Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

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Mercredi 9 décembre 2015 - 71 e année - N o 22051 - 2,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur : Jérôme Fenoglio Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA CRIER « NO PASARAN ! » NE SUFFIT PLUS pristina - envoyé spécial L’ horizon de A. B. – un Koso- var albanais qui rêvait d’aventure et de guerre sainte en Syrie – s’est brusque- ment rétréci. Depuis des mois, son univers se limite au modeste loge- ment familial d’un ancien im- meuble de l’armée yougoslave sis dans un village triste proche de la frontière macédonienne. Le jeune homme de 28 ans broie du noir. Aussi noir que le drapeau des dji- hadistes auxquels il s’était joint près d’Alep à l’hiver 2013-2014. LIRE LA SUITE PAGE 10 REPORTAGE KOSOVO : LA TENTATION DE L’ISLAMISME par christophe châtelot LE REGARD DE PLANTU SCIENCE & MÉDECINE LE BIG DATA MALMÈNE LE DROIT DES PATIENTS SUPPLÉMENT Face au FN, droite et gauche dans le déni « Je ne suis pas venu pour m’excuser. » Face à la montée du FN, M. Valls n’a pas voulu évoquer l’in- capacité du gouvernement à résorber le chômage « Le message des Fran- çais s’adresse d’abord » au gouvernement, a jugé Nicolas Sarkozy, sans re- mettre en cause sa straté- gie face à l’extrême droite Dans les villes qu’il dirige depuis 2014, le parti de Marine Le Pen progresse fortement Participation, rassemble- ment de la gauche, comportement des électeurs : les incon- nues du second tour Ces énarques et autres centraliens qui se mettent au service du FN LIRE PAGES 2 À 9 ET 16 Des militants du Front national, le 6 décembre, à Strasbourg. JULIEN DANIEL / MYOP POUR « LE MONDE » ÉDUCATION LE PORTAIL ADMISSION POST-BAC REVU LIRE PAGE 15 VENEZUELA : LA DÉBÂCLE DU POPULISME LIRE PAGE 27 BOURSE LE 21 DÉCEMBRE, EDF SERA BANNI DU CAC 40 LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 4 SOCIÉTÉ TAPIE ORGANISE LA « SAUVEGARDE » DE SES BIENS LIRE PAGE 15 LIRE PAGES 18-19 DÉBATS GAUCHE, LES RAISONS D’UN ÉCHEC REFUSONS L’AVEUGLEMENT Pour la députée (PS) Aurélie Filip- petti, dire que les résultats des socialistes « ne sont pas si mal » relève du déni de défaite L’ABANDON DES CLASSES POPULAIRES A force de vouloir briser les tabous au nom du libéralisme, la « gauche moderne » a laissé la question sociale au FN, estime Louis Maurin, de l’Observatoire des inégalités Professeur en sciences politi- ques, Laurent Bouvet estime que la culpabilisation des électeurs du FN a fait son temps Ratés du gouvernement, désunion ou malaise plus profond lié à des questions d’identité politique ? Réflexions d’entre-deux tours sur les mauvais résultats du PS aux élections régionales. ;976 <4 0/2>8 IHNG%KF% un ilm de =C49<7 7<>24/< ! <66C4.<7 7<>24/< 7*:.62.1 P 621/ FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE TORONTO ©2015 Pyramide 4*%GF?’% I)G "% !J!%KF &% H%&JKK%H D#% )EA M >$)H"#% L 5 =% "%G H%DJ#H3 -#D)KFG3 MARIANNE ;JHF, H%GI%’FE%EA, (JE"%D%HG)KF3 CAUSETTE C. >94O6C 7< +B =O><6@1<

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Page 1: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

Mercredi 9 décembre 2015 ­ 71e année ­ No 22051 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

CRIER « NO PASARAN ! » NE SUFFIT PLUS

pristina - envoyé spécial

L’ horizon de A. B. – un Koso­var albanais qui rêvaitd’aventure et de guerre

sainte en Syrie – s’est brusque­ment rétréci. Depuis des mois, sonunivers se limite au modeste loge­ment familial d’un ancien im­meuble de l’armée yougoslave sis dans un village triste proche de la frontière macédonienne. Le jeune homme de 28 ans broie du noir. Aussi noir que le drapeau des dji­hadistes auxquels il s’était joint près d’Alep à l’hiver 2013­2014.

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REPORTAGE

KOSOVO : LA TENTATIONDE L’ISLAMISME

par christophe châtelot

LE REGARD DE PLANTU

SCIENCE & MÉDECINE

LE BIG DATAMALMÈNE LE DROIT

DES PATIENTSSUPPLÉMENT →

Face au FN, droite et gauche dans le déni▶ « Je ne suis pas venu pour m’excuser. » Faceà la montée du FN, M. Valls n’a pas voulu évoquer l’in­capacité du gouvernement à résorber le chômage

▶ « Le message des Fran­çais s’adresse d’abord »au gouvernement, a jugé Nicolas Sarkozy, sans re­mettre en cause sa straté­gie face à l’extrême droite

▶ Dans les villesqu’il dirige depuis 2014,le parti de Marine Le Penprogresse fortement

▶ Participation, rassemble­ment de la gauche,comportementdes électeurs : les incon­nues du second tour

▶ Ces énarques et autres centraliens qui se mettent au service du FN

→ LIRE PAGES 2 À 9 ET 16

Des militants du Frontnational, le 6 décembre,

à Strasbourg.JULIEN DANIEL / MYOP POUR « LE MONDE »

ÉDUCATION

LE PORTAIL ADMISSIONPOST-BAC REVU→ LIRE PAGE 15

VENEZUELA : LA DÉBÂCLE DU POPULISME→ LIRE PAGE 27

BOURSE

LE 21 DÉCEMBRE, EDF SERA BANNIDU CAC 40→ LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 4

SOCIÉTÉ

TAPIE ORGANISELA « SAUVEGARDE »DE SES BIENS → LIRE PAGE 15

→ LIRE PAGES 18-19

DÉBATS

GAUCHE, LES RAISONS D’UN ÉCHEC

REFUSONSL’AVEUGLEMENTPour la députée (PS) Aurélie Filip­petti, dire que les résultats des socialistes « ne sont pas si mal » relève du déni de défaite

L’ABANDON DES CLASSES POPULAIRESA force de vouloir briserles tabous au nom du libéralisme,la « gauche moderne » a laisséla question sociale au FN, estime Louis Maurin, de l’Observatoiredes inégalités

Professeur en sciences politi­ques, Laurent Bouvet estime que la culpabilisation des électeurs du FN a fait son temps

Ratés du gouvernement, désunion ou malaise plusprofond lié à des questions d’identité politique ?Réflexions d’entre-deux tourssur les mauvais résultatsdu PS aux élections régionales.

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2 | les élections régionales MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

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Gauche et droite rechignent à se remettre en cause face au FNLe PS et Les Républicains s’accusent mutuellement d’être responsablesde la montée de l’extrême droite

Je ne suis pas venu pour m’excuser. »Ceux qui attendaient le début d’unexamen de conscience en ont étépour leurs frais. Invité, lundi 7 dé­cembre, du « 20 heures » de TF1, Ma­

nuel Valls s’est refusé à toute autocritique après le score historique enregistré par le Front national, la veille, au premier tour des élections régionales. Pour le premier ministre, qui ne s’était pas exprimé diman-che soir, pas question de reconnaître que l’échec de la gauche, au pouvoir depuis 2012, sur le front du chômage et de la lutte contre les inégalités est en partie responsa-ble de la montée du FN, notamment dans les milieux populaires.

Le chef du gouvernement, qui s’est érigédepuis plusieurs mois en héraut récurrent du combat contre l’extrême droite, n’en-tend pas laisser de place au moindre droit d’inventaire personnel. Et les voix qui s’élè-vent au sein du PS le font pour l’instant sous couvert d’anonymat. « Le déni érigé en art politique. Un déluge de béton, extrê-mement inquiétant », commentait lapidai-rement un haut dirigeant socialiste après la prestation télévisée de M. Valls. L’heure des comptes n’a pas encore sonné, elle dé-pendra de l’ampleur du résultat socialiste au soir du second tour, le 13 décembre.

Derrière le déni, cependant, point déjàchez beaucoup une forte inquiétude.« Cette fois-ci, c’est très sérieux, très grave,et la menace, à moins de deux ans de la pré-sidentielle, n’est pas illusoire. » Jean Gla-vany, comme d’autres responsables poli-tiques, de droite comme de gauche, ne ca-che plus ses craintes. Pour le député socia-liste, vieux grognard du PS qui a connu lescrises des années Mitterrand et Jospin, lesrésultats du premier tour des élections ré-gionales, dimanche 6 décembre, témoi-gnent d’un danger maximal. L’extrême droite peut prendre le pouvoir en France et Marine Le Pen devenir, en 2017, prési-dente de la République.

« Alors, on fait quoi ? »

L’alerte, en réalité, n’est pas nouvelle : elle aété donnée dès le 21 avril 2002, et n’a cessé de s’amplifier au fil de la plupart des élec-tions intervenues depuis. Mais personne, ou si peu, n’a voulu l’entendre. « Alors, on fait quoi ? On continue à se refiler le misti-gri ? A droite, comme Sarko, qui se dit répu-blicain mais (…) s’enfonce dans une straté-gie suiviste à l’égard du FN qui apparaît cha-que élection un peu plus comme une im-passe. Ou à gauche aussi, bien sûr, où nous avons tous notre part de responsabilité », a lancé, lundi 7 décembre, sur son blog, le dé-puté des Hautes-Pyrénées.

Pour l’ensemble des responsables politi-ques, l’électrochoc du 6 décembre est vio-lent. Comment éviter désormais ce qui se-rait considéré comme une catastrophe po-litique : la victoire, en 2017, de la présidentedu Front national ? Le premier tour des ré-gionales rend désormais possible un tel scénario, que beaucoup pensaient inima-ginable il y a encore quelques semaines. Depuis 2012, scrutin après scrutin, le parti d’extrême droite bénéficie d’une dynami-que puissante, qui traduit non plus seule-ment un vote de contestation chez ses électeurs, mais d’adhésion.

En arrivant en tête dans six des treizenouvelles régions, avec des scores dépas-sant les 40 % dans deux d’entre elles, le FNa prouvé que son discours réussit à sé-duire dans des territoires aussi différents que le Nord-Pas-de-Calais-Picardie et la Bourgogne-Franche-Comté ou en Proven-ce-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et dans le

Centre-Val de Loire. « On ne peut plus par-ler d’un simple vote de protestation quandle FN est à des scores supérieurs à 10 % de-puis trente ans, et qu’il a successivement franchi les plafonds de verre à 15, 20,25 % », explique Jean-Yves Camus, spécia-liste de l’extrême droite française et cher-cheur associé à l’Institut de relations in-ternationales et stratégiques.

Face à un tel séisme, les deux princi-paux partis de gouvernement, le PS et LesRépublicains (LR), ne semblent donc pas pour autant disposés à engager de réels examens de conscience. Au contraire, le jour d’après, lundi 7 décembre, a pris des allures classiques. Comme si, une fois le choc traumatique encaissé, le corps poli-tique tentait de se raccrocher à des habi-tudes, même dépassées, pour éviter desombrer dans l’inconnu d’une recompo-sition générale qui semble de plus en plusinéluctable.

«Un score pas si catastrophique »

Au PS, la tentation du déni est d’autant plus forte que beaucoup éprouvent aujourd’hui une forme de soulagementgêné. Les socialistes n’osent pas le dire clai-rement, mais ils estiment en réalité avoir évité le pire dimanche dernier, et nourris-sent même encore l’espoir de conserver plusieurs régions dans une semaine. Les victoires potentielles ne se limitent pas, pour la Rue de Solférino, à la Bretagne, à la Corse et à l’Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Le PS pense pouvoir aussi l’em-porter en Languedoc-Roussillon-Midi-Py-rénées et en Ile-de-France, si les reports devoix à gauche sont bons. Et pourquoi pas, rêvent certains socialistes, en Normandie et dans le Centre-Val de Loire ?

Si, le 13 décembre, la gauche au pouvoirgarde entre trois et sept régions, le bilan àses yeux sera plus que positif. Bien sûr, il aura fallu « sacrifier » le Nord-Pas-de-Ca-lais-Picardie et PACA, en procédant au re-trait des listes PS pour faire barrage au FN,mais l’essentiel sera sauf. Dans ces ré-gions, les socialistes vont disparaître desécrans radar pendant six ans, un vérita-ble drame politique et militant, surtout dans un bastion historique comme leNord. Mais la situation l’imposait, expli-que-t-on à Paris. « Quand la République est en jeu, on n’hésite pas », a résumé,lundi soir, M. Valls.

Des proches de François Hollande yvoient même une « bonne décision » en perspective de 2017. « Ce n’est pas un scoresi catastrophique qu’on pouvait le crain-dre pour Hollande », analyse un ministre. Les résultats des régionales, en ayant iné-vitablement des conséquences directes pour la présidentielle, pourraient même « profiter » au chef de l’Etat, veut croire un conseiller gouvernemental.

Muet depuis le premier tour, le présidentde la République pourrait ainsi apparaître dans dix-huit mois, selon son entourage, comme le seul rempart « républicain »

face à Marine Le Pen. Un FN fort et une droite incapable d’être au clair sur sa ligne face à l’extrême droite l’y encourageraient.Le premier ministre l’a d’ailleurs suggéré sur TF1, en faisant passer un message très politique : la gauche, selon M. Valls, est « digne » en se retirant dans les régions oùle FN peut l’emporter, contrairement à une droite qui n’est pas « à la hauteur des événements ». Un distinguo moral que le PS ne manquera pas de rappeler au mo-ment de la présidentielle.

C’est tout le paradoxe du scrutin du 6 dé-cembre plaqué en 2017 : François Hol-lande pourrait être, dans deux ans, l’homme fort d’une gauche faible. Avec unFront de gauche à 4 % et des écologistes à moins de 7 % au premier tour des régiona-les, alors que les socialistes approchent les 24 %, le darwinisme politique de François Hollande va faire son chemin : seuls finis-sent par s’imposer ceux qui restent de-bout jusqu’au dernier moment. Et à gau-

che, en 2017, ce sera le PS, estime le chef de l’Etat, faute d’alternative crédible.

« Une expression de colère »

A droite, plusieurs mesurent déjà le ris-que de faire les frais de ce positionne-ment de l’exécutif. « Hollande et Valls sont déjà en train de jouer la campagne présidentielle, s’inquiète un proche de Ni-colas Sarkozy. Ils ont décidé de retirer leurscandidats pour faire barrage au FN, avec l’idée de dire : “Nous, on est plus républi-cains que la droite, qui reste sur le ni-ni’’. Ilsveulent capitaliser sur la montée du FN et se poser comme les seuls défenseurs de la République pour ressouder l’électorat degauche. » Face à la poussée historique de l’extrême droite, Nicolas Sarkozy et ses troupes se sont immédiatement réfugiés dans le déni, lundi. Avec un seul mot d’or-dre, abondamment relayé : « Le vote en faveur du Front national est avant toutune expression de colère. »

Un vote de rejet qui serait uniquementmotivé par celui de la politique du gou-vernement. « Le message des Françaiss’adresse d’abord à ceux qui exercent les responsabilités à la tête de l’Etat et de pres-que toutes les régions de France », a af-firmé M. Sarkozy, dès dimanche soir, avant d’attribuer le lendemain, au « 20 heures » de France 2, la responsabi-lité de la montée du FN au PS : « Chaque fois que la gauche a été au pouvoir, ça s’esttraduit par une explosion du vote de l’ex-trême droite. » Pas question, pour le prési-dent du parti Les Républicains, de se lan-cer dans une remise en cause de sa straté-gie face à l’extrême droite.

En interne, cependant, tous les ténorsde droite ne sont pas de cet avis. Plusieursjugent que la contre-performance de leur camp doit être imputée au patron du parti. Dès lundi matin, les langues se sontdéliées. Et les premiers coups ont plu : « C’est l’échec de Nicolas Sarkozy car d’évi-

« Cette fois-ci, c’est

très sérieux, très

grave, et la menace,

à moins de deux ans

de la présidentielle,

n’est pas illusoire »

JEAN GLAVANYdéputé PS

Manuel Valls sur le plateau du « 20 heures » de TF1, le 7 décembre. KENZO TRIBOUILLARD/REUTERS

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0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 les élections régionales | 3

Jean-Pierre Raffarin, aprèsla réunion du bureau politique des Républicains, à Paris,le 7 décembre.JEAN-CLAUDE

COUTAUSSE/FRENCH-

POLITICS POUR « LE MONDE »

Dilemme à gauche en PACA :« Voter Estrosi, je ne peux pas »Après le retrait de leur liste en Provence-Alpes-Côte d’Azur, les électeurs socialistes renâclent à voter pour le candidat des Républicains

marseille - correspondance

L es électeurs de gauche vote­ront­ils Christian Estrosi,dimanche 13 décembre, au

second tour des régionales en Pro­vence­Alpes­Côte d’Azur (PACA) ? Avec un retard de 249 834 voix surMarion Maréchal-Le Pen (FN), l’équation est simple pour le can-didat du parti les Républicains quia choisi comme slogan de campa-gne dans l’entre-deux-tours : « Le résistant ».

La victoire ne passera que par unreport massif des 410 000 sou-tiens du PS et de la liste EELV-Front de gauche au premier tour. Voilà pour la théorie. Même siplusieurs voix socialistes, commecelles du président sortant du conseil régional, Michel Vauzelle,ou de l’ancienne ministre Marie-Arlette Carlotti appellent à voter Estrosi, l’exercice pratique s’an-nonce plus aléatoire.

Dès dimanche soir, au Dock dessuds de Marseille, où Christophe Castaner (PS) a annoncé son re-trait sous la pression des déci-sions nationales et contre l’avis denombreux colistiers, les débatsont duré tard. « Pourquoi aller si vite ? s’emporte Sébastien Ji-brayel, conseiller régional sortant.On ne pouvait pas prendre le tempsde réfléchir à la meilleure solu-tion ? » « Je reçois des messages de militants qui me disent qu’on s’est couchés devant Paris, enrage l’élu arlésien Mohamed Rafaï. Les élec-teurs de gauche n’iront pas voter Estrosi. On disparaît du conseil ré-gional et, en plus, le FN va gagner. On aura tout perdu. »

Lundi, la colère était un peu re-tombée, mais le doute persiste.L’un des gimmicks de Castaner, « On ne peut choisir entre l’ex-trême droite et la droite extrême »,résonne étrangement dans l’es-prit des sympathisants de gauche.

« Expliquer »

Dans son magasin de reprogra-phie du 5e arrondissement de Mar-seille, Marie-Clémence Balle, 62 ans, a « la boule au ventre ». Cette électrice qui a donné ses voix« alternativement aux socialistes, aux Verts ou au Front de gauche » vit cette fois un déchirement. « En 2002, j’ai voté Chirac… Mais là, Estrosi, je ne peux pas. Tout ce qu’il a pu dire durant cette campagne, tout ce qu’a fait Sarkozy depuis qu’ila créé le ministère de l’identité na-tionale, me donne l’impression qu’iln’y a pas de différence avec le FN. Pour la première fois de ma vie, je vais voter blanc. »

Au centre-ville, Jean-Louis etMarie-Claude Bouillot, militants PS, digèrent mal, eux aussi. Laveille, ces deux retraités sont sor-tis ravis de leur bureau de vote, un

des rares où les socialistes sontarrivés en tête. L’annonce du re-trait du PS leur a donné « un coupviolent ». « On a passé des semai-nes à expliquer aux gens pour-quoi il fallait voter Castaner et pasles Républicains, note Jean-Louis Bouillot. Je ne me vois pas main-tenant expliquer pourquoi il faut voter Estrosi. »

« Expliquer », le député socialistedes Bouches-du-Rhône, Patrick Mennucci, veut pouvoir le faire face à ses électeurs. « Mais pour convaincre, il nous faut des billes », assure-t-il. A la première heure, lundi, il a appelé Renaud Muselier, tête de liste LR dans le départe-ment pour lui proposer de « s’en-gager sur plusieurs points de la fu-ture politique régionale et notam-ment la préservation de mesures sociales du précédent mandat ».

« Se retirer était la seule solution,mais cela ne suffit pas : il en faut beaucoup plus pour pousser les électeurs de gauche à aller voter Estrosi », poursuit M. Mennucci, qui, lors des municipales mars 2014, avait maintenu ses lis-tes dans une triangulaire qui a permis au FN de remporter une mairie de secteur.

En déplacement à Paris pour lajournée, Nicolas a, lui, déjà subi l’impact du premier tour en PACA.« A peine arrivé, on m’a demandési ça se passait bien à Marseille avec le FN, explique ce quadra qui travaille dans l’analyse financière.Avant même le second tour, le restedu pays assimile déjà notre région et le Front. » Electeur de gauchedans un milieu professionnel trèsà droite (d’où sa volonté de resteranonyme), il ne se pose aucune question : « Au second tour, je vo-terai Les Républicains, parce que jesais le désastre que provoquerait une victoire du FN pour l’activité etl’image de PACA. »

« Une pince à linge sur le nez »

« Je voterai moi aussi, mais avec une pince à linge sur le nez », as-sure Nassera Benmarnia. Cetteconseillère d’arrondissement so-cialiste en est persuadée : « Lastigmatisation des musulmanspar Christian Estrosi en début de campagne a laissé des traces qu’il sera difficile d’effacer » chez les électeurs, qui, comme elle, ontdes racines au Maghreb. « Aujourd’hui, j’ai testé l’appel à voter à droite pour empêcher le FN de gagner. C’est totalement inaudi-ble auprès de nos électeurs », souf-fle, de son côté, le copilote del’union EELV-Front de gauche,Jean-Marc Coppola. Avec 6,5 % desvoix, sa liste a abdiqué ses rêves demaintien. Et le désistement du PS a mis fin aux espoirs de fusion.« Je crains que ce retrait ne serve fi-nalement à rien », prophétise l’élu PC. Comme beaucoup en PACA, il regrette « amèrement » qu’aucune force de gauche ne soitprésente au second tour. p

gilles rof

dence, il n’est pas crédible comme repré-sentant de l’alternance après avoir lui-même, les Français le lui avaient signifié, échoué avant 2012 », a asséné Hervé Mari-ton, jugeant l’ex-chef de l’Etat disqualifiépour 2017.

Même Eric Woerth, qui fait partie deslieutenants de M. Sarkozy, a surpris toutson monde en tenant des propos criti-ques contre l’ancien président de la Répu-blique : « Nous n’avons pas de leader offi-ciel, légitime, qui porte les couleurs officiel-les de l’ensemble du parti », a-t-il tranché sur i-Télé, en soulignant que si M. Sarkozyest « le leader du parti », il ne sera pas né-cessairement le candidat que « la pri-maire va désigner pour l’élection présiden-tielle ». « La droite n’est pas prête, Les Ré-publicains ne sont pas prêts, nous ne som-mes pas en ordre de bataille nationale », a-t-il regretté, tout en pointant « une forme de division » interne.

M. Woerth ne croit pas si bien dire. Lorsdu bureau politique de LR, lundi à 11 heu-res, chacun a compris d’emblée que tousles ingrédients sont réunis pour que ladroite explose dès le soir du second tour. Car les rivaux de M. Sarkozy pour la pri-maire n’attendent qu’une chose : présen-ter la note à celui qui n’a pas réussi à fairerefluer l’extrême droite, alors qu’il s’était lui-même présenté comme le « meilleur rempart au FN » lors de son retour en po-litique, à l’automne 2014.

Jugeant la situation alarmante, AlainJuppé et François Fillon annoncent déjàleurs intentions d’en découdre après le 13 décembre. D’ici à dimanche, les deux principaux concurrents de M. Sarkozy vont retenir leurs coups pour ne pas être accusés d’avoir joué contre leurs troupes.Lundi matin, ils ont fait certes partie des

65 ténors de LR qui ont approuvé le « ni retrait ni fusion » des listes au second tourproposé par M. Sarkozy – seuls NathalieKosciusko-Morizet et Jean-Pierre Raffarinont voté contre –, mais le débat sur le fondn’en est que repoussé.

« On serre les dents »

« Au lendemain de l’élection, il va falloir quenous ouvrions un débat sur la situation ac-tuelle qui fait que, soyons lucides, nous ne sommes pas audibles », a affirmé lundi le maire de Bordeaux. Pour ce partisan d’un rapprochement avec le centre, il sera temps de remettre en question la ligne droitière de M. Sarkozy. L’échec de son camp au premier tour des régionales ren-force sa conviction : pour lui, il est contre-productif de courir après l’extrême droite. Cela pousse des électeurs à préférer l’origi-nal à la copie. Même attitude chez M. Fillon, partisan de « reporter après le se-cond tour les examens de conscience ». En attendant, « on serre les dents et on fait campagne sans états d’âme ».

Le débat s’annonce rude, d’autant queM. Sarkozy a déjà prévenu qu’il n’enten-dait pas changer sa stratégie face au parti de Marine Le Pen, qui consiste à reprendreles thématiques chères à l’extrême droite (immigration, sécurité, islam) pour tenterde retenir les électeurs de droite attirés par le FN. « Il nous faut entendre et com-prendre l’exaspération de tous ceux qui ontpeur qu’on méprise leur identité et change leur mode de vie. (…) Nous devons impéra-tivement rester fidèles à nos convictions », a-t-il souligné dès dimanche soir.

Le lendemain, sur France 2, il a mêmetenu à souligner son antériorité par rap-port à Mme Le Pen sur les thèmes de « l’identité nationale » ou des « racineschrétiennes » de la France, en rappelant qu’il les avait abordés « dès 2007 ». Mais l’ex-chef de l’Etat sait aussi qu’à trop la-bourer le terrain du FN, il risque de dé-complexer une partie de ses électeurs et de les faire basculer dans le camp fron-tiste. Il l’a lui-même reconnu lundi soir : « Il faut rétablir de l’autorité et de la fer-meté dans notre pays », mais « la difficultéqui est la nôtre, c’est de répondre à cette ra-dicalité sans soi-même être dans l’extré-misme et dans l’excès ». p

bastien bonnefous

et alexandre lemarié

« Tout ce

qu’Estrosi a dit

me donne

l’impression

qu’il n’y a pas

de différence

avec le FN »

MARIE-CLÉMENCE BALLEsympathisante de gauche

« Le message des

Français s’adresse

d’abord à ceux

qui exercent les

responsabilités

à la tête de l’Etat »

NICOLAS SARKOZYprésident du parti Les Républicains

Gattaz réclame un « plan d’urgence » contre le chômageLe président du Medef, Pierre Gattaz, a appelé, mardi 8 dé-cembre, le gouvernement à met-tre en place un plan d’urgence national contre le chômage, « le problème le plus grave » à ses yeux. « On n’a pas fait ce qu’il fal-lait sur le chômage de masse. Vous avez vu les attentats terro-ristes. Il y a eu un plan d’urgence, un état d’urgence, a-t-il ajouté. Il faut faire la même chose sur le chômage. » Il préconise une ré-habilitation des filières d’ap-prentissage et une lutte contre le décrochage scolaire.

G R A N D C RU C L A S S É D E G R AV E S

L’ ICÔNE.

L e g r a n d v i n d e s i n i t i é s

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

V i s i t e z n o t r e s i t e : w w w . b e r n a r d - m a g r e z . c o m

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4 | les élections régionales MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

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Dans l’Est, M. Masseret assume sa dissidenceMalgré les ordres de la direction du PS, le candidat refuse de retirer ses listes et veut se maintenir au second tour

Posé à l’envers sur la table,son portable vibre encontinu. La France socia-liste veut le joindre pour

le féliciter, le rappeler à la raison ou le menacer. Jean-Pierre Masse-ret s’en désintéresse. Les yeuxdans le vague, il laisse l’appareils’épuiser sans consulter les appelsen absence. A 71 ans, le candidat PS pour la région Alsace-Champa-gne-Ardenne-Lorraine a décidé des’assumer et de faire fi des consi-gnes parisiennes. Réfugié dans lafédération socialiste de Moselle, bâtiment cubique et austère, ilveut mener ce dernier combat en solo. Et tant pis s’il est perdud’avance. « La solution de facilité, pour moi, aurait été le retrait.J’aurai plié les gaules, et c’était fini. Là, je vais prendre des coups, ils vont me vouer aux gémonies, me bouffer le foie, me jeter à la pou-belle », souffle-t-il, calme, au mi-lieu de l’agitation de ses con-seillers.

Le président du conseil régionalde Lorraine a obtenu 16,11 % des suffrages au premier tour, loin des 25,83 % de Philippe Richert, le candidat de la droite, et très loin des 36,06 % de Florian Philippot(FN). Malgré ce score, le plus faiblede toutes les listes socialistes, il nese sent pas fautif. Il préfère accu-ser le contexte national et « Sarkozy et ses boys qui ont ouvertles brèches ». « Nous ici, nous n’avons jamais rien fait pour ali-menter la montée du FN. Parce queles résultats ne sont pas là, il fau-drait prendre son sac et s’en aller.Une élection, c’est fait pour aller jusqu’au bout. » Entre survivre dans une collectivité dirigée par leFN ou disparaître en victime ex-piatoire des échecs de toute la classe politique, le Lorrain achoisi. Et il est têtu.

Le bras de fer entre la Rue de Sol-férino et les socialistes de l’Est n’a pas cessé depuis dimanche soir. Apeine les résultats connus, M. Masseret prend les devants et martèle à la presse sa stratégie as-sumée depuis des semaines : il ne

se retirera pas. A Paris, presque aumême moment, Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, réaffirme la ligne du partiet cite les régions où ce désiste-ment devra être respecté : Nord-Pas-de-Calais Picardie et Proven-ce-Alpes-Côte d’Azur. Aucune mention n’est alors faite de l’Alsa-ce-Champagne-Ardenne-Lor-raine. La direction du PS veut lais-ser quelques heures à M. Masseretpour résister puis sortir la têtehaute de cette débandade.

« Il a envie qu’on le force à se reti-rer », explique alors, confiant, un dirigeant socialiste. Mais le PS dé-chante rapidement devant l’obsti-nation de l’ancien secrétaired’Etat aux anciens combattants. « Il se refuse à tout contact, et c’était déjà le cas avant le premier tour, regrette Christophe Borgel,le responsable des élections au PS.C’est la seule équipe de campagne avec laquelle je n’ai pas pu discuterla semaine dernière. »

Les dirigeants socialistes, touten appelant à voter pour la droite dans cette région, occupent la journée de lundi à le raisonnerpar médias interposés. M. Cam-badélis assure sur RTL que le can-didat PS se retirera. Sur Europe1,M. Masseret lui répond que non. Le patron du PS monte en gammesur BFM-TV : « Je ne crois pas queJean-Pierre Masseret, après une vieconsacrée à la gauche, souhaite à71 ans terminer par la victoire deM. Philippot. »

En région, les élus locaux s’enmêlent. Le maire de Metz, Domi-nique Gros, la députée de la Mo-selle, Aurélie Filippetti, le maire deStrasbourg, Roland Ries, le prési-dent du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, Mathieu Klein, réclament le retrait. L’un des colistiers de M. Masseret, Sa-muel Hazard, maire de Verdun (Meuse), annonce son départ de l’équipe. Toujours pas de réponse. Les grands moyens sont alors dé-ployés. Manuel Valls envoie un message au candidat : « Tu com-mets une erreur. Tu ne peux pas avoir raison contre tout le monde. »

« Adversaire et ennemi »

M. Masseret est alors en réunion avec les têtes de liste et les pre-miers secrétaires fédéraux des dix départements de la région. Il répond au premier ministre quel’évitement est voué à l’échec,pendant que ses colistiers débat-tent sur la meilleure façon de ré-sister au FN. « C’est dommage que l’on s’y mette lors d’un entre-deux tours mais cela faisait longtempsque nous n’avions pas eu d’échan-ges aussi intéressants au sein du PS », estime Julien Vaillant, tête deliste en Meurthe-et-Moselle, qui s’est prononcé pour un retrait

afin de ne pas « confondre l’adver-saire qui est la droite et l’ennemiqui est l’extrême droite ».

Lui, comme quelques autres,pensent au court terme en voulantpréserver la région du danger fron-tiste. D’autres affirment que le « front républicain » ne fonctionneplus, que le retrait sert le FN sur le long terme en entretenant la con-fusion entre les partis. Une ana-lyse partagée par presque tous les dirigeants de la droite convertis au« ni-ni » depuis des années. Certai-nes têtes de liste brandissent même des analyses électorales sur les reports de voix de la gauche vers le FN. Et une division se des-sine entre élus urbains, moins concernés par l’hémorragie, et élus ruraux, menacés par la dispa-rition pure et simple du PS dans lesmairies et dans les sections.

« Moi, je me contrefous des consi-gnes de Paris. Comment recons-truit-on en désertant les collectivi-

tés ? Il faut se battre pied à pied pour préparer l’avenir », ana-lyse Georges Voirnesson, premier secrétaire fédéral de la Haute-Marne. Opposé sur la stratégie à court terme, M. Vaillant le rejoint :« Il est temps de passer à autrechose, de réfléchir car nous som-mes divisés en profondeur. Le cor-don sanitaire ne marche pas tou-jours et apporte des réponses àcourte vue. Je ne suis, par contre, pas sûr que le PS soit outillé intel-lectuellement pour nous apporter

quelque chose. » M. Masseret orga-nise alors un vote : 13 voix pour le maintien, 7 contre. Sa liste du se-cond tour a été déposée à la pré-fecture, lundi en fin d’après-midi.

Le PS ne désespère pas de con-vaincre M. Masseret de se raviser avant mardi 18 heures. A défaut, le parti retirera son investiture. A plus longue échéance, difficile de savoir si cette fronde est révéla-trice du scepticisme des élus de base sur la stratégie du front répu-blicain ou juste l’histoire de quel-ques élus voulant sauver leurs pos-tes. « J’irai jusqu’au bout même si je vais prendre mon parti dans la tête », conclut M. Masseret qui a promis à sa femme que cette cam-pagne serait la dernière. Une der-nière qui pourrait se conclure par l’élection du premier président frontiste d’une région française. p

nicolas chapuis

et matthieu goar

(strasbourg, envoyé spécial)

Le candidat socialiste Jean-Pierre Masseret lors d’une conférence de presse à Metz, le 7 décembre. JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP

Manuel Valls

envoie lundi

un message

au candidat :

« Tu commets

une erreur. Tu

ne peux pas avoir

raison contre

tout le monde »

ancien champion de mara-thon, Jean-Pierre Masseret sait que la politique est une questiond’endurance. La course de fond vase poursuivre jusqu’au 13 décem-bre, après son refus de se retirer à l’issue du premier tour des élec-tions régionales, malgré les consi-gnes données par le premier se-crétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, appelantà faire barrage au Front national et au retrait de la liste PS.

Le président sortant du conseilrégional de Lorraine et tête de liste socialiste aux élections ré-gionales en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine a indiqué qu’il n’était « pas question pour [lui] de se retirer », ni de fusionner des lis-tes avec celles de la droite.

Cheveux gris, fines lunettes noi-res, l’homme, qui vient de fêter ses 71 ans, « avoue cultiver l’art dela transgression » et « aime inciterl’autre à penser autrement, au ris-que de se perdre », relevait le quo-tidien La Montagne en septem-bre.

Décrit comme « intelligent »,« chaleureux » et « humaniste » parPhilippe David, l’ancien maire de Hayange (Moselle), Jean-Pierre Masseret assure que « pour lui, les mots de “liberté”, d’“égalité”, de“fraternité” ne sont pas trois mots pour faire joli au fronton des bâti-

ments publics, ils expriment, outre la devise de notre République, l’af-firmation de l’universalité de l’hu-manité ».

D’origine modeste, ce fils d’unmineur de charbon, marié et pèrede trois enfants, est né à Cusset, dans l’Allier. Diplômé d’une maî-trise de droit international à la fa-culté de Clermont-Ferrand, il a commencé sa carrière en deve-nant inspecteur des impôts à Pa-ris.

Première élection en 1979

Il a atterri en Lorraine après sa no-mination à Metz. « A l’époque, onen parlait comme du Texas fran-çais. J’ai vu l’effroyable disparitionde la sidérurgie et des mines de fer,de la chimie. J’ai vécu le choc de ladésindustrialisation, la mondiali-sation. Alors, je me suis engagéaussi pour défendre les intérêts desLorrains et des Mosellans », a-t-il raconté à Rue89. Il ne quittera plus la région.

Depuis sa première élection,en 1979, comme conseiller géné-ral dans le canton de Montigny-lès-Metz (Moselle), Jean-PierreMasseret a toujours été titulaire d’un mandat. Après deux échecs aux élections législatives de 1978 et 1981, il est élu au Sénat en 1983, à l’âge de 39 ans.

Quatorze ans plus tard, il est

nommé secrétaire d’Etat à la dé-fense et aux anciens combattants par Lionel Jospin. Son passage au gouvernement est notamment marqué par la reconnaissance of-ficielle de la « guerre d’Algérie », jusque-là pudiquement qualifiéepar les autorités d’« événements »ou d’« opération de maintien del’ordre ».

« Européen convaincu », celui quia exercé plusieurs mandats euro-péens a voté contre le Traité cons-titutionnel en 2005, considérant que ce « n’était pas un projet politi-que de bon niveau et qu’il faisait lapart belle à une gestion économi-que droitière », comme il l’expli-que sur son site de campagnepour la présidence de la région.

A la tête de la région Lorraine de-puis 2004, il a tenu 35 promesses sur les 73 qu’il avait annoncées, contre 11 non tenues et 19 inache-vées (8 étant invérifiables), selonle décompte du Monde.fr.

Admirateur de Vercingétorix,« le Gaulois qui a mis la pâtée auRomain Jules César, et qui, trahi par les siens, a fini par croupir àAlésia », Jean-Pierre Masseret se verrait bien réincarné en olivier,symbole de victoire, de paix et de réconciliation. D’ici là, il aura en-core quelques guerres politiques à mener. p

faustine vincent

Un admirateur de Vercingétorixqui cultive l’art de la transgression

« Moi, je me

contrefous

des consignes

de Paris »

GEORGES VOIRNESSONpremier secrétaire fédéral

de la Haute-Marne

M. Richert (LR) appelle à la mobilisation

« Je laisse Jean-Pierre Masseret et le Parti socialiste décider, sa-chant que s’ils ne se retirent pas, évidemment, ils favorisent le FN », a expliqué le candidat de la droite et du centre, Philippe Richert, dans un entretien à France Bleu Alsace, lundi 7 décembre. Le pré-sident du conseil régional d’Alsace a, en revanche, répété son scepticisme quant à l’idée d’une fusion, estimant qu’il n’était « matériellement pas possible de faire une fusion sur 10 départe-ments » en moins de deux jours. Son parti, les Républicains, re-fuse de toute façon toute idée de fusion avec d’autres listes. M. Richert a également appelé à la mobilisation de tous les autres partis pour faire barrage au FN : « Il y a quand même plus de 60 % des électeurs qui ne souhaitent pas que le FN soit à la tête de la région, il faut en tirer toutes les conséquences. »

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Page 5: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

DANS LES MEILLEURES VENTES

Photo©HannahAssouline

«La vigilance de Finkielkraut est salutaire. »Pierre Pachet, Causeur

«Ses lucidités visionnaires d’hier sont devenuesdes vérités criantes aujourd’hui.

Alain Finkielkraut n’a jamais manqué de courage. »Jean-René Van Der Plaetsen, Le Figaro Magazine

«Sa parole exigeante trouveun écho profond dans l’inconscient collectif. »

Vincent Trémolet de Villers, Le Figaro

«Une pensée inquiète, passionnée parson époque, traversée par les contraintes. »

Frédéric Joignot, Le Monde

« Il faut souligner l’aspectà la fois humain et politique de ces textes. »

Marc Weitzmann, Libération

«Alain Finkielkraut trace à la machetteun chemin de rélexion à travers les grands débats

qui divisent le pays. »Christian Makarian, L’Express«Alain Finkielkraut

est parfaitement de son temps. »Patrice Trapier, Le JDD

Page 6: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

6 | les élections régionales MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

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Au second tour, la gauche part unie danshuit régions Socialistes, écologistes et Front de gauche ont fusionné leurs listes partout, sauf en Bretagne

Apeine les résultats dupremier tour des régio-nales connus, diman-che 6 décembre, les tê-

tes de liste de gauche ont entamé un véritable marathon en vue du second tour. Dès 20 heures, les équipes socialistes, écologistes et Front de gauche, se sont mises au travail souvent toute la nuit, voire plus, pour tenter de trouver un ac-cord avant la date limite du dépôt des listes, mardi, 18 heures.

Au final, malgré leurs profondesdivergences, notamment sur lapolitique économique du gouver-nement, les listes de gauche parti-ront unies dans huit régions surles douze continentales – un ac-cord en Bretagne ayant échoué mardi matin. En Corse, les socia-listes, qui n’ont pas atteint les 5 % des voix, soutiennent le candidat divers gauche, Paul Giacobbi, quia fusionné avec le PCF. Au soir du premier tour, le PS est systémati-quement arrivé en tête des listes de gauche – une première posi-tion qui lui a permis de négocieren position de force – mais il a be-soin de ses alliés s’il veut avoir une chance de l’emporter. Pour pouvoir fusionner, il faut avoir réalisé au moins 5 % des voix. Ce ne fut pas le cas pour EELV dans deux régions et dans six pour le PCF seul ou le Front de gauche.

C’est sans doute à Paris quel’union a été la plus facile. Lundi à

17 heures, le socialiste Claude Bar-tolone, l’écologiste Emmanuelle Cosse et le communiste Pierre Laurent sont venus annoncer à la presse leur mariage politique. « Avec un total de 40 % au premier tour, les listes que nous représen-tons sont en position de gagner », aassuré M. Bartolone. Une tête de liste a été accordée à EELV dans le Val-d’Oise, et une autre, dans le Val-de-Marne, au PCF. Au-delà, « les places sur les listes ont été at-tribuées à la proportionnelle des résultats du premier tour », a expli-qué Luc Carvounas, directeur de campagne du candidat socialiste.

Simple « accord technique »

La perspective de voir gagner la droite a aussi facilité les discus-sions dans des territoires mar-qués par une forte opposition à gauche. C’est le cas en Pays de la Loire, où la liste de la droite et ducentre est arrivée largement en tête dimanche soir. Malgré leurs profondes divergences sur le pro-jet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes que le PS défend quand EELV le combat, les deux formations ont réussi à s’enten-dre. Sur cet épineux dossier, les écologistes ont obtenu le lance-ment d’une « étude indépendante sur l’optimisation » de l’aéroport existant de Nantes-Atlantique.Concernant les travaux, dont la reprise est prévue en 2016, des

Jean-Charles Kohlhaas, qui unis-sait EELV et le PG, étaient trop pro-fondes pour parvenir à un accord de majorité. C’est donc à une sim-ple « fusion technique » que les deux équipes sont parvenues. Celaimplique une répartition des pla-ces à la proportionnelle des résul-tats du premier tour mais sans en-gagement à participer à la future majorité en cas de victoire. « D’unecertaine façon, c’est plus conforta-ble : cet accord technique nous per-met de ne pas fusionner avec une li-gne sociale-libérale qui nous pose problème », indique M. Kohlhaas.

En Bretagne, en revanche, lesdiscussions ont tourné court mardi matin. Déjà en 2010, écolo-gistes et socialistes n’avaient pas conclu d’accord. Rebelote cette année entre la liste conduite par leministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, et celle de René Louail (EELV) qui a obtenu 6,70 %.

M. Le Drian ayant réalisé le meilleur score du PS avec 34,92 % des suffrages, les socialistes ontjugé les exigences d’EELV « au-delà de l’entendement ». « LesVerts lui auraient coûté électorale-ment dans la dynamique de se-cond tour » confie un proche ducandidat PS. Une appréciation quia suscité la colère de David Cor-mand, chargé des élections à EELV : « Le seul endroit où ça ne se fait pas, c’est là où il y a un minis-tre. C’est la bande de Hollande, ce sont les plus sectaires. Il y a lesmecs du gouvernement qui sont complètement à côté de la plaque et ceux qui essayent d’écoper leurs conneries ailleurs en France. »

Restent les régions où le PS a dé-cidé de retirer ses listes face audanger du Front national. Sespartenaires d’EELV et du PCF, quin’étaient pas en mesure de se maintenir, ne digèrent toujours

pas cette « décision unilatérale ». En Provence-Alpes-Côte-d’Azur,l’écologiste Sophie Camard quiconduisait une liste avec le Front de gauche aurait aimé que la gau-che se maintienne face à MarionMaréchal-Le Pen (FN) et ChristianEstrosi (LR) pour « ne pas dispa-raître » au conseil régional pen-dant les six prochaines années.

« On nous laisse crever pourmontrer qu’on a les mains pro-pres, enrage-t-elle. Moi, j’irai le mettre dimanche ce fichu bulletinEstrosi, mais je sais que les troisquarts de mon électorat ne se dé-placera pas. » Une façon de rap-peler que les accords d’appareilou consignes de vote ne sont ef-fectivement pas une garantie suf-fisante pour assurer le report desvoix du premier tour. p

raphaëlle besse desmoulières,

hélène bekmezian

et nicolas chapuis

Jean-Jack Queyranne, tête de liste socialiste en Auvergne-Rhône-Alpes, entouré de la candidate communiste Cécile Cukierman et du candidat EELV Jean-Charles Kohlhaas, lundi 7 décembre à Lyon. PHILIPPE DESMAZES/AFP

La dure bataille de Jean-Jack QueyranneEn Auvergne-Rhône-Alpes, le PS et ses alliés devront compter sur la mobilisation des abstentionnistes et d’excellents reports pour pouvoir battre Laurent Wauquiez, le candidat LR

lyon - envoyée spéciale

L es visages ont le teint grisde ceux qui ont à peinedormi. Des silhouettes

somnolent, sur des canapés, au milieu des clients qui passent en traînant leurs valises. On se croi-rait presque dans une salle d’at-tente d’aéroport si, de temps àautre, un conseiller ne s’appro-chait de Jean-Jack Queyranne avecun bout de papier barré de chif-fres et de schémas compliqués.

La tête de liste socialiste enAuvergne-Rhône-Alpes s’est en-fermée depuis une dizaine d’heu-res, lundi 7 décembre, dans cet hô-tel du cours Charlemagne, au cen-tre de Lyon, pour négocier le ral-liement des écologistes et descommunistes et l’affaire ressem-ble déjà à un long voyage. Dès le lendemain du premier tour, son adversaire Laurent Wauquiez (LR),arrivé en tête (31,73 %) devantChristophe Boudot (FN, 25,52 %) etla liste PS (23,93 %), est reparti en campagne.

Tous ceux qui sont là, dans cehall d’hôtel, peuvent voir surTwitter et à la télévision régionaleles images qui le montrent, dans sa parka rouge, répéter que « lavictoire est à portée de main » enarpentant la Dombes, dans ce dé-partement de l’Ain, où le FN a fait parmi ses plus gros scores. Mais il faut bien que les négociationsaboutissent si la gauche veut en-

core avoir une chance de le faire mentir.

Les têtes de liste départementa-les qui entourent Jean-Jack Quey-ranne ont vite vu la difficulté. Au premier tour, les listes socialiste, écologiste et communiste ontremporté 908 318 voix. Laurent Wauquiez et les listes divers droite plus Debout la France en comptent 867 258. Avec un FN si haut, le score est serré. « Les socia-listes se maintiennent plutôt bien dans les grandes villes, souligne Hervé Saulignac, le président del’Ardèche, mais les écologistes se sont effondrés. » En 2010, Europe Ecologie-Les Verts avait obtenu 304 541 voix sur la seule région Rhône-Alpes. Dimanche, ils n’ont glané que 173 000 voix en ajou-tant l’Auvergne… « Il faudra un trèsbon report des voix pour que Jean-Jack Queyranne puisse l’emporter et vienne briser la dynamique de premier tour qui, aujourd’hui, bé-néficie à Laurent Wauquiez », note le politologue Daniel Navrot.

L’ancien ministre de Nicolas

Sarkozy, figure de la droite dure,est pourtant un bon repoussoir pour la gauche. Jean-Jack Quey-ranne n’appelle d’ailleurs plus lenuméro trois des Républicainsque « le candidat de la droite ex-trême ». Dans les petites villes où les militants de gauche conti-nuent de faire du porte-à-porte, on dit les choses plus directementencore : « Lui ou le FN, c’est facho blanc ou blanc facho ».

Un logiciel de calcul

Lundi, l’annonce de l’appel d’An-toine Rechagneux, le chef de file du Front national à Clermont-Ferrand, à soutenir Laurent Wau-quiez est venu comme un argu-ment supplémentaire. Aux pas-sants qui refusent un tract, les mi-litants socialistes lisent à hautevoix la déclaration de l’élu fron-tiste : « En mon âme et conscience, je reste fidèle à Marine Le Pen… Mais je ne peux pas supporter que notre région continue à être sous lejoug socialo-écolo-communiste. » Sans dire que le candidat du FN, Christian Boudot, en lice lui aussi pour ce second tour tripartite, a désavoué son élu.

Les conseillers de Jean-JackQueyranne ont calculé sur un lo-giciel le nombre de sièges qui peu-vent revenir à chacun des parte-naires de la gauche ralliés pour le second tour. Mais chacun sait qu’il faudra aussi compter sur lamobilisation des abstentionnis-

tes du premier tour. Ils sont ennombre record dans ces ban-lieues populaires où les socialis-tes et les communistes ne fontplus de beaux scores depuis long-temps.

A quelques rues de l’hôtel où lagauche met la dernière main à sa liste de rassemblement, seul le recteur de la grande mosquée deLyon, Kamel Kabtane paraît s’en inquiéter. En compagnie d’Azze-dine Gaci, le recteur de la mosquéeOthmane, à Villeurbanne, il s’estdécidé lundi à publier un appel.

« 75 % d’abstention à Vaux-en-Ve-lin, 69 % à Givors, 68 % à Vénis-sieux, 63 % à Pierre-Bénite, 61 % à Saint-Priest… Que font nos élus dela diversité ? A quoi servent-ils ? », s’agacent ces deux tenants d’un islam ouvert et républicain, avant de rappeler : « Ce n’est pas aux res-ponsables des mosquées d’aller à la rencontre des citoyens pour lesinciter à voter. Ce n’est pas aux imams d’en parler dans les prêchesdu vendredi. Le rôle d’un élu de la diversité ne doit pas se limiter à prendre des photos avec le maire quand il lui arrive de visiter les citéset les quartiers difficiles et de les mettre sur sa page Facebook. »

Quelques jours avant le premiertour, les deux recteurs avaientdéjà appelé les musulmans à s’af-firmer les « plus ardents défen-seurs de la devise républicaine » et à aller voter. Sans grand succès. p

raphaëlle bacqué

Laurent

Wauquiez, figure

de la droite dure,

est pourtant un

bon repoussoir

pour la gauche

ambiguïtés dans le texte de l’ac-cord subsistent, que chacun pourra utiliser à sa guise.

En Rhône-Alpes-Auvergne, lesnégociations ont été plus poussi-ves, même si elles ont fini par aboutir. Mais ici les divergences entre la liste socialiste de Jean-Jack Queyranne et celle de l’écologiste

En Bretagne, où

la liste de Jean-

Yves Le Drian

a réuni 34,92 %

des voix,

le PS a jugé les

exigences d’EELV

« au-delà de

l’entendement »

A La Réunion, la gauche et le centre s’unissent pour battre la droiteLes listes de gauche et du centre de La Réunion ont trouvé un accord lundi 7 dé-cembre pour tenter de battre celle d’union de la droite, me-née par le président sortant du conseil régional, Didier Robert (LR), et arrivée en tête dimanche. Cette liste de ras-semblement sera conduite par la députée Huguette Bello, qui a recueilli 23,8 % des voix au premier tour, avec, en seconde position,

Thierry Robert (MoDem), qui a recueilli 20,32 %.

Corse : les nationalistes fusionnent ainsi que la droite au second tourLes deux principales listes nationalistes corses, Femu a Corsica (conduite par Gilles Simeoni) et Corsica Libera, ont annoncé, lundi 7 décem-bre, leur fusion pour le se-cond tour. Idem pour les deux principales listes de droite : celle de José Rossi (LR-UDI) et celle de Camille de Rocca Serra.

Mercredi 9 décembre à 20h30

Jean-Marie LE GUEN

Bruno LEMAIRE

Florian PHILIPPOTsont les invités de

Emission politique présentée par Frédéric HAZIZAAvec : Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Yaël GOOSZ

sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL,

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EDITION SPECIALE - ELECTIONS REGIONALES

Page 7: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

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8 | les élections régionales MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

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Une poussée de l’extrême droite hors de ses bastionsLe parti lepéniste a renforcé ses zones d’influence historiques mais conquiert aussi de nouveaux territoires

Avec 27,73 % des suffra-ges exprimés au pre-mier tour des électionsrégionales, dimanche

6 décembre, le Front national réa-lise son plus haut score historique dans des élections nationales. De plus, en recueillant 6 018 775 voix, selon les résultats définitifs com-muniqués par le ministère de l’in-térieur, malgré une abstention lé-gèrement supérieure à 50 %, il ob-tient le deuxième total de voix le plus élevé après celui réalisé parMarine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle de 2012 (6 421 426 voix). C’est plus que n’enavait recueilli Jean-Marie Le Pen en 2002 (5 525 906 voix), lorsqu’il s’était qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle.

Ainsi, le PS et ses alliés, quiavaient obtenu 29,5 % des suffra-ges au premier tour des élections régionales de 2010, reculent à 23,4 % cette année. Le recul est moins prononcé pour la droite mais tout aussi réel : en 2010, alorsque le scrutin régional avait été ca-tastrophique pour elle, l’addition des suffrages de l’UMP, du Nou-veau Centre et du MoDem repré-sentait 30,7 % ; les listes LR-UDI-MoDem en recueillent cette an-née 27,2 %. Le FN, lui, progresse de plus de 16 points en cinq ans.

Percée dans le Sud-Ouest

Pour mesurer l’évolution des sco-res du parti d’extrême droite, il vaut mieux se reporter aux résul-tats du premier tour de l’élection présidentielle de 2012, ces évolu-tions étant mesurées non en nombre de voix mais en pourcen-tage. D’emblée, un premier cons-tat s’impose : c’est dans ses zones de forte implantation que le parti d’extrême droite enregistre sesplus fortes progressions. Ainsi, dans le Var, où il réalise sonmeilleur score (44,57 %), il pro-gresse de près de 20 points. Dans le Pas-de-Calais, où il obtient44,38 %, cela représente un bond de près de 19 points. Les Pyrénées-Orientales, 41,70 % (+17,5 points),la Somme, 41,02 % (+17,2 points), l’Aisne, 43,55 % (+17,2 points), le Vaucluse, 44,22 % (+17,2 points), l’Oise, 42,08 % (+17 points), et laHaute-Marne, 42,2 % (+17 points), sont autant de bastions du FN.

Globalement, le parti lepénisteenregistre une progression de plus de 10 points en trois ans et demi dans 42 départements. Dans12 d’entre eux, cette évolution est supérieure à 15 points. Cependant,ces fortes progressions révèlent aussi de nouvelles zones d’im-

plantation du FN, parfois inatten-dues. Ainsi, dans les Hautes-Alpes,il passe de 17,70 % en 2012 à 32,58 %, soit près de 15 points de plus. Toujours sur le flan est de l’Hexagone, le FN progresse de 12,5 points dans le Doubs, passant de 19,19 % à 31,74 %.

Autre percée inattendue dans leSud-Ouest, dans trois départe-ments où la gauche est tradition-nellement forte. Dans le Tarn, leparti d’extrême droite passe de 18,93 % à 30,83 % (+11,9 points). En Ariège, il gagne 11,65 points en passant de 16,79 % à 28,44 %. En-fin, dans le Gers, la liste conduitepar Louis Aliot recueille 26,35 % des suffrages quand Marine Le Pen en avait obtenu 15,90 %, soit une progression de 10,45 points. A

croire que le bonheur n’est plus dans le pré !

Une autre zone de renforcementse dessine, sur un arc qui va de la Sarthe à la Nièvre. Dans la Sarthe, département dont François Fillon fut longtemps l’élu, le FN gagne 10,5 points en passant de 19,17 % à

29,67 %. L’Indre-et-Loire mi-toyenne connaît elle aussi une progression de 10,2 points de la formation lepéniste, qui passe de 15,98 % à 26,18 %. Puis c’est l’Indre qui, elle aussi, voit le FN bondir de 19,55 % à 30,21 %, en gagnant 10,66 points. Le Cher voisin enre-gistre une progression de 12,09 points : la présidente du partid’extrême droite y obtenait 19,73 %des suffrages en 2012, la liste de Philippe Loiseau en réunit 31,82 %. Enfin, cette progression est aussi marquée dans la Nièvre, fief mit-terrandiste s’il en fut : le FN gagne 11,79 points, son score grimpe de 19,58 % à 31,37 %. Un autre départe-ment connaît une forte progres-sion du FN en Ile-de-France, la Sei-ne-et-Marne, où il passe de 19,65 %

à 30,93 %, soit +11,28 points. Il ap-paraît a priori difficile de relier en-tre elles les raisons de cette forte poussée de la formation lepéniste dans ces départements.

