MUSIQUE ET VIE - Collectif Morts de la Rue · ou ont vécu à la rue, pour survivre ou se...

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Editorial Une musique qui aide à vivre Ce numéro est né de conversations entre les “Chroniqueurs” et les jeunes musiciens d’un groupe de Reggae qui organise des concerts pour des causes huma- nitaires (association Agis’sons), dont l’un prochainement pour le Collectif Les morts de la rue. La rencontre, dans le cadre des Enfants du Canal révéla que la musique tient une place énorme dans la vie des gens qui vivent ou ont vécu à la rue, pour survivre ou se reconstruire. Le texte de Fitz en est ici un témoignage impressionnant, mais aussi les discussions passionnées entre ces méloma- nes à la rue et ces étudiants qui jouent l’été dans la rue, sur le rythme et la parole, la musique et la manche, le choc des cultures. Evidemment la musique dont il s’agit ici, comme en témoigne l’interview de Samuel et de Nico, musiciens de combat, ou les chansons de Bill Deraime, n’est pas celle des supermarchés ni de la télé- vision, qui vous enferme hors de soi, mais celle d’un art engagé, une musique qui serve à quelque chose. A quoi ? A vivre . Aussi bien, avec les autres qu’avec soi-même. En dernière page un poète, donc un musicien, François Villon, accompagne notre hommage aux morts de la rue du 18 novembre.. Axel, Bernard SOMMAIRE La musique et la rue, témoignage : Fitz, “Quelque part dans Paris, un soir de janvier…” Conversations des Chroniqueurs : sur la musique, la chanson, le rythme, le choc des cultures. Interview de Samuel et Nico, musiciens du groupe Donkey Jaw Bone Chansons de Bill Deraime et Miguel Angel Sevilla Théâtre : Les “SDOUFS” Hommage aux Morts de la rue du 18 novembre 2009 :“Frères humains qui après nous vivez…” Aux 4 coins de la Numéro 6 • Décembre 2009 “Une journée de plus en moins”, c'est sur cette sentence qu'il ironisait bien souvent quand après avoir tapé la manche toute l'aprés-midi,il installait son campement nocturne dans un des endroits qu'il avait reperés.Vu la tronche du ciel valait mieux opter pour un lieu à l'abri car même s’il était mal protégé du vent, c'était toujours moins grave que de se faire réveiller par la pluie. Et puis la Providence avait bien voulu dans son immense mansuétude laisser sur sa route assez de cartons pour qu'il puisse en constituer un matelas de fortune pour lui et ses chiens. Demain, au réveil, le centre de formation d'en face serait ouvert,et avec lui la possibilité d'accéder à la machine à café à 40 centimes... Mais demain c'était déja loin,avant de voir un nouveau jour se lever sur sa misére, il allait falloir se détendre asez pour passer une nuit pas trop désagréable. Il savait qu'en cela les quelques canettes de bière que contenait son sac l'aide- raient énormément... 1 Collectif Les Morts de la Rue MUSIQUE ET VIE Collectif Les Morts de la Rue - Association déclarée (JO du 18 mai 2002 N° 1258 et du 19 avril 2003 N° 1548) - Bureau : 72 rue Orfila 75020 PARIS • Tél. 01 42 45 08 01 • Fax 01 47 97 23 87 • Port. 06.82.86.28.94 [email protected] - www.mortsdelarue.org “Sans la musique, la vie serait une erreur” Nietzsche La musique et la rue, témoignage Quelque part dans paris, un soir de janvier...

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Editorial Une musique qui aide à vivre

Ce numéro est né de conver sat ions entre les“Chroniqueurs” et les jeunes musiciens d’un groupe deReggae qui organise des concerts pour des causes huma-nitaires (association Agis’sons), dont l’un prochainementpour le Collectif Les morts de la rue. La rencontre, dansle cadre des Enfants du Canal révéla que la musiquetient une place énorme dans la vie des gens qui viventou ont vécu à la rue, pour survivre ou se reconstruire.Le texte de Fitz en est ici un témoignage impressionnant,mais aussi les discussions passionnées entre ces méloma-nes à la rue et ces étudiants qui jouent l’été dans larue, sur le rythme et la parole, la musique et la manche,le choc des cultures. Evidemment la musique dont ils’agit ici, comme en témoigne l’interview de Samuel etde Nico, musiciens de combat, ou les chansons de BillDeraime, n’est pas celle des supermarchés ni de la télé-vision, qui vous enferme hors de soi, mais celle d’un artengagé, une musique qui serve à quelque chose. A quoi ?A vivre . Aussi bien, avec les autres qu’avec soi-même.En dernière page un poète, donc un musicien, FrançoisVillon, accompagne notre hommage aux morts de larue du 18 novembre..

Axel, Bernard

SOMMAIRE

! La musique et la rue, témoignage : Fitz,“Quelque part dans Paris, un soir de janvier…”

! Conversations des Chroniqueurs : sur lamusique, la chanson, le rythme, le choc descultures.

! Interview de Samuel et Nico, musiciens dugroupe Donkey Jaw Bone

! Chansons de Bill Deraime et Miguel Angel Sevilla

! Théâtre : Les “SDOUFS”

! Hommage aux Morts de la rue du 18 novembre2009 :“Frères humains qui après nous vivez…”

Aux 4 coins de la

Numéro 6 • Décembre 2009

“Une journée de plus en moins”, c'est sur cette sentence qu'ilironisait bien souvent quand après avoir tapé la manche toutel'aprés-midi,il installait son campement nocturne dans un desendroits qu'il avait reperés.Vu la tronche du ciel valait mieuxopter pour un lieu à l'abri car même s’il était mal protégé duvent, c'était toujours moins grave que de se faire réveiller par lapluie. Et puis la Providence avait bien voulu dans son immensemansuétude laisser sur sa route assez de cartons pour qu'ilpuisse en constituer un matelas de fortune pour lui et seschiens. Demain, au réveil, le centre de formation d'en face seraitouvert,et avec lui la possibilité d'accéder à la machine à café à40 centimes... Mais demain c'était déja loin,avant de voir unnouveau jour se lever sur sa misére, il allait falloir se détendreasez pour passer une nuit pas trop désagréable. Il savait qu'encela les quelques canettes de bière que contenait son sac l'aide-raient énormément...

