Mohamed Ali EQUIPE 2001

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*i legenf,p Par Kadrn Ben-lsmail, à Berden Spdngs (Michigan) POUR RETROUVER UNE LÉcENDE, c'estsimple.< Au McDonald's, tournez à gauche. Et suivez Kephait Lane jusqu'au bout. Là commence la propriété de Muhammad Ali. > Tèlles étaient les indications de Jill Siegel McDernot, l'attachée de presse new-yorkaise d'Ali. C'est là, à Beûien Springs, gentille bourgade de I'extrême sud du Michigan, la région des Grands Lacs, qu'Ali a choisi de vivre iiy a quelques années déjà. Kephart Lane est un chemin vicinal le long duquel défilent des résidences aux pelouses impec- cables. Après deux kilomètres, un mur de pierre, une giille métallique noire. Une discrète caméra de suNeillance et un vénérable érable àfeuilles rouges évaluent le visiteur. Un interphone. 7 JU |LLET 20ol . No 1 o@ . lÉou I pE llacazt N E 3t

description

Très beau reportage chez le grand boxeur. Date de 2001, toujours actuel.

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legenf,p Par Kadrn Ben-lsmail, à Berden Spdngs (Michigan)

POUR RETROUVER UNE LÉcENDE, c'estsimple.< AuMcDonald's, tournez à gauche. Et suivez Kephait Lanejusqu'au bout. Là commence la propriété de MuhammadAli. > Tèlles étaient les indications de Jill Siegel McDernot,l'attachée de presse new-yorkaise d'Ali. C'est là, à BeûienSprings, gentille bourgade de I'extrême sud du Michigan,la région des Grands Lacs, qu'Ali a choisi de vivre iiy aquelques années déjà. Kephart Lane est un chemin vicinalle long duquel défilent des résidences aux pelouses impec-cables. Après deux kilomètres, un mur de pierre, une giillemétallique noire. Une discrète caméra de suNeillance etun vénérable érable àfeuilles rouges évaluent le visiteur. Uninterphone.

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Une fbis le.portail ouvert, il faut encore prendre une alléebordée d'arbres et de champs. Courbés.des ouvriers agricoles

s'affairent dans un potager. Sur la droite, au loin, trois bâti-ments blancs, courts et larges. Une rumeur assure que cetteancienne ferme a appartenu àAl Capone dans les années20Muhammad Ali I'a achetée comme résidence secondaire ily a près dc vingt ans. Les premiels temps, Drew " Bundini "Brown, fidèle compagnon aujourd'hui décédé, a passé des

heures, telun infatigable laboureur,à remuerla terre en quête

d'un hypothétique trésor enfoui par le gangster napolitain.Auiourd'hui.Ali, cinquante-neuf ans, y a définitivement établisa retraite ainsi que les bureaux de GOAT Inc. (< Greatestof All Timcs ". le plus grand de tous les tcmps), la sociétéquigère son image,son planning.ses apparitions dans diversesconférences ou ceuvres caritatives.Autant que sa santé et ses incessants déplacements le luipermettent,et au grand dam de sa femmc Lonnie,Ali affec-tionne une "politique de porte ouverte

". s'efforce de se rendre

disponible aux visiteurs. Récemment, un couple de BerrienSprings est venu le voir avec leur fils, jeune toxicomane.Ali a passé I'après-midi à discuter avec lui, à marcher dansla propriété au milieu des oies ou au bord de l'étang.A la nuittombée, il a insisté : " Si tu te sens prêt à replonger, reviensmcvoir. > C'est dans cet esprit qu'il accueille L'Equipe Maga'zina Guide précieux et enthousiaste. Muhammad Siddeeqnou. uootnpagne. Âgé de soixante-cinq ans, cet ancien Profes-seurde mathématiques et de biologie à I'université d'Etat deFloride, actuellement conseiller spirituel de Mike Tyson,connaît Ali de lorgue date. Leur amitié remonte à 1965. Ilsse sont connus lors du combat d'Ali face à George Chuvalo,à Toronto.

oix hEurEs dll mdtin. Nous sommes accueillis par Méla-nie, une des secrétaires. Muhammad, comme elle I'appelle,est encore dans ses appartements. En l'attendant, nous som-mes invités à nous restaurer dans une petite cuisine équipéeattenante à son bureau. Machine à café, presse-agrumes,réfrigirateur américain... telle une représentante en électro-ménager elle nous encourage à en disposer à notre guise età piocher dans une boîte de doughnuts, ces beignets rondsaméricâins. David Chaudoir, un Blanc, assistant personneld'Ali,nous rejoint. Évidemment, il a déjà été renseigné sur leMagazine par l'attachée de presse de New York. Mais il sou-haite en savoir plus : objet de I'interview, suface de lecto-rat... Des voix I'interrompent. Ali est aûivé dans le patio etles secrétaires se sont précipitées pour le saluer. Le bruit de

ses pas se rapproche, La démarche est irrégulière, unesemelle lrotte la moquette. C'est son ombre qui.la première.glisse à travers la porte. Puis il apparaît. Imposant bien que

voûté. habillé simplement, ample : des baskets.un bas de sur-vêtement, un polo.Ali nous salue. S'enquiefl de savoir si nous avons fait bonneroute. Sa voix est grave.éraillée. Son élocution hachée.Atteintdu syndrome de Parkinson, il a parfois du mal à articuler.Certaines de ses syllabes sont difficiles à comprendre. Ses

sens intellectuels, en revanche, n'ont pas été altérés. Il nouspropose à boire. Tandis qu'on lui répond, son regard se

détourne.Ila repéré la boîte de gâteaux vers laquelle ils'em-prcsse comme un enfant.Il se débat avec le carton pour enextraire un beignet au chocolat.David Chaudoir nous convie à passer dans le bureau d'Ali.Vaste pièce aux teintes ocre,larges baies vitrées ouvertessur le parc. C'est derrière une large table ovale qu'Ali aimes installer. Ses livres et ses écrits y sont posés avec soin.

tÉoutpE MAGAZ|NE. N' iooo. z JU|ILET 2001

K tlnn Enmnal E'EEI f,e tD'un sigûe du bras, il nous propose de prendre place surdes canapés. Sa démarche est laborieuse, il lui faut quelquetemps pour rejoindre son fauteuil.Il s'installe paisiblementet nous invite à commencer I'entretien.

