MUSIQUE - FAMEQ

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MUSIQUE PÉDAGOGIE&

1fameq.org | Volume 28 | numéro 3

ÉditeurFédération des Associations de Musiciens Éducateurs du Québec

Éditeur déléguéVincent Valentine, Ph.D.Professeur en pédagogie musicale, Département de musique, Université du Québec à Montréal. [email protected]

Coordination, administration et abonnement institutionnelMaryse ForandDirectrice générale de la FAMEQ. [email protected]

Révision linguistiqueAmélie BoisProfesseure de clarinette et assistante à la coordination, Cégep de Sainte-Foy.

Comité de lecture•LouisBrouillette,Ph.D.Enseignant de musique au primaire, Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke.

•NicoleBoivinEnseignante de musique au primaire, Commission scolaire des Navigateurs.

•MarcAndréDubéEnseignant de musique au secondaire, Commission scolaire des Découvreurs.

Comité scientifique•JonathanBolduc,Ph.D.Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages Professeur agrégé en éducation musicale au préscolaire et au primaire, Faculté de musique, Université Laval. Directeur du laboratoire Mus-Alpha.

•ThierryChamps,Ph.D. Professeur agrégé en pédagogie musicale, Département de musique, Université du

Québec à Montréal. Directeur de l’unité des programmes de 1er cycle.

•YvesdeChamplain,Ph.D. Professeur adjoint en éducation, Secteur Administration, Arts et Sciences humaines,

Université de Moncton, Campus de Shippagan.

•MurielDeltand,Ph.D. Enseignante chercheuse qualifiée en Art (section 18) et en Sciences Psychologiques et

de l’éducation (section 70) – CNU (France). Chercheuse permanente du laboratoire CIREL, équipe Trigone (EA 4354), Université de Lille 1 (France). Titulaire du programme de formation en éducation musicale des futurs enseignants du primaire, Haute Ecole de Bruxelles, département pédagogique (Belgique). Didacticienne des Arts et coréférence du pôle éveil, Haute École de Bruxelles, département pédagogique (Belgique). Conférencière dans les Ecoles Supérieures des Arts belges.

Musique et pédagogie accepte la soumission de textes et de photos, selon les conditions énoncées sur le site www.fameq.org Les textes publiés présentent l’opinion de leurs auteurs et n’engagent pas la FAMEQ.

Dépôt légal: ISSN 0841 9428

sommaire Mot de la présidente

Par Hélène Laliberté 2

noUVelles de la reCHerCHe

Célébrons la première Chaire de recherche du Canada dédiée à l’éducation musicale Par Robert Rousseau 4

La réalisation d’une comédie musicale : une approche interdisciplinaire à promouvoir au primaire Par Jonathan Bolduc, Carole Fleuret et Stéphanie Boisvert 6

ContriBUtions étUdiantes

L’oreille absolue : innée ou acquise ? Par Iryna Peredero 13

Partenariat FAMEQ-SQRM pour le prix de vulgarisation scientifique 2014 Par Isabelle Héroux 19

La communication des émotions en musique Par Olivier Gagnon 20

inForMation

Contes et légendes : une plongée à l’intérieur d’un cheminement créatif Par Louis Babin 22

L’École de musique Vincent-d’Indy : un tournant majeur dans l’offre pédagogique Par Jessica Beauregard 25

West Side Story : la convergence des compétences artistiques Par Philippe Ménard 28

Mémoire de la FAMEQ déposé au Conseil supérieur de l’éducation Par Hélène Laliberté 30

Contribuer à la revue Musique et pédagogie 35

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Motdelaprésidente

H É L È N E L A L I B E R T É Présidente de la FAMEQ

Crédit photo : Laurence Labat

nous voilà déjà à la période des vacances estivales. Plusieurs d’entre vous en profiteront pour changer de

rythme et refaire le plein d’énergie, ce qui est nécessaire après dix mois de dur labeur.

Le changement de gouvernement nous force à reprendre nos démarches pour l’obtention d’une application plus rigoureuse du régime pédagogique. Les progrès réalisés avec madame Catherine dupont pour retrouver les 100 heures d’enseignement de la musique au deuxième cycle du secondaire et pour permettre la continuité au primaire et au secondaire sont peut-être déjà relégués aux oubliettes.

Je continue d’espérer que le domaine des arts reçoive une attention particulière du nouveau gouvernement libéral, tant du côté du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport que de celui du ministère de la Culture. De son côté, la FAMEQ demeure vigilante et active pour que la musique continue d’être un facteur de réussite important pour les élèves des écoles québécoises où on offre encore, malgré des conditions diminuées, un programme de musique.

À mes yeux, les projets particuliers en musique font figure de proue dans un contexte où l’anglais et l’éducation physique se présentent désormais comme des matières incontournables dans la formation des futurs citoyens. Nous constatons actuellement l’insistance des décideurs à vouloir augmenter le temps d’enseignement de ces disciplines, ce qui rendrait la grille-matières encore plus déséquilibrée. Les programmes enrichis en musique deviennent alors l’occasion de démontrer les bienfaits de la musique sur les apprentissages et la motivation des élèves.

Voilà pourquoi la FAMEQ a choisi de maintenir le comité chargé d’aider les écoles qui offrent ces programmes. Les travaux sont menés par Josée Crête, enseignante à l’école secondaire Le boisé de Victoriaville. Jean-François laprise, président de la FAMEQ Association-Québec-Chaudières-Appalaches et enseignant à la Commission scolaire des Premières-Seigneuries, représente la FAMEQ sur ce comité. L’appellation officielle est Regroupement FAMEQ des projets particuliers en musique reconnus par le MELS. Une rencontre s’est tenue début mai avec les responsables au ministère afin de faire le point sur la situation et d’établir un plan de travail. On peut dire que la démarche est sérieuse, organisée et féconde. R

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H É L È N E L A L I B E R T É , Présidente de la FAMEQ.

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M OT D E L A P R É S I D E N T E

Le comité organisateur du congrès 2014 est en pleine action. Le thème « On est là… pour la musique » fait référence au rôle crucial joué par les enseignants de musique dans leur milieu. La région de la Mauricie accueillera chaleureusement les congressistes du 27 au 29 novembre 2014 à l’Hôtel Delta de Trois-Rivières. Des ateliers sur des thèmes variés, des tables rondes, des exposants, des pauses musicales sont à l’affiche. Il faut surveiller notre site http://www.fameq.org/programme-du-congres-2014 pour obtenir davantage de précisions.

Le Grand concert FAMEQ se tiendra le vendredi 28 novembre à 20 h, à la salle J.A.-Thomson de Trois-Rivières. La direction artistique sera assurée par patrice lauzon, enseignant à l’école secondaire Des Pionniers de la Commission scolaire du Chemin-du-Roy. Monsieur lauzon vous promet un programme représentatif de la richesse de l’éducation musicale des deux côtés du Pont Laviolette. Il partagera la direction de l’Harmonie FAMEQ 2014 avec Jonathan dagenais qui dirigera entre autres Contes et légendes, une création du compositeur louis Babin.

Le congrès annuel, une occasion de ressourcement et d’échanges entre collègues, doit être envisagé comme un maillon important de votre démarche de formation continue. Le Conseil Supérieur de l’Éducation vient justement de publier, le 3 juin dernier, un avis au ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport ayant pour titre « Le développement professionnel, un enrichissement pour toute la profession enseignante ». Le Conseil considère que l’enseignant doit s’engager dans une démarche planifiée de développement professionnel tout au long de sa carrière. Le milieu de l’éducation est en constante évolution et exige une mise à niveau continuelle des compétences professionnelles. Le texte complet de l’avis est accessible sur le site web du Conseil supérieur de l’éducation à l’adresse suivante: http://www.cse.gouv.qc.ca

Il me reste à vous souhaiter du bon temps lors de la lecture de ce numéro estival. Je vous souhaite aussi de très belles vacances, ensoleillées et reposantes !

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CélébronslapremièreChairederechercheduCanada dédiée à l’éducation musicale

N O U V E L L E S D E L A R E C H E R C H E

R O B E R T R O U S S E A U , Doyen de la Faculté de musique, Université Laval.

Après un processus de sélection national des plus rigoureux, le gouvernement canadien

annonçait, au début du mois de novembre 2013, l’octroi de la première Chaire de recherche

du Canada consacrée à l’éducation musicale. Cette chaire a été attribuée à monsieur

Jonathan Bolduc, professeur agrégé en éducation musicale au préscolaire et au primaire à la

Faculté de musique de l’Université Laval.

le Programme des chaires de recherche du Canada vise à attirer et à retenir certains des chercheurs les

plus accomplis ou parmi les prometteurs au monde. En tant que titulaire de cette chaire, le professeur Bolduc bénéficie d’un financement de 100 000$ par année pour les cinq prochaines années afin d’assurer la vitalité de la recherche en éducation musicale au Québec.

La Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissage a pour but de démontrer la valeur de l’éducation musicale en milieu scolaire. Dans son programme de recherche, le professeur Bolduc étudie plus spécifiquement l’impact de l’apprentissage musical sur la réussite scolaire en lecture, en écriture et en mathématiques au cours de la petite enfance et de l’enfance. Nous sommes convaincus que ses travaux contribueront à stimuler l’intérêt pour la musique en milieu scolaire.

Ses travaux s’articulent autour de trois pôles. Le premier documente les processus cognitifs sous-jacents au traitement des informations musicale, langagière et mathématique. Le second examine l’influence de l’éducation musicale sur la réussite scolaire. Le troisième établit des liens avec les recherches menées en neurosciences, en particulier celles qui traitent de la plasticité cérébrale. Ce programme de recherche vise à rejoindre à la fois les membres de la communauté

scientifique, les membres de la communauté professionnelle et le public intéressé par le développement des enfants de 0 à 12 ans.

Quatre voies seront privilégiées pour la diffusion des résultats : la publication d’articles, la participation à des colloques et à des congrès, la création d’une plateforme Web et la préparation de matériel pédagogique.

La publication d’articles se fera dans des revues savantes pour rejoindre la communauté scientifique, dans des revues professionnelles pour rejoindre le milieu scolaire et dans les médias de masse pour rejoindre les parents et le public en général.

La participation à des rencontres scientifiques nationales et internationales sera l’occasion de présenter les données des différentes recherches à la communauté scientifique. Pour enrichir les pratiques éducatives, des interventions seront aussi faites lors de congrès professionnels et de conférences grand public.

Le site www.mus-alpha.com permettra aux personnes intéressées de consulter une banque d’articles scientifiques et professionnels, de voir les projets en cours, de s’inscrire à des ateliers professionnels, de visionner des vidéo et de poser des questions aux spécialistes sur un forum de discussion. R

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Comme ce programme de recherche vise un transfert des connaissances vers le milieu scolaire, les résultats des travaux de recherches seront réinvestis dans la préparation de matériel pédagogique permettant d’améliorer les niveaux de littératie et de numératie des élèves.

Enfin, cette chaire de recherche donnera les moyens au professeur Bolduc d’établir des collaborations fructueuses avec des chercheurs de l’Université Laval et d’autres universités canadiennes ou extérieures au Canada qui partagent des objectifs de recherches similaires ou complémentaires.

Toutes nos félicitations au professeur Jonathan Bolduc !

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Laréalisationd’unecomédiemusicale: uneapprocheinterdisciplinaireàpromouvoirauprimaireJ O N AT H A N B O L D U C , titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages, professeur agrégé à la

Faculté de musique, Université Laval.C A R O L E F L E U R E T , professeure à la Faculté d’éducation, Université d’Ottawa.S T É P H A N I E B O I S V E R T , doctorante en éducation musicale, Université Laval.

Que pouvons-nous faire pour améliorer cette situation ? Des recherches menées au cours des

10 dernières années ont démontré que la réalisation de projets interdisciplinaires est une façon novatrice de rallier les élèves, peu importe leurs profils (Mor an, 2010). De plus, plusieurs de ces projets interdisciplinaires intègrent la musique, une discipline reconnue

pour favoriser l’apprentissage dans plusieurs domaines de développement (langues, mathématique, socialisation, etc.) (Bolduc & Lessard, 2010).

Dans le cadre de cet article, nous présenterons les résultats d’une recherche-action menée en collaboration avec une enseignante titulaire de sixième année dans

une école francophone de l’Ontario. Notre objectif est de documenter l’expérience qu’elle a vécue lors de la réalisation d’une comédie musicale. Par l’entremise d’une démarche qualitative, deux thèmes seront approfondis, à savoir 1) l’engagement des élèves et les retombées du projet et 2) les liens interdisciplinaires établis avec les autres matières par l’enseignante. R

En tant qu’enseignant, l’un de nos souhaits les plus chers est que nos élèves réussissent. Cependant, cet idéal ne semble pas à la portée de

tous les enfants. Des statistiques révèlent qu’environ le quart des élèves au primaire éprouvent des difficultés qui peuvent entraîner l’échec,

voire même le décrochage scolaire (Pilon-Larose, 2013). Diverses causes y seraient associées, dont des troubles d’apprentissage ou du

comportement. D’autres facteurs, telle une faible motivation intrinsèque, auraient une incidence chez plusieurs jeunes apprenants, et ce, dès la

période préscolaire (Bouffard, Brodeur & Vezeau, 2011).

Jonathan Bolduc Carole Fleuret Stéphanie Boisvert

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Cadre de reCHerCHe

L’approche interdisciplinaire

L’expression « approche interdisciplinaire » est utilisée lorsque des relations sont établies entre deux ou plusieurs disciplines scolaires. Pour plusieurs auteurs et chercheurs, l’interdisciplinarité scolaire est une approche qui facilite l’intégration des savoirs par l’élève (Erickson, 1996; Lowe, 1995, 1998). Les travaux menés par Miller, Cassie et Drake (1990) ont révélé que les programmes d’études interdisciplinaires sont plus efficaces que les programmes intradisciplinaires1, car ils permettent d’éviter la fragmentation des apprentissages et, par conséquent, la surinformation.

Selon Frodeman, Klein, Mitchan et Holbrook (2010), l’approche interdisciplinaire met aussi à la disposition des élèves tous les outils nécessaires pour interpréter le sens de leurs réalités et de leurs apprentissages. Cela les amène à développer des habiletés dans un contexte qui est significatif pour eux. Afin d’éclairer ces propos, Lowe (2002) donne l’exemple d’un élève qui prépare un exposé oral sur la violence à l’école. En se référant aux différentes notions qu’il a apprises antérieurement, l’élève est appelé à explorer, à analyser et à sélectionner les informations pertinentes. Il apprend ainsi à appliquer ses connaissances pour réaliser une nouvelle tâche : en d’autres termes, il est capable de transférer ses savoirs.

