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Métiers des bibliothèques et de la documentation Évolution des métiers des bibliothèques et de la documentation Le métier dans ses aspects psychosociologiques Juillet 2018

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Métiers des bibliothèques et de la documentation

Évolution des métiers des bibliothèques et de la

documentation

Le métier dans ses aspects psychosociologiques

Juillet 2018

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Évolution des métiers des bibliothèques et de la

documentation

Cette synthèse par périodes historiques met en valeur l'évolution du cœur de métier des professionnels des bibliothèques et de la documentation.

Depuis 2013 :

Big data. De nouveaux métiers : manager de l’information, chargé(e) de médiation numérique,

expert de préservation numérique, community manager. Médiation numérique et co-construction. Un nouveau profil de cadres en bibliothèques.

« La profession de bibliothécaire a, on le sait, un rapport ambigu aux techniques : fascination et inquiétude. Fascination parce que l’irruption de nouvelles techniques signifie l’avancée vers la modernité (une modernité toujours plus moderne, une modernité toujours plus technique). Réjean Savard : « Si l’on en croit les programmes de formation continue des bibliothécaires où les nouvelles technologies écrasent de tout leur poids les autres sujets de formation (du moins en Amérique du Nord), on peut se demander si cette profession a un intérêt pour autre chose que les applications informatiques à la bibliothéconomie. » Inquiétude parce que des techniques étrangères à la profession (« non identitaires ») peuvent (sembler) mettre en péril l’identité du métier, le cœur de métier, les compétences mobilisées et la légitimité professionnelle1. »

Une sélection de faits émergents permet de dresser les futurs possibles des métiers des bibliothèques et de la documentation en termes de compétences, d'activités et de formation. Ces faits émergents peuvent être classés en facteurs exogènes et endogènes ; ces derniers étant les corollaires professionnels des premiers. Deux familles de facteurs exogènes se détachent : la masse documentaire numérique et la crise économique. La société produit une masse de données numériques sans fin, le Big data. Internet s’enrichit de contenus primaires contribuant au partage du savoir et de contenus secondaires : la recherche d’informations produisant elle-même de l’information. Face à cet océan de données numériques, le professionnel de la documentation développe des compétences de gestionnaire de l’information et de médiation numérique. De nouveaux métiers sont en voie de développement : éditeur d’ontologies, community manager, document controller, gestionnaire de ressources numériques, manager de l’information (étude du SerdaLab, 2009). « Si le bibliothécaire reste aujourd’hui un médiateur, c’est en tant que tiers-participant. Se gardant d’une neutralité toujours illusoire, il gagne à agir en chef de projet. Il est celui qui oriente, grâce à la vue systémique qu’il a construite des outils, pratiques et environnement technique pris ensemble. Paradoxalement, c’est à l’heure où la technique occupe une place prédominante que le bibliothécaire a tout à gagner à se départir du statut de technicien. Aujourd’hui, nous ne sommes ni maîtres du jeu technique, ni esclaves d’une innovation subie ; il n’y a donc plus aucun sens à opposer « pro » et « anti » technique. Au-delà du « ni-ni », espérons que l’évolution des pratiques professionnelles devance celle des discours. Si l’on parle beaucoup de la bibliothèque comme « troisième lieu », parions aussi sur ce terme pour désigner l’émergence d’un nouvel imaginaire de la technique. Un tel lieu invite à se représenter les techniques comme un complexe

1 Anne-Marie Bertrand, Éditorial, Bulletin des bibliothèques de France, 2012, n° 5.

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social dont le ressort est l’interaction. Engagés dans cette modeste voie, les bibliothécaires renonceront à la confortable – mais illusoire – position de « stratège » pour investir celle plus incertaine du « tacticien ». Cette distinction, que l’on doit à Michel de Certeau, illustre la nécessaire conversion du regard que nous avons à opérer. Là où le « stratège » exerce son pouvoir comme un chef militaire qui commande et impose sa loi dans une position de surplomb, le « tacticien », lui, tire son pouvoir des circonstances et de son habileté à aménager, au coup par coup, une situation dont il a su lire la complexité. Le bibliothécaire n’existera qu’en développant des tactiques 2». Ce bibliothécaire tiers-participant invite le public à la co-construction des services de la bibliothèque, assure la médiation des collections numériques à l’aide d’outils collaboratifs (réseaux sociaux) et intègre la fin de la collection comme modèle dominant pour accompagner la construction d’un savoir par agrégation de connaissance. « […] les bibliothèques universitaires ne peuvent plus attirer leur public par la seule ampleur, la seule qualité de leurs collections, comme elles l’ont fait pendant des décennies. […] le public actuel des universités expérimente, même si c’est de manière hasardeuse, d’autres formes d’accès à l’information nécessaire. Cette tendance sera d’autant plus nette, dans les années qui viennent, que les générations qui arrivent aujourd’hui à l’université sont celles des digital natives, dont non seulement le regard, mais même la pratique sont très éloignés de celles des générations qui les ont précédées. Dès lors, fonder le dogme sur la seule collection, qui fait appel à des repères intellectuels qui ne sont pas ceux des « natifs numériques », revient effectivement à une forme de blocage3. ». Les restrictions budgétaires induites par la crise économique ont introduit le management et la performance en bibliothèque. Les cadres de bibliothèque et en particulier le directeur assument une large part de la gestion administrative des établissements. La performance recentre pour sa part les efforts vers la question des publics. Les 18-35 ans - la génération Y - qui désertent les bibliothèques s’annoncent comme le public cible des années à venir. L’efficience si elle n’éludera pas la sphère du numérique se lit plus immédiatement dans des stratégies locales. La bibliothèque living room ou troisième lieu, quels que soient ses enjeux de sociabilisation, constitue aussi un atout marketing pour séduire un public non fréquentant. En tant que nouveau modèle de bibliothèque, elle postule un réinvestissement du lieu social par l’individu. Et se pose conséquemment comme une alternative au processus d’individuation du virtuel. De ces états de faits, plusieurs scénarii prospectifs se font jour. « Le premier dilue totalement la nécessité de la bibliothèque publique dans l’océan d’un système documentaire libéral-libertaire. On connaît déjà le nom 2000 de cet océan : Internet, de certains de ses courants dominants – Google, par exemple, qui ne s’est pas par hasard invité dans le débat autour du patrimoine imprimé -, de certains de ses fonds, au sens marin du mot – Wikipédia, par exemple. Capillarité infinie (provisoirement jusqu’au « téléphone intelligent »), censure réduite, expertise autogérée… Dans une telle perspective, plus que les institutions de la production artistique ou de la production scientifique, les institutions documentaires ont du souci à se faire pour leur survie. […] il existe un scénario B, où la bibliothèque publique préserve l’essentiel de son identité, non comme réserve d’Indiens mais comme service public. […] Un bricolage imprévisible sera, dans ce cas, la résultante de la loi de compensation qui explique que, par exemple, l’âge du virtuel soit, ipso facto, celui où le contact physique acquiert une valeur, pour ne pas dire une violence, toute particulière. Sur le terrain considéré, la compensation pourrait se situer sur deux plans, celui du biblios et celui de la thêkê, en d’autres termes celui de la matérialisation – disons-même de la re-matérialisation – des objets de communication, dont les virtualités, justement ne sont pas épuisées par le virtuel et, surtout celui de la localisation. Face à la logique d’un village global

2 Anne Boraud, Décrochages dans l'imaginaire technique des bibliothécaires, Bulletin des bibliothèques de France, 2012, n° 5. 3 Frédéric Saby, Quel est l’avenir de la bibliothéconomie, in L’avenir des bibliothèques : l’exemple des bibliothèques universitaires, Presses de l’Enssib, 2013.

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mais virtuel la sociabilité, dont diverses enquêtes ont mis en lumière l’importance dans les usages des lieux de lecture publique, peut se révéler féconde et attractive, en maintenant avec l’objet documentaire un type de relation doté, et superlativement, d’individualisation, d’interactivité et de réactivité – bref de qualités communément attribuées aux outils électroniques mais qui n’en sont aucunement l’apanage4. ». Dans cette logique de re-socialisation, la formation à la médiation pourrait prendre de l’ampleur. « En laissant libre cours à la désintermédiation, les bibliothèques (prises dans leur globalité) renonceraient assurément à deux composantes au moins de leur métier. Celle tout d’abord qui consiste à soutenir la diversité [..] la capacité des bibliothèques à offrir de l’inattendu, comme celles des libraires, n’est pas substituable au principe de sérendipité, ces heureuses découvertes de hasard qui doivent en fait beaucoup à la mémoire que les moteurs de recherche ont de nos pratiques. Cette remarque conduit à la question de la formation et à la place que doit y tenir la fonction de médiation, seconde composante professionnelle qui nous semble essentielle au futur du métier. Si la formation des futurs personnels aux outils disponibles aujourd’hui est tout aussi essentielle que celle des personnels en poste, l’une et l’autre doivent conduire à concevoir une offre large de formation à destination des usagers. On considère trop souvent qu’il suffit d’être digital native pour développer des usages du numérique allant au-delà du basique. […] On observe pourtant aisément que si la part d’expérimentation individuelle, et d’autoformation est décisive, elle a aussi besoin d’être accompagnée, structurée par une démarche de formation, et ce d’autant plus que les personnes concernées ne sont pas en situation de mutualiser leurs apprentissages. […] Le contexte est propice à l’imagination, mais il est tout aussi favorable à l’oubli. Il appelle une détermination qui, loin de se satisfaire d’un certificat informatique et internet (C2I), place les bibliothèques et les bibliothécaires au cœur du dispositif de formation initiale et continue, s’attache à la spécificité de leur formation et de leur rôle, et ne se contente pas des indicateurs statistiques, par exemple sur le taux d’équipement des ménages en haut débit5. ». Du côté de la documentation et de l’information scientifique et technique, les enjeux sont liés à la clarification des droits d’auteur de la documentation numérique (archives ouvertes, accès gratuit). Cette problématique est au centre des préoccupations de la mission ministérielle de concertation sur les contenus numériques et la politique culturelle à l’heure du numérique – Culture Acte 2. Un récent conflit avec l’INIST et REFDOC, qui revendent des articles scientifiques gracieusement mis à disposition de la communauté scientifique par leurs auteurs et accessibles gratuitement sur d’autres sites Internet, a attisé les crispations de la communauté professionnelles de l’infodoc. L’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS) a pris position : « L'ADBS, en tant qu'éditeur et association de professionnels de l'information, suit de très près tous les débats qui se jouent autour des questions du droit d'auteur. Suite aux réactions d'un nombre croissant de chercheurs, indignés par la vente de copies d'articles par l'INIST, l'ADBS souhaite présenter sa position collégiale, issue des réflexions et expériences des membres de son Conseil d'Administration. L'ADBS est doublement concernée par la question :

En tant qu'éditeur de la revue DOCUMENTALISTE-SI, nous sommes concernés par la question de la fourniture de photocopies d'articles par l'INIST, ou d'autres fournisseurs. Nous autorisons par ailleurs le libre accès des articles publiés dans la revue, pour une diffusion faite à titre personnel dans les blogs ou dépôts d'archives ouvertes, à partir du jour de la publication dans la revue. Nous estimons que toute diffusion, quelle qu'elle soit, doit se faire dans le respect des exigences du droit d'auteur

4 Pascal Ory, Quel horizon ?, in Horizon 2019 : bibliothèques en prospectives, Presses de l’Enssib, 2011. 5 Bertrand Legendre, La fin des médiations ?, in Horizon 2019 : bibliothèques en prospectives, Presses de l’Enssib, 2011.

