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1 UNIVERSITÉ PAUL SABATIER FACULTÉ DE MÉDECINE TOULOUSE-RANGUEIL D.C.E.M. 2 Module 6 Douleur – Soins Palliatifs et Accompagnement Sous-Module 1 : Evaluation et Traitement de la Douleur Année Universitaire 2009-2010

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UNIVERSITÉ PAUL SABATIER

FACULTÉ DE MÉDECINE TOULOUSE-RANGUEIL

D.C.E.M. 2

Module 6

Douleur – Soins Palliatifs et Accompagnement

Sous-Module 1 :

Evaluation et Traitement de la Douleur

Année Universitaire 2009-2010

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MODULE 6 “DOULEUR SOINS PALLIATIFS – ACCOMPAGNEMENT”

I – OBJECTIFS GENERAUX L’étudiant doit savoir différencier une douleur aiguë ou douleur symptôme d’une douleur chronique ou douleur maladie. Il doit connaître les grands mécanismes physio-pathologiques des douleurs ainsi que leurs étiologies correspondantes et leurs thérapeutiques respectives. Il doit être attentif à écouter, à évaluer et à prendre en charge les souffrances physiques et morales des malades. Il doit être capable de mettre en place et de coordonner les soins palliatifs à domicile ou à l’hôpital chez un malade en fin de vie. II – PROGRAMME D’ENSEIGNEMENT

Situation : 2ème semestre DCEM2 Volume global : 30 heures Organisé sous la forme de 15 Enseignements Dirigés de 2 heures Modalités : Discussion interactive de dossiers cliniques

Cours sous la forme d’exposés brefs. III – SOMMAIRE DU POLYCOPIÉ ET DES ENSEIGNEMENTS DIRIGÉS

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1ère PARTIE

« EVALUATION ET TRAITEMENT DE LA DOULEUR AIGUE ET CHRONIQUE » pages INTRODUCTION : Yves Lazorthes CHAPITRE 1 : 8 « EVOLUTION DE LA PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR DANS L’HISTOIRE DE LA MEDECINE » - Yves Lazorthes CHAPITRE 2 : 18 « DOULEURS : BASES ANATOMIQUES, PHYSIOLOGIQUES ET PSYCHOLOGIQUES » - Jean-Christophe Sol, Patrick Chaynes et Yves Lazorthes CHAPITRE 3 : 42 « SEMIOLOGIE DE LA DOULEUR » - EVALUATION ET SUIVI D’UNE DOULEUR CHRONIQUE » Yves Lazorthes, Jean-Christophe Sol et Laurent Schmitt CHAPITRE 4 : 63 « TRAITEMENT DES DOULEURS PAR EXCES DE NOCICEPTION : LES ANTALGIQUES NON OPIOIDES ET LES ANTALGIQUES OPIODERGIQUES » - Bernard Chamontin et Nathalie Cantagrel CHAPITRE 5 : 77 « STRATEGIE DE PRISE EN CHARGE DES DOULEURS D’ORIGINE CANCEREUSE » - Nathalie Cantagrel, Jean-Christophe Sol . CHAPITRE 6 : 92 « LES DOULEURS NEUROPATHIQUES : SEMIOLOGIE ET STRATEGIE D’EVALUATION » - Pascal Cintas et Nathalie Cantagrel. CHAPITRE 7 : 104 « TRAITEMENT MEDICAMENTEUX DES DOULEURS NEUROPATHIQUES » - Jean-Michel Senard, Pierre-André Delpla et Jean-Claude Verdié.

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CHAPITRE 8 : 111 « LES CEPHALEES : SEMIOLOGIE ET STRATEGIE D’EVALUATION » - Gilles Géraud, Nelly Fabre, CHAPITRE 9 : 123 « LES LOMBALGIES : STRATEGIE D’EVALUATION ET PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE » - Bénédicte Jamard, Arnaud Constantin et Yolande Esquirol. CHAPITRE 10 : 149 « LES AUTRES DOULEURS CHRONIQUES NON CANCEREUSES (FIBROMYALGIE, ALGODYSTROPHIE, DOULEUR PERI-ORIFICIELLE) » - Michel Laroche, Laurent Schmitt. CHAPITRE 11 : 157 « LES DOULEURS AIGUES (POST-OPERATOIRES) » - Delphine Kern CHAPITRE 12 : 161 « LES PRINCIPES D’ORGANISATION DE LA PRISE EN CHARGE PLURI-DISCIPLINAIRE D’UN PATIENT DOULOUREUX CHRONIQUE. LES STRUCTURES DE SOINS » - Yves Lazorthes. CHAPITRE 13 : 170 « ANESTHESIE LOCALE, LOCO-REGIONALE ET GENERALE » - Kamran Samii, Jean-Michel SENARD CHAPITRE 14 : 184 « DOULEUR DE L’ENFANT : EVALUATION ET TRAITEMENTS ANTALGIQUES » - Agnès Suc, D. Thiboud et Jean-Michel Vignes

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2ème PARTIE « SOINS PALLIATIFS PLURIDISCIPLINAIRES CHEZ UN MALADE EN FIN DE

VIE. ACCOMPAGNEMENT D’UN MOURANT ET DE SON ENTOURAGE »

CHAPITRE 1 : 212 « CONNAITRE LES BASES ET LES PRINCIPES DES SOINS PALLIATIFS » - Jean-Louis Albarède et Thierry Marmet. CHAPITRE 2 : 224 « SAVOIR METTRE EN ŒUVRE UNE PRISE EN CHARGE PLURIDISCIPLINAIRE D’UN PATIENT RELEVANT DES SOINS PALLIATIFS AU DOMICILE ET A L’HOPITAL » Thierry Marmet CHAPITRE 3 : 240 « SAVOIR EVALUER LES SOUFFRANCES PHYSIQUES ET MORALES CHEZ UNMALADE EN FIN DE VIE ETHIQUE ET DECISION EN FIN DE VIE » - Thierry Marmet CHAPITRE 4 : 264 « DEUIL NORMAL ET PATHOLOGIQUE - LE DEUIL CHEZ L’ENFANT» - Nicolas Saffon, Pascale Allanic et Jean-Philippe Raynaud

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Module 6 Douleur – Soins Palliatifs et Accompagnement

Sous-Module 1

« Evaluation et Traitement de la Douleur Aiguë et Chronique »

Coordonnateur : Yves Lazorthes

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SOUS-MODULE 1 « EVALUATION ET TRAITEMENT DE LA DOULEUR »

INTRODUCTION

Yves Lazorthes La douleur est le symptôme le plus fréquemment rencontré en médecine. Sa signification ne se limite pas à un simple signal d’alarme. Les douleurs qui persistent sont rapidement dégradantes pour l’individu. Longtemps la douleur a été, sinon négligée, du moins insuffisamment prise en charge. Pourtant, les deux missions majeures de la médecine ont de tous temps été de soulager la douleur et de retarder la mort.

La médecine a plus changé pendant ces 50 dernières années que pendant les 50 siècles précédents. Pendant que s’accomplissaient ces progrès, la douleur rebelle ne retenait guère l’attention des médecins. Elle était tenue pour un simple symptôme et ne se trouvait pas au premier rang des préoccupations des médecins et des chercheurs. Cela a fort heureusement changé durant ces dernières années, puisqu’une meilleure prise en charge des douleurs aiguës ou chroniques a contribué à renforcer la dimension humaine de la médecine. Aujourd’hui, la lutte contre la douleur et les soins palliatifs sont devenus des priorités de santé publique. La douleur est maintenant au centre des préoccupations de tous les professionnels de santé. Son évolution et son traitement font partie de la formation initiale de tous les médecins et de tous les soignants, ce module en est la preuve. Ce regain d’intérêt découle d’une part d’une meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques générateurs de douleurs et, d’autre part, des multiples acquisitions fondamentales tant sur le plan neurophysiologique que neuropharmacologique concernant les mécanismes de contrôle de la douleur. Cependant, l’évolution essentielle repose sur le concept de douleur chronique invalidante, c’est-à-dire de “douleur-maladie”, toute différente de la douleur symptomatique, signal d’alarme utile et transitoire. Ce concept a souligné la nécessité d’une approche globale du patient qui souffre. Composante organique sensorielle et composante psychologique réactionnelle sont étroitement liées dans toute douleur chronique et doivent être simultanément évaluées avant toute prise en charge thérapeutique. Les structures de soins se sont inspirées de cette nécessité d’une prise en charge pluridisciplinaire des malades, aussi bien dans l’étape initiale de son évaluation que lors de son traitement. Pour en savoir plus, nous vous conseillons de consulter le livre du Collège National des Enseignants Universitaires de la Douleur*. * « Douleur Aiguë – Douleur Chronique – Soins Palliatifs », édité par le Collège National des Enseignants Universitaires de la Douleur – Medline Editions..

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CHAPITRE 1 EVOLUTION DE LA PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR

DANS L’HISTOIRE DE LA MEDECINE

Yves Lazorthes

Plan du Chapitre pages 1. La douleur dans l’Antiquité Gréco-Romaine 9 2. Du Moyen-Age à la Renaissance 11 3. De la Renaissance à la fin du XIXème siècle 13 4. Les débats sur l’anesthésie (XIXème siècle) 16 5. La prise en charge de la douleur de nos jours 17

Soulager les souffrances physiques et morales a été de tous temps la mission fondamentale de la médecine. Pourtant, face à la douleur et depuis l’Antiquité, la Médecine s’est longtemps partagée entre deux attitudes contraires : la combattre ou se résigner. Comment expliquer cette opposition dans les comportements ? Ce débat reste encore d’actualité car il y a toujours des réticences à prescrire de la morphine aux patients qui le justifient, voire de l’indifférence face à certaines douleurs difficiles à traiter. Malgré les progrès incessants, la prise en charge des patients présentant des douleurs chroniques rebelles reste insuffisante. Des efforts continus sont nécessaires pour sensibiliser et former les médecins car, malgré les moyens thérapeutiques dont on dispose aujourd’hui, trop de patients continuent encore à souffrir inutilement. La douleur n’a pas eu la même signification à toutes les époques et dans toutes les civilisations. La compréhension de ses mécanismes de perception, l’interprétation de sa finalité et le comportement des soignants face à la douleur de leurs patients ont considérablement varié. Différentes significations ont été attribuées à la douleur, allant d’une épreuve nécessaire, d’une fatalité, d’un châtiment de Dieu, à une expérience insupportable face à laquelle il faut lutter avec tous les moyens disponibles. Pour illustrer cette discontinuité dans l’interprétation de la douleur et dans les comportements concernant sa prise en charge, effectuons un survol de l’Histoire de la Médecine en Europe.

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I - DANS L’ANTIQUITE GRECO-ROMAINE

• La mythologie et la médecine sacerdotale A l’origine, les hommes, incapables d’expliquer les mécanismes physiologiques des différentes fonctions humaines, cherchent leurs explications dans des interventions divines, magiques ou mythologiques. Prêtres et médecins sont confondus.

C’est ainsi que, dans la mythologie grecque, Arthemis est directement assimilée à la déesse des douleurs. Ses flèches, selon la tradition homérique, provoquaient les souffrances de l’enfantement. Douleur physique et souffrance morale sont confondues et considérées aussi bien par les Grecs que par les Romains, très profondément attachés à leurs superstitions, comme le châtiment d’un Dieu irrité qu’il faudra implorer pour obtenir la guérison. Dans la mythologie grecque, les divinités guérisseuses sont multiples (Arthemis, Apollon, Asklepios et Epione), alors que leur culte n’apparaîtra à Rome qu’après la conquête de la Grèce (Esculape), de même que le développement de la pensée médicale romaine ne naîtra qu’avec l’arrivée des premiers médecins grecs.

• Les théories philosophiques Par la suite, les « prêtres médecins » feront place aux philosophes médecins, parmi lesquels domineront les théories des Ecoles Socratique et Hippocratique pour la Grèce et celle de Celse et de Galien pour Rome. - En Grèce. Platon (428-347 avant J.C.) considérait que la douleur et le plaisir, bien que sensations opposées, sont des affections touchant l’ensemble du corps et ressenties par le cœur, centre de l’âme de l’Homme. Aristote (384-322 avant J.C.) approfondira les concepts de Platon sur les sensations et la douleur. Il avait déjà identifié les cinq sens, mais considérait que le cerveau n’avait aucun rôle direct dans les mécanismes d’analyse sensorielle. Pour lui, le cerveau servait uniquement à refroidir la chaleur issue du cœur et à produire le sommeil. Le centre des sens restait localisé dans le cœur, toujours considéré comme l’organe le plus important du corps, centre de toutes les fonctions vitales et siège de l’âme. La sensation douloureuse était due à une augmentation de la sensibilité aux différentes sensations, particulièrement à une exacerbation du toucher, augmentation elle-même causée par l’excès de “chaleur vitale”. Comme le toucher, la douleur partait d’organes terminaux dans la chair et était conduite par le sang jusqu’au cœur. Aristote appréciait la valeur de la sensibilité tactile et douloureuse mais pensait déjà que, si elle était trop intense, elle pouvait avoir un effet nuisible et destructeur. Démocrite (430-370) est à l’origine de la théorie des 4 humeurs (sang – pituite ou phlegme – bile blanche – bile noire) : théorie qui persistera jusqu’à 17ème siècle. La maladie est considérée comme une altération des humeurs et donc, pour la première fois, comme un phénomène naturel et non pas surnaturel et divin.

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Hippocrate (430-380 av.J.C.) et ses élèves étaient avant tout des cliniciens. Leurs connaissances neuro-anatomiques restent très rudimentaires ; c’est ainsi que les nerfs sont confondus avec les tendons et le cerveau avec une glande. De nombreux textes hippocratiques considéraient déjà le cerveau comme le siège des sentiments et le centre de l’activité intellectuelle. D’autres attribuaient toujours ces fonctions au cœur. Il n’y a pas d’unité sur cette question. A cette époque, et pour la première fois dans l’histoire de l’Homme, la médecine va se dégager de l’influence religieuse. La valeur rédemptrice de la maladie (et de la douleur) était inscrite dans l’Ancien Testament. Mais, pour Hippocrate, la maladie est un phénomène naturel et non pas une punition divine. Cependant, du fait du peu d’efficacité de l’attitude rationnelle, beaucoup continueront à croire que la douleur résulte de la colère des dieux. Des aphorismes bien connus de la collection hippocratique traduisent cette notion d’impuissance : « Soulager la douleur est chose divine ».

Parmi les nombreux remèdes utilisés par l’Ecole Hippocratique, la chaleur, et à un moindre degré le froid, étaient des moyens physiothérapiques utilisés sous de multiples formes (bains, cataplasmes, emplâtres, vaporisation, aspersion, gargarismes, ...) pour traiter aussi bien des céphalées que des douleurs articulaires. La saignée, de même que les ventouses et les scarifications, étaient très populaires dans l’histoire grecque Dans la collection hippocratique (“Corpus hippocratique”) qui comporte plus de 60 traités, l’on a la preuve de l’usage très répandu de drogues d’origine végétale (la belladone, la jusquiane, le lierre, la mandragore, le saule, ... mais aussi le suc de pavot). Leurs vertus sédatives, narcotiques et analgésiques, étaient reconnues.

Cependant, la pharmacopée n’occupait encore qu’une place réduite dans le traitement de la douleur. Emblème du sommeil, le pavot somnifère ornait l’entrée du temple de Morphée, Dieu des Songes. C’est à cette époque que le suc qui s’écoule de la capsule du pavot et qui contient de nombreux alcaloïdes à très puissante action analgésique (morphine, codéine) a été recueilli et préparé pour être utilisé contre certaines douleurs notamment pelviennes. Il est déjà connu sous le nom d’opium. L’écorce fraîche de saule contenant un glucoside de l’acide salicylique (ou aspirine) est déjà recommandée par le Corpus Hippocratique pour soulager les douleurs de l’enfantement et lutter contre la fièvre. - A Rome. La médecine n’a réellement existé qu’après la conquête de la Grèce et l’arrivée des premiers médecins grecs. Celse (1er siècle avant J.C.) est le premier à avoir caractérisé l’inflammation par les quatre “or”, du latin : dolor, calor, rubor et tumor. Ses huit livres (“De re medicina”) traitent d’une médecine très proche du Corpus Hippocratique : chaque douleur, selon sa topographie, le moment où elle intervient dans un processus et les signes associés, peut être immédiatement déchiffrée en terme de diagnostic et de pronostic selon des règles sémiologiques. Galien (131-201 après J.C.), disciple d’Hippocrate, étudie la médecine en Grèce et à Alexandrie avant de venir exercer à Pergame, ville d’Asie dont il est natif, puis à Rome du temps des empereurs Antonin le Philosophe et Commodore. Dans son oeuvre colossale (entre 300 et 600 livres, dont plus de 100 traduits du grec en syriaque, perse, arabe et latin), et grâce à des dissections animales, il démontre le rôle conducteur des nerfs et localise l’âme rationnelle, siège du pneuma psychique, dans le cerveau plus particulièrement dans les ventricules, et le pneuma sensoriel dans le cœur. Dans ce système, la douleur était conçue comme une passion de l’âme toujours ressentie par le cœur. Pour Galien, la douleur, aux côtés des autres symptômes, était chargée d’indiquer l’organe qui était malade, il ne lui accordait donc qu’une finalité utile.

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Sur le plan thérapeutique, les Romains utilisèrent aussi des moyens physiques (chaud, froid, eaux et boues des sources thermales) dans des douleurs d’origine musculaire ou articulaire, mais aussi dans les céphalées et les coliques. Si l’usage des chocs électriques produits par les poissons électriques, et notamment un poisson torpille, semblait déjà connu dans l’Egypte ancienne, c’est durant le première siècle après Jésus-Christ que Scribonius Largus rapportera le soulagement d’une douleur articulaire survenu accidentellement chez un patient lors d’un bain de mer. Par la suite, de nombreux médecins romains, dont Galien, le préconisèrent pour traiter certaines douleurs et en particulier celles de la goutte. La place occupée par les médicaments destinés à soulager la douleur est plus importante à Rome qu’en Grèce. Des traités célèbres, comme “Matière Médicale” de Diascoride et “Des Médicaments” de Galien, citent de nombreux médicaments d’origine végétale à action analgésique provenant du pavot, de la mandragore, de la belladonne, du lierre, du coquelicot, de la laitue blanche, de la jusquiane et du canabis, ... Les cinq livres de “De Materia Medica” feront autorité dans le monde gréco-romain ; Diascoride y dresse l’inventaire minutieux de quelques 900 substances susceptibles d’entrer dans la composition de remèdes. Avant tout, le suc de pavot est connu non seulement pour la supériorité de ses effets, mais aussi pour le risque de décès à dose trop forte. L’opium était très largement utilisé contre la douleur, soit en application locale, soit en solution buvable. La “Thériaque”, utilisée par Galien au IIe siècle, aurait été confectionnée en Asie Mineure par Mithridate (123-63 avant J.C.) pour se protéger contre les poisons, et ramenée à Rome par Pompée. Ce fameux électuaire, qui a été tenu comme le remède capable de soigner toutes les maladies et de calmer toutes les souffrances, contenait une préparation semi-liquide comportant du vin, du miel, des plantes médicinales, et 24 onces d’opium. Il s’agit de l’ancêtre de la solution de Brompton, très largement utilisée au XXe siècle dans le traitement des douleurs d’origine cancéreuse, et qui sera remplacée seulement dans la fin des années 80 par de nouvelles formes galéniques (comprimés à libération prolongée). Enfin, dans l’Antiquité Gréco-Romaine, beaucoup de philosophes valorisaient l’endurance envers les épreuves douloureuses. L’on a opposé en cela les stoïciens aux épicuriens, mais aucune de ces deux philosophies antiques rivales n’a en fait accordé la moindre utilité à la douleur. II - DU MOYEN-AGE A LA RENAISSANCE L’œuvre de Galien est si immense que son influence se prolongera même au-delà du Moyen-Age. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, la douleur est considéré comme un symptôme du tact, conséquence d’un déséquilibre de la qualité des 4 humeurs (sang, bile jaune, bile noire et phlegme) constituant le corps humain. Cette théorie ne sera d’ailleurs pas remise en question durant la Renaissance par Vesale (1514-1564) qui, malgré les très grandes avancées qu’il fera faire aux connaissances de l’anatomie humaine, notamment du système nerveux, continuera à penser que le rôle du cerveau était de sécréter le phlegme. Au début du Moyen-Age, l’héritage hippocratique sera recueilli par l’Orient (médecins byzantins et islamiques). La traduction des textes gréco-romains assurera la transmission du savoir au monde arabo-islamique en pleine évolution, alors qu’en même temps seuls des fragments de tout ce savoir étaient sauvegardés en Occident.

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Avicenne (980-1038), considéré comme le plus grand médecin de cet âge d’or de la

médecine arabo-musulmane, décrit dans son ouvrage “Le canon de la médecine” quinze types de douleur. Les connaissances de la médecine arabo-musulmane seront réintroduites en Occident médiéval à partir du XIIe siècle, notamment à Cordoue et à Tolède par Gérard de Crémone, mais aussi en Italie (Ecole de Salerne) et en France (Montpellier). Mais, avant tout, le Moyen-Age en Occident est dominé par l’influence durable du Christianisme sur le comportement face à la douleur. Durant le Haut Moyen-Age (Ve au Xe siècle), la spiritualité est influencée par l’Ancien Testament. L’Eglise met l’accent sur le Christ comme modèle de la souffrance supportée et acceptée. Les textes religieux exhortaient les patients à supporter en silence les épreuves infligées par Dieu.

La douleur est à nouveau une punition divine mais, surtout, en imitant Jésus-Christ qui a choisi de mourir sur la croix, la douleur transcende l’homme et a une valeur expiatoire. Le péché était absout par l’accomplissement des peines corporelles “tarifiées” infligées par le confesseur (jeûne, mortification, pèlerinage pénitentiel, ...). Dans cette société romano-barbare, l’expression de la douleur est refoulée, la douleur n’a de valeur qu’en tant que moyen de rachat de ses péchés et possibilité de gagner le salut. Les connaissances anatomo-physiologiques n’évoluent pas. L’absence de progrès est aussi liée à l’interdiction des dissections et vivisections animales. Quant à l’autopsie et à la dissection de cadavres, elle est jugée comme une profanation. C’est donc l’immobilisme voire la régression par oubli des acquis antérieurs. Du XIe au XIIIe siècle, avec l’influence du Nouveau Testament, on s’attache surtout au Christ des Evangiles et on insiste sur l’aspect humain du Christ souffrant, à sa compassion envers les hommes. On assiste au développement d’une charité compassionnelle. L’influence de la spiritualité monastique grandit avec un retour à la pureté des règles primitives de Saint-Benoit. Cet idéal de valeurs de pauvreté, d’austérité mais aussi d’assistance, animera les ordres monastiques (moines cisterciens, ordres mendiants, ordre des Frères Mineurs fondé par François d’Assise) et laïques (Ordre des « Flagellants ») et continuera à mettre l’accent sur la valeur rédemptrice de la douleur. Cette valorisation des « exercices spirituels » et de la douleur sera encore renforcée par les théologiens du XIIe siècle qui introduisent entre Paradis et Enfer la notion de Purgatoire, chance supplémentaire de racheter ses péchés en souffrant de mille maux. Pendant deux siècles, les Croisades (1096-1291), par l’exaltation des mortifications et des souffrances imposées, offrent une autre voie de salut. Durant ces périodes, les fléaux sont multiples et renforcent la résistance à la douleur, qu’ils s’agissent des invasions (notamment invasion islamique et reconquête), de la lutte contre les hérésies (Croisade des Albigeois et Inquisition), de la première et de la deuxième Guerre de Cent Ans, mais aussi des grandes épidémies (notamment la peste noire en 1348). A la fin du Moyen-Age (XIVe et XVe siècles), mais aussi pendant la Renaissance (XVIe siècle), les famines, les disettes, les grandes épidémies notamment la peste, les guerres de conquête puis de religion, le banditisme, les révoltes, ... ont multiplié les souffrances. Ces calamités sont interprétées comme des manifestations de la colère de Dieu.

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Les monastères sont les dépositaires de la connaissance et de la science (érudits,

bibliothèques). Les médecins étaient des moines. Les clercs religieux soulageaient la misère humaine. Sains-Augustin et Saint-Ambroise prêchaient l’obligation d’assistance aux malades. C’est la naissance des hospices où se développe l’attitude de compassion mais aussi où l’on cultive les plantes médicinales. La chirurgie est exercée par les barbiers jusqu’à l’Edit de Charles le Bel en 1311 car, jusque-là, les religieux n’avaient pas le droit de toucher le sang (Edit de 1163 « Ecclesia abhorret a sanguine »). Cette longue époque est aussi marquée par l’absence de progrès, voire même le recul dans le soulagement de la douleur. Non seulement la douleur est exaltée comme une valeur d’expiation et de rachat mais, à l’extrême, l’usage des plantes sédatives est limité voire même condamné car considéré comme ayant une potentialité magique, maléfique, donc d’une appartenance à la sphère païenne. La pratique de l’austérité, de multiples pénitences, de sévices corporels, est courante, et des pénitents aussi célèbres que Saint-Ignace-de-Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus, Sainte-Thérèse d’Avila ou Saint-Jean-de-la-Croix, ont marqué cette période par leur exemple mais aussi par leur charité. Par ailleurs, au Moyen-Age, l’art sera essentiellement chrétien (architecture romane puis gothique, peinture, sculpture, littérature, …). C’est une période où se multiplient les tableaux et sculptures évoquant l’Apocalypse et la Descente aux enfers. L’ecce homo, Christ couronné d’épines de même que les pieta ou mater dolorosa, images de la Vierge douloureuse, semblant prendre en charge toute la souffrance du monde, deviennent à partir du XVe siècle des thèmes répétitifs dans l’art, annonçant la Renaissance. III - DE LA RENAISSANCE A LA FIN DU XIXe SIECLE Dès le milieu du XVIIIe siècle, on assiste à une remise en question de l’approche de la douleur par les médecins et les philosophes. Elle est alors perçue comme indépendante du péché originel et de son châtiment divin quelles que soient les explications nouvelles apportées sur son mécanisme de perception. Les connaissances dans le domaine de l’anatomie et de la neurophysiologie progressent considérablement, d’autant plus que les papes ont levé l’interdiction de disséquer. Leonard de Vinci (1452-1509) laissera de remarquables dessins d’anatomie. Michel-Ange (1475-1564), par ses sculptures (Pieta, Vierge à l’Enfant, …), démontre sa remarquable connaissance de l’anatomie, ostéo-musculaire notamment. André Vesale (1514-1664), dans son remarquable traité « De Corpora Humanis Fabrica » publié en 1543, décrit le système nerveux périphérique, le cerveau et les organes des sens. Il fait déjà la distinction entre substance grise et substance blanche et individualise les noyaux gris centraux, notamment le thalamus. Il étudie le fonctionnement des nerfs qu’il considère comme des tubes creux et estime encore que le rôle du cerveau est de secréter le phlegme qui circule dans les nerfs. La théorie des humeurs persiste toujours.

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René Descartes (1596-1650), philosophe, mathématicien et physicien, a considéré la médecine comme une application technique de la physique mécanique. Il étudia les sens et la douleur dans plusieurs de ses ouvrages (Dioptrique, 1637 - Les passions de l’âme, 1649 - Traité de l’Homme – Le Discours de la Méthode). Il choisit de situer le point de convergence de toutes les sensations (sensorium commune) dans la glande pinéale (ou épiphyse). Le centre de convergence et d’analyse des sensations est donc replacé au centre du cerveau. Les explications de la transmission nerveuse restent mécanicistes, et la conception du corps de l’Homme reste celle d’une machine complexe analogue à un ensemble de cordes, de leviers et de poulies. Il définit les nerfs comme des tuyaux contenant de « petits filets » qui, tirés à la manière des cordes, soit au niveau de la peau, soit au niveau des organes des sens, sont les moyens de transmission de la sensibilité vers le cerveau. La stimulation est périphérique et l’analyse est centrale. C’est à lui que l’on attribue la première tentative d’explication rationnelle des voies de la douleur et il compare ce système à celui des cloches d’une église. “En tirant sur l’extrémité d’une corde, on provoque en même temps un coup sur la cloche suspendue à l’autre bout”. Cette théorie ne sera réellement remise en cause qu’au début du XIXe siècle, période à laquelle l’anatomie et la physiologie vont considérablement progresser, notamment grâce à l’essor de la microscopie optique qui va permettre de nouvelles observations.

C’est aussi François Magendie (1783-1855) et Charles Bell (1774-1842) qui démontreront le rôle afférent des racines postérieures, tandis que Paccini et Messner identifieront les principaux récepteurs cutanés (1840), de même que Von Frey précisera le rôle des terminaisons libres dans la douleur (1896). En ce qui concerne le comportement face à la douleur durant cette période, le thème de l’utilité ou de la nocivité de la douleur est très fréquemment retrouvé dans de nombreux textes. Trois positions différentes coexisteront et s’opposeront :

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1. Certains adoptent une attitude humaine mais qui reste résignée. C’est le devoir chrétien d’assistance, l’attitude de compassion face à une douleur extrême. Ce n’est pas de l’indifférence mais la traduction d’une sorte de fatalisme toujours profondément inscrit dans la pensée.

2. Pour d’autres, au contraire, la douleur est utile car nécessaire à la guérison. Elle

est considérée comme une sorte de sixième sens, de sens interne vigilant qui peut même parfois indiquer au médecin comment il doit agir. Elle représente une réaction de la nature qu’il faut laisser s’exprimer. Elle est considérée comme inévitable, c’est une épreuve salutaire. “La douleur aiguillonne et stimule” écrit J.A. Salgues (1823). Ainsi, la douleur qui suit la plupart des opérations réalisées à vif, sans la moindre anesthésie, annonce une sorte de travail de réaction qui devient un des moyens de guérison. On considère même que l’excès de courage peut être nuisible et que “les cris ont leur utilité”.

3. Enfin, nombreux sont ceux qui, déjà, prennent conscience des effets néfastes de

la douleur et la considèrent comme une ennemie intérieure redoutable, destructrice, devant être supprimée. Elle est de plus en plus perçue par les médecins comme indépendante du péché et de son châtiment divin. Le signal d’alarme une fois donné, la douleur ne doit pas être prolongée. On assiste alors, sur le plan thérapeutique, à une volonté de plus en plus grandissante de la soulager, et en particulier à une recrudescence de l’usage de l’opium notamment sous forme liquide. Il est même en vente libre en Angleterre au XVIIIe siècle.

Déjà, beaucoup de chirurgiens critiquent ceux de leurs confrères qui continuent à croire que la douleur est utile au succès d’une opération. C’est le refus d’accepter “l’invivable douleur des opérés” (A.Sassard, 1789). C’est aussi le temps de la révolte impuissante face à “l’expérience de l’insoutenable” dans le cadre de la chirurgie de guerre.

Le baron Dominique-Jean Larrey (1766-1842), chirurgien-en-chef des Armées de Napoléon, a joué un rôle essentiel dans le développement des progrès enregistrés dans le domaine de la prise en charge de la douleur. Organisateur infatigable des « ambulances volantes » de l’Armée, il est pénétré de l’idée que, plus on opérait vite, moins on déplaçait le blessé, et plus on avait de chance de le sauver. Face aux terribles conditions dans lesquelles il fallait amputer, la rapidité et la sûreté du geste étaient souvent le moyen le plus sûr pour diminuer la douleur. Malgré sa très grande dextérité, il n’est pas indifférent aux souffrances des blessés et rappelle incessamment qu’il faut tout faire pour épargner aux patients la douleur ; durant toute sa carrière, il milite pour une médecine plus humaine. “Guérir parfois, soulager souvent, comprendre toujours” (Baron Larrey, 1812). Plus tard, il sera un des rares à défendre, notamment lors des débats de l’Académie de Médecine en 1828, les premières tentatives d’anesthésie générale faites en Grande-Bretagne, face au scepticisme et au mépris de ses collègues. A la fin du XIXe siècle, ce concept face à la douleur gagnera du terrain et Cabanis écrit : “Rien de ce qui peut causer de la douleur est salutaire, elle doit toujours être regardée comme nuisible”. Pendant vingt siècles, en fait, la médecine a très peu progressé, c’est-à-dire d’Hippocrate au IVème siècle avant J.C. jusqu’au XVIIIème siècle. « Louis XIV était soigné comme Auguste ». C’est aussi le cas en terme de traitement de la douleur puisque le pavot était très largement utilisé dans l’Antiquité Gréco-Romaine mais bien avant, depuis les Sumériens, c’est-à-dire 3000 ans avant J.C.

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Au XIXème siècle, la médecine va se transformer. C’est l’ère de la Médecine Moderne avec mise en place d’un Diplôme National, francisation des textes, laïcisation et surtout les progrès apportés par les corrélations anatomo-cliniques, les mécanismes et l’origine des maladies. Sur le plan de la pharmacologie, c’est l’époque de la synthèse des principaux analgésiques :

• L’aspirine, qui était utilisée d’une manière empirique par les Grecs (préparation à partir de l’écorce de saule), sera synthétisée chimiquement sous la forme d’acide acétylsalicylique par Félix Hoffmann (en 1897). La Société Bayer mettra sur le marché l’aspirine en 1899.

• Par ailleurs, la morphine, qui était largement utilisée notamment chez les Grecs sous la forme de la Thériaque de Galien, verra son principe actif isolé de l’opium par F. Sertuener (en 1805) sous la forme d’un alcaloïde qu’il baptisera morphine. La première injection hypodermique de chlorhydrate de morphine sera réalisée en 1853. On assistera par la suite à une très large utilisation, voire à des excès, notamment pendant les guerres (Guerre de Sécession, guerre de 1870, guerres coloniales, etc). Ces excès conduiront à des utilisations illicites, à des toxicomanies et finalement à une réglementation sévère pendant la période de la Première Guerre Mondiale. Cette réglementation limitant la prescription sera assouplie uniquement durant ces dernières années.

IV - LES DEBATS SUR L’ANESTHESIE (XIXe SIECLE) Alors que tous les produits nécessaires avaient déjà été découverts (en 1776 le protoxyde d’azote, en 1792 l’éther, en 1830 le chloroforme), alors que la morphine avait déjà été synthétisée depuis 1806 par Sertuerner, pharmacien à Hanovre, sous le nom de “principe somnifère de l’opium”, il existait des réticences considérables à toute idée d’anesthésie chirurgicale. Ces oppositions étaient liées à la lenteur et à l’hésitation des premiers essais, ainsi qu’au risque iatrogène de la période initiale marqué par de nombreux accidents. Ces oppositions ont donné lieu à des discussions et des affrontements passionnés, notamment dans le cadre de l’Académie de Médecine où s’opposèrent en particulier deux chirurgiens : Velpeau, tenant de l’anesthésie générale, et Magendie, s’y opposant. Il aura fallu 50 années de débat pour qu’à partir de 1847 l’anesthésie générale s’impose. Cette année-charnière est celle de la mise au point d’un contre-poison, antagoniste de l’action de l’éther : la strychnine. Avec la strychnine, l’éthérisation se propage et l’anesthésie générale s’imposera. Dans la deuxième partie du XIXe siècle, l’évolution de l’anesthésie locale et loco-régionale sera similaire. En 1854, Velpeau utilise des mélanges réfrigérants lui permettant de réaliser des gestes chirurgicaux locaux à moindre douleur. En 1860, Niemann isole de la “coca” un alcaloïde : la Cocaïne. Il faudra attendre 25 ans pour que Halsted, en 1885, réalise une première anesthésie locale à la cocaïne. Par la suite, en 1904, seront mis au point des dérivés largement utilisés tels que la novocaïne.

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V - DE NOS JOURS Des progrès considérables ont été effectués sur le plan neurophysiologique permettant de comprendre et de renforcer les mécanismes de contrôle intrinsèque de la douleur. Ces données récentes seront développées dans le deuxième chapitre. Ce regain d’intérêt est lié non seulement aux progrès des connaissances fondamentales mais aussi :

1. à l’identification de la notion de « douleur chronique ou douleur maladie » s’opposant à la « douleur aiguë symptomatique », signe d’alarme utile ;

2. à la meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques

générateurs de douleur répondant à ces stratégies thérapeutiques différentes ;

3. à la fin de la dichotomie entre « douleur organique » et « douleur psychiatrique », sachant que toute douleur rebelle persistante entraîne des réactions psychologiques et justifie une évaluation et une prise en charge pluridisciplinaire.

La douleur n’est plus considérée comme inéluctable. Elle concerne tous les médecins au quotidien. Lorsque cette douleur échappe à la compétence du médecin généraliste, du fait de son caractère chronique répétitif et rebelle au traitement élémentaire, les patients sont confiés à des praticiens spécialisés dans ce domaine. “L’algologie” ou thérapeutique de la douleur n’est pas une spécialité en soi car cette prise en charge relève d’une évaluation clinique et d’un suivi inter-disciplinaire. Ce concept de prise en charge globale du patient et d’approche multidisciplinaire des composantes organiques et psychologiques d’une douleur chronique représente un des facteurs essentiels des progrès récents acquis dans ce domaine durant ces dernières années. Par ailleurs, on a assisté à une transformation des possibilités et des stratégies thérapeutiques du fait d’un transfert très rapide de découvertes fondamentales neurophysiologiques ou neuropharmacologiques à des applications thérapeutiques. Les craintes de toxicomanie et de dépendance liées à l’usage de la morphine se sont estompées en pratique clinique, tandis que les excès des réglementations concernant sa prescription se sont assouplis. L’impact socio-économique de nombreuses douleurs chroniques ou séquellaires reste majeur. C’est par exemple le cas du “mal au dos” qui représente un véritable fléau et pose la question d’une attitude de prévention. La douleur n’est plus une fatalité. Symptôme transversal au cœur de nombreuses pathologies ou séquelles de lésions nerveuses irréversibles, la douleur est aujourd’hui devenue une priorité de santé publique. La Loi hospitalière précise depuis 1996 que tous les Etablissements de Soins doivent mettre en place des structures spécialisées dans ce domaine mais, malgré cela, les moyens mis à disposition restent encore insuffisants notamment en ressources humaines, c’est-à-dire en soignants. Parallèlement, la lacune observée dans la formation initiale, aussi bien des médecins que des para-médicaux, se comble. A côté d’une approche médicale essentiellement curative, doit s’associer une démarche complémentaire palliative ayant pour objectif de soulager toutes les souffrances physiques et morales. “L’étude de la douleur conduit à une médecine plus humaine en tous ses gestes” (R. Leriche, 1940).

