Monologues et sololiloques – vol. 2

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PETITE BIBLIOTHÈQUE DES ARTS Monologues et soliloques Vol. 2

description

Dans ce recueil de monologues et soliloques – dont le but essentiel est de fournir aux actrices un choix de textes praticables lors d’essais et d’auditions –, l’on a préféré un critère de pure « efficacité » à celui d’une minutieuse systématisation scolastique.

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Monologues et soliloquesVol. 2

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PETITE BIBLIOTHÈQUE DESARTSCollection didactique à l’usage des étudiants

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Giuseppe Manfridi et Flaminia Iacoviello

Monologues et soliloques50 tirades du répertoire contemporain

pour actrices en solo

Vol. 2

GREMESE

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Titre original : Monologhi e soliloqui – Vol. 1Copyright GREMESE2007 © E.G.E. s.r.l. – Rome

Traduction de l’italien de l’introduction (p. 7-10) : Catherine HemeryTraduction de l’italien des chapeaux introductifs et des notes pour l’inter-prète (p. 11, 12, 17, 18, 20, 21, 23, 24, 33, 34, 61, 62, 67, 68, 73, 74, 79, 80,83, 84, 95, 96, 101, 102, 104, 105, 113, 114, 127, 128, 138, 139, 141, 142,155, 156, 160, 163, 166, 167) :Mélanie Fusaro

En couverture :Pamela Villoresi dans Lo Scialo de Vasco Pratolini (mise en scène de MarcoSciaccaluga)

Conception graphique, couverture et mise en pages :Graphic Art 6 s.r.l. – Rome

Imprimé par :C.S.R. – Rome

Copyright édition française :GREMESE2011 © E.G.E. s.r.l. – Romewww.gremese.com

Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite, enre-gistrée ou transmise, de quelque façon que ce soit et par quelque moyen quece soit, sans le consentement préalable de l’Éditeur.

ISBN 978-88-7301-719-6

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SOMMAIRE

Introduction – Être le seul à parler, ou parler seul . . . . 7

Woody Allen, Hannah et ses sœurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11Fernando Arrabal, Les Deux Bourreaux . . . . . . . . . . . . . . 14Michel Azama, Croisades . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17Howard Barker, Tableau d’une exécution . . . . . . . . . . . . . 20Ingmar Bergman, Scènes de la vie conjugale . . . . . . . . . . 23Steven Berkoff, Décadence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26Thomas Bernhard, Acquittement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30Michel Marc Bouchard, Les Muses orphelines . . . . . . . . . 33Georg Büchner, La Mort de Danton . . . . . . . . . . . . . . . . . 36Albert Camus, L’État de siège . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39Elias Canetti, Les Sursitaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42Louis-Ferdinand Céline, Progrès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44Jana Cerná et Egon Bondy, La Fille qui cherche . . . . . . 46Miguel de Cervantès, Don Quichotte . . . . . . . . . . . . . . . . 50Paul Claudel, Le Soulier de satin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55Jean Cocteau, L’Aigle à deux têtes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57Dario Fo et Franca Rame, La Maman bohème . . . . . . . . . 61Michael Frayn, Copenhague . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64Athol Fugard, Hello and Goodbye. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67Federico García Lorca, Noces de sang . . . . . . . . . . . . . . . 71Jacob et Wilhelm Grimm, La Maisonnée . . . . . . . . . . . . . 73Christopher Hampton, Les Liaisons dangereuses . . . . . . . 75Heinrich von Kleist, Penthésilée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77Bernard-Marie Koltès, Le Retour au désert . . . . . . . . . . . 79Jean-Luc Lagarce, J’étais dans ma maisonet j’attendais que la pluie vienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

