorsqu’ils étaient au secondaire et ont ensuite choisi de poursuivre leur formation en musique. Quel est le seul ensemble universitaire qui fait une telle tournée annuellement depuis 22 ans ? Celui que dirige René !

« CE N’EST PAS PARCE QU’ILS SONT JEUNES QU’ILS NE COMPRENNENT PAS LA PHRASE, L’ÉLAN MUSICAL. »

Réputé pour sa direction claire, inspirante, dynamique et fluide, René Joly est un modèle pour un nombre incalculable d’enseignants et de jeunes chefs. Il sait captiver les jeunes, les intéresser, faire sortir le meilleur de leur potentiel musical, tout ça parce qu’il demeure profondément convaincu qu’ils sont capables de beaucoup plus que

ce que l’on pourrait croire. « Ils peuvent nous donner beaucoup plus que vous ne le croyez. Si on est généreux avec eux, ils le sentent et le seront 100 fois plus avec nous. Il faut leur faire confiance et toujours passer par la musique. » Paraphrase et synthèse de propos qu’il tient depuis le début de sa carrière et qui résument bien son approche et sa vision. Et pensez-vous que ça se vérifie ? Chaque fois oui.

« CHANTEZ-MOI ÇA »

René passe par la voix. Tout le temps. Ceux qui le connaissent ou ont eu la chance de le côtoyer, ne serait-ce qu’une toute petite fois, se souviendront assurément du fameux « Je peux entendre ça avec la voix s’il vous plaît ? » Il fait chanter les jeunes, détecte le problème, les refait chanter, les fait jouer : ça marche. Presque magique ? Pas si le chef n’écoute pas bien sûr : « L’écoute du chef est essentielle : son rôle est d’abord d’écouter, ensuite d’identifier les problèmes, de poser un diagnostic, et finalement d’appliquer la solution. »

Et faire chanter, pourquoi ?

« La voix est notre premier instrument à tous, c’est par là que tout passe et s’inscrit dans le corps. Si on réussit à bien placer la phrase en bouche avec la voix d’abord, le son à l’instrument va assurément changer et la phrase musicale y gagnera instantanément. Une fois que l’élan est compris, tout se met en place. Ça règle aussi tellement de problèmes de justesse ! » Les onomatopées aussi, c’est sa marque de commerce. Quand il explique une rythmique, on dirait qu’il parle une autre langue… que tout le monde comprend cependant. Le rôle du chef : L’écoute du chef est essentielle : écoute, identification des problèmes, diagnostic, application.

UN HOMMAGE À VOIX MULTIPLES

Lors de l’hommage qui lui a été rendu, plus de 15 musiciens, pédagogues, collègues et amis ont tenu à rendre hommage à René. Et sans s’être consultés, leur voix se sont élevées dans le même sens : un chef inspirant, une gestuelle claire et fluide, une passion dévorante, une énergie inépuisable, un sens pédagogique inouï, un charisme naturel sur le podium, une foi inébranlable en la jeunesse et le pouvoir de la musique, et une connaissance du répertoire pour orchestre à vents hors du commun. Une inspiration.

Pratique, pour des instrumentistes à vent, non ?

C’est tout ça, René Joly.

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BIOGRAPHIE

Native de Mont-Joli, Amélie Bois a commencé la clarinette au secondaire. Elle a ensuite étudié à l’Université Laval avec Marcel Rousseau, pédagogue émérite, et obtenu un baccalauréat en interprétation. Sous la direction de Francis Dubé, elle a par la suite complété une maîtrise en Didactique instrumentale.

Depuis lors, elle a enseigné la clarinette dans de nombreuses écoles de la région de Québec, dans le programme de Culture musicale du Campus Notre-Dame-de-Foy, au Camp musical Saint-Alexandre ainsi qu’au Département de musique du Cégep de Trois-Rivières. Depuis août 2012, elle occupe le poste de professeur de clarinette au Département de musique du Cégep de Sainte-Foy. En août 2015, elle a ajouté une corde à son arc en devenant chef de l’Orchestre à vent de ce même cégep, fonction qui l’a menée au Brésil l’été dernier pour participer au Festival Eurochestries, un festival international d’orchestres de jeunes. Elle s’est aussi jointe à l’équipe de l’Harmonie Élite des Navigateurs en septembre 2015 à titre de spécialiste en clarinette.

Amélie occupe le poste de 2e clarinette à l’Orchestre Symphonique de l’Estuaire depuis 2003. Musicienne régulière dans l’Ensemble vent et percussion de Québec depuis 2006, elle a aussi siégé sur le conseil d’administration de l’Ensemble pendant 3 ans.

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Les Jeunesses Musicales Canada au rythme des régionsD A N I E L A G I U D I C E , professeure de piano, Cégep de Saint-Laurent, éditrice déléguée de la revue Musique et pédagogie.

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Les Jeunesses Musicales Canada sont bien ancrées à Montréal. À travers la série de Concerts relève, de jeunes musiciens

talentueux partent en tournée dans tout le Québec, l’Ontario et les provinces maritimes, afin d’offrir des concerts au grand public. Si le volet Grand public est bien en place, quelle serait la meilleure approche pour développer le créneau Jeune public ?

Christophe Montoya, coordonnateur des ateliers et du développement des activités Jeune public, pense que le meilleur moyen de développer ce créneau reste basé sur la présence en région. Après avoir sillonné le Québec et observé le quotidien des acteurs locaux, il s’arrête finalement dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

À Jonquière, il rencontre les représentants de la commission scolaire et propose une collaboration avec les Jeunesses Musicales Canada, dans le but d’intégrer des activités au sein de leurs établissements scolaires.

Offerts dans le temps de classe et assurés par une animatrice, ces ateliers musicaux variés peuvent aussi bien s’adresser aux tout-petits comme aux plus grands. Enchantés, les responsables de la commission scolaire De La Jonquière acceptent de mettre en branle l’offre d’activités dans leurs écoles.

SUCCÈS À LA COMMISSION SCOLAIRE DE LA JONQUIÈRE

Alors que le projet était prévu à partir de la saison 19-20, il a finalement débuté dès l’hiver 2019. « C’est un succès, car la commission scolaire a confiance : elle prend le projet à bras le corps et le finance à 100 %. Les gens se sont engagés. Bien qu’ils puissent parfois être frileux, eux ont plongé », explique Christophe Montoya.

Il insiste également sur l’importance d’être « présents dans les régions » pour que « les personnes qui s’investissent soient locales et non pas extérieures ». Il souligne le potentiel qui existe dans chacune des régions et met en avant leurs forces. Pour lui, exporter en région un savoir-faire ancré dans la réalité montréalaise n’est pas la bonne approche. Il part plutôt du principe que chaque région dispose de sa propre expertise et de son propre fonctionnement auquel on doit s’adapter.

Animatrice du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Clio Theodorakis est titulaire d’une maîtrise en interprétation au saxophone classique. À travers ses animations au sein de l’école publique, cette jeune musicienne vit son intégration par le travail et la passion, dans une région qui regorge de potentiel avec son école de musique, son conservatoire et ses nombreux amateurs de musique. À ce jour, Clio a donné 35 ateliers dans 17 écoles maternelles de la commission scolaire De La Jonquière.

Bien que le projet pilote se soit tenu à la commission scolaire De La Jonquière, l’accélération du développement de ce programme éducatif pourrait prochainement voir naître le recrutement d’animateurs locaux au sein des commissions de Chicoutimi et du Lac-Saint-Jean.

BELLES RETOMBÉES EN PERSPECTIVE

Ce projet provoque de nombreuses retombées positives et un programme innovant se tiendra d’ailleurs à Gatineau l’automne prochain avec cette fois-ci, des élèves du secondaire. En collaboration avec la commission scolaire des Portages-de-l’Outaouais et le soutien de deux commanditaires importants, les élèves

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assisteront durant deux journées à une foule d’activités, le tout en présence de deux artistes invités.

Comme le dit Christophe Montoya : « L’école est l’endroit où l’on doit être. Pas seulement les Jeunesses Musicales Canada, mais tous les acteurs œuvrant pour les arts et la culture. Tout le monde doit pouvoir avoir accès à l’univers de la musique. Absolument tout le monde. » Et puisque favoriser la diffusion de la musique classique auprès des jeunes représente l’un des grands objectifs des Jeunesses Musicales Canada, l’on peut affirmer : mission accomplie !