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En tant qu'association de professionnels de l'information, et donc représentant de ces professionnels, nous sommes témoins de la complexité liée à l'achat d'informations notamment en raison des questions de droit d'auteur. La loi sur le droit d'auteur n'est désormais plus adaptée à nos métiers et aux usages numériques.

Nous, professionnels de l'information, souhaitons exercer notre métier avec une offre d'informations riche et diversifiée ; avec des fournisseurs d'informations ou de services en ligne conscients de leurs positionnements et de leurs apports pour nos métiers. Les problématiques de droit de copie et droit de diffusion doivent aussi être réexaminées en fonction des usages actuels et de l'évolution observée de nos métiers6. ». « Si l’on résume d’une manière familière, il y a mille et une manières d’être une (bonne) bibliothèque. L’indétermination des missions fait que les institutions ont tendance à vouloir occuper tout l’espace disponible : cela ramène les professionnels sur le devant de la scène avec leur conception du métier, leur capacité d’implication, de conviction et d’affirmation dans une économie qui, comme toutes les économies culturelles, est une économie passionnelle. Ceci amène à porter une attention soutenue à l’identité professionnelle et à revisiter certaines réflexions faites il y a déjà quelques années sur le « paradoxe identitaire » d’« un cœur de métier inaccessible ». Il est donc important de se référer aux professionnels et de porter une attention renouvelée aux constituants et critères de leur identité. Quant aux missions, pour terminer, elles ne peuvent pas ne pas reprendre les objectifs qui font consensus à un moment donné sur un territoire. La grammaire des missions est donc connue : tout est question de dosage mais avec la touche de décalage et d’anticipation que doivent pouvoir apporter les professionnels. Peut-être y a-t-il là, comme il y a les nouveaux territoires de l’art, les nouveaux territoires de la bibliothèque à explorer grâce à vous7. ».

2000 à 2012 :

Une révolution : le numérique. Un concept : la bibliothèque hybride. Deux nouveaux services : le web 2.0 et la bibliothèque numérique. Un mot d’ordre : la proximité. Une formation modernisée et individualisée.

« La nouvelle édition du Métier de bibliothécaire […] s’inscrit dans la continuité de l’histoire de cet ouvrage collectif devenu au fil des années la référence de base d’une profession en continuelle métamorphose. Elle paraît à un moment où le monde de l’information et du savoir, et en particulier les bibliothèques et les organismes documentaires, sont conduits à repenser entièrement leurs missions, leurs objectifs et leurs modalités d’intervention, pour intégrer la révolution numérique et internet. Dans un monde où l’information numérisée est annoncée comme accessible à tous, partout et instantanément, quels rôles vont jouer les bibliothèques ? Pour répondre à ces questions qui, plutôt que d’inquiéter ou de décourager les professionnels, doivent les stimuler, les auteurs du Métier de bibliothécaire s’attachent à montrer la cohérence d’une profession devenue multiforme, utilisant des techniques de plus en plus sophistiquées, et contrainte par la diversité des publics à satisfaire et des services à rendre à une polyvalence sans cesse accrue. 8».

6 Association des professionnels de l'information et de la documentation, INIST/REFDOC. Position collégiale du conseil d’administration de l’ADBS, 2012. 7 François Rouet, Quelle(s) culture(s) ?, in Horizon 2019 : bibliothèques en prospectives, Presses de l’Enssib, 2011. 8 Dominique Arot, Avant-propos, Le Métier de bibliothécaire, Paris : Édition du Cercle de la Librairie, 2010.

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Les métiers des sciences de l’information et de la documentation se réorganisent avec la prise en compte du numérique. Les différents supports audio/vidéo avaient été intégrés au fil de l’eau tout comme le livre jeunesse. Certes cela avait donné lieu à des discothécaires, vidéothécaires et bibliothécaires jeunesse – types professionnels qui traduisent des spécialisations par support ou par publics. Ces spécialisations ne révolutionnaient pas les pratiques. Il s’agissait d’élargir l’offre. Avec le numérique, les données sont différentes. Ses caractéristiques universelle et immatérielle sont pour le professionnel de l’information et de la documentation une véritable révolution. Élargir l’offre signifie prendre en compte la complémentarité d’une collection matérielle et d’une collection immatérielle. Cette collection immatérielle n’étant pas l’apanage de la bibliothèque, il faut se réapproprier son métier. « La manifestation la plus évidente de tous ces bouleversements réside dans l’explosion du phénomène Internet, c’est-à-dire dans l’avènement de l’hypertexte à l’échelle mondiale. Celui-ci a toutes les apparences d’un triomphe pour le mythe de l’encyclopédie et de la bibliothèque universelle, alors qu’en réalité il en signifie la chute. En effet, il substitue un modèle poly-centré et en perpétuel mouvement à une vision hiérarchisée et relativement stable, ou du moins simplement cumulative, du champ de la connaissance. Ce qui se trouve en cause du fait d’Internet, c’est moins l’accroissement des informations ou l’ouverture des murs de la bibliothèque (problèmes déjà difficiles à maîtriser), que la multiplication et la volatilité des points de vue, c’est l’impossibilité de continuer à s’inscrire dans la perspective régulatrice d’un point de vue unique, qui prétendrait englober les variations de l’opinion et de la sensibilité comme autant d’approximations d’une vérité9 ».

Cette « bibliothécarisation du monde10 » où chacun est en mesure de constituer sa bibliothèque numérique personnelle suscite plusieurs réactions des professionnels de l’information. Les points communs des métiers d’archivistes, documentalistes et bibliothécaires sont réaffirmés dans un appel à la mutualisation et l’unité. Dans cette logique est créée la fédération des associations professionnelles qui deviendra en 2010 l’IABD. « Nos responsabilités, loin d’être diluées ou rendues obsolètes par la nouvelle économie, sont lourdes et renouvelées par ce nouveau monde de la culture et de la documentation. Ces compétences que nous avons acquises en raison même de notre position pratique, analytique, et critique sur la nature du document, sont celles que la nouvelle génération attend et sans lesquelles l’avalanche de nouveaux médias pourrait nous rendre sourds, muets et aveugles. […] Le rôle des archivistes, des bibliothécaires et des documentalistes, en croisant leurs expériences, demeure essentiel. Il faut avoir conscience que nos métiers sont éminemment évolutifs, qu’ils l’ont toujours été et que nous devons consolider la trame qui les tisse. Si nous perdons la trame, nous perdons la toile11 ». Cette évolution des métiers de l’information et de la documentation si elle est commune n’est toutefois pas uniforme : « […] les documentalistes ont beaucoup orientés leurs activités vers la veille d’information, la gestion de l’information interne et des connaissances. Les archivistes ont entrepris des projets d’archivage électronique ou sont en réflexion sur le sujet. Quant aux bibliothécaires, ils sont entrés dans l’âge de la bibliothèque 2.012 ».

Par ailleurs, la publication ces dernières années de référentiels métiers multiples (référentiel des métiers-types des professionnels de l’information-documentation, ADBS ; Bibliofil’, ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche ; le référentiel métiers de la profession d’archiviste ou

9 Patrick Bazin, Plus proches des lointains, Bulletin des bibliothèques de France, 2004, n°2. 10 Ibid. 11 Michel Melot, Archivistes, documentalistes, bibliothécaires, Bulletin des bibliothèques de France, 2005, n°5. 12 Anne Bouget, Virginie Boillet, Louise Guerre, Les nouveaux horizons de l'infodoc étude prospective sur l'évolution des fonctions de l'information-documentation-archives, Paris : SerdaLab, 2009.

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des métiers des archives, AAF) reflète le besoin de chaque métier de se distinguer par rapports aux autres : de préciser ce qu’il n’est pas. « [Le référentiel] contribue à clarifier nos rapports avec les professions partenaires, en nous permettant de réfléchir à nos propres limites : nous travaillons avec des architectes, mais nous n’en sommes pas, et il en va de même avec les informaticiens, les juristes, les restaurateurs, etc.13 ».