Pourquoi avoh choisi de vous rether ici, à Benien Spdngs, plutûtque sous le soleil de Califurnie ?

Oh! c'est une longue histoire ! Ça doit faire dix ans main-tenant...

Chaudoir le reprendÇa fait plutôt plus de vingt ans, Muhammad...

Bon. alors ily a une vingraine d'annees... À l époque.je vivaisà Chicago,j'étais à la recherche d'un endroit pour monter uncamp d'enlraînemenl. un lieu calme pour pouvoir me préparersereinement. J'ai vu cette prop été et j'ai tout de suite aiméI'endroit. C'est si lraqquille et si paisible ici,vous avez vu I'en-vironnement ? J'ai décidé de I'acheter pour venirm'y entraîneret,à l'occasion,y passer du temps.Après mon dlvorce (d'avecVeronicn Porsche, la mère de Laila, en 1986), je me suis souvenuque je possédais cette propriété et j'ai décidé de venir m'yinstaller définitivement. Ici. au milieu de la verdure et des

Àli dansla demeure

du I'Iichigânqu'il possède

depuis 1975, etoù il a choisi

dê vivre.

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Aulouf(l Ilui. c:Lrir Ilu' prochc tlLr Pr.chcur....ll u)r!|lfu tn(on l()nKtttDttttt. ltuntit trij.fhtiqutt

Vous devez combattre 0u accepter la maladie ?

Lt), il t l l)() tl it tltlkTlirttttn c tt t. :rtns luis i rt, r.Lcsri,:Lrr l.lcl-rrccr,PtùctlcLloi\ illtcl.()ntrcùllù.l r(()|thlll.t c:t Llc sr'Icrer 1.,nltl t.rl lrllut ntitrcltcr.rlc litire J. l ù\rrcicc. tic nrrnger unc nourltrrrt, slrinc_ tl. prenrlre lcs ntjrlL

ll 1t( tbl{ dr plut nr 7rlrrr. -\r,r onglts t oSnt,nt t.ontrcI t\\it t,r, !lt, \tùt h.iqtit:t.

( hrrlLre lour'. c e't 1c uotrl qui ro|nc Lt\li : itttL,rrotttpt Lt st'ttttt ot gdnlL,!

l)irrl()i\ lLl ùs filrù\\eu\... ()U itl()r\ liljbLù. lir rnlnqcs I inrI)()rlt (lrlL)i. Ju.rrcrc orr tlt,s bùi! .l\ | lU \xi\ !llLe cù n !.\t|lr. lron P(rur r()r. Jnlli\ tLl llc |cLl\ |lrs t clstsler'._lu s,.. s lc hcsoiùri cn nlrl!cr'.

ll ri ,k, t,t ittti\tfI)ill()i\. Lu fa l).u\ ra\i\1.1. ilt. litLll c tnitngcf.

Vous souffrez physiquement ?

\Lrn. ll rr r tr Ilrs de rlorrlcur. ( -crt unl rl.. Iitr.ticullrritc: tlr,

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trvEE de marthsr--- fhaque InuE Ie gnng EEnnE ttiLr rr\r\. lr,nt!.cù' ht.l] ( lt.rclLrc Ititlln i \])lrltLi\ la cltitnl.ir' i,r.iiLrLr. I lf r. nt! lrt()nteIrr Lliln\ ù l)lLtc. lr\lcr il\\i\rlrh('r\ \rLt uJr hiutc ..

Comment a débuté votre iourrée ?

.lrnrr\LLr\rLi\ùillai(rlr.Llrù\.1_itl)irtt{Itn! t\trlt,t)tj}tt, It)1t it.)rrr'll (lll:- I)clr()ul llLt ir: Lrne iltcr r icl lLrrjourtl ltui l..lclLtr ltr r.|,rrttlu:. lJir.l. nr'tllLntc I-. l)Llr\lf rne \ui. lù\ ù..l ill,ti.LLrrr'.|rr.h,:.ntirnlttLIt.Jù|ri Iil\Ljqu. c1 je\ui\rLù\i!ll!l!1,rirr rrrlr |t iùr r !lrL nlll|t.

0uelle signilicati0n app0rtez-vous à ce gesle ?

IlrLrr rrtri.lltlllcrc:i!rrilicrrlrei:rLrIcci l)ieLr ( c.l rrùrlcrrrir'qL r ie .tLi: ohlrge rl rllùclurr. I ù nlLlin. cn ntt Icrirnt. ic\lr \ (ltra la 'Lfs.errsc nt inclinrt r.,rs I) cLr et jc nt rre.LLtclrlrrr' rlua a-c\t tllrns ntrrlt crtL| .l iri cnr ie tl.. aaLla l)ti.fa clt. tt. rnc scrtr l,lrr hien tirnt rlrLe 1c nc I lri Iir. rrccortrIlic.

V0us c0nsidérez-v0us t0ui0urs c0mme un c0mbattanl. en lutte c0nlre ,le syndr0me de Parkirs0n, c0mme un prêcheur ?

Âli srttlflt. On nt nir : il rlllû hittn .çi I tllorr y tur libirL,r!(: t!)l\ lt!i (()ittt,.

T IIJ LLET 2OOI . N' l OOO. LEOLJIPE I,IÂGAZ NE

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Àli et Eonépouae

Lonnie lorad'une soirÉe

de gala àlta6hington,

en juinalernier.

Bonjour à vous.je venais vous saluer .