Par ailleurs, d’un point de vue éducatif, Marrin (1995) a constaté que les enseignants privilégiant une approche interdisciplinaire favorisent une pédagogie plus active en utilisant, en complément aux manuels scolaires, une plus grande variété

de supports didactiques. L’interdisciplinarité scolaire permet donc aux élèves d’utiliser des connaissances acquises dans plusieurs matières, et ce, dans une variété de situations pédagogiques (Erickson, 1996; Richards, 1996). Ainsi, l’ensemble des disciplines qui sont enseignées à l’école est valorisé.

Enfin, un nombre important de chercheurs considère que l’interdisciplinarité est une approche centrée sur l’apprenant plutôt que sur la matière (Marrin, 1995; Moran, 2010). Selon eux, l’enseignant doit privilégier l’intégration des savoirs, c’est-à-dire permettre à l’élève de développer des stratégies l’amenant à établir des liens entre les notions apprises dans chaque matière scolaire. Comme le précise Lowe (2002), « la place qu’occupe le processus d’apprentissage [...], de même que celle des modes et des styles d’apprentissage, est aussi importante dans la réalisation des plans de cours que le contenu lui-même » (p.5). Qui plus est, il a été démontré que l’approche interdisciplinaire renforce les liens sociaux et favorise la coopération entre les pairs (Richards, 1996). Elle contribue également au développement de capacités cognitives supérieures, telles que la pensée critique, l’esprit de synthèse et la mémoire conceptuelle (Erickson, 1996; Klein, 1998).

L’apport de l’éducation musicale

Il existe un corps de savoir solide qui démontre qu’apprendre la musique aide à mieux réussir à l’école. En effet, des recherches fondamentales ont révélé que l’écoute et la pratique musicales stimulent un grand nombre d’aires cérébrales (Wan & Schlaug, 2010). Elles dynamisent l’ensemble des opérations cognitives nécessaires à la réception et à l’analyse de stimuli sonores

en plus d’améliorer les capacités mnésiques (Franklin, Moore, Yip, Jonides et al., 2008; Ho, Cheung & Chan, 2003).

Au cours des 15 dernières années, plusieurs études ont démontré les bénéfices de l’apprentissage de la musique sur le développement d’habiletés scolaires. Dans le cadre de l’analyse de deux études à grande échelle réalisées aux États-Unis, Southgate et Roscino (2009) ont remarqué que les enfants qui fréquentent des écoles qui offrent des programmes d’éducation musicale obtiennent des résultats supérieurs aux épreuves nationales de lecture. Des recherches expérimentales menées dès la première année du primaire ont aussi révélé que la participation à des programmes de musique améliore la fluidité et la compréhension en lecture, ainsi que l’habileté à retenir de nouveaux mots et des séquences verbales (Cardarelli, 2003; Fisher, 2001; Piro & Ortiz, 2009).

Dans sa thèse de doctorat réalisée auprès d’élèves du Québec, Lessard (2012) a également constaté qu’un programme de musique qui intègre des activités de lecture de textes accroît significativement le vocabulaire réceptif. Enfin, une équipe de chercheurs canadiens (Moreno, Bialystok, Barac, Schellenberg et al., 2011) a démontré que l’apprentissage de la musique contribue davantage au développement langagier comparativement à d’autres interventions ciblées, comme les arts visuels. Une période aussi courte que six mois de pratique musicale serait suffisante pour observer des changements significatifs sur le plan cérébral.

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1 Selon Legendre (1993, p. 759), l’intradisciplinarité est « une approche monodisciplinaire de l’enseignement où l’agencement de contenus respecte la logique de la discipline ou de la matière tout en visant à intégrer les composantes en un tout cohérent. »

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Du point de vue extrascolaire, des recherches ont mis en évidence les bénéfices de l’éducation musicale sur le développement des compétences sociales. La littérature scientifique démontre que l’apprentissage de la musique, même à un jeune âge, a des retombées notables sur les interactions avec les pairs (Flohr, 2004; Lobo, & Winsler, 2006; Warner, 1999), sur la facilité à exprimer ses sentiments et sur la facilité à faire connaître ses goûts et préférences (McPherson, 2006; Temmerman, 2000). Dans ces recensions d’études, nous constatons que la corrélation est plus forte lorsque des activités musicales sont proposées, comparativement à d’autres programmes (jeux libres, sport, informatique).

Pour ce qui est des recherches quasi expérimentales, elles sont encore peu nombreuses. Toutefois, des travaux de grandes envergure ont indiqué que des programmes d’éducation musicale active, en référence aux approches Orff et Kodaly, sont plus stimulants que des programmes basés sur l’écoute musicale, communément nommés « apprentissage passif » (de Vries, 2004; Ducenne, 2005; Littleton, 1998). Enfin, la participation à une chorale ou à un orchestre à vent favoriserait la collaboration et la coopération (Ester & Turner, 2009; Olson, 2009).

Tout compte fait, les recherches ci-dessus révèlent que la musique peut contribuer à plusieurs apprentissages scolaires et extrascolaires. Dans le cadre de projets interdisciplinaires, la musique constitue un élément appréciable, un terreau fertile; elle

offrirait la possibilité à l’élève d’acquérir différents savoir-être et savoir-faire.

BUt et oBJeCtiF de la reCHerCHe

Cette recherche a pour but de documenter l’expérience vécue par une enseignante titulaire lors de la réalisation d’un projet de comédie musicale avec ses 54 élèves de sixième année d’une école francophone de l’Ontario. D’une façon plus spécifique, l’objectif de cette recherche est de décrire 1) l’engagement des élèves et les retombées du projet et 2) les liens interdisciplinaires établis par l’enseignante avec les autres matières.

MétHodoloGie

Approche

Cette recherche-action mise sur une collaboration étroite entre l’équipe de recherche et le milieu (conseil scolaire et enseignante). Une relation égalitaire a permis d’examiner l’expérience vécue en contexte scolaire et d’entreprendre une démarche d’évaluation et de réflexion à cet égard. Comme le précise Van Trier (1980), la recherche-action « engendre un processus de communication ayant des effets pragmatiques aussi bien sur les participants que sur le contexte social de la recherche » (p.79).

Procédures déontologiques et sélection de l’enseignante

Afin de répondre aux exigences éthiques de la recherche, l’approbation déontologique du Comité de recherche de l’Université d’Ottawa et celle du comité éthique du Conseil des écoles publiques de l’Est de

l’Ontario (CEPEO) ont d’abord été obtenues. Quatre enseignantes titulaires de sixième année - reconnues pour l’excellence de leurs pratiques pédagogiques - ont ensuite été recommandées par le CEPEO. Ces dernières ont reçu une lettre d’informations, un formulaire de consentement, ainsi qu’un court questionnaire à remplir (8 questions). Trois d’entre elles ont signifié leur intérêt. Une de ces trois enseignantes a été sélectionnée en tenant compte des deux facteurs suivants : 1) l’importance accordée à l’interdisciplinarité et 2) les pratiques en éducation artistique (musique).

Profil de l’enseignante sélectionnée

L’enseignante titulaire2 sélectionnée possédait plus de 15 années d’expérience au primaire. Elle avait précédemment œuvré dans le milieu artistique (théâtre). Selon le conseil scolaire, cette enseignante, que nous prénommerons Marie, se distinguait par son dynamisme et son engagement social. Elle a d’ailleurs reçu un prix à cet égard en 2012.

Marie collaborait à une formule de « partage des matières » avec une collègue : elle enseignait la littératie (lecture-écriture), l’étude sociale et l’éducation artistique, alors que sa consœur était chargée des mathématiques, des sciences et des technologies. Marie était donc coresponsable de deux groupes de sixième année (n=27 chacun). L’école où travaillait Marie comptait 32% d’élèves faisant partie de ménages à faible revenu. Le français était la langue maternelle de 39% des élèves. La moitié des parents des élèves avaient fait des études universitaires. R

N O U V E L L E S D E L A R E C H E R C H E

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2 Au même titre que l’instituteur, l’enseignante titulaire est responsable d’une classe et assure l’enseignement des différentes matières, y compris les matières artistiques.

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D’après les réponses qu’elle a fournies dans son questionnaire, Marie se décrit à la fois comme une artiste et une pédagogue. Elle considère avoir des connaissances musicales de base. Avec ses élèves, elle mise sur des situations d’apprentissage qui encouragent la découverte et l’expérimentation. Elle avoue accorder beaucoup d’importance à la créativité. Marie réalise annuellement plusieurs activités interdisciplinaires qui combinent tous les domaines d’apprentissage qu’elle enseigne (littératie, étude sociale, éducation artistique). Elle s’inspire des intérêts de ses élèves pour les motiver à apprendre et à mieux réussir sur le plan scolaire. Le respect et la confiance sont des valeurs importantes que Marie promeut afin d’amener ses élèves à forger leur identité personnelle et à développer leur autonomie.

Déroulement de la recherche

Marie s’est investie dans ce projet interdisciplinaire avec ses 54 élèves pendant 25 semaines (de septembre 2011 à mars 2012). De deux à cinq heures par semaine y ont été consacrées. Les deux groupes de sixième année ont participé à un cours de musique au laboratoire Mus-Alpha de l’Université d’Ottawa chaque semaine afin d’acquérir les compétences musicales nécessaires pour réaliser la comédie musicale. La comédie musicale a été choisie parce qu’elle était adaptée au milieu scolaire et rejoignait les intérêts des enfants.

Dans la perspective d’une recherche-action basée sur l’interdisciplinarité, les cours de musique ont été donnés aux élèves par le chercheur spécialiste en éducation musicale. Marie participait aussi activement à ce processus en proposant une variété d’activités complémentaires en classe pour

entre autres apprendre les textes et les chants, s’approprier les rôles, concevoir les décors et voir à la publicité de l’événement. Ces collaborations avaient pour but de mettre en contexte tous les apprentissages réalisés. Pour l’enseignante comme pour les élèves, ce projet interdisciplinaire était considéré comme « la réalisation majeure » de l’année.

Mesures

Afin d’assurer la triangulation des données, trois types de mesures ont été privilégiées. Dans un premier temps, un entretien semi-directif a été réalisé au début et à la fin de la recherche avec Marie. Celui-ci comprenait essentiellement des questions ouvertes et semi-ouvertes liées aux deux thèmes de la recherche. Chaque entretien, d’une durée approximative de 45 minutes, a été enregistré et retranscrit.

Dans un deuxième temps, Marie a rempli un journal de bord tout au long de la recherche. Chaque semaine, trois questions étaient posées à l’enseignante pour 1) documenter les apports pédagogiques du projet chaque semaine, 2) décrire les interactions entre les élèves et 3) examiner le rapport à la langue française des élèves. Les données ont été colligées et remises aux chercheurs à la fin du projet.

Dans un troisième temps, quatre observations de 45 minutes ont été menées in situ. Les chercheurs ont observé Marie et ses élèves à des moments clés du projet. La première observation a eu lieu lors de la conceptualisation du projet en début d’année scolaire (octobre). La deuxième et la troisième furent effectuées lors des répétitions de la comédie musicale (décembre, février). Enfin, la quatrième observation a été réalisée

quelque temps avant la générale et les représentations (mars). Les faits marquants ont été colligés à l’écrit par les chercheurs afin d’enrichir les mesures précédentes.

Analyse

L’ensemble des données a fait l’objet d’analyses de contenu, validées par des accords inter-juges. Cette procédure a été privilégiée afin de rapporter le plus objectivement possible les propos de Marie et de minimiser d’éventuels biais (Mucchielli, 2009). La transcription, le codage et la catégorisation ont permis de faire ressortir les données qui étaient les plus significatives afin d’assurer une interprétation juste et rigoureuse du corpus étudié. Le traitement a été réalisé à l’aide du logiciel d’analyse qualitative NVivo 9.

Limites

À juste titre, le fait que cette recherche n’ait été menée qu’auprès d’une seule participante constitue une limite. Il n’existe aucune possibilité de généraliser les résultats sur la base de ce seul cas, car le processus de sélection a dressé un profil très particulier de l’enseignante. Néanmoins, le travail reconnu de cette enseignante ainsi que la pertinence de ses témoignages et de ses écrits pourront servir de fondements à d’autres études de nature qualitative en éducation musicale. Du point de vue de l’analyse, les données doivent également être considérées avec une certaine prudence. En effet, l’analyse de contenu est essentiellement fondée sur la déduction et l’inférence. À cet égard, Bardin (1986) fait remarquer que cela représente un effort d’interprétation qui oscille entre deux pôles : d’un côté, la rigueur de l’objectivité, de l’autre, la fécondité de la subjectivité. R

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résUltats

L’engagement des élèves et les retombées du projet

D’entrée de jeu, lors du premier entretien, Marie a dit sentir un grand intérêt chez ses élèves. Selon elle, de nombreux facteurs motivaient ses deux groupes de sixième année : le fait de prendre part à un projet inédit à l’école, de collaborer à toutes les étapes de la réalisation et la chance d’offrir une série de représentations à leurs parents et amis, ainsi qu’à la communauté scolaire. D’ores et déjà, Marie anticipait des retombées importantes qui allaient au-delà des apprentissages scolaires :

[…] Pour moi, le projet de comédie musicale sera une façon d’encourager la coopération et l’autonomie. Ce sont des compétences essentielles à acquérir à l’aube du secondaire. Déjà, si cela est atteint, je serai satisfaite. Ça serait un bout de chemin de fait […].

Le journal de bord de Marie nous a fourni de nombreuses informations à propos de l’engagement des élèves. L’enseignante a observé trois grandes phases. D’abord, une phase de nouveautés où les enfants ont découvert les différentes composantes du projet (apprentissage des chants et des musiques, caractéristiques des personnages, déroulement de la comédie musicale, etc.). Ensuite, une phase stagnante où les enfants démontraient moins d’intérêt et d’engouement envers le projet (répétitions intensives en musique, mise en scène). Enfin, une phase d’effervescence est venue (re)motiver les troupes (dévoilement des costumes, impression des billets et de l’affiche, annonces officielles dans les médias). Cela les a menés vers leur but ultime : les représentations. Nos observations

in situ corroborent les propos de Marie. À l’instar de l’enseignante, nous avons constaté que la phase d’effervescence fut la plus intense pour les élèves, suivie de celle de nouveautés. Lors de l’entretien réalisé à la fin du projet, Marie a d’ailleurs eu cette phrase marquante qui résume très bien l’engagement de ses élèves :

[…] Cette année, mes deux groupes n’étaient pas faciles, mais ils ont réussi à créer une cohésion entre eux. J’ai vu des enfants s’investir comme jamais pour arriver au produit final. Même si j’y croyais, je ne pensais jamais qu’un projet de comédie musicale aurait un effet comme celui-là. Je ne suis pas musicienne, mais j’aimerais tellement que mes élèves de l’an prochain puissent vivre une expérience semblable, ne serait-ce pour qu’ils apprennent où l’engagement personnel et le travail d’équipe peuvent les mener […]

Les retombées du projet ont été notées dans le journal de bord et discutées lors de l’entretien à la fin du projet. Marie considère que ses attentes ont été surpassées. Sur le plan scolaire, elle a remarqué des améliorations en communication orale et en lecture chez plusieurs élèves.

