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Méthodes mathématiques avancéesPour l’analyse économique

Lahcen OULHAJ

Professeur de sciences économiques

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Méthodes mathématiques avancées pour l’analyse économique Copyright © 2017 par OCP Policy Center. Tous droits réservés. Aucun élément de cet ouvrage ne peut être reproduit, sous quelque forme que ce soit, sans l’autorisation expresse des éditeurs et propriétaires.

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ISBN : 978-9954-9636-7-8Dépôt Légal : 2017MO2006

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A propos d’OCP Policy Center

OCP Policy Center est un think tank marocain « policy oriented », qui a pour mission de contribuer à approfondir les connaissances et à enrichir la réflexion autour de questions économiques et de relations internationales revêtant un enjeu majeur pour le développement économique et social du Maroc, et plus largement pour celui du continent africain. Porteur d’une « perspective du Sud », sur les grands débats internationaux ainsi que sur les défis stratégiques auxquels font face les pays émergents et en développement, OCP Policy Center apporte une contribution sur quatre champs thématiques majeurs : agriculture, environnement et sécurité alimentaire; développement économique et social ; économie des matières premières ; et géopolitique et relations internationales. Sur cette base, OCP Policy Center est activement engagé dans l’analyse des politiques publiques et dans la promotion de la coopération internationale favorisant le développement des pays du Sud, via ses travaux de recherche, ses conférences et séminaires et son réseau de jeunes leaders. Conscient que la réalisation de ces objectifs passe essentiellement par le développement du Capital humain, le think tank a pour vocation de participer au renforcement des capacités nationales et continentales en matière d’analyse économique et de gestion à travers sa Policy School récemment créée.

www.ocppc.ma

A propos de l’auteur

Lahcen Oulhaj est depuis le 22 février 2011, Membre du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE). Il est également président de la commission de l’analyse de la conjoncture au sein du même conseil. En parallèle, Oulhaj est professeur de sciences économiques, poste qu’il occupe depuis 1990, à l’université Mohamed V de Rabat-Agdal. Il enseigne aujourd’hui la philosophie en licence de science politique, l’économétrie et l’économétrie des données de panel ainsi que l’optimisation dynamique en master de sciences économiques, les méthodes quantitatives en master de science politique, et la politique économique en master des échanges euro-méditerranéens. Il a enseigné à la Faculté de Droit de Casablanca avant de rejoindre celle de Rabat.

Il a été Doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de l’université Mohamed V de Rabat-Agdal de janvier 2005 à septembre 2013. Il a été Chef du département de sciences économiques dans le même établissement entre 2000 et 2002. Il a aussi été membre de la Commission de la révision constitutionnelle mars-juin 2011. Nommé par le Roi au conseil d’administration de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) en juin 2002, il reste membre de ce conseil d’administration jusqu’en juin 2010.

Lahcen Oulhaj, titulaire du Doctorat d’état en sciences économiques en janvier 1995 et responsable du Laboratoire d’Economie Appliquée à la faculté de Droit de Rabat, a réalisé et encadré plusieurs projets de recherche pour FEMISE, depuis 1999 (membre du Streering Committee), plusieurs articles publiés dans différentes revues, et a encadré un grand nombre de thèses. Chercheur sur les questions politiques, linguistiques et anthropologiques, il a publié un manuel d’économie en 1985, un livre de grammaire amazighe en 2000, et Vocabulaire de l’amazigh moderne, en 2013.

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Abstract

Linear algebraSystems of linear equations and matrix transformationCalculusOrdinary differential equationsProbability and mathematical statisticsRandom variablesAsymptotic theoryVariational calculus

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Préface

Ce manuel est destiné aux étudiants des Masters de sciences sociales et, en par-ticulier, de sciences économiques. Il peut être utile aux étudiants de licence voulantapprofondir ce qu’ils ont appris dans ce cycle, en vue de se préparer au cycle sui-vant. Il peut également servir aux enseignants d’économie voulant réviser des notionsoubliées, faute d’utilisation, ou, carrément, découvrir des chapitres mathématiquesnouveaux, comme les systèmes linéaires d’équations ou le calcul des variations, qu’ilsn’ont jamais rencontrés durant leurs études.

Le présent livre commence par rappeler les notions d’algèbre matricielle, norma-lement, programmée en licence de sciences économiques.

Le chapitre 2 constitue un prolongement naturel du premier, en algèbre linéaire. Ilpropose l’étude des systèmes linéaires d’équations et les transformations de matrices,pour traiter de la décomposition des matrices, devenue un outil couramment utiliséen économétrie des séries chronologiques et des données de panel.

Le chapitre 3 reprend le calcul différentiel et intégral de licence et l’approfonditpour déboucher sur le calcul fractionnaire, resté longtemps à la marge des étudesmêmes de mathématiques. Ces notions de dérivées ou intégrales, en fait différinté-grales, d’ordres fractionnaires, en fait réels, sont de plus en plus utilisées en économie,notamment par les économistes de la London School of Economics, qui ont développéle modèle ARFIMA, F pour fractionnaire. Ces notions sont particulièrement utilesen économétrie financière.