La formation se réorganise. « Une profession crée une grande partie de son identité et de sa légitimité par sa formation professionnelle. Des liens très étroits unissent bibliothécaires, documentalistes, gestionnaires d’information, notamment pour les outils largement partagés. Mais une formation pour une profession ne peut s’attacher aux seuls outils utilisés par cette profession. Au cœur de cette formation s’imposent l’explication et la transmission des valeurs professionnelles et de la déontologie de la profession, seuls points communs à la variété des fonctions exercées par les bibliothécaires de tous niveaux et de tous grades14 ». Cette technicité souvent revendiquée comme le cœur de métier est remise en cause dans une société ultra-technologique. Les valeurs communes, la déontologie sont des notions réinvesties. La formation de l’Enssib se modernisera quelques années plus tard. Globalement, l’accent sera mis sur une évolution technique qui reste inévitable. La formation continue évolue en 2011 sur le mode : un tronc commun et des parcours professionnels individualisés et des options. La création de nouveaux masters caractérise l’évolution de la formation initiale. Le simple énoncé de leurs intitulés parle : Master sciences de l’information et des bibliothèques options ingénierie documentaire ou réseaux d’information et document électronique (2004) ; Master livre et savoirs et Master cultures de l’écrit et de l’image (2008) ; Master édition scientifique et bibliothèque (2009) ; Master sciences de l’information et des bibliothèques, avec 3 options Information scientifique et technique, Publication numérique et Archives numériques (2010); Master politique des bibliothèques et de la documentation (2011). Pour la formation tout au long de la vie, la formation à distance se développe. Les propositions de stages sont majoritaires dans deux domaines : l’établissement et son management ; collections et politique documentaire. Le management et la gestion d’établissement sont, en effet, deux autres aspects de l’évolution de la formation des cadres des bibliothèques. Loi d’orientation sur la loi de finance (2006), réforme générale des politiques publiques et loi relative aux libertés et responsabilités des universités (2007) – tout un environnement financier et législatif des politiques publiques qui impacte les cadres des bibliothèques. Leurs fonctions sont de plus en plus administratives. « L’enjeu pour les services de documentation universitaire est de quitter le cadre protecteur d’une tutelle nationale forte pour accompagner les transformations en cours dans les universités, et donc d’obtenir l’appui des équipes dirigeantes pour des plans d’action en lien étroit avec les objectifs stratégiques. Ils y parviendront d’autant mieux qu’ils mèneront leur action de façon coordonnée, en favorisant l’insertion de leurs établissements dans les réseaux nationaux et européens. C’est le seul moyen pour eux de gagner en visibilité. Cela implique d’avancer sur les terrains du management, de la négociation et de l’évaluation15 ».

Puisque le cadre de bibliothèques doit être manager, expert, ingénieur, est-il nécessaire qu’il soit conservateur ? Les tutelles des bibliothèques s’interrogent sur la nécessité d’un cadre A de la filière culturelle à la tête des établissements. Parallèlement, l’édition d’un nouveau référentiel de la filière des bibliothèques Bibliofil’, (ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche) prend en compte dans ses emplois-types le directeur de bibliothèque et clarifie ses missions et compétences. La

13 AAF, Présentation du référentiel-métiers, 2012 14 Bertrand Calenge, Quelle formation pour quel métier ? in Bibliothécaire, quel métier ? Cercle de la Librairie, 2004. 15 Pierre Carbone, L'université à l'horizon 2012, Bulletin des bibliothèques de France, 2009.

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notion de qualités managériales fait également son entrée dans les profils de postes des conservateurs en bibliothèques municipales puis en bibliothèques universitaires. Parmi les réponses à opposer à la révolution numérique se trouve, en bibliothèque publique, la proximité. L’hyper-proximité en réponse à l’hyper-individualisation avec des services comme « le Guichet du savoir » ou « Points d’Actu » de la Bibliothèque municipale de Lyon ou le service « Questions ? Réponses ? » de l’Enssib. Ce qui renvoie à « l’externalisation de la fonction bibliothécaire elle-même16 » (P. Bazin). Cela peut être aussi une façon de « voir le virtuel global requalifier positivement le matériel local », avec un nouveau positionnement du bibliothécaire : « Jusque-là placées en bout, autour de la fonction de distribution, les bibliothèques remontent dans la chaîne avec des fonctions de production : la production de la rareté en est un exemple, l’événementialisation en est un autre, on pourrait les multiplier, de telle sorte qu’on ne sait plus s’il va exister encore de vrais bibliothécaires comme il y a de vrais gens. C’est ici que plusieurs commentateurs, après le retour du public (en attendant le retour du prêt que certains voient se dessiner au cœur de la bibliothèque lieu de vie), convoquent le retour des valeurs. Construire la bibliothèque de demain autour de la bibliothèque hybride centrée sur les publics, forum et lieu de vie dans la cité sans doute, mais sur un socle de valeurs clairement réaffirmé au risque de la dispersion et de la dissolution. Égalité avec un accès libre et gratuit aux savoirs, fraternité avec une culture qui se discute et se partage, liberté avec une bibliothèque qui permet à chaque individu de se construire : la trilogie républicaine peut encore nous éclairer17 ». Dans cette même logique de proximité se retrouve le concept de bibliothèque troisième lieu. En bibliothèque de lecture publique, le professionnel défend un cœur de métier basé sur deux compétences : la production de contenus et la médiation. Ce qu’il peut exercer sur place et à distance (bibliothèques numériques, portail enrichi et service web 2.0). « Les professionnels s’investissent aujourd’hui dans la gestion des contenus d’information, aussi bien en externes qu’internes, en structurant l’information notamment dans les sites Web, intranet ou portails d’entreprise. Ils créent des interfaces permettant aux utilisateurs d’accéder directement aux informations. Ils sont chargés de créer des plateformes de diffusion de plus en plus collaboratives et de former les contributeurs et utilisateurs.18 ». Le bibliothécaire a investi les services web 2.0 très rapidement – ce qui n’est pas le cas de la documentation en entreprise : intégration des réseaux sociaux, du micro-blogging, de plateformes netvibes ou de blogs. « Aux compétences professionnelles classiques s’ajoutent de nouvelles compétences liées à la valorisation des contenus. Lionel Maurel, coordinateur scientifique Gallica de la Bibliothèque nationale de France (BnF), s’interroge sur la nouveauté du métier de conservateur dans la bibliothèque numérique : la constitution de collections numériques implique leur mise en valeur via les médias sociaux (blogs ou lettres d’actualité) : on passe de la conservation à la conversation. Inventer une nouvelle médiation pour les usagers est nécessaire selon Lionel Dujol, médiateur numérique pour les bibliothèques du Pays de Romans, pour se positionner sur le territoire numérique par la production de contenus valorisant l’ensemble des collections de la bibliothèque. La nécessité de la médiation dans l’accès au numérique est encore plus évidente dans un contexte social défavorisé.19 ». Dans le domaine des bibliothèques publiques, on dénombre en 2009 plus de 90 blogs sur le site « Biblioblogs d’établissements », proposés par Bibliopédia. A cela s’ajoutent les nombreux blogs

16 Patrick Bazin, op. cit. 17 Gilles Éboli, Des nouvelles du futur (des bibliothèques), Bulletin des bibliothèques de France, 2010, n° 3. 18 Bouget, Les nouveaux horizons. 19 Laurence Rey, L'étonnante plasticité des compétences professionnelles et la bibliothèque numérique, Bulletin des bibliothèques de France, 2011, n° 4.

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personnels de professionnels : Bibliobsession, Vagabondages, Crieurspublics, Carnet de notes, La recherche éveillée, etc. En revanche, l’essor des bibliothèques numériques s’est fait plus progressivement voire lentement. Budgets, techniques et matériels de numérisation, droits, ont été autant de freins à la démarche. Sans oublier les difficultés liées à la définition d’une politique de numérisation cohérente et complémentaire de la collection physique. L’objectif de ces bibliothèques numériques (Gallica, Européana, Rosalis, Numelyo) est double : préserver les collections papiers et accroître l’accessibilité des collections. Il faut attendre 2007, pour voir apparaître dans les profils de postes de conservateurs des responsables de bibliothèque numérique puis des gestionnaires de bibliothèque numérique. En bibliothèques universitaires, la question des politiques documentaires est réinvestie. La mise en application de la loi LRU et la création des PRES (pôles de recherches et d’enseignements supérieurs) induisent des logiques de coopération documentaire, avec des services communs de documentation interuniversitaires (SICD). Les politiques documentaires comptent parmi les outils de gestion des projets mutualisés. « En matière de documentation, les projets communs entre les deux SICD grenoblois, chargés, chacun pour son territoire, de la mise en oeuvre de la politique documentaire, sont nombreux. On peut en citer deux à titre d’exemple : le lancement des thèses numériques, dans le cadre du travail conduit par l’Abes (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur) ; la réalisation en cours d’un système d’information documentaire, permettant notamment de procéder à une interrogation simultanée, à travers un moteur de recherche fédérée, des ressources numériques possédées par les deux SICD.20 ». L’accessibilité de la documentation scientifique et technique est également un objet de préoccupation, avec des questions liées à l’homogénéisation de l’offre numérique et des problèmes de signalement des ressources. « Les bibliothèques n’ont pas ou plus les moyens d’offrir des ressources très spécialisées à des communautés de recherche numériquement plus modestes ou géographiquement dispersées. L’augmentation du coût des abonnements, supérieure à celle des budgets, a contraint les responsables des bibliothèques à réduire les moyens affectés à la documentation pédagogique et à se désabonner de revues n’appartenant pas aux portefeuilles des majors de l’édition. Il s’agit le plus souvent de petits éditeurs, de sociétés savantes ou de presses universitaires. Les désabonnements n’étant bien évidemment pas concertés, le risque de voir disparaître des titres de tout le territoire français est bien réel, et c’est en ce sens que le terme de bibliodiversité peut être transposé à l’offre éditoriale en bibliothèque.21 ». Dans l’enquête du Serdalab menée en 2009, les professionnels ont été interrogés sur les activités qui selon eux seraient en diminution ou en augmentation dans les cinq années à venir. Les prévisions sont les suivantes :

En forte augmentation : la veille documentaire, la conception/mise à jour de sites internet ou intranet, la gestion de projet, l’archivage électronique

En forte diminution : le traitement documentaire (catalogage, indexation, résumés), l’accueil physique des usagers, le traitement matériel des documents (rangement, protection)

A la fin de cette période, le cœur de métier des cadres des bibliothèques correspond à des compétences de management et de gestion d’établissement. Le projet s’articule autour de politiques documentaires (collections matérielles/immatérielles), de services orientés publics

20 Frédéric Saby, Responsabilité et liberté des universités, Bulletin des bibliothèques de France, 2009, n° 6. 21 Grégory Colcanap, Acquérir la documentation électronique pour l'enseignement supérieur et la recherche, Bulletin des bibliothèques de France, 2009, n° 6.

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(production de contenu et médiation sur place et à distance), d’informatique et nouvelles technologies (gestionnaire de ressources ou de bibliothèque numérique). « La biblioinformatique n’a pas encore la culture bibliologique ni l’institution biblionumérique, c’est-à-dire ni la pensée politique, ni la pratique démocratique, pour rendre lisible l’Internet et multiplier les liens maîtrisés qui sont générés par cette néobibliothèque des bibliomènes virtuels et numériques. Pour sortir du pseudo état de nature dans lequel nous sommes aveuglément conduits, sans doute faut-il retrouver des ressources philosophiques et ces ressources, sans doute, sont-elles dans la matrice bibliothécaire qui a fondé la République ? A nous de travailler ensemble à constituer ce nouvel esprit bibliothécaire dans la société culturelle de servuction informatique que propose la révolution numérique de l’ordinateur.22 ».