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Luigi Lunari, Le Sénateur Fox . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87Giuseppe Manfridi, Giacomo le tyrannique . . . . . . . . . . . 91Philippe Minyana, Inventaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95Yukio Mishima, Madame de Sade . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98Montesquieu, Lettres persanes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101Alfred de Musset, Il faut qu’une porte soit ouverteou fermée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104Eugene O’Neill, Anna Christie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107John Osborne, Jeune homme en colère . . . . . . . . . . . . . . . 111Joël Pommerat, Cet enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113Rainer Maria Rilke, Aux premiers froids . . . . . . . . . . . . . . 117Henri-Pierre Roché, Deux Anglaises et le continent . . . . . 120Annibale Ruccello, Ferdinando . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124José Sanchis Sinisterra, Ay Carmela . . . . . . . . . . . . . . . . . 127Manlio Santanelli, L’Aberration des étoiles fixes . . . . . . . 132Jean-Paul Sartre, Les Mouches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135Marcelle Sauvageot, Laissez-moi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138Werner Schwab, Extermination du peuple. . . . . . . . . . . . . 141George Bernard Shaw, Sainte Jeanne . . . . . . . . . . . . . . . . 144Ignazio Silone, L’Aventure d’un pauvre chrétien. . . . . . . . 147Jean Tardieu, Il y avait foule au manoir. . . . . . . . . . . . . . . 153Michel Tremblay, Les Belles-Sœurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155Franz Wedekind, Lulu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158Virginia Woolf, La Promenade au phare . . . . . . . . . . . . . . 160InoueYasushi, Le Fusil de chasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163MargueriteYourcenar, Électre ou la Chute des masques. . 166

Index bibliographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169

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INTRODUCTION

Être le seul à parler, ou parler seul

Entre monologue et soliloque, il y a une différence. L’étymo-logie peut déjà nous éclairer. Le monologue est le discoursd’une personne en présence d’autres personnes (un orateur ouun bavard qui ne laisse pas parler ses interlocuteurs), alors quele soliloque est le discours flatus vocis d’une personne vrai-ment seule. Un soliloque est donc toujours un monologue,mais l’inverse n’est pas obligatoire.Un célèbre exemple de soliloque est le To be or not to be

d’Hamlet, qui se lance dans une élaboration philosophique surla scène déserte, ce qui n’arriverait jamais dans la réalité. Àquelques exceptions près (quelqu’un, par exemple, qui grom-melle tout seul, apparemment sans raison) le soliloque fait tou-jours appel à un artifice théâtral absurde que le spectateuraccepte de prendre pour vraisemblable, (Giacomo Leopardi,peu attiré par les us et coutumes de la dramaturgie, critiquemême Shakespeare dans Zibaldone, parce que, écrit-il, « un in-dividu, à moins qu’il ne se trouve en compagnie, peut se plain-dre ou s’abandonner à ses réflexions, mais en général jamais àhaute voix »).Et pourtant, de tout temps, le théâtre, du IVe siècle av. J.-C.

à nos jours, a beaucoup utilisé le soliloque, ne fût-ce que pourexposer clairement le sujet de la pièce. Beaucoup de pro-logues n’ont qu’un but, celui de présenter dès le début au pu-blic, le thème et les personnages de la représentation théâtralequi va se dérouler. Dans Agamemnon d’Eschyle, par exemple,

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la sentinelle de garde sur les murailles de Mycènes nousdonne un aperçu de la guerre de Troie, nous disant enquelques vers, la chute de la ville, la crainte du retour du roiAgamemnon par son épouse adultère qui complote sa mortavec son amant Egisthe. Tout est dit, à personne en particulierapparemment, mais en fait aux spectateurs sur les gradins.Passons aux monologues qui ne sont pas des soliloques. La

présence de personnages appelés deutéragonistes est crucialecar le monologue peut se dérouler grâce à leur écoute silen-cieuse et grâce aussi à l’artifice (cité auparavant) de l’accordtacite du public : « Je sais que tout cela ne peut exister, mais jefais semblant d’y croire quand même. » Le Tabac fait mal deTchekhov, est un emblème du genre ; un fumeur invétéré estcontraint par son épouse à faire un discours, dans un club defemmes, sur les méfaits du tabac. Le public est ici deutérago-niste car il joue le rôle de l’auditoire auquel le bonhomme estcensé s’adresser.La présence du deutéragoniste est parfois implicite. Il est

invisible, derrière une porte fermée ou bien à l’autre bout dutéléphone comme dans la La Voix humaine de Cocteau, déchi-rante conversation téléphonique d’une femme avec l’hommequi est en train de l’abandonner. Il s’agit toujours, de toute fa-çon, d’un deutéragoniste et l’interprète doit en tenir compteen faisant semblant de savoir qu’elle parle à quelqu’un quil’écoute.D’autre part, dans le cas de certains monologues tirés de

contextes plus importants, des interlocuteurs silencieux peu-vent être considérés comme présents par le personnage et parles spectateurs, alors qu’en fait ils sont absents, pendant la dé-clamation du morceau en question. Cette difficulté se présenteassez souvent aux auditions. Il faut donc habilement, changerde tons, d’attitudes, de comportements pour donner corps àdes fantômes qui ne doivent pas être des fantômes, mais biendes créatures concrètes en chair et en os (nous en avons unexemple dans ce recueil : Anna Christie d’O’Neill).