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CHAPITRE 2 DOULEURS : BASES ANATOMIQUES, PHYSIOLOGIQUES ET PSYCHOLOGIQUES

Jean-Christophe Sol, Patrick Chaynes et Yves Lazorthes

Plan du Chapitre pages

1. Introduction 18 2. Données générales 19 3. Les voies de transmission et de perception de la douleur

3.1. Au niveau du système nerveux périphérique (SNP) 3.2. Au niveau du système nerveux central 23

4. Mécanismes de contrôle de la douleur 36 4.1. Contrôle d’origine spinale 4.2. Contrôle d’origine supra-spinale 38

5. Les mécanismes physiopathologiques générateurs de douleurs 40 I – INTRODUCTION

Ce chapitre est consacré à l’anatomie et physiologie de la douleur, soit l’ensemble des fonctions de l’organisme qui permettent de détecter, percevoir et réagir à des stimulations potentiellement nocives. Ainsi après avoir considéré les mécanismes périphériques et spinaux, les faisceaux ascendants et les structures supra-spinales impliqués dans la nociception, seront présentés des systèmes de régulation actuellement décrits comme étant essentiellement inhibiteurs et qui modulent le message nociceptif en permanence.

Ces données permettent d’expliquer la survenue de douleurs aiguës ayant une valeur

d’alerte devant une agression et l’existence de douleurs chroniques syndrome à part entière (douleur maladie) survenant dans des conditions pathologiques.

Une douleur chronique peut-être générée par des mécanismes neurophysiologiques

différents (douleur par excès de nociception, douleur neuropathique…), qu’il est essentiel au médecin de parfaitement bien connaître car, de leur bonne compréhension et de leur évaluation neurologique précise, découlera un traitement adapté.

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II - DONNEES GENERALES

La perception de la douleur émerge d’un système sensoriel chargé d’une fonction spécifique (la conservation de l’intégrité corporelle), organisé selon une architecture habituelle et opérant selon un mode commun aux systèmes sensoriels.

Les stimuli nociceptifs ont en commun de menacer l’intégrité du corps et d’activer un ensemble de récepteurs sensoriels : les nocicepteurs. Au sein des systèmes sensoriels, on reconnaît une fonction spécifique à la nociception dans la mesure où elle peut être considérée comme un système d’alarme qui protège l’organisme : elle déclenche des réponses réflexes et comportementales dont la finalité est d’en supprimer la cause et par conséquent d’en limiter les conséquences.

La douleur est une manifestation totalement subjective, et sa définition est de ce fait difficile. L’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) a proposé en 1979 la définition suivante : « La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans des termes impliquant une telle lésion ». Ainsi, même si généralement la douleur est secondaire à une cause physique évidente, cette définition évite de lier étroitement la douleur à son seul stimulus nocif causal. Elle souligne également l’intrication étroite existant entre l’organicité d’une douleur et ses conséquences émotionnelles et affectives sur les réactions individuelles de chaque patient.

La même agression, provoquant la même lésion anatomique apparente, peut entraîner des sensations et des conséquences fonctionnelles tout à fait différentes voire opposées chez deux patients distincts. Par ailleurs, un même individu ne réagit pas toujours de manière univoque à la douleur. Son seuil de tolérance à la douleur peut varier en fonction des circonstances de sa vie. Ainsi, il peut par exemple développer une résistance exceptionnelle dans des conditions extrêmes (blessure de guerre, blessure lors d’un match de rugby…) (cf. Chapitre 3).

Il est actuellement parfaitement admis qu’une douleur chronique a une double dimension : sensorielle et psychologique. La dimension sensorielle représente la composante neurologique à l’origine de la sensation douloureuse. Le cerveau possède ainsi une fonction discriminative lui permettant de distinguer avec la plus grande précision l’intensité de la douleur, la nature de l’agression, sa durée et sa localisation. La dimension psychologique est quant à elle une véritable variante individuelle. Elle représente la réponse affective-émotionnelle, cognitive ou comportementale à une agression douloureuse. III - LES VOIES DE TRANSMISSION ET DE PERCEPTION DE LA DOULEUR

3.1. Au niveau du système nerveux périphérique (SNP)

3.1.1 Les récepteurs périphériques de la douleur ou « nocicepteurs »

Il est généralement admis qu’il n’existe pas de structure spécifique histologiquement individualisée, pour capter la douleur. Les messages nociceptifs sont générés au niveau des terminaisons libres des fibres nerveuses, constituant des arborisations plexiformes dans les tissus cutanés, musculaires, articulaires ainsi que dans les parois des viscères (Fig 1). Les messages nociceptifs sont ensuite véhiculés dans les nerfs par différentes fibres, classées en fibres myélinisées et non myélinisées.

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Les nocicepteurs cutanés ont été les mieux décrits chez l’homme, on en distingue 2

types présents au niveau de la peau glabre ainsi que dans les zones poilues : Des nocicepteurs unimodaux qui ne sont activés que par des stimulations mécaniques

intenses : ce sont des mécanonocicepteurs électivement en relation avec les fibres Aδ. Des nocicepteurs polymodaux de loin les plus nombreux qui répondent non seulement

aux modalités précédentes de stimulation physique mécanique mais également à des stimulations de nature thermique ou chimique (chimiorécepteurs).

La répétition d’un stimulus provoque une sensibilisation des récepteurs entraînant un

abaissement de leur seuil et une amplification de leurs réponses. Ils sont associés principalement aux fibres C.

Des travaux récents ont par ailleurs mis en évidence la présence nocicepteurs polymodaux, dans la peau, les viscères et les articulations dits « silencieux », car ils ne peuvent pas être activés dans les conditions normales, mais le sont dans des conditions pathologiques, en particulier lors des processus inflammatoires chroniques.

La densité de l’innervation cutanée compte en moyenne un minimum de 6000 terminaisons libres par cm2. Bien que variable d’un territoire à un autre, la répartition des nocicepteurs est relativement homogène au niveau cutané, ce qui permet de localiser sans difficulté aussi bien la douleur que les autres sensations somesthésiques.

3.1.2. Les stimuli nociceptifs

Le système nociceptif peut-être activé par une grande variété de formes d’énergie (mécanique, thermique, chimique…) dont le caractère commun semble à priori de forte intensité, capable de provoquer une réelle lésion tissulaire. La lésion tissulaire provoquée est responsable d’une série d’évènements étroitement liés aux processus inflammatoires venant prolonger l’activation des nocicepteurs et surtout induire une sensibilisation (Fig 2).

Fig 1 : Les fibres Aδ (peu myélinisées) et C (non myélinisées), responsables des sensations thermo-algiques, sont connectées à des terminaisons libres appelées « nocicepteurs ». Les fibres Aαβ (très myélinisées), responsables des sensations tactiles, sont connectées à des récepteurs bien différenciés sur le plan histologique (corpuscules de Meissner, de Ruffini, disques de Merkel, récepteurs du follicule pileux).

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Fig 2: intéractions entre les différentes substances libérées par les cellules immunitaires, les capillaires sanguins et les terminaisons nerveuses périphériques (sensorielles et sympathiques) lors d’une lésion tissulaire inflammatoire.

Les mécanismes de la genèse des messages nociceptifs ne sont pas élucidés entièrement. Néanmoins, il est bien établi que de nombreuses substances chimiques (bradykinine, histamine, sérotonine, prostaglandines, ions hydrogènes) sont libérés lors des lésions tissulaires par les cellules sanguines (plaquettes, polynucléaires, lymphocytes, macrophages, mastocytes). Par ailleurs, des neuropeptides tels la substance P et le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP) contenus dans certaines cellules des ganglions spinaux peuvent être libérés au niveau périphérique par le classique réflexe d’axone (fig 3). En dehors de ces substances qui pour la plupart sont libérées assez précocement lors de l’installation d’une lésion, d’autres facteurs tels les cytokines (interleukines, interféron, facteur de nécrose tumorale (TNF), facteurs de croissance neuronale (NGF) sont libérés par les phagocytes ou les cellules du système immunitaire, surtout lorsqu’il s’agit d’un processus persistant.

Ainsi il apparaît que toute une myriade de substances chimiques très diverses dite « soupe périphérique » interagissant entre elles, puisse moduler l’activité des nocicepteurs rendant les approches pharmacologiques complexes.

A B A B

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Fig 3 : Inflammation neurogène liée à une lésion tissulaire : après stimulation nociceptive périphérique, l’influx nerveux se propage non seulement vers la moelle, mais aussi de façon antidromique vers les autres terminaisons libres de la même fibre. Celles ci vont libérer des peptides dont la substance P, ce qui entraîne une vasodilatation, une dégranulation des mastocytes, elle même à l’origine d’une libération localisée d’histamine qui va amplifier les processus vasculaires et sensibiliser les nocicepteurs. Cette cascade d’évènements, appelée inflammation neurogène concerne non seulement les territoires lésés mais aussi les territoires adjacents à l’origine d’une hyperalgésie dite secondaire ou en « tâche d’huile ».

3.1.3 Les fibres nerveuses afférentes primaires et les nerfs périphériques

sensitifs

La fibre nerveuse est en fait le prolongement périphérique ou axone du premier neurone ou « protoneurone » dont le corps cellulaire est situé dans le ganglion spinal ou le ganglion trigéminal de Gasser. Les fibres sensitives ne sont pas uniformes ; elles propagent le signal sensoriel à des vitesses de conduction différentes, proportionnelles à leur diamètre et à l’épaisseur de leur gaine de myéline (Tableau 1).

Les premières études physiologiques effectuées chez l’homme ont montré que la

sensation douloureuse résultait de la mise en jeu de fibres à conduction lente : les fibres Aδ faiblement myélinisées et les fibres C, non myélinisées. Les fibres C sont les plus nombreuses puisqu’elles constituent 60 à 90% de l’ensemble des fibres afférentes cutanées et la quasi totalité des fibres afférentes viscérales.

Types de fibres Aβ Aδ C

Diamètre (microns) 5-15 µm 1-5 µm 0,3-1,5 µm

Gaine de myéline +++ + -

Vitesse de conduction (mètre/seconde)

40-100 m/s 5-40 m/s 1-2 m/s

Récepteurs

périphériques

Spécialisés, encapsulés Mécanonocicepteurs

Terminaisons libres

Nocicepteurs polymodaux

Terminaisons libres

Stimulus spécifique Pression légère Pression forte Pression forte

T° > 45°C

Fibre C

Augmentation de la perméabilité vasculaire vasodilatation

SP

Histamine

Stimulation électrique Sensibilisation

Activation

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Tableau 1: Caractéristiques et signification fonctionnelle des trois catégories de fibres sensitives contenues dans un nerf d’origine cutanée (d’après Lazorthes, 1993).

L’existence de ces deux groupes de fibres afférentes fines a permis de mieux comprendre le phénomène de double douleur parfois ressenti lors de l’application de stimulations cutanées brèves et intenses. L’activation des fibres Aδ produirait une douleur rapide (300 ms après le stimulus) bien localisée et à type de piqûre déclenchant immédiatement un réflexe protecteur de retrait. Les fibres C seraient responsables d’une douleur tardive (1 sec après le stimulus), mal localisée plus diffuse et à type de brûlure traduisant une lésion tissulaire persistante (Tableau 2). Douleur rapide Douleur lente

Caractéristique clinique Vive, à type de piqûre, bien localisée,

instantannée

Sourde, diffuse, à type de

brulûre, installation lente

Evolution Durée brève, pas de tonalité affective Durée prolongée, réaction

affective et végétative

Fibre nerveuse Fibres sensitives Aδ Fibres sensitives C

Tableau 2: Caractéristiques cliniques des deux types de douleur aiguës (d’après Lazorthes, 1993). D’autre part, le fait que les fibres sensitives transmettant la sensation tactile fine soient

protégées par une épaisse gaine de myéline, alors que les fibres sensitives nociceptives (Aδ et C) ne le sont pas, a des conséquences pratiques largement utilisées en clinique. Il est possible de réaliser des lésions nerveuses périphériques incomplètes et sélectives détruisant les seules fibres fines nociceptives et de ce fait, de respecter la sensibilité tactile dans le territoire nerveux considéré. L’application principale de ce concept est représentée par la thermocoagulation (lésion thermique) du ganglion trigéminal de Gasser dans le traitement des névralgies faciales essentielles.

3.1.4 Un cas particulier : la douleur viscérale

La douleur viscérale diffère par beaucoup d’aspects physiologiques de la douleur cutanée. Elle n’a pas de signification claire en terme de valeur adaptative ou protectrice comme cette dernière qui a valeur d’alerte et permet une conduite adaptée. Dans les viscères, les nocicepteurs réagissent parfois à des situations non pathologiques comme la distension alors qu’à l’inverse des envahissements destructeurs ou des perforations d’organes creux peuvent être indolores. L’absence ou le peu de représentation somatotopique cérébrale des viscères explique que cette douleur soit mal localisée et diffuse donnant lieu au phénomène de douleur projetée cutanée parfois très à distance, piège classique de la médecine d’urgence. Certaines douleurs survivent à l’ablation de l’organe en cause : ce sont des douleurs « fantômes » générées au niveau du système nerveux central. Elles sont bien connues après amputation des membres, mais peuvent aussi se voir après ablation des viscères (cystectomie, mammectomie…).

3.2. Au niveau du système nerveux central

3.2.1 La jonction radiculo-médullaire

Chimique

Sensation produite Tact, proprioception Douleur rapide Douleur lente

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Après avoir emprunté le nerf périphérique puis pour certains un plexus, l’influx nociceptif se dirige vers le nerf spinal. Toutes les fibres périphériques afférentes (dendrites du 1er neurone) possèdent un corps cellulaire au niveau du ganglion spinal situé sur la racine spinale dorsale. Dans la majorité des cas, les afférences du système nerveux central gagnent la moelle spinale par les racines dorsales ou leurs équivalents au niveau des nerfs crâniens. Il a été cependant récemment démontré chez l’homme que certaines fibres afférentes empruntent la racine ventrale qui contient classiquement les fibres efférentes motrices.

Les différents types de fibres sensitives n’ont aucune organisation particulière au sein

des nerfs périphériques et des racines dorsales. Au niveau de la jonction radiculo-médullaire zone d’entrée de la racine dorsale dans la moelle, elles s’organisent en fonction de leur type et de leur destinée médullaire (Fig 4). Ainsi les fibres de gros calibre myélinisées (Aβ) destinées au cordon dorsal homolatéral et transportant des informations tactiles superficielles et proprioceptives conscientes (voie lemniscale) se placent dans la partie dorso-médiane de cette région. Les fibres fines nociceptives (Aδ et C) se placent dans la région ventro-latérale de cette zone d’entrée.

Cette dissociation anatomique des fibres est à l’origine d’une intervention

neurochirurgicale d’interruption des voies de la douleur au niveau de la jonction radiculo-médullaire décrite en 1972 par le Pr Sindou, neurochirurgien Lyonnais. C’est la radicellotomie postérieure sélective ayant pour objectif de sectionner par technique microchirurgicale les petites fibres véhiculant la nociception à leur entrée dans la moele épinière.

Fig 4 : Organisation des fibres au niveau de la jonction radiculomédullaire postérieure. ….. Site de la radicellotomie

postérieure sélective d’après M Sindou.

Les fibres nociceptives ne se destinent pas à un seul étage spinal (myélomère). En effet,

chaque fibre se trifurque, donnant des branches pour le niveau correspondant à son métamère et des branches ascendantes et descendantes qui vont parcourir le tractus dorsolatéral de Lissauer. Ceci a pour conséquence une diffusion de l’information aux étages métamériques adjacents permettant notamment l’élaboration de réflexes spinaux plurisegmentaires. A noter

Chaque radicelle est formée d’un segment périphérique dont la glie est schwanienne (comme le nerf périphérique) et d’un segment central dont la glie est oligodendrocytaire (comme la moelle). La jonction entre les deux se fait au niveau de l’anneau pial (AP).

- Au niveau du segment périphérique (1) les fibres n’ont aucune systématisation particulière en fonction de leur taille.

- Au niveau de l’anneau pial les petites fibres gagnent la surface de la radicelle, un petit nombre sur son bord médian (M), la plupart sur son bord latéral (L) tandis que les grosses fibres cheminent en son centre.

- Au niveau du segment central (3), les petites fibres qu’elles soient latérales ou médianes se regroupent à la partie latérale de la jonction radiculo-médullaire avant de pénétrer dans le tractus de Lissauer (TL) puis la corne postérieure dela moelle (CP).

Il est possible a ce niveau par des techniques microchirurgicales d’interrompre sélectivement les voies de la douleur en respectant les fibres de la sensibilité.

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qu’il existe aussi un mécanisme de diffusion de l’information périphérique, lié au phénomène de recouvrement des dermatomes (territoires cutanés dépendant d’un métamère). Une stimulation nociceptive cutanée peut-être ainsi véhiculée par trois racines spinales jusqu’aux métamères correspondants puis également subir un phénomène de diffusion central par le tractus de Lissauer.

3.2.2 Les neurones spinaux La terminaison de l’axone du protoneurone se fait au niveau de la substance grise

spinale (Fig 5). Selon la nomenclature de Rexed, la substance grise a été divisée en dix couches, les 5 premières correspondent à la corne postérieure, les couches VI et VII à la zone intermédiaire, les couches VIII et IX à la corne antérieure et la couche X à la zone périépendymaire. La couche I est également dénommée zone marginale, la couche II substance gélatineuse.

Fig 5 : Distribution des fibres afférentes primaires dans la corne postérieure de la moelle

Les fibres myélinisées Aαβ se divisent en deux contingents : - le premier emprunte les cordons postérieurs pour atteindre les noyaux de Gracile et cunéiforme où ils activent des neurones du système lemniscal responsable des sensibilités tactiles et proprioceptives.

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- le second bifurque pour entrer dans la substance grise médullaire et se terminer dans les couches III, IV.

Les fibres myélinisées de petit diamètre Aδ et non myélinisées C se projettent sur les couches I et II (substance gélatineuse de Rolando) de l’apex de la corne dorsale spinale. Ces synapses s’établissent avec deux types de deutoneurones (2ème neurone de la voie nociceptive):

• des neurones nociceptifs non spécifiques dont les corps cellulaires sont situés

au niveau de la couche V. Il s’agit de neurones recevant des informations non nociceptives et nociceptives dont l’activité est parallèle à l’intensité de la stimulation. A partir d’un certain seuil d’activité le message devient nociceptif. Sur ces neurones existent des phénomènes de convergence : des messages musculaires, viscéraux et cutanés se projettent sur des neurones non spécifiques communs (Fig 6). Ce phénomène permet d’expliquer les sensations de douleurs projetées. Une douleur originaire d’un viscère sera par exemple ressentie comme provenant d’un territoire cutané (ex : la douleur angineuse est ressentie au niveau de la face interne du bras dans le territoire C8 gauche, douleur testiculaire de la colique néphrétique, douleur scapulaire droite de la lithiase vésiculaire…).

• des neurones nociceptifs spécifiques, dont les corps cellulaires sont situés dans les couches I et II. Ils reçoivent exclusivement des fibres Aδ et C et ne déclenchent une activité qu’à partir d’un certain seuil de stimulation. Il existe également à leur niveau des phénomènes de convergence.

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Fig 6 : Convergence des afférences en provenance de tissus d’origines différentes

A partir de ce relais dans la corne dorsale, s’organisent des circuits réflexes spinaux

par l’intermédiaire de chaînes d’interneurones, notamment vers la corne ventrale et les motoneurones des muscles fléchisseurs des membres (réflexe de retrait en flexion) ou vers la zone intermédiaire végétative de la moelle à l’origine de réflexes végétatifs spinaux à la douleur. La pharmacologie de la corne dorsale de la moelle épinière est très riche. La majorité des neurotransmetteurs ainsi que leurs récepteurs respectifs présents dans le système nerveux central sont retrouvés à ce niveau. Deux groupes de neuromédiateurs sont responsables de la transmission des messages nociceptifs périphériques vers les neurones spinaux. Il s’agit d’acides aminés excitateurs (AAE) comme le glutamate ou aspartate et de neuropeptides (Fig 7). Ces derniers très nombreux (substance P, Somatostatine, peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP), cholecystokinine, neurokinine A…) et pourraient jouer le rôle de neuromodulateurs en modulant les effets exitateurs ou inhibiteurs des neurotransmetteurs.

Fig 7: Transmission de l’influx des nocicepteurs aux neurones nociceptifs spinaux.

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POUR EN SAVOIR PLUS…

Transmission de l’influx des nocicepteurs aux neurones nociceptifs spinaux :

A la suite d’une stimulation isolée, d’intensité liminaire et plus généralement dans des conditions physiologiques seul le glutamate serait libéré. Il activerait les neurones nociceptifs spinaux en se liant à leur récepteur AMPA. A la suite d’une stimulation supra-liminaire et surtout répétée et plus généralement dans des conditions pathologiques, on observe :

- une libération accrue d’acides aminés excitateurs qui se traduit par une entrée massive de

ca++ avec activation des récepteurs NMDA - une libération de substance P qui va se fixer sur les récepteurs NK1 entraînant une

activation supplémentaire des récepteurs NMDA

Il s’en suit dès lors une cascade complexe d’évènements aboutissant à une hyperexcitabilité des neurones nociceptifs spinaux et à une hyperalgésie. Parmi ces évènements on note :

- une activation de la protéine kinase C ayant pour effet une amplification des récepteurs

NMDA - une augmentation de la production de NO favorisant la synthèse des AAE et des gènes à

expression immédiate précoce

- l’induction des gènes d’expression immédiate précoce (c-fos, c-jun) couplée à la transcription du gène codant pour la dynorphine, laquelle présente à faible dose des effets pro-nociceptifs. Ainsi le recrutement des neurones nociceptifs induit par la dynorphine pourrait impliquer des mécanismes de potentiation à long terme semblablesà ceux observés au niveau de l’hippocampe et responsables d’une forme de mémorisation de la douleur. Ces divers mécanismes excitateurs auto-amplifiés à l’origine de la sommation temporelle ou « wind-up » sont accrus par une diminution des contrôles inhibiteurs : l’abondance d’AAE serait responsable d’un effet neurotoxique sur les interneurones inhibiteurs gabaergiques de la corne dorsale, mécanisme à l’origine d’une sommation spatiale de l’excitation nociceptive.

A la suite d’un stimulus nociceptif liminaire, isolé, survient une douleur aiguë liée à la stimulation des récepteurs AMPA. On la considère comme une douleur d’alarme, de sauvegarde de l’intégrité de l’organisme, on parle de normalgésie (Fig 8).

A la suite d’un stimulus nociceptif supra-liminaire et répétitif on constate la mise en jeu des récepteurs NMDA à l’origine d’une hyperexcitabilité auto-entretenue voire amplifiée de traduisant par une hyperalgésie.

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A plus long terme, il peut s’ensuivre une forme de mise en mémoire de la douleur liée à des modifications dans l’expression des gènes en faveur d’une synthèse protéique pro-nociceptive.

Evènement douloureux Douleur aiguë isolée Douleurs aiguës récurrentes Douleur chronique

Glutamate

AMPA

NORMALGESIE

AAE - SP

NK1 NMDA (Ca++, PKC, NO)

HYPERALGESIE

Gène d’expression précoce

(c-fos)

MEMORISATION

0 milliseconde secondes minutes heures jours mois

années

Fig 8: Les trois étapes possibles d’un événement douloureux

POUR EN SAVOIR PLUS… Les lésions tissulaires entraînent une sensibilisation des nocicepteurs périphériques avec une augmentation de leurs activités spontanées et induites. Les lésions nerveuses induisent une activité spontanée ectopique et une sensibilité chimique accrue des fibres périphériques lésées du névrome, ainsi que des activités ectopiques provenant du ganglion spinal et des zones démyélinisées. Dans les deux type de lésions, il y a une augmentation de la décharge neuronale qui altère l’activité des neurones du système nerveux central, même s’il s’agit de mécanismes différents. La séquence des évènements est illustrée sur le diagramme figure . L’accroissement de l’activité provenant du site de la lésion entraîne une augmentation de l’excitation neuronale par l’intermédiaire des sites récepteurs NMDA. Celle-ci est facilitée par la libération de neuropeptides (substance P, CGRP ou dynorphine). Il s’ensuit une extension des champs récepteurs et différents signes d’hyperexcitabilité neuronale induisant un accroissement de la douleur. Si cette hyperexcitabilité devient excessive, elle peut conduire à une cytotoxicité avec dysfonctionnement des neurones et perte des mécanismes inhibiteurs. Les effets combinés d’une excitation excessive et d’une perte d’inhibition exacerberont ultérieurement l’hyperexcitabilité, entraînant donc une douleur encore plus importante et prolongée. L’identification de ces mécanismes a conduit au développement de nouvelles stratégies thérapeutiques antalgiques telles que :

- l’utilisation d’antagonistes des récepteurs NMDA, d’inhibiteurs de la PKC ou de la NO-synthase

- l’utilisation d’anesthésiques locaux pré-opératoires afin de prévenir le développement de l’hyperexcitabilité de la corne dorsale, c’est-à-dire empêcher que la moelle épinière « n’expérimente » la lésion et éviter ainsi la formation d’une trace à type de « mémoire » de la lésion à ce niveau.

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3.2.3 Les voies spinales ascendantes

Les neurones nociceptifs médullaires spécifiques ou non spécifiques vont projeter leurs informations au neurone thalamique (3ème neurone de la voie nociceptive) par l’intermédiaire de leurs axones regroupés en faisceaux nerveux ascendants.

Après avoir croisé la ligne médiane (décussation) au niveau de la commissure grise ventrale, les axones des neurones nociceptifs de l’apex de la corne dorsale se dirigent vers le cordon ventro-latéral de l’hemi-moelle controlatérale pour former le faisceau spinothalamique (Fig 9). La conséquence fonctionnelle de ce croisement anatomique est que le cerveau droit reçoit et perçoit les informations douloureuses provenant de l’hémicorps gauche et inversement. Ce faisceau transmet essentiellement des influx résultant de l’activation de nocicepteurs somatiques et viscéraux, et de récepteurs au chaud et au froid. La conception moderne sépare ce faisceau en deux contingents :

• le faisceau néospinothalamique, superficiel et latéral n’existant que chez les

mammifères supérieurs et l’homme, composé de fibres rapides paucisynaptiques (faisant peu de relais). Il existe une organisation spatiale des fibres dans le faisceau (somatotopie), les fibres les plus caudales sont situées latéralement par rapport aux fibres d’origine plus rostrales, les fibres de la sensibilité thermique sont plus postérieures que celles de la sensibilité douloureuse. Cette somatotopie et le fait que la voie nociceptive soit regroupée sous la forme d’un faisceau compact dans le quadrant antéro-latéral de la moelle sont à l’origine d’une intervention d’interruption des voies de la douleur : la cordotomie antéro-latérale. Après avoir traversé le tronc cérébral et la face latérale de la formation réticulée, le faisceau se place au bord dorsal du lemnisque médian et se termine dans le thalamus latéral au niveau du noyau ventral postérieur latéral et postérieur dans le noyau submédius. Le faisceau néospinothalamique est impliqué dans la localisation des sensations douloureuses.

• Le faisceau paléospinoréticulothalamique, profond et médial, composé de fibres

de petit calibre à conduction lente et faisant de nombreux relais synaptiques. Il correspond à un système phylogénétiquement ancien, sans organisation somatotopique. Il se termine dans le thalamus médian au niveau des noyaux intralaminaires. Le faisceau paléospinoréticulothalamique est impliqué dans le codage de l’intensité des stimuli douloureux ainsi que dans la mise en jeu des structures limbiques et corticales responsables des « comportement douloureux ».

Ce faisceau spinothalamique contient également des fibres provenant de la substance

grise intermédiaire (zone végétative) et regroupe 80 à 90% des fibres nociceptives. Les axones de la voie nociceptive après être montés dans le cordon ventro-latéral de la moelle pénètrent dans la moelle allongée (bulbe). Ils sont rejoints par les axones du noyau spinal du trijumeau véhiculant la sensibilité nociceptive de la face.

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Le faisceau néospinothalamique va rejoindre la voie lemniscale médiane en direction du thalamus.

Fig 9 : Les voies nociceptives antéro-latérales Le faisceau paléospinoreticulothalamique est situé plus dorsalement. Il a la particularité

de donner de nombreuses collatérales homolatérales et controlatérales lors de sa traversée du tronc cérébral. Il se projette largement et bilatéralement sur la substance réticulée à tous les niveaux du tronc cérébral, ce qui serait à l’origine de la mise en « éveil » du système nerveux central par le système réticulaire ascendant. Par ailleurs à ce niveau, s’organisent des réflexes avec les noyaux végétatifs de la réticulée et des nerfs crâniens (III, VII, IX, X) à l’origine de réactions neurovégétatives telles que des modifications de l’activité cardio-vasculaire (accélération du pouls, augmentation de la tension artérielle), respiratoire (accélération de la fréquence), mydriase ou pilo-érection….

Il est possible de distinguer au sein des afférences nociceptives 2 voies anatomiques

empruntant :

Un système latéral, mis en jeu par la voie néo-spino-thalamique (NST), faisant relais

dans le noyau VPL du thalamus et se projetant sur le cortex pariétal somesthésique. Il s’agit

d’une voie à conduction rapide responsable d’une sensation consciente de la douleur aiguë et

douée d’une capacité d’analyse qualitative de la stimulation (nature, durée, topographie). Cette

voie est ainsi responsable de l’aspect sensori-discriminatif de la nociception.

Un système médian, activé par la voie paléo-spino-réticulo-thalamique (PSRT)

faisant relais dans la réticulée du tronc cérébral (bulbaire : RPB ; mésencéphalique :

RM) et dans les noyaux non spécifiques du thalamus (intralaminaires : IL) et

comportant de vastes projections sur le cortex pré-frontal, les structures limbiques,

l’hypothalamus et le striatum. Cette voie à conduction lente est responsable après

stimulation nociceptive de la douleur sourde mal systématisée (non discrimative).

Elle met en jeu des comportements d’éveil et de défense et est à l’origine des

composantes cognitives, affectives et neurovégétatives de la sensation douloureuse.

Ces voies nociceptives afférentes sont en permanence modulées par des systèmes régulateurs

situés aux différents niveaux du système nerveux. Ceux-ci seront décrits dans le châpitre suivant (fibres lemniscales : GB ; tractus cortico-spinal : CS ; Noyau Raphe Magnus (NRM).

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POUR EN SAVOIR PLUS…

Bien que ce faisceau ait une place privilégiée dans le transport du message nociceptif, les données actuelles permettent de décrire 5 autres voies ascendantes nociceptives spinales (Fig 10). - La voie spinocervicothalamique : Décrite chez les carnivores et le singe, il semble inconstant chez l’homme. Les neurones d’origine sont situés dans les couches IV et V. Les fibres empruntent le cordon dorsal homolatéral en direction du noyau cervical latéral situé au niveau des deux premiers segments cervicaux de la moelle puis rejoignent la voie lemniscale après décussation. - La voie cordonale dorsale post-synaptique : Révélée chez le singe, la majorité des fibres est issue de neurones nociceptifs non spécifiques situés dans les couches III et IV. Les fibres post-synaptiques empruntent le cordon dorsal ipsilatéral puis suivent la voie lemniscale. - La voie spino-parabrachio-amygdalienne : Situé dans la partie dorso-latérale du pont, le noyau parabrachial est un site de projection majeur des neurones nociceptifs spécifiques de la couche I de la corne dorsale de la moelle. Ces neurones de l’aire parabrachiale sont activés par des stimulations mécaniques, thermiques et viscérales à partir de champs récepteurs de grande taille. Ils se projettent au niveau du noyau central de l’amygdale. Le rôle de cette voie fait toujours l’objet de spéculations, néanmoins il a été proposé qu’elle pourrait être impliquée dans l’aspect affectif et émotionnel de la douleur. - Les voies spino-parabrachio-hypothalamique et spino-hypothalaique : Deux voies vers les structures hypothalamiques régulatrices du système nerveux végétatif ont été décrites chez le rat mais reste à confirmer chez l’homme. Celles-ci naissent dans les neurones du nucleus proprius (couche V) et se projettent bilatéralement sur la quasi totalité des noyaux hypothalamiques ainsi que sur les noyaux sensitifs du thalamus.Ces voies pourraient être impliquées dans les réponses végétatives, neuroendocriniennes, émotionnelles et motivationnelles à la douleur.

Fig 10 : Représentation schématique des voies nociceptives nouvellement décrites

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3.2.4 Les voies nociceptives cérébrales Les structures cérébrales dites supraspinales impliquées dans les mécanismes de

transmission et de perception de la douleur, sont multiples, complexes et actuellement beaucoup moins connus que l’organisation de la moelle épinière.

a) Le relais thalamique

Le thalamus est un noyau gris considéré comme un centre de triage de l’information sensitive. Les axones des neurones nociceptifs médullaires après avoir emprunté le faisceau spino-thalamique se terminent en faisant synapse avec les neurones thalamiques : - Thalamus latéral (spécifique) La voie spino-thalamique accompagnant la voie lemniscale se projette avec une somatotopie précise dans le noyau ventro-postéro-latéral (VPL) homolatéral du thalamus latéral contenant le corps du troisième neurone de la voie nociceptive (Fig 11). Les afférences de la face d’origine trigéminale se projettent plus médialement sur le noyau ventro-postéro-médian. - Thalamus médial (non spécifique) Le faisceau paléo-spino-réticulo-thalamique se projette sur les noyaux intralaminaires, parafasciculaire, submédius du thalamus médian. Ces noyaux constituent un prolongement supérieur de la substance réticulée. A partir de ceux-ci, l’information nociceptive va être « diffusée » à de nombreuses régions cérébrales.

Fig 11: A : Vue supéro-externe du thalamus gauche. Mise en évidence des noyaux latéraux et médians par la lame médullaire interne (LMI). En avant, cette dernière se divise en Y pour entourer le groupe de noyaux antérieurs. B : Schéma frontal du VPL gauche illustrant les terminaisons de la voie lemniscale (hachures verticales), des voies trigéminales (hachures horizontales) et spino-thalamiques (grisé) permettant de visualiser les zones de terminaison préférentielle de chaque projection et leurs zones de recouvrement. C : Coupe horizontale des VPL et VPM humains illustrant la somatotopie mise en évidence par la stimulation électrique chez le sujet éveillé (d’après Guiot et Derome).

b) Les projections corticales

A B C

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Il n’existe pas de centre unique d’intégration, de discrimination et de mémorisation de la

douleur. Les techniques modernes de marquage de fibres, d’immunohistochimie et d’imagerie ont permis de mieux préciser cette circuiterie complexe dans laquelle l’hypothalamus, le cortex somesthésique et le système limbique jouent un rôle important.

Le couplage des techniques d’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) et tomographie par émission de positons (TEP) a permis de montrer chez des volontaires sains que les cortex somesthésiques primaires et secondaires mais également les cortex cingulaires, insulaire et prémoteurs étaient activés par des stimulations nociceptives (Fig 12).

Le cortex somesthésique (gyrus post-central)

Le gyrus pariétal post-central reçoit les axones des neurones thalamiques du VPL (Fig 13). Ces axones se terminent préférentiellement dans la couche IV du gyrus somesthésique primaire (SI) à sa partie antérieure (aire 3A de Brodman) pour les influx d’origine musculaire et articulaire et à sa partie moyenne (aire 3B et 2) pour les influx d’origine cutanée. L’aire SI est richement connectée avec l’aire somesthésique secondaire SII située au pied du gyrus post-central qui pourrait également recevoir des informations nociceptives.

Fig 12 : Régions cérébrales présentant une augmentation du flot sanguin durant l’application d’un stimulus doulureux. La figure montre la superposition entre les coupes horizontales d’imagerie TEP et de la résonnance magnétique.

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Fig 13: Activations corticales déclenchées par des stimulations nociceptives.

Le cortex frontal

La projection des voies nociceptives à partir du thalamus non spécifique sur la région préfrontale est classiquement décrite comme responsable du caractère désagréable de la sensation douloureuse et du contexte affectif qui l’entoure. La déconnexion frontale enlève l’aspect de «souffrance » de la douleur, sans pour autant supprimer la sensation (l’aire SI restant informée).

Le système limbique La projection à partir de la formation réticulée sur les aires limbiques : cortex orbito-frontal, cingulaire antérieur, insulaire antérieur et sur l’amygdale temporale, joue un rôle dans l’apprentissage et la mémorisation des sensations nociceptives. Il permet notamment de reconnaître un contexte spatial et social à risque et permet ainsi un comportement adapté à des stimulations potentiellement nociceptives (réponse d’évitement, fuite, anticipation).

c) Les projections nucléaires • Sur l’hypothalamus

La projection d’informations nociceptives sur l’hypothalamus, principale structure régulatrice végétative est à l’origine des réponses neuroendocrines à la douleur (augmentation de la sécrétion d’hormones médullosurrénaliennes par exemple).

• Sur le striatum

Ces projections seraient à l’origine de réponses semi-automatiques et automatiques élaborées après une stimulation douloureuse.

Face interne

Face externe

Cortex occipita

Cortex temporal

Cortex frontal

Cortex pariétal

Cortex insulaire S1

S2

cingulaire Cortex

somesthésique

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IV - MECANISMES DE CONTROLE DE LA DOULEUR

L’activité des circuits empruntés par les messages douloureux est en permanence modulée et contrôlée par différents systèmes intrinsèques. Cette modulation à effet inhibiteur s’exerce essentiellement au niveau segmentaire de pénétration médullaire des afférences, niveau ou elle est le mieux connue, mais également au niveau supra-segmentaire par l’intermédiaire de contrôles descendants provenant des structures cérébrales (Fig 14).