Elle aperçoit le beignet ou chocolat dans les mains deMuhammad Ali et lui jette un rcgatd désapptobateur.

Tù n'as pas pu résister n'est-ce pas ?

Il gromruelle.Aujourd'hui,je vais te mettre au régime légumes clus !

Ali défie sa femme du regard avec de grands yeur sévèreset répond.

Bien madame, bien patron !

Voilà comme j'aime t'entendre me répondre. Quoi que jefasse pour essayer d'améliorer ta santé,appelle-moi patron !

Elle explique que son état est meilleur lorsqu'il se

conforme à un ftgime sain. Puis quitte la pièce d.ansun sourire,

Lonnie rst une alliée pÉcieuse...Ali ne répond pas à la quettion. Il s ïerrné les yeux. Soncorps lourd s'est mforcé datu le fauteuil. Il semble assoupiEt se met à ronfler. D'abord imperceptiblement, puisde plus m plus fort. David Chaudoir explique qu'Ali aparfois des absences. o C'est à cause du combat conteFruzie\ ajoute Muhammad Siddeeq. Parfois il en rêve.Et çq toume au cauchemar. Faut faire gaffe : souvenl ilse réveille et il se croit sur le ring ! "À ce moment, il devient diflicile d'oser regarder Alisans éprouver une gêne, un désagréable sentiment devoyeu sme. d'impuissance désolée... A I'instanr où jedécide de couper le dictaphone, Ali rouvre les yeux etse tourne vers mol les tfaits tendus.

Borjh L lâchel-il d.'une voix rauque, avant d.'ajouter : Je \ovsai eu. non ?

Comme j'oscille entre stupeur et surp se, il est satisfoitde son effeL content de constatet que sa feinte a bien fonc-tionné. Il rit. Chaudoir et Siddeeq rient aussi. Complices,ils connaissent ce " spécial " que Muhammad réservesouvent à ses invités, cette façon qui lui est propre de joueravec sa msladie et avec le regard des autres

lbffi v0us i0uez d0 m0i, n'Bst-ce pas ? Rsvenons à lnnnie...Elle comprend waiment ce que j e ressens. Elle pense commeje pense, elle croit ce en quoi je crois. Nous ne formonsqu'un et, ainsi,la vie n'est pas difficile à vivre. Quant à mesproblèmes. elle les accepte tout comme moi.

lbt? union, c'est mt? c{m[q le sien 0u cehd du d8tin ?

Sa mère habitait une maison en face de celle de ma mère àLouisville, dans le Kentucky.

Il s'interrcmpt encore, semble très fafigué. Mqrque unelongue pause.

Elle avait six ans quandj'en avais vingt. On a grandi commeun ftère et une sæur I'un pour l'autre. Au début, elle était

K J'ai iunte pssaue d'nuvrir les EÊFrits >$ .":.' la maladie de Parkinson, personne û'en soulfre physique-

menl. C'est juste des tremblements et dcs mouvementsincontrôlables, mais pas de douleu$.

C0mment ôbs-y0us p|rrcnu à accepter d'eùf, ruioutd'hui dépounu

de ce qui laisrit wtr 10rc0 hisr : lulgunnce et vib$e dsns la parule

et dans le 0eslD.. . ?En me disant - et surtout en comprenant - simplement querien n'arrive sans la volonté de Dieu. Telle est ma foi. Jecrois que c'est une épreuve que le Créateur m'autorise àpasser. Pour quelle raison ? Je I'ignore.,. Mais telle est Savolonté. C'est un problème divin. Je dois lutter, faire avecet ne pas cesser de prier. Dieu a de multiples façons detester les hommes, de les mettre à l'épreuve. Je sais pour-quoi tout ça m'est arrivé : Dieu me montre que je suis unhomme comme les autres et, ainsi, chacun peut en tirer unexemple pour soi. Quand j'étais champion du monde, sainet en bonne santé, riche, gagnant de I'argett et tout ça.,.j'ai passé un premier test.J'ai su rester fort dans mes convic-tions de croyant. J'ai lutté contre les tentations diverses. Uar-gent ne m'a pas détouroé de ma foi,la gloire ne m'a pasdétoumé de ma foi. Aujourd'hui,l'épreuve qu'on m'envoies'appelle Parkinson.Dieu me regarde, observe sije continuede prier, sije persévère à servir Sa cause malgré la maladie.Je n'ai jamais laissé quoi que ce soit m'arreter par le passé

et ce n'est pas Parkinson qui va entacher ma foi !

Cruycz-yo[s ryoir oflensé 0icu rn mw FÉsefltlnt longtemps comme.$e Gnahst" 0c plus 0md) ?Quandj'ai dit quej'étais le plus grand,Dieu,qui est vraimentle plus grand, nous le savons tous, savail ce que je ressen-tais au fond de mon cceur. Je voulais dire que j'étais le plusgrand boxeur.

D'unevoix plus grave etplus forte, il reprend ses haran-gues spectacul.eies du passé, avec d'amp les mouvementsdes bras. Il ferme les poingg rnime un enchaînementde boxe.

Le plus grand boxeur de tous les temps ! Iæ plus grand boxeurde tous les temps ! Je voulais simplement dire le plus granddans la boxe. Il aurait fallu que je sois un fou pour oser mecomparer à Dieu.

Puis Ali se met à rapper.I ain't no fool/I'm in the school/And iû the rules/I'm cool.(Je ne suis pas fou, je suis à l'école et dsns les règles, je suiscool.)

Il éclate de rire.Dieu est le plus grand !