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Légende : Mélanie Jalbert et Josée Côté des services éducatifs (commission scolaire De La Jonquière), Clio Theodorakis (animatrice des Jeunesses Musicales Canada) et Christophe MontoyaCrédit : commission scolaire De La Jonquière

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Le « SKOOG »

Connaissez-vous l’instrument de mu-sique tactile nommé « SKOOG » ? Ce petit cube en mousse reproduit plu-

sieurs sons et est un instrument facile à ma-nipuler, à comprendre et à jouer. Il permet à tous les élèves, particulièrement à ceux qui ont des limitations motrices ou cognitives, de réaliser des expériences musicales de façon autonome. Il rend ainsi la musique acces-sible à toutes et tous, dans une classe régu-lière ou en adaptation scolaire, peu importe le niveau. Le « SKOOG » est un instrument très récent et aucune véritable expertise n’a encore été développée au Québec.

Travaillant toutes les deux depuis plusieurs années auprès d’élèves ayant un handicap physique, nous avons eu le désir d’approfondir cet instrument extraordinaire. Grâce à une aide financière du Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, nous avons développé cette année des propositions pédagogiques, accompagnées de fiches pédagogiques et techniques, et des capsules explicatives sous forme de vidéos en lien avec cet instrument.

Ce travail s’est effectué en collaboration avec le directeur de l’école Madeleine-Bergeron Monsieur Maxim Pilote, un ingénieur de son, Sylvain Audet, et différents techniciens

(audiovisuel, informatique et ressources matérielles) sans oublier la participation, bien sûr, des fabuleux élèves de l’école Madeleine-Bergeron.

La diffusion de ce matériel se fera dès septembre 2019 sur un site en ligne. Des présentations seront faites aux différentes instances régionales, provinciales et lors de congrès. Nos outils pédagogiques pourront par la suite être utilisés en classe pour aider les spécialistes en musique à s’approprier le SKOOG et ainsi permettre à plus d’élèves au Québec de s’exprimer en musique. Pour en apprendre davantage dès maintenant sur le SKOOG, vous pouvez visiter le site suivant : http://skoogmusic.com/.

M A R I E - D O M I N I Q U E B O I V I N , enseignante de musique, École Madeleine-Bergeron, Commission scolaire des Découvreurs.D O M I N I Q U E L A B R E C Q U E , Service régional de soutien et d’expertise en déficiences motrices ou organiques, Commission scolaire des Navigateurs.

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BIOGRAPHIE

En 2002, Marie-Dominique Boivin termine un baccalauréat en éducation musicale à la Faculté de musique de l’Université Laval.

Elle a commencé sa carrière en région, puis continué d’enseigner la musique par la suite dans diverses écoles primaires et secondaires de Québec. En 2009, elle obtient un poste à l’école Madeleine-Bergeron de la Commission scolaire des Découvreurs. Cette institution, à caractère supra régional, accueille des jeunes de 4 à 21 ans ayant un handicap physique. Depuis, son engagement a été reconnu par l’obtention de 2 prix « Essor » du gouvernement du Québec, en 2014-2015 et en 2016-2017.

BIOGRAPHIE

Dominique Labrecque possède un baccalauréat en linguistique française et une maîtrise en linguistique (orientée psycholinguistique) de l’Université Laval.

Elle a travaillé comme assistante de recherche et chargée de cours aux départements de linguistique et des sciences de l’éducation de quelques universités. Elle a également occupé des postes en orthophonie scolaire et de conseillère pédagogique en français et en adaptation scolaire. Elle occupe depuis 2011 le poste de personne-ressource régionale pour les élèves présentant des difficultés d’apprentissage et des déficiences motrices ou organiques pour les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches.

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Lors de la dernière parution de la revue Musique et Pédagogie, j’ai abordé l’importance de bâtir des ressources

en santé corporelle pour les musiciens. Nous avons vu qu’à l’UdeM, une série de mesures éducatives et médicales ont été prises, notamment par des cours offerts dans la formation des musiciens ainsi que par le biais des cliniques de kinésiologie et d’audiologie. Qu’en est-il à l’UQAM ? J’ai rencontré Thierry Champs, professeur, directeur des programmes de premier cycle en musique et membre de l’Institut santé et société afin de réfléchir à cet enjeu. Pour le moment, aucune ressource spécialisée pour musiciens n’existe. Toutefois, le pédagogue est bien conscient du besoin des jeunes musiciens.

Thierry donne plusieurs cours en pédagogie, notamment initiation aux cuivres, musique de chambre, enseignement collectif et direction des instruments d’ensemble. Il forme donc les futurs enseignants et les sensibilise à la problématique de la santé chez les musiciens. Ce dernier a suivi des ateliers avec Marc Papillon, un coach musical qui prône le plaisir de jouer par l’optimisation des gestes et la diminution des tensions corporelles. Cette approche permet un travail pour retrouver une « anatomie fonctionnelle en situation de technique instrumentale » (Papillon, 2015).

Pour lui, la posture, la confiance ainsi que le plaisir de jouer occupent une place primordiale et sont autant d’éléments qui améliorent la qualité d’une prestation : « Les enseignants misent beaucoup sur la performance, la perfection, l’absence d’erreurs dans le jeu musical. Mais si on joue en pensant déjà aux ratés et aux passages

difficiles, dans le but d’éviter des fausses notes, certaines parties du corps vont devenir tendues. Là, on force et on risque de développer des douleurs, éventuellement des blessures. »

Le pédagogue a travaillé avec certains des plus grands trompettistes au monde, et il confirme que personne n’est à l’abri de l’erreur. Il a donc développé une méthode qui peut faire sourire… ou grincer des dents : il demande à ses étudiants de choisir un passage difficile à exécuter et de fausser sur chacune des notes. Surpris, les étudiants se demandent parfois comment y arriver ! : « Je leur demande de réussir l’exercice une dizaine de fois. Le rythme et le doigté doivent être exacts, mais je ne veux reconnaître aucun son. En d’autres mots, je leur demande de prendre une liberté qui leur est interdite depuis des années : faire n’importe quoi. Ensuite, ils sont plus détendus et plus en mesure de réussir le passage choisi. »

Le directeur souligne qu’à tort, certains enseignants mettent l’accent sur une partie du corps lorsque le jeu n’est pas optimal ou que l’étudiant ressent de la douleur : « Si on se concentre sur un seul muscle, on ne règle pas le problème. C’est la posture globale qu’il faut corriger. Pour améliorer son souffle ou sa respiration, on entend souvent “Ouvre la gorge”. Mais comment ? On force encore plus, et ça risque d’empirer. Au contraire, le diaphragme est un muscle qui a besoin de se détendre pour donner de meilleurs résultats. » Lorsqu’il corrige la posture de ses étudiants, le trompettiste les analyse avec et sans instrument. Les conseils du professeur se basent aussi sur la physiologie, qui a servi sa thèse en optimisation du jeu pour trompettiste.

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10 Musique et pédagogie |fameq.org | Volume 33 | numéro 3

L’art de conjuguer pédagogie musicale et santé corporelleJ U L I E B O I S V E R T , rédactrice pigiste et étudiante en création littéraire.

Crédit : Thierry Champs

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Au final, Thierry veut réitérer un plaisir de jouer. Il reconnaît que les conditions de travail des musiciens sont difficiles, mais selon lui, être capable de s’investir réellement dans son interprétation améliore déjà la qualité d’une prestation.

Thierry souhaite éventuellement créer un cours portant sur le stress de performance et la prévention de la douleur. En attendant, avec deux autres professeurs formés en neurologie et en stress de la performance, il est l’une des personnes-ressources pour les étudiants. Au besoin, il réfère également à des ressources hors UQAM, comme la Clinique de l’artiste de Véronique Brouillette ainsi que la physiothérapeute Isabelle Duchesne.

RÉFÉRENCES

Champs, Thierry (2018). Entrevue avec Julie Boisvert, Montréal, 5 juin 2018.

papillon, Marc (2015). Plaisir de jouer, http://www.artistesperformance.com/tendinites/, consulté le 27 juin 2018.

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BIOGRAPHIE

Julie Boisvert s’intéresse à la santé et aux arts. Ses études collégiales en travail social et en sciences humaines l’ont amenée à œuvrer quelque temps dans le milieu communautaire. À l’université, elle renouvelle avec le plaisir de l’écriture dans un certificat en rédaction professionnelle d’abord, puis avec un deuxième en création littéraire (en cours). Dans ses temps libres, elle aime écrire des nouvelles littéraires et des essais. Elle est également rédactrice pigiste et a collaboré avec le Magazine Vitalité Québec pour signer un article sur la dramathérapie et sur la santé corporelle du musicien.

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Une perspective féministe dans la pédagogie musicale ?

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

A N A Ï S C O N S TA N T I N , autrice-compositrice-interprète et étudiante au baccalauréat en enseignement de la musique, Université du Québec à Montréal.