Fig 14 : Représentation schématique des différents niveaux de contrôle du message nociceptif

4.1 Contrôle d’origine spinale

Le premier relais synaptique des voies de la douleur au niveau des cornes postérieures de la moelle épinière n’est pas un simple contact entre deux neurones mais un véritable centre de modulation et d’intégration du message nociceptif. Il est bien établi que la stimulation des grosses fibres myélinisées Aβ à conduction rapide bloque les réponses des neurones médullaires nociceptifs de la corne postérieure induites par la stimulation des petites fibres Aδ et C à conduction lente (Fig 15). Cette inhibition s’effectue au niveau de la corne dorsale de la moelle par l’intermédiaire d’un interneurone inhibiteur enképhalinergique situé dans la substance gélatineuse de Rolando (Fig 16). L’inhibition des fibres nociceptives par l’interneurone dépend de la libération d’enképhaline, qui va se fixer sur un récepteur spécifique situé à l’extrémité de la fibre nociceptive en position pré-synaptique, inhibant ainsi la libération, par cette fibre de ses propres neurotransmetteurs.

Cette disposition est à la base de l’explication proposée par R Melzack et P Wall en

1965, connue comme la théorie du « gate control » (contrôle dit de la « porte » ou du

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« portillon ») (Fig 15). D’après cette théorie, les influx en provenance des grosses fibres entretiendraient un tonus inhibiteur, lequel serait levé par l’arrivée d’une volée nociceptive suffisante entraînant l’ouverture de la porte.

Fig 15 : Théorie du portillon médullaire (« gate control theory ») Schéma résumant cette théorie telle qu’elle a été initialement proposée par Melzack et Wall en 1965. Les interneurones de la substance gélatineuse (S) régulent l’accès des informations issues de la périphérie vers les neurones à convergence situés dans les couches plus profondes de la corne postérieure de la moelle (T) par un mécanisme inhibiteur présynaptique. La mise en jeu des afférences de gros diamètre Aβ augmente l’activité de ces interneurones fermant ainsi le portillon ; l’activation des fibres fines Aδ et C déprime ce tonus ce tonus inhibiteur déclenchant alors l’ouverture du portillon, facilitant ainsi par désinhibition l’envahissement des neurones à convergence puis des structures supraspinales d’intégration pour générer la douleur. Ces mécanismes sont soumis à des contrôles d’origine supraspinale

T Système d’action

SG +

_

+

+

_

_

Contrôle central

Système de contrôle du portillon Fibres Aβ

Fibres Aδ et C

SP

Fibre nociceptive afférente

Neurone nociceptif spinal

Tractus spinothalamique

Interneurone inhibiteur enképhalinergique

Fig 16 : Modèle d’inhibition des fibres nociceptives au niveau de la corne postérieure de la moelle (schéma proposé par Jessell et Iversen, 1977).

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L’existence de ces mécanismes de contrôles segmentaires ont conduit à deux applications cliniques :

• La neurostimulation transcutanée des nerfs périphériques ou épidurale des cordons postérieurs médullaires, qui en recrutant les grosses fibres Aβ des mécanorécepteurs tempère l’activité des nocicepteurs.

• L’injection intra-thécale de morphine utilisée dans les douleurs cancéreuses rebelle, qui mime en quelque sorte la libération d’enképhalines, puissant inhibiteur de la transmission du message nociceptif.

4.2 Contrôle d’origine supra-spinale

Ces contrôles sot dits supra-spinaux descendants par référence à leur origine, mais comme les précédents, ils s’exercent sur la corne dorsale de la moelle qui se révèle ainsi comme un haut lieu de convergence des mécanismes de modulation.

a) Tronc cérébral

Les systèmes descendants cérébro-médullaires Il existe au niveau du tronc cérébral des zones dont la stimulation entraîne des effets

antinociceptifs. Il s’agit plus précisément de certaines zones très localisées de la substance grise péri aqueducale ainsi que de la région bulbaire où se situent notamment les noyaux raphé magnus et giganto-cellulaire (Fig 17). Ces zones mésencéphaliques pourraient intervenir successivement. L’activité initiale concernerait la SGPA, entrainant une libération d’endomorphines qui, elles mêmes iraient activer les structures bulbaires. Celles-ci à leur tour activeraient les voies descendantes du faisceau médullaire dorso-latéral lequel projette plus particulièrement sur les couches I, II et V de la corne postérieure, inhibant à leur origine, les neurones nociceptifs spinaux. La voie descendante bulbo-spinale décrite est à médiation sérotoninergique, elle se double également d’une voie descendante noradrénergique issue du locus coeruleus pontique. L’effet antalgique des antidépresseurs tricycliques est en partie médiée par leur action inhibitrice de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline ou des deux à la fois. A ce titre ces molécules participent au contrôle descendant de la douleur. Ces molécules auraient également de façon variable un effet opioïdergique et anti-NMDA.

Fig 17 : Schématisation des contrôles inhibiteurs issus du tronc cérébral.

Les contrôles inhibiteurs issus du tronc cérébral qui s’exercent sur la transmission spinale des messages nociceptifs. La stimulation électrique de la substance grise péri-acqueducale (SGPA) ou du noyau Raphe Magnus provoque l’activation des contrôles inhibiteurs descendants qui cheminent dans les funiculi postéro-latéraux pour inhiber par des mécanismes adrénergiques, sérotoninergiques ou opioïdergiques les neurones de la corne dorsale impliqués dans la transmission des messages nociceptifs vers les centres supérieurs. L’inhibition de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline et donc l’augmentation de leur concentration au niveau de la corne postérieure de la moelle est considérée comme le mécanisme prioritaire à l’origine de l’activité analgésique des traitements antidépresseurs.

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Le contrôle inhibiteur diffus (CIDN)

Cette théorie fait intervenir la mise en jeu d’un mécanisme endogène de contrôle de la

douleur, dans lequel les structures du tronc cérébral et en particulier le noyau subnucleus reticularis dorsalis feraient partie d’un système spino-bulbo-spinal à retroaction négative mis en jeu par des stimulations douloureuses (Fig 18).

L’originalité de ce système réside essentiellement dans son mode de fonctionnement.

Ainsi une stimulation nociceptive serait à l’origine de puissants effets inhibiteurs qui diffuseraient sur la totalité des neurones à convergence, hormis ceux dont les champs récepteurs sont concernés par la stimulation nociceptive. Un tel mécanisme expliquerait pourquoi « une douleur peut en masquer une autre » à deux réserves près, qu’elle soit plus intense et qu’elle concerne un territoire métamérique différent. Ce phénomène est exploité par les techniques de « contre-irritation » comme l’acupuncture.

b) Hypothalamus

Le tractus hypothalamique direct pourrait participer à une boucle de rétro-action négative (spino-hypothalamo-spinale).

Stimulus nociceptif

Fibres Aδ et C Quadran antéro-latéral

Funiculus postéro-latéral

Fig 18 :Schéma anatomique représentant les CIDN : les CIDN sont déclenchés spécifiquement par les stimulations nociceptives et par la mise en jeu des fibres périphériques de petit calibre Aδ et C. Les voies ascendantes et descendantes de la boucle sont localisées respectivement dans le cadran antéro-latéral et dans le funiculus postéro latéral. Les structures cérébrales participant aux CIDN sont localisées dans la partie caudale du bulbe (région bulbaire rostro-ventrale).

Formation Réticulée Bulbaire

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c) Thalamus Les mécanismes de contrôle à ce niveau ne sont pas clairement élucidés chez l’homme.

Deux théories sont proposées actuellement : L’existence d’un « gate control » au niveau du VPL exercée par la voie lemniscale,

similaire à celle décrite pour la corne dorsale. Le rôle du noyau reticularis qui forme une fine couche cellulaire à la périphérie du thalamus est également évoqué. Celui-ci reçoit des collatérales des projections thalamo-corticales et cortico-thalamiques et exerce en retour une activité inhibitrice (gabaergique) sur l’ensemble des autres noyaux thalamiques.

d) Le cortex cingulaire antérieur

Il projette sur la SGPA via le thalamus médian et fait probablement partie d’une boucle à

rétro-action négative.

e) Le cortex moteur (pré-central) Il fait actuellement l’objet d’investigations cliniques prometteuses : rôle inhibiteur direct du

tractus cortico-spinal et des voies cortico-thalamiques. La stimulation électrique du cortex moteur à visée antalgique est actuellement utilisée dans certaines douleurs neurologiques d’origine périphériques ou centrales.

V - LES MECANISMES PHYSIOPATHOLOGIQUES GENERATEURS DE DOULEURS

Une douleur durable et sévère peut-être générée par des mécanismes neurophysiologiques différents, qu’il est essentiel au médecin de parfaitement bien connaître car, de leur bonne compréhension et de leur évaluation neurologique précise, découlera un traitement adapté. Les données anatomophysiologiques amènent à classer les douleurs en 3 types :

• Les douleurs par excès de stimulation nociceptive (Tableau 3) : Ce sont de loin les plus fréquentes en clinique. Elles traduisent une irritation anormale, une excitation des nocicepteurs sans atteinte anatomique du nerf véhiculant la sensation douloureuse. Quelle que soit la cause initiale (traumatisme, brûlure, ischémie, infection…), il se produit au niveau du tissu lésé une réaction locale se traduisant par un exsudat s’accompagnant d’une libération massive de substances algogènes qui sensibilisent et activent directement les nocicepteurs et, ainsi auto-entretiennent la douleur. Elles concernent en pratique les douleurs cancéreuses mais également les lésions tissulaires d’autres natures ayant tendance à se pérenniser (inflammation chronique). Les antalgiques périphériques anti-inflammatoires agissent dans ce type de douleur en bloquant la libération des prostaglandines.

• Les « douleurs neuropathiques » ou neurologiques, consécutives à des lésions du système nerveux périphérique (nerf, racine) ou central (moelle, tronc cérébral, encéphale). Ces douleurs ont des caractéristiques cliniques très évocatrices, et siègent en particulier dans des territoires cutanés où la sensibilité est supprimée (anesthésie douloureuse) ou réduite (hypoesthésie douloureuse). Le mécanisme physiopathologique de ces douleurs serait représenté par un déséquilibre entre les influences des fibres afférentes inhibitrices et excitatrices au profit de ces dernières. En pratique, il est très important de savoir reconnaître ce type de douleurs car elles ne sont pas calmées par les antalgiques habituels

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ou la morphine mais par des médicaments tels que les anti-dépresseurs tricycliques ou certains anti-épileptiques.

• Les douleurs psychogènes (« douleurs sine materia ») : elles constituent la plupart du temps une sommation entre une épine irritative périphérique et des phénomènes psychologiques d’amplification de la douleur. Cette origine est évoquée lorsque la sémiologie douloureuse est atypique, l’examen clinique du patient normal, les explorations complémentaires négatives et confirmée par un bilan psychopathologique significatif. Le traitement n’a rien de spécifique, et repose sur la prescription d’antidépresseurs, anxiolytiques et l’utilisation de techniques psychologiques (relaxation, hypnothérapie, psychothérapie…).

Tous ces mécanismes peuvent co-exister chez un même malade simultanément, ou le plus souvent survenir à différentes étapes de sa maladie douloureuse.

Type de douleur Excès de nociception Neurogène Mécanisme lésionnel Irritation périphérique des

récepteurs (nocicepteurs) Lésion nerveuse plus ou moins complète (nerf, plexus, racine, moelle…)

Caractéristiques sémiologiques

Hyperalgésie locale douleur pulsatile

Douleur continue à type de brûlure avec composante intermittente à type de décharge électrique paroxystique

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CHAPITRE 3

SEMIOLOGIE DE LA DOULEUR EVALUATION ET SUIVI D’UNE DOULEUR CHRONIQUE

Yves Lazorthes Jean-christophe sol et Laurent Schmitt

Plan du Chapitre pages 1. Notion de seuil de perception et de seuil de tolérance à la douleur 43 2. Définition de la douleur 44

La nociception 2.1. La douleur 45 2.2. La souffrance

3. Notion de douleur aiguë et de douleur chronique 46 3.1. La douleur aiguë ou « douleur-symptôme » 3.2. La douleur chronique ou « douleur maladie » 47

4. Conduite de l’évaluation clinique d’une douleur chronique 48 4.1. L’interrogatoire du patient douloureux 4.2. L’examen clinique 55 4.3. L’évaluation psychologique – Psychisme et douleur 56 4.4. Les explorations complémentaires 59

5. Classification des mécanismes physiopathologiques des douleurs chroniques

5.1. Les douleurs par excès de stimulations nociceptives 5.2. Les douleurs d’origine neuropathique 60 5.3. Les douleurs d’origine idiopathique 62 5.4. Les douleurs d’origine psychogène

Conclusions

INTRODUCTION L’évaluation approfondie d’une douleur chronique rebelle est l’étape préalable indispensable à sa prise en charge. Elle est basée sur une écoute attentive du patient, guidée par un interrogatoire rigoureux pouvant s’appuyer sur des grilles d’entretien. L’interrogatoire minutieux est complété par un examen clinique pluridisciplinaire (neurologique, rhumatologique, psychiatrique, …) visant à préciser la gravité et le mécanisme physiopathologique responsable de la douleur, de manière à définir une stratégie thérapeutique appropriée. La sémiologie de la douleur est spécifique et, généralement, cette étape clinique est suffisante pour établir l’évaluation. Le recours à des explorations complémentaires (neurophysiologiques, neuroradiologiques, neuro-psychologiques, …) est cependant parfois justifié dans des situations complexes, et lorsqu’un doute existe avec la persistance d’une douleur symptomatique témoin d’une lésion évolutive et curable.

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L’absence de corrélation anatomo-clinique stricte entre l’importance de la lésion anatomique et son retentissement douloureux rend l’évaluation d’autant plus difficile : « Il existe des blessures sans douleur et des douleurs sans blessure » (R. Melzach et P. Wall, Le Défi de la Douleur, 1982). I - NOTION DE SEUIL DE PERCEPTION ET DE SEUIL DE TOLERANCE A LA DOULEUR Sur le plan physiologique, le seuil d’apparition de la sensation de douleur est parfaitement stable et remarquablement reproductible. Par définition, le seuil de sensation de la douleur est le niveau pour lequel une sensation douloureuse fait place à une sensation tactile lorsque l’intensité d’un stimuli (mécanique, thermique ou électrique, ...) s’accroît progressivement. Ce seuil de perception nociceptive est identique chez tous les individus dans la mesure où ils ne présentent pas de lésion du système nerveux périphérique ou central. Il s’agit d’un paramètre physiologique objectif qui peut même être évalué, par exemple par stimulation électrique d’un nerf sensitif (technique d’algométrie).

C’est ainsi que, si l’on stimule le nerf tibial postérieur au niveau de la cheville, le sujet ressentira tout d’abord une sensation tactile à type de paresthésies quand l’intensité de la stimulation atteindra 4 mAmp. Cette sensation tactile sera remplacée par une sensation douloureuse (dysesthésie) lorsque l’intensité de la stimulation sera montée jusqu’à 10 mAmp. De même, une stimulation thermique de 3 secondes à 45°C entraîne une douleur à type de brûlure alors que des températures inférieures donneront progressivement des sensations de chaud puis de froid. Ce seuil physiologique de perception de la douleur peut être augmenté dans des conditions pathologiques, c’est-à-dire quand il existe des lésions du système nerveux à l’origine d’hypoesthésie voire d’anesthésie régionale à tous les modes (tact, température, douleur, ...). Au maximum, l’on peut rencontrer des patients insensibles congénitalement à la douleur. En fait, ce qui varie, c’est le seuil de tolérance à la douleur. Ce seuil est subjectif, il peut être très différent d’un sujet à l’autre, mais aussi il peut changer chez un même individu en fonction de différents paramètres et notamment des circonstances de sa vie. Les variations individuelles sont considérables. C’est ainsi que :

• Des facteurs physiques (âge extrême de la vie, maladie associée, ...) mais surtout

des facteurs psychologiques (dépression nerveuse, conflit, difficulté socio-professionnelle, ...) peuvent diminuer le seuil de tolérance à la douleur.

• A l’opposé, la tolérance à la douleur peut augmenter dans des conditions

extrêmes telles que des traumatismes sportifs, des blessures de guerre, ou toute autre situation modifiant le comportement de l’individu telle que des facteurs d’ordre culturel, religieux ou rituel.

A certains moments de l’histoire d’un pays, les limites de l’endurance semblent avoir été reculées, aux limites du supportable. Les exemples sont multiples : les processions de flagellants du Moyen-Age, les soldats de Napoléon pendant la campagne de Russie, les convulsionnaires de la Saint-Médard qui au XVIIIe siècle s’infligeaient des tourments (braises ardentes, fers chauffés à blanc, coups, meurtrissures, ...), les récits de la vie des mystiques, ...

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Il s’agit d’autant d’exemples et de témoignages propres à notre civilisation occidentale qui montrent bien que les rapports de l’homme avec la douleur peuvent être extrêmement modifiés par des comportements liés à des croyances ou à des situations extrêmes voulues (exploits sportifs) ou subies (guerres, tortures, ...).

Enfin, chez un même patient, le seuil de tolérance à la douleur peut varier avec la chronicité. C’est ainsi que, lorsqu’une douleur est répétitive, durable, persistante, elle devient dégradante, et alors non seulement l’individu ne s’y habitue pas mais sa sensibilité s’émousse et cette douleur lui apparaît de plus en plus intolérable. II - DEFINITION DE LA DOULEUR : Notions de nociception, douleur et souffrance. La douleur est une expérience subjective complexe, reposant sur des bases neuro-physiologiques et neuropsychologiques. C’est ainsi que l’on distingue :

2.1. La nociception Elle correspond à une fonction biologique qui est un mécanisme d’alarme dont le rôle est de détecter des stimulations internes (d’origine viscérale) ou externes (cutanées) dont l’intensité menace l’intégrité physique de l’individu. Ce système neurophysiologique de protection est utile à l’organisme, car il informe immédiatement et avec précision le patient d’un dysfonctionnement, il déclenche des réponses réflexes de défense et il aide le médecin à faire le diagnostic. 2.2. La douleur Elle se définit comme le vécu d’une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable. Ce phénomène neuropsychologique associe deux composantes, intriquées à des degrés variables ; il s’agit de :

• La composante sensorielle (ou somatique), correspondant aux processus neuro-

physiologiques de détection, de définition qualitative, de localisation topographique et de quantification de l’intensité du signal « douleur ».

• La composante psychologique (ou émotionnelle), qui désigne la tonalité affective,

désagréable et parfois insupportable, qui accompagne la douleur. Cette dimension du vécu douloureux est d’autant plus sévère et responsable de réactions secondaires anxio-dépressives que la douleur est durable ou récidivante et rebelle. Elle doit toujours être évaluée et prise en compte dans la démarche thérapeutique.

Ce processus d’interaction entre les deux composantes a, comme conséquence lorsque

la douleur est chronique, de créer un cercle vicieux d’auto-aggravation que la prise en charge thérapeutique s’attachera à interrompre.

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Figure 1 : Schématisation du mécanisme d’auto-aggravation d’une douleur chronique rebelle

En fait, les notions de nociception et de douleur ne sont pas superposables du fait de

l’absence de corrélation anatomo-clinique stricte entre la gravité de la lésion physique tissulaire et l’intensité perçue de la douleur.

En pratique, cette notion est fondamentale car les douleurs qui sont étiquetées

« fonctionnelles » du fait que la lésion physique n’a pu être mise en évidence cliniquement ne doivent pas être pour autant diagnostiquées comme des douleurs imaginaires voire simulées. C’est une des grandes difficultés de l’évaluation qui doit toujours être complétée dans une démarche pluridisciplinaire par une évaluation psychiatrique. Face à cette complexité, l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (IASP) a proposé la définition suivante : “La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle, désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite dans des termes impliquant une telle lésion”. Ainsi, même si généralement la lésion est secondaire à une cause physique évidente, cette définition évite de lier trop étroitement la douleur à son seul stimulus nociceptif causal ; en revanche, elle en fait toujours un état psychologique soulignant ainsi l’intrication étroite existant entre l’organicité d’une douleur et ses conséquences émotionnelles et affectives sur les réactions individuelles de chaque patient. 2.3. La souffrance Il s’agit d’un concept beaucoup plus large que la douleur. Il implique une dimension et une menace de l’intégrité de la personne non seulement sur le plan physique mais aussi psychique et social.

Retentissement . sensoriel . cognitif . émotionnel

Retentissement comportemental

Douleur persistante

Lésion organique causale

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Dans le cadre des soins palliatifs et de l’accompagnement d’un patient en fin de vie, on utilise souvent la notion de « douleur totale » qui englobe toute la détresse psychologique induite par une variété de facteurs physiques, psychologiques, existentiels, spirituels et sociaux liés à la phase avancée de la maladie. III - NOTION DE DOULEUR AIGUE ET DE DOULEUR CHRONIQUE La douleur relève-t-elle du normal ou du pathologique ? Selon quels critères peut-on décider qu’il y a une saine douleur, telle une sentinelle vigilante, et une autre néfaste qui nous mine et nous dégrade ? Jusqu’au début de ce siècle, on assimilait la douleur à un symptôme de blessure ou de maladie et son expression n’était considérée que comme le signe d’appel d’une pathologie. Cette conception restrictive se traduisait d’ailleurs jusqu’à nos jours par le fait que, seule la douleur aiguë, symptôme révélateur de nombreuses pathologies, n’était abordée pendant les années de formation initiale d’un étudiant en médecine. C’est à René Leriche, Professeur au Collège de France, que l’on reconnaît le mérite d’avoir isolé dès 1936 la notion de douleur chronique, sévère et durable, comme une entité médicale propre, véritable “douleur-maladie”, souvent plus insupportable et plus dégradante que la maladie qui lui a donné naissance : “C’est de cette douleur-maladie et non symptôme que j’entends vous parler. Souvent elle n’a pas de support anatomique connu. Fréquemment, aucune lésion d’organe ne la véhicule. La maladie et son expression se consomme dans le système nerveux. Localisée en apparence, elle atteint pratiquement tout l’individu”. Depuis l’expression de ce concept, on distingue deux types de douleurs qui s’opposent point par point : il s’agit de la douleur aiguë et de la douleur chronique. 3.1. La douleur aiguë ou “douleur-symptôme”

C’est une douleur d’installation récente (< 3 mois), le terme « aiguë » caractérisant la durée et non pas l’intensité de la douleur.

Il s’agit d’une sensation douloureuse soit transitoire, comme celle qui fait suite à un

traumatisme modéré, soit plus durable, comme celle qui révèle une maladie ; dans ce cas, elle est réversible lorsque la lésion causale est traitée. De très nombreuses maladies débutent par une douleur aiguë symptomatique. Cela tient au fait anatomique que la plupart de nos viscères sont entourés d’une tunique très richement innervée : la dure-mère pour le cerveau, le péricarde pour le cœur, la plèvre pour le poumon, le péritoine pour les viscères abdominaux, ... Il en est de même pour notre appareil musculo-squelettique car toutes les articulations et tous les ligaments qui les composent sont extrêmement sensibles. C’est ainsi qu’une céphalée peut être le premier symptôme d’une méningite, une douleur thoracique celui d’une crise d’angine de poitrine, une douleur latéro-thoracique celui d’une pleurésie, une douleur de la fosse iliaque celui d’une appendicite, ... Il faut savoir que ces douleurs d’appel d’origine viscérale n’ont pas une valeur topographique précise et peuvent même induire des erreurs si l’on méconnaît certains pièges diagnostiques. C’est ce qu’on appelle les douleurs dites “rapportées” telles que la classique irradiation douloureuse dans le membre supérieur gauche d’une affection cardiaque ou la douleur dorso-lombaire d’un ulcère duodéno-gastrique perforé.

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Toutes ces douleurs aiguës d’origine viscérale sont considérées comme “utiles” car elles avertissent l’individu du développement d’une lésion interne. Une fois passée la phase aiguë lorsque la douleur persiste, alors que la lésion génératrice traumatique ou pathologique est résolue ou traitée, elle est dite chronique. 3.2. La douleur chronique ou “douleur-maladie” Il s’agit maintenant d’un syndrome clinique, véritable maladie à part entière, distincte de la douleur aiguë. Elle se caractérise notamment par la longueur de sa durée d’évolution (conventionnellement supérieure à 3 mois), mais surtout par l’ensemble des répercussions psychologiques plus ou moins sévères qu’elle entraîne, sur l’humeur et les activités (physiques, professionnelles, sociales et familiales) et sur le comportement du patient et sa qualité de vie. Toute douleur persistante est en fait la conséquence d’un double échec : impossibilité à supprimer sa cause initiale et échec du traitement symptomatique de la douleur. Faire la différence entre une douleur “symptomatique” et une douleur “maladie” est essentiel (cf. tableau 1). Dans les douleurs chroniques d’étiologies multiples non homogènes, il faut distinguer :

• Les douleurs liées à une pathologie évolutive d’origine maligne (cancer, SIDA, …)

mais aussi bénigne (certaines pathologies rhumatismales). Leur mécanisme générateur est générateur un excès de nociception.

• Les douleurs liées à une pathologie séquellaire non ou peu évolutive, d’origine

bénigne, telle qu’une lésion nerveuse périphérique et/ou centrale. Leur mécanisme est généralement neuropathique.

CARACTERISTIQUES

DOULEUR AIGUË « SYMPTOME »

DOULEUR CHRONIQUE « MALADIE »

Finalités biologiques

Utile – Protectrice Signal d’alarme

Inutile – Destructrice Maladie à part entière

Durée

Transitoire (< 3 mois) Réversible si lésion

traitée

Répétitive ou durable (> 3 mois)

Persistante : lésion séquellaire ou évolutive

Mécanisme générateur

Essentiellement

Nociceptif

Nociceptif, Neuropathique

Ou Psychogène

Composante affective

Anxiété Dépression

Auto-aggravation spontanée

Attitude thérapeutique

Curative Répond à un

traitement médical classique

Réadaptative Approche plurimodale

Tableau 1 : Comparaison entre « Douleur Aiguë » et « Douleur Chronique » ATTENTION : Ne pas vérifier et confirmer ce diagnostic différentiel entre douleur aiguë

symptomatique et douleur chronique serait une erreur lourde de conséquences tant sur le plan

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médical que socio-économique, car le meilleur moyen de traiter une douleur est d’en supprimer la cause. Dans le cas d’une véritable douleur chronique, cela n’est plus possible car il s’agit d’une séquelle ou d’une maladie incurable. La durée d’évolution est un critère nécessaire mais insuffisant pour faire cette distinction. Toute douleur chronique, lorsqu’elle est sévère, va provoquer à plus ou moins long terme une modification du comportement du patient. Dans ce syndrome multifactoriel, les composantes sensorielles ou somatiques et les composantes psychologiques et sociales sont donc habituellement associées à des degrés divers. La dichotomie douleur somatique – douleur psychologique n’existe pas. L’évaluation clinique préalable à tout traitement d’une douleur chronique et multidisciplinaire ; elle devra s’attacher à déterminer la part respective de ces différentes composantes ainsi que les mécanismes physiopathologiques qui en sont à l’origine, de manière à définir pour chaque malade une démarche thérapeutique et une prise en charge individuelle adaptée et généralement multimodale (cf. Chapitre 12). IV - CONDUITE DE L’EVALUATION CLINIQUE D’UNE DOULEUR CHRONIQUE L’évaluation clinique d’un patient présentant une douleur persistante doit répondre aux objectifs suivants :

1. Etablir une relation de confiance avec le patient douloureux. 2. Différencier une douleur aiguë symptomatique d’une douleur chronique. 3. Préciser ses caractéristiques cliniques et son retentissement notamment

psychologique. 4. Définir son mécanisme physiopathologique générateur.

Elle repose pour cela sur un interrogatoire systématisé rigoureux, orientant vers un examen clinique global à la fois somatique et psychologique.

4.1. L’interrogatoire du patient douloureux Etape essentielle, elle a pour objet de rassembler toutes les informations pertinentes concernant l’historique et le vécu de la douleur. La valeur des informations recueillies dépend en grande partie de la qualité de la relation qui s’installe entre le médecin et le patient douloureux : elle est basée sur la disponibilité, la mise en confiance et l’écoute non seulement du malade mais aussi de son entourage. Quel que soit le type de douleur concernée, l’interrogatoire doit systématiquement faire préciser les caractéristiques cliniques suivantes, toutes essentielles pour le diagnostic :

4.1.1. Historique et profil évolutif de la douleur

• L’ancienneté de la douleur (mois, années, …) en précisant la date du premier accès s’il s’agit d’une douleur paroxystique récurrente (céphalées, lombalgies, …).

• Mode de début et les circonstances d’apparition :

o Spontanée o Ou secondaire à un traumatisme, une maladie, une affection ou une lésion

iatrogène o La notion d’intervalle libre entre la cause identifiée (par exemple :

amputation de membre, paraplégie post-traumatique …) et la survenue de la douleur.

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o La notion d’accident de travail, de responsabilité en jeu, d’expertise en cours …

• Le mode évolutif

o S’agit-il d’une douleur chronique continue stable ou présente-t-elle des

renforcements dans des conditions bien particulières à définir (activité, repos …)

o S’agit-il d’une douleur paroxystique avec des périodes d’accalmie plus ou moins longues, à préciser. Dans le cas de douleur intermittente, existe-t-il un horaire et un rythme particulier, plus ou moins prévisible ?

4.1.2. La topographie de la douleur et sa systématisation

Il faut faire préciser avec le doigt le point de départ, le trajet, les irradiations et son siège maximal. Il est souvent utile de la faire dessiner par le patient sur un schéma anatomique, que l’on pourra garder dans le dossier à titre comparatif dans le suivi. Il faut distinguer les douleurs localisées, multifocales ou diffuses, les douleurs superficielles ou profondes, les douleurs dont le territoire varie dans le temps seulement ou en fonction des traitements. Au terme de cette étape, on devra être en mesure de dire si la douleur a une topographie neurologique précise ou systématisée (radiculaire, tronculaire ou centrale – unilatérale) ou si, au contraire, son trajet ne correspond à aucune systématisation neurologique. Un piège diagnostique : les douleurs projetées à distance peuvent être à l’origine d’une erreur d’interprétation.

Les douleurs projetées Mécanismes : La convergence viscéro-somatique (cf. Chapitre 2, fig 6) : les afférences sensitives provenant des tissus cutanés, mais aussi viscéraux, articulaires d’un même métamère, convergent sur un même niveau médullaire au niveau des neurones nociceptifs non spécifiques des branches postérieures Exemples de douleurs projetées : - douleur irradiant dans le membre supérieur gauche d’origine cardiaque - douleur de l’épaule droite d’origine hépatique ou diaphragmatique - douleur dorso-lombaire d’origine duodénale, cœliaque, pancréatique - douleur abdominale haute d’origine thoracique - douleur testiculaire dans une colique néphrétique - douleur du genou lors d’une pathologie de la hanche

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4.1.3. Le type de la douleur

Cette analyse a pour but de faire préciser les caractéristiques qualitatives de la douleur à l’aide d’objectifs qui ont une valeur d’orientation diagnostique. Quand la description spontanée du patient est insuffisamment précise, on lui propose des listes de qualificatifs classiques d’une pathologie donnée et on lui demande d’en graduer la présence et l’intensité, comme avec le « Questionnaire Douleur de Saint-Antoine » (QSDA) dont une forme abrégée est illustrée dans le tableau 2.

0 absent

non

1 faible

un peu

2 modéré

modérément

3 fort

beaucoup

4 extrêmement fort

extrêmement Elancements Pénétrante Coups de poignards En étau Tiraillement Brûlure Fourmillements Lourdeur Epuisante Angoissante Obsédante Insupportable Enervante Exaspérante Déprimante

Tableau 2 : Questionnaire abrégé de la Douleur Saint-Antoine (QSDA)

Le choix du vocabulaire est déjà aussi une première indication de la douleur ressentie.

4.1.4. L’intensité de la douleur

Rappelons qu’il n’y a pas de corrélation stricte entre l’intensité de la douleur et la gravité des lésions physiques. Evaluer l’intensité d’une douleur permet d’identifier les patients qui nécessitent un traitement antalgique et de suivre l’évolution spontanée et l’efficacité du traitement prescrit. On utilise pour cela des échelles d’autoévaluation donnant une estimation globale de l’intensité de la douleur basée sur une description verbale. Ces « outils » sont certes rudimentaires et critiquables sur le plan scientifique ; ils ont par contre l’immense intérêt d’être simples, facilement renouvelables par les soignants. Les informations sont comparables pour un patient donné. Ces échelles d’autoévaluation globale ont permis de standardiser la façon d’évaluer l’intensité de la douleur. Il existe 3 échelles de mesure :

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1. L’Echelle Numérique (EN) est très utilisée. Elle permet au patient de coter sa douleur de 0 à 10 (ou de 0 à 100), la note « 0 » correspondant à l’absence de douleur et la note « maximale » à la douleur maximale imaginable. On peut aussi, à l’inverse, apprécier le soulagement en pourcentage par rapport à l’état initial de référence. Par ailleurs, à l’interrogatoire, l’EN permet de préciser l’intensité de la douleur dans diverses activités (marche, activité professionnelle, repos, position allongée, …). Cette échelle simple a aussi l’avantage de ne pas nécessiter de support (papier, …). Il s’agit d’un bon instrument en routine clinique.

2. L’échelle Verbale Simple (EVS) consiste à scorer de 0 à 4 une ou plusieurs

catégories ordonnées d’adjectifs descripteurs (tableau 2 – QSDA). C’est une échelle peu sensible, difficile à comprendre et à comparer. Elle est parfois difficile à utiliser chez des patients ayant des difficultés de communication.

3. L’échelle Visuelle Analogique (EVA) se présente sous la forme d’une ligne

horizontale ou verticale graduée ou non. Elle peut être matérialisée par un schéma graphique (tableau 3) ou par la classique réglette. C’est le « thermomètre de la douleur » qui, côté malade, ne présente que 2 repères identifiables aux extrémités de la ligne : à l’extrême gauche « pas de douleur », à l’extrême droite « douleur maximale imaginable ». Du côté soignant, on peut avec une précision multimétrique (de 0 à 100 mm) apprécier le déplacement du curseur effectué par le patient.

20 Distance mesurée en mm 19 18 17 16 15 Tracez sur la ligne un trait correspondant au niveau actuel de votre douleur 14 13 12 B : Echelle visuelle analogique horizontale 11 définie par des qualificatifs extrêmes 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 C : Echelle visuelle analogique horizontale Avec qualificatifs « étalés »

Tableau 3 : Les échelle visuelles analogiques

x Absence

de douleur

Douleur Maximale imaginable

Absence de douleur

Douleur maximale imaginable

Modérée Moyenne Importante

A : Echelle visuelle analogique graduée

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Il est possible de faire préciser l’intensité dans trois situations d’évaluation différentes : douleur au moment présent, douleur habituelle dans les 8 derniers jours, douleur la plus intense dans les 8 derniers jours. L’EVA est la méthode d’évaluation recommandée. Cependant, quel que soit l’outil choisi, il faut toujours utiliser le même avec un patient donné et respecter les recommandations de l’ANAES.

Note sur l’utilisation des échelles mesurant l’intensité de la douleur (d’après l’ANAES)

Mode de passation : Le patient doit utiliser une seule des trois échelles en fonction de sa bonne compréhension. Il est souhaitable d’utiliser de préférence l’EVA. Elle doit être bien expliquée au patient et il faut s’assurer de sa bonne compréhension avant de lui demander de l’utiliser. L’EN peut être utilisée s’il ne comprend pas l’EVA. L’EVS peut être utilisée s’il ne comprend pas l’EN. Cotation : EVA : l’intensité de la douleur est mesurée en millimètres par la distance entre la position de la croix et l’extrémité « pas de douleur ». Le chiffre est arrondi au millimètre le plus proche. EN et EVS : l’intensité correspond au score indiqué. Intérêts : Les scores ont une valeur descriptive pour un individu donné et permettent un suivi. Les scores ne permettent pas de faire des comparaisons interindividuelles. Pour la pratique, on retiendra : - Elles ne donnent pas d’information sur la nature de la plainte douloureuse. - Elles ne peuvent pas servir à comparer 2 patients. - Les valeurs obtenues permettent des comparaisons intra-individuelles uniquement. - Elles aident à identifier le malade nécessitant un traitement de la douleur. - Elles ont une implication limitée pour la décision thérapeutique. - Elles facilitent le suivi du patient.

4.1.5. Les facteurs de soulagement et d’aggravation de la douleur

Il est souvent nécessaire de les suggérer au patient. Toutes les circonstances modifient l’intensité ou déclenchent une crise douloureuse, qu’il s’agisse d’une activité physique, d’un facteur alimentaire, hormonal, climatique ou psychologique. L’interrogatoire devra en particulier s’attacher à établir une enquête thérapeutique et à déterminer comment le palier a réagi aux traitements antérieurs.

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4.1.6. Les signes d’accompagnement Les manifestations associées à la douleur sont en relation directe avec la pathologie concernée. Il faut savoir les rechercher. C’est ainsi que l’on retrouve :

• Pour une algie vasculaire de la face : un larmoiement, une rougeur oculaire, une rhinorrhée ;

• Pour une lombalgie : une attitude antalgique, une limitation de la mobilité rachidienne …

4.1.7. Les conséquences sur la qualité de vie

L’impact d’une douleur et de sa persistance sur le comportement d’un patient représente un indicateur fiable permettant d’apprécier la gravité d’une douleur. Des symptômes tels que l’insomnie, la fatigue, des modifications de l’humeur, du moral, de l’appétit, des facteurs physiques et professionnels peuvent être notés dans l’interrogatoire. Il existe, pour préciser ces conséquences, de nombreuses échelles de qualité de vie dont nous donnons un exemple (tableau 3).

Echelle du retentissement de la douleur sur le comportement quotidien

Entourez le chiffre qui décrit le mieux comment, la semaine dernière, la douleur a gêné votre : Humeur

Ne gêne pas 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Gêne complètement

Capacité à marcher Ne gêne pas 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Gêne complètement

Travail habituel (y compris à l’extérieur de la maison et les travaux domestiques)

Ne gêne pas 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Gêne complètement Relation avec les autres

Ne gêne pas 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Gêne complètement Sommeil

Ne gêne pas 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Gêne complètement Goût de vivre

Ne gêne pas 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Gêne complètement

Tableau 4 : Echelle d’évaluation de la qualité de vie chez un patient douloureux

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En synthèse, aucune étape de ce long et primordial interrogatoire ne doit être sans réponse. Il est souhaitable pour cela que l’entretien soit conduit à l’aide d’une grille semi-structurée telle que celle publiée en 1999 par l’ANAES.