Lo porte qui s'ouvre inlerrcmpt Ali. C'est Lonnie, sa

compagnà, En tenue de spon,ui casque de télëpholesurla tête. Diplômée d'un M BA en commerce de I'universitéI'UCLA, c'est elle qui diùge GOAT. Ali l'a épousée le19 novetnbre 1986, quatre mois après son divorce.

lll rÊoutpE llacAzt E. it" ro@. r ru[.LEr zoor

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> > > jeune,je la regardais d'un Gil différent. Puis, un jour,je suisrevenu à Iruisville alors qu'elle avait quatoEe ans. Elle avaitgrandi,était devenue une femme... Elle m'a tapé dans I'ceil.De loin, elle avait vu passer plusieurs compagnes dans mavie, mais s'était toujours dit, en elle-même, qu'unjour ellem'épouserait,

Il se remet à rimerNow she's mine/And she's fineÂ.,low she's mine/And she'sfine | (Désormais elle est à moi, et elle me va. Désormais elleest à moL et elle me va. ) Ça lalt quatone ans que nous vivonsensemble. Dans les précédents mariages,j'ai commis deserreurq je me suis laissé séduire par I'apparence extérieure.Si votre femme ne comprend pas vos convictions religieuses,

ça rend les choses impossibles.

0uatoze ans de vic communs, c'cst un combat ? ltes compromis-siom ?

C'est une femme parfaite, elle est comme uDe scur. C'est unebonne croyante, nous prions ensemble. Ellc me comprend,connaît mon passé.Il n'y a aucun conflit dans notre rela-tion.

Yos proches allhment que yo[s êtes lacile à yiyr€, iamais conllic-fuel. C'est d0 à votre natun, à votr8 cultll]ê, 0u au lait que voN êbslas de vous battn ?

Il y a différents combats en dehors du ring...David I'interrompt.

Vous pouvez demander aux gens dans les bureaux ici,Muhammad est sans cesse en lrain de nous défier...

Ali lui répond-Tu cherches les embrouilles, toi ? Je vais m'occuper de toncas après le show !

DavU à nouveau.Non,je plaisante, Sincèrement,Muhammadn'est pas du toutun homme de conflit.

Je qois que c'est ma nature.J'ai toujoun été un gars paisible,non violent.

Êtcs-rous sensible au rogard des aulrus sul vous. Hier championl0rt et puissant auioud'hui am0indd ?

Non,je ne me soucie pas de ce que les autres pensent. Jamais !

Tout ce qui m'importe, c'est le regard de Dieu. Je suis justesensible à ce que.ie ressens au fond de moi et,pour le reste,je m'en remets à lui.

PeNez-vous soûvent à Gê qu'il y a apÈs ce{te ûe ?Tous les j ours, Tout le temps. Je n'arête pas d'y penser et unequestion revient : je ne sais pas quand, commert et où jevais mourir... Je n'ai pas de réponse. Et sije meurs demain,qu'adviendra-t-il ? J'espère juste être prêt à ça. Chaquefois que je prie, je pense à l'après-vie. Certains la redou-tent,c'est effrayant...

II prcnd de gros yeut et une grosse voix. Il lève les braset mitnc ute créature du docteur Frankenstein.

You shall die ! You shall die ! You will die ! You must die !

(Tu vas mourir ! Tu vas mourir ! Tu mourras ! Tu tloismourir !)

Il it Indénitblement, cette joie d'assurer le show et detrower ur au.dibire le rend heweux- Il s'adresse à Si.ddeeq

etfappant: ,That's my manÆhat's my best fan/And h e's gol a taî t ( Lui,c'est mon pote, mon meilleur supporteur, et il est un peubronTé.)

42 rÉourpE MAGAZ|NE. N.rooo. irutLlET 2oo1

K Enf,rIUE fnis qug iE prAprès cet intermède, il nous enjoint à poursuivre.

0u' Gz-y0us appds d'[n sport c0mme la borc ?

J'ai beaucoup voyagé, rencontré beaucoup de gens et décou-velt de nombreux pays, ça aide à se construùe dans une vied'homme. Surtoul, ça m'a permis d'être I'ambassadeur dela parole divine. Je n'ai jamais cherché à convertir qui quece soit. ça, seul Dieu peut le faire. J'aijuste essayé d'ouvrirles yeux ou l'esprit des gens afin qu'ils pensent au Créa-teur.

0ù I'honme ttrwc-t-il sr ÉritÉ Gn hoxe ? Dans la pcur du vesliain,dans la douleur de I'entnînm0nt.. .

Je crois que c'est au milieu du dng. L homme y rencontresa vérité, plonge au fond de lui-même, retrouve sa waie dimen-sion à travers I'opposition adverse. Sur le ring, on est face àla réalité. Avant de monter sur le dng, on peut se racontertout un tas d'histoires, combien on est bon ou fort techni-quement. Avant le combat, on peut s'amuser à compter lenombre de victoires qu'on a déjà eueq se dire :j'ai déjà faitci ou ça, gagné contre Untel ou un autre... Mais une fois

Àli dans lagloriette desa demeurede Berien

5prin96,où il aime

se retrouverpourpriet

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pEnEE a I'aprÈs-vis. J'espere strs pret ù ça t0'u[ liw€. C'6tait votn rdversairu pou] yotæ prumier combrt aprèss s0maines d'entnînsment n'est-ce pas ?

ll se remet à rapper.If you look in a book/You aren't as dumb as you look !(Si tu ouvres un bouquin, c'est que t'es pas si crétin.)

Il se sent obligé de pftciserC'est une plaisanterie, un poème, bien str. Je ne dis pas çapour vous !

Aplès vote demiel comtat cont€ J00 hazier, y0us tvsr dit: "J'aieu le ænlimont qu'il m'rmcnrit au fnnlièns de la nort,Qui ça ? Joe Frazier ? Où ça ? Où est-il ?

Il secoue ln tête, frappe du poing dans sa main. Feint lacolère, mime la haine, puis s'apaise.

Dans les derniers rounds,j'étais si fatigué,tellement diminuépar les coups encaissés,.. J'ai dt me forcer, me pousser àcontinuer. À ce momentlà,j'ai waiment eu lesentiment quelapprochais la mort. J'étais si faible,tellenent fatigué d'êirefrappé...

