LES ARTS MARTIAUX : UNE PSYCHOMOTRICITE … · survie des espèces et des individus » (Bergeret,...

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Avant-propos O. R. Grim nous propose ici un texte qui aborde simplement deux composantes essentielles des Arts martiaux : agressivité et violence. Leur gestion, qu’il pense sous forme de « recyclage », devient la pierre angulaire autour de laquelle il fait ses prescriptions d’arts martiaux. Ses connaissances étendues de diverses techniques martiales lui permettent de nous promener à travers celles-ci. Presque comme l’on fait son marché, il est possible après cette lecture de choisir l’art martial qui pourrait nous convenir, ceci en fonction de notre âge, notre personnalité et même de notre armature tonique. Là encore, nous retrouvons un auteur expert en arts martiaux qui écrit avec cette pensée qu’en cas d’agression, pour préserver sa vie, si possible, il faut préférer la fuite. Finalement, il nous convaint que les techniques de combats forment à jogger sur les chemins de la vie. Olivier R. Grim LES ARTS MARTIAUX : UNE PSYCHOMOTRICITE INTEGRATIVE A Gichin Funakoshi « père » du Karaté « moderne Jean-Pierre Vignau pour le Karaté-Do Yan de Haan pour le Iaï-Do, le Kobudo et l’Aïkido, Charles Abelé pour l’Aïkido, Henry Plée pour le Kakuto Bujutsu. 1

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Avant-propos

O. R. Grim nous propose ici un texte qui aborde simplement deux composantes essentielles des Arts

martiaux : agressivité et violence. Leur gestion, qu’il pense sous forme de « recyclage », devient la

pierre angulaire autour de laquelle il fait ses prescriptions d’arts martiaux. Ses connaissances

étendues de diverses techniques martiales lui permettent de nous promener à travers celles-ci.

Presque comme l’on fait son marché, il est possible après cette lecture de choisir l’art martial qui

pourrait nous convenir, ceci en fonction de notre âge, notre personnalité et même de notre armature

tonique. Là encore, nous retrouvons un auteur expert en arts martiaux qui écrit avec cette pensée

qu’en cas d’agression, pour préserver sa vie, si possible, il faut préférer la fuite. Finalement, il nous

convaint que les techniques de combats forment à jogger sur les chemins de la vie.

Olivier R. Grim

LES ARTS MARTIAUX : UNE PSYCHOMOTRICITE INTEGRATIVE

A

Gichin Funakoshi « père » du Karaté « moderne Jean-Pierre Vignau pour le Karaté-Do Yan de Haan pour le Iaï-Do, le Kobudo et l’Aïkido, Charles Abelé pour l’Aïkido,

Henry Plée pour le Kakuto Bujutsu.

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Tout un univers.

L’esprit d’un seul être ne peut embrasser d’un geste l’univers des arts dits « martiaux », tant

ce dernier est vaste. Au sein de cette immensité il lui serait tout aussi vain de vouloir d’un regard

apprécier, parmi tant d’autres, la galaxie « Karaté », amas d’étoiles dense et complexe où même un

guide expérimenté peut à chaque instant perdre son chemin. Irrémédiablement. Dans ce tourbillon

d’astres peut-être parviendra-t-il à repérer quelques constellations aux noms exotiques : Shotokan,

Ueshiryu, Kokushinkaï 1. Enfin si notre astronome réussit à identifier parmi ces corps stellaires

quelques planètes comme les kihon, les kumité, les kata2, et à s’y plonger pour un bain dont la

nature, la vocation, la durée et les effets dépendront avant tout de ses motivations conscientes et

surtout inconscientes, il finira par en tirer ses vérités. C’est à dire un résultat parfois difficile à

communiquer, pas forcement compris, reçu ou identifié comme tel. De là à parler de La Vérité il y a

… tout un univers.

Le Karaté.

Ces réserves apéritives posées, qu’est ce que le Karaté ? Lisons Roland Habersetzer :

« Le Karaté est la forme japonaise d’une technique de combat sans armes, mains et pieds nus ; c’est une forme d’attaque et de défense qui repose exclusivement sur l’utilisation rationnelle des possibilités naturelles offertes par le corps humain ; elle consiste en un ensemble de coups frappés (atémis), soit des membres supérieurs (poing, main, coude, avant-bras) soit des membres inférieurs (pieds, genoux) ; ces

1 Le karaté est protéïforme. Henry Plée (2002) recense plus de 700 styles différents. Cette forme de combat sans armes importé d’Inde via la Chine, organisée en écoles (ryu), est issue de deux intentions différentes. La première : Shorin met l’accent sur des techniques amples et rapides, le seconde : Shorei insiste plus sur la contraction et la force. Ces deux intentions ont donné de générations en générations de chefs d’écoles, une multitude de styles très variés, basés à la fois sur la vision du « maître » et sur un totémisme où il est fait références aux qualités combatives prêtées à un animal. Il y a ainsi le style de la grue, du tigre, du singe, du serpent, etc. 2 Les trois « K » forment la base sur laquelle s’appuie l’apprentissage du karaté. Ennio Falsoni (1984) traduit Kihon par « fondamental ». Ce travail solitaire, parmi les autres, consiste en la répétition sur place ou en déplacement, de techniques de base où le pratiquant se trouve engagé « corps et âme » dans une succession plus ou moins complexe de défenses et d’attaques. Kumité, littéralement la rencontre (kumi) de mains (té), exprime une idée de combat. Le Kihon-Kumité, combat fondamental où les techniques de défenses et d’attaque sont convenues à l’avance peut être considéré comme une étape intermédiaire vers le Jiyu-Kumité, le combat libre. Le Kata, traduisible par forme, est un combat fictif chorégraphié, une succession prédéterminée de défenses et d’attaques contre des adversaires imaginaires qui attaquent sous divers angles. Chaque école possède sa « bibliothèque » de kata sensée renfermer tout le savoir de son style.

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coups sont portés soit sur des points très précis et vulnérables (points vitaux) du corps de l’adversaire, soit sur le membre, bras ou pied, avec lequel il attaque ; dans ce cas la technique frappée est un blocage, en soi déjà très éprouvant pour l’adversaire ; elle est alors immédiatement suivie d’une contre-attaque décisive, en général par un autre coup frappé. Dans sa forme caractéristique le karaté est une escrime des bras et des jambes, les deux servant indifféremment à parer une attaque adverse ou à riposter ; il est complété par des techniques de luxations, de projections et de renversement ; en fait le karaté comporte tous les moyens pour la mise hors de combat d’un assaillant ; rien, aucun coup ni aucune prise, n’est interdit » (1986, p. 15).

Le ton est donné. Nous nous séparons ici des « sports de combat », même si ces derniers peuvent

revêtir les oripeaux d’une violence certaine où les blessures, parfois spectaculaires, sont monnaie

courante. Dans ces disciplines, il s’agit pour une grande part de dominer l’autre au sens éthologique

du terme, et non pas de tuer, ce qui est un des résultats des « arts de la guerre3 ». Dans ce droit fil, les

« arts martiaux » sont une pure expression de la violence fondamentale définie par Jean Bergeret

(2000), qu’il distingue nettement de l’agressivité qui trouverait elle matière à s’exprimer dans les

« sports de combats ». Pour notre propos voyons en quels termes cet auteur opère cette distinction.

Violence et agressivité.

Jean Bergeret postule l’existence en l’Homme d’une violence naturelle innée mise au service

de la préservation de la vie. Il rejoint en cela l’éthologie de Karl Lorenz (1969) où est montrée « la

présence universelle d’une violence première chez les êtres vivants et sa nécessité initiale pour la

survie des espèces et des individus » (Bergeret, 2000, p. 179). Par les instincts d’auto-conservation, il

s’agit de résoudre l’équation radicale : « C’est lui ou moi ». Dans un tel contexte, un seul survit.

Cette perspective conduit Jean Bergeret à attirer notre attention sur le fait de ne pas confondre

violence et agressivité. La première serait plutôt du côté de la vie, la seconde plutôt du côté de

l’amour.

3 Martial a été réemprunté (1355) au latin martialis : « de Mars » à la fois dieu de la guerre et référence à la planète. Il a pris le sens spécialisé de « contenant du fer » dans le jargon alchimique (1694) où la coutume est d’attribuer un nom de planète à un métal. Cette appellation provient donc de l’emploi symbolique simultané du nom de la planète Mars -le fer est le métal dont ont fait les armes-, et celui du dieu de la guerre.

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En premier lieu nous trouvons, tel un soubassement, une poussée instinctuelle primitive,

considérée comme un « instinct » de type animal. Jean Bergeret la dénomme violence fondamentale,

car « elle touche aux fondations (aux sens architectural et étymologique : fondamentum) de toute

structure de la personnalité, quelle que puisse être cette structure » (2000, p.9). Ici, le principal objet

demeure le sujet lui-même en situation de survie. En second lieu, étayée sur la violence

fondamentale, nous trouvons l’aventure œdipienne où l’agressivité, dans une perspective freudienne,

s’articule avec la sexualité. Au sein d’une vectorisation libidinale, l’agressivité serait le résultat de la

dissolution de la violence primitive, avec tout le prolongement relationnel que cela suppose dans

l’imaginaire. La conception essentiellement ambivalente du conflit œdipien, ce théâtre où la capacité

d’aimer et de haïr en même temps le même objet est mise en scène, se trouve être le lieu privilégié

de cette agressivité. Pour Jean Bergeret, le travail d’intégration de la violence par la libido est

toujours progressif, irrégulier et jamais totalement terminé. Violence et agressivité présentent en

outre des caractéristiques communes : elles s’accumulent en l’être et se transmettent. Se pose alors

l’épineuse question de leur recyclage.

Le cerveau triunique.

Démontrant collatéralement combien l’avenir des sciences se trouve dans l’interdisciplinarité,

ces considérations psychanalytiques se recoupent avec les théories neuro-bio-psychologiques de Paul

D. MacLean (1990) sur ce qu’il nomme le cerveau triunique. Il écrit sur ce sujet :

« L’homme se trouve dans cette situation complexe : la nature l’a doté essentiellement de trois cerveaux qui, en dépit de grandes différences de structure, doivent fonctionner ensemble et communiquer entre eux. Le plus ancien, le cerveau de base, est reptilien, le deuxième est un héritage des mammifères primitifs, et le troisième est un développement récent du type mammifère. C’est ce dernier qui, chez les primates, au point culminant de son développement, a tout spécialement donné l’homme » (1962, pp. 289-301).

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Paul MacLean appuie ses propositions sur le comportement relationnel humain où il

distingue le verbal et le non verbal : « Bien des formes de communications non verbales révèlent une

ressemblance avec les types de comportements animaux, des reptiles aux primates » (1990, p. 84).

Sans nous perdre dans des descriptions neuro-anatomiques complexes qui dépassent le cadre du

présent article et les compétences de son auteur, la théorie moderne des trois cérébrotypes de Paul

MacLean concerne le cerveau de l’avant ou télencéphale, ainsi nommé par les spécialistes. Ce

dernier comprend au plancher la partie du cerveau la plus ancienne dont l’homme ait hérité.