[…] J’ai un côté artiste et c’est sûr que je crois à l’importance des arts. Toutefois, je ne me serais pas avancée sur l’impact qu’aurait pu avoir ce projet en musique dans mes classes. Des enfants qui avaient de la difficulté à organiser leurs pensées, à prendre la parole et à lire des textes simples ont fait des progrès majeurs. Quand j’en parle avec mes collègues de 5e année qui connaissent ces enfants, elles n’en reviennent pas […].

Par ailleurs, Marie a fait un retour sur les retombées qu’elle anticipait au tout début du projet. Pour elle, les plus grands apprentissages ont été observés sur le plan humain. La réalisation d’un projet interdisciplinaire semblable nécessite un travail d’équipe et encourage le développement des compétences sociales.

[…] Au début, je me souviens d’avoir parlé de coopération. Je crois que ça a fonctionné. Des élèves m’ont dit que c’était la première fois qu’ils parlaient à d’autres élèves de la classe depuis la première année du primaire. À travers ce projet, j’ai vu toute une progression et des changements d’attitudes. On avait tous un but commun. Le respect et l’acceptation, c’est ce que je retiens davantage… […].

En somme, les entretiens, le journal de bord et nos observations mènent vers un constat : la réalisation de ce projet de comédie musicale a eu un effet positif sur l’engagement de ces élèves de sixième année. Comme révélé par Marie, des retombées scolaires et extrascolaires positives ont également été notées. À plusieurs occasions, l’enseignante a pu mesurer l’impact de cette initiative sur la motivation et les réussites de ses élèves.

Les liens interdisciplinaires établis par l’enseignante avec les autres matières

Dès le début de la recherche, Marie a mentionné réaliser différents projets de nature interdisciplinaire avec ses élèves. Ces projets intègrent les matières qu’elle enseigne (littératie, étude sociale, éducation artistique). Cependant, elle considérait rarement la musique, car elle affirmait ne pas connaître suffisamment ce domaine d’apprentissage. R

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[…] La pédagogie par projets est une approche qui me rejoint. Je crois aussi que ça parle aux élèves, surtout en sixième année. Mais je me sens limitée pour faire de la musique. En tant que titulaire, je manque souvent d’inspiration […].

La collaboration avec Marie dans le cadre de cette recherche-action a permis d’observer une évolution de ses pratiques pédagogiques. Dans son journal de bord, elle a recensé diverses activités qu’elle a intégrées à son quotidien pour aider ses élèves. Elle a inventé, par exemple, différents parlers rythmés, comparé les processus de création en français et en musique et développé des grilles d’analyse en création littéraire et en musique. Marie a parlé de son évolution lors du dernier entretien :

[…] Je me suis rendu compte que la musique m’aidait à créer des liens avec les autres matières. Dans les cours de musique au laboratoire, j’ai réalisé que le rythme captivait mes élèves. J’ai essayé de l’intégrer pour apprendre d’autres notions en classe. J’ai aussi vu que la façon d’approcher une chanson était semblable à celle d’un texte écrit. J’en ai profité pour exploiter ça avec les élèves. De semaine en semaine, je me rendais compte qu’il y avait toujours quelque chose à faire de plus avec la musique […].

De plus, les observations in situ nous ont permis de constater cette évolution des pratiques pédagogiques de Marie et de valider les liens que les enfants établissaient, notamment entre la musique et le français. En classe, elle se servait régulièrement des chansons pour approfondir le vocabulaire,

pour discuter du registre langagier et pour parler de la structure textuelle. Nous avons demandé à Marie de nous en dire davantage sur le lien entre la musique et la langue écrite :

[…] Je trouve que la musique et la langue partagent beaucoup de points communs. Je le savais depuis longtemps, mais je n’étais pas capable de les exploiter au maximum. J’ai réalisé que les chansons pouvaient être utiles. Je les ai toutes intégrées. Les élèves voyaient que ce que nous apprenions en musique était aussi important en français. Ce sont les genres de liens que j’aime créer […].

En terminant, Marie a mentionné avoir craint un moment de ne pouvoir couvrir tout son programme scolaire étant donné l’ampleur du projet de comédie musicale. Ses appréhensions se sont révélées fausses :

[…] Il a fallu du temps pour s’adapter au début, au moins quelques semaines. En intégrant les chansons et les activités rythmiques à mon enseignement, j’ai vite remarqué que nous pourrions faire plus et encore plus vite. Tout a pris son sens. Les élèves voyaient aussi la progression rapide dans le programme […].

En quelques mots, nous pouvons affirmer que des liens interdisciplinaires ont été établis avec les autres matières par cette enseignante, notamment en littératie. Sa participation au projet lui a permis d’améliorer ses pratiques pédagogiques. Auparavant, Marie ne recourait pas à des concepts musicaux aussi fréquemment dans son enseignement.

disCUssion

Cette recherche-action est venue documenter l’expérience vécue par une enseignante titulaire lors de la réalisation d’une comédie musicale avec ses 54 élèves de sixième année d’une école de langue française de l’Ontario. En lien avec le premier thème approfondi, nous concluons que ce projet de nature interdisciplinaire a influencé positivement l’engagement des enfants.

À l’instar de Moran (2010), nous pouvons prétendre que l’approche interdisciplinaire est une façon d’accroitre la motivation personnelle chez de nombreux élèves. Des retombées positives ont également été observées sur les plans scolaire et extrascolaire. Cela suggère que les activités musicales réalisées en contexte scolaire sont favorables au développement de connaissances. En facilitant l’intégration des savoirs, l’interdisciplinarité amène les élèves à développer des habiletés et des compétences dans un contexte qui est significatif pour eux.

En ce qui a trait au deuxième thème abordé, nous avons constaté que ce projet de comédie musicale fut l’occasion pour Marie d’améliorer ses pratiques pédagogiques. Les littératures professionnelle et scientifique (Marrin, 1995; Moran, 2010) ont démontré que, pour favoriser l’intégration des savoirs, l’enseignant doit amener les élèves à développer des stratégies pour établir des liens entre les différents savoirs. En accordant une place plus importante à la musique dans son enseignement, Marie a su favoriser une pédagogie active et contrer la fragmentation des apprentissages (Miller, Cassie & Drake, 1990). R

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Même si cette recherche a permis d’obtenir des résultats intéressants, nous devons rester prudents quant à leur interprétation, étant donné les limites qui y sont associées. Comme cette recherche a été réalisée auprès d’une seule enseignante, il est impossible de généraliser les résultats. En ce sens, d’autres recherches seraient nécessaires. Par ailleurs, le rôle actif que le chercheur spécialiste en éducation musicale a joué dans ce projet a peut-être influencé notre interprétation des données. Nous tenons à mentionner que l’analyse a été faite avec rigueur; l’intégrité associée à tout protocole de recherche a été respectée.

En guise de conclusion, cette recherche nous rappelle l’importance que l’on doit accorder à la musique dans la vie scolaire. Certains d’entre vous se demanderont peut-être quels arguments évoquer pour que la musique soit au cœur du projet éducatif de leur école. Sachez qu’ils sont nombreux. Au-delà de l’esthétisme, l’éducation musicale présente plusieurs bénéfices pour l’enfant. Les propos recensés dans cet article en sont de brefs exemples. D’autres arguments peuvent s’ajouter à cette liste, notamment les apprentissages en mathématiques (Vaughn, 2000).

En favorisant une approche interdisciplinaire dans votre enseignement, vous rejoindrez les intérêts de nombreux enfants et établirez une bonne complicité avec les enseignants titulaires. Collectivement, il est de notre devoir de faire « vivre » la musique à l’école. Prenons tous les moyens à notre disposition pour y parvenir.

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L’oreilleabsolue: innée ou acquise ?

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

I R Y N A P E R E D E R O , étudiante au baccalauréat en enseignement de la musique, Université du Québec à Montréal.

Nous vivons dans une époque passionnante. Chaque jour, des inventions et des découvertes

transforment nos vies et modifient notre rapport au monde : découverte d’eau sur Mars,

premières greffes du visage, impression 4D, etc. Chacun peut choisir un domaine d’activité et

y trouver un véritable univers à explorer. Pour ma part, je m’intéresse aux mystères de notre

cerveau et je me réjouis de vivre à une époque où l’on peut l’étudier autrement que par la

trépanation, procédé qui consiste à pratiquer une ouverture de la boite crânienne (Parent,

2009). Les études récentes réalisées par résonance magnétique nucléaire ont permis de faire

des percées importantes dans notre compréhension du cerveau, l’organe le plus complexe de

l’univers connu. Les progrès de la neurogénétique sont également incroyables et annoncent

des bouleversements profonds dans notre compréhension de l’être humain.

aujourd’hui, la science nous livre peu à peu les secrets de l’organisation de ce cerveau et plusieurs disciplines,

comme la musique, nous offrent l’occasion de l’étudier sous différents angles afin de comprendre son fonctionnement. La musique peut-elle façonner le cerveau au point de le rendre différent d’un autre ? « Les anatomistes seraient bien en peine d’identifier le cerveau d’un artiste plasticien, d’un écrivain ou d’un mathématicien – mais ils reconnaitraient le cerveau d’un musicien professionnel sans la moindre hésitation », a écrit Oliver Sacks (2009, p. 124). La cognition musicale est justement l’un des champs d’études des neurosciences et nous possédons à Montréal un des plus importants centres de recherche sur le sujet, le BRAMS (Laboratoire international de recherche sur le Cerveau, la Musique et le Son).

Si les connaissances progressent, plusieurs questions restent encore sans réponse : par exemple, la nature de l’oreille absolue (OA) est un objet d’études relativement récent qui conserve encore une part importante de mystères. L’OA est la capacité d’identifier et de reproduire une note sans référence extérieure. De plus en plus de chercheurs s’intéressent

à cette capacité étonnante, notamment aux mécanismes qui l’engendrent. C’est que l’oreille absolue peut jouer un rôle déterminant dans l’apprentissage de la musique. Deux hypothèses sont à la source de grands débats : l’origine génétique de cette oreille absolue ou son acquisition par l’environnement.

Les partisans de l’hypothèse environnementale considèrent que l’OA peut être développée sous certaines conditions. Cela expliquerait, par exemple, les cas d’enfants possédant l’OA, alors que leurs parents ne sont ni musiciens ni dotés de l’OA. De cette posture environnementale découlent également les nombreuses méthodes disponibles sur le marché qui promettent l’acquisition de cette faculté par un programme d’exercices structurés.

Cependant, s’il est possible d’acquérir l’OA, pourquoi beaucoup de musiciens de grand talent ne réussissent-ils pas à l’acquérir, malgré des heures d’entraînement honnête ? Pourquoi 60 % des étudiants asiatiques en musique possèdent-ils l’OA contre seulement 7,5 % des étudiants européens et américains ? R

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L’oreille absolue est-elle un héritage précieux de nos parents ou le résultat de conditions environnementales favorables ? La réponse à cette question apaiserait bien des musiciens et leur permettrait de focaliser leur énergie au bon endroit. Ce travail examinera les deux postures, génétique et environnementale, à la lumière des toutes dernières recherches dans ce domaine.

les prédispositions GénétiQUes

Les ondes P300

Aujourd’hui, nul ne conteste que l’OA soit un phénomène rare : seulement une personne sur 10 000 la possède; par ailleurs, elle est aussi rare que complexe. Nos oreilles captent les sons comme des mouvements de molécules d’air et les transforment en influx nerveux pour les envoyer au cerveau. L’une des bases neuroanatomiques de l’OA doit donc nécessairement se trouver quelque part dans le cortex auditif. Cette région occupe la surface dorsale des lobes temporaux et est l’une des plus complexes du cerveau dans sa structure et ses fonctions.

Le fonctionnement du cortex auditif chez les personnes ayant l’OA a été observé par Klein et coll. (1984). Ces chercheurs ont supposé que les zones impliquées dans la perception des sons et activées pendant la dénomination des notes seraient différentes, voire spécifiques chez les personnes ayant l’OA. Ils ont effectué une étude électrophysiologique dans laquelle la production des ondes P300 chez des sujets ayant l’OA et d’autres ne l’ayant pas a été analysée.

Les ondes P300 sont des indicateurs de l’appel cérébral de la mémoire à court terme. Les chercheurs ont constaté un fait intéressant : les sujets qui possèdent l’OA ne produisent presque pas les ondes P300, alors que les autres les produisent en grande quantité. Chez les sujets possédant l’OA, le processus d’association entre le son et le nom de la note s’effectue automatiquement dans les zones auditives temporales selon un étalon intrinsèque établi n’impliquant pas les aires frontales. Les sujets ne possédant pas l’OA identifient la hauteur de la note entendue en la comparant avec la hauteur de la note mémorisée et s’adressent constamment à la mémoire de travail. Par conséquent, leur activité cérébrale est enregistrée dans les aires temporales et frontales Il a été démontré que ceux qui possèdent l’OA n’emploient pas la mémoire de travail ou n’y font appel que très rarement — toujours en fonction de la difficulté des tâches auditives — pour nommer les sons entendus. Il s’agit d’un modèle neuronal qui n’a pas besoin d’être amélioré par mémorisation et qui semble être un vrai phénomène d’organisation anatomique.

Particularités neuroanatomiques

Pour recevoir un message sonore, nous avons deux oreilles, chacune étant en relation avec les deux hémisphères cérébraux. Nonobstant sa bilatéralisation, le traitement du langage auditif provoque une asymétrie du planum temporal gauche, une zone triangulaire située dans le cortex auditif secondaire (Geschwind, Levitsky, 1968). Schlaug et coll. (1995) s’y sont intéressé et ont effectué une étude pour déterminer le lien qui pourrait exister entre le traitement de la musique et le volume du planum temporal droit et gauche. Ils ont observé 30 musiciens (dont 11 avaient l’OA) et 30 non-musiciens en utilisant l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf).