1990 à 2000 :

Des métiers de l’information et de la documentation. Des professions en mutation. De nouvelles technologies : un bouleversement. Réseaux de coopération, politiques documentaires, médiation et formation des usagers.

« Les mutations professionnelles découlent presque toujours d'autres changements. Elles accompagnent les transformations socio-économiques et les options technologiques. Elles se manifestent par des adhésions et par des refus qui divisent parfois les professions : le refus de ceux qui veulent freiner l'évolution parce qu'ils l'associent à leur disparition, l'adhésion de ceux qui veulent accélérer le processus pour retrouver une légitimité sociale. Les bibliothécaires n'échappent pas à cette règle. […] Pour atteindre les objectifs qui leur sont désormais fixés, les professionnels doivent faire preuve d'un nouvel état d'esprit : meilleure observation des comportements culturels, plus grande capacité d'évaluation, meilleure définition des priorités, aptitude à se situer à côté des partenaires, et spécialement du partenaire politique. Bref, il faut de nouveaux comportements, de nouvelles sensibilités, de l'imagination, une part de risque, de l'initiative, toutes qualités pouvant se résumer en une aptitude à conduire et à diriger un projet culturel.23 ». Un mouvement de convergence se dessine entre les métiers des bibliothèques et ceux de la documentation pour tendre vers un intitulé commun : les métiers de l’information et de la documentation. En 1987, Cécil Guitart, Centre régional de formation professionnelle de Grenoble, s’exprimait ainsi : « Il faudrait être capable de dépasser les clivages qui paralysent aujourd'hui les métiers de la documentation : entre le bibliothécaire conservateur, le bibliothécaire descripteur, le bibliothécaire prescripteur et le documentaliste, les différences devraient s'estomper, ce qui justifie une formation dans laquelle les éléments de différenciation devront être introduits le plus tard possible.24 ». La dualité entre conservation et utilisation des documents s’estompe quand ces notions s’apposent à celle de service rendu aux publics. « Le professionnel de l'information est, comme l'individu utilisateur, confronté à l'hyper-choix documentaire. On peut même affirmer qu'il est bien souvent complètement noyé dans l'océan documentaire. Alors que toutes les pratiques et les formations privilégiaient jusqu'à présent les démarches d'acquisition et de conservation,

22 Robert Damien, Pour un nouvel esprit bibliothécaire ou les re/médiations de la bibliothèque numérique, in Horizon 2019 : bibliothèques en prospective, Presses de l’Enssib, 2011. 23 Cécil Guitart, Un nouveau bibliothécaire, Bulletin des bibliothèques de France, 1987, n° 4. 24 Ibid.

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c'est désormais le concept de sélection-élimination qui devient le véritable déterminant de l'exercice professionnel 25». Les principales modifications concernent le traitement de l’information et sa mise à disposition. L’informatisation des deux métiers a favorisé ce rapprochement. C’est avant tout dans la maîtrise d’un savoir-faire commun qu’ils se rapprochent et non dans l’identité professionnelle. La progression de l’informatisation doit être nuancée. Tous les professionnels n’accompagnent pas cette première révolution technique avec enthousiasme. L’informatisation ne se fait pas au même rythme selon les établissements. Le rapprochement est plus sensible entre bibliothèques scientifiques et centre de documentation. « L’approche de [l’informatique] par [les bibliothécaires] fut particulière. Il s’agit d’un informatique de gestion, caractéristique des deux avant-dernières décennies du siècle. Au-delà de la gestion du stock (la collection) et de ses mouvements (les prêts), les bibliothécaires ont trouvé dans cette technologie, l’occasion de magnifier, jusqu’à des sommets de raffinement sans doute inégalables, leurs normes relatives à la description bibliographique et à l’accès à celle-ci. […] Il n’est pas exagéré de dire que l’informatique a été l’occasion d’un enfermement des bibliothécaires sur eux-mêmes. […] L’internet représente pour les bibliothécaires un objet nouveau, insaisissable, indélimitable. Il mêle indistinctement la publication, la publicité, le commerce, le jeu et la correspondance privée. Il repose sur le principe du libre parcours et de l’accessibilité universelle quand les bibliothécaires convoquaient sur leurs rayonnages un extrait dûment classé de la production éditoriale. Il apparaît comme infini et infiniment changeant quand tout ou partie de l’édition sur un support déterminé était maîtrisable et presque exhaustivement inventorié dans des publications spécialisées et des bibliographies nationales.26 ». Par ailleurs, au début des années 90, une réforme statutaire fragilise la profession dans son organisation interne. La création du statut particulier de conservateur dans la fonction publique territoriale et celui de bibliothécaire dans la fonction publique d’État, sont en effet deux facteurs de mutation. Les modes de recrutement de la fonction publique changent : concours de recrutement sur épreuves à tous les niveaux et formation post-recrutement obligatoire. C’est la fin du CAFB et du recrutement sur titre. « Un diplôme consacr[ait] alors la professionnalisation du métier, le certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB) : de 1951 à 1992, pour entrer dans la profession, il y a un diplôme unique, reconnu à la fois par l’Éducation nationale et par les employeurs. Sa disparition, consécutive aux grandes réformes qui inaugurent les années 1990, ouvre la voie à un sentiment de perte d’une identité professionnelle. Ce changement pose une double question toujours actuelle : quelles formations et quels statuts pour les bibliothécaires ?27 ». La formation s’organise en conséquence, à l’Enssib, à l’Institut de formation des bibliothécaires, et dans les Centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques (CRFCB). La mise en place (1992) du concours spécial réservé aux élèves de l’École nationale des Chartes pour suivre la scolarité du Diplôme de conservateur des bibliothèques (DCB) met fin à des décennies de formation en parallèle des conservateurs d’État des bibliothèques françaises : les uns à l’École nationale des Chartes, les autres à l’ENSB. La fusion de l’Enssib et de l’Institut de formation des bibliothécaires (IFB), service extérieur du ministère de la Culture, fait entrer à l’École les élèves-

25 Jean Michel, De la créativité en documentation, Bulletin des bibliothèques de France, 1990, n° 3. 26 Dominique Lahary, Le métier de bibliothécaire au risque du numérique in Victor Sandoval (dir.), Les mutations des métiers, Les cahiers du numérique, vol 1 – n°3-2000. 27 Jean-Pierre Durand, Monique Peyrière, Joyce Sebag, Bibliothécaires en prospective, Travaux du Deps, ministère de la culture, 2006.

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bibliothécaires de la fonction publique d’État. Les conservateurs investissent les bibliothèques municipales et les bibliothécaires les bibliothèques universitaires. Les emplois-jeunes font également leur entrée sur le terrain professionnel pour satisfaire essentiellement deux nouvelles activités : la médiation et les nouvelles technologies dans un second temps. Un fort repositionnement interne de la profession est à l’œuvre : statuts, compétences et missions. Une étude des métiers est devenue nécessaire par ces transformations du cadre d’action des personnels des bibliothèques d’État : le premier recensement des métiers des bibliothèques, rédigé par Anne Kupiec à la demande de la direction de l’Information scientifique et technique et des Bibliothèques (ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Insertion professionnelle), en 1995. « Il s’est agi […] de définir les contenus d’activités et de compétences ; d’identifier les facteurs-clés d’évolution qui influent ou vont probablement influer sur ces métiers en termes de transformation, de disparition ou bien encore d’émergence. […] Dans le métier, c’est l’individu qui prime et non la structure dans laquelle il agit ; l’exercice d’un métier, c’est aussi la maîtrise d’un savoir-faire et la reconnaissance d’une identité. » Le recensement privilégie les fonctions et les compétences aux corps de métiers et statuts. Ce repositionnement induira également une formalisation de l’activité des bibliothécaires avec les premières politiques documentaires, politiques d’accueil et politiques d’action culturelle (plus tardivement). En bibliothèque publique, la médiation est au coeur des préoccupations. La diversité des publics et des usages en regard du libre accès aux documents repositionne le bibliothécaire sur son rôle de médiateur entre public et collection. L’arrivée des « médiateurs du livre » dynamise cette activité de médiation notamment pour les activités hors les murs, avec cette préoccupation de voir la bibliothèque fréquentée par tous les publics. « Le médiateur du livre se définit comme une passerelle entre les enfants des quartiers défavorisés (dont il est lui-même issu) et les bibliothèques. Il tire de sa propre histoire la faculté de comprendre les mécanismes de l'exclusion culturelle et entreprend, à partir des bibliothèques de rues le plus souvent, d'amener les enfants à lire et à fréquenter les équipements de lecture publique.28 ». Le bibliothécaire assume son rôle de travailleur social. Les emplois-jeunes/médiateurs constituent également les personnels des espaces multimédias qui fleurissent dans les bibliothèques publiques. Jeunes recrues, plus rompues aux nouvelles technologies, elles ont pour mission de gommer la fracture numérique entre les générations et les catégories sociales. Celles qui peuvent s’équiper à domicile et les autres. Une nouvelle catégorie de personnels, contractuels, fait son entrée en bibliothèque sur des tâches nouvelles et potentiellement importantes à l’avenir. En bibliothèque universitaire, on parle de formation des usagers. En 1999, est mise en place FORMIST (FORMation à l'Information Scientifique et Technique) afin de rassembler et évaluer les ressources pédagogiques sur la formation à l’information, encore rares à cette époque. Les réseaux documentaires s’organisent sur le territoire. Ce sont les pôles associés de la BnF, Couperin ou le CCFr, les uns liés à une volonté de travailler sur le territoire de façon complémentaire, les autres liés au développement et au partage de la documentation électronique. « L'ère des réseaux permet la multiplication des relations entre différents acteurs, entre des acteurs aussi différents qu'une bibliothèque publique et la Bibliothèque nationale de France.

28 Marguerite Marx-Backès et Johnny Méjean, Parcours d’un médiateur à Vaulx-en-Velin, Bulletin d’informations de l’ABF, 1996, n°170.