Essentiellement du type reptilien, elle forme la partie centrale du tronc cérébral et comprend la plus

grande partie du système réticulé, le mésencéphale et les ganglions de la base. Ce cerveau dit

« reptilien4 » est nommé par Paul MacLean : le complexe R ou strié ». En position médiane nous

trouvons le système limbique5, encore appelé paléo-mammifère. Présente chez tous les mammifères,

cette formation est venue au cours de l’Évolution s’étendre par-dessus le complexe R. Cette région

de bordure entre le tronc cérébral et le néo-cortex fut dénommée par certains auteurs : « cerveau

viscéral ou affectif ». Les spécialistes ont coutume de comparer cette région du cerveau à une

raquette de tennis. Le manche est formé par le bulbe olfactif et le pédoncule olfactif. L’anneau

externe du cadre est formé par le gyrus cingulaire6 en haut, le gyrus parahippocampique en bas,

l’aire sous-calleuse et l’isthme entre les deux. L’arc interne du système limbique se compose du

septum et de la région septale, des tubercules mamillaires, de la circonvolution de l’hippocampe, des

noyaux de l’amygdale et du fornix. Le système limbique possède des connexions avec

l’hypothalamus et le thalamus, les noyaux gris de la base et la formation réticulée du tronc cérébral.

Enfin au troisième étage : le néo-cortex. En phylogénie, Judson Herrick (1961) qualifie d’explosive

la croissance du néo-cortex. C’est l’une des plus spectaculaires transformations connues en anatomie

4 Roland Guyot apporte les précisions suivantes : « Quand on parle de cerveau reptilien (qu’on appelle aussi fréquemment cerveau hypothalamique), deux sens peuvent, en somme, être utilisés : soit on désigne l’ensemble rhombencéphale, mésencéphale, diencéphale, plus corps striés (sens large), soit on ne désigne que ce qui en est la partie génétiquement supérieure, c’est-à-dire la plus évoluée dans le temps, le complexe strié (sens strict) » (1990, p. 205). 5 De limbus, bord du cerveau. 6 Le gyrus cingulaire ou circonvolution limbique -terme emprunté à Broca- a donné son nom à tout le système dont la plus grande partie constitue le système limbique non olfactif.

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comparée. Par ces proportions massives chez les mammifères les plus évolués, il est également

désigné sous le vocable de cerveau néo-mammalien. Paul MacLean le définit ainsi :

« Le néo-cortex culmine dans le cerveau humain où se développe à cet endroit une mégalopole de cellules nerveuses vouées à la production du langage symbolique et aux fonctions associées de lecture, écriture et calcul. Mère de l’invention et père de la pensée abstraite, le néo-cortex promeut la préservation et la procréation des idées » (1990, p. 67).

Le néo-cortex ou néo-pallium représente 85% du volume total de l’encéphale chez l’homme.

Pour chacun des deux hémisphères, il comporte plusieurs lobes : frontal, pariétal, temporal et

occipital7. Le siège des activités supérieures intellectuelles se situe en avant des régions motrices et

pré-motrices des lobes frontaux8. Ces derniers représentent ensemble 40 % du volume total du néo-

cortex9. Absentes chez le singe et le dauphin, les zones frontale et préfrontale sont considérées par

les spécialistes comme un véritable cerveau supplémentaire. Qualifiées de tertiaires, les aires

préfrontales, purement associatives, ne présentent pas de spécificités fonctionnelles limitées modales

et traitent donc simultanément les informations de diverses modalités sensorielles, visuelles,

auditives, somesthésiques fournies par les aires secondaires10.

Selon Paul MacLean, le complexe R, le système limbique et le néo-cortex constituent

une hiérarchie de trois cerveaux en un : le cerveau triunique, et cet édifice nous contraint à « jeter un

regard sur le monde et sur nous-mêmes à travers trois mentalités complètement différentes »

(MacLean, 1990, p. 46). Dans cette perspective il ajoute de manière très percutante : « Quelle valeur

pouvons-nous accorder à des tests d’intelligence qui ignorent largement deux de nos personnalités,

toujours présentes en nous, même si dans le passé elles n’ont jamais pu apprendre à lire et à

7 Paul Chauchard (1966a, 1966b) nomme l’ensemble de ces quatre lobes le cerveau noétique, du grec noèse : « par lequel on pense ». 8Aujourd’hui on pense plutôt que les activités dites « supérieures » s’inscrivent un peu partout dans les quatre lobes avec une concentration particulière dans la zone préfrontale. 9 Environ 500 grammes sur les 1200 du néo-cortex, 300 g pour le système limbique. 10 Les aires primaires de projection reçoivent uniquement les stimuli du même genre : les aires occipitales 17 et 18 par exemple traitent uniquement les stimuli optiques. La spécificité des aires secondaires est plus large et leur organisation non étroitement somatotopique.

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écrire ? »11. Malgré de grande différences structurelles et chimiques, ces trois types de cerveaux

doivent fonctionner en harmonie comme s’il s’agissait d’un cerveau unique. Paul MacLean use

d’une métaphore automobile pour nous faire comprendre comment « l’ensemble » fonctionne. Au

cours de l’Évolution, le cerveau comme « voiture » a acquis trois conducteurs situés « à l’avant » et

incarnant un esprit différent, avec chacun sa part spécifique de motricité, de subjectivité,

d’intelligence, d’appréciation du temps et de l’espace, de mémoire propre, etc.

Le conducteur reptilien.

Des reptiles aux mammifères jusqu’aux primates, le conducteur reptilien jouerait un

rôle fondamental dans l’organisation du comportement présémantique12. Il est également impliqué

dans la reconnaissance de l’autre à l’intérieur de l’espèce. Comme cortex primitif, il est un moyen de

la nature pour doter son possesseur des meilleurs outils pour la prise de conscience de

l’environnement et la survie. Il a une mémoire parfaite de ce que ses « ancêtres » ont appris à faire

pendant des millions d’années. Pauvrement équipé pour apprendre à faire face à des situations

nouvelles, il est esclave des habitudes, des acquisitions antérieures et du rituel. Rapporté à Homo

sapiens sapiens, Paul MacLean en écrit : « Laissé à ses propres moyens, le reptile qu’il y a en

l’homme fait ce qu’il doit faire » (1990, p. 57). Pour notre propos, les arts martiaux dans leurs

pratiques et leurs expressions, considérés comme savoir-faire pour survivre, s’adresseraient à cette

partie de notre cerveau, substratum biologique nécessaire à l’expression de la violence fondamentale

dont parle Jean Bergeret. Dans cette perspective, le télencéphale ne serait pas à chaque génération

une cire vierge sur laquelle peuvent être gravées, mises en mémoire et communiquées toutes sortes

d’expériences. Ainsi le comportement humain ne serait pas uniquement le fruit de la transmission

culturelle de la connaissance et des contenus d’une génération à l’autre. Le cerveau ne serait pas la

11 Ib. p. 46. 12 Il est inapproprié de parler de communication non-verbale chez les animaux. Paul MacLean utilise le mot présémantique, dérivé du grec pro-séman, pour désigner la communication élémentaire qui comprend toutes sortes de signes non-verbaux : signaux vocaux, corporels, chimiques.

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« table rase » chère à John Locke13 (1690). Pour reprendre la métaphore phonographique, la cire

serait déjà gravée et, dans certaines circonstances liées notamment à la survie, cette gravure « ferait

entendre sa voix ». Paul MacLean a décrypté cette empreinte reptilienne et identifié, à partir de

l’observation d’activités spécifiques liées à l’établissement, la défense, l’utilisation et la socialisation

du territoire, cinq formes générales du comportement dit « de base » impliquées dans l’auto-

conservation et la survie de l’espèce. En premier lieu nous trouvons le comportement isopraxique où

au moins deux individus effectuent ensemble la même activité. En second lieu le comportement

persévératif, responsable de la répétition d’actes dans le but de renforcer un signal comme dans les

parades amoureuses ou de défis. En troisième lieu, le comportement répétitif où il s’agit par exemple

de suivre toujours le même itinéraire ou de retourner chaque année au même endroit. En quatrième

lieu le comportement d’orientation, caractérisé par des réponses positives ou négatives organisées en

schémas d’actions stéréotypés face à des reproductions partielles ou complètes d’êtres vivants ou

d’objets inanimés. Enfin en cinquième lieu le comportement de camouflage, où il s’agit de mettre en

œuvre artifices et ruses pour échapper à un prédateur ou se saisir d’une proie. Ces comportements

interopératifs14 observés couramment chez les reptiles et les mammifères se retrouvent chez Homo

sapiens sapiens. Il est même fascinant de constater combien les arts martiaux s’appuient sur eux et

les renforcent. Voici en effet des pratiquants « fédérés en collèges » qui se retrouvent dans une

parfaite isopraxie pour s’adonner de concert à la même activité souvent plusieurs fois par semaine et

pendant de nombreuses années. Avec une persévération généralement sans faille, ils répéteront les

règles qui régissent l’étiquette de leur style : le port du karaté-gi -improprement appelé kimono- et de

la mythique ceinture, les règles de saluts, de combats. Ils seront répétitifs dans la fidélité à leur lieu

d’entraînement, au moyen et au trajet pour s’y rendre. Ils renforceront leurs comportements

d’orientation dans l’apprentissage de modèles standardisés de réponses à donner en situations de

13 « C’est une opinion bien établie parmi certains hommes qu’il y a dans l’entendement certains principes innés imprimés en l’esprit de l’homme dès son arrivée dans le monde » (cité par Geneviève Brykman, 1985, p. 170). John Locke fera une critique systématique de toute forme de savoir inné en l’homme. 14 Ces cinq façons typiques de se comporter -manifestations automatiques de l’instinct-, sont qualifiées d’interopératives par Paul MacLean car elles se retrouvent au travers de toutes les activités liées au territoire.

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défense et d’attaque face à leurs partenaires ou leurs substituts : sacs de frappe, armes. Par l’usage de

tactiques plus ou moins sophistiquées, ils développeront l’art du camouflage.

A côté de ces cinq formes générales de comportement, homo sapiens sapiens, comme

les autres vertébrés terrestres, développe quatre postures de communication sociale présémantique,

qu’il peut associer ou non au langage parlé -là réside son privilège. En premier lieu nous trouvons la

posture d’identification. Elle permet à l’individu de se faire reconnaître au sein d’un groupe et traduit

l’affirmation de soi. Vient ensuite la posture de défi : le sujet se donne une plus grande importance à

la fois physique et psychologique pour établir, maintenir une dominance ou repousser un

envahisseur. La posture de séduction, toujours en lien avec la posture d’identification, met en jeu

tous les atours de l’individu pour trouver un partenaire sexuel. La posture de soumission permet au

sujet, à l’issue d’un combat défavorable pour lui, d’apaiser son adversaire, d’éviter tout risque

d’escalade violente et par là-même le risque de mettre la vie « en jeu »15.

Dans cette perspective, si nous portons notre attention sur les sports de combat, nous

constatons combien ces derniers reproduisent et renforcent ces quatre postures. Dans le cas du karaté

sportif16, sous l’œil d’arbitres et d’un public, deux combattants montent sur le tatami17. Par le jeu

subtil des saluts, des attitudes, des regards, les postures d’identification et de défi se mettent en place

et rendent compte d’un authentique rituel de provocation, d’intimidation où il s’agit, comme le

souligne Henry Plée (1998), de faire comprendre à l’autre qu’il n’a pas intérêt à se battre avec vous.