Cette étude a montré une différence significative entre le volume du planum temporal des musiciens et celui des non-musiciens. Elle a également révélé une différence plus prononcée entre le planum temporal droit et gauche (aymétrie) chez les musiciens. Le plus intéressant, c’est ce que cette asymétrie est encore plus forte chez les musiciens ayant l’OA. Leur planum temporal gauche est plus développé que celui des musiciens n’ayant pas l’OA, tandis que leur planum temporal droit est plus petit que celui des non-musiciens. En outre, lors de la perception de la musique, les non-musiciens ont manifesté une prépondérance hémisphérique droite, tandis que les musiciens ont manifesté davantage d’activité dans le cortex temporal gauche.

Tableau 1 Moyennes en fonction de l’âge, du degré d’asymétrie temporale anatomique (dPT) et de la taille du planum temporal gauche et droit déterminée avec l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle chez les musiciens et non-musiciens droitiers. (Schlaug G. et coll., 1995, p. 699). Traduction libre de l’auteure. R

sujets Âge δptVolume de pt

(mm2)

Gauche droit

Musiciens (30) 26 (4)-0,36

(0,25) *1063 (189)

750 (181)

Ayant l’oreille absolue (11)

27 (5) -0,57

(0,21) **1097 (202)

611 (105)

Sans oreille absolue (19)

26 (4)-0,23 (0,17)

1043 (183)

830 (178)

Non-musiciens (30) 26 (3) -0,23 (0,24)

896 (236)

736 (263)

† Valeurs négatives indiquent la présence d’une asymétrie tendant vers la gauche de planum temporal

* P = 0,028 par rapport aux non-musiciens** P < 0,001 par rapport aux musiciens sans oreille absolue

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Des résultats similaires ont été obtenus en tomographie par émission de positons (Zatorre et coll., 1998). Les chercheurs interprètent cette asymétrie du planum temporal par une « suractivation » de ce dernier chez les personnes ayant l’OA en phase d’écoute et d’analyse du son.

Connectivité cérébrale

En voulant en savoir plus sur cette « suractivation », un autre groupe de chercheurs a décidé d’obtenir des informations sur la localisation, le volume et la densité des faisceaux de fibres de la substance blanche qui relie les différentes régions de l’aire auditive. Une étude récente (Loui et coll., 2011) utilisant l’imagerie par tenseur de diffusion et la tractographie cérébrale a permis de faire un grand pas en avant dans la compréhension du fonctionnement du cerveau des personnes possédant l’OA.

Les chercheurs ont étudié la connectivité cérébrale dans le planum temporal afin de tracer ces fibres et de mesurer leur taille et leur densité. Les participants (droitiers) étaient composés de 12 musiciens ayant l’OA et de 12 musiciens ne la possédant pas. Lors de l’expérimentation, les sujets ont passé un test de l’OA; une erreur de demi-ton était acceptable.

L’image anatomique obtenue est suffisamment précise pour détecter les différences entre la connectivité cérébrale des sujets des deux sous-groupes. Les résultats démontrent que les musiciens doués de l’OA donnent en moyenne 97 % de réponses correctes (de 92 % à 100 %) tandis que les musiciens sans OA, seulement 36 % (de 19 % à 77 %). Les faisceaux de fibres apparaissent dans les parties postérieures du gyrus temporal supérieur et du gyrus temporal moyen chez les sujets des deux sous-groupes. Cependant, le volume de ces faisceaux et leur densité sont significativement plus élevés dans le sous-groupe ayant l’OA. En outre, cette différence est plus prononcée dans l’hémisphère gauche et presque absente dans l’hémisphère droit. L’interprétation des chercheurs suggère qu’une très grande connectivité des structures du lobe temporal gauche est directement liée à l’OA.

Hérédité familiale

D’autres chercheurs tentent d’obtenir des preuves génétiques en analysant la fréquence familiale de l’OA. Gregersen et coll. (1999) ont examiné 2 707 étudiants américains en musique, d’origine asiatique et non asiatique. Les étudiants ont passé un test musical pour identifier ceux qui possédaient l’OA et ont ensuite rempli un questionnaire pour savoir si des membres de leur famille possédaient l’OA. Le taux de récurrence de l’OA a ainsi été établi parmi les frères et les sœurs des musiciens, selon que ces derniers possèdaient ou non l’oreille absolue, mais aussi selon l’origine ethnique de leur famille.

Les résultats obtenus révèlent que l’OA est 8 fois plus fréquente chez les frères et sœurs d’un sujet doué de l’OA dans les familles occidentales et 11 fois plus fréquente dans les familles asiatiques. Ces données laissent croire que la prédisposition génétique joue un rôle important dans l’occurrence de l’OA.

Après avoir testé plus que 600 musiciens et trouvé 92 sujets (15 %) possédant l’OA, Baharloo et coll. (1998) ont découvert que 48 % des musiciens ayant l’OA avaient des parents de premier degré ayant aussi l’OA. Chez les musiciens ne possédant pas l’OA, le taux tombe à 12 %. Les chercheurs ont supposé que le gène de prédisposition à l’OA est un gène autosomique dominant à pénétration incomplète. Cela signifie que ce gène ne demeure pas sur les chromosomes sexuels (X ou Y). Cela signifie aussi qu’un enfant aura une prédisposition pour l’OA même si l’un de ses parents ne possède pas l’OA. Cependant, cette prédisposition est aussi reliée à des facteurs environnementaux puisqu’au minimum, l’enfant doit connaitre le nom des notes pour pouvoir les associer aux sons entendus.

Spécificités génétiques

Pour confirmer la transmission héréditaire de l’OA, la génétique - science de l’hérédité - doit trouver des preuves irréfutables. Actuellement, les recherches de la preuve génétique n’en sont qu’à leurs débuts, mais les études déjà effectuées sont très prometteuses. Bien que l’étiologie de ce phénomène soit très complexe et qu’un gène soit ici plus difficile à trouver que celui de la couleur des yeux par exemple, certains généticiens considèrent l’OA comme la manifestation d’une information génétique.

Theusch et coll. (2009) ont étudié 73 familles (281 participants) dans lesquelles plusieurs membres avaient l’OA et ont essayé de localiser une séquence de gènes qui pourrait être commune à tous ces membres. Ce regroupement a été observé sur le bras long du chromosome 8, dans le locus appelé 8q24.21, chez 45 familles d’origine européenne. Ce locus, d’après les estimations des chercheurs, pourrait être un endroit du chromosome abritant un gène de l’OA. Par ailleurs, certaines autres régions ont également été observées : 7q22.3, 8q21.11 и 9p21.3. De plus, chez tous les membres des 19 familles issues de l’Asie de l’Est, le couplage complémentaire sur le chromosome 7 (locus 7q22.3) était aussi fort évident. Enfin, 8 familles de Juifs ashkénazes qui ont longtemps vécu en communautés isolées n’ont montré aucun couplage évident dans ces quatre locus. Par conséqu ent, les bases génétiques de l’OA demeurent inconnues chez ces sujets. Les chercheurs supposent que la population ashkénaze pourrait avoir ses propres origines de l’OA. Les généticiens ont besoin d’études supplémentaires pour le vérifier.

Sur la base des recherches actuelles, il a été conclu que le phénomène de l’OA est génétiquement hétérogène. R

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l’inFlUenCe enVironneMentale

Mémoire des hauteurs. Mémoire à long terme.

Une autre posture de recherche soutient que le facteur déterminant pour l’acquisition de l’OA est l’influence du milieu, c’est-à-dire l’environnement dans lequel la personne vit et se développe. Les chercheurs qui tiennent cette position doutent qu’il existe des structures biologiques spécifiques dans le cerveau humain pour le codage des hauteurs tonales comme il en existe pour les couleurs. Ils croient que les changements dans le cortex auditif représentent plutôt les effets de l’acquisition de l’OA. Pour eux, les résultats de recherches relevant la prévalence de l’OA dans certaines familles ne représentent pas des preuves génétiques, mais plutôt des preuves de l’influence environnementale. De plus, ils soutiennent que la capacité d’associer une sensation à un nom n’est pas le propre des musiciens. Elle relève plutôt de la mémoire à long terme, laquelle est une capacité présente chez tous les humains, peu importe leur domaine d’activité. Un parfumeur peut associer la sensation d’odeur à une marque de parfum; un sommelier, le bouquet de vin à un cépage; un fromager, le goût d’un fromage à une région.

Daniel Levitin (2004) définit l’OA comme la « mémoire des hauteurs » en insistant sur l’idée que l’OA n’est pas une aptitude de perception des sons, mais plutôt une aptitude de codage des sons entendus et mémorisés pendant « l’âge critique ». Il suggère que « ce n’est pas la formation musicale — en soi —, mais plutôt l’entraînement à nommer des notes délibérément qui développe l’oreille absolue » (Levitin, 2004, p.110). En d’autres mots, l’OA peut être acquise et développée chez toute personne en utilisant une pratique systématique d’étiquetage des sons.

L’acquisition de l’OA ne dépend toutefois pas uniquement de facteurs individuels tels que « la motivation, la personnalité et la dynamique familiale » (Levitin, 2010, p.197). Dans son livre De la note au cerveau, Levitin, citant Lamont, A. (2003) suggère que les facteurs environnementaux conditionnent le système auditif même avant la naissance de l’enfant et que « le cerveau du fœtus et du nouveau-né est capable de former des souvenirs et de les réactiver longtemps après » (Levitin, 2010, p. 225).

Une autre étude de Van Heteren et coll. (2000) sur la vie sonore intra-utérine a montré que les fœtus réagissent aux sons et sont capables de répondre à un son particulier, de le reconnaître et de s’y habituer. Cette étude a analysé la mémoire de 25 fœtus âgés de 37 à 40 semaines et leur habituation aux stimuli externes. Lorsque les chercheurs faisaient entendre aux fœtus un son pour la première fois, ces derniers bougeaient, ce qui indiquait qu’ils étaient intéressés par

ce son inouï. En entendant le même son une deuxième fois, la plupart des fœtus ne réagissaient pas, ce que les chercheurs ont interprété comme la manifestation d’une mémorisation du son. En entendant le même son pour la troisième fois, aucun des fœtus ne réagissait, montrant ainsi qu’ils s’étaient habitué à ce son. Les chercheurs ont tiré la conclusion que « les fœtus ont tout autant une mémoire à court terme qu’une mémoire à long terme » (Van Heteren et coll., 2000, p. 1170).

En résumant ces études, on peut dire que, même au stade fœtal, certaines caractéristiques des sons peuvent être mémorisées et reconnues.

Point de vue développemental : Aptitude à l’imitation.

Des expériences avec des bébés montrent que l’OA est peut-être une aptitude présente chez tous les enfants à la naissance. Dans son livre Musicophilia, Sacks (2009) décrit une étude de Jenny Saffran et de Gregory Griepentrog, deux chercheurs de l’Université du Wisconsin, portant sur un groupe de bébé de 8 mois et sur un groupe d’adultes sans formation musicale. À partir d’un test d’apprentissage de séquences chaotiques des sons, les chercheurs ont démontré que les enfants de 8 mois s’appuient sur une référence à la hauteur absolue, tandis que les adultes se réfèrent à la hauteur relative.

Dans leur développement, les enfants commencent par imiter les sons et les paroles, puis les gestes et les comportements. Pour les bébés, l’imitation et la vocalisation des sons sont des moyens de communiquer, d’entrer en contact avec les autres. Kassen et coll. (1979) ont étudié la capacité des nourrissons à vocaliser certains sons, à les mémoriser et à les reproduire. Dans cette étude, les sujets étaient 23 enfants âgés de 3 à 6 mois. Leurs mères leur apprenaient à reproduire des sons spécifiques (Ré, Fa et La). Ces sons ont été chantés ou joués aux enfants à une fréquence déterminée. Après 40 jours, la majorité des enfants vocalisaient ces sons sans référence musicale lors de leur babillage.

Cette expérience suggère que l’OA est une habileté universelle présente à la naissance, car elle se manifeste bien avant que le cerveau puisse analyser les sons et les comparer de manière consciente. Dans le cerveau du nourrisson, les sons entendus sont inconsciemment traités et associés à la production phonétique dans le cortex auditif, et ce, sans construction des schémas sonores. Avec le développement du langage, cette aptitude disparaît au profit de l’imitation du langage. Au départ universelle, l’OA ne persisterait que chez certains enfants jusqu’à l’âge adulte. Il ne reste qu’à trouver les causes de ces cas marginaux. La plupart des chercheurs croient que la langue maternelle et l’âge de l’initiation musicale sont en cause. R

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L’influence de la langue maternelle

Les enfants en bas âge perçoivent, distinguent librement et imitent fidèlement l’accent mélodique de n’importe quelle langue. Vers 4 ou 5 ans, ils commencent à perdre cette capacité et adoptent définitivement les modèles accentuels de leur langue maternelle. En se basant sur le lien qui existe entre l’OA et le langage, certains chercheurs ont supposé que les locuteurs des langues tonales - dans lesquelles un mot peut prendre différents sens selon le ton des syllabes prononcées - ont une possibilité plus forte d’acquérir l’OA que les locuteurs des langues non tonales comme le français par exemple.

Deutsch et coll. (2004) ont examiné le pourcentage d’OA dans deux groupes d’élèves de première année en musique : 88 élèves de langue maternelle mandarine et 115 élèves de langue maternelle anglaise. Au cours de cette étude, les élèves devaient écouter et noter les 36 sons générés par un synthétiseur et couvrant trois octaves. Les résultats ont révélé une prévalence de l’OA 8 fois plus forte chez les locuteurs asiatiques. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que l’acquisition de l’OA est semblable à celle d’une deuxième langue. Ayant l’oreille plus développée, les locuteurs de langue maternelle tonale ont de meilleures prédispositions pour acquérir l’OA.

L’âge de l’initiation musicale

L’étude de Deutsch et coll. (2004) a révélé non seulement la prévalence de l’OA chez les Asiatiques, mais aussi une corrélation remarquable entre l’OA et l’âge de l’initiation musicale. Ainsi, lorsque l’initiation musicale débute entre 4 et 5 ans, 60 % des élèves chinois satisfont au critère de l’OA contre 14 % des élèves américains. Lorsque l’initiation musicale débute entre 6 et 7 ans, 55 % des petits Chinois satisfont au critère de l’OA contre 6 % des élèves américains. Enfin, lorsque l’initiation musicale débute entre 8 et 9 ans, 42 % des locuteurs mandarins satisfont au critère de l’OA contre 0 % pour les locuteurs anglais. Il semble donc que plus l’initiation musicale est précoce, meilleures sont les chances de posséder l’OA.

Un autre groupe de chercheurs, Baharloo et coll. (1998) a confirmé l’influence de l’âge de l’initiation musicale sur l’OA après avoir testé plus de 600 étudiants en musique. Parmi les étudiants possédant l’OA, 40 % ont commencé leur apprentissage musical avant 4 ans, 27 % entre 4 et 6 ans, 8 % entre 6 et 9 ans, 4 % entre 9 et 12 ans, et 2,7 % après 12 ans. Le lien entre l’OA et l’âge de l’initiation musicale est ici manifeste.