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Collectif Les Morts de la Rue

MUSIQUE ET VIE

Collectif Les Morts de la Rue - Association déclarée (JO du 18 mai 2002 N° 1258 et du 19 avril 2003 N° 1548) - Bureau : 72 rue Orfila 75020 PARIS • Tél. 01 42 45 08 01 • Fax 01 47 97 23 87 • Port. 06.82.86.28.94 [email protected] - www.mortsdelarue.org

“Sans la musique, la vie serait une erreur” Nietzsche

La musique et la rue, témoignage

!Quelque part dans paris, un soir de janvier...

Un bon zapping radio: du Rockau Jazz…Et puis un peu de musique,sans laquelle“la vie serait une erreur” selonNietzsche. Ce soir, il n'avait pas son MP3,qu'il avait confié à une gentille petitemiss qui s'était proposée pour enrecharger la batterie. Donc ce soir pasde métal bourrin pour celui qui aimaitsentir sa rage s'unir aux rythmes sauva-ges et démentiels de groupes tel queHatebreed ou Cannibal Corpse avantde s'apaiser les neurones sur du NoirDésir ou du Janis Joplin qui figurait égale-ment sur le tracklisting de son MP3.Non, il allait devoir se contenter d'unbon “zapping radio” pour égayer sasoirée et trouver la bande originale dufilm de sa vie… “A toute chose malheurest bon” dit le vieil adage et c'était vraique parfois faire virevolter ses tympansau gré des programmations des stationsde la bande FM lui avait procuré quel-ques agrébles surprises... Un bon vieuxclassique du rock offert par les “noctur-nes” de RTL ou s'élevant au-dessus de lasoupe commerciale de la pop-rockactuelle balancée à grandes louchéespar les stations prévues à cette effet...Parfois c'était aussi un grand classiquede la chanson francophone qui crevaitles ondes au milieu des programmes de“Nostalgie”(de la soupe encore maisétiquetée “ancienne recette”).Parfoisquelques hymnes engagés et intempo-rels accrochaient son oreille sur Radio-Libertaire qui avait malheureusement lamanie de faire tourner sa programma-tion musicale en boucle... Il y avait aussides crises de rires sur un sketch sur“Rires et chansons”, et ceci même s’ilen connaissait la majorité par coeur aupoint de pouvoir les réciter... Certainssoirs d'été il se laissait aussi transpor-ter par un bon vieux jazz dans le style“New-Orleans” qu'on pouvait enten-dre sur TSF et son blues de SDF blancdes années 2000 trouvait un écho puis-sant dans celui du vieux noir du borddu Bayou des années 20.Ségrégationoblige...

…et de la “grande musiqueclassique”Mais ce soir c'était l'hiver parisien etmalgré l'alcool qui réchauffait son corpset maintenait en vie son âme,on étaitloin de la t iédeur humide de laLouisiane.Non,pour apporter un peude beauté et de grandeur a cette soirée,il fallait de l'opéra, du symphonique.Beethoven, Wagner, Sibélius, Verdi,Tchaïkovski, Malher, c'étaient les chef-oeuvres éternels de ces génies dont il

avait besoin pour conserver un semblantde survie spirituelle. Un peu commeAlex le personnage principal d'“OrangeMécanique”, c'est dans cette musiquequ'il pouvait sublimer cette animalitédont il devait faire preuve pour ne passe laisser bouffer par la rue. Oui, pour nepas perdre le respect dû à l'humain ildevait au quotidien voiler son regardd'un soupçon de haine pour répondre àl'insulte muette de ceux qui ne savaientque le dévisager avec mépris.Lui aumoins savait plonger au cœur de sesinstincts barbares et en tirer un semblantde poésie. Ses lointains ancétres païensvivaient dans les forêts profondes,sacri-fiaient des bœufs à leur divinités belli-queuses et arrachaient les glandessurrénales de leurs ennemis pours'abreuver de leur adrénaline aprés labataille. Comme eux, il avait éduqué deschiens à la défense de son territoire,comme eux il s'était fait tatouer le corpspour montrer à l'éventuel adversairequ'il s'était préparé à la souffrance ducombat et lui inspirer la crainte. Dansl'ivresse de la bière et de la musique il sesentait proche de Tannhauser, le guer-rier-poète de la légende qui fuya l'amouréternel de Vénus pour venir quérir lamortalité parmi les hommes.Et quicon-que voudrait contester le fait que cethéritage coulait dans ses veines devraiten répondre devant les mâchoires deses molosses et la lame du couteau qu'ilcachait prés de sa tête pour tranquilliserson sommeil...Ils lui faisaient pitié,à lui,ces “bourgeois-bohémes” qui croyaientqu'on pouvait user de diplomatie avecdes autocrates et qui se vautraient dansla suffisance de ceux qui se croient àl'avant-garde d'une évolution sociale.Tiédes comme le vomi qui sortait desa bouche un soir de trop-plein d'al-cool, ainsi les voyait-il et que Jésus luipardonne d'avoir emprunté et écorchécette métaphore.Lui,la principale motiva-tion de sa survie, c'était de la considérercomme une insulte à un système qui levoudrait résigné et soumis. Si c'était cequ'on attendait de lui,alors il y avait peud'espoir qu'il puisse s'intégrer un jour... LaMort viendrait à lui, peu de gens, danscette ville, pouvaient le ressentir aussiclairement que lui, ce soir. Puisse-t-elleseulement venir après la Justice,ou levoir quitter ce monde en héros,et nonen statistique d'un quelconque minis-tére...