Il répète, en soufflant longuement.Si faible, tellement farigué d'être ftappé...

devant l'adversaire, c'est autre chose:là,c'est le vrai momeDtde vérité ! Il faut afftonter la réalité.

Sur le ring, quelle était votre plus f0rts satislaction : mettre unebelle droite ou éviter un coup ?

La meilleue satisfaction,c'était le chèque à l'issue du combat.

C'était donc I'aqenl votn motivation ?Pas I'argent. Simplement,le fait de gagner des millions dedollars offte une infinité de possibilités pour travailler à lacause de Dieu.Aider des gens,construire des lieux de culte...Çapermet d'accomplirdes choses du fond de son cæur.Mais,ça, il ne faut pas s'en vanter, car on peut perdre beaucoupde crédit à répéter partout et à tous le bien que I'on peutaccomplir.

Si ie vous dis Bonnie 0'Xeele, qu'est-ce que ce nom yous évoque ?

Ali répond saw hésiterUn jeune garçon de Louisville, dans le Kentucky. euanJj'ai comrnencé à boxer, il avait une douzaine d'années Il boxaitdans la même salle. Mais d'où connaissez-vous ce nom ?

7 JI'|ILLET 2OO1 . N'IOq). |ÉOIJIPË MÂGÀZINE

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Condèlrné enl967pour

Àvoir reluséde falre laquelTe au

Viêtnam, Àllreçolt en ?001

la mÉdallledu Citoyen

dca mÀln6 d.BiU glinton.

Et une lqlporte son

nom.

certains le sont, indéniablement, Ils ont violé nos femmeqcommis des assassinats.,, Quand on avait recours à lajustice,ils trichaient devant la cour... Ils nous ont volés I Aujour-d'hui,les choses s'arnéliorent, on n'assiste pas aux atrocitéspassées. Je ne veux pas généraliser, mais je suis en colèrecontre c€rtaines personnes qui, à un moment donné, en unlieu précis! ont commis des méfaits,Il ne s'agit pas de vous...

Avani chrque combrt mus padiÊz énomÉmlnt 8éhlt pour conju-û la prul ?Ici, aux États-Unis,les Noils ont toujours été présentés commedes gens négatifs. Tous mes efforts ont été consentis dansun but r changer cet état de fait et leur faire relever la tête.Avant, ne disait-on pas : < C'est un jour noir, un chat noir,la peste noire... ll ? La couleur noire a toujouts été asso-ciée au mal. J'ai été élevé avec I'idée que Jésus-Christ étaitblanc. Quand j'étâis champion, toute la communauté noireme regardait, m'observait. J'étais un exemple, un modèle. J,aiessayé de fâire changer les choses, de rendre aux Noits lafierté,la conliance... J'ai voulu tout chambouler, c'est uneréaction normale quand on veut vous intimider, vous écraser.J'ai voulu simplement inverser les points de rte. Par exemple,une borure tasse de café n'est-elle pas noire ? Jamais aupa-ravant on n'avait tenté de mettre en avant des symboles posi-tifs autour du noir, Les gens de la communauté noirem'entendaieDt dire : <Je suis le plus grand ! Je suis magni-fique ! Je suis brillant ! ) Peut-etre qu'en parlant ainsi jeleur ai permis de croire un peu plus en eux-memes, de penserqu'eux aussi pouvaient etre bs plus grands, Chacun dans leursdomaines respectifs.

lon du roruûn du quotidian "USl Tod./i qd mus a désien6 c0mmÊI'd ùb du riècle, vour n'aval pn voli pour mus, mris pour Rry Su0alflobinron, lbus ne mur considéEz prs c0mmc le plus gnnd ?

Sincèrement, du plus profond de moll âme et de mon cceur,dans la boxe. sur le ring, s'il y a quelqu'un qui a pu me surpasserun jour. c'est Ray Sugar Robinson. Aussi bon que moi oupeut-être meme meilleur, c'est vrai, c'est lui !

II se ma à mimer Roy SugarRaysugar,il était fichhemeDt bon,sacrémentbon ! Boooon !

Rapide et élégant ! Floyd Patterson, Joe Louis, RockyMarciano. . . je sais que j'étais meilleur que ces gars. Mais RaySugar Robinson était le meilleur. Il punchait avec grâce etélégance, ses cheveux volaient derrière lui.

II rit-Dans sor coin; il avait un coach, un arrzdn et un coiffeur !

Et il rit de phu belle-

lbus-mêm0 6lioz pÉdasliné. À [âgE dr sir nois, y0tn p]smier coupr coiité dou drnb ù vot? mùn 0dsssr...C'est vrai. Je n'étais qu'un bébé etje voulais m'étirer. Maisje n'ai quand même pas cassé ses dentg juste déchaussées.

K J'ai EÊEnUE f,s rpnf,re dax Nnirn Ia fiertÉ >> > > l, b0xa u0[s r pds yrtr salfi. limoz-m0s bulouB c0 lpott ?

Je û'ai jamais détesté la boxe ni cessé de l'aimer. J'ai débutéà dix ans et j'ai combattu jusqu'en 1982 pour promouvoirI'islam. Je me suis servi de mon nom et de ma gloire dansce sport pour faire connaftre cette religion. C'est une grandechance que j'ai eue.

Âuidrdtui, uno loi !0rb yotr n0& lc . uhmmrd Xl [0d|[ RotûmÂct,. Ce logc à h pmfiliu atâit importent pour your ?Mon expérience m'a amené à vot tout un tas de chosesdans I'univers de la boxe, Des managers véreux, qui profitentet tirent parti de I'insouciance des boxeurs. Ils les impliquentdans de mauvais combats, dans des matches où I'issue estconnue à l'avance... Cette loi souhaite nettoyer le mondede la boxe,limiter les abus Je peNe que c'est une bonne loi. . .