L’influence de l’acide valproïque

Une recherche récente (Gervain et coll., 2013) a démontré que l’acide valproïque, un médicament antiépileptique, change la plasticité neuronale du cerveau d’un adulte et permet de rattraper la période critique responsable de l’acquisition de l’OA. Ainsi, deux groupes de participants unilingues anglophones, sans éducation musicale et âgés entre 18 et 27 ans ont pris part à cette étude. Chaque groupe a été assigné à deux semaines d’entrainement qui consistait à associer six prénoms à douze tons du système tonal. Le premier groupe prenait de l’acide valproïque tandis que l’autre n’en prenait pas. Les résultats ont démontré que l’entrainement avec médication améliore la performance dans une tâche mesurant l’OA. Cela suggère que l’influence de l’environnement pourrait être un facteur dans l’acquisition de l’OA. Cependant, comme cette démarche est toute nouvelle, d’autres études seront nécessaires pour déterminer précisément les propriétés de l’acide valproïque ainsi que son influence sur le cerveau humain.

ConClUsion

Maintenant que nous avons exploré les principaux arguments des deux postures relatives à l’OA – génétique et environnementale – il faut reconnaître qu’actuellement, aucune d’elles n’est encore parvenue à une conclusion définitive au sujet de sa nature.

D’une part, la manifestation des spécificités anatomiques chez les personnes douées de l’OA est très nette. Leur cortex auditif est beaucoup plus développé à gauche qu’à droite : le planum temporal est plus gros, la densité des connexions cérébrales est plus haute et le réseau des faisceaux neuronaux est plus volumineux. Pourtant, nul ne sait si ces particularités cérébrales sont des causes ou des conséquences de l’OA. De plus, les raisons fondées sur l’hérédité de l’OA ne sont pas vraiment concluantes : que la prévalence de l’OA soit plus élevée dans des familles de musiciens corrobore plutôt la posture de l’influence environnementale que celle de la posture génétique. Un enfant élevé dans une famille de musiciens entend la musique depuis sa tendre enfance. Il sait qu’il existe des notes et que ces notes portent des noms. Il aura donc plus d’opportunités de développer l’OA qu’un enfant élevé dans une famille au sein de laquelle la musique est absente. R

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C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

D’autre part, la théorie environnementale n’est pas totalement convaincante. Nul ne doute que l’influence environnementale soit un facteur à considérer et il est fort raisonnable de penser que la combinaison d’une ambiance familiale riche en événements musicaux, d’une langue maternelle tonale et d’une formation musicale précoce favoriseront le développement de l’OA. Pourtant, ce ne sont que des facteurs favorables qui n’expliquent pas la rareté de cette capacité. La plupart des chercheurs qui adoptent la posture environnementale soutiennent que l’OA est une disposition universelle à la naissance; toutefois, si elle est universelle, pourquoi la perdrions-nous avec le développement du langage et pourquoi devrions-nous la développer avec une formation musicale? Tant de gens ont déjà essayé sans succès de développer l’OA par un entrainement spécifique.

Pour ma part, je suis tentée de penser qu’il s’agit d’une prédisposition génétique. Pour vérifier cette intuition, je pense qu’il faudrait étudier les rares cas de non-musiciens qui ont cette capacité sans bénéficier de conditions familiales favorables ou d’une formation musicale précoce. Une autre manière de procéder consisterait à valider les méthodes de développement de l’OA dans un groupe de jeunes enfants dont les parents ne sont ni musiciens ni mélomanes. Nous pourrions ainsi vérifier la posture environnementale ipso facto !

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réFérenCesBaharloo S., Service K.S., Risch N., Gitschier J., Nelson B. Freimer B.N. (2000). Familial Aggregation of Absolute Pitch. American Journal the Human Genetics. 67, 755–758.Baharloo S., Johnston A.P., Service K.S., Gitschier J., Nelson B., Freimer B.N. (1998). Absolute Pitch: An Approach for Identification of Genetic and Nongenetic Components. American

Journal the Human Genetics. 62, 224–231.Deutsch D., Henthorn T., Marvin E., Xu H. (2004). Perfect Pitch in Tone Language Speakers Carries Over to Music. Lay language version of Journal of the Acoustical Society of

America. 116, 2580.Gervain J., Vines B.W., Chen L.M., Seo R.J., Hensch T.K., Werker J.F., Young A.H. (2013). Valproate reopens critical-period learning of absolute pitch. Front Syst Neurosci, 7, 102.Geschwind N., Levitsky W. (1968). Human brain: left-right asymetries in temporal speech region. Science, 161, 186–187.Goldberger Z. (2010). Music of the left hemisphere: exploring the neurobiology of absolute pitch. Yale Journal of Biology and Medicine, 74, 323–327.Gregersen PK, Kowalsky E., Kohn N., Marvin EW. (1999) Absolute pitch : prevalence, ethnic variation, and estimation of the genetic component. American Journal the Human

Genetics. 65(3), 911-913.Kessen W., Levine J., Wendrich K. (1979). The imitation of pitch by infants. In: Infant Behavior and Developpment, Elsevier. Vol.2. 93–99.Klein M., Coles MG, Donchin E. (1984). People with Absolute Pitch Process Tones Without Producing a P300. Science, 223, 1306-1309.Levitin J.D. (2004). L’oreille absolue : autoréférencement et mémoire. L’année psychologique. 104, 103-120.Levitin J.D. (2010). De la note au cerveau. Montréal : Les Éditions de l’Homme, division du Groupe Sogides inc., filiale du Groupe Livre Quebecor Media inc.Loui P., Li H.C., Hohmann A., Schlaug G. (2011). Enhanced cortical connectivity in absolute pitch musicians: a model for local hyperconnectivity. Journal of Cognitive Neurosciences,

24, 1015-26.Sacks O. (2009). Musicophilia. Paris : Éditions du Seuil.Schlaug G., Jäncke L., Huang Y., Steinmetz H. (1995). In vivo evidence of structural brain asymmetry in musicians. Science. 267, 699–701.Theusch E.V., Basu A., Gitschier J. (2009). Genome-wide study of families with absolute pitch reveals linkage to 8q24.21 and locus heterogeneity. Am J Hum Genet. 85, 112-119.Van Heteren C.F., Boekkooi P.F., Jangsma H.W., Nijhuis J.G. (2000). Fetal learning and memory. The Lancet. 356, 1169-1170.Zatorre R.J., Perry D.W., Beckett C.A., Westbury C.F., Evans A.C. (1998). Functional anatomy of musical processing in listeners with absolute pitch and relative pitch. PNAS (Proceedings

of the National Academy of Sciences), 95, 3172-3177.

Page 21: MUSIQUE - FAMEQ

19 Musique et pédagogie | fameq.org

LepartenariatSQRM-FAMEQpourleprix devulgarisationscientifique2014

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

La Société québécoise de recherche en musique (SQRM) est heureuse de s’associer à la

FAMEQ pour son concours d’articles de vulgarisation scientifique. Grâce à ce partenariat, le

lauréat voit son article publié dans le présent numéro de Musique et pédagogie.

isaBelle HéroUX

oliVier GaGnon

le concours de vulgarisation est l’occasion, pour les étudiants chercheurs en musique, de diffuser

les résultats de leur recherche dans un contexte différent des événements scientifiques et de les faire connaitre à un plus grand nombre de personnes. Les textes présentés peuvent traiter de tout sujet relatif à la musique : acoustique, analyse, archivistique, composition, droit, esthétique, ethnomusicologie, facture d’instruments, interprétation, histoire, multimédia, musicologie, organologie, pédagogie musicale, perception, psychoacoustique, sociologie, etc.

Les personnes qui désirent participer au concours doivent nécessairement être inscrites à temps plein ou à temps partiel dans une université québécoise ou un conservatoire (baccalauréat, maîtrise ou doctorat) ou être stagiaires postdoctoraux dans un domaine relié à la musique. L’article qu’ils soumettent doit être en lien avec leur domaine de recherche.

Cette année, le prix a été décerné à olivier Gagnon pour son article intitulé La communication des émotions en musique. Félicitations à Monsieur Gagnon !

olivier Gagnon termine actuellement son doctorat en composition à l’Université de Montréal sous la direction d’alan Belkin et de Caroline traube. Il a aussi étudié avec Jan Van der roost et luc Van Hove dans

le cadre d’un stage sur la composition pour orchestre à vents subventionné par le Conseil des arts du Canada. Sa musique a été jouée dans plusieurs pays incluant le Canada, la Belgique et la République Tchèque. Il est lauréat du premier prix dans la catégorie senior de l’édition 2010 de l’International Antonín Dvořák Composition Competition. Il a aussi gagné deux autres concours de composition, l’un organisé par la Faculté de musique de l’Université de Montréal, l’autre par le quatuor de saxophones Quasar.

Fondée en 1980, la Société québécoise de recherche en musique (SQRM) est un organisme sans but lucratif qui a pour objectif de favoriser le développement, la promotion, le soutien, la diffusion et la conservation de la recherche en musique au Québec. La SQRM s’adresse à tout professionnel ou étudiant en musique, peu importe la spécialité, de même qu’à tout individu ou organisme intéressé par la recherche en musique au Québec. Plusieurs activités et services permettent d’intégrer la SQRM au milieu musical professionnel et de diffuser la recherche, par exemple grâce aux conférences Présence de la musique, à la publication des Cahiers de la SQRM ainsi qu’à l’organisation de colloques et de concours1.

La SQRM salue la contribution de la FAMEQ au dynamisme du milieu de l’enseignement musical et à l’émergence de nouveaux chercheurs en musique.

I S A B E L L E H É R O U X , professeure au Département de musique de l’UQAM, vice-présidente de la SQRM.

1 http://www.sqrm.qc.ca

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Lacommunicationdesémotionsenmusique

C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

O L I V I E R G A G N O N , doctorant en composition, Université de Montréal.

On dit souvent de la musique qu’elle est un moyen de communication et qu’elle est en

mesure d’évoquer des émotions. Dans le but d’étayer cette affirmation, cet article discutera

de la fonction de la musique au sein d’un modèle de communication, avant d’exposer une

théorie expliquant l’évocation des émotions en musique par un mécanisme cérébral relié à

l’empathie, ainsi que par sa ressemblance avec l’expression vocale des émotions.

dans le modèle de communication proposé par le linguiste Roman Jakobson (1963), une conversation comporte un

destinateur, un destinataire et un message. Ce dernier pourra être compris dans un contexte connu des deux interlocuteurs et si un contact est établi entre eux. Finalement, les interlocuteurs doivent tous deux utiliser le même code pour se comprendre. Lorsque le destinataire entend ce message, il en fait sa propre interprétation qui n’est pas nécessairement identique au message ni à l’idée qui l’avait motivé à l’origine. Ce modèle concerne davantage la communication vocale et écrite, mais étant donné sa construction générique, il est tout à fait possible de l’appliquer à d’autres moyens de communication comme la musique. D’ailleurs, un modèle semblable a été développé par le linguiste Jean Molino et le musicologue Jean-Jacques Nattiez (Nattiez, 1975) dans leurs recherches sur la signification en musique. Dans ce modèle nommé tripartition, la dénomination de niveau neutre remplace celle de message et représente des partitions et des ondes sonores, le destinateur est le créateur, et le destinataire est l’auditeur. Évidemment, si nous considérons la musique comme une onde sonore ou une partition, elle ne peut pas communiquer une émotion par elle-même; par contre, si nous la concevons comme un produit de notre esprit, nous pourrions suggérer que ce sont les êtres humains inclus dans la communication qui s’expriment à travers la musique, lui octroyant par la même occasion sa capacité d’émouvoir et d’évoquer des émotions.

Dans ce processus de communication des émotions, notre capacité à ressentir de l’empathie joue un rôle important. Ainsi, l’auditeur peut se représenter mentalement la musique sous la forme de personnages virtuels, adoptants différents traits de caractère et comportements, et pour lesquels il éprouve de l’empathie. Cette conceptualisation de la communication des émotions découle de la « théorie de la contagion des humeurs » qui a été appliquée à la musique par Juslin & Laukka (2003). Cette théorie a établi un lien entre les comportements empathiques et les neurones miroirs (Molnar-Szakacs & Overy, 2006). Plusieurs études ont été réalisées sur ces cellules qui sont en fait des neurones moteurs pouvant être excités par des stimuli visuels ou auditifs. Il s’agit d’un mécanisme permettant à un individu de comprendre le sens et les intentions derrière un signal communicatif visuel ou auditif, en reproduisant mentalement le mouvement nécessaire à la génération de ce signal (Molnar-Szakacs & Overy, 2006). Par conséquent, le fait de voir ou d’entendre quelqu’un exprimer une émotion activerait les neurones moteurs liés à l’expression de cette dernière dans notre cerveau. De cette façon, nous sommes en mesure de ressentir les émotions des personnes qui nous entourent en mimant leurs gestes intérieurement. Nous construisons donc une représentation mentale des autres au sein de notre esprit, ce qui nous permet de nous imaginer dans leur situation et d’être empathiques (De Waal, 1998). R

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C O N T R I B U T I O N S É T U D I A N T E S

Des recherches sur la communication des émotions par différents comportements expressifs ont démontré que les expressions vocales pourraient avoir une importance prépondérante par rapport à d’autres paramètres tels que les gestes ou les expressions faciales (Juslin & Laukka, 2003). Ainsi, les indices auditifs seraient très importants pour décoder les émotions et pour les ressentir par empathie. Puisque la parole et la musique sont des moyens de communication utilisant des ondes sonores, il est possible que la perception des émotions dans la musique procède de la même façon que notre capacité à décoder les émotions des autres êtres humains dans une situation sociale. D’ailleurs, Molnar-Szakacs & Overy (2006) ont émis l’hypothèse que les mécanismes empathiques dus aux neurones miroirs seraient activés indépendamment du fait que les stimuli soient vocaux ou musicaux. Si tel est le cas, les indices acoustiques nécessaires à la perception des émotions vocales et musicales seraient similaires. Dans ce sens, Juslin & Laukka (2003) ont effectué une méta-analyse comparant les résultats de différentes études

sur les indices acoustiques permettant la perception des émotions exprimées vocalement et évoquées musicalement. Ils ont démontré que nous réagissons de façon semblable aux indices acoustiques communs entre la parole et la musique soit le rythme, la hauteur, le tempo, l’intensité, etc. De cette façon, les musiciens imiteraient les caractéristiques vocales permettant la perception des émotions afin de les évoquer musicalement.