FITZ

Décembre 2009

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Conversations des “chroniqueurs”! Conversation 1

QUELQUE PART DANS PARIS, UN SOIR DE JANVIER... (suite)

André, Alexe, Axel, Bernard, Brigitte, Bruno, Claude, Eric , Micheline, Philippe, Pierre, Régine, Stéphane

Importance de la musique dansla vie des gens Brigitte : La musique , c’est mon médica-ment. Dans la rue, j’avais toujours unwalkman.Richard : C’est 80% de ma vie.. La viemême , c’est une musique Moi, le matin,quand je me lève , j’allume la radio, jemets Sourires et chansons. Qu’est-ceque ça m’apporte ? ça me calme, çaempêche la monotonie.Philippe : Ca enlève le stress, c’est uneoccupation, une présence.André : Pour la plupart des résidents quivivent ici, c’est un médicament.Micheline : J’ai chanté pendant dix ans.C’était un atelier de chant (la choraled’ATD Quar t Monde). Pour tant jen’étais pas de la partie. Quand j’étaisjeune, la radio me suivait par tout, jeconnaissais tous les chanteurs. Il m’ar-rive de chanter pour moi toute seuledes chansons qui me reviennent.Philippe : A la gare du Nord, on avait ungros poste à piles. On mettait à fond lamusique.Les gens venaient à côté denous pour écouter. Après, le groupe acommencé à grandir.Claude : Moi, je vais écouter des orches-tres de rue avec plusieurs instruments,flûtes, violons…, près des Galeries LaFayette ou à la Bastille.Bruno : Ma passion principale , c’est lamusique . Quand je me réveil le , lapremière chose que je fais , c’est d’écou-ter de la musique.Après le petit déjeu-ner , la première chose que je fais, c’estd’en jouerRichard : Parce que tu as les moyensd’avoir un instrument.André : Je jouais de la basse ; Moi, c’est leblues. Mais j’ai passé deux ans et demi àla rue. Je n’ai plus d’instrument.Bruno : Moi, je suis unprivilégiécomplet.Je fais dupiano et dumelodica : c’estcomme unharmonica, maisavec un clavier àtouches. ; ça fait des petitsthèmes.

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Aux 4 coins de la rue

Musique, parole, rythme

Musique et ParoleAxel : Quand vous écoutez de la musi-que, qu’entendez-vous en premier ?Eric : Quand les textes sont très forts,par exemple dans une prière, moi, j’ou-blie la musique. C’est alors plutôt unrythme qu’une mélodie. Il y a du chantétrès parléRichard : Moi, je n’écoute pas trop lesparoles, mais le piano, la batterie, tout cequi est derrière. Mozart, sa musiquechante. Et toi, dans le reggae, tu jouessur des paroles , mais la musique parleavant les paroles, appelle les paroles.Régine : On ne peut séparer la musiquede la parole ; c’est comme si elle étaitperfusée du message.Micheline : La musique est plus forteque le mot.Axel : Pour moi, je vois le chanteurcomme un autre instrument. Dans lesmusiques traditionnelles , le chantsouvent se passe d’autre instrumentque la parole.Et chaque instrumentintroduit un autre langage, d’autresémotions que le langage parlé humain.En fait, tantôt la force du texte est plus

important que la musique , tantôt on ades musiques où le texte n’a aucuneimportance. C’est aussi vrai au niveaude la création : deux exercices différentsLe poète Valéry disait que pour certainsde ses poèmes, le rythme avait précédéles mots. Chez Brassens, et dans leschansons à texte, la musique sembleplutôt au service des paroles. Stéphanese balade dans Paris, note tout ce qu’ilvoit et ensuite il a envie de mettredessus de la musique traduisant sonémotion : c’est un écrivain. En fait,

chaque langue est faite de son et desens, a sa musicalité propre, mais, danscertaines langues africaines, ils ont l’air dechanter quand ils parlent.Tandis que lalangue française est difficile à manier surdes musiques afroaméricaines qui sesont construites sur une langue anglo-saxonne.

Musique et RythmeBernard : Mais cer tains instrumentsappor tent moins une parole qu’unrythme.André : Par exemple la basse , c’est lerythme, la vibration, c’est le corps.Richard : Comme la batterie . La batterieaussi , c’est le corps.Axel : Après, ça dépend beaucoup dustyle. Dans le reggae, la batterie donne ledépart, puis viennent les autres instru-ments.Bruno : Le reggae est une musiquepercussive. On est tous une percussion,comme si l’un avait une cloche, un autreun boum-boum. Quand je fais du reggaesur mon piano, je ne fais pas du piano, jefais des ensembles r ythmiques quidonnent des émotions.

s des “chroniqueurs”o, Claude, Eric , Micheline, Philippe, Pierre, Régine, Stéphane