Le chapitre 4 traite des équations différentielles ordinaires, lesquelles sont deve-nues indispensables dans l’étude des systèmes dynamiques en économie. On sait quela macroéconomie servant de cadre aux politiques économiques (conjoncturelles) estdevenue dynamique, depuis les travaux des économistes du cycle réel des affaires(Finn E. Kydland et Edward C. Prescott, entre autres) au début des années 1980.Ce modèle du cycle réel (RBC model), après avoir intégré des apports keynésiens etmonétaristes, est devenu le modèle DSGE (Dynamic and Stochastic General Equi-librium), qui constitue l’outil privilégié de la conduite de la politique monétaire, àtravers le monde, au moins jusqu’en 2008.

Le chapitre 5 rappelle et approfondit les cours de licence sur les statistiques etprobabilités. Il présente toutes les lois discrètes usuelles.

Le chapitre 6 prolonge le chapitre précédent en approfondissant l’étude des lois

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usuelles et variables continues uni et multidimensionnelles. Il présente également lafonction génératrice des moments, ainsi que les fonctions d’une variable aléatoirecontinue.

Le chapitre 7 présente des éléments de la théorie statistique asymptotique, lesmoments empiriques et les distributions empirique et théorique. Il traite égalementdes notions, très utiles à l’économiste statisticien, de convergence et les théorèmesfondamentaux de statistique.

Le dernier chapitre 8 introduit l’optimisation dynamique qui est au cœur del’analyse économique et s’attarde quelque peu sur le calcul des variations, resté depuisNewton, Euler et Lagrange, le seul outil de résolution des problèmes d’optimisationdynamique, jusqu’aux années 1950 qui ont vu l’élaboration du principe du maximumdu russe Pontryaguine et de la programmation dynamique de l’américain RichardBellman.

L.O., Rabat, octobre 2016

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Prologue

La question de l’utilisation des mathématiques en économie a longuement diviséles économistes, entre partisans de la mathématisation et défenseurs d’un discoursexclusivement littéraire. Au milieu du 20eme siècle, la question semblait avoir ététranchée en faveur des premiers. C’est ainsi que selon G. Stigler et al. 1, les articlesde revue n’utilisant ni graphiques ni formules mathématiques ne représentent que5.3 % de l’ensemble des articles en 1990, contre 95 % en 1892 ! C’est-à-dire que levingtième siècle a été celui de la mathématisation triomphante de l’économie, engrande partie grâce aux succès remportés par l’économétrie.

A vrai dire, le principal clivage, au 19eme siècle, était entre partisans du déducti-visme et ceux de l’inductivisme empirique. Adam Smith, Thomas Robert Malthus,comme David Ricardo étaient tous partisans de la déduction et donc de la logique.Les deux premiers basaient leur logique sur les faits empiriques et étaient donc aussiempiristes, comme l’était Aristote, dont l’empirisme et la logique dominaient lessciences morales comme les sciences naturelles, depuis sa redécouverte et consécra-tion, dans la doctrine catholique, par Saint Thomas d’Aquin (1224-1274). Celui-ci,après Aristote, considère que la connaissance est d’abord sensible, par les sens. Cequi est à l’opposé de la doctrine de Platon qui considère que la réalité est en-dehorsde l’être humain et que les sens de celui-ci ne lui donnent pas accès à la réalité in-telligible des formes (ou des idées) se situant dans un monde à part. On sait quec’est Platon qui a largement inspiré la première doctrine catholique qui a régné milleans durant, à travers l’évêque philosophe Saint Augustin, né à Tagaste (Souk Hrass,Algérie actuelle) en 354 et mort à Hippone (Annaba aujourd’hui) en 430.

David Ricardo ne basait pas sa logique sur des faits empiriques, mais sur deshypothèses. Sa méthode représente bien ce qu’on appelle le modèle hypothético-déductif largement dominant tout au long du 19eme siècle.

Les trois grands économistes cités ci-dessus n’utilisaient point de mathématiques.Mais, Ricardo avait tendance à raisonner sur des modèles théoriques qu’il pensaitutiles à la conduite de la politique économique, alors que Malthus s’opposait à la sur-simplification et généralisation auxquelles il impute toutes les erreurs et différencesd’analyses entre économistes.

1. Stigler, G., Stigler, S., Friedland, C. The Journals of Economics, Journal of Political Economy,105(2), 1995, pp. 331–59.

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Malthus considère que la réalité économique est complexe et changeante et queles modèles théoriques et les cadres conceptuels généraux ne peuvent pas en rendrecompte. Ricardo, par contre, considère que des modèles simples peuvent représenterdes phénomènes complexes différents.

Cette dispute entre Ricardo et Malthus a été suivie d’une autre controverse entreWalras et Edgeworth, en 1891, et elle sera ressuscitée dès le début du 20eme sièclepour en dominer la première moitié.

La controverse qui a opposé Léon Walras (1834-1910) et Francis Ysidro Edge-worth (1845-1926) porte sur le degré d’utilisation des mathématiques en économie.Walras considère que les mathématiques sont l’expression naturelle du raisonnementéconomique. Edgeworth et Alfred Marshall (1842-1924), en revanche, considèrent quele raisonnement déductif est essentiel, mais il ne constitue pas le mode de raisonne-ment de l’économiste.