A l’issue du Shiai18, parfaite illustration du rituel d’affrontement, c’est à dire un assaut

15 La coupe de cheveux à « l’iroquoise » d’un punk, ses accessoires cloutés, son maquillage gothique, ses tatouages et pearcings, ses vêtements para-militaires, son allure générale, sa manière de se déplacer, de parler, sont autant d’éléments pour être identifié, pour défier, séduire et éventuellement pratiquer le rituel de soumission. Il en est de même pour le skinhead, le polytechnicien, le rappeur, l’énarque, l’aristocrate de province, etc. Tous et toutes ont à recycler, avec plus ou moins de bonheur, agressivité et violence. Ceci ne fait bien sûr pas l’impasse des ressorts inconscients à l’œuvre dans cette affaire. 16 La démonstration peut être appliquée à tous les sports. 17 Aire de combat ou d’entraînement constituée d’un patchwork de tapis eux-mêmes inspirés du revêtement de sol traditionnel de la maison japonaise. 18 Roland Habersetzer (1986a, 1986b, 1987) traduit Shiai par compétition.

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conventionnel entre deux individus de la même espèce où la règle implicite est : « on ne tue jamais et

on ne blesse jamais grièvement un adversaire », un vainqueur sera déclaré. La rencontre « sportive »

-dont la maxime reste et demeure « que le meilleur gagne »-, s’achèvera par l’établissement d’une

hiérarchie symbolisée par la remise des médailles d’or, d’argent et de bronze. En d’autres termes,

seront désignés en un parfait rituel de domination, un « dominant » et des « dominés ». La fin de ce

type de combat rituel est toujours ponctuée par un salut souvent accompagné de quelques mots

lorsque les protagonistes font preuve de fair-play. Le vaincu adopte un profil bas, évite de regarder

dans les yeux, reconnaît verbalement avoir perdu, la sincérité est ici importante car sinon de part et

d’autre la tension ne descend pas et se conserve jusqu’à la prochaine confrontation. Le vainqueur,

s’il fait preuve d’intelligence, désamorcera le stress et la frustration du vaincu par un rituel de

soumission inversé comme le qualifie Henry Plée, en acceptant la soumission de ce dernier et en

l’apaisant par des mots comme : « j’ai eu beaucoup de chance cette fois-ci, la prochaine fois ce sera

toi ». Rituel de soumission et sa forme inversée sont les gages de la paix. Ceux dont l’ego trop

« développé » empêche de pratiquer ces rituels essentiels s’exposent en retour à la haine et la

vengeance. Dans le règne animal ce rituel est scrupuleusement appliqué, là où homo sapiens

sapiens est capable de s’écharper pour une place de parking ou dans une file d’attente. Le « sage

savant »19 (?) serait-il l’animal le plus bête de toute la Création ? Un certain nombre de spécialistes

en éthologie martiale ne sont pas loin de le penser. La faute sans doute à son échafaudage cérébral :

une merveilleuse invention dont la rapidité relative d’apparition sur l’échelle évolutive expliquerait

la grande fragilité. Dans la nature, le dojo20 ou les stades, les rituels de provocation, d’affrontement

et de domination sont au service du rituel de sélection, et ce dernier débouche « naturellement » sur

le rituel de séduction. Les médaillés d’or, les « champions du monde », les vainqueurs sont toujours

19 Une traduction littérale de sapiens sapiens. 20 Littéralement le « lieu (jo) où l’on cherche la voie (do) », plus prosaïquement la salle d’entraînement.

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entourés par un essaim de jolies femmes et le hasard n’a rien à voir dans l’affaire21. Lisons sur ce

point Henry Plée :

« Que se passe-t-il lorsqu’au cours de kumité ou de randori, une belle visiteuse entre dans un dojo, s’assied en croisant négligemment les jambes et ébouriffe sa chevelure d’un air indifférent ? L’entraînement tourne à la bagarre sans merci » (1998, p. 293).

Reste alors à déployer tout son savoir faire en matière de séduction pour de part et d’autre

convoler. Ce type de lecture rejoint les conclusions méta-psychologiques de Jean Bergeret sur

l’agressivité dont les expressions ritualisées au sein d’une vectorisation libidinale sont au service de

l’amour. La violence fondamentale décrite et analysée par cet auteur comme mise au service de la

vie est également décryptée dans le même sens en éthologie martiale et clairement différenciée de

l’agressivité rituelle. Si notre interlocuteur rouge de colère grimace, hurle et nous insulte avec des

yeux exorbités et s’il gesticule dans une posture haute avec le poing brandi, alors il sort toute sa

panoplie rituelle pour être extérieurement le plus impressionnant possible. Cet individu-là, même s’il

attaque, est rarement dangereux. Si au contraire il blêmit -son sang afflue vers l’intérieur du corps

pour prévenir les méfaits hémorragiques d’une éventuelle blessure-, si sa pupille rétrécit, s’il ne crie

plus ni ne parle, s’il baisse son centre de gravité comme pour bondir et de surcroît garde les mains

ouvertes, alors ce sujet est devenu un prédateur « reptilien » près à vendre chèrement sa vie. La

sagesse -dans la perspective où l’on ne parviendrait pas à le calmer en le faisant parler par exemple-,

serait alors de prendre ses jambes à son cou et de mettre la plus grande distance possible entre lui et

nous. Une autre perspective, notamment celle dictée par un ego trop volumineux, serait des plus

déraisonnable. Pour lui comme pour nous22.

21 Il en va de même pour les championnes, même si l’équivalence -comme dans le cas de l’Œdipe et de sa résolution- ne joue pas exactement la symétrie terme à terme. 22 L’expression populaire « garder son sang-froid », allusion au reptile, prend ici toute son épaisseur.

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Nous sommes loin d’un regard réducteur où le complexe R ferait uniquement partie du

système moteur contrôlé par l’aire motrice du néo-cortex ; d’une vision scolastique

neurophysiologique où homo sapiens sapiens serait réduit à un sac de gènes et des circuits

informatiques précablés, propre à être chosifier et instrumentaliser23. D’un autre côté, il ne faut pas

perdre de vue qu’une vision scolastique théologique ou psychanalytique de l’être humain peut

empêcher de voir combien l’homme est aussi un animal. Ecarter le regard ontophylogénétique n’est

pas sans conséquence lorsqu’on évoque l’animalité de l’Homme ou en l’Homme dans une

perspective religieuse24 ou métapsychologique25. La vérité est ailleurs. Paul MacLean indique le

chemin lorsqu’en adepte des neurosciences, il fait référence à la seconde topique freudienne26 pour

faire comprendre comment fonctionne le cerveau du reptile :

« C’est comme si le cerveau du reptile était sous la dépendance névrotique d’un sur-moi ancestral qu’il conserverait tout en ne disposant pas du mécanisme neuronal propre à lui permettre de se confronter à des situations nouvelles et de s’y adapter » (1990, p. 103).

23 L’eugénisme sous toutes ses formes en est une des expressions. Le sort réservé aux sportifs de « haut niveau » en est une autre. La négation de la découverte freudienne de l’inconscient, une troisième. 24 Dominique Lecourt, dans L’Amérique entre la Bible et Darwin (1992), rappelle la mésaventure de John T. Scopes. Ce professeur de biologie fut arrêté, emprisonné et jugé pour avoir enseigné les théories de Charles Darwin. Son avocat, Clarence Darrow le défendit avec passion contre le procureur William J. Bryant, créationniste farouche, au cours du fameux « procès du singe » de juillet 1925 à Dayton, Tennessee. La presse de l’époque en fit largement écho, signe d’une Amérique à la fois très attachée aux textes bibliques et fascinée par les théories de Charles Darwin. Le procès de Little Rock, Arkansas, en 1982 témoigne, plus près de nous, de la vivacité de la controverse. 25 Convoquer l’inconscient comme le prêtre convoque l’âme et considérer le corps -notamment dans sa dimension biologique- comme un frein à la cure, un lieu subalterne dangereux pour les deux parties, qu’il convient d’allonger ou d’asseoir, et surtout ne pas toucher sous peine d’hérésie excommunicatoire. Oublier ou méconnaître que la libre association émane et s’adresse au néo-cortex, que le registre des émotions et des engrammes traumatiques au système limbique qui, s’il n’est pas muet, n’entend rien au langage propositionnel ; qu’au-delà de l’inconscient freudien, l’inconscient darwinien, hypothétique terre lointaine du ça, peut-être au cœur du cerveau reptilien, n’a cure du langage parlé, écrit, calculé, artistique, de l’invention, de la création, de la mémoire à long et moyen terme, des apprentissages, des émotions, des traumatismes et de leurs possibles conséquences, de la souffrance, de l’altruisme ; que cette partie de nous-même aspire à survivre dans l’instant présent en l’oubliant irrémédiablement et totalement quelques secondes plus tard. Oublier ou méconnaître que le capitaine du navire est en dernier ressort le cerveau reptilien avec comme second le cerveau paléo-mammifère et le néo-cortex comme passager qui -ego oblige- se prend pour le propriétaire du navire ; que ces trois occupants du vaisseau ne s’expriment pas forcément dans l’unité. Enfin nier leur existence. Voilà quelques recadrages qu’il ne serait pas inintéressant d’avoir à l’esprit lorsqu’on est un usager de la psychanalyse : analysant et analyste compris. 26 Cf. Sigmund Freud. (1938), Abrégé de psychanalyse, PUF, 1949.

12

Le conducteur paléo-mammifère.

Selon la formule de Paul MacLean (1970), le conducteur paléo-mammifère -autrement

dit le système limbique-, est une tentative de la nature de doter le cerveau reptilien d’une sorte de

« coiffe pensante » pour le libérer du comportement stéréotypé, génétiquement programmé : comme

établir et marquer un territoire, installer l’habitat, chasser, se nourrir, constituer une hiérarchie

sociale, etc. Structure primitive en regard du néo-cortex, le cortex limbique présente des similitudes

chez tous les mammifères. Pour Paul MacLean, il continue de fonctionner en l’homme comme il le

fait au niveau animal. Fortement relié à l’hypothalamus et aux autres structures de la racine du

cerveau, le conducteur paléo-mammifère, héritage phylogénétique des mammifères dit « inférieurs »,

impliqué dans le fonctionnement des glandes endocrines et des viscères, joue un rôle essentiel dans

l’intégration, l’expérience et l’expression de l’émotion. Il produit des informations en termes de

sentiments émotionnels et guide le comportement adéquat pour l’autopréservation et la préservation

de l’espèce, comme choisir la nourriture convenable ou désirer procréer. Les sentiments affectifs

représentent une fusion mentale, résultat d’expériences internes et externes, toute introspection le

démontre. Tous les systèmes sensoriels à la fois intéroceptifs et extéroceptifs puisent dans le cortex

limbique de la formation de l’hippocampe et ce dernier joue un rôle capital dans l’élaboration de

l’émotion et dans la mémoire à court terme. Par sa primitivité, le cortex limbique ne permet pas de

parler, lire et écrire, il donne néanmoins le sentiment de la réalité de soi-même, de croyances et de

convictions à l’égard du réel, de ce que nous pensons être important dans le monde extérieur, de nos

idées et théories… vraies ou fausses27.