! Conversation 2

Manche et musiqueBruno : Pendant l’année, on est des privi-légiés, mais l’été, depuis trois ans, on partsans budget, en vélo pendant deux moiset demi , avec un duvet mais pas d’ar-gent pour aller dans les campings, et, onjoue de la musique pour gagner notreargent, tantôt devant des terrasses decafé, 30 minutes.et on passe le chapeau,tantôt on pose le chapeau et on joueune heure une heure et demi. La musi-que rend les gens généreux , on gagneassez pour avoir tout ce dont ont besoindes petits jeunes comme nous. C’est dela musique douce qui n’agresse pas, plusou moins grand public. Les enfants nousregardent avec des grands yeux. Un jourun monsieur nous a invités dans unrestaurant italien. C’est ce que Brigitteappelait “la rue heureuse”. On n’a pasrencontré de méchantes personnes nide gens violents. Seulement un jour,devant le port de La Rochelle.alors queles gens venaient s’amuser avec nous,

une dame très alcoolisée, s’est mise àdanser ; ça a perturbé le public. Ils ontpu se dire : je ne peux avoir le mêmeplaisir que cette per sonne-là. I lspoucroyaient peut-être qu’on voulaitles faire boire ! Richard : Moi, je m’occupais du chapeau ;un autre faisait la musique ; je disais :“Messieurs, Dames, pour la musique… Iljoue bien, etc…”Bruno : Quand on me dit :“Une pièce !”,on peut répliquer : “Vous êtes sûr ?”Une fois sur deux, ça marche. Ceux quivous snobent, quand ils voient qu’au-tour d’eux , tout le monde donne, s’éxé-cutentPhilippe : Par beau temps, moi, je faisaisrigoler en demandant :“Vous n’avez pasune pièce ou deux pour acheter unparapluie ?”Bruno : C’est très enrichissant, les rencon-tres, avant même de faire de la musi-que, malgré qu’on soit sale et barbu

Richard : Plus t’es sale, mieux tu fais lamancheBruno : Mais quand on fait de la musique,ce n’est pas la même manche quequand tu es seul. Là, il y a une interac-tion.Régine : La musique est toujours liée àun échange :écouter, émettre, recevoir,faire la manche.

! Conversation 3

Le choc des cultures Ecoute enrichissante ou dialogue desourds ?

Axel : Il y a une grande différence entreles cultures. L’interprète de notre musi-que occidentale , d’un morceau deSchubert, par exemple, cherchera à faireressentir ce que l’auteur a voulu, tandisque le musicien de jazz , c’est directe-ment ce qu’il ressent ; Dans la musiqueclassique , on éduque ton oreille avec lesolfège , à partir de ta mémoire visuelle.On te fait travailler avec du papier. Lereggae, qui est une musique nord-améri-caine ne s’écrit pas.Toutes les musiquesblack, africaines, tout ce qui est blues,jazz, sont de tradition orale, tu l’apprendsavec tes oreilles , et pas seulement lesoreilles , tous les sens entrent en jeu.

Bruno : Le petit africain qui a entendude la percussion depuis qu’il est né adans l’oreille une palette rythmiqueincroyable. Il est vrai que le petit euro-péen qui a écouté du classique dans sabonne famille depuis qu’il est né a, luiaussi, dans l’oreille une belle palette degammes.

Alexe : Un ethnologue travaillait avecdes amérindiens à qui il a voulu faireécouter de la musique de chez nous,Maispour eux, Mozart, c’était juste du bruit ,qu’ils n’ont accepté d’écouter que quel-ques minutes, pour faire plaisir.La variétéfrançaise, c’était encore pire. C’est doncculturel. D’où le risque d’un dialogue desourds. Mêmes les émotions sont cultu-relles ; “éperdument amoureux n’existepas pour dans une société où on semarie pour avoir des enfants. Il y pleinde choses que nous croyons universelleset qui ne concernent que nous.”La différence entre les amérindiens etles occidendentaux, on la retrouve dansla façon de ressentir entre toi et moi, unrappeur et un amateur de musique clas-sique. Cela n’empêche pas qu’il y aitdes rythmes, des sons à importer desuns aux autres.

Rap et hip-hop

Axel : Les Brassens d’hier sont lesrappeurs d’aujourd’hui.Autre plaisir, autrelangage , la langue française évolue aussi.Les rappeurs, dit Pierre ne montrent pasla beauté, ils ne font que dénoncer deslaideur s. On peut expliquer cettemauvaise réputation, répond Axel : leurstyle est mélancolique, triste, mais onpeut faire une chanson triste sur unemusique joyeuse. C’est un style trèsfréquent dans le rap. Le hip-hop, lui vientdu jazz ou de la funk, C’est un peu lourd,répétitif,sombre. On peut le dire aussiagressif dans la façon de chanter.

Alexe : Le Hip-hop, ce sont desmorceaux de musique repris et collés àla suite.Au départ , quand ça a été créé,c’était en effet pour faire à partir dequelque chose de vraiment noir quel-que chose de créatif. Le Hip-hop estpresque un mouvement spirituel. Unchanteur de Hip-Hop s’était retiré d’ungang en disant : je vais faire quelquechose de plus humain que de se tuer.Quand quelqu’un chante :“Ne laisse pastraîner ton fils, ce n’est pas noir.” C’esthumaniste. C’est faire de la beauté avecdu réel.A partir d’une réalité insoutena-ble on peut symboliser, humaniser trou-ver un langage pour exprimer, Ce sontdes gens qui n’avaient aucune formationmusicale et se sont faits tout seuls.

Chanteur mauditPour Jean-Yves Kerouredan

LES GENS PASSENT DEVANT MOIET PAS UN NE S'ARRETE

C'EST COMME SI J'EXISTAIS PAS,POURTANT JE CHANTE A TUE-TETE

C'EST BIEN QU'UNE GROSSE BANDE DE BLAIRSQUI NE COMPRENNENT RIEN

MAIS SANS CETTE BANDE PATIBULAIREQU'EST CE QUE JE VAIS FAIRE DEMAIN ?