Plus tard, Vilfredo Pareto (1848-1923), va adopter la position de Alfred Mar-shall et d’Edgeworth et va critiquer cette utilisation des mathématiques en économieen considérant qu’elle donne une apparente rigueur au raisonnement, alors que lesprémisses peuvent être douteuses.

Il y a eu aussi la dispute entre les deux grands économistes britanniques FrancisYsidro Edgeworth et Alfred Marshall, eux-mêmes. Le principal ouvrage du premier enéconomie est “Mathematical Psychics : An Essay on the Application of Mathematicsto the Moral Sciences ”, publié en 1881. William Stanley Jevons (1835-1882) et sonélève, Alfred Marshall, saluent la publication, même si ce dernier estime que l’ouvragenécessitait encore du travail dur pour le rendre plus simple à la lecture.

La position très critique de Marshall à l’égard de l’utilisation des mathématiquesen économie est résumée par un célèbre paragraphe de sa lettre à Arthur Bowley, en1906, où il dit : “ But I know I had a growing feeling in the later years of my workat the subject that a good mathematical theorem dealing with economic hypotheseswas very unlikely to be good economics : and I went more and more on the rules—(1) Use mathematics as a short-hand language, rather than as an engine of inquiry.(2) Keep to them till you have done. (3) Translate into English. (4) Then illustrateby examples that are important in real life. (5) Burn the mathematics. (6) If youcan’t succeed in 4, burn 3. This last I did often.” Il ajoute, dans la même lettre, laterrible phrase qui suit : “ And I think you should do all you can to prevent peoplefrom using Mathematics in cases in which the English language is as short as theMathematical.”

John Maynard Keynes (1883-1946) a eu comme professeur, Alfred Marshall, quia beaucoup fait pour qu’il devienne économiste. Keynes ne va pas tarder à adopterla position de son maître à l’égard de l’utilisation des mathématiques en économie,alors que sa thèse, publiée en 1921, a porté sur la théorie des probabilités.

Déjà dans sa Théorie générale (1936), il écrit que l’utilisation des mathématiquesen économie empêche l’économiste de voir la complexité et les interdépendances dumonde réel dans des symboles prétentieux et d’aucun secours. En 1938, il écrit àRoy Harrod que la conversion d’un modèle économique en formule détruit son utilitécomme instrument de pensée.

Lorsque la “Société d’économétrie, société internationale pour l’avancement de

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la théorie économique dans sa relation avec les statistiques et les mathématiques”, a été créée en 1930, en Amérique, par les jeunes économistes rassemblés par lenorvégien Ragnar Frisch qui pensait, comme le nom de la Société l’indique, queles mathématiques et les statistiques étaient essentielles pour procurer rigueur etcapacité de prédiction à l’économiste, Keynes réagit vigoureusement en ciblant lejeune économiste hollandais Jan Tinbergen (1903-1994). Ce dernier venait de publier,en 1939, un traité majeur sur la mise à l’épreuve statistique des théories du cycle desaffaires, dans le cadre des travaux du National Bureau of Economic Research.

La critique détaillée adressée par Keynes, en 1939, à Tinbergen, visait son ap-proche économétrique. La première critique considère que toutes les variables explica-tives ne peuvent être prises en compte. Il y a donc omission de variables et mauvaisespécification du modèle, chez Tinbergen. Keynes considère que la régression ne peutêtre ainsi que partielle et biaisée. La deuxième critique de Keynes visait la linéaritéet la normalité supposée par Tinbergen. Keynes critique aussi le choix du nombre deretards dans le modèle. Il considère que quand bien même le modèle est bien spéci-fié, les hypothèses a priori diffèrent d’un statisticien à un autre et conduisent à desconclusions différentes, et qu’il n’y a donc pas moyen d’obtenir la vérité objective etnon ambigüe. Keynes compare l’économétrie à l’alchimie.

Tinbergen répond à Keynes par un plaidoyer pour l’utilisation des mathématiquesen économie. Il adopte une position empiriste en considérant que la preuve peutguider la recherche de la vérité.

La position de Keynes est calquée sur celle d’Alfred Marshall qui considère que“les faits, en eux-mêmes, ne parlent pas” et qu’ils nécessitent toujours des hypothèsesa priori. Leur opposition aux mathématiques ne provient pas de l’empirisme qu’ilsrejettent. Pour eux, le raisonnement est essentiel et il doit être verbal et non mathé-matique. C’est ce que pensaient aussi Smith, Ricardo, John Stuart Mill, Schumpeteret Friedrich von Hayek (et l’école de Vienne, presque dans son ensemble).