En baisse dans la Haute-Loire

La progression du FN est limitée à moins de 10 points dans 52 dépar-tements. Elle est inférieure à5 points dans sept d’entre eux : Val-de-Marne (+4,93 points), Finis-tère (+4,54 points), Puy-de-Dôme (4,16 points), Côtes-d’Armor (+3,93 points), Hauts-de-Seine (+3,83 points), Paris (+3,45 points) et le Cantal (+2,26 points). Autant de départements où les scores de Marine Le Pen n’excédaient pas 15 % en 2012, voire étaient infé-rieurs à 10 %, comme à Paris et dans les Hauts-de-Seine.

Le FN recule dans un seul dépar-tement métropolitain, en Haute-Loire : il perd 2,15 points, reculant de 20,40 % à 18,25 %. Peut-êtrefaut-il y trouver une explication dans le positionnement très à droite de Laurent Wauquiez, chef de file de LR dans ce département dont il est élu député et maire du Puy-en-Velay. Le FN enregistre également un recul sensible dans deux départements d’outre-mer : en Guadeloupe, où il ne recueille que 1,4 %, soit un repli de3,76 points, et à La Réunion, où ilchute de 10,31 % à 2,39 %, soit une perte de 7,92 points. Des excep-tions très marginales au regard dela poussée historique enregistréepar l’extrême droite à l’occasionde ce scrutin, qui révèle égale-ment une nouvelle étape dans son développement territorial. p

patrick roger

Le FN progresse le plus dans ses zones de forceCOMPARAISON DES RÉSULTATS DES PREMIERS TOURS DE LA PRÉSIDENTIELLE DE 2012 ET DES RÉGIONALES DE 2015

ÉVOLUTION DU SCORE

DU FN ENTRE 2012 ET 2015

SCORE DU FN EN 2012

Plus de 10 points

20 % et plus

Moins de 20 %

Alsace-Champagne-Ardenne-

Lorraine

Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes

Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées

Nord-Pas-de-Calais-Picardie

Centre-Val-de-Loire

Ile-de-France

Normandie

Bretagne

Pays de la Loire

Auvergne-Rhône-Alpes

Corse

Provence-Alpes-Côte d'Azur

Bourgogne-Franche-Comté

SOURCE : MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR

Par rapport

à 2012, le FN

enregistre une

progression

de plus de

10 points dans

42 départements

LE CHIFFRE

34,8 %Le FN recueille 34,8 % des inten-tions de vote chez les jeunes de 18 à 24 ans ayant l’intention de voter, d’après l’étude Ipsos-So-pra Steria pour le Cevipof sur la sociologie de l’électorat dont une partie des résultats a été pu-bliée dans Le Monde du 4 décem-bre. Néanmoins, 65 % de cette classe d’âge, pour ceux qui sont inscrits sur les listes électorales, s’abstiennent. Le parti d’extrême droite réunit 46,5 % des inten-tions de vote chez les ouvriers, 41,5 % chez les employés et 41,4 % parmi les chômeurs.

hénin-beaumont (pas-de-calais), Beaucaire (Gard), Cogolin (Var)… Certes, toutes ces villes font partie des zones deforte implantation du Front national puis-qu’elles ont été conquises par l’extrême droite aux élections municipales de mars 2014. Un an et demi après, commentles électeurs de ces communes dirigées parune municipalité FN ou soutenues par leFN se sont-ils prononcés au premier tour des élections régionales ? Y a-t-il eu un mouvement de désaffection ou, au con-traire, de renforcement vis-à-vis du FN àl’aune de sa gestion municipale ?

La réponse penche vers la deuxième hy-pothèse. Partout, dans ces communes, leslistes FN obtiennent non seulement des scores très supérieurs à leurs résultats à l’échelle du département ou de la région, mais elles réalisent aussi des progrès im-pressionnants par rapport à leurs scores dupremier tour des élections municipales. A commencer par Hénin-Beaumont, où Steeve Briois (FN) avait été élu dès le pre-mier tour en mars 2014 avec 50,25 % des voix : la liste conduite par Marine Le Pen y recueille cette fois 59,36 %, soit 15 points deplus que son score départemental. Elle ob-

tient 48,65 % à Villers-Cotterêts (Aisne), un score qui dépasse de 5 points sa moyenne départementale et représente une progres-sion de 16,5 points par rapport aux munici-pales.

A l’autre extrémité de la France, en Pro-vence-Alpes-Côte d’Azur, la liste de MarionMaréchal-Le Pen réalise également des sco-res élevés dans les villes conquises en 2014 par le FN. Dans le Var, elle obtient 54,26 % à Cogolin, soit 15 points de plus qu’aux mu-nicipales de 2014 et près de 10 points de plus que sa moyenne départementale(44,57 %), 52,70 % au Luc (+ 16 points parrapport aux municipales), 50,43 % à Fréjus (+10 points). Dans le 13e arrondissement de Marseille, elle recueille 44,57 % (+12 points).

L’exception Béziers

Même chose dans le Vaucluse, où Mme Ma-réchal-Le Pen est élue députée. Au Pontet, elle réunit 53,73 % des suffrages, soit 9,5 points de plus que sa moyenne départe-mentale (44,22 %) et 19 points de plus qu’aux municipales. A Camaret-sur-Aigues, la liste FN obtient 53,21 %, enregis-trant une progression de 22 points par rap-port aux municipales de 2014.

Dans la région voisine de Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, où la liste FN estconduite par Louis Aliot, celle-ci recueille59,68 % à Beaucaire, ce qui la situe 19 pointsau-dessus de sa moyenne dans le Gard et marque une hausse de près de 27 points parrapport au premier tour des municipales. La seule et notable exception se situe à Bé-ziers (Hérault), où la liste du FN réalise cer-tes, avec 45,81 %, un score supérieur de 10 points à la moyenne départementalemais qui dépasse d’à peine un point celuiqu’avait obtenu Robert Ménard au premiertour des départementales.

Dans l’est, la liste de Florian Philippot ob-tient 45,91 % à Hayange (Moselle), 7 points de plus que sur le département (38,90 %) etune progression de 16,5 points par rapport aux municipales. Enfin, en Ile-de-France, la liste de Wallerand de Saint Just obtient 34,41 % à Mantes-la-Ville (Yvelines), ce qui lasitue 15,5 points au-dessus de sa moyenne départementale et représente une progres-sion de 13 points par rapport aux munici-pales. Des scores significatifs, qui témoi-gnent d’une influence accrue dans les zo-nes passées sous la coupe du FN. p

p. rr

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Page 9: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 les élections régionales | 9

Liévin : bastion socialiste en perditionAvec 48,3 % des voix, dans cette ville ancrée à gauche, le parti d’extrême droite fait un score spectaculaire

liévin (pas-de-calais) -

envoyé spécial

Guillaume Kaznowski a27 ans, du gel dans lescheveux, un créditpour sa voiture, et ha-

bite encore chez ses parents, à Lié-vin (Pas-de-Calais). Promis, main-tenant qu’il travaille dans la grande distribution, il va trouver son propre logement. Et puis, celaferait mauvais genre pour un con-seiller régional de continuer à vi-vre sous le toit parental. Le jeune homme, placé en douzième posi-tion sur la liste du Front national dans le Pas-de-Calais, a bon espoird’être élu à l’issue du second tour des élections régionales, diman-che 13 décembre, en Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Marine Le Pen est arrivée largement en tête du pre-mier tour dans la région, avec 40,64 % des voix.

Liévin, 31 000 habitants, bas-tion socialiste qui tient encore de-bout, a plus que contribué à l’ef-

fort électoral frontiste en votant à48,3 % en faveur de la candidate.Reparti en campagne, Guillaume Kaznowski garde sous le bras son téléphone portable et son iPadserrés l’un contre l’autre. Il a enmémoire sur son répondeur les messages laissés ces dernières se-maines par des habitants de la cité minière.

N’importe qui peut trouver sonnuméro dans les dernières pages du Liévinois, le journal munici-pal : il est responsable du petit groupe FN au conseil municipal,qui compte cinq élus. Une vieilledame l’a appelé il y a quelques jours pour se plaindre d’un squat installé dans un garage, non loinde chez elle. Après avoir sollicité en vain la mairie, elle s’est tour-née vers le Front national. Le jeune élu n’a pas encore retourné son appel. « Quand on sera au conseil régional, on pourra leur ré-pondre », assure-t-il.

Il y a un an et demi, à Liévin, leParti socialiste gagnait les élec-

tions municipales dès le premier tour, avec 55 % des voix. Le FN se « contentait » alors de 27 % des suffrages. Un an après, en mars, aux départementales, le binômesocialiste arrivait encore en tête sur la commune, avec 51 % desvoix, contre 34 % pour le parti d’extrême droite. La hiérarchie est aujourd’hui inversée. Le PS,qui n’a obtenu que 26,14 % des voix, dimanche, rend plus de vingt points à Marine Le Pen. Enneuf mois, le bébé frontiste a biengrossi.

« Liévin, c’est la ville de DanielPercheron [président socialistesortant du conseil régional], de Jean-Pierre Kucheida [ancien dé-puté PS, maire de la ville pendant 32 ans, jusqu’en 2013], ce n’est pas rien quand même. Quand je ra-contais que je faisais de la politi-que ici, on me disait que j’étaisfou… » Bruno est songeur. Liévi-nois d’origine, ce fonctionnaire territorial proche de la retraite a quitté les rives de la gauche de-

puis déjà une dizaine d’années pour rejoindre celles du Front na-tional. « On nous paye de promes-ses et on meurt de faim », expli-que ce militant. Malgré l’ouver-ture récente du Louvre-Lens et l’arrivée des réserves du musée, lechômage culmine toujours à prèsde 16 % dans la ville. « Marine Le Pen, elle dit ce que les gens veulententendre sur l’emploi, l’immigra-tion, la sécurité », estime Bruno.

« Autant voir ce qu’elle donne »

Dans les rues de Liévin, tous les sujets sont bons pour justifier l’es-sor du vote frontiste. L’immigra-tion : « Vu ce qu’il se passe à Calaisavec les réfugiés, ce n’est pas éton-nant, assure Emmanuelle, secré-taire médicale. Il y a beaucoup devrai dans ce que dit Marine Le Pen, maintenant j’attends des actes de sa part. » Le niveau de vie : « Ma retraite n’augmente pas, déplore Ginette. Ma sœur voulait m’em-mener avec une copine dans la ga-lerie marchande à Auchan, mais je

ne peux pas me le permettre. » Le logement : « Avec mon mari, on a fait une demande pour une mai-son, mais c’en est un avec un tur-ban qui est passé avant nous, on en a marre », lâche une femme, qui ne veut pas donner son nom. « Ecrivez Ben Laden. Ou djihadiste, comme vous voulez. »

La plupart des villes encore an-crées à gauche dans le bassin mi-nier ont été touchées par le phé-nomène : 49 % pour le FN à Méri-court, municipalité communiste, 53 % à Harnes, ville socialiste, etc.

Hénin-Beaumont, la cité modèle du FN, qui a élu Steeve Briois à sa tête en 2014, a de son côté voté à 59 % pour Marine Le Pen. C’est surce terreau-là que la députée euro-péenne espère fonder un éven-tuel succès dans son duel face à Xavier Bertrand (Les Républi-cains) pour le second tour. La pré-sidente du FN va tenter de rame-ner à elle les électeurs de gauche laissés sur le carreau par le retrait du socialiste Pierre de Saintignon, arrivé troisième, qui s’est désisté au nom du « barrage républi-cain ».

« Le programme de Xavier Ber-trand, c’est mort aux pauvres. Je nesuis pas sûre qu’il y ait beaucoup d’électeurs de gauche qui veuillent se lancer dans cette chasse auxpauvres », a lancé la candidate frontiste lors d’une conférence de presse, à Lille. Ils sont plus nom-breux à dire, comme Ginette : « Marine Le Pen, autant voir ce qu’elle donne ». p

olivier faye

Il y a un an

et demi,

le PS gagnait

les municipales

dès le premier

tour avec 55 %

des voix

Lunel traumatisée par l’affaire des djihadistesDans cette ville de l’Hérault qui avait défrayé la chronique, le FN imprime sa marque

lunel (hérault) - envoyé spécial

I ls sont difficiles à débusquerces 43,31 % d’électeurs qui ontvoté pour Louis Aliot (FN) à Lu-

nel (Hérault), au premier tour des élections régionales, dimanche 6 décembre. Y aurait-il un « syn-drome mosquée » à l’origine de cette flambée du Front national dans cette petite ville située à une vingtaine de kilomètres à l’est de Montpellier, et dont la mosquée El Baraka a défrayé la chronique en 2014 après qu’une vingtaine de jeunes Lunellois l’ayant fréquen-tée étaient partis en Syrie. Huit d’entre eux y auraient trouvé la mort.

Les Lunellois en ont un peumarre de cette image qui fait d’euxdes « fachos décomplexés », comme le dit un commerçant du cours Gabriel-Péri, au centre de la ville. De même qu’en ont marre leshabitants d’origine maghrébine – nombreux dans cette commune de 26 000 habitants – de se voir as-similés sans nuances à des djiha-distes, des salafistes, des intégris-tes… Eux dont la plupart sont « français de cœur et d’âme depuis que [leurs] parents et [leurs] grands-parents sont allés [se] faire trouer la peau pour la France dans les deux guerres mondiales », sou-pire, au Bar des Amis, un homme de 56 ans arrivé « tout petit » à Lu-nel après une autre guerre, celle d’Algérie en 1961.

Juste un vote de colère ?

Ceux qui acceptent de parler au journaliste sont ceux qui n’ont pasvoté Front national. Qui en con-naissent certains – « mais je ne vous dirai pas le nom » –, et qui re-connaissent, sous le sceau de l’anonymat, qu’ils comprennent que ces « certains » en aient un peu « ras-le-bol ». Juste un vote de colère, de désespoir, que ce choix du FN ? Ou un vote de conviction ?

« Ils sont de plus en plus nom-breux ceux qui ont faim. Faim de justice, faim de reconnaissance, faim tout court parfois… Et quand on a faim, vous savez, on est prêt à tout et à n’importe quoi », résume un restaurateur. Qui se dit connu ici pour avoir, lui, « foutu dehors », lorsqu’elle venait distribuer ses tracts sur le cours Gabriel-Péri, Ju-lia Plane, la candidate FN à la mai-rie en 2014, présente avec trois

autres Lunellois sur la liste Aliot. « Ce “score” du FN a été réalisé avecseulement 46 % de votants, veut re-lativiser Christine Bonelli, direc-trice du service communication de la mairie. Et il n’a rien d’excep-tionnel par rapport au reste de la France. »

Le parti de Marine Le Pen a pourla première fois présenté une can-didate aux élections municipales en 2014. La dénommée Julia Plane, qui fera 27,3 % au second tour et quin’a pas donné suite à nos sollicita-tions lundi 7 décembre. Tout comme Claude Arnaud, le maire (divers droite), lequel « ne souhaiteplus parler à la presse », depuis l’avalanche médiatique qui s’est abattue sur sa ville après l’affaire des jeunes djihadistes issues de sa commune.

Ah… La mosquée… Serait-elle àl’origine du « carton » de M. Aliot ?C’était pourtant au départ une idée généreuse qui avait présidé à la décision de sa construction en 2006. « Pour mettre fin aux priè-res qui se tenaient jusque dans la rue, en centre-ville, faute d’un local digne de ce nom, Monsieur le Mairea donné son accord pour l’édifica-tion d’un lieu de culte musulman sous deux conditions expresses : pas de minaret et des prêches en français », rappelle Christine Bo-nelli. Seulement voilà, « le contrat moral a été rompu lorsque est ar-rivé un imam qui ne parlait pas français ». Puis l’élection du nou-veau président de l’Union des mu-sulmans de Lunel, qui gère la mos-quée, faillit tourner vinaigre, fin octobre, après qu’une bagarre eut perturbé le déroulement des dé-bats dans le lieu de culte.

Tout cela a pu alimenter le vote.Mais pas que… D’aucuns citent, en vrac, le centre-ville à rénover, l’em-bauche de jeunes d’ailleurs, pour les vendanges, au détriment de Lu-nellois en galère… Tout y passe pour alimenter le « ras-le-bol ». p

pascal galinier

Les Lunellois en

ont un peu marre

de cette image

qui fait d’eux

des « fachos

décomplexés »

Page 10: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

10 | international MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

0123

suite de la première page

Il est assigné à résidence en attendant son procès début 2016. « Je croyais faire quelque chose de pur et juste. Aujourd’hui, je suis marqué au fer rouge : terroriste, même si je n’en suis pas un », jure le jeune homme au visage encore adolescent parsemé de touffesde poils de barbe blonds. « C’est pas demain que j’aurai une copine. Il n’y a pas de femme pour les terroristes », lâche-t-il avec un sourire forcé.

Les problèmes de cœur d’A.B. ne sont riencomparés au nombre de jours qu’il pourraitbien passer derrière les barreaux dans un avenir proche. A l’été 2014 – « vraisemblable-ment alertée par les services de renseigne-ment américains inquiets de la passivité des autorités kosovares », glisse une personneproche du dossier –, la police locale a lancéun vaste coup de filet contre les milieuxislamistes de ce petit pays qui a gagné sonindépendance vis-à-vis de la Serbie en 2008grâce aux avions de l’OTAN et au soutienpolitique de l’Union européenne. Un pays neuf, peuplé à 95 % d’Albanais qui revendi-quent pour la plupart « une tradition musul-mane » tolérante, héritée de la périodeottomane.

Kaçanik et ses alentours ont été particuliè-rement ciblés. Cette ville de 30 000 habitantssituée sur la route nationale menant à laMacédoine, à une quinzaine de kilomètres de là, s’est forgée une sale réputation depuis que Lavdrim Muhaxheri, l’un de ses enfants, exhibe sa cruauté sur les réseaux sociaux.Sur une vidéo postée au mois de mai, on le voit pulvériser à l’aide d’un lance-roquettesun jeune homme attaché à un arbre.

Une vingtaine de personnes des environsseraient parties en Syrie. « C’est une régiontrès pauvre, avec peu d’éducation, et proche dela Macédoine où des imams prêchent le radi-calisme et l’appel à la guerre sainte sans êtreinquiétés », constate Skender Petreshi, cher-cheur au Centre kosovar d’études sur la sécu-rité (KCSS). « On ne peut exclure le jeu trouble de la Russie à travers la Serbie qui pourrait utiliser ces groupes radicaux pour déstabiliserle Kosovo », ajoute-t-il. Belgrade n’a jamais vraiment digéré la perte du Kosovo, « ber-ceau » de son église orthodoxe. La Russie,quant à elle, au-delà de la fraternité ortho-doxe, considère historiquement les Balkans comme une région stratégique, couloir entrel’Europe et l’Orient.

Durant la guerre de 1998-1999 menée parles Albanais du Kosovo pour se détacher de laSerbie, la propagande serbe décrivait ainsi l’Armée de libération du Kosovo (UCK)comme un dangereux ramassis d’islamistes.« Ça n’a jamais été une guerre de religion »– sous-entendu « Kosovars-Albanais musul-mans » contre « Serbes chrétiens orthodo-xes » –, défend Kadri Veseli, le président duParlement et ancien chef du SHIK (services secrets) au sein de l’UCK. Nombre des cadres

de l’ex-UCK, au pouvoir depuis la fin duconflit, ont d’ailleurs été formés à l’écoleathée du dictateur communiste albanais Enver Hoxha (1908-1985).

« IL EST SANS DOUTE AU PARADIS »

Au petit matin du 11 août 2014, A.B. a donc étécueilli sur son lieu de travail, sept mois aprèsson retour de Syrie. Quarante autres person-nes qui, comme lui, avaient fait ce voyage ont aussi été interpellées. Les plus dangereu-ses sont toujours en prison. Lui est consigné à son domicile où il rumine son « erreur » etson ennui avec son père dépressif. « Ma seulesortie, c’est mes rendez-vous chez le dentiste, sous escorte policière », soupire-t-il.

A.B. risque une peine de prison compriseentre cinq et dix ans pour participation à uneentreprise terroriste. « Il sera vraisemblable-

ment condamné mais pourrait bénéficier de l’indulgence des juges parce qu’il a reconnuêtre parti en Syrie. Et je n’ai rien vu dans le dossier qui prouve qu’il a combattu dans l’or-ganisation de l’Etat islamique (EI) ou le FrontAl-Nosra », explique son avocate commised’office qui tient elle aussi à son anonymat. « Je ne l’aurais pas défendu si je n’y avais pas été obligée », confie-t-elle. Le drapeau noir de l’EI, les atrocités qui sont diffusées sur Inter-net ne sont guère populaires au Kosovo.

YouTube, c’est par là que tout aurait com-mencé. « J’étais scandalisé par les images desenfants syriens tués par l’armée de Bachar », raconte le jeune homme. « Je pensais à la guerre du Kosovo [de 1998 à 1999 contre la Serbie]. J’ai commencé à aller sur les réseaux sociaux et j’ai organisé seul mon départ », affirme-t-il. L’apprenti djihadiste ne parlepourtant que l’albanais. En revanche, sonfrère, un ancien combattant de l’UCK, avaitfait le voyage en Syrie avant lui. « Il a sansdoute été pris en charge par les groupesd’Albanais qui sont déjà là-bas, notamment Lavdrim Muhaxheri, la tête d’affiche des Kosovars en Syrie », avance le chercheurSkender Petreshi.

« ABSENCE DE L’ÉTAT »A.B. reste vague sur son passage en Syrie. Dif-ficile de dire aussi combien de Kosovars sontpartis. Selon Kadri Veseli, « il y a 300 Kosovarsen Syrie, dont certains sont partis avec leur fa-mille ». Il faut y ajouter une soixantaine d’autres qui ont été tués, pour une popula-tion kosovare de 1,8 million d’habitants.

C’est ce qui est arrivé à Hetem Dema, luiaussi un ancien combattant de l’UCK. A l’inverse d’A.B., dont l’engagement religieux ne saute pas aux yeux, ce quadragénaire s’était radicalisé avant son départ en 2014. « Je suis heureuse pour lui, il est sans doute au paradis », dit sa femme dans sa maison du quartier Bob de Kaçanik, enveloppée dans le niqab qu’elle porte depuis deux ans, unerareté au Kosovo.

Mais Kadri Veseli s’inquiète de ces dérivesminoritaires. « Surtout que l’on assiste à un retour du religieux dans la société albanaise sur fond de pauvreté et de crise d’identité. Quelavenir pour les jeunes dans un pays quidemeure à l’écart de l’Europe, hormis la reli-gion ou l’émigration ? », s’interroge aussiLinda Gucia, professeure de sociologie àl’Université de Pristina.

Le 27 novembre, deux semaines après lesattentats de Paris, Kadri Veseli s’est rendu à lamadrasa de Pristina. Son message adresséaux quelque 500 élèves était double. Réaffir-mer la séparation de l’Etat et de la religion auKosovo, et rappeler que « les auteurs des attentats sont des ennemis de Dieu et de la foi ;des groupes criminels qui cherchent à détruirenotre esprit de tolérance religieuse et de solidarité ».

« Personne ne met en doute la sincérité desautorités kosovares de lutter contre le radica-lisme religieux. En revanche, certains criti-quent la lenteur de leurs réactions devant cer-tains phénomènes inquiétants », glisse un di-plomate étranger. Par cela, il entend « l’acti-vité d’un certain nombre d’ONG saoudiennes, notamment, qui font du prosélytisme sous couvert d’action humanitaire ». « Dans l’om-bre de wahhabites ou de salafistes se seraient glissées des organisations takfiristes prônantla violence », observe Skender Petreshi.

ARGENT DU GOLFELe phénomène remonte au lendemain de la guerre du Kosovo. « Ces organisations ontprofité du vide de l’après-guerre, de l’absence de l’Etat pour diffuser leur vision extrême et rigide de la religion », reconnaît Xhabir Ha-miti, professeur à la faculté d’études islami-ques de Pristina. Des mosquées ont été cons-truites avec l’argent du Golfe, des fidèles ont été convaincus de les fréquenter contre ar-gent et des imams ont été formés, notam-ment en Egypte et en Arabie saoudite. Le touten marge de la Communauté islamique du Kosovo, l’instance représentative du cultemusulman, qui cherchait alors ses marques, prise dans le tourbillon de la chute de la You-goslavie et de l’affirmation du nationalismealbanais.

« Cela ne fait pas d’eux des terroristes », ad-met Kadri Veseli. « Mais le fondamentalisme religieux porte les germes du terrorisme », ajoute-t-il. Une douzaine d’imams – « cer-tains diffusaient un langage de haine et appe-laient à se joindre à la guerre sainte en Syrie », selon Xhabir Hamiti – ont ainsi été pris dans les filets de la police à l’été 2014, dont celui dela grande mosquée de Pristina, Shefqet Kras-niqi. « Les graines du radicalisme ont été plan-tées il y a plus de dix ans. Depuis, elles ontpoussé, il sera difficile de s’en débarrasser »,conclut la sociologue Linda Gucia. p

christophe châtelot

« DANS L’OMBRE

DE WAHHABITES

OU DE SALAFISTES SE

SERAIENT GLISSÉES

DES ORGANISATIONS

TAKFIRISTES

PRÔNANT LA VIOLENCE »

SKENDER PETRESHIchercheur

La tentation du radicalisme islamiste gagne le KosovoDans ce pays neuf, majoritairement musulman, on assiste à un retour du religieux. Les autorités s’inquiètent du départ de plusieurs centaines de Kosovars pour la Syrie

A Kaçanik, d’où une vingtaine d’hommes sont partis combattre en Syrie. LOULOU D’AKI POUR

« LE MONDE »

Mer

Adriatique

Tirana

Pristina

Belgrade

Sarajevo

Podgorica

Skopje

KOSOVO

ALBANIEMACÉDOINE

MONTÉNÉGRO

SERBIE

BOSNIE-HERZÉGOVINE

CROATIE

Catholiques

Orthodoxes

Musulmans

Kaçanik

50 km

Page 11: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 international & europe | 11

Face à Viktor Orban, Bruxelles reste ambiguëLa Commission hésite à attaquer frontalement la Hongrie, qui a déposé un recours sur les quotas de réfugiés

bruxelles, vienne - correspondants

Bruxelles a-t-elle décidéd’accentuer la pressionsur la Hongrie du pre-mier ministre populiste

Viktor Orban ? Les contentieux se sont certes récemment multi-pliés avec la Commission euro-péenne, à la suite du refus de Bu-dapest d’accepter les quotas de ré-fugiés voulus par Bruxelles.

Pourtant, l’institution commu-nautaire ne semble pas prête à rompre avec l’ambiguïté qui ca-ractérise ses rapports avec ce paysdepuis des années : elle lance des procédures, des avertissements, mais n’a pas l’intention de passer à la manière forte en mettant Bu-dapest au ban des Européens. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, a beau lancerdes « Salut dictateur ! » sonores àM. Orban (lors d’un rendez-vous officiel, au printemps), pour l’ins-tant, pas question de l’exclure de la famille européenne – ni de celledu Parti populaire européen (con-servateurs).

Pétition antimigrants

Jeudi 3 décembre, le gouverne-ment hongrois a fait savoir qu’il portait un recours auprès de la Cour de justice de l’Union euro-péenne contre la proposition de relocaliser en urgence 120 000 ré-fugiés, validée par le Conseil euro-péen en septembre. Le même jour,il a lancé une campagne de presse très dure : plusieurs journaux hon-grois affichaient jeudi sur une pleine page des messages comme :« Les quotas augmentent la me-nace terroriste ! » ou « Un immigré illégal arrive en Europe toutes les douze secondes en moyenne ».

Budapest affirme avoir collectéprès d’un million de signatures ensoutien à sa politique de refus desmigrants. Cette pétition, pour la-quelle les militants du parti au pouvoir, le Fidesz, celui de M. Or-ban, ont sillonné tout le pays, doitêtre présentée avant Noël auxautorités européennes.

La Hongrie a été le premiermembre de l’UE à fermer sa fron-tière avec la Serbie, puis avec la Croatie, pour refouler les deman-deurs d’asile venus de Grèce. Mais aussi à prendre la tête d’un front du refus des quotas en Europe, despays baltes à la Roumanie, en pas-sant par le groupe de Visegrad (Po-logne, République tchèque, Slova-quie et Hongrie). Le 2 décembre, la Slovaquie a, elle aussi, envoyé un recours auprès de la Cour de jus-tice du Luxembourg pour dénon-cer le plan de « relocalisation » des réfugiés.

Coup sur coup, la Commission atiré plusieurs coups de semonce à l’adresse de Budapest. Jeudi 19 no-vembre, elle a envoyé une lettre demise en demeure – la première étape d’une procédure pour in-fraction aux règles communautai-res –, parce que la Hongrie a ac-cordé à l’entreprise russe Rosatom un contrat de 12 milliards d’euros pour construire deux nouvelles tranches de la centrale nucléaire de Paks sans passer par un appel d’offres. L’accord a été signé à Mos-cou en janvier 2014, en pleine criseukrainienne.

L’ancien président de la Com-mission, José Manuel Barroso avait, dès 2014, signalé ce pro-blème. La Hongrie a cru s’en tirer en offrant d’associer des entrepri-ses occidentales, dont Siemens ou Areva. Mais la Commission n’est manifestement pas prête à passer l’éponge, ce qui a conduit M. Or-ban à exiger, dans un récent entre-tien au site Politico, une « révision des traités européens », afin d’assu-

d’autoriser une initiative ci-toyenne européenne mise en place par Wake Up Europe !, visant à collecter un million de signatu-res pour dénoncer les atteintes aux droits de l’homme en Hon-grie. Ce mécanisme introduit par le traité de Lisbonne permet à de simples citoyens – il en faut au moins sept, issus de sept Etats membres – d’inviter la Commis-sion à agir. En théorie, le processuspeut déboucher sur l’utilisation del’article 7 du traité qui prévoit la suspension du droit de vote au Conseil européen d’un pays qui nerespecte pas les valeurs de l’UE.

Le commissaire hongrois àBruxelles, Tibor Navracsics, chargé

de la culture, a vivement protesté,s’interrogeant, dans un courrier qu’a pu consulter Le Monde, sur lesraisons pour lesquelles ce feu vert a été décidé lors d’une réunion dont il était absent. M. Juncker lui asèchement répondu que les com-missaires n’étaient pas à Bruxelles « pour défendre les intérêts des gou-vernements (…) mais uniquement pour défendre l’intérêt européen ».

« Question de procédure »

A Bruxelles, on minimise, on as-sure qu’il n’y a aucun rapport avec l’attitude de Budapest concernant la crise des migrants. La pétition Wake up Europe ! ? « Une question de procédure, assure une source

européenne. Les conditions pour son lancement étaient réunies. Imaginez les réactions si, au con-traire, Bruxelles n’avait pas donné son feu vert. »

Car s’il n’est pas question de lais-ser M. Orban s’approcher trop près des » lignes rouges » des va-leurs de l’Union, il n’est pas ques-tion non plus de l’attaquer fronta-lement. Surtout que certaines de ses prises de position sur les mi-grants ou la nécessité de mieuxprotéger les frontières extérieu-res de l’espace Schengen sont dé-sormais majoritaires parmi les di-rigeants européens. p

cécile ducourtieux

et joëlle stolz

Le premier ministre hongrois, Viktor Orban (au centre), lors d’un sommet UE-Afrique, le 11 novembre, à La Valette. Y. HERMAN/REUTERS

L’UE veut discrètement prolonger les sanctions contre la RussieLa levée des mesures contre Moscou reste conditionnée au respect des accords de Minsk sur l’Ukraine

bruxelles - bureau européen

L’ Union européenne s’ap-prête à prolonger pourune durée de six mois les

sanctions économiques prises à l’encontre de la Russie pour son rôle dans la guerre en Ukraine. La question devait théoriquementêtre au menu du Conseil euro-péen des chefs d’Etat et de gouver-nement, les 17 et 18 décembre, mais, selon nos informations, elledevrait être tranchée auparavant.

Cette prolongation pourrait êtreentérinée lors d’une simple réu-nion des ministres des affaires étrangères, probablement lundi 14 décembre, lors d’un conseil desministres « affaires générales », à

Bruxelles. Une réunion prépara-toire des ambassadeurs des Vingt-Huit à Bruxelles devrait, cette se-maine, régler les derniers détails.

Selon des sources européennes,ce rendez-vous « technique » nedevrait pas donner lieu à de grands débats, le consensus entre pays membres – nécessaire à une prolongation des sanctions – étant en partie acquis. La décisionet le mode opératoire auraient no-tamment été fixés par les grandspays européens, en concertationavec Washington, en marge du sommet du G20 d’Antalya (Tur-quie), les 15 et 16 novembre.

La raison de cette procédure dis-crète ? Il n’est pas question de mettre en scène cette décision, de

risquer d’humilier la Russie au moment où elle s’impose commeun acteur incontournable dans le dossier syrien. La chancelière alle-mande, Angela Merkel, notam-ment, a insisté pour que la ques-tion soit traitée loin des projec-teurs, soulignant le rôle crucialque Moscou peut jouer dans plu-sieurs crises actuelles.

Combats sporadiques

Ces sanctions, très lourdes, qui empêchent les entreprises russes des secteurs bancaire et de l’éner-gie de se financer sur les marchés d’Europe occidentale, avaient été décrétées en juillet et septem-bre 2014, dans la foulée de la des-truction du Boeing de la Malaysia

Airlines par un missile d’origine russe, en Ukraine. Associées à la baisse des prix des hydrocarbu-res, elles ont contribué à plonger la Russie en récession. Elles avaient déjà été prolongées de six mois cette année, lors du Conseil européen du 22 juin. D’autres me-sures, bien moins lourdes, avaient été prises dès le prin-temps 2014, en réponse à l’an-nexion de la Crimée par Moscou. Leur levée n’est pas envisagée.

Sur le fond, la décision de prolon-ger les sanctions n’a rien d’éton-nant. François Hollande et Angela Merkel, les dirigeants européens les plus impliqués dans le règle-ment du conflit en Ukraine, ont toujours lié une éventuelle levée

rer aux pays membres une plus grande autonomie de décision quand ils concluent des contrats.

Lundi 23 novembre, Bruxelles aannoncé une « enquête approfon-die » sur les conditions dans les-quelles Budapest apporte une aide financière à l’accord nu-cléaire. La Commission est irritée par le timing politique du contrat avec la Russie, mais aussi par sonopacité : le Parlement hongrois l’aclassé top secret pour trente ans. Même la représentation hon-groise à Bruxelles, glisse unesource diplomatique, n’a pu avoir connaissance des détails.

A cela s’ajoute la décision de laCommission, lundi 30 novembre,

La Commission

a lancé

une « enquête approfondie » surla signature d’uncontrat nucléaire

avec la Russie

des sanctions à l’application pleineet entière des accords de paix si-gnés à Minsk le 11 février. Washing-ton est sur une ligne similaire, rap-pelée lundi par le vice-président américain, Joe Biden, qui, en visite à Kiev, a appelé Moscou à « remplir intégralement ses obligations ».

Or ce résultat est loin d’être at-teint. Depuis plusieurs jours, des combats sporadiques ont repris dans l’est de l’Ukraine. La partie politique de la feuille de route de Minsk, qui devait arriver à échéance à la fin de l’année, n’est pas encore appliquée, victime de blocages aussi bien du côté ukrai-nien que des séparatistes.

Le 2 octobre, un sommet réu-nissant à l’Elysée les dirigeants

français, allemand, russe etukrainien a pris acte de ce retardet offert un délai aux deux par-ties. Kiev et les séparatistes doi-vent encore s’entendre sur unprocessus électoral pour les terri-toires rebelles, qui ouvrira la voieà l’octroi d’un « statut spécial »pour ces territoires. La fin du pro-cessus s’annonce encore plussensible, et nécessitera ensuiteune implication sans faille de la Russie, avec le retrait des groupesarmés illégaux opérant dans leDonbass et le retour à la partie ukrainienne du contrôle de lafrontière russo-ukrainienne. p

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Page 12: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

12 | international MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

0123

Au Venezuela, une cohabitation inéditeLa victoire de l’opposition aux législatives ouvre une période politique très incertaine

caracas - envoyée spéciale

Au lendemain des élec-tions législatives du di-manche 6 août, qui ontdonné une large vic-

toire à l’opposition, les questions se bousculent. Comment va s’or-ganiser la cohabitation entre le pouvoir vénézuélien et l’Assem-blée nationale, où les opposants sont désormais majoritaires ? « Il faudra commencer par dialoguer, ce que les deux camps ont depuis longtemps perdu l’habitude et l’en-vie de faire », affirme le sociologueIgnacio Avalos.

Lundi, le président Nicolas Ma-duro a appelé au dialogue « avec lepeuple, avec la base, avec la criti-que ». Mais point avec l’opposi-tion parlementaire. Dans un pays aussi fracturé que le Venezuela, la cohabitation est-elle possible ? Se-ra-t-elle efficace pour résoudre lesgraves problèmes que connaît le pays ? Pour remplir les magasins et freiner l’inflation ? L’oppositionva-t-elle jouer la carte du référen-dum révocatoire pour écourter le mandat de M. Maduro ?

Dimanche soir, 22 des 167 siègesque compte l’Assemblée restaient à attribuer. Lundi, le Conseil na-tional électoral a diffusé un nou-veau bulletin : l’opposition rem-porte 110 sièges, contre 55 pour le Parti socialiste unifié du Ve-nezuela (PSUV), la formationcréée par l’ancien président Hugo Chavez et ses alliés. Les chavistesrecueillent 32,92 % des voix, alors que les opposants en obtiennent64,07 %.

Les premiers résultats officielsétaient tombés tard dans la nuit de dimanche à lundi. La célébra-tion a été modeste. « Dommage, c’était un moment historique, sou-pire l’opposante Alejandra Con-treras. Mais Caracas est une ville trop dangereuse pour sortir la nuit. » Professeur à la retraite, Or-lando Regalado considère pour sa part que « dans un pays divisé et encrise, l’opposition a bien fait de jouer la sérénité et la retenue ».

« Droite fasciste »Lundi, les rues de Caracas, calmes et vides, avaient un air de diman-che. Dans les cafés des beaux quartiers, toutes les conversa-tions portent sur « la raclée » infli-gée au gouvernement. A l’ouestde la ville, dans le quartier popu-laire de Catia, l’atmosphère est lourde. Un homme en chemise rouge harangue les passants : « La droite va tout nous prendre et ce sera de votre faute. » Une petite grand-mère l’écoute, les larmes aux yeux. « J’ai peur pour ma re-traite », explique-t-elle.

A la télévision, le discours offi-

ciel est resté intact : l’opposition a mené contre le pouvoir révolu-tionnaire une guerre économique sans merci, qui a plongé le Ve-nezuela dans la crise et permis à ladroite fasciste de remporter les lé-gislatives. Jorge Rodriguez, maire de Caracas et chef de la campagne du PSUV, l’a encore une fois expli-qué lundi après-midi. « Le gouver-nement doit accepter sa part de res-ponsabilité, au risque de se mon-trer complètement déconnecté dela réalité », assure l’analyste Nic-mer Evans, chaviste critique.

Jusqu’à présent, rien dans l’atti-tude du gouvernement ne semble annoncer une ouverture. Le pou-voir semble avoir été pris de court par la défaite, pourtant annoncée par les sondages. Le chavisme, comme force politique, va-t-il ré-sister au choc ? Ou imploser ? Af-faibli politiquement, le président Maduro conserve de larges pou-voirs. Diosdado Cabello, le puis-sant numéro deux du chavisme, n’a été réélu que de peu. A en croire l’opposition, l’équipe gou-vernementale, déchirée dès di-manche soir, aurait reconnu les ré-sultats sous la pression de l’armée.

La Table de l’unité démocratique(MUD) est une coalition électoralequi rassemble des opposants de l’extrême gauche à la droite. Le scrutin ne permet pas de détermi-ner la force respective des diffé-rents partis de la MUD, car les dé-putés ont été élus sur une listeunique. « Pour l’heure, les diri-geants de la MUD sont forcés de s’entendre », résume Efraim Vega, médecin et opposant. « Pour la

première fois en seize ans, nous do-minons un pouvoir, se réjouit-il. Un seul pouvoir dans un pays où laséparation des pouvoirs n’existe pas. » La justice est contrôlée parl’exécutif. L’armée, la banque cen-trale et la puissante entreprise de pétrole PDVSA aussi.

« Notre première action sera defaire de l’Assemblée nationale unevéritable Assemblée, explique le député d’opposition Stalin Gon-zalez, ancien dirigeant du mouve-ment étudiant. Depuis cinq ans, l’Assemblée vénézuélienne ne légi-fère pas. Elle délègue ce rôle à l’exé-cutif, elle ne débat pas et elle ne contrôle rien. »

Les élus de l’opposition se réu-nissent mercredi pour définir leur ligne d’action. « Un consen-sus se dégage d’ores et déjà sur la priorité à donner aux problèmes économiques. Il y va de la survie du pays », affirme M. Gonzalez. LeVenezuela est en récession, en-detté, avec une inflation débridéeet des pénuries persistantes. C’est

également l’avis de Nicolas Rojas,diplomate de carrière, sans postedepuis plusieurs années. « Il faut espérer que gouvernement et op-position définissent une feuille deroute pour la gouvernance quipermette à chacun de jouer sonrôle », dit-il, en appelant de sesvœux une « restauration de la Ré-publique ».

« Notre victoire ne change rien auquotidien des électeurs. Nous de-vons leur montrer des résultats ra-pidement. Ils ne nous ont pasdonné un chèque en blanc », pour-suit Stalin Gonzalez. Les mesuresd’ajustement que l’opposition ré-clame depuis des mois ne seront ni faciles à mettre en œuvre ni po-pulaires. La libéralisation du con-trôle des changes et des prix, l’augmentation du prix de l’es-sence, la flexibilisation du travail que déjà réclame la fédération pa-tronale n’ont rien pour séduire leschavistes qui, en retournant leur veste et leur vote, ont donné lavictoire à l’opposition.

« En revanche, nous pouvons trèsvite décider de suspendre les achats d’armes à la Russie ou les li-vraisons de pétrole à Cuba », souli-gne M. Gonzalez. Les plus radi-caux des opposants rêvent d’endécoudre au plus vite avec M. Ma-duro. La Constitution vénézué-lienne offre aux électeurs mécon-tents la possibilité de chasser unélu à mi-mandat. « L’organisation d’un référendum révocatoire dé-placerait le débat sur le terrain po-litique, tempère M. Gonzalez. L’ur-gence est économique. » p

marie delcas

« Nous pouvonstrès vite décider

de suspendre les

achats d’armes

à la Russie ou

les livraisons de

pétrole à Cuba »

STALIN GONZALEZancien dirigeant

du mouvement étudiant

Un homme en

rouge harangue

les passants :

« La droite va tout

nous prendre

et ce sera

de votre faute »

Le décès du milliardaire Xu Ming, nouvelle affaire dans l’affaire Bo XilaiLa mort de l’homme d’affaires a été annoncée par des médias chinois

pékin - correspondant

I l avait été classé, en 2005,parmi les dix hommes lesplus riches de Chine, avant

d’être l’un des principaux acteurs de l’affaire Bo Xilai, du nom de ce « prince rouge » et rival politique de l’actuel numéro un chinois, XiJinping, condamné à la prison à vie pour corruption en 2013. La mort en prison, vendredi 4 dé-cembre, de Xu Ming, un self-ma-de-man qui avait bâti le groupe in-dustriel Shide, a été annoncée par plusieurs médias chinois, ce qui ne manque pas de soulever inter-rogations et suspicions, ainsi que de renforcer les zones d’ombre de l’affaire Bo Xilai. Xu serait mort dans une prison de Wuhan, dans le centre de la Chine.

Agé de 44 ans, il devait être libéréen septembre, selon le site d’infor-mation Caixin, l’un des seuls mé-dias chinois à avoir relayé la nou-velle. Son procès, s’il a eu lieu, n’a jamais été rendu public.

En 2013, cet ancien industriel dela ville de Dalian fut l’un des prin-cipaux témoins à charge contre Bo Xilai lors du procès de l’ex-chefdu Parti communiste chinois (PCC) à Chongqing : il confirma avoir payé une partie des dépen-ses à l’étranger du fils des Bo, ainsique la villa Fontaine, à Cannes, ac-quise derrière un prête-nom parl’épouse de M. Bo, ce dont il avait reconnu ne pas avoir informé l’ac-cusé. M. Bo avait eu le rare privi-lège de mener un contre-interro-gatoire, avant d’être finalement condamné à la perpétuité.

Le nom de Xu Ming était apparuà de multiples reprises au cours des procès des différents protago-nistes de l’affaire Bo Xilai, dres-sant le tableau d’un entrepreneur clé dans l’entourage de l’ambi-tieux « prince rouge », alors rival

potentiel de Xi Jinping. Xu Ming était en quelque sorte le « ban-quier » des Bo. Il avait bâti sa for-tune à Dalian du temps où Bo Xi-lai en était le maire, et fut classé en 2005 huitième fortune deChine par le magazine Forbes. Songroupe, Shide, fut chargé de tra-vaux d’embellissement de la mé-tropole portuaire et devint un conglomérat du plastique.

Décès suspect

Lors du procès de Gu Kailai, l’épouse de Bo Xilai, accuséed’avoir assassiné le consultantanglais Neil Heywood en 2011, ilfut révélé que Xu Ming, avec WangLijun, l’ex-chef de la police de Chongqing, avaient conçu le plan d’attirer l’Anglais Neil Heywood à Chongqing, puis de le tuer lors d’une opération policière en pré-textant qu’il était un trafiquant dedrogue. Ce plan n’avait pas été misà exécution, et Gu Kailai auraitempoisonné elle-même leBritannique.

Xu Ming gérait les affaires deMme Gu, qui s’était mise à douter de Neil Heywood, qui lui servait de prête-nom et réclamait une compensation jugée outrancière.Ces informations ont été confir-mées au Monde par une source di-rectement impliquée dans les montages financiers de la villa Fontaine.

Le décès de Xu Ming soulève tou-tefois de nouvelles questions dansun contexte politique de censure

Le procès

de Xu Ming,

s’il a eu lieu,

n’a jamais été

rendu public

extrême : selon le site d’informa-tion Caixin, sa dépouille aurait étéincinérée et ses cendres rendues àla famille. Des internautes n’ont pas manqué de trouver suspect le décès de M. Xu, qui n’aurait pas eud’antécédents cardiaques.

Personne, en outre, ne trouvetrace du « procès » de Xu Ming : le professeur de droit He Weifang, l’un des commentateurs les plus pointus sur l’affaire Bo Xilai, s’est empressé de dénoncer sur Weibo, le Twitter chinois, le silence qui a entouré le jugement de Xu Ming, alors que la cour avait tweeté en direct le déroulement du procèsde M. Bo. L’universitaire a de-mandé que le public soit informé des détails du procès. Son post a largement circulé avant d’être ef-facé par la censure.

Même Hu Xijin, le rédacteur enchef du quotidien nationaliste etconservateur Global Times, a ap-pelé sur Weibo la Cour suprême à donner plus d’informations sur lejugement de l’homme d’affaires.Face aux questions des internau-tes, un hebdomadaire sportif chi-nois a laissé filtrer que M. Xu avaitloué un logement pour son chauf-feur près de la prison et lui faisait faire des courses. Il aurait ainsi dé-pensé plusieurs milliers d’eurosdans l’achat de livres.

Xu Ming a, semble-t-il, été relati-vement bien traité en échange de sa collaboration avec les autorités lors du procès de Bo Xilai. L’ex-ma-gnat n’avait pas eu le choix : il fut d’abord mis au secret lors d’une deces gardes à vue discrétionnaires et sans limite de la Commission centrale de discipline, le bras anti-corruption du PCC. Son décès sou-dain pourrait relancer les interro-gations sur l’affaire Bo Xilai, le scandale le plus retentissant de l’histoire récente du PCC. p

brice pedroletti

LETTONIELa première ministre a démissionnéLa première ministrede la Lettonie, Laimdota Straujuma, 64 ans, a annoncé, lundi 7 décembre, sadémission, survenue dansun contexte de dissensions au sein de son parti Unité (centre droit). Mme Straujuma était sous le feu de critiques à cause des difficultés à mettre en œuvre le projet de budget pour 2016 qui prévoit une hausse des impôts. Elle a éga-lement dû faire face à une grève des enseignants et à la faillite du transporteur aérien national AirBaltic. « Je vois que de nouvelles idées, nou-veaux apports et de nouvelles énergies sont nécessaires »,a-t-elle expliqué. – (AFP.)

CÔTE D’ IVOIRELe président de l’Assemblée visépar la justice françaiseGuillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoi-rienne, est visé par un man-dat d’amener de la justice française. Lundi 7 décembre, des policiers se sont présen-tés, sans succès, à son domi-cile français afin que l’ex-chef rebelle et actuel numéro deuxivoirien soit entendu dans le cadre de la plainte déposée en 2012 par Michel Gbagbo pour « enlèvement, séquestra-tion et traitement dégradants et inhumains ». Le fils de l’an-cien président avait été dé-tenu pendant plusieurs mois dans le nord du pays après la chute de son père. Les avo-cats de M. Soro ont protesté contre un mandat délivré, se-lon eux, « en méconnaissance des pratiques et usages diplo-matiques ». – (AFP.)

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14 | planète MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

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COP21 : compte à rebours pour un accordLes 195 pays membres butent encore sur de nombreux points

Si l’on s’en tenait aux dis-cours des Etats en séanceplénière, la conférence deParis sur le climat (COP21)

ne serait qu’une formalité. Depuis le lundi 7 décembre, une centaine de ministres de l’environnement, de l’énergie et des affaires étrangè-res se relaient à la tribune de l’as-semblée pour formuler le même vœu de conclure, vendredi au soir,un accord répondant au « défi uni-versel, essentiel et existentiel qu’est le changement climatique », selon l’expression du président de la COP21, Laurent Fabius. Le chef de la diplomatie française a demandé« une première vision d’ensemble »du texte final dès mercredi.

Mais ces déclarations unanimesne sont qu’un paravent qui dissi-mule les intérêts divergents des 195 pays membres de la Conven-tion-cadre des Nations unies sur les changements climatiques(CCNUCC). Les véritables négocia-tions ne se jouent pas sur la scènesur laquelle plusieurs caméras sont braquées, mais dans les cou-lisses de la « zone bleue » sécuri-sée par les agents de l’ONU ou dans les halls des hôtels environ-nants. Lundi soir, à la sortie du« comité de Paris » – l’instancecréée par la présidence française pour évaluer quotidiennementl’état d’avancée des discussions –, les ministres et leurs négocia-teurs préparaient déjà les réu-nions bilatérales de 21 h 30.

Cette intense activité diplomati-que a en réalité démarré le 6 dé-cembre avec les premières réu-

nions des quatre groupes théma-tiques pilotés par des ministres « cofacilitateurs » et organisés autour des grands chapitres du projet d’accord : les « moyens de mise en œuvre », centrés sur les questions de financement, de transfert de technologies et de renforcement de compétences ; la« différenciation », référence à la responsabilité historique despays développés dans les émis-sions de gaz à effet de serre ; l’« ambition » de l’accord, son ob-jectif de long terme et ses méca-nismes de révision ; les actions pré-2020, date prévue d’entrée en vigueur de ce régime climatiqueuniversel espéré à Paris.

« Ne pas nommer, ni accuser »« Selon les groupes, les progrèssont à géométrie variable », a es-timé lundi le délégué de Cubapendant la séance du comité de Paris. « Plusieurs parties [pays] ontmis de côté les positions qu’ellespréfèrent pour avancer vers desconsensus », a assuré la ministre norvégienne Tine Sundtoft, rap-porteuse, avec le ministre de Sain-te-Lucie James Fletcher, dugroupe de travail sur l’ambition.Amber Rudd, secrétaire d’Etat bri-tannique à l’énergie et au change-ment climatique, chargé, avec le Gambien Pa Ousman Jarju, des ac-tions pré-2020, a fait part de soncôté d’une volonté collective d’ac-célérer la mise en œuvre de cetagenda pré-2020 et d’intensifier les moyens alloués à l’adaptation. « Le comité de Paris est là pour

pement ont des capacités financiè-res qu’ils n’avaient pas en 1992. Chaque pays en position de le faire devrait soutenir les plus pauvres, les plus vulnérables », a insisté plustôt dans la journée le commissaireeuropéen à l’énergie et au climat,Miguel Angel Canete, pensant cer-tainement à la Chine… mais sans citer nommément le premier

émetteur mondial de gaz à effet deserre, scrupuleux de la règle onu-sienne du « no name, no shame »(« ne pas nommer, ni accuser »).

L’Australie et le Canada, long-temps figés sur des positions très conservatrices sur le climat, ontfait un pas en avant en soutenant l’adoption d’un objectif de limita-tion du réchauffement à 1,5 °C, re-vendication majeure des petits pays insulaires menacés par la montée des eaux. Le 5 décembre, au Bourget, la ministre cana-dienne de l’environnement et du changement climatique, Cathe-rine McKenna, a plaidé pour ceseuil plutôt que celui des 2 °C.« L’inclusion d’une référence à 1,5 °C ne suffira pas si aucun méca-nisme ne donne les moyens deconcrétiser cet objectif, alerte Aurélie Ceinos, de l’organisation

CARE. Or, aujourd’hui, le texte de l’accord ne prévoit aucune revue à la hausse des contributions natio-nales d’ici à 2018. »

Pierre Cannet nourrit la mêmeinquiétude : « Pendant que les trac-tations portent sur le 1,5 °C ou que des verrous sautent sur d’autres points de blocage, la porte risque de se fermer sur le mécanisme derévision des engagements. » Com-ment atteindre un objectif de longterme si la communauté inter-nationale cède, comme cela pour-rait se produire d’ici la fin de la COP21, sur un cycle de révision, à la hausse, des réductions de gaz àeffet de serre ? Dans les tractationsque constituent les négociations climatiques, il faut abandonnercertains objectifs pour obtenir satisfaction sur d’autres. p

simon roger

Réunion de l’organisation non gouvernementale internationale Avaaz, lors de la COP21. PAOLO VERZONE/VU POUR « LE MONDE »

Au Bourget, les ONG à la manœuvreEnviron 10 000 observateurs des organisations non gouvernementales s’affairent dans les couloirs de la conférence des Nations unies pour le climat, à l’affût des négociations

L undi 7 décembre, des cris etdes huées résonnent dansle hall 4 du parc des exposi-

tions du Bourget où se tient la conférence des Nations unies pour le climat. Comme chaque soir, depuis le début de la COP21, leClimate Action Network (CAN), qui regroupe 950 organisations au niveau mondial, remet les « prix Fossile », une distinctiondestinée à mettre en lumière le rôle néfaste joué par certains paysdans les négociations.

Ce lundi, deux pays se voient at-tribuer un « Fossile » : l’Arabiesaoudite, pour la quatrième foisdepuis le début de la conférence, et les Etats-Unis « récompensés »,pour leur refus de reconnaîtreque les pertes et dommages dus au changement climatique appel-lent des « compensations » pourles pays en développement.

« Rayon » ou « Fossile »De manière exceptionnelle, le jury a décidé de décerner un« Rayon », l’inverse du Fossile, pour féliciter les Philippines, à la manœuvre pour promouvoir la nécessité d’un « objectif de longterme ». La discussion entre lesONG du CAN a été longue pour vé-rifier le bien-fondé de la mise au ban des Etats-Unis.

Car, pour symbolique et diver-tissante que soit la remise de ceprix, elle peut avoir une influence.« Après avoir reçu un Fossile, ven-dredi, la Norvège a contacté dès le lendemain les ONG pour s’expli-

quer sur sa volonté de supprimer du texte de l’accord toute référenceaux droits de l’homme », raconteFanny Petitbon, de l’organisation CARE.