Ancienneté de la douleur Mode de début

• circonstances exactes (maladie, traumatisme, accident de travail, … • description de la douleur initiale • modalités de prise en charge immédiate • évènements de vie concomitants • diagnostic initial, explications données • retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités fonctionnelle

et professionnelle, …) Profil évolutif du syndrome douloureux

• comment s’est installé l’état douloureux persistant à partir de la douleur initiale • profil évolutif (douleur permanente, récurrente, intermittente, …) • degré du retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités

fonctionnelle et professionnelle, …) Traitements effectués et actuels

• traitements médicamenteux et non médicamenteux antérieurs, actuels • modes d’administration des médicaments, doses, durées • effets bénéfiques partiels, effets indésirables, raisons d’abandon • attitudes vis-à-vis des traitements

Antécédents et pathologies associées • familiaux • personnels (médicaux, obstétricaux, chirurgicaux et psychiatriques) et leur

évolutivité • expériences douloureuses antérieures

Description de la douleur actuelle • topographie • type de sensation (brûlure, décharge électrique, …) • intensité • retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités fonctionnelle

et professionnelle, …) • facteurs d’aggravation et de soulagement de la douleur

Contextes familial, psychosocial, médico-légal et incidences • situation familiale • situation sociale • statut professionnel et satisfaction au travail • indemnisations perçues, attendues ; implications financières • procédures

Facteurs cognitifs • représentation de la maladie • interprétation des avis médicaux

Facteurs comportementaux • attitude vis-à-vis de la maladie • modalités de prise des médicaments • observance des prescriptions

Analyse de la demande • attentes du patient (faisabilité, reformulation) • objectifs partagés entre le patient et le médecin

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Tableau 5 : Grille d’entretien semi-structuré avec le patient douloureux chronique (ANAES)

4.2. L’examen clinique Orienté par l’interrogatoire et les antécédents du patient, l’examen clinique minutieux est essentiellement musculo-squelettique et neurologique. L’objectif n’est pas de détailler cet examen qui fait partie des enseignements du DCEM1 (sémiologie neurologique) et d’autres modules du DCEM (module 13 « Appareil locomoteur » et module 15 « Tête et cou – Système nerveux »). Rappelons que le patient doit être examiné dans différentes attitudes renforçant et/ou diminuant sa douleur (allongé, debout, à la marche, après une épreuve d’effort, …). L’examen de la sensibilité est l’étape essentielle. Il permettra de préciser le mécanisme de douleur neuropathique en mettant en évidence un déficit sensitif dans le territoire douloureux par comparaison symétrique controlatérale. On doit évaluer la sensibilité à tous les modes et notamment la sensibilité superficielle cutanée au tact, au chaud et au froid, et en réponse à un stimuli douloureux. C’est ainsi que :

• La sensibilité tactile sera explorée soit au doigt, soit avec un coton • La sensibilité thermique à l’aide de tubes d’eau chaude (40-45°C) ou froide (5-

10°C) • et la sensibilité à la douleur par la perception de la piqûre d’une aiguille.

Il existe des appareillages qui permettent une évaluation précise et comparative. Ils sont

utilisés dans des laboratoires de recherche (sensibilité tactile, thermique, mécanique à la pression, vibratoire, réponse à un stimuli électrique, …).

Au terme de l’examen minutieux de la sensibilité, l’on distinguera :

• soit une sensibilité normale, à tous les modes, dans le territoire où le patient ressent sa douleur ;

• soit une diminution de la sensibilité : hypoesthésie douloureuse ; • soit une anesthésie : anesthésie douloureuse dont l’exemple est le paraplégique,

et au maximum la douleur ressentie dans une partie absente du corps (ex. membre fantôme douloureux ou algohallucinose).

Par ailleurs, un stimuli donné peut entraîner une réponse anormale ou exagérée ; c’est le

cas de : • L’allodynie : douleur causée par un stimulus qui, normalement, ne produit pas de

douleur mais une simple sensation de contact. • L’hyperalgésie : réponse exagérée à une stimulation qui est normalement

douloureuse. • L’hyperpathie : syndrome douloureux caractérisé par une réponse exagérée à un

stimulus, qui est répétitif, et dont le seuil est augmenté. L’examen clinique ne se limitera pas, bien entendu, au seul examen de la sensibilité ; il

recherchera l’existence : • d’un déficit moteur ou sensoriel ; • d’une asymétrie des réflexes ostéo-tendineux ou cutanés ; • d’une amyotrophie, de troubles vasomoteurs.

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Il sera attentif à déceler une attitude antalgique ou des mouvements précautionneux

signalant une douleur. Il est parfois nécessaire de compléter cet examen clinique par une évaluation psychologique, voire des explorations complémentaires. 4.3. L’évaluation psychologique – Psychisme et Douleur L’évaluation psychique du patient douloureux, surtout lorsqu’il s’agit de douleurs chroniques rebelles, s’avère indispensable même si elle est souvent rejetée par les patients. L’objet de ce rejet provient de la crainte de voir méconnaître la sévérité de leur douleur, ses origines organiques, et de ne pas être pris au sérieux. Cependant, toutes douleurs chroniques altèrent le bien-être psychologique, physique et social. Cette dimension a été prise en compte puisque le retentissement psychique intervient dans la définition de la douleur chronique. L’articulation forte entre d’une part les étiologiques organiques et physiques de la douleur et, d’autre part, les processus psychiques mérite une évaluation précise. En effet, dans certains cas, la douleur chronique peut aussi être un moyen d’expression non conscient face à une revendication ou un conflit envers un proche ou un tiers dans des situations tendues ou complexes.

4.3.1. L’évaluation psychique : pourquoi et comment l’instaurer ?

1) Plusieurs facteurs orientent vers la nécessité d’une évaluation psychique du patient douloureux. Les caractères de la plainte douloureuse dans sa topographie, la mobilité des douleurs, les termes utilisés pour leur description, les émotions liées au récit représentent des facteurs d’orientation en faveur d’une douleur d’origine psychogène. Les douleurs ubiquitaires, ne respectant aucune systématisation anatomique, isolées de toutes maladies inflammatoires ou de système, orienteront vers une dimension psychique. La trajectoire des soins doit être relevée avec attention ; lorsque de multiples médecins ont été consultés, lorsque la chronicité de la douleur est décrite sans aucune phase d’amélioration, quand plusieurs consultations ont eu lieu dans différents Centres d’Evaluation et de Traitement de la Douleur, ce contexte de résistance invincible, malgré des avis pris auprès de professionnels compétents, doit être pris en compte. De façon analogue, le contexte familial sous la forme de rupture, de séparation ou de deuil, et le contexte médico-légal notamment dans le cadre d’accident de travail ou de conflit avec la sécurité sociale, feront l’objet d’investigations. Il n’est pas rare de rencontrer des patients dont la description des symptômes témoigne de connaissances médicales très poussées, dont les représentations et l’interprétation de leur maladie s’illustrent de termes médicaux ou de diagnostics très spécialisés, faisant évoquer un état anxieux ou hypocondriaque sous-jacent. Il apparaît évident d’effectuer une recherche d’antécédents de dépression, de troubles anxieux, de traumatismes psychiques, de conduite de dépendance à l’alcool ou aux toxiques.

2) L’évaluation psychique s’avère d’autant plus indispensable que le patient

paraît s’y opposer de manière catégorique et rigide. Dans ce contexte, des dépressions masquées, une pathologie hypocondriaque, un trouble du caractère voire une personnalité paranoïaques devront être éliminés. Dans la quête incessante d’examen et l’attention soutenue que certains hypocondriaques

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portent à leur perception corporelle, il n’est pas rare de retrouver des éléments de personnalité paranoïaque.

4.3.2. L’évaluation psychique Le premier temps de cette évaluation psychique concerne le retentissement de

la douleur. On évaluera les troubles du sommeil liés à des douleurs nocturnes, la baisse de l’activité, la tristesse, l’existence d’idées suicidaires, la gêne professionnelle, sociale et familiale. Il s’agit d’une évaluation sémiologique, à la recherche des principaux symptômes de l’anxiété ou de la dépression pathologique fréquemment associés.

Une seconde étape consiste à rechercher des évènements de vie ou des

situations douloureuses antérieures. On considère qu’il existe une mémoire de la douleur. Cette mémoire peut reposer sur des douleurs antérieures à la suite d’accidents de la circulation, de traumatismes sportifs, d’accident du travail. Cette mémoire de la douleur peut également porter sur une intrication avec des éléments affectifs infantiles notamment lorsque des sévices physiques ont eu lieu dans l’enfance. Parmi les évènements de vie recherchés, certains deuils ou séparations peuvent expliquer des majorations circonstancielles de douleur.

L’existence d’évènements traumatiques ou conflictuels doit systématiquement faire l’objet de questions. Les réponses sont soit instantanées soit expriment un certain nombre de résistances. Ces résistances apparaissent dans une certaine réserve ou une réticence à exprimer ce type d’antécédents. Les patients le banalisent en disant « j’ai eu des difficultés ou des traumatismes comme tout le monde ». Cependant, cette assimilation, au plus grand nombre, et cette banalisation n’existent pas dans le psychismes les consultants ont souvent un vécu de préjudice, d’exception, de victime, qu’il convient d’approcher.

Les troubles de la personnalité sont multiples. Le plus fréquent est représenté par des personnalités hypocondriaques. Il s’agit de sujets présentant des préoccupations somatiques excessives, résumées par la crainte ou la conviction d’être atteint d’une maladie grave. La douleur est alors associée à des plaintes physiques variées. Elles motivent de nombreuses consultations avec une quête d’examens complémentaires et d’investigations. Le nomadisme médical est alors fréquent. L’hypocondrie peut accompagner une symptomatologie dépressive chez le jeune. Elle est souvent liée à des traits de personnalité paranoïaque. On doit toujours rechercher les représentations de la maladie, c’est-à-dire comment le sujet comprend l’origine de ses symptômes et à quoi il les attribue. Dans cette recherche de représentations, des idées aux frontières de la réalité voire franchement délirantes sont susceptibles d’apparaître.

Les personnalités conversives représentent les formes cliniques de l’hystérie. La conversion se définit comme l’atteinte non organique d’une fonction de la vie de relation d’un individu. Il s’agit d’une atteinte du corps imaginaire : les douleurs, les anesthésies, les paralysies n’atteignent pas le corps anatomique et sa systématisation métamérique mais bien le corps tel que l’individu se l’imagine. Ceci explique des trajets douloureux atypiques, des anesthésies insolites ou des atteintes de fonction insolites. La recherche des personnalités dépendantes doit être, elle aussi, effectuée ; ces personnalités auront, vis-à-vis des traitements notamment opiacés, des

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attitudes de surconsommation bâties sur la tolérance et l’épuisement des effets. Dans ce cadre, la recherche d’un tabagisme, d’un alcoolisme, d’une prise de toxiques ou d’addiction au sport est toujours nécessaire. Une question simple comme « estimez-vous que la douleur a pu retentir sur votre caractère ou votre personnalité » doit toujours être posée. Elle évalue d’une part les capacités d’introspection et de compréhension de soi-même du sujet mais aussi la modification de certains comportements ou styles de défense.

L’existence d’une revendication sous la forme d’un accident du travail, d’un conflit avec la sécurité sociale, d’une recherche de réparation explique des douleurs chroniques ou une majoration de ces dernières. Dans ce contexte, de façon consciente ou inconsciente, les patients cherchent à accumuler des preuves du retentissement de la douleur et de l’altération d’un certain nombre de leurs capacités.

Il n’est pas inutile de s’enquérir d’un éventuel conflit avec le monde médical dont les origines seraient un sentiment d’erreur médicale ou de diagnostic incomplet voire de contentieux avec la médecine vis-à-vis de maladies concernant les proches ou les parents considérés comme mal soignés. Dans ce contexte de contentieux avec la médecine, les patients ont parfois le sentiment de dette impayée dont ils sont victimes et qu’ils reportent dans la relation-malade.

Cette évaluation psychique repose donc essentiellement sur un entretien psychiatrique mais pourra être complétée par des questionnaires spécifiques tels que :

• Une échelle de retentissement émotionnel. • Une échelle de qualité de la vie. • Et, si nécessaire, des tests psychométriques (MMPI, …).

Les points forts : L’identification d’un trouble psychique et l’évaluation de la personnalité du sujet

douloureux font partie du bilan systématique d’une douleur chronique. Si l’on devait schématiser les 6 points indispensables dans l’entretien avec un sujet douloureux chronique, il conviendrait de pointer :

1) L’humeur afin de déterminer l’existence d’un syndrome dépressif et

parfois d’idées suicidaires. 2) L’anxiété souffre ? de somatisation et ce d’autant plus qu’il y a eu une

pathologie organique antérieure. 3) Le sommeil et la sexualité pour adapter les prises de traitement, dont les

antalgiques, et bien montrer qu’une évaluation totale de l’individu est effectuée.

4) Un trouble de la personnalité pour mieux bâtir l’alliance thérapeutique, adapter la relation médecin-malade et éventuellement faire une psychothérapie spécifique.

5) Les facteurs de dépendance sauf d’abus d’antalgiques, de benzodiazépines et d’alcool.

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6) Toutes les dimensions professionnelles amenant soit à aménager un poste de travail, des horaires, favoriser des mouvements ergonomiques, ou parfois, décider un mi-temps thérapeutique ou d’une invalidité.

4.4. Les explorations complémentaires

Elles sont habituellement inutiles pour effectuer le bilan d’une douleur chronique. Cependant, chaque fois que l’on doutera de la persistance d’une douleur aiguë symptomatique, il faudra savoir redemander une exploration spécifique, par exemple une exploration de neuro-imagerie telle qu’un scanner vertébral, ou une exploration neurophysiologique telle qu’une électromyographie. L’intérêt d’une EMG est de déterminer le caractère neurogène et la topographie radiculaire ou tronculaire d’une douleur, mais aussi de définir si cette lésion neurogène est évolutive ou non. V - CLASSIFICATION DES MECANISMES PHYSIOPATHOLOGIQUES DES DOULEURS CHRONQUES Au terme de l’interrogatoire d’un patient douloureux et de son examen clinique, il est donc possible d’affirmer le caractère chronique d’une douleur persistante mais aussi d’en préciser le mécanisme physiopathologique, ce qui induit des stratégies thérapeutiques différentes notamment sur le plan pharmacologique. C’est ainsi que l’on distingue (cf. Chapitre 2 – Tableau 3) :

• Des douleurs liées à un excès de stimulation nociceptive ; • Des douleurs d’origine neuropathique ; • Des douleurs d’origine idiopathique ou sine materia ; • Et, enfin, des douleurs d’origine psychogène.

5.1. Les douleurs par excès de stimulations nociceptives

: elles sont secondaires à une lésion tissulaire sans lésion du système nerveux. Il s’agit du mécanisme habituel des douleurs aiguës (post-traumatiques, post-opératoires, ou signe révélateur d’une pathologie, …). En ce qui concerne les douleurs chroniques, on retrouve ce mécanisme dans diverses pathologies évolutives telles que les rhumatismes chroniques et les cancers envahissants responsables d’une inflammation chronique. L’inflammation : c’est l’hyperactivation (« sensibilisation ») des nocicepteurs périphériques (cutanés, musculo-articulaires ou viscéraux) liée à la libération de multiples substances sensibilisantes « dites algogènes » (bradykinine, histamine, sérotonine, cytokines, prostaglandines, substance P, …) provoquée par la lésion tissulaire inflammatoire (cf. Chapitre 2 : fig 2 et 3). Cet excès d’information nociceptive, née au niveau des récepteurs périphériques (nocicepteurs), est transmis au cerveau par un système de conduction nerveuse normale. Cliniquement, la douleur est de type névralgique et correspond à une topographie loco-régionale peu précise, non systématisée sur le plan neurologique. Elle est souvent diffuse,

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notamment quand l’origine est viscérale, et elle peut alors s’accompagner de projections trompeuses (les « douleurs projetées »). Elle est habituellement continue avec des renforcements paroxystiques soit spontanés soit provoqués (par la mobilité, l’effort, par les soins voire le simple contact de la zone inflammatoire, …).

L’examen neurologique est normal et il n’y a en particulier aucune déficit sensitif

(hypoesthésie) dans le territoire douloureux. Ce type de douleur par excès de nociception répond habituellement bien aux antalgiques prescrits selon la règle des 3 paliers (aspirine et paracétamol – codéine – morphine et opioïdes) et suivant différents modes d’administration (cf. Chapitres 4 et 5). 5.2. Les douleurs d’origine neuropathique : elles sont secondaires à une lésions plus ou moins complète du système nerveux périphérique et/ central. Elles peuvent s’observer dans le cadre :

de douleurs aiguës symptomatiques ; c’est le cas des compressions radiculaires

(hernie discale ou conflit vasculaire pour la névralgie du trijumeau), tronculaires (syndromes canalaires) ou plexulaires (ex. tumeurs) ;

ou, le plus souvent, de douleurs chroniques traduisant une lésion nerveuse

séquellaire périphérique ou centrale (Tableau 4) et s’accompagnant d’une déafférentation sensitive plus ou moins étendue sur le plan topographique mais plus ou moins totale en ce qui concerne le déficit.

Lésions du système nerveux périphérique ♦ Les plaies ou lésions traumatiques des nerfs ♦ Les douleurs post-opératoires (thoracotomie, lombotomie, …) ♦ Les douleurs de post-amputation des membres (névrome, membre fantôme

douloureux, …) ♦ L’arrachement du plexus brachial ♦ Les lésions plexulaires post-radiques ou post-chirurgicales ♦ Les neuropathies périphériques chroniques (métaboliques, toxiques, …) ♦ Les douleurs post-zostériennes

Lésions du système nerveux central ♦ Les douleurs post-zostériennes (jonction radiculo-médullaire) ♦ Les radiculopathies chroniques des multi-opérés du rachis ♦ Les lésions médullaires post-traumatiques (paraplégie) ♦ Les lésions médullaires d’origine tumorale ♦ Syndrome thalamique

Tableau 6 : Les principales causes de douleurs neuropathiques

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Sur le plan clinique, la sémiologie des douleurs d’origine neurogène est très évocatrice (cf. Tableau 7). Elle associe des douleurs spontanées (continues et/ou paroxystiques) à des douleurs provoquées par le simple contact (allodynie) ou amplifiées par un phénomène d’hypersensibilité (hyperesthésie, hyperpathie).

Le fond douloureux continu est généralement ressenti comme une brûlure. Les

paroxysmes spontanés ou provoqués sont ressentis comme des décharges électriques fulgurantes de courte durée, mais peuvent aussi se succéder en salves, parfois d’une manière quasi continue (état de mal douloureux dans la névralgie faciale). Ce mode de manifestation clinique a fait parler « d’épilepsie douloureuse » ; par ailleurs, les anti-épileptiques se sont démontrés efficaces dans ce type de douleur, autant de données empiriques préfigurant un des mécanismes neurophysiologiques de ces douleurs récemment démontré (hyperexcitabilité spontanée des neurones médullaires nociceptifs).

DOULEURS SPONTANEES DOULEURS PROVOQUEES

Stimulation Stimulation normalement normalement non nociceptive nociceptive

CONTINUES PAROXYSTIQUES ALLODYNIE HYPERALGESIE Mécanique et/ou thermique

Dynamique statique chaud froid

Tableau 7 : Sémiologie des douleurs neuropathiques

Ces douleurs peuvent se développer après un intervalle libre plus ou moins long (des mois voire des années) par rapport à la lésion nerveuse initiale causale. L’examen somatique est normal mais, par contre, l’examen neurologique retrouve un déficit sensitif dans le territoire douloureux sous la forme d’une hyposensibilité mineure (hypoesthésie) ou majeure (anesthésie douloureuse ; ex. douleur sous-lésionnelle chez le paraplégique). Les explorations électrophysiologies (EMG, PES, …) peuvent permettre de préciser l’atteinte neurogène. La particularité des douleurs neuropathiques est de ne pas répondre ni aux antalgiques classiques ni aux anti-inflammatoires non stéroïdiens. Leurs médicaments spécifiques ont une action centrale ; il s’agit des antidépresseurs tricycliques (amitryptiline, clomipramézine) et des anti-épileptiques (carbamazépine, gabapentine) pour la composante à type de décharge fulgurante (cf. Chapitre 7).

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En cas d’échec du traitement médical, on peut avoir recours à la neurostimulation électrique médullaire (ou corticale) dont le mécanisme est inhibiteur. Il faut avant tout éviter et contre-indiquer les techniques d’interruption nerveuses quand elles sont non sélectives et qu’elles risquent d’aggraver la déafférentation sensitive (cf. Chapitre 7 : encart « chirurgie de la douleur »).

5.3. Les douleurs d’origine idiopathique

Il s’agit de douleurs pour lesquelles on n’a pas pu mettre en évidence de support organique lésionnel (tissulaire et/ou nerveux) ; elles sont dites « sine materia » et leur origine fonctionnelle est suspectée. La composante psychologique existe sans pouvoir affirmer qu’il s’agit d’une douleur strictement d’origine psychogène. Leur mécanisme physiopathologique est encore mal élucidé ; l’on préfère parler de douleurs idiopathiques. Les tableaux cliniques correspondants sont nombreux et représentent des cadres sémiologiques précis, qu’il s’agisse de : céphalées de tension (cf. Chapitre 8), fibromyalgies, algodystrophies ou de douleurs péri-orificielles et glossodynies (cf. Chapitre 10). 5.4 Les douleurs d’origine psychogène Leur diagnostic n’est pas le résultat d’un simple diagnostic d’élimination, c’est-à-dire de non organicité. Il est suspecté sur :

Le caractère atypique de la sémiologie (description luxuriante, imaginative,

discordante – trajet douloureux inexplicable – variabilité des projections, …). L’importance des signes d’accompagnement (asthénie, insomnie, perte d’appétit,

irritabilité et/ou anxiété, …) évoquant une dépression infra clinique. L’existence d’un contexte de conflit, de deuil, …

Ce faisceau d’arguments ne suffit pas. Le diagnostic est psychiatrique et repose sur la

confirmation d’un trouble psychopathologique (hypocondrie, conversion hystérique, somatisation d’un désordre émotionnel : dépression). CONCLUSIONS Soulignons le polymorphisme des douleurs tant sur le plan de leur intensité que de leur évolution et de leurs conséquences ainsi que de leurs multiples causes : « Il n’y a pas une mais des douleurs ». Sur le plan évolutif, la douleur aiguë symptomatique s’oppose à la douleur chronique séquellaire ou « douleur maladie ». Sur le plan physiopathologique, on distingue différents mécanismes (nociceptif, neuropathique, idiopathique et psychogène) qui répondent à des stratégies thérapeutiques adaptées très différentes. Toute douleur chronique rebelle s’accompagne d’un retentissement psychologique. Les deux composantes, organique et psychologique, réactionnelles d’une douleur chronique doivent être simultanément évaluées et traitées. La prise en charge d’une douleur chronique est donc multidisciplinaire et plurimodale.

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CHAPITRE 4

TRAITEMENT DES DOULEURS PAR EXCÈS DE NOCICEPTION : LES ANTALGIQUES NON OPIOIDES ET LES ANTALGIQUES

OPIOIDERGIQUES B Chamontin et N Cantagrel

PPllaann dduu CChhaappiittrree pages

1.Présentation des antalgiques : la classification OMS

2. Les antalgiques non opioïdes 2.1 Les antalgiques purs 2.2 Les antalgiques antipyrétiques 2.3 Les antalgiques antipyrétiques et anti-inflammatoires

3. Les antalgiques opioïdergiques 3.1 La classification des opioïdes 3.2 Les opioïdes faibles agonistes 3.3 Les opioïdes agonistes partiels 3.4 Les opioïdes agonistes-antagonistes 3.5 Les opioïdes forts 3.6 Utilisation des opioïdes forts dans le traitement des douleurs chroniques non cancéreuses 3.7 Législation et modalités de prescription

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1- PRESENTATION DES ANTALGIQUES : LA CLASSIFICATION OMS Le traitement antalgique des douleurs par excès de nociception chez l’adulte s’appuie en partie sur les recommandations de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé-WHO). Celles-ci éditées en 1996 concernent initialement les douleurs d’origines cancéreuses et nociceptives. Les douleurs d’origine neuropathique font appel à d’autres thérapeutiques qui seront développées dans un autre chapitre (antidépresseurs et antiépileptiques). L’échelle de l’OMS à trois niveaux représente une méthode efficace et simple pour assurer une prise en charge médicamenteuse de la douleur. L’utilisation de coantalgique doit être envisagée à chaque niveau de l’échelle. Certains points sont à souligner :

- le caractère détaillé de la prescription : prescription écrite, expliquée, anticipant les accès douloureux et les effets indésirables,

- le premier niveau de l’OMS est représenté par le paracétamol et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pour traiter les douleurs évaluées comme faibles à modérées,

- si la douleur persiste ou s’accentue, un opioïde faible est ajouté, - en cas d’échec, le recours aux opioïdes forts est indiqué, - le rythme d’évaluation et de changement de niveau doit être adapté au niveau de la

douleur et à la durée d’action de l’antalgique, - la prescription d’opioïdes fort d’emblée est une possibilité en cas de douleurs très

intenses. Il conviendra de s’assurer auparavant que le mécanisme principal de la douleur est bien nociceptif.

22-- LLEESS AANNTTAALLGGIIQQUUEESS NNOONN OOPPIIOOIIDDEESS Les antalgiques non morphiniques regroupent l’ensemble des médicaments symptomatiques des douleurs dont le mécanisme d’action est indépendant des récepteurs opioïdes. Le néfopam, voire le paracétamol, mis à part, leur site d’action principal se situe au sein du foyer algogène d’où leur ancienne dénomination « d’antalgiques périphériques ». Ils sont classés en trois groupes selon leur profil pharmacodynamique : Les antalgiques purs Floctafénine (IDARAC®)

Antalgique

Antalgiques opioïdes

Antalgique

± adjuvants

± adjuvants

± adjuvants

2

3

1

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Néfopam (ACUPAN®)

Les antalgiques antipyrétiques Paracétamol

Les antalgiques antipyrétiques anti-inflammatoires Aspirine AINS

Les antalgiques non opioïdes (niveau 1 OMS) peuvent être associés aux antalgiques opioïdes (niveau 2 et 3 OMS).

2.1 les antalgiques purs La floctafénine (IDARAC®) Cette molécule de la famille des fénines existe sous forme de comprimés à 200 mg. Elle a pour principal inconvénient le risque allergique, celui-ci ayant abouti au retrait de toutes les molécules de la même famille (glafénine). Ce risque allergique interdit les prises itératives qui favorisent la sensibilisation. Le néfopam (ACUPAN®) Il a un mécanisme d’action mal connu. Il inhibe la recapture de la noradrénaline, de la sérotonine et de la dopamine. Il présente des effets anticholinergiques indépendants de l’antalgie. Il n’existe que par voie injectable (20mg/2ml ; IM, IV). Il a un catabolisme hépatique à élimination rénale. Son effet antalgique est de 4 à 5 heures. Le néfopam et la floctafénine ne sont pas indiqués en première intention dans les douleurs cancéreuses chroniques (SOR 2002). 2.2 les antalgiques antipyrétiques Le paracétamol : Le mécanisme de son action antalgique n’est pas encore élucidé mais plusieurs arguments plaident pour l’existence d’un site d’action central. Les caractéristiques essentielles de la pharmacocinétique du paracétamol sont les suivantes :

- Bonne disponibilité par voie orale (70 à 90 %) - Faible liaison aux protéines plasmatiques (10 %), ce qui exclut les risques d’interaction

liés à cette propriété - Excrétion rénale importante (90 %) - Temps de demi-vie plasmatique d’environ 2-3 heures - Métabolisme hépatique.

Les concentrations maximales sont atteintes environ 90 minutes après administration orale, voire moins pour les formes effervescentes. La durée d’action est d’environ 4 heures. La tolérance est excellente. La posologie habituelle est de 3 grammes par jour (cf AMM), pouvant être majorée à 4 grammes par jour (1g par prise, une prise toutes les 6 heures). La dose maximale admise par l’OMS est de 6 g par jour. Le paracétamol par voie intraveineuse (PERFALGAN®) peut être utilisé lorsque la voie orale est impraticable. Il peut avoir une toxicité hépatique en cas de surdosage ce qui justifie une précaution d’emploi en cas d’insuffisance hépatique. Les effets indésirables sont rares, les plus fréquents sont des manifestations cutanées de type allergique, rash avec érythème, urticaire et/ou prurit. Le paracétamol est disponible sous de nombreuses formes orales ou rectales dosées de 80 mg à 1000 mg.

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2.3 les antalgiques antipyrétiques anti-inflammatoires (aspirine –AINS) L’effet antalgique des AINS résulte pour l’essentiel de leur action anti-inflammatoire médiée par l’inhibition de deux isoformes de la cyclo-oxygénase (COX1 et COX2). A dose équianalgésique, ils ne diffèrent entre eux que par leur pharmacocinétique. L’action sélective sur la COX2 des nouveaux AINS comme célécoxib, parecoxib, faisait espérer une diminution du risque de survenue d’effets indésirables gastro-intestinaux. Cependant le suivi national de pharmacovigilance de Celecoxib et Rofecoxib a fait apparaître nombre de notifications de perforations, ulcères et saignements digestifs. Ces complications digestives graves sont observées le plus souvent chez des patients d’âge supérieur à 70 ans, avec antécédents digestifs, et en cas d’associations à l’aspirine ou autre anti-agrégant ou un anticoagulant. Les Coxibs ont fait l’actualité en 2005 suite à la publication de 3 essais cliniques démontrant la majoration du risque cardiovasculaire chez les patients traités au long cours.(cf cours de Thérapeutique module 11 ,en D4) Les AINS possèdent 4 propriétés pharmacologiques dont l’expression dépend des doses utilisées et des produits :

- anti-inflammatoire - antalgique - antipyrétique - antiagrégant plaquettaire (plus marqué avec l’aspirine)

L’aspirine, au contraire des autres AINS, est un inhibiteur irréversible des isoformes 1 et 2 de la cyclo-oxygénase, ce qui lui confère une durée d’inhibition plus prolongée et participe au fait qu’elle soit plus anti-agrégante plaquettaire que les autres AINS. La pharmacocinétique peut avoir des spécificités individuelles, mais certaines généralités peuvent être retenues : - absorption digestive compatible avec une administration orale - métabolisme hépatique - liaison protéique importante d’où le risque d’interactions médicamenteuses - excrétion rénale Les effets indésirables sont communs à tous les AINS. Il peut s’agir d’effets considérés comme mineurs (dyspepsie, palpitations, nausées et vomissements, anorexie, constipation, épigastralgies, etc…) ou d’effets sévères (perforation, ulcère, saignement, syndrome de Lyell, etc). Les pyrazolés (BUTAZOLIDINE®) sont contre-indiqués en cancérologie en raison de leur toxicité médullaire potentielle. Hépatopathie et insuffisance rénale peuvent apparaître à tout moment et surtout lors de traitements prolongés. La prudence s’impose chez les personnes à risques et notamment chez les personnes âgées et/ou polymédicamentées. Des règles de prescriptions simples sont à respecter :

- limiter les durées des prescriptions - ne pas associer les AINS entre eux - récuser les associations dangereuses (antiagrégants, anticoagulants) - respecter les précautions d’emploi en particulier chez les personnes âgées.

AINS commercialisés comme antalgiques Plusieurs AINS sont commercialisés comme antalgique et antipyrétique : des spécialités d’aspirine, l’ibuprofène 200 mg (ADVIL®, NUROFEN®, …), le kétoprofene 25 mg (TOPREC®), le fénoprofène (NALGESIC®), le naproxène sodique 220mg (ALEVE®). Leur caractéristique commune est une restriction des doses unitaires et quotidiennes qui en principe les rend peu actif sur la composante oedémateuse de l’inflammation alors qu’ils sont efficaces sur la douleur (et la fièvre).

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L’utilisation des AINS est recommandée dans le traitement des douleurs inflammatoires, notamment les douleurs osseuses (SOR 2002).

33-- LLEESS AANNTTAALLGGIIQQUUEESS OOPPIIOOIIDDEERRGGIIQQUUEESS 3.1 classification des opioïdes L’organisme dispose de différents mécanismes de contrôle des messages douloureux. Un de ces mécanismes fait appel aux opioïdes endogènes qui sont les ligands naturels des récepteurs opioïdes. Les opioïdes exogènes se fixent sur ces mêmes récepteurs et miment l’action des médiateurs endogènes. Aux sites d’actions médullaires et supramédullaires, s’ajoute une action périphérique de la morphine s’il existe une inflammation. Les opioïdes sont classés en trois catégories en fonction de leurs actions sur les récepteurs :

- les agonistes purs activent surtout les récepteurs médullaires et supramédullaires mu, de façon totale, et n’ont pas d’effet plafond,

- les agonistes partiels antagonistes (buprénorphine) n’activent les récepteurs mu que de façon partielle tout en antagonisant les récepteurs kappa. Ce caractère agoniste partiel limite leur efficacité, d’où leur effet plafond, et contre indique leur co-administration avec les agonistes purs, ce d’autant que la buprénorphine a une très forte affinité pour les récepteurs mu,

- Les agonistes antagonistes (nalbuphine) activent les récepteurs kappa et antagonisent les récepteurs mu, ce qui explique qu’ils diminuent l’effet des agonistes purs donnés simultanément. Leur efficacité antalgique est également plafonnée parce qu’ils activent de façon partielle les récepteurs kappa.

Les opioïdes agonistes antagonistes partiels et les agonistes antagonistes peuvent induirent un syndrome de sevrage si on les associe à des agonistes purs. Selon leur efficacité antalgique, on distingue les opioïdes dits « faibles » pour les douleurs modérées (niveau 2 OMS-inscription sur liste I) et les opioïdes dits « forts » pour les douleurs modérées à fortes (niveau 3 OMS- inscription sur la liste des prescriptions spéciales sauf la buprénorphine et la nalbuphine inscrites sur la liste I). Certains principes sont à connaître et à appliquer : - privilégier la voie orale - les prises médicamenteuses se font à intervalle régulier - la prescription est personnalisée 3.2 les opioïdes faibles agonistes

Les antalgiques opioïdes de niveau 2 OMS disponibles DCI Forme galénique BioD T max T 1/2 Elimination Intervalle

d’administration (heures)

Codeine phosphate Cp ou suppo de 10 à 60 mg

réduite 1h 3h Urinaire (80%) Fécale (20%)

4h

Dihydrocodéine LP Cp à 60 mg réduite 1h30-2h 4h urinaire 12h Dextropropoxyphène (toujours en association)

Gélule de 27 à 30 mg Suppo à 60 mg

70% 1-5h moy :2h

6-12h urinaire 4h

Tramadol (existe en association)

Cp ou gélule à 37,5 mg à 50 mg ou solution injectable à 100 mg

70-90 %

2h 5-7h Urinaire (95%) Fécale (5%)

4h

Tramadol LP Cp ou gélule de 100 à 200 mg

70-90 %

5h 6h Urinaire (95%) Fécale (5%)

12h ou 24h

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DCI : dénomination commune internationale ; BioD : biodisponibilité par voie orale ; Tmax : délai pour obtenir le pic plasmatique ; T1/2 : temps de demi-vie d’élimination. Codéine et hydrocodéine : la codéine est métabolisée par le foie, ces propriétés antalgiques sont liées à sa biotransformation en morphine (10 %) par oxydation enzymatique. Chez 10 % des malades, cette enzyme est absente ce qui peut expliquer l’inefficacité du produit dans certains cas. Son addition avec le paracétamol entraîne un effet antalgique accru. La dihydrocodéine (DICODIN®LP) est aussi métabolisée par le foie. Un comprimé à 60 mg serait équivalent à 120 mg de codéine. Dextropropoxyphène : il n’est commercialisé que sous forme associée à du paracétamol. Il est métabolisé par le foie et son métabolite principal est le norpropoxyphène. Celui-ci possède une demi-vie d’élimination plus longue que le dextropropoxyphène d’où un risque d’accumulation. Il est aussi à l’origine d’effets secondaires : tremblements, convulsions. Chez les sujets atteints d’une cirrhose hépatique, le dextropropoxyphène peut entraîner une sédation importante et des troubles cardiaques. Il existe un risque d’hypoglycémie notamment chez les patients diabétiques, les sujets très âgés ou insuffisants rénaux. Il est recommandé de ne pas l’utiliser en association avec la carbamazépine. Tramadol : son effet antalgique est dû à une activité opioïde agoniste mu préférentielle, associé à un effet monoaminergique central par inhibition de la recapture neuronale de la sérotonine et de la noradrénaline. Ce mécanisme est impliqué dans le contrôle de la transmission nociceptive centrale avec un intérêt potentiel dans le traitement des douleurs neuropathiques. Il ne doit pas être associé aux inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO). Il existe un risque d’apparition d’un syndrome sérotoninergique majoré si on l’associe avec certains anti-dépresseurs. Les effets indésirables les plus fréquemment rencontrés sont : nausées, vomissements, somnolence, céphalées, hypersudation, constipation. La posologie maximale par voie orale est de 400 mg par jour et de 600 mg par voie injectable (disponible seulement en milieu hospitalier). 3.3 les opioïdes agonistes partiels La buprenorphine est prescrite comme antalgique sous le nom de TEMGESIC® (glossette à 0,2 mg ; ampoule à 0,3 mg). La voie sublinguale évite l’important effet de premier passage hépatique et permet une pharmacocinétique proche de la voie parentérale. Le délai d’action de la voie sublinguale est de 15 à 60 mn, la durée d’antalgie est en moyenne de 8 heures. Elle est métabolisée par le foie en métabolites inactifs et éliminée par voie fécale (2/3) et urinaire (1/3). Il existe un effet antalgique plafond au-delà de 1mg par voie sublinguale et 0,6 mg par voie IM. Son effet analgésique n’augmente pas si on dépasse ces posologies. Si le risque de dépression respiratoire est faible mais en cas de dépression grave l’antagonisme par la naloxone est très difficile à obtenir. Son utilisation chez des patients présentant une dépendance aux opiacés peut entraîner un syndrome de sevrage. Il faut attendre un délai de 4h pour son utilisation après arrêt de la morphine, et 8H après la dernière prise de buprénorphine pour introduire de la morphine. Ses effets indésirables sont de type opiacé avec peu d’effet hémodynamique. 3.4 Les opioïdes agonistes-antagonistes Chez les patients non traités par la morphine ils agissent comme des agonistes antalgiques, s’ils sont associés à de la morphine, ils agissent comme des antagonistes. Leur association avec un morphinomimétique est donc contre-indiquée.