MA CAISSE EST TOUJOURS VIDEY'A QU'LA PIECE D'UN EURO

QUE J'AI MISE MAIS C' EST LE BIDEPOUR SUGGERER LE PRIX DE MON SHOW

AU PASSANT QUI PASSE TOUJOURSDANS SON BROUILLARD EPAIS

SANS MEME VOIR QUE PLUS IL COURT PLUS LES ZOMBIES LE SERRENT DE PRES

R : J’ SUIS UN CHANTEUR MAUDITMAIS FAUT PAS QUE J'DESESPERE

SOS AU FOND D'UN PUITS UNE VOIX QUI CRIE DANS L' DESERT

J’ SUIS UN CHANTEUR MAUDITMAIS FAUT PAS QUE J’ DESESPERE

UN ARTISTE INCOMPRIS UN DE CEUX QUI PERSEVERE J’PERSEVERE J’PERSEVERE

QU'EST CE QU'IL FAUT QUE JE FASSE POUR VOUS INTERESSER ?

QUE J'JOUE D'LA CONTREBASSE MANCHOT AVEC LES PIEDS ?

ÇA FAIT 2 HEURES QUE J'ME DECHIRE ARRETEZ VOUS UN PEU

AH FAITES MOI JUSTE UN PAUV' SOURIRERIEN QU' UN GESTE AFFECTUEUX

AU MOMENT OU J'Y CROIS PLUS,Y'A DEUX MECS QUI S'ARRETENT

CES DEUX LA M'ONT BIEN VUMAIS C'EST PAS UN DUO D'ESTHETES

LE P'TIT TRAPPU BOURRU S'APPROCHELES DEUX PIEDS DANS MA CAISSE

Y' M' SORT UNE CARTE DE SA POCHEET M'DIT “CASSE TOI D'LA EN VITESSE”

JE SUIS UN CHANTEUR MAUDIT MAIS FAUT PAS QUE J'DESESPERE

SOS AU FOND D'UN PUITS UNE VOIX QUI CRIE DANS L' DESERT

JE SUIS UN CHANTEUR MAUDIT

MAIS FAUT PAS QUE J’DESEPÈRE...

Dans le prochain numéroUne interview de Bill Deraime

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Décembre 2009

Conversations des “chroniqueurs”! Conversation 4

Aux 4 coins de la rue

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Si je pouvais me hisser sur le toit du monde, je m ‘arracherais àle dire, je le crierais de toutes mes forces, je le hurlerais detout mon être à m’en briser la voix, à m’en couper le souffle, enexplosant mes poumons.Tes galeries de l’obscurité sont le reflet de ta pourriture,Prison, centre de rétention, telle est ta nourriture.Tu fuis ta responsabilité en les enfermant dans tes cages dusilenceQu’il est loin le respect des droits de l’hommeAh ! Oui, j’avais oublié, c’est le respect des droits de l’homme…blancPas facile de passer du noir au blanc : une blanche vaut deuxnoires .Même dans la musique, t’as voulu les dominer , mais ils conti-nueront à chanter l’égalité.

Il est trop noir ici, il devient trop blanc chez lui.Tu as joué pour eux l’antidote du désespoir.Tu t’en souviens , i ls sont morts devant le mur de tesrichesses,Yaguine et Fodé.Ils avaient 14 et 15 ans : deux jeunes chantant les parolesd’une vie meilleure, deux jeunes que tu as tués pour continuertes horreurs.T’as pas arrêté l’esclavage parce que tu les as vus hommes.Mais parce que ça te coûtait trop cher, tu les a colonisés pourmieux les exploiter.Jusqu’à leur culture, que t’as transformée en folklore, en musée.J’incrimine ta mentalité qui réduit tout à l’économie.Une bague en or cause le cauchemar de ta vie.

Pierre : Prendre un enfant par la main,c’était une musique fédératrice . On n’aplus ça.Régine : J’ai au contraire l’impression qu’ily a aujourd’hui des jeunes qui ne sesentent plus fédérés que par la musique.C’est un des seuls moyens de s’expri-mer pour eux dans notre société. Dansune société où on ne se tolère pas,parmi ces mouvements éclatés où desjeunes, qui ne parviennent pas à s’y inté-grer, s’engagent, il y a peut-être le débutde la société de demain. Cette musique-là est dans la rue, dans les salles. deconcert…

Mais en même temps,la musique, çapeut enfermer. Il y a un risque de ghettodu rap ou du Hip-Hop.Pierre : La musique actuelle est une musi-que de violence, elle justifie la violence .Richard Pas d’accord, la musique peut-être une réponse à la violence.Bernard : Il y a des musiques qui piègent.La musique de supermarché, la musiqued’ambiance, faite pour euphoriser, exciterà la consommation, conduire le clientdans le lieu où il va acheter..Tu perds lanotion du temps Axel : Ou bien à la télé, les musiquesde divertissement excitantes avec des

femme nues, des couleurs,des paillettes.Aussi bien des musiques thérapeutiquesqui apaisent, ou au contraire vous éner-vent,vous portent sur les nerfs, vous fontperdre la tête.Avec la musique on peutguider un comportement.Ces musiquesvous enferment hors de vous-mêmes.Ce sont les musiques qu’on reçoit maisqu’on n’écoute pas.Régine : Car la musique qui libère, c’estcelle qui renvoie à ton propre silence,pour une solitude pleine, à ton rythmeintérieur.

! Conversation 5Musiques qui ouvrent, musiques qui enferment musiques qui fédèrent,musiques qui piègent

Richard : Qu’est-ce que tu penses de lamusique en tant que musicien ?Axel : C’est une colle qui demanderaitune longue réponse. Pour moi, la musi-que est d’abord un art. On peut certesfaire de la musique pour se distraire,s’amuser, se relaxer, se calmer ; on peutaussi en faire uniquement pour soi, dansun esprit égoïste, en fermant la porte,et le musicien peut être seul au monde àcomprendre sa musique. Mais pour moi,le but de l’artiste, c’est de divulguer samusique, de révéler des émotions à l’au-diteur qui aimera ou non cette musique.Il y a ainsi des musiques qui font peur,d’autres qui donnent des émotions

d’amour, ou de colère, de rage, d’énerve-ment, des musiques de stimulationintense comme la techno…

Bruno : Quelqu’un disait tout-à-l’heureque la musique, c’était sa vie. On peut eneffet le dire sans être musicien. En faittout est rythmé en nous et ce rythmeamène les émotions. La vie, c’est lerythme, le battement de cœur.