Cette action est-elle suffisantepour changer les partitions de certains pays ? « Parfois, il y a bien sûr un côté “animation” dans cesorganisations, et ce ne sont en gé-néral pas des actions spectaculai-res de dernier moment qui peuventchanger l’issue d’une négociation,explique Céline Ramstein, chef deprojet COP21 à l’Institut du déve-loppement durable et des rela-tions internationales. Cependant,ce qu’elles font au cours des confé-rences conduit les négociateurs à se savoir observés. »

La présence des ONG, au sein dela conférence, est massive. Envi-ron 10 000 observateurs, spécialis-tes, jouent sur tous les tableaux : rencontres discrètes dans les pa-villons nationaux, échanges offi-ciels lors de débats publics. Con-tacts plus informels aussi, comme samedi, lors d’une soirée au

Players, un bar du 2e arrondisse-ment de Paris. La fête, organiséepar le CAN, a réuni plus d’un mil-lier de personnes, délégués, res-ponsables d’ONG, parlementaires, qui ont échangé jusqu’au petit matin. Un moment utile pour avancer certains arguments. « A la COP21, notre travail est principale-ment de donner notre grille de lec-ture sur l’état d’avancement des discussions et de faire de la pédago-gie, dit Matthieu Orphelin, de la Fondation pour la nature et l’homme, créée par Nicolas Hulot. Une bonne partie de la journée, je lapasse à décrypter, à expliquer, maisaussi à porter nos sujets, comme la tarification du carbone… »

Faire pression sur les EtatsChaque matin, les organisationsréunissent leurs membres puis seretrouvent, vers 9 heures, pour une réunion de coordination oùsont arrêtés les points sur les-quels elles interviendront dans la journée. Elles font alors jouerleurs réseaux internationaux. Au sein du Climate Action Network, un groupe de coordination ras-semble des représentants de tous les continents, d’organisationscomme le Fonds mondial pour la nature (WWF), Greenpeace, Ox-fam, et des groupes de travail thé-matiques sur la forêt, le finance-ment, etc. « Qui va voir le Kenya qui est en train de monter au cré-neau sur la question du finance-ment de l’adaptation, qui va aiderles ONG japonaises qui rencon-

trent leur délégation, sachant que ce pays est sensible à la critique in-ternationale… On essaye d’être le plus efficace », raconte Célia Gau-tier, du Réseau action climat-France.

Autour de la table de l’une desbuvettes de l’espace onusien, des militants du Bangladesh, du Li-ban, d’Inde, d’Allemagne ou de Grande-Bretagne s’affairent surleurs ordinateurs. « Ils s’apprêtent à relayer dans différents pays les campagnes à mener immédiate-ment, explique Alex Wilks, direc-teur de campagne d’Avaaz. On en-voie les numéros de téléphone deministres, de délégués, leurs cour-riels, et ils sont assaillis, en quel-ques heures, de milliers de messa-ges de critique ou d’encourage-ment. » L’Argentine, l’Inde, le Ca-nada ont ainsi été l’objet de cettepression, de même que le prési-dent Hollande.

Le nouveau cadre des négocia-tions climatiques, qui conduit chaque pays à proposer librementune contribution de réduction,donne à la société civile une im-portance accrue. « Nous sommes dans un système où les pays vontdevoir déclarer leur ambition, la revoir à la hausse au fil du temps et, surtout, la mettre en œuvre. Dans ce processus au long cours, les ONG vont pouvoir jouer un rôletrès important, au niveau natio-nal, de suivi de ces engagements », estime Céline Ramstein. p

rémi barroux

et stéphane foucart

« A la COP21, notre travail estprincipalement

de faire de la pédagogie »

MATTHIEU ORPHELINFondation pour la nature et

l’homme

tester les idées des ministres facili-tateurs, et les entériner si aucun pays ne s’y oppose », analyse Pierre Cannet, du Fonds mondial pour la nature (WWF).

Les lignes semblent bouger éga-lement sur l’impératif de diffé-renciation. Alors que la conven-tion-cadre de 1992 dispose qu’il « appartient aux pays développés d’être à l’avant-garde de la luttecontre les changements climati-ques », principe brandi par les na-tions du Sud pour exiger un sou-tien financier du Nord, les Etats-Unis et l’Union européenne dé-fendent une approche différente,portée lundi soir par le Brésil. Il nes’agit pas de « créer une obligationlégale, mais une contribution vo-lontaire », a pris soin de rappeler le cofacilitateur brésilien.

« Beaucoup de pays en dévelop-

L’HISTOIRE DU JOURClimat : « Exhibez vos muscles », lance « Schwarzy » à Sciences Po

J’ espère que cela ne sera pas la dernière fois que je serai de-vant vous et que je pourrai dire : “I’ll be back” [je revien-drai]. » Une seule réplique – sa plus célèbre – aura suffi à Ar-nold Schwarzenegger pour conquérir les étudiants de

Sciences Po, lundi 7 décembre. L’acteur ne venait pourtant pas parler de son dernier film, mais du climat et des énergies pro-pres, en marge de la conférence mondiale de l’ONU (COP21). En at-tendant de pouvoir revenir, donc, « Schwarzy » lance ses idées phares comme autant de suites de Terminator.

D’abord, l’importance de l’environnement. Sans craindre desurjouer, l’acteur de 68 ans évoque les vertes prairies de son enfance autrichienne. « Je n’aurais jamais pu imaginer un monde où l’air est irrespirable » quand, enfant, « j’allais traire les vaches et chercher de l’eau au puits ». Puis la petite musique de son discours se fait inquiétante : « Nous ne sommes pas au ci-néma, avec des effets spéciaux, où l’on peut réécrire le scénario.C’est le vrai monde », assène-t-il, en rappelant que nous émet-tons 49 gigatonnes de gaz à effet de serre par an et que la pollu-

tion de l’air entraîne 7 millions demorts prématurées chaque année.

Ensuite, Arnold Schwarzenegger nejure que par l’action, et les gouverne-ments locaux, villes et régions, ensont la clé. Le fondateur de l’ONG R20(des villes et régions pour le climat),espère que les 195 Etats réunis auBourget parviendront à « un accordmagnifique » le 11 décembre. Mais les

autorités locales « peuvent » et même « doivent agir sans délai ». « Exhibez vos muscles », exhorte l’ancienne star du culturisme. L’ex-gouverneur républicain de Californie énumère alors les mesures pour la qualité de l’air qu’il a prises entre 2003 et 2011, ainsi que – fair-play – celles de son successeur démocrate, Jerry Brown. L’occasion, également, de tacler l’Etat fédéral.

Dernière scène enfin : le rôle crucial de la communication.Pour Arnold Schwarzenegger, les « scientifiques ont échoué » àfaire comprendre l’urgence de la lutte contre le changement cli-matique. « Nous ne devons pas seulement parler de la hausse destempératures et de la montée du niveau des mers, mais des gens qui meurent de crises cardiaques, avance-t-il, réduisant claire-ment le changement climatique à un problème de pollution de l’air. Montrer des enfants avec un inhalateur, c’est ça qui convaincles gens. » Tout en finesse, comme dans un de ses films. p

audrey garric

« MONTRER DES EN-FANTS AVEC UN INHA-LATEUR, C’EST ÇA QUI CONVAINC LES GENS »

Laurent Fabius

a demandé

« une première

vision

d’ensemble »

du texte final

dès mercredi

Page 15: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 france | 15

Affaire Adidas : Bernard Tapie met sa fortune à l’abriSes actifs ont été confiés à un administrateur judiciaire, lui évitant ainsi de rembourser les 405 millions

Bernard Tapie peut ces-ser de cauchemarder –au moins provisoire-ment – en imaginant la

visite d’huissiers dans son somp-tueux hôtel particulier de la ruedes Saints-Pères, au cœur de Pa-ris. Car l’Etat n’est pas près de ré-cupérer les quelque 405 millions d’euros qu’il est pourtant en droit de lui réclamer depuis jeudi3 décembre et l’arrêt décisif de lacour d’appel de Paris, rendu dansle cadre du vieux litige entre l’homme d’affaires et le Crédit lyonnais. En effet, selon les infor-mations du Monde, le camp Tapiea choisi de confier tous ses actifsà un administrateur judiciaire parisien, Me Frédéric Abitbol,dans le cadre d’une procéduredite de « sauvegarde ».

Quelques jours avant ce juge-ment très sévère pour l’ancien pa-tron de l’OM, lundi 30 novembre précisément, le tribunal de com-merce de Paris a très discrète-ment accédé à cette demande deBernard Tapie, qui avait donc anti-cipé une décision défavorable des magistrats de la cour d’appel. En ayant recours à cette parade,l’homme d’affaires aurait-iltrouvé une façon d’échapper à la sanction de la justice ? « Ce n’est pas une manière de fuir ou d’orga-niser mon insolvabilité, se défend M. Tapie. C’est même tout le con-traire, puisque le tribunal sait tout de mes actifs. J’ai tout mis sur la ta-ble », assure-t-il au Monde.

L’article L. 620-1 du code decommerce dispose ceci : « Il estinstitué une procédure de sauve-garde ouverte sur demande d’undébiteur mentionné à l’articleL.620-2 qui, sans être en cessationdes paiements, justifie de difficul-tés qu’il n’est pas en mesure desurmonter. Cette procédure estdestinée à faciliter la réorganisa-tion de l’entreprise afin de permet-tre la poursuite de l’activité écono-mique, le maintien de l’emploi et

l’apurement du passif. » Seules obligations requises : la sociétérequérante ne doit pas être encessation de paiement ni justi-fier de difficultés à venir. Pré-voyant, Bernard Tapie avait doncdécidé de recourir à cette procé-dure afin de parer à toute désa-gréable éventualité.

97 millions déjà saisis

Bien lui en a pris : en effet, non seulement la cour d’appel l’a tota-lement désavoué, mais de plus le pourvoi en cassation – formé par

ses avocats dès le jugement connu– n’étant pas suspensif, l’Etat était en droit de dépêcher des huissiersafin de saisir immédiatement ses actifs. Le Consortium de réalisa-tion, l’organisme public chargé d’apurer le passif du Crédit lyon-nais, devra maintenant obligatoi-rement passer par le biais d’un mandataire judiciaire, StéphaneGorrias. Ce dernier sera le seul ha-bilité à vérifier la légitimité des sommes réclamées par les créan-ciers – en l’occurrence l’Etat – et à soumettre ensuite tout différend

sur les créances déclarées à un ju-ge-commissaire…

Deux sociétés de M. Tapie, GBTet FIBT, ont déclaré tous leurs ac-tifs au tribunal. « 1 500 emplois dé-pendent de moi, dans le cadre dema participation de 20 millions d’euros au capital de La Provence, explique M. Tapie. Pas question qu’ils soient en péril. Tous mes ac-tifs sont maintenant sous la sur-veillance de la justice, qui peut aisément vérifier que je n’ai aucun compte caché offshore. C’était la seule manière pour moi de dormir

tranquille, tout comme mes créan-ciers, d’ailleurs. »

Devant le tribunal de com-merce, le camp Tapie a produit une note d’un avocat fiscaliste,Me Patrick Philip, détaillant lesavoirs de l’ancien ministre de laville. Des 345 millions d’euros ac-cordés en juillet 2008 par un tri-bunal arbitral, il ne reste plus, à encroire ce document, que101,5 millions, après paiement des impôts et dettes. Dont 97 mil-lions ont déjà été saisis par la jus-tice pénale, l’instruction menéepar le juge Serge Tournaire por-tant sur un éventuel trucage del’arbitrage. Ce à quoi il faut ajou-ter les 45 millions perçus par lesépoux Tapie au titre du préjudice moral, réinvestis pour moitiédans La Provence et le reste dans diverses propriétés.

Désormais, l’essentiel du capitaldu couple Tapie est donc placé sous la surveillance de la justice.« On ne va rien lâcher, car on est dans notre bon droit, clame Ber-nard Tapie. La cour d’appel n’a tenu aucun compte des élémentsnouveaux que nous avons pro-duits et veut me saisir plus que ce que j’ai jamais perçu ! » La sau-vegarde est applicable jusqu’au 30 mai 2016, renouvelableau moins une fois. A défaut de l’avoir emporté devant la courd’appel, M. Tapie a au moins ga-gné… du temps. p

gérard davet

et fabrice lhomme

Bernard Tapieen novembre 2013.

BORIS HORVAT/AFP

Le pourvoi en

cassation n’étant

pas suspensif,

l’Etat était en

droit de dépêcher

des huissiers afin

de saisir ses actifs

« C’était la seule

manière pour

moi de dormir

tranquille,

tout comme

mes créanciers,

d’ailleurs »

BERNARD TAPIE

De nouvelles mesures pour éviter les ratés de l’orientation post-bacLe portail d’inscription dans l’enseignement supérieur, qui ouvre le 20 janvier, a été modifié

A quelques semaines del’ouverture, le 20 janvier,du portail d’admission

post-bac (APB), la plateforme d’inscriptions en première annéed’études supérieures, le minis-tère de l’éducation nationale et del’enseignement supérieur a pré-senté, mardi 8 décembre, desaméliorations. Objectif : mieux accompagner les lycéens dansleur orientation tout au long de laprocédure et éviter que des fu-turs bacheliers se retrouvent sansaucune affectation.

Un « vœu unique » pour les filiè-res « en tension » Le problème le plus urgent concerne les filières les plus demandées en première année de licence à l’université : la Paces (Première année commune des études de santé), le droit, les Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) et la psychologie.

Les candidats aux quatre disci-plines « en tension » recevrontsur APB une proposition d’unnouveau type : formuler un « vœuunique » par matière pour l’en-semble de leur académie. Exem-ple, le vœu « Licence droit acadé-mie Lyon » permettra de deman-der automatiquement les quatrecursus universitaires de droit decette académie, puis de hiérarchi-ser ses préférences. L’Ile-de-France – qui comprend les acadé-

mies de Paris, Créteil et Versailles –, sera considérée comme uneseule et même zone pour cesvœux uniques, ouvrant une plus large palette de répartition des places.

En 2015, Paces, droit, Staps etpsychologie ont concentré plusde la moitié des premiers vœux de première année de licence.Face à l’afflux des demandes,nombre d’universités ont ins-tauré des « capacités d’accueil li-mitées », en particulier en Stapsoù elles se sont quasiment géné-ralisées. Et les universités ont dû appliquer un tirage au sort, seuleprocédure de sélection autorisée par le code de l’éducation. Le mi-nistère estime que ce vœu uniquedevrait permettre de mieux ré-partir les candidats. Et plus tôt : dès le mois de juin, sans attendreles phases complémentaires quicourent jusqu’en septembre. Néanmoins, il ne suffira sansdoute pas à résoudre tous les pro-blèmes. Des mesures spécifiques sont donc envisagées pour lesStaps, pour les rapprocher des formations délivrées par le mi-nistère de la jeunesse et des sports et pour faciliter le loge-ment des étudiants changeant d’académie.

Une filière non sélective obliga-toire Désormais il ne sera plus possible d’émettre des vœux

uniquement dans des filièressélectives : classes préparatoires,brevets de techniciens supé-rieurs (BTS), etc. Trop risqué.Les lycéens devront obligatoire-ment formuler au moins un vœudans une filière non sélective ethors des licences à capacité d’ac-cueil limitée.

Des informations pratiquesPour mieux éclairer leurs choix, les informations – apparuesen 2015 – sur les débouchés pro-fessionnels des filières (taux d’in-sertion, rémunérations…) seront désormais étoffées et plus visibleslors du choix des vœux.

Un droit de regard du lycée En-seignants, conseillers d’orienta-tion et conseillers principaux d’éducation sont appelés à ac-compagner davantage et plus tôtla démarche des élèves. Depuis septembre, le parcours individuel« Avenir » d’information, d’orien-tation et de découverte du mondeéconomique et professionnel a été introduit dans les disciplinesau collège et au lycée.

En 2016, les enseignants aurontaussi accès aux vœux de leursélèves sur APB, ce qui permettra« de les informer automatique-ment des situations susceptiblesd’être problématiques : absence de vœux, vœux non cohérentsavec le potentiel du jeune », expli-

que le ministère. Une démarcheexpérimentale ira plus loin danscinq académies – Amiens, Dijon, Nancy-Metz, Nantes et Tou-louse –, où un lycée repérant unproblème d’orientation pourra saisir une « commission académi-que d’orientation post-secon-daire » qui devra faire des propo-sitions adaptées au jeune con-cerné, qu’il sera libre d’accepterou non. Le but est notamment defaciliter l’accès des futurs titulai-res de bacs technologiques et professionnels aux institutsuniversitaires de technologie (IUT) et aux sections préparant aux BTS. p

adrien de tricornot

LES CHIFFRES

12 000Le portail Admission postbac recense plus de 12 000 forma-tions sur toutes les académies et plus de 2 000 en apprentissage.

788 000En 2015, 788 000 candidats, dont 588 000 élèves de termi-nale, ont exprimé au moins un vœu d’orientation sur le portail APB (6,6 en moyenne, le maximum étant de 24).

18 ans de prison requis contre Salim BenghalemLe djihadiste en fuite était jugé avec six autres prévenus d’une filière du Val-de-Marne

J e crains pour notre société quele dossier à juger soit le premierd’une longue série. » Pour« dissuader » de nouveaux

candidats français au djihad en Sy-rie, le procureur de la République, Arnaud Faugère, a préconisé un message de fermeté. Lundi 7 dé-cembre se tenait le réquisitoire du procès d’une filière d’achemine-ment de djihadistes vers la Syrie. Les faits remontent à 2013.

Devenu depuis le bourreau pré-sumé de l’organisation Etat islami-que, Salim Benghalem se détache des six autres prévenus, eux aussi issus d’une filière du Val-de-Marne. Au tribunal correctionnel de Paris, dix-huit ans de prison ontété requis contre lui pour associa-tion de malfaiteurs en vue d’actes terroristes. Absent du procès car toujours en fuite, l’homme de 35 ans est en situation de récidive : il avait déjà été condamné à onze ans de réclusion criminelle pour une affaire de meurtre.

« Dangerosité maximale »

Pour justifier sa décision, le procu-reur souligne la « dangerosité maximale » de l’ancien délinquantde Cachan (Val-de-Marne). Il y a deux ans, Salim Benghalem parti-cipait déjà aux combats de l’orga-nisation Etat islamique en Irak et au Levant, assumait l’« intégration des recrues » et jouait un rôle pré-pondérant dans « la recherche de

financement », d’après les enquê-teurs. Depuis, il s’est encore radica-lisé. Dernier signal en date : en fé-vrier, un mois après l’attentat de Charlie Hebdo, il avait appelé à d’autres « carnages » en France dans une vidéo faite en Syrie.

Moins médiatisés, les six autresprévenus ont connu des sorts di-vers. Dix ans de prison, soit la peine maximale, ont été réclamés à l’endroit d’Abdelmalek T. Très re-fermé sur lui-même lors de l’audience, l’homme à la barbe fournie a occupé sensiblement la même fonction que Benghalem durant la période examinée. Des peines de six ans ont été préconi-sées contre quatre prévenus : You-nes C., resté en France pour assurerl’interface téléphonique, puis Me-hdi I., Paul M., Karl D., partis en Sy-rie dans le cadre d’aller-retour de dix jours à deux mois sous la coor-dination de Benghalem et d’Abdel-malek T. Un dernier homme, Ka-rim H., encourt jusqu’à huit ans deprison pour avoir cumulé périple syrien et soutien financier à la fi-lière (près de 10 000 euros).

Au départ, tous avaient « l’intui-tion d’être non pas des terroristes, mais des opposants » au gouver-nement de Bachar Al-Assad, aplaidé Me Noémie Coutrot-Cies-linski, avocate d’Abdelmalek T.Rendez-vous, désormais, pour ledélibéré du 7 janvier. p

adrien pécout

Page 16: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

16 | enquête MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

0123

FN etsans complexe

Le temps où les élites repoussaient en bloc le Front national semble révolu. Hauts fonctionnaires, énarques, diplômés de grandes écoles sont attirés par la perspective du pouvoir et certains ont franchi le pas

marion van renterghem

avignon, carpentras, le pontet (vaucluse) -

envoyée spéciale

Quand ils évoquent leurdécision d’intégrer lesstructures officielles duFront na.tional, ils utili-sent un mot étrange :l’« outing ». Pour cesélites venues d’un

grand corps d’Etat, de la haute fonctionpublique ou de la direction d’une entre-prise, la révélation d’une appartenanceau FN revient à lever le voile sur unepart d’eux-mêmes aussi intime que malvue. Avant de se jeter à l’eau, ils ont sou-vent vécu en cachette leur adhésion àun parti qui refuse de se qualifier d’ex-trême droite mais que la très grandemajorité des élites françaises dont ilsrelèvent considère comme extrémiste,xénophobe, nauséabond et contraireaux valeurs républicaines.

Le raz-de-marée du Front national au pre-mier tour des élections régionales change la donne. La vague avait déjà pris forme lors des élections européennes de 2014 et des départe-mentales de mars 2015, mais, ce 6 décembre, leparti minoritaire est devenu, avec le soutiendes abstentionnistes, celui qui promet le suc-cès. Il est arrivé en tête dans six régions surtreize, dépassant les 40 % en Nord-Pas-de-Ca-lais-Picardie et en Provence-Alpes-Côte d’Azur.Il étend progressivement son influence dans des strates de plus en plus diverses de la so-ciété française. Y compris les élites. La victoire est aux humains ce que la lumière est aux pa-pillons : elle désinhibe et elle attire.

Un jour de 2013, Philippe Lottiaux a décidéde faire son « outing ». « Je ne pouvais plus ne rien faire, rester en retrait sans m’investir », ex-plique cet énarque de 49 ans, gaulliste venu auFront national sur le tard, par déception. Il oc-cupait un emploi à l’administration de la Ville de Paris, alors tenue par le socialiste BertrandDelanoë et se gardait bien de divulguer ses convictions politiques. Un samedi de novem-bre, à l’occasion d’un meeting dans le Vau-cluse, Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen annoncent la candidature de Philippe Lot-tiaux aux municipales de mars 2014, sur la liste Rassemblement Bleu Marine (RBM). « En arrivant au bureau le lundi, j’étais tendu, dit-il. On me regardait bizarrement. Certains fai-saient semblant de ne pas me voir, d’autres en-traient discrètement dans mon bureau pour me dire : “T’as raison.” Ma hiérarchie m’a fait savoir que si je prenais ma disponibilité au plusvite, ce serait bien. Ça m’arrangeait. »

« ON REÇOIT DES PAQUETS DE CV »

En deux ans, les choses ont bien changé. Le FNdevient peu à peu le parti politique où l’on peut espérer briller et faire carrière. Les cadres supérieurs et les jeunes diplômés commen-cent à se bousculer au portillon pour intégrer ses rangs, selon Rémi Rayé : « C’est un momentclé, note l’assistant parlementaire de Marion Maréchal-Le Pen, tête de liste de la région PACA. On reçoit des paquets de CV de gens qui ont un très bon niveau d’études, travaillent dans l’administration territoriale, dans d’autres

départements ou dans des grandes villes, par-fois pour d’autres partis politiques… Les gros, gros diplômés, on n’en reçoit pas des cascades, mais il y en a. » Ce matin, sur son répondeur, « un gars du 06 », les Alpes-Maritimes, a laissé un message « très bien tourné » pour proposerson expertise économique au FN. Un autre cherchait un poste dans la sécurité. Un troi-sième proposait des renseignements sur l’in-tégrisme islamiste dans le sport. « Il y a detout », conclut Rémi Rayé.

Avocat et conseiller municipal FN de Carpen-tras, Hervé de Lépinau se rappelle l’époque passi lointaine où Jean-Marie Le Pen avait décidé de lancer sa petite-fille Marion dans le Vau-cluse, en vue des législatives de 2012. Quand lajeune femme de 22 ans arrive à Carpentras, il n’y a qu’un seul élu FN, conseiller municipal etconseiller départemental. Les dégâts persis-tent de la scission de 1998 entre le Front natio-nal de Jean-Marie Le Pen et le Mouvement na-tional républicain de Bruno Mégret : lui-même polytechnicien, il est parti avec les ca-dres que le vieux Le Pen, méfiant à l’égard des baronnies, ne cherchait pas à retenir. « Le com-bat politique se faisait de bric et de broc, la com-munication numérique était balbutiante, on décrochait les voix sur le zinc du bistro, raconte Hervé de Lépinau. Militer au Front était un sa-cerdoce : le commerçant faisait fuir ses clients, le fonctionnaire se faisait persécuter. Moi, qui suis de profession libérale, j’ai perdu de la clien-tèle. »

Un dîner a lieu en 2014 à Velleron. La prési-dente du parti, Marine Le Pen, est venue dans cette commune du Vaucluse discuter stratégieavec sa nièce Marion et Hervé de Lépinau, sup-pléant de Marion depuis les législatives de 2012. Au restaurant, la discussion porte sur la nécessité d’enraciner durablement le parti surle plan local au lieu de se focaliser sur la prési-dentielle et, donc, de faire émerger des cadres. La décision est prise d’auditionner des candi-dats, de les chercher parmi les militants et d’ouvrir à un « tour extérieur ».

Philippe Lottiaux entre dans la danse. Ce« Ch’ti » né en 1966 dans le Pas-de-Calais avait débarqué à Paris pour y faire Sciences Po et l’ENA. Plus à droite qu’à gauche, plus gaulliste que chiraquien ou sarkozyste, plus rock’n’rollque politique, il a quitté une première fois l’ad-ministration de la Ville de Paris pour devenir directeur général des services de Levallois-Per-ret, dans le fief des époux Balkany, en est partipour faire le chansonnier dans des one-man-show et monter une boîte de conseil aux col-lectivités.

Entre-temps, il a affiné ses convictions poli-tiques. Soucieux de souveraineté nationale, ils’interroge « sur la problématique de l’immi-gration » et s’inquiète de « l’impact de l’Europesur notre économie ». Il fréquente la FondationMarc-Bloch où se retrouvent ce que l’on ap-pelle alors les « républicains des deux rives », souverainistes de droite et de gauche soudain rassemblés autour de Jean-Pierre Chevène-

ment, Philippe Séguin ou Philippe de Villiers.Il regrette d’avoir voté le traité de Maastricht, en veut à Chirac pour la dissolution de 1997 et pour son européanisme, à Sarkozy pour avoir contourné le « non » au référendum sur le traité constitutionnel de 2005.

En rencontrant au début des années 2000Samuel Maréchal, mari de Yann Le Pen et père de Marion, il croise « des gens du Front ». Est « révolté par l’anathème vis-à-vis du FN », selonlui contradictoire avec les personnes dont il a fait connaissance. Et, en 2002, déçu par Chirac,il vote Le Pen aux deux tours. Il décide de fran-chir le pas d’une candidature pour les élec-tions municipales de 2014. « Je fais passer le message à Marion que, si je peux lui être utile,ce serait avec plaisir. » Lottiaux est à la fois poli-tique, gestionnaire et amateur d’art, le profil idéal pour Avignon. Tête de liste aux munici-pales, il arrive en tête au premier tour avec près de 30 % des voix et se retrouve conseiller d’opposition. Le maire FN de Fréjus, David Ra-chline, lui propose parallèlement la direction générale des services de sa ville.

OPÉRATION CAMOUFLAGEDe quoi réconcilier le Front national avec les énarques qu’il aime tant décrier. Un énarque FN comme Philippe Lottiaux, comme FlorianPhilippot, bras droit de Marine Le Pen ou Phi-lippe Martel, conseiller de celle-ci et jadis chez Alain Juppé, ont plus que trouvé grâce à ses yeux. « Tous les trois sont dans la culture des grands serviteurs de l’Etat, pétris de la culture d’administration au sens noble », assure Hervé de Lépinau.

Idem pour Thibaut de la Tocnaye, 57 ans, cen-tralien et 3e cycle HEC, ancien directeur de pro-jet dans le nucléaire, et figure historique de l’élite Front national. Il dirige la commission d’action programmatique du parti avec Ber-nard Monot, ancien employé à la Caisse des dépôts qui signait sous pseudonyme ses inter-ventions à l’université d’été du Front. Jusqu’aujour où il a fait son « outing », lui aussi, pour devenir député européen FN en 2014. Il en vade même pour Georges Michel, saint-cyrien etcolonel de l’armée de terre, gaulliste devenu électeur puis candidat Front national à Bol-lène (Vaucluse) parce que « Chirac a trahi le gaullisme en vendant la souveraineté de la France à l’Europe ».

Premier parti ouvrier de France, le Front na-tional s’est largement implanté dans les clas-ses moyennes et chez les jeunes. Ceux qui ont aujourd’hui entre 18-30 ans, quand ils ne s’abs-tiennent pas, votent FN dans une plus forte proportion que la moyenne nationale. C’estaussi ce nouveau terrain de conquête qui at-tire maintenant à lui les hauts fonctionnaires et les gros diplômes. Pourtant, au-delà de quel-ques désaccords entre la tante et la nièce sur leplanning familial ou la zone euro, le pro-gramme continue à prôner la fermeture des frontières, le repli national, la stigmatisation de l’immigration, la sortie de l’Union euro-péenne, la sortie de l’OTAN. La jeune Marionau visage d’ange mais à la parole de fer l’in-carne au mieux en PACA. De scrutin en scru-tin, le Front national réussit son opération ca-mouflage, qui vise à afficher comme norma-lisé, rajeuni, souriant, branché, un parti auprogramme extrémiste. Fini, le bandeau sur œil de verre, le parti a changé de look et de clientèle

La dégradation du contexte économique,l’incapacité des partis politiques traditionnels à réformer, la généralisation des habitudes abstentionnistes font le reste. Non seulement le Front national est aux portes du pouvoir, mais il n’est plus un motif de complexe ou de honte. Et le vivier de compétences paraît de plus en plus facile à constituer. Ce parti sur le point de diriger d’importantes régions, qui a constitué au fil du temps son implantation lo-cale, semble en mesure de rattraper son re-tard.

Encore quelques jours jusqu’au second touret des hauts fonctionnaires que l’on n’atten-dait pas sortiront peut-être du bois pour ral-lier les rangs du FN. « Vu le nombre et la qualitéde CV qu’on reçoit, je peux vous dire qu’ils sorti-ront. Et vous aurez des surprises… », promet Anne-Sophie Rigault, une juriste de 39 ans, di-rectrice de campagne de Marion Maréchal-Le Pen pour le Vaucluse. Certains viendraient même « de postes clés dans l’administration, voire d’autres partis politiques », assure-t-elle avec un sourire entendu. p

ISABEL ESPANOL

AVANT, « MILITERAU FRONT ÉTAIT

UN SACERDOCE :

LE COMMERÇANT FAISAIT FUIRSES CLIENTS,

LE FONCTIONNAIRE SE FAISAIT

PERSÉCUTER »HERVÉ DE LÉPINAU

conseiller municipal (FN) de Carpentras

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0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 les attaques terroristes à paris | 17

Le piano et le marketing numérique

Marie MosserQuelle idée pour une toute jeune fille, de prendre pour devise une phrase gravée sur un monument de la grand-place de sa ville natale ! Mais Marie Mosser est née à Nancy et la phrase, prononcée par le roi Stanislas, s’énonce ainsi : « Le bon-heur consiste à faire des heureux. » Ce programme, la jeune femme tuée au Ba-taclan le 13 novembre l’a mis en œuvre pendant vingt-quatre ans.

Ses amies Justine et Angevine l’ont rencontrée à son arrivée à Paris, en 2009. La première était comme elle étudiante à Sup de Pub, une école pri-vée du nord de Paris, la seconde parta-geait le même foyer d’étudiantes, non loin du cimetière du Père Lachaise. « Le jour de la rentrée, il a suffi d’un regard pour qu’on comprenne, nous les deux provinciales, qu’on ne pouvait compter que sur nous pour rire, et pas sur les pe-tits Parisiens bien mis », se souvient Jus-tine, qui arrivait, elle, de Troyes. « C’était très facile de devenir son amie », ajoute Angevine, qui a gardé l’image de Marie jouant l’Etude 19 de Chopin sur le piano du foyer « sans partition, sans une fausse note ».

A Nancy, Marie avait passé une « en-fance heureuse, entourée de sa famille et de beaucoup d’amis ». C’est elle qui l’a écrit dans un mémoire en forme de ma-gazine, qui était aussi une autobiogra-phie, réalisé à la fin de son année de M2. Dans la capitale lorraine, elle apprend le piano au conservatoire, obtient un bac littéraire.

En 2009, elle part pour Paris. Avec sesnouvelles amies, elle découvre la ville au cours de longues balades à pied, pas-sant des heures au Père-Lachaise à la re-cherche de la tombe de Jim Morrison. Avec Justine, qui est guitariste, elle s’amuse à reprendre des morceaux du répertoire rock. Et elle travaille, beau-coup, multipliant les stages, découvrant les charmes du marketing numérique.

A l’été 2014, Marie Mosser était partie pour Londres, pour maîtriser l’anglais, une fois pour toutes. A son retour en France, elle décroche un contrat d’alter-nance chez Universal Music, où elle est chargée du Web marketing. Parmi ses tâches, elle doit animer les communau-tés de fans sur la Toile. « Elle aimait les gens, même s’ils suivaient des vedettes qui n’étaient pas à son goût, raconte Jus-tine. Elle parlait des fans de Violetta [chanteuse et vedette de série espa-gnole dont raffolent les petites filles] en disant : “Elles sont trop mignonnes.” »

Marie voulait poursuivre son chemin dans le monde de la musique. Dans son mémoire-autobiographie, elle avait de-mandé à des amis, à des collègues où ils la voyaient dans dix ans. Réponse : « res-ponsable de la communication numéri-que dans une maison de disque ou une agence ». A côté du projet, il y avait aussi un rêve, dont se souvient Justine. « Quand on faisait de la musique, on se disait qu’on pourrait être les Queens of the Stone Age françaises. » p

thomas sotinel

La vie en tribu

Chloë BoissinotQu’aurait-elle aimé que l’on dise d’elle ? « Rien ! » C’est un cri du cœur. Elisabeth, la mère de Chloë Boissinot, savait sa fille de 25 ans trop timide, trop discrète, trop attachée à la simplicité, pour goûter les hommages. Ses propres funérailles, le 24 novembre, dans une cathédrale de Poitiers comble, lui auraient fait dire « Mais vous êtes fous ! Pas pour moi ! », croit Elisabeth.

Ne rien graver de pompeux dans le marbre. Se contenter d’évoquer, comme on prend un croquis sur le vif, cette jeune fille de la campagne qui appréciait les petites pommes du jardin et la vie en tribu – avec cinq frère et sœurs, dont une jumelle. Ses rituels du dimanche à Château-Larcher, dans la Vienne. Les jeunes prennent un apéro, et encore quelques autres, puis s’en vont fumer dehors en discutant, neveux et nièces dans les jambes. La mère rouspète, le rôti se dessèche. Et trop vite, vient l’heure de se lever du canapé où l’on a fini par s’endormir un peu.

Partager, se fâcher, se réconcilier aussi-tôt, charrier des brouettes de béton, pré-parer la soupe, changer les bébés, écou-ter, rendre heureux ceux qui l’entouraient, Chloë savait faire tout cela. « Aujourd’hui, la tribu est un peu de guingois. Mais on va s’en sortir pour elle, assure Elisabeth, tentant de s’en con-vaincre elle-même. Elle n’aurait pas aimé qu’on se recroqueville. »

Les deux amis et l’amoureux de tou-jours qui étaient avec sa fille, ce soir-là, en terrasse du Carillon, rejoignent désor-mais régulièrement le camp de base fa-milial où sont arrivées de belles lettres. L’œuvre de clients qu’elle servait depuis un an à l’épicerie du Verre volé, rue de la Folie-Méricourt, à Paris. Qui, désormais, interrogent-ils, pour incorporer tant de gentillesse dans les sandwichs confec-tionnés ? Qui pour égaler sa patience lorsqu’il fallait couper une tranche de jambon « pas trop épaisse mais pas trop fine » sous l’œil de l’acheteur ?

« Charmante, joyeuse, un peu timide », la décrit le responsable du château de Javarzay (Deux-Sèvres), qui l’avait ac-cueillie en stage en 2010, durant son BTS « développement et aménagement des territoires ruraux ». « Réservée, au début, mais bosseuse, organisée, soignée. L’em-ployée modèle », pour son patron au Verre volé, Thomas Vicente. La bonne copine était un brin canaille, aimait les restaurants, les pots en terrasse, le bou-din du village qu’elle ramenait pour tous à la capitale, « les trucs moches du mar-ché aux puces qui finissaient au grenier », selon sa mère. Et les jolis atours qui lui donnaient un air de Parisienne. p

pascale krémer

Russe et Parisienne mélomane

Nathalie LauraineNathalie aurait eu 40 ans le 30 décem-bre. Grande, blonde, tout en douceur, elle appartenait à une de ces familles russes qui transmettent la francophilie d’une génération à l’autre. Sa grand-mère, sa mère puis elle-même avaient étudié et parlaient le français dès l’école, bien avant de rejoindre l’Université Lo-monossov de Moscou, d’où elle est sor-tie avec un doctorat en économie et en sociologie. Après avoir rencontré Serge Lauraine, elle avait décidé de construire sa vie en France et de garder la double nationalité : russe et française.

Comme dans un roman russe, Nathaliechange de nom au gré de la vie. « Laurai-ne-Boulyguina », indique l’interphone de son domicile, à Vanves (Hauts-de-Seine), où flotte depuis quelques jours le dra-peau bleu-blanc-rouge. Née Natalia Boulyguina, elle est devenue Natalia Mouravyeva en épousant Anton Moura-vyev, géophysicien, le père de ses deux premiers enfants, Dariya et Fedor, âgés de 15 et 17 ans. En arrivant en France, les fonctionnaires transcrivent son nom : Nathaliya. Elle devient Nathaliya Moura-vyeva puis Lauraine, après son second mariage, et enfin Nathalie Lauraine, après sa naturalisation.

Pour Vinciane, la petite dernière, 4 anset un sourire discret, c’est Maman. Cha-que été, tous les cinq retrouvaient le reste de la famille à la datcha des Boulyguina, près de Moscou.

Mélomane de toujours, elle restera pour sa mère « sa Natalia qui aimait la danse, la gymnastique rythmique et la musique ». Grâce à sa grand-mère, Zoia Izgarytcheva, qui était phoniatre pour le théâtre du Bolchoï, « Natalia avait vu, en-fant, beaucoup d’opéras et de ballets. Elle connaissait tous les classiques », ra-conte Maria Boulyguina.

« Elle aimait toutes les musiques, de l’opéra à l’électro-rock », ajoute son mari Serge. Depuis huit ans, ils allaient en-semble de concert en festival, à Londres pour écouter le rock alternatif de Failure ou à Budapest pour le Sziget Festival, le plus grand festival de musique d’Europe.

Elle aimait Paris aussi, dont elle était insatiable. « Elle faisait les visites histori-ques des quartiers : les Gobelins, les Pas-sages. Ensemble, on avait fait Montmar-tre, raconte Serge. Ça l’a embêtée de quitter Paris, quand on a emménagé à Vanves en 2011. Heureusement, on a gardé la vue sur la tour Eiffel. » A Vanves, elle avait commencé la pein-ture : sur son autoportrait, elle se repré-sente en danseuse, en ville avec un café.

Chez Everys, son employeur, où, technicienne informatique, elle avait rencontré Serge, ses collègues dressent son portrait en trois mots : « Douce, dynamique et déterminée ». « Natalia voulait toujours avancer, elle croquait la vie », témoigne le directeur général d’Everys, Sébastien Ropert. Serge et Nathalie étaient allés au Bataclan en amoureux, ils auraient dû rentrer ensemble, chez eux. p

anne rodier

Un vrai gentleman

Stéphane HacheSes amis le surnommaient « George Clooney ». A cause de sa prestance, de ses cheveux poivre et sel, de son côté bien apprêté et soigneux. Stéphane Ha-che avait 52 ans. Il est mort le 13 no-vembre, dans un studio du passage Saint-Pierre-Amelot, dans le 11e arron-dissement de Paris, dans lequel il vivait depuis deux semaines. Au premier étage d’un immeuble situé juste en face du Bataclan, où se jouait alors l’horreur et d’où une balle est partie, le touchant mortellement au dos.

« Il venait de prendre un nouveau dé-part », confie Benoît, un ami qu’il cô-toyait depuis vingt-cinq ans dans la res-tauration. Maîtres d’hôtel, ils ont organisé maintes réceptions, pour des particuliers comme pour de grands évé-nements : à Bercy, à Roland-Garros, au Festival de Cannes… Et aussi pour des partis politiques, des ministères, l’Ely-sée. « On a servi tous les présidents de la République depuis Mitterrand, on a beau-coup d’anecdotes… », se souvient Benoît. Il ne tarit pas d’éloges sur le pro-fessionnalisme de Stéphane, « toujours méticuleux dans son travail, patient ».

La bonté et la sincérité sont des mots qui reviennent beaucoup, parmi les pro-ches de Stéphane, pour le décrire. « Un vrai gentleman, qui transpirait la gen-tillesse », témoigne Yann, qui l’a long-temps côtoyé. Tous se souviennent de son rire, d’une chanson de Sinatra fre-donnée, d’une anecdote de football, lui l’amoureux du beau jeu brésilien. Il aimait bien taper dans la balle à Genne-villiers, où il a grandi, avec son « ju-meau de cœur », Philippe, qu’il voyait toujours régulièrement.

Après une déception amoureuse, il y atrois ans, Stéphane était parti changer d’air. Il avait choisi le Canada, y est resté près de deux à travailler, à voyager. Profi-ter pour ne pas avoir de regrets, disait-il. Il est ensuite revenu en France pour se rapprocher de sa mère, aux Sa-bles-d’Olonne. N’ayant pas trouvé de tra-vail qui lui convenait, il avait fini par re-gagner Paris à l’automne. Pour retrouver sa passion dans la restauration, partager un bon repas et du bon vin avec ses amis, et finir par s’installer. Il projetait d’acheter un appartement dans le 11e ar-rondissement, après la période transi-toire du studio, près du Bataclan. p

alexandre pouchard

Au service des autres

Justine DupontEtre disponible pour aider les autres, c’était son credo. Très impliquée dans « le social et contre les préjugés », Justine Dupont en avait « très vite » fait son mé-tier, confie sa sœur Nathalie. D’abord bénévole dans une association s’occu-pant des personnes sortant de prison, la jeune femme était, à 34 ans, responsable de deux résidences sociales du réseau Parme, dans les 10e et 20e arrondisse-ments de Paris. Son quotidien consistait à prendre soin de gens en situation d’ur-gence. Elle était adorée par ses rési-dents, pour qui elle se pliait en quatre.

Sa vie privée n’était pas une priorité. « Justine a toujours fait passer les autres avant elle, raconte son frère Benjamin, c’était une vocation. » Le jeune homme se souvient de sa grande sœur, « toujours la première à intervenir dans la cour d’école s’[il] avait le moindre problème », et très présente auprès des personnes âgées de la famille. Du genre à garder un créneau chaque samedi pour prendre soin de la sœur de leur grand-mère « au lieu de trouver des excuses pour ne pas aller la voir ». Le tout avec humilité : si elle en faisait beaucoup pour les gens, Justine était toujours gênée qu’on la re-mercie.

Fauchée par les terroristes vendredi 13 novembre à la Belle Equipe, où elle profitait de ses amis, l’un de ses passe-temps favoris, Justine Dupont était « so-laire », souligne Nathalie. Adorant sa ville, cette authentique Parisienne a grandi à Montparnasse, fait ses classes au lycée Montaigne, puis vécu dans dif-férents quartiers vivants de la capitale avant de s’installer à Montreuil avec son compagnon. Sans jamais tourner le dos aux amitiés forgées lors de l’enfance et enrichies avec l’âge. Marie-Aimée Dalloz, son compagnon Thierry Hardouin, Hodda, la cogérante de la Belle Equipe qui fêtait son anniversaire ce soir-là… plusieurs amis très proches sont morts aux côtés de la jeune femme.

Passionnée, Justine l’était aussi de musique et de danse. Fan de rap dans son adolescence, à commencer par Tu-pac et Kery James, elle s’était mise au hip-hop. Puis, plus récemment, elle avaitcommencé la danse orientale. Une façon d’exprimer la joie de vivre qui ne quittait pas cette deuxième d’une « fratrie hyper unie ». Il n’y aura plus de déjeuners cha-que semaine avec elle. La mort de Jus-tine laisse un « vide intersidéral », con-fesse sa sœur. « Mais elle aurait détesté nous voir abattus, alors il va falloir qu’on se reprenne. » p

clément martel

Mémorial du 13 novembre« Le Monde » publie chaque jour des portraits

des victimes des attentats, afin de conserver, avec l’aidede leurs proches, la mémoire de ces vies fauchées

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18 | débats MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

0123

Gauche,les raisons d’un échecLes mauvais résultats de la gauche au premier tour des régionales tiennent-ils à l’impuissance du gouvernement et à l’absence d’union, ou bien à un problème d’identité politique plus profond ? Réflexions avant le second tour

par laurent bouvet

L e paysage électoral de la gauche aulendemain de ce premier tour desélections régionales ressemble à un

champ de ruines. Quelques vestiges de la domination locale du PS, établie dans lesannées 2002-2012, subsistent bien ici et là, mais ils ne trompent personne. Les défaitesà répétition aux élections municipales, dé-partementales et, aujourd’hui, régionales ont mis à bas l’empire électoral bâti pen-dant une décennie sur les décombres de la déroute présidentielle de 2002. A gauche, le PS domine ce paysage dévasté. Aucun autre parti n’étant en mesure de lui contester cette prééminence. Le résultat de dimanchetémoigne, d’ailleurs, de son maintien relatifau regard de ses alliés traditionnels écolo-gistes et de la « gauche de la gauche ».

A l’effondrement des Verts répond, en ef-fet, la faiblesse du score du Front de gauche,aucun de ces partis n’étant susceptible de représenter une alternative au PS. Cette si-tuation électorale objective se double d’unesituation particulière : l’installation en pro-fondeur du FN dans le paysage. Le fait que cene soit pas la droite qui bénéficie de l’affai-blissement de la gauche ne devrait pas ras-surer le PS, tant la dynamique frontiste s’exerce au détriment de l’ensemble des for-ces politiques, que ce soit électoralement ouen termes de thématiques qui structurent le débat public. Au-delà des circonstances particulières dans lesquelles se déroule cette élection et dont il est difficile de con-naître l’impact, ce premier tour n’a fait queconfirmer des tendances lourdes déjà ob-servées lors des scrutins précédents.

TROIS RAISONS D’UNE DÉBÂCLE DU PSA gauche, notamment au PS, trois élémentsrécurrents sont amplifiés depuis diman-che : la proclamation d’une unité sans réa-lité politique ; le déchirement durable de son tissu local ; l’échec historique de sa stra-tégie de lutte contre le FN. A peine les pre-miers résultats connus dimanche soir, l’ap-pel à l’unité de la gauche a retenti sur les pla-teaux de télévision et dans les QG des candi-dats. Une unité bien vite et automatiquement intégrée dans l’analysedu premier tour comme dans la projection du second par nombre de responsables so-cialistes. Au prix d’une double illusion, poli-tique et électorale. La gauche est divisée, que ce soit sur l’orientation économique dugouvernement ou sur les questions de sé-curité. L’incapacité de la « gauche de la gau-che » à faire fructifier son opposition au PS dans les urnes rendant de moins en moins audible l’idée d’une orientation « plus à gauche » de la politique nationale. Il n’est ainsi pas certain que les électeurs suivent pour le second tour les consignes de vote d’états-majors éloignés du terrain local et décrédibilisés. Les reports pourraient s’avé-

rer moins automatiques que prévu, malgré l’appel concomitant à « faire barrage » au FN. Les défaites de la gauche depuis 2012 conduisent à son effacement quasi total dans certains endroits du pays et, plus lar-gement, au déchirement de son tissu mili-tant et sympathisant. C’est le cas pour le PS, qui avait très étendu celui-ci depuis dix ou quinze ans. Ce ne sont pas seulement des élus qui disparaissent lors d’une défaite électorale, mais tout un ensemble de colla-borateurs, de relais, d’affidés, de réseaux parfois anciens et structurant la vie sociale bien au-delà de la politique stricto sensu, comme dans le cas emblématique du Nord-Pas-de-Calais, par exemple. La décision de retirer les listes dans certaines régions au nom de la lutte contre le FN aura ainsi de lourdes conséquences, surtout lorsque le conseil régional était le dernier point d’ap-pui du PS et de la gauche locale. La dispari-tion de la plupart des cadres politiques et des moyens matériels qui les accompa-gnent n’augure rien de bon pour la suite, que ce soit en termes de combat politique ou de mobilisation électorale.

Ce reflux est aussi le résultat d’un échec :celui de la lutte contre le FN depuis trente ans. Toutes ces années de « mobilisation »pour faire « barrage » à l’extrême droite ont abouti à ce que ce parti soit, seul, sans be-soin d’aucun allié, aux portes du pouvoir dans plusieurs régions, et surtout que sa candidate pour 2017 apparaisse comme la seule bénéficiant d’une authentique dyna-mique politique. Cet échec historique n’a ja-mais eu de véritables conséquences sur le PS. Les mêmes responsables qui ont ima-giné ou endossé une stratégie anti-FN dé-faillante sont toujours aux commandes, quel que soit son résultat. Jusqu’ici, l’enjeu paraissait virtuel ; le FN servant surtout à faire peur aux électeurs et à empêcher la droite de gagner ici ou là. Il est aujourd’hui bien réel : le FN peut gagner et bénéficier à son tour des ressources des autres partis.

La répétition des mêmes mantras anti-FNet la culpabilisation moralisatrice de ses électeurs ne fonctionnent plus pour l’empê-cher d’accéder au pouvoir. C’est donc à unchangement stratégique radical, rapide et profond que la gauche française, PS en tête, doit s’atteler, si elle veut survivre et renaître.Crier « No pasarán ! » ne suffira pas. Ce chan-gement stratégique devra s’accompagner d’une réflexion approfondie sur les causes culturelles et identitaires de la montée en puissance du FN, au-delà des habituellesconsidérations sur la politique économiquedes gouvernements de gauche. p

Crier « No pasaran ! »ne suffit plus

Refusons le déni de défaite !

par aurélie filippetti

E n écoutant les réactions desresponsables des partis ré-publicains, un constat s’im-

pose : la stratégie du déni fonc-tionne à plein. En s’accrochant à chaque élection aux terres qui de-meurent dans l’axe républicain,notamment la Bretagne et le Sud-Ouest pour la gauche, en étant ob-nubilés par les résultats en Ile-de-France, où le partage des voix sefait encore entre gauche et droite et où le FN demeure plus basqu’ailleurs, les chefs des partis dé­tournent pudiquement les yeux dela moitié du pays. Celui où le chô­mage de masse, où le sentiment d’abandon du monde ouvrier et dumonde rural et des jeunes vient à renforcer la cohorte des électeursdu FN.

A écouter ces discours sur lemode « ce n’est pas si mal », nos électeurs, nos anciens électeurs dé-sabusés, nos concitoyens incrédu-les peuvent se dire qu’ils ne pèsent pas grand-chose pour ceux qu’ils sont censés représenter. Dès lors, larupture entre les commentaires et la réalité de ce qu’ils vont vivre enayant à la tête des exécutifs locaux des élus FN contribue à accroître le sentiment d’un fossé grandissantentre les responsables politiques etle peuple. Comment expliquer àceux qui auront comme prési-dente de région une Le Pen que fi-nalement les scores de telle ou telleformation n’étaient pas si mal ?

Le danger est d’autant plus grandqu’il y a treize ans et demi, nous en

étions déjà là. Au soir du 21 avril, nous manifestions pour la républi-que, déjà. Nous nous engagionsalors cœur tremblant au « plus ja-mais ça ». Tout devait changer, lapolitique n’aurait plus le même vi-sage, on tirerait les leçons de l’alerte. Et puis… non. La « politi­que » a bien vite repris ses droits, chassez le naturel… Car après le 21 avril, il y eut l’élection de Chiracavec 80 % des voix. Le Front répu-blicain avait fonctionné. Et tout estredevenu comme avant. Une pe-tite musique s’instilla même : le meilleur moyen de gagner finale-ment une élection serait de se re-trouver en duel ou en triangulaire contre le FN.

Après avoir naïvement cru que LePen ne serait jamais au second tour,nous avons naïvement cru que les Le Pen ne pourraient jamais gagnerun second tour. Il y a urgence dé-sormais. Sonnons l’alarme. Il n’est plus temps d’accepter les discours de déni. La jurisprudence Chirac (être élu au second tour avec 80 % des voix) ne fonctionnera plus longtemps : pour la gauche et la droite républicaine, considérer que, finalement, les campagnes se joueront désormais au premier tour, l’objectif étant d’être celui des deux blocs qui se trouvera qualifié contre le Front national, est devenuirresponsable.

UN ÉCHEC COLLECTIFLes municipales nous montrent ledanger : désormais les élus locaux du FN sont prudents. Ils visent plushaut. Ils risquent de faire de mêmedans les exécutifs régionaux. Avecbien sûr de gros dégâts au passage pour tous ceux qui travaillent au quotidien à construire de la solida-rité entre nos concitoyens, les as-sociations éducatives, citoyennes, les espaces culturels en premier lieu. Tout faire, y compris nous ef-facer temporairement de certains hémicycles régionaux, pour empê-cher leur victoire est donc une né-cessité, non pas morale, mais poli-

Dire que les résultats« ne sont pas si mal » relève de l’aveuglement.Tirons les leçons de nos responsabilités

¶Aurélie Filippetti est députée (PS) de la Moselle, ancienne ministre de la culture

tique. Une urgence. Leur laisser lechamp libre vers des présidencesserait un suicide. Le retrait de nos listes est donc pour dimanche la seule issue dans nos régions meur-tries, notamment dans le Grand Est. Mais ces retraits sont la consé-quence d’un échec collectif que nous devons analyser avec lucidité.On ne peut s’en satisfaire sans en tirer les conséquences. Car en reje-ter la responsabilité sur l’éparpille-ment des forces de gauche, commesi cet émiettement n’avait pas une explication, et alors même que lesscores des autres partis de gauche sont faibles, est par trop facile.

Le 21 avril déjà, nous nous enétions tenus à cette explication simpliste. Cela n’a rien empêché par la suite. En 2012, s’il y eut ras-semblement au second tour c’estqu’il y avait cohésion de la gauche autour d’une analyse des maux du pays et d’un projet pour le relancer.Cette élection a été gagnée sur un programme de gauche réaliste mais ambitieux. Pourquoi le nier et le renier, alors que c’est celui qui a été validé par les urnes ? Il fautnous attaquer aux racines. Auxmotivations du vote. Et donc à nos propres responsabilités, en parti-culier depuis 2012.

Gauche, droite : refusons le dénide défaite. Ce n’est pas en mainte-nant artificiellement des listes dans des régions menacées que nous résisterons, c’est en nous reti-rant pour éviter le pire et en recons-truisant nos idées partout où celles de l’extrême droite prédominent. Dans nos régions le retrait des listesde gauche n’équivaut certainementpas au retrait du débat politique. p

Retrouvez l’intégralité de cette tribune sur Lemonde.fr

¶Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’UVSQ Paris-Saclay. Dernier ouvrage paru : « L’Insécurité cultu-relle » (Gallimard, 192 pages, 12 €).

Les mantras anti-FN et la culpabilisation morale de ses électeurs ont fait leur temps. La gauche gouvernementale doit retrouver le sens du peuple

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0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 débats | 19

Des élites coupéesdes réalités françaisesA force d’occulter les problèmes posés parune immigration de masse extra-européenne, les « bien-pensants » de droite comme de gauche ont pratiquéun déni idéologique. D’où cette triste débâcle politique

par alexandra laignel-lavastine

C omment en sommes-nous arri-vés là ? Cette question en appelleaussitôt une autre : jusqu’à quand

allons-nous feindre, à chaque nouvellepercée du Front national, la surprise et la sidération ? S’il est en passe de devenir le premier parti de France, c’est aussi qu’une partie de nos élites intellectuel-les, politiques et médiatiques a long-temps trouvé plus confortable de resterperchée sur Mars et de lui abandonner le monde. Surtout ses réalités déplaisantes,comme les problèmes que posent une immigration de masse d’origine extra-européenne en l’absence de politiqued’intégration, la porosité de nos frontiè-res, le prodigieux écho que rencontre l’is-lamisme dans nos banlieues, la pousséedu communautarisme, du sexisme, de l’homophobie et de l’antisémitisme. Toutes réalités enfin officiellement ad-mises en l’espace d’une nuit, entre le 13 etle 14 novembre. Bien tard pour regagner une quelconque crédibilité.