Les arguments de Keynes sont forts. Ils ont d’ailleurs été pris en compte dans ledéveloppement des techniques économétriques au cours des années 1940 et 1950. Ce-pendant, l’instabilité des relations économiques évoquée par Keynes dans sa critiquede l’économétrie n’est pas recevable, du moins en macroéconomie, car la variabilitédes comportements individuels n’influence que marginalement les comportementsmoyens des populations. C’est que le comportement de l’ensemble est plus que lasomme des comportements individuels, il y a comme une sorte d’émergence, dansle passage de la microéconomie à la macroéconomie. C’est là l’origine du problèmed’agrégation posé par Edmond Malinvaud (1923-2015) 2 et ignoré par Keynes. Cedernier prétend faire de la macroéconomie, d’où le titre de son ouvrage en 1936,mais son traitement des fonctions d’investissement et surtout de consommation estmicroéconomique. Et, en microéconomie, domaine de Marchall aussi, l’instabilité estperceptible. Nous reviendrons plus tard à cette question importante.

Durant la seconde moitié du 20eme siècle, l’économétrie et l’économie mathéma-tique vont dominer, comme l’on a vu, dans l’enseignement économique des grandesuniversités internationales, comme dans la recherche économique.

2. Edmond Malinvaud, Théorie macroéconomique, 2 tomes, Editions Dunod, 1981–1982. Malin-vaud a posé ce problème d’agrégation dans les modèles input-output, dès 1954.

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Dans le domaine des sciences physiques, la découverte de la double nature dela lumière et du rayonnement donna lieu à des disputes violentes entre les tenantsde la physique classique déterministe, Einstein, Podolsky et Rosen et les défenseursde l’esprit de l’école de Copenhague, Bohr, Planck, de Broglie, Pauli, Heisenberg,Schrödinger, Dirac . . . Les premiers refusaient l’incertitude de Heisenberg, l’action àdistance et considéraient que le chat de Schrödinger ne pouvait être que soit bienmort, soit bien vivant. On connaît la formule célèbre d’Albert Einstein, selon laquelle“ Dieu ne joue pas aux dès ”. Mais l’on connaît aussi la réponse de Bohr : “ ce n’estpas à toi, Einstein, de dire à Dieu ce qu’il doit faire ” !

Le test de Bell semble avoir tranché en faveur de Bohr, et la physique quantiquea continué triomphalement son chemin, depuis.

Aujourd’hui, les sciences sociales, représentées par l’économie, et les sciences phy-siques semblent avoir convergé vers le même paradigme épistémologique 3. Pour unefois, l’économie a quelque peu précédé la physique dans la modélisation stochastique.

Il est vrai que la physique classique déterministe utilise les mathématiques depuisGalilée et Newton. Il est vrai que les succès indéniables de la mathématisation de laphysique ont exercé une fascination sur les économistes. Il y a eu ce qu’on pouvaitappeler une envie de physique en économie. Plusieurs économistes ont cédé à cetteenvie et ont développé l’économie mathématique. Mais, les lois économiques n’étantpas déterministes, la mathématisation ne pouvait pas emporter le consensus et l’on avu l’opposition à ce mouvement par de grands économistes. Maintenant que la phy-sique, elle-même, est devenue probabiliste, la mathématisation de fait de l’économiesemble être acceptée partout.

Ce paradigme épistémologique vers lequel ont convergé les sciences physiques etl’économie, au 20eme siècle ne peut pas être le paradigme aristotélicien. Nous avonsvu que la philosophie de la connaissance d’Aristote correspond à l’empirisme, c’est-à-dire à la connaissance sensible : Nous accédons à la réalité par le moyen de nos sens.On sait aussi que Aristote a rejeté la distinction platonicienne entre l’âme et le corps,en considérant que la première est faite pour le second et que les deux ne font qu’uneseule substance, c’est-à-dire que l’âme ne survit pas à la dissolution du corps. Mais, ilreconnaît tout de même l’existence de la plus noble partie de l’âme, immortelle qu’ilappelle l’intellect-agent qui est unique pour tous les hommes. Aristote a égalementrejeté la théorie platonicienne des formes ou des idées. Si bien que, pour lui, touteconnaissance dérive, en définitive, de la sensation.

Cet empirisme aristotélicien ne pouvait convenir qu’aux sciences naturelles d’an-tan, lesquelles excluaient les mathématiques qui menaient leur vie séparément. Lesmathématiques existaient-elles en dehors de nos esprits ? Etaient-elles découvertesou inventées ? Les mathématiciens étaient divisés là-dessus.

Aujourd’hui, la physique et les mathématiques ont largement fusionné. La réalitéphysique se confond avec ce qu’en disent les mathématiques. L’empirisme n’est plusde mise. Le retour à Platon est inévitable. Pour lui, la connaissance c’est l’accèsaux formes et la connaissance sensible n’est pas une vraie connaissance. Les sensne permettent d’accéder qu’à l’apparence des choses. En effet, nos sens sont très

3. Collectif sous la direction de Michel Bitbol, Théorie quantique et sciences humaines, CNRSEditions, Paris, 2009.

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imparfaits : on ne voit avec nos yeux qu’une partie négligeable de la réalité, onn’entend qu’une infime partie des vibrations existantes . . . La réalité accessible parles sens est changeante et chaotique. C’est avec notre esprit que nous ordonnons,nous classons et surtout nous réduisons les objets à l’essentiel pour les grouper,en faisant abstraction des différences entre les individus. C’est avec notre espritque nous accédons aux formes, c’est-à-dire aux classes immuables, c’est-à-dire auxmathématiques qui constituent la véritable connaissance, la réalité intelligible.