En conclusion, la théorie de la contagion des humeurs montre que la musique peut évoquer des émotions dans l’esprit des êtres humains en imitant la qualité des indices acoustiques liés à l’expression vocale des émotions. Cela a pour effet de stimuler les neurones moteurs associés à l’expression de ces émotions. Par conséquent, nous mimons intérieurement ces gestes expressifs, créant par la même occasion une représentation mentale de personnages expressifs. Ce mécanisme cérébral à la base de l’empathie permettrait donc à la musique d’évoquer des émotions.

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réFérenCesDe Waal, F. B.M. (2008). Putting the Altruism Back into Altruism: The Evolution of Empathy. Annual Review of Psychology, 59, 279-300.Jakobson, R. (1963). Essais de linguistiques générales. Paris : Les éditions de minuit.Juslin, P. N. et P. Laukka. (2003). Communication of emotions in vocal expression and music performance: Different channels, same code? Psychological Bulletin, 129 (5), 770-814.Molnar-Szakacs, I. et K. Overy. (2006). Music and mirror neurons: from motion to ‘e’motion. Social Cognitive and Affective Neuroscience, 1 (3), 235-241. Nattiez, Jean-Jacques (1975). Fondements d’une sémiologie de la musique. Paris : Union Générale d’Éditions.

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Contesetlégendes:uneplongéeàl’intérieurd’un cheminement créatif

I N F O R M AT I O N

L O U I S B A B I N , compositeur, www.louisbabin.com

L’année dernière, le Centre de musique canadienne au Québec (CMC Québec) et la

Fédération des associations de musiciens éducateurs du Québec (FAMEQ) m’ont commandé

une œuvre pour jeunes musiciens. Contes et Légendes, un conte musical, sera créé par

l’Harmonie FAMEQ, sous la direction de Jonathan Dagenais, lors du prochain congrès FAMEQ

qui se tiendra à Trois-Rivières. J’aimerais vous exposer brièvement la démarche que j’ai suivie

pour réaliser cette œuvre.

lorsqu’une commande pour une œuvre musicale m’est proposée, plusieurs questions me viennent à l’esprit :

•Àquis’adresselamusique? •Quelleestl’instrumentation? •Quel est le niveau technique des

musiciens et comment se traduit-il en terme de grade ?

•Quellessontlescontraintesposéesparle niveau technique des musiciens ?

•Quel est le temps imparti pour lacomposition ?

•Quel est le temps imparti pour lesrépétitions ?

•Pour quelle occasion la pièce est-ellecommandée?

Ce sont là des paramètres avec lesquels je dois travailler. Dès que ces questions purement techniques et logistiques ont trouvé une réponse, d’autres interrogations commencent à meubler ma réflexion :

•quelleesthétiqueseraitlaplusappropriée? •a-t-ilunethématiquebienidentifiée?

CoMposer poUr le pUBliC

J’ai bien aimé les propos d’un collègue qui résume le travail de composition en une longue succession de choix à opérer, des choix de tous types et de tous genres. Pour ma part, j’établis dès le départ une esthétique en fonction du public cible. À qui cette musique de commande s’adresse-t-elle? Dans le cas de la commande faite en partenariat par le CMC Québec et la FAMEQ, le mandat est double : composer une musique contemporaine, mais utiliser aussi un langage tonal accessible aux jeunes. Voici les paramètres auxquels j’ai réfléchi.

Le CMC Québec représente des compositeurs de musique contemporaine. Le terme musique contemporaine peut faire peur à certains. Pourtant, il indique simplement que le compositeur est toujours en vie ou qu’il a vécu au cours des dernières 20 à 30 années! Comme les langages musicaux représentés au sein du CMC Québec sont nombreux et variés, je me dois d’exposer mon approche pour le choix d’une esthétique musicale appropriée pour la commande CMC Québec-FAMEQ. R

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Page 25: MUSIQUE - FAMEQ

La notion de couleur et de timbre se comprend très bien lorsque je parle d’une orchestration. La flûte, la trompette et tous les instruments de l’orchestre apportent chacun leur timbre et leur sonorité. Ce sont les couleurs de l’orchestre. Si j’écris de la musique de film, ce sont les genres musicaux qui constituent ma palette de couleur. Dans un film, on utilise ainsi le jazz, le classique, le contemporain et toutes leurs sous-catégories pour accompagner l’image. Ayant été compositeur pour le cinéma, j’ai souvent utilisé comme éventail de couleurs les différentes esthétiques musicales. J’ai donc choisi une écriture résolument moderne aux couleurs tonales et quasi cinématographiques pour la commande CMC Québec-FAMEQ.

Une MUsiQUe aCCessiBle Mais reCHerCHée

Quant à elle, la FAMEQ — et plus particulièrement l’Harmonie FAMEQ — représente les enseignants de musique et les élèves du secondaire. C’est une donnée importante dans les choix que je dois faire en tant que compositeur. Ces jeunes musiciens sont à la fois les interprètes et le public cible dont il a été fait mention plus haut. C’est donc avec l’intention d’écrire une musique accessible, mais sans complaisance que j’ai réfléchi à l’approche esthétique pour la réalisation de ce projet de création.

Pendant le travail de composition, j’ai toujours gardé en tête les aspects techniques

et pratiques qui permettront aux jeunes musiciens de l’Harmonie FAMEQ de s’approprier ma musique. Une musique doit refléter l’esprit et surtout l’énergie de ceux à qui elle s’adresse. Il m’apparaissait évident qu’il me fallait écrire une musique qui soit profonde mais sans sensiblerie, et qui se mettrait au diapason des jeunes musiciens cherchant une occasion de jouer une pièce riche en intensité.

Pendant plusieurs semaines, j’ai jonglé avec deux idées de pièces. J’ai même proposé deux maquettes au jugement de quelques personnes afin de déterminer celle qui aurait le plus de chance de répondre aux attentes. J’avais d’un côté une pièce introspective et pleine de tendresse et, de l’autre, celle qui devait retenir le choix de la majorité : Contes et légendes.

Je devais aussi tenir compte du peu de temps de répétition prévue pour la création lors du congrès. J’ai donc pris en considération le degré de difficulté technique tout autant que la lisibilité des partitions.

Il me restait à trouver la meilleure façon de cibler une thématique. Il me fallait déterminer les champs d’intérêt et les goûts associés au groupe d’âge des musiciens pour qui la pièce serait composée. Comme la télévision et le cinéma sont, souvent par le truchement d’Internet, au cœur des occupations des jeunes, j’ai eu l’idée de composer une musique proche de ces médias. R

I N F O R M AT I O N

23 Musique et pédagogie | fameq.org

Page 26: MUSIQUE - FAMEQ

I N F O R M AT I O N

la littératUre FantastiQUe CoMMe soUrCe d’inspiration

La culture télévisuelle et cinématographique propose beaucoup d’aventures à saveur néogothique, que ce soit la vision spectaculaire du réalisateur Peter Jackson de la trilogie du Seigneur des Anneaux inspirée de l’œuvre de J. R. R. Tolkien, ou encore l’adaptation à la télévision des romans de George R.R. Martin avec Game of Thrones. Ces productions occupent une place importante dans la culture populaire. Les légendes plus grandes que nature ont toujours exercé une grande fascination auprès d’un très large public. Plus que jamais, la musique est intimement liée à ces films et à ces séries. La trame musicale d’Howard Shore pour Le Seigneur des Anneaux fait partie de la mémoire collective, tout comme le thème composé par Ramin Djawadi pour la série télé Game of Thrones. On peut aussi ajouter celle de John Williams pour les premiers films de la série Harry Potter.

C’est en m’inspirant de ces mondes fantastiques que m’est venue l’idée de composer Contes et légendes. Voici les notes de programme qui la mettent en contexte :

C’est une invitation à pénétrer dans le monde mystérieux des contes et légendes.

C’est là que naissent des histoires extraordinaires mettant en scène des personnages mythiques venus d’un autre âge, qui aspirent aux honneurs grâce à leur quête d’un trésor ou pour sauver un royaume.

C’est par le courage, l’amitié, la force et l’amour que s’unissent les compagnons pour vaincre les forces du Mal.

Ou encore qu’un preux chevalier part à l’aventure pour délivrer une princesse

à qui un sort a été jeté par un sorcier maléfique.

On aime ces héros qui, par leur sang-froid et leur détermination, parviennent toujours à triompher des épreuves auxquelles ils sont soumis.

C’est un univers magique dans lequel la loyauté et toutes les valeurs chevaleresques montrent ce qu’il y a de plus noble et de valeureux dans l’Homme.

Ce qui élève l’âme reste gravé dans nos cœurs et nous accompagne pour le reste de nos jours.

Une analYse soMMaire de la piÈCe

La pièce, d’esthétique tonale, a une métrique de 3/4 et s’ouvre sur un ton inquiétant et sinistre qui met en évidence les instruments graves et les percussions. À la 8e mesure, les cuivres viennent appuyer les premiers temps par des accords qui montent tranquillement en puissance. Le crescendo est soutenu grâce à l’entrée des bois, deux mesures plus loin, qui complète l’implication de tous les musiciens1.

Le thème A se présente à la mesure 21 et est exposé par les clarinettes. Un contre-chant joué par la clarinette basse et l’euphonium répond à ce thème cinq mesures plus loin. Après une courte reprise du thème A, la 37e mesure nous fait entendre les cors et le saxophone alto qui entament une petite variante allongée du thème A.

Le thème B est en 4/4. Il donne une couleur plus ample et il dessine un monde vaste, majestueux et triomphal. L’accompagnement de valse qui soutenait le thème A fait place à des motifs plus fournis, partant de doubles croches aux triolets de croches.

Le thème C est un grand choral qui met de côté la pulsation rythmique mise en place depuis l’entrée du thème B.

La fin du choral s’enchaine avec la reprise du motif légué par la fin du choral. Il devient de plus en plus entrainant et modifie la métrique pour passer du 4/4 vers un retour au 3/4.

Retour du thème A qui est joué cette fois un peu plus lentement, un peu comme un moment de répit pour le héros en prévision de l’affrontement final.

Le thème B revient en force et en modulations successives. Ces modulations sont soutenues par une pédale lourde et puissante qui nous amène à l’évocation de l’introduction; celle-ci mettra un point final à la pièce, qui se termine en apothéose sur un accord avec quinte diminuée.

entendre CONTES ET LÉGENDES

Vous pouvez entendre l’œuvre finale et les différentes versions qui témoignent du processus de création en visitant mon site Internet :

http://louisbabin.com/acces-client/projet-fameq-2014/

Code d’accès : congrès2014

J’espère que les objectifs que je m’étais fixés pour cette œuvre ont été atteints et que les enseignants de musique souhaiteront mettre Contes et légendes à leur programme, de même que d’autres œuvres de compositeurs d’ici.

La création de l’œuvre est prévue le 28 novembre à la salle J. Antonio-Thompson de Trois-Rivières.

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1 Ici le principe du nombre colle avec les intentions de l’orchestration. Il est plus facile d’obtenir une nuance douce en ayant moins de musiciens en jeu. Les nuances fortes seront plus naturellement obtenues par l’apport de tous les musiciens. Cela peut sembler une évidence, mais lorsque le jeu de timbre est une constante dans une démarche créatrice, il arrive que ce principe doive être remis de l’avant.

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L’ÉcoledemusiqueVincent-d’Indy: untournantmajeurdansl’offrepédagogique

I N F O R M AT I O N

J E S S I C A B E A U R E G A R D , responsable des communications, École de musique Vincent-d’Indy.

Depuis sa fondation en 1932, l’École de musique Vincent-d’Indy souhaite donner une place

de choix à l’enseignement de la musique.

en 2014, l’École se distingue par son éventail de formations musicales pour tous les âges, en plus de

ses programmes académiques de niveaux primaire, secondaire et collégial. Parallèlement, elle dirige et anime un réseau d’environ 350 professeurs affiliés répartis partout à travers la province et même au-delà des frontières du Québec.

Au cours des dernières années, l’institution a amorcé un tournant majeur au plan de son offre pédagogique afin de s’adapter à la réalité d’une société en mouvance. Ce désir constant de renouvellement s’est traduit par des actions concrètes, telles que la création d’un volet jazz et d’un nouveau profil au collégial, une collaboration soutenue avec différents organismes culturels dont l’Orchestre Métropolitain, l’accueil de l’Orchestre Symphonique du Conservatoire de la Montérégie comme nouveau partenaire, la mise sur pied d’un programme Musique-études au primaire et au secondaire, et le maintien d’une collaboration entre les différents niveaux d’études.

Un noUVeaU proFil ColléGial

Depuis quelques années, l’École offre un volet jazz en plus du volet classique. En 2014, un nouveau profil Instrument et création, destiné aux musiciens des secteurs jazz et classique, s’est également ajouté aux profils déjà proposés Instrument et interprétation, Instrument et réalisation sonore et Chant

et jeu scénique. Ce profil, ancré dans la pratique, vise l’apprentissage des diverses composantes d’un studio d’enregistrement, en plus de notions d’improvisation, de composition et de création, afin d’amener les étudiants à produire de la musique sur des images et de courts films (musique de film d’animation, trame sonore de jeux vidéo, documentaires et autres). Depuis l’automne 2013, les élèves bénéficient d’ailleurs d’un nouveau studio d’enregistrement multipiste à la fine pointe de la technologie.

des proGraMMes anCrés dans la réalité dU MilieU

Parallèlement au programme scolaire, la collaboration établie avec différents acteurs de la scène musicale du Québec permet aux élèves de vivre des expériences uniques en lien avec leurs apprentissages. Ainsi, au cours de l’année 2013-2014, les étudiants du profil Musique-études au secondaire et du programme collégial ont bénéficié d’un accès privilégié aux musiciens de l’Orchestre Métropolitain en contribuant à la rédaction des notes de programme, en participant à des ateliers de création avec le compositeur éric Champagne, en effectuant des prestations dans le foyer de la Maison symphonique et en assistant à plusieurs répétitions et concerts. De plus, les étudiants du profil collégial Réalisation sonore ont eu l’occasion de travailler avec François Goupil, responsable des captations pour l’Orchestre. R

25 Musique et pédagogie | fameq.org

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D’autre part, dès l’automne 2014, l’Orchestre Symphonique du Conservatoire de la Montérégie deviendra officiellement l’orchestre en résidence à l’École de musique Vincent-d’Indy. Cette nouvelle entente permettra également aux élèves du secteur collégial de participer à un orchestre symphonique sur une base régulière, dans le cadre du cours Grand ensemble inscrit à leur cheminement scolaire.

Ces partenariats poursuivent donc l’objectif commun de plonger les élèves au cœur d’une expérience formatrice, concrète et adaptée à la réalité du milieu culturel actuel.