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Nalbuphine (NALBUPHINE®) : elle ne modifie pas les paramètres hémodynamiques ou cardiaques. Elle n’existe que sous forme injectable (sous-cutanée, IM, IV). Les effets secondaires les plus gênants sont : nausées, vomissements, somnolence et vertiges.

3.5 les opioïdes forts La morphine orale : La morphine reste la substance de référence dans la famille des morphiniques. Elle représente 10 % des alcaloïdes de l’opium. On peut résumer les activités pharmacologiques de la morphine comme suit :

- effet antalgique - effet psychodysleptique (état de bien être, euphorie, hallucination) - effet respiratoire (dépression, bradypnée) - effet vomitif (par stimulation de l’area postrema, plancher du IVème ventricule) - effet sur la musculature lisse (myosis, constipation, dysurie, rétention urinaire) - effet cardio-vasculaire (hypotension orthostatique) - effet sur le système immunitaire (action immuno-modulatrice)

L’action de la morphine passe par l’activation des récepteurs mu au niveau médullaire et supramédullaire ; sa biodisponibilité orale est de 20 à 40 %. La fixation aux protéines plasmatiques est de 30-35 %. Elle est métabolisée au niveau hépatique par glucurono-conjugaison en dérivé 3 glucurono-conjugué (M3G) et un dérivé 6 (M6G). La M3G est quantitativement majoritaire et inactive, la M6G est un puissant antalgique avec une demi-vie plasmatique longue. La morphine est peu liposoluble, elle diffuse assez difficilement à travers la barrière hemato-méningée. Son élimination est urinaire. Le malade doit être prévenu de la survenue d’effets indésirables notamment les plus fréquents : somnolence, nausées, constipation. Sauf la constipation qu’il faudra systématiquement prévenir par des règles hygiéno-diététiques et des laxatifs, les autres effets indésirables s’atténuent ou disparaissent au bout de quelques jours. Le myosis est un signe d’imprégnation morphinique et non de surdosage. L’initiation d’un traitement par morphine passe actuellement par une titration (méthode d’ajustement des posologies). Il existe deux modalités de prescription de titration : initiation par morphine à libération immédiate (MLI) ou par morphine à libération prolongée (MLP). L’initiation par MLI correspond à une dose de départ de 10 mg par prise toutes les 4 heures, soit 60 mg par jour. En cas de douleur mal soulagée, le malade peut prendre une dose de 5 à 10 mg toutes les heures, sans dépasser 4 prises successives en 4 heures avant d’en référer au médecin. Si le malade prend régulièrement plus de 3 à 4 doses supplémentaires réparties dans la journée, elles seront intégrées dans la dose totale quotidienne après 1 à 2 jours de traitement. Chez les patients fragiles, les doses sont réduites et/ou espacées. Chez les patients équilibrés depuis 2 à 3 jours sous MLI, il faut leur prescrire une MLP. Toutefois la MLI doit être prescrite parallèlement pour prévenir ou traiter les accès douloureux prévisibles ou non. L’initiation par MLP commence par 30 mg de morphine toutes les 12 heures en association avec de la MLI. Ces doses seront réduites chez le patient fragile. Patients fragiles Grand âge

Mauvais état général Insuffisance rénale Insuffisance hépatique Hypoprotidémie

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Modalités de prescription de la morphine orale

Forme prescrite Intérêt indications Dose initiale Adaptation de la posologie

Libération immédiate

Equilibration rapide Gestion des accès douloureux Moins de risque de surdosage

Titration Douleurs très instables Accès et soins douloureux Malade fragile

10 mg/4h 5 mg/4h si

fragile

Toutes les 24 à 48h

Libération prolongée

Commodité de prescription 2 prises par 24h

Situations autres que celles nécessitant la forme LI seule Malade bien équilibré par la forme LI

30 mg/12h 10-20 mg/12h si

fragile

Toutes les 48 à 72 h

Conduite à tenir en cas de surdosage : le surdosage par morphine et par les opioïdes en général, est caractérisé principalement par une somnolence croissante. Elle s’accompagne d’une bradypnée qui peut aboutir à une insuffisance respiratoire. Le recours à la naloxone est indiqué en cas de dépression respiratoire sévère (fréquence respiratoire inférieure à 8/mn). Il faut y associer l’arrêt de l’opioïde, la stimulation du malade, une oxygénothérapie, une surveillance permanente. La naloxone (NARCAN®, NALONE®, NALOXONE®) a une durée d’action de 30 mn par voie IV et 2 à 3 heures en sous cutanée. Arrêt de la morphine : elle doit se faire de façon progressive pour éviter un syndrome de sevrage. La diminution de posologie doit être au maximum de 1/3 de la dose précédente chaque jour, au mieux chaque semaine en cas de traitement prolongé. L’hydromorphone (SOPHIDONE® LP) : est un dérivé semi-synthétique de la morphine, il agit sur les récepteurs mu et delta. Ses caractéristiques pharmacocinétiques et pharmacologiques sont proches de celles de la morphine. Il n’a pas été mis en évidence d’activité pharmacologique de ses métabolites. Le produit est commercialisé sous forme de gélules qui peuvent être ouvertes. Son indication est : traitement des douleurs intenses d’origine cancéreuse en cas de résistance ou d’intolérance à la morphine (AMM). L’oxycodone : après absorption orale son premier passage hépatique est faible, il a donc une biodisponibilité de 60 à 87%. Il est métabolisé au niveau hépatique en plusieurs métabolites dont un (oxymorphone) est un puissant antalgique. Son élimination est rénale. Son AMM est : douleurs intenses d’origine cancéreuse ou en cas de résistance ou d’intolérance à la morphine chez l’adulte de plus de 18 ans. Il est commercialisé à ce jour sous quatre formes :

- suppositoire (EUBINE®) dosé à 20 mg - forme à libération prolongée (OXYCONTIN®) - forme à libération immédiate (OXYNORM®) - forme injectable à usage hospitalier (OXYNORM® INJECTABLE), prescription limitée

à 28 jours.

Sortie en 2009-2010 d’une forme mixte associant oxycodone plus naloxone (TARGINACT®). L’ajout d’un antagoniste doit permettre de diminuer les effets secondaires périphériques de cet opioïde notamment sur le tractus digestif (diminution de la constipation sans diminution des effets antalgique).

Ordre d équivalence des doses selon la voie d’administration :

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Voie orale Sous cutanée Intra veineuse 1 mg 0,5 mg 0,5 mg

Le fentanyl : il est métabolisé par le foie et éliminé par le rein. Sa cinétique semble peu modifiée par l’insuffisance rénale et par l’épuration extrarénale. Il est commercialisé sous trois formes : injectable (à utilisation anesthésique), patchs transdermiques, , comprimés. Fentanyl en patch de 72 heures Fentanyl transdermique (DUROGESIC®, MATRIFEN®, FENTANYL RATIOPHARM®) : AMM pour les douleurs chroniques intenses nécessitant l’utilisation d’un antalgique opioïde. Il est intéressant lors :

- d’une voie orale impossible (nausées, vomissements, dysphagie, fausse route…) - risque occlusif - malabsorption digestive - polymédication orale gênante pour le patient.

En dehors de ses situations l’initiation d’un traitement opioïde par fentanyl n’est pas recommandé car l’adaptation fine des posologies est délicate (plateau plasmatique en 24 à 72 heures minimum) et notamment chez les sujets fragiles. Les patchs permettent une délivrance du produit de façon continue et constante sur 72 heures. Une modification des conditions cutanées peut accroître son absorption (source externe de chaleur, hyperthermie, irradiation, sueurs…). Les patchs doivent être appliqués sur une peau glabre, plane, propre, non irradiée, non irritée et sèche. Son emplacement doit être changé à chaque pose. Certains malades présentent, alors qu’ils sont traités depuis plusieurs jours avec une bonne tolérance, une antalgie de moins de 72 heures (changement à 48h pour 3,2 % des patients). Au-delà de 4 patchs à 100 µg/h il convient de discuter un changement d’opioïde et/ou de voie d’administration. Fentanyl à action immédiate Fentanyl transmuqueux ACTIQ® : comprimés avec dispositif pour application buccale. Citrate de fentanyl ABSTRAL® : comprimé sublingual EFFENTORA® : comprimé oravescent (disponible fin 2009) INSTANYL® : spray nasal (disponible 2010) Pharmacocinétique : 25 % de la dose totale de fentanyl est absorbée en 5 à 10 mn par la muqueuse buccale et est disponible sur le plan systémique, d’où une action antalgique très rapide, les 75 % restant sont déglutis avec la salive. Un tiers de cette fraction échappe à la métabolisation et se rend donc immédiatement disponible sur le plan systémique ce qui explique le maintien d’une antalgie pendant au moins 2 heures. AMM est : traitement des accès douloureux paroxystiques chez les malades recevant déjà un traitement de fond morphinique pour des douleurs chroniques d’origine cancéreuse. Il n’a pas été établi de relation entre la dose de fentanyl efficace dans les accès douloureux et la dose du traitement opioïde de fond. La pethidine (PETHIDINE RENAUDIN®) : utilisable seulement en injectable (100 mg/2ml). Elle a très peu d’intérêt dans la prise en charge des douleurs. Elle aurait un avantage par son action antispasmodique lors des carcinoses péritonéales. Sa prescription est limitée à 7 jours.

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Tableau des principaux opioïdes et durée maximale de prescription

Spécialités concernées Formes Durée maximale

Morphine injectable (chlorhydrate de morphine) ampoules de : 10-20-50-100-200-400-500 mg

Ampoules injectables 7 J

avec système actif de perfusion : 28J

Morphine buvable (sulfate de morphine) - ampoules : 10-20 mg - Morphine sirop : 5mg/ml - ORAMORPH ® : Flacon compte goutte : 20 mg/1 ml Unidose : 10-30-100 mg/5ml

28J

Morphine orale cp ou gél (sulfate de morphine) ACTISKENAN® gél : 5-10-20-30 mg SEVREDOL®cp sécable : 10-20 mg

MOSCONTIN® cp : 10-30-60-100-200 mg SKENAN LP® gél : 10-30-60-100-200mg

LP/12h

KAPANOL® gél : 20-50-100 mg

LP/24h

OXYNORM® INJECTABLE (chlorhydrate d’oxycodone) ampoule de : 20 mg

Ampoules injectables

OXYCONTIN® cp : 5-10-20-40-80 mg (chlorhydrate d’oxycodone)

LP/12h

OXYNORM® gél : 5-10-20 mg (chlorhydrate d’oxycodone)

SOPHIDONE® gél : 4-8-16-24 mg (chlorhydrate d’hydromorphone)

LP/12H

Fentanyl transdermique DUROGESIC® MATRIFEN® FENTANYL RATIOPHARM® 12-25-50-75-100 µg/h (fentanyl)

Patch transdermique /72H

Prescription 28J Délivrance fractionnée 14J

fentanyl ACTIQ® : 200-400-600-800-1200-1600 µg

Citrate de fentanyl ABSTRAL® : 100-200-300-400-600-800 µg

comprimés Prescription 28J Délivrance fractionnée 7j

3.6 Utilisation des opioïdes forts dans le traitement des douleurs chroniques non cancéreuses Si l’intérêt du recours aux opioïdes forts est aujourd’hui reconnu dans le traitement des douleurs chroniques nociceptives d’origine cancéreuse, le rapport bénéfice/risque d’une telle prescription dans le traitement de douleurs chroniques non cancéreuses (DCNC) doit être évalué avec

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précision afin de ne pas utiliser un médicament qui pourrait être soit inefficace, soit provoquer des effets secondaires délétères voire entraîner le patient vers un état de dépendance physique et/ou psychique. Il s’avère donc nécessaire avant institution d’un tel traitement de vérifier :

- que la cause somatique est clairement identifiée - que le mécanisme d’action est nociceptif - que les traitements antérieurs ont été inefficaces malgré une prescription correcte - que le contexte psychologique, familial et socio-professionnel a été évalué - une évaluation pluridisciplinaire est indispensable en cas d’antécédents d’abus, de

dépendance, de toxicomanie ou de trouble grave de la personnalité. Le traitement opioïde doit être intégré dans une prise en charge globale du patient. Un seul médecin doit centraliser et coordonner la prescription et il est souhaitable que le patient s’adresse au même pharmacien. Le traitement doit être interrompu en cas :

- d’absence d’efficacité - d’épuisement de l’effet en dehors d’une aggravation de la pathologie somatique

responsable de l’état algique - d’effets indésirables importants - de la survenue d’un comportement incompatible avec une prescription au long cours.

3.7 Législation et modalités de prescription

Législation : La Loi n° 2003-87 du 3 Février 2003 stipule : art.L.235-1: Toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève conducteur alors qu’il résulte d’une analyse sanguine qu’elle a fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants est punie de deux ans d’emprisonnement et de 4500 euros d’amende. Il est donc recommandé : - de contre-indiquer la conduite automobile en cas de signe manifeste de dépression du système nerveux central (SNC) - de déconseiller au patient la conduite automobile même en l’absence de signe de dépression du SNC en raison des dangers potentiels d’une diminution des réflexes et d’une altération de la vigilance Dans tous les cas le praticien doit être en mesure de pouvoir prouver qu’il a informé le malade. Le transport personnel de médicaments stupéfiants détenus dans le cadre d’un traitement médical est réglementé. Il est différent selon l’endroit où se situe le transport : Dans l’espace de Schengen : - 24 Etats : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Islande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Suède, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovenie, Slovaquie, République Tchèque. - Décret n° 95-304 du 21 mars 1995 - Toute personne résidant en France, quelle que soit sa nationalité, doit se munir d’une autorisation de transport lors d’un déplacement dans un pays appliquant la convention - Autorisation délivrée à la demande du patient, au vu de l’original de la prescription médicale, par la DDASS du département où le médecin prescripteur est enregistré - Elle est valable 30 jours et les quantités transportées ne doivent pas dépasser la durée maximale de prescription. En dehors de l’espace de Schengen : - Chaque pays applique ses propres dispositions - En France 2 procédures sont prévues : Si la durée du séjour est ≤ durée maximale de prescription , la prescription médicale reste le seul document requis

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Si la durée du séjour est > durée maximale de prescription, le patient doit être muni de l’original de la prescription médicale et d’une attestation de transport délivrée par l’Agence française de Sécurité Sanitaire des Produits de santé (Afssaps) sur demande du patient. La demande comporte l’indication du pays de destination, la durée de séjour, la quantité et le dosage du médicament transporté, la prescription médicale et un certificat médical dans lequel le médecin ne s’oppose pas au déplacement du patient. Lorsque le déplacement est de très longue durée, le patient peut obtenir, si besoin, une prolongation de son traitement dans le pays d’accueil. Modalités de prescription : les prescriptions de médicaments classés comme stupéfiants doivent être faites sur des ordonnances sécurisées. Elles doivent préciser outre les mentions légales :

- le nombre d’unités thérapeutiques par prise, le nombre de prises et le dosage, concentration, volumes et nombres d’unités pour les préparations, inscrits en toutes lettres,

- le nombre de médicaments différents. Les renouvellements d’ordonnance ne sont pas autorisés et la prescription ne doit pas dépasser 28 jours. L’ordonnance ne peut être exécutée pour la totalité de la durée ou fraction que si elle est présentée dans les 3 jours à la pharmacie. Au-delà, elle ne peut être exécutée que pour la durée restante. Une nouvelle ordonnance ne peut être établie pendant la période couverte par une ordonnance précédente sauf mention expresse portée sur l’ordonnance (chevauchement). Le pharmacien doit préciser sur l’ordonnance les quantités délivrées en unité de prise. (Décret nº 2007-596 du 24 avril 2007 art. 1 IV Journal Officiel du 26 avril 2007) Il est interdit de prescrire et de délivrer des substances classées comme stupéfiants lorsqu'elles ne sont pas contenues dans une spécialité pharmaceutique ou une préparation. Outre les mentions prévues aux articles R. 5132-3 et R. 5132-4 ou, pour les médicaments vétérinaires, au I de l'article R. 5141-111, l'auteur d'une ordonnance, comportant une prescription de médicaments classés comme stupéfiants ou soumis à la réglementation des stupéfiants, indique en toutes lettres le nombre d'unités thérapeutiques par prise, le nombre de prises et le dosage s'il s'agit de spécialités, les doses ou les concentrations de substances et le nombre d'unités ou le volume s'il s'agit de préparations. (Décret nº 2007-157 du 5 février 2007 art. 5 VIII Journal Officiel du 7 février 2007) Il est interdit de prescrire des médicaments classés comme stupéfiants ou soumis à la réglementation des stupéfiants pour un traitement d'une durée supérieure à vingt-huit jours. Cette durée peut être réduite pour certains médicaments désignés, après avis du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, par arrêté du ministre chargé de la santé. La délivrance fractionnée d'un médicament classé comme stupéfiant ou soumis à la réglementation des stupéfiants peut être décidée, après avis du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, par arrêté du ministre chargé de la santé. L'arrêté mentionne la durée de traitement maximum correspondant à chaque fraction. Le prescripteur mentionne sur l'ordonnance la durée de traitement correspondant à chaque fraction. Toutefois, il peut, pour des raisons particulières tenant à la situation du patient, exclure le fractionnement en portant sur l'ordonnance la mention "délivrance en une seule fois". (Décret nº 2007-157 du 5 février 2007 art. 5 IX Journal Officiel du 7 février 2007) L'ordonnance comportant une prescription de médicaments classés comme stupéfiants ou soumis à la réglementation des stupéfiants ne peut être exécutée dans sa totalité ou pour la totalité de la fraction de traitement que si elle est présentée au pharmacien dans les trois jours suivant sa date d'établissement ou suivant la fin de la fraction précédente ; si elle est présentée au-delà de ce délai, elle ne peut être exécutée que pour la durée de la prescription ou de la fraction de traitement restant à courir. Une nouvelle ordonnance ne peut être ni établie ni exécutée par les mêmes praticiens pendant la période déjà couverte par une précédente ordonnance prescrivant de tels médicaments, sauf si le prescripteur en décide autrement par une mention expresse portée sur l'ordonnance.

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(Décret nº 2007-157 du 5 février 2007 art. 5 XI Journal Officiel du 7 février 2007) Une copie de toute ordonnance comportant la prescription d'un ou plusieurs médicaments classés comme stupéfiants ou soumis à la réglementation des stupéfiants, revêtue des mentions prévues à l'article R. 5132-13 est conservée pendant trois ans par le pharmacien ou le vétérinaire. Pour les spécialités pharmaceutiques, les quantités délivrées sont formulées en unités de prise. Ces copies sont présentées à toute réquisition des autorités de contrôle. Sans préjudice des transcriptions mentionnées à l'article R. 5132-10, le pharmacien enregistre le nom et l'adresse du porteur de l'ordonnance lorsque celui-ci n'est pas le malade.

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CHAPITRE 5

STRATEGIE DE PRISE EN CHARGE DES DOULEURS D’ORIGINE CANCEREUSE N Cantagrel ; JC SOL

Plan du chapitre pages 1. Epidémiologie

2. Physiopathologie de la douleur cancéreuse

2.1.La douleur nociceptive 2.2 La douleur neuropathique 2.3 La douleur idiopathique 2.4 La douleur et l’inconfort liés aux soins 2.5 Les accès douloureux paroxystiques

3. Syndromes douloureux (SD) liés au cancer

3.1 La douleur osseuse 3.2 Les SD liés à des lésions nerveuses néoplasiques 3.3 Les douleurs d’origines viscérales

4. Syndromes douloureux liés aux traitements du cancer

4.1 Les neuropathies post-chimiothérapiques 4.2 Les complications de la radiothérapie 4.3 Les douleurs post-chirurgicales

5. Les traitements anticancéreux dans la prise en charge de la douleur

5.1 La chirurgie oncologique 5.2 Oncologie radiothérapique 5.3 Oncologie médicale : les traitements médicaux spécifiques

6. Stratégies thérapeutiques générales

6.1 Principes généraux 6.2 Les coantalgiques 6.3 La rotation des opioïdes 6.4 Les voies alternatives d’administration de la morphine orale 6.5 Méthodes relevant d’équipes spécialisées

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1- EPIDEMIOLOGIE Chaque année 5 millions de personnes meurent d’un cancer à travers le monde et 7 millions de nouveaux cas sont diagnostiqués. En France 278 253 nouveaux cas ont été portés en 2000, ce qui représente 150 000 décès par an et 800 000 personnes qui vivent actuellement avec un cancer. La prévalence de la douleur au moment du diagnostic et au début du traitement est de 50 %, celle-ci va aller en augmentant au décours de la maladie pour atteindre 75 % en fin de vie. En moyenne près de 80 % des patients cancéreux en évolution présentent des douleurs intenses, en majorité liées directement au cancer avec souvent plusieurs localisations douloureuses. La douleur est souvent liée à la maladie cancéreuse. Elle peut la révéler, apparaître au cours de son évolution comme signe d’une récidive locale ou d’une métastase ou survenir pendant ou après une procédure thérapeutique ou diagnostique. Un traitement antalgique bien conduit permet le maintien d’une vie relationnelle de qualité. La survenue d’une douleur chez un patient cancéreux doit entraîner une réponse rapide et adaptée. Cela nécessite une bonne évaluation initiale et une connaissance des médicaments et techniques disponibles de nos jours. Les douleurs en cancérologie sont le plus souvent chroniques et instables. Elles peuvent se présenter sous différentes formes : douleurs par excès de nociception, douleurs neuropathiques ou mixtes le plus souvent. La connaissance sémiologique permettant de reconnaître le mécanisme physiopathologique de la douleur est un élément fondamental de la stratégie antalgique. 2- PHYSIOPATHOLOGIE DE LA DOULEUR CANCEREUSE Trois facteurs principaux contribuent à la pathogénèse de la douleur chez le patient douloureux : • la nociception, • des mécanismes neuropathiques, • des processus psychologiques. A ces facteurs s’ajoutent des causes quotidiennes de majoration des douleurs comme peuvent l’être certain soins ou situations (mise sur brancard, fauteuil, toilette…) qui peuvent facilement être pris en charge. A la douleur de fond continue présente chez le patient cancéreux s’y associent fréquemment des douleur aiguës intercurrentes. 2.1. La douleur nociceptive La douleur nociceptive somatique est décrite comme aiguë, continue, pulsatile ou comme une pression. La douleur nociceptive viscérale est plutôt mal localisée, avec la sensation d’être rongé ou tenaillé lorsqu’un viscère creux est atteint, ou bien continue, ou fulgurante si elle est due à une lésion capsulaire ou mésentérique. La douleur nociceptive réagit bien aux traitements morphiniques et non-morphiniques ou bien aux techniques anesthésiques. 2.2. La douleur neuropathique Elle résulte d’un fonctionnement anormal du système somatosensoriel central ou périphérique. Elle est le plus souvent en rapport avec des lésions de nerfs périphériques, secondaires à la tumeur, à une intervention chirurgicale, à une chimiothérapie ou une radiothérapie. Le diagnostic repose sur la découverte d’anomalies neurologiques et de manifestations sensorielles comme des dysesthésies (sensation anormale et désagréable, spontanée ou provoquée), une allodynie (douleur causée par un stimulus qui n’entraîne normalement pas de douleur) ou une hyperalgésie (réponse exagérée à une stimulation normalement douloureuse). La topographie de ces symptômes correspond à une distribution compatible avec une systématisation périphérique ou centrale.

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Ce sont des douleurs qui répondent mal aux opiacés, elles sont surtout sensibles aux co-antalgiques et sont traitées essentiellement par les antiépileptiques et les antidépresseurs. 2.3. La douleur idiopathique Il s’agit d’un symptôme qui ne s’explique par aucune pathologie organique. Une évaluation psychologique peut être utile si les symptômes psychologiques et comportementaux semblent jouer un rôle important. C’est avec prudence qu’il faut parler de troubles idiopathiques chez le cancéreux car leur douleur a presque toujours un lien avec la pathologie organique sous-jacente. 2.4. La douleur et l’inconfort liés aux soins Les douleurs engendrées par les soins comme celles résultant de gestes à visée diagnostique ou thérapeutique doivent être détectées, évaluées, anticipées et traitées. Des gestes répétés, souvent jugés anodins par les soignants, peuvent être source de douleur et donc des facteurs d’épuisement pour le malade. Réitérer ces gestes, souvent sans aucune précaution, est délétère autant chez l’enfant que chez l’adulte car facteurs de stress qui favorisent épuisement, troubles psychologiques (anxiété, dépression) et souffrance. Il est donc important de ne pas négliger l’angoisse et la douleur qu’ils peuvent engendrer. Ainsi, les ponctions lombaires, les ponctions osseuses (aspiration et biopsie), les ponctions artérielles radiales pour les mesures des gaz du sang et les ponctions veineuses chez l’adulte et chez l’enfant atteints d’un cancer font l’objet de Standards d’Options et de Recommandations. 2.5. Les accès douloureux paroxystiques La stratégie thérapeutique doit prendre en compte l’instabilité des douleurs et notamment la présence d’accès douloureux paroxystiques (ADP) qui existent selon les enquêtes chez 50 à 89 % des patients atteints de cancer. Ces ADP correspondent à des douleurs plus ou moins sévères qui se manifestent sur un fond douloureux contrôlé. Ils surviennent en quelques secondes ou minutes et durent en moyenne 15 minutes bien que chez certains patients ils puissent persister plusieurs heures. Le nombre d’ADP est en général de 4 par jour. Ils sont souvent déclenchés par les mobilisations. Leur localisation est souvent similaire à celle des douleurs de fond. Il est important dans l’évaluation de la douleur du patient cancéreux de savoir rattacher le symptôme à l’évolution de la maladie elle-même (85 à 92 % des cas), aux thérapeutiques employées (20 % des cas) ou parfois rechercher une autre étiologie que le cancer lui-même. 3- SYNDROMES DOULOUREUX LIES AU CANCER L’ensemble des syndromes douloureux les plus fréquents provoqués par une atteinte tumorale directe est donné dans le tableau 1. Les métastases osseuses, nerveuses et viscérales sont les sites les plus souvent associés à une douleur chronique en rapport avec un cancer. 3.1. La douleur osseuse Elle est la source de douleur cancéreuse la plus fréquente. Des métastases osseuses se manifestent chez 30 à 70 % des cancéreux. Les cancers les plus souvent métastatiques à l’os sont : le poumon, la prostate et le sein (80 % des métastases osseuses). Il existe aussi des douleurs osseuses par envahissement loco-régional (extension sacrée du cancer du colon, envahissement des côtes par néoplasies pulmonaires). Les douleurs représentent le mode de révélation le plus fréquent des métastases osseuses ; à côté de l’atteinte neurologique, la fracture pathologique, la tuméfaction osseuse ou de plus en plus rarement de l’hypercalcémie. Vingt-cinq pour cent des métastases osseuses sont asymptomatiques. La douleur osseuse est normalement située dans une zone correspondant à la lésion sous-jacente, mais elle peut aussi être projetée (la douleur au niveau du genou révélatrice d’une localisation à la hanche). La douleur osseuse est sourde, continue et profonde : elle peut être permanente mais elle est

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souvent aggravée par le mouvement et par certaines postures. La douleur due aux métastases vertébrales, avec ou sans compression de la moelle épinière épidurale, est aggravée en position allongée et calmée en position assise. On note une sensibilité particulière au niveau de la colonne vertébrale associée à des contractures musculaires de la région atteinte. 3.2. Les syndromes douloureux liés à des lésions nerveuses néoplasiques Les neuropathies périphériques sont fréquentes chez les patients cancéreux (Tableau 2). Leur incidence varie en fonction de la nature du cancer et des critères diagnostiques utilisés, pouvant atteindre 100 % dans les cancers du poumon à un stade avancé. L’analyse d’une neuropathie périphérique (NP) chez un patient cancéreux doit prendre en compte plusieurs paramètres :

- la nature du cancer primitif, son siège et son extension locale et systémique - les traitements reçus ou en cours - les données du bilan neurologique et la nature évolutive des symptômes.

Une cause métastatique doit être systématiquement éliminée avant de considérer les causes non métastatiques. Les patients cancéreux peuvent aussi développer des NP qui n’ont aucun rapport avec le cancer (diabète, alcool, etc..) Tableau 2 : principales causes des neuropathies liées au cancer Neuropathies périphériques au cours des cancers : Métastatiques Compression ou infiltration des nerfs crâniens, des nerfs périphériques et des plexus Méningites carcinomateuses Métastases hématogènes Non métastatiques Syndromes paranéoplasiques Complications iatrogènes (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) Désordres métaboliques et/ou carentiels Complications vasculaires Lorsqu’une tumeur solide entraîne une NP, un mécanisme de compression chronique du nerf est le plus souvent en cause plus rarement une infiltration des nerfs par extension de cancers locaux. Cette compression induit alors en fonction de la localisation, des névralgies, des plexopathies ou des radiculopathies. Les plexopathies les plus fréquentes sont brachiales et lombosacrées. La douleur est la manifestation inaugurale dans plus de 75 % des cas. Sa description est souvent imprécise, impossible à décrire en termes de territoire nerveux. Elle siège habituellement dans l’épaule ou dans l’aisselle irradiant dans le cou et la face interne du bras pour le plexus brachial. Typiquement, elle est unilatérale et de siège proximal dans la région lombaire, le pelvis, la hanche ou la fesse. Elle s’aggrave en position allongée et est partiellement soulagée par la flexion de la cuisse dans le plexus lombosacré. Les méningites carcinomateuses (MC) sont dues au développement multifocal ou diffus de cellules métastatiques dans les espaces sous-arachnoïdiens. L’atteinte du SNP est due à une infiltration, à une compression des racines ou à une sécrétion de facteurs neurotoxiques par les cellules tumorales, elle s’associe souvent à des signes centraux. Les cancers les plus souvent incriminés sont : les mélanomes, les cancers du sein et du poumon, les leucémies et les lymphomes. Le terme de syndrome neurologique paranéoplasique désigne un ensemble de troubles neurologiques associés à un cancer et dont la cause est inconnue. Ils sont rares et préférentiellement associés au cancer du poumon (52 % des cas). 3.3. Les douleurs d’origines viscérales L’infiltration viscérale est la deuxième source de douleur chez le cancéreux. Ces syndromes sont souvent provoqués par des tumeurs situées sur les cavités thoraciques, abdominales ou pelviennes. Ils peuvent entraîner des douleurs oesophagiennes, des gastralgies, des hépatalgies. L’augmentation de la taille du foie entraînerait une douleur du fait de la distension de la capsule de Glisson. Il s’agit d’une douleur sourde et profonde localisée dans l’hypochondre

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droit et dans le flanc, qui se projette, du même coté, vers l’omoplate, l’épaule et le cou. Un saignement ou une chimio-embolisation à visée thérapeutique peuvent engendrer des exacerbations aiguës. La douleur d’origine viscérale peut être provoquée par l’infiltration directe des nerfs pancréatiques afférents, l’obstruction des voies pancréatiques responsables d’une pancréatite, une occlusion biliaire ou une infiltration duodénale susceptible de réaliser une occlusion intestinale complète ou partielle. Les douleurs du pancréas sont décrites par 67 % des patients comme des douleurs diffuses de l’abdomen. L’alimentation exacerbe en général cette douleur qui peut aussi irradier vers le dos. L’occlusion intestinale est l’évolution souvent terminale de nombreuses tumeurs, surtout les cancers abdominaux et pelviens. Elle peut se voir jusque dans 25 % des cancers de l’ovaire et dans 15 à 20 % des tumeurs colorectales. La douleur ressemble souvent à une colique, mais peut aussi être constante du fait de la distension de l’intestin ou présenter un aspect sourd et continu lorsqu’elle est associée à une carcinose péritonéale. 4- SYNDROMES DOULOUREUX LIES AUX TRAITEMENTS DU CANCER Quelle que soit la proposition thérapeutique, il existe toujours un risque de voir se développer des douleurs induites, iatrogènes (dans 19 à 25 % des cas) indépendamment de l’évolution de la maladie cancéreuse elle-même. Aux Etats-Unis le nombre de survivants du cancer a été multiplié par 3 sur les trente dernières années, concernant près de 10 millions de personnes. Prolonger la durée de vie sans tenir compte de la qualité de celle-ci serait actuellement une aberration. Il est donc indispensable de prendre en charge précocement les douleurs puisque l’on sait que l’un des facteurs de chronicisation de la douleur est l’intensité et la durée du syndrome douloureux initial. Les douleurs induites par les traitements qui visent à guérir le patient peuvent être source de douleurs qui risquent de durer toute la vie restante du patient. Elles vont alors amputer sa qualité, limitant ses possibilités de réinsertion sociale et professionnelle. Bien les connaître pour pouvoir les identifier tôt afin de les prévenir ou tout au moins les prendre en charge précocement est donc une nécessité. Les principales douleurs induites sont liées au traitement chirurgical, chimiothérapique ou radiothérapique.

4.1. Les neuropathies post-chimiothérapiques Les NP sont une complication fréquente de la chimiothérapie, avec une prévalence estimée entre 4 et 76 %. L’association concomitante de plusieurs agents neurotoxiques, ou la réalisation dans le même temps de radiothérapie va augmenter le taux de prévalence. La préexistence de lésions nerveuses dues à un diabète, un alcoolisme ou un syndrome paranéoplasique peut aussi favoriser la survenue d’une NP. Principaux agents chimiothérapiques susceptibles de se compliquer de neuropathies périphériques.

Agents incidence Présentation Alcaloïdes Vincristine Vinblastine Vindésine Paclitaxel Docétaxel Podophyllotoxine VM-26 et VP-16

** * * * *

PNSM dysautonomie

PNSM PNSM PNS PNS

PNSM Antimétabolites Ara-C 5-azacytidine

* *

PNSM PNM

Alkylant Cisplatine

** **

PNS

Surdité

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Procarbazine hexaméthylmélanine

* * * *

Dysautonomie Neuropathie optique

PNSM PNS

Autres agents Suramine Nitromidazole Interféron Interleukine-2 cyclosporine

** ** * * *

PRN PNS

PNSM Plexopathie brachiale

PRN Incidence : * rare ; ** fréquent PNSM : polyneuropathie sensitivomotrice ; PNS : polyneuropathie sensitive ; PNM : polyneuropathie motrice ; PRN : polyradiculonévrite. Ces neuropathies sont sensorielles (et parfois motrices), doses dépendantes ce qui limite donc la poursuite de ce type de thérapeutique. Elles sont symétriques, siègent essentiellement au niveau des pieds et des mains. Elles entraînent des brûlures intenses, des paresthésies dans 50 % des cas. A l’examen clinique, on retrouve fréquemment une allodynie ou une hyperesthésie (sensibilité exagérée à une stimulation). Classiquement, on oppose les formes aiguës qui sont réversibles en quelques jours (Vinca-alcaloïdes, Oxalyplatine ) aux formes cumulées non réversibles qui sont les plus fréquentes dans l’atteinte neuropathique périphérique (Cisplatine, taxanes). Dès l’apparition des premiers signes d’atteinte neurologique il faudra discuter de l’espacement des chimiothérapies, de la diminution des posologies voire de l’arrêt définitif de la molécule incriminée. 4.2. Les complications de la radiothérapie Les effets toxiques de la radiothérapie sont divisés en précoces et tardifs. Les effets aigus ou précoces incluent : les nausées, les réactions cutanées, la diarrhée et la neutropénie. Les effets tardifs incluant la fibrose post-radique, les dommages nerveux et les cancers secondaires apparaissent longtemps après la radiothérapie. Les symptômes peuvent apparaître entre 6 mois et 20 ans après la fin des rayons, avec une majorité de patients qui présentent des douleurs à 3 ans. Une atteinte précoce du plexus brachial survient en moyenne 4 mois après la radiothérapie des régions sus claviculaires, infraclaviculaires ou axillaires, le plus souvent pour un cancer du sein, des poumons, ou une maladie de Hodgkin. Elle se manifeste par des paresthésies, associées parfois à des douleurs et à un déficit moteur de distribution de C6 à D1. L’évolution est en général favorable et spontanée en quelques mois. Les atteintes tardives des plexus brachiaux apparaissent pour une dose totale supérieure à 60 gray et un fractionnement supérieur à 2 Gy. La plexopathie brachiale se manifeste en moyenne 40 mois après le traitement par des paresthésies, une hypoesthésie et un déficit moteur, souvent associé à un lymphoedème et à une induration palpable dans la fosse supraclaviculaire. L’évolution se fait vers une stabilisation ou une aggravation. Le diagnostic différentiel est celui d’une infiltration tumorale. La plexopathie lombosacrée complique l’irradiation des cancers de l’utérus, des ovaires, des testicules, du rectum ou des lymphomes. Elle est moins fréquente que la plexopathie brachiale. Précoce, elle se manifeste par des paresthésies transitoires des membres inférieurs. Tardive, elle se traduit par une perte progressive de la force musculaire d’un ou des deux membres inférieurs, non douloureuse associée à un déficit sensitif au second plan. Conséquences délétères de la radiothérapie

Lésion élective des fibres MYELINISEES Syndromes associés dus à l ’irradiation

• Douleur neuropathiques • Hypoesthésie / Anesthésie • Allodynie

• Lymphoedème • Algodystrophie • Ostéoporose

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• Troubles moteurs distaux tardifs • Radionécrose Toute modification dans l’évolution et/ou la tonalité de ces douleurs, doit faire envisager la possibilité de rechute. Il faut donc envisager la possibilité d’une récidive tumorale, de métastases ou de tumeurs des gaines (tumeurs neurogéniques radio induites) qui se caractérisent par des douleurs à type de brûlure radiculaire et qui peuvent survenir jusqu’à 40 ans après l’irradiation. 4.3. Les douleurs post-chirurgicales N’importe quelle chirurgie peut entraîner des douleurs chroniques. Les facteurs favorisant la survenue de douleurs chroniques sont : l’intensité de la douleur en préopératoire, le nombre de chirurgie, la fragilité psychologique, les lésions nerveuses et l’association précoce à de la chimiothérapie ou de la radiothérapie. Incidence des douleurs chroniques post-chirurgicales Type de chirurgie Incidence de douleur chronique Amputation de la jambe Thoracotomie mastectomie

30-80 % 22-70 % 26-65 %

Il s’agit de douleurs consécutives à la chirurgie du cancer, elles sont dues à des lésions nerveuses. On peut aussi retrouver des douleurs fantômes après amputation d’un sein ou d’un membre. L’explication la plus communément admise du syndrome douloureux post-mastectomie (SDPM) est une atteinte du deuxième nerf intercostobrachial lors de la chirurgie mammaire avec curage axillaire. Cela se traduit par une hypoesthésie de la base de l’aisselle et de la partie supérieure de la face interne du bras. Une paralysie du nerf grand dentelé s’observe dans 5 à 10 % des cas après mastectomie radicale. Les douleurs post-thoracotomies apparaissent au décours de l’intervention et se manifestent par des dysesthésies de type brûlure le long de la cicatrice opératoire. 5- LES TRAITEMENTS ANTICANCEREUX DANS LA PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR Les traitements spécifiques visent à détruirent les cellules tumorales et à réduire la cause des douleurs directement dues au cancer. Dans une étude portant sur 1423 malades cancéreux présentant des douleurs depuis plus de deux semaines, une réponse partielle ou totale des douleurs par des traitements spécifiques a été rapportée pour 75 % d’entre eux. Le choix d’une technique et l’intérêt de sa réalisation dans l’évolution de la maladie se décident lors des réunions pluridisciplinaires de concertation. 5.1. La chirurgie oncologique La chirurgie dans le but de soulager le patient va concerner essentiellement : - la chirurgie d’exérèse tumorale lors de douleurs par tumeur primitive, en particulier les sarcomes osseux et des parties molles : par métastases cutanées ou ganglionnaires compressives et/ou surinfectées ; par tumeur primitive ou métastases cérébrales ; par métastases hépatiques accessibles à une hépatectomie partielle, - la chirurgie de consolidation osseuse lors de douleurs par métastases vertébrales et des os longs, - la chirurgie de dérivation des organes creux lors de douleurs d’un organe creux par irritation au siège de la tumeur ou par sténose. 5.2. Oncologie radiothérapique

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On dispose actuellement de plusieurs méthodes d’irradiation à visée antalgique : - la radiothérapie externe (RTE) ou transcutanée où la source d’irradiation est à l’extérieur du

patient. Elle bloque l’évolution tumorale dans le secteur irradié, elle agit sur les infiltrations inflammatoires des métastases compressives ou algogènes. Le mécanisme antalgique est mal élucidé mais l’efficacité de ce traitement se traduit par une diminution de la douleur de 60 à 90 %. La réponse peut apparaître dès la 48ème heure et pour des doses de 4 Gy. En cas de localisations multiples ou étendues, on a recours à l’irradiation hemicorporelle avec 73 à 83 % de réponse avec une seule fraction de 6 Gy. Mais la toxicité est fréquente (60 %) entraînant nausées, vomissements, diarrhées, pneumopathies et dans 10 % des cas une myelosuppression significative.