On sait que pour Platon, la vraie connaissance est la connaissance intellectuelle.Elle consiste à voir dans les objets particuliers, ce qu’il y a de général. Ces idéesou ces formes, existent- elleshors de l’esprit ? Platon répond par l’affirmative. Ellessont éternelles et immuables, et l’âme immortelle, avant son union au corps, se trou-vait dans le monde intelligible des idées. L’esprit en conserve des images et l’âmecontemple donc les idées par l’intermédiaire des sens. Donc, pour atteindre le réel, ilfaut commencer par sacrifier ce qui nous semble être réel, s’arracher à l’emprise del’apparence, à la recherche de la vérité scientifique et du bonheur.

S’il est difficile de suivre Platon sur cette théorie de la réminiscence, il est aisé dele faire pour ce qui est de l’existence d’un monde des mathématiques séparé de notremonde mental et du monde physique. C’est ce que fait le grand savant contemporainRoger Penrose 4. Ce dernier présente, dans son livre, une démonstration convaincantede l’existence séparée et indépendante de ce monde des mathématiques, en disantque “ la précision, la fiabilité et la cohérence nécessaires à nos théories scientifiques,exigent quelque chose qui aille au-delà de n’importe lequel de nos esprits individuels”, lesquels “ sont imprécis, peu fiables et incohérents dans leurs jugements”. Penrosepose la question de comment savoir que quelqu’un raisonne ou déraisonne si l’on n’apas une norme extérieure, un monde objectif et transcendant nos subjectivités.

Le grand philosophe Immanuel Kant (1724-1804) a pratiquement repris la théorieplatonicienne de la connaissance en considérant que la connaissance sensible est im-possible, en ce sens que les objets en soi nous sont totalement inaccessibles. Il reprendla distinction entre objet et forme. La forme accessible par les sens est l’espace et celleaccessible par la conscience est le temps. Il adopte une position intermédiaire entrel’empirisme de Hume et l’innéisme de Descartes. Toutefois, la physique moderne,tant la relativité générale d’Einstein que la physique quantique mettent à mal cettethéorie des formes de Kant. Platon demeure la référence en matière de philosophie dela connaissance. C’est sous son paradigme épistémologique que s’unifient les sciencesnaturelles et les sciences sociales. La mathématisation de l’économie en constitue uncorollaire. Et le consensus semblait acquis autour de cela depuis le milieu du siècledernier.

Cependant, en novembre 2008, la Reine Elisabeth II rend visite à la LondonSchool of Economics et interroge les professeurs d’économie de la prestigieuse insti-tution sur la raison pour laquelle les économistes n’ont pas prédit la crise financièreet économique mondiale qui venait de se déclencher en Amérique et qui avait touchél’Europe et l’ensemble de la planète. La question royale relance la controverse autourde l’utilisation des mathématiques en économie.

En juin suivant, une conférence fut organisée par l’Académie britannique, autour

4. Roger Penrose, à la découverte des lois de l’univers, éditions Odile Jacob, Paris, 2007.

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de la question de la Reine. Une lettre, en guise de résumé de la réponse apportée parla conférence, lui a été envoyée, le 22 juillet 2009, par les professeurs Tim Besley etPeter Hennessy de cette Académie.

La lettre affirme que plusieurs personnes ont prédit la crise. Mais, les prédictionsne précisent ni la forme, ni le moment, ni la gravité de la crise. Elle considère quela prédiction du moment de la crise est essentielle pour l’action politique préventive.Il y a eu des avertissements sur les déséquilibres dans les marchés financiers et dansl’économie mondiale. La réponse des professeurs rappelle les avertissements de laBRI et de la Banque d’Angleterre. Mais, les risques systémiques ne pouvaient pasêtre vus.

Elle rappelle qu’avant la crise, il y a eu une période de croissance mondiale sansprécédent, laquelle croissance a enregistré une amélioration des niveaux de vie demillions de personnes dans les pays pauvres et, particulièrement, en Chine et enInde. Mais, cette prospérité a provoqué un excès d’épargne globale. Ceci a conduità des rendements bas pour les investissements sûrs de long terme. Cette situation aamené les investisseurs à chercher une rentabilité plus grande au prix de plus grandsrisques. Les Etats-Unis, comme le Royaume Uni ont bénéficié de cette montée de laChine qui a abaissé les coûts de beaucoup de biens que ces pays achètent et profitéde l’accès au capital dans le système financier. Il est ainsi devenu facile pour lesménages et entreprises d’emprunter. Mais, cela a conduit à une hausse des prix deslogements. Et plusieurs ont lancé des avertissements à ce sujet. Toutefois, contre lesavertissements, les gens font confiance aux banques et considèrent qu’elles savent cequ’elles font. Il existait aussi une croyance ferme que les marchés financiers avaientchangé et les politiques étaient fascinés par ces marchés. Ces vues ont été renforcéespar les modèles économiques et financiers dont les prédictions des petits risques àcourt terme étaient bonnes. Personne n’acceptait cependant qu’il pût se tromper. Ily avait un sentiment général que tout allait bien, une sorte de déni et d’illusion. Onpensait qu’on pouvait toujours traiter les conséquences de l’éclatement d’une bulle,comme celle des dot.com au tout début du siècle présent. En plus, l’inflation était sibasse qu’on ne pouvait pas saisir que l’économie était surchauffée. On pensait queles autorités monétaires ne devaient s’occuper que de prévenir l’inflation et qu’ellesne devaient pas s’occuper de contrôler les déséquilibres de l’économie.