Paul MacLean28 divise le système limbique en trois secteurs. La division septale

participe aux activités sexuelles primitives et aux fonctions de procréation dans une perspective

27 A partir de la compréhension de ces mécanismes, tous les mouvements sectaires ont développé toutes sortes de techniques pour « reprogrammer » leurs « brebis ». 28 Paul MacLean passe par l’étude de maladies comme l’épilepsie psychomotrice et par l’expérimentation animale où il opère par stimulations, manipulations, lésions, ablations. Une large destruction du complexe R chez le lézard n’altère

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socio-sexuelle. On prête à cette région la production des sentiments d’affection et d’amour liés à

l’excitation sexuelle. La stimulation du secteur septal provoque des réactions affectives de plaisir

intense chez l’animal. Cette région joue également un rôle dans l’agressivité et la violence. Des

lésions septales provoquent des comportements de frénésie et de rage. La seconde, la division

amygdalienne fortement connectée à la première, concerne l’entretien de la vie, l’auto-conservation :

se nourrir, combattre et se protéger. La stimulation de l’amygdale concerne également l’agressivité,

notamment celle impliquée dans l’alimentation mais peut-être également celle liée à l’acte sexuel. La

stimulation de l’amygdale provoque des réactions de colère, de rage, de cruauté, de frénésie

sanguinaire. Ces deux subdivisions sont intimement liées à l’appareil olfactif dont le développement

très ancien joue un rôle essentiel dans la recherche de nourriture, l’accouplement et également dans

le combat susceptible de précéder ces deux comportements. La troisième division thalamo-

cingulaire, inconnue chez les reptiles, atteint une taille importante chez les primates et son plus

grand développement dans le cerveau humain29. Elle se trouve impliquée dans une triade

comportementale qui distingue radicalement les reptiles des mammifères. En première base nous

trouvons les soins maternels, en seconde la communication audiovocale, en troisième le

comportement de jeu. De nombreux reptiles dévorent leurs rejetons. La progéniture des dragons de

Komodo doit se réfugier dans les arbres durant sa première année de vie afin d’éviter de servir de

déjeuner à ses parents ou aux autres adultes. Avec l’avènement des mammifères apparaît ce que Paul

MacLean appelle la loi primitive : « Tu ne dévoreras ni ton descendant, ni la chair de ta race » (1990,

pas forcement le mouvement. La stimulation de la région amygdalienne chez le singe montre l’apparition de manifestations orales comme la mastication et le léchage, suivies quelques secondes plus tard d’une érection pénienne. L’ablation du néo-cortex chez le hamster n’empêche pas l’accouplement, la reproduction et l’élevage des petits. Si par contre on empêche le développement du grand arc du cortex limbique, le comportement maternel se détériore et le jeu disparaît. Etc. Sans sombrer dans « le syndrome Brigitte Bardot » ni faire d’amalgame, ces pratiques posent des questions difficiles du point de vue épistémologique et éthique et lèvent le voile sur les expérimentations humaines, notamment celles pratiquées en temps de guerre comme ce fut le cas dans les camps nazis et japonais. Christian Bernadac (1967) s’en est fait l’écho, pour les premiers, dans son ouvrage Les médecins maudits, les expériences médicales humaines dans les camps de concentration ; Henry Plée et Fujita Saiko (1998) pour les seconds, dans L’art sublime et ultime des points vitaux. 29 Cette évolution marque un déplacement des influences olfactives vers les influences visuelles, notamment dans le comportement socio-sexuel.

14

p. 156)30. Plusieurs spéculations sur les premiers mammifères font état d’hypothèses où ces derniers

auraient été nocturnes et auraient vécu sur le sol sombre des forêts. Toute séparation prolongée du

jeune animal non sevré avait des conséquences désastreuses. Au cours de l’Evolution le maintien du

contact entre l’adulte et sa progéniture s’est développé entre autre par ce que les éthologues

nomme l’appel de l’isolé, où le petit lance un S.O.S. pour être retrouvé et secouru lorsqu’il est perdu

et en danger. Ce cri de solitude, cet appel de séparation est sans doute le langage le plus fondamental

du mammifère31. Cette expression vocale est également responsable de l’affiliation au groupe. Le jeu

quant à lui est interprété comme un facteur de cohésion et d’harmonie dans la famille et la filiation

sociale32.

A côté de cette naissance de l’Humanité au cœur même du cerveau, revenons avec Paul

MacLean sur la dimension émotionnelle du cerveau limbique :

« Il semble donc que les affects soient d’abord composés à l’intérieur des circuits du cerveau limbique. Au lieu de transformer l’expérience en comportement compulsif, comme le fait le cerveau reptilien, ou en pensées abstraites, comme dans le cas du cerveau néo-mammifère, le processus mental du système limbique semble comporter un mécanisme par lequel l’information est codifiée en termes de sentiments affectifs qui influent sur ses décisions et sur son mode d’action » (1990, p. 195).

30 Précurseur du commandement vétéro-testamentaire : « tu ne tueras point ». Cette loi anti-cannibalique est parfois mise en défaut dans des conditions extrêmes. Nous pouvons penser ici à Jean-Hugues Duroy de Chaumareys (1763-1841) condamné à trois ans de prison et radié de la liste des officiers de marine pour avoir fait échouer le 2 juillet 1816 la frégate Méduse, condamnant ainsi 150 personnes à dériver sur un radeau au gré des flots. Celles-ci, pour survivre, se livrèrent la nuit venue aux viols, aux meurtres et à l’anthropophagie. Plus près de nous, dans les années 70, une équipe de rugby uruguayenne se livra également pour survivre au cannibalisme après le crash de son avion dans la Cordillère des Andes. Lorsque les seize survivants « retournèrent à la civilisation » et révélèrent les conditions de leur survie, le choc au plan mondial fut à la mesure de l’information*. Au plan individuel, Jean-Pierre Baud, dans son ouvrage le festin sauvage (1996), rapporte le cas de cette mère de Sélestat qui, en 1817, poussée par la faim, a tué son enfant pour le manger. Malgré l’absence de symptômes en faveur d’une aliénation mentale, la médecine et la justice déclarèrent cette mère folle pour « l’honneur de l’humanité ». Dans les années 80, le Japonais Issei Sagawa fit en France festin de sa maîtresse dont on retrouva les reliefs dans un réfrigérateur. Jugé dément au moment des faits, il bénéficia d’un non-lieu. Comment penser ces comportements sans passer par le prisme de la folie ? Manifestations du cerveau reptilien en l’homme ? * Cette tragédie est relatée par Piers Paul Read dans un ouvrage intitulé Les survivants, traduit de l’anglais par Marcel Schneider, Grasset, 1974. 31 « A l’opposé de la phonation émotionnelle, le développement du langage propositionnel dépend d’un saut évolutif quantique du cortex limbique au néo-cortex […] La division thalamo-singulaire du système limbique est intimement liée au néo-cortex préfrontal »(MacLean, 1990, p. 178, p. 188). 32 Cf. les travaux de Donald Wood Winnicott (1957a, 1957b, 1971) sur l’enfant et ses premières relations avec sa famille, le monde extérieur et le jeu.

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Cette conclusion se révèle capitale par son éclairage de la pratique martiale où il s’agit

également de travailler sur ses émotions. L’ambiance des dojo dits « traditionnels » est particulière.

On y parle peu et le plus souvent, sur le tatami, seul le « maître » du lieu s’exprime. Il est même

certains entraînements où « il » ne parle pas du tout. Les techniques, les enchaînements sont montrés,

suggérés sans un mot d’explication. L’impact sur les élèves à ces moments-là est toujours très

puissant. Il faut en effet passer par autre chose que le néo-cortex bavard, calculateur et lent pour

pouvoir mettre en œuvre cette psychomotricité. Le temps n’est pas à la palabre lorsque le travail est

intense et sincère. La communication est présémantique et audiovocale : on s’exprime par le geste,

l’intensité du travail active nos secrétions : par la chimie des odeurs notre olfaction revient à l’avant-

scène, notre vision change, on y entend des respirations fortes, des cris. Le mythique Kiaï33 qui

parfois, à l’aune des pratiquants, ressemble à se méprendre à des cris d’animaux divers et variés, est

aussi parfois un signal de détresse, « en désespérance » dirait Henry Plée. Si le travail est sérieux il

n’en demeure pas moins un jeu. Par son intermédiaire on apprend non pas à se défendre par

l’apprentissage de tout un arsenal de techniques plus ou moins sophistiquées, mais on s’autorise à

laisser émerger sans risque pour soi et pour l’autre -en cela c’est un jeu- cette part de nous qui sait ce

qu’elle doit faire au moment où elle doit le faire en cas de réel danger. Car cette part de nous-même

si incroyablement efficace, peut être empêchée, entravée par des conditionnements positifs ou

négatifs, des traumatismes34 psychiques. Etre envahi par la peur, l’angoisse ou l’effroi35 peut, dans

33 Littéralement l’union (aï) des énergies (ki), ce cri protéïforme possède de multiples vertus et de multiples usages. Il accompagne le « moment de vérité », cet instant crucial où tout se joue : pousser le kiai pour concentrer toute l’énergie au point d’impact, à chaque coup donné par le bûcheron ou le joueur de tennis, crier au moment de la naissance, etc.… 34 La notion de traumatisme, en premier lieu somatique, est transférée de façon métaphorique sur le plan psychique pour qualifier tout événement faisant brusquement effraction dans l’organisation psychique du sujet. Lorsque Freud dans Au-delà du principe de plaisir (1920) parle de névrose traumatique, il insiste sur le caractère à la fois somatique -« ébranlement » (Erschütterung) de l’organisme provoquant un afflux d’excitation- et psychique -« effroi » (Schreck)- du traumatisme. Freud voit dans cet effroi le facteur déterminant de la névrose traumatique. 35 « …dans la névrose traumatique commune, deux traits saillants pourraient servir de point de départ à notre réflexion : premièrement, ce qui semble peser le plus lourd dans son déterminisme, c’est le facteur de surprise, l’effroi ; deuxièmement, si le sujet subit en même temps une lésion ou une blessure, ceci s’oppose en général à la survenue de la névrose. Effroi, peur, angoisse (Schreck, Furcht, Angst) sont des termes qu’on a tort d’utiliser comme synonymes ; leur rapport au danger permet de bien les différencier. Le terme d’angoisse désigne un état caractérisé par l’attente du danger et la préparation à celui-ci, même s’il est inconnu ; le terme de peur suppose un objet défini dont on a peur ; quant au terme d’effroi, il désigne l’état qui survient quand on tombe dans une situation dangereuse sans y être préparé ; il met l’accent sur le facteur surprise. Je ne crois pas que l’angoisse puisse engendrer une névrose

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« un moment de vérité36 », nous faire perdre tout ou partie de nos moyens et nous être fatal. En se

sens la pratique bien conduite des arts martiaux est une extraordinaire psychomotricité, une thérapie

voire une rééducation. Il est devenu un lieu commun de vanter ses vertus apaisantes sur les agressifs

et stimulantes sur les timorés. Elle permet une réactualisation des émotions fortes dont le substrat est

le système limbique. Elle nous met au travail dans l’identification, la résolution, la maîtrise, le

contrôle, le recyclage des émotions dans leur dimension subjective : les affects, non pas dans le sens

d’une entrave mais dans celui d’une libération37.