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Utiliser les ressources de l'un pour simplifier les tâches de l'autre est un choix qui se répercute sur les diverses fonctions de la bibliothèque, qu'il s'agisse de recherche documentaire, d'acquisition, de gestion, ou d'accueil. Il en résulte des gains de temps et de coût, ainsi qu'une qualité accrue, dont bénéficient les usagers de la bibliothèque. Des usagers par qui et pour qui vivent les bibliothèques, qu'elles soient universitaires ou publiques. Des usagers, dont le dialogue avec les bibliothécaires et les décideurs passe désormais par la mise en place d'indicateurs réunis dans la toute nouvelle norme d'évaluation des performances des bibliothèques. Des usagers, à qui les bibliothèques s'adressent, au travers de guides plus ou moins bien ciblés. Des usagers, dont la satisfaction, de plus en plus recherchée par les bibliothécaires, pourrait être accrue, si la formation professionnelle, en France, contrairement à ses voisins européens, ne faisait pas l'impasse sur l'entretien de référence, sur la dimension relationnelle entre usagers et bibliothécaires29 ». Les profils de postes des conservateurs d’Etat sont au milieu des années 90 majoritairement orientés sur des compétences en informatique pour notamment la rétro-conversion, l’assistance du public sur les Opacs. En 2001, on recherche en bibliothèque universitaire des responsables du système d’information : administration du SIGB, développement du site web en relation avec le webmestre, mise en œuvre et suivi du projet de numérisation. En bibliothèque municipale, des responsables du système informatique et du développement des nouvelles technologies de l’information ou des responsables de l’évaluation des services rendus aux usagers et de l’impulsion des actions de médiation culturelle. La formation continue de l’Enssib s’organise autour de quatre grands axes thématiques : management et gestion d’un établissement, collections et politiques documentaires, services et publics, informatique et nouvelles technologies. A la fin de cette période, le professionnel de l’information et de la documentation commence à cataloguer à partir de récupération bibliographique. Ses sources et références techniques sont BN-Opale, BN-Opaline, CD-Rom Electre, OCLC, UNIMARC, HTML, XML, Z39). Son travail s’inscrit dans des réseaux documentaires. Il est à la tête d’un service public ou d’un service dédié aux usagers. Il affiche son projet qu’il décline en politiques d’accueil et documentaire. Il assume son rôle culturel et social. Il s’interroge en bibliothèque universitaire sur la formation à l’information et la gestion/diffusion des savoirs. « Le bibliothécaire va-t-il, peut-il être à la fois technicien des bibliothèques (de leurs fonds et de leurs outils), hôtesse d’accueil, pédagogue, spécialiste de la communication inter-personnelle comme de la navigation dans internet ? Entre passé érudit et avenir cybernétique, où en est aujourd’hui le bibliothécaire dans ses relations avec son public ? Où est désormais sa légitimité, ballottée entre l’excellence des collections et les chiffres du succès public ? Comment penser sa formation, alors que son champ d’intervention est si vaste ? Comment définir son métier, alors que son travail face au public est à la fois le pivot des valeurs démocratiques qui animent la profession et le trou noir, le point aveugle de la littérature professionnelle ?30 ».

1965 à 1990 :

Une formation institutionnalisée et un ouvrage de référence. Un fort développement des bibliothèques et un mouvement de mutation pour les BCP. Le développement des métiers de la documentation dans les établissements scolaires et

dans les formations universitaires. Une ouverture vers de nouveaux publics.

29 Annie Le Saux, Editorial, Bulletin des bibliothèques de France, 1998, n° 6, p. 7. 30 Anne-Marie Bertrand, Bibliothécaires face au public, PBI, 1995.

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« Le goût de la lecture va de pair avec le niveau d’éducation. Plus le niveau d’éducation est élevé, plus les bibliothèques sont nombreuses. Les principes du bibliothécaire indien Ranganathan disent : " A chaque livre son lecteur. A chaque lecteur son livre." Aux États-Unis, on énonce ainsi la même idée : " Le bon livre au bon lecteur au bon moment." […] Le lecteur éventuel doit trouver le livre, et donc aussi les bibliothèques, à sa portée, sans effort. Non seulement il faut l’attirer vers les bibliothèques par un local bien situé, clair, agréable, mais il faut lui porter le livre à domicile : à son lieu de travail, à l’école, à l’hôpital, dans le grand ensemble, au village, etc. Il faut en outre offrir un choix suffisant de bons livres. […] Tout bibliothécaire a, certes, un rôle de conseiller, de guide. Il aide ceux qui cherchent une documentation, renseigne ceux qui désirent une précision sur telle ou telle œuvre possédée par la bibliothèque. Il n’en reste pas moins que, dans une bibliothèque publique, la mission à remplir va plus loin : il faut faire lire plus et mieux.31 ». A partir de 1965, les bibliothèques se développent autour de réflexions (assises nationales des bibliothèques), de projets de constructions nombreux, dans un climat où les loisirs et la culture sont placés au cœur de la société. La période est aussi marquée par le constat et l’impulsion de Georges Pompidou : « En matière de culture, tout reste à faire » (1969). Une France où le nombre d’étudiants en université croît fortement (moins de 100 000 en 1945 – 625 000 en 1970). Conséquemment, ce sont les bibliothèques universitaires qui seront le premier secteur d’expansion. La croissance des bibliothèques publiques est plus tardive mais plus remarquable encore : 804 en 1974, 1885 en 1991. Cette évolution va de pair avec la multiplication du personnel scientifique et technique en bibliothèques municipales. Le métier de documentaliste prend son essor. Les professionnels de la documentation regrettent leur manque de visibilité politique puisque la création de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique n’a pas pris en compte leur métier, mais leur activité prospère avec la création d’instituts universitaires technologiques dédiés, une jeune association professionnelle active (L’Association des professionnels de l’information et de la documentation) et la création des centres de documentation et d’information (CDI) dans les lycées et collèges. La formation aux carrières des métiers des bibliothèques et de la documentation s’étoffe et se diversifie. Aux côtés de l’École nationale (ENSB), se multiplient les propositions universitaires (IUT en 1966 puis DESS à partir de 1974). D’autre part, les cours de l’ABF après une interruption de 1956-1963 –effacement consécutif à la création du Certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB) de 1952 – reprennent du service. La formation de l’ABF s’organise à l’image du développement du métier en mettant en place des centres en Province et en fonction des autres structures de formation, en s’adressant plus précisément aux bénévoles ou agents des petites bibliothèques. Par ailleurs, l’association diffuse largement et republie régulièrement son Cours élémentaire de formation professionnelle avec des mises à jour tenant compte des évolutions du métier. Le Métier de Bibliothécaire (version moderne de l’ouvrage) reste encore aujourd’hui un ouvrage de référence. En 1978, l’ABF obtient sa reconnaissance comme organisme de formation professionnelle continue du ministère des Affaires économiques et sociales. Il faudra toutefois attendre le début des années 80 pour que se dessine l’organisation actuelle de sa formation (clarification des centres de formation, unification du diplôme : programme, sujets d’examens nationaux, etc.). Se posera dès lors et pour longtemps, la question d’une qualification statutaire des employés de bibliothèques titulaires du diplôme ABF. Pour les bibliothèques, avec la disparition de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique (DBLP), deux profils se dessinent : le bibliothécaire scientifique et le bibliothécaire de

31 Association des bibliothécaires de France, Cours élémentaire de formation professionnelle, 1969, p. 3 et 127.

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lecture publique. Les corps de métiers s’organisent dans des ministères différents : d’un côté le ministère de l’Éducation nationale avec la Direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique, de l’autre le ministère de la Culture avec la Direction du livre et de la lecture. Le CAFB propose désormais des options : lecture publique, bibliothèques spécialisées, Jeunesse, discothèque. Il prend en compte ces profils distincts, l’intégration de nouveaux supports et l’ouverture vers de nouveaux publics. Le bibliothécaire de lecture publique prend ses distances avec le métier de documentaliste, le bibliothécaire scientifique s’en rapproche. A l’image de l’association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) créée en 1974. La suppression d’une direction ministérielle unique, en 1975, a suscité de nombreuses protestations professionnelles : « C’est la mise en cause de " l’unité du métier " qui a mobilisé les bibliothécaires. Les motions de protestation contre le " démantèlement " de la DBLP sont ainsi doublées de motions d’attachement à " l’unité du métier ". Par un glissement rapide de " l’unité de la Direction " à l’unité du métier.32 ». Toutefois, l’idée de rattacher les bibliothèques de lecture publique à la culture était bonne. Dans cette dynamique, la politique culturelle du ministre Jack Lang et du Directeur du livre Jean Gattegno portera le développement de ces bibliothèques. Par ailleurs, le rapport de Louis Desgraves en 1982 replace la conservation du patrimoine au centre des préoccupations des bibliothèques de lecture publique. Ainsi, la lettre de mission adressée par Jean Gattegno à Louis Desgraves introduit la problématique en ces termes : « Si soucieuse qu’elle soit d’assurer le développement de ce qu’il est convenu d’appeler la lecture publique, la Direction du livre et de la lecture n’entend pourtant pas se désintéresser de la préservation, de la mise en valeur et de l’accroissement nécessaires des collections de toute nature qui, conservées dans les bibliothèques publiques, constituent une part très précieuse du patrimoine national. » La décentralisation en 1986 a des répercussions sur le métier. Les professionnels des nouvelles bibliothèques départementales de prêt (anciennement bibliothèques centrales de prêt) doivent redéfinir leurs missions, leur organisation et surtout leur formation. 12 centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques (CRFCB) se mettent en place et l’École nationale supérieure des bibliothèques (ENSB) se réorganise en prenant en compte la notion de sciences de l’information induite par le développement de l’informatique. Un réseau d’agences de coopération pour le livre et la lecture s’installe progressivement sur le territoire : « outil nouveau, fruit du dialogue ouvert entre l'État, les collectivités territoriales et les professionnels33 ». « Les formations en sciences de l'information sont toutes ou presque, en France, de création récente […] A l'inverse, la formation que dispense l'ENSB est ancienne […] Dès sa création, l'École a reçu la mission de former les conservateurs des établissements placés sous la tutelle du ou des services ministériels chargés de coordonner l'action des bibliothèques. Ainsi a été formé le personnel d'encadrement des bibliothèques d'universités et de grands établissements, de la Bibliothèque nationale et de nombreuses bibliothèques publiques, bibliothèques municipales classées et bibliothèques centrales de prêt. […] quel est le domaine de compétence de l'École rénovée ? L'École, pour quel public et pour quelles formations ? Il convient d'abord d'affirmer la volonté du ministère de tutelle de prendre en compte l'essor de l'industrie de l'information et de participer à la promotion de l'information scientifique et technique, spécialement en faveur de

32 Anne-Marie Bertrand et Jean-Claude Groshens, L'unité du métier, Bulletin des bibliothèques de France, 2005, n° 5, p. 5-7. 33 Béatrice Pedot, Panorama des agences régionales de coopération, Bulletin des bibliothèques de France, 1991, n° 3.