- la radiothérapie métabolique (RTM) repose sur l’utilisation d’un vecteur qui transporte des radio isotopes émetteurs de rayonnements bêta avec une spécificité de reconnaissance pour une cible tumorale spécifique. Les métastases sont irradiées à partir des zones d’ostéocondensation où se sont fixés les radiopharmaceutiques ostéotropes. La fixation scintigraphique est donc un élément prédictif de la distribution osseuse de ces médicaments de même que l’aspect condensant à la radiographie. Actuellement sont utilisés en France : le chlorure de 89Sr (Métastron®) pour les métastases osseuses algiques des cancers de la prostate et le ethylenediaminetetramethylenephosphonate 153Sm (Samarium®) dont l’indication est étendue aux métastases des cancers du sein. Ce type de traitement administré de manière précoce pourrait retarder l’apparition de nouveaux sites douloureux. L’effet antalgique est de 65 à 75 % avec 20 % environ de réponse antalgique complète, le délai de réponse varie de 1 semaine (153Sm) à 3-4 semaines (89Sr) avec une durée de réponse variable de 4 à 6 mois. Une recrudescence transitoire des douleurs (10 à 20 %) est classiquement décrite (pain flair up) dans des délais variables selon le médicament (48 h pour le 153Sm et 7 jours pour le 89Sr).

5.3. Oncologie médicale : les traitements médicaux spécifiques

Les trois principales armes thérapeutiques utilisées par les oncologues sont actuellement la chimiothérapie anticancéreuse, l’hormonothérapie et l’immunothérapie. L’action antalgique intrinsèque indépendante de l’action antitumorale de certains traitements médicaux spécifiques est une possibilité difficile à démontrer. Tout effet antalgique semble lié à une réduction tumorale visible ou microscopique. La réapparition de douleurs initialement dues au cancer sous un traitement spécifique annonce toujours un échappement tumoral plus ou moins rapide. Il est donc impératif de toujours maintenir un traitement antalgique adapté en attendant l’effet bénéfique potentiel d’un traitement spécifique qui détruira totalement ou partiellement la tumeur. 6- STRATEGIES THERAPEUTIQUES GENERALES 6.1. Principes généraux La majorité des douleurs d’origine cancéreuse est soulagée par les traitements médicaux (80 à 90 % des cas). La base de l’utilisation des médicaments antalgiques a été éditée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS ou WHO) en 1996 et fait toujours référence aujourd’hui. L’efficacité de la prise en charge de la douleur selon l’OMS est dû essentiellement à l’utilisation des antalgiques en fonction de l’intensité de la douleur avec une introduction rapide de la morphine selon l’évaluation du symptôme et non plus en fonction de l’évolution de la maladie. Cette approche est bien sûr à moduler en fonction de la physiopathologie de la douleur puisque l’on sait que les douleurs neuropathiques répondent mal aux opioïdes. Les trois paliers de l’OMS sont donc adaptés aux douleurs nociceptives. Cinq principes essentiels sont à connaître et à appliquer. Ils ont été rédigés sous forme de Standards, Options et Recommandations en 2002, et font actuellement référence:

- prescription par voie orale - prescription à intervalle régulier - prescription en respectant l’échelle à trois niveaux de l’OMS - prescription personnalisée

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- prescription avec un constant souci du détail La prescription doit être écrite et expliquée, anticiper les accès douloureux spontanés ou provoqués et les effets indésirables et être réévaluée régulièrement. Le délai d’évaluation et de changement de niveau doit être adapté à la durée d’action de l’antalgique et à l’intensité de la douleur. Il ne faut pas utiliser simultanément deux produits de la même classe pharmacologique ayant la même cinétique. L’utilisation de coantalgiques doit être envisagée à chaque niveau. L’introduction de la morphine se fera selon les modalités citées dans le chapitre précédent. Toute prescription de morphine à libération prolongée (LP) doit s’accompagner de la prescription de morphine à libération immédiate (LI) afin de notamment prévenir les accès douloureux paroxystiques. La dose de la morphine LI dépend de la dose de la morphine LP, elle se situe entre 1/10ème à 1/6ème de la dose des 24 heures. 6.2. Les coantalgiques Ce sont des médicaments ou des techniques utilisés en association avec les traitements antalgiques afin d’en potentialiser l’efficacité. Les corticoïdes : ils sont utilisés comme antalgiques en raison de leur action anti-oedémateuse, mais aussi pour leurs effets sur d’autres symptômes comme la cachexie ou l’anorexie. Indication des corticoïdes chez le patient cancéreux Compression médullaire Hypertension intracranienne Plexopathie et douleur neuropathique par compression ou infiltration tumorale Lymphoedème Douleur en rapport avec un effet de masse de la tumeur (foie, ORL, médiastin, pelvis) Métastases osseuses Syndrome cave supérieur Les biphosphonates : ils sont utilisés dans les douleurs osseuses avec ou sans hypercalcémie. Leur action antalgique est liée à leur effet anti-ostéoclastique. Les anxiolytiques : les benzodiazépines, lorsque un syndrome anxieux est authentifié chez un patient doivent être introduites de façon prudente. Elles risquent d’induire ou de majorer la survenue d’effets secondaires indésirables (somnolence). Il est donc recommandé de mettre en place dans un premier temps un traitement antalgique adéquat (la douleur étant génératrice d’anxiété) et seulement ensuite de traiter l’anxiété si elle persiste (anxiolytique, mais aussi relaxation, psychothérapie de soutien …). Les antidépresseurs : le malade cancéreux a de multiples raisons d’être déprimé (douleur, handicap, approche de la mort …). Un avis spécialisé s’avère souvent utile. Les techniques coantalgiques : elles font appel à la kinésithérapie respiratoire lors de lésion tumorale costale, aux contentions et orthèses d’immobilisation lors de lésions tumorales douloureuses à la mobilisation etc…

6.3. La rotation des opioïdes La rotation des opioïdes se définit par le changement d’un opioïde par un autre et se pratique en cas de diminution du ratio bénéfice/risque. Son indication principale est la survenue d’effets indésirables rebelles (troubles des fonctions cognitives, hallucinations, myoclonies et nausées) malgré un traitement symptomatique adéquat. L’autre indication, exceptionnelle, est la survenue d’un phénomène de résistance aux opioïdes, définit par une absence d’antalgie mais aussi d’effets secondaires malgré une augmentation massive et rapide des doses (Tableau 3)

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La rotation des opioïdes est purement empirique en raison de la connaissance imparfaite des mécanismes physiopathologiques des douleurs cancéreuses et du mode d’action intime des opioïdes. Trois hypothèses justifient le recours à cette pratique :

- des mécanismes d’action différents selon les opioïdes : les différents opioïdes interagissent différemment sur les principaux récepteurs mu, delta et kappa. Ceci pourrait s’expliquer par une action sur des sous-types de récepteurs différents (mu 1 ou mu 2). Il est donc envisageable qu’en fonction du type de douleur et du contexte un opioïde soit plus pertinent qu’un autre,

- un métabolisme différent selon les opioïdes : les opioïdes n’ont pas les mêmes voies de biotransformation et les différents métabolites pourraient avoir un rôle non seulement dans les effets antalgiques mais aussi dans les effets indésirables. L’accumulation des métabolites en raison d’une insuffisante rénale ou hépatique favorise la survenue d’effets indésirables comme la somnolence, la confusion, les hallucinations, les nausées ou les vomissements.

- La tolérance croisée partielle entre opioïdes : la tolérance ou l’accoutumance se définit comme la nécessité d’augmenter les doses d’un opioïde donné pour obtenir le même effet. Le développement d’une tolérance vis-à-vis de l’effet antalgique des opioïdes reste limité mais peut conduire à une augmentation progressive des doses avec pour conséquence l’apparition ou l’aggravation de certains effets indésirables. Les mécanismes en cause dans le développement de cette tolérance sont complexes mais laissent envisager la possibilité soit d’une modification des récepteurs opioïdes soit de la mise en jeu de peptides « anti-opioïdes ».

Il est possible de réaliser une rotation des opioïdes entre tous les agonistes purs. En cas de survenue d’effets indésirables ou de tolérance à l’effet antalgique de la morphine, les données actuelles ne permettent pas de recommander un ordre de rotation ou un opioïde plutôt qu’un autre. La rotation doit tenir compte des doses équianalgésiques. Il est toujours conseillé de privilégier la sécurité à la rapidité d’action en prenant la valeur la plus faible des coefficients de conversion. Lors du passage morphine-hydromorphone ou morphine-oxycodone, la première prise d’hydromorphone ou d’oxycodone se situe à l’heure théorique de la prise suivante de morphine en remplacement de celle-ci à dose équianalgésique selon le tableau 3. Dans le sens inverse la morphine sera débutée douze heures après la dernière prise d’hydromorphone ou d’oxycodone. La rotation avec le fentanyl transdermique est plus délicate. Dans le cas d’un passage morphine-fentanyl, l’application du patch de fentanyl se fera au moment théorique de la prise du traitement antalgique antérieur (12 heures après la dernière prise de morphine à libération prolongée) en prévoyant une couverture par de la morphine à libération immédiate. Dans le cas d’un passage fentanyl-morphine, il est préconisé d’attendre environ 12 heures après le retrait du patch pour la première administration de morphine LP et d’accroître la surveillance pendant les 24 heures.

6.4. Les voies alternatives d’administration de la morphine orale La voie orale est une des meilleures voies d’administration de la morphine et doit être privilégiée. Elle a cependant ses limites en particulier dans les cas suivants :

- le malade est mal soulagé malgré un traitement oral correct - le malade présente une symptomatologie digestive à type de :

o difficultés de déglutition : lésions des muqueuses buccales et oesophagiennes, fistules oesotrachéales, compression oesophagienne etc…

o anoréxie, polymédications orales o malabsorption digestive : fistule, grêle radique, diarrhées o sub-occlusion ou occlusion chronique : carcinose péritonéale, obstacle digestif o nausées ou vomissements non contrôlés après vérification d’absence de trouble

métabolique (natrémie, calcémie, créatininémie), absence d’œdème cérébral.

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o Trouble de la conscience gênant la prise de morphine par voie orale Lorsque la voie orale est inutilisable le recours à la voie transcutanée, intraveineuse ou sous cutanée est indiquée. Ces traitements sont choisis en fonction des caractéristiques des douleurs, notamment intensité et stabilité, des possibilités thérapeutiques et techniques et seulement après vérification des points suivants :

- L’indication de la morphine est bien posée - le mode d’emploi et les posologies ont été expliqués, compris et observés - les traitements préventifs et/ou correcteurs des effets indésirables ont été suivis - les coantalgiques adaptés ont été prescrits

La voie sous-cutanée Elle est utilisée de préférence par perfusion continue, à défaut les injections seront intermittentes toutes les 4 heures. Il existe des doutes sur sa fiabilité dans des situations où la résorption peut être altérée (malnutrition, oedèmes…). La dose sous cutanée des 24 heures est égale à la moitié de la dose orale en équivalent dose de morphine. La voie intraveineuse La voie veineuse est possible si le patient est porteur d’une chambre implantée sous la peau ou d’un cathéter veineux central. L’administration se fait par perfusion continue avec possibilité de bolus. La voie intraveineuse en injection directe est à proscrire si le patient n’a jamais reçu de morphine. La dose intraveineuse des 24 heures est égale à un tiers de la dose orale de morphine des 24 heures. L’antalgie auto-controlée (Patient Controlled Analgesia) La PCA est une technique qui permet au malade de s’auto-administrer à l’aide d’une pompe programmable des doses prédéterminées d’antalgie par voie parentérale, intraveineuse ou sous cutanée. Elle associe débit de base et bolus ou interdoses. La voie intraveineuse sera préférée dans les circonstances suivantes :

- voie déjà en place ou espérance de vie pouvant justifier la pose d’une voie veineuse centrale

- équipe entraînée au maniement des voies veineuses centrales - absence de risques infectieux importants - absence d’administration simultanée par la même voie de médicaments et/ou de nutrition

incompatibles avec la morphine. Si plusieurs médicaments sont perfusés en même temps par plusieurs tubulures, la morphine sera raccordée le plus près possible de l’abord sous cutané ou intra veineux. Elle est en général perfusée de façon continue avec la possibilité pour le patient de s’auto-administrer, selon l’intensité de ses douleurs des doses supplémentaires de morphine. La programmation de la pompe et le remplissage des réservoirs sont effectués par le médecin ou l’infirmière. La prescription médicale concerne les paramètres suivants :

- la quantité totale de morphine à mettre dans le réservoir et le volume du réservoir - la concentration de morphine en mg/ml - le débit de base de la perfusion morphinique en mg/h - la valeur des interdoses ou bolus en milligrammes et l’intervalle de temps minimal entre

deux interdoses en minutes (période réfractaire). Ces réglages peuvent être établis selon deux modalités :

o valeur égale au débit horaire et intervalle de 10 à 20 minutes o valeur égale à 10 % de la dose journalière et intervalle de 20 à 30 minutes

- selon les modèles de pompes pourront être précisés le nombre maximal de bolus par heure et/ou la dose limite autorisée par heure ou par 4 heures.

6.5. Méthodes relevant d’équipes spécialisées

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En cas d’échec des techniques antalgiques citées ci-dessus, on pourra envisager d’autres méthodes dont les indications sont rares et font appel à des équipes spécialisées, dotées du plateau technique adéquat. Il s’agit de la morphinothérapie par voie centrale (intrathécale, péridurale, intracérébroventriculaire), de l’utilisation d’antagonistes des récepteurs NMDA, d’anesthésiques locaux, de techniques neurochirurgicales ou radiointerventionnelle…. La voie intrathécale Un cathéter flottant dans le liquide céphalo-rachidien, introduit en général au niveau lombaire, est « tunnélisé » sous la peau et relié si possible à un réservoir sous-cutané. Une infusion continue peut-être réalisée par une pompe portable externe ou des injections régulières peuvent être faites dans la chambre implantée. Cette voie est préconisée dans les douleurs chroniques sous-diaphragmatiques. Elle procure une antalgie puissante. La voie péridurale Elle n’offre aucun intérêt par rapport à la voie intrathécale dans ces douleurs chroniques. La pose du cathéter est plus délicate, son efficacité est plus aléatoire et inférieure, il existe un risque d’arachnoïdite inflammatoire au long cours. La voie intracérébroventriculaire Un cathéter introduit par un trou de trépan, dans un des deux ventricules latéraux cérébraux est relié à un réservoir extériorisé. C’est une voie d’exception en cas de douleurs généralisées mais surtout de cancers ORL avancés. Les indications neurochirurgicales (chirurgie de section, blocs neurolytiques, neurostimulations) sont rares et nécessitent l’intervention de structures spécialisées. Certains blocs neurolytiques peuvent être indiqués de façon précoce : douleur sévère bien localisée, douleur du plexus coeliaque dans le cancer du pancréas. La destruction des métastases hépatiques par embolisation, alcoolisation ou l’utilisation de la radiofréquence, ainsi que la cimentoplastie dans les métastases osseuses sont d’autres méthodes antalgiques qui peuvent être envisagées dans certains cas.

Pour en savoir plus : « la chirurgie de la douleur » 1. Indications générales

a. Echec du traitement pharmacologique (et physique) b. Identification du mécanisme générateur (nociceptif, neuropathique) c. Résultat d’un essai (bloc anesthésique, test percutané,…)

2. –méthodes a. techniques d’interruption des voies anatomiques de la douleur :essentiellement à l’étage radiculo-

médullaire - la radicotomie postérieure sélective (ou drez-tomie)

section limitée des fibres nociceptives à la jonction radiculo-médullaire - la cordotomie cervicale percutanée

= interruption du faisceau spino-thalamique en C1-C2 - bloc neurolytique : alcoolisation du plexus coeliaque

indication : douleur des cancers sus-mésocoliques b. techniques conservatrices

=activent des mécanismes neurophysiologiques - la neurostimulation électrique médullaire chronique

= bloque l’hyperactivité des neurones nocicepteurs au niveau spinal indication : douleurs neuropathiques avec désafférentation partielle alternative : stimulation corticale quand la désafférentation est complète

- l’administration intrathécale chronique de morphine = action directe des opioïdes sur les récepteurs indication : douleurs nociceptives des cancers évolués méthode : implantation de pompes reliées à un cathéter péri-médullaire

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ANNEXES Tableau 1 : Syndromes douloureux liés à une atteinte tumorale directe

Infiltration tumorale des os et articulations • Syndrome de la base du crâne • Syndromes vertébraux • Douleurs osseuses diffuses

- provoquée par des métastases osseuses multiples - provoquée par une infiltration ou un envahissement tumoral de la moelle osseuse

• Douleur osseuse localisée Infiltration viscérale par une tumeur

• Douleur médiastin ale d’origine oesophagienne • Douleur d’une épaule liée à une infiltration diaphragmatique • Douleur épigastrique provoquée par une tumeur pancréatique ou de la partie supérieure de l’abdomen • Douleur du quadrant supérieur droit secondaire à une distension de la capsule hépatique • Douleur abdominale diffuse secondaire à une maladie abdominale ou péritonéale avec ou sans occlusion • Infiltration pleurale • Perforation digestive • Occlusion biliaire • Occlusion urétérale • douleur sus-pubienne due à une infiltration de la vessie • Douleur périnéale due à une infiltration du rectum ou du tissus péri rectal.

Infiltration tumorale des tissus mous et syndromes divers • Infiltration de la peau et des tissus sous-cutanés • Infiltration des muscles et fascia de la paroi thoracique ou abdominale • Infiltration des muscles et fascia des membres • Infiltration des muscles et fascia de la tête et du cou • Infiltration de muqueuses (orales, vaginales, rectales) • Infiltration ou distension du tissu rétro péritonéal

- syndrome rétropéritonéal médian rostral - syndrome rétropéritonéal latéral

Infiltration tumorale ou compression des tissus nerveux • Syndrome des nerfs périphériques • Radiculopathie

- provoquée par une lésion vertébrale - provoquée par une atteinte méningée

• Polyneuropathie douloureuse - paranéoplasique - autre (myélome)

•Plexopathie • Lésion des nerfs crâniens

- trijumeau - glosso-pharyngien

• Compression médullaire Céphalée liée à une tumeur

- lésion crânienne autre que les syndromes de la base du crâne - céphalée provoquée par une tumeur intracrânienne

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Tableau 3 : Conduite à tenir devant un patient ayant des douleurs cancéreuses, intolérant ou résistant à la morphine

Analgésie insuffisante Effets indésirables réévaluer la posologie envisager une mauvaise

observance au traitement traiter efficacement les pics

douloureux rechercher l’existence de

douleur neuropathiques traiter l’anxiété et/ou la

dépression associée évaluer la possibilité d’une

action antalgique spécifique (chimiothérapie, radiothérapie,…)

traitement symptomatique

adapté éliminer le rôle d’un autre

médicament rechercher une interaction

médicamenteuse éliminer un trouble métabolique

et hypercholestérolémie (déshydratation, anémie, hypercalcémie…)

éliminer une infection rechercher des métastases

cérébrales

Bilan négatif

Bilan négatif

Rotation d’opioïde

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Tableau 4 : table de conversion des morphiniques

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CHAPITRE IV

TRAITEMENT DES DOULEURS PAR EXCÈS DE NOCICEPTION : LES ANTALGIQUES NON OPIOIDES ET LES ANTALGIQUES

OPIOIDERGIQUES

Bernard Chamontin et Nathalie Cantagrel

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CHAPITRE V STRATEGIE DE PRISE EN CHARGE DES DOULEURS D’ORIGINE CANCEREUSE

Nathalie Cantagrel, Jean-Christophe Sol

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CHAPITRE 6

LES DOULEURS NEUROPATHIQUES SEMIOLOGIE ET STRATEGIE D’EVALUATION

Pascal Cintas et Nathalie Cantagrel

Plan du Chapitre pages DEFINITION 93 1. Rappel physiopathologique des douleurs neuropathiques 94

1.1. Mécanismes périphériques 1.2. Mécanismes centraux

2. Diagnostic d’une douleur neuropathique 95

2.1. Interrogatoire 2.2. Examen clinique 96 2.3. Outils d’aide au diagnostic 2.4. Examens complémentaires 97

3. Evaluation de la douleur neuropathique 98

3.1. Evaluation non spécifique 3.2. Evaluation spécifique

4. Douleurs neurogènes périphériques 99

4.1. Polyneuropathies douloureuses 100 4.2. Neuropathies focales ou multifocales 4.3. Compressions radiculaires 101 4.4. Ganglionopathies

5. Douleurs centrales

5.1. Médullaires 5.2. Tronc cérébral 102 5.3. Encéphale

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DEFINITION La douleur neuropathique est définie comme une douleur secondaire à une lésion ou une maladie affectant le système somato-sensoriel. Près de 7% de la population souffre de douleurs chroniques avec les caractéristiques d’une douleur neuropathique soit un quart des patients douloureux chroniques. Elle diffère de la douleur nociceptive par les mécanismes, la distribution, les symptômes et le traitement.

Elle est de deux types :

• La douleur neuropathique périphérique : selon son origine, elle peut concerner les

territoires d’un plexus (brachial…), d’une racine (L4, L5, …), d’un tronc (nerf cubital, sciatique poplité externe …) ou être plus diffuse dans le cadre de polyneuropathies. De façon très schématique, son mécanisme fait appel à une suppression des phénomènes inhibiteurs et/ou à la survenue de décharges ectopiques sur les fibres nociceptives.

• La douleur neuropathique centrale : il s’agit de lésions affectant les voies sensitives ou du contrôle de la douleur. Leur systématisation est donc caractéristique du niveau d’atteinte : thalamus, moelle …

Tableau 1 : comparaison des différentes caractéristiques des douleurs chroniques neuropathiques et par excès de nociception.

TYPE DE DOULEUR DOULEUR PART EXCES DE NOCICEPTION

DOULEUR NEUROPATHIQUE

Prévalence dans la population générale

25% 7%

Physiopathologie Stimulation des nocicepteurs Lésion ou maladie nerveuse périphérique ou centrale

Sémiologie Rythme mécanique ou inflammatoire

Composante continue ou paroxystique Composante spontanée ou évoquée Dysesthésies

Topographie Sans systématisation neurologique

Avec systématisation neurologique

Examen clinique Examen neurologique normal ; on peut souvent trouver une manoeuvre reproduisant la douleur

Signes d’hyposensibilité (hypoesthésie, anesthésie) Signes d’hypersensibilité (allodynie, hyperalgésie)

Traitement Médicaments antalgiques : paracétamol, acide acétyl salicylique et anti-inflammatoires non stéroïdiens, opioïdes

Médicaments spécifiques appartenant à la classe des antidépresseurs et des antiépileptiques

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I - RAPPEL PHYSIOPATHOLOGIQUE DES DOULEURS NEUROPATHIQUES

Les douleurs neuropathiques présentent la particularité de répondre peu ou pas aux antalgiques usuels. Les mécanismes physiopathologiques impliqués sont donc différents des douleurs nociceptives. Les divers travaux expérimentaux ont permis de préciser les mécanismes impliqués. Malgré la présence initiale d’une lésion périphérique (traumatisme, névrome…) il est actuellement admis qu’il existe assez rapidement des modifications importantes à la fois périphériques mais aussi centrales, en particulier au niveau de la corne dorsale de la moelle à l’origine des phénomènes douloureux.

1.1. Les mécanismes périphériques 1.1.1. Présence d’activités électriques ectopiques : Les douleurs spontanées (continues et/ou paroxystiques) pourraient être en partie liées à l’apparition d’activités électriques anormales dans les fibres de petit calibres qui véhiculent la douleur. Ces décharges ectopiques peuvent naître du tronc nerveux, des corps cellulaires situés dans le ganglion sensitif ou au niveau de plaque de démyélinisation sur les axones des fibres de gros diamètre. Elles sont en grande partie liées à des modifications de l’expression et de la répartition des canaux sodiques.

1.1.2. Sensibilisation des récepteurs nociceptifs : elle est caractérisée par une diminution du seuil d’activation de ces récepteurs, une augmentation de leurs réponses aux stimulations supraliminaires, ainsi que l’apparition d’une activité spontanée. Cette sensibilisation serait en grande partie liée à des phénomènes d’inflammation neurogène à l’origine d’une libération locale de cytokines et de neuropeptides tels que la sérotonine.

1.1.3. Présence de connexions anormales entre les fibres = éphapses : il s’agit

de véritables « court-circuits » entre des fibres de petit calibre par des fibres de gros calibre. Ainsi, une stimulation tactile non nociceptive peut être à l’origine d’une activation des fibres nociceptives.

1.2. Les mécanismes centraux

1.2.1. Sensibilisation centrale. Il s’agit de mécanismes conduisant à la présence d’une hyperexcitabilité des neurones nocicepteurs médullaires. Cette hyperexcitabilité se caractérise par la présence de décharges spontanées et d’une augmentation de leurs réponses aux stimulations. L’activation des fibres Aδ et C va être à l’origine d’une libération massive d’acides aminés excitateurs tel que le glutamate au niveau des cordons postérieurs de la moelle. Cette libération de glutamate entraîne, par sa liaison sur les récepteurs NMDA, une dépolarisation des neurones nociceptifs et une entrée massive de calcium intracellulaire. Ces modifications vont être à l’origine d’un état d’hyperexcitabilité de longue durée des neurones nocicepteurs centraux.

1.2.2. Altération des systèmes de modulation. Plusieurs systèmes de régulation de la douleur existent au niveau spinal (inhibition segmentaire telle que la théorie du « contrôle de porte ») ainsi qu’au niveau cérébral (contrôle descendant). Dans les douleurs neuropathiques, un défaut d’inhibition segmentaire médullaire normalement exercé par les fibres de gros calibre sur l’activité des fibres impliquées dans la nociception (Aδ et c) a été observée. Plusieurs éléments plaident en faveur d’une diminution du contrôle cérébral descendant.

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1.2.3. Les modifications histologiques. Il existe en effet des modifications des

terminaisons des efférences au niveau des cordons postérieurs rendant compte de la chronicisation des troubles et des délais nécessaires pour l’obtention d’une efficacité thérapeutique. Ainsi, les terminaisons des fibres de gros calibres normalement situées au niveau des couches profondes de la corne postérieure émettent des ramifications vers les couches superficielles à l’origine de contacts synaptiques avec les fibres C. Ces synapses rendent comptent en partie des phénomènes d’allodynie.

II - DIAGNOSTIC D’UNE DOULEUR NEUROPATHIQUE 2.1. Interrogatoire 2.1.1. Le contexte On recherche un contexte évoquant une lésion du système nerveux. La lésion peut être connue (intervention chirurgicale, hernie discale, traumatisme, etc ) ou le patient porteur d’une pathologie connue pour affecter le système nerveux (diabète, alcoolisme, infection HIV,..). Il existe parfois un intervalle libre entre la lésion initiale et l’apparition de la douleur qui peut être de quelques jours à plusieurs mois voire plusieurs années. Le contexte peut être parfois trompeur, une analyse de la sémiologie douloureuse est donc indispensable.

2.1.2. Sémiologie de la douleur neuropathique

La sémiologie de la douleur neuropathique repose sur quatre caractéristiques de la douleur qui sont la composante continue, paroxystique, spontanée et provoquée. La stimulation peut être provoquée par un stimulus habituellement perçu comme non douloureux :il s’agit d’une allodynie mécanique. Quand une douleur exagérée est provoquée par une stimulation perçue habituellement comme douloureuse, on utilise le terme d’hyperalgésie. Le patient peut aussi décrire des sensations étranges, bizarres non ressenties comme douloureuses: fourmillements, engourdissements, picotements, démangeaisons. Lorsqu’elles sont ressenties comme désagréables on parle de dysesthésies, sinon on parle de paresthésies. Tableau 2 : Définitions de l’Association internationale pour l’étude de la douleur (d’après Merskey et Bogduk, 1994)

Allodynie Douleur provoquée par un stimulus qui normalement ne produit pas de douleur

Analgésie Absence de douleur en réponse à une stimulation normalement douloureuse

Anesthésie douloureuse Douleur dans une aire ou une région anesthésiée Douleur centrale Douleur initiée ou causée par une lésion ou un

dysfonctionnement du système nerveux central Dysesthésie Sensation anormale et désagréable qui peut être

spontanée ou provoquée Hyperalgésie Réponse exagérée à une stimulation qui normalement

est douloureuse Hyperesthésie Sensibilité exagérée à une stimulation, à l’exception des

systèmes sensoriels spécifiques Hyperpathie Réponse retardée, souvent explosive, à un stimulus

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plus souvent répétitif et dont le seuil est augmenté Hypoalgésie Diminution de la douleur évoquée par un stimulus

normalement douloureux Hypoesthésie Diminution de la sensibilité à une stimulation, exception

faite des systèmes sensoriels spécifiques Paresthésie Sensation anormale qui peut être spontanée ou

évoquée

2.2. L’examen clinique

2.2.1. Topographie L’examen neurologique dans un but diagnostic doit s’attacher à retrouver les signes évocateurs d’une atteinte dans un territoire neuro-anatomique compatible avec une atteinte du système nerveux. La systématisation de l’atteinte permet de discerner une topographie tronculaire, radiculaire, médullaire, corticale. Toutefois la topographie peut être trompeuse, et non parfaitement superposable au territoire nerveux concerné par la lésion. 2.2.2. Signes négatifs Les signes négatifs dépendent de la lésion du système nerveux et se caractériseront par un déficit du système sensoriel et sensitif. Si la lésion nerveuse touche les grosses fibres myélinisées, on peut observer un déficit moteur ou un déficit de la sensibilité tactile grossière. La recherche du déficit moteur doit être associée à la recherche des réflexes et d’éventuelles réponses motrices anormales (spasticité, hypertonie pyramidale…) qui peuvent avoir un effet aggravant sur la douleur en particulier dans les douleurs centrales. Ce sont souvent les fibres plus fines, non myélinisées plus vulnérables qui sont principalement lésées. Le déficit sensitif le plus souvent constaté concerne alors la sensibilité thermoalgique (piqûre, chaud, froid).

2.2.3. Signes positifs

L’atteinte du système nerveux peut aussi se manifester par des signes positifs représentés par l’allodynie au frottement (allodynie mécanique dynamique) et l’allodynie thermique au chaud et au froid.

2.2.4. Troubles vasomoteurs, sudoraux et trophiques Les troubles vasomoteurs correspondent à la réponse « sympathique ». La région douloureuse peut être érythémateuse, oedématiée, chaude ou froide, avec éventuellement hypersudation, ces troubles trophiques réalisant le tableau clinique décrit dans la causalgie (syndrome douloureux régional complexe SDRC de type II). 2.3. Outils d’aide au diagnostic Plusieurs outils de dépistage basés sur des descripteurs de la douleur ont été développés et validés. Tous ces questionnaires reposent sur des descripteurs verbaux et pour certains de ces outils d’un examen clinique sommaire. L’outil diagnostic DN4 (douleur neuropathique en 4 questions) a été validé en français.

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2.4. Examens complémentaires

Le diagnostic de douleur neuropathique est clinique, aucun examen complémentaire n’est nécessaire pour le diagnostic de douleur neuropathique. En revanche, les examens complémentaires peuvent être utiles pour confirmer le diagnostic lésionnel.

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2.4.1. L’électromyogramme

Il permet l’évaluation des grosses fibres A alpha et A beta. Il ne donne aucune information sur celle des fibres de la douleur A delta et C. Il est par contre utile pour préciser certaines étiologies et les sites lésionnels : neuropathies diffuses, atteintes radiculaires, atteinte plexique.

2.4.2. Les potentiels évoqués somesthésiques Ils permettent d’étudier les grosses fibres et la voie lemniscale, à partir de la stimulation des tronc nerveux (sciatique, médian, cubital…) ou de quelques dermatomes. Ils sont utiles en pratique soit pour discriminer une lésion proximale (entre le ganglion rachidien et la moelle) ou distale (plexus) dans les arrachements du plexus brachial, soit pour vérifier l’intégrité fonctionnelle des cordons postérieurs. III. EVALUATION DE LA DOULEUR NEUROPATHIQUE

3.1. Evaluation non spécifique de la douleur neuropathique Il s’agit de l ‘évaluation générale des douleurs qu’elles soient neuropathiques ou non. Cette évaluation doit donc comprendre l’évaluation de l’intensité de la douleur (EV, EN, EVS). Il n’y a pas de lien direct entre la valeur obtenue sur une échelle et le type de traitement antalgique nécessaire. Les scores obtenus ont une valeur descriptive pour un individu donné et permettent un suivi. Elle doit être complétée par une évaluation des aspects sensoriels et affectifs de la douleur, une évaluation du retentissement de la douleur sur la qualité du sommeil, sur les capacités physiques et relationnelles. Les perturbations comportementales et émotionnelles ne sont pas proportionnelles au déficit objectif et à l’intensité globale de douleur. Il ne faut pas oublier l’évaluation de l’anxiété et de la dépression. En effet, la thymie, l’anxiété et le stress sont des facteurs possibles d’amplification ou d’entretien de ce type de douleur. La dépression aggrave la douleur alors que les situations de détente la soulagent. De même des facteurs cognitifs d’anticipation ou de mémoire douloureuse sont à connaître en particulier dès que l’on a affaire à des douleurs neuropathiques centrales ou des douleurs fantômes qui reproduisent parfois la douleur de l’accident initial. La composante anxieuse et dépressive est habituelle dans ces douleurs chroniques à faible sensibilité thérapeutique. Faire comprendre au patient l’impact aggravant de ces facteurs permet d’introduire les prises en charge cognitivo-comportementales très utiles (relaxation, analyse des situations cognitives et émotionnelles aggravantes et bénéfiques).

3.2. Evaluation spécifique de la douleur neuropathique Il existe des questionnaires qui permettent une évaluation spécifique de la douleur neuropathique par rapport à une évaluation globale. Ils permettent notamment une évaluation séparée des divers symptômes de la douleur neuropathique comme la brûlure, les décharges électriques, l’allodynie au frottement. A ce jour seul le Neuropathic Pain Symptom Inventory (NPSI) a fait l’objet d’une validation extensive dans les douleurs neuropathiques. Les différents éléments de l’évaluation clinique d’une douleur neuropathique sont les suivants : - Examen topographique : localisation et étendue de la douleur, élaboration de

cartographie avec claques ou photos. - Evaluation d’un déficit : la force musculaire sera évaluée à l’aide d’un testing

musculaire, le déficit sensitif sera évalué en fonction des différentes voies de la sensibilité (Tableau 3).