Peu de temps auparavant, rappelonsqu’il se trouvait encore de bons apôtresdu politiquement correct pour parler de« terrorisme dit “islamiste” », car il ne pou­vait s’agir, cela va de soi, que d’une lubie aux relents racistes. Pour cette visionthéologico­tiers­mondiste qui ne souffre aucun démenti en provenance des faits,l’axiome est intangible : le mal ne saurait

surgir du camp du bien, celui des préten­dus « damnés de la terre ». Enivrés par leur folle reductio ad lepenum, certains ont même réussi l’exploit de céder la sou-veraineté et la laïcité à Marine Le Pen. Ouplutôt cet abominable « laïcisme » en le-quel Emmanuel Todd voyait déjà, dès leprintemps 2015, un ennemi cent fois plusredoutable que l’islamisme radical. On apprendra dans la foulée, par lui et par d’autres idiots utiles du FN, que les tueurs djihadistes étaient en fait des vic-times (des discriminations, du chômage, etc.), et que les vrais coupables ne se-raient autres que les « islamophobes ». On a aussi entendu un cinéaste expliquerque les massacres de Charlie avaient… « lasale gueule de Marine Le Pen ».

« COMME DES COLLABOS »Et pourquoi pas du maréchal Pétain ?Jean-Luc Mélenchon, lui, croyait savoirque son ami Charb était tombé sous lesballes des « intégrismes religieux » au plu-riel… On s’étonne que ceux-là ne se re-trouvent pas, à l’instar de Michel Onfray, sur une vidéo de propagande de l’organi-sation Etat islamique. Ainsi que me le di-sait il y a peu un intellectuel d’origine musulmane, laïc et démocrate : « Cer-tains intellectuels progressistes européenssont effrayants : ils se conduisent enversles islamistes comme des collabos sans voir qu’ils pavent ainsi la voie à la droite extrême. » Nous y sommes.

Dans ce climat de déraison collective,

faut-il rappeler qu’à chaque fois que le sang coule c’est toujours le FN qui, en bonne logique, ramasse la mise. Week-end des 24 et 25 mai 2014. Le 24, tuerie au Musée juif de Belgique, à Bruxelles (qua-tre morts), perpétrée par Mehdi Nem-mouche, un tortionnaire salafiste fran-çais de 29 ans, rentré de Syrie. Le 25,triomphe de Marine Le Pen aux euro-péennes, qui ralliait déjà les suffrages d’un électeur exaspéré sur quatre. Autreexemple de raccourci saisissant au lende-main de l’attentat de Copenhague, en fé-vrier 2015 : « La terreur frappe à nou-veau », lisait-on en « une » du Parisien. « Le Front national s’enracine », titrait en regard Le Journal du dimanche.

MONTÉE DU NATIONAL-POPULISMEIl se trouve en effet que deux tendanceslourdes menacent en Europe depuisquinze ans : la montée en puissance de l’islamisme et celle du national-popu-lisme. Les deux phénomènes ont partie liée, nous le savions… mais nous ne vou-lions pas le savoir. Tel est le principe dudéni. En ce sens, et pour le dire brutale-ment : l’ascension de Marine Le Pen est en partie notre œuvre, et sa victoire aux régionales le produit cumulé de toutesnos lâchetés. Là réside le vrai mystère de ce début de siècle.

Plus l’hydre fondamentaliste se confir-mait, plus nombreuses étaient ses victi-mes, plus la bien-pensance régnante s’enferrait dans la complaisance, la socio-logie « excusiste » et un déni idéologique du réel que rien ne venait enrayer. A dé-faut, elle minimise (le « loup solitaire »), elle euphémise (les « enfants perdus du djihad »), elle psychiatrise (une « poignée de déséquilibrés »), elle intimide (« halte à l’islamophobie »), elle sociologise (les dé-favorisés, c’est bien connu, ne peuventque massacrer leur prochain) ou elle neutralise (procès en dérives néoréac). Cette calamiteuse stratégie de l’enfouis-sement aura donc travaillé dur pour ac-créditer, en réaction, la thèse apocalypti-que du « grand remplacement ». En se re-fusant à nommer et à identifier l’ennemiidéologique, ce prêt-à-penser ne s’est pas

contenté de contribuer à notre désarme-ment intellectuel tout en encourageant un rejet indiscriminé des musulmans.Nos bien-pensants de service n’ont pas fait le jeu du Front national : ils n’ont cessé de faire campagne à sa place ! A lalongue, la xénophilie angélisante s’est ainsi révélée le plus efficace agent électo-ral de la xénophobie diabolisante. Voilàcomment nous en sommes arrivés là.

Face à un islam qui se radicalise, il se-rait suicidaire de continuer à ne pas prendre en charge les inquiétudes identi-taires, le sentiment d’abandon et l’insé-curité culturelle exprimés par tant d’ha-bitants du Vieux Monde, musulmans compris, de surcroît désemparés par une mondialisation qui les déprime tant ilscraignent d’y perdre la maîtrise de leur destin.

Les aveugles vont-ils s’obstiner, jusqu’àla présidentielle, à laisser ces « immondi-ces » en pâture au FN ? C’est probable, car ce serait la meilleure façon de précipiter le peuple dans son giron. On finit, en ef-fet, par se demander si ces antifascistes égarés n’espèrent pas secrètement le re-tour de leur vieille « bête immonde » pré-férée. Après tout, ce serait reposant, de vraies vacances : plus besoin de s’infliger d’épuisantes contorsions mentales face àcet islamo-fascisme dont ils ne veulentpas, dans la mesure où il ne cadre pas avec leur catéchisme binaire dominants-dominés, ici une Europe ontologique-ment coupable, là un monde musulman par définition innocent. On songe à la ré-plique d’un personnage de Shakespeare : « Je me suis dans la fange avancé si loin que même si je décidais de ne plus y pa-tauger, retourner serait aussi pénible que ooursuivre. » p

¶Alexandra Laignel-Lavastine est philoso-phe, essayiste et journaliste. Elle vient de pu-blier « La Pensée égarée. Islamisme, popu-lisme, antisémitisme. Essai sur les penchants suicidaires de l’Europe » (Grasset, 220 pages, 18 €). Prix de la Licra 2015.

L’abandon des classes populairesA force de vouloir briser les « tabous »à coups de libéralisme culturel et économique,la gauche « moderne » au pouvoir a délaisséla question sociale dont s’est emparé le Front national

par louis maurin

S i j’étais chômeur, je n’attendrais pastout de l’autre, j’essaierais de mebattre d’abord. » L’extrême vio-

lence des propos du ministre de l’écono-mie, Emmanuel Macron, n’a paséchappé aux cinq millions de deman-deurs d’emploi, dimanche 6 décembre, au moment de voter. Que se passe-t-il dans la tête d’une caissière quand elleentend qu’un ministre du travail estimeque le contrat de travail n’établit pas delien de subordination (François Rebsa-men) ? Ou quand elle voit que sa sui-vante, Myriam El Khomri, ne sait dire combien de fois son contrat à durée dé-terminée peut être renouvelé ? Une boule de haine qui monte face à l’humi-liation. La gauche « moderne » ignoretout des classes laborieuses ; elles luirendent dans les urnes la monnaie de sapièce. Voilà qui permet de comprendre la poussée du Front national, bien plusque la peur des étrangers, dont la partdans la population (6,4 %) est inférieureà ce qu’elle était en 1982. L’incrédulitédes dirigeants socialistes devant leur im-puissance à endiguer le phénomène aune raison simple : ils ne comprennent rien à la société française.

Certes, la gauche n’a pas abandonné lesinégalités, elle n’a que ce mot à la bou-che. Inégalités d’âge, de sexe, de couleurde peau ou entre les territoires nourris-sent la communication politique, les col-loques et les discours. Tant que celles-cidemeurent compatibles avec une très forte hiérarchie entre les exécutants etceux qui décident, tout va bien. Peu im-porte les écarts de salaires entre le haut et le bas ou la précarité tant que l’on compte le bon nombre de représentants de la « diversité » ou la « parité » parmi les dirigeants. Tant pis si les immigrés etles femmes des milieux populaires sont

les premiers touchés par la précarité. Le temps est venu des « chartes », des « pac-tes » ou de la « responsabilité sociale ». L’appel à la bonne volonté des dirigeantsd’entreprise a remplacé la lutte des clas-ses ; la charité sociale, le partage de la ri-chesse.

« ÉGALITARISTES » DISQUALIFIÉSCe changement assure une cohérenceidéologique à cette gauche, qui associe li-béralisme culturel et économique et qui n’a absolument rien de social-démo-crate. Le mariage homosexuel plus la flexibilité du travail, elle y croit. Cette idéologie est assumée au plus haut del’Etat par le ministre de l’économie lui-même, qui se situe dans le camp « du li-béralisme politique et économique » sans être désavoué (Le Monde daté du 29 sep-tembre). Ce qui compte, c’est « l’égalité des opportunités » : permettre aux gossesde pauvres de devenir riches et aux gos-ses de riches de devenir pauvres… Si cha-cun peut accéder à toutes les places, peuimporte la façon dont notre système fonctionne et qu’il écrase le plus faible.

Le discours des économistes duXIXe siècle est présenté comme « mo-derne ». Ceux qui veulent rendre le fonc-tionnement du système plus juste – ces « égalitaristes » – disqualifiés. Ce mondelibéral part à la chasse aux « tabous » : pour démonter le modèle social. Pen-dant ce temps, la violence des inégalités sociales laisse des traces, dans un sys-tème où la liberté est celle du « renard li-bre dans le poulailler libre », où « l’égalitédes chances » n’est qu’un mythe destiné à légitimer la reproduction sociale.

Ce n’est pas un problème de « margesde manœuvre » économiques, de bud-get. Le pacte de « responsabilité » consti-tue un cadeau fiscal de 46 milliardsd’euros par an, principalement aux en-treprises. L’équivalent du budget du mi-nistère de l’éducation, de centaines de

milliers de logements sociaux, de crè-ches, de centaines de commissariats de quartier, de quoi proposer un RSA aux jeunes en galère ou des conditions de finde vie dignes aux personnes âgées dé-munies. L’Assemblée vient encore de vo-ter un soutien aux emplois domestiques de 225 millions d’euros par an : la gauche dirigeante a besoin de serviteurs peu chers, qui travaillent chez eux et le di-manche dans les commerces d’une nou-velle société flexible.

Tout irait bien si cette gauche embour-geoisée pouvait s’affranchir du pouvoir de nuisance des classes populaires,prendre ses congés, manger bio et choi-sir la bonne école pour ses enfants tran-quillement. Elle a même théorisé son di-vorce avec le monde ouvrier devenuconservateur, selon la fondation TerraNova (« Gauche : quelle majorité électo-rale pour 2012 », Bruno Jeanbart et Oli-vier Ferrand, 2011). Malheureusementpour elle, les catégories populaires sontnombreuses : 14 % seulement de la po-pulation adulte disposent d’un niveaude diplôme supérieur à bac + 2, la moitiédes actifs sont employés ou ouvriers. Nous sommes en démocratie et ellescontinuent à voter. Même si elles s’abs-tiennent davantage, leur poids est tel dans l’électorat que l’on ne peut fairesans elles. Lionel Jospin cherchait en-core à la fin des années 1990 à « réconci-lier les classes moyennes et populai-res » ; la gauche dirigeante veut faire l’al-liance des couches aisées et des classesmoyennes dites « supérieures », 20 % des électeurs, en comptant large…

LE PARTI SOCIALISTE SE DÉSINTÈGRERésultat, le Parti socialiste se désintègre : un électeur sur dix a voté pour lui di-manche. Les électeurs se détournent des partis politiques en général qui n’ont quefaire des catégories populaires. La seuleorganisation qui produise un discours de classe fort est le Front national, ens’appuyant sur la démagogie et la xéno-phobie.

Incapable de penser la question sociale,la gauche « moderne » croit avoir trouvé la parade pour devenir populaire. Penser la société avec des sondages et brosser la

population dans le sens du poil. On con-tinue à nous expliquer que ces couchespopulaires se manifestent, non parce qu’elles paient cher les effets de la crise,mais qu’elles auraient peur du « grand remplacement ». Marginalisées hors des villes, elles seraient mises en « insécuritéculturelle » par les populations immi-grées des cités, qui profitent de l’expan-sion des métropoles. Le discours duFront national en version allégée est de-venu politiquement correct à gauche en grossissant à l’extrême les difficultés – réelles – posées par l’intégration desétrangers dans un contexte de chômage. En utilisant les arguments de l’extrêmedroite, la gauche ne fait que légitimer un discours de haine.

Comment défendre les catégories po-pulaires sans utiliser l’arme de la déma-gogie ? Les catégories populaires n’ont pas davantage à gagner à la « dictature deprolétariat » et un renversement du capi-talisme qu’on leur promet à l’autre ex-trême. Divisée, engoncée dans un dis-cours révolutionnaire, l’extrême gauchene peut que rester ultraminoritaire. LesVerts s’intéressent plus à leur panier bio qu’aux ouvriers. De son côté, la droite,plutôt que de partir à la reconquête d’unélectorat populaire avec des proposi-tions sociales, s’est fait piéger par la gau-che qui lui a volé sa politique. Ses ténors font l’erreur de se lancer dans la suren-chère. Le Front national comble ce videsidéral. « Nos sociétés ne sont pas sans classes, mais sans discours de classe arti-culant, de manière nouvelle, une explica-tion théorique de ces inégalités à un pro-jet politique de transformation sociale, crédible et vérifiable », expliquait le socio-logue Claude Dubar. Tout est dit. Reste à savoir qui est prêt à rénover le projet so-cial-démocrate. p

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités. Coauteur avec Valérie Schneider du « Rapport sur les inégalités en France », Observatoire des inégali-tés, 200 pages, 7,50 euros.

LE DÉBAT SE POURSUIT SUR LEMONDE. FR WWW.LEMONDE.FR/IDEES

« Que la gauche cesse degouverner par la peur », par Noël Mamère, député écologiste. A force de voir lamajorité socialiste recyclerdes idées de droite et d’ex-trême droite, inutile d’être surpris par la montée du Front national. Vivement laVIe République !

« Le FN, vrai parti du prêt-à-penser », par CécileAlduy, professeur de littéra-ture à l’Université de Stan-ford. Ce qui se lit dans la victoire du parti de Marine Le Pen, c’est avant tout le triomphe des clichés sur lapensée et la réflexion. S’il est une formation qui ré-duit le discours au slogan etl’intelligence à la rectitude politique, c’est bien la sienne. Cécile Alduy est aussi la coauteure de Ma-rine Le Pen prise aux mots. Décryptage du nouveau dis-cours frontiste (Seuil, 304 p.,19,50 €).

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20 |culture MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

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RENCONTREnoémie luciani

Il y a du Frank Capra chez Ron Howard.Pas en ce qui concerne le physique nile style et à peine dans les sujets deleurs films. Ils affectionnent tous deuxles belles causes, les individus qui sebattent pour une famille, une foule,

un rêve, un plus petit. La convergence tientplutôt au point de vue : un entêtement – de leurs personnages sinon d’eux-mêmes – à es-pérer envers et contre tout. Un appétit d’ave-nir, qui relègue le désespoir dans les notes de passage, sans jamais lui offrir l’accord majeur.

A 61 ans, Ron Howard a, derrière lui, touteune carrière d’acteur pour la télévision et le ci-néma, des succès internationaux en tant que réalisateur – Apollo 13 (1995), Un homme d’ex-ception (2001), Da Vinci Code (2006) –, de bel-les réussites de producteur – Restless (2011), deGus Van Sant – et l’optimisme chevillé au corps, même – et surtout – lorsqu’on évoque les sujets qui fâchent : l’impitoyable Hol-lywood, la loi des studios, les gros sous.

Il a pourtant commencé dans les larmes.Ses parents sont acteurs. Il a 18 mois et, sur le

plateau de Frontier Woman (1956), un westerndans lequel joue son père, le réalisateur RonOrmond (1910-1981) s’avise que ce petit qui pleure ferait bon effet dans sa scène. Au mo-ment de tourner, l’enfant est tout sourire. On lui confie alors un tomahawk qui l’enchante,dont la brusque privation déchaîne de nou-veau les pleurs : c’est dans la boîte !

« Je n’ai jamais fait partie des enfants stars » « L’exemple parfait du type d’expérience que ce milieu vous amène à vivre ! », s’amuse le réali-sateur, qui ne tarit pas d’anecdotes sur sa drôle d’enfance heureuse. « C’était une vie peuordinaire, mais très équilibrée. Je n’ai jamais fait partie de ces enfants stars qui grandissent dans des bulles. Mes parents ont fait en sorte que je mène, en dehors des tournages, une exis-tence simple et saine. Nous avions une petite maison, celle qu’eux deux, avec leurs salaires, pouvaient nous offrir. »

Il apprend sur le tas, auprès d’un père qu’ildécrit comme un « pédagogue de génie », destechniciens et artistes qu’il harasse de ques-tions sur les plateaux. Il alterne télévision (lesséries populaires The Andy Griffith Show et Happy Days) et cinéma, sans y voir de grandedifférence, sinon le surcroît de magie du se-

cond : les décors sont plus grands, plus beaux,la musique est entêtante, on y danse. Sur letournage de The Music Man, de Robert Pres-ton, il pousse la chansonnette, à 7 ans.

Peut-être ses excursions d’enfance sur lesplateaux lui ont-elles donné le goût d’un ci-néma hétéroclite comme un grand coffre à jouets. Il a tout essayé, l’épopée spatiale (Apollo 13), le drame intimiste (Un homme d’exception), le western (Les Disparues, en 2002), la comédie venue de l’espace (Co-coon, en 1985), l’antifilm de Noël (Le Grinch, en 2000), les blockbusters (Da Vinci Code). Il a courtisé les fées (Willow, en 1988) et les sirè-nes (Splash, en 1984). Il a beaucoup filmé etparlé voitures entre son premier long-mé-trage, Lâchez les bolides, en 1977, et le beau Rush, en 2013.

La transition vers la réalisation s’est faitesans trop de mal. On regarde parfois de haut ce freluquet venu de la télévision, dont Ame-rican Graffiti (1973), de George Lucas, a pour-tant fait à 19 ans une star du grand écran.Mais il peut suffire d’un allié – de poids –pour lancer une carrière. Ce sera Roger Cor-man, qui produit son premier film : Ron Ho-ward commence à tourner Lâchez les bolides le lendemain de ses 21 ans. L’histoire laisse rê-

veur. Le dire « chanceux » semble encore fai-ble. Les mauvaises langues penseront « pis-tonné ». Ron Howard est surtout et reste un curieux doublé d’un enthousiaste qui s’esttrouvé au bon endroit et au bon momentpour apprendre et faire.

« De plus en plus facile de faire du cinéma »En quarante ans de réalisation, l’enthou-siasme n’a pas tari. Ron Howard reconnaît pourtant qu’il est de plus en plus ardu de vi-vre à Hollywood, qu’avoir un nom connu aide, si possible même deux. En ce qui con-cerne son dernier film, Au cœur de l’océan, qui n’est ni adapté d’un roman célèbre ni par-tie intégrante d’une franchise à succès, il est conscient de devoir beaucoup à la présence au casting de Chris Hemsworth, commercia-lement avantageux. Mais si les studios ne sont pas de la partie, qu’à cela ne tienne. Il fi-nance ses films autrement, grâce à sa société Imagine Entertainment, créée en 1986 avec Brian Grazer, profitant des recettes d’autresfilms, avec un peu d’aide de ses amis. Exacte-ment ce que George Lucas avait dû faire pourproduire Willow, au milieu des années 1980, alors qu’il avait déjà derrière lui la trilogie Star Wars.

« La vraie révolution, pour moi, est positive,déclare-t-il. La technologie a fait qu’il est de moins en moins cher et de plus en plus facile defaire du cinéma, et la multiplication des moyens de production et de diffusion alterna-tifs permet de rendre les films visibles autre-ment. Hollywood rétrécit, mais les médiass’élargissent plus vite qu’il ne rétrécit. »

Ron Howard ne mordra pas la main qui l’anourri. On jurerait, cependant, qu’il s’agit moins de prudence que de cette volonté per-sistante et joyeuse de voir le verre à moitié plein. En ce qui le concerne, la recette fonc-tionne : elle lui a permis de traverser flops et triomphes, de mener sa barque dans l’indé-pendance comme dans la grande machine des titans du business, Warner, Touchstone, Paramount, Universal, Columbia. Il est tou-jours marié et heureux avec la même femme,Cheryl Howard (Alley), épousée à 21 ans, en même temps que le métier.

De son nouveau film, retraçant l’histoirevraie qui a inspiré Moby Dick, il dit : « C’est un film historique, qui montre que le monde ne change pas autant que ce qu’on pense. » Hol-lywood non plus. « Sur le tournage de Cocoon,ajoute Howard, il y avait un très vieil acteur, Charlie, qui avait joué à Hollywood dans des films muets. Je lui ai demandé, comme vous ve-nez de le faire, si le milieu avait changé. Il a ré-pondu : “C’est toujours les mêmes conneries !” La seule différence, c’est que, maintenant, on n’a plus le droit de faire du bruit sur le plateauquand ça tourne. » p

VOIR LE VERREÀ MOITIÉ PLEIN

A PERMIS À HOWARD DE TRAVERSER

FLOPS ET TRIOMPHES, DE MENER SA BARQUE DANS L’INDÉPENDANCE

COMME DANS LA GRANDE MACHINE

DES TITANS DU BUSINESS

Dans « Au cœur de l’océan », le réalisateur retrace l’histoire vraie qui a inspiré « Moby Dick »

WARNER BROS.

ENTERTAINMENT INC.

Au bon vieux temps du cinéma à voileAU CŒUR DE L’OCÉAN

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F ilm d’aventures, Au cœur de l’océanest aussi l’histoire d’une histoire, etpas n’importe laquelle. Le scénario

de Charles Leavitt a recours à un procédé connu : un enquêteur fait parler un té-moin, et leur conversation fait bientôt place à la traduction cinématographique des souvenirs de l’interviewé. Ici, l’inter-rogateur s’appelle Herman Melville (Ben Whishaw). Il est venu à Nantucket re-cueillir les souvenirs de Tom Nickerson(Brendan Gleeson), dernier survivant du naufrage de l’Essex. Trente ans plus tôt, en 1820, ce baleinier d’un port de la Nou-velle-Angleterre a fait naufrage au milieu du Pacifique, éperonné par un cachalot.

Si l’essentiel du film est consacré auxtribulations de l’Essex et de son équipage,son équilibre doit beaucoup à la négocia-tion entre Tom Nickerson et Herman Melville. Le marin vend à regret des mor-ceaux de réalité à l’artiste, qui en fera de lafiction. Plus qu’une astuce de scénario, le face-à-face du loup de mer et du roman-cier place le film entre la création et les

souvenirs, dans cet espace incertain où sedéploient les grands récits maritimes.

Ron Howard met un enthousiasme peucommun à reconstituer des décors ma-gnifiques – le port de Nantucket, le balei-nier – , mais aussi une industrie. L’intri-gue principale baigne dans un système économique – la récolte et l’exploitation de la graisse de baleine, principale source d’éclairage en Occident au début du XIXe siècle – comme la mèche d’unelampe baigne dans l’huile. Si les marins de l’Essex sont soumis à des épreuves aussi effroyables, c’est qu’ils ont été forcésde prendre des risques en raison de la ra-réfaction des ressources. Les cétacés sont montrés (en numérique) sans aucun an-thropomorphisme. Ce sont des ressour-ces qu’il faut exploiter. Et quand un indi-vidu de l’espèce pourchassée se révèle ir-réductible, ce n’est pas sa personnalité qui est mise en avant, mais sa qualité d’instrument d’un destin aveugle.

Pendant ce temps, à bord de l’Essex, sejoue un drame plus conventionnel, qui ramène encore un peu plus Au cœur del’océan vers une tradition hollywoo-dienne que l’on croyait éteinte. Owen

Chase (Chris Hemsworth), fils de cultiva-teurs, devenu l’un des meilleurs harpon-neurs de Nantucket, se voit refuser le commandement du bateau au profit du fils d’un des armateurs, George Pollard (Benjamin Walker). Chris Hemsworth, le colossal interprète australien du dieu vi-king Thor, offre sa masse musculaire à l’idéal démocratique des Etats-Unis pen-dant que l’Américain propose une ver-sion raide mais convaincante de la plou-tocratie yankee naissante. Le duo est li-mité par un dialogue empesé, qui vou-drait évoquer les formes en vigueur au début du XIXe siècle, mais finit par rame-ner aux errements des années 1940. Ce handicap a pour effet collatéral une clartéquant aux enjeux de la campagne du ba-leinier : l’argent, le statut social, le pillage des ressources naturelles…

C’est dire que ce film historique néo-classique n’ouvrira pas les abîmes méta-physiques qui engloutissent le lecteur de Moby Dick. D’autant que Ron Howard et son directeur de la photographie, An-thony Dod Mantle (Slumdog Millionaire), recourent à des figures familières qui ras-surent, comme cette transparence qui

montre l’équipage d’un canot emmené par Chris Hemsworth arrosé d’une écume qui n’a rien de commun avec les lames de l’arrière-plan.

Cette volonté de renouer avec un ci-néma d’aventures marque la limite dufilm. Après le naufrage de l’Essex, l’équi-page se répartit sur trois canots qui déri-vèrent dans l’Atlantique, forçant les ma-rins à briser le premier des interdits ali-mentaires. De cet élément, Herman Mel-ville ne s’est pas servi. Ron Howard non plus ne s’en sert pas autrement que pour montrer à quelles extrémités les naufra-gés furent réduits.

Une fois admises les limites de cette en-treprise, on est libre de s’abandonner au plaisir qu’elle offre, de partager la griseriequi saisit le réalisateur de cinéma qui évo-que un monde oublié par l’artifice et par l’effort (une bonne partie du tournage a eu lieu en pleine mer). Lorsqu’il se croit leseul maître sur le plateau après Dieu. p

thomas sotinel

Film américain de Ron Howard. Avec Chris Hemsworth, Benjamin Walker, Brendan Gleeson, Ben Whishaw (2 h 02).

pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER

Ron Howard, digne fils d’Hollywood

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0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 culture | 21

La vie (avachie), mode d’emploiLe premier film du rappeur OrelSan dépeint avec humour et noirceur le désert culturel des zones périurbaines

Amour de deux êtres, choc de deux mondesLe chef-d’œuvre poignant de Mikio Naruse, réalisé en 1964, sort enfin en salles

UNE FEMMEDANS LA TOURMENTE

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C ompter parmi les filmsinédits en salles uneœuvre de 1964 n’est pas si

courant. Son auteur, Mikio Na-ruse, est au diapason de cette étrangeté, puisqu’il est l’élément le moins identifiable parmi les grands classiques japonais célé-brés par la cinéphilie mondiale. Né en 1905, mort en 1969, auteur d’une œuvre subtile et économe de ses effets, délibérément diluée dans la grisaille du quotidien et le destin incessamment désap-pointé des gens ordinaires, il n’a nil’élégance cruelle de Mizoguchi, ni la précision bouleversante d’Ozu, ni la fièvre lyrique de Kurosawa. Qu’a-t-il donc qui justifie le fait d’être ainsi placé au plus haut de-gré du temple cinéphilique ?

Une femme dans la tourmente,poignant chef-d’œuvre de fin de carrière (Naruse réalisera son der-nier film, Nuages épars, en 1967), apporterait à lui seul des élémentsessentiels de réponse. L’action se situe dans le bourg de Shimizu, dans les années 1960. Reiko – in-terprétée par la muse de Naruse,Hideko Takamine, une des plus grandes actrices au monde –, une veuve de guerre qui a perdu son mari sur le front six mois après

leur mariage, y gère l’épicerie de sabelle-famille qu’elle a sauvée d’une fermeture assurée. Sa belle-mère avait à s’occuper d’un mari malade, ses deux belles-sœurs ontpensé à faire leur vie, et son beau-frère, Koji, a joint l’indolence à l’af-fection qu’il lui témoigne.

C’est essentiellement entre cesdeux derniers personnages que le drame va se nouer, sur fond de mutation rapide de l’économie et plus largement de la société nip-pone. A cet égard, les séquences qui exposent le sujet et l’ambiancedu film sont un modèle de conci-sion, d’intelligence, de sensibilité.

Gros plan magnifiqueLe premier plan est pour un ca-mion qui sillonne les rues du bourg, d’où émane à travers un haut-parleur une voix fémininevantant les réductions consenties par un supermarché local. On voit ensuite un couple de commer-çants comparer le prix des œufs, puis une scène grotesque de bar, où trois pauvres types (les gérants du supermarché) s’amusent à faire avaler à de pauvres filles le plus d’œufs durs possible en cinq minutes. Un jeune homme au bar,révolté par leur bêtise, se bat avec eux et se retrouve au commissa-riat, avant que sa belle-sœur ne vienne le chercher.

Ces deux-là, ce sont Reiko et Koji,

qui marchent ensemble, rassem-blés par une douce affection sur le chemin du retour et dont tout montre pourtant d’emblée qu’un monde les sépare. Elle en tenue traditionnelle, douce, rationnelle, dévouée. Lui en vêtements occi-dentaux, colérique, paresseux, jeune chien fou amateur de fem-mes et de beuveries. En eux, par eux, et tandis même qu’ils mar-chent provisoirement de concert, une époque meurt, tandis qu’uneautre commence.

Le drame naîtra bien sûr del’amour qui, subitement, se dé-clare. Un tel préambule, liant natu-rellement et trivialement le social au sentimental, suggère que le sort du couple est intimement lié àcelui d’une société qui abandonne ses valeurs traditionnelles au pro-fit de la réussite économique.

Le sort de l’épicerie, que Kojisonge à transformer en supermar-ché, et le sort de cet amour seront donc au centre du film, tiraillé en-tre l’égoïsme perfide des bel-les-sœurs, l’impuissance de lamère, la passion de Koji, l’ambi-

guïté bouleversante de Reiko. Ne dévoilons rien ici, promettons simplement une dernière demi-heure surprenante, où le mouve-ment intempestif et l’arrache-ment brutal d’un long voyage entrain inversent le rapport des per-sonnages à la réalité, avivant le sentiment de précarité du monde moderne auquel en dernier res-sort Naruse se confronte. Fragilité lisible sur le gros plan magnifique,suspendant le travelling d’une course vacillante et éperdue, duvisage interdit de l’héroïne.

On ne sait si François Truffautavait vu ce film avant de réaliser LaChambre verte (1978), mais on ne peut manquer d’être saisi par ce sentiment tragique de fidélité aux morts qui réunit les héros des deux films. A travers cet attache-ment, notamment aux photogra-phies des disparus, c’est l’image et le cinéma que ces artistes sancti-fient comme une sorte de cénota-phe. Il n’en reste pas moins qu’en 1964 ce monde que Naruse s’apprête à quitter discrètement, les enragés de la Nouvelle Vague nippone, Oshima, Imamura et autres Yoshida, en font déjà du pe-tit bois. p

jacques mandelbaum

Film japonais de Mikio Naruse. Avec Hideko Takamine, Yuzo Kayama, Mitsuko Kusabue (1 h 37).

La dernière demi-heure du film

est totalementsurprenante

OrelSan (à gauche) et Gringe. LA BELLE COMPAGNIE

Le rapport au temps est

au cœur d’une mise en scène

qui traduitchez le musicien

une véritable

intelligence

du cinéma

COMMENT C’EST LOINppvv

A 25 ans, la vie leur pro-mettait du rêve. Orel etGringe, deux petitsgars de Caen qui se re-

trouvent invités à rapper au microd’une radio locale, sont repérés par un producteur qui leur pro-pose d’enregistrer un single. Cinq ans plus tard, le premier travaille comme gardien de nuit dans un hôtel pour VRP des faubourgs dela ville, contraint par son patron,« pas vraiment raciste, mais quandmême… », de refuser les clients à lapeau trop foncée, auxquels il pro-pose, pour se racheter, de passer la nuit chez lui.

Le second le rejoint régulière-ment dans la cuisine pour écluserles bouteilles du bar et tester quel-ques « punchlines » pour ce fa-meux morceau qui attend tou-jours d’être écrit. Le temps s’est écoulé plus vite qu’il n’en avait l’air, au fil de journées qui se répè-tent à l’identique : réveil à 15 heu-res au milieu de vieilles canettes explosées et de cendriers débor-dant de mégots, sortie au centrecommercial pour avaler un« sandwich en triangle », retour àla maison, effondrement dans levieux canapé en mousse du sa-lon, tellement défoncé que lesbouteilles se calent d’elles-mê-mes dans l’accoudoir, virée au pub avec des potes, retour à l’hôtelpour la nuit, visite aux putes au petit matin…

Rupture permanente

Sans s’en rendre compte, les jeu-nes rappeurs prometteurs sontdevenus des ratés. Leur ambitions’est émoussée, et l’atroce médio-crité de la vie standardisée, contrelaquelle ils croyaient être vacci-nés, est sur le point de les englou-tir dans sa gangue. Dans une ul-time gueulante, leur producteur leur pose un ultimatum : s’ils ne pondent pas un morceau dans lajournée, il reprend son matériel etles lâche pour de bon.

Premier film du rappeur Orel-San, coréalisé avec le chef opéra-

teur Christophe Offenstein, Com-ment c’est loin suit les deux zozosdans une interminable journéequ’ils passent à repousser indéfi-niment le passage à l’acte, tétani-sés par ce défi colossal qui est, enmême temps, leur heure de vé-rité : comment faire en une jour-née ce qu’on n’a pas réussi à faireen cinq ans ?

Les spectateurs du « Petit Jour-nal » reconnaîtront l’esprit de lapastille Bloqués, qu’OrelSan et Gringe animent depuis la rentréede septembre, mais l’approcheest différente. Le rapport autemps, alternativement étiré ou compressé, selon l’intensité des moments, est au cœur d’unemise en scène qui traduit chez lemusicien une véritable intelli-

gence du cinéma. Le rien – l’at-tente du bus qui ne vient pas oude l’inspiration qui ne donne pasle moindre signe, les errances lelong de la nationale… – s’installe dans de longs plans-séquences qui donnent tout leur poids àl’ennui et à l’écoulement de ces heures inertes qui remplissentl’existence des personnages.

Cette approche esthétique s’ac-corde avec un parti pris de rup-ture permanente, quand le « flow » des rappeurs prend, enoff, le relais du récit, quand unmoment de chorégraphie gra-cieusement clipée s’insère sanscrier gare à l’intérieur d’un planfixe, ou qu’un gag absurde vientcasser la platitude de l’instant.

Empreint de l’humour bête et

méchant d’OrelSan (on se sou-vient de sa chanson Sale Pute, is-sue d’un premier album au titreprogrammatique Perdu d’avance, qui le fit accéder à la notoriétésous le signe de la polémique en 2009), Comment c’est loin em-prunte autant au comique pota-che et avachi de Seth Rogen(40 ans, toujours puceau, En clo-que, mode d’emploi) ou Jason Segel (How I Met Your Mother) qu’à une tradition bien française du duo foireux.

S’il touche si juste, ce n’est passeulement pour son caractèreautobiographique – le film s’ins-pire ouvertement de la vie de ce petit rappeur blanc, fils de prof,Aurélien Cotentin pour l’état civil, et de son binôme, Guillaume

Tranchant, alias Gringe, qui ontpercé avec leur duo les Casseurs Flowters avant d’entamer chacun de son côté une carrière solo. Ce n’est pas seulement parce qu’ilrenvoie une image à la fois drôle etcruellement juste du désœuvre-ment de la jeunesse, de la diffi-culté qu’elle a, aujourd’hui plusque jamais, à croire en son avenir.

Ultraréalisme

C’est qu’il dépeint avec acuité le désert culturel désespérant deszones périurbaines, la signaléti-que standardisée des centres-vil-les interchangeables, la nullité ar-chitecturale banalisée… Une réa-lité si peu représentée au cinéma et pourtant si dominante dans le paysage français que le rappeur

connaît bien pour y avoir long-temps vécu. Le souci de réalisme que traduit cette approche quasi documentaire, qui se manifesteaussi dans le choix des acteurs, is-sus pour la plupart du cercle des vieux amis caennais d’OrelSan et dont le naturel déglingué parti-cipe de la vibration singulière du film, lui donne une connotation politique discrète mais forte.

L’urbanisme de ces environne-ments sans âme est le visage du train-train monotone, aliéné, qu’imposent aux masses la vie de bureau et la société de consom-mation, de ce quotidien sans qua-lité auquel sont condamnées les classes moyennes au bord du dé-classement, qui menace de désin-tégrer les cerveaux et contribue à répandre, jusque dans les urnes, lepoison du cynisme. « T’as besoin d’une voiture pour aller travailler/Tu travailles pour rembourser la voiture que tu viens d’acheter (…) Legenre de truc qui donne envie de tout faire sauf de mourir vieux. »

Cynique, OrelSan ne l’est jamais,et son film le prouve autant que ces rimes, qu’il scandait en 2012 dans La Terre est ronde. En célé-brant les puissances de l’imagina-tion et de la création, il donne au contraire des billes pour résister à l’empire mortifère de la laideur. p

isabelle regnier

Film français d’OrelSan et Christophe Offenstein. Avec OrelSan, Gringe, Seydou Doucouré (1 h 30).

Grande Galerie de l’ÉvolutionJardin des Plantes, Paris 5e

Jusqu’au 21 mars 2016

EXPOSITION

©Je

an-M

ichelKrief

S U R L A P I S T E D E S

ORANG-OUTAN • GORILLE • CHIMPANZÉ

Page 22: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

22 | culture MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

0123

Quelques moments de grâce dans un bazarClaude Lelouch transporte sur les bords du Gange sa nouvelle romance à rebondissements

UN + UNEpvvv

C es dernières années,Claude Lelouch était restéplutôt sédentaire, dans

l’espace, sinon dans le temps. Un+ Une renoue avec ces grandes ex-cursions qu’ont été Un hommequi me plaît (l’Ouest américain, 1969), Itinéraire d’un enfant gâté(la planète entière, 1988) ou AndNow… Ladies and Gentlemen (le Maroc, 2002). A 78 ans, l’auteurd’Un homme et une femme se jette à film perdu sur les routes – aériennes, ferroviaires, bitu-mées, en terre, fluviales, spiri-tuelles – qui sillonnent l’Inde.

Dans cette frénésie de déplace-ments qui saisit les deux person-nages principaux, Antoine Abei-lard, compositeur de musique defilms (Jean Dujardin) et Anna Ha-mon (Elsa Zylberstein) profes-seure de philosophie devenuefemme de diplomate (l’ambassa-deur français en Inde, ChristopheLambert), tout peut arriver : desmoments de grâce infinie, desdialogues improvisés qui s’éter-nisent, des vues pittoresques du

sous-continent, du placement deproduit…

Cet amalgame devrait condam-ner le film à la médiocrité. Il suffitqu’un acteur pris de court répète plusieurs fois « Ah, quandmême ! » pour couler non seule-ment la séquence mais aussi cel-les qui l’entourent. Tout comme l’insistance à cadrer la calandre d’une voiture de marque alle-mande (dans laquelle roule le re-présentant de la France) distraitun peu l’attention des enjeux dela scène (la rencontre entre l’am-bassadeur et la professeure).

Sans parler du choix curieux del’interprète principal. Jean Dujar-din incarne un séducteur au bordde la retraite. Il vient de rencon-trer une pianiste de quinze ans sacadette pour qui il hésite à se ran-

Claude Lelouchveut tirer des

larmes, attendrir,et faire passer

le temps très vite

ger des voitures. Lorsqu’il est in-vité à se rendre en Inde pourcomposer la bande originaled’une version moderne de Ro-méo et Juliette (réalisée par un ci-néaste « de la Nouvelle Vague in-dienne »), interprétée par les pro-tagonistes du fait divers qui l’ainspirée (tout ça est filmé, mis enscène avec une désinvolture si preste qu’on est bien obligé de laprendre pour de la virtuosité).

Ironie parisienneCroulant sous toutes ces infor-mations, le spectateur doit en-suite assimiler la rencontre entrele don Juan et l’épouse en pleinecrise existentielle. La seconde en-traîne le premier sur les bords duGange, où elle espère trouver lafertilité, pendant qu’un provi-dentiel caillot dans une artère cé-rébrale le pousse, lui, à reconsidé-rer les tenants et aboutissants del’existence. Comme on pouvait leredouter, le sourire carnassier deJean Dujardin et sa propension àl’ironie bien parisienne défont lavraisemblance de cet exercice spirituel.

Mais dans ce bazar orientali-

sant, Lelouch saisit, par exemple,le visage défait par le froid et latristesse d’Elsa Zylberstein quivient de s’immerger dans leseaux sacrées. Ou encore le joli nu-méro, très étudié, de ChristopheLambert en faux naïf et vraie bêtede pouvoir.

De toute façon, tout va telle-ment vite que l’on n’a pas letemps de réfléchir (ce qui sembleaussi avoir été le cas du réalisa-teur – certaines de ses vues del’Inde feraient passer Hergé pourun virulent anticolonialiste, à laFrantz Fanon), et ce n’est pas lebut de l’opération.

Claude Lelouch veut tirer deslarmes (il peut d’ailleurs comp-ter, comme depuis un demi-siè-cle, sur une partition sentimen-tale de Francis Lai), attendrir, etfaire passer le temps très vite. En cinquante ans de cinéma, il a ac-quis en ces matières un certain savoir-faire. p

thomas sotinel

Film français de Claude Lelouch. Avec Jean Dujardin, Elsa Zylberstein, Christophe Lambert, Alice Pol (1 h 56)

Des moutons et des hommesUn puissant poème rural islandais à la tonalité burlesque mélancolique

BÉLIERSpppv

Si l’on se référait aux « pro-pres de l’homme » sou-vent invoqués que sont lerire et la parole, on serait

bien en peine de distinguer, dansBéliers, les humains des ani-maux. Dans une vallée islandaiseloin de tout, deux frères célibatai-res, Gummi (Sigurður Sigurjóns-son) et Kiddi (Theodór Júlíusson),vivent l’un à côté de l’autre, cha-cun avec son élevage de mou-tons. Cela fait si longtemps qu’ilsne se parlent plus qu’on s’étonnequ’ils parlent encore. A leur con-sacrer tout leur temps, toute leurénergie, tout leur amour, les éle-veurs se sont mis à ressembler àleurs bêtes. L’âge les a rendus aussi blancs les uns que les autres, et on s’étonnerait moinsde voir rire les moutons que leshommes, tant les seconds sontgrognons. Les « béliers » du titre, ce sont eux, sans doute.

Le réalisateur Grímur Hákonar-son travaille cette quasi-animali-sation de ses héros dans un esprit burlesque mélancolique, où le co-mique tient plus souvent de l’im-mobilité que du geste.

Au début du film, le concours debéliers local oppose les deux frè-res et une poignée d’autres éle-veurs. Les bêtes sont bien ali-gnées, les éleveurs debout,comme sur une photo de classe :les grands derrière, les petits de-

vant. Au-delà de la solennité co-mique de tout ce monde, accen-tuée par un cadrage en plan fixe, le ridicule vient de ce que les éle-veurs, et non les bêtes, arborentautour du cou les écriteaux aunom de ces dernières. Ils sont plusanxieux qu’un jour de récitation de poésie à l’école primaire. La note de l’un est celle de l’autre, comme si la valeur du second en tant qu’homme était proportion-nelle à celle du premier.

Très drôle et très sérieux

Il y a quelque chose de très drôle,mais également de très sérieux,dans l’énormité de l’enjeu. On nesaura jamais la raison initiale de la brouille, mais le demi-point d’écart entre les deux frères suffità creuser le fossé plus profondé-ment que bien des rivalités fami-liales classiques n’auraient pu lefaire. Chacun se mure dans sonsilence et dans son paysage. Lepaysage lui-même, fait de vuesmerveilleuses sur les vastitudesâpres de l’Islande, dévore la nar-ration : on reste un moment aubord du tableau, et il s’en faut de peu – cela semble ne tenir parfoisqu’au vent qui vient pleurer à la place des hommes aux yeuxsecs – que le film ne meure, con-taminé par l’immobilisme têtude ses héros.

Un coup de théâtre vient cepen-dant déraciner l’intrigue et réo-rienter les regards. La tremblantedu mouton a frappé, il faut abat-

tre les bêtes. Kiddi se noie dans l’alcool et le déni, Gummi envi-sage des chemins de traverse : chacun vit sa tragédie en silence àquelques mètres de l’autre. Ils’agit bien d’une tragédie, à dou-ble titre. Ces rustauds solitairesaiment leurs bêtes comme ils n’ont probablement jamais aimé un autre être humain : avant l’hu-mour, Grímur Hákonarson fait la part belle à la tendresse, en fil-mant les gestes doux des grosses mains qui caressent, les intona-tions soudain chaleureuses des voix rudes qui les interpellent. Mais surtout, ces moutons sont les derniers descendants de Bols-tad, un bélier exceptionnel, et laseule légende familiale qui reste.

Ce fantôme plus puissant quepère et mère vient contrarier l’im-mobilité renfrognée des deux hé-ros. Un vent de fin des temps plane sur leur petit monde. Ils avaient accepté que l’histoire s’ar-rête avec eux : Kiddi dans l’oubli

opportun de la boisson, Gummi dans ses manies de vieux garçon, son petit Noël mitonné et dégustéen solitaire, que le réalisateur filme avec une délicatesse aussijolie que poignante. Mais que Bolstad perde sa descendance leur est insupportable : c’est la dernière famille qui reste à leur fa-mille, et la dernière raison qu’ils pourront trouver, avant que le temps, la neige et le vent ne les fondent pour de bon dans le pay-sage, de s’envisager à nouveau si-non en frères de sang, du moins en frères de lutte.

Le tableau s’estompe, les rituelss’effondrent, la vie reprend, puis-samment imprévue, puissam-ment mise en scène, dans untemps inversé qui ramèneGummi et Kiddi, sans beaucoupplus de paroles qu’auparavant, sur les sentiers d’une sorte depréhistoire des sentiments et desliens familiaux, où ils ont tout àréapprendre. A l’horizon, la fin du film et celle du récit prennentdes airs d’origine du monde. On aura voyagé très loin sans êtresorti de la vallée solitaire, et l’on ararement vu, avec une telle éco-nomie de discours et de matière,une telle ampleur dans lepoème. p

noémie luciani

Film islandais de Grímur Hákonarson. Avec Sigurður Sigurjónsson, Theodór Júlíusson. (1 h 33)

ARP

Le paysage,

fait de vues

merveilleuses

sur les vastitudes

âpres de

l’Islande, dévore

la narration

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NE K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr

(édition abonnés)

pppv À NE PAS MANQUERCafardFilm d’animation français, belge et néerlandais de Jan Bultheel (1 h 26).Transposant dans la fiction l’histoire méconnue de l’ACM (Autos-Canons-Mitrailleuses) de l’armée belge, première divi-sion blindée envoyée sur le front de l’Est dès 1914, Jan Bultheel propose, grâce à un travail hybride de captation de mouve-ments et d’animation par ordinateur, un film de guerre d’une force expressive et d’une humanité saisissantes. p n. lu.

ppvv À VOIROncle Bernard, l’anti-leçon d’économieDocumentaire québécois de Richard Bouillette (1 h 20).Richard Bouillette reprend un entretien filmé, en mars 2000, avec l’économiste Bernard Maris, tué en janvier dans l’attentat contre Charlie Hebdo. Ainsi se fixe le portrait d’un honnête éducateur au parler franc. Un document. p m. ma.

pvvv POURQUOI PASAllende mon grand-pèreDocumentaire chilien et mexicain de Marcia Tambutti Allende (1 h 37).On ne voit pas qui mieux que sa petite-fille pouvait prétendre à une mémoire intime de Salvador Allende, élu président du Chili en 1970, suicidé trois ans plus tard sous la menace du putschiste Augusto Pinochet. De cette violence faite à un homme si profondément aimé, ce film tire un paradoxe fami-lial : la douloureuse réticence à évoquer son souvenir, contre laquelle le film tente, avec probité, de se construire. p j. ma.

Back HomeFilm norvégien, danois, français, de Joachim Trier (1 h 49).L’originalité du film tient à la cellule familiale qu’il dépeint, où la mère, photographe de guerre, a laissé à son conjoint la tâche d’élever leurs enfants avant de mettre fin à ses jours. Si les af-fects de ces hommes sont le sujet du film, les personnages, trop simplistes, peinent à les rendre sensibles. p i. r.

Belle et Sébastien, l’aventure continueFilm français de Christian Dugay (1 h 39).La nouvelle aventure du petit orphelin et de son chien distraira les petits. Mais ces images d’Epinal trempées dans une bonne conscience franchouillarde pourraient bien irriter ceux de leurs aînés qui pensaient retombée la vague des films capitali-sant sur un âge d’or fantasmé de la France blanche où les petits garçons portaient des culottes courtes et les curés étaient uni-versellement respectés. p i. r.

CosmosFilm français d’Andrzej Zulawski (1 h 43).Amateur de baroque sentimental, féru de littérature, écrivain, le Polonais Andrzej Zulawski adapte son compatriote Witold Gombrowicz, écrivain génial, loufoque, déchiré, donc difficile-ment naturalisable au cinéma. La preuve par ce film, tiré du dernier roman du maître, Cosmos (1963). Bienvenue dans un monde qu’on ne peut montrer sans perdre la raison ! p j. ma.

Oups ! J’ai raté l’archeFilm allemand, belge, luxembourgeois et irlandais de Toby Gen-kel et Sean McCormack (1 h 20).Vivement colorié, sommairement animé, cette fable conte les efforts d’une espèce oubliée pour trouver une place sur l’arche, afin d’échapper au déluge. Les potentialités anxiogènes de la situation sont neutralisées par quelques gags et beaucoup de bons sentiments. p t. s.

SuburraFilm italo-français de Stefano Sollima (2 h 15).Chronique d’une guerre des gangs dans la Rome d’aujourd’hui, Suburra mèle la réflexion politique et les exigences spectacu-laires du film noir contemporain. Un certain maniérisme for-mel limite la portée d’un film pas désagréable. p j.-f.-r.

NOUS N’AVONS PAS PU VOIRVue sur merFilm américain d’Angelina Jolie-Pitt (2 h 03).

Nombrede semaines

d’exploitationNombre

d’entrées (1)Nombre

d’écrans

Evolutionpar rapport

à la semaineprécédente

Totaldepuis

la sortie

AP : Avant-premièreSource : Ecran Total

* EstimationPériode du 2 au 6 décembre inclus

Babysitting 2 1 712 676 553 712 676

Le Voyage d’Arlo 2 358 507 645 ↓ – 34 % 929 711

Hunger Games :La Révolte – Partie 2

3 308 764 851 ↓ – 48 % 2 210 342

007 Spectre 4 307 464 840 ↓ – 45 % 4 130 916

Le Pont des espions 1 233 041 352 233 041

Mia Madre 1 129 368 184 129 368

L’Hermine 3 116 391 458 ↓ – 43 % 711 196

Strictly Criminal 2 65 981 277 ↓ – 56 % 250 905

Demain 1 63 988 154 63 988

21 nuits avec Pattie 2 62 203 295 ↓ – 50 % 220 117

Faute de faire le bonheur des cinéphiles, Babysitting 2 fait celui de son distributeur, UPI. Avec 712 000 entrées en première semaine, et une moyenne de 1 289 spectateurs par copie, ce deuxième volet de la fran-chise française inspirée du Projet X (un épisode festif restitué à travers une vidéo tournée à la caméra GoPro) se place en tête du classement. Les films classiques de Steven Spielberg (Le Pont des espions) et Nanni Moretti (Mia Madre) démarrent dignement (233 000 entrées pour le premier, 129 000 pour le second). La situation est en revanche très difficile pour les films en prise avec le djihadisme. Taj Mahal, de Nicolas Saada, n’a rassemblé que 15 000 spectateurs en première semaine et Les Cowboys, de Thomas Bidegain, 38 500 en quinze jours.

LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE

Page 23: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 culture | 23

LE BILLET DU JOUR

« The Big Lebowski »,ce nid d’aigles death metal

Avec un tel nom, les Eagles of Death Metal allaient finir par attirerles vautours. Près de quatre semaines après la tuerie du Bataclan,c’est chose faite : dépeçant les entrailles d’Internet, mettant bout à bout de vieilles déclarations, sorties de leur contexte et purgées de toute ironie, certains confrères peu scrupuleux ont transformé les volatiles californiens en aigles fascistoïdes, amateurs d’armes à feu,militants anti-avortement et soutiens sans distance de Donald Trump.Vilaine caricature qui, si elle monte en épingle l’aile droite et conserva-trice des rockeurs, en occulte l’aile gauche, autrement libérale. Car les leaders du groupe, Jesse Hughes et Josh Homme, portent autant au pinacle la sous-culture « redneck », tendue du canon, que le mode de vie hippie, détendu du caleçon. Or, c’est précisément ce vol chaotique d’un extrême à l’autre des valeurs américaines qui suscite, chez leurs admira-teurs, des élans de tendresse amusée. En cela, le duo ravive le souvenir des deux compères de The Big Lebowski, le film des frères Coen (1998) : sil’on éprouve de l’affection pour Walter Sobchak (John Goodman), un pa-triote dégainant grands principes et gros calibres d’une même salve cris-pée, c’est parce qu’il a pour ami « The Dude » (Jeff Bridges), davantage porté sur la marie-jeanne, l’amour libre et la non-violence. A la fin du film, le tube des Eagles, Hotel California, repris par les Gipsy Kings, salue la victoire des deux zigotos sur un groupuscule de malfaiteurs« nihilistes » (sic). Du reste, c’est le propre des meilleures comédies que de révéler, longtemps après les premiers rires, leur caractère poignant. p

auréliano tonet

Eagles of Death Metal de retour sur scène à ParisLe groupe américain, qui se produisait au Bataclan lors des attentats, a clos le concert de U2, le 7 décembre

MUSIQUE

Laissez-moi vous présenterdes personnes dont la viesera désormais toujoursliée à Paris, annonce sou-

dain Bono, le chanteur de U2. Il y aquelques semaines, on leur a volé leur scène, nous voulons leur offrir la nôtre. Bienvenue aux Eagles ofDeath Metal. » Lundi 7 décembre, à 22 h 53, les rockeurs américains sont remontés sur scène, à Paris, àl’invitation des stars irlandaises, moins d’un mois après s’être pro-duits au Bataclan, le 13 novembre, jour des attentats.

Sur le plateau de l’AccorHotelsArena, le quintette californien a repris avec ses hôtes un morceau de Patti Smith, People Have the Power, avant que U2 ne s’éclipse pour laisser le dernier mot – lachanson I Love You All the Time – àceux qui, il y a quelques jours, ontaffirmé vouloir revenir jouer au Bataclan, dès que sera envisagéela réouverture de la salle martyre.

Devant l’arène survoltée de l’an-cien Bercy, le groupe mené par le chanteur Jesse Hughes, tout deblanc vêtu, laisse éclater une éner-gie faite de rage de jouer et de joie de vivre, malgré tout. « Je vous aime si fort ! », s’étrangle presque le musicien de Palm Desert en agitant un drapeau bleu-blanc-rouge. « I will never stop rock’n’rol-ling ! »

La nouvelle de la venue des Ea-gles of Death Metal avait fuité ce week-end, alors que se prépa-raient les deux concerts de U2 re-programmés les 6 et 7 décembre,après l’annulation de leurs spec-tacles parisiens des 14 et 15 no-vembre, au lendemain des atten-tats. Le quatuor irlandais avait déjà joué à l’AccorHotels les 11 et 12 novembre.

Le samedi 14 novembre, Bono, leguitariste, The Edge, le bassiste, Adam Clayton et le batteur Larry Mullen Jr. avaient tenu à se re-cueillir devant le Bataclan, en se déclarant « dévastés par les pertes

humaines » et solidaires du groupe américain. Une solidarité qui s’est donc exprimée spectacu-lairement en l’accueillant lors de l’ultime rappel de ce show du 7 dé-cembre, diffusé par la chaîne américaine HBO.

Une autre résonanceAvant l’apparition des « Aigles », U2 avait donné un concert simi-laire à ceux produits à l’occasiond’une nouvelle tournée, baptisée« Innocence + Experience » qui, depuis mai 2015, met particulière-ment en avant les titres de son13e album, Songs of Innocence, sorti en septembre 2014.

La configuration – une scène etune longue promenade entou-rées à 3600 par la foule –, les vi-suels projetés sur une sorte de longue cage surplombant la pro-menade et les morceaux jouésont beau être quasiment les mê-mes, nombre de moments du concert prennent une autre réso-nance dans le contexte actuel.

Dans leur récent album, lesmembres de U2 replongent dansles souvenirs de leur enfance et deleur adolescence. Bono y évoque sa mère, Iris, morte quand il avait 14 ans – « En me quittant, elle a faitde moi un artiste » −, ses révéla-tions musicales − « Le rock’n’roll a sauvé ma vie », répète-t-il à pro-pos d’un genre devenu cible ré-cente des terroristes.

Il se rappelle aussi la violence duconflit nord-irlandais qui lui avaitdéjà inspiré le succès Sunday Bloody Sunday. En introduction

de Raised by Wolves, évoquant les attentats aux voitures piégées du 17 mai 1974, qui provoquèrent la mort de 33 civils dans les villes deDublin et Monaghan, en Républi-que d’Irlande, le réalisme du son d’une explosion fait sursauter les 20 000 spectateurs.