INTRODUCTION1

Au printemps 2017, plusieurs festivals musicaux québécois subventionnés dévoilaient leur programmation sans

surprise : beaucoup d’hommes en scène et très peu de femmes. Pourtant, à l’Union des Artistes, dans le volet Chanson, on dénombrait 49 % de femmes en 2017 (Boulay, 2017). À la suite de cela, plusieurs femmes, dont moi-même, se sont rassemblées pour créer un mouvement nommé le F*EM (femmes et personnes de genre non conforme en musique). Au cours de quelques rencontres, nous avons relevé plusieurs problématiques associées au genre dans notre industrie. Nous avons par exemple remarqué qu’on attribuait souvent les réalisations des femmes à leurs collaborateurs masculins, sous-entendant qu’elles n’ont pas les capacités pour composer, arranger des œuvres ou réaliser des disques. Les stéréotypes plaçant la femme comme objet de désir sur scène sont également revenus dans les discussions à maintes reprises. Par ailleurs, plusieurs musiciennes ont rapporté des commentaires reçus du genre : « Bravo ! Tu joues bien de la batterie pour une fille ! », soulignant le fait que certains instruments sont encore perçus comme étant réservés aux garçons.

Nous n’étions pas les premières à nous surprendre de ce clivage; à ce sujet, plusieurs auteurs et autrices ont déjà compilé des statistiques, notamment en milieu scolaire. En France, Catherine Monnot a fait l’inventaire des instruments joués par les enfants de 6 à 18 ans à Limoux en 2006 et en 2008. Les données recueillies indiquent que les filles choisissent principalement le piano et la flûte, alors que les garçons se

tournent davantage vers les percussions et la trompette (Monnot, 2012).

Au fil des échanges avec le groupe F*EM, nous en sommes venues à la conclusion que les changements sociaux que nous souhaitons voir au sein de notre milieu passeraient, entre autres, par l’éducation. En tant qu’enseignante de musique, je me demande donc comment ne pas contribuer à renforcer les stéréotypes de genre et comment amener mes élèves à s’en libérer, afin que toutes et tous aient les mêmes chances d’atteindre leur plein potentiel. Plus précisément, je souhaite connaître les stratégies pédagogiques qui favorisent un réel libre choix d’instrument chez les jeunes, quel que soit leur genre.

En premier lieu, j’expliquerai pourquoi et comment les curricula québécois gagneraient à être modifiés. Ensuite, je montrerai l’importance d’une communauté qui soutient et encourage la diversité de modèles pour toutes et tous. Finalement, comme le choix d’instrument fait par les enfants est le résultat direct de leur socialisation (Abeles, 2009, p.128), je présenterai quelques pistes de solutions pour mieux construire leur regard critique quant aux stéréotypes de genre dans lesquels ils et elles baignent.

LES CURRICULA

D’abord, il faut reconnaître que les curricula proposés dans les programmes d’études (en musique, mais dans les autres disciplines également) ne sont pas représentatifs des réalités qu’ils tentent de présenter. En effet, si on regarde seulement comment les périodes historiques y sont découpées, on remarque qu’elles le sont selon des avancées qui ne concernent que les hommes (Green,

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1Ce texte est adapté d’un travail de session réalisé dans le cadre du cours MUS4701 Fondements de la pédagogie musicale sous la responsabilité du professeur Vincent Bouchard-Valentine au Département de musique de l’Université du Québec à Montréal.

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1997, p. 236). Ainsi, si la Renaissance fut pour eux une période riche sur les plans artistiques et scientifiques, cette époque fut pour les femmes synonyme de restrictions et d’oppression écrasante (Green, 1997, p. 236). N’est-ce pas important que l’histoire soit racontée selon les angles de tous ses protagonistes, et non seulement de la moitié privilégiée ? Catherine Monnot croit que cela a un réel impact :

« Les supports de cet enseignement que constituent les compositeurs des œuvres jouées, ainsi que les musiciens professionnels affichés sur les murs, érigent le masculin en référence à la fois technique et artistique, alors que le féminin reste placé du côté de la reproduction et de l’amateurisme. » (Monnot, 2012, p. 204).

Pourquoi, alors, ne pas présenter des curricula incluant plus d’œuvres de femmes, plus de musiciennes, plus de compositrices ? Les détracteurs de cette proposition me diront sans doute qu’il y en a peu, ou pas. Pourtant, c’est complètement faux. Le problème, selon Green (1997), c’est que les genres canonisés dans l’histoire, comme les symphonies, étaient surtout composés par des hommes, alors que les femmes, si elles composaient beaucoup elles aussi, le faisaient dans des genres musicaux qui sont passés sous le radar historique, comme diverses formes de chants populaires. Battersby, citée par Green, suggère donc de redéfinir le concept de canon pour y inclure des femmes (Green, 1997, p. 236).

Green soulève aussi l’idée selon laquelle on glorifie beaucoup l’individu, alors qu’on pourrait, dans une perspective plus féministe, reconnaître la collectivité autour. Cela redonnerait un peu de crédit aux femmes, qui sont souvent invisibilisées pour beaucoup de tâches qu’elles accomplissent.

Green propose aussi aux enseignantes et enseignants de se questionner sur les

raisons pour lesquelles on présente une pièce. Si, par exemple, il s’agit de démontrer les caractéristiques du piano romantique, une pièce de Clara Schuman sera aussi légitime qu’une pièce de son célèbre mari. Coeyman est, elle aussi, en faveur de proposer des curricula plus diversifiés en y incluant davantage de femmes. Elle ajoute que lorsque ce n’est pas possible, on peut toujours ouvrir la discussion avec les élèves sur les rôles des genres dans le champ qui concerne la situation en particulier (Coeyman, 1996, p. 82).

En ce qui a trait aux instruments moins traditionnels, il faut aussi expliquer aux musiciens et musiciennes en devenir que les instruments ont longtemps été cantonnés dans une tradition très genrée :

« Les recherches historiques menées dans le domaine de la culture féminine et de la musique en Europe ont mis en évidence ce qu’il convient d’appeler le sexe des instruments : du Moyen Âge à l’époque contemporaine, ces études montrent des jeunes filles cantonnées à un certain type d’instruments, principalement les cordes et les claviers. À l’époque médiévale, les jeunes filles et les femmes de l’aristocratie jouent ainsi du luth, de la vielle, de la vielle à roue, du psaltérion, et des instruments oubliés aujourd’hui comme le rote, le rebec, le cistre, la guiterne ou la gigue. La plupart d’entre eux possèdent une taille imposante qui implique un usage sédentaire et met les filles en activité au sein de la sphère domestique, mais permet aussi à leur corps de rester caché et de respecter la pudeur qu’il convient alors au “beau sexe” » (Monnot, 2012, p. 45-46).

Monnot explique également la rumeur courante depuis l’Antiquité selon laquelle les instruments à vent déformeraient le visage des femmes, ce qui serait bien affreux, puisque les femmes se doivent d’être coquettes. Une seule exception à cette règle : la flûte, bien sûr, avec son son aigu, associé

à la féminité. On disait aussi que seuls les hommes avaient assez de souffle pour jouer des instruments à vent, à cause de leur physionomie. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien (Monnot, 2012, p. 46-47).

Évidemment, toutes ces associations d’instruments à un genre en particulier s’appuient sur des croyances absolument désuètes aujourd’hui. Si les jeunes filles sont en mesure de le comprendre, je crois qu’elles seront plus libres dans leur choix d’instrument. Cela vaut aussi pour les garçons.

MODÈLES DIVERSIFIÉS ET COMMUNAUTÉ DE SOUTIEN

Plusieurs des autrices que j’ai lues soulignent l’importance de l’intersectionnalité, un concept qui implique d’inclure toutes les formes de domination à la lutte féministe (classe, origine ethnique, orientation sexuelle, capacités) et proposent d’avoir des modèles diversifiés pour tous les élèves. Gould pense que séparer les formes d’oppression les met en compétition, ce qui leur nuit considérablement (Gould, 2014, p. 70).

Dans la définition de sa pédagogie féministe, Coeyman place l’élève, quel qu’il soit, au centre de son apprentissage. Elle nomme quatre aspects importants de sa vision de la pédagogie, dont la diversité et les opportunités pour toutes les voix de se faire entendre (Coeyman, 1996, p. 76). À titre d’exemple, on peut penser qu’un enfant d’une classe défavorisée ne s’imaginera pas jouer d’un instrument classique appartenant traditionnellement à une classe plus bourgeoise. Il importe donc, à titre de professionnelles et professionnels de l’enseignement, de considérer d’où vient l’élève, afin de l’aider à se défaire de ses propres barrières psychologiques pour qu’il ou elle puisse choisir librement son instrument.