David intervient.Cette loi vise à réformer les pratiques injustes et anticom-pétitives de l'industrie de la boxe. Elle a été parainée parJohn Mccain. C'est lui qui a suggéré et demandé I'autori-sation qu'elle porte le nom de Muhammad Ali. Muhammads'estjoiut plusieurs fois aux séuateuls pour encowager I'adop-tion de ce projet de loi. Ça a pris plusieurs années, mais ellea finalement été adoptée (1).

Épnwez-rour de lr nnc@û riE-Ldr dG lhn l0nC ? gll ['!vrlt [rrcæhé yotr d0rri6r madiDd ûrni yotr conhd c{nÙl lrrT lloln.t,on 0ctobn 1980, your euliu pu dl.gnort$lr plur ttt l.i.syndru-mrr de hrlimnn.. -

Il réfléchit...Je ne sais pas s'il a vraiment caché ce rapport médical. jen'ai pas dlinformations précises à ce sujet... Ce qge je sais,c'est que les gens dis€nt que Don King abuse des boxeurs.Mais il n'y a pas que lui dans le monde de la boxe ! Dansce pays, il y a lTaiment trop de racisme. I-es Blancs ont commisd'énormes injustices sw le dos des Noirs, des promoteursblancs ont profité des boxeurs noirq ont commis toutes sortesd'abus et de saletés. Don King fait de même. Mais commeil est noir, on le sort du lot. On le caricature comme la piredes ordues, mais il a tout un tas de clones blancs dont pelsormene parle jamais. Des Don King, il y en a plein et même depires que lui.., Rien que pour ça, pour ne pas faire ce jeu,j e ne veux pas exprimer quelque ressentiment que ce soit vis-à-vis de lui.

Ouend vous m0 ngrdoz, vour n0 votrz blmc ? :

Ce n'est pàs la coule-ur de la peau qui défrnit un homme, maisses iDteDtions et s€'s acies Des hoDmes blancs nous ont amenésici et ont fait de nous des esclaves. Ils nous ont volé notrelangage... C'était des Américains blancs. Mais pas toyl.certains d'entre eux. Je ne fais pas le procès des Anglais.des Russes ou des A.llemands. Ceux qui ont commis ces crimesétaient des Amédcains. Tous ne sont pas coupables, mais

rÉour pE MAGAZT x E . N. i ooo . 7 Jur u.ET 2oo!

t,.

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} > > Il s'inteûompt, têveut, puis leprend. d'une voix éraillee,Quand j'avais environ treize ans, elle m'a dit : "Un de cesjours, tu vas être champion du monde, toi. > Je suis persuadéqu'aufond d'elle-même elle n'étaitpas certaine de ce qu'elle

. avançait maiq quand même, c'est ce qu'elle a déclaré. C'estfort, surprenant, ce que savent ou ce que disent les mères.

C'ûtrit I'sxpnsEion de son Nmou ?...

Je dirais plutôt que c'était I'expression de la pure vérité.Elle avait raison,la preuve :j'ai remporté le titre !

0u'0n Gst-il de votrs pèru ? 0u0 vour e-t-il eppds dam ls yie ?Il m'a appris à courir les gonzesses !

David intervient,Non, Muhammad, on pade de yaleurs morales !

Bon, alorq disons qu'il m'a appds à croire en Dieu...

Yous avez chrngé yotre nom, p s une rutlc ruligion que celle dev0tr pèn. 8étrit ms lrtsn dc vous émencipor ?

Ali esquive toujours les questiotts concernant son génïteur. Buveur, coureur, il a parfois eu la main lourde sursa mère... Le sujet est tabou. Cefie fois encore iltrouveraune échappatoire. Il pointe du doigt la petitc table bassequi nous fait face. < Qui a renversé ça ? ' demande-t-il.Tout le monde se penche. La tqble est encombrée d'ob-jets divets et il faut quelques secondes pour réaliser que< ça >, c'est un flacon de vernis à ongles vermillon quidégouline sur la table. Ali est content de son effet desurprise. Absorbé par lt conversation, personne ne I'avaitremarqué. Après exqmen, il s'avèrc que c'est un objetde farces et qttapes, posé h parAli L'astuce a fonctionné.Pour lui. elle signifie fin de I'interview.

Pour autant le show est loin d'être terminé.Ali se lève, vafarfouiller dans une grande enveloppe en papier kraft placéedans un des tiroirs du bureau de sa secrétaire. Il revientvers nouq avec un air de gamin malicieux. Il enchaîng les toursde magie pendant près d'un quart d'heure. Lorsqu'il se sentbien, avec certains visiteurg il aime jouer à Houdini le magi-cien. Habitué, blasé peut-être, David s'éclipw.Ali nous affirmequ'il peut entrer en lévitation. Appuyé à un coin de biblio-thèque, il nous demande de fixer ses talons. En appui sur lapointe, il effectue une variante du moon-walking cher àMichael Jackson. Sitôt effectué son tour, il cherche des yeuxl'extase ou la surprise dans le regard de son audienc€. Siddeeqconnaît le truc mais joue le jeu, s'exalte, applaudit.Ali poursuit par un tour de passe-passe : il fait dispâraîtreun foulard dans un faux doigt en caoutchouc, L€ tour n'estpas très probant mais, pour ne pas le décevoir, on feintl'ébahissement. Alors, Ali poursuit. Retourne fouiner dansle bureau de sa secréÎaire. Il en revient avec de petites bou-les en mousse rouge. Elles semblent être deux mais,compressées, elles se multiplient en quatre, On applaudit,Ali est ravi. Il est maintenant excité comme un gamin. Ilretourne dans son tiroir magique.Il en revient et pose dansun coin de la pièce un énorme excrément de chien en plas-tique. Deux minutes plus tard, comme si on n'avait rienremarqué, il nous signale qu'un chiel s'est oublié,.. La bla-gue est grossière, mais son attitude puérile attendrit.Mélanie, la secrétaire, entre dans la pièce et nous invitEàrejoindre la cuisine pour le déjeuner, Dans le couloit,Alipounuit ses facéties, s'amuse à marcher dans mes pas. Alorsque ûous sommes à table avec Siddeeq, il passe discrètement