Régine : Je ne suis pas musicienne dutout, mais je suis allé écouter mon filsAxel et ses amis, et j’ai aussi cette expé-rience de travailler avec les rythmes de lavie, les rythmes extérieurs : la musique,mais aussi bien les bruits de la rue , toutce qu’on peut entendre en deça même

du verbal. Et quand le rythme intérieur,qui est ta propre vie est en difficulté, lesrythmes extérieurs peuvent t’aider àavancer, ou simplement à tenir, en tepermettant à la fois te retrouver toi-même et de retrouver la possibilité d’unerelation avec autrui.Richard : La musique ouvre les portes .André : C’est une vie dans la vie

! Conversation 6Rythme intérieur, rythmes extérieurs

Les SDOUFS “une blanche vaut deux noires”

! Théâtre Du Carton au carton !!!, Spectacle “résist-tente” par la troupe de théâtre Les Sdouf, écrit et mis en scène par Myriam, joué par Marc, Kamel et Myriam <http// : douf.overog.com>

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“L’injustice devrait être aberrante”

En quoi vous sentez-vous concer-nés par la précarité ?

Nico percussionniste et tourneur deDonkey Jaw Bone : On a commencé avecpeu de moyens en fait : du vieux matosdes années 70 et des claviers qu’on arécupéré. Samuel a fait lui même lestravaux du studio [à Carrières sur Seine,dans les Yvelines, ndlr] : monter les murs,posés les carreaux etc.Quand on a ouvert notre studio, le bâti-ment voisin était aussi tenu par unmarchand de sommeil. Il n’y avait quequatre douches pour les quatre-vingt dixpersonnes qui logeaient dans une sériede pièces sans fenêtres. Heureusement,le préfet des Yvelines a fini par interveniret a fait fermer les lieux.

Samuel, chanteur, guitariste, et bassistedu groupe : Nous voulions faire plus que“simplement” jouer de la musique. On adonc monté Wendo Guenet Productionsavec des amis de longues dates. C’estun moyen de s’entraider et de se fairetravailler entre amis. On a, par exemple,notre propre électricien, qui nous dépanne

et à qui on donne un petit cachet pourtoutes ses prestations. On partageensemble nos revenus en quelque sorte.

Quel est le message véhiculé parvotre musique ? Samuel : La musique rasta nous sert àdéfendre les causes de la vie, à dénoncerles injustices. Les paroles sont la basedu reggae, qui est une musique d’invita-tion à comprendre les évènements. Lereggae a un côté humain qui revendiqueplus de partage des ressources, plusd’égalité, qui dit qu’on ne n’a pas le droitde faire souffrir les gens et de les lais-ser indifféremment à la rue. L’injusticedevrait être aberrante.

“Faya Babylon” un de nos titres veut ainsidire “à mort l’oppresseur, qu’il soit noirou blanc”. J’y parle de la mentalité desgens qui veulent tout contrôler, commec’est le cas dans certaines dictaturesd’Afrique ou d’Asie. C’est juste des paro-les, mais elles ont été pensées, méditées.Elles vivent en moi en quelque sorte, cartoutes les chansons que j’écris reflètent laréalité.

Nico : Plus on se rapproche des villesplus on voit la misère. Dans le paysageurbain, ça fait partie du décor, dans l’indif-férence. J’ai l’impression qu’on ne consi-dère même plus les SDF comme desêtres humains, c’est révoltant. On ne doitpas les oublier.Ce qu’on dit dans “Alarm is ringing”, c’estque la faiblesse est la porte ouverte àla destruction. Les faibles sont abandon-

nés progressivement et le rythme du“system” va trop vite. Alors l’alarmesonne : on tire la sonnette.

Samuel : Ce que l’on dénonce quand onparle du “system”, ce n’est pas une atta-que politique, mais un refus de la fatalitéde la société. Quand on a commencé àjouer avec Squale [un ancien membredu groupe, ndlr], on a organisé desconcerts humanitaires. Sa copine et luiutilisaient l’argent récolté pour envoyéun maximum de fournitures médicaleset scolaires dans un village du BurkinaFaso.Aujourd’hui il est même installé là-bas, il a arrêté la musique et choisi trou-ver sa voie.

Plus tard, ça nous a aussi permis de faireun concert pour Handicap International,ce qui m’a vraiment touché. Durant l’évé-nement, on se rend compte que c’est unvrai combat. On prend conscience desactions menées par les ONG. On rencon-tre un médecin qui revient d’Afghanistan,qui parle de mines, montre des prothèses.Ca fait froid dans le dos et ça me révolte.

Justement, êtes-vous impliquésdans le monde associatif ?Nico : Depuis que j’ai 16 ans je donnepresque tous les ans des concerts desoutien pour le sidaction. Le 27 juin on aune date de prévu avec une associationde jeunes de 18 ans qui font du soutienscolaire en Afrique. Mais attention, il y apas mal de “guignols” parmi les associa-tions humanitaires. Mieux vaut donnerun livre à l’Alliance Française ou desobjets que faire un don et encouragerl’assistanat. Je récupère des manuelsscolaires, des vêtements, ainsi que tout untas de choses tout au long de l’annéeet une fois par an je pars les distribuerau Burkina Faso, que j’ai découvert quandj’y travaillais dans la préservation desespèces.