La lettre met le doigt sur ce qui n’allait pas : chacun pensait agir correctement etl’échec était collectif, au niveau duquel aucune autorité n’était en charge. Les petitsrisques individuels étaient vus, mais les grands risques systémiques ne l’étaient pas.En résumé, la réponse à la question royale affirme que l’incapacité de prédire letiming, la gravité et l’étendue de la crise et de la juguler est l’échec de l’imaginationcollective à comprendre les risques du système dans son ensemble.

Par ailleurs, pour expliquer la crise financière et économique de 2008, certainsanalystes ont accusé la nature des modèles mathématiques utilisés dans les marchésfinanciers. Mais, personne n’a remis en question la mathématisation elle-même, del’économie et de la finance.

En revanche, dans nos universités marocaines, cette controverse autour de l’uti-lisation des mathématiques en économie n’a jamais cessé. C’est que l’enseignementde l’économie au Maroc, comme dans beaucoup d’universités françaises, est resté en

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dehors du courant mondial dominant. La plupart des professeurs, étant eux-mêmesformés dans une économie marxisante, faisant davantage du matérialisme historiqueque de l’analyse économique positive, ont entretenu un enseignement de discours plu-tôt littéraire dans nos universités. Et, à chaque fois que des professeurs formés dansdes universités anglo-saxonnes, pour la plupart, tentaient soit de sortir de la forma-tion idéologique partisane ou d’introduire un formalisme plus ou moins mathématisé,on assistait à une levée de boucliers.

Dans ce prologue, nous essayons de montrer l’utilité et la nécessité d’un enseigne-ment, de bon niveau, des mathématiques aux étudiants de sciences économiques. Ils’agit, pour nous, de légitimer le contenu du présent ouvrage destiné aux étudiantsde Master en sciences économiques.

Cette légitimation nous semble nécessaire dans la mesure où certains étudiantsnous posent ouvertement ces questions d’utilité et de nécessité des mathématiquespour les sciences économiques. Il faut dire que même certains enseignants d’économiesont opposés, sinon à l’enseignement des mathématiques, du moins à l’enseignementde ce qu’ils appellent les mathématiques pures. Ils demandent à ce que seules lesmathématiques “appliquées”, genre mathématiques financières, soient enseignées enlicence de sciences économiques.

Pour défendre l’utilisation des mathématiques en économie et légitimer le contenudu présent ouvrage, nous présentons ci-après une argumentation plutôt pragmatique,en donnant la parole à deux professeurs, Gregory Mankiw (né en 1958) et le grandéconomiste néoclassique Irving Fisher.

Un étudiant de Bachelor en économie à l’université de Michigan, pose, le 15 sep-tembre 2006, au professeur Gregory N. Mankiw de l’université de Harvard, sur sonblog (Greg Mankiw’s blog, Random Observations for Students of Economics), la ques-tion suivante : “les économistes, utilisent-ils réellement toutes ces mathématiques ?” “Les économistes du FMI et de la Banque mondiale, utilisent-ils les mathématiques ?” Evidemment, à non pas douter, la question qui est derrière est “pourquoi vous nousenseignez autant de mathématiques”.

La réponse de Mankiw (auteur du célèbre manuel de Macroéconomie) à la ques-tion est de savoir pourquoi nous, universitaires, voulons que les étudiants en écono-mie, aient un bon niveau en mathématiques. Il avance 5 raisons à cela.

i- Tout économiste a besoin d’une formation solide en théorie économique et enéconométrie et, pour cela, il a besoin de comprendre le langage mathématiqueutilisé par cette théorie économique et par l’économétrie ;

ii- Dans la vie professionnelle, pour lire la littérature économique académiquerelative à la politique économique, on a besoin de mathématiques utiliséesabondamment par cette littérature ;

ii- Les mathématiques sont un bon entrainement pour l’esprit. Cela fait de vousun penseur rigoureux ;

iV- Pour mesurer le degré d’intelligence (IQ), les mathématiques sont privilégiées ;

v- Les programmes de sciences économiques cherchent à former les étudiantsdavantage pour la recherche scientifique que pour l’activité professionnelle.Nous, enseignants, enseignons donc ce que nous savons pour ce que nous

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faisons. Nous ne sommes pas nécessairement versés dans ce que font les pra-ticiens. Ces derniers, n’ont-ils pas besoin d’autant de mathématiques ? Celaest possible. Mais, si un étudiant veut faire un doctorat et donc aller versl’enseignement et la recherche, il a intérêt à avoir une formation solide enmathématiques.

Avec les mathématiques, on apprend donc la précision et on évite les contra-dictions et l’incohérence dans le raisonnement. Rien que pour cela, il ne faut pashésiter à apprendre les mathématiques. Mais, si l’on veut être économiste et com-prendre ce qu’écrivent les pairs dans les revues, on ne pourra pas faire l’économied’une formation solide en mathématiques.