40 !ÊqutpE MAGAZTNE. N.1ooo.r JUtllEr 2oo1

Jamain f,vf,rg d'un hnn Ison bras derrière ma nuque. D'un claquement de doigts, ilimite le bruit d'un criquet importun. Ifépressible besoind'animer, de lire la surprise ou l'étonnement dans le regard.Tlois couverts ont été dressés. AIi est installé en bout de table.Dans son assiette, un assortiment de légumes crus : brocolis,carottes, feuilles de salade, tous cultivés dans le potager dela ferme sans engrais ni pesticides. Pour les visiteurs, enrevanche, ces ûudités sont agrémentées d'un sandwich à ladinde, auquel Ali n'a pas droit.Il peste et marmonne contreI'austérité de son plat. Il obtieût de I'agrémenter avec un peude vinaigrette.Une assistante pose sur la table une assiette de cookies. Faut-il lui en donner ? Siddeeq se fait complice et lui tend I'as-siette. Ali se précipite dessus. Il a du mal à mâcher. Saconversation se fait rare, car il doit foumir un effort de concen-tration exceptioDnel pou! des gestes aussi simples. Alorc qu'iltente de parler, il manque par deux fois de s'étouffer. Onlui tape dans le dos colnme à un nourrisson qui avale de tlaversC'est un des aspects les plus cruels de sa maladie : être privéd'autonomie dans les asp€cts les plus basiques de I'existence.Notre assiette est vite avalée. La situation devient embar-rassante. On hésite à regarder Ali qui peine à manger.

Àli vu parson ami ei

photographeHorrard

Eingham,devant

6a propriétÉde Berrien

Springs.

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HIi passe franfr prÉ," Pas la peine de m'attendre, nous dit-il. Allez vous asseoirdans le salon si vous le souhaitez. > . Non, mon frère, lui répondSiddeeq. Ça ne nous pose aucun problème. prendi tontemps l- Ali a du mal â utiliser sa fourchetre. Les tremble_ments incessants de sa main éparyillent les aliments qui tachentsonpolo.Il aimerait manger avec les doigts,mais hésite devantses visiteurs. Par politesse comme par dignité..Sois à I'aise,lui assure Siddeeq. Utilise tes doigts. C'esi ainsi qu,onrnangeen Afrique,là-bas les gens n,ont pas de couuert. ! ,Le rEFas tErminÉ, Ali tient à nous amener dans son bureau.Il nous passe en revue tous les ouvrages posés dessus etqu'il consulte quotidiennement. Un petit livie d'aphorismesoù des koans de bouddhisme zen côtoient des màximes deLa Rochefoucauld. AIi I'ouvre à une page cornée et noussignale une maxime de Socrate : < Il faut manger pour vivreet non vi\,Te pour manger. > puis il nous sort urr" p e àe feui etsd'une quinzaine de centimètres. Un manuscrit. ,, Vingt ansde travaux >, explique-t-il. Un ouvrage à paraître pràchai_lnement,Ali y dénonce le matérialisme dominant, I'airogancede l'homme vis-à-vis des éléments, I'avidité ambianté... Ily explique ce qui cause, selon lui,le désarroi et Ia misère

'f,vln de la mdIiEE ù Ia grdvitthumaine :.< Uhomme prend pour guide d,autres figuresque celles du Créateur : l argen r.la gloire. le desir.. . L.ho"mmelulte pour sa suffisance matérielle au lieu de rechercherson bien-être spirituel et intérieur. >Passionné de rhëologie. il passe ses journées à lire les Écri-tures. Parloul dans le pays. à l'occasion de conférences dansdes univenités ou des congrès, i.t tente de répandre son projetcecuménique où les confessions monothéiites, chrétiênneqjuives e1 6u"r;.unes. dialoguent. " Les racines des reli_gions sont identiques. explique Ali. Mais elles sont vecuesdifféremment par les homrnes. ,,l-olsqu'il est en forme,Ali aime aussi se rendre sur le campusmitoyen de Saint Andrews. Les étudiants de cette univer_sité adventiste du Septième Jour le connaissent en voisin.A chaque venue. il signe des autographes par dizaines. maisc esl te pru a payer pour le plaisir de confronter ses concep_tions religieuses avec la jeune génération. II ne résistejamisa revendtquer son appartenance à l.islam. . oir il n.v a nulintercesseur entre le qoyant el Dieu>, explique_t-il. il airnemettre en avart I'aspect logique de son obédience..Je nepeux pas comprendre le mystère de la Tiirlité. Cornment Dieupeul-il être à la lois Dieu, Fils et Sainr-Esprit ? >

7 I ut LIET 2ool . N. I ooo . tÉou I pE itacAz tN E

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Àli avecI'acteur

américainl^IiU Smith,

qui incarne< the Greate6t >

dans un lilmde Thomas

l'lann encoura de

tournage,

lui dire : < On va te laisser te reposer maintenant.. . > Commeun enfant qui ne veut pas aller dormi,Ali trouve une nouvellediversion: << Vous voulez aller voù ma salle de boxe ? "Dehors, la chaleur est étouffante. Il n'y a que cinquante mètresà parcourir pour y arriver, mais I'effort fait transpirerMuhammadAli. La salle de boxe occupe la totalité d'unpetitbâtiment blanc voisin, On y découvre un ring impeccableentouré de photos mythiques. Ali en compagnie de SugarRay Robinson et Joe Louis Iléquipement est complet : appa-reils de musculation e1 de fitness, deux sacs de ftappe, unepoire de vitesse, un large miroir pour le shadow-boxing,des cordes à sauter... mais ne sert désormais plus guèreexcepté à Lonnie ou au personnel de GOAT.