Par cette activation des étages reptilien et limbique, l’affiliation positive au groupe dont

on a parlé plus haut devient ici une évidence et facilite la socialisation du sujet y compris dans sa

dimension socio-sexuelle, bénéfice secondaire non négligeable. Le groupe « martial » est en effet

très hiérarchisé et peu prendre toutes les apparences à la fois positives et négatives de la famille, du

clan, de la société. De la ceinture blanche balbutiante jusqu’au maître -quand il existe- et les

ceintures noires dont l’expertise se mesure théoriquement au nombre de dan38 affichées, chacun se

trouve à une place identifiée et évolue dans cette pyramide en fonctions de ses « qualités ». Dans ce

contexte se réactualise le sentiment de la famille, de la protection des petits, enraciné selon Paul

MacLean dans le système limbique, pour s’étendre ensuite à tous les membres du groupe via le

cortex préfrontal.

traumatique ; il y a dans l’angoisse quelque chose qui protège contre l’effroi et donc aussi contre la névrose d’effroi (Schrecksneurose). » (Freud, 1920, p.50). 36 Ils sont fort heureusement rares dans une vie, mais il suffit d’une fois… 37 C’est évidemment une arme à double tranchant : mal conduite, la pratique martiale peut renforcer les problèmes et … raccourcir la vie. 38 Les arts martiaux et leurs expressions mystifiées : les sports de combat ont un lien plus ou moins direct avec la guerre et donc les armées. Les kyu et les dan sont un véritable système de grades de type para-militaire. Les kyu de la ceinture blanche à la ceinture marron représentent les hommes du rang et les sous-officiers, les dan, les officiers : 1ère dan = sous-lieutenant, 2e dan = lieutenant, 3e dan = capitaine, etc. Pré-existait à ce système une hiérarchie plus simple constituée en trois niveaux de progression : ceinture blanche, marron, noire. Les ceintures de couleurs sont une invention faite toute spécialement pour les Européens afin de les « fidéliser » dans la pratique. Il existe un autre système dit « honorable » où il y a trois distinctions essentielles : Renshi : maîtrise extérieure, Kyoshi : maîtrise intérieure, Hanshi maîtrise complète. Pour certains la ceinture est uniquement là pour tenir le pantalon. C’est d’une certaine manière comme les diplômes : une fois en poche ils revêtent une importance relative. Une certitude, dans une situation dangereuse la ceinture et sa couleur ne seront d’aucune utilité.

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Le conducteur Néo-mammifère.

Dans l’évolution, ce conducteur : le néo-cortex, aurait été créé pour venir au secours

de son voisin le système limbique, surtout quand ce dernier, pressé par les signaux venus du monde

intérieur, ne sait plus « à quel saint se vouer » pour aider à prendre une décision froide et raisonnée

dans la perspective de survivre. Ontophylogénétiquement, le néo-cortex est primitivement orienté

vers l’environnement externe. A la différence des signaux destinés au goût et à l’odorat dirigés vers

le cortex limbique, le néo-cortex à été conçu pour recevoir en tout premier lieu des yeux, des oreilles

et, de toute la surface du corps, des signaux en provenance du monde extérieur. Dans cette

perspective, Paul MacLean compare le conducteur néo-mammifère à un ordinateur impitoyable, au

service de raisonnements froids et sans pitié. Par ses facultés à se concentrer sur les choses

matérielles, il dispose de la capacité de réaliser les combinaisons les plus cruelles pour détruire. Il

explique ainsi le comportement de mammifères qui, après avoir tué le mâle dominant, pratiquent

l’infanticide sous l’œil éploré ou indifférent des mères, pour faire « place nette » et créer leur propre

descendance39 :

« Ainsi, pour quelque inexplicable raison, la nature semble avoir conclu qu’un esprit malfaisant, un véritable Frankenstein, a été libéré de la boîte de Pandore et que, si par malheur, on le laissait se déchaîner, il pourrait conduire à la destruction des espèces. J’emploie le mot “ inexplicable ” parce que la nature elle-même semble avoir donné sa bénédiction au principe paradoxal de la “ nécessité de tuer dans le but de vivre ” » (1990, p. 73).

Pour éviter pareille catastrophe la nature a ajouté lentement et progressivement quelque chose

dans le néo-cortex : le cortex préfrontal40. Ce dernier grâce à ses facultés d’unir l’expérience passée

à l’expérience présente, fournit la capacité d’anticipation à concevoir des projets pour nous-même et

39 Comportement observé chez les singes mais également chez les félins. Toute ressemblance avec homo sapiens, etc, etc… 40 De l’homme de Néanderthal à celui de Cro-Magnon, le front humain à évolué d’une arcade sourcilière basse à une élevée. En dessous de cette arcade se trouve le cortex préfrontal, situé à la pointe et à l’extrémité. Le Q.I. tel qu’il est habituellement calculé n’est pas affecté par la perte de ce cortex. Par contre une lésion préfrontale peut toucher la volonté, la capacité à planifier avec méthode et persévérance une action dans le temps.

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pour autrui. Seule partie du néo-cortex à regarder vers le monde intérieur de nos sentiments41, et par

là même disposant d’une aptitude à la réflexion, il nous aide également à identifier les sentiments des

autres. Il est le siège de l’empathie. De ce point de vue « en concevant pour la première fois une

créature qui se soucie de la souffrance des autres êtres vivants, la nature semble avoir tenté un demi-

tour à partir de qui a été un monde de reptile-mange-reptile et de chien-mange-chien » écrit Paul

MacLean (1990, p. 74). Si les circuits nerveux ne sont pas activés à certains moments critiques, ils

ne pourront jamais fonctionner. Sur cette base démontrée par des preuves anatomiques et

comportementales, il émet à propos de la fonctionnalité de cette zone cérébrale, l’hypothèse qu’elle

ne serait pleinement opérationnelle qu’après les changements hormonaux de l’adolescence. Ainsi

l’empathie est non seulement apprise mais elle doit l’être avant un âge critique pour se développer

pleinement. A cette échelle de développement cérébral, ajoute-t-il, nous ne sommes plus entièrement

le produit de nos gènes42. Loin s’en faut.

Dans cette perspective la spécialisation hémisphérique néo-corticale est largement

mise à contribution dans l’apprentissage des arts martiaux. L’hémisphère gauche, celui qui raisonne, 41 Les circuits préfrontaux sont intimement connectés avec la troisième subdivision limbique impliquée dans les soins parentaux, la communication vocale et le jeu. 42 Cette conception rejoint les vues de Charles Darwin, baptisées L’effet réversif de l’évolution par Patrick Tort (1996, p. 1334 -1335). Jjamais nommé tel quel dans l’œuvre de Darwin, il y est pourtant décrit et développé dans la descendance de l’homme. Cet ouvrage propose de répondre à trois ordres de questions : l’homme est-il le résultat évolutif d’une forme préexistante ? Quel est son mode de développement ? Quelle est la valeur des différences qui existent entre ce que l’on nomme les races ? L’étude met en évidence que les données anthropologiques individuelles et collectives sont soumises à variations et que la sélection se poursuit au sein des groupes humains, mais sous certaines modalités. Darwin s’aperçoit que la sélection naturelle comme principe directeur de l’évolution n’est plus, face à l’état de civilisation, la force principale qui règle le devenir de l’humanité. L’éducation prenant en quelque sorte le relais, en dotant l’homme de comportements opposés aux effets primitivement éliminatoires de la sélection naturelle. Comme le formule Patrick Tort (1997, p.68), « la sélection naturelle sélectionne la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. » Ce paradoxe trouve résolution pour Darwin dans les instincts sociaux par le biais desquels la sélection naturelle a sélectionné son contraire. Au lieu de l’élimination des moins aptes apparaît le devoir d’assistance des malades et des infirmes, processus illustrant le renversement progressif qui produit un effet de rupture, comme le nomme Patrick Tort. L’émergence du progrès et de la morale a partie liée avec l’évolution. La sélection naturelle au cours de sa propre évolution s’est soumise elle-même à sa propre loi, sa forme nouvelle protège le faible et l’emporte, parce qu’avantageuse, sur l’ancienne forme qui privilégiait l’élimination. La sélection naturelle a donc travaillé à son propre déclin en ayant sélectionné, entre autres, l’instinct de sympathie que Darwin développe ainsi (1871, chap. V) : « Notre instinct de sympathie nous pousse à secourir les malheureux ; la compassion est un de ces produits accidentels de cet instinct que nous avons acquis dans le principe, au même titre que les instincts sociables dont il fait partie. La sympathie, d’ailleurs, tend toujours à devenir plus large et plus universelle. Nous ne saurions restreindre notre sympathie, en admettant même que l’inflexible raison nous en fît une loi, sans porter atteinte à la plus noble partie de notre nature. Le chirurgien doit se rendre inaccessible à tout sentiment de pitié au moment où il pratique une opération, parce qu’il agit pour le bien de son malade ; mais si, de propos délibéré, il négligeait les faibles et les infirmes, il ne pourrait avoir en vue qu’un avantage éventuel, au prix d’un mal présent considérable et certain. Nous devons donc subir, sans nous plaindre, les effets incontestablement mauvais qui résultent de la propagation des êtres débiles ».

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parle, écrit et calcule en permet une approche pleinement intellectuelle. Cet ouvrage collectif en est

une démonstration. Si élaborer un « savoir » est une composante déterminante dans le résultat

escompté, il ne peut néanmoins se substituer à un « faire ». Un savoir encyclopédique de « A » à

« Z » sur la pomme n’aura jamais la valeur de l’expérience tactile, visuelle, gustative et digestive de

ce fruit, même ou surtout si cette expérience est subjective. Se pose ici la difficile question de

l’équilibrage entre « savoir » et « faire » et dont les arts martiaux sont un des innombrables

paradigmes. L’hémisphère droit, le spatial, l’artistique, donne ses lettres de noblesse aux pratiques

martiales. Souplesse, rapidité, précision, fluidité, puissance, le tout au service de la beauté du geste

avec des enchaînements complexes où associations, dissociations, asymétries peuvent être mises au

service d’une authentique dramaturgie martiale. Mais plus nous sommes dans l’art et moins nous

sommes dans la survie. Après quelques années d’une pratique correcte il est possible, à partir d’une

seule attaque de Tori43, de riposter par une salve de contre-attaques aussi destructrices les unes que

les autres -là où une seule pourrait suffire- pour abattre votre adversaire. Pour user ici d’une

métaphore militaire, c’est en quelque sorte répondre à un coup de feu peu précis ou dévié par un

chargeur entier d’une mitrailleuse lourde en plein cœur de cible. Cet enchaînement sophistiqué,

ciselé, cousu main, pure création néo-corticale, n’a aucune chance d’être mis en œuvre en réelle

situation de danger. Il est beaucoup trop compliqué et aléatoire pour le cerveau reptilien qui prendra

les commandes à ce moment-là. Car si le paléo-cortex sait ce qu’il doit faire au moment où il doit le

faire, il est tout à fait hermétique à un quelconque apprentissage à long terme sensé améliorer ses

performances44. Alors à quoi sert-il de s’entraîner si, en situation de danger, la chose apprise ne

s’exprime pas ?

43 Uke : défenseur, Tori : attaquant. Uchitachi et Shitachi ont les mêmes fonctions. 44 Lorsque le boxeur enchaîne des techniques de poings dans le vide avant de monter sur le ring pour combattre, c’est d’une part pour impressionner son adversaire : posture de défi et, d’autre part pour « initialiser » son cerveau reptilien juste avant la confrontation.

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De l’individuel au collectif, il s’agit avant tout de traiter la violence. René Girard écrit

à ce propos:

« On ne peut tromper la violence que dans la mesure où on ne la prive pas de tout exutoire, où on lui fournit quelque chose à se mettre sous la dent […] Quand elle n’est pas satisfaite, la violence continue à s’emmagasiner jusqu’au moment où elle déborde et se répand aux alentours avec les effets les plus désastreux » (1972, p. 14 […] p. 21).