! Interview de deux musiciens Samuel et Nico Par Bruno et Gédéon

Agis’Sons est allée à la rencontre de membres du groupe Donkey Jaw Bone, [qui se produira dans le cadre duprochaine festival de l’association ?]. Pour Samuel et Nico, la musique est un moyen de se regrouper pour dénon-cer et répondre aux difficultés de la vie. Mais c’est aussi une façon de se créer une famille. De leur amitié et deleur passion musicale est née Wendo Guenet Productions en 2003. Une société qui compte aujourd’hui une quin-zaine de personnes.Tous unis par et pour la musique.

LA MUSIQUE A CRÉÉ UNE UNITÉ ENTRE NOUS,NOUS SOMMES DEVENUS

UNE VRAIE FAMILLE

Je suis ainsi faitMiguel Angel Sevilla, 2008

Je suis ainsi fait,Q’un rien me suffitJe vis de très peu,Je bouffe du pain

Avec du jambon,Ou avec des fruits - Refrain

J’ai un peu d’amour, Pas trop c’est très bienDès que tu en as trop, Te voilà crevé

Te voilà repu, De sperme et de cris - Refrain

Je parcours ma vie, Au lieu de la vivreEt je vagabonde, Autour de son puits

Personne ne sait , Qui l’a engloutie - Refrain

Je cherche un abri, Surtout lorsqu’il pleut Et la pluie me baigne, De son eau glacé

Parfois le soleil, Me sèche gratosParfois dans la nuit,Je crois me trouverEt souvent je meurs, Et je me survis

Toujours dans la nuit, De mes yeux blessésJe suis mon cadavre, Et même pas moi

La branche d’un arbre, Est mon paradisJe compte m’y pendre,

Pendant que j’y suis - Refrain

La vie déguerpit, De ton corps exsangue Et à force la mort, Profite et te tue

Comme à bout portant, Pendant que tu visEt alors tu clamses, En plein dans la rueOn t’marche dessus, Au mieux on t’enjambePas besoin de tombe, C’est du gaspillageJe traîne ma mort, Le long de ma vie

Je suis la racaille, Qui meurt dans la rueJe vomie la crème, De tous les vendus

Même dès ma mort, Je vois ce qu’ils sontJe les vois qu’ils crânent,

Et qu’ils rient très haut - Refrain

Je porte ma mort, Comme un grand miroirSur le vieux chariot, De fringues pourries

Où le capital, Se montre à nuEt je suis la mort, Qu’il traîne avec luiEt dans mon miroir, Je vois qu’il est pris

J’étais ainsi fait, Et on m’a détruit Je n’ai pas besoin, De leurs sarcophages J’ai été sarclé, La fleur de mon âge

C’étaient les chantiers, On a fait BercyEt des HLM, Un peu, pas beaucoupJ’étais ainsi fait, Qu’un rien eût suffit

Aux 4 coins de la rue

7

Quels sont vos attentes vis-à-visde l’Etat ? Samuel : On ne peut plus mentir auxgens, on doit leurs proposer une égalitéplus correct. Partager davantage lesrichesses devrait être logique et ce seraitforcément positif. C’est peu être utopi-que mais on peut assurément fairemieux qu’actuellement. Je pense queles gens ont peur de faire évoluer leschoses.

Nico : Quand on est l’un des pays lesplus riches du monde, on doit utiliserson argent pour faire en sorte qu’il n’y aipas de misère, être un exemple. Au lieude ça on assiste à une course à l’enri-chissement personnel qui est inutile. Ducoup on a de gros problèmes de loge-ment à cause du coût de la vie.

Jouer dans un groupe c’est aussides rapports humains, qu’avez-vous appris de votre vie encommunauté, au sein du groupe ?Nico : Le reggae nous a appris à noussatisfaire de peu et à partager. En troisou quatre ans, la musique a créée uneunité entre nous, nous sommes deve-nus une vraie famille. On est nombreuxdans le groupe et il ne nous viendraitpas à l ’espr it de virer un ou deuxmembres pour avoir de meilleurs reve-nus. On est d’âges différents : le cadetdu groupe a 19 ans, l’ainé 38 ans etd’origines variées : créole, réunionnaise,arabe et métropolitaine et on est toussolidaires les uns envers les autres.

Samuel : J’ai trois enfants, je suis divorcémais ça n’empêche pas que 50% detous ce que je gagne part dans la musi-que. Et même si la musique ne m’a pasrapporté 10% de tous ce que j’y aidépensé, c’est un sacrifice que j’accepte.Je ne suis pas né dans la culture rasta,mais la notion de partage m’a indénia-blement amené au reggae. On partagenotre connaissance, notre éducation,mais aussi les peines, les failles et lesaléas de la vie.

Nico : Par contre la progression d’un

groupe de musique se fait souvent audétriment du couple : c’est un sacrificequi prend beaucoup de temps. Quandtu joues le week-end, que tu répètesdeux fois par semaine et qu’en plus tutournes, tu es forcément absent du foyer.Il est difficile de garder une copine.Samuel a même dû divorcer.

D’où vous est venue l’idée de faireun album sur la vie d’unepersonne à la rue ?

Nico : Avec Phonk Addiction, notregroupe de funk, on a essayé de faireun album qui couvre la vie d’un hommede la naissance à l’enterrement. C’estd’ailleurs le titre de l’album “Burst toburial”. On a décomposé les différentsaspects qui font la vie d’une personne :comme “work’, “environment”, “éduca-tion”. On passe par ses moments diffici-les (cf ‘Time are hard’), qui racontentune période où il couche dans la rue, surun trottoir. C’est un album issu de notrerencontre avec Webbafied, un rappeurnew-yorkais qui y a apporté beaucoupde son vécu. On a essayé d’avoir desparoles ‘conscientes’, avec des textesen anglais pour diffuser notre messagele plus largement possible.