Puis la projection des photosdes victimes de l’époque évo-quera les 130 morts des fusillades parisiennes, dont tous les noms apparaîtront sur fond de drapeau français à la fin d’un hymne à Pa-ris, City of Bright Lights, que Bono enchaîne avec une version a cap-pella de Ne me quitte pas. Un desgrands frissons de la soirée. Des vidéos de la ville syrienne dévas-tée de Kobané, des colonnes ar-mées de l’Etat islamique ou des déplacements de réfugiés accom-pagnaient déjà le déluge électri-que de Bullet the Blue Sky avantl’état d’urgence.

Entre les chansons, Bono fait ré-férence à l’actualité. « Cherchent-ils à nous faire peur ? A nous faire

dénoncer nos voisins ? Nous ne cé-derons pas à la haine, nous refu-sons de devenir des monstres pourdétruire un monstre. » Le leader deU2 célèbre « les faiseurs de paix quiont le courage du compromis ». Il se dit solidaire des familles de vic-times à Paris et Saint-Denis, SanBernardino, Istanbul, Beyrouth ou Damas. Mais aussi de cellesdes terroristes, également victi-mes d’« une idéologie qui pervertitle magnifique message de l’is-lam ».

Musicalement, le groupe sem-ble galvanisé par la gravité du mo-ment. Son lyrisme quasi messia-nique, la puissance de ses envo-lées de guitares témoignent de-puis toujours de sa capacité d’indignation, comme de sa vo-lonté de communion. A entendre l’arène parisienne reprendre en chœur le refrain de One ou de Pride (In the Name of Love), on se dit que les hymnes de U2 n’ont ja-mais tenu aussi chaud. p

stéphane davet

Les « Aigles »laissent éclater

une énergie faitede rage de jouer

et de joie de vivre,

malgré tout

CORRESPONDANCEUne lettre de Groupe MomaA la suite de l’article intitulé « Au Théâtre des Champs-Elysées, des travaux en catimini » (Le Monde du 6 novembre), nous avons reçu le courrier suivant de Groupe Moma.

« Un article publié sous la plume de Jean-Jacques Larrochelle, le 6 novembre, « Au Théâtre des Champs-Elysées, des travaux en catimini », fait état de faits inexacts. Injustement mis en cause, le Groupe Moma entend que les éléments suivants soient portés à la connaissance du lectorat du journal Le Monde.Après un appel à projet très sélectif lancé en juin 2013 par la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées, société filiale de la Caisse des dépôts et consignations, propriétaire du théâtre [parisien], le Groupe Moma a été retenu pour la qualité et l’originalité de son projet de restaurant et de cabaret. Une convention de bail a été conclue avec le propriétaire des lieux.Si la création, en son temps, du restaurant Maison blanche avait évidemment nécessité un permis de construire, compte tenu de la surélévation de 1 000 mètres carrés sur le bâtiment existant du théâtre, la situation est totalement différente en l’espèce.En effet, dans la mesure où la rénovation du sous-sol existant de l’ancien hôtel des ventes n’emporte ni création de surface de plancher, ni modification des façades extérieures, ni atteinte aux parties classées du bâtiment, ni, enfin, modification de l’affectation commerciale des locaux, le dépôt et l’affichage de la déclaration de travaux sont conformes aux textes législatifs et réglementaires applicables en la matière.Un dossier complet d’aménagement a été déposé en préfecture le 25 mars, conformément aux procédures applicables en matière d’établissements recevant du public, et l’administration a effectué une visite sur site.La société Moma Group, leader de son secteur et reconnue pour son professionnalisme, s’étonne de la teneur de cet article. Se refusant à épiloguer sur son contenu, elle réaffirme par ce droit de réponse que la législation applicable aux travaux entrepris a été parfaitement respectée. »

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Page 24: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

24 | télévisions MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

0123

HORIZONTALEMENT

I. Ouvrent de plus grands choix si

elles sont multiples. II. Sa queue est

moins longue que ses oreilles. Solide-

ment bâtie. III. Réléchirait avant

d’agir. Dans le talc. IV. Belle enfant de

Gervaise. Grecque dans les calculs.

Emploi sur les planches. V. Toujours

discrètes dans leurs déplacements.

VI. Interpelle. Préposition. Eau mé-

langée. VII. Dessus-de-porte. Gonlé

en prenant la mer. VIII. Tout à fait

convenables. En mer Egée. IX. A libéré

les chaînes. Moldave de Roumanie.

Savait choisir ses robes avec soin.

X. Expulsions brutales et sonores.

VERTICALEMENT

1. Fonce debout sur les lots. 2. Grand

nettoyage extérieur. 3. Donna son

plein accord. Faisait tache sur nos ca-

hiers. 4. Tout le monde parle de son

campanile. Sait beaucoup de choses.

5. Ouvre les comptes à la City. Impos-

sible de lui échapper. 6. Lumineux et

pétaradant dans les airs. 7. Edentés et

paresseux. Pour tout accrocher.

8. Personnel. Lieu de grève. En prime.

9. Vénitienne avant de devenir slo-

vène et croate. 10. Travaille à l’usine.

Fonctionnaire international. 11. Sans

le moindre intérêt. Assure un bon

contact. 12. Se font dans la rupture.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 289

HORIZONTALEMENT I. Boniication. II. Isolateur. Ka. III. Stella. Lof. IV. Té.

Illettrés. V. Rossait. Sars. VI. Otai. Eut. CIA. VII. Tombe. Ver. En. VIII. Im.

Lupanar. IX. Eiders. Opéré. X. Renseigneras.

VERTICALEMENT 1. Bistrotier. 2. Ostéotomie. 3. Noé. Sam. Dn. 4. Illisi-

bles. 5. Falla. Eure. 6. Italie. Psi. 7. Ce. Etuva. 8. Ault. Tenon. 9. Trots.

Râpe. 10. Frac. RER. 11. OK. Erié. Râ. 12. Naissances.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 15 - 290

PAR PHILIPPE DUPUIS

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ansà compter du 15 décembre 2000.Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00Abonnements par téléphone :de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ;de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;par courrier électronique :[email protected] 1 an : Francemétropolitaine : 399 ¤Courrier des lecteursblog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ;Par courrier électronique :[email protected]édiateur :[email protected] : site d’information : www.lemonde.fr ;Finances : http://inance.lemonde.fr ;Emploi : www.talents.fr/Immobilier : http://immo.lemonde.frDocumentation : http ://archives.lemonde.frCollection : Le Monde sur CD-ROM :CEDROM-SNI 01-44-82-66-40Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60

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Toulouse (Occitane Imprimerie)Montpellier (« Midi Libre »)

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65eAnnée - N˚19904 - 1,30 ¤ - Francemétropolitaine ---

Jeudi 22 janvier 2009Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Eric Fottorino

Algérie 80 DA, Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun 1 500 F CFA, Canada 3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 25 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,50 ¤,Gabon 1 500 F CFA, Grande-Bretagne 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 650 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤,Malte 2,50 ¤,

Maroc 10 DH,Norvège 25 KRN, Pays-Bas 2,00 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 500 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 28 KRS, Suisse 2,90 FS, Tunisie 1,9 DT, Turquie 2,20 ¤,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 500 F CFA,

Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania Avenue, mardi 20 janvier, se dirigent vers la Maison Blanche. DOUGMILLS/POOL/REUTERSa Les carnets d’une chanteuse.Angélique Kidjo, née au Bénin, a chantéaux Etats-Unis pendant la campagnedeBarackObamaen2008, et de nouveau

pendant les festivités de l’investiture,du 18 au 20 janvier. Pour LeMonde, elleraconte : les cérémonies, les rencontres– elle a croisé l’actrice Lauren Bacall,le chanteur Harry Belafonte… et l’écono-miste Alan Greenspan. Une questionla taraude : qu’est-ce que cet événementva changer pour l’Afrique ? Page 3

a Le grand jour. Les cérémonies ;la liesse ; lesambitionsd’unrassembleur ;la première décision de la nouvelleadministration: la suspensionpendant cent vingt jours des audiencesde Guantanamo.Pages 6-7 et l’éditorial

page 2a It’stheeconomy... Il faudraà lanou-velle équipe beaucoup d’imaginationpour sortir de la tourmente financièreet économique qui secoue la planète.Breakingviews page 13

a Feuille de route.« La grandeurn’est jamais un dû. Elle doit se mériter. (…)Avec espoir et vertu, bravons une foisde plus les courants glacials et enduronsles tempêtesà venir. »Traduction intégraledu discours inaugural du 44eprésidentdes Etats-Unis. Page 18aBourbier irakien.Barack Obamaa promis de retirer toutes les troupesde combat américaines d’Irak d’iciàmai 2010. Trop rapide, estiment leshautsgradésde l’armée.Enquête page 19

GAZAENVOYÉSPÉCIAL

D ans les rues de Jabaliya, lesenfants ont trouvé un nou-veau divertissement. Ils col-lectionnent les éclats d’obus et demissiles. Ils déterrent du sable desmorceaux d’une fibre compactequi s’enflamment immédiatementau contact de l’air et qu’ils tententdifficilement d’éteindre avec leurspieds. « C’est du phosphore. Regar-dez comme ça brûle. »Surlesmursdecetterue,destra-cesnoirâtressontvisibles.Lesbom-bes ont projeté partout ce produitchimique qui a incendié une petitefabrique de papier. « C’est la pre-mièrefoisque jevoiscelaaprès trente-huit ans d’occupation israélienne »,s’exclame Mohammed Abed Rab-bo. Dans son costume trois pièces,cette figure du quartier porte ledeuil. Six membres de sa familleont été fauchés par une bombedevant un magasin, le 10 janvier.Ils étaient venus s’approvisionnerpendant les trois heures de trêvedécrétées par Israël pour permet-tre auxGazaouis de souffler.Le cratère de la bombe est tou-jours là. Des éclats ont constellé lemur et le rideau métallique de la

boutique. Le père de la septièmevictime, âgée de 16 ans, ne décolè-re pas. « Dites bien aux dirigeantsdes nations occidentales que ces septinnocents sont morts pour rien.Qu’ici, il n’y a jamais eu de tirs deroquettes. Que c’est un acte crimi-nel. Que les Israéliens nous en don-nent la preuve, puisqu’ils sur-veillent tout depuis le ciel », enrageRehbi Hussein Heid. Entre sesmains, il tient une feuille depapier avec tous les noms desmortsetdesblessés, ainsi que leurâge, qu’il énumère à plusieursreprises, comme pour se persua-der qu’ils sont bienmorts.MichelBôle-RichardLire la suite page 5et Débats page 17

Ruines, pleurs et deuil :dans Gaza dévastée

WASHINGTONCORRESPONDANTE

D evant la foule la plus considérablequi ait jamais été réunie sur le Mallnational de Washington, BarackObama a prononcé, mardi 20 janvier, undiscours d’investiture presquemodeste. Aforce d’invoquer Abraham Lincoln,Martin Luther King ou John Kennedy, ilavait lui même placé la barre très haut. Lediscoursne passera probablement pas à lapostérité, mais il fera date pour ce qu’il a

montré.Unenouvellegénération s’est ins-tallée à la tête de l’Amérique. Une ère detransformation a commencé.Des rives du Pacifique à celles de l’At-lantique, toute l’Amérique s’est arrêtéesur le moment qu’elle était en train devivre : l’accession au poste de comman-dant en chef des armées, responsable del’armenucléaire,d’un jeunesénateurafri-cain-américain de 47 ans.

Lire la suite page 6Corine LesnesEducation

L’avenir deXavier Darcos«Mission terminée » :le ministre de l’éducationne cache pas qu’il seconsidérera bientôt endisponibilité pour d’autrestâches. L’historiende l’éducation ClaudeLelièvre expliquecomment la rupture s’estfaite entre les enseignantset Xavier Darcos. Page 10

AutomobileFiat : objectifChryslerAu bord de la failliteil y a quelques semaines,l’Américain Chryslernégocie l’entrée duconstructeur italien Fiatdans son capital, à hauteurde 35 %. L’Italie se réjouitde cette bonne nouvellepour l’économie nationale.Chrysler, de son côté, auraaccès à une technologieplus innovante. Page 12

BonusLes banquiersont cédéNicolas Sarkozy a obtenudes dirigeants des banquesfrançaises qu’ils renoncentà la « part variablede leur rémunération ».En contrepartie,les banques pourrontbénéficier d’une aidede l’Etat de 10,5 milliardsd’euros. Montantéquivalent à celle accordéefin 2008. Page 14

EditionBarthes,la polémiqueLa parutionde deux textes inéditsde Roland Barthes,mort en 1980, enflammele cercle de ses disciples.Le demi-frère del’écrivain, qui en a autoriséla publication, essuieles foudres de l’ancienéditeur de Barthes,François Wahl.Page 20

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L’investiture de Barack ObamaPremières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension des audiences à Guantanamo

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Les Unes du Monde

0123

M E R C R E D I 9 D É C E M B R E

TF120.55 Esprits criminelsSérie créée par Jeff Davis. Avec Joe Mantegna, Shemar Moore, A.J. Cook, Matthew Gray (EU, saison 10, ép. 20/23 ; S9, ép.13 à 15/24).

France 220.55 MalaterraSérie créée par Stéphane Kaminka. Avec Simon Abkarian, Constance Dollé, Louise Monot (Fr., S1, ép. 7 et 8/8).22.45 Folie passagèreDivertissement animé par Frédéric Lopez.

France 320.55 Des racines et des ailes A travers les pays de Savoie Magazine présenté par Carole Gaessler.22.50 Régionales 2015 : le grand débat du second tourTreize débats en diffusion simultanée dans treize régions de France.

Canal+20.45 FootballValence (Esp.) - Lyon 1re phase de la Ligue des champions (6e journée, groupe H). En direct..22.50 Slow WestWestern de John Maclean. Avec Michael Fassbender (GB-NZ, 2014, 80 min).

France 520.40 La Maison France 5Présenté par Stéphane Thebaut.21.40 Silence, ça pousse !Magazine présenté par Stéphane Marie et Caroline Munoz.

Arte20.55 La GrâceDrame de Matthias Glasner. Avec Brigit Minichmayr, Jürgen Vogel et Henry Stange (Norv. - All., 2012, 125 min).23.00 Jésus et l’islamL’Exil du prophète. Mahomet et la Bible. Série documentaire de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur [4 et 5/7] (Fr., 2015, ép. 4 et 5/7).

M620.55 Le Meilleur PâtissierLe Trophée de NoëlJeu présenté par Faustine Bollaert.Invité : Gilles Marchal.23.15 Le Meilleur Pâtissier, à vos fourneaux !Magazine (125 min).

« Homeland » tient toujours en haleineAux trois quarts de la cinquième saison, la série de Showtime diffusée par Canal + Séries confirme son excellence

CANAL+ SÉRIES À LA DEMANDE

Saison 5 ou saison 4 ? Aumoment d’écrire ce débutd’article, on s’est posé laquestion. Mais « Home-

land », créée en 2011 par Howard Gordon et Alex Gansa, en est bienà sa cinquième saison.

Cette hésitation pourrait signi-fier deux choses : que le temps dra-maturgique de la série progresse de « plein-vent » ; ou que sa saison 4 est oubliable. Il y a sûrement du vrai dans les deux suggestions, mais si la précédente saison a pu décevoir une partie de la critique et de ses aficionados, « Home-land » demeure, en son ensemble, un remarquable exemple de cohé-rence dans le renouvellement du propos et des lieux, avec des per-sonnages récurrents qui en assu-rent la stabilité narrative.

Jeu du chat et de la sourisAinsi, le dépaysement de l’action en Europe pour cette cinquième saison (avec un tournage décen-tralisé en Allemagne) est un fait assez rare et culotté, dans le cas d’une série nord-américaine, pourêtre souligné. On y découvre Car-rie Mathison, le personnage prin-cipal, installée depuis deux ans en(presque) parfaite mère de famille bobo dans la banlieue de Berlin.Les scénaristes sont parvenus à

machiner l’intrigue de telle sorte que Carrie, qui ne travaille plus pour la CIA, Saul Berenson (son mentor, auquel la lie une relationd’amour-haine) et Dar Adar, le pa-tron de l’Agence centrale de ren-seignement américaine, se re-trouvent une fois encore dans les mailles d’un même filet.

Les quatre précédentes annéesde diffusion de « Homeland » auront montré à quel point ses

scénaristes ont l’art du contour-nement et du rhizome dans leur développement de l’action. En cette cinquième saison, ils conti-nuent de faire montre de leur doigté en matière de suspense, ali-mentant de manière subtilement sadique la frustration et la dépen-dance du téléspectateur.

La fin du dernier épisode endate, le neuvième, aurait pu cons-tituer la fin possible de cette sai-

son avec l’aveu du coupable. Mais non : « Homeland », pendant quel-ques épisodes supplémentaires (douze au total), va poursuivre cejeu du chat et de la souris avec ceux qui la suivent chaque se-maine, dans la foulée de la diffu-sion nord-américaine.

Au cours du deuxième épisode,on avait vu, sur les murs d’une ruelle que parcourt Carrie, des ins-criptions taguées en arabe. Per-

sonne, au sein de la production, ne les avait déchiffrées avant le passage sur le petit écran. De sorteque certains arabisants parmi les téléspectateurs ont lu, stupéfaits, des messages tels que : « “Home-land” est raciste. » Selon le quoti-dien britannique The Guardian du15 octobre, ces tags avaient étécommandés à des artistes de rue « par une société de production[afin de] donner de l’authenticité au décor, supposé représenter uncamp de réfugiés à la frontière syro-libanaise, mais filmé à la péri-phérie de Berlin ».

Lesdits artistes, Heba Amin, Ca-ram Kapp et Stone, qui consti-tuent le groupe des Artistes de ruearabes (Arabian Street Artists), ont revendiqué ensuite leur geste comme un message politique contre les stéréotypes que véhicu-lerait « Homeland ».

Mais Alex Gansa, l’un des créa-teurs de la série, a répondu avec une élégance non dénuée d’hu-mour au site Internet Deadline :« Quoi qu’il en soit, et puisque “Ho-meland” s’efforce d’être subversive à sa manière et d’appeler au com-mentaire, nous ne pouvons qu’ad-mirer cet acte de sabotage artisti-que. » p

renaud machart

Homeland (saison 5), avec Claire Danes, Mandy Patinkin (2015, EU, 12 x 52 mn).

Carrie Mathison (Claire Danes) dans la série « Homeland » (S5, ép. 2). STEPHAN RABOLD/SHOWTIME/FOX

Dans la nuit perpétuelle, un couple voit la lumièreLe Norvégien Matthias Glasner met en scène une famille qui saisit une seconde chance

ARTEMERCREDI 9 – 20 H 55

FILM

D ans une région de Nor-vège où la glace ne fondjamais et où il fait nuit

plusieurs mois par an, Maria et Niels se sont installés avec leur fils,Markus. Sans trop y croire, ils sont venus chercher une seconde chance. Mais Niels est toujours in-fidèle, et Maria a beau se dévouer àson travail d’infirmière, cela ne suffit pas à lui faire oublier qu’elle n’est plus heureuse. De plus en

plus loin de ses parents, Markus se contente de les filmer avec son té-léphone. Mais, en parcourant la nuit perpétuelle en voiture, Maria percute quelque chose, ou quel-qu’un… Cet accident va boulever-ser son couple et sa famille.

Le titre du film de MatthiasGlasner, La Grâce (2012), est voué à paraître longtemps énigmatique, voire incongru. Où pourrait-on voir la grâce dans cette vie sans so-leil et presque sans mots ? Dès le début, la souffrance est devenue lame de fond. Il est trop tard pour les cris et les pleurs. Vivre ensem-

ble se résume à croiser les aimés d’hier, qui n’ont, aujourd’hui, pas plus de corps que des fantômes.

Vies prisonnières d’un désertOn est tenté de prendre le titre à re-bours : La Grâce comme grande absente, dans tous les sens que l’onpeut lui prêter. Physique : la grâce perdue de Maria, dont le visage tendu suggère une douceur oubliée. Moral : la grâce comme pardon, épreuve nécessaire au couple, et volontairement ignorée par Maria. Sens mystique, enfin : lagrâce comme faveur divine, plus

absente encore, tant on sent cette famille enfermée au sens le plus concret du terme. Proche de ses personnages, ou englobant en plans larges le paysage glacé, Glasner joue de cette dispropor-tion pour peindre le malaise de cesvies prisonnières d’un désert.

C’est, pourtant, avec ce sens-là, leplus improbable, que la grâce irri-gue cette histoire, à partir de l’acci-dent de voiture de Maria, et sa fuite. Elle se confie à Niels, et il y a dans cette confidence les germes d’une confiance nouvelle, qui leur donne la force d’assumer leur be-

soin de pardon. Niels combat son infidélité, Maria son silence.

Les mots reviennent, et avec euxles grâces physiques oubliées : la lente transformation du couple,dans l’interprétation superbequ’en donnent Birgit Minichmayret Jürgen Vogel, est boulever-sante. Reste à gagner le pardondes hommes, et cette étape estpeut-être la plus difficile. p

noémie luciani

La Grâce, de Matthias Glasner. Avec Birgit Minichmayr et Jürgen Vogel (All.-Norv., 2012, 125 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

Page 25: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 styles | 25

« Pendant longtemps, les retrai-tes détox n’attiraient que les hip-pies, qui croyaient à cette traditionnaturelle et ancienne pour se sen-tir mieux. Tout comme d’ailleurs à la nécessité d’être en contact avec soi-même », rappelle Laurie Ri-chards. Puis l’industrie du tou-risme s’est emparée de cette mode du bien-être « global ».

« Logique de performance »Certains voyagistes généralistes l’ont même intégrée dans leur ca-talogue, à l’image de Voyageurs du monde, qui lui consacre une bro-chure. « Elle comprend une tren-taine de propositions de cours de yoga, de cures détox, de lieux autour du bien-être. Ces séjours ci-blent une clientèle assez aisée, qui dispose de peu de temps. Elle veut voyager, mais surtout en profiter pour se faire du bien sans renoncer à un certain confort. Il y a une véri-table demande », constate NathalieBelloir, responsable de ces « voya-ges intérieurs ». Même clientèle pour Juan Arance : « Des CSP ++, quitravaillent beaucoup. »

Elsa Godart, psychanalyste etphilosophe, porte un regard criti-que sur ces séjours haut degamme. « Le principe que sous-tend la détox, c’est enlever le super-flu pour revenir à l’essentiel. Soit passer de la société de l’hypercon-sommation à l’ascétisme, en vue d’arriver à une prise de conscience. Avec leur programme chargé, cesnouvelles retraites, à la mise en scène travaillée, ont aussi une logi-que de performance, qu’elles sontcensées dénoncer. » Interrogé surce sujet, Juan Arance nuance :« Certes, l’hébergement est confor-table, et il y a du service, mais, pourbeaucoup de nos clients, partir seul, comme c’est majoritairementle cas, et changer ses habitudes, c’est déjà une perte de repères qui peut être bouleversante. »

Selon une étude récente réali-sée par le CSA pour Club Med,72 % des catégories socioprofes-sionnelles dites « supérieures » ressentent le besoin de lâcher prise plusieurs fois par mois. Sans aller jusqu’à s’isoler dans unashram. p

vicky chahine

geur, censé adopter de nouvelleshabitudes – alimentaires et psy-chologiques – une fois rentré chez lui. Grâce, notamment, à ladétox, un mot qui sembleaujourd’hui galvaudé, mais quirenvoie à un protocole précis :« Diminuer les toxiques comme les métaux lourds, la pollution, lestress, mais aussi stimuler le pro-cessus d’élimination », selon lanaturopathe Gwenaëlle Fradj,qui travaille avec The Green Shel-ters. En pratique : on se met auvert et on arrête le gluten, les pro-duits laitiers, les protéines ani-males, les excitants. Les plus cou-rageux osent le régime 100 % smoothie. Frugal, certes. Mais plus goûteux qu’il n’y paraît.

VOYAGE

Retraite détox », disait lesite. Pourtant, le pro-gramme du séjour ma-jorquin organisé par

The Green Shelters, dans un ca-dre, certes, sublime, est aussichargé que celui d’un séminaired’entreprise.

Autour de la piscine, une Britan-nique de la City déjeune sur lepouce – ou plutôt sirote un smoo-thie poire-épinards-avocat – entreson cours de yoga et sa consulta-tion avec la naturopathe. Avant son massage en chambre, unejournaliste allemande apprend àpréparer un gratin de chou-fleur avec du lait de noisette et de la fa-rine de riz complet. Après ses troisheures de randonnée sur l’île, unetrentenaire française, qui travailledans l’industrie du luxe, s’installe dans un des rares endroits de lamaison où on capte le Wi-Fi.

Lancée en mars, la société TheGreen Shelters organise tous les deux mois dans un lieu différent (à Essaouira, au Maroc, à Ibiza, aux Baléares, dans les Alpes fran-çaises…) des « pauses » cinq étoi-les. Des séjours imaginés pour la clientèle urbaine stressée et fati-guée, en quête d’un break – et de quelques kilos en moins ? –, sans trop perdre ses repères ni son ni-veau de confort habituel. Son créateur, l’Espagnol Juan Arance, a gardé de ses années passées chez Louis Vuitton et Lanvin un souci du détail et du service.

Rééduquer le voyageurDans chacune des sept chambres joliment décorées de cet ancienmoulin, une literie de qualité, unesalle de bains luxueuse et des pro-duits de beauté bio de la marque grecque Korres. Une version haut de gamme de la retraite… bien loin des séjours en ashram avecjeûne de la parole (voire jeûne tout court) et hébergement dans un dortoir sommaire.

« Ces formules, qui attirent aussibien des cadres supérieurs que des accros au sport, proposent de s’oc-cuper à la fois du corps et de l’es-prit », note Issy von Simson, rédac-trice en chef adjointe du magazinebritannique de voyage Condé NastTraveller. Et se développent en Eu-rope. Une tendance en lien avec l’engouement des citadins pour le bien-être, les médecines parallè-les, le yoga ou encore la détox. « Deplus en plus d’établissements se do-tent d’équipements et de services autour de la relaxation, mais il existe peu de lieux qui proposent une amélioration du bien-être à lafois physique, mental et spirituel. Cela demande du personnel très qualifié et des années d’expé-rience », affirme Alejandro Batal-ler, vice-président de SHA Well-ness Clinic en Espagne, dont les programmes détox cinq étoiles ont été lancés en 2009.

Fondé en avril par deux Britan-niques, CALA Retreats propose aussi des retraites bien-être dansdes lieux contemporains. « Uneexpérience, plus qu’un séjour »,dixit la cofondatrice et nutrition-niste, Laurie Richards. Car il s’agitaussi de « rééduquer » le voya-

The Green Shelters, dans les Alpes françaises, du 30 janvier au 6 février 2016Au programme, yoga, ateliers de cuisine saine, randonnée, consultation avec un naturo-pathe. A partir de 990 euros pour trois nuits avec les trans-ferts, l’hébergement en cham-bre double, la pension com-plète et toutes les activités.Thegreenshelters.com

Périple yoga en Afrique du SudAvec le professeur réputé Mika de Brito. Les salutations au soleil se font dans le jardin de Gandhi ou dans la savane… A partir de 5 500 euros avec le vol aller-retour, la pension complète, les activités, un guide francophone et les cours de yoga.Vdm.com

Programme détox au SHA Wellness Clinic, en EspagneLe package « Détox » est très complet, avec soins de méde-cine chinoise, consultation avec un spécialiste des théra-pies naturelles… et hydrothé-rapie du côlon. Le tout dans un cadre ultra luxueux. Au prix de 2 980 euros la cure de sept jours avec l’héberge-ment, la pension complète, les consultations et les soins.Shawellnessclinic.com

CALA Retreats au Pianore, en Italie, du 15 au 21 mai 2016On alterne marches et coa-ching de vie, et on boit pen-dant quarante-huit heures dessmoothies de fruits et légu-mes… et seulement des smoo-thies. A partir de 1 035 euros avec le transfert, six nuits en chambre double, la pension complète et les activités.Calaretreats.com

Yeotown dans le Devon, en Angleterre, chaque semaine, du mercredi au dimancheUne retraite dans une ferme rustique et chic, à quelques kilomètres de l’océan. Entre les cours de yoga, on ap-prend à cuisiner avec des produits locaux… Et on éteint son téléphone portable. Environ 2 600 euros la cure de cinq jours comprenant le transfert, l’hébergement, la pension complète, les activi-tés et les massages.Yeotown.com

A D R E S S E Sesprit sain, corps sain, goût de luxeOn connaissait les retraites silencieuses, tendance hippie.Voici leur version 5 étoiles, qui mêle bien-être spirituelet physique dans un somptueux décor

Où poser ses valises en 2016 ?

C’est devenu une tradition pour tous les guides et sites de voya-ges : publier avant Noël un palmarès de destinations tendance. Pour 2016, le dernier en date, celui de TripAdvisor, révélé mardi 8 décembre, met l’Amérique latine à l’honneur. Et classe pas moins de quatre destinations dans le fameux Travellers’ Choice, top 10 des destinations tendance dans le monde. Est ainsi clas-sée première Tulum (Mexique), seule cité maya construite en bord de mer qui permet de conjuguer balnéaire et culture. Car-thagène des Indes (Colombie) arrive en deuxième position. Fi-nie la mauvaise réputation – FARC, drogue –, bienvenue au Hay Festival (arts et cultures), qui se tiendra du 28 au 31 jan-vier 2016. Viennent ensuite, à la 9e et 10e place, Lima et Foz do Iguaçu (Brésil), avec ses chutes, trois fois plus grandes que cel-les du Niagara, et son parc naturel. Les autres destinations retenues sont Porto, en 3e position, Gat-linburg (Etats-Unis), Moscou, Brighton (Royaume-Uni), New Delhi et Banff (Canada). Pas de cocorico : aucune destination hexagonale ne figure au palmarès.

Au Panama,avec Voyageurs

du monde.VINCENT LEROUX

Ci-contre, le SHA Wellness Clinic, à Alicante (Espagne). DR

En bas à gauche, cure vitaminée au Yeotown, en Angleterre. DALE CURTIS

Ci-dessous, un ancien moulin majorquin qui accueille les « retraites détox » du Green Shelters. DR

Page 26: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

26 | disparitions & carnet MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

0123

Eliane Vogel-PolskyJuriste et militante féministe

Elle était passionnée partellement de choses etelle a fait progresser telle-ment de combats que l’on

ne sait comment qualifier Eliane Vogel-Polsky, morte le 13 novem-bre, à l’âge de 90 ans. Elle avait mené une longue carrière de ju-riste, et s’était engagée pour lacause féminine et l’Europe.

Filles d’immigrants russes, issued’un milieu modeste où régnait une grande tolérance, cette femme talentueuse va commen-cer par vivre à Gand, cité flamandeoù, comme les enfants de la bour-geoisie locale, elle fait des études primaires en français. A Bruxelles, elle est ensuite inscrite au lycée Emile-Jacqmain, où une directrice entend former des femmes éman-cipées, « destinées à jouer un rôle ef-fectif dans la société de demain ».

La jeune Eliane va bien vite expé-rimenter de dures réalités. Elle croit être protégée par un pays qui a octroyé la naturalisation à son père pour services rendus durant la guerre – il a servi dans les pre-mières unités blindées. Mais la Bel-gique adopte ses premières ordon-nances antijuives en 1941, et la jeune fille est exclue de son établis-sement. Elle va être cachée, sous une fausse identité, dans une écolede sœurs, à Liège.

A la sortie de la guerre, sa convic-tion est forgée : elle veut devenir avocate. Elle décroche son doctoraten droit et intègre le barreau de Bruxelles où elle brave le ma-chisme pour imposer son talent, son admiration pour Simone de Beauvoir et ses sympathies politi-ques. Le tout lui valant le sobriquetde « petite sartreuse ».

Mariée à un avocat, avec lequelelle aura trois fils, Eliane Vogel-Polsky découvre avec passion d’autres disciplines et cumule les diplômes à l’Université libre de Bruxelles, où elle sera ensuite une enseignante et une chercheuse très respectée. Licence en droit et sociologie du travail en 1958, li-cence en droit social en 1963, li-cence en études européennes en 1965. Infatigable, elle deviendra aussi une experte internationale dans ces domaines et enseignera en Europe, à Montréal et à Berke-ley, aux Etats-Unis.

Après sa retraite, elle continuerade parcourir le monde pour d’in-nombrables colloques et animera, entre autres, le réseau Femmes dans la prise de décision, créé par la Commission européenne. L’oc-casion, pour elle et ses collègues, dont Françoise Gaspard, (maire PS de Dreux de 1977 à 1983), d’agréger le combat pour le droit des fem-mes et la lutte pour l’Europe so-

ciale afin de faire progresser l’idée d’une démocratie paritaire.

Un tel niveau d’ambition devaitengendrer quelques déceptions chez Eliane Vogel-Polsky, qui dé-plorait les lenteurs de la prise de décision et le trop faible niveau d’ambition des responsables poli-tiques. Assez sceptique sur ces der-niers, elle allait toutefois s’engager pour la campagne des élections européennes de 1994, aux côtés d’autres militantes féministes bel-ges, la philosophe et scientifique Isabelle Stengers et la virologue Lise Thiry. Cette année-là, la pro-portion de femmes au sein de l’as-semblée de Strasbourg allait pro-gresser, pour atteindre 25 %.

Le combat des femmes d’Herstal

Une satisfaction relative pour unefemme qui s’était auparavant en-gagée dans d’autres combats. Pré-sente à Paris en mai 1968, elle vase passionner pour la révolte étu-diante, qu’elle compare à la « mol-lesse » de sa propre université. Deux ans plus tôt, elle s’est enga-gée aux côtés des « femmes-ma-chines » de la Fabrique nationaled’armes de Herstal, près de Liège. Moins payée que les balayeurs masculins de leur usine, ces 2 000ouvrières de production, soumi-ses à un véritable bagne, vont, contre la direction et leurs maris, mener douze semaines de luttepour un salaire égal à celui de leurs collègues masculins. Ellesn’obtiendront que la moitié de ce qu’elles réclamaient, mais leur combat héroïque, dont l’écho a largement dépassé les frontièresde la Wallonie, va pousser les sixEtats membres de la Commu-nauté européenne de l’époque àprôner l’harmonisation salarialehommes-femmes. Un combat quin’est pas encore gagné…

Eliane Vogel-Polsky restera aussicélèbre pour avoir défendu la cause d’une jeune chômeuse de19 ans et celle d’une employée de la compagnie aérienne Sabena, li-cenciée à 40 ans. Toutes deux ré-clamaient l’égalité des droits. Ellevoulait ainsi prouver que leursouhait n’était pas une utopie. p

jean-pierre stroobants

5 JUILLET 1926 Naissance à Gand (Belgique)1950 Avocate au barreau de Bruxelles1966 Soutien à la grève des ouvrières de la FN, à Herstal1968 Professeure de droit à l’Université libre de Bruxelles13 NOVEMBRE 2015 Mort à Bruxelles

Dans les années 1970.IEFH

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AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Les familles Akli-Paumieret alliées,souhaitent faire part du décès de

Joseph AKLI,survenu le 4 décembre 2015,dans sa quatre-vingt-dizième année.

Il fut éclaireur Unioniste à Alger,fonctionnaire au gouvernement général,puis au ministère de l’Intérieur, où il futaussi délégué syndical F.O.

Un culte se déroulera en la chapellede la Fondation Lambrechts, 44, ruede Fontenay, à Châtillon (Hauts-de-Seine),à 15 heures, le jeudi 10 décembre.

Le dépôt de l’urne se fera à Toulon,dans le caveau familial, in décembre.

« Le Seigneur est le soutien de ma vie,devant qui tremblerais-je ? »

Psaume 27.

Mme Marie-José Anquez, née Gère,son épouse,

Marie, Matthieu et Jérémie,ses enfants,

Simine, Priam, Gabriel et Siloé,ses petits-enfants,

Julie, Tanguy et Karim,ses beaux-enfants,

Ses frères et belles-sœursEt toute sa famille,

en union avecSes parents (†)et sa sœur, Blandine (†),

ont le chagrin d’annoncer le décès deLouis ANQUEZ,

ingénieur expert en aéronautique,survenu le 3 décembre 2015,dans sa soixante et onzième année.

Une bénédiction aura lieu le jeudi10 décembre, à 14 h 30, en l’église Notre-Dame de Lorette, Paris 9e.

La famille remercie la formidableéqu ipe de l ’ In s t i t u t Mutua l i s t eMontsouris.

23, rue Lamartine,75009 Paris.

Le présidentde l’Ecole pratique des Hautes Etudes,

Le doyen de la sectiondes Sciences historiques et philologiques,

Les directeurs d’étudeset maîtres de conférences,

Les étudiants et les auditeurs,ont la tristesse de faire part du décès,survenu le 1er décembre 2015,à l’âge de quatre-vingt-six ans, de

Paul BERNARD,membre de l’Institut,

ancien titulaire de la direction d’études« Archéologie grecque ».

Ils s’associent à la douleur de lafamille.

La Schaubühnepleure la perte de

Luc BONDY,

décédé à l’âge de soixante-sept ans.Luc Bondy a profondément marqué

la Schaubühne par son travail en tantque metteur en scène pendant plusieursannées et de 1986 à 1988 en tant quemembre de la direction artistique.

Nous le remercions pour ses misesen scène inoubliables.

Son œuvre se distinguait par saconscience de la fragilité des êtres et sonamour pour l’Humanité.

Nous nous souviendrons de Luc Bondycomme d’un très grand artiste.

Schaubühne am Lehniner Platz.(Le Monde du 1er décembre.)

Le Taillan-Médoc.

Michel Caire-Maurisier,son époux,

Xavier et François,ses ils,

Anne-Marie,sa belle-ille,

Mathilde, Jean et Sophie,ses petits-enfants

Ainsi que la famille Palvadeau,

ont la tristesse de faire part du décès de

Martine CAIRE-MAURISIER,née SOLIGNAC,

des suites d’une longue maladie,le 5 décembre 2015,dans sa soixante-treizième année.

La messe sera célébrée dans l’intimitéde la famille et de ses amis, le jeudi10 décembre, à 14 h 30, en l’égliseSaint-Hilaire du Taillan-Médoc, suiviede l’inhumation au cimetière de lacommune.

141, avenue Chasse-Spleen,33320 Le Taillan-Médoc.

Louise Coudane,son épouse,

Henry et Catherine Coudane,Jean Coudane,Annie et Lionel Roussel,

ses enfants,

Vincent et Karine, Carolineet Bastien, Elise,

Sylvain et Céline, Fanny et Brieuc,Grégory et Elise, Guimy et Fanny,

ses petits-enfants,

Maxime, Alexandre et Rafael, Liliet Maylis,

Anita,Maël et Aoden, Jorry et Lenny,

ses arrière-petits-enfants,

Yvette Grandet-Coudane,sa sœur,

Sa familleEt ses amis,

ont la douleur de faire part du décès,à l’âge de quatre-vingt-onze ans, de

M. Hubert COUDANNE,« Papilou »,

professeur émérite des Universités,ancien président

de l’université Paris Sud - Orsay,chevalier de la Légion d’honneur,

oficierdans l’ordre des Palmes académiques,

chevalierdans l’ordre du Mérite Tunisien,

combattant volontaire de la Résistance.

La cérémonie de crémation aura lieule mercredi 9 décembre, à 16 heures,au cimetière de l’Orme à Moineaux,Les Ulis (Essonne).

Ni plaques ni couronnes, une fleursufit.

112, avenue de la Dimancherie,91440 Bures-sur-Yvette.

Rennes.

Ses frères et sœursAinsi que toute la famille,

ont la douleur de faire part du décès de

M. Jacques ENGLISH,ancien élève

de l’École normale supérieure,

survenu à Rennes, le 4 décembre 2015,à l’âge de soixante-dix-huit ans.

La cérémonie religieuse sera célébréele mercredi 9 décembre, à 14 h 30,en l’église Sainte-Bernadette d’Angers.

Jean-Marie et Sylvie Grisard,Claire et Pascal Bois,

ses enfants,Céline et Pierre Boccon-Liaudet,Ariane et Pierre-André Galy,Marjolaine Grisard et Grégoire Lair,Rémi et Charlotte Grisard,Marc-Antoine et Caroline Bois,Bérengère et Benjamin Samier,

ses petits-enfants,Violette, Matthieu, Geoffroy, Louise,

Lucile, Timothée, Noé, Hector, Guérin,Paul, Raphaël, Emmanuel, Florian,Grégoire, Maylis,ses arrière-petits-enfants,

Les familles Undreiner, Lépine,Arnaud,ont la tristesse de faire part du rappelà Dieu, le 5 décembre 2015, de

Madeleine GRISARD,née CANTAREL.

La cérémonie religieuse sera célébréele mercredi 9 décembre, à 14 h 30,en l’église Saint-Léon, place du Cardinal-Amette, Paris 15e.

L’amiral et Mme Edouard Guillaud,Mme Florence Guillaud,Le docteur Constance Guillaud,

ses enfants,

Bertille et Guillaume de La Broïse,Elvire et Grzegorz Szlapczynski,Bertrand et Malala Guillaud,François-Ismaël Faye,Zoé Danis,

ses petits-enfants,

Philippine, Jacques, Xénia, Pétronilleet Henri,

Marguerite, Nina et Gauthier,ses arrière-petits-enfants

Et toute sa famille,

ont la tristesse de faire part du décès de

M. Jean-Louis GUILLAUD,oficier de la Légion d’honneur,

survenu le 3 décembre 2015,dans sa quatre-vingt-septième année.

La cérémonie religieuse sera célébréele jeudi 10 décembre, à 10 heures, enl’église Saint-Denys-du-Saint-Sacrement,66 bis, rue de Turenne, Paris 3e.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Saint-Etienne.

Odile Jacquinod,son épouse,

Catherine, Olivier et Florence,ses enfantset leurs conjoints,

Alexandre et Arthur,ses petits-enfants,

Ses parents,Ses amis,

ont la douleur de faire part du décès de

Bernard JACQUINOD,survenu à Saint-Etienne,le 4 décembre 2015,à l’âge de soixante-quatorze ans.

Condoléances sur registreet sur www.plievre.com

Mme Françoise Keravel,son épouse,

M. et Mme Olivier Keravel,M. Thomas Keravel,

ses enfants,Valentin, Maÿlis, Barthélemy,

ses petits-enfantsEt toute la famille,

ont la douleur de faire part du décès du

professeur Yves KERAVEL,professeur des Universités,

neurochirurgien des Hôpitaux de Paris,président honoraire

de la Fédération mondialede neurochirurgie (WFNS),

survenu le 3 décembre 2015,à l’âge de soixante-et-onze ans.

La cérémonie religieuse sera célébréele jeudi 10 décembre, à 14 h 30, en l’égliseNotre-Dame-du-Rosaire, place desMarronniers, à Saint-Maur-des-Fossés(Val-de-Marne), où l’on se réunira.

Un registre à signatures tiendra lieude condoléances.

L’inhumation aura lieu dans l’intimitéfamiliale, au cimetière de La Trinité-sur-Mer (Morbihan).

14, avenue de Curti,94100 Saint-Maur-des-Fossés.

Corinne et Véronique,ses illes,

Jacky et Simon,ses gendres,

Thomas, Élodie, Delphine, Laure,Jérôme et Éloïse,ses petits-enfants,

Margot, Romane, Ariel, David, Elsa,Valentin, Talia et Naomi,ses arrière-petits-enfants,

Sa famille,Ses amis,

ont la grande tristesse d’annoncer le décèsde

Fanny KURCBARD,née KALISKI,

survenu le 30 novembre 2015, à Paris,à l’âge de quatre-vingt-seize ans.

L’inhumation a eu lieu le mercredi2 décembre, au cimetière parisiende Bagneux.

Claudine Bulle Lescofit,son épouse,

Claire Lescofit et Marc Scherer,sa ille et son gendre,ont la tristesse de faire part du décès de

François LESCOFFIT,survenu le 29 novembre 2015,à Besançon (Doubs),à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

Les obsèques ont eu lieu aux Fourgs,le 2 décembre.

12 ter, Haute-Joux,25300 Les Fourgs.

Christine,son épouse,

Hélène et Béatrice,ses illes,leurs conjoints,

Lilou, Margot, Léna, Milo, Camille,ses petits-enfants,

Françoise Dorveaux,sa sœur,

Sa familleEt ses amis,

ont la douleur de faire part du décès deAndré MONJARDET,

survenu le 1er décembre 2015.L’inhumation a eu lieu à Châteauvieux

(Hautes-Alpes).Un moment d’échange et de partage

en sa mémoire se tiendra au CouventSaint-Jacques, 45, rue de la Glacière,Paris 13e, le 11 décembre, à 13 h 30.

Sa femme,Ses enfants,Ses petits-enfants,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

M. Michel PUGET,croix de la Valeur militaire,ancien agent de changeprès la Bourse de Paris,

survenu le 6 décembre 2015,à son domicile.

La cérémonie religieuse sera célébréele jeudi 10 décembre, à 10 h 30, en l’égliseSaint-Thomas-d’Aquin, 3, place Saint-Thomas d’Aquin, Paris 7e.

Mme Michel Puget,3, rue Martignac,75007 Paris.

Daniel et Claudine Thévenot,Laurent et Joëlle Thévenot-Afichard,

ses enfants,Magali, Étienne et Anne-Marie,

Camille, Constance,ses petits-enfants,

Alexis,son arrière-petit-ils,

Claudine Hourcadette,Aurélien Collet,

ont la douleur de faire part du décès deMme Claudine THÉVENOT,

née ROLLEY,survenu le 3 décembre 2015, à Paris,dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année.

L’inhumation a eu lieu dans l’intimitéfamiliale le 4 décembre, au cimetièrede Levallois-Perret.

32, rue Dareau,75014 Paris.10, rue Oudinot,75007 Paris.

Service religieux

Un culte d’action de grâce sera célébréà la mémoire de

Jean SAINT-GEOURSle lundi 14 décembre 2015, à 18 heures,en l’Eglise protestante unie du Saint-Esprit, 5, rue Roquépine, Paris 8e.

Hommage

Emmanuel Hoog,président-directeur généralde l’AFP,

Les membresdu conseil d’administration

Et l’ensemble des personnelsde l’Agence,saluent la mémoire de

Jean-Louis GUILLAUD,

qui fut président-directeur généralde l’Agence France-Presse de 1987à 1990.

Ils expriment leurs plus sincèrescondoléances à sa famille et à ses proches.

Page 27: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 0123 | 27

Les lignes de force d’uneélection se dessinent delongs mois à l’avance etse cristallisent dans les

semaines qui précèdent le vote.Celles du premier tour du scrutin régional, le 6 décembre, ne pou-vaient donc guère faire de doute. Le discrédit de la gauche au pou-voir, et des socialistes en particu-lier, est avéré. Depuis trois ans, tous les rendez-vous électoraux – bérézina aux municipales en mars 2014, claque aux européen-nes en mai 2014, sévère reflux auxdépartementales de mars – ont déjà démontré l’effondrement del’électorat de gauche, désabusé, divisé et déboussolé.

L’incapacité de la droite à incar-ner une alternative solide n’a pasété moins évidente. Le retour aupremier plan de Nicolas Sarkozy, il y a un an, n’a pas provoqué lesursaut qu’il escomptait, ni mis un terme à la guerre des chefsdans son camp, ni permis, jusqu’àprésent, de proposer un projet convaincant aux Français. Dans ces conditions, il est surprenant que la droite ait pu s’illusionnersur sa capacité à conquérir le plus grand nombre de régions et à en-diguer sérieusement la poussée du Front national : les scrutins de ces deux dernières années n’ont cessé, en effet, de confirmer l’en-racinement du parti d’extrême droite dans les profondeurs dupays. Si sa performance sans pré-cédent du 6 décembre a provoquéun choc, il était parfaitement pré-visible.

Au-delà de cette tectonique desplaques politiques, le résultat fi-nal du scrutin régional est pour-tant loin d’être écrit dans le détail.Le second tour, dimanche 13 dé-cembre, apparaît en effet commeune équation à plusieurs incon-nues. La première est celle de la participation. Le 6 décembre, elle a été de 50 % au plan national et plus forte dans les deux régionsles plus convoitées par le Front national, en particulier dans leNord (54,8 %) et, à un moindre de-gré, en Provence (51,4 %).

En général, du fait de la simplifi-cation de l’offre politique et de la dramatisation de l’enjeu, la mobi-lisation des électeurs est plusforte au second tour. Aux régio-nales de 2010, par exemple, la par-ticipation avait progressé de prèsde quatre points d’un tour à l’autre, principalement au béné-fice de la droite : après un premiertour calamiteux, ses électeurs s’étaient remobilisés pour empê-cher la gauche de triompher dans la totalité des régions et cela leur avait permis de « sauver » l’Alsace.Qu’en sera-t-il le 13 décembre ? Dans les régions où le match en-tre droite, gauche et extrême droite est le plus serré, un ultime coup de rein de leurs électeursrespectifs peut être décisif pour l’emporter.

L’affaire des états-majors

Le rassemblement de la gaucheconstitue une deuxième incon-nue. Socialistes, écologistes etFront de gauche se sont partout présentés en ordre dispersé au premier tour et ils ne peuvent es-pérer conserver des régions qu’enréunissant toutes leurs forces au

second. C’est d’abord l’affaire desétats-majors qui ont jusqu’au8 décembre à 18 heures pour se mettre d’accord sur de nouvelleslistes intégrant des représentants des partis minoritaires qui ont obtenu plus de 5 % des suffrageset peuvent donc fusionner avecles socialistes majoritaires.

Mais cela ne préjuge pas ducomportement final des élec-teurs. Si la gauche « plurielle » a gouverné, ensemble, les régions depuis six ans, elle s’est sévère-ment écharpée au plan nationalsur la politique du gouverne-ment. Il serait étonnant que cescontentieux ne laissent pas de traces. Sur le papier, l’addition desscores de toutes ses composantes au premier tour peut la faire rê-ver : la gauche serait en mesure deconserver cinq, six, voire sept ré-gions, à commencer par l’Ile-de-France. Sauf spectaculaire aligne-ment des astres en sa faveur, il estplus qu’improbable qu’il en soit ainsi dans les urnes.

Troisième inconnue, symétri-que : la capacité de la droite à fairele plein des voix nécessaires pour l’emporter. C’est évidemment le cas dans les régions où les socia-listes se sont retirés pour faire barrage au Front national. Or on peut sérieusement douter que les électeurs de gauche, accablés parleur défaite, votent comme un seul homme, le 13 décembre, pourdes Républicains qui étaient, hier,d’implacables adversaires politi-ques, qu’il s’agisse de Xavier Ber-trand dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie ou de Christian Estrosi en Provence-Alpes-Côte d’Azur. En outre, dans plusieurs régionsoù la concurrence est très vive, lesvoix de Debout la France vont pe-ser lourd. Si le mouvement souve-rainiste de Nicolas Dupont-Aignan a écarté tout désistement,le report des voix qu’il a re-cueillies en Ile-de-France (6,5 %),en Bourgogne (5,2 %), dans le Cen-tre-Val de Loire (4,6 %) ou en Nor-mandie (4,1 %) peut aisément dé-cider du sort de ces régions.

Reste, enfin, l’incertitude sur lecomportement des électeurs duFront national. Dans les régions où l’extrême droite a réalisé sesmeilleurs scores et est en positionde l’emporter, il est vraisemblableque ses électeurs, dopés par le premier tour, voudront parache-ver leur victoire et accentueront leur mobilisation ; c’est évidem-ment le cas dans le Nord, en Pro-vence, voire en Alsace-Champa-gne-Ardenne-Lorraine. Que fe-ront-ils, en revanche, dans les ré-gions où ils sont distancés, maisen position d’arbitrer entre droiteet gauche ? A cet égard, la gauche agardé le souvenir cruel des der-nières municipales à Reims : surle papier, l’équipe socialiste sor-tante était en mesure de l’empor-ter avec le renfort des électeurs duFront de gauche ; en réalité, c’est la droite qui a gagné, grâce no-tamment au ralliement de quel-que 2 000 électeurs frontistes du premier tour.

On le voit, ces incertitudes ren-dent bien hasardeux les plans sur la comète tracés, depuis diman-che soir, par les uns et les autres pour tenter de se rassurer ou de s’encourager. Réponse le 13 dé-cembre. p

[email protected]

S eize ans d’un régime ultranationa-liste, sacralisant la souveraineté na-tionale, célébrant le protectionnisme

économique, pratiquant un antiamérica-nisme culturel obsidional, ayant tout pro-mis à coups de recettes magiques et se re-connaissant volontiers dans l’autocratie politique à la Vladimir Poutine, sont donc venus à bout d’un des pays les plus riches du continent. Et puis, l’opposition s’est en-fin réunie autour de quelques valeurs com-munes, de bon sens. Elle vient de rempor-ter les élections, sans promettre le paradis. Entre-temps, le populisme le plus débridé afait des ravages. Il a fallu seize ans pour dis-siper l’illusion…

On est sur le continent latino-américain.Le pays en question s’appelle le Venezuela.

Il a trente millions d’habitants et sansdoute certaines des plus grandes réservesde pétrole au monde. Le régime, c’est le« chavisme ». Il a puisé dans une tradition latino-américaine populiste, qui n’a pas connu que des échecs, loin de là. Mais laversion mise en œuvre à Caracas par le lieu-tenant-colonel Hugo Chavez, élu pour la première fois en 1999 et mort en 2013, sesolde par un désastre, pour la démocratie etpour l’économie du pays.

Le « chaviste » qui a succédé à Chavez, leprésident Nicolas Maduro, a essuyé, diman-che 6 décembre, aux élections législatives, une défaite dont son mouvement, le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), ne se relèvera pas. Une large coalition d’opposi-tion, la Table de l’unité démocratique (MUD), a empoché au moins 110 sièges – surles 167 de l’Assemblée nationale –, laissant lecamp « chaviste » loin derrière, avec 55 élus.Il n’est pas impossible qu’un décompte fi-nal donne à la MUD une super-majorité lui permettant de neutraliser le président.

M. Maduro a eu beau user de la rengainedu socialisme assiégé par « l’étranger » – il est vrai que les Etats-Unis se sont efforcés,du moins au début, de torpiller l’expé-rience Chavez –, rien n’y a fait. Conjugué àla baisse des cours du pétrole, l’étatismeéconomico-protectionniste du parti « cha-viste » a fait du Venezuela un Etat totale-ment failli : inflation à 200 %, pénurie de

tous les biens de consommation, récession profonde (sans doute une baisse de plus de 10 % du produit intérieur brut cette année),finances publiques en déroute.

Ce sombre tableau s’affiche sur fond decorruption généralisée au sommet de l’Etat– il y a des « chavistes » qui se portent bien –d’explosion de la criminalité – en dépitd’un discours ultrasécuritaire, bien sûr – et de régression constante de la démocratie. Une bonne partie de l’électorat du PSUV, d’autant plus déçue qu’on lui avait juré de raser gratis, a voté pour l’opposition.

Les semaines à venir seront décisives. Lerégime est de type présidentiel. Rien n’indi-que, a priori, que le PSUV et la MUD puis-sent s’engager dans une cohabitation « né-gociée », tant la détestation est forte entreles deux parties. M. Maduro, dont le man-dat prend fin en 2019, ne veut rien céder, il a mis une partie de l’appareil de l’Etat sous sa coupe, notamment le ministère de la jus-tice. L’opposition peut s’efforcer de pousserle président à la démission, ouvrir une pro-cédure de destitution ou provoquer un ré-férendum constitutionnel.

M. Maduro peut espérer que les divisions,réelles, au sein de la MUD se réveilleront et lui donneront quelque répit. Mais le « cha-visme », lui, a sans doute vécu. Parce que lesrecettes trop simplistes, au Venezuelacomme ailleurs, débouchent toujours sur des débâcles. p

LE RÉSULTAT FINALDU SCRUTIN

RÉGIONAL EST LOIN D’ÊTRE ÉCRIT

DANS LE DÉTAIL

VENEZUELA :LA DÉBÂCLE DU POPULISME

FRANCE | CHRONIQUE

par gérard courtois

Les inconnues du second tour

SI LA PERFORMANCE SANS PRÉCÉDENT DU

FN LE 6 DÉCEMBRE A PROVOQUÉ

UN CHOC, IL ÉTAIT PARFAITEMENT

PRÉVISIBLE

Tirage du Monde daté mardi 8 décembre : 313 282 exemplaires

BULLETIN D’ABONNEMENTA compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9

152EMQADCV

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Cahier du « Monde » No 22051 daté Mercredi 9 décembre 2015 - Ne peut être vendu séparément

Consentement éclairé contre big dataChacun doit consentir librement à un acte médical en ayant été informé de ses conséquences possibles. Alors que la course aux « données de santé »

malmène ce principe cardinal, la question de sa réforme est posée avec acuité par la révolution des biobanques.