Pratiquer les arts martiaux est probablement l’une des manières les plus efficaces de

décrypter et de recycler la violence. Cette dernière est en effet clairement identifiée et prise en

compte frontalement d’entrée de « jeu ». Cette émersion permet sans doute un « traitement » plus en

profondeur au contraire de pratiques sportives plus classiques où l’on demeure à sa périphérie. La

valeur de « l’étiquette » telle qu’elle transparaît, entres autres, dans le karaté dit « traditionnel »

prend ici toute son épaisseur : humilité, courtoisie, respect, patience, force d’âme, courage, entraide,

solidarité, introspection -nous reconnaissons là les valeurs macleaniennes attribuées au cortex

préfrontal-, sont renforcées par une pratique martiale bien conduite. Dans le cas contraire, un néo-

cortex « froid et impitoyable comme un ordinateur », chargé du « logiciel karaté » conduit

inéluctablement à la destruction lors de « l’exécution du programme ». On voit ici, dans une

perspective éducative, combien la qualité de l’enseignant est essentielle et grande sa responsabilité.

Une psychomotricité intégrative.

Les arts martiaux en général et le karaté en particulier sont une « prescription » au sens

médical du terme. Comme tout principe actif pharmacologique il peut guérir mais également

empoisonner. Il doit donc être correctement prescrit en fonction du patient et sa posologie

scrupuleusement respectée. L’objectif de la « cure » est d’harmoniser le fonctionnement cérébral, de

le rééquilibrer. Faire de ce triple discours cortical souvent -pour ne pas dire toujours- dissonant, une

seule et même voie harmonisée. Si nous sommes tous soumis à fluctuations en fonction des

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situations, nous avons également un conducteur cérébral dominant : intellectuel, émotionnel,

moteur. Ajoutons à cela une manière d’être agressif : certains seront plutôt offensifs, d’autres

défensifs, d’autres encore passifs. La combinaison du style cérébral et du mode d’agressivité donne

neuf manières particulières d’être au monde. Un « moteur/offensif » pourra être attiré par un art

martial « dur » : karaté contact, boxe thaïlandaise, un « émotionnel/défensif » par l’aïkido ou le judo,

un « intellectuel/passif » par la pratique du tai-chi-chuan45. En se sens-là, la pratique martiale est une

authentique psychomotricité et sans doute le travail de toute une vie. Il me revient en mémoire mes

débuts laborieux de karatéka. « Ceinture blanche » avec quelques semaines de pratique derrière moi,

j’étais tremblant de peur face à une « ceinture marron » dont je sentais l’intense jubilation à pouvoir

tester à bon compte et sans trop de risques ses techniques sur une cible facile. En plein combat j’étais

absorbé par mes pensées : « Il va me faire mal ! » ; plongé dans une intense réflexion : « Si j’avais su

! » ; avec des jugements plein la tête : « il est malade celui-là ! » ; dubitatif quant au meilleur choix à

faire entre diverses options d’action : « C’est-quoi-déjà-qui-faut-faire-dans-ces-cas-là ? ! » ; occupé à

délibérer mentalement sur la bonne décision à prendre : « Courage fuyons ! » ; à définir la bonne

stratégie face à une brute épaisse : « Au secours, il-y-a-quelqu’un ? ». Pendant cette intense activité

préfrontale, l’individu quant à lui me traitait comme le vent traite un fétu de paille, sous l’œil

goguenard et impavide de mes coreligionnaires. Résultats : trois côtes fêlées, quelques ecchymoses

et une appréhension certaine et durable à l’idée de fouler une nouvelle fois un tatami. A propos du

préfrontal comme l’écrit Roland Guyot 1990, pp. 313-314) : si « grâce à la volonté liée à l’exercice

de la raison, la matière se dépasse elle-même », si « la volonté écarte l’influence de la routine et du

rite immuable pour la remplacer par celle de la réflexion », si « elle écarte l’influence des émotions

et des passions de surprise pour la remplacer par celle de représentations qu’enchaîne à travers le

temps une véritable logique intérieure », encore faut-il qu’elle s’exerce au bon moment. Cette petite

vignette clinico-martiale en est la démonstration. Dans cette situation, « limbique » et « reptilien »

45 Ces typologies sont à envisager comme des béquilles pour la pensée et le travail. Le danger serait d’en faire matière à dogme.

22

étaient de toute évidence bridés par mon « intellect ». Les deux premiers auraient probablement

« commandés » un comportement de fuite ou de soumission, malheureusement inhibé par un « moi

dominant46 » -émanation du troisième-, conditionné par des messages comme : « pleures pas t’es un

homme ! », « ne sois pas un lâche » et autres fadaises. En tout état de cause, cette disharmonie entre

mes trois « centres » m’a valu quelques semaines de souffrances.

Pour conclure.

Gichin Funakoshi (1943, 1956), père fondateur du karaté « moderne » envisage cette

discipline selon trois grandes directions. En premier lieu elle est avant tout une pratique de santé à

géométrie variable. Elle convient aussi bien à l’enfant, aux femmes, aux hommes, à tous les âges de

la vie et chacun peut l’adapter en fonction de ses capacités. Sa mise en œuvre aisée ne nécessite pas

forcement d’équipements ou de lieux particuliers. Elle autorise le travail solitaire ou en groupe. Elle

permet un développement global, équilibré et harmonieux du corps et améliore la condition

physique. En second lieu, comme pratique d’autodéfense, elle repose essentiellement sur des

combinaisons très rapides de blocages-attaques exécutées simultanément, où tout le corps est

considéré comme une arme tranchante, pénétrante, enfonçante47. Quels que soient l’âge et le sexe,

son efficacité permet de se protéger, même si l’on dispose d’une force naturelle modeste. En

troisième lieu, elle est une ouverture spirituelle dont l’aphorisme de Gichin Funakoshi : « Le karaté

est par essence non-violent » est en quelque sorte le fil rouge. Paradoxe extrême-oriental en

superficie, il témoigne du travail à faire sur soi : une psychomotricité intégrative où il s’agit

d’harmoniser ses trois centres, moteur, émotionnel, intellectuel et ses deux hémisphères cérébraux.

Une « simple » technique main ouverte au service du reptilien humain peut être si

dévastatrice, si radicale dans son résultat que son exercice régulier finit par polir l’âme. En climat de

46 Cf. Idries Shah, Le Moi Dominant, Paris, Le Courrier du Livre, 1994. 47 C’est en fait avec tout l’être en « désespérance » que l’on tente de survivre au « moment de vérité ».

23

paix il y a très peu de circonstances où notre vie est en danger, il y a par contre une multitude

d’occasions journalières pour que ça48 dégénère. Sans sombrer dans un angélisme niais, affûter son

Shuto49, ou aiguiser son Nukité50 conduit à témoigner du respect pour la vie. On se surprend à tenir

compte de son environnement, à regarder et sentir une fleur sans pour autant la cueillir, à épargner la

fourmi, à patienter devant la guêpe, à sourire lorsqu’on vous « brûle la politesse » et à transmettre

ces valeurs. Le chemin n’est pas semé de pétales de roses, rien n’est jamais totalement gagné, rien

n’est jamais totalement perdu. Récemment encore, j’étais à la recherche de la technique ultime qui

me permettrait d’éliminer radicalement un adversaire. Une chute spectaculaire à skis et

potentiellement très dangereuse s’est révélée en l’occurrence pleine d’enseignements. Pendant ce

« moment de vérité » aucune pensée n’a traversé mon esprit. Je n’ai aucun souvenir du moment de la

chute. Je n’ai éprouvé aucune émotion, ni pendant ni après. Je me suis relevé totalement indemne,

comme s’il ne s’était rien passé. Avec cet avis de tempête le « capitaine reptilien » a pris la barre et

fait ce qui devait être fait pour que cette mésaventure reste du domaine de l’anecdote. Depuis je ne

cherche plus la technique ultime. Je la sais là, quelque part en moi, au service de la vie et de

l’amour51.

48 Cf. la deuxième topique freudienne et le livre du ça de Georg Groddeck (1923). 49 Tranchant de la main. 50 Pique des doigts. 51 « Je pense que la base de quelque thérapie que ce soit est composée de 50% d’amour et de 50% de compréhension de la personne. Si vous réunissez ces deux ingrédients, vous développerez automatiquement une attitude et une technique saines envers la personne et envers ses problèmes. Pour moi, cet amour est le facteur absent de la pensée psychologique occidentale » (Omar Ali-Shah, 1990, p. 11).

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26

Olivier R. Grim

LES ARTS MARTIAUX : UNE INDICATION EFFICACE ET DELICATE

Un constat.

Imaginez, déroulé sur une lande déserte du sud de la France, un ruban d’asphalte chauffé à

blanc par un soleil à son zénith. Imaginez sur cette route, une file ininterrompue de voitures

immobilisées sur quelques kilomètres dans les vapeurs empoisonnées des gaz d’échappement. La

longue procession grave, à vitesse d’escargot des traces de pneumatiques dans le goudron ramolli.

Imaginez tous ces vacanciers hagards, enfermés dans leur véhicule, avides de brise marine et de

fraîcheur océane. Imaginez enfin sur le bas côté, un « jogger » vêtu en tout et pour tout d’un short et

de ses chaussures, remonter cette colonne dans un nuage de transpiration. Sa foulée est mesurée et

volontaire, son allure modérée et inexorable, sa concentration à la hauteur de son entreprise. En

première analyse nous pourrions être tenté d’affubler notre coureur de noms dont le pouvoir

évocateur rendrait compte de la relativité de son intelligence et de sa raison. En effet, comment

comprendre un tel comportement en dehors des chemins balisés de la norme ? Il faut assurément

avoir perdu l’esprit pour courir sans protection sous un soleil de plomb et inhaler à pleins poumons

monoxyde de carbone et autres composés toxiques sur un trajet encombré de voitures, alors qu’à

quelques encablures la fraîcheur relative d’une pinède avec ses chemins forestiers semble être une

invitation beaucoup plus propice à ce genre d’effort physique.

Changeons de lieu. Nous voici maintenant dans un dōjō, espace profane parsemé de quelques

vestiges sacrés où une assemblée de karatékas s’adonne sans compter à son activité favorite.

27

Comment interpréter la démarche de ce pratiquant qui s’épuise à faire des pompes sur les poings en

appui sur du parquet ou des parpaings puis enchaîne une série d’atémis sur un makiwara52 jusqu’à

avoir les phalanges tuméfiées ? Que penser de cet autre qui étire – jusqu’à la déchirure parfois – ses

ischio-jambiers dans l’espoir de réaliser le grand fantasme de tout pratiquant moyen : le grand écart

facial avec bascule complète du bassin ? Comment appréhender cette « ceinture noire » qui offre ses

côtes flottantes aux mawashi-geri53 de plus en plus appuyés de son partenaire pour, dans un second

temps, lui rendre coup pour coup dans une symétrie martiale où il s’agirait de faire de son corps une

armure sans armure et de son esprit un roc indestructible ? Que penser de ces entraînements

paramilitaires où les adeptes vont jusqu’à l’épuisement pour, paraît-il, aller « au bout de soi-

même » ? Comment comprendre ces sportifs qui montent sur un tatami ou sur un ring – parfois sous

l’emprise de substances illicites euphorisantes et/ou anesthésiques – pour s’infliger « dans les règles

de l’art » des coups dont les conséquences sur leur santé, à court et à long termes, feront la fortune

des médecins et de leurs subordonnés ? La litanie est longue de ces mauvais traitements infligés à

l’être, comme si le corps et l’esprit étaient des ennemis, des obstacles récalcitrants à un impossible

accomplissement qui parfois se résume à une médaille dont le métal n’est même pas fait de chocolat.