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Après cette discussion volontairement technique, nousvoudrions vous signaler quelques caractéristiques de ce re-cueil. En premier lieu, il est bon de préciser qu’il n’est pasdans notre intention de faire ici un excursus de l’histoire duthéâtre, du point de vue curieux du monologue ou du soli-loque. Plus simplement nous avons essayé de vous aider àvous exercer ou, si l’occasion se présentait, de participer à uncasting. Autrement dit, nous avons choisi d’être efficaces plu-tôt qu’académiques. Si bien que grand nombre de ces mor-ceaux choisis ne viennent pas du répertoire théâtral au sensstrict du terme, mais de la littérature, du cinéma et aussi, dansdeux ou trois cas, de correspondances. Ce recueil, enfin n’apas pour but de vous offrir la fine fleur du théâtre contempo-rain mais bien de vous être utile. Comment justifier sinon,l’absence de Pirandello ou Pinter, alors que sans hésiter, nousavons inséré des auteurs (encore) peu connus, des approchesmoins académiques, plus originales et souvent singulièresquant au défi que représente un rôle quasiment inédit qui nejouit pas encore de l’aval de la tradition.Puis, nous avons fait de certaines exceptions des occasions

en or, et si ce vagabondage anarchique dans l’âme féminine decette collection de morceaux à une voix s’est limité au do-maine de la modernité, nous avons aussi basculé des sièclesen arrière avec Cervantès, mais, en lisant le passage, vous al-lez découvrir combien cela en valait la peine.Avec certaines particularités du mythe, se révèle également

l’univers des grandes tragédies grecques, avec l’énormité deses fables primitives et de ses personnages titanesques. Toute-fois, le ton du recueil reste complessivement lié à la culturecontemporaine, héritage du siècle dernier et de l’Occident en-clin désormais à échanger et à transmettre ses propres valeursà la vaste étendue promiscue de la société globale.Les notes pour l’interprète ont pour but de donner des indi-

cations de bon sens, en particulier, pour choisir un rôle plutôtqu’un autre. Outre une idonéité psychologique, il faut donner

Introduction

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aussi au personnage une ressemblance anagrafique et soma-tique, ce qui, laissé souvent de côté avec trop de désinvolturefait presque toujours mauvaise impression. On ne peut pas in-terpréter Juliette à 40 ans, ni Mère Courage à 20 ans. D’oùnos « conseils », avec en plus pour chaque morceau, quelquesclés de lecture élémentaires. Nous n’avons pas voulu, ce fai-sant, vous proposer de minuscules mises en scène en pilule,mais dialoguer au contraire avec vous à distance, pour vousencourager en tant qu’actrice sur scène, à rendre réelle, d’unemanière personnelle, la partie de vous-même la plus significa-tive.Vous saisissez maintenant pourquoi nous avons préféré

l’ordre alphabétique à toute autre forme d’énumération. Ce re-cueil ne doit pas se lire obligatoirement de la première à ladernière page, ce qui est logique pour un roman, mais plutôten faisant des allers-retours entre les pages jusqu’à en saisir latotalité.D’ailleurs, la rédaction de ce recueil a représenté pour

nous aussi une recherche aventureuse où chaque étape, chaquetexte s’est imposé comme un chapitre à la fois intrductif, cen-tral et final.

Giuseppe Manfridi

NOTE :L’emplacement des extraits à l’intérieur des œuvres est généralementindiqué en référence à l’acte ou à la scène d’appartenance (ou bienau chant, au cadre, à l’épisode, etc.). L’absence de telles indicationssignifie que le texte en question est extrait d’actes uniques ou d’œu-vres non théâtrales.