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- Evaluation des douleurs provoquées : on recherchera une allodynie et une hyperalgésie (Tableau 4).

- Evaluation quantifiée : des explorations plus complètes et précises peuvent être utilisées pour explorer cliniquement une douleur neuropathique (Tableau 5).

Tableau 3 : Evaluation du déficit sensitif à l’examen clinique (adapté de Hanpää et col 2007)

Signes déficitaires Examen clinique Type de fibre nerveuse Toucher Pression du doigt A béta Vibration Diapason (128 Hz) A béta Piqûre Aiguille, bout de trombone A delta Froid Objet froid (20°) A delta chaud Objet chaud (40°) C

Tableau 4 : Evaluation d’une allodynie

Douleur évoquée Examen clinique allodynie au frottement Frottement avec une brosse, un pinceau Allodynie à la pression Pression large au doigt Allodynie au chaud au froid Objet froid 20°

Objet chaud 40° Hyperalgésie au chaud au froid Tube à essai eau chaude 45°

glace Sommation temporelle Stimulation répétée (1 à 3/s), avec un

pinceau. Tableau 5 : Evaluation des déficits sensitifs au moyen de l’évaluation quantitative des troubles sensitifs

Sensation Instrument utilisé pour l’évaluation quantifiée Tact/piqûre Filaments de Von Frey Vibration Vibramètre Chaud Thermotest Froid Thermotest

IV - DOULEURS NEUROGENES PERIPHERIQUES

Ces douleurs sont soit localisées dans le territoire d’un ou plusieurs troncs nerveux ou racines soit diffuses bilatérales et symétriques (polyneuropathie).

La systématisation de l’affection et le type de fibres atteintes déterminé cliniquement ou à l’EMG permet d’orienter le bilan étiologique.

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4.1. Polyneuropathies douloureuses

-Atteinte bilatérale et symétrique débutant en distalité, progressivement ascendantes (dying back) -Les douleurs sont le plus souvent continues associées à des dysesthésies. -Les antécédents du patient, les données cliniques et électromyographiques permettent souvent d’orienter le diagnostic :

• N. diabétique • N. alcoolique • N. toxique (traitements médicamenteux, profession, exposition) • N. para-néoplasique • Amylose • N. du VIH

4.2. Neuropathies focales ou multifocales

Par ordre de fréquence, il faut rechercher : • N. diabétique : « cruralgie » apparition de façon subaiguë d’une brûlure de la

face antérieure de la cuisse associée à une amyotrophie du quadriceps, une abolition du réflexe rotulien. Cette atteinte est réversible. Chez le patient diabétique, il existe une prévalence importante des neuropathies tronculaires compressives.

• Neuropathies compressives ou traumatiques • N. des vascularites : Péri Artérite Noueuse … • Névralgie amyotrophiante de l’épaule.

Les principales étiologies des neuropathies périphériques douloureuses sont

données dans le tableau 1.

Tableau 1 : Principales étiologies des neuropathies périphériques douloureuses

Mononeuropathies simples et multiples

Lésions post-traumatiques Infections (zona, herpès) Diabète Pathologies malignes Syndromes canalaires Maladies de système (PAN, polyarthrite rhumatoïde, lupus,…)

Polyneuropathies

Diabète Alcool Toxiques ( Arsenic,Thalium, organophosphoré,…) Médicaments (Isoniazide, Cisplatine, Vincristine,…) SIDA Pathologies malignes Carences nutritionnelles (Beriberi, Pellagre) Maladies héréditaires (maladie de Fabry) Amylose Syndrome de Guillain-Barre

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4.3. Compressions radiculaires (sciatalgies…) Il s’agit de douleurs névralgiques à type de décharge électrique ou de

dysesthésies siégeant électivement dans un territoire radiculaire, parfois associée d’un déficit sensitif et moteur périphérique de même systématisation. Il faut rechercher de façon associée un syndrome rachidien et un signe de Lassègue.

4.4. Ganglionopathies (atteinte du ganglion racidien)

• N. sensitive pure : elles doivent faire rechercher essentiellement 3 étiologies : paranéoplasiques, syndrome de Gougerot, idiopathiques

• Zona : il faut distinguer la douleur de la période aiguë de la douleur post-zostérienne.

-douleur de la période aiguë : . 1 ou 2 dermatomes, thoracique le plus souvent ou crânien (V1), . précède parfois l’éruption, . est le plus souvent à type de brûlure, . dure 15 jours en moyenne mais durée variable. -douleur post-zostérienne (après 3 mois) :

. fréquence varie en fonction de l’age : après 60 ans, 50% des sujets ayant présenté une éruption zostérienne; après 70 ans, 75% des sujets.

. moins de 50% durent moins de 2 mois. . caractéristiques : . douleur spontanée à type de brulure, . présence d’accès spontanés brefs, . présence d’une allodynie fréquente. V - DOULEURS CENTRALES

La douleur centrale ressemble à la douleur neurogène périphérique, souvent à type de brûlure continue, de coup d’aiguilles, de pointes, de fourmillements. Cette composante continue peut parfois être ressentie comme des crampes surtout chez le paraplégique. Ces douleurs spontanée peuvent être associées à des douleurs provoquées.

5.1. Médullaires

5.1.1. Douleur d’étage névralgique ou de désafférentation. 5.1.2. Douleurs sous-lésionnelles :

Elles sont différentes de façon théorique selon la présence d’une atteinte

préférentielle de la voie lemniscale ou extralemniscale. Dans les lésions des cordons postérieurs, on retrouve des douleurs de désafférentation sous lésionnelles homolatérales associées à des décharges paroxystiques comme le signe de Lhermitte (décharge lors de la flexion cervicale).

Les lésions antéro-latérales sont plus volontiers à l’origine de douleurs continues controlatérales, majorées par le mouvement.

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5.1.3. Etiologies :

• Inflammatoires :sclérose en plaques, • Traumatisme, • Tumeurs, • Carences vitaminiques, • Vasculaires : syndrome de l’artère spinale antérieure, • Syringomyélie.

5.2. Tronc cérébral 5.2.1. Les lésions bulbaires sont à l’origine d’une atteinte dissociée de la sensibilité. Ex : Syndrome de la fossette latérale du bulbe (Wallenberg) : il existe une hypoesthésie thermo-algique de l’hémicorps controlatéral où siègent des douleurs de désafférentation. Il n’existe le plus souvent pas d’allodynie. L’atteinte de la face est le plus souvent homolatérale et parfois bilatérale. Les autres signes cliniques sont homolatéraux : syndrome de Claude-Bernard-Horner, syndrome vestibulaire, hémisyndrome cérébelleux, paralysie de l’hémivoile, de l’hémipharynx. 5.2.2. Les lésions mésencéphaliques sont à l’origine d’une atteinte le plus souvent des 2 contingents de la sensibilité regroupés à cet étage.

5.2.3. Etiologies • SEP • Vasculaire • Tumeur

5.3. Encéphale

5.3.1. Le syndrome thalamique

• Douleur thalamique : il s’agit de douleurs survenant souvent de façon différées par rapport à l’accident, vasculaire le plus souvent, et caractérisées par une hyperpathie et une allodynie. Le patient a souvent beaucoup de difficultés à décrire sa douleur pour laquelle il ne trouve satisfaisante aucune comparaison usuelle. Les exacerbations de ces douleurs sont souvent le fait de stimulations somesthésiques variées ou de stimulations sensorielles et émotionnelles.

• Les troubles sensitifs objectifs : A l’examen, on retrouve une hypoesthésie à tous les modes de l’ensemble de l’hémicorps controlatéral.

5.3.2. Le syndrome pariétal

Les douleurs sont moins étendues, localisées, selon l’homonculus, à la région chéiro-orale, brachio-faciale ou crurale. A l’examen, on retrouve une atteinte de la sensibilité élémentaire le plus souvent modérée associée à une atteinte de la sensibilité élaborée (stéréognosie…).

5.3.3. Etiologies • Vasculaires, • Tumeur, • SEP,

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• Traumatisme, • Séquelles d’encéphalite

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CHAPITRE 7

TRAITEMENT MEDICAMENTEUX DES DOULEURS NEUROPATHIQUES

Jean-Michel Senard, Pierre-André Delpla et Jean-Claude Verdié Plan du Chapitre

pages I – RAPPEL PHYSIOPATHOLOGIQUE ET BASES PHARMACOLOGIQUES 104 II – LES TRAITEMENTS MEDICAMENTEUX 2.1 Les médicaments anti-épileptiques 2.1.1 Gabapentine 2.1.2 Prégabaline 2.1.3 Autres anti-épileptiques Clonazepam Carbamazépine Oxcarbamazépine Topiramate Phénytoïne Lamotrigine Valproate 2.2 Les médicaments antidépresseurs 105 2.2.1 Les antidépresseurs tricycliques Amitriptyline Clomipramine Imipramine 2.2.2 Les IRSNA 106 Duloxétine Venlafaxine 2.2.3 Les IRS 2.3 Le Tramadol et les opioïdes du palier 3 2.3.1 Tramadol 2.3.2 Les opioïdes forts (palier 3) 2.4 Autres traitements 107 2.4.1 Les topiques 2.4.2 Les cannabidoïdes (dronabinol) 2.4.3 Les antagonistes NMDA 2.4.4 La Mexilétine III – LE TRAITEMENT NEUROCHIRURGICAL 108 3.1 La stimulation électrique analgésique 3.2 Les techniques chirurgicales lésionnelles 3.3 La pharmacothérapie intrathécale 109

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I – RAPPEL PHYSIOPATHOLOGIQUE ET BASES PHARMACOLOGIQUES

INTRODUCTION Il existe des recommandations pour la pratique clinique du traitement médical des douleurs neuropathiques (AFSSAPS – décembre 2007- en cours de publication, et les recommandations de la fédération européenne des sociétés neurologiques-novembre 2006) A l’aide d’experts et d’une analyse de la littérature, il a été établi sur le sujet 3 niveaux de recommandations A, B ou C : - grade A : preuve scientifique établies par des études de fort niveau de preuve - grade B : présomption scientifique obtenues par des études de niveau intermédiaire - grade C : études de moindre niveau de preuve - en l’absence de données suffisantes les recommandations seront données par accord d’experts Des niveaux de preuve d’inefficacité (idem) peuvent aussi ressortir d’études contrôlées Les DN ne répondent pas aux médicaments du palier I (paracétamol, AINS) D’une manière générale l’efficacité des traitements est souvent moyenne.Le choix doit se faire sur l’efficacité la plus établie, sur le rapport bénéfice-inconvénients et sur la présence de comorbidité associée à la DN (anxiété, dépression, troubles du sommeil) Seules les DCI seront décrites dans cet exposé. Les médicaments fondamentaux sont issus des antiépileptiques et des antidépresseurs.Seuls certains d’entre eux font partie des recommandations actuelles.Le tramadol et les opioïdes forts du palier III de l’OMS peuvent aussi s’inclure. Les données scientifiques établies ne concernent que quelques étiologies de DN (zona, diabète) D’autres études sont nécessaires pour d’autres étiologies (DN centrales, associations thérapeutiques…) Rappelons que les DN atteignent 7 % de la population en France (25% des douleurs chroniques) Une titration est indispensable en démarrant le traitement à doses faibles et en progressant jusqu’aux doses max. efficaces ; Il faut débuter par une monothérapie, substituer une autre molécule si échec et faire une association si efficacité insuffisante. On évaluera régulièrement l’efficacité et la tolérance.Le traitement sera poursuivi en moyenne durant 6 mois au minimum, puis si possible les doses seront réduites. II – LES TRAITEMENTS MEDICAMENTEUX 2.1 Les médicaments anti-épileptiques

2.1.1 Gabapentine : agit par blocage des canaux calciques voltage-dépendants et par modulation de la neurotransmission gabaergique.Son AMM concerne les douleurs de la neuropathie diabétique. Posologie : 900 mg à 3600 mg/j en 3 prise.Grade A pour la douleur, pour l’anxiété et les troubles du sommeil Effets indésirables : sensations vertigineuses, somnolence, œdèmes périphériques, prise de poids .. Pas d’interactions médicamenteuses.En général bien supporté

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2.1.2 Prégabaline : mode d’action similaire à la gabapentine, niveau de preuve de grade A comme pour la gabapentine. AMM : DN périphériques et centrales Posologie : 150 mg à 600 mg / j en 2 prises Agirait plus vite que la gabapentine Effets indésirables et interactions idem à la gabapentine 2.1.3 Autres antiépileptiques : - Clonazepam : utilisé traditionnellement dans cette indication mais aucun niveau de

preuve.Inconvénients et effets secondaires des benzodiazépines. - Carbamazepine : agit par blocage des canaux sodiques voltage-dépendants Indiquée dans la névralgie du trijumeau à la posologie progressive de 200mg à 1200mg /j (grade A)

Peu de niveau de preuve dans les autres étiologies Nombreux effets indésirables en particulier chez les sujets âgés : sédation, vertiges, troubles de la marche, hyponatrémie, surveillance hépatique et hématologique, risque cutané. Nombreux risques d’interactions médicamenteuse - Oxcarbamazépine : A part l’absence d’induction enzymatique et une action supplémentaire sur les canaux calciques (en plus des sodiques) a les mêmes indications (n.trijumeau-grade B) et inconvénients que la carbamazépine Posologie : de 600mg à 1800 mg /j.Inneficace dans le diabète.

- Topiramate : Non recommandé dans les DN .Pas de preuve d’efficacité - Phénytoïne : Niveau C pour le diabète.Classiquement utilisée dans la n. du trjumeau. Pas d’AMM.Non recommandé.

- Lamotrigine : Inneficace (A) pour le diabète.Présomption positive dans les douleurs centrales post AVC Non recommandé (utilisée parfois hors AMM en 2e-3e intention ex : n. du trijumeau).Risque cutané important.Posologie :25 mg au départ, augmenter de 25 mg toutes les 2 semaines jusqu’à un max. de 200-400 mg/j - Valproate : données contradictoires dans le diabète.Grade B pour le zona.

Nécessité d’études complémentaires.Niveau de recommandation à définir 2.2 Les médicaments antidépresseurs : Il existe plusieurs catégories d’antidépresseurs dont les principales sont :

- les antidépresseurs tricycliques - les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline

(IRSNA) - les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS)

Seuls des molécules des 2 premiers groupes ont fait preuve d’efficacité dans les DN

2.2.1 Les antidépresseurs tricycliques : Ils inhibent de manière équilibrée la recapture des monoamines - l’amitriptyline : efficacité de grade A dans plusieurs étiologies AMM : douleurs neuropathiques périphériques de l’adulte Posologie : progressive de 25mg à 150 mg (75mg/j en moyenne)

Effets secondaires possibles nombreux : bouche sèche, vertiges, troubles de la vision (adaptation), somnolence, palpitations, hypoTAorthostatique, sédation, dysurie Prudence chez le sujet âgé

- la clomipramine : grade A ;AMM :douleurs neuropathiques

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Posologie idem à l’amitriptyline.Moins sédative.Mêmes effets secondaires - l’imipramine :idem mais mois employée Il existe aussi des ADT dit sélectif (plus noradrénergiques) :Maprolitine,

Désipramine,Nortryptiline dont l’action est plus discutée ,ils sont mieux tolérés que les précédents(grade B pour la maprolitine).Pas d’AMM

2.2.2 Les IRSNA : seules 2 molécules sont concernées.Mieux tolérés que les ADT - la duloxétine :grade A pour le diabète(AMM) Posologie : 60 mg/j en une prise Effets secondaires : nausées,vomissements,sonolence,sècheresse de la Bouche,hypersudation.Risque hépatique. - la venlafaxine :grade B .Pas d’AMM Efficace seulement à fortes doses(à partir de 150mg/j) Effets secondaires : idem à la duloxétine Formes LP mieux supportées 2.2.3 Les IRS : ex : fluoxétine,paroxétine,citalopram etc. Ils ne sont pas recommandés et n’ont pas d’AMM Preuve scientifique d’inefficacité (grade A) 2.3 Le Tramadol et les opioïdes du palier 3 : bien qu’efficaces ils ne sont pas recommandés en première intention 2.3.1 Le Tramadol : opioïde agoniste des récepteurs mu et inhibiteur de la recapture des monoamines.Il est classé dans le palier 2 de l’OMS et existe sous plusieurs formes de dosages différents. Posologie de 50 mg à 400 mg par jour.Intérêt des formes LP sur 12h ou mieux sur 24h (1 prise par jour) mieux supportées .Démarrer par des doses faibles (50 mg) surtout chez les patients âgés. Il est efficace pour le diabète et le zona (grade A) Effets secondaires des opioïdes (nausées, constipation) et des antidépresseurs (somnolence, dysurie, sècheresse de la bouche) Pas d’association avec les antidépresseurs (risque de syndrome sérotoninergique) 2.3.2 Les opioïdes forts (palier 3) Seules la morphine, l’oxycodone, la méthadone (pas d’AMM) et le lévorphanol (non disponible en France) ont été étudiées dans cette indication. L’oxycodone est efficace dans le diabète et le zona.La morphine à une action positive dans le zona (gradeA) Les études manquent pour les autres étiologies Utiliser les formes LP après la titration initiale Posologie : de 60 mg à 200 mg/j pour la morphine (la moitié pour l’oxycodone) Effets secondaires : constipation, sédation, nausées, vomissements L’oxycodone semble mieux tolérée. Moins de 20% des patients continuent le traitement au-delà de 1 an en raison d’un rapport défavorable entre effets indésirables et efficacité. Recommandation : les opioïdes ne seront envisagés dans les DN qu’en 2e ou 3e intention après échec d’autres traitements comme pour l’ensemble des douleurs non cancéreuses A signaler l’efficacité de l’association morphine-gabapentine 2.4 Autres traitements :

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2.4.1 Les topiques : - patchs de lidocaïne (à 5%) : grade A pour le zona (allodynie) AMM Bonne tolérance.Ne pas utiliser sur peau lésée. On peut utiliser Jusqu’à 4 patchs par jour pendant un maximum de 12 h. Pas de nécessité d’ajuster les doses - capsaïcine : topique à 0,075% peu efficace dans le zona (gradeB) Résultats discordants dans les autres étiologies. Sensations de brûlure lors de l’application 2.4.2 Les cannabidoïdes (dronabinol): grade B dans les douleurs centrales de la SEP. Pas d’AMM .Non disponible en France. Risques de tolérance et de dépendance en cas de traitement de longue durée.Posologie :5 à 10 mg/j 2.4.3 Les antagonistes NMDA : dextrométorphan, mémantine..Malgré leur intérêt théorique ils sont inefficaces dans le zona. Non recommandés. 2.4.4 La mexilétine : inefficace dans le zona et les douleurs centrales (médullaires) Au total d’autres études (ERC) sont indispensables dans les pathologies peu étudiées : DNpost-traumatiques ou chirurgicales si fréquentes, douleurs des amputés, séquelles de syndrome de Guillain-Barré, autres douleurs centrales, DN d’étiologies multiples. La qualité de vie doit être mieux évaluée avec ces traitements. Dans les polyneuropathies douloureuses(diabète) les médicaments de 1er intention sont les antidépresseurs tricycliques,la gabapentine,la prégabaline,la duloxétine.Le tramadol et les opioïdes forts(oxycodone) seront utilisés en 2e intention.A noter que les PN du VIH ou de la chimiothérapie sont très réfractaires aux traitements. Dans les douleurs du zona, la prégabaline, la gabapentine, les ADT, la lidocaïne topique. Pour la névralgie essentielle du trijumeau : la carbamazépine ou l’oxcarbazépine. Dans les autres étiologies le choix se fera sur les effets établis, le rapport avantages – inconvénients, l’existence d’une comorbidité.Le sujet reste très évolutif.

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III - LE TRAITEMENT NEUROCHIRURGICAL Nous envisagerons successivement :

• les techniques de stimulation électrique analgésique • les techniques chirurgicales • les techniques de pharmacothérapie intrathécale

Nous exclureons de cet exposé les techniques psychologiques (relaxation etc.). 3.1 La stimulation électrique analgésique :

A la suite de la découverte de la théorie du “ gate control ” par Wall et Melzack, la neurostimulation analgésique s’est répandue depuis les années 1970 dans notre pays. Actuellement la stimulation peut s’effectuer de la peau (stimulation transcutanée), au cortex cérébral (stimulation corticale), en passant par la moelle épinière (stimulation médullaire) et par le thalamus sensitif (stimulation thalamique). Il est évident que le caractère invasif des gestes sera adapté en fonction des antécédents thérapeutiques et de la gravité du handicap douloureux.

Il existe des indications spécifiques, par exemple la stimulation péridurale médullaire sera la technique de choix pour la prise en charge des sciatiques neurogènes post-chirurgie rachidienne lombaire (hernie discale, canal étroit, chirurgie de la lombalgie…). Les stimulations thalamiques et corticales seront réservées aux syndromes centraux douloureux (paraplégies, tronc cérébral, syndromes thalamiques…). Les membres fantômes douloureux post amputation et les douleurs d’avulsion du plexus branchial sont très rebelles ce qui entraîne le recours aux solutions majeures de stimulation.

Autant la stimulation transcutanée est simple dans sa réalisation, autant les autres sites réclament une précision et une technicité qui n’existe que dans des équipes spécialisées. Ainsi la cible thalamique utilise la stéréotaxie et la corticale bénéficie des progrès de l’imagerie (IRM) et de la chirurgie guidée par ordinateur (neuronavigation). Les stimulateurs implantés sont similaires aux pacemakers cardiaques, programmables de l’extérieur. Dans la majorité des cas la stimulation est sensitive et doit provoquer des paresthésies couvrant le territoire douloureux. Dans le cas du cortex cérébral, la stimulation est infraliminaire motrice (stimulation de la région rolandique). 3.2. Les techniques chirurgicales lésionnelles :

Accusées souvent avec raison d’être inefficaces voire aggravantes (accentuation de la désafférentation), les techniques lésionnelles peuvent être utilisées pour calmer certaines douleurs neurogènes principalement les dlouleurs fulgurantes. L’exemple typique est fourni par

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la névralgie essentielle du trijumeau qui après échec des antiépileptiques est le plus souvent guérie par une coagulation percutanée du ganglion de Gasser.

Les techniques ouvertes classiques (radicotomies postérieures rachidiennes, cordotomies etc.) ne sont plus pratiquées à l’heure actuelle.

Un cas particulier est donné par la drézotomie réservée quasi exclusivement aux douleurs d’avulsion du plexus branchial. Elle consiste à microsectionner la zone d’entrée des racines postérieures dans la moelle épinière, cette zone étant le siège d’un regroupement des fibres sensitives de petit calibre transportant les sensations douloureuses. 3.3. La pharmacothérapie intrathécale : L’administration de morphine dans le LCR constitue une alternative classique dans la prise en charge des douleurs cancéreuses après échec des voies d’administration habituelles. La morphine orale a une action bénéfique limitée dans les douleurs neuropathiques, son utilisation chronique reste discutée. Il en est de même pour la voie intrathécale, dont les résultats ne sont pas très convaincants dans cette indication. Citons les cas de patients spastiques chez qui une pompe à Baclofène intrathécal peut permettre une amélioration des douleurs parallèlement à la spasticité.

CHAPITRE 8

LES CEPHALEES

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113

SEMIOLOGIE ET STRATEGIE D’EVALUATION

Gilles Géraud et Nelly Fabre

Plan du Chapitre pages 1. Conduite du diagnostic clinique devant une céphalée 111

1.1. L’interrogatoire 1.2. L’examen clinique 112

2. Orientation diagnostique 113

2.1. Céphalée nouvelle chez un patient qui n’a jamais eu auparavant ce type de céphalée

2.2. Les céphalées récurrentes évoluant par crises répétées et stéréotypées 115 2.3. Céphalées chroniques quotidiennes 119 2.4. Céphalées circonstancielles 120 2.5. Céphalées des « spécialistes »

La céphalée est un symptôme extrêmement fréquent, motif d’appel en urgence ou de consultation chez les médecins généralistes et les neurologues, qui s’intègre dans des tableaux cliniques très variés. Certains de ces tableaux représentent une menace vitale ou fonctionnelle: ce sont les céphalées symptomatiques ou secondaires. Dans d’autres cas, la céphalée est dite primitive, sans substratum lésionnel, du moins avec les examens dont on dispose à l’heure actuelle. Ces céphalées se produisent souvent de manière récurrente, par crises. Si la vie ou le pronostic fonctionnel ne sont pas ici menacés, l’intensité de la douleur réclame un traitement rapide et efficace pour soulager le patient. Les éléments essentiels du diagnostic sont l’interrogatoire et l’examen clinique, et il faut pour cela savoir consacrer beaucoup de temps à une première consultation. L’International Headache Society (IHS) a publié en 1988 une « classification et critères diagnostiques des céphalées, névralgie crâniennes et douleurs de la face » qui est une référence incontestée dans ce domaine. I – CONDUITE DU DIAGNOSTIC CLINIQUE DEVANT UNE CEPHALEE

1.1. L’interrogatoire

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Les céphalées diffèrent par leur mode d’installation, leur siège, leur type, leur intensité, leur mode évolutif, les facteurs qui les provoquent et ceux qui les améliorent, les signes d’accompagnement. L’interrogatoire, pièce maîtresse du diagnostic doit, méthodiquement, retrouver ces éléments.

1.1.1. Les caractéristiques de la douleur

• Depuis quand avez-vous mal à la tête ? (années, mois, jours, …) • Avez-vous mal tous les jours ? • Vos maux de tête évoluent-ils par crises (périodes où vous avez mal,

entrecoupées de périodes où vous ne ressentez rien, ou existe-t-il un fond douloureux continu) ?

• Avec quelle fréquence se produisent les crises: plusieurs par an, mois, jour ? - Pouvez-vous en évaluer le nombre ?

• Où siège votre douleur (unilatérale, diffuse …) ? • En combien de temps s’installe votre douleur ? (secondes, minutes, heures) • A quoi ressemble votre douleur ? (pulsatile, continue, …) • Quelle est l’intensité de cette douleur sur une échelle de 0 à 10 ? (0 : pas de

douleur, 10 : douleur insupportable) • La douleur augmente-t-elle à l’exercice physique de routine ? (par exemple la

montée des escaliers) • Combien de temps dure votre douleur ? (seconde, minutes, heures, jours) • Quels sont les facteurs qui peuvent déclencher cette douleur, l’aggraver ou au

contraire l’améliorer ?

1.1.2. Les signes d’accompagnement

• La douleur est-elle accompagnée de nausées ou vomissements ? • La douleur est-elle accompagnée d’une gêne à la lumière, aux bruits ? • Avez-vous remarqué des signes accompagnant votre douleur tels qu’un

larmoiement, une rougeur de l’œil, un gonflement de la paupière etc ?… • La douleur est-elle déclenchée dans certaines conditions : contact, froid, chaud,

ingestion de certaines substances, effort physique, coït, toux, etc. ? • La douleur gêne-t-elle les activités quotidiennes ? • Retentissement socioprofessionnel ? • Réponse de la douleur à des traitements essayés antérieurement.

1.1.3. Existe-t-il d’autres types de maux de tête intriqués ?

• Pensez-vous avoir un ou plusieurs types de maux de tête ? (reprendre l’interrogatoire pour chaque type de maux de tête)

1.1.4. Le patient

• Age • Antécédents médicaux

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• Terrain : grossesse, sportif, stress, tendance à prendre du poids … • Médicaments associés • Antécédents familiaux de maux de tête, d’autres pathologies, notamment

vasculaires

1.2. Examen clinique

Il doit être complet, neurologique et général. Sur le plan neurologique, il faut apprécier le niveau de conscience, l’orientation

dans le temps et l’espace, rechercher un trouble du langage. Il faut rechercher un syndrome méningé, tester la motricité, l’équilibre, la sensibilité, notamment de la face, l’intégrité des nerfs crâniens, vérifier les réflexes ostéo-tendineux et cornéens, rechercher un signe de Babinski. Le fond d’œil recherche des signes d’hypertension intracrânienne, notamment un œdème papillaire.

Sur le plan général, évaluer les signes vitaux (T°, TA, pouls) et faire un examen somatique général, en particulier palper les globes oculaires, les sinus, les artères temporales.

Au décours de ce bilan clinique, on aura pu mettre en évidence des signes d’alarme (voir encart n° 1) incitant à prescrire des examens complémentaires.

Encart n° 1 SIGNES D’ALARME

Symptômes d’interrogatoire

• installation brutale d’une céphalée sévère • aggravation progressive d’une céphalée permanente • présence de signes associés :

o somnolence, obnubilation, pertes de mémoire o altération de l’état général, amaigrissement o troubles visuels progressifs

Signes d’examen

• fièvre • raideur de la nuque • troubles neurologiques focalisés • asymétrie des réflexes ostéotendineux, signe de Babinski • œdème papillaire • asymétrie pupillaire • artère temporale dure et douloureuse à la palpation

Schématiquement, un bilan paraclinique s’impose dans 2 situations cliniques distinctes (voir encart n°2 )

Encart n° 2

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Quand demander des examens complémentaires ?

Devant : • Une céphalée de novo • Une céphalée différente chez un céphalalgique connu

II – ORIENTATION DIAGNOSTIQUE Les céphalées sont de nature et de causes très diverses. On peut, de façon très pragmatique, distinguer 3 situations différentes, basées sur les circonstances de survenue et le mode évolutif de la céphalée : une céphalée nouvelle: toujours rechercher une céphalée symptomatique. une céphalée récurrente (qui survient par épisodes se reproduisant de

manière identique dans le temps). Elles sont le plus souvent "primaires". une céphalée chronique quotidienne.

Nous envisagerons enfin des causes diverses, regroupées sous le terme de « céphalées des spécialistes », diagnostics souvent évoqués en pratique quotidienne, parfois avec excès.

2.1. Céphalée nouvelle chez un patient qui n'a jamais eu auparavant ce type de céphalées: ATTENTION

La céphalée est considérée comme nouvelle soit parce que le patient n’avait jamais eu de céphalées auparavant, soit parce qu’elle est différente des céphalées habituelles du sujet. Une céphalée nouvelle doit être considérée, jusqu’à preuve du contraire, comme symptomatique. Le mode de début est un des principaux éléments d’orientation.

Encart n°3

• début brutal, en coup de poignard: o Eliminer en priorité une hémorragie méningée o Rechercher les autres causes

• début progressif: o quelques heures: rechercher les signes associés (exemple: fièvre: méningite ?) o quelques jours: rechercher les signes neurologiques associés

(en particulier, rechercher une hypertension intracrânienne débutante ) • chez un sujet âgé : toujours penser à la maladie de Horton.

Bien entendu, le contexte clinique est un élément majeur d'orientation. Par exemple, les accidents vasculaires cérébraux, particulièrement les hématomes s'accompagnent fréquemment d'une céphalée. Les problèmes les plus difficiles se posent quand la céphalée est isolée ou s'accompagne d'autres signes discrets.

2.1.1. La céphalée est brutale et sévère « en coup de poignard »

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a) Penser en priorité à une hémorragie méningée et rechercher un syndrome

méningé, même discret qui impose l’admission en urgence en milieu spécialisé. La présence d’une hyperdensité dans les espaces sous-arachnoïdiens sur un scanner sans injection ou, si le scanner est normal, la présence de chromoprotéines dans le LCS confirmeront ce diagnostic. L’angioscanner, l'angio-IRM voire l’artériographie cérébrale conventionnelle rechercheront un anévrysme intra-crânien.

b) Les autres céphalées « en coup de poignard », rares mais constituant une menace vitale.

• Une thrombose veineuse cérébrale peut se révéler par une céphalée brutale isolée. Le diagnostic est fait par l’IRM.

• Une dissection artérielle

2.1.2. La céphalée est d’installation progressive

Cette phase d’installation est plus ou moins longue, en heures, jours ou semaines. Le contexte de survenue et les signes associés orientent la démarche diagnostique :

a) En quelques heures : Une hyperthermie associée à un discret syndrome méningé évoquent une méningite. C’est une URGENCE diagnostique et thérapeutique. Elle nécessite une ponction lombaire en urgence. b) En quelques jours :

• Une céphalée diffuse, permanente, exacerbée par le moindre effort physique et la position allongée, s’aggravant progressivement au fil des jours fait évoquer une hypertension intracrânienne. L'examen clinique recherche des signes neurologiques associés. L’examen du fond d’œil permet parfois de confirmer le diagnostic, mais sa normalité n’exclue pas le diagnostic. Le scanner permettra de mettre en évidence un volume expansif tumoral ou non tumoral : hématome sous-dural chronique (le traumatisme crânien a pu passer inaperçu), abcès, hydrocéphalie subaiguë….

• Attention aux méningites subaiguës ou décapitées qui peuvent évoluer de

manière torpide (faire une PL au moindre doute si le scanner est normal)

• Eliminer une thrombose veineuse cérébrale (scanner et IRM)

• Rechercher d'autres causes :

o Une céphalée d’origine médicamenteuse doit être évoquée de façon systématique, en recherchant une relation chronologique entre l’apparition de la céphalée et l’introduction d’une médication telle que dérivés nitrés ou vasodilatateurs.

o Une poussée hypertensive brutale et sévère (élévation de la

pression diastolique supérieure à 25%) peut provoquer une

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céphalée aiguë. Il s’agit d’une étiologie rare. Par contre, l’hypertension artérielle chronique légère ou modérée n’entraîne pas de céphalées.

c) Chez la personne âgée : Chez la personne âgée, une céphalée temporale permanente uni ou bilatérale doit faire rechercher une maladie de Horton : signes locaux de l’artérite temporale, altération de l’état général, VS très accélérée. Le diagnostic sera fait par la biopsie de l’artère temporale. Les autres étiologies sont bien sûr aussi à rechercher.

2.2. Les céphalées récurrentes évoluant par crises répétées et stéréotypées

Encart n°4 • Douleur accompagnée de nausées ou vomissements, de phono et

photophobie: - Migraine

• Douleur sans signes accompagnateurs : - Céphalée de tension épisodique

• Douleurs très brèves dans le territoire d'un nerf sensitif: - Névralgies

• Douleurs accompagnées de signes dysautonomiques (larmoiement, injection conjonctivale, rhinorrhée …etc):

- Algie vasculaire de la face - Hémicrânie paroxystique chronique

2.2.1. Migraine (encart n° 5)

Sa fréquence est de 12 % de la population générale, variant en fonction du sexe (3 femmes pour 1 homme) et de l’âge. A 40 ans, 1 femme sur 4 est migraineuse.

Le diagnostic de migraine est exclusivement clinique, reposant sur des critères stricts, internationalement reconnus.

Le diagnostic est facile chez un patient ayant déjà présenté des crises identiques.

La douleur est intense, pulsatile, diffuse ou typiquement hémicranienne, augmentant au moindre effort et confinant le patient au lit. Les signes d'accompagnement sont caractéristiques : nausées et vomissements, source d'inconfort majeur. Le moindre bruit, une lumière trop vive sont insupportables. La crise dure habituellement quelques heures (de 4 à 72 heures sans traitement).

L'examen neurologique en crise s'avère normal.

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Encart n° 5

Critères de diagnostiques de la migraine sans aura (classification IHS, 1988)

A. Au moins 5 crises répondant aux critères B à D B. Crises de céphalées durant de 4 à 72 h (sans traitement) C. Céphalées ayant au moins 2 des caractéristiques suivantes : 1. unilatérale

2. pulsatile 3. modérée ou sévère

4. aggravation par les activités physiques de routine, telles que montée ou descente des escaliers

D. Durant les céphalées, au moins l’un des caractères suivants : 1. nausée et (ou) vomissement 2. photophobie et phonophobie

E. Au moins l’un des caractères suivants : 1. l’histoire, l’examen physique et neurologique ne suggèrent pas une céphalée secondaire à une affection organique 2. ou bien ces affections ont été écartées par les investigations complémentaires 3. ou bien elles existent mais les crises migraineuses ne sont pas survenues pour la première fois en relation temporelle étroite avec ces affections

Les problèmes de diagnostic se posent pour la première crise de migraine et il

faut parfois faire un scanner cérébral et une PL pour éliminer les autres étiologies de céphalée telles qu'une méningite ou une hypertension intracrânienne.

Vingt pour cent des crises de migraine débutent (systématiquement ou de temps

en temps) par une aura, visuelle le plus souvent : pendant 10 à 20 min, le sujet perçoit un scotome scintillant, dont les bords dessinent une ligne brisée pouvant s’élargir et se déplacer progressivement. Lorsque le trouble visuel s’estompe, la céphalée se déclenche.

D’autres types d’auras sont possibles :

• hémianopsie, flou visuel, phosphènes, illusions et déformations visuelles • paresthésies unilatérales, prédominant à la main et à l’hémilèvre, déformations

corporelles • des troubles du langage La migraine est habituellement une maladie bénigne. Entre les crises, le patient est normal. Certains migraineux, du fait de la fréquence et (ou) de la sévérité de leurs crises, peuvent être très handicapés sur le plan social et professionnel.

Exceptionnellement, il existe des formes graves de migraines. Il s'agit de diagnostics différentiels difficiles, de spécialistes et nécessitant toujours des examens complémentaires : migraine avec des signes neurologiques bilatéraux et des troubles de la conscience, migraine hémiplégique, migraine ophtalmoplégique, état de mal migraineux (au-delà de 72 h) et migraine compliquée, pouvant laisser des séquelles visuelles, sensitives ou motrices. Le traitement de la crise de migraine repose après échec des antalgiques banals sur les anti-inflammatoires et les traitements spécifiques (dérivés de l’ergotamine et

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triptans). Les traitements de fond sont indiqués en cas de crises fréquentes : bétabloquants (propanolol, métoprolol), anti-sérotoninergiques (pizotifène, oxétorone), anti-épileptiques (acide valproïque, topiramate), amitriptyline …

2.2.2. Céphalée de tension épisodique

Il s'agit de la plus banale des céphalées, que tout individu peut éprouver dans sa vie.