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Par ailleurs, il va de soi que les modèles que nous avons autour de nous contribuent à nous donner soit un pouvoir d’agir sur ce que nous projetons pour nous-mêmes, soit le contraire. Tonelli (2015) rappelle que ce qui fait la différence, c’est d’avoir, autour de soi, une communauté pour supporter nos choix, quels qu’ils soient, et des pairs ouverts d’esprit, tant au niveau scolaire que professionnel. De plus, ce qui a aidé Natalie Mannix, une des trombonistes interviewées dans l’article de Tonelli, c’est de trouver d’autres femmes avec qui jouer et d’avoir des modèles diversifiés pour que toutes et tous puissent s’y reconnaître et s’y projeter (Tonelli, 2015, p. 30).

Il me semble donc primordial que les enseignants et enseignantes de musique fassent des efforts pour proposer des modèles diversifiés, de personnes de tous les horizons, genres, classes, origines ethniques et orientations sexuelles, afin que toutes et tous se sentent légitimes dans leur parcours unique et leur choix d’instrument possiblement atypique ou non. Il est aussi important que tous les intervenantes et intervenants autour des élèves se mobilisent pour les encourager dans leurs choix et créent ensemble une communauté sans jugement et favorable à l’épanouissement de chacune et de chacun.

LA CHASSE AUX STÉRÉOTYPES

Pour Abeles, les choix d’instruments sont la conséquence de la socialisation des individus (Abeles, 2009). Il n’est pas le seul à penser ainsi : « Il est impossible de biologiser les comportements selon le sexe, c’est impacté par la culture » (Mosconi, 2017). Partant de cela, il importe donc de socialiser nos enfants différemment, afin de leur laisser leur plein pouvoir d’agir pour eux-mêmes. Mais comment y arriver dans un monde inondé de publicités sexistes, de formatage par genre binaire et de reproduction inconsciente des stéréotypes ? Cela n’est pas simple.

Le problème majeur relatif aux stéréotypes de genre dans l’éducation québécoise est que les programmes présentent l’égalité comme acquise (Charron, 2017). Cette constatation est fausse et dangereuse. Il faut donc « identifier les mécanismes qui invisibilisent les rapports de domination » (Magar, 2017), c’est-à-dire rendre visible ce qui est invisible pour redonner aux individus leur pouvoir d’agir. Quand on ne prend pas conscience des inégalités, on reproduit les mécanismes qui contribuent à maintenir ces inégalités (Charron, 2017). La première étape est donc de faire soi-même, en tant qu’enseignante et enseignant, une réflexion sur les stéréotypes de genre (Mosconi, 2017). Cela fait, Mosconi propose d’expliquer aux élèves ce qu’est un stéréotype pour ensuite les amener à les déceler au quotidien. Il faut aussi leur expliquer en quoi cela formate nos préconceptions des autres, mais aussi de nous-mêmes. Mosconi propose d’ouvrir un manuel et de demander aux élèves de trouver des stéréotypes de genre. En musique, on pourrait prendre un manuel sur l’histoire de la musique, ou un magazine d’actualité sur la musique, ou la rubrique « arts et spectacles » d’un journal et faire le même exercice. On pourra par la suite regarder la réalité et les stéréotypes et constater qu’ils ne correspondent pas (Magar, 2017). Par ailleurs, il importe d’intervenir de manière transversale plutôt que de faire un cours spécifique sur les stéréotypes (Mosconi, 2017). Chaque fois que l’occasion se présente, on peut ouvrir la discussion avec les élèves pour les amener à aiguiser leur sens critique, et ainsi contribuer à bâtir une société pour ouverte et plus juste.

Roberta Lamb abonde dans le même sens. Elle insiste sur l’importance d’enseigner aux élèves à être critiques par rapport à l’enseignement de la musique (Lamb, 1996, p. 128). En tant que musiciennes et musiciens, professeurs et élèves, nous participons à entretenir l’idéologie des paramètres actuels qui glorifient l’homme blanc. Le monde de la musique, pour ne

parler que de celui-là, est un monde pensé par et pour les hommes dans la structure et la manière (Lamb, 1996). Nous n’avons qu’à penser au concept du chef d’orchestre : un système hiérarchique dans lequel une figure autoritaire, très souvent masculine et blanche, dirige un ensemble de musiciens. Peut-être faut-il prendre conscience de ce que cela transmet comme valeur ? En ce sens, remettre certaines choses en question peut diversifier nos perspectives et nous aider, comme disait Magar, à prendre conscience des mécanismes qui invisibilisent les rapports de domination.

En 2004, le ministère de l’Éducation a publié Filles et garçons… accordons-nous : guide pédagogique pour instaurer des rapports égalitaires entre les sexes au primaire. Les activités pédagogiques qui sont proposées

BIOGRAPHIE

Née à Sherbrooke en 1991, Anaïs Constantin est autrice-compositrice-interprète et multi-instrumentiste. Après des études en violoncelle classique, elle obtient un diplôme à l’École nationale de la chanson. Elle accompagne de nombreux artistes en tournée (Groenland, Maude Audet, Antoine Corriveau, etc.) en plus de se consacrer à son projet solo, lequel s’est rendu aux demi-finales des Francouvertes 2019. Parallèlement, elle enseigne le violoncelle au Garage à musique et étudie au baccalauréat en enseignement de la musique de l’UQAM.

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aux enseignantes et enseignants dans ce guide comportent presque toutes des éléments contraires à ce que j’ai lu dans les autres textes sur la pédagogie égalitaire. Premièrement, plusieurs activités mettent l’accent sur les différences entre les garçons et les filles, et renforcent les stéréotypes attribués à chaque genre. Deuxièmement, la vision du guide est complètement binaire. Un des slogans proposés à l’activité six est : « Les deux font la paire ». Puis, à l’activité trois, il est proposé que les enfants interviewent leur père et leur mère sur les tâches qu’ils accomplissent à la maison, ce qui, bien évidemment, contribue à stigmatiser les enfants qui grandissent au sein de familles non traditionnelles. On est très loin, ici, d’une pédagogie voulant encourager la diversité des modèles. De plus, aucune activité ne tient compte du concept d’intersectionnalité, incontournable aujourd’hui lorsqu’on aborde les questions de discrimination. Pour encourager des rapports égalitaires, il faut comprendre les mécanismes d’oppression des genres, mais aussi des classes et ethnies, entre autres. Et qui dit intersectionnalité dit aussi diversité. Il faut proposer des modèles de toutes sortes aux élèves et les encourager dans leur unicité, dans ce qu’ils sont vraiment.

En somme, ce document traite surtout des rapports visibles et évidents entre les garçons et les filles. Or, comme le disait Magar, ce sont les rapports invisibles et subtils qui sont les plus dangereux et c’est surtout ceux-là qu’il faut impérativement mettre en lumière. Je pense que ce guide est né d’une bonne intention, mais qu’il manque malheureusement complètement le bateau. D’ailleurs, quand on s’attarde à

la bibliographie du document, on constate que les sources sont toutes québécoises et la plupart — neuf sur onze — sont des publications gouvernementales. Peut-être que le ministère de l’Éducation gagnerait à ouvrir un peu ses horizons et à diversifier ses sources et, par la même occasion, ses savoirs et points de vue ?

CONCLUSION

Il y a encore beaucoup à faire pour atteindre l’égalité homme-femme dans le milieu de la musique au Québec. Ce n’est pas normal qu’en 2018, au gala de l’ADISQ, le seul trophée remporté par une femme soit celui d’une catégorie réservée spécifiquement aux femmes (Klô Pelgag a gagné le Félix de l’Interprète féminine de l’année). Toutefois, ce n’est pas seulement l’ADISQ qui est à blâmer, puisque l’Académie est le dernier maillon de la chaîne. Il faut regarder en amont.

Le système d’éducation a un rôle majeur à jouer dans l’accès aux carrières musicales pour les femmes. Le passage entre l’école et le milieu professionnel semble particulièrement critique. Aux États-Unis seulement 5,5 % des trombonistes d’orchestres professionnels sont des femmes (Tonelli, 2015, p. 27), alors qu’au primaire et au secondaire, le choix d’un instrument semble aujourd’hui moins tributaire des stéréotypes de genre. Ainsi, selon une récente étude menée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, 50 % des débutants en guitare sont des filles (Trendell, 2018). Compte tenu de cette différence statistique importante entre les réalités professionnelle et scolaire, comment encourager les jeunes

filles à accéder, après leur passage à l’école, à une pratique musicale professionnelle dans la même proportion que leurs homologues masculins ? Nous avons une réflexion collective à faire sur le sujet et en tant que pédagogues, je crois que nous avons une responsabilité vis-à-vis la relève musicale.