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WoodyAllen (1935)

Hannah et ses sœurs (1986)

Suite à un énorme succès dans les salles, Hannah et ses sœursa été acclamé par le public français comme un monument in-discuté élevé aux névroses quotidiennes, de l’hypocondrie à lajalousie obsessive, jusqu’à l’instabilité pathologique. À traversles histoires d’amour de trois sœurs (avec un évident renvoi àTchekhov), entre mariages, trahisons et frustrations. WoodyAllen trace un portrait sans pitié, même si en fin de comptetoujours optimiste, de la société new-yorkaise et du milieu del’upper-middle class.Assise sur le siège arrière de la voiture du bel architecte

pour lequel elle a le béguin, Holly réexamine la journée en-tière et constate l’échec de son enterprise de séduction : bienqu’il l’ait connue la première, l’homme en question a progres-sivement déplacé son attention vers sa collègue de travail.Ayant décidé de la raccompagner en premier, David restera-seul avec l’entreprenante April qui jouera toutes ses cartespour le séduire. Dans le film cet extrait est une voix off maisnous le proposons en tant que monologue que l’actrice peuts’amuser à adapter au contexte qu’elle préfère : montant lesescaliers chez elle, se changeant pour aller se coucher, sebrossant les dents…

Notes pour l’interprèteÉclectique et fragile en même temps, Holly vit dans ununivers fait d’excès, de déceptions et d’incessantes pages

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blanches. Apparemment opposée à toute forme de stabilité, cesera justement elle qui vivra dans le film le plus grand change-ment, offrant à Diane Wiest la possibilité d’un jeu digne del’Oscar. Dans son interprétation l’actrice ne doit pas oublier decadencer la succession de pensées qui apparaissent, l’uneaprès l’autre, dans l’esprit de cette femme, dans une progres-sion de déception et d’auto-commisération. Toutefois, l’onperçoit comme une pulsion contraire, le désir de ne pas se lais-ser abattre, de dissimuler sa jalousie et de comprendre ses er-reurs, dans l’incessant réexamen du passé et dans cette infinieremise en question de ses propes actions sur lesquels s’appuiele manque de confiance du personnage.Pour être fidèle au film, l’on suggère une femme entre 35-45ans, mais si l’on se réfère à une expérience féminine hélas as-sez commune, le texte peut être indiqué pour presque toutesles tranches d’âge, des tourments de l’adolescence aux peursde la maturité.

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HOLLY. – Naturellement, c’est moi qu’on largue la pre-mière ! Il préfère April, ça crève les yeux. C’est ma faute,aussi ! J’en ai pas sorti une de la journée ! Quand je re-pense à ce que j’ai dit sur le musée Guggenheim ! Cetteblague idiote sur les patineurs ! Je ne devrais jamais ra-conter d’histoires drôles… Maman et Hannah les racon-tent très bien, mais moi je me plante tout le temps… OùApril a-t-elle bien pu aller chercher ces réflexions surAdolph Loos, et des expressions comme « la forme orga-nique » ?… Naturellement, elle a été en fac à Brandeis,mais elle y connaît que pouic !… Non mais, cette façonde l’appeler David ! « Oui, David, vous avez raison, Da-vid, quelles proportions harmonieuses, David !… » Oh ! Jedéteste April, elle est tellement allumeuse !… Maintenant,ils vont me larguer et elle l’invitera à monter chez elle…

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J’ai tout merdé ! (Soupirant) En plus, il me plaît drôle-ment ! Oh ! et puis merde ! Je ne vais pas me ruiner lasanté ! J’ai de la lecture pour ce soir. Tiens ! Je vais mecoucher de bonne heure. Je me passerai un film et jeprendrai un double Seconal !

(traduction de Michel Lebrun)

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FernandoArrabal (1932)

Les Deux Bourreaux (1956)

Le talent d’Arrabal s’est affirmé dans de nombreux domaines,mais le théâtre et le cinéma (citons, entre autres, le courageuxet bouleversant film Viva la muerte) furent les plus prochessans aucun doute de sa vision de la parodie et de la caricature.L’on y décèle parfois les stigmates évidents du XIXe siècle,l’absurde et l’ironique rire expressioniste, qui va jusqu’à re-prendre, à titre personnel, Artaud, et son théâtre de la cruauté(mais lorsque Arrabal veut être original il sait l’être à fond) etquelques méchancetés qui alimentent certaines histoires por-tent l’empreinte d’un baroque tumultueux tout à fait propre àl’âme espagnole.Arrabal a toujours affiché un dandysme démodé, ce qui lui

a permis de vivre sa vocation politique d’anti-franquiste d’unefaçon excentrique, sans jamais rien renier ni dans sa vie, nidans ses œuvres.