Un noUVeaU proGraMMe MUsiQUe-étUdes aU priMaire

Devant l’engouement présent pour la musique et les bénéfices reconnus par plusieurs études au sujet de la pratique d’un instrument dès un très jeune âge, l’idée de développer un programme Musique-études au primaire s’imposait d’elle-même.

En 2013, l’École s’est donc associée avec l’école primaire Saint-Joseph, située sur le Plateau Mont-Royal, afin de créer le programme Musique-études destiné aux élèves de niveau primaire. Cette nouvelle formation artistique, offerte aux élèves de la 3e et de la 4e année accueillera ses premiers jeunes musiciens à l’automne 2014.

Combinant l’expertise des deux écoles, ce programme comprend 8 heures d’enseignement musical hebdomadaire à

l’École de musique Vincent-d’Indy et 25 heures d’enseignement académique à l’école Saint-Joseph.

Le volet musical de ce nouveau programme vise à stimuler l’intérêt artistique en bas âge et à développer des aptitudes motrices et cognitives liées à l’apprentissage de la musique.

Dans ce cadre, chaque élève apprendra à jouer d’un instrument par l’entremise de cours individuels hebdomadaires d’une durée d’une heure. Le piano, le violon, le violoncelle et la guitare seront les principaux instruments enseignés. Les jeunes auront également l’occasion de jouer en petits ensembles. Les cours de chant choral et de culture musicale enrichiront, quant à eux, leurs connaissances générales en musique. Les élèves pourront par la suite démontrer leurs acquis par le biais de projets créatifs. Ainsi, l’un des projets musicaux permettra à ces enfants de participer à différentes étapes de la production d’un spectacle. Les jeunes musiciens donneront aussi des prestations publiques au cours de l’année.

Dans le cadre du volet académique assumé par l’École Saint-Joseph, les élèves vivront différentes situations d’apprentissage qui leur permettront d’acquérir toutes les connaissances et de développer toutes les compétences du Programme de formation de l’école québécoise. Ils auront ainsi accès à une formation musicale et académique complète et équilibrée.

Un proGraMMe QUi se poUrsUit aU seCondaire

Les élèves inscrits au programme Musique-études de 2e cycle qui feront la démonstration de leur réussite tout au long de leur parcours pourront poursuivre au 3e cycle. Ils auront par la suite la possibilité d’être admis au profil Musique-études de niveau secondaire, offert en partenariat avec le Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie depuis 2012.

Ce profil de niveau secondaire permet à l’élève, fille ou garçon, de consacrer la moitié de son temps à sa passion, tout en recevant une solide formation générale dans un horaire adapté à sa situation. La formation musicale inclut des cours individuels d’instrument, mais aussi de création et d’improvisation, de musique d’ensemble, d’informatique et musique, d’ensemble vocal, de théorie musicale, de solfège et de dictée. Qui plus est, le programme prévoit le cours Connaissance du répertoire et la participation à différents concours et événements tels que le Festival Classica. Les élèves ont aussi l’occasion d’effectuer des prestations devant leurs collègues de classe lors des concerts du midi et des spectacles annuels.

En créant ces nouveaux programmes, l’École peut donc proposer à l’élève un cheminement musical complet du primaire au collégial, en plus des cours de perfectionnement et de mise à niveau, au besoin. R

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Crédit photo : École de musique Vincent-d’IndyCrédit photo : École de musique Vincent-d’Indy

Page 29: MUSIQUE - FAMEQ

inspirer par l’entreMise de ModÈles

Outre le cheminement particulier qu’il permet, cet ensemble de services complémentaires favorise les collaborations entre les différents niveaux d’études. Pensons, entre autres, aux chorales des secteurs collégial et secondaire, qui, en plus de leurs prestations respectives, offrent des concerts communs à différentes occasions au cours de l’année. Cette interrelation concrète entre les niveaux permet aux élèves de vivre une expérience enrichissante en plus de les motiver en leur donnant l’occasion de se projeter dans l’avenir.

Combinées à l’ensemble des mesures d’encadrement pédagogiques offertes, ces nouveautés permettent à l’École d’offrir des formations stimulantes tout en continuant à accompagner les élèves dans le développement de leur plein potentiel.

« Nous souhaitons encourager les élèves à exprimer leur identité à travers les arts. Nous croyons que la musique peut devenir une source de valorisation et de motivation lorsqu’elle est soutenue par une solide formation. » (monsieur Yves petit, directeur général de l’École de musique Vincent-d’Indy.)

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Crédit photo : École de musique Vincent-d’Indy

Crédit photo : École de musique Vincent-d’Indy

Crédit photo : Orchestre métropolitain

Yves Petit, directeur général de l’École de musique Vincent-d’Indy

Crédit photo : École de musique

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West Side Story : laconvergencedescompétencesartistiques

I N F O R M AT I O N

P H I L I P P E M É N A R D , directeur artistique de l’OPMEM.

En mars 2015, l’Orchestre philharmonique des musiciens de Montréal (OPMEM) et la Faculté

des arts de l’UQAM présenteront la comédie musicale West Side Story.

l’OPMEM est une formation de haut calibre qui réunit des étudiants provenant des meilleures institutions

de musique de la ville de Montréal : le Conservatoire de musique de Montréal, l’Université de Montréal, l’Université McGill, l’Université du Québec à Montréal et l’Université Concordia. Fondé en 2009, cet ensemble a pour mission d’aider de jeunes musiciens talentueux à perfectionner leur jeu orchestral à travers les chefs-d’œuvre de la musique classique et contemporaine. L’Orchestre est en résidence au Département de musique de la Faculté des arts de l’UQAM depuis le mois de septembre 2012.

Dans le milieu universitaire, nous sommes habitués aux productions d’opéras qui permettent aux étudiants de développer leurs compétences professionnelles. Or, le genre très important de la comédie musicale est souvent laissé pour compte. L’UQAM se distingue ici en offrant aux étudiants l’opportunité d’acquérir une expérience de type professionnelle dans le cadre d’une grande production broadwayenne. Cette expérience est fort pertinente puisque depuis quelques années, la comédie musicale effectue un retour en force à travers le monde.

West Side Story est une partition signée par Leonard Bernstein sur un livret de Stephen Sondheim. Gagnante de 10 Oscars, cette adaptation du célèbre Roméo et Juliette de William Shakespeare fut créée le 26

septembre 1957 au Winter Garden Theatre de Broadway et tint l’affiche plus de 700 fois avant de partir en tournée. Jerome Robbins, chorégraphe et metteur en scène, la porta à l’écran en 1961 avec Nathalie Wood dans le premier rôle.

Prenant place dans le New York du milieu des années 50, l’intrigue présente la rivalité entre les Jets et les Sharks qui se disputent de la rue. Les Sharks appartiennent à la première génération d’Américains émigrés de Porto Rico. Ils sont raillés par les Jets, jeunes de la classe ouvrière blanche qui se considèrent comme les véritables Américains. Tony, l’un des Jets, tombe amoureux de Maria, la sœur de Bernardo qui est aussi le chef des Sharks. La noirceur du thème, la sophistication de la musique, l’importance des scènes de danse et l’accent mis sur les problèmes sociaux ont marqué un tournant dans le théâtre musical américain. Les musiques de Bernstein sont devenues extrêmement populaires grâce à des airs comme Maria, America, Somewhere, Tonight, ou encore I Feel Pretty.

Le projet OPMEM-UQAM a ceci de particulier qu’il favorise la coopération interdépartementale au sein de la Faculté des arts. Le défi réside certainement dans la danse, qui occupe une place centrale dans ce drame musical. Néanmoins, tous les étudiants, qu’ils proviennent du Département de musique, du Département de danse ou de l’École supérieure de théâtre, devront exceller dans les trois disciplines. R

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Pour encadrer ces étudiants, nous avons réuni une équipe hors pair. angela Konrad, professeure de l’École supérieure de théâtre, assurera la mise en scène. Manon oligny, professeure au Département de danse, sera en charge de la chorégraphie. Pour la dimension musicale, nous pourrons compter sur Matthieu Fortin comme pianiste accompagnateur, sur Jonathan davis comme coach vocal et sur moi-même comme directeur musical de la production. Quelques d’étudiants seront également impliqués dans le projet, que ce soit à la production, à la direction technique, à la mise en scène ou à la chorégraphie.

C’est donc un rendez-vous à ne pas manquer !

Les 27 et 28 mars 2015 à 19 h 30 et le 29 mars 2015 à 14 h 30Salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-PéladeauDirection musicale : Philippe MénardMise en scène : Angela KonradChorégraphie : Manon Olignyhttp://www.opmem.org/

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Crédit photo : Myriam Francoeur

Crédit photo : Myriam Francoeur Crédit photo : Myriam Francoeur

Crédit photo : Tristan Brand (Jeans’n classics)

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MémoiredelaFAMEQpourlerapportsurl’étatetlesbesoinsdel’éducation2014duConseilsupérieurdel’éducation

I N F O R M AT I O N

H É L È N E L A L I B E R T É , Présidente de la FAMEQ.

La Fédération des associations de musiciens éducateurs du Québec (FAMEQ) a réalisé en 2011 un sondage auquel 330 enseignants de musique ont répondu. Le questionnaire a permis de connaître leur opinion sur le programme de musique issu de la réforme. Cette démarche s’inscrit dans une réflexion pour aider à la mise en œuvre du programme et pour favoriser la réussite des élèves.

La consultation du Conseil supérieur de l’éducation nous permet d’élargir la diffusion des résultats de ce sondage. Nous trouvons important de témoigner de l’état de la situation en enseignement de la musique dans les écoles primaires et secondaires québécoises, de démontrer les principaux obstacles rencontrés dans notre domaine et de contribuer à proposer des actions pouvant servir à corriger le tir dans les choix futurs en matière de programmes d’études.

1 les fondements de la réforme de l’éducation

Question 1.1 Quinze ans plus tard, les orientations et les fondements évoqués dans la première partie du document d’information et de consultation sont-ils toujours valables et pertinents?

Théoriquement, nous sommes en accord avec les huit fondements ayant servi de base à la réforme. Il est certain que la réussite du plus grand nombre d’élèves nous préoccupe, mais nous constatons qu’il est difficile de maintenir les exigences en musique dans les conditions actuelles d’absence de continuité et de manque de temps au primaire et au secondaire. Ces conditions nuisent à la motivation des élèves, à la place accordée aux savoirs et à l’intégration des savoirs. R

30fameq.org | Volume 28 | numéro 3

Crédit photo : Laurence Labat

Le Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) a pour fonction de conseiller le ministre de

l’Éducation, du Sport et du Loisir et le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche,

de la Science et de la Technologie sur toute question relative à l’éducation.

Pour son rapport de 2014, le CSÉ a examiné la question de La réforme du curriculum et

des programmes d’études, quinze ans après les États généraux sur l’éducation. Ce rapport

concerne le primaire, le secondaire et l’éducation des adultes, et traite des leviers et des

obstacles qui ont facilité ou entravé la mise en œuvre des réformes du curriculum et des

programmes ces 15 dernières années.

C’est dans le cadre des consultations sur cette question que la FAMEQ a été invitée à produire

un mémoire pour le CSÉ. Ce mémoire a été rédigé par notre présidente, Hélène Laliberté,

avec l’aide de deux consultants : Martin Bellemare, conseiller pédagogique à la Commission

scolaire des Patriotes et Zara Pierre-Vaillancourt, doctorante en éducation musicale à

l’Université Laval.

À ce jour, l’avis du CSÉ de l’éducation n’a pas encore été rendu public. Nous reproduisons ici le

mémoire de la FAMEQ tel qu’il a été déposé au CSÉ le 29 octobre 2013.

Page 33: MUSIQUE - FAMEQ

I N F O R M AT I O N

Nous questionnons le pouvoir de décision décentralisé de même que la possibilité pour les parents et la communauté de décider des matières à enseigner et du temps à y consacrer. Cette volonté de répondre aux besoins du milieu laisse place à des choix discutables souvent reliés à des idéaux d’un groupe de parents, à une idée à la mode ou encore à des préjugés.

Question 1.2 Aujourd’hui, votre organisation adhère-t-elle à ces orientations et à ces fondements?

Nous constatons une incohérence entre les fondements de la réforme et les dispositions du régime pédagogique actuel en matière d’enseignement des arts : possibilité de changer de discipline artistique aux niveaux primaire et secondaire, et temps insuffisant pour le cours obligatoire de 2 périodes au lieu de 4 au 2e cycle du secondaire — cours qui remplace de plus en plus souvent le cours optionnel de 4 périodes. À cause de cela, nous ne pouvons assurer la réussite pour tous les élèves à moins de diminuer nos exigences. En est-il ainsi pour les autres matières académiques ? La facilité à changer de discipline artistique tout au long du curriculum a des conséquences désastreuses, notamment pour la sanction des études. Cette orientation entraîne la formation de groupes non homogènes, ce qui empêche une réelle progression des apprentissages et nuit à l’expérience esthétique propre à la pratique instrumentale de groupe. Dans ces conditions, il est impossible de former des ensembles musicaux intéressants et motivants pour les élèves.

Dans notre sondage, nous avons posé cette question : « Est-ce que le programme de formation correspond à votre vision de l’enseignement de la musique au Québec ? » 45% des répondants ont répondu « Oui », tandis que 55% des enseignants ont répondu « Non ».

2 les réformes du curriculum et des programmes au préscolaire, au primaire et au secondaire

Question 2.1 Le contenu des grilles-matières du primaire et du secondaire ainsi que leur évolution depuis 1997 répondent-ils aux visées de formation poursuivies aujourd’hui en 2013?

Le choix des disciplines artistiques et du temps d’enseignement est fait par l’école (enseignants, parents et direction). L’exploration est encore à la base des décisions, ce qui engendre des problèmes de temps et de continuité. Cette conception de l’enseignement de 4 arts nuit à la qualité de l’enseignement de tous les arts. Il est nécessaire de repenser la distribution des matières artistiques au sein de la grille-matières et celle des autres matières spécialisées pour assurer un équilibre dans la formation. Il faut que la musique (et les autres arts) soit considérée

comme une matière à part entière, comme la géographie et la science, par exemple. L’exploration doit se faire en parascolaire.

Au 2e cycle du secondaire, dans le cas de la diminution de moitié du temps consacré à une matière artistique, nous assistons à la disparition progressive du programme de musique dans plusieurs écoles québécoises. Nous rappelons qu’en fait, les options artistiques ont été éliminées conséquemment à l’ajout du cours obligatoire.

Question 2.2 Commentez la mise en œuvre du Programme de formation.