Dans cet article, j’ai attiré votre attention sur l’égalité en lien avec le choix d’instrument, mais je constate que les solutions proposées à la lumière de cette recherche s’appliquent à des enjeux beaucoup plus larges que la musique, comme d’entretenir des rapports plus égalitaires entre toutes les personnes, et de se libérer individuellement et collectivement des rôles et attentes dans lesquels les genres nous cantonnent. Une réforme des curricula s’impose donc pour ériger de nouveaux modèles, pour que les jeunes filles puissent s’y reconnaître et s’y référer, mais aussi pour que les garçons comprennent et reconnaissent leurs privilèges et modifient leur regard sur la place que devraient occuper les femmes, dans l’ensemble du milieu musical, mais aussi dans la société au complet. Il ne s’agit pas de culpabiliser qui que ce soit en regard de leurs avantages, mais simplement d’admettre qu’ils existent et de susciter l’empathie envers les personnes qui ne disposent pas des mêmes privilèges. Il est important que tous, garçons, filles et autres, comprennent comment et pourquoi nous en sommes là aujourd’hui, pour réveiller leur sentiment d’injustice et leur volonté de construire un monde plus égalitaire et harmonieux.

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RÉFÉRENCES

Abeles, H. (2009, juillet). Are Musical Instrument Gender Associations Changing? Journal of Research in Music Education, 57 (2), 127- 139.

Boulay, S. (2017, juin). Le sexisme dans l’industrie musicale. Huffpost. Consulté le 20 octobre 2018 à l’adresse : https://quebec.huffingtonpost.ca/les-soeurs-boulay/sexisme-industrie-musicale_b_16908932.html

Coeyman, B. (1996). Applications of Feminist Pedagogy to the College Music Major Curriculum: An Introduction to the Issues. College Music Symposium, 36, 73-90.

Gathen, K. (2014). Gender Bias and Music Education (mémoire de maîtrise inédite). Université du Delaware.

Gosselin, D. et Bernier, I. (2004). Filles et garçons… accordons-nous ! Guide pédagogique pour instaurer des rapports égalitaires entre les sexes au primaire. Consulté à l’adresse : http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/adaptation_serv_compl/SEC_RapportsEgal_19-7054.pdf

Gould, E. (2011). Feminist Imperative(s) in Music and Education: Philosophy, theory, or what matters most. Educational Philosophy and Theory, 43 (2), 130-147.

Gould, E. (2004). Feminist theory in music education research: grrl-illa games as nomadic practice (or how music education fell from grace), Music Education Research, 6 (1), 67-79.

Green, L. (1997). Music, gender, education. Cambridge : Cambridge University Press. Lamb, R. (1996, printemps). Discords : Feminist Pedagogy in Music Education. Theory Into Practice, 35 (2), 124-131.

Lamb, R. (1996, printemps). Discords : Feminist Pedagogy in Music Education. Theory Into Practice, 35 (2), 124-131.

Monnot, C. (2012). De la harpe au trombone : apprentissage instrumental et construction du genre. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Mosconi, N., Charron, H. et Magar, J. (2017). Genre et égalité à l’école : enjeux pratiques [panel]. Le Réseau québécois en études féministes. Consulté le 28 septembre 2018 à l’adresse : http://tv.uqam.ca/panel-genre-egalite-lecole-enjeux-pratiques

Tonelli, V. (2015, juillet). « It’s How We Play » : Professional Female Trombonists in the United States. International Trombone Association Journal, 43 (3), 26-30.

Trendell, A. (2018, octobre). Young women now make up 50% of new guitar players. NME. Consulté le 20 octobre 2018 à l’adresse : https://www.nme.com/news/music/females-now-make-50-per-cent-beginner-guitar-players-2390923#JYmtA0OcdPHpAdOQ.99

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Pour ce numéro de la revue Musique et pédagogie, nous vous présentons un livre de vulgarisation en musique,

Le cerveau & la musique : une odyssée fantastique d’art et de science écrit par Michel Rochon. Détenteur d’une formation en physiologie, Michel Rochon a œuvré pendant une trentaine d’années comme journaliste scientifique à Radio-Canada pour de nombreuses émissions, notamment pour Découverte, Enquête, La semaine verte et le Téléjournal. Il a aussi rédigé des articles pour diverses revues. Il est aujourd’hui chargé de cours en journalisme à l’Université du Québec à Montréal, et il exerce les fonctions d’animateur et de conférencier pour des événements scientifiques. Pianiste depuis sa plus tendre enfance, M. Rochon était en quelque sorte prédestiné à écrire un livre sur la musique. Il s’est ainsi intéressé aux aspects scientifiques de celle-ci. Dans cette chronique Musique et apprentissages, nous ferons donc un sommaire de ce livre paru en 2018.

Dans son livre, Michel Rochon fait un vaste survol de la littérature scientifique à travers plusieurs sujets reliés à la musique. Dans les premières pages de l’ouvrage, il s’intéresse à l’origine de l’audition au tout début de l’humanité. Il nous parle du système auditif des premiers êtres vivants sur terre, de la physiologie de l’oreille ainsi que des premiers scientifiques qui ont découvert le fonctionnement de l’audition. Viennent ensuite les études reliées à l’émergence de la musique et la naissance des premiers instruments de musique ainsi que des explications sur ce qu’est la musique : il vulgarise la consonance, la dissonance, les modes majeur et mineur, le rythme, la pulsation, le timbre et l’harmonie.

Une grande section sur le cerveau succède aux premiers chapitres. M. Rochon nous permet de comprendre comment le cerveau décode la musique et comment la musique agit dans le cerveau d’un musicien. Un chapitre est également dédié aux désordres de la musique, comme l’amusie; l’auteur nous présente particulièrement le travail d’Isabelle Peretz, spécialiste en neuro-cognition de la musique à l’Université de Montréal. C’est d’ailleurs à son livre Apprendre la musique que se consacrait notre dernière chronique Musique et apprentissages.

Dans son chapitre « Musique et médecine : depuis toujours », Michel Rochon met en relief le lien qui existe entre la médecine et la musique à travers l’histoire de plusieurs musiciens ayant des formations en médecine ou des médecins ayant des formations en musique. Dans son chapitre sur la musicothérapie, il discute des maladies telles que la maladie d’Alzheimer et le Parkinson, avec lesquelles la musique donne de bons résultats auprès des patients. Il explique de quelle manière les pédagogies Orff, Dalcroze et Kodaly permettent, par le biais de la musicothérapie, de bien répondre aux besoins des musicothérapeutes. Bien intéressant de constater qu’il n’y a pas qu’en éducation que ces pédagogies peuvent être utiles.

Enfin, il consacre ses derniers chapitres à la génétique de la musique, aux effets de la musique chez les animaux ainsi qu’à la musique et aux technologies.

En guise d’introduction à chaque chapitre, l’auteur nous ramène à ses propres expériences de vie du sujet abordé. Nous pouvons donc contextualiser ce qu’il nous

Chronique musique et apprentissages !V É R O N I Q U E G A B O U R Y , étudiante au doctorat en éducation musicale, Faculté de musique, Université Laval. J O N AT H A N B O L D U C , titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages, Professeur titulaire en éducation musicale au préscolaire et au primaire, Faculté de musique, Université Laval.

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expliquera par la suite. Par ses anecdotes, il nous permet de le découvrir ! À la fin de chaque chapitre, il nous invite vers divers liens à écouter et à lire en relation avec le thème abordé précédemment. Quelle belle manière d’approfondir les sujets traités.

Sans aucun doute, le livre de Michel Rochon vous en apprendra sur des facettes de la musique qui vous sont moins familières. Il permet de valider toute l’importance que la musique devrait avoir dans notre société à ceux qui n’en sont pas encore convaincus.

RÉFÉRENCES

Peretz, I. (2018). Apprendre la musique : nouvelles des neurosciences. Paris : Éditions Odile Jacob, 155 p.

Rochon, M. (2018). Le cerveau & la musique : une odyssée fantastique d’art et de science. Montréal : Les Éditions MultiMondes, 192 p.

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INTRODUCTION

L’expression « savoir insu »1, empruntée au champ psychanalytique, est mobilisée précisément dans cette contribution dans celui des apprentissages ce qui constitue une entrée peu coutumière dans l’étude des pratiques de formation. Cette expression est pourtant noyée au sein d’un nombre important d’autres termes ayant des liens de parenté indéniablement proches, mais se définissant ou s’utilisant alors différemment selon les théories et les systèmes de pensées auxquels ils se rapportent. Questionner les « savoirs insus » et leurs portées au sein des pratiques d’enseignement d’aujourd’hui vont certainement intéresser particulièrement les professionnels de l’éducation voulant revisiter les processus de formation à l’œuvre.