Notes pour l’interprèteEn lui-même, sans lire la pièce intégralement, qui par mo-ments entache la pureté du personnage tel que nous le voyonsdans notre passage, c’est un très beau portrait de mère. Plusprécisément, une mère de jeunes enfants adultes. Il faut doncpour lui prêter sa voix et son visage une femme d’une cin-quantaine d’années.Un pathos viscéral enflamme les paroles de Françoise, pa-

thos dérivant du besoin maternel d’aimer, toujours, dans tous

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les cas, sans limite et même sans être aimée en retour. Coûteque coûte.Arrabal, d’habitude excessif et provocateur, est ici, par mi-

racle, simple et franc. Très humain : et c’est ainsi que doit êtresa Françoise.

FRANÇOISE. – Oui, mon fils […], quand ce n’est pas àcause de ton père, c’est à cause de Maurice : toujoursdes souffrances. Moi qui ai toujours été leur esclave.Vois combien de femmes de mon âge mènent joyeusevie, se divertissent nuit et jour au bal, au cabaret, au ci-néma ! Combien de femmes ! Tu ne t’en rends pas biencompte, tu es encore trop jeune. J’aurais pu en faire au-tant, mais j’ai préféré me sacrifier, pour mon mari etpour vous, silencieusement, humblement, sans rien enattendre en échange, en sachant même qu’un jour lesêtres qui m’ont été les plus chers me diraient ce que medit aujourd’hui ton frère, que je n’en ai pas assez fait. Tuvois, mon fils, comme ils répondent à mes sacrifices ! Tule vois, en me rendant toujours le mal pour le bien, tou-jours.

[BENOÎT. – « Comme tu es bonne ! Comme tu es bonne ! »]

FRANÇOISE. – Et qu’est-ce que je gagne à le savoir ? Celarevient au même. Tout revient au même. Je n’ai plus degoût à rien, tout m’est égal, rien n’a plus d’importancepour moi. Je veux être bonne et me sacrifier toujourspour vous, sans rien attendre en échange, en sachantmême que les êtres qui me sont le plus proches, ceuxqui devraient m’être reconnaissants de mes inquiétudesignorent délibérement mes renoncements. J’ai été toute

Les Deux Bourreaux

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ma vie une martyre à cause de vous et je serai martyrejusqu’à ce que Dieu veuille bien me rappeler à lui.Oui, mon fils, je ne vis que pour vous. Puis-je avoir dansla vie d’autres préoccupations ? Le luxe, les toilettes, lessoirées, le théâtre, rien de tout cela ne compte pour moi,je n’ai qu’un seul souci : vous. Que m’importe tout lereste ?

(traduction d’Alain Schifrès)

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MichelAzama (1947)

Croisades (1989)

La guerre avant tout. Où ça se passe, si c’est dans les environsd’une Jérusalem inventée ou en quelque autre endroit dumonde civilisé, à quelle époque, l’époque des croisades ou laguerre nucléaire, et pour quelles raisons, si c’est la religion,quelle religion, et si c’est la foi, la foi en quoi, peu importe.C’est la guerre dans un sens absolu que raconte Azama en

plaçant les mots des morts à côté de ceux des vivants, en met-tant en scène des personnages indéterminés dont les vies secroisent pendant un instant pour ensuite disparaître à jamaisdans la grande défaite finale. Avec une extrême légèreté, ledramaturge décrit la guerre comme un jeu dans lequel l’on de-vient bourreau ou victime pour un mauvais tir, dans lequel lamort n’est rien d’autre qu’un passage et l’homicide une ques-tion de chance.Le génie d’Azama se révèle justement dans la transforma-

tion d’un contexte apocalyptique universel en un jeu de guerresemblable à celui des deux enfants du prologue. Tous les per-sonnages parlent un langage absolument quotidien et c’estdans sa simplicité que la parole devient poétique, créant desimages désarmantes avec pour résultat une émotion passion-née du public.