Nous ne connaissons pas les personnes qui ont rédigé le programme de musique. L’absence de conseillers pédagogiques qualifiés en musique dans la plupart des commissions scolaires n’a pas aidé à l’appropriation et à l’implantation de notre programme. Il existe une disparité importante d’une commission scolaire à l’autre, et même d’une école à l’autre.

Question 2.3 La Politique d’évaluation est-elle cohérente avec les visées des réformes? Cette politique est-elle connue et appliquée?

La Politique d’évaluation des apprentissages, comme définie en 2003, est tout à fait conforme aux visées de la réforme. Elle est en cohérence avec les autres documents produits jusqu’à maintenant, soit les programmes et le Cadre d’évaluation des apprentissages de 2002.

Si les valeurs sont toujours présentes dans l’esprit des nouveaux encadrements du ministère en matière d’évaluation, il en est autrement des orientations. Nous croyons utile d’expliquer, de façon détaillée, la non-cohérence des nouveaux encadrements, c’est-à-dire, les nouveaux cadres d’évaluation.

La première orientation mentionnant que l’évaluation est intégrée à l’apprentissage et qu’elle ne constitue pas une fin en soi a été très peu suivie. La place prépondérante du bulletin dans la culture populaire et éducationnelle est en contradiction directe avec cette orientation.

Concernant la deuxième orientation, nous observons que la prolifération des épreuves obligatoires, en 2e, 4e et 6e années du primaire, et en 2e année du secondaire, en plus des épreuves liées à la sanction des études, font en sorte que le jugement professionnel de l’enseignant est de beaucoup réduit. De plus, l’ajout du critère d’évaluation (au primaire) se rapportant directement aux connaissances diminue d’autant la portée du jugement de l’enseignant. R

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Page 34: MUSIQUE - FAMEQ

I N F O R M AT I O N

32fameq.org | Volume 28 | numéro 3

Pour ce qui est de la troisième orientation qui concerne la différenciation en évaluation, il est clair que les enseignants ont encore peu de moyens, de ressources et de formation pour bien réaliser cette orientation. La plupart du temps, les critères et les exigences sont les mêmes pour tous les élèves. Par contre, les enseignants croient, à tort, que cette façon de voir l’évaluation en fonction des élèves engendre une inégalité. Ils ont du mal à y voir une équité qui tient compte des différences chez les élèves en apprentissage.

Les critères d’évaluation étant modifiés avec les nouveaux Cadres d’évaluation, il est évident que la quatrième orientation touchant la conformité avec les programmes ne tient plus. On ne peut en tenir compte puisque les critères ont été remplacés.

L’auto-évaluation favorisant la participation active de l’élève à l’évaluation est l’élément constituant la cinquième orientation. Encore là, nous observons que ce mode d’évaluation ne joue pas (ou joue peu) le rôle qu’il devrait. Considérant que le jugement professionnel en évaluation de l’enseignant est diminué dans les nouveaux encadrements, nous admettons facilement que celui de l’élève a aussi moins d’importance. Il faudrait que le portfolio soit utilisé dans ce sens pour assurer la participation de l’élève. De plus, le fait que la « justesse du retour réflexif » ne fasse que l’objet d’une rétroaction à l’élève, « mais ne doit pas être considéré dans les résultats communiqués à l’intérieur des bulletins » diminue la valeur de cet élément essentiel au développement des connaissances.

Concernant la sixième orientation, il est clair que lorsque la responsabilité est encadrée, voire inscrite dans les textes de loi et dans le régime pédagogique, nous pouvons croire que le rôle prévu pour les acteurs sera respecté. Par contre, lorsque des intervenants ont un rôle de collaboration, de concertation et de travail d’équipe, ils ont peu ou pas de place pour intervenir ou pour participer à l’évaluation.

La septième orientation porte l’attention sur « l’agir éthique », aspect difficile à cerner et à évaluer. Elle relève davantage du vœu pieux que de la réalité. Puisqu’aucun document n’existe pour contenir les balises, il est impossible de l’actualiser.

La huitième orientation met l’accent sur la qualité du français parlé et écrit. Son application a donné lieu à des pratiques discutables : par exemple, 10% de la note (de la compétence ou de la matière) est attribuée à la correction des fautes d’orthographe des travaux remis.

On devrait plutôt s’en tenir aux critères d’évaluation prévus dans certaines compétences ou utiliser les observations faites pour évaluer la compétence à écrire ou à communiquer oralement.

Les épreuves des 4e et 5e secondaires devant servir à l’obtention du diplôme sont peu différentes de celles d’avant la réforme. C’est difficilement comparable avec d’autres matières, car les échelles de niveaux de compétence qui servaient de balises communes ont été mises de côté. Leur utilisation prescrite pouvait nous assurer une validité à l’évaluation des cours sans épreuve, procurant tout de même des unités obligatoires ou essentielles à l’obtention du diplôme. La valeur du diplôme, comme mentionné à la neuvième orientation s’en trouve questionnable. En effet, les échelles situaient le niveau acceptable (60%), le niveau assuré (autour de 80%), ainsi que les niveaux inférieurs, en plus du niveau qui dépasse le programme (le niveau 1). Le travail effectué en classe permettait à l’enseignant d’établir le bilan en se fiant aux échelles pour chacune des compétences.

La dixième orientation, concernant la reconnaissance des acquis n’a pas eu de suivi, car cet élément de la réforme n’a pas vu le jour.

Question 2.4 En évaluation des apprentissages, quelle place devrait occuper le jugement professionnel du personnel enseignant?

La place du jugement professionnel de l’enseignant devrait être augmentée. À la suite de plusieurs changements, soit la conception du bulletin, les nouveaux critères des cadres d’évaluation et l’importance accordée aux connaissances, il y a peu de place pour le jugement de l’enseignant. De plus, la disparition du bilan de fin de cycle a contribué à diminuer la portée du jugement de l’enseignant. Nous savons que le résultat final est calculé automatiquement au lieu de provenir du jugement global de l’enseignant, pourtant en possession de toutes les traces recueillies.

L’abandon des cotes au profit d’un bulletin chiffré a aussi eu comme effet d’augmenter le calcul mathématique des évaluations au détriment du jugement de l’enseignant. Ce calcul est particulièrement difficile en musique où le jugement global se base sur des critères d’évaluation plus subjectifs. En somme, il est plus facile de compter les fautes en mathématiques ou en français qu’en musique où la technique et le respect du caractère ne se mesurent pas de la même façon. R

Page 35: MUSIQUE - FAMEQ

I N F O R M AT I O N

Question 2.5 Le bulletin unique est-il cohérent avec la Politique d’évaluation des apprentissages et répond-il aux attentes des parents?

D’une part, le fait d’avoir enlevé les trois compétences disciplinaires pour les remplacer par le mot « Musique » dans le bulletin, fait en sorte qu’il n’est plus cohérent avec la Politique d’évaluation des apprentissages. De plus, au primaire, nous déplorons le fait de ne plus évaluer les compétences transversales, car elles étaient plus faciles à évaluer. Cela nécessitait la collaboration et la concertation des enseignants d’un cycle et des autres intervenants de l’école, ce qui permettait un partage de cette responsabilité.

D’autre part, certaines matières comme le français et les mathématiques ont connu peu de changements. Ainsi, les parents n’ont pas vu de différence avec le bulletin précédant 2007. Cette situation renforce d’autant plus le clivage entre les matières plus importantes, dont le français, les maths et l’anglais même si, selon le Programme de formation de l’école québécoise, toutes les matières sont importantes dans le développement global de l’élève.

3 les réformes du curriculum et des programmes d’études à l’éducation des adultes

Nous ne sommes pas concernés par ce point.

4 notre bilan au sujet des réformes du curriculum et des programmes

Question 4.1 Quel bilan votre organisme trace-t-il de la réforme du curriculum et de celle des programmes?

À partir des questions formulées dans notre sondage, nous vous présentons ici un tableau qui illustre le manque de temps pour enseigner les connaissances contenues dans le programme.

a de façon approximative, quel pourcentage des connaissances contenues dans le programme est intégré à votre enseignement ?

Entre 40 % et 60 % (88)Entre 21 % et 40 % (68)

Moins de 20 % (21)

Moins de 20 % 21 6 %Entre 21 % et 40 % 68 21 %Entre 40 % et 60 % 88 27 %Plus de 61 % 153 46 %

Plus de 61 % (153)

B Quel est le facteur qui faciliterait le plus le développement des connaissances ?

De la formation (22)

Plus de temps (210)

Du matériel pédagogique (66)

Autre (32)

Plus de temps 210 64 %De la formation 22 7 %Du matériel pédagogique 66 20 %Autre 32 10 %

Question 4.2 Quels sont les principaux leviers sur lesquels les milieux ont pu s’appuyer?

Les enseignants de musique ont participé à des séances d’information données par les ressources éducatives des commissions scolaires. La conseillère pédagogique en musique (une seule à la Commission scolaire de Montréal), les conseillers pédagogiques 4 arts, les répondants de dossiers en arts et quelques enseignants désignés constituent les ressources accessibles pour aider à la mise en œuvre du programme de musique. Les formations offertes par le MELS s’adressaient particulièrement à ces conseillers pédagogiques, souvent responsables de plusieurs dossiers, et non pas aux enseignants. Certains parmi eux ne sont pas en mesure de transmettre les contenus et les moyens pratiques pour appliquer le programme; Ainsi, l’information ne parvient pas toujours aux enseignants de musique tel que cela souhaité. Plus de la moitié (53%) des enseignants qui ont répondu à notre sondage affirment ne pas avoir eu de formation en lien avec les modifications au régime de formation qui ont eu lieu en 2011.

Question 4.3 Quels sont les principaux obstacles rencontrés tout au long de la mise en œuvre de ces réformes?

Les principaux obstacles rencontrés tout au long de la mise en œuvre sont liés à des problèmes de communication. L’information sur le site du MELS est difficile à trouver. Dès le départ, le programme a été mal expliqué. Les informations provenant du MELS ne sont pas claires, notamment sur le plan de l’évaluation. R

33 Musique et pédagogie | fameq.org

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I N F O R M AT I O N

34fameq.org | Volume 28 | numéro 3

5 les perspectives d’avenir

Question 5.1 Que faut-il conserver?

Après tous les efforts consentis, nous croyons qu’il faut conserver les fondements et les programmes. Nous réclamons encore que le programme de musique, partie intégrante du domaine des arts, soit considéré comme un programme à part entière. Les 3 compétences disciplinaires doivent demeurer au programme, de même que les connaissances essentielles au développement des compétences.

Question 5.2 Que faut-il réviser ?

a Certains éléments reliés au langage musical et aux savoirs essentiels doivent être revus ou remplacés, par exemple la place de l’histoire de la musique, la notation traditionnelle et non traditionnelle, le vocabulaire enfantin (les court-court-long!!). Il serait avantageux d’utiliser les termes reconnus propres à la musique et d’expliciter l’apprentissage de la lecture des notes.

B Les dispositions du régime pédagogique pour l’enseignement des arts :

Au primaire : •Regroupertouteslesmatièresdansletempsrépartipouréviter

un déséquilibre et assurer le 60 min/semaine;

•Obligerlacontinuitédans2matièresartistiques;

Au secondaire : •Reveniraux100heuresàpartirdu2ecycledusecondaire;

•Assurerunecontinuitéau2ecycledusecondaire.

C La présence de 4 disciplines artistiques obligatoires dans une école : pourquoi ne pas déterminer 2 arts obligatoires et 2 arts optionnels.

d La décentralisation : il y a trop de marge de manœuvre pour les écoles.

e Dans le programme : la création est un défi pour les enseignants de musique, car ils n’ont pas les conditions favorables (bruit, manque de temps pour appliquer le programme dans son

intégralité, manque d’outils techniques et technologiques, et manque de formation initiale adéquate). Nous réalisons que la formation musicale classique intègre peu la création, la démarche créative étant plutôt liée à la musique contemporaine. Les styles pop et jazz offrent de meilleures possibilités et se rapprochent davantage des centres d’intérêt des jeunes d’aujourd’hui.

F En évaluation, revenir à ce qui aurait dû être avant les nouveaux cadres d’évaluation.

Question 5.3 Que faut-il abandonner?

L’exploration en arts dans un contexte de matière obligatoire nuit à la qualité de l’enseignement de la musique. Cette conception erronée de l’apprentissage artistique ne favorise pas la contribution souhaitée du domaine des arts à la formation générale des élèves québécois au 21e siècle.

ConClUsion

Les réflexions présentées dans ce mémoire reflètent les opinions des enseignants spécialistes en musique des niveaux primaire et secondaire après plus de dix ans de mise en œuvre du programme de musique. Nous constatons que les réformes ont apporté leur lot de changements, allant de l’amélioration du curriculum à certains égards jusqu’à une application souvent déficiente en enseignement des arts, de la musique en particulier.

Nous remercions le Conseil supérieur de l’éducation de nous donner la chance d’exprimer nos inquiétudes face à l’avenir d’un apprentissage de la musique accessible à tous les élèves québécois.

Ce mémoire nous a permis de mettre en lumière les principaux obstacles qui empêchent une application réelle de notre programme. La vision actuelle du ministère qui favorise l’exploration dans le domaine des arts a comme effet de cantonner chacune des disciplines artistiques dans le domaine du divertissement ou du loisir. Le milieu scolaire s’intéresse à l’enseignement de la musique ou d’une autre matière artistique avant tout comme une vitrine pour l’école tout qui offre aussi une période libre aux titulaires du primaire. Pourtant, les arts font partie des cinq domaines d’apprentissage. La formation en musique comporte l’apprentissage d’un langage, de techniques et de principes particuliers au même titre que les langues, la mathématique, la science, l’univers social et le développement personnel.

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Contribuer à la revue Musique et pédagogie

C O N T R I B U T I O N

35fameq.org | Volume 28 | numéro 3

La revue Musique et pédagogie souhaite donner la parole aux enseignants de musique. Les expériences que vous vivez dans vos milieux respectifs, qu’elles soient positives ou négatives, sont importantes pour la communauté; elles peuvent renseigner, inspirer, rassembler.

Nous sommes bien seuls dans nos écoles. Musique et pédagogie est l’un des moyens par lesquels les enseignants de musique peuvent briser cet isolement, susciter des échanges, créer des liens avec d’autres enseignants qui partagent les mêmes réalités. Nous attendons donc vos textes avec impatience.

Vous souhaitez soumettre un article ? Voici quelques exemples de thématiques :

• Un projet mené dans votre école, votre commission scolaire ou votre région FAMEQ;

• Une situation vécue dans votre école, votre commission scolaire ou votre région FAMEQ;

• Une enseignante ou un enseignant de musique à qui vous aimeriez rendre hommage;

• Un sujet que vous avez approfondi et dont vous aimeriez partager la synthèse.

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