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Décembre 2009

POUR TROIS NUMÉROSSouscriptionCe journal est gratuit mais si vous voulezparticiper à sa diffusion, il vous estpossible d’envoyer un chèque de 6euros. Si votre don dépasse cette sommevous recevrez un reçu fiscal

Directeur de la publication : Christophe Louis La maquette et la mise en page sont de Jan Jac RicardLes dessins sont de Patricia Trabels et Jean-Charles Sarrazin. Photos de GaëtanMerci pour leur participation à ce numéro à : Bill Deraime, Samuel et Nico,Miguel Anguel Sevilla, les Sdoufs, l’association “Agis’sons”, Les Enfants du Canal,les ChroniqueursÉditeur : COREP, 27 rue Jussieu, 75005 Paris

Ainsi, au Moyen-âge, par la voix dupoète François Villon, les pendusapostrophaient-ils les passants. Etnous, aujourd’hui, nous voulons faireentendre à d’autres passants laparole d’autres sans-voix.On a évoqué tout-à-l’heure, le cime-tière de Thiais, dans la banlieue Sudoù les parisiens enterrent les isoléset les abandonnés dont bon nombrede morts de la rue, dans l’ancien“carré des indigents” rebaptisé“espace de la fraternité”. Eh bien !nous rebaptisons, pour un soir, laplace du Palais-Royal : “espace de lafraternité avec les morts de la rue”.Il peut paraître incongru d’installerces grands exclus au milieu d’unquartier qui symbolise le pouvoir, larichesse, le luxe, la culture, la beauté,toutes choses dont ils ont été privés,définitivement pour la plupart, quandils sont , comme on dit, tombés dansla rue. Mettez-les , dira-t-on, sur lesmarges : ce sont des “marginaux” !C’est le contraire que nous avonsdécidé de faire : les replacer au cœurde la cité où ils sont morts.Avouons-le, les voir à notre porte,dans le métro, sur les trottoirs, nousgêne. Car il est presque insupporta-ble de penser que ce même lieu, LARUE qui est à tout le monde, soiten réalité pour les uns un lieu devie, le moyen de rentrer chez soi,d’aller à son travail, de se promener,d’aller au cinéma ou chez ses amis ,et, pour quelques autres, un espacede mort lente ou brutale, lieu d’er-rance et de stagnation, à haut risque,de solitude et de dénuement, unnon-lieu, un mouroir.Alors on passe,en essayant de ne pas voir.

Nous voulons bien les assister, nousdépensons même de l’argent pourça. Mais qu’on les mette à l’écart !Vont dans ce sens l’absence d’unevéritable politique, et parfois noscompor tements. Dans la bonneconscience générale, L’Etat subven-tionne sans piloter, se défaussant surles associations chargées de main-tenir les sans-abris en survie dansdes hébergements encore inadap-tés. Surtout pas de morts, cet hiver !Or ceux et celles qui viennent demourir demandaient tout autrechose . Figurez-vous que ces gens-là,si marqués pourtant, parfois abîméspar le malheur, l’injustice ou mêmeles fautes commises, ces gens –làavaient une exigence démesurée :être reconnus et sor tir de la ruePOUR VIVRE COMME TOUT LEMONDE AU MILIEU DE TOUT LEMONDE. Ils réclamaient un “chezsoi”, leur autonomie, les moyens deretrouver le simple désir de vivre ; Ilsprétendaient avoir droit à cette aidedans un des pays les plus riches dumonde et qui, plus est, le pays desdroits de l’Homme. On avait enviede leur dire attendez qu’on ait résolula crise mondiale. Eux en faisaientun préalable à toute politique. Et ilsavaient raison. Car si nous n’offronspas sa juste place à l ’autre , nemettons-nous pas en péril notrepropre humanité ?Il suffirait en effet de regarder deprès , dans sa complexité, la situa-tion singulière de ces accidentés dela vie, pour s’apercevoir que, chacunsur son parcours, cumule plusieursformes de nos fragilités, qu’ellessoient familiales, sociales, ou concer-nent la santé, le travail, le logement.

Mais voilà ! Notre société nesuppor te plus de voir sa proprevulnérabilité. Pourtant ils sont biendes nôtres, ils nous ressemblent, ilsfont partie de nous . C’est d’ailleurspourquoi la rencontre incontourna-ble de ces témoins de la difficultéde vivre révèle la face occultée denotre société. Avant de s’interrogersur l’identité nationale, la France feraitmieux de s’interroger sur la solidariténationale . Quel visage a-t-on avecun c?ur endurci ?Osons donc nous regarder en face.Nous sommes embarqués dans lemême bateau, que nous le voulionsou non. Si ce n’est pas la vie, c’estla mort qui nous le dira. Serait-elleseule capable de nous mettre àégalité. Comme l’écrivait encore, etpour finir, François Villon dans cesvers de son Testament :Je connais que pauvres et richesSages et fols, prêtres et laisNobles, vilains, larges et chiches,Petits et grands, et beaux et laids,Dames à rebrassés collets,De quelconque condition,Portant atours et bourreletsMort saisit sans exception.Pour clore cette cérémonie , nousvous invitons donc à faire, un gestecollectif dans le silence du recueille-ment. De nos mains réunies,formons symboliquement un grandcercle, avec les amis , présents ouabsents, qui, ces temps-ci, organisentle même genre de célébration àToulouse, Bordeaux, Lille , Lyon,Marseille , Nice, Rennes, Rouen,Bruxelles, ou Kielce . Et au centredu cercle, mettons ce soir à l’hon-neur, en fraternité dans la mort, aucœur de la ville, les Morts de la rue.

Hommage aux morts de la rue! Célébration du 18 novembre 2009 , place du Palais Royal