Notes pour l’interprèteC’est un spectre qui parle (en tenant bien compte que dans cetexte les morts sont peut-être plus vivants que les vivants eux-

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mêmes, avec les mêmes douceurs et les mêmes crises denerfs) et réalise sa condition. Bella vient d’être tuée par lepère de son fils. Personnage d’un charisme bouleversant, nousvoyons apparaître sur scène une femme encore jeune maisdéjà profondément mère. Élevée dans la logique sans pitié dela guerre, Bella vit dans la maternité son plus grand change-ment psychologique, se transformant de froid killer (c’est ellequi oblige Gionata à tirer sur Krim comme rite d’initiation) enune femme mûre qui n’a pas honte de montrer sa fragilité. Etc’est à son fils, qui seulement quelques instants plus tard au-rait pu naître, que va sa première pensée de non-vivante.

BELLA. – J’essaie de ressouder des morceaux de mon vi-sage.Je le masse. Il a l’air intact.En réalité il est félé. Il n’est plus là. Ce n’est plus mon vi-sage je l’ai perdu. Je suis morte.Plus d’essence plus d’électricité plus de courrier plusd’avionsplus de trains. La vie reculait de cinq siècles mais moipendant ces neuf moisj’avançais à contre courant. Je mesurais le temps dansmon ventrepauvre folle que je suis. Pauvre cinglée.Toi dans mon ventre tu étais prêt la tête où il fallaitet dans ma tête à moic’était l’été.Moi qui suis toujours moins femme que les autresfemmesenfin je m’arrondissais enfin je me sentaisla plus femmes des femmes. Pauvre idiote.Je t’avais fait. Tu étais là.

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Tous aux abris. Et mon ventre le meilleur des abris.Et contre moi chaque soir ces hommes tout nusque la guerre réveillait.Et toi tu étais prêt enfin fini.J’ai mal au sexe. Mon sexe allait s’ouvrir.Je le sentais déjà il était temps qu’on se sépare.C’est le vide absolu dans ma tête.Un rideau de fer coupe ma tête en deux.Le cerveau comme une hélice d’avion qui déchiquette dubrouillard.Je sentais qu’on allait se séparer toi et moije sentais monter le laitla perte des eaux se préparait dans mon ventreje voulais que tu sortesque tu laisses en moi une petite tracecomme un couteau sur l’écorce d’un arbre.Tu ne bouges plus. Il ne bouge plus.Il n’est pas trop tard.Je t’en prie fais un effort.Quelques minutes après ma mort il vivait encore.Il n’est pas trop tard.Un enfant peut naître d’une morte.Coupe-moi en deux.Ouvre-moi le ventre en deux.Qu’il sorte.Je t’en prie.Ne le laisse pas pourrir à l’intérieur de mon cadavre.(Elle tombe épuisée et se fige.)

Croisades

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Howard Barker (1946)

Tableau d’une exécution (1984)

Howard Baker et son « théâtre de la Catastrophe » sont appré-ciés du public français depuis une dizaine d’années seulement.Auparavant inconnues, les œuvres de ce dramaturge anglais,dans la lignée d’Edward Bond et Harold Pinter, sont des tra-gédies modernes où les personnages affirment leur propreidentité en se débattant contre les cours et recours de l’His-toire. En tentant de donner une définition à son parcours dra-maturgique, Barker affirme : « C’est en un sens l’opposé de latragédie classique qui affirme des valeurs morales tandis quedans mes pièces, l’idée est de les faire éclater. »Lui-même peintre, dans Tableau d’une exécution Barker

raconte l’histoire d’une peintre (inspirée de la vie d’ArtemisiaGentileschi), Galactia, chargée par le doge de Venise de réali-ser une œuvre monumentale destinée à célébrer la bataille deLepanto. Désireuse de restituer la vérité historique du fait,Galactia va se trouver face à un dilemme : donner du lustre àla Sérénissime en répondant à sa commande politique, ou bienpeindre l’horreur et la cruauté du grand massacre des Turcs telqu’il fut ? À partir de cette question éthico-esthétique se noue-ront les fils de l’intrigue.Au cours d’une scène d’amour avec son amant Carpeta,

Galactia se perd dans la pensée de son nouveau projet artis-tique et médite un dessein déconcertant.

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