P A G E S 4 - 5

Domestication et queue en tire-bouchon

La domestication d’animaux sauvages, entre-prise par l’homme il y a dix mille ans, a consti-tué un tournant majeur dans notre histoireévolutive. La transformation des espèces a

porté sur la sélection, au cours des générations, d’indi-vidus porteurs de caractéristiques avantageuses pour l’homme. La première étape a probablement consisté à sélectionner des individus qui ne craignaient pas la présence des hommes. Puis d’autres caractères ont suivi, modifiant la reproduction, la taille et autres, se-lon que les espèces étaient destinées à l’agriculture, au transport ou à la compagnie. Mais qui donc eut l’idée saugrenue de sélectionner la queue en tire-bouchon des cochons, bien différente de celle des sangliers ?

Dans les années 1950, le biologiste russe Dmitri Beliaïev entreprit une expérience visant à identifier les bases génétiques de la domestication. Il s’intéressa aux renards argentés, élevés pour leur fourrure, mais bien sauvages, auxquels il imposa un unique critère de sélection. A chaque génération, seuls les individus les moins craintifs vis-à-vis de l’homme furent croisés pour produire la génération suivante. En seulement

quelques générations, la proportion de renards appri-voisés atteignit des sommets. La sélection avait fonc-tionné à tel point que les renards recherchaient la pré-sence des éleveurs, les accueillant par des jappements et battements de queue dignes de chiens envers leurs maîtres. Aujourd’hui, il ne manque à ces renards que l’obéissance à des ordres simples pour être parfaite-ment domestiqués. Mais l’expérience, qui court tou-jours, livra un résultat inattendu. Dans un élan de zèle évolutif, ces renards acquirent d’autres caractères qui n’avaient pas été sélectionnés : une tache blanche entre les yeux, les oreilles tombantes et la queue recourbée. Autant de particularités, qui, comme la queue en tire-bouchon des cochons, distinguent souvent les espèces domestiquées de leurs ancêtres sauvages.

La sélection d’un comportementLa domestication, et son cortège de modifications

physiologiques et anatomiques, résulterait donc es-sentiellement de la sélection d’un comportement. Or tous ces caractères sont déterminés par des gènes, sur lesquels opère la sélection. Si les effets collatéraux, les

caractères non sélectionnés, sont bien connus des éleveurs, qui depuis dix mille ans font de la génétique sans le savoir, l’identification des gènes impliqués donne encore du fil à retordre aux généticiens. L’étude des gènes qui orchestrent le développement embryonnaire a révélé que nombre d’entre eux ont des fonctions multiples. Ainsi, un gène peut partici-per à la formation du cerveau, des doigts, et à l’appari-tion de pigmentation sur diverses parties du corps. Si, dans le cas des renards de Beliaïev, comme dans la plupart des cas de domestication, on ne sait pas encore quels gènes ont été sélectionnés, il est très vraisemblable qu’il s’agit de gènes multifonctions. Des gènes sélectionnés pour leurs effets sur le comportement (indiquant leur rôle dans le dévelop-pement du cerveau) mais qui affectent aussi d’autres caractères, comme la forme de la queue.

Pour autant qu’il faille le rappeler, la domesticationtémoigne de manière éclatante qu’il n’existe pas de gènes dédiés spécifiquement à des comportements complexes, tels que des gènes de l’intelligence, du crime ou de l’orientation sexuelle. p

FREAK CITY

PORTRAIT

PIER VINCENZO PIAZZA DÉMONTE LES MÉCANISMES DE L’ADDICTION

→ PAGE 7

PHYSIQUE

LES CHERCHEURS FRANÇAISEN PÉNURIE DE NEUTRONS ?

→ PAGE 3

PSYCHOTHÉRAPIE

LES BIENFAITS DE L’EMDR SURLE STRESS POST-TRAUMATIQUE

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c a r t e b l a n c h e

Nicolas Gompel,Benjamin

Prud’hommeGénéticiens,

LMU de Munich, Institut de biologie du développement

de Marseille-Luminy (CNRS)

Page 30: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

2 | 0123Mercredi 9 décembre 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | A C T U A L I T É

L’EMDR soigne les blessures psychiquesp s y c h o t h é r a p i e | Après les attentats, cette méthode née aux Etats-Unis dans les années 1980, qui permet de désamorcer

les souvenirs traumatiques, est mobilisée au service de la résilience des victimes et des témoins

sandrine cabut

La première fois que j’ai repris le métro,j’ai regardé partout autour de moi surle quai : les gens, leurs paquets… Dansla rame, j’ai compté les stations. Ça aété très long, je me sentais mal. Je suisrentrée directement dans mon appar-

tement, et me suis réfugiée sous la couette. Puis j’aiappelé mon copain pour qu’il me rejoigne le soir. Je ne me sentais pas en sécurité chez moi », ra-conte Justine (son prénom a été changé). Tout en écoutant attentivement le récit de cette jeune femme de 26 ans, la psychologue Laurence Pel-tier lui tapote les genoux, alternativement à droite et à gauche. C’est du « tapping », une tech-nique de stimulation bilatérale alternée utilisée dans l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing, « désensibilisation et repro-grammation par mouvement des yeux »), un modèle de psychothérapie qui aide le cerveau à traiter des événements traumatisants.

« Comment vous sentez-vous maintenant ? », in-terroge-t-elle. « Toujours stressée, mais moins », répond la jeune femme. « L’objectif est que vous puissiez faire ce trajet en toute sérénité, poursuit Laurence Peltier. Maintenant que l’émotion adiminué, repassez la scène dans votre tête, enmême temps que je fais le tapping. Centrez-vous sur votre corps et vos émotions. Si vous sentez quec’est trop dur, levez la main. »

Ce 26 novembre, Justine est venue en urgenceconsulter cette psychologue qu’elle ne connais-sait pas. Depuis les attentats du 13 novembre, elleest oppressée, angoissée. Elle n’arrive pas à dor-mir. Les bruits de sirène l’obsèdent. Le soir du drame, elle était au stade de France avec une amie. Puis elle a appris ce qui se passait dans son quartier, le 9e arrondissement… Voila plus d’une heure que Laurence Peltier lui fait redérouler lefil, du début du match de football jusqu’au soirde la consultation.

La thérapeute repère les moments traumati-sants, pour les « travailler », un à un : le mouve-ment de foule à la descente des gradins ; l’attente dans la nuit avant de récupérer la voiture ; la vio-lence des images à la télévision le lendemain… « Lorsqu’il y a un trop-plein d’émotions, les deux hémisphères du cerveau, l’émotionnel et le ration-nel, ne communiquent plus. Avec des stimulations bilatérales alternées comme le tapping ou des mouvements oculaires, l’EMDR reproduit de façonartificielle le traitement naturel des informations, qui a lieu notamment durant le sommeil. Le pre-mier bienfait est de restaurer le sommeil, pour re-lancer le traitement adaptatif de l’information »,lui a expliqué Laurence Peltier en préambule. Après une heure et demie de traitement, Justine se dit épuisée, mais apaisée. Un mieux-être que les praticiens apprécient avec un score d’auto-évaluation des perturbations (SUD) de 0 à 10.

Reconnue comme l’un des traitements de réfé-rence des états de stress post-traumatique (ESPT)constitués, l’EMDR est aussi de plus en plus pro-posée en prévention, dans les suites immédiates d’un traumatisme. Depuis les attentats du 13 no-vembre, Laurence Peltier est ainsi intervenue auprès de nombreuses personnes, dont certai-nes sont venues par le biais d’une toute jeune as-sociation, Action EMDR Trauma. « L’ambition est de déployer des interventions d’EMDR à titre hu-manitaire au plus près de l’événement stressant, après un attentat, une catastrophe naturelle ; chezdes personnes déplacées aussi…, explique Isabelle Meignant, présidente de ce réseau européen, et formatrice EMDR Europe. Dans les contextes d’urgence, nous utilisons des protocoles spécifi-ques, individuels ou de groupe. C’est une approchepragmatique, qui ne nécessite pas de recueillir beaucoup d’informations personnelles, et elle est rapidement efficace. Une seule séance peut suffire,surtout si elle est pratiquée dans les jours qui sui-vent l’événement. »

La psychologue a des cas plus délicats à gérer,comme celui de cette trentenaire qui travaille surl’un des lieux des attentats. Pendant dix jours, cette jeune femme consciencieuse et dynamiquea « pris sur elle ». Mais les symptômes se sont multipliés, qui l’ont amenée à consulter : courba-tures dans tous les membres ; insomnies ; pho-bie des lieux clos ; panique à l’idée de donner sonsang, ce qu’elle faisait depuis ses 18 ans ; difficul-tés à revenir sur la zone de la fusillade… Aprèsquatre séances d’EMDR de deux heures, « elle est moins angoissée et a pu mettre les événements à distance, mais il faut encore travailler le futur », souligne Mme Meignant.

Ces dernières années, plusieurs études ont rap-porté des bénéfices de l’EMDR en prévention des états de stress post-traumatiques (ESPT) – après un tremblement de terre au Mexique en 2010, et chez des survivants du World Trade Center, en 2001, notamment –, mais les données scienti-fiques sont moins solides que dans les ESPT constitués. Ce n’est sans doute que temporaire, tant cette discipline, née en 1987 aux Etats-Unis et arrivée en France en 1994, se développe.

« De plus en plus d’indications font l’objet d’es-sais cliniques en EMDR, en particulier les phobies et les troubles anxieux, les douleurs chroniques, lestroubles bipolaires et plus récemment les psycho-ses », notent Juliette Gueguen (Inserm) et ses col-lègues dans un récent rapport sur l’hypnose etl’EMDR. Parallèlement, des chercheurs explorentles mécanismes par lesquels cette thérapie agit sur le cerveau. Ainsi de l’équipe de Stéphanie Khalfa (Institut de neurosciences de la Timone,Marseille), qui mène des travaux en neuro-ima-gerie. « L’état de stress post-traumatique corres-pond à une altération du circuit de la peur, avec unconditionnement plus fort et une extinction plus difficile des réponses de peur par rapport à des personnes exposées au même événement trauma-tique mais qui ne développent pas d’ESPT, détaillela chercheuse. Avec l’IRM, nous avons montré quela thérapie EMDR restaure une activité normale à ce niveau, notamment dans l’amygdale. Et des études chez l’animal, reproduites chez l’homme, ont pu établir que ce sont les stimulations bilaté-rales alternées qui sont fondamentales pour étein-dre plus efficacement le circuit de la peur. »

Les pratiques se sont structurées. En France,trois formations (dont une universitaire) sont

agréées, ouvertes aux professionnels de la psy-chologie et de la psychiatrie. « Nous recensons 1 200 membres, contre 700 en 2010, mais les chif-fres sont sous-estimés, indique le docteur Martin Teboul, qui préside l’association EMDR France, membre de EMDR Europe. Nos objectifs sont de développer l’offre, en garantissant des pratiques de qualité, avec une formation continue obliga-toire. » L’association lutte également contre les « faux praticiens », qui contribuent à l’image en-core parfois sulfureuse de l’EMDR. p

« Une seule séance peut suffire, surtout si elle est pratiquée

dans les jours qui suivent l’événement »

isabelle meignant

psychologue et présidente d’EMDR Europe

La thérapie par EMDR est pratiquée depuis plusieurs années à l’hôpital d’Argentan (Orne). BURGER/PHANIE

L’expérience est inédite en France : 70 adolescents de Thionville (Moselle), qui étaient au Stade de France le 13 novembre, ont bénéficié moins de 48 heures plus tard d’une séance collective d’EMDR. « Nous leur avons demandé de dessiner le moment le plus difficile pour eux, et chacun a effectué sur lui-même des stimulations bilatérales alternées avec la technique du papillon, qui consiste à poser chaque main sur l’épaule opposée, et à les soulever en alternance », détaille le professeur Cyril Tarquinio (laboratoire de psychologie de la santé Apemac, université de Lorraine). Avec ce protocole de situation d’urgence, leur niveau de perturbation émo-tionnelle est passé en moyenne de 8 à 2 en deux heu-res, poursuit le psychologue, qui va exploiter les don-nées pour une étude scientifique. En juin 2016, Cyril Tarquinio inaugurera à Metz un centre universitaire unique en France consacré aux psychothérapies, asso-ciant des activités cliniques, de recherche et d’ensei-gnement. Les consultations psychothérapeutiques se-ront en partie prises en charge par des mutuelles, avec une participation de mécènes pour les plus démunis.

Séance collective en Moselle

Ingénierie du gène : l’urgence d’attendreUne réunion internationale appelle à un moratoire sur les manipulations de l’ADN des cellules sexuelles et de l’embryon

Faut-il mettre en œuvre les derniè-res techniques d’ingénierie dugène pour réparer l’ADN des cellu-les sexuelles (germinales), et ainsi

modifier de façon inédite le patrimoine héréditaire humain , ou est-il urgent d’at-tendre ? Un sommet international, orga-nisé du 1er au 3 décembre à Washington par l’Académie des sciences américaine, la Royal Society britannique et leur homolo-gue chinoise, a permis aux spécialistes mondiaux de débattre de la question. Celle-ci est devenue plus pressante avec l’avènement d’une technique de copier-coller génétique, baptisée Crispr-Cas9, qui révolutionne les capacités d’intervention sur le génome – une équipe chinoise l’a même mise en œuvre pour modifier celuid’embryons humains non viables.

A Washington, les réponses sur l’oppor-tunité de l’utiliser pour modifier des cellu-

les germinales ont varié de « Hell no » à « Yes now » (de « Surtout pas » à « Oui, tout de suite »), comme l’a résumé le biologiste Paul Knoepfler, qui a couvert les débats surson blog. La déclaration finale des organi-sateurs se situe entre ces deux extrêmes.

« Irresponsable »La recherche fondamentale et préclini-

que est nécessaire et doit être poursuivie sur les techniques d’édition des gènes, ainsi que sur les bénéfices et risques po-tentiels de leur usage clinique. Mais « si, dans ce processus de recherche, des em-bryons humains et des cellules germinales subissent des éditions de gènes, les cellules modifiées ne devront pas être utilisées pourlancer une grossesse », préviennent-ils. L’usage clinique de ces techniques sur les cellules somatiques (qui ne sont pas trans-mises d’une génération à l’autre) doit

s’inscrire dans les dispositifs « existants et évolutifs » qui encadrent les thérapies gé-niques, suggère la déclaration finale.

Sur l’usage clinique des cellules germi-nales, celle-ci pointe les risques de muta-tions induites en dehors des gènes ci-bles ; la difficulté de prédire des effetsdélétères ; l’obligation de prendre encompte les implications de ces alté-rations tant pour l’individu que pour les générations futures ; l’irréversibilité de ces altérations ; la possibilité que des po-pulations privilégiées bénéficient, ouque d’autres soient contraintes à subir des « améliorations » de leur génome ; lesconsidérations morales et éthiques atta-chées au fait de modifier intentionnelle-ment l’évolution humaine. En consé-quence, « il serait irresponsable de pour-suivre tout usage clinique de l’édition de cellules germinales », tant que les problè-

mes de sécurité et d’efficacité n’ont pas été résolus, et « qu’il n’y aura pas un large consensus social sur la pertinence des ap-plications proposées ». Une position qui se rapproche de celle exposée dans la re-vue Nature par Jennifer Doudna, codé-couvreuse de Crispr-Cas9.

« La réunion de Washington n’est pas unefin, mais un départ, avec l’organisation pré-vue de futurs forums », souligne le biolo-giste de la reproduction Pierre Jouannet, qui avait été invité à y témoigner des re-cherches menées en France. « On discute àperte de vue sur les applications potentiel-les, mais actuellement, on ne peut garantir l’efficacité et la sécurité à 100 % pour l’em-bryon humain, rappelle-t-il. Sur les ani-maux, quand la mutation se retrouve sur trois individus sur dix, on considère que c’est réussi, mais on ne peut évidemment faire de même sur des enfants. »

La déclaration de Washington n’aaucune valeur contraignante, mais le gé-néticien George Church (université Har-vard) redoute que le moratoire proposén’encourage un « marché noir et un tou-risme médical incontrôlés ». De ce côté del’Atlantique, jeudi 3 décembre, le Conseil de l’Europe s’est dit « favorable aux nou-velles technologies d’édition du génome, mais dans certaines limites ». Il a rappelé que, selon l’article 13 de la Convention d’Oviedo (1997), ratifiée par la plupart des pays européens, dont la France, une intervention sur le génome humain « nepeut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeu-tiques ». Cet article interdit en outre« toute modification génique sur des em-bryons qui serait transmise aux généra-tions futures ». p

hervé morin

Page 31: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

A C T U A L I T É | SCIENCE & MÉDECINE | Mercredi 9 décembre 20150123 | 3

CosmologieLumière sur la masse manquanteLe bilan du contenu énergétique de l’Univers pose de gros problèmes : une énergie noire inconnue en compose 70 %, tandis que 25 % sont faits d’une matière de nature également mysté-rieuse. Même les 5 % restants, dits ordi-naires, soulèvent des questions, car la moitié échappe à la détection ! Une équipe internationale vient cependant de mettre la main sur cette part perdue,à proximité de filaments invisibles de plusieurs millions d’années-lumière de long, qui relient les galaxies, comme unetoile. Cette matière émet des rayons X, repérés par le télescope spatial XMM de l’Agence spatiale européenne.

> Eckert et al., « Nature », 3 décembre.

AstrophysiqueLe moteur d’un trou noir repéréUne équipe internationale, utilisant le réseau de télescopes Event Horizon, a pour la première fois observé la loca-lisation et les variations du puissant champ magnétique émis par le trou noir du centre de la Voie lactée, Sagittarius A*. Ce champ est soupçonnéd’être responsable de l’éjection colos-sale de jets de matière et de rayonne-ment au voisinage de ce géant, quatre millions de fois plus lourd que le Soleil.

> Johnson et al., « Science », 4 décembre.

La France à court de neutronsp h y s i q u e | La fermeture annoncée du réacteur Orphée à Saclay va priver

les chercheurs d’un instrument privilégié d’étude de la matière

nathaniel herzberg

Loin des débats enflam-més autour du sort dela centrale de Fes-senheim (Haut-Rhin),cette décision-là s’estprise dans la plus

grande discrétion. La France va fermer Orphée, son réacteur nucléaire de recherche implantésur le plateau de Saclay (Essonne).L’affaire n’est pas de la toute première fraîcheur ; le principeen a été arrêté le 16 juin 2014. Mais l’été dernier, le Commis-sariat à l’énergie atomique (CEA) et le CNRS ont annoncé qu’ils allaient en accélérer le calendrier.Orphée baissera le rideau fin2019, et d’ici là, le réacteur fonc-tionnera à puissance limitée.

Jusqu’ici, les scientifiques cares-saient l’espoir d’un changement de cap. Ils avaient discrètement mobilisé leurs collègues euro-péens, plaidé auprès de leurs tu-telles, compté sur le poids d’un rapport de l’Agence d’évaluation de la recherche farouchement hostile à ce scénario. Mais avec cette dernière annonce, le cercueild’Orphée leur est présenté. Même au CEA, les personnels sont sortis de leur réserve traditionnelle pour dénoncer « le gâchis finan-cier, scientifique et humain qui résulterait de cette fermeture ».

Ce réacteur constitue la seulesource nationale de neutrons. Grenoble accueille certes l’InstitutLaue-Langevin (ILL), la plus puis-sante installation du genre du monde. Mais l’infrastructure est européenne ; la France n’y contri-bue qu’à hauteur de 28 % du bud-get et dispose donc d’un temps d’utilisation en proportion. Si bien qu’aujourd’hui près de 60 % des expériences neutroniques françaises ont lieu au Laboratoire Léon-Brillouin (LLB), l’unité CNRS-CEA qui exploite Orphée.

« Il s’agit d’expériences fonda-mentales, pour la recherche comme pour l’industrie », sou-ligne José Teixeira, directeur de recherche émérite au LLB. Si les atouts des rayons X, des scanners jusqu’aux synchrotrons, sontbien connus, les neutrons offrent en réalité un parfait complément.Dépourvus de charge, ils n’inte-ragissent qu’avec les noyaux et pénètrent au plus profond desmatériaux : là où les rayons X sont, par exemple, arrêtés par 1 mm d’aluminium, les neutrons l’explorent aisément sur 10 cm d’épaisseur. Qu’il s’agisse d’analy-ser les structures fondamentalesde la matière ou d’en vérifier la qualité, ils apportent des infor-mations uniques. Les industries spatiale, ferroviaire et automo-bile en font donc largementusage. Le monde médical aussi, lorsqu’il veut produire des iso-topes ; ou encore celui des semi-conducteurs, quand il doit doper le silicium. « Magnétisme, ana-lyse physico-chimique, dynami-que moléculaire… là encore lesneutrons sont irremplaçables », poursuit José Teixeira.

Alors, pourquoi cet arrêt ? Le fu-tur aménagement du plateau de Saclay, sa ligne de tramway et ses dizaines de milliers d’étudiants àvenir peuvent-ils cohabiter avec un réacteur nucléaire ? Là n’estpas l’essentiel, assure l’adminis-tration. Au ministère de la recher-che, comme au CEA, on invoquetrois autres motifs. « Un choix stratégique, d’abord, affirme Vin-cent Berger, directeur du pôle sciences de la matière au CEA… et

jusqu’à l’été dernier conseiller re-cherche de François Hollande. La France a choisi de participer au programme européen de cons-truction d’ESS, en Suède, la plus importante source de neutrons du monde. » Un équipement d’un coût de près de 2 milliards d’eurosauquel la France contribue àhauteur de 150 millions, chiffre Christian Chardonnet, chef du dé-partement des grandes infras-tructures au ministère. Son prix s’explique par sa technologie, ra-dicalement différente, qui im-pose la construction d’un accélé-rateur de particules. En échange,la technique dite de « spallation » permet de s’affranchir du réac-teur nucléaire, source des neu-trons d’Orphée mais aussi de ses deux autres péchés mortels…

Car qui dit réacteur dit combus-tible. En l’occurrence, de l’ura-nium enrichi à 93 % (bien plusque dans les centrales civiles),capable de constituer une charge militaire. Deux pays produisentcette rareté pour la recherchecivile : les Etats-Unis et la Russie.Si Orphée a profité de la chute du Mur et des « soldes » russes pour se constituer un stock qui lui permet de tenir, à régime réduit, jusqu’en 2019, il n’est plus ques-tion de négocier avec la Russie dePoutine. Quant aux Américains, fournisseurs historiques, ils ontannoncé que pour éviter touteprolifération ils cesseraient, saufexception, de fournir de l’ura-nium hautement enrichi. L’ex-ception, ce sont des accords si-gnés avec les principaux pays européens dans lesquels ils acceptent d’approvisionner lesinstallations prêtes à se convertir,à moyen terme, en réacteurs àcombustible ordinaire (moins de 20 % d’uranium 235). « C’est dans ce cadre qu’ils continuent à nous fournir, explique Charles Simon,directeur adjoint de l’ILL, à Gre-noble. Mais la France a annoncéqu’elle fermait Orphée. Elle est donc sortie de l’accord. »

Une bêtise diplomatique ? Plu-tôt un moyen d’éviter le troisième

Les industries spatiale, ferroviaire et automobile

font largement usagedes neutrons, ainsi que

le monde médical…

C’est un équipement exceptionnel que les pays européens ont dé-cidé d’ériger en Suède. La source européenne par spallation (ESS) de Lund sera composée d’un accélérateur linéaire de 600 m de long permettant de diriger les protons à haute énergie vers une cible de tungstène. La réaction produite générera des neutrons « pulsés » qui pourront pénétrer les échantillons étudiés. Pas d’uranium enrichi, pas de déchets. Les concepteurs d’ESS assu-rent qu’il sera au moins dix fois supérieur à celui d’ILL, l’équipe-ment européen de référence, installé à Grenoble. Les performan-ces dépasseront aussi les principales sources en activité au Japon ou aux Etats-Unis. Une « formule 1 » à 2 milliards d’euros. Pre-miers tours de roues en 2020, plein régime en 2025. Quinze pays européens, au premier rang desquels la Suède et le Danemark, financent le bolide. Mais qui pourra le piloter ? L’accès pour les in-dustriels s’annonce assez limité. Quant aux jeunes chercheurs, personne n’y songe : on n’apprend pas à conduire sur une Ferrari.

ESS, la Ferrari de la spallation

t é l e s c o p e

problème : celui de la fabrication. Une fois l’uranium reçu, il faut le transformer en cœur nucléaire. Une manipulation complexe réa-lisée, pour presque toute l’Europe,par Cerca, une filiale d’Areva. Or, depuis l’accident de Fukushima, au Japon, l’Autorité de sûreté nu-cléaire a imposé de nouvelles nor-mes. Cerca a dû reconstruire son usine. Le prix d’un cœur (environ 2 millions d’euros pour cent jours d’utilisation) a doublé. On ima-gine aisément les incidences sur le budget annuel de 10 millions d’euros d’Orphée, déjà considéré comme insoutenable dans le contexte actuel.

Sauf que cet abandon a un coûtscientifique que toute la filière juge majeur. « La Coupe du mon-de approche, on paie pour la construction du grand stade maison n’aura bientôt plus d’équipe », aime ainsi à dire un cadre du LLB.

L’ESS de Lund sera, en effet, plei-nement opérationnel en 2025. Où travailleront, d’ici là, les quel-que 1 700 chercheurs français quiconstituent aujourd’hui cette communauté de pointe ? Et en-suite, où conduiront-ils les expé-riences « ordinaires » ? Où forme-ront-ils leurs thésards ? « Nousdevrons collaborer avec les autressources européennes », assureVincent Berger, pour le CEA. « Ils seront les bienvenus chez nous, répond Winfried Petry, directeur du réacteur FRM II, à Munich. Mais c’est du dépannage, pas une stratégie. Je ne comprends pasque la France sacrifie son avance. Je veux encore espérer qu’elle changera d’avis. Ou qu’elle dé-veloppera une petite source despallation nationale, pour resterparmi les pays qui comptent. » Pour le moment, rien ne semble lui donner raison. p

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Page 32: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

ConsentementMieux informer

les donneurs de tissus humainsb i o é t h i q u e

Des traitements plus personnalisés pourraient émerger des banques d’échantillons biologiques. L’optimisation de leur exploitation est-elle compatible avec le respect des droits du patient ?

catherine mary

Au début des années1980, le généticienRichard Ward, del’université cana-dienne de la Colom-bie-Britannique, àVancouver, obtintdes 900 membres

de la tribu amérindienne des Nuu-chah-nulth leur consentement pour menerdes études sur leur génome. Rien nepouvait alors laisser présumer la longuesérie de conflits qui allait opposer, vingtans plus tard, généticiens et tribus amé-rindiennes. Leur motif ? L’utilisation de l’ADN des intéressés dans des conditions

différentes de celles décrites dans le consentement qu’ils avaient initiale-ment signé.

Le projet de Richard Ward était pour-tant simple. Rechercher, dans le génome des Nuu-chah-nulth, des variations géné-tiques pouvant expliquer la fréquenceélevée de cas de polyarthrite rhumatoïde rencontrés dans cette tribu. Pour cela, il suffisait que les participants à l’étude signent un consentement éclairé, selonles lois de bioéthique en vigueur. La pre-mière étude, infructueuse, se déroula sans encombre. Mais les généticiens, sou-haitant optimiser l’exploitation du maté-riel génétique qu’ils avaient à leur dispo-sition, allèrent plus loin. Ils partagèrent l’ADN des Amérindiens avec d’autres gé-

néticiens, qui tentèrent à leur tour de le faire parler. Heurtés par ce qu’ils ressenti-rent comme une trahison, les Nuu-chah-nulth exigèrent réparation et engagèrent un procès contre les généticiens.

« Ces conflits avec les Amérindienscomme avec d’autres peuples premiers ontmis en lumière des problèmes compliqués liés au fonctionnement des recherches en génétique, et leur résolution a permis de faire avancer la réflexion dans ce do-maine, même si d’importantes zones d’ombres persistent », commente Chris-tine Noiville, juriste au CNRS et coauteureen 2009 d’un volume de la collection « Que sais-je ? » consacré aux biobanques,ces collections convoitées d’échantillonsde sang, d’urine ou de tissus tumoraux.

« Les biobanques sont l’outil du XXIe siècle pour faire de la recherche médicale. On esttous d’accord sur la nécessité de valoriser les résultats de leur exploitation, mais il s’agit de pouvoir articuler l’intérêt de larecherche, de la santé publique et despatients », poursuit-elle.

Evolution accélérée des biotechnolo-gies et du traitement des données, amé-lioration des méthodes de conservation des échantillons biologiques et mondiali-sation des échanges sont autant de fac-teurs qui facilitent l’exploitation des biobanques. Des mines d’informations qui font autant rêver les chercheurs du secteur public que les investisseurs pri-vés. A la clé, des corrélations toujours plus fines entre risque de maladie, profil

4 | 0123Mercredi 9 décembre 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | É V É N E M E N T

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génétique, âge et mode de vie, promet-tant l’avènement d’une médecine per-sonnalisée faisant bénéficier chaque malade d’un traitement adapté à son pro-fil. Le projet Precision Medicine Initiative,récemment proposé par les National Ins-titutes of Health (NIH), aux Etats-Unis, prévoit ainsi le recrutement de 1 million de personnes dans le pays afin de consti-tuer une biobanque permettant l’étude à long terme de corrélations entre gènes et santé. Le Royaume-Uni, l’Islande et l’Estonie disposent déjà de telles banques nationales, qui ont permis l’identifica-tion de prédispositions génétiques à des maladies telles que les cancers ou la mala-die d’Alzheimer.

Mais ces enjeux, aussi importantssoient-ils, ne peuvent en éclipser d’autres, d’ordre éthique. Car, avec les bio-banques, les questions soulevées par les conflits entre les Amérindiens et les gé-néticiens se trouvent ramenées au cœur d’une réflexion nouvelle, guidant la re-cherche d’un compromis entre maintien des principes du consentement libre et éclairé et efficacité de la recherche. Pui-sant ses fondements dans le procès des médecins nazis à Nuremberg, en 1947, le consentement libre et éclairé vise àgarantir l’autonomie et la liberté de la personne, de manière à pallier la dissy-métrie entre le médecin qui sait et le patient qui ignore. Il définit de manière précise les objectifs et les conditions de l’acte médical et donne au patient la pos-sibilité de le refuser, ou de ne pas être informé, ainsi que d’interrompre à tout moment son engagement.

En cas d’examens génétiques, le consen-tement n’est accordé que pour une fina-lité donnée dans un contexte bien précis. Or, s’ils souhaitent rester compétitifs et valoriser leurs travaux, les chercheurs onttout intérêt à se procurer des échantillonsbiologiques auprès de différentes bio-banques et à les regrouper. Cela leur per-met d’augmenter la taille des données à analyser et d’accroître la fiabilité de leurs résultats. Ils doivent aussi pouvoir les conserver pour les exploiter au moment opportun à la faveur d’une avancée tech-nologique. « Les technologies évoluent si vite que vous ne pouvez pas prédire ce que vous allez faire l’année suivante », note ainsi Timothy Spector, du King’s College de Londres, non sans avoir vanté les quali-tés de la biobanque qu’il dirige, la Twins-UK. Avec ses génomes, protéomes et mi-crobiomes collectés auprès de quelque13 000 vrais et faux jumeaux, elle est l’unedes plus riches collections de données surles jumeaux du monde, et promet la pos-

sibilité d’établir des corrélations inéditesentre patrimoine génétique, environne-ment et risque de maladie.

A condition d’éviter les erreurs dupassé, comme celle qui conduisit à la stig-matisation des Amérindiens de la tribu Havasupai, en Arizona. Dans les années 1990, leur taux élevé de diabète de type 2 attira l’attention des généticiens. Mais leur ADN fut endommagé lors d’une panne de congélateur, et les chercheurs, ne pouvant pas l’étudier, le conservèrent. Une démarche justifiée de leur point de vue puisque, dans les années 2000, de nouvelles techniques d’analyse leur per-mirent de poursuivre leurs recherches. Mais loin d’apporter le résultat espéré, lesétudes révélèrent le taux élevé de consan-guinité des Havapusai, dont la popula-tion ne comprenait, au début du XXe siè-cle, que quatre-vingts adultes en âge de procréer. D’où le procès intenté par les Havapusai aux généticiens.

Autre pierre d’achoppement, la confi-dentialité des données stockées dans les biobanques. En France, une banque de données médicales ne peut être consti-tuée qu’avec l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des liber-tés (CNIL), sous réserve d’anonymisation des données. Pourtant, le système dedouble chiffrage utilisé n’exclut pas le risque que ces données soient de nou-veau identifiables, et donc celui de leur utilisation abusive par les employeurs oupar les assureurs.

En conséquence, le remaniement duconsentement libre et éclairé se révèle nécessaire. « Il faut concilier la liberté de choix de l’individu et la protection desdonnées personnelles avec les nouvelles modalités de la recherche qui se dévelop-pent aujourd’hui. Cela n’est possible que par l’association du patient au projet de recherche », résume ainsi Georges Da-gher, qui dirige l’infrastructure nationale Biobanques, financée par le programme « Investissements d’avenir » et regrou-pant 84 biobanques en France dans le ca-dre d’un réseau européen qui en compte plus de 300 (Le Monde du 16 juin 2014).

Une table ronde intitulée « Consente-ment et recherche », organisée en mai parBiobanques, a ainsi permis d’esquisser lescontours d’un nouveau cadre éthique. Celui-ci, avance Georges Dagher, pourrait prévoir « un consentement avec une plu-ralité de finalités scientifiques. En échange,le patient disposerait de garanties sur le respect des principes éthiques, en particu-lier sur la confidentialité des données, la qualité scientifique des études et le cadrede recherche ».

Outre-Manche, la sociologue BarbaraPrainsack, du King’s College de Londres,propose un modèle apparenté s’ap-puyant sur le principe de solidarité. Le patient serait amené à signer, en plus du consentement éclairé, une « déclaration de mission » l’informant de l’ensemble des risques sur ses données et sur la gou-vernance des biobanques. Pour chaque biobanque, une commission de recours serait également créée, à laquelle le patient pourrait s’adresser en cas de vio-lation de la confidentialité. « Il ne s’agitpas seulement de signer un document et de protéger l’institution, mais il s’agitaussi pour le patient de comprendre vrai-ment ce qu’est une biobanque, la manière dont elle est dirigée et les risques, même minimes, de dévoilement de ses don-nées », souligne-t-elle.

Soigneusement mis en place, ces mo-dèles participatifs peuvent bénéficier à l’ensemble des acteurs. En témoignent les collaborations réussies entre généti-ciens et Amérindiens, après les conflitsqui les avaient opposés. Les membres du peuple Gitxsan ont ainsi œuvré aux cô-tés des généticiens pour élucider les fon-dements génétiques de leur fréquence50 fois plus élevée que la moyenne desyndrome de QT long, une anomaliecongénitale rare du système cardiaque pouvant causer une mort subite. Active-ment impliqués dans le projet de recher-che, les Gitxsan ont contribué à l’élabora-tion des protocoles et ont disposé d’un droit de regard sur les résultats scientifi-ques, avant leur publication. Chercheurs et patients ont ainsi révélé ensemble l’existence d’une mutation en cause dansle syndrome de QT long.

La course à la productivité pourraitbien, pourtant, reléguer au rang d’uto-pies ces expériences réussies. L’usage

généralisé des termes « données de santé » a ainsi déjà sorti les données mé-dicales du domaine balisé de la médecinepour les rendre accessibles au marché. Réduites à de simples marchandises, elless’acquièrent au coût le plus bas, se stoc-kent et se monnaient. Et les stratégies développées par certaines compagnies privées ne s’encombrent désormais plus de consentement libre et éclairé.

La société américaine de biotechnolo-gie 23andMe propose, pour le coût modi-que de 99 dollars (94 euros), la réalisationd’un test génétique sur les origines, grâce à un kit de prélèvement de salive vendusur Internet. Une vente qui permet aussi à 23andMe l’acquisition insidieuse des données des clients. Sur le site de la so-ciété américaine, le formulaire de con-sentement à signer par l’internaute suit une fiche de présentation sur l’intérêt de ces données pour la recherche médicale. Stratégie gagnante, puisque la société a pu constituer une banque de plus de 1,5 million de génomes.

« En faisant participer les individus,23andMe a construit une base de données qu’aucune institution au monde ne pos-sède », commente ainsi Georges Dagher,avec un mélange d’admiration et de scep-ticisme. « Cela ne veut pas dire que nous devons faire la même chose, mais la recherche d’aujourd’hui se fait sur ces bases de données-là, d’où l’importance pour les institutions publiques d’impliquerles patients en créant de vraies relations deconfiance », insiste t-il.

En janvier, un accord commercial entrela compagnie pharmaceutique Pfizer et23andMe a donné l’accès à Pfizer à 800 000 des génomes de 23andMe, pour des études sur les prédispositions généti-ques aux maladies, notamment au lupus.La société Amgen vient de lui emboîter lepas aux Etats-Unis. En échange de la carteCopay, donnant accès au tiers-payant pour son anticholestérol Repatatah, Amgen a récemment exigé des patients leur autorisation à utiliser et échangerleurs données médicales, sans aucune garantie de confidentialité. Le tollé sou-levé par cette pratique a néanmoins conduit Amgen à resserrer ses garanties en termes de confidentialité et de partagedes données.

La loi du marché tend à s’imposer dansle domaine prometteur des cellules sou-ches. Aux Etats-Unis, la réglementation dela Food and Drug Administration, l’agencedes médicaments, encadre strictement l’usage des cellules souches à des fins thé-rapeutiques. Pourtant, des centaines de cliniques s’implantent dans le pays pour proposer des traitements non validés pour des pathologies telles que la sclérose amyotrophique latérale, la maladie de Parkinson ou la sclérose en plaques. L’in-formation fournie au patient ? Un argu-mentaire commercial, subtil et trompeur, vantant les bénéfices de ces traitements tout en en minimisant les risques.

D’où les inquiétudes du côté des bio-éthiciens. « Il existe une tension croissanteentre la volonté de maintenir un cadre éthique garantissant l’intégrité du corpset l’autonomie du patient et de puissantes incitations financières à transgresser cecadre », s’inquiète ainsi le bioéthicien Leigh Turner, de l’université du Minne-sota. « Il y a cinq ans, en 2010, la confé-rence mondiale sur l’intégrité de la recher-che, qui avait eu lieu à Singapour, s’était conclue par une déclaration promouvant un code de bonne conduite en matièred’intégrité, résume Noémie Aubert Bonn,doctorante en bioéthique à l’université de Hasselt, en Belgique. En 2015, à Rio, les présentations dans leur ensemble allaient plus loin. Elles soulignaient l’incompatibi-lité entre les attentes éthiques et les atten-tes de productivité. » p

Le consentement libre et éclairé vise à

garantir l’autonomie et la liberté

de la personne

Dans cette biobanque suisse, les

cellules souches de cordon

ombilical sont conservées dans

de l’azoteà – 150 °C.

AMELIE-BENOIST/BSIP

Leigh Turner est professeur de bioéthiqueà l’école de santé publique de l’universitédu Minnesota, aux Etats-Unis. En 2004,

après le décès d’un patient schizophrène, Dan Markingson, au cours d’un essai clinique dans le département de psychiatrie de l’université, Leigh Turner se joint au groupe de soutien qui s’est constitué autour du bioéthicien Carl Elliott pour exiger une enquête indépendante. Les résultats de cette enquête ont été publiés en février. Ils dressent un bilan accablant des conflits d’inté-rêts au sein de cette université et sur leurs conséquences pour le consentement du patient.

L’enquête sur la mort de Dan Markingson a révélé d’importants manquements éthiques. De quoi s’agit-il ?

L’enquête a montré que Dan Markingson a signé lui-même son consentement pour être intégré à cet essai clinique. Or le diagnostic posé par le psychiatre qui le suivait le jugeait inapte à exercer son libre arbitre. Ce même psychiatre était également l’investigateur de l’essai clinique, et il percevait 15 000 dollars (14 200 euros) par patient enrôlé de la part d’AstraZeneca, la compagnie pharmaceutique qui le finançait. La situation est encore plus inquiétante lors-qu’on replace ce cas dans le contexte général de la recherche clinique au sein de l’université du Minnesota. L’enquête a analysé les protocoles de plus de vingt essais cliniques en cours, révé-lant que les problèmes éthiques n’étaient pas discutés au cours des réunions de suivi de ces essais, notamment les risques et les bénéfices pour le patient. Les dirigeants du département de psychiatrie ont réagi par la défensive à nos requêtes. En outre, l’enquête a montré qu’il y régnait un climat de peur.

Ce cas est-il révélateur d’une situation plus générale ?

Il est emblématique des conditions de la recher-che médicale, avec l’implication des compagnies pharmaceutiques, finançant à coups de millions de dollars les recherches menées au sein de cette université. La réflexion sur le consentement éclairé permet aussi de se pencher sur les chan-gements majeurs survenus au cours des vingt dernières années. Au-delà de la distinction tradi-tionnelle entre secteurs public et privé, les inté-rêts économiques se sont immiscés au cœur même de la pratique médicale. Les médecins sont à la fois entrepreneurs, investigateurs d’es-sais cliniques pour un laboratoire pharmaceuti-que, experts de santé publique : cette multiplica-tion des casquettes favorise la confusion des rôles. Il ne s’agit pas seulement de l’influence de l’industrie pharmaceutique, mais aussi du rôle d’entrepreneur que jouent les médecins, incités à récolter des fonds pour financer leurs recherches en dehors du secteur public et à les valoriser.

Quelles sont, selon vous, les dérives les plus inquiétantes ?

Le consentement éclairé se réduit de plus en plus souvent à un document contractualisant la relation entre le patient et le médecin, alors qu’il doit être le résultat d’un processus au cours duquel le patient prend sa décision. Il doit s’ap-puyer sur un vrai dialogue, au cours duquel le médecin doit s’assurer que le patient a bien compris les risques de l’essai clinique dans lequel il est enrôlé. Or le temps nécessaire à ce dialogue est négligé dans la pratique. A cela s’ajoute le lan-gage de plus en plus technique du médecin, que le patient ne comprend pas. Dans certaines disci-plines, comme l’oncologie, le consentement est long et compliqué, ce qui crée une dissymétrie entre le patient et le médecin.

Le consentement éclairé peut-il être un levier pour la réflexion sur les droits de l’homme ?

Dans certains cas, le consentement est un le-vier pour améliorer l’encadrement des essais cli-niques dans les pays du Sud, où les réglementa-tions sont moins strictes que dans les pays du Nord. Lorsqu’un essai clinique est mené dans un pays du Sud par des chercheurs venant du Nord, une réflexion se met en place pour que cette étude soit menée suivant les meilleurs critères éthiques, tout en respectant la réglementation du pays concerné. Mais la tendance inverse existe également, car il ne faut pas négliger les aspects les plus féroces de la mondialisation. L’économie est un puissant moteur, et les exi-gences moindres en matière de bioéthique ren-dent les essais cliniques moins coûteux dans les pays du Sud. Depuis une vingtaine d’années, compagnies pharmaceutiques, organisations non gouvernementales et institutions de santé délocalisent leurs essais cliniques dans des pays tels que la Chine, l’Inde ou les pays de l’Est. p

propos recueillis par c. my

« Les médecins ont multiplié

les casquettes »

La notion de consentement volontaire apparaît pour la première fois dans le Code de Nuremberg, établi lors du procès contre les médecins nazis en 1947. Elle est ensuite reprise en 1964 dans la déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale, visant à énoncer les principes éthiques encadrant la recherche médicale. Elle associe le consentement à l’intérêt de l’individu, et introduit une dérogation en cas d’incapacité de la per-sonne à consentir. Elle est aussi à l’origine de la création des comités d’éthique auxquels doit être soumis tout projet de recherche médicale.En France, l’obtention du consentement pour la recherche médicale a été rendue obligatoire en 1988, par la loi Hu-riet-Sérusclat. Ce consentement doit être libre et informé, c’est-à-dire que le patient est libre de réfléchir et reçoit l’information la plus objective et la plus compréhensible possible. Son encadrement est régulièrement révisé à mesure que la société et la pratique médicale évoluent. La loi Kouchner de 2002 concerne le soin. Elle introduit la notion de décision conjointe entre le médecin et le malade et son droit de refus, faisant évoluer la notion de consentement vers la notion de choix.

Dans l’intérêt de la personne

Une « déclaration de mission » informerait le patient des risques

sur ses données et sur la gouvernance

des biobanques

É V É N E M E N T | SCIENCE & MÉDECINE | Mercredi 9 décembre 20150123 | 5

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6 | 0123Mercredi 9 décembre 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | R E N D E Z - V O U S

Les Simpson, forts en maths

l e l i v r e

Les aventures des personnages de Matt Groening sont truffées de références mathématiques

hervé morin

Un complot pour éduquer secrète-ment les spectateurs de dessins ani-més. » A la lecture du nouveau livredu journaliste scientifique britanni-

que Simon Singh, Les Mathématiques des Simpson, David X. Cohen, un des auteurs de la série américaine, est passé aux aveux. Dans une vie antérieure, il a étudié la robotique et l’informatique à Harvard et Berkeley. Comme nombre de scénaristes des aventures de Bart, Homer, Marge, Lisa, Maggie et des habitants de Springfield, David Cohen est un nerd, un passionné de sciences, et de mathématiques en particulier. Et tout comme eux, il ne peut s’empêcher de truffer les épisodes de référen-ces plus ou moins cryptiques à sa discipline favorite – quand il ne fait pas de celle-ci le moteur des rebondissements ou de l’intrigue.

L’équipe qui imagine et fabrique la série créée en 1987 par le dessinateur Matt Groe-ning compte en effet une concentration impressionnante d’obsédés des chiffres, d’anciens « mathlètes » (adeptes de tournois mathématiques), qui ont parfois fait de la re-cherche académique avant de succomber aux sirènes d’Hollywood. Simon Singh, qui s’était illustré naguère en publiant une brillante His-toire des codes secrets, était tout indiqué pour dévoiler l’entreprise de recérébration du grandpublic menée à son insu par ces agents du soft power américain.

Des fractales aux nombres premiersSouvent subliminale, la présence des mathé-

matiques dans l’univers des Simpson n’a pas échappé aux aspirants au « nerdvana », le pa-radis des nerds. Des universitaires, cités par Singh, utilisent la série pour nourrir leurs cours. Et des fans scrutent chaque épisode, té-lécommande en main, pour stopper la diffu-sion dès que des nombres ou des indices plus anodins apparaissent à l’écran, qui sont autant de défis et références lancés à leur sagacité. Pour le béotien, Simon Singh fait défiler au ra-lenti ces extraits, dont il expose toute la pro-fondeur : de Pythagore à Stephen Hawking, en passant par Fermat ou Cantor, des fractales aux nombres premiers, sans oublier les statis-tiques du base-ball, un autre monde se révèle derrière celui en 2D de Springfield.

Pourquoi ces auteurs montrent-ils un tel ta-lent pour inventer des blagues qui marient non-sens et condition humaine ? L’un d’eux offre une double réponse à Singh. Ses collè-gues nerds brûleraient de prouver qu’ils ont du cœur. Mais aussi, explique-t-il, parce que « plus vous pensez à la logique, plus vous avez du plaisir à la tordre et à la déformer. Je pense que l’esprit logique trouve un énorme humour dans l’illogisme ». Leur génie, c’est de savoir glisser cette fausse logique dans des situations compréhensibles par le grand public. On me-surera l’écart entre l’humour purement ma-thématique et celui, plus universel, des Simp-son, grâce à une série de blagues que Simon Singh propose en guise de test. Mais sans doute une part de leur saveur a-t-elle été per-due lors de la traduction, qui parfois montre quelque faiblesse – seul regret concernant un livre qui se dévore comme un doughnut. p

« Les Mathématiques des Simpson », de Simon Singh (Télémaque/Science & Vie, 306 p., 22 €).

Comment venir à bout des graffitis dans les toilettesqu’ils en laissent des graffitis sur les murs. L’habitude n’est pas nouvelle puisqu’on en a retrouvé à Pompéi et à Herculanum, comme ce magnifique « Apollinaris medicus Titi Imp hic caca-vit bene ». Précisons, à l’intention des non-latinistes ou de ceux qui ont calé une armoire avec leur Gaffiot, que ce mot n’évoque pas les aventures de Titi et Grosminet mais signifie : « Apollinaris, médecin de l’empereur Titus, a ici bien chié. » Tout comme l’appétit vient en mangeant, la scato-logie vient en se soulageant…

De la même manière, il faut détrom-per ceux qui croiraient, en lisant le court mot « Mentula V HS », que les Romains avaient déjà des cassettes vidéo. Non, cela dit simplement : « Une bite pour 5 sesterces. » A tout point de vue, on n’a donc rien inventé.

Il n’en reste pas moins que les graf-fitis déposés par les artistes de tartis-ses finissent par coûter fort cher en frais de peinture et de ravalement in-térieur. Il fallait par conséquent que le Superman des temps modernes, j’ai nommé la science improbable, s’en mêle, en la personne de Steuart Watson, de l’université du Missis-sippi, qui, à l’occasion d’une mémo-

rable étude publiée en 1996 par le Journal of Applied Behavior Analysis, a trouvé la solution miracle pour ve-nir à bout des poètes et dessinateurs de goguenots. La menace de sanc-tions ne donnant rien – si ce n’est un « Il est interdit d’interdire » narquoise-ment tagué sous un panneau interdi-sant les graffitis –, ce spécialiste de psychologie a tenté une approche plus subtile.

Le terrain d’expérimentationLe chercheur a pris pour terrain

d’expérimentation trois toilettes pu-bliques pour hommes situées sur un campus universitaire américain. Pourquoi uniquement pour hommes et pas aussi pour dames, diront les te-nants de la parité ? Pour qui n’a ja-mais fréquenté les W.-C. réservés aux membres du sexe fort, rappelons qu’en plus de ressembler à une por-cherie après l’orage, l’endroit montre que ces messieurs sont passés cham-pions dans l’art d’étaler bêtises, insul-tes et cochoncetés sur les murs, le tout avec une maîtrise du graphisme et de l’orthographe digne d’élèves de CP. M. Watson a commencé son étude en faisant repeindre les murs. Puis il

a compté à quelle vitesse les éphémè-res occupants des lieux les retapis-saient – jusqu’à 125 caractères ou dessins par jour.

Fort de ces statistiques, il a fait don-ner un nouveau coup de peinture, mais cette fois en affichant un petit panneau expliquant qu’un médecin du cru avait accepté de verser une certaine somme d’argent à une orga-nisation caritative célèbre aux Etats-Unis – United Way of America – « pour chaque jour où ces murs [reste-raient] vierges de tout message, des-sin, ou de toute autre marque. Nous apprécions grandement votre soutien à United Way ». Le médecin en ques-tion n’était autre que l’auteur de l’étude. Quant à la somme, il s’agissait de 5 cents par jour – la science est pauvre, ou radine, ou les deux.

Puis le chercheur a attendu. Et, pen-dant les trois mois qu’a duré l’expé-rience, son « graffitogramme » est resté désespérément plat et chaque mur immaculé. Là où les menaces et interdictions avaient échoué, l’appel à la générosité et à l’altruisme avait rem-porté un éclatant succès. On suppose que l’auteur s’est dit en conclusion : « Elémentaire mon cher Watson. » p

Pluton sousla loupe

De nouvelles images spectaculai-res de Pluton, prises le 14 juillet par la sonde américaine New Ho-rizons, viennent d’être mises en ligne par la NASA. Ce sont les pre-mières d’une série de photogra-phies dont l’Agence spatiale amé-ricaine indique qu’elles offriront la meilleure définition disponi-ble, avec des pixels correspon-dant à des détails de 80 mètres. Elles concernent une bande ver-ticale d’environ 80 kilomètres de large. Le cliché ci-contre présente la frontière entre la plaine Spout-nik et une zone montagneuse formée par de vastes amas de glace d’eau. p

Jadis, cette chronique s’est de-mandé si lire aux toilettes étaitbon pour la santé. Après la ques-tion de la lecture, il fallait se poser celle de l’écriture au petit

coin, et notamment dans les latrines publiques, ces lieux dont les occu-pants prennent tellement leurs aises

Conférence« Ensemble, pour l’avenir des grands singes »Primatologue au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, Sabrina Krief y organise, le 12 décembre, une conférence sur la sauve-garde et à la protection des grands singes, dont les populations sont menacées en Asie et en Afrique. Elle présentera notamment les ré-sultats d’un projet de protection des chimpan-zés sauvages engagé à Sebitoli, en Ouganda.

> Samedi 12 décembre, Muséum d’histoire naturelle, entrée libre sur inscription : mnhn.fr/avenir-des-grands-singes

Agenda

NASA/JHUAPL/SWRI

a f f a i r e d e l o g i q u e

improbablologie

Pierre Barthélémy

Journaliste et blogueurPasseurdesciences.blog.lemonde.fr

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R E N D E Z - V O U S | SCIENCE & MÉDECINE | Mercredi 9 décembre 20150123 | 7

Pier Vincenzo Piazza,accro à l’addiction

p o r t r a i t | Ce neuroscientifique non conformiste reçoitle Grand Prix Inserm pour ses travaux sur la toxicomanie

Le camouflage électriquede la seiche

z o o l o g i e

nathaniel herzberg

Le camouflage est un art. La peau ducaméléon, les écailles du lézard dessables, les plumes de l’engoulevent dudésert ou le pelage du lynx roux en

offrent, entre autres, de saisissants exemples. Quant à la seiche commune, elle aurait pres-que sa place au musée, tant l’apparence de sa peau peut changer en quelques secondes (mo-tifs, couleurs, texture) et passer d’un tableau pointilliste à un monochrome de Malevitch.

Le camouflage est aussi une science. Et là encore, ce céphalopode habitué de nos assiet-tes surpasse tous ses rivaux. Une équipe de l’université Duke, aux Etats-Unis, vient en ef-fet de montrer comment, tel un sous-marin militaire, il réduit sa signature électrique pour échapper à ses prédateurs les plus redoutés : les requins. Publié dans la revue Proceedings of the Royal Society B, l’article offre un nou-veau regard sur l’animal.

Les biologistes marins avaient déjà large-ment décrit ses réactions face à la menace. Une large gamme allant de la simple fuite au fameux jet d’encre, en passant par l’immobi-lité complète. C’est à cette dernière stratégie que les chercheurs américains se sont attelés. Attaquée par un requin, la seiche a, en effet, peu de recours. Détaler ? Inutile, le squale la rattrapera. Changer d’apparence ou se cacher dans son nuage sépia ? Vain, là encore. Car l’œil ne constitue pas le principal organe de détection du requin. Il lui préfère les narines, et surtout ces petits capteurs installés au bout du museau, sensibles au champ électri-que dégagé par ses proies.

Comme chez tous les êtres vivants, les échanges ioniques dans l’organisme de la sei-che, et plus particulièrement dans ses bran-chies, produisent de tels champs. Mais elle vit dans l’eau salée, un excellent conducteur. Et dispose de trois grands orifices : une bouche constamment ouverte ; des plis cillaires, par lesquels elle aspire l’eau ; et un entonnoir, par lequel elle la rejette. A moins de 50 cm, elle li-bère donc une tension électrique que les cher-cheurs de Duke ont située dans une fourchette de 10 à 30 millivolts (mV). C’est peu, mais déjà trop : les biologistes ont installé un dipôle élec-trique simulant cette situation dans un aqua-rium et vu les requins se jeter sur le dispositif.

« Pour éviter ce danger, la seiche a trouvé unedouble parade, explique Christine Bedore, pre-mière signataire de l’article, désormais profes-seure à la Georgia Southern University. Elle se statufie, réduit sa respiration. Et ferme les écou-tilles. Ses huit bras forment un cône qui fait par-tiellement obstacle au champ électrique. » Infé-rieure à 6 mV, la tension échappe au radar du requin, ont cette fois constaté les chercheurs.