En une phrase, comment penser ces comportements que l’on pourrait qualifier en première lecture de

déraisonnables puisqu’ils « entraînent » les pratiquants à développer des pathologies parfois sévères

de l’appareil locomoteur pour ne citer que celles-là ?

Une réponse.

Une fois passé en revue les arguments en faveur de l’entretien d’une condition physique et

mentale indexée sur la gestion de facteurs comme le poids ou le stress par exemple, le coureur de

notre introduction et nos pratiquants d’arts martiaux cités en exemple recyclent, chacun à leur

52 Stand de frappe rudimentaire et traditionnel fait d’un support vertical flexible en bois sur lequel est fixé un coussin en paille de riz destiné à recevoir les coups portés par toutes les parties du corps. Mal utilisé cet outil d’entrainement peu s’avérer un « instrument de torture » pour le pratiquant et infliger à ce dernier des blessures qui, avec lui, vieilliront mal. 53 Coup de pied circulaire.

28

manière, la violence et l’agressivité dont ils sont gorgés à la manière d’une éponge. Rappelons-le

ici : violence et agressivité s’accumulent en l’être et, si nous retenons la leçon de René Girard

(1972), il faut impérativement leur donner quelque chose à « se mettre sous la dent », essorer

l’éponge pour poursuivre avec notre métaphore, afin de prévenir des débordements inévitables aux

conséquences toujours fâcheuses. Voilà pourquoi notre « jogger » court dans des conditions

extrêmes, et la nature de sa course jugée extravagante est à la mesure de la dose de violence qu’il a à

évacuer. C’est le prix qu’il doit payer pour retrouver un équilibre. Il en est de même pour nos

karatékas : l’intensité et l’âpreté de l’entraînement sont relatives à la quantité de violence à

dissoudre. Ainsi, tous font preuve d’une grande sagesse intuitive ou pensée : ils protègent leur

entourage social, professionnel, familial, des effets d’un éventuel accès de violence de leur part, le

premier par son exercice solitaire, les seconds en s’organisant en groupe identifié où il pourront

entre-eux, selon des règles communes acceptées, mettre en place un dispositif pour recycler leur

violence. Dans cette perspective voici l’autre protégé, mais qu’en est-il de l’individu concerné au

premier chef ? Certes lui aussi bénéficiera de ce recyclage, il s’évitera un certain nombre de

désordres que l’on pourrait qualifier de psychosomatiques. L’équation est simple : si pour une raison

quelconque, je ne peux pas canaliser cette énergie et la transformer par un processus créatif en un

objet positif, je projetterai cette violence sur l’autre – au point d’en faire un bouc-émissaire – ou

faute de mieux je la retournerai contre moi-même dans un processus cette fois-ci créateur de

maladies. La pratique des arts martiaux s’avère être un remède très efficace en la matière, mal utilisé

il peut également être une entreprise de destruction : combien de pratiquants d’arts martiaux ou d’ex-

pratiquants souffrent de douleurs chroniques consécutives à des années d’entraînements

« inadaptés » pour oser ici la formule.

29

Une certaine idée du sport.

On l’aura compris, nous inscrivons l’usage des arts martiaux dans le strict cadre des pratiques

de santé où il s’agit de préserver son intégrité somato-psychique, en d’autres termes son être. La

perspective est de vivre le plus vieux possible avec tous les moyens que son âge autorise, pour son

plaisir, son bonheur et pour celui de son entourage. Cette perspective n’est nullement en

contradiction avec une essence martiale qui se voudrait « pure et dure », puisqu’il s’agit bien de tout

mettre en œuvre pour rester le plus vivant possible, y compris dans l’hypothèse d’une confrontation

lors d’un « moment de vérité ». Nous nous séparons donc ici radicalement et sans querelle – à

chacun sa vision de l’univers des arts martiaux – de tous les « faiseurs » de compétiteurs, graines de

champions qui brillent un temps – toujours court – dans les vitrines parfois très éclairées des

associations sportives à but lucratif ou non, pour finir, une fois la gloire éteinte, entre les mains de

soigneurs le reste de leur existence, remplacés par d’autres qui connaîtront le même sort54. Si le sport

est une formidable machine à recycler la violence et s’il est bon de goûter à la compétition pour s’en

éloigner aussitôt afin d’apprécier à leurs justes valeurs les vertus cardinales de l’entraide et de la

solidarité, il est important, sans pour autant sombrer dans un angélisme niais, de résister aux sirènes

de ce genre de système qui laisse sur la grève bon nombre de personnes abîmées lorsqu’il ne drosse

pas sur le rivage quelques cadavres55.

54 Une discipline comme l’aïkido de Morihei Ueshiba s’inscrit dans un univers martial où la compétition est proscrite, où la recherche du bien-être et l’amour de son prochain est clairement affichée : « il faut prendre son ennemi sur son cœur » dit ce fondateur. C’est sûrement la discipline où hommes et femmes s’entraînent ensemble dans la plus grande parité (si le judo est également féminin, sa dimension sportive très poussée a conduit à l’instauration de catégories de poids et à la séparation des sexes sur les tatamis de compétition). La rivalité entre disciplines n’est pas un mythe. L’aïkido est souvent considéré par les disciplines « pieds-poings » notamment comme un art martial « de salon », une danse peu réaliste et inefficace. Si cette critique est non fondée – l’aïkido comme bon nombre de disciplines martiales est présenté et enseigné sous une forme déguisée afin d’en masquer la réelle efficacité – il est vrai que cet art présente toutes les « qualités » nécéssaires pour qui voudrait édifier une entreprise sectaire. A contrario, certaines formes de karaté et de jujitsu estiment tenir le haut du pavé en matière d’efficacité martiale. La dureté des entrainements et des confrontations en témoigneraient. C’est oublier leur caractère majoritrairement rituel, y compris dans des expressions extrêmes comme les « ultimate fighting championship » (championnat de combats extrêmes), réservés à des professionnels, sorte de néo-gladiateurs, où la gestion de la violence devient une entreprise lucrative fort dangereuse. L’obsession de l’efficacité viendrait ici combler des failles narcissiques profondes et calmer des angoisses existencielles archaïques, jusqu’à y perdre la santé, voire la vie. 55 Récemment, un jeune et sémillant karatéka, plusieurs fois champion du monde de kata, kinésithérapeute de son état et voué à un brillant avenir, est mort des suites d’une overdose de produit stupéfiant. Son destin funeste n’a fait l’objet d’aucune analyse. Etoile filante dans le firmament martial, hier montré en exemple, il est aujourd’hui « enterré » et oublié sans que l’on ait tiré les leçons de cette vie brisée.

30

Les arts martiaux ne se « prescrivent » donc pas à la légère. C’est un « médicament » aux

vertus curatives puissantes et, comme toute « médication » efficace, sa prescription se doit d’être

précise, adaptée à chaque individu et nécessite un suivi. A titre d’exemple, un sujet « raide » attiré

par les disciplines martiales dynamiques où le cocktail souplesse, vitesse, puissance constitue

l’infrastructure sur laquelle s’appuient et se développent les techniques de combat, aura tout intérêt à

ne pas malmener ses raideurs sous prétexte de coller à l’apparence du style choisi56 : « la peau du

tigre n’est pas le tigre ». Le respect de « l’armure tonique » est essentiel, elle ne s’est pas constituée

au fil du temps pour rien et vouloir l’ôter de force par des exercices le plus souvent inappropriés ne

peut conduire qu’au renforcement des raideurs et préparer un terrain favorable aux blessures dont la

chronicité sera à la mesure des « mauvais traitements » infligés.

Les enfants.

Avec Gichin Funakoshi (1943, 1956) nous le savons, le karaté57 s’adresse à tous : enfants

comme adultes des deux sexes – y compris à un âge avancé. Ceci écrit, il s’avère nécessaire d’opérer

quelques distinctions. En regard des caractéristiques du développement psychomoteur du jeune

enfant où la notion de globalité prime58, il est souhaitable de proposer aux enfants une discipline où

cette qualité est mise en exergue : le judo59. Praticable dès quatre ans60 sous une forme ludique et

56 En karaté les techniques « aériennes » de jambes sont très prisées pour leur côté spectaculaire et esthétique. Si elles réclament d’incontestables qualités physiques pour être réalisées – qu’il est intéressant de travailler –, ces techniques s’avèrent le plus souvent irréalistes voire dangereuses en situation de combat « sérieux ». Un certain nombre de pratiquants moyens ne sont pas dotés de ces qualités – il est nécessaire d’avoir un dos souple et des hanches libres – ils s’avèrent être néanmoins des pratiquants à l’efficacité certaine. A chacun sa mesure en fonction de ses potentiels et de sa nature, telle devrait être la règle. 57 Littéralement l’idéogramme « té » signifie la main, « kara » désigne ce qui est en provenance de l’ancienne Chine. Dans un premier temps Karaté : la « main de Chine » rassemble sous son nom des techniques de combat à mains nues « importées » de l’Empire du Milieu. Pour des raisons historiques, politiques, stratégiques et idéologiques, Gichin Funakoshi, le père fondateur du karaté moderne, fait évoluer le sens du mot vers « la main vide », Chine et vide ayant des idéogrammes homonymes en japonais. Ainsi il fait passer kataté-jutsu, « l’art de la main de Chine » : techniques guerrières, en karaté-do, « la voie de la main vide » : chemin d’accomplissement personnel. 58 Cf. la loi de psychomotricité de Dupré reprise dans Développement neuro-psychique du nourrisson de Cyrille Koupernik et Robert Dailly (1968) : « Jusqu’à trois ans, il y a intrication entre le développement moteur et le développement psychique, intellectuel et affectif ». Au-delà de cet âge, les liens entre ces quatres shpères restent puissants et les arts martiaux visent par l’intermédiaire de ces derniers à harmoniser les pôles moteur, émotionnel et intellectuel. 59 Littéralement la voie (do) de la souplesse (ju). 60 Les âges donnés n’ont qu’une valeur indicative au même titre que la marche s’acquièrt entre douze et dix-huit mois.