Nous faisons référence aux termes communément apparentés comme « déjà là », « presque là », « antécédents d’expérience », « savoirs d’expérience »,

« savoirs cachés », mais également ceux qui relèvent plutôt des attentes institutionnelles comme les « préacquis »2 et les « prérequis »3. Cette diversité de vocables dans le champ pédagogique constitue un milieu sémantique plutôt polysémique rendant laborieuse leur distinction sans en mobiliser, au préalable, les théories sous-jacentes auxquelles elles font référence. Cette contribution se donne non pas la mission de rendre compte de la place et du sens que chacune d’elles prend dans leurs théories correspondantes (nous ferons un article ultérieurement sous cet angle), mais bien de (re) considérer un allant en soi4 dans les pratiques enseignantes qui peut se formaliser dans ces termes : « la prise en compte des “savoirs insus” portés par les élèves à l’entrée en formation serait, pour la nouvelle génération, à reconsidérer en vue de les (re) faire dialoguer avec les “savoirs scolaires” d’aujourd’hui ». Plus particulièrement, il s’agirait de remettre en circulation et en réseau les savoirs acquis

(RE) considérer les « savoirs insus » élaborés en dehors des temps scolaires à l’entrée en formationM U R I E L D E LTA N D , titulaire du programme de formation en éducation musicale des futurs enseignants du primaire à la Haute École Bruxelles-Brabant et chercheuse permanente au Laboratoire CIREL, équipe Trigone, Université de Lille 1.

« Le savoir postmoderne n’est pas seulement l’instrument des pouvoirs. Il raffine notre sensibilité aux différences et renforce notre capacité de supporter l’incommensurable.

Lui-même ne trouve pas sa raison dans l’homologie des experts, mais dans la paralogie des inventeurs. ».

Lyotard, 1979, pp. 8-9

1Terme utilisé généralement en psychanalyse signifiant qu’une personne est porteuse d’un « savoir insu » dans son inconscient. Ce savoir, au sens psychanalytique, envisage que l’inconscient se présente lui-même comme un « savoir insu », voulant dire que quelque part la personne « le sait », mais n’envisage pas de le conscientiser. À titre d’exemple, citons le cas de Lucy R. extrait des travaux de Freud et Breuer (1952, p. 91). Freud interprète ce que vient de livrer Lucy en séance et celle-ci répond « je l’ignorais ou plutôt je ne voulais pas le savoir et je crois que j’y ai réussi ces temps derniers ». Concrètement, ces « savoirs insus » se manifestent dans la vie par des actes manqués, des lapsus, des rêves, etc. Le savoir renvoie alors à scio, scire (de l’inconscient) et Das Unbewusste et wissen (savoir insu). Dans cette contribution, nous questionnerons cette notion, non pas dans le champ de la psychanalyse, mais dans celui du pédagogique.

2L’utilisation du substantif « pré » indique un effet d’antériorité temporelle. Ainsi, par « préacquis » (parfois confondus avec des termes comme « préalables indispensables » ou à des « préapprentissages spécifiques »), il faut entendre ce qu’un apprenant maîtrise déjà à l’entrée en formation avant l’acquisition des nouveaux savoirs.

3Alors que les « prérequis » renvoient plutôt à ce que considèrent les enseignants sur la nécessaire maîtrise des connaissances ou compétences s’avérant décisives pour le niveau d’expérience qui sera mobilisé et considéré comme devant être en place préalablement. Comme indiqué plus haut, ces acquis initiaux fondent leurs origines dans les expériences antérieures que l’apprenant expérimente dans et hors d’une classe, ce qui renvoie aux « déjà là » (Meirieu, 2016).

4L’expression « allant en soi » se définit par ce qui est implicite ou sous-entendu, mais pas formalisé clairement, ce qui amène à le prendre comme tel, sans questionner ses soubassements et à quelles pratiques elle renvoie.

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qui échappent à l’apprenant et ne sont, de fait, pas encore assez mobilisables pour qu’ils soient envisagés comme des compétences (transversales5 ou disciplinaires). Cela interroge les processus de formalisation et de réappropriation de ces « savoirs insus » ainsi que leur accompagnement et leur place dans les espaces d’apprentissages scolaires. S’intéresser à ces types de savoirs qui échappent à l’élève comporte des enjeux sociaux (besoin de rendre accessibles ces savoirs élaborés en dehors de l’école, les démarches de réflexivité qu’ils nécessitent pour les comprendre et les faire émerger, etc.), mais aussi des enjeux techniques (spécificité et hétérogénéité des « savoirs insus ») et ceci dans chacune des disciplines d’apprentissage dont celles relevant de l’artistique qui fondent leurs apprentissages pour une bonne part sur le sensifié6, le réceptif et l’expérience en situation « en dehors des mots »7. Dans ces conditions et précisément dans le champ pédagogique, nous mobiliserons dans cette contribution la notion de « savoir insu » comme un savoir porté par l’apprenant (à qui il échappe) s’étant construit tout au long de son parcours de vie traversé par nombre de sphères (personnelle, familiale, culturelle, religieuse, etc.). L’ensemble des apprentissages construits en dehors du champ scolaire par un vécu multiréférentiel et requestionné par les enseignants pourrait permettre à chacun d’élaborer des ponts de signifiances entre les différentes dimensions identitaires et d’appartenance en vue de les décloisonner et de les faire dialoguer plus librement. Cette définition que nous proposons du « savoir insu » spécifique au champ pédagogique permettra certainement au lecteur d’avoir quelques repères sur l’orientation que nous

donnons à cette notion et vers quoi celle-ci nous dirige.

SAVOIR INSU AU CŒUR DES EXPÉRIENCES DE TOUS LES JOURS

Le (re) questionnement des « savoirs insus » construits patiemment en dehors d’une classe (Argyris et Schön, 2002 ; Senge et al., 2000) et leurs déterminations nous paraît important dans le champ pédagogique d’aujourd’hui, du fait qu’elle nous renvoie aux connaissances et aux aptitudes initiales déjà en place avant l’apprentissage proprement formel, mais restant dans l’ombre du fait de leur nature hors de la conscience. Les (re) faire dialoguer avec les savoirs scolaires permettrait à la fois aux apprenants de se sentir engagés, reconnus et valorisés dans les situations d’apprentissage tout en donnant l’occasion aux enseignants de compter sur certains préalables souvent inattendus à l’entrée en formation. Il s’agit de connaître leurs natures, leurs composantes et leurs apports à l’heure des grandes innovations technologiques, mais aussi de grands changements institutionnels et organisationnels du monde de l’éducation, d’autant plus que l’avancée des technologies dont les jeunes sont friands modifie les accès et les modes d’expérience alors que les politiques de l’éducation tardent à décloisonner les disciplines. Dans ces conditions et en ces temps institutionnels de changement, requestionner ce que sont aujourd’hui les « savoirs insus », à quelles expériences font-ils référence et sur quelle base peut-on les mobiliser dans le champ scolaire semble une direction intéressante, particulièrement pour la musique et la problématique des écarts entre ce qui est demandé comme maîtrise dans les institutions et la diversité des vécus

ou de son appauvrissement pouvant être considéré comme discriminatoire à l’entrée en formation.

Si nous y revenons dans cette contribution, c’est qu’en fonction des attentes institutionnelles contingentes et de la diversité des conceptions enseignantes, il s’avère que la question des compétences attendues et des savoirs disponibles à l’entrée en formation n’est pas forcément concomitante, particulièrement sur la question des contenus musicaux et des compétences estimées comme fondamentales à maîtriser avant de commencer un programme. L’une des orientations à envisager serait à la fois de se mettre d’accord sur ces fondamentaux disciplinaires tout en envisageant de les mettre en vis-à-vis avec les « savoirs insus » portés par les apprenants. Cette proposition est alors à contrario de ce que les béhavioristes envisageaient en considérant l’élève comme une sorte de vase vide qu’il faudrait remplir alors qu’ici, nous proposons de réinterroger les expériences antérieures hors du champ scolaire en les articulant avec les attendus institutionnels. Voilà qui nous conduit à interroger la notion d’expérience et en quoi celle-ci nous permet d’éclairer la question des « savoirs insus ».

QU’EST-CE QUE L’EXPÉRIENCE ET QUELLE EST SA RELATION AVEC LES SAVOIRS INSUS ?