Pour Ludovic Dickel, professeur d’éthologie àl’université de Caen et spécialiste des céphalo-podes, « cette étude est à la fois très belle et très innovante : questionner ainsi la proie et le pré-dateur présente une grande élégance ; surtout, l’article met en évidence un comportement inconnu jusqu’ici. Ces animaux sont vraiment des extraterrestres. »

Une autre planète ? « La seiche peut accomplirdes tâches qui nous sont familières, et que l’on n’imagine pas chez un cousin de l’huître, comme apprendre à se déplacer dans un laby-rinthe, le mémoriser, note Ludovic Dickel. Mais surtout, elle sait faire des choses dont nous sommes incapables : modifier l’apparence de sa peau, discerner la polarisation de la lumière, et contrôler sa signature électrique. Il n’y a plus de place pour l’anthropomorphisme. C’est sa façon de voir le monde qu’il faut étudier. »

Une tâche à laquelle Christine Bedore va elleaussi s’atteler. Sans abandonner tout à fait sa passion d’origine, les requins. « Mais je crois que leurs proies vont m’occuper un moment… Disons une bonne partie de ma vie. » p

Seiche commune de la mer des Moluques.DANIEL SELMECZI/STEVE BLOOM/BIOSPHOTO

florence rosier

L’Italie, bien sûr : cet accent co-loré, ce goût du rire, cette élé-gance de l’habit et de l’esprit…Mais aussi la Sicile, terre volca-nique et stratégique, de séces-sion parfois. De son île natale,

Pier Vincenzo Piazza a hérité une allure et un tempérament. Il y mêle une touche person-nelle, faite d’exigence intellectuelle et d’opi-niâtreté. « Pier Vincenzo Piazza a l’allure du Sudet la rigueur du Nord », résume le professeur Amine Benyamina, psychiatre, responsable du Centre d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif (Val-de-Marne).

Mardi 8 décembre, le professeur Piazza,54 ans, recevait le Grand Prix Inserm 2015« pour l’ensemble de ses recherches sur les mé-canismes physiopathologiques des maladiespsychiatriques ». Le 24 novembre, l’Académie des sciences l’honorait du prix Lamonica de neurologie.

C’est dans la voie des addictions, et des rai-sons pour lesquelles certains y sont plus vul-nérables que d’autres, qu’il s’est illustré. Une voie jalonnée, depuis 1989, par six publica-tions dans la revue Science, et quelques autres dans PNAS et Nature Neuroscience. « Le doc-teur Piazza est, au plan international, un des experts les plus reconnus de la recherche en ad-dictologie, estime le professeur Yavin Shaham,responsable des neurosciences comporte-mentales du National Institute on Drug Abuse(NIDA), à Baltimore (Etats-Unis). Ses nombreuxtravaux publiés, issus de l’étude de modèles ani-maux, ont eu un impact notable sur l’orienta-tion des recherches de ce domaine. » Travaux que Pier Vincenzo Piazza résume ainsi : « Une des principales contributions de mon groupe a été de révéler l’existence d’une vulnérabilité bio-logique individuelle à la toxicomanie – il y a vingt-cinq ans, ce concept n’était pas du tout évident – et d’en démonter les mécanismes. »

La recherche : une évidence de toujours. « Lapremière fois que j’ai dit que je voulais être cher-cheur, j’avais 4 ou 5 ans. J’ignore d’où cela m’est venu. » Peut-être d’un arrière-grand-père pro-fesseur de médecine et chercheur, mort quel-ques mois plus tôt. Pier Vincenzo Piazza a grandi dans un environnement où la connais-sance était très présente : un père architecte ingénieur, une mère ayant fait son droit.

Après des études de médecine et de psychia-trie à Palerme, Pier Vincenzo Piazza arrive en France en 1988, pour un postdoctorat dans le laboratoire du professeur Michel Le Moal, membre de l’Académie des sciences et qui serason mentor à Bordeaux. Michel Le Moal a di-rigé en France les premiers laboratoires dévo-lus à des recherches sur la psychobiologie de l’adaptation, la résilience et la vulnérabilité, etcréé la psychopathologie expérimentale « Je devais rester six mois à Bordeaux, j’y suis tou-jours », dit Pier Vincenzo Piazza. Son parcours sera fulgurant. Moins d’un an après son arri-vée, il publie son premier article dans Science. L’année suivante, il intègre l’Inserm.

Pier Vincenzo Piazza dirige aujourd’hui leNeurocentre Magendie de l’Inserm à Bor-deaux, spécialisé dans les études intégrées en neurosciences, qui regroupe 192 personnes. « Il est mon plus brillant élève, c’est naturelle-ment qu’il m’a succédé à la tête de ce centre, dit Michel Le Moal. Par nature, c’est un entrepreneur. Il est toujours sur la crête, insa-tiable dans sa quête de nouveauté. »

« Ce qui caractérise le docteur Piazza, analyseYavin Shaham, c’est son opiniâtreté, alliée àson indépendance d’esprit. Brillant et créatif, il n’hésite pas à remettre en cause les dogmes et les chercheurs influents de son domaine. » L’in-téressé souligne, lui, la dimension dissidente de la recherche, par essence. « Un chercheur qui découvre s’oppose toujours à une vision préexistante. Un postdoc peut découvrir qu’un Nobel a tort ! Il faut alors rester imperméable à la stature de ceux dont on remet en cause les travaux. » Ce côté iconoclaste a un prix : « On lepaie, notamment la première fois qu’on va à uncongrès. »

Mais, ajoute Pier Vincenzo Piazza, ce non-conformisme doit s’accompagner d’une grande humilité : « Il arrive qu’on se trompe. Il faut rester ouvert aux critiques. » Un équilibre un peu compliqué, reconnaît-il. « Un cher-cheur est un mélange d’explorateur immobileet d’artiste, qui veut convaincre que sa vision dumonde est la vraie. »

L’enjeu de ses recherches ? Découvrirpourquoi certaines personnes, après une con-sommation récréative de drogue, basculent dans l’addiction et d’autres non. Si vous fu-mez une fois, vous avez 33 % de risque de dé-velopper une addiction au tabac. Pour la co-caïne, l’héroïne et l’alcool, ce taux est de 25 % ; pour le cannabis, de 15 %. La consommation de drogues est un comportement « normal » : il est présent chez toutes les espèces, du ver deterre aux primates, en passant par la mouche, le poisson et les rongeurs.

Le passage vers l’addiction se fait en troisétapes, raconte le chercheur. L’utilisation ré-créative est la première : 80 % des gens y sontvulnérables. Le passage à l’abus, avec une consommation chronique, marque la deuxième étape : les effets indésirables (phy-

siologiques et comportementaux) de la drogue se font sentir, mais on maîtrise sa consommation. On bascule dans la vraie toxicomanie quand on ne parvient plus àcontrôler sa prise de drogue : le comporte-ment se focalise sur la quête de cette subs-tance, quitte à payer un prix très élevé.

Ce n’est pas le même type de vulnérabilitéqui favorise le passage de la première à la deuxième étape, puis de la deuxième à la troi-sième. « Le stress et les événements de vie néga-tifs augmentent le risque de passer à l’abus. Chez les individus exposés au stress, le système

dopaminergique [un des circuits cérébraux de la récompense] est hyperactif : il incite d’autantplus à consommer une drogue. » Chez l’animal,un stress prénatal rend l’adulte vulnérable à l’abus de drogues.

Ensuite, c’est une « perte de la plasticité sy-naptique » qui explique le basculement vers l’addiction. « Chez les animaux qui dévelop-pent une addiction, les synapses sont devenues incapables de faire de la “dépression à long terme”. Cela se traduit par le fait que ces ani-maux ne parviennent plus à sortir du comportement addictif. » Ceux qui résistent à l’addiction, en revanche, récupèrent cetteplasticité altérée sous l’effet de la drogue.

En 2014, le groupe de Pier Vincenzo Piazzadécouvre qu’une hormone produite par le cer-veau, la prégnénolone – un neurostéroïde –,

constitue un mécanisme naturel de défense contre les effets néfastes du cannabis chezl’animal. Comment ? Elle empêche le principe actif du cannabis, le tétrahydrocannabinol (THC), d’activer pleinement ses récepteurs cé-rébraux. Un rétrocontrôle négatif, puisque c’est le THC lui-même qui déclenche la pro-duction de prégnénolone, qui à son tour in-hibe les effets du THC.

L’identification de ce mécanisme débou-chera-t-il sur un traitement des addictions au cannabis ? Pier Vincenzo Piazza a créé une start-up à cette fin. « Nous avons développédes dérivés de la prégnénolone stables et bienabsorbés : ils pourraient être utilisablescomme médicament. » Avec l’une de ces molé-cules, les tests comportementaux se sont montrés favorables chez les rongeurs et le singe. « Nous avons demandé à l’Agence amé-ricaine du médicament [FDA] l’autorisation de mener des essais chez l’homme. » Si tout va bien, ces essais pourraient démarrer au se-cond semestre 2016 chez des volontaires sains, dans un premier temps.

« Le docteur Piazza a probablement mis ledoigt sur un mécanisme qui pourrait révolu-tionner le domaine des addictions », estime le professeur Benyamina, qui se dit « impa-tient » de participer aux essais cliniques éva-luant cette voie.

Pour lutter contre la toxicomanie, la Francedépense 1,5 milliard d’euros, dont 19 millionspour la recherche. Le signe, selon le docteurPiazza, que « la toxicomanie, dans l’incons-cient collectif, reste perçue comme un vice, non comme une véritable maladie psychiatri-que ». On dépense beaucoup dans la préven-tion, qui « ne marche pas très bien en France, parce que nous ne sommes pas une sociéténormative ». Mieux vaudrait, selon lui, dépla-cer nos efforts de prévention vers des efforts de détection précoce des sujets qui basculentdans l’addiction. p

L’enjeu de ses recherches : découvrir pourquoi certaines

personnes basculent dans l’addiction et d’autres non

Pier Vincenzo Piazza, directeur du Neurocentre

Magendie, à Bordeaux.RODOLPHE ESCHER POUR « LE MONDE »

Page 36: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

8 | 0123Mercredi 9 décembre 2015 | SCIENCE & MÉDECINE |

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SOURCES : ORANGE; INSTITUT LANGEVININFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER

Le principeLe parcours mouvementé d’une onde – réflexions, réverbérations, écho – est enregistré par plusieurs antennes. Puis ces signaux, mêlés au message, sont « réémis » à l’envers en commençant par les derniers reçus. Les équations de propagation des ondes font que le rayonnement résultant se concentre autour du point d’émission.

Pour les véhiculesAfin de tenir compte des déplacements rapides de voitures ou de trains, les ingénieurs doivent ajouter une seconde antenne derrière la première afin que la focalisation se fasse sur elle et assure une bonne transmission.

Antenne-relais

Emission du messagemélangé avec les signaux retournés

Panneau de réceptionconstitué de plusieursantennes

Téléphone

Impulsion« d’apprentissage »

Téléphone

Déplacementde la voiture

AntenneAntenneémettrice

Antenneréceptrice

Enregistrement des signauxpar plusieurs antennes

Temps

AA

BB

CC

DD

A

B

C

D

Retournement des signaux

Ces dernières années, le terme « adapta-tion » fait florès, et il suffit d’écouter lesmédias et les décideurs pour se con-vaincre de son caractère désormaisprioritaire. Pour autant, s’agit-il d’unetotale nouveauté ? Bien qu’il s’agisse

d’un terme anachronique, l’historien observe plu-sieurs siècles d’exemples d’adaptation qui prouvent que les sociétés anciennes, confrontées à des « dé-rangements » ou encore des « monstruosités » du temps, ne se cantonnèrent pas à un comportement fataliste hérité du providentialisme.

Le disciple de Clio (muse de l’Histoire) constateégalement qu’il y a rarement monocausalité. Si le facteur climatique joue un rôle dans une catastro-phe, c’est toujours conjugué à d’autres causes, le plussouvent anthropiques comme les conflits, la spécu-lation sur les marchés, les tensions politiques ouencore les aménagements aberrants des territoires.

Lorsque les Vikings colonisent l’Islande et leGroenland à dater du Xe siècle, ils ne font que profi-ter opportunément du petit optimum thermique médiéval qui libère les routes maritimes de l’Arcti-que. Et les coups de boutoir du petit âge glaciaireconduisent à l’abandon, au XIVe siècle, des colonies scandinaves désormais incapables de faire face à la disparition des pâturages et à la fermeture des détroits septentrionaux. Il faudra attendre le XVIIIe siècle et son relatif « attiédissement » pourvoir à nouveau débarquer des colons.

D’une actualité brûlante pour une Europe con-frontée à l’arrivée massive de réfugiés, l’exemple de l’expulsion des musulmans d’Espagne par Phi-lippe III en 1609 prouve la complexité des mécanis-mes de migrations massives. Contre toute attente, leroi Très-Chrétien Henri IV les accueille en recom-mandant, par l’ordonnance de février 1610, « qu’ilsoit usé en leur endroit d’humanité pour les recueillir en ses pays et estats ». Les choses se gâtent néan-moins avec l’arrivée de dizaines de milliers de nou-veaux exilés, dans un très mauvais état sanitaire, qui provoquent la saturation des hôpitaux et l’appa-rition d’épidémies.

C’est dans ce contexte social et religieux explosifque survient un cycle de sécheresses d’une gravité exceptionnelle au cours des années 1611-1614. Endépit des processions pro pluvia, rien n’y fait, l’ari-dité persiste, et l’on ne tarde pas à incriminer les « morisques ». Soumises à la pression de la popu-lace, les autorités décident à leur tour de les exilerdepuis Agde et Sète en direction de l’Afrique duNord où, si l’on excepte le dey de Tunis, ils seronttrès mal accueillis ou même victimes des corsaires barbaresques.

Pour trouver des exemples plus positifs d’adapta-tion, il convient de changer d’échelle spatiale et de se tourner vers le terrain local, qui offre pléthore d’exemples. La plupart d’entre eux procèdent d’une réaction à des catastrophes vécues qui conduisentles communautés à faire preuve d’une étonnante résilience fondée sur des réflexes collectifs et indivi-duels allant de l’alerte sonore (clochers et sirènes) etde la mise en sécurité quasi immédiate des person-nes dans des secteurs « insubmersibles de mémoire d’hommes » à la création de paysages plus durables comme le bocage ou les zones humides.

Un programme de recherche européen sur les ris-ques de submersion, RISC-Kit, pour lequel l’exper-tise historique est jugée primordiale, révèle ainsi la création de paysages littoraux européens adaptés aux risques. En construisant des espaces constitués d’épis à même d’engraisser les plages menacées par l’érosion, de zones humides pâturées, d’écluses à

poissons faisant aussi office d’ouvrages de défensecontre la houle, et enfin de noyaux urbains et villa-geois installés sur des sites élevés et éloignés du traitde côte, nos devanciers offrent une preuve supplé-mentaire de cette aptitude historique à l’adaptation.

Peut-on également imaginer que, dans les années1780, le libraire Hardy écrive dans son journal que les Parisiens ont coutume d’observer l’échelle de crues du pont de la Tournelle, sur laquelle sont reportés les niveaux maximaux de la Seine depuis le XVIIe siècle ?En fonction de ces observations, ils décident de s’ins-taller à l’étage avec des vivres ou d’évacuer leurs logis.

A Toulouse, au XVIIIe siècle, les habitants des quar-tiers exposés aux inondations de la Garonne savent qu’ils doivent atteindre la rue des Couteliers pour leur sauvegarde. Là, les établissements religieux ontobligation de les accueillir et de les nourrir. Et afin

que tous se souviennent de ces événements, desex-voto commémoratifs étaient déposés à l’égliseNotre-Dame de la Dalbade, qui en conserve encoreaujourd’hui un nombre impressionnant.

Pour autant, les archives doivent-elles seulementraconter des histoires qui seraient autant d’orne-ments de la cause climatique ? Ce serait réserver à Clio un sort bien dévalorisant au regard de tous les horizons qu’elle peut ouvrir en matière d’adapta-tion opérationnelle. En premier lieu, elle doit parti-ciper au combat contre le « dogme de l’inédit », qui tend à expliquer nos catastrophes récentes par leseul changement climatique. Approche perverse s’il en est puisqu’elle implique une causalité certaineentre l’un et l’autre et, par là même, une forme d’ins-trumentalisation occultant des décennies d’aména-gements insensés à l’origine de la vulnérabilité denos territoires et de leurs habitants. Le paradoxe veut que plus de vingt ans de gouvernance climati-que mondiale aient souvent abouti à des processus de déconstruction des paysages durables.

Comme l’avait déjà montré en 2010 un rapport his-torique rendu aux commissions d’enquêtes parle-mentaire et sénatoriale sur la catastrophe Xynthia etresté lettre morte depuis, les archives auraient per-mis de renforcer la résilience des populations expo-sées en livrant de précieux retours d’expériences. Le premier d’entre eux concerne les systèmes d’alertes communautaires anciens qui tranchent avec la vi-sion pyramidale des procédures actuelles, entière-ment fondées sur des réseaux de transmission vul-nérables. Enfin, l’observation du cadastre napoléo-nien des communes touchées le 5 octobre 2015aurait montré que les prés et pâtures, non cultivées et inhabitées au XIXe siècle, correspondaient aux limites des zones inondables, celles-là mêmes quifurent en partie urbanisées à dater des années 1980.

A l’instar de ce qui se pratique en Allemagne ou auRoyaume-Uni, des repères de crues historiquessanctuarisés par la loi et de taille imposante auraient sans doute dissuadé élus et promoteurs d’ybâtir. Dans cette perspective, quasi prophétique est la déclaration de l’expert du cadastre quand il écrit en 1811, à propos de Mandelieu, que « son territoire est fréquemment submergé par les eaux de la Siagne et par celles des torrents qui descendent des monta-gnes et qui les couvrent presque entièrement pendantplusieurs mois de l’année… ». p

« Au cours des années 1611-1614, c’est dans un contexte social et religieux explosif

que survient un cycle de sécheresses d’une gravité exceptionnelle.

En dépit des processions “pro pluvia”, rien n’y fait, l’aridité persiste, et l’on ne

tarde pas à incriminer les “morisques” »

¶Emmanuel Garnier,membre senior de

l’Institut universitaire de France, directeurde recherche CNRS, historien du climat

et des risques au laboratoire Littoral, environnement et sociétés (LIENSs, CNRS/universitéde La Rochelle).

Pour l’historien du climat Emmanuel Garnier, les catastrophes dues à des phénomènes climatiques ont toujours été intimement liées à des causes anthropiques

Réchauffement : apprendre du passé pour mieux s’adapter| t r i b u n e |

Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à

[email protected]

Une antenne-relais qui suit l’utilisateurLa norme 4G de téléphonie ne s’est pas encore répandue partout que déjà les opérateurs envisagent la norme suivante. Orange a ainsi présenté, le 1er décembre, lors de son Salon annuel de la recherche, une nouvelle antenne dont l’émission se concentre précisément sur le téléphone de l’utilisateur, au lieu de rayonner dans tout l’espace comme aujourd’hui. Ce faisant, la consommation d’énergie espérée pourrait être jusqu’à deux fois moindre qu’à l’heure actuelle. « C’est comme éviter de monter le volume d’un haut-parleur pour se faire entendre », explique Dinh-Thuy Phan Huy, ingénieur chez Orange Labs à Issy-les-Moulineaux. Le prototype a été développé par l’Institut d’électronique et de télécommunications de Rennes, Télécom Bretagne, Thales, deux universités suédoises, l’entreprise Time Reversal Communications et l’Institut Langevin, à Paris. C’est de ce dernier laboratoire qu’est venue l’idée originelle, le retournement temporel. Démontré au début des années 1990 sur les ultrasons, puis le son, pour améliorer les communications ou l’imagerie, il fonctionne aussi avec les ondes électromagnétiques, à condition de disposer d’une électronique mille fois plus rapide. Il permet de renvoyer un signal exactement sur l’endroit d’où il est parti. Le système, protégé par quatorze brevets, fonctionne pour l’instant en intérieur, mais Orange entend poursuivre les développements pour l’extérieur. p

david larousserie

Page 37: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

Cahier du « Monde » No 22051 daté Mercredi 9 décembre 2015 - Ne peut être vendu séparément

PLEIN CADRELE SPLEEN

DES AGENCES

BANCAIRES

→ LIRE PAGE 2

CONCURRENCELES ÉTATS-UNISMETTENT UN FREINAUX GRANDES FUSIONS→ LIRE PAGE 3

PERTES & PROFITS | EDF – KLÉPIERRE

Transition énergético-commerciale

Le contraste est évidemment saisissant.Le géant EDF, près de 73 milliardsd’euros de chiffre d’affaires,160 000 employés, sorti du ring par le

petit Klépierre, 900 millions d’euros d’activité et moins de 1 200 employés. Les centrales nu-cléaires terrassées par des centres commer-ciaux, presque cent fois plus petits. Certes, le CAC40 n’est pas un concours de beauté. Il n’empêche, le symbole parle de lui-même. Dans la France d’aujourd’hui, l’immobilier rap-porte plus que l’énergie.

Il faut dire que le profil d’EDF a tout ce qu’ilfaut pour effrayer les investisseurs. Une entre-prise certes très puissante, mais extrêmement endettée, alors qu’elle fait face à un mur d’in-vestissement pour rénover ses centrales (50 milliards d’euros) et en construire de nou-velles (jusqu’à 200 milliards d’euros) dans les vingt ans qui viennent.

Lassitude des investisseursDe plus, sa marge de manœuvre est très con-trainte par l’Etat, qui rogne ou refuse régulière-ment les hausses de tarifs qu’elle propose. En-fin, la part de flottant dans le capital, c’est-à-direles actions susceptibles d’être achetées par le public, est très faible. Moins de 15 % du capital.

L’introduction en Bourse en 2005 avait per-mis à l’entreprise de lever 7 milliards d’euros. Une somme consacrée, déjà, au désendette-ment et au renforcement des fonds propres.On ne peut pas franchement dire que l’opéra-tion a été une réussite. La dette, jugée insup-

portable en 2005, est passée de 20 milliards à l’époque à plus de 37 aujourd’hui. La crise éco-nomique, Fukushima et les dérapages de l’EPRsont passés par là.

Pas étonnant, donc, que les investisseurs selassent. D’autant que les analystes anticipent une baisse des dividendes, dont l’Etat sera la première victime. Si les responsabilités sontpartagées entre l’Etat et l’entreprise, l’échec est patent. La forte croissance du groupe, avec un chiffre d’affaires augmenté de 55 % en dix ans, n’a pas été maîtrisée.

En face, la petite Klépierre surfe sur la bonnesanté des centres commerciaux en Europe. Un concept résistant à la crise. Son métier consiste à financer la construction d’installations ou à en acheter des existantes, et à se rémunérer surles loyers des marchands. Un métier de rentier encadré lui aussi par l’Etat, avec le statut avanta-geux des sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC), exonérées d’impôt sur les revenuspour peu qu’elles reversent 85 % des loyers àleurs actionnaires.

Les esprits chagrins noteront que, désormais,le panthéon de la Bourse de Paris, le CAC40, abrite deux sociétés de ce type, Unibail-Ro-damco et Klépierre, rois des centres commer-ciaux en Europe, et plus qu’un seul fournisseurd’électricité, Engie, lui aussi en petite forme. Onse souvient que Napoléon, plein de mépris, avait traité, au début du XIXe siècle, la Grande-Bretagne de « nation de boutiquiers ». Que di-rait-il aujourd’hui de la France ? p

philippe escande

J CAC 40 | 4 726 PTS – 0,60%

J DOW JONES | 17 730 PTS – 0,66%

J EURO-DOLLAR | 1,0872

J PÉTROLE | 41,05 $ LE BARIL

J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,90 %

VALEURS AU 08/12 – 9 H 30

Pas de taxe sur les transactions financièresà Noël

bruxelles - bureau européen

N’ en déplaise à NicolasHulot, qui jugeait en-core l’outil « indispen-

sable » dans une interview au Nouvelobs.fr, lundi 7 décembre, il n’y aura pas de taxe sur les tran-sactions financières (TTF) sous le sapin, contrairement à la pro-messe faite par Paris et Bruxelles début 2015. Et Paris ne pourra pas s’en prévaloir, en pleine négocia-tion sur la COP21.

Un accord « politique » devaitcertes être signé « à l’arraché » à Bruxelles, mardi 8 décembre aumatin, après une énième réu-nion, la veille au soir, entre lesministres des finances des onze pays européens concernés par ce projet d’impôt applicable uni-quement aux établissements fi-nanciers (pas aux particuliers ni aux entreprises). Le présidentHollande avait dit vouloir affec-ter ses recettes au développe-ment et à la lutte contre le chan-gement climatique.

Mais les grands argentiers alle-mand, français, espagnol, portu-gais, italien ou encore belge ne se sont entendus que sur des « gran-des lignes » dont ils discutent de-puis déjà des mois : une « assiette de l’impôt » très large (actions,obligations, dérivés) et des exemptions possibles.

cécile ducourtieux

→ LIRE L A SUITE PAGE 4

0,1 %LA PART DES ACTIONS

ET OBLIGATIONS IMPOSÉE

DANS LE PROJET DE TAXE SUR

LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES

Dix ans après son entrée en Bourse, EDF est banni du CAC 40▶ L’électricien va être remplacé par Klépierre au sein de l’indice phare de la place de Paris. Un désaveu pour l’Etat

L a rumeur courait depuis plusieurssemaines, c’est désormais chosefaite : EDF va être exclu du CAC 40.

Après s’être réuni dans le plus grand se-cret, lundi 7 décembre, le conseil scienti-fique des indices, structure indépen-dante d’Euronext, a annoncé que le pre-mier électricien mondial ne ferait plus

partie de l’indice phare de la place de Pa-ris à partir du lundi 21 décembre.

Dix ans après son entrée en Bourse, le21 novembre 2005, et au terme d’un par-cours boursier en dents de scie, EDF va céder sa place à la foncière Klépierre,dont la capitalisation n’est pourtant que de 13,2 milliards d’euros, contre 24,7 mil-

liards pour EDF. La dernière « révolu-tion » dans le CAC 40 était intervenue en mars, quand PSA Peugeot Citroën avait remplacé le spécialiste français de la sé-curité numérique, Gemalto. C’est uncoup très dur pour Jean-Bernard Lévy, ar-rivé il y a tout juste un an à la présidence d’EDF. La réaction des dirigeants du

groupe a été lapidaire. Dans un commu-niqué, ils rappellent que l’entreprise reste« la 22e capitalisation boursière enFrance », mais qu’elle ne dispose « que d’un flottant limité à 15 %, ce qui explique la décision d’Euronext ».

jean-michel bezat

→ L IRE L A SUITE PAGE 4

TRISTAN PAVIOT/FTV

France Télévisions : Michel Field, patronde l’information▶ L’actuel directeur de France 5remplace Pascal Golomer à la tête de l’information de l’entreprise publique▶ Le journalisteva piloter la fusion des rédactionset le lancementde la chaîne d’info en continu

→LIRE PAGE 11

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CLIMAT L’URGENCE

Page 38: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

2 | plein cadre MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

0123

PRÈS D’UN TIERS DES FRANÇAIS

ESTIMENT EN SAVOIR PLUS QUE

LEUR RESPONSABLE DE COMPTE

SUR LA GESTION DE LEUR BUDGET

C’est une petite agence ban-caire, sur une rue pari-sienne très commer-çante. Ce vendredi demauvais temps, la portene cesse de s’ouvrir et de

se refermer. Dans l’étroit sas aux murs beiges se serrent cinq personnes devant des auto-mates. Ils attendent pour retirer des espèces,déposer un chèque, imprimer leur relevé de compte… Derrière eux, Julie (son prénom a été changé) attend aussi. Elle est chargée d’ac-cueil. Assise à un grand comptoir, elle fait tourner son stylo entre ses doigts. « Bien sûrqu’on entend des bruits comme quoi il y a de moins en moins besoin de nous », confie-t-elle.

Demander un renseignement, discuteravec un conseiller, encaisser des chèques : lesFrançais n’ont plus le réflexe de se rendre en agence. En 2010, ils étaient 52 % à y aller plu-sieurs fois par mois. Ils ne sont plus que 21 %

en 2015, d’après l’observatoire annuel de la Fédération bancaire française. « Dans les an-nées 1970, l’agence était le lieu unique où leclient faisait toutes ses transactions et venait demander du conseil », dit Axel Reinaud, as-socié au cabinet Boston Consulting Group (BCG).

Progressivement, les banques ont habituéles clients à faire leurs transactions à l’exté-rieur. Sur les automates, d’abord. Les Fran-çais jouissent d’un parc de 58 640 distribu-teurs, – dans la moyenne européenne –, qui adoublé en dix ans. « On a mis les clients de-hors ! », tempête Sébastien Busiris, secrétairegénéral de FO-Banques. Une manière, cer-tains rétorqueront, de satisfaire les attentes.Les banques investissent dans des espaces li-bre-service où des automates sont accessi-bles 7 jours sur 7. La Société générale veut en créer 550, pour qu’une agence sur trois endispose d’ici à 2020.

produit (assurance-vie, crédit immobilier…). « Les clients souhaitent davantage être assistésque conseillés. Ils sont arrogants, exigeants et ne pardonnent aucun écart dans le service ! », désespère un employé dans le cadre d’un son-dage Opinion Way effectué pour Kea & Par-tners le 24 novembre, auprès de 820 salariés du secteur. Pour 47 % des personnes interro-gées, la relation avec le client s’est détériorée ces dernières années. Plus de la moitié des employés sondés ont peur du nouvel envi-ronnement auquel est confrontée leur ban-que. Ils craignent de perdre leur emploi, d’êtredépassés et inutiles, et se plaignent de la pres-sion commerciale de la hiérarchie.

Si le digital a réduit la paperasserie et lacharge administrative des conseillers, il a aussi accentué l’exigence de rapidité des clients et l’impression de lenteur de l’agence. « Le client vous envoie un mail, une heure aprèsil téléphone pour dire : “Vous avez bien reçu mon mail ?” Pour peu qu’il l’envoie le samedi, l’agence est fermée le lundi, mardi il vous repro-che de ne pas avoir répondu en disant : “Je vousai écrit il y a trois jours” », dit Jean-Marc Wec-kner, délégué syndical à la Banque populaire.

Une impatience nourrie par la répartitiondes rôles entre Web et agences physiques. Auxapplications sur smartphones, la gestion quo-tidienne des comptes ; aux agences, le traite-ment des demandes complexes, « qui don-nent lieu à une suite d’allers-retours entre le client et les front-office et back-office », observeM. Reinaud, du BCG. Les banques veulent, àterme, numériser aussi les produits plus com-plexes. Les clients de la Société générale pour-ront bientôt souscrire un crédit à la consom-mation « entièrement online », se félicite Lau-rent Goutard, directeur de la banque de détail en France. Objectif : que cela soit possible pour tous les produits en 2020.

Que restera-t-il, alors, des bonnes vieillesagences ? Pas grand-chose. Des centres mu-tualisés, comme l’explique un directeur de ré-seau : « Si je ne vais plus qu’une fois par trimes-tre dans mon agence, je suis prêt à faire 500 mètres de plus en ville, 5 kilomètres en pro-vince. » Un moyen pour les établissements de faire baisser les coûts d’immobilier et de per-sonnel. Car, lors d’une fusion, la somme du nombre d’employés n’est pas toujours mathé-matique. Plusieurs responsables citent la for-mule « 4 + 4 donne 6 ».

Ces futures « super-agences », les banquesespèrent en faire des « flagships », des vitrinesrassurantes pour les clients. Les passants qui descendent l’avenue des Champs-Elysées voient « que l’agence Société générale est neuve, belle, grande, il y a des couleurs, il y a quatre distributeurs dehors. Elle n’a pas fermé les robinets », affirme Idris Hedaraly.

Le 25 novembre, LCL a inauguré en grandepompe le « 19 LCL », fruit de la rénovation de son siège boulevard des Italiens, à 300 mètresdu « 2 Opéra » de BNP. Enthousiaste, le direc-teur de l’agence, Pierre-Paul Cochet, espère que des clients des petites agences LCL du quartier voudront transférer leurs comptes dans le nouveau « flagship », « plus cool ». Leurs conseillers n’ont plus qu’à suivre. p

jade grandin de l'eprevier

A cela est venue s’ajouter la révolution de lagestion de comptes sur Internet, puis sur smartphone. Conséquence : « Alors que le nombre de transactions a explosé, les déplace-ments en agence ont diminué », constate Axel Reinaud.

Dès lors, les 37 623 agences que comptait laFrance fin 2014 sont-elles toujours pertinen-tes ? Pas vraiment, si l’on en croit le mouve-ment de fermetures amorcé depuis quelquesannées. En 2015, le Crédit agricole a fermé 50 de ses 325 agences en Ile-de-France. BNP a ré-duit son réseau de plus de 10 % depuis 2012, desources syndicales. La Société générale va fer-mer 400 agences d’ici à 2020, réduisant son réseau en moyenne de 20 % – cette part monte à 25 % dans les grands centres urbains.

Premiers affectés, les chargés d’accueil – quiaident les clients pour leurs opérations sim-ples – sont en voie de disparition. Il n’y en a déjà plus dans la moitié des agences LCL, qui veut encore en diminuer le nombre d’ici à 2018 grâce aux départs à la retraite et aux pro-motions internes. Désormais, les employés des agences se partagent l’accueil.

EXIGENCE DE RAPIDITÉMême les conseillers, plus qualifiés, sont mis au défi. Selon une étude du cabinet Deloitte, près d’un tiers des Français estiment en savoirplus que leur responsable de compte sur la gestion de leur budget. Le nombre de rendez-vous physiques avec les conseillers chute de « 10 % sur une année pour certains réseaux », note Xavier Guizien, associé chez Exton Con-sulting. A la Société générale des Champs-Ely-sées, le directeur, Idris Hedaraly, constate « depuis trois ans une fréquentation en baisse de 15 % à 20 % de la clientèle haut de gamme, liée à l’utilisation des nouveaux outils digitaux.(…) Avant, les clients prenaient d’abord un ren-dez-vous pour s’informer, maintenant on passe directement à celui de confirmation puis de concrétisation ». Les conseillers doivent donc monter en gamme et se spécialiser par

Une agence du groupe Crédit mutuel. JEAN-CLAUDE MOSCHETTI/REA

Rendez-vous ratéavec le banquierAujourd’hui, plus besoin de se déplacer pour faire un virement, déposer ses chèques, gérerses placements… Résultat, les banques ferment des agences et les conseillers sont désœuvrés

en milieu rural, les banques maintien-nent leur réseau, malgré la baisse de fré-quentation. Car des clients qui se retrouve-raient soudain contraints de faire 15 minu-tes de voiture pour se rendre dans leur agence pourraient être tentés de changer de banque. « C’est un compromis : la ban-que garde un local, en sachant que l’agence sera vide la majorité du temps », confie un expert préférant rester anonyme.

A Nay (Pyrénées-Atlantiques), village de3 500 habitants, on trouve sept agences bancaires dans un rayon de moins de 500 mètres. « Même des banques espagnoles ont voulu s’installer », raconte le maire, Guy Chabrout (PRG), qui s’en félicite. « Celaparticipe à la dynamique commerciale. Les gens qui viennent à la banque se garent et continuent sur place. Mieux vaut avoir une banque qu’un magasin fermé. »

Du coup, les conseillers peuvent couvrir

deux voire trois agences, ouvertes seule-ment certains jours, sur rendez-vous. Lesconseillers inoccupés peuvent aussi trai-ter des activités de back-office, de centres d’appel. Ainsi, « les agences rurales ne sont pas nécessairement les moins rentables. El-les peuvent fonctionner sur des formats al-légés et drainent des clients sur des kilomè-tres à la ronde », souligne Axel Reinaud, as-socié au cabinet de conseil Boston Consul-ting Group.

Onze agences sur 500 mètresCertains formats sont moins concluants. En Alsace, des Banques populaires vien-nent de rouvrir l’accueil en après-midi, qu’elles avaient supprimé en 2014. « Ima-ginez une grille fermée et derrière, vous voyez des conseillers qui travaillent. Forcé-ment, vous sonnez, et ils viennent », expli-que Jean-Marc Weckner, délégué national

au sein du Syndicat national de la banqueet du crédit.

A Crépy-en-Valois (Oise, 15 000 habi-tants), onze agences se succèdent sur 500 mètres. « Ce ne sont pas elles qui font du lien social. Beaucoup d’habitants préfé-reraient voir des commerces locaux », es-time le maire, Bruno Fortier (divers). Il y aquelques années, une douzième banque avoulu venir, profitant du départ en re-traite d’un photographe installé sur la place du village. « On a eu la peur de notrevie. La banque lui a fait des ponts d’or pourreprendre son emplacement. On a tout faitpour avertir les autres commerçants inté-ressés, afin qu’ils augmentent leur offre d’achat ; on a demandé au photographe defaire un effort et de baisser son prix. » Fina-lement, c’est une agence immobilière qui a repris l’emplacement. p

j. g. e.

Malgré la désaffection, les agences rurales restent ouvertes

Page 39: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 économie & entreprise | 3

Méga-fusions : les Etats-Unis durcissent le tonLes rapprochements de Staples avec Office Depot et d’Electrolux avec General Electric ont été rejetés

C’est un avertisse-ment pour tous lesgroupes, de plus enplus nombreux, qui

veulent acheter un de leurs grands rivaux pour dominer leurmarché. Deux énormes fusionsont été remises en cause, lundi 7 décembre, en raison de l’opposi-tion des autorités américaines chargées de veiller au respect de laconcurrence.

Quinze mois après avoir signé lavente de ses activités dans l’élec-troménager à Electrolux, General Electric (GE) a renoncé à cette transaction de 3,3 milliards de dollars (3 milliards d’euros). Le même sort se profile pour la fu-sion entre les deux poids lourds de la distribution d’articles de bu-reau – Staples et Office Depot –, annoncée il y a neuf mois. L’auto-rité américaine de la concurrence,la Federal Trade Commission (FTC), rejette l’opération. Pour elle,ce projet de plus de 6,3 milliardsde dollars « viole les lois antitrustdes Etats-Unis en réduisant de fa-çon importante la concurrence surle marché national des articles de bureau vendus aux entreprises ». En conséquence, le régulateur a saisi la justice.

Pendant les années Bush, lesautorités chargées de surveiller la compétition entre les entreprises ne s’étaient pas montrées particu-lièrement sévères. Mais devant l’accélération du bal des fusions et acquisitions, l’administration Obama a décidé de durcir le ton.« Nous avons répondu à l’accrois-sement [de ces opérations] par desefforts vigoureux pour protéger la concurrence dans de nombreux domaines », expliquait ainsi, au printemps, le ministère de la jus-tice. La FTC, de son côté, est deve-nue particulièrement vigilante àl’égard des concentrations dans la

santé, « compte tenu des coûts éle-vés de ce secteur, un sujet de préoc-cupation important pour la plu-part des Américains ».

Aux Etats-Unis, globalement, lesautorités prennent désormais da-vantage de temps pour passer lesdossiers au crible. Certes, dans96 % des cas, les transactions qui leur sont soumises ne posent pas de problème. Mais elles émettent des réserves dans une vingtaine d’affaires par an. Et elles n’hési-tent pas à bloquer des projetsspectaculaires.

Position ultra-dominanteEn avril, le câblo-opérateur Com-cast a dû ainsi faire une croix sur l’achat de Time Warner Cable, unaccord à 45 milliards de dollars, tandis que les fabricants d’équipe-ments pour semi-conducteursApplied Materials et Tokyo Elec-tron devaient, eux aussi, renoncerà fusionner.

Le mois suivant, les groupes dedistribution alimentaire US Foods et Sysco ont été contraintsd’annuler leur alliance. Enfin, le 4 décembre, le ministère de la jus-tice s’est également opposé à la fusion de Bumble Bee Seafoods avec la société thaïlandaise Thai Union Frozen, qui devait donner naissance au premier groupe mondial de conserves de thon et autres produits de la mer.

Ces derniers mois, les deux en-treprises ont tout fait pour arra-cher le feu vert des autorités amé-ricaines. Mais celles-ci redou-taient la constitution d’un duo-pole. Aux Etats-Unis, Electroluxtalonne actuellement Whirlpool, le leader du secteur, tandis que GEse situe au troisième rang. Lavente envisagée aurait placéWhirlpool et le nouvel ensemble dans une position ultra-domi-nante. Pour les fours et les plaquesde cuisson, ils auraient par exem-ple contrôlé à eux deux près de 90 % du marché professionnel.

Dans ces conditions, le risqueparaissait élevé que le duo profite de sa nouvelle puissance pour im-poser des hausses de prix. En juillet, le ministère américain dela justice a demandé à la justice fé-dérale de bloquer l’opération.

Electrolux a contre-attaqué enassurant que le rapprochement al-lait lui donner davantage de mor-dant grâce aux économies d’échelle prévues, donc stimuler laconcurrence. « L’industrie de l’élec-troménager est plus compétitive

que jamais », a plaidé M. McLou-ghlin. Selon lui, la pression sur les prix y est vive, avec l’essor de mar-ques sud-coréennes comme Sam-sung et LG Electronics ou celui du chinois Haier. Internet permet parailleurs à chacun d’accéder à des offres très variées. L’industriel suédois a également proposé de céder une série d’actifs à un troi-sième larron qui aurait pu animer la concurrence.

Ces arguments n’ont pas suffi.Les propositions d’Electrolux ont été jugées très éloignées de ce qui était nécessaire. « Nous sommessur Terre et ils sont sur Mars ! », ré-

sumait, en novembre, Ethan Glass,un des juristes représentant l’Etat américain. De son côté, la société suédoise a été estomaquée par les demandes de l’administration : pour obtenir son sésame, elle aurait dû commencer par vendre toutes ses activités américaines…

Le procès a démarré début no-vembre. Ces derniers jours, Elec-trolux gardait encore espoir, et n’excluait pas un accord amiable.Mais lundi, GE a stoppé les frais. Le groupe a officialisé l’abandon de la vente, au grand dam de sonpartenaire… et à la grande satis-faction du ministère de la justice.

« Devant la cour, seuls comptentles faits, pas les effets de rhétori-que, a commenté, cinglant, un deses représentants. Cet accord étaitmauvais pour les millions de con-sommateurs qui achètent chaque année des appareils de cuisson. Electrolux et GE ne pouvaient pas contourner cette réalité au pro-cès. » Message transmis à tous ceux tentés de miser sur l’indul-gence du jury… p

denis cosnard

GE, présent sur le marché de l’électroménager depuis plus d’un siècle, cherche un acquéreur pour ses usines. JIM YOUNG/REUTERS

La reprise des hostilités dans le café met la pression sur NestléLe holding d’investissement JAB, propriétaire de Maison du café, déboursera 13,9 milliards de dollars pour l’américain Keurig Green Mountain

A peine le secteur de labière a-t-il fini de mous-ser que celui du café se

met à fumer. Le marché del’agroalimentaire est, à nouveau, bousculé par les grandes manœuvres d’investisseurs aux appétits féroces. Cette fois, c’est la famille d’origine allemande Rei-mann qui joue des coudes pours’imposer dans le commercemondial du petit noir. Sa holding d’investissement, JAB, a annoncé, lundi 7 décembre, l’acquisition duspécialiste américain du café en dosettes, la société Keurig GreenMountain. Pour s’en emparer, ilest prêt à débourser 13,9 milliards de dollars (12,8 milliards d’euros) en cash. Le prix fixé à 92 dollars par action offre aux actionnairesune prime de 78 % par rapport à ladernière cotation de Keurig, ven-dredi 4 décembre. Un ratio rare-ment atteint.

Mais la proposition, mirifiquede prime abord, doit être relativi-

sée. La société a vu son action chu-ter cette année après avoir publié des résultats mitigés. Les prix de ses machines à café et de ses do-settes, connues sous le nom de K-Cup, sont sous la pression de laconcurrence. En outre, la sortie desa machine de fabrication de so-das à domicile a été moins réussiequ’anticipé. Il s’agit d’une exten-sion de son système, fondé sur le couplage d’une machine et de ses propres dosettes – comparable àcelui de Nespresso –, au marché des boissons gazeuses.

BoulimieC’est d’ailleurs cette initiative qui a intéressé Coca-Cola. La firme d’Atlanta, entrée au capital deKeurig Green Mountain en fé-vrier 2014, en détient désormais 17,4 %. Une prise de participation qui répondait au désir de la multi-nationale de se diversifier et deconcurrencer Sodastream. La so-ciété israélienne propose au con-

sommateur de gazéifier l’eau durobinet et de l’aromatiser avec une capsule au goût cola, orange ou limonade. La machine KeurigKold, commercialisée 300 dollars,capable de faire des verres de Co-ca-Cola ou de Fanta, est finale-ment sortie en septembre.

En tant que premier action-naire, Coca-Cola a apporté sonsoutien à l’offre d’acquisition par JAB. La holding d’investissement a précisé qu’elle souhaitait retirer la société Keurig de la cote mais

lui laisser une relative autonomie.Elle devrait ainsi laisser aux com-mandes Brian Kelley, un ancien dirigeant de Coca-Cola.

Cette opération prouve l’intérêtporté par la richissime familleReimann, fondatrice du groupeBenckiser, devenu Reckitt Bencki-ser, au monde du café. Proprié-taire du groupe de cosmétiques etde parfums Coty, mais aussi deschausseurs Bally ou Jimmy Choo, elle a lancé son offensive sur le marché de l’agroalimentaire il y a trois ans. Avec son bras armé, la société d’investissement Joh. A. Benckiser (JAB), créée par les héritiers Reimann et installée au Luxembourg. A sa tête, un trioformé par l’allemand Peter Harf,le néerlandais Bart Brecht et le français Olivier Goudet.

La holding s’est d’abord empa-rée en 2012 des chaînes de café américaines Peet’s Coffee & Tea etCaribou Coffee pour un total de1,5 milliard de dollars. Puis, en

JAB, numéro

deux mondial

du marché,

a en ligne de mire

un autre acteur

de poids,

Starbucks

Le cas d’Electrolux et de GE estéloquent. Le conglomérat améri-cain semble avoir bien encaissé l’échec – l’action de l’entreprise abandonnait moins de 1 %, lundi, à Wall Street. En plein recentrage, le géant entend trouver sans trop tarder un autre acquéreur pour ses usines de réfrigérateurs, de cuisinières, de lave-linge, ou en-core de climatiseurs. C’est un sec-teur sur lequel il est actif depuis plus d’un siècle, et où il emploieencore 12 000 personnes, mais qui ne pèse toutefois que 4 % deson chiffre d’affaires.

L’abandon du projet a, en revan-che, fait plonger le titre Electroluxde 13 % en Bourse. Aux yeux des investisseurs, c’est un échec ma-jeur pour le groupe suédois, nu-méro un européen. En dévoilant l’accord en septembre 2014, son patron, Keith McLoughlin, n’avait-il pas parlé d’un « momenthistorique », d’une « occasion sanspareil » ? Qui plus est, GE réclame désormais à Electrolux une in-demnité de résiliation de 175 mil-lions de dollars…

mars 2013, elle a racheté le pro-ducteur néerlandais de caféDE Master Blenders 1753 et ses marques Maison du café, L’Or ouSenseo. Une transaction évaluée à 7,5 milliards de dollars. Un an plus tard, en mai 2014, elle a fu-sionné DE Master Blenders 1753 avec l’activité café de l’américainMondelez International, connupour ses marques Tassimo ou Ja-cobs. A la clé, la naissance d’un géant, Jacobs Douwe Egberts(JDE), pesant 5 milliards d’euros,détenu à 56 % par JAB et des parte-naires, le solde étant entre les mains de Mondelez.

La combinaison des numérosdeux et trois mondiaux a permisde former un groupe revendi-quant le premier rang en termes de volume. Mais l’ensemble restedevancé en valeur par le suisse Nestlé. Avec l’acquisition de Keu-ring, JAB renforce ses positionsen Amérique du Nord, met lamain sur des technologies de

machines, et réduit encore la dis-tance qui le sépare du numéro unmondial, le suisse Nestlé. JAB a aussi en ligne de mire un autreacteur de poids sur le marché ducafé, l’américain Starbucks. Il a d’ailleurs acheté en juin une nou-velle chaîne de café, EspressoHouse, présente en Europe duNord.

Cette boulimie pour bâtir trèsvite un acteur de poids de l’agroa-limentaire n’est pas sans évoquer la stratégie du brésilien JorgePaulo Lemann, premier action-naire du numéro un mondial de la bière AB InBev avec ses deux as-sociés. Il vient de mettre 112 mil-liards d’euros sur la table pour s’emparer du numéro deux SAB-Miller. La comparaison n’est pas fortuite. M. Goudet, patron de JAB, est devenu président d’AB In-Bev en avril. Les grands appétits de l’agroalimentaire mangent à lamême table. p

laurence girard

« Nous

engageons un

effort vigoureux

pour protéger

la concurrence »

MINISTÈRE AMÉRICAIN

DE LA JUSTICE

Alstom-GE : le détail des postes promis

General Electric (GE) a annoncé, lundi 7 décembre, la répartition des 1 000 emplois nets, entre Paris et Belfort, que le groupe amé-ricain a promis dans le cadre du rachat des activités énergie d’Alstom pour 12 milliards d’euros. Dans la capitale, il va créer un centre d’innovation dans les logiciels employant, dans un pre-mier temps, 250 personnes. Un « centre d’excellence de services partagés », chargé de gérer les services communs des entités françaises de GE, emploiera 200 personnes à Belfort et à Paris. Quelque 310 postes « hautement qualifiés », principalement à Belfort, accompagneront l’extension de ses activités de fabrica-tion en France et de composants. Enfin, 240 emplois seront créés par le biais des « programmes de leadership » de GE pour former ses futurs dirigeants. « L’accord avec l’Etat prévoit qu’il y aura ap-proximativement 15 000 salariés d’ici à trois ans », a indiqué Mark Hutchinson, PDG de GE Europe.

L’abandon du

projet d’achat de

l’électroménager

de GE a fait

plonger le titre

Electrolux de

13 % en Bourse

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4 | économie & entreprise MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

0123

Ex-poids lourd de la Bourse, EDF est exclu du CAC 40Le faible niveau de capital flottant mais aussi la chute du cours de Bourse expliquent la décision d’Euronext

suite de la première page

Pour autant, ajoute la direction d’EDF, « le groupe, présent dans lequotidien de 25 millions de Fran-çais, est un atout majeur pour l’économie du pays et un énergéti-cien de référence en Europe ». EDF est un poids lourd de l’économie, avec ses 160 000 salariés et ses 72,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014. Il représente aussi un tiers du portefeuille quel’Etat détient dans les entreprises cotées.

De toutes les grandes utilitieseuropéennes, EDF est également celle qui émet le moins de dioxydede carbone (CO2), en raison de l’im-portance de son parc nucléaire (73 réacteurs en France et au Royaume uni). Un argument que le groupe martèle depuis plusieursjours alors que Le Bourget (Seine-Saint-Denis) accueille jusqu’au 11 décembre la 21e conférence mondiale sur le climat (COP21).

Les experts d’Euronext n’ontpas tenu compte de ces dimen-sions, ni de ce contexte. Leurs dé-cisions sont de plus en plus tech-niques. L’Etat étant actionnaire à84,5 % d’EDF, ont-ils fait valoir, lapart des titres négociables au jourle jour n’est que de 15 %, ce qui re-présente moins de 4 milliardsd’euros de capitalisation. Le vo-lume des transactions est faible,sans commune mesure avec les poids lourds de l’indice commeSanofi, Total, ou L’Oréal.

De plus, le cours de boursed’EDF n’est plus ce qu’il était.

Après que l’électricien soit de-venu en 2007 la première capitali-sation française (157 milliards d’euros) et la deuxième en Europederrière Shell, le titre n’a cessé de

dégringoler, malgré quelques ré-missions. Introduite à 32 euros ennovembre 2005, l’action ne vaut plus que 13 euros. Mardi, à l’ouver-ture de la Bourse, il reculait de 2 %.

Avec un résultat net de 3,7 mil-liards d’euros et un excédent brut d’exploitation (ebitda) de 17,3 mil-liards en 2014, EDF n’est pourtant pas en difficulté. Mais les marchés ont de nombreux sujets d’inquié-tudes sur l’avenir d’un groupe très endetté (37,5 milliards d’euros fin juin). Dans les quinze ans à venir, ilva devoir investir massivement dans son parc de centrales nucléai-res en France (50 milliards d’euros sur dix ans), les réacteurs de troi-sième génération au Royaume uni

(16 milliards d’euros pour deux EPR), les réseaux de transport ou de distribution d’électricité et les énergies renouvelables, dont M. Lévy veut doubler les capacités en Europe à l’horizon 2030. Sans oublier le rachat en 2016 d’Areva NP, la filiale du groupe nucléaire qui fabrique les réacteurs, un mar-ché de plus en plus difficile.

Concurrence exacerbée

Par ailleurs, la concurrence s’exa-cerbe dans un marché où les prix de gros de l’électricité sont tombésà des niveaux très bas. Le groupe vend son électricité 38 euros le mégawattheure, ce qui est « très endessous de son prix de revient de

55 euros » (fonctionnement et maintenance), indiquait récem-ment au Monde le directeur finan-cier d’EDF, Thomas Piquemal.

En face, l’Etat actionnaire est in-capable d’assurer au groupe unevisibilité financière sur les tarifs de vente de courant aux particu-liers. Fin 2012, le premier minis-tre, Jean-Marc Ayrault, s’était en-gagé sur des hausses de 5 % en 2013, 2014 et 2015. Nomméeministre de l’énergie quelquesmois plus tard, Ségolène Royalétait revenue sur cet engagement,en octroyant des augmentationsplus modestes, au nom de la dé-fense du pouvoir d’achat.

Les investisseurs et les analystes

financiers estiment que l’ancien opérateur historique pâtit d’une« décote politique ». L’Etat peut ar-bitrer en faveur des clients, au dé-triment de l’entreprise, notam-ment quand il s’agit d’augmenter les tarifs. « Nous avons besoin d’ac-tionnaires qui ne pensent qu’en ac-tionnaires », juge M. Piquemal. En 2013, rappelle-t-il, « l’annonce d’un accord avec l’Etat, qui a re-connu qu’il devait à EDF 5,1 mil-liards au titre de la CSPE [contribu-tion au service public de l’électri-cité], a lancé un mouvement deforte appréciation de l’action, qui apris 83 % dans l’année ».

Chez EDF, on rappelle aussi quela catastrophe de Fukushima, en mars 2011, a envoyé « un signal très négatif sur l’avenir du nu-cléaire ». Mais ses dirigeants re-connaissent une part de respon-sabilité de l’entreprise dans la si-tuation actuelle, à cause « des diffi-cultés à livrer les grands projets,notamment Flamanville 3 ». L’EPR normand coûtera au moins 10,5 milliards d’euros, trois fois le devis initial. Malgré ces hypothè-ques, M. Piquemal juge qu’« EDF ades atouts », notamment le plan stratégique « Cap 2030 » lancé parM. Lévy, qui doivent « lui permet-tre d’être mieux valorisé que sesgrands concurrents européens ». Des concurrents qui, eux aussi,souffrent en Bourse. Si l’italienEnel s’en tire plutôt bien, les alle-mands E.ON et RWE ont perdu respectivement trois et cinq fois leur valeur au cours des cinq der-nières années. p

jean-michel bezat

A Bruxelles, un accord à minima pour la taxe sur les transactions financièresSi les onze pays concernés ont trouvé un accord politique,rien n’est décidé sur les modalités pratiques de ce projet d’impôt

suite de la première page

Ces exemptions concernent no-tamment les « teneurs de mar-ché » – souvent des grandes ban-ques, qui assurent la liquidité surune place boursière. La Commis-sion européenne a, elle, été man-datée pour plancher sur la rédac-tion d’une nouvelle proposition de directive.

Si l’annonce de mardi devraitpermettre à Paris et à Bruxelles dene pas perdre la face, rien n’est en-core arrêté dans les détails. Lesministres ne sont même pas en-trés dans le vif du sujet : quel tauxappliquer à l’assiette ? A quoi les sommes récoltées seront-elles af-fectées ? « On en a au moins pourtoute l’année 2016 », prédit, blasé, un diplomate européen.

De fait, cette discussion sur laTTF lasse. L’idée de départ n’est pasnouvelle. Elle remonte aux propo-sitions de taxe Tobin, du Prix No-bel d’économie James Tobin, faitesdans les années 1970. La Commis-sion européenne a mis sur la table une première mouture de direc-tive en septembre 2011. A l’époque,l’Europe se débattait encore dans la crise financière, et l’idée était de taxer les établissements en partie à l’origine de cette tourmente maisqui, aux yeux de Bruxelles, n’avaient pas assez « payé ».

Le projet avait de quoi séduire,notamment les ONG. Mais obte-nir un accord à 27 Etats membres (28 désormais) s’est vite révélé im-possible, d’autant qu’en matière de fiscalité l’unanimité est re-quise à Bruxelles. En 2012, poursauver son projet, la Commission propose donc une « coopérationrenforcée » à 11 Etats membres, unmode de décision communau-taire inédit. Mais, depuis, les réu-nions se succèdent…

« Ordres de grandeur irréalistes »

Certains (la Belgique, l’Italie, la France et la Grèce) disposent déjà d’un impôt sur les transactions et redoutent que cette taxe leur rap-porte moins. Les Belges ont aussi à cœur que leurs fonds de pensionne soient pas affectés. Les Esto-niens, eux, réclament que soient taxées non seulement les transac-tions sur les actions de sociétés setrouvant dans un des 11 pays né-gociateurs, mais aussi celles d’autres Etats membres, si ellessont acquises par un opérateur demarché estonien.