Irving Fisher (1867-1947), considéré par Joseph Schumpeter, James Tobin etMilton Friedman, comme le plus grand économiste américain de tous les temps, aété formé par le physicien théoricien Willard Gibbs (1839-1903) et par le sociologueGraham Sumner, qui ont codirigé sa thèse de doctorat. Il a fait des contributionsmajeures aux théories néoclassiques de l’utilité et de l’équilibre général. Sa thèse,soutenue à Yale, en 1892, a porté sur les “recherches mathématiques sur la théoriede la valeur et des prix”.

Irving Fisher a été président de l’association américaine d’économie en 1918. Il aparticipé à la fondation de l’association d’économétrie en 1930 et a été son premierprésident. En 1929, il a été choisi par l’association américaine de mathématiquespour donner la 17eme conférence Josiah Willard Gibbs.

Dans sa conférence, donnée le 31 décembre 1929, Fisher commence par exprimersa vénération pour J. Willard Gibbs, dont il était élève quarante ans auparavant.Il explique que c’était par accident qu’il est passé de la physique théorique et desmathématiques à l’“application des mathématiques aux sciences sociales ”, sujet choisipour sa conférence. Il précise tout de même que son enthousiasme pour la conférencene lui vient pas uniquement de sa vénération pour Gibbs, que Lord Kelvin et d’autresconsidèrent comme le Sire Isaac Newton de l’Amérique. D’autres savants placent lethermodynamicien Gibbs au rang de Newton, Lagrange et Hamilton.

Pour donner des éléments d’explication de tant de vénération pour Gibbs, I. Fi-sher affirme que son maître essaie toujours de placer son raisonnement à un niveaugénéral et d’obtenir le maximum de résultats à partir d’un minimum d’hypothèses.Gibbs a toujours considéré que “le tout est plus simple que ses parties”, ajoute Fi-sher. Il considère que nous devons toujours commencer par essayer de résoudre lecas général. Les cas particuliers en découleront. Il n’y a donc pas besoin de faire desexpériences. Il faut se contenter de faire des déductions à partir d’anciens résultatsgénéraux. Gibbs élabora ainsi l’analyse vectorielle en simplifiant le système des qua-ternions de Hamilton, en s’inspirant de Grassmann. Fisher précise que Gibbs étaitmathématicien, mais ne s’intéressait pas tant aux mathématiques en tant que telles,mais à leurs applications ; non pas tant à la forme, mais à la substance.

Fisher a été formé en mathématiques, ou, plus exactement, en applications desmathématiques, en méthodes géométriques et en analyse vectorielle, par Gibbs, etinitié aux sciences sociales par le sociologue Sumner. Il applique ces méthodes danssa thèse. Il déplore le fait qu’il y ait peu de monde formé dans les deux champs,comme lui et le norvégien Ragnar Frisch qui ne pouvait plus se passer de l’analyse

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vectorielle. Fisher souhaite que l’utilisation de cette analyse se développe en sciencessociales, au moins comme support et vecteur de la pensée.

Fisher affirme que le calcul différentiel et intégral était utilisé par les économistesmathématiciens et statisticiens. Mais, les mathématiques ainsi utilisées demeurentélémentaires, à ses yeux, car, dit-il, il existe un proverbe cité par Gibbs qui dit que“le cerveau humain n’a jamais pu inventer une machine à rendement de travail aussiélevé que celui de l’algèbre”.

Dans sa conférence, Fisher cite les quatre domaines de science sociale auxquelsles mathématiques ont été, ou ont pu être, appliquées. Il s’agit de :

i- L’économie pure ;

ii- Le lissage des séries ou l’ajustement de courbes (régression) ;

iii- La corrélation ;

iv- Les probabilités.

Il passe en revue les principaux travaux effectués dans ces champs, y compris lessiens. Il évoque les contributions majeures de Cournot, d’Edgeworth, de Marshall etde Jevons, sans oublier Walras et Pareto, Pantaleoni et Baroni ainsi que Wicksell. Ilévoque également ses contemporains, d’abord américains, comme Henry Moore, J.H. Rogers, C. F. Roos, C. Evans, H. Schultz, H. Hotelling et, ensuite, non-américains,comme J.M. Keynes, Pigou et plusieurs autres économistes de France, d’Allemagne,de Scandinavie et d’ailleurs. Il parle de petite bande d’utilisateurs de mathématiquesqui continuent tout de même à décrier cette utilisation.

Fisher loue les mathématiques pour la précision et la concision qu’elles apportentau raisonnement économique et pour les grands services qu’elles rendent à l’investi-gation dans le domaine social. Les mathématiques permettent d’éviter des confusionset les doubles emplois ou comptages.

Fisher insiste sur le fait que le “monde économique est un monde à n dimensions”,dans la mesure où les variables économiques, comme le prix d’un bien ou l’utilitémarginale, sont des fonctions, non d’une seule variable, mais de plusieurs.