Considérée sous son versant processuel, la notion d’expérience s’incarne pour l’apprenant par des actions vécues tout au long de son parcours de vie. Hors du champ scolaire et particulièrement mobilisées dans des situations de vie de tous les jours, les expériences sonores peuvent se monnayer

5Par compétences transversale, nous entendons l’ensemble des postures, attitudes et démarches communes à plusieurs disciplines visant à appréhender, alimenter et mettre en œuvre plusieurs savoirs, savoir-faire et savoir-être en vue de les monnayer en des réponses singulières à des situations d’apprentissage de manière autonome.

6Nous faisons référence ici à l’approche du sensible élaborée dans l’ouvrage écrit en 2012 intitulé « Musique de soi. Du sensible de soi au musicien révélé... Vers un renouveau des formes de biographisation », aux éditions Téraèdre (Deltand).

7Expression reprise de l’article écrit dans une revue en 2015 intitulé « Paroles sur soi et complexité des formes de biographisation » (Deltand).

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(Lafortune, Deaudelin, & Deslandes, 2001) en savoirs formels à l’école (pour autant qu’on y fasse appel), construits la plupart du temps dans les milieux de vie où une forme de transmission donne accès à une sélection d’expériences. Nous faisons allusion ici à l’exposition et à l’immersion quotidienne des oreilles à un environnement sonore hétéroclite par certains répertoires et réservoirs sonores véhiculés par des canaux de diffusion devenus ordinaires (publicité, radio, internet), mais aussi à certaines pratiques vocales ou instrumentales collectives (associations, événements annuels, lieux de culte) ou encore à une exposition passive ou active d’expressivités visuelles sur des supports publics pouvant parfois trouver des liens communs avec certaines caractéristiques du système de notation musicale (dessins, images, graffitis, tracés urbains, etc.). Il ne faut pas oublier aussi certaines pratiques individuelles sonores, ludiques et constantes, ou toute autre expérience pouvant placer une personne en relation avec des environnements sonores, visuels ou kinesthésiques non encore organisés.

Si ces expériences ne sont pas vraiment inconnues du monde de l’éducation, elles paraissent pourtant en retrait lors des formations du fait de la parcellisation des connaissances dans le champ scolaire qui est souvent identifiée comme un de ses effets néfastes et qui affecte particulièrement la mobilisation des « savoirs insus » dans l’apprentissage formel. Allier « savoirs insus » et « savoirs scolaires » demande d’articuler chacun en proposant une « transposition didactique » (Chevallard 1991) ouverte traduisant chacun des savoirs en savoirs d’apprentissage (Delbos et Jorion 1990). Mis en relation, ces savoirs peuvent alors

circuler librement et se rencontrer, pour ensuite dialoguer et s’imbriquer. Pour le dire autrement, mobiliser des expériences vécues construites hors du temps scolaire, c’est remettre au jour l’histoire personnelle de l’élève sous son versant expérientiel qui lui fait (re) vivre du vécu de nature musicale et qui alimente la richesse des activités menées par l’enseignant, notamment au moyen de réactivations des environnements, des lieux et des événements avec les dimensions individuelles, collectives et sociales qu’elles sous-tendent. La somme de ces expériences réactivées extraites des temps extrascolaires8 ou périscolaires9 constitue alors un socle de savoirs et d’acquis, développés dans des environnements de socialisation différenciés et qui peuvent donner l’occasion au pédagogique — sous certaines conditions d’accompagnement et d’étayage — de devenir de véritables apports aux apprentissages mettant en lumière ces savoirs qui, jusque-là, étaient restés dans l’ombre. Reste à l’enseignant à engager un processus de reconnaissance et de formalisation de ces savoirs afin de donner l’occasion à l’apprenant d’aller les chercher et de les enrichir de nouvelles potentialités dans un espace commun.

Sur le plan concret, si les expériences vécues sont souvent partagées entre enfants et adolescents, elles échappent pour la plupart aux autres du fait qu’elles sont en dehors des environnements de socialisation formels. De fait, les enseignants constatent rapidement la diversité des cultures musicales et, inévitablement, les écarts et les inégalités10 marquées (lire à ce sujet les travaux de Reeh, 2017) du fait de la diversité des parcours et de la variabilité des antécédents d’expériences qui forment un réseau complexe où se croisent anciennes et

nouvelles connaissances.

Avec leur approche socioconstructiviste interactive, Jonnaert et Vander Borght (1999, p. 29) estiment qu’un apprenant « apprend en organisant son monde en même temps qu’il s’organise lui-même ». Ayant traversé nombre d’expériences dans son parcours, l’apprenant a vécu celles-ci en incorporant implicitement des contenus qui ne demandent qu’à être mis au jour par des expériences en classe ; c’est particulièrement le cas pour la musique et ses dimensions sonore et environnementale. On pourrait rapprocher ces savoirs aux « savoirs pratiques », tel que définis par Malglaive (1993), qui renvoient aux différents savoirs qui conduisent l’action. Reconsidérer ces savoirs dans l’action est une piste d’intérêt pour tout enseignant qui met en place des dispositifs d’apprentissage (Lafortune, Deaudelin, & Deslandes, 2001).

SAVOIRS INSUS, EXPÉRIENCES MUSICALES ET CONDITIONS PÉDAGOGIQUES PRÉALABLES

Lors de dispositifs d’apprentissage, une expérience musicale est toujours située et mobilisée au sein d’intentions pédagogiques précises. Cela vient du fait que la musique (et ses différentes dimensions à développer) s’expérimente en situation construite en la monnayant en de véritables événements d’apprentissage pour l’apprenant. À la fois objet d’apprentissage et processus d’élaboration mobilisant les « savoirs insus », l’expérience musicale modifie, réagence, transforme ou remanie ceux qui la vivent tout en se laissant apparaître comme une sorte de mise en épreuve de soi par soi. C’est ce qui rend ce processus mutualisant. Mais quelles seraient les dimensions constitutives d’une expérience musicale pouvant construire des

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8L’extrascolaire renvoie aux périodes où les enfants sont hors des temps d’école (par exemple, les vacances scolaires).

9Le périscolaire renvoie aux temps qui ont lieu les jours d’école, mais avant ou après la classe (l’accueil du matin ou de la fin de journée par exemple).

10Les indicateurs sociologiques comme les origines sociales, culturelles ou linguistiques des apprenants notamment.

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connaissances, savoirs et compétences ?

Trois dimensions seraient particulièrement à l’œuvre pour allier les apprentissages opérés en dehors et dans la classe. Elles permettraient d’enrichir le réseau d’expériences musicales en faisant dialoguer les « savoirs insus » et les « savoirs scolaires » :

Dimension 1 : l’expérience musicienne par la pratique ayant la fonction de préfigurer et de structurer l’apprenant dans des actions sensifiées et éprouvées. La présence de cette pratique au cœur du processus musical serait la première clé de développement d’un dialogue entre « savoirs insus » et « savoirs scolaires » du fait que la pratique modalise l’objet musical par et pour l’apprenant (car c’est lui qui s’y adonne).

Dimension 2 : l’expérience comme diversité de situations d’apprentissage dans et en dehors de la classe. Ces expériences permettent à l’apprenant d’expérimenter les fondamentaux musicaux par un vécu corporel déjà éprouvé et de faire circuler la somme des acquis expérientiels de manière suffisamment ouverte pour dialoguer les « savoirs insus » et les « savoirs scolaires ».

Dimension 3 : l’expérience comme épreuve perceptive qui éprouve l’apprenant. L’expérience musicale, de par sa nature perceptive, renvoie à une expérience « originaire » au sens phénoménologique de Merleau-Ponty du fait qu’elle est […] antérieure à tout autre, mais précisément parce qu’elle en est l’origine (cité par Rezende Muniz, 1975, p. 453). S’éprouver par l’expérience permet d’enrichir le réservoir des « savoirs insus » (connaissances intuitives non conscientes) déjà bien alimenté et de les mobiliser au sein d’activités pédagogiques permettant à ceux-ci d’émerger de cette longue gestation (attente permettant de

les faire aboutir vers une conscientisation et au final, d’une formalisation).

Dans ces trois dimensions constitutives des apprentissages unissant savoirs en dehors et dans la classe, l’expérience musicale donne à vivre des actions qui permettent de constituer un réservoir de références musicales diversifiées. Allier les deux types de savoirs en envisageant le paradigme expérientiel comme fondement pédagogique conduit à la fois à reconsidérer la relation « théorie - pratique » dans les enseignements artistiques, mais demande également que quelques conditions soient mises en place par l’enseignant :

• La première condition serait de considérer un apprenant comme possédant une somme de « savoirs insus » construits tout au long de son parcours en leur donnant du poids, de l’importance et de la valeur lors des expériences menées en classe. Cela demande d’intensifier la place accordée à l’apprenant dans les dispositifs d’apprentissage, les relations d’attention et d’écoute active accordées ainsi qu’aux recueils des expériences antérieures émises en début de formation, afin d’installer un climat bienveillant. Dans sa fonction de pédagogue, l’enseignant joue un rôle fondamental dans ce recueil afin de les prendre en compte et de voir comment envisager de les allier dans les apprentissages visés.