nI ne |gtt rÉsisfEr- n s'empare d'une paire de gants de sacset tend les bras. Je comprends qu'il veut de I'aide pour lesenfiler. Une fois ses gants aux poings, il me fixe d'un regardprovocateur : < Did ya say I'm a Nigga ? > (Tu tn'as îaité denégro ?), "Or didya say I'm the bigger ? " (Outuas ditqueje suis le plus costaud ?.). Et il s'avance, vers un sac lourd.50 kg au bas mot.Il se met à frapper. Gauche,gauche. Gau-che, gauche, droite, crochet du gauche. Le regard tendu etconcentré, AIi cherche à ftapper le sac. Leffort déployé pourque ses gestes s'accoldent à sa volonté est énorme. Ali estheureux de nous prouver qu'il est toujours là. Il nousentraîne ensuite à I'extérieur, pour partager un moment derépit sur un banc dujardin.La débauche d'énergie l'a fatigué, exténué, mais il affectede ne rien laisser paraître. Mélanie lui apporte un nouveauverre d'herbe de blé. Toujours dur à avaler. Un gamin arrivesur un chariot de goll electrique. C'est Assad.le fils qu'il aadopté en lqql avec Lonnie. Agé de dix ans.le gamin. vêtud'un maillot de basket XXL, salue les visiteu$,puis son père.< Salut'pa.Tir sais oir est'man ? > < Probablement au bureau,occupée au téléphone... > Le gamin s'échappe au volantde sa voiture de golf qui lui sert à se déplacer dans la propriété.Il est 15 h 30. Ali se résout enfin à nous laisser partir, à quitterSiddeeq el ses souvenirs dejeunesse.Il nous accompagne surle parking.Il reste debout à nous regarder prendre placedansla voiture.Tandis que la Mercury de Siddeeq s'éloigne, il rous dit aurevoir doucement de la main. Son bras reste longtempslevé, son geste d'adieu se poursuit, alors sa silhouette s'at-ténue au loin. De plus er plus petite.Ainsi est <<the Greatest>'. t

(1) Sénateur républicâin de l'Arizorâ,Mccain envisage désormais de pâsserchez les dénocrates et de se présentercontre George W. Bush en 2004. Favo-râble au contôle des armes àfeu.à laréduction des exemptions fiscâles desgrosses foriunes, il est surnommé < Camârade Mccain ,. Le MuharnnadAli Boxing Reforn Act a été adopté le 2Tjuillet 2000. Depuis,comne pârhasard,les grandes fédérâtions internationales assurent que c'est en Europeque se situe I'avenir de la boxe.

HIi anpartient ù taus.-. II Ie Eilit, iI en inusMélanie lui apporte un verre rempli d'un breuvage vert.<Du jus d'herbe de blé, un traitement naturel), commenteAli qui s'est toujours opposé aux interventions chirurgica-les. Il est suivi par les plus éminents spécialistes amédcainsde sa maladie, dont le professeur Mahlon Delong. Cedernier, qui exerce à l'Emory University d'Atlanta, assureque les symptômes dont souffte Ali sont indépendants de laboxe eÎ n'ont pas de lien direct avec la répétition des coups.Une battede d'examens a révélé que son cerveau n'avaitsubi aucune ahération autre que celle responsable de lamaladie. Selon Delong, si son cortex avait été endommagépar les coups,il l'aurait été dans son ensemble, Les boxeursqui ont vraiment pris trop de coups souffrent plutôt dessymptômes de la maladie d'Alzheimer.Lonnie entre dans le bureau. Elle prévient son mad qu'uncouple de personnes âgées est arrivé. < Monsieur Ali, vousallezdevoûchangerdetee-shirt.Celui-ciesttouttaché>,luidit-elle avec douceur. Ali s'exécute et va se changer dansune salle de bains contiguë. Avant que ce couple de Blancsn'entre dans la pièce, Lonnie explique que la femme,atteinte d'un cancer en phase terminale, n'a plus que sixmois à vivre et qu'elle souhaitait rencontrer Muhammad Aliavant de moudr. La femme porte une pemrque pour dissi-muler les stigmates de la chirniothérapie. Ils racoqtent qu'ilsont vingt-deux petits enfants, qu'ils ont été comblés par lavie avant d'être frappés par le destin. Le mari a les larmesaux yeux. Alors,Ali entreprend de répéter son show bienrodé.< Vous savez que je peux entrer en lévitation ! Regardez bienmes pieds ! > Puis il retourne dans sor tirot magique, récu-père son iaux pouce, ses boules de mousse et se mue en unsympathique Houdini. Le couple demande à poser pourune photo.

" Hey champ, can we do a picture together ? '>

(Dites champion, pourrions-nous prendrc une photoensemble ?) Ali feint d.e s'insurger d,ans un sourire :What ?

Did you said "tramp" ? (Quoi ? Vous m'avez truité declochard ? ), a'tar'tde s'exécuter avec bienveillance, répétantles prises, proposant même des poses dont une où la femmelui écrase le nez avec un direct.

LE fouElE rEBarthEllrEux, comblé d'avoir passé un mo-ment avec une légende. Dans leur sillage, Siddeeq proposeque nous nous retirions afin de le laisser se reposer. Il a un ren-dez-vous chez le médecin à 16 heures "Non, ne partez pasmaintenant, restez encore.Tènez, écoutez ça ! " Ali se re-tourne pour engager une cassette dans le poste placé der-rière son bureau. læ rock'n'roll de Little Richard emplit lapièce. Ali ferme les yeux.Il est ailleurs " Ah ! cette musique,ce son ! C'était l'époque où on était des négros,pas vrai Sid-deeq ? ln tentation,les fenmes,les boîtes de nuit... On étaitdes nègres en ce tempsJà ! " Tous deux évoquent le passéjusqu'à ce que Siddeeq trouve une nouvelle opportunité de

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