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la communauté universitaire. L'École songe de plus à conquérir un nouveau marché, celui des entreprises industrielles, qui se trouvent chaque année davantage dans l'obligation de recevoir et de sélectionner l'information dont elles ont besoin pour décider de la fabrication de produits nouveaux, pour étudier la concurrence et les perspectives du marché. […] Il reste, bien entendu, que l'information a et garde une valeur culturelle : c'est aux bibliothèques que revient, par tradition, la mission de réunir, de conserver et de valoriser les documents témoignant des préoccupations du développement intellectuel et artistique d'une époque ; c'est à elles qu'il appartient de diffuser la littérature distractive, ainsi que les documents sonores et visuels désormais indissolublement intégrés aux services rendus par les médiathèques publiques. Deux orientations différentes […] qui contribuent à réengager le débat ancien sur l'unicité de la profession. […] Une approche institutionnelle : l'éclatement, en 1975, de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique a confirmé la séparation, déjà latente, entre bibliothèques d'étude et de recherche et bibliothèques de lecture publique et a élargi le fossé creusé de longue date entre le monde de la documentation, qui a suscité ses propres formations, et le monde des bibliothèques. Mettre en place une formation spécifique aux bibliothèques culturelles serait consacrer cette différence et la rendre définitive. L'autre approche est fonctionnelle : existe-t-il, oui ou non, une différence de nature entre les fonctions de bibliothécaire et celles de documentaliste ? Pour les uns, l'objectif est le même : fournir une information, quelle qu'en soit la nature, à un groupe d'utilisateurs et gérer un établissement ou un service documentaire. De nombreux documentalistes, cependant, proclament le rôle immédiatement utilitaire de leur métier et en traquent les moindres tentations culturelles. Ils trouvent, à juste titre, une grandeur réelle à cette mission d'information. Il fallait trancher : il a semblé […] qu'une séparation trop nette entre les composantes des métiers de l'information représentait un frein pour l'essor d'une politique nationale de la documentation et qu'elle ne reposait sur aucune justification théorique. […] Spécialiste de l'information est à l'évidence le terme générique, qui qualifiera avec le plus d'exactitude l'étudiant diplômé de l'École. Afin de représenter ce concept, l'École a proposé le néologisme « infomédiateur34 ». Cette formation de spécialistes de l’information se caractérisera notamment par deux options de spécialisation - conception et gestion de systèmes et réseaux d'information ; médiathèques publiques – et introduira la nécessité de la formation continue. Dans l’inexorable évolution du métier, Joël Morris restitue les résultats d’une enquête menée auprès 200 bibliothécaires de 1re et 2e catégorie qui selon lui atteste qu’« une nouvelle profession est née et de nouvelles missions lui sont confiées ». Cette mutation s’articulant autour de quatre faits essentiels : la primauté de l'activité d'administration, d'organisation, de gestion ; l'invasion de l'outil informatique ; la coexistence de publics diversifiés aux attentes spécifiques ; la variété des supports d'information. A la fin de cette période, le cœur de métier correspond à des compétences techniques :

gestion de l’information (catalogage, indexation, méthode de recherche documentaire) analyse de l’information et de ses supports (chaîne du livre) informatique

Les professionnels des bibliothèques sont formés aux stratégies de communication orientées publics (action culturelle, médiathèque et son public), mais aussi au management et au marketing. Chaque professionnel reçoit une formation en fonction de son statut, son corps et sa fonction. Les métiers de bibliothécaires et de documentalistes se retrouvent sur bon nombre de

34 Jacques Keriguy, Tu seras bibliothécaire, mon fils !, Bulletin des bibliothèques de France, 1987, n° 4, p. 314-321.

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ces compétences techniques. Le professionnel est un agent culturel, un « infomédiateur35 » ou un « ingénieur culturel36 ». « L’analyse factorielle permet de construire trois types-idéaux d’attitudes par rapport à l’introduction de l’informatique : les favorables, les opposants, et ceux qui ne veulent pas prendre parti dans le débat. Trois indices d’attitudes ont été élaborés qui, à eux trois concernent 80% des professionnels soit 56% des partisans, 16% d’opposants et 8% de sans opinion. […] L’analyse factorielle conduit à distinguer deux types de représentations des effets « prometteurs » de l’informatisation. Le premier axe, (le plus significatif) différencie ceux qui mettent la priorité sur la suppression des tâches routinières, le partage des ressources et des compétences, de ceux qui voient dans l’innovation technologique une possibilité d’amélioration du service public, par l’accès à l’information.37 ».

1935 à 1965 :

Des bibliothèques diversifiées. Une identité professionnelle statutaire. Une formation structurée et une profession concurrente : les documentalistes.

« Outre certaines qualités, on devrait exiger du candidat-bibliothécaire qu’il sortît d’une école " professionnelle ", l’enseignement serait sanctionné par un diplôme, qui, pour conserver sa valeur, ne serait délivré qu’aux élèves préparés, en toute conscience, au métier de bibliothécaire. J’ai parlé de métier et non d’emploi, contrairement à cette conception, encore trop répandue, qu’il n’y a pas besoin d’apprentissage pour faire un bibliothécaire et pour occuper une charge, une fonction obtenue au hasard de la chance ou des recommandations. Or, pour devenir un bon bibliothécaire, il faut un sérieux ensemble, non seulement de qualités morales ou physiques, mais encore de connaissances professionnelles, et le métier comporte un apprentissage, comme tous les métiers, avec cette différence qu’on apprend chaque jour du nouveau dans notre carrière, si l’on veut se tenir au courant.38 ». Le glissement d’un métier intellectuel vers un métier plus technique et plus ouvert sur les publics se poursuit. En parallèle, la formation s’organise. La diversification des bibliothèques accompagne ce mouvement d’ouverture aux publics et rend nécessaire l’évolution de la formation : bibliothèques pour enfants, bibliothèques d’hôpital, bibliothèques de prison, bibliothèques des grandes entreprises pour les ouvriers ou les cheminots. Le développement des bibliothèques municipales (à Paris notamment) est également à associer à ce mouvement : en 1939, les bibliothèques municipales parisiennes comptent 89 établissements (20 bibliothèques centrales, 62 bibliothèques de quartier installées dans les écoles primaires, 2 bibliothèques pour la jeunesse, 3 grandes bibliothèques spécialisées et 7 bibliothèques spécialisées de moindre importance). Du côté de la documentation, on assiste à la reconnaissance et l’émancipation du métier de documentaliste : « Le temps n'est plus - c'était en 1931 - où un bibliothécaire anglais disait dans

35 Jacques Keriguy, Tu seras bibliothécaire, mon fils !, Bulletin des bibliothèques de France, 1987, n° 4, p. 314-321. 36 terme emprunté à Cécil Guitart, in Un nouveau bibliothécaire, Bulletin des bibliothèques de France, 1987, n° 4. 37 Bernadette Seibel, Au nom du livre. Analyse sociale d’une profession : les bibliothécaires, Paris : La Documentation française, 1988. 38 Gabriel Henriot, Des livres pour tous, Paris : Editions Durassié et Cie, 1943, p. 129.

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une conférence internationale que lorsqu'il parlait de la documentation dans son pays, on lui demandait ce que c'était que cette nouvelle maladie.39 ». La formation, la participation à des activités associatives, la publication d’ouvrages de référence et de revues professionnelles sont le socle d’une culture commune qui contribue à faire émerger une identité professionnelle des métiers des bibliothèques et de la documentation. Cette identité professionnelle est confortée pour les bibliothèques par des décrets statutaires et la création par l’État du Bureau d’information sur les bibliothèques en 1937, piloté par la Bibliothèque nationale. La création de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique au ministère de l’Éducation nationale en 1945 puis la création d’écoles nationales - l’INTD en 1950 et l’ENSB en 1963 – constitueront un socle identitaire à la profession. Ainsi, « la création de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique apparaît comme une volonté d’homogénéisation du groupe professionnel sur la base d’une identité statutaire et d’une formation et compétence spécifiques.40 ». Le Diplôme technique de bibliothécaire (essentiellement tourné vers la conservation et la bibliographie) devient Diplôme supérieur de bibliothécaire (DSB) en 1950. Ce nouveau diplôme est plus en adéquation avec l’orientation lecture publique du métier. Il est également l’aboutissement de 20 ans de combats de professionnels pour une réforme de la formation. Il forme les personnels scientifiques d'État - responsables de bibliothèques (accessible avec une licence) - pour les bibliothèques municipales, les bibliothèques universitaires et les bibliothèques des grands établissements scientifiques. Le nouveau Certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB) créé dans la foulée, satisfera les besoins en formation des personnels, de niveau Bac, travaillant dans les bibliothèques publiques ne relevant pas de l’État. Ce CAFB marque donc la création d’un corps de bibliothécaires intermédiaire entre le responsable, titulaire du DSB, et les employés de bibliothèque non formés. Il permet également d’adapter la formation à la diversification des bibliothèques (bibliothèques d’entreprises, d’hôpitaux, pour enfants) en proposant des stages spécialisés et des examens optionnels. Les cours de l’Association des bibliothécaires français accompagneront de façon complémentaire ces besoins spécifiques. Ils contribueront également à proposer une offre de formation en dehors de Paris. Parallèlement, le métier de documentaliste se professionnalise et prend ses distances avec le métier de bibliothécaire. Dans les années 30, des professionnels comme Gabriel Henriot réfléchissaient à une formation commune bibliothécaire-documentaliste. Dans les années 50, les professionnels de la documentation affirment leur différence. Avec Suzanne Briet, il s’agit d’un discours selon lequel le documentaliste est une profession distincte qui englobe les autres, qui synthétise les autres : « Une nouvelle profession est née - celle de documentaliste - qui correspond aux fonctions de celui qui documente autrui. Le documentaliste fait métier de documentation. Il doit en posséder les techniques, les méthodes, l'outillage. Il lui est possible maintenant de devenir un technicien patenté : un diplôme d'État existe en France depuis la création de l'Institut national des techniques de la documentation rattachée au Conservatoire national des Arts et Métiers (Arrêté du 1er décembre 1950). […] Archiviste, bibliothécaire, conservateur de collection, notre documentaliste est tout à la fois. […] Le travail documentaire - basé sur la spécialisation culturelle - correspond à une activité dont la spécificité n'a plus besoin d'être démontrée. Ce qu'on appelle la « technique documentaire » est un ensemble de techniques à dosage original et à applications multiples. Il va de soi que l'on ne saurait imposer à l'élève documentaliste les programmes de l'École des Chartes et du Diplôme supérieur de bibliothécaire. S'il est nécessaire d'enseigner le catalogage en 50 heures dans une école de