• La seconde condition concerne plus particulièrement ce recueil des expériences antérieures à l’entrée en formation. Il s’agit de penser les modes, les formes et les formats de ce recueil afin de bien circonscrire ces « savoirs insus » et les expériences antérieures auxquelles ils font référence. Il faut aussi les comprendre, les analyser ou les requestionner au regard des attentes institutionnelles sans se sentir forcé de les impliquer tous. Les modes utilisés devront être inventifs, car ces savoirs sont inscrits dans un réservoir d’expériences dont la nature

relève de l’intuitif, du sensitif et certainement d’émotions souvent méconnues de l’apprenant lui-même.

• La troisième condition est l’élaboration des situations expérientielles proposées lors des apprentissages ou des formations qui donneront la possibilité à chaque apprenant de se saisir de ce qu’il porte tout en introduisant suffisamment d’éléments nouveaux pour qu’il les partage. Cette mise en lien (entre pairs principalement) permettra d’identifier, de reconnaître, et de réélaborer ces savoirs en les faisant dialoguer avec de nouvelles compétences. En partant du principe que les expériences antérieures sont relativement plastiques du fait de leurs potentialités et de leur appartenance à l’histoire personnelle, les nouvelles expériences proposées engendreront des résonnances ou des dissonances cognitivo-affectives suffisamment fortes et progressives qui permettront de faire cohabiter anciens et nouveaux savoirs, et cela même si la nature des « savoirs insus » n’est pas forcément en lien direct avec celle des nouveaux savoirs attendus.

• La dernière condition est la formalisation de ces « savoirs insus » en la situant dans un questionnement qui allie expérience en action et réflexion sur l’action (réflexivité). Ce processus d’action et de distanciation est vital pour faire émerger les « savoirs insus ». L’un ne va pas sans l’autre. Ainsi, en faisant dialoguer son expérience et ce qu’il tire comme enseignement de celle-ci, l’apprenant réactive son histoire, ses expériences, ses perspectives, ses intérêts, ses capacités et ses besoins en les faisant évoluer sous le meilleur angle possible. L’enseignant devrait veiller aux circonstances d’élaboration du processus tout en proposant des pratiques diversifiées en rapport avec le public et ses potentialités, afin d’éveiller la motivation, l’engagement et les implications de l’apprenant par les apprentissages du dispositif d’apprentissage et vers celui-ci.

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Ces quatre conditions nous conduisent à nous demander : comment engager l’ensemble des élèves d’une classe, alors que les « savoirs insus » renvoient à des écarts de connaissances, d’acquis et de compétences, au sein même d’un même espace pédagogique ?

SAVOIRS INSUS ET ESPACE D’APPRENTISSAGE COMMUN

Comment situer et engager l’ensemble des apprenants au sein d’un même espace en vue de faire dialoguer « savoirs insus » et « savoirs scolaires » ?

Une classe d’enseignement est un espace commun qui peut être envisagé comme une « zone proximale de développement » au sens des travaux de Vygotski (1997). La zone en question renvoie à un espace de « potentiels » réalistes d’apprentissage qui correspond aux possibilités de chaque apprenant composant le groupe tout en tenant compte des acquis antérieurs et de ceux visés. Le couplement du temps et de l’espace au sein de cette zone de développement permet aux différents savoirs de circuler en proposant le temps nécessaire pour mobiliser les expériences collectives et réélaborer les « savoirs insus » dans différentes situations pédagogiques. Cela laisse simultanément l’apprenant explorer la double dimension d’une expérience :

a) la dimension intersubjective de la communication dans la classe et de la construction du sens au sein des pratiques mobilisées, mais également la manière dont l’interaction se coconstruit au sein de l’espace classe où se croisent les deux types de savoirs, du fait que chaque apprenant porte des expériences antérieures qui lui sont propres, mais aussi communes avec les autres membres du

groupe en vue de proposer un « partage de la “vision” » (Victorri & Fuchs, 1996, p. 200) ;

b) la dimension intrasubjective où ces « savoirs insus » sont déjà présents, mais pas encore formellement émergés (gestation). Ces derniers sont mobilisés dans la pratique musicale en classe au sein d’actions pédagogiques qui font discourir les deux types de savoir, quels que soient les âges (enfants, adolescents ou adultes), la frontière séparant « savoirs insus » et « savoirs scolaires » demeurant, de fait, mouvante. La dimension intrasubjective permet d’envisager l’expérience sous différentes formes adaptatives, angles d’entrée ou déplacement d’enjeux.

Selon Vygotski (1934/2102 b, p. 242) « le seul bon enseignement est celui qui précède le développement » ce qui implique que l’enseignant donne « vie aux processus de développement qui doivent accomplir leur cycle afin de porter leurs fruits » (Vygotski, 1934/2012 b, p. 171). Il revient donc à chaque enseignant, dans sa fonction « d’agent de développement » selon l’expression donnée par Rivière, d’installer les conditions nécessaires pour que l’expérience musicale des apprenants puisse s’élaborer sous les trois dimensions proposées. De façon plus pratique, la zone proximale de développement des apprenants déterminera les apprentissages qui conviennent d’être développés (et pas l’inverse). C’est ce qui rend l’absence de prise en compte des « savoirs insus » actuellement difficile à gérer par les enseignants du fait que leur pédagogie « […] doit s’orienter non sur l’hier, mais sur le demain du développement11» (Vygotski, 1934/1997, pp. 356-357) tout en prenant en compte ce qui s’est élaboré

hier, mais qui n’est peut-être pas encore disponible au moment où on le convoque, d’autant plus que selon l’âge et les besoins, les réponses12 pédagogiques à apporter ne sont pas forcément identiques. Une certaine dose d’inventivité s’impose donc pour trouver un point d’équilibre entre expériences d’hier, expériences d’aujourd’hui et expériences qui viendront demain.

CONCLUSION

Si la prise en compte des « savoirs insus » à l’entrée en formation n’est pas neuve dans le champ de l’éducation, y revenir aujourd’hui semble particulièrement intéressant, surtout du fait que l’éducation est à un croisement que nous pourrions titrer comme « L’éducation : entre tradition et modernité, mais à quelles conditions ? ».

Ce titre est particulièrement intéressant à questionner pour les disciplines de la musique. Souvent demandeuses d’une somme de maîtrises, de connaissances spécifiques, d’usages implicites, de règles, de savoir-faire spécialisés et de savoir-être particuliers, les disciplines artistiques sont au croisement entre ce qui serait à considérer comme maîtrises musicales collectives de demain et ce qui relève de l’individuel et du singulier. Morin (1999) y voit une sorte de grand puzzle où il est bien difficile de faire s’accorder les pièces entre elles afin de faire apparaître l’image. Même si les traditions musicales portent en leur sein leurs propres logiques, leurs épistémologies et leurs systèmes culturels portent des attentes et des demandes, et la part singulière de chaque apprenant mise en relation avec ces traditions paraît toujours une piste à questionner, d’autant plus que chaque école de formation musicale porte en elle ses propres inclinaisons, ses propres

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11Vygotski élabore ses théoriques à propos de l’enfant (« développement enfantin »), mais dans la situation qui nous occupe, ce développement peut tout à fait se concevoir pour des apprenants d’âge du primaire, du secondaire ou du supérieur.

12À ce sujet, Vygotski (1934/2012 a, p. 131) insistait sur le fait qu’il est « difficile d’imaginer que le développement de l’homme au début de sa maturité (de 18 à 25 ans) soit conforme aux lois du développement de l’enfant » tout en restant peu illustratif sur la manière d’aborder cette différenciation de maturité au sein de cette zone proximale de développement.

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articulations et ses propres attentes, ce qui peut complexifier encore davantage l’accès et les liens vers une culture collective (Démounem et Astolfi, 1996). Voilà ce qui nous faire dire qu’il y a encore à approfondir et à alimenter deux niveaux :

Le niveau théorique : étant encore peu alimentés au niveau définitionnel, les « savoirs insus » vont demander aux

chercheurs de questionner cette notion dans le champ particulier de l’éducation musicale en revenant à la fois sur les théories et les pensées auxquelles elle se rapporte, et sur les épistémologies qui fondent les disciplines artistiques.

Le niveau des pratiques où l’expérience musicale n’est pas faite que d’une dichotomie entre pratiques institutives et maîtrises

techniques : l’une et l’autre s’interpénètrent en situation. Qu’en est-il de cette circulation des savoirs et de leurs mises en réseau ?

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