Il ajoute aux quatre domaines ci-dessus, celui des indices. Il évoque la distinctionentre flux et stock. Il fait allusion à la régression, à la science actuarielle . . . Il affirmeque “tôt ou tard, toute véritable science tend à devenir mathématique”. Et l’économieest simplement en léger retard (en 1929) pour atteindre le niveau de l’astronomie, laphysique et la chimie, alors que la biologie est plus en retard.

En conclusion, Fisher affirme avec force que la méthode scientifique est une,qu’elle soit appliquée à un domaine ou un autre. Il reprend Gibbs selon qui lesmathématiques sont un langage plus précis et plus complet que le langage ordinaire.Et il prévoit un avenir radieux pour un développement sain des mathématiques ensciences sociales.

En définitive, pour le grand économiste Fisher, l’utilisation des mathématiquesen économie est naturelle, utile et nécessaire. Elle est efficace et son avenir ne faitaucun doute. Fisher ne cherche pas à défendre l’utilisation des mathématiques enéconomie. Il pratique. Il applique les mathématiques aux sciences sociales sans seposer de question. Pour lui, il n’y a qu’une seule méthode scientifique et la seule

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voie, pour les sciences sociales de devenir de véritables sciences, est d’utiliser lesmathématiques.

J’aurais pu procéder comme Fisher, au lieu de chercher à justifier une formationsolide en mathématiques, pour les économistes. J’aurais pu me contenter de pratiquernaturellement, moi, qui suis devenu économiste un peu par hasard, étant originairedes sciences de l’ingénieur. Mais, conscient de la responsabilité que j’ai prise dans laréforme des études économiques, en 2002-3, puis en 2008, et dans la mise en placedu Master de sciences économiques, d’orientation quantitative, ce prologue se veutcomme une sorte de plaidoyer en faveur de la direction prise, laquelle n’a pas toujoursété accueillie favorablement.

Toutefois, a-t-on encore besoin, en 2016, de continuer à défendre l’utilisation desmathématiques en économie, alors que l’économie est presque totalement mathéma-tisée de fait ? En effet, il n’y a pas que la traditionnelle économie mathématique quisoit mathématique, comme son nom l’indique. La théorie économique pure est, elle-même, mathématisée à un niveau de loin supérieur à celui de Léon Walras, ou mêmede son successeur à Lausanne, Pareto. Puis, toute la recherche empirique, largementdominée par les méthodes économétriques, recourt à des méthodes mathématiques deplus en plus sophistiquées, aidées en cela par le développement de l’outil informatiqueet le big data que ce dernier, combiné à Internet et à toutes sortes de technologiesnouvelles, a permis.

Le résultat est que les revues économiques sont peuplées, presque exclusivement,d’équations et de formules mathématiques. Aujourd’hui, un économiste exclusive-ment littéraire est incapable de comprendre les articles de revues et de contribuer àla recherche académique en économie.

Evidemment, l’économie mathématique est ancienne. Elle remonte à WilliamPetty (1623-1687), à Giovanni Ceva (1647-1734) et, surtout, à Antoine AugustinCournot (1801-1877). Parmi ces fondateurs, il faut aussi citer Alfred Marshall (1842-1924) et Irving Fisher dont il a été longuement question.

On peut dire que cette mathématisation est devenue dominante dans la théorieéconomique de l’équilibre général, au 20eme siècle, avec des économistes mathémati-ciens comme Kenneth Arrow (né en 1921) et Gérard Debreu (1921-2004). Une autrethéorie s’est développée comme économie mathématique dès son origine. C’est lathéorie du cycle des affaires élaborée par Wesley Clair Mitchell (1874-1948) et sesdisciples dans le cadre du National Bureau of Economic Research, à partir de 1913.

Un autre domaine largement mathématisé, dès ses débuts, a été appelé “ phy-sique sociale” par son fondateur Adolphe Quételet (1796-1874). Ce domaine concernela statistique et la démographie. Il est construit autour de l’important concept del’homme moyen que cet auteur a forgé.

La discipline née en 1930 et qui va s’imposer comme “the main stream” en éco-nomie, à partir des années 1950-1960, est l’économétrie, voulue, dès l’origine, parson principal créateur, Ragnar Frisch (1895-1973), comme application des mathé-matiques à l’économie, à l’image des sciences physiques. Elle va cependant intégrer,pratiquement dès ses débuts, en 1944, les probabilités et l’ancienne théorie des erreursélaborée par Gauss, dans les cadres de l’astronomie et de la géodésie, et se distin-guer de l’économie mathématique du cycle des affaires ou de la théorie de l’équilibre

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économique général.L’économétrie a beaucoup évolué depuis sa fondation institutionnelle en 1930.

Scientifiquement, elle est née comme activité de construction de grands modèlesmacroéconomiques composés de plusieurs équations linéaires mettant en relation desvariables macroéconomiques. Ces modèles ont d’abord été l’œuvre de Tinbergen,dans le cadre de la Société des Nations, créée après la première guerre mondiale etdont le siège a été établi à Genève, en Suisse.

Aujourd’hui, on ne peut guère échapper à ces différents domaines mathématisésde l’économie. Ne pas étudier les mathématiques, c’est vouloir rester en dehors deces domaines, c’est-à-dire en dehors de l’essentiel en économie.

L.O., Rabat, octobre 2016

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