39 Suzanne Briet, Qu’est-ce que la documentation ?, Texte revu et mis en ligne par Laurent Martinet, texte original Éditions Documentaires Industrielles et Techniques - EDIT, Paris, 1951. 40 Bernadette Seibel. Au nom du livre. Analyse sociale d’une profession : les bibliothécaires. Paris : La documentation française, 1988, p.8

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bibliothécaires, on se contentera de 5 heures par exemple dans un cours destiné à des documentalistes.41 ». « A la conservation en magasin, au service bibliographique, [le documentaliste] oppose la fourniture personnalisée de données factuelles et la formation des utilisateurs. La création de l’Institut national des techniques documentaires à la fin des années cinquante, et celle de l’Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés en 1963, sont l’expression de ce mouvement de contestation […].42 ». Le réseau de bibliothèques géré par l’État s’étoffe avec la création des bibliothèques centrales de prêt (BCP) en 1946. Un certain nombre de changements sont notables. Entre 1946 et 1952, les changements concernent les statuts des personnels. A partir de 1964, ce sont la formation et le mode de recrutement. Ainsi, le décret instituant « l’interchangeabilité des fonctionnaires des cadres scientifiques des bibliothèques », la parution de statuts particuliers pour le personnel scientifique et le personnel de service des bibliothèques d’État comme la création d’un corps de sous-bibliothécaire pour le personnel technique modifient en profondeur l’organisation des bibliothèques universitaires, des bibliothèques municipales classées, de la Bibliothèque nationale et des autres bibliothèques qui lui sont rattachées. Jusqu’ici les personnels avaient des statuts différents selon qu’ils travaillaient dans les bibliothèques de l’Université de Paris ou dans une bibliothèque universitaire de département, à la bibliothèque nationale ou dans une bibliothèque municipale classée. Désormais, chaque établissement devient accessible à tous : au personnel scientifique (bibliothécaire, conservateur, conservateur en chef), au personnel technique (sous-bibliothécaire), et au personnel de service (gardiens et magasiniers). Par ailleurs, jusqu’en 1964, il fallait d’abord obtenir un diplôme professionnel (CAFB puis DTB puis DSB) avant de se présenter à un concours de recrutement ouvert aux titulaires de ce diplôme. Après la création de l’ENSB en 1963, l’ordre de la formation professionnelle et du recrutement est interverti : la formation se fait post-concours et est sanctionnée par un diplôme : le Diplôme supérieur de bibliothèque (aujourd’hui Diplôme de Conservateur de bibliothèque). A la fin de cette période, le cœur de métier correspond à des compétences techniques bibliographiques et de traitement documentaire (catalogage - CDU). Ces compétences sont mises en œuvre dans une logique de diffusion documentaire. Dans le rapport classique collection/publics, le bibliothécaire s’intéresse plus à la collection mais organise sa communication au public. Les documentalistes défendent des compétences techniques au service du public avec la production de contenus personnalisés. « A une époque où s'ouvrent tant de voies nouvelles et où l'accélération des progrès scientifiques affecte tous les domaines de l'activité humaine, une profession considérée jusqu'alors à tort comme stagnante ne pouvait manquer de remettre en question ses méthodes. […] Le développement accéléré de l'information scientifique, la prolifération des bibliothèques d'enseignement supérieur, la création toute récente dans les bibliothèques universitaires de secteurs spécialisés en libre accès et de catalogues systématiques développés, exigent désormais un accroissement considérable des effectifs et, en ce qui concerne les fonctions et les responsabilités du personnel scientifique, des qualifications beaucoup plus diversifiées que par le passé. La formation de base valable pour l'ensemble du personnel scientifique et assurant notamment une connaissance approfondie des techniques normalisées doit être complétée par des enseignements spécialisés adaptés aux diverses orientations. […] Au cours de ces dernières années la bibliothéconomie elle-même a subi un renouveau significatif et c'est en grande partie à l'impérieuse nécessité de développer l'aide au lecteur qu'elle le doit. Sans doute parle-t-on volontiers des progrès spectaculaires de la documentation comme s'ils n'affectaient pas les

41 Briet, Qu’est-ce que la documentation ? 42 Seibel. Au nom du livre.

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bibliothèques vouées, selon la conception que s'en fait un public mal informé, à la conservation de fonds en sommeil, sinon morts. Un peu de réflexion suffirait cependant à dissiper l'erreur : dans la mesure où la documentation est l'organisation des ressources en vue de leur utilisation, il est aisé de voir qu'elle est, qu'elle a toujours été, l'affaire des bibliothèques. A quoi serviraient leurs immenses ressources si elles devaient rester inexploitées ? […] En fait les bibliothèques et notamment les bibliothèques spécialisées ont à effectuer une lourde tâche de catalogage. Si les normes récemment parues facilitent désormais l'établissement du catalogue auteurs-anonymes, une large place doit être faite dans l'enseignement de première année à l'établissement des fiches matières. L'apprenti-bibliothécaire, quand il a rédigé la fiche de base, doit examiner le contenu du document et devenir, si possible, virtuose dans le jeu de l'indexation, soit pour le catalogue alphabétique de matières, soit pour le catalogue systématique.43 ».

Avant 1935 :

Vers une professionnalisation : de l’érudit au technicien. « À côté du bibliothécaire érudit et bibliophile, dont la fonction principale avait été la conservation des trésors intellectuels de l’humanité, apparaît le bibliothécaire éducatif qui considère l’institution comme un précieux instrument de formation et se met au service du public pour le guider.44 ». Sous l’influence d’Eugène Morel et de Paul Otlet, les métiers des bibliothèques et de la documentation s’engagent dans une démarche de professionnalisation. Ce mouvement commence à se dessiner à la fin du XIXe siècle. Dans un contexte où plusieurs réseaux de bibliothèques cohabitent : bibliothèques d’études, scolaires, paroissiales, bibliothèques populaires d’origines variées et quelques cabinets de lecture en voie de disparition ; avec une large prédominance des bibliothèques d’étude, des bibliothèques scolaires et paroissiales. Les quelques 3000 bibliothèques populaires communales sont agréées par le ministère de l’Instruction publique. Deux faits notables au XIXe siècle vont influencer l’évolution des métiers : la France ouvre au début du siècle la première école d’archivistes (École des Chartes) tandis que les États-Unis ouvrent à la fin du siècle la première école de bibliothécaires (cf. Melvil Dewey) et créent l’association des bibliothécaires américains (l’American Library Association). « Deux mouvements distincts ont provoqué au cours du XIXe siècle la venue de professionnels dans les bibliothèques et du coup la naissance du métier de bibliothécaire. Le premier acteur est, dès le second quart du siècle, l'École des Chartes, fondée en 1821, pour reprendre la publication des monuments écrits de l'histoire nationale. Ses élèves, dont la formation se déroule alors principalement à la Bibliothèque royale, ont la préférence pour un emploi sur deux (puis sur trois) dans les bibliothèques publiques (y compris la Bibliothèque nationale) et les dépôts littéraires. C'est le premier recrutement de bibliothécaires après une formation spéciale. L'École des Chartes met en place les premiers enseignements professionnels (bibliographie et classement des bibliothèques, service des bibliothèques). Assurés par des bibliothécaires, ces cours constitueront longtemps le seul enseignement du domaine. Dans le dernier quart du siècle s'organisent d'autres dispositifs, exclusivement professionnels. Les bibliothèques universitaires ont été le foyer de ces novations. La création des bibliothèques d'universités par réunion des bibliothèques des facultés nécessitait des bibliothécaires capables de maîtriser catalogage et

43 Paule Salvan, Réforme de la formation professionnelle, Bulletin des bibliothèques de France, 1963, n° 6. 44 Bernadette Seibel. Au nom du livre. Analyse sociale d’une profession : les bibliothécaires. Paris : La documentation française, 1988, p.7.

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classification. Dans le modèle allemand, qui servait alors de référence, les bibliothécaires étaient qualifiés. Le recrutement des bibliothécaires des universités françaises s'est donc fait en fonction d'un diplôme attestant d'une qualification professionnelle, le certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire. Premier diplôme professionnel, le CAFB s'organise entre 1879 et 1893. À cette date sont exigés en BU la possession d'un diplôme de l'enseignement supérieur, un stage en bibliothèque et la réussite à l'examen du CAFB, épreuve dont le programme est très complet. Sur ce modèle ont été mis en place entre 1885 et 1897, sans équivalence entre eux, des examens d'entrée à la Bibliothèque nationale, à la Mazarine, Sainte-Geneviève et l'Arsenal, et un CAFB pour les bibliothèques municipales classées.45 ». La démarche d’Eugène Morel se nourrit d’une remise en cause de la formation de l’École des Chartes et de sa foi dans le modèle de bibliothèques anglo-américain. Un certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire existe bien depuis 1879 mais uniquement pour les personnels des bibliothèques universitaires et quatorze ans plus tard pour les bibliothèques municipales classées. Seules les bibliothèques d’État employaient donc du personnel formé. Et seul le personnel dirigeant de ces bibliothèques était formé. Pour les autres, ce sont en grande majorité des bénévoles ou des personnels sans qualifications particulières. Les préparations pour les deux diplômes du CAFB se faisaient essentiellement sous forme de stages en bibliothèque, l’École des Chartes n’ayant encore à son programme, depuis 1869, que quelques heures de bibliographie et bibliothéconomie. 1897 et 1898 marquent toutefois pour les bibliothécaires le début de la reconnaissance véritable du métier par l’État avec le classement des bibliothèques possédant des fonds rares et précieux puis la définition des qualifications professionnelles nécessaires au personnel travaillant dans ces établissements. Eugène Morel veut ainsi une formation qui prépare aux métiers de la lecture publique. Il lance alors la Section des Bibliothèques modernes à l’École des Hautes Études Sociales avec le concours de la toute jeune Association des bibliothécaires français (ABF). Le programme de la formation est inspiré de celle des bibliothécaires anglais : 1-Connaissance du livre ; 2-classement et recherches-bibliographie ; 3-les bibliothèques (en France et à l’étranger). Il doit se décliner en conférences – lieux de rencontres et de débats entre professionnels (qui seront nombreuses et dont le programme sera relayé par le Bulletin de l’ABF) et s’appuyer sur des expériences pratiques (stages). Le métier se professionnalise et un véritable « esprit de corps » commence à émerger. Des examens professionnels se mettent en place. Au début du XXe siècle, pour devenir bibliothécaire dans les principales bibliothèques françaises, il faut donc réussir un examen professionnel. Ce courant de professionnalisation va de pair avec l’apparition des premières associations professionnelles : association des archivistes de France (1904) ; association des bibliothécaires français (1906). En la personne de Charles Sustrac, secrétaire général de l’ABF, on voit un véritable souhait de l’association de moderniser le métier en se consacrant à la formation professionnelle, élémentaire mais aussi initiale et continue. Il apporte d’ailleurs son soutien à l’entreprise d’Eugène Morel. Tout comme le feront Henri Lafontaine et Paul Otlet, en représentant l’Institut national de bibliographie aux conférences d’Eugène Morel. Ces derniers participent, par ailleurs, à la création d’un nouveau métier, celui de documentaliste, qui vivra un tournant dans son développement aux débuts des années 1930. « L'intérêt pour l'unification des pratiques et la coopération, la documentation d'actualité et les périodiques, est partagé par le secteur de la documentation, qui s'est développé en France à partir de 1880. Nombreux sont alors les contacts entre bibliothèques et documentation. N'existent alors ni cloisonnement de statuts, ni opposition de métiers. Au niveau international, les congrès des bibliothécaires et la constitution