La Commission communiquaitsur des recettes potentielles miri-fiques au début de la négociation (entre 30 et 35 milliards d’euros par an, avec une taxe de 0,1 % sur les actions et les obligations, et de 0,01 % sur les dérivés). « Tout le

monde estime que ces ordres de grandeur sont irréalistes », relèveun diplomate.

Pour Bruxelles, la TTF est un testtrès important. « Si nous n’arri-vons pas à nous entendre à 11, com-ment le ferons-nous à 28 ? », a re-levé éloquemment Pierre Mosco-vici, lundi. Le commissaire euro-péen à l’économie déroule depuis des mois un ambitieux agenda« fiscalité », qui fait suite au scan-dale Luxleaks, en novembre 2014, ayant révélé l’existence d’un vastesystème d’évasion fiscale du Luxembourg au profit de centai-nes de multinationales. Ce scan-dale a terni l’image du président de la Commission, Jean-ClaudeJuncker, président du Grand-Du-ché pendant dix-huit ans.

Conscient des difficultés pourtrouver un consensus européensur des sujets de fiscalité, que lespays considèrent encore commeune de leurs principales préroga-tives économiques, M. Moscovicicompte sur le succès de la « coo-pération renforcée » sur la TTF pour, d’ici quelques mois, enga-ger, dans le même type de for-mat, une discussion sur l’épi-neuse question de la standardisa-tion de l’assiette commune con-solidée pour la fiscalité des entreprises. p

cécile ducourtieux

Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, lors de la présentation des résultats de 2014, le 12 février 2015, à Paris. PHILIPPE WOJAZER/REUTERS

Les investisseurs

et les analystes

financiers

estiment que

l’énergéticien

pâtit d’une

décote politique

AÉRIENAir France chiffreà 50 millions d’euros l’impact des attentatsLes attentats de Paris auront un impact de 50 millions d’euros sur le chiffre d’affai-res de novembre d’Air France-KLM, a annoncé, mardi 8 dé-cembre, la compagnie aérienne, précisant que cette baisse ne remettait pas en cause les prévisions pour 2015. – (Reuters.)

ENERGIELe pétrole à un plus bas depuis sept ansLe cours du baril de référence (WTI) pour livraison en jan-vier a perdu, lundi 7 décem-bre, 2,32 dollars à 37,65 dollars sur le New York Mercantile Exchange, soit le plus bas ni-veau de clôture d’un contrat de référence depuis fé-vrier 2009. – (AFP.)

FINANCELourde amende contre Euronext et VirtuLa commission des sanc-tions de l’Autorité des mar-chés financiers a infligé, mardi 8 décembre, une amende de 5 millions d’euros chacun à l’opérateur boursier Euronext et au spé-cialiste du trading à haute fréquence Virtu. Cette déci-sion « est particulièrement contestable, totalement dis-proportionnée et complète-ment anachronique », s’est insurgé Stéphane Boujnah, président du directoire d’Euronext, qui a prévu de faire appel. – (AFP.)

Biotechs : collecte record pour SofinnovaLa société de capital-risque a levé un fondsde 300 millions d’euros

C’ est un record dans ledomaine des biotechs.Sofinnova, une société

de capital-risque parisienne, a an-noncé, mardi 8 décembre, avoir levé 300 millions d’euros pour fi-nancer des start-up des sciencesde la vie. « Nous visions 250 mil-lions d’euros, mais la demande était telle que nous avons relevé le plafond », se félicite Antoine Pa-piernik, l’un des associés.

Ce fonds, auquel participeraBpifrance ainsi que des Euro-péens et deux Américains, inves-tira dans des programmes encoreembryonnaires – les « seed » dans le jargon – et des projets plusavancés. Une des marques de fa-brique de Sofinnova est d’investirdes montants élevés – 20 à 25 mil-lions d’euros – dès le premier tourde table.

Pour dénicher des pépites, les in-vestisseurs de Sofinnova étudientla qualité scientifique du projet,mais aussi de la personne qui le porte. « Nous parions sur un cou-ple. Pour que cela fonctionne, il faut que nos intérêts et ceux de l’entrepreneur soient bien ali-gnés », insiste Rafaèle Tordjman,partenaire associée de Sofinnova.

« La probabilité de succès du mé-dicament – moins de 10 % – est un des problèmes de notre business :

on ne peut pas parier dessus. Autant aller au casino ! », plaisante Antoine Papiernik. Mais, parfois, le succès est au rendez-vous. So-finnova et d’autres fonds étaient ainsi en train de préparer l’intro-duction en Bourse de GlycoVaxyn quand le laboratoire GSK s’est dé-cidé à mettre la main dessus. Elle aainsi été cédée au début de l’annéeau géant britannique pour 212 millions de dollars (195 mil-lions d’euros). « Notre but est que chaque investissement rapporte aumoins 100 millions d’euros pour lefonds », précise Rafaèle Tordjman.

Asceneuron est la première bio-tech à bénéficier des fonds levéscette année par Sofinnova. Spé-cialisée dans les maladies neuro-dégénératives, cette société a levé30 millions de francs suisses(27,65 millions d’euros) en sep-tembre. Le tour de table a aussiattiré deux laboratoires, GSK etl’américain Johnson & Johnson.« Les groupes pharmaceutiquesdont la R&D patine cherchent à sepositionner de plus en plus tôt surles nouvelles technologies, com-mente Rafaèle Tordjman. Mais nous veillons à ce qu’ils n’aientpas un droit d’accès préférentiel,pour garder toutes les portesouvertes. » p

chloé hecketsweiler

– 42%C’est la baisse de la valeur de l’action EDF depuis le 1er janvier à la Bourse de Paris. Après avoir atteint un sommet à 87 euros en 2007, qui avait fait d’EDF la première capitalisation française durant quelques mois (157 milliards d’euros), le titre a connu un parcours en dents de scie. Introduit à 32 euros en novembre 2005, un an après la transformation d’EDF en société anonyme, le titre vaut aujourd’hui 13 euros.

Page 41: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

Changerpour garder l’essentiel.

Récemment, votre confiance a été

mise à l’épreuve et nous vous devons

des excuses. Ce qui s’est passé n’est,

en aucun cas, conforme aux valeurs de

notre Groupe et à l’engagement des

15000 collaborateurs des Réseaux

Volkswagen en France.Mais s’excuser

ne suffit pas. Nous sommes décidés

à changer. Changer pour garder

l’essentiel.

L’essentiel, pour nous, c’est d’abord

votre confiance. Et nous ne la

regagnerons qu’en faisant toute la

vérité. L’essentiel, pour vous, c’est

votre voiture. Et votre voiture n’y est

pour rien. Elle demeure totalement

sûre. D’ores et déjà, Volkswagen

France a pris contact avec les

clients concernés. Les mesures de

service après-vente commenceront

début 2016 avec la mobilisation de

l’ensemble de nos Réseaux.

PourqueVolkswagen resteVolkswagen,

nous devons maintenant redoubler

d’efforts afin d’offrir le meilleur

de l’innovation automobile : des

véhicules fiables, performants et

respectueux de l’environnement.

C’est ainsi, à vos côtés, que nous

regagnerons votre confiance.

Volkswagen Group France - s.a. - R.C.S. Soissons B 602 025 538

volkswagen.fr/info

Page 42: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

6 | dossier MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015

0123

Le marché du recrutement résiste à la vague numérique

Ils s’appellent LinkedIn, Keljob, Jobijoba… Depuis quelques années, les sites d’annonces d’emploise multiplient, bousculant les acteurs traditionnelsdu secteur. Mais ceux-ci se numérisent également à toute vitesse et résistent à cette « ubérisation » forcée

juliette garnier et anne rodier

La vague numérique déferle sur lemarché du recrutement : elleporte les noms de Monkey Tie,Indeed, Regionsjob, Keljob, Jobi-joba, LinkedIn, etc. Comme auxEtats-Unis, au Royaume-Uni ou

en Allemagne, de nombreuses plates-for-mes de mise en relation et de référencementdes annonces d’emploi ont été créées ces dernières années en France. Celles-ci reven-diquent une amélioration de l’adéquationde l’offre et de la demande, grâce à des algo-rithmes et à l’exploitation des bases de don-nées. Elles ouvrent aux employeurs l’accès gratuit à un important vivier de candidats,et inversement, sans intermédiaire.

Cette « ubérisation » du recrutement ap-porte un réel souffle d’air au secteur, dans la mesure où l’opacité des annonces augmenteavec la raréfaction des offres. En septembre, Pôle emploi avait en catalogue 235 300 pro-positions d’emploi. A titre de comparaison, les offres agrégées par les acteurs privés, de-venus depuis partenaires de Pôle emploi, at-teignaient 1,2 million fin 2014.

Le marché de l’emploi est aujourd’hui « untas de foin où, pourtant, il existe de nombreu-ses opportunités, mais que personne ne par-vient à identifier », estime Didier Jeanperrin, directeur du pôle Carrières des alumni de Sciences Po, association des anciens de l’IEP de Paris.

Les annonces étant la première sourced’information pour les demandeurs d’em-ploi, c’est logiquement par elles qu’a débuté la numérisation du recrutement. Le déve-loppement de la diffusion des annonces sur Internet a commencé dès la fin des années 1990. Les sites d’emploi, dits “jobboards”, se sont multipliés, aux dépens des annonces publiées par la presse.

Au départ, la plupart de ces nouveaux sites

ne se sont pas occupés de recrutement pro-prement dit et n’ont fait que de l’optimisa-tion des annonces existantes, en agrégeant sur leur site les propositions de leur proprebase de données et des sites d’emploi (APEC, Cadremploi, Monster) ou en regroupant lesoffres présentes sur tout Internet (Jobthis. fr). Le travail de sélection et d’évaluation des candidats était réservé aux professionnelsdu recrutement. « Le numérique n’a portépréjudice qu’à ceux qui ne faisaient que de la mise en contact », témoigne Antoine Mor-gaut, directeur général Europe du cabinet derecrutement Robert Walters.

ACCÉDER AUX DONNÉES PUBLIQUESDepuis juillet, Pôle emploi partage les pro-fils des chômeurs avec certains profession-nels du recrutement, mais pas leur CV. Du moins pas encore… Lundi 9 novembre, leministre de l’économie, Emmanuel Macron, a annoncé vouloir ouvrir « de manière pro-portionnée » l’accès aux données publiques « dites d’intérêt général », afin de « créer desopportunités », « améliorer la mise en rela-tion » et « réduire les coûts de coordination ». « Pôle emploi a commencé cette mue cultu-relle et organisationnelle, a ajouté le minis-tre. On doit l’accompagner et aller plus loin encore. »

L’opérateur public, dont les sites privés ré-clamaient, de longue date, l’accès aux don-nées, pour améliorer l’adéquation entre of-fre et demande d’emploi, s’apprête ainsi à

abandonner les codes ROME. Ce répertoireopérationnel des métiers et des emplois, établi en 1988, était devenu inadéquat. « Un métier peut être à cheval sur deux codesROME », justifie Nathalie Jouquan, directrice de l’agence Pole emploi de Paris 18e Ney.

C’est un algorithme, basé sur les compé-tences requises pour un poste et celles des demandeurs d’emploi, qui remplaceraROME d’ici à 2020. « Ce sera une très bonnechose », prédit Mme Jouquan. La mesurepourrait notamment bénéficier aux chô-meurs de longue durée et à tous ceux qui doivent envisager une conversion profes-sionnelle.

Pour les candidats comme pour les em-ployeurs, l’enjeu consiste toujours et encore à améliorer le profilage en fonction de leurs intérêts, parfois opposés. Les entreprises,qui craignent des erreurs d’embauche, re-cherchent les candidats « formatés » pour le poste qu’ils ont à pourvoir. Les chômeurs, aucontraire, aimeraient sortir de ce systèmequi impose des candidats qu’ils estimentclonés.

Toutes les étapes du recrutement sont« ubérisées » : la recherche de candidat (le« sourcing »), la mise en adéquation de l’offreet de la demande (le « matching »), la coopta-tion, l’évaluation des candidats, etc.

Pour remplacer la phase de présélectiondes candidats, Easyrecrue ou Visiotalent per-mettent de faire les premiers tests d’évalua-tion sur Internet, en faisant passer des entre-

tiens asynchrones : des questionnaires sont mis en ligne, le candidat est filmé pendantqu’il répond aux questions, puis le respon-sable des ressources humaines envoie la vi-déo au manageur en quête d’un candidat. « Les recruteurs économisent ainsi près de 10 heures de travail par recrutement. Nos clients sont des sociétés qui ont d’importants volumes de recrutement », explique MickaëlCabrol, le fondateur et président d’Easyre-crue.

« L’entretien asynchrone est une autre façonde s’échanger des CV et de découvrir les apti-tudes comportementales », estime LaurentBrouat, directeur de Link Humans, spécia-liste du recrutement numérisé. En revanche,« le “sourcing” numérique ne réduit pas lenombre d’entretiens ultérieurs pour évaluer lecandidat », reconnaît Edouard Rosenblum,cofondateur de la plate-forme Breaz.

Afin d’affiner la mise en relation, des algo-rithmes ont aussi été développés, qui analy-sent les profils référencés des candidats etceux des entreprises. Wats4U (ex-Mana-geurs. com), le portail d’offres d’emploi des diplômés de grandes écoles (Polytechnique, Centrale Paris, Ensae et autres HEC), s’appuieainsi sur un logiciel de « matching » en fonc-tion des « compétences recherchées et non des correspondances de secteur ou de fonc-tions passées », explique son directeur géné-ral, Franck Jeuffroy. « Le tri par algorithme permet aux chargés des ressources humaines d’avoir accès aux candidats qui correspon-dent le mieux à leurs souhaits », assure-t-il.Un travail jusque-là réservé aux chasseurs de têtes et aux cabinets de recrutement.

L’échec d’un recrutement sur deux n’étantpas lié aux compétences, les innovationstechnologiques ont investi ensuite le recru-tement par cooptation, et développé le« matching affinitaire ». « En amont du CV enligne, on enregistre la motivation et le profil du candidat, bien au-delà des compétences », explique Jérémy Lamri, fondateur de Mon-key Tie.

Les opérateurs traditionnels du recrute-ment semblent progressivement évincés.

« IL EXISTE DE NOMBREUSES OPPORTUNITÉS,

MAIS QUE PERSONNE NE PARVIENT À IDENTIFIER »

DIDIER JEANPERRRIN

directeur du pôle carrières

des anciens de Sciences Po

Les « jobboards », ici le site Web de recrutement Keljob, utilisent la publicité pour se faire connaître. XAVIER POPY/REA

Page 43: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 dossier | 7

« Je suis désormais contactée par des em-ployeurs qui ont déjà identifié les profils surLinkedin et les ont directement contactés », raconte Anne Raphaël, directrice associée ducabinet de recrutement Boyden.

« LES CANDIDATS SONT NOS CLIENTS »Les intermédiaires sont aussi écartés de la re-cherche de profils très ciblés. Le recrutement des développeurs informatiques, par exem-ple, ne se fait quasiment plus que par Inter-net. C’est le cas de Breaz, spécialisée dans les métiers informatiques dits « en tension » : développeur, data-scientist, designer et chefde produit Web. Breaz s’attaque au marché des emplois cachés en incitant les candidats qui sont en emploi à postuler. « On identifie leprofil, on leur envoie un test technique, puis on les appelle pour savoir s’ils sont en recher-che, décrit M. Rosenblum, le président de Breaz. On inverse le marché. Les candidatssont nos clients, les employeurs payent au re-crutement et accèdent gratuitement à notre place de marché, et les cabinets de recrute-ment sont nos concurrents. » C’est la version numérique du chasseur de têtes.

Peut-on pour autant parler de menace pourles opérateurs traditionnels ? « Ces dernières années, les chiffres d’affaires des cabinets de recrutement ont chuté, reconnaît Wilhelm Laligant, président de Syntec conseil en re-crutement. En 2009, au creux de la vague, ils étaient à moins 30 %. » Le nombre de cabi-nets de recrutement n’a cessé de baisser de-puis 2010.

Mais les années noires appartiennent aupassé. Après une reprise de 2 % en moyenne en 2014, « le chiffre d’affaires est à nouveau enhausse de 2,9 % sur un an en cumulé depuis janvier », affirme M. Laligant. L’APEC con-firme cette progression : la part des entrepri-ses ayant eu recours à un cabinet de recrute-ment est en légère hausse, d’un point en un an, à 27 %. Avec une variation très forte selonles secteurs : cette part est de 43 % dans l’in-dustrie, de 36 % dans les services et entre15 % et 20 % dans l’hôtellerie et la santé.

Les cabinets de recrutement sont très sen-sibles à la situation économique. « Les chif-fres de l’emploi des cadres montrent que c’est conjoncturel, note M. Laligant. Ce sont les en-treprises qui ont réduit leur volume de recrute-ment. Et c’est la crise, et non pas le numérique,qui a fait reculer l’externalisation. »

« Les “jobboards” ont bien créé une industrienouvelle, aux dépens du marché des annoncesd’emploi presse, mais les cabinets n’ont pas perdu 30 % de leur chiffre d’affaires à cause dunumérique », renchérit Antoine Morgaut.

A bien y regarder, les opérateurs tradition-nels n’ont pas été « ubérisés », car ils s’appro-

prient les outils numériques. Aujourd’hui, tous les cabinets de recrutement utilisent LinkedIn : « Pour 6 000 à 8 000 euros, ils pren-nent une licence recruteur, qui leur donne ac-cès à tous les profils sur le site », affirme Lau-rent Brouat. « LinkedIn ? On est leur premier client, ils ont donc besoin de nous », résume Antoine Morgaut.

« Les professionnels du recrutement se re-modélisent. Ils lancent leur propre plate-forme pour “matcher” les profils », explique ledirecteur de Link Humans. C’est le cas de Randstad, qui vient de lancer, en collabora-tion avec Cap Gemini et Oracle, une plate-forme où sont mis en ligne ses 3 millions de CV, référencés par compétences plutôt que par métier et localisés par bassin d’emploi.Cet outil permet aux employeurs de « re-monter dans le temps pour voir l’évolution destensions par métier et département, et auxcandidats d’identifier le champ des possibles, à travers les compétences communes entre lesmétiers », précise Christophe Montagnon, le directeur des systèmes d’information deRandstad.

« La plate-forme permet aux entreprises de

connaître les compétences présentes sur un territoire avant de s’y implanter ou d’anticiperde futurs reclassements », a expliqué FrançoisBeharel, le président de Randstad France, lorsde la présentation ce cette innovation, le 15 septembre.

En s’adressant aux professionnels, cetteplate-forme redonne la main aux opérateurs traditionnels du recrutement. « Ce projet tou-che à la transformation du métier RH, qui de-vient contributeur à la valeur ajoutée de l’en-treprise », estime M. Montagnon.

« Ce qui a changé, c’est que, aujourd’hui,toute entreprise qui recrute doit avoir son pro-pre site de recrutement, avec témoignages, vi-déos, fiches de poste », explique Wilhelm Lali-gant. La numérisation du secteur, ce n’est pasla mort des cabinets de recrutement, maisplutôt l’hyperspécialisation. On peut trouver tout le monde sur LinkedIn, mais le réseaune donne ni la connaissance du marché ni celle du secteur. Les acteurs traditionnels du recrutement reprennent la main sur l’antici-pation, les compétences et la mobilité. Autre-ment dit, le service et la valeur ajoutée pro-duite avec Internet. p

SOURCES : CENTRE D’ÉTUDES DE L’EMPLOI, APEC, GREFFES DE TRIBUNAUX DE COMMERCE, XERFI

LES INTERMÉDIAIRES DE RECRUTEMENT

Des sociétés atomisées, fragiles et sensibles à la conjoncture

PART DES ENTREPRISES AYANT FAIT APPEL À UN

INTERMÉDIAIRE DE RECRUTEMENT POUR LEURS

CADRES, EN % (PLUSIEURS RÉPONSES POSSIBLES)

EMBAUCHE DES CADRES, EN MILLIERS,

ET VARIATION DU CHIFFRE D’AFFAIRES

DES CABINETS DE RECRUTEMENT, EN %

RÉPARTITION DES CABINETS

DE RECRUTEMENT PAR TAILLE,

EN %

LES ANNONCES

Elles sont très majoritairement numériques et incontournables pour le recrutement des cadres

MÉDIAS UTILISÉS DANS LA DIFFUSION D’UNE OFFRE D’EMPLOI CADRES,

EN % (PLUSIEURS RÉPONSES POSSIBLES)

COMMENT PARVIENNENT LES CANDIDATURES

DE CADRES FINALEMENT EMBAUCHÉS, TOP 6, EN %

SITES D’EMPLOI EXTERNES SITE DE L’ENTREPRISE

PRESSE

77% 58 %

11 %

Site d’emploi cadres

Cabinet de

recrutement

Chasseur

de têtes

Agence

d’intérim

Réseau de relation du recruteur

Cooptation

Candidatures spontanées

Hausse

ou baisse

en 2014

par rapport

à 2013

+ de 50 1,8 %

Salariés

20 à 49 5,7 %

6 à 19 12,6 %

1 à 5 26,1 %

0 salarié

53,8 %

Chasse

CVthèque

Offre d’emploi

Site d’emploi non-cadres

Site de niche, sectoriel

DONT (TOP 3)

49

53

26

2013

2014

27

7

6

4

4

18

7

6

5

4

22

15

– 17,4

+ 10,8

+ 1,2 + 3

– 5,9

– 0,3

MODE D’ENTRÉE EN ENTREPRISE, EN %

Annonces d’o�re d’emploi

O�re d’emploi

Cabinet derecrutement

Démarche directe

Démarche directe

Relations

Relations

Intermédiaire public

Intermédiaire public

Agence d’intérim

FRÉQUENCE DES DÉMARCHES DE RECHERCHE D’EMPLOI, PAR TYPE, EN %

Comment on cherche et comment on trouveun emploi en France

1er trim. 2003 4e trim. 2012

2e trim. 2003 4e trim. 2012

90

80

70

60

50

40

30

20

10

50

40

30

20

10

0

0

2008 09 10 11 12 13 2014

199,4

143,7

169,6

INTERNET OBLIGE LES CABINETS

DE RECRUTEMENT À SE SPÉCIALISER

ENCORE

DAVANTAGE

ils ne sont que six. Le mardi 13 octo-bre, dans les box tout neufs de l’agencePôle emploi du boulevard Ney, dans le 18e arrondissement de Paris, la décep-tion se lit sur les visages. « Sur les 24 candidats qui avaient pris rendez-vous, seuls six se sont présentés », se désole Gilles Peillon, cofondateur de Pégast. Pas mieux pour Véronique Martini, sa voisine de box. Cette directrice des res-sources humaines de la chaîne de res-tauration Va Piano n’a obtenu que cinqentretiens avec des demandeurs d’em-ploi. Elle en attendait 18 dans la mati-née. « Là, quand même, ça fait beau-coup de défections », regrette-t-elle.

Ces deux employeurs, qui partici-paient aux Rendez-vous de l’emploi 2015, ont pourtant des postes à pour-voir rapidement. Pégast, grosse PME française fondée en 1999, ouvre une boutique de « gastronomie nomade » par mois. Chacune emploie trois per-sonnes « en CDI de 35 heures, au smic, à Paris », fait valoir M. Peillon. Cet entre-preneur cherche tout au long de l’an-née des « collaborateurs, pas des bras » pour cuisiner des sandwichs au pot-au-feu et des crémeux spéculoos.

Va Piano va, elle, ouvrir prochaine-

ment trois restaurants, dont un à Paris,rue Marbeuf à un jet de pierres des Champs-Elysées. Il y a urgence. L’inau-guration est prévue le 22 décembre. Ce restaurant de 480 places, ouvert sept jours sur sept, doit employer 100 per-sonnes pour assurer 1 500 couverts parjour. Il lui faut des cuisiniers, des piz-zaïolos, des gens en salle et des hôtes-ses de caisse. Mme Martini se démène. Elle ne fera appel aux petites annoncesqu’en « dernier recours, au dernier mo-ment ».

« Jobdatings »A ses yeux, la publication d’une offre n’est pas efficace, fût-ce dans le jour-nal référence du secteur. Partout, cetteancienne de chez Manpower fait donc appel à Pôle emploi. Ses antennes lo-cales lui organisent des sessions ditesMRS (méthodes de recrutement par simulation) ; les candidats se présen-tent « sans CV » pour passer « des éva-luations pendant trois heures ». La mé-thode « permet d’identifier les savoir-faire applicables à la restauration », ex-plique Nathalie Jouquan, directrice de Pôle emploi 18e Ney.

Cette fois, Va Piano a donc fait appel

plus classiquement aux entretiens de motivation dans le cadre des « Ren-dez-vous de l’emploi 2015 ». Depuis trois ans, une fois par an, pendant unesemaine, en Ile-de-France, Pôle emploimet en scène ce que ses conseillersd’aide à la recherche d’emploi font tous les jours : « identifier les em-ployeurs, préparer les candidats et monter des rendez-vous entre les deux », détaille Mme Jouquan. L’édition 2015 a mobilisé 1 100 entreprises. Laméthode – elle débouche sur 80 % d’embauchés – permettrait de « don-ner une vision plus dynamique de Pôleemploi » en remédiant au « décalage entre offre et demande » sur le marché en Ile-de-France.

Au passage, elle offrirait une chanceà ceux qui sont « en transition profes-sionnelle », comprenez les chômeurs en reconversion. Tout le concept tourne autour d’entretiens de candi-dats préselectionnés et briefés pour le poste par les équipes de Pôle emploi.Les entretiens, des « jobdatings », sefont à la chaîne, à la manière de ceux organisés par les sites de rencontre amoureuse dans des cafés. « Courts et efficaces », avance Mme Jouquan. Il

n’aura fallu que dix minutes à M. Peillon pour choisir Cindy, 20 ans, vacataire dans l’animation, titulaire d’un CAP en pâtisserie. « Elle a parlé client, c’est important », tranche M. Peillon.

Pour la candidate suivante, le verdicttombe en cinq minutes. Ce sera non. « Il y a un truc qui cloche » dans le cur-sus de cette jeune diplômée de l’Ecolehôtelière Belliard. Elle a « tout fait, saufde la cuisine », observe M. Peillon. Un autre candidat sera finalement em-bauché dès le lundi suivant.

Le secteur de la restauration et del’hôtellerie fait partie des bassins d’emploi dit « en tension ». « Il y a beaucoup de postes à pourvoir. Donc il y a beaucoup de concurrence entre em-ployeurs », explique Véronique Mar-tini. Les candidats auraient l’embarras du choix, entre « Starbucks, Burger King et Linas ». Entre 450 000 et 500 000 emplois seraient à pourvoiren France. Il n’empêche. Le quotidien d’une agence Pôle emploi le démon-tre, « en Ile-de-France, offres et deman-des ne correspondent pas toujours », regrette Mme Jouquan. p

j. ga.

A Pôle emploi, les mots-clés restent « préparation » et « accompagnement »

Page 44: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

8/LE MONDE/MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 REPRODUCTION INTERDITE

Retrouvez toutes nos offres d’emploi sur www.lemonde.fr/emploi – VOUS RECRUTEZ ? M Publicité : 01 57 28 39 29 [email protected]

DIRIGEANTS - FINANCES, ADMINISTRATION, JURIDIQUE, R.H. - BANQUE, ASSURANCE - CONSEIL, AUDIT - MARKETING, COMMERCIAL, COMMUNICATIONSANTÉ - INDUSTRIES & TECHNOLOGIES - ÉDUCATION - CARRIÈRES INTERNATIONALES - MULTIPOSTES - CARRIÈRES PUBLIQUES

LES OFFRES D’EMPLOI

Directeur général adjoint H/F (AD 15)

Direction générale de la mobilité et des transports, BruxellesCOM/2015/10362

La Direction générale de la mobilité et des transports (DG MOVE) est chargée d’élaborerles politiques de l’Union européenne en matière de transports. Sa mission consiste àgarantir une mobilité eicace et durable dans un espace européen unique des transports,

ain de servir l‘économie et les citoyens européens, tout en promouvant la protection

de l’environnement et la compétitivité.

La Commission européenne cherche un Directeur général adjoint qui sera chargé principalementde la coordination des activités de la direction «Réseau européen de mobilité» (MOVE.B) et

de l’Agence exécutive pour l’innovation et les réseaux (INEA).

Vos responsabilités :

Conseiller le Directeur général à déinir des stratégies, concepts, procédures et/ou

politiques ;Assister le Directeur général dans l’organisation et la gestion de la DG, en supervisant

et conseillant les directeurs et les chefs d’unité placés sous sa responsabilité ;Coopérer avec d’autres services de la Commission sur les questions liées aux transports

et représenter le Commissaire/Directeur général lors de réunions et manifestations.

Vos compétences :

Très bonne compréhension des environnements politiques complexes et de la politique européenne

des transports, ainsi que la capacité de développer une vision stratégique claire pour la DG MOVE ;

Capacité avérée à gérer et à diriger les ressources humaines et inancières d‘un grand service et

des processus de gestion du changement ;Excellentes capacités d’analyse et de négociation à haut niveau et très bonnes aptitudes à la

communication.

La Commission européenne promeut l’égalité des chances. Étant donné la faible représentation des femmesaux postes d‘encadrement, la Commission encourage tout particulièrement les candidatures féminines.

Veuillez consulter le Journal Oiciel C402A du 4.12.2015 pour l’annonce détaillée et les

critères d’admission.

Les candidats qui souhaitent postuler doivent s’inscrire en ligne sur le site :

https://ec.europa.eu/dgs/human-resources/seniormanagementvacancies/

La date limite d’inscription est ixée au 15.01.2016 à 12h00 heures, heure de Bruxelles.

APPEL À CANDIDATURE POUR LE POSTE DE

Directeur (h/f)de création industrielle (Ensci-Les ateliers)

Créée en 1984 et régie par le décret n°2013-291 du 5 avril 2013, l’Ensci-Les ateliers, établissement publicindustriel et commercial placé sous la tutelle des ministères chargés de la culture et de l’industrie, délivre desdiplômes de créateur industriels et de designer textile conférant grade de master.

La prise de poste est souhaitée le 1er mars 2016.

Le proil détaillé de l’offre est disponible sur le site internet de la bourse interministérielle de l’emploi public :www.biep.fonction-publique.gouv.fr (Référence n° 122010).

Doté de fortes capacités managériales, le directeur pilotera un projet pédagogique selon un mode de gouver-nance collaborative. Il développera l’innovation en partenariat avec les milieux industriels et renforcera lescollaborations avec d’autres établissements d’enseignement supérieur.

Les candidatures, accompagnées d’une lettre de motivation, d’un curriculum vitae et des principaux axes d’unprojet d’établissement, doivent être adressées, avant le 4 janvier 2016, par lettre recommandée avec accusé deréception aux destinataires suivants :

• Ministère de la culture et de la communication, Michel ORIER, Directeur général de la création artistique,62, rue Beaubourg, 75003 Paris

• Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, Christophe LEROUGE, Chef du service de l’industrie,Direction générale des entreprises, BP 80001, 67, rue Barbès, 94201 Ivry-sur-Seine Cedex

son directeur (h/f)

Proil :ingénieur(e) des métiers de l’aménagement urbain, ayantun doctorat ou une expérience conirmée del’enseignement supérieur et de la recherche.

Aptitudes requises :capacité à diriger une structure, connaissance des enjeuxurbains et métropolitains, ouverture internationale,expérience des inancements partenariaux.

Pour plus d’informations : www.eivp-paris.frContact : [email protected]

Dossier écrit à adresser à Mme la Maire de Paris,

copie à M. Régis Vallée, Directeur de l’EIVP

Poste à pourvoir à partir du 1er mai 2016

1ère réunion du comité de sélection : 3 décembre 2015

L’Ecole des Ingénieursde la Ville de Parisspécialité Génie urbain

Grande école d’ingénieurs accréditée par la CTI,

associée à l’Ecole des Ponts ParisTech et

à la ComUE Université Paris-Est

recrute

LA CAISSE DE DÉVELOPPEMENTDE LA CORSE

(www.cadec-corse.fr), société inancière agrééerecherche son (sa) futur(e)

DIRECTEUR GENERAL (H/F)

Mandataire social, sous l’autorité du Président du conseild’administration, il (elle) aura en charge l’encadrement d’uneéquipe d’une dizaine de collaborateurs pour exercer les attri-butions suivantes :

la planiication stratégique et le suivi de sa mise en œuvreles procédés de production, l’expertise règlementaire, lecontrôle interne et le suivi des risques de la sociétéla recherche de reinancement sur fonds publics et sur fondsprivés des engagements de la CADECl’animation des réseaux de prescripteurs, la détection, leinancement et l’accompagnement de projets d’investisse-mentsl’information comptable et inancière.

Présentant une solide expérience dans le inancement de pro-jets et le management, connaissant parfaitement l’environne-ment entrepreneurial de la Corse, le (la) candidate devra ré-pondre aux exigences règlementaires de l’Autorité desContrôles Prudentiels et de Résolution (décret n° 2014-1357du 13 novembre 2014 relatif au contrôle de l’honorabilité et dela compétence des dirigeants des sociétés de inancement).

Merci d’adresser votre candidature (CV, lettre de motivation)avant le 31 décembre 2015, par voie postale uniquement à :Monsieur le Président de la CADEC, 6 Avenue de Paris,BP70063, 20176 AJACCIO CEDEX 01

Directeur Général Adjoint h/f

Futur Directeur Général h/f - Poste basé à Anglet (64)

Missions : Dans un premier temps le DGA agira au côté du DG

actuel. Il prendra connaissance de l’histoire de la structure, de sonenvironnement, de ses équipes, de son marché, de ses outils et pratiques.Au plan opérationnel le DGA se verra confier des fonctions liées

à la représentation externe, au pilotage du comité de direction…

Après une période d’un à deux ans, le DGA prendra l’intégralité desfonctions de DG pour développer la structure (stratégie, développement

financier, organisation, animation des équipes, gestion de l’innova-

tion et partenariats) en dynamisant toutes ses composantes (équipesd’ingénieurs, docteurs et doctorants répartis sur 2 sites en Aquitaine).

Profil : Diplômé d’une école d’ingénieurs, 3e cycle universitaire (Master)technique, doctorat et post-doc, ou d’une École supérieure de com-merce, entrepreneur /manageur/business développeur, vous possédezune expérience dans la recherche scientifique/technologique, en tantqu’acteur direct ou indirect. Vous avez de bonnes connaissances desprocessus d’innovation et de gestion du changement et maîtrisez lesméthodes de développement commercial et de partenariats. Vos com-pétences en marketing vous permettent de transformer les innovationsscientifiques en offre de produit ou de service. Vous avez des aptitudesfinancières et des dispositions à la gestion d’entreprise. Votre bonnemaîtrise de l’anglais vous permet de positionner l’entreprise sur desmarchés internationaux. L’espagnol sera apprécié, ainsi que la pratiqued’une troisième langue.

Merci d’adresser votre dossier de candidature, sous réf. 1115NBTK/DGà Jean-Christophe Thibaud, LECTIA - e-mail : [email protected]

TOULOUSE ST-JEAN-DE-LUZ LYON PARIS

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NOBATEK, centre de ressources technologique

labellisé par l’Etat, développe ses activités de

recherche appliquée et prestations de service

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Page 45: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

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Page 46: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

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DOSSIER RÉALISÉ PAR M PUBLICITÉ

RDV LUNDI 14 DÉCEMBRECOMMERCIAUX

Dominique DervieuxDirectrice adjointe recrutement et mobilité CGI

La réalité de nos métiers est souvent mal perçue. Nous devons

continuer à renforcer leur lisibilité pour améliorer notre ’attractivité.

Si nos écoles d’ingénieurs sont excellentes, si les jeunes diplômés

ont appris à apprendre, il faut cultiver cette adaptabilité. Je note qu’il

y a aussi des formations qui sont parfois trop orientées et les candi-

dats qui en sont issus manquent dans ce cas d’uneméthode générale

et d’une maitrise des impacts des technologies sur la fonction, la gestion de l’entreprise et la

relation client. CGI conduit une rélexion avec le Syntec Numérique sur les troncs communs

et les options qui pourraient pallier ces faiblesses. C’est d’autant plus important que les

volumes prévisionnels de nos embauches sont signiicatifs : 1400 recrutements au total dont

la moitié sera composée de jeunes diplômés. Les candidats doivent avoir en tête que les clients

ont des exigences élevées. Particulièrement pour les proils expérimentés car ils attendent

des expertises conirmées. Pour le volet Consulting de nos activités, nous nous orientons de

plus en plus vers des candidats qui possèdent la double compétence technologie+management

sur le modèle des cursus de Grenoble EM, d’ Audencia-Centrale, etc. La mixité des CV est un

plus et dans ce cadre, le salaire suit.

Laurent BenazeraDirecteur Recrutement OPEN GROUPE

Nous sommes sur des métiers qui vont de la conception à la mobilité

et qui sont attractifs. Au point que je peux conirmer que pour certains

d’entre eux nous ne manquons pas de candidats : notre partenariat

avec Google attire ainsi dix fois plus de postulants, sur une base de

recrutement mondiale, que de postes de datascientists et de déve-

loppeurs offerts. Autant dire que la compétition est sévère. Par ail-

leurs, il faut bien aussi reconnaitre que nos clients sont parfois en déicit de technologie. Cette

situation nous pousse à développer des initiatives de formations importantes qui sont en

relation étroites avec les métiers de nos clients. Car si nous recherchons des jeunes diplômés

qualiiés, on a besoin de plus de sensibilité. Nous sortons d’une période où nos ingénieurs

n’avaient de relations qu’avec les DSI ou les directeurs de production. Aujourd’hui ils doivent

dialoguer en direct avec les responsables métiers. Depuis le marketing jusqu’aux RH. Cela

change la donne. C’est d’ailleurs une belle opportunité pour les ingénieurs femmes qui peuvent

apporter leurs qualités dans de nouveaux secteurs et s’épanouir aussi dans des sociétés plus

traditionnelles qui font le saut digital. Je souligne qu’à côté des jeunes diplômés, la multipli-

cation de projets clients localisés dans nos établissements impose le recrutement de seniors

pour gérer ces grosses opérations.

Nathalie MorinDirectrice des opérations DEVOTEAM

Acteur du Conseil en technologies innovantes et enmanagement pour

les entreprises, l’évolution des besoins de nos clients nous a conduit

à modiier nos critères de recrutement. Si notre cœur de cible reste

plus que jamais les diplômés bac+5 dont 98% sont issus des grandes

écoles d’ingénieurs ou d’universités, nous portons un intérêt plus

aigu aux aptitudes comportementales. Dans les faits cela nous conduit

à faire unmix entre ingénieurs généralistes et candidats plus spécialisés. Pour l’exercice 2016

notre programme de recrutement prévisionnel table sur 500 embauches qui seront réparties

entre 40% de jeunes diplômés de 0-2 ans , 45% de consultants 3-8 ans et 15% d’expérimentés

possédant plus de 8 ans de métier. Nous accordons une grande importance à la capacité de

contact de nos postulants avec les interlocuteurs métiers, particulièrement dans le conseil,

l’architecture, la gestion de projet ou l’AMOA , ainsi qu’à leur facilité de relations avec les DSI

pour le cloud, la mobilité ou la sécurité. Nous encourageons nos jeunes diplômés à proiter

des évolutions entre les technologies et les métiers ce qui nous a conduit à relancer notre

Université Devoteam.

Sandrine AntignatDirectrice de la communication ALTEN

On parle souvent de pénurie d’ingénieurs en France en raison du

nombre limité de diplômés par an - 37 000. Je pense qu’au niveau

macroéconomique cette population est globalement dimensionnée

pour le tissu industriel hexagonal. En revanche, au niveau micro le

dossier est plus complexe : nous avons besoin de cadres qui savent

gérer la complexité. Ce sont ces proils qui sont attendus par les

grands comptes. Et là, la tension modiie les critères d’appréciation. Il faut bien reconnaitre

que quand on est une société de 20 000 ingénieurs on pèse dans les métiers industriels et

technologiques. C’est ce poids qui fait de nous une société formatrice et en alerte sur les

nouvelles demandes. C’est ainsi que nous anticipons les nouvelles problématiques indus-

trielles. Celles de l’aéronautique se déplace ainsi désormais vers le manufacturier et l’ingé-

nierie plus que vers les bureaux d’études. L’autre secteur en tension c’est la fonction

informatique : sur le Big Data par exemple nous recrutons beaucoup de diplômés étrangers

spécialisés dans le traitement des données. Ces jeunes diplômés qui ont de très bonnes

capacités techniques sont malheureusement parfois freinés par les problèmes d’obtention

de visas de travail. Alors même qu’ils ont fait des stages dans des sociétés françaises.

> INGÉNIEURS <

un marché du travail plus que favorableIls sont en moyenne 37 000 à recevoir chaque année le titre d’ingénieur en

France. Une population qui ne connait pas la crise et qui ignore lechômage ; seuls 2,8 % de cette catégorie professionnelle est sans emploi.Une situation qui crée des tensions au il de l’évolution des technologies et

particulièrement de la digitalisation des entreprises.

Dresser le portrait de lapopulation des ingénieurset de leur cadre d’emploien France en 2015 après 8

ans de crise inancière et industrielle,c’est dessiner un paysage qui faitrêver tout responsable public aumoment même où les statistiques duchômage sont au plus haut depuis 20ans. Pour les ingénieurs le taux dechômage est inférieur à 4 % et de2,8 % quand on exclut des statis-tiques les jeunes diplômés en attentede leur premiers pas professionnels.Premier constat : le nombre d’ingé-nieurs entrant sur le marché est encroissance. Ils sont 37 000 pour ladernière promotion. Un volumeéquivalent à celui des Etats Unis quidonne un aperçu de la place que lesavoir technique et scientifiqueoccupe dans notre économie. C’estaussi un tableau où les visages sontjeunes : il y a de disponible sur lemarché du travail, quatre fois plus dediplômés de 25-29 ans que de seniorsde 60-64 ans avec une moyenne d’âgeglobale de 37 ans.

C’est un panorama financièrementapaisé : leur salaire médian qui s’élèveà 55 200€ par an représente 2,5 fois lesalaire médian français. C’est aussiune image souriante : nos ingénieursse disent à 82 % globalement satisfaitsdans leur travail. Avec toutefois unecoupure de classe : ceux qui issus desécoles généralistes bénéficient demissions variés et intéressantes et quioeuvrent essentiellement dans dessecteurs industriels sont les plus heu-reux. Beaucoup plus que leurs collè-gues plus spécialisés dans l’univers deslogiciels et des services informatiquesqui sont plus bougons et se consi-dèrent commemal rémunérés. Enin,c’est la grande faiblesse de ce tableaud’ensemble : la photo est peupléed’hommes. Les femmes ne repré-sentent que 21 % des ingénieurs. Lapart des femmes augmente, ellesn’étaient que 600 à obtenir le titred’ingénieur en 1973, elles sont 10000dans la dernière promotion mais celane doit pas masquer que leur place estmesurée et que cette évolution estlente. « La bonne nouvelle c’est que

nous adressons de nouvelles lignesde métiers qui sont favorables auxjeunes femmes. Les industries duluxe, du tourisme, de la grande dis-tribution s’engagent dans la digitali-sation de leurs activités. Des secteursqui demandent plus de sensibilité etdes relations plus personnalisées.Cela change la donne quand on nes’adresse plus aux DSI mais de plusen plus aux patrons du marketing,de la commercialisation ou des RH »

souligne Laurent Benazera, Directeurdu recrutement d’Open qui attend700 nouveaux collaborateurs dont95 % d’ingénieurs pour le développe-ment de projets dans la transformationindustrielle et digitale, le M etE commerce ou le Big data. 30%d’entre eux seront des JD et 60 % desingénieurs conirmés.Ce panorama ne doit pas pour autantmasquer les écueils à surmonter. Enparticulier dans les domaines de l’in-formatique où le nombre de deman-deurs d’emplois ne diminue pas carles profils recherchés par les entre-prises et plus particulièrement lesdéveloppeurs ne sont pas forcémentdisponibles « La moitié de nos 1400recrutements sur 12 mois sont desjeunes diplômés issus pour 65 %d’entre eux des stages que nousouvrons dans nos 22 sites à travers laFrance. Ils seront à 80 % orientésvers des projets d’intégration systèmeet spécialisés pour être plus perfor-mant s » soul igne DominiqueDervieux directrice adjointe du recru-tement et de la mobilité chez CGI.Les exigences des entreprises du sec-teur numérique rejoignent celles duConseil en Technologie. Pour cesdernières, il n’y a pas de pénurie glo-bale de profils ingénieurs maiscomme 97 % d’entre eux trouvent unjob dans les 6 mois qui succèdent lafin de leurs études, les frottementssont nombreux. Et dès que l’on rentredans l’analyse micro des besoins desentreprises les dificultés de recrute-ment font surface « Les jeunes diplô-més ont une formation de base très

forte. Nos ingénieurs ont une bonnecapacité à capter l’information etrésoudre les problèmes. C’est le fruitde leur formation.Mais il ne faut pascacher la difficulté actuelle : nousavons besoin de proils hybrides carles ingénieurs sont au milieu de 2mondes » analyse Sandrine Antignat-Gautier directrice de la communica-tion d’Alten qui va recruter 2700ingénieurs sur l’ensemble de laFrance dont 45 % de postes réservésaux JD, 40 % aux 2-5 ans d’expérienceet 15 % pour le experts. Des recruesqui iront renforcer les nouveaux pôlesen croissance comme la santé où leBig data fait une irruption remarquée.Ces nouvelles activités qui infusentl’ensemble des entreprises au il de lamontée en puissance de leur digitali-sation appellent des proils qui mai-trisent les fondamentaux de lamobilité, du cloud computing, de lasécurité ou de l’analyse de données,les SMACS. « Ce sont des postes trèsexigeants pour une population dejeunes diplômés souvent innovantsmais très impatients qui veulent allerparfois un peu trop vite. Ils veulenttravailler sur l’offre exacte qui lesséduit et pour y faire face nous met-tons en place des structures d’ac-compagnement qui permettent demultiplier les échanges avec lesmanagers» explique Nathalie Morindirectrice des opérations France deDevoteam qui souligne le besoin decette génération de relations approfon-dies avec l’encadrement.

La qualité de l’environnement autravail, l’intérêt des missions, les pers-pectives de développement personnelsont des facteurs de plus en plus prisen compte par les employeurs. Ils lesont d’autant plus que les ingénieurssont volatils et que le marché interna-tional leur est ouvert. Reste le facteurrémunération. C’est selon les jeunesdiplômés le point noir du dossier. Lessalaires d’embauche varient de 30 à 36K€ selon le rang de l’école, la spécialitéet la zone géographique de travail.

L.PM

ChiffresLes

un marché dutravail plus quefavorable

les ingénieursfemmes peuventproiter del’ouverture denouvelles ilières

la digitalisationdes entreprises créeun appel d’air pourles ingénieurs

55200€c’est la salaire médian desingénieurs en France

37000le nombre detitres d’ingénieursdécernés en 2014

17%le nombre d’ingénieursfrançais qui exercent àl’étranger.

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Page 47: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015

0123MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015 MÉDIAS&PIXELS | 11

Michel Field à la tête de l’info sur France TélévisionsLe journaliste est nommé à un poste stratégique pour le groupe public à un an et demi de la présidentielle

Les grandes manœuvress’accélèrent dans le do-maine de l’informationà France Télévisions.

Lundi 7 décembre, l’entreprise pu-blique a confié ce domaine sensi-ble à Michel Field, qui dirigeait France 5, en remplacement dePascal Golomer. Ce dernier, qui faisait partie de l’équipe de RémyPflimlin avait conservé son poste à l’arrivée de Delphine Ernotteà la présidence de France Télévi-sions. Du côté de France 5, c’est Ca-roline Got, directrice de la straté-gie et des programmes, qui rem-place provisoirement M. Field.

Pourquoi ce changement, troismois et demi après l’entrée en fonction de la nouvelle prési-dente ? Selon un premier niveau de lecture, M. Golomer n’aurait pas donné satisfaction. « A son ar-rivée, Mme Ernotte a fait le choix de la continuité. Cela n’a pas fonc-tionné », dit-on à la présidence deFrance Télévisions, en précisant que le remplacement de celui qui

a fait toute sa carrière dans le ser-vice public, et doit être « appelé àd’autres fonctions », n’est pas une sanction.

Les dysfonctionnements n’ontpourtant pas manqué, qu’il s’agisse du cafouillage autour de lavenue – annulée – de Marine Le Pen à « Des Paroles et des ac-tes », mi-octobre, ou du lancementtardif d’une édition spéciale sur France 2 au soir des attentats du 13 novembre. M. Golomer aurait aussi défendu le directeur de la ré-daction de France 2, Eric Monnier, qui devrait prochainement quitterses fonctions après avoir vu ses méthodes de management con-testées par les syndicats.

Calendrier serré

Derrière ces incidents se nichent une divergence d’état d’esprit etune forme d’impatience. L’infor-mation est la priorité du début de mandat de Mme Ernotte, qui a choisi de lancer une chaîne en continu et doit mener à son terme

un plan de fusion des rédactions (France 2, France 3 et France TVInfo) baptisé « Info 2015 ».

Le calendrier est serré : les con-sultations sociales sur la chaîne d’info doivent commencer en dé-cembre, pour un lancement prévuen septembre 2016. Alors que les syndicats continuent de combat-tre « Info 2015 », ce projet va néces-siter une accélération du travail encommun, y compris avec les autres acteurs de l’audiovisuel pu-blic. « Il faut qu’on avance et qu’on renforce l’esprit collectif », résume-t-on à la présidence.

Selon ce deuxième niveau delecture, il fallait donc tourner la page et installer une figure nou-velle, non marquée par les rivali-tés entre France 2 et France 3, ni

par les affrontements avec les or-ganisations syndicales sur le pro-jet de fusion. D’où le choix de Mi-chel Field, qui doit apporter un « nouveau souffle ».

Ce dernier est une pièce impor-tante de l’équipe Ernotte. Hommede réseaux, agitateur d’idées, cet agrégé de philosophie entré en té-lévision chez Christophe Decha-vanne en 1989 fait partie de ceux dont la présidente apprécie les conseils. Ces dernières semaines,il a d’ailleurs participé aux réu-nions consacrées au projet dechaîne d’information, chapeauté par un ancien de LCI, comme lui : Germain Dagognet.

Sur la chaîne d’information dugroupe TF1, M. Field a animé unetranche d’information ou encore

l’émission de débat « Politique-ment Show », notamment auxcôtés de Patrick Buisson, futurconseiller de Nicolas Sarkozy.D’un point de vue politique, il of-fre l’avantage d’avoir une imagede gauche, en partie liée à son en-gagement de jeunesse à la Ligue communiste révolutionnaire, tout en ayant bâti une proximité avec l’ancien président de la Ré-publique. Une double compatibi-lité précieuse à un an et demi de l’élection présidentielle.

L’animateur est surtout connupour ses émissions culturelles comme « Le Cercle de minuit » ou« Au Field de la nuit ». Cette expé-rience suscite des interrogationsdans la maison. « Nous ne som-mes pas surpris qu’il y ait un chan-

gement, déclare ainsi Serge Ci-mino, journaliste à France 3 et membre du bureau national duSNJ. Mais nous sommes étonnésdu profil retenu. »

Les journalistes ont donc com-mencé à spéculer sur l’identité dudirecteur des rédactions qui est à leurs yeux le complément opéra-tionnel indispensable à MichelField. Des noms comme ceux d’Agnès Vahramian ou d’Hervé Brusini sont cités, mais il semble difficile de convaincre quiconque de porter le projet de fusion. « Mi-chel Field va-t-il remettre en ques-tion les projets de l’équipe précé-dente comme “Info 2015” ? », inter-roge l’élu (CGT) Marc Chauvelot. p

alexis delcambre et

alexandre piquard

Michel Field, dansson appartement parisien.JULIEN FAURE/REA

Motherboard parie sur une presse « tech » à visage humainLe site consacré à l’innovation, filiale du groupe américain de médias Vice, lance sa version française mardi 8 décembre

N ous concentrons nos his-toires sur les gens quisont derrière la technolo-

gie. C’est plus intéressant que de faire une chronique sur le dernier iPhone. » C’est avec ce simplecredo que Derek Mead, le rédac-teur en chef de Motherboard, ex-plique le succès de son site consa-cré à l’innovation. Et cette filialedu groupe américain de médiaspour jeunes Vice compte désor-mais percer en France : Mother-board s’y lance mardi 8 décembre,après avoir décliné son site améri-cain en espagnol et ouvert des bu-reaux au Royaume-Uni, au Ca-nada, au Brésil, aux Pays-Bas, en Italie et en Allemagne.

Motherboard s’est récemmentillustré par quelques scoops, dont la révélation du piratage des don-nées du constructeur de jouetsconnectés VTech. Ou celle des noms des utilisateurs du site de rencontres extraconjugales As-hley Madison. « Motherboardavait interrogé les hackers eux-mê-mes mais aussi des gens qui avaient vu leur nom publié, en rap-pelant que l’adultère peut être punide mort dans certains pays », note Sébastien Chavigner, rédacteuren chef de la version française de Motherboard, pour souligner l’approche « humaine » du site.

Parmi les premiers sujets fran-çais, M. Chavigner racontera sa se-maine passée à se nourrir presqueexclusivement de Soylent, uneforme de nourriture du futurcréée pour apporter tous les nu-triments nécessaires sous formede poudre à diluer : « Un enfer ».On lira aussi le portrait d’une des personnes chargées de calculer la trajectoire des débris dans « l’es-pace poubelle ». Ou un sujet sur lemédecin légiste et anthropologuePhilippe Charlier, parti à Haïti à la

recherche des « zombies » – sortesde « morts-vivants », endormis avec des poisons puissants et ra-nimés après avoir été déclarésmorts, explique M. Chavigner. Unsujet conforme au goût des mar-ges et de la provocation de Vice.

« Notre approche est globale, ex-plique M. Mead. Nous ne voulonspas seulement parler de New York et de la Silicon Valley : la France et l’Europe ne sont pas assez cou-verts. » Le rédacteur en chef amé-ricain se dit intéressé par le projet de fusion nucléaire Iter.

« Economie et pop culture »

« En France, il y a peu de sites de médias dédiés à l’actualité de l’in-novation », regrette M. Chavigner,qui souligne l’importance crois-sante du thème chez les supports généralistes, comme Le Monde, LeFigaro ou Slate, où la thématique est souvent traitée par une équipedédiée, comme Pixels au Monde.

Pour tous, les exemples sont dessites anglo-saxons comme The Verge, créé en 2011 et rattaché au groupe de nouveaux médias Vox, ou The Register, réputé sur le thème de la sécurité informati-que. Motherboard est connu pourses enquêtes et ses vidéos (il aura en France quatre personnes dé-diées aux images, en plus des qua-tre permanents de la rédaction).

Les sites

anglo-saxons

comme Wired,

The Verge,

ou The Register

font figure

de modèles

La référence historique incon-testée reste le californien Wired, qui dès les années 1990 a proposé un magazine papier époustou-flant, doublé d’un site Web quoti-dien. Propriété du groupe de presse Conde Nast (Vanity Fair,Vogue…), son possible lancement en France fait l’objet de rumeurs régulières.

Occuper ce créneau reste undéfi : le magazine papier Huma-noïde l’a tenté un an, avant de je-ter l’éponge à la mi-septembre ; comme le journal et le site Trans-fert près de quinze ans avant lui.

Le flambeau est pourtant tou-jours relevé : deux anciens d’Hu-manoïde ont lancé le siteGeekzone, alors que d’autres ont rejoint Numerama. Ce site connu pour ses combats autour du télé-chargement illégal et des libertéspubliques vient d’être racheté et« repositionné » : « Nous avons uneligne beaucoup plus ouverte, pro-che des Anglo-Saxons : on intègre de la science, de l’économie et de lapop culture », explique Ulrich Ro-zier. Ce dernier a acquis Nume-rama grâce au succès de Fran-droid, un site consacré au mobile qu’il avait cofondé. Lui aussi re-vendique un traitement « hu-main » des technologies et espère importer un peu de l’optimismeaméricain, parfois forcené dans lecas de Wired.

Reste l’épineuse question desmodèles économiques : Mother-board bénéficiera du soutien du groupe Vice, expert en publicité ciblant les jeunes et en vidéos sponsorisées. M. Rozier a lui com-plété ses revenus publicitairesavec des liens vers des fiches de comparateurs de produits et envi-sage une version payante de Nu-merama. p

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Page 48: Monde 3 en 1 Du Mercredi 09 Décembre 2015