La céphalée est d’allure banale, diffuse, en casque, ou prédominant dans la région occipitale et cervicale haute, toujours bilatérale. Elle est décrite comme une pression, un serrement, parfois associée à des dysesthésies du cuir chevelu. Son intensité n’est jamais sévère, elle peut gêner les activités sans les arrêter. La douleur n’est pas aggravée par l’activité physique (au contraire, elle peut être améliorée). Elle ne s’accompagne ni de nausée, ni de vomissement, ni de photophobie. Par contre le patient peut présenter une gêne au bruit.

L’évolution se fait de manière épisodique, très variable (de 30 min à 7 jours, par définition moins de 15 jours par mois) avec des phases de rémission de plusieurs jours. Les douleurs sont parfois associées à une contracture douloureuse des muscles du cou. Les facteurs déclenchant peuvent être un stress, des éléments dépressifs mais aussi des facteurs mécaniques (comme un travail longtemps soutenu dans la même position). Les périodes d’exacerbation sont rythmées par les conflits affectifs ou professionnels. Ce type de céphalées répond bien aux anxiolytiques, aux antidépresseurs tricycliques, à la relaxation et au biofeed back.

Le diagnostic de céphalée de tension ne doit pas être posé de façon abusive. L'examen neurologique et général doivent être rigoureusement normaux (bon nombre de processus expansifs sont d'abord considérés comme des céphalées de tension…). Un scanner cérébral doit être pratiqué au moindre doute. Il est nécessaire de surveiller étroitement ces patients sur le plan clinique.

Il existe une intrication fréquente chez le migraineux de crises de migraine et de céphalées de tension. 2.2.3. Céphalée avec signes dysautonomiques : Algie vasculaire de la face et formes apparentées

a) L'algie vasculaire de la face

Cette affection extrêmement douloureuse, touchant avec prédilection les hommes

jeunes s'avère pourtant de diagnostic très facile. La douleur affecte un côté de la face, habituellement autour de l'oeil, d'intensité insupportable, et s'accompagne toujours du même côté de signes dysautonomiques caractéristiques (un larmoiement, une rougeur de la conjonctive, un gonflement de la paupière sont les signes les plus fréquents). Une autre caractéristique de la douleur est son évolution dans le temps : le patient souffre

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tous les jours et présente plusieurs crises par jour (en moyenne 2 à 3) qui durent habituellement moins d'une heure et surviennent souvent à heure fixe.

Il existe des formes épisodiques (les plus fréquentes) dans lesquelles le patient

connaît des phases de rémission durant parfois plusieurs mois et des formes chroniques (20% des cas) où il n'existe pas de rémissions.

Le traitement des crises repose sur le sumatriptan injectable et l’inhalation

d’oxygène. Le traitement de fond de première intention est le vérapamil.

Encart n°6

CRITERES IHS Algie Vasculaire de la Face A. Au moins 5 crises remplissant les critères de B à D. B. Douleur située au niveau de l’orbite, de la région supraorbitaire, et/ou temporale,

durant, non traitée, de 15 à 180 minutes C. La douleur s’accompagne d’au moins un des signes suivants qui doivent être

présents du côté de la douleur : 1- Injection conjonctivale. 2- Larmoiement. 3- Congestion nasale. 4- Rhinorrhée. 5- Sudation du front et de la face. 6- Myosis. 7- Ptosis. 8- Œdème de la paupière.

D. Fréquence des crises de 1 un jour sur deux à 8 par jour.

b) L'hémicranie paroxystique chronique : Cette affection ressemble beaucoup à l'algie vasculaire. Les caractères distinctifs

sont des crises plus courtes, plus nombreuses dans la journée (le plus souvent plus de 5/jour). Les signes dysautonomiques sont identiques. En fait, le caractère distinctif majeur est la réponse remarquable à l'indométacine (il s'agit d'un critère diagnostic retenu par L'IHS) et la résistance au sumatriptan.

2.2.4. Névralgie du Trijumeau (Maladie de Trousseau)

La douleur est paroxystique, brève, atroce, intolérable. Elle est décrite comme une douleur fulgurante à type « décharge électrique » ou de coup de poinçon. Elle survient le plus fréquemment chez la personne âgée avec une prédominance masculine.

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Cette douleur siège dans le territoire d’une ou plusieurs branches du nerf trijumeau, le plus souvent dans la moitié inférieure de l’hémiface (V2 et/ou V3), les atteintes du V1 étant plus rares.

Cette névralgie débute habituellement par l’atteinte d’une seule branche. La crise

est brève (quelques secondes à moins de 2 min) mais il peut exister de multiples accès dans la journée et souvent dans la nuit, déclenchés par une zone gâchette, siégeant dans le territoire douloureux. La douleur peut être déclenchée par la mastication, un frôlement de la peau, un courant d’air. Elle est habituellement suivie d’une brève phase d’inhibition permettant au patient de s’alimenter.

Encart n°7

Névralgie essentielle du trijumeau :

A. Crises paroxystiques de douleurs de la face ou du front qui durent de quelques secondes à moins de 2 minutes.

B. La douleur a au moins 4 des caractéristiques suivantes : 1. Distribution selon une ou plusieurs branches du nerf trijumeau. 2. Douleur dont le type est soudain, intense, aigu, superficiel, à type de coup

de poignard ou de brûlure. 3. Intensité sévère. 4. Douleur provoquée par des zones gâchettes ou par certaines activités

quotidiennes telles que manger, se laver, se brosser les dents. 5. Entre les paroxysmes, le patient est asymptomatique.

C. Pas de déficit neurologique. D. Les crises sont stéréotypées pour chaque individu. E. Exclusion des autres douleurs de la face par l’histoire, l’examen clinique ou des

investigations spéciales si nécessaire.

Les névralgies sont le plus souvent dites essentielles, bien qu’elles soient souvent dues à un conflit vasculo-nerveux (artère cérébelleuse supérieure) au niveau de l’émergence du nerf trijumeau dans l’espace sous-arachnoïdien.

Il existe des névralgies trigéminales symptomatiques nécessitant un bilan clinique et paraclinique. La douleur est identique aux névralgies essentielles mais la symptomatologie se distingue soit par la persistance d’un fond douloureux entre les crises, soit par la présence d’anomalies à l’examen clinique. Les causes les plus fréquentes sont : sclérose en plaques, infarctus du tronc cérébral, tumeur de l’angle ponto-cérébelleux, syndrome de Sharp, maladie de Gougerot.

La névralgie du trijumeau répond habituellement bien aux anti-épileptiques.

2.3. Céphalées chroniques quotidiennes Il s’agit d’un problème majeur de santé publique, concernant, selon les

estimations, 3 à 5 % de la population générale, soit 2 à 3 millions de français adultes. Les centres de consultations spécialisées dans les céphalées font état de 30 à 40 % de patients venant consulter pour des CCQ.

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On estime qu’un patient présente des céphalées chroniques quotidiennes (CCQ), lorsqu’il souffre au moins 4 h par jour, plus de 15 jours par mois depuis au minimum 3 mois. La plupart de ces patients se plaignent en réalité de maux de tête quasiment tous les jours, depuis plusieurs années. Les CCQ se présentent selon deux variétés cliniques principales : la céphalée de tension chronique et la migraine transformée. En fait, plus de trois quarts des CCQ surviennent chez des patients présentant initialement une maladie migraineuse tout à fait caractéristique (70 à 90 % des cas).

Deux facteurs principaux sont à l’origine de la transformation de céphalées épisodiques en céphalées quotidiennes chroniques :

• L’utilisation abusive d’antalgiques et/ou d’antimigraineux :

Le migraineux ou le sujet présentant des céphalées de tension a remarqué que les traitements symptomatiques sont d’autant plus efficaces qu’ils sont pris tôt, peu après l’éclosion du mal de tête. Le traitement enraye momentanément et de façon plus ou moins complète la céphalée, mais l’intervalle entre chaque prise médicamenteuse se raccourcit de plus en plus et les doses ingérées augmentent. Le patient se piège lui-même, prenant la médication dès la moindre alerte, puis peu à peu de façon quasiment préventive. Tous les antalgiques sont concernés (caféine, paracétamol, aspirine, le dextropropoxyphène, la noramidopyrine, la codéine et autres opioïdes faibles, anti-migraineux spécifiques).

• Une co-morbidité psychiatrique

La prise en charge thérapeutique implique un sevrage médicamenteux brutal et total, un traitement préventif avec des antidépresseurs tricycliques et un soutien psychologique pour éviter les rechutes à moyen ou long terme.

2.4. Céphalées circonstancielles

Certaines céphalées ne se produisent que dans certaines circonstances précises, stéréotypées. Elles posent un problème diagnostic lors des premiers accès. Il est donc nécessaire d’avoir éliminer les autres causes de céphalées par des examens complémentaires adaptés : ex : une céphalée du coït doit faire éliminer une hémorragie méningée.

• céphalée bénigne à l’effort • céphalée du coït • céphalée du bandeau • céphalée liée au froid • céphalée à la toux

2.5. Céphalées des « Spécialistes » Les spécialistes ORL, ophtalmologues, stomatologues sont souvent sollicités pour tenter de dépister une cause locale à des céphalées.

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2.5.1. ORL : Une sinusite aiguë peut entraîner des douleurs locales : elles concernent la région du sinus infecté qui est sensible à la palpation. La sinusite chronique, en revanche, ne déclenche pas de céphalées, sauf lors d’une poussée aiguë. 2.5.2. Ophtalmologue : Il en est de même pour le glaucome aigu qui entraîne une douleur oculaire ou rétro-oculaire, le globe étant dur et très sensible à la palpation. Le glaucome chronique en revanche ne donne pas de douleur oculaire. Les troubles de la réfraction (hypermétropie, astigmatisme, presbytie ou port de lunettes inappropriées) peuvent provoquer des céphalées légères dans la région frontale ou au niveau des yeux. La douleur est absente au réveil et s’aggrave à l’occasion des tâches visuelles prolongées. Les troubles de l’accommodation, hétérophorie ou hétérotropie peuvent donner le même type de céphalées qui ont de plus la particularité d’être améliorées en fermant un oeil. La fréquence de ces céphalées est cependant largement surestimée. 2.5.3. Les affections dentaires causent habituellement des douleurs faciales et rarement des céphalées. 2.5.4. Le dysfonctionnement de l’articulation temporo-maxillaire provoque une douleur de la mâchoire déclenchée par le mouvement ou le serrement des dents ; elle s’accompagne de craquements et d’une diminution d’amplitude des mouvements de la mâchoire.

CEPHALEE AIGUE ET CHRONIQUE POINTS FORTS

• Les « maux de tête » constituent un des grands motifs de consultation. Leur

cause va de la plus banale à la plus grave. • L’élément essentiel de la consultation d’un céphalalgique est l’interrogatoire. Mais

il ne suffit pas : l’examen clinique, neurologique et général, doit obligatoirement lui faire suite.

• L’orientation diagnostique et le degré d’urgence dépendent en grande partie du mode d’installation et de l’ancienneté de la céphalée.

• Une céphalée d’apparition récente doit toujours faire éliminer une cause secondaire.

• Attention à une céphalée nouvelle chez un céphalalgique chronique.

CEPHALEE AIGUE ET CHRONIQUE LES PIEGES A EVITER

• Ne pas prendre en considération une céphalée d’apparition récente. • Banaliser la transformation d’une céphalée chez un céphalalgique chronique. • Etiqueter migraine ou céphalée de tension une céphalée symptomatique: • Rattacher une céphalée à des affections courantes réputées à tort

« céphalogènes » comme l’hypertension artérielle chronique, la sinusite chronique ou l’arthrose cervicale.

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CHAPITRE 9

LES LOMBALGIES STRATEGIE D’EVALUATION ET PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE

Bénédicte Jamard Arnaud Constantin et Yolande Esquirol

Plan du Chapitre pages A – Stratégie d’évaluation et prise en charge thérapeutique 1. Introduction 123 2. Epidémiologie

2.1. Fréquence des lombalgies 2.2. Facteurs de risque des lombalgies 124 2.3. Facteurs de risque de passage à la chronicité 2.4. Aspects socio-économiques 125

3. Etiologies 126 4. Diagnostic différentiel 128 5. Lombalgie aiguë ou lumbago 129

5.1. Définition de la lombalgie aiguë ou lumbago 5.2. Lombalgie aiguë symptomatique 5.3. La lombalgie aiguë commune 130

6. Lombalgie chronique 132 6.1. Définition de la lombalgie chronique 6.2. Approche multifactorielle de l’évaluation de la lombalgie chronique 134 6.3. Place de l’imagerie dans l’évaluation de la lombalgie chronique 6.4. Evaluation socioprofessionnelle 135 6.5. Evaluation psychologique 6.6. Evaluation médico-légale 136 6.7. Principes de la prise en charge multidisciplinaire de la lombalgie chronique

Annexes 142 B – Traitement physique 146 1. La lombalgie aiguë 2. La lombalgie chronique 147

I – INTRODUCTION

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La lombalgie est un symptôme très fréquent, en constante augmentation dans les pays industrialisés. L’origine anatomique et les mécanismes en cause dans la genèse des phénomènes douloureux ne sont clairement individualisés que dans moins de 20 % des cas. Le premier temps de l’évaluation d’un patient lombalgique consiste à éliminer les rares lombalgies symptomatiques d’une affection rachidienne fracturaire, tumorale, inflammatoire ou infectieuse. Le deuxième temps de cette évaluation repose sur l’identification précoce des facteurs de risque de chronicité. Dans le cadre des lombalgies dites communes, la plupart des épisodes aigus (lumbagos) évoluent naturellement vers la guérison en quelques jours à quelques semaines. Le médecin a pour missions de rassurer le patient, de soulager la douleur et de favoriser une reprise rapide des activités quotidiennes, afin d’éviter le passage à la chronicité. Au stade de lombalgie chronique (plus de 3 mois d’évolution), une approche multifactorielle (évaluations physique, fonctionnelle, socioprofessionnelle, psychologique et éventuellement médico-légale) et une prise charge multidisciplinaire semblent nécessaires. Elles ont pour objectifs ambitieux de contrôler la douleur, d’améliorer les capacités fonctionnelles et de favoriser une réinsertion sociale et professionnelle. II - EPIDEMIOLOGIE

Les données épidémiologiques sont très dépendantes du système de santé de chaque pays. Un bon exemple en est la pratique de la chirurgie lombaire dans la lombalgie. Il a été montré que le nombre d’interventions chirurgicales lombaires dans un pays était proportionnel au pourcentage par habitant de ce pays de chirurgiens orthopédiques et de neurochirurgiens. Aux USA, ce pourcentage est supérieur à 40 % par rapport aux autres pays développés. Ce pourcentage représente plus de 4 à 5 fois celui de l’Angleterre. 2.1. Fréquence des lombalgies

De 70 à 80 % de la population française a eu une lombalgie à un moment de sa vie. Cette fréquence est en augmentation constante depuis 40 à 50 ans dans tous les pays industrialisés. La prévalence annuelle est de 30 % en moyenne (de 15 à 45 %). Les lombalgies sont particulièrement fréquentes chez l’adulte jeune avec un pic de fréquence vers 40 ans. Cette fréquence diminue ensuite chez l’homme alors que, chez la femme, il existe un nouveau pic de fréquence à partir de la soixantaine du fait de l’ostéoporose post-ménopausique.

Une étude britannique de 1996, conduite chez des sujets de 25 à 64 ans montrait les chiffres suivants : 59 % de prévalence vie entière, 39 % de prévalence annuelle, 19 % de prévalence instantanée et 4,7 % d’incidence annuelle. Une étude canadienne, réalisée chez 1300 hommes employés en secteur industriel arrive aux mêmes chiffres : 60 % de prévalence vie entière et 11 % de prévalence instantanée. Les résultats d’une étude française concernant une population de 725 salariés sont présentés dans le tableau I.

Tableau I : Prévalence des lombalgies au cours des 6 derniers mois

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dans une population de 725 salariés français (d’après Ozguler et coll, 2000)

Femmes (n = 357)

Hommes (n = 368)

Lombalgies au moins 1 jour (%) 45 41 Lombalgies au moins 30 jours (%) 19 16 Traitement de la lombalgie (%) 23 20 Consultation pour la lombalgie (%) 25 21 Arrêt de travail pour la lombalgie (%) 8 10

2.2. Facteurs de risque des lombalgies

Les principaux facteurs de risque des lombalgies sont présentés dans le tableau II. La prise en compte de certains de ces facteurs, professionnels notamment, pourrait permettre la mise en place de mesures de prévention primaire des lombalgies .

Tableau II : Facteurs de risque des lombalgies

Facteurs de risque avérés Tabagisme (statistique faible mais significative, mais pas de lien de causalité retrouvé) Alcoolisme • Facteurs professionnels Biomécaniques (soulèvement, manipulation, vibrations) Psychosociaux (monotonie et absence de plaisir du travail, mauvaise communication avec les collègues de travail, stress, bas niveau d’instruction et de qualification) • Facteurs médico-légaux • Facteurs psychologiques* (personnalité hystérique, symptômes psychosomatiques,

usage périodique de tranquillisants) • Facteurs extra-professionnels ( jardinage,bricolage .. ; sport en compétition ..)

Facteurs de risque non avérés • Facteurs anthropométriques (dont l’obésité ; et l’amaigrissement n’améliore pas la

lombalgie) • Anomalies rachidiennes congénitales

(anomalies transitionnelles lombo-sacrées, spina bifida occulta) • Anomalies rachidiennes acquises (dystrophie rachidienne de croissance,

spondylolisthésis lombosacré, scoliose) • Arthrose lombaire * Ces facteurs semblent moins importants que les facteurs professionnels.

2.3. Facteurs de risque de passage à la chronicité Plus de 90 % des épisodes de lombalgies aiguës évoluent naturellement vers la guérison en en moins de 3 mois. Au-delà de cette période, on parle de lombalgie chronique. Le pronostic est plus réservé, la demande de soins est importante et coûteuse, l’absentéisme au travail élevé et le taux d’invalidité lourd. Un certain nombre de facteurs de risque de passage à la chronicité ont été décrits en cas de lombalgie aiguë, ils sont présentés dans le tableau III.

Tableau III : Facteurs de risque de passage à la chronicité

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• Age supérieur à 45 ans • Antécédents de lombalgie ou de chirurgie lombaire • Présentation initiale de la lombalgie :

Intensité de la douleur lombaire Irradiation douloureuse aux membres inférieurs Importance du handicap fonctionnel

• Prise en charge initiale de la lombalgie : Prise en charge tardive Prescription de repos au lit strict Arrêt de travail initial prolongé Absence d’informations et de conseils

• Contexte socioprofessionnel : Bas niveaux d’éducation et de ressources Statut familial défavorable Poste de travail avec importantes contraintes mécaniques Insatisfaction au travail

• Contexte psychologique : Troubles de la personnalité (hypochondriaque ou hystérique) Etat de détresse psychologique Anomalies de la perception du handicap Stratégies adaptatives (coping) inappropriées

• Contexte médico-légal : Accident du travail Conflit médico-légal

2.4 Aspects socio-économiques

Dans les pays industrialisés, du fait de la très grande fréquence dans la population générale, la lombalgie est un problème majeur de santé publique. Les dépenses en coûts directs et en pertes de productivité sont énormes. La comparaison avec les pays en voie de développement est intéressante : la fréquence de la lombalgie y est moindre dans les populations rurales malgré les rudes contraintes physiques professionnelles, mais cette fréquence augmente dans ces pays parmi les populations urbanisées. Ceci souligne l’importance des conditions de vie et de travail.

Les lombalgies représentent 9 % des motifs de consultation du généraliste (2e rang) bien que seulement 1/4 des lombalgiques consultent pour leur mal au dos (tableau I), 7 % des arrêts de travail (bien que seuls 22 % des lombalgiques s’arrêtent pour cela), 8 % des actes de radiodiagnostic, 3 % des prescriptions médicamenteuses, 30 % des prescriptions de rééducation et 13 % des invalidités (3e cause d’invalidité, 1e cause avant 45 ans).

Les coûts médicaux directs sont de 1,37 milliards d’euros par an seulement pour le secteur libéral, auxquels viennent s’ajouter environ 534 millions d’euros annuels d’incapacités temporaires ou définitives. On considère que les coûts indirects (indemnités journalières, pensions d’invalidité, perte de production et pertes d’opportunité d’emploi) représentent 62 à 93 % des coûts totaux des lombalgies. Dans le seul cadre des accidents du travail, 13 % des arrêts (environ 110 000) sont dus, chaque année, à des lombalgies, ce qui correspond à la perte de 3,6 millions de journées de travail.

Le coût total de la lombalgie est estimé à 4,5 milliards d’euros en Hollande, 9,1 au Royaume-Uni, 17,4 en Allemagne. À ces coûts tangibles s’ajoutent les coûts indirects

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intangibles liés aux conséquences psychologiques et sociales ou à la réduction des capacités physiques des personnes souffrantes.

Le poids socio-économique de l’invalidité pour lombalgies est en augmentation exponentielle dans les pays industrialisés. À titre d’exemple, aux USA, entre les années 60 et les années 80, l’invalidité lombalgique a augmenté 14 fois plus vite que la population et le coût d’indemnisation a été multiplié par 27 (alors que le coût de l’invalidité toutes cause confondues n’était multiplié que par 3,5). Ceci semble d’avantage dû à un changement d’attitude des malades, des professionnels de santé et de la société face à la lombalgie qu’à une importante augmentation de la fréquence de la maladie.

Surtout, on distingue classiquement les lombalgies aiguës (moins de trois mois d’évolution) qui représentent la majorité des cas, et les lombalgies chroniques (plus de trois mois d’évolution) qui ne représentent que 7 % environ des lombalgies. Cependant, l’essentiel du poids économique des lombalgies est porté par ces rares malades chroniques. Une enquête canadienne de 1988 montrait que 6,7 % seulement des arrêts de travail pour lombalgies étaient supérieurs à 6 mois mais qu’à eux seuls ils représentaient plus de 75 % des coûts d’indemnisation et près de 70 % des journées de travail perdues. La compensation pécuniaire a une influence négative sur la longueur de l’indisponibilité. Dans une étude déjà ancienne, la durée moyenne d’arrêt de travail était de 14,5 mois en accident de travail et de 3,6 mois en maladie. Le type d’accident, le diagnostic et les traitements spécifiques n’affectaient pas le devenir des patients alors que les troubles psychologiques jouaient un rôle déterminant (Sander et Meyers, Spine, 1986). Enfin, le coût global de la lombalgie est différent selon les pays. Aux USA, il est quatre fois plu important par habitant qu’en France ou en Hollande. Cette différence est expliquée en partie par l’utilisation beaucoup plus importante des techniques d’imagerie et des actes chirurgicaux.

L’évolution chronique des lombalgies dépend beaucoup plus des données démographiques, psychosociales et professionnelles que des caractéristiques médicales de l’affection, ce qui fait dire à un spécialiste américain de ces questions que « les lombalgies sont plus un problème politique qu’un problème médical ». En pratique, il est essentiel d’agir vite car les chances de reprise d’une activité professionnelle diminuent très vite avec la durée de l’arrêt de travail : elles ne sont plus que de 50 % après 6 mois d’arrêt, inférieures à 30 % après un an et pratiquement nulles au delà de 2 ans. III – ETIOLOGIES La lombalgie n’est qu’un symptôme et non une maladie ; à ce titre elle peut recouvrir de nombreuses étiologies. La région lombaire est anatomiquement riche et complexe, composée des vertèbres, des disques intervertébraux, des articulations interapophysaires postérieures articulaires postérieures (avec leur capsule articulaire, leur synoviale et leurs cartilages articulaires), de nombreux ligaments (courts : reliant deux vertèbres contiguës ; et longs : passant en pont sur plusieurs vertèbres), de multiples tendons et de leurs muscles (profonds et superficiels). La région est richement vascularisée et surtout très richement innervée, notamment par les rameaux terminaux des branches postérieures sensitives de chaque racine nerveuse. Toutes ces structures peuvent être touchées par un processus pathologique et donc être responsables de douleurs (tableau IV).

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Tableau IV : Causes certaines ou hypothétiques des lombalgies

Structure

anatomique Causes possibles

Muscles Myopathies, traumas musculaires Tendons Tendinites Ligaments Entorses Articulations interapophyaires postérieures

Inflammatoires (spondylarthropathies) Dégénératives (arthrose)

Os Fracture vertébrale (ostéoporotique ou traumatique) Tumeurs bénignes Tumeurs malignes primitives ou métastases Maladie osseuse de Paget Ostéite infectieuse

Disques intervertébraux

Dégénérescence discale, discarthrose Hernie discale

Enthèses* Inflammatoires (spondylarthropathies) Dégénératives (hyperostose vertébrale)

Nerfs Périphérique : syndrome des branches postérieures Radiculaire : sciatique, crurale, autres radiculites Intra-canalaire : tumeurs du fourreau dural, rares épidurites infectieuses

* Enthèse : zone d’insertion des tendons, ligaments ou capsules articulaires dans l’os

À toutes ces atteintes anatomiques, il convient d’ajouter que la colonne lombaire est un « lieu » d’investissement psychique important et donc une région de somatisation (dépression, conversion hystérique). On suppose que les douleurs lombaires sont alors un dérivatif qui aide à oublier ou à supporter la détresse psychique. Cette multitude de causes des lombalgies, de gravité, de pronostic et de traitement très différents, ne doit pas cacher une quintuple réalité clinique : 1. Nos moyens d’investigations sont limités et radiographies, tomodensitométire, IRM, scintigraphie osseuse, électromyographie, ostéodensitométrie, ne pourront détecter que certaines de ces causes (infections et tumeurs osseuses, hernie discale, arthrose, rhumatismes inflammatoires évolués, radiculite, maladie de Paget, hyperostose vertébrale, tumeurs nerveuses, ostéoporose, …) alors que d’autres sont indétectables (tendinites, atteintes ligamentaires et musculaires) et donc ne sont que vraisemblables mais hypothétiques : le substratum anatomique des lombalgies reste très souvent mystérieux. 2. Il faut mettre en perspective ces différentes étiologies en fonction de leur fréquence (tableau V) et donc bien comprendre que les causes graves que nous pouvons identifier ne représentent que moins de 10 % des lombalgies. Ce sont donc les causes hypothétiques qui recouvrent la vaste majorité des lombalgies et, en pratique, une étiologie n’est retrouvée que dans moins de 20 % des cas.

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Tableau V : Fréquence des causes graves et identifiées des lombalgies récentes

Tassements vertébraux (le plus souvent ostéoporotiques) 4,00 % Hernie discale conduisant à la chirurgie 2,00 % Cancers osseux ou métastases rachidiennes 0,70 % Spondylodiscites 0,01 %

3. La dissociation anatomoclinique : des lésions objectives peuvent n’entraîner aucune lombalgie et se voir chez des individus n’ayant jamais eu mal au dos (hernie discale, arthrose rachidienne, anomalies osseuses, congénitales ou acquises). À l’inverse, toutes les explorations précitées peuvent être normales chez un authentique lombalgique. On peut donc avoir des anomalies sans souffrir ou souffrir sans anomalie (détectable). En pratique, devant une lombalgie récente, il faut se méfier d’attribuer à certaines lésions visibles la cause de la douleur (cf. tableau sur les facteurs de risques). 4. L’immense majorité des lombalgies aiguës guérissent spontanément et rapidement : 90 % des guérisons se font en moins de 2 semaines même en l’absence de tout traitement. 40 à 50 % des lombalgies répertoriées en milieu professionnel durent moins de 24 heures. Les récidives sont cependant fréquentes (près 50 % de rechute dans l’année suivant le premier épisode). 5. Nos moyens thérapeutiques sont à la hauteur de nos connaissances étiologiques : détecter une infection, une ostéoporose, une maladie de Paget, une spondylarthrite ankylosante, une tumeur débouche sur des propositions thérapeutiques spécifiques. Dans tous les autres cas, nous sommes réduits à l’emploi de traitements symptomatiques. De ces constats découle une attitude pragmatique face à la prise en charge des lombalgiques : sur le plan diagnostique, il faut s’attacher à détecter les causes précises, bien identifiées et accessibles à un traitement spécifique. On qualifie ces lombalgies de “ symptomatiques ”. Elles sont cependant les plus rares. Toutes les autres lombalgies seront qualifiées de “ communes ” et partagent une même évolution vers la guérison rapide ; elles ne nécessitent donc pas d’explorations poussées puisqu’elles vont disparaître, que ces explorations seraient négatives ou faussement positives et que les thérapeutiques sont purement symptomatiques. IV – DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL Les douleurs de la région lombaire peuvent être en rapport avec des affections extra-rachidiennes (tableau VI). Dans ce cas, l’examen physique du rachis lombaire est normal, mais un examen plus complet permet le plus souvent d’identifier des signes extra-rachidiens évocateurs de ces affections.

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Tableau VI : Affections extra-rachidiennes pouvant occasionner des lombalgies Appareil ou région

Maladies

Appareil digestif Lombalgies hautes : ulcère gastro-duodénal, pancréatite Lombalgies basses : colite, diverticulose, cancer colique

Région rétropéritonéale

Colique néphrétique, fibrose et tumeurs rétropéritonéales Anévrysme de l’aorte abdominale.

Région pelvienne Lombalgies basses ou douleurs sacrées : douleurs menstruelles, endométriose, tumeurs utérines, grossesse.

Appareil ostéo-articulaire de voisinage

Sacroiliite Fractures et tumeurs du sacrum Coxopathies

V – LOMBALGIE AIGUË OU LUMBAGO

5.1. Définition de la lombalgie aiguë ou lumbago

On parle de lombalgie aiguë ou lumbago en cas de douleurs de la région lombosacrée, pouvant irradier dans les fesses ou à la face postérieure des cuisses sans dépasser les genoux, évoluant depuis mois de trois mois.

5.2. Lombalgie aiguë symptomatique

On parle de lombalgie symptomatique chaque fois qu’il existe une cause fracturaire, tumorale, infectieuse ou inflammatoire aux douleurs lombaires rapportées par le patient. Un certain nombre de signes d’alerte, relevés à l’interrogatoire ou à l’examen physique, doivent systématiquement évoquer le caractère symptomatique d’une lombalgie (tableau VII).

Tableau VII : Eléments devant faire suspecter une lombalgie symptomatique

Âge de début des symptômes avant 20 ans ou après 55 ans Antécédent de maladie néoplasique Toxicomanie, immunodépression (VIH, traitement immunosupresseur) Corticothérapie générale Traumatisme violent (choc direct ou chute d’une hauteur importante) Douleur non mécanique : Douleur du matin supérieure à la douleur du soir Raideur matinale de plus de 15 à 30 minutes Réveils nocturnes non liés au changement de positions Altération de l’état général (quelle que soi sa nature) : Amaigrissement inexpliqué Fièvre Sueurs nocturnes Raideur lombaire persistante, déformation rachidienne importante Signes neurologiques dépassant le métamère atteint (en cas de sciatique) Atteinte bilatérale, troubles sphinctériens A tteinte pyramidale Signes devant faire suspecter une pathologie vasculaire Terrain poly vasculaire Notion de pathologie anévrysmale aortique Douleur thoracique associée à la douleur lombaire.

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Si à l’issue de l’examen clinique initial, il existe des signes d’appel en faveur d’une lombalgie symptomatique, on pourra s’aider d’examens complémentaires. La numération formule sanguine, la vitesse de sédimentation, la CRP constituent les examens biologiques à demander en première intention. Les radiographies du rachis lombaire, de face et de profil, éventuellement complétées par un cliché du bassin de face (en cas de suspicion de spondylarthropathie inflammatoire) sont les examens d’imagerie à demander en première intention. En cas de doute persistant sur le caractère symptomatique de la lombalgie (origine infectieuse ou tumorale), l’examen d’imagerie de deuxième intention doit être une IRM du rachis lombaire. La scanographie et la scintigraphie osseuse conservent leur place en cas de contre-indication ou d’inacessibilité de l’IRM afin d’éliminer une lombalgie non commune. 5.3 La lombalgie aiguë commune 5.3.1. Évaluation initiale

L'examen clinique initial à pour objectif d’affirmer l’origine rachidienne des douleurs (cf.

diagnostic différentiel), puis d’éliminer une lombalgie symptomatique d’une affection fracturaire, tumorale, infectieuse ou inflammatoire. L’identification de l’origine anatomique et des mécanismes en cause dans la genèse des phénomènes douloureux de la lombalgie commune n’a pas d’intérêt à ce stade, puisqu’elle ne modifiera pas la prise en charge thérapeutique (tableau VIII).

Tableau VIII : Quelques idées fausses en matière de lombalgie aiguë

Diagnostiques

Scanner et IRM permettent toujours de détecter la cause de la

lombalgie • Faire une radiographie du rachis lombaire devant toute

lombalgie Thérapeutiques

La hernie discale impose la chirurgie Les lombalgies obligent à arrêter toute activité Le repos au lit est la base du traitement

Prise en charge Les lombalgies aiguës ou chroniques peuvent faire l’objet d’une déclaration au titre des maladies professionnelles indemnisables

Etiologiques

• Les lombalgies sont toujours dues à un traumatisme ou un soulèvement de lourdes charges

La douleur est d'installation brutale ou progressive, au pire empêchant le

redressement (malade “plié en deux”). Elle peut être impulsive à la toux, à l’éternuement, à la défécation. L’intensité de la douleur n’est pas proportionnelle à la gravité de la lésion causale. Elle est souvent déclenchée par un effort de soulèvement ou une mise en tension de la région lombo-sacrée, un trajet prolongé en voiture, un faux mouvement du rachis.

A l'examen physique, la raideur lombaire est manifeste, parfois accompagnée d’une déviation antalgique du rachis lombaire, mais l’examen neurologique des membres inférieurs est en règle normal. La palpation de la région lombaire, malade allongé en décubitus ventral, réveille des points douloureux variables dans leur topographie et leur intensité. Dans ce tableau aigu récent, ils n’ont guère de valeur sémiologique. De même, une contracture musculaire paravertébrale n’est que le reflet de la contracture antalgique réflexe : elle est secondaire et disparaîtra en même temps que la douleur.

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Aucun examen complémentaire n’est indiqué à ce stade, en dehors des rares cas où il

existe des signes évocateurs de lombalgie symptomatique. Si des radiographies standard étaient réalisées, elle montreraient un rachis lombaire normal ou des signes dégénératifs banals, tels que des discopathies, avec ou sans ostéophytose, ou des signes d’arthrose interapophysaire postérieure, qui ne modifieraient en rien le pronostic ou la prise charge thérapeutique de l’épisode de lumbago.

5.3.2. Prise en charge thérapeutique

La plupart des épisodes de lumbagos évoluent naturellement vers la guérison en quelques jours à quelques semaines. Le médecin a pour missions de rassurer le patient, de soulager la douleur et de favoriser le maintien des activités quotidiennes, afin d’éviter le passage à la chronicité. On admet actuellement qu’il existe une période à risque au cours de laquelle le pronostic passe rapidement de bon à mauvais. Cette période se situe entre 6 semaines et 3 mois d’évolution. On parle alors de lombalgie subaiguë ou de lombalgie persistante.

Les différents traitements disponibles n’ont globalement pas fait l’objet d’évaluations de bonne qualité et reposent en grande partie sur les pratiques professionnelles.

5.3.3. Traitements médicamenteux Les antalgiques de classe 1 type paracétamol ont un bon rapport efficacité / tolérance. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont une alternative possible au prix d’effets indésirables plus marqués et plus fréquents. Les AINS sont tous équivalents en terme d’efficacité mais certains sont grevés de plus d’effets secondaires que d’autres. Il n’est pas démontré que les morphinomimétiques (classe 2 de l’OMS) soient plus efficaces que le paracétamol ou les AINS, mais leurs effets secondaires sont plus fréquents. Les décontracturants ou myorelaxants ont une efficacité supérieure à un placebo ; à n’utiliser que sur de brèves périodes (pas plus de deux semaines) pour éviter le risque de dépendance physique (pour les benzodiazépines). L’efficacité des corticoïdes, des antidépresseurs, de la colchicine n’est pas démontrée.

5.3.4. Traitements non médicamenteux Le repos strict (avec arrêt de travail éventuel) est à réduire au strict minimum contrairement aux idées reçues antérieures. Il faut ainsi proscrire l’alitement systématique et limiter sa durée au minimum nécessaire lorsque l’intensité de la douleur le rend indispensable. Il faut au contraire conseiller au patient de maintenir un certain degré d’activités quotidiennes, qui doit être adapté au cas par cas, à l’intensité des douleurs. Le port d’une ceinture de maintien lombaire est probablement utile pour prévenir une rechute de lombalgie et réduire l’impact fonctionnel des symptômes chez les patients dont l’activité professionnelle impose le soulèvement fréquent de charges. Il doit être transitoire, même si l’atrophie musculaire dont on a accusé son port prolongé n’a jamais été prouvée.

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Les conseils d’hygiène orthopédique du rachis sont raisonnables (mais jamais testés) : éviter les ports de charges lourdes, les stations assises prolongées. Les exercices visant à renforcer la sangle abdominale et les muscles rachidiens n’ont pas d’efficacité démontrée mais peuvent prévenir la dégradation des capacités physiques au cours du premier mois. Ils sont surtout un moyen d’éviter ou de diminuer le risque de rechute.

Une manipulation vertébrale peut être indiquée dans les lombalgies aiguës communes, mécaniques, sans conflit disco-radiculaire, pendant le premier mois d’évolution. Le risque, rare, est de transformer un lumbago banal en sciatique ou syndrome de la queue de cheval. Différentes techniques de physiothérapie (diathermie, massages, ultra-sons), le laser cutané, les stimulations électriques, la neuro-stimulation transcutanée, les techniques de biofeed back, diverses injections loco dolenti n’ont pas prouvé leur intérêt ; les infiltrations épidurales de corticoïdes non plus dans la lombalgie commune sans sciatique. Les “ écoles du dos ” peuvent être un appoint utile en réduisant la durée des arrêts de travail lorsqu’elles sont mises en œuvre sur le lieu du travail. Aucune étude n’a démontré leur efficacité dans d’autres cadres. Le port d’une talonnette dans la chaussure ne peut être éventuellement proposée que si l’inégalité de longueur des membres inférieurs est supérieure à 2 cm (très rare). VI – LOMBALGIE CHRONIQUE

6.1. Définition de la lombalgie chronique La lombalgie chronique fait le