45 Denis Pallier, Histoire et évolution du métier de bibliothécaire, Bulletin d’informations de l’ABF, 1994, n°164.

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en 1927-1929 d'une fédération internationale de leurs associations font participer activement des Français à l'évolution de la bibliothéconomie.46 ». Ainsi, dans les années qui précèdent la première guerre mondiale, le personnel recruté dans les bibliothèques correspond de moins en moins à des hommes de lettres mais à des personnes qui ont suivi une formation pour faire ce métier. Les conditions de recrutement sont d’abord imposées en bibliothèques universitaires puis les bibliothèques publiques suivront. En 1932, le gouvernement crée le Diplôme technique de bibliothécaire, qui se prépare à l’École des Chartes afin de pourvoir ses bibliothèques en personnel spécifique qualifié. Ce diplôme technique ne donnait toutefois pas droit à être pourvu d’un poste par l’État ; le candidat devait justifier non seulement du DTB mais aussi d’un autre titre parmi : archiviste-paléographe, agrégé de l’enseignement secondaire, ancien membre de l’École française de Rome ou d’Athènes, licencié ès lettres ou ès sciences, diplômé de l’École des Langues Orientales, diplômé de l’École Pratique des Hautes Études, Docteur en droit, en médecine ou en pharmacie. Après la première guerre mondiale, avec l’aide des Américains, le modèle de la bibliothèque publique qui se développe ressemble à celui que nous connaissons aujourd’hui : apparition des rayonnages en libre accès, des catalogues sur fiche, de l’accès gratuit, de la coopération et l’ouverture vers l’extérieur, de la bibliothèque pour enfants. Le métier s’organise en multipliant les structures de formations, suivront en effet : l’École franco-américaine créée par le CARD (Comité américain pour les régions dévastées de la France) et initiée par Jessie Carson (1924-1928) ; puis l’École municipale de la Ville de Paris au sein de la bibliothèque de Forney, sous l’impulsion de Gabriel Henriot (1930-1936) ; les stages de la bibliothèque de l’Heure joyeuse à partir de 1930 et l’École des bibliothécaires-documentalistes, au sein de l’Institut catholique de Paris, en 1935, avec Gabriel Henriot et la Ligue féminine d’action catholique. Ce ne sera toutefois qu’en 1963 avec la création de l’École nationale supérieure des bibliothécaires (ENSB) qu’une formation de bibliothécaire sera véritablement institutionnalisée en France. A la fin de cette période, le cœur de métier correspond à des compétences techniques archivistiques et bibliographiques. L’ouverture vers le public est présente dans les intentions et les discours. Le professionnel est tourné vers la conservation du patrimoine national et théorise ses pratiques orientées publics. « Charles Mortet, qui fut le modèle de sa profession, souhaitait que se développât, en France, la fonction éducative des Bibliothèques. Il demandait que pénétrât partout un « esprit nouveau inspiré par l'idée qu'il ne suffit plus seulement, comme autrefois, de donner satisfaction à l'élite des lecteurs en cataloguant, avec une science consommée, les manuscrits, les incunables et les autres raretés bibliographiques, mais qu'il importe aussi d'attirer le grand public et de l'intéresser à la lecture par des catalogues d'une consultation facile, par des aménagements matériels accélérant les services, par des acquisitions de livres modernes et de périodiques répondant aux besoins immédiats du temps présent ». Charles Mortet voulait des bibliothécaires qui fussent des guides et des éducateurs. C'est la vérité même. Pour sa part, pour sa large part, le Manuel amènera les bibliothécaires à faire œuvre, non seulement de conservation et de classement, mais aussi d'enseignement.47 ».

46 Denis Pallier, Histoire et évolution du métier de bibliothécaire, Bulletin d’informations de l’ABF, 1994, n°164. 47 Préface du Manuel pratique du bibliothécaire de Léo Crozet, 1932, propos de deux inspecteurs généraux des bibliothèques, Pol Neveux et Charles Schmidt.

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Le métier dans ses aspects psychosociologiques

Le métier psychosociologique renvoie fréquemment à la question de l’identité professionnelle mais pas que. Ouvrages, revues, interventions ou mémoires d’étude, sont autant d’espaces d’expression de sentiments sur son métier. « Son métier » avec tout l’environnement affectif et autocentré que cela peut impliquer parfois… souvent.

Extraits choisis :

Bertrand Calenge (dir.), Bibliothécaire, quel métier ?, Paris : éditions du Cercle de la Librairie, 2004 - Extrait p. 9-18.

Michel Melot, La sagesse du bibliothécaire, Paris : éditions Jean-Claude Béhar, 2004 - Extrait p. 1-24.

Anne-Marie Bertrand, Bibliothécaires face au public, Paris : BPI, 1995 - Extrait p. 185-214. Bernadette Seibel, Au nom du livre. Analyse sociale d’une profession : les bibliothécaires.

Paris : La documentation française, 1988 - Extrait p. 120-139. Gabriel Henriot, Des livres pour tous, Paris : éditions Durassié, 1943 - p.125-131.

Articles et interventions :

Anne Boraud, Décrochages dans l'imaginaire technique des bibliothécaires, Bulletin des bibliothèques de France, 2012, n° 5.

Joachim Schöpfel, L’avenir du métier de bibliothécaire, Archimag. Guide pratique 42 : Bibliothèques, les nouveaux usages, SERDA 2011.

Bertrand Legendre, La fin d’un métier, colloque Enssib, 2009. Cristina Ion, La transmission de la culture professionnelle, intervention colloque, 2009. Anne-Marie Bertrand, L’identité professionnelle des bibliothécaires, ADBS, 2005 Yves Alix, L’ennemi dans la maison ou : les bibliothécaires face à eux-mêmes, intervention

journée d'étude Médiadix, 2005. Dominique Lahary, Le fossé des générations, Bulletin des bibliothèques de France, 2005, n°

3 Jean-Claude Utard, Entre clichés anciens et représentations réalistes, Bulletin des

bibliothèques de France, 2005, n° 1. Anne Kupiec, Qu'est-ce qu'un(e) bibliothécaire ?, Bulletin des bibliothèques de France,

2003, n° 1. Marianne Pernoo, Images et portraits de bibliothécaires, littérature, cinéma, intervention

colloque Enssib, 2003. Anne-Marie Bertrand, La transmission de l'implicite ou comment la culture

professionnelle vient aux bibliothécaires, Bulletin des bibliothèques de France, 2003, n° 1. Dominique Arot, Les valeurs professionnelles du bibliothécaire, Bulletin des bibliothèques

de France, 2000, n° 1. Dominique Lahary, Sous le statut, l'idéologie ?, Bulletin des bibliothèques de France, 2000,

n° 1. François Lapèlerie, La qualité essentielle du bibliothécaire, Bulletin des bibliothèques de

France, 1998, n° 6. Claude Khiareddine, Représentations du métier de bibliothécaire et évolution des

pratiques, Bulletin des bibliothèques de France, 1996, n° 6. Odile Riondet, Un regard extérieur sur l'identité professionnelle des bibliothécaires,

Bulletin des bibliothèques de France, 1995, n° 6.

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Bernadette Seibel, Évolution de la profession de bibliothécaire et conditions d’exercice du métier, Bulletin d’informations de l’ABF, n°139, 1988.

Mémoires d'étude :

Marie Garambois, Le métier de bibliothécaire à l'épreuve des stéréotypes : changer d'image, un enjeu pour l'advocacy, mémoire d’étude du Diplôme de conservateur de bibliothèques, Enssib, 2017.

Edwina Morize, L'identité sociale des bibliothécaires : enquête sur les professionnels des bibliothèques d’État et territoriales en France, mémoire du Master Politique des bibliothèques et de la documentation, Enssib, 2013.

Sonia Mourlan-Mazarguil, Les bibliothécaires, ennemis de la bibliothèque ?, mémoire du Diplôme de conservateur de bibliothèques, Enssib, 2012.

Anne Boraud-Membrède, Les bibliothécaires face aux techniques non-identitaires:discours et représentations, mémoire du Diplôme de conservateur de bibliothèques, Enssib, 2010.

Gaël Fromentin, L’image des bibliothèques à travers dix années d’articles du Monde, mémoire du Diplôme de conservateur de bibliothèques, Enssib, 2010.

Emilie Thiliez, Imaginaires et identités des bibliothécaires : entre mythes et réalités, mémoire d’étude du Diplôme de conservateur de bibliothèques, Enssib, 2007.

Agnès Audoin, Barbara Kotalska, Marie-Amélie Louveau, Construction de l'identité professionnelle des bibliothécaires, première étape, mémoire d’étude du Diplôme de conservateur de bibliothèques, Enssib, 2005.

Jacqueline Deschamps, Travail de diplôme et construction de l'identité professionnelle des bibliothécaires, mémoire de DEA, 1997.