31

d’agrément, loin de toutes considérations sportives – où sous prétexte d’émulation on peut formater

dès le plus jeune âge des compétiteurs en se servant, notamment, d’éventuelles rivalités familiales

conscientes et inconscientes comme d’un marche-pied –, cette discipline apprend le rapport au sol61

par l’intermédiaire de l’apprentissage des chutes et des techniques pour projeter et immobiliser son

partenaire62. Le judo comme « voie royale » pour débuter en arts martiaux est un excellent premier

moyen pour recycler la violence qui se cache le plus souvent, à ces âges-là, sous les oripeaux de

l’inhibition ou de l’instabilité. Les techniques développées dans les disciplines pieds-poings

convoquent volontiers associations, dissociations, asymétries dans des combinaisons statiques et

dynamiques parfois très complexes où la latéralité est mise en jeu dans tous les plans du corps63,

cette « gymnastique » nécessite donc une organisation psychomotrice plus « sophistiquée », tout

comme l’aïkido64 propose, par son jeu très subtil de réponses aux saisies et aux attaques, toute une

série d’esquives, de projections et d’immobilisations très différentes de celles du judo, auxquelles il

faut ajouter le plus souvent un apprentissage du Jo et du boken65. Ainsi ces disciplines peuvent être

« raisonnablement » approchées vers sept ans. Les critères de choix se resserrent autour des goûts

affichés de l’enfant. Il est à un âge où l’ego n’a pas encore pris dans son économie psychique une

place tyrannique66. Il est important de respecter son désir et repérer, le cas échéant, les éventuelles

projections de l’entourage où l’on voit certains enfants pratiquer, tels des pantins, des activités en

lieu et place de leurs parents par exemple. Les arts martiaux restent ici un jeu dont l’objectif essentiel

61 Le judo permet de « réinitialiser » chez homo sapiens sapiens un dialogue souple avec la terre que sa bipédie – et pour l’occidental, son mode de vie –, a fait oublier. Un tel apprentissage permettrait à un certain nombre de victimes de chutes domestiques de ne pas finir dans le plâtre. 62 Dans cette perspective, l’autre est un partenaire et non pas un adversaire, il est un alter ego avec lequel je travaille, « il » m’est nécessaire comme « je » lui suis nécessaire. 63 A titre d’exemple, on pourra dans un déplacement, en appui sur la jambe gauche, donner un coup de pied latéral droit en haut (migi yodan yokogeri) et dans le même temps effectuer un blocage bas du bras gauche (idari gedan baraï) avec une technique de poing de la main droite (migi shudan stuki) devant soi tout en regardant derrière pour anticiper une attaque à venir (oura men zuke). 64 Littéralement la voie (do) de l’harmonisation (aï) de l’énergie (ki). 65 Jo : bâton, boken : sabre de bois. Armes traditionnelles, elles sont classées en 6e catégorie dans la nomenclature officielle des armes, c’est dire si ce ne sont pas des jouets. Leur maîtrise participe à cette « pacification » du pratiquant où ce dernier parvenu à un certain degré d’accomplissement fait de la fuite la meilleure des stratégies. Confronté par la pratique à sa violence, il en connaît les effets destructeurs potentiels : à l’échelle individuelle, la vie est un cadeau fragile qu’il convient de respecter et de protéger. 66 Il se trouvera toujours des exemples pour infirmer la règle. Cf. Le moi Dominant d’Idries Shah, le courrier du Livre, 1994.

32

est de canaliser l’agressivité et de recycler à bon compte la violence emmagasinée. Il convient donc

de protéger les enfants d’un engagement qui pourrait nuire à leur intégrité. Dans cette perspective le

choix de l’enseignant s’avère crucial. Sa pédagogie alliée à un réel savoir-faire, son écoute, ses

facultés d’anticipation, de contenance, son empathie, sont au service des enfants qu’il accueille sur

son tatami. Sujet à des identifications et des projections très fortes, il lui faudra à la fois garder la tête

froide et le cœur chaleureux, y compris lorsqu’il sera pris comme tuteur de résilience67. Car pour

certains enfants placés dans des contextes de vie très difficiles voire invivables ils seront, lui et son

activité, la seule planche de salut68.

Les adultes.

Nous sommes tous agressifs et potentiellement violents, telle est notre condition. Une fois ce

constat fait et accepté – ce qui n’est pas une mince affaire en soi –, cette agressivité et cette violence

s’expriment en fonction de notre manière d’être au monde. Ceux dont l’idéal est d’être « parfait », ou

de « réussir » ou bien encore d’être « fort », estiment souvent que la meilleure des défenses reste en

dernière analyse l’attaque. Ceux dont l’idéal « est de savoir », d’être « content » ou

d’être « original », considèrent l’esquive comme la meilleure des protections. Enfin ceux dont l’idéal

est « d’aider les autres » ou d’être « responsable » ou « joyeux », jugent le retrait et la passivité

comme des réponses défensives efficaces. Dans la perspective d’une pratique martiale centrée sur le

recyclage de la violence et de l’agressivité, les premiers se tourneront volontiers vers des disciplines

comme le karaté, les seconds vers celles apparentées à l’aïkido et les troisièmes vers le taï chi chuan

et ses dérivés. De la tendance « naturelle » de chacun d’être au monde découlera un style martial

67

« La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents. Un trauma a bousculé le blessé dans une direction où il aurait aimé ne pas aller. Mais puisqu’il est tombé dans un flot qui le roule et l’emporte vers une cascade de meurtrissures, le résilient doit faire appel aux ressources internes imprégnées dans sa mémoire, il doit se bagarrer pour ne pas se laisser entraîner par la pente naturelle des traumatismes qui le font bourlinguer de coups en coups jusqu’au moment où une main tendue lui offrira une ressource externe, une relation affective, une institution sociale ou culturelle qui lui permettra de s’en sortir » (Boris Cyrulnik, 2001, pp. 259-260). 68 On confie, le plus souvent à tort, les enfants à de jeunes ceintures noires, sempaï inexpérimentés dans les arts martiaux et dans la vie. On répète la même erreur à l’Education Nationale : là où il faudrait des enseignants aguerris on envoie de jeunes diplômés inexpérimentés.

33

particulier qui sera cultivé au détriment des autres. Si être au monde signifie « être fort » par

exemple, là où il serait nécessaire en fait d’être « joyeux » ou de « réussir », la tendance ou le défaut

sera d’être fort en toutes circonstances, le principe dominant la personnalité : « être fort » sera

appliqué, d’où une perception altérée de la réalité. Au-delà d’une vision romantique du samouraï69,

la formation de ce dernier comprenait la maîtrise de nombreuses disciplines guerrières offensives,

défensives, passives auxquelles il fallait ajouter pour faire bonne mesure l’art floral, celui du thé, de

la danse, de la calligraphie, du chant etc. Cette grande diversité des pratiques – tel un massage

cérébral complet – permettait d’éviter une réponse conditionnée et stéréotypée qui pouvait s’avérer

désastreuse dans un moment de vérité et ainsi favoriser en fonction de la situation « l’action juste au

moment juste ». Les effets de cette remarquable psychomotricité font défaut dans le cadre de la

pratique d’un style martial unique, surtout si ce dernier est inféodé à une perception faussée du

monde. Nous comprenons dès lors comment le coureur et les karatékas du début de notre propos

finissent par développer des états pathologiques : de médicament, le sport devient poison. Un esprit

sain dans un corps sain prend ici toute son épaisseur. Si la spécialisation permet dans un premier

temps d’échapper au déséquilibre, elle y ramène dans un second. Au contraire de la diversité où

fleurissent équilibre et efficacité en toutes circonstances.

Les seniors.

A chaque âge ses plaisirs nous chante l’adage. Désormais il n’est pas rare de croiser à l’heure

du laitier dans les parcs et espaces verts des personnes d’un âge certain s’adonner à des

gymnastiques d’inspiration martiales. Ces pratiques d’importation extrême-orientales, dites internes

en opposition – ou plutôt en complémentarité – aux arts martiaux dits externes70, permettent de

produire, d’emmagasiner et d’utiliser une énergie bienfaisante censée circuler dans tout l’Univers71.

69 Les samouraï, littéralement « ceux qui servent », étaient organisés en caste. Celle-ci correspondait grosso-modo aux officiers dans la hiérarchie militaire. 70 Karaté, judo, etc. 71 Le chi des chinois, le ki des japonais, le prana des indous, la baraka des orientaux, etc.

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L’objectif reste simple : demeurer en bonne santé le plus longtemps possible pour profiter de la vie.

On apprend ici à cultiver souplesse et fluidité pour remiser sans regrets au rayon des outils obsolètes

la force brute. Ici la fable de Monsieur de La Fontaine (1668) le Chêne et le roseau 72prend toute sa

valeur, rejoint en cela par les Pensées de Pascal (1670) : l’Homme se doit d’être un roseau

pensan .

merce. Par l’excès, elle submerge tout sur son

assage jusqu’à son inéluctable conclusion : la mort.

t73

Les personnes en situation de handicap.

Les pratiques et les manifestations handisports en disent long sur les capacités d’adaptation

d’homo sapiens sapiens. A ce titre, pêle-mêle, le fauteuil roulant, la déficience mentale, les troubles

du comportement, etc., ne devraient en rien interdire l’accès aux disciplines martiales. Externes et/ou

internes, correctement prescrites, conduites et adaptées, elles apportent les mêmes bienfaits en

matière de recyclage aux personnes en situation de handicap dont on sait par ailleurs combien la

posture individuelle et sociale, auxquelles leur situation les contraint, engendre de violence et

d’agressivité. Million Dollar Baby, écrit et réalisé en 2004 par Clint Eastwood pour le compte de la

Warner, met en scène avec intelligence et sensibilité les problématiques exposées dans ces lignes.

Dans ce film, la boxe anglaise est le solvant de la violence chez une trentenaire traumatisée par une

vie familiale délétère. Menée au plus haut niveau de la compétition par un entraîneur/tuteur de

résilience – lui-même à la recherche d’une fille de substitution –, elle chutera au propre comme au

figuré pour avoir disputé un combat de trop. Devenue tétraplégique, le film pose alors comme une

ultime bataille entre la vie et la mort la délicate question de l’euthanasie. La violence canalisée,

maîtrisée dans un premier temps par la discipline et la technique finit par franchir les digues dressées

par l’art et s’empare de ce dernier pour son propre com

p

72 Le roseau de répondre au chêne : « Les vents me sont moins qu’à vous redoutables. Je plie et ne romps pas ». 73 « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit à le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien » (Pascal, p. 161, 2004).

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, comme il

eut – tissé au cœur d’une psychomotricité large – préserver la vie et ouvrir sur l’amour.

Pour conclure.

Sans pour autant renoncer aux fantasmes, dans la mesure où ils participent à l’entreprise

mythologique et légendaire, il conviendrait d’effectuer – au moins à titre individuel – une opération

qui consiste à ranger au placard cette image des arts martiaux comme expression esthétique,

romantique et aboutie de la violence dont le cinéma et la télévision se font d’ailleurs largement les

apôtres. Notamment cette vision faussée – qui se voudrait pourtant réaliste – où le héros et son

contraire encaissent pendant de longues minutes toute une série de coups, tous plus beaux et

spectaculaires les uns que les autres, pour en sortir en fin de compte avec un brushing à peine défait

et au pire quelques ecchymoses74. Ce catalogue d’images favorise cet autre fantasme où les arts

martiaux seraient l’apanage du héros et de son antithèse avec le commun des mortels pris en otage

entre des représentations du bien et du mal. Ces deux valeurs – et c’est un truisme de l’écrire – sont

au fond de chacun d’entre-nous et la pratique des arts martiaux, telle une lampe de spéléologue,

éclaire nos intérieurs. Nous nous rangeons sous la bannière de Gichin Funakoshi : « le karaté est par

essence non violent », mais il est une arme à double tranchant. Il peut conduire – comme toutes les

pratiques martiales – vers la mort et ses avatars s’il devient une activité obsessionnelle

p

74 Un seul zuki (coup de poing) ou un empi (coup de coude) efficacement appliqués font voler en éclats une machoire.

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BIBLIOGRAPHIE

CYRULNIK B. (2001), Les vilains petits canards, Paris, Odile Jacob.

FUNAKOSHI G. (1943), Karaté-do Nyumon, l’essence du Karaté, Paris, Budo Editions, 2000.

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PUF. LA FONTAINE J. de (1668), Œuvres complètes, Fables contes et nouvelles, La Pléiade, Paris,

Gallimard, 1991. PASCAL (1670), Les Pensées, Edition de Michel Le Guern, Folio classique, Paris, Gallimard,

2004. SHAH I. (1994), Le Moi Dominant, Paris, le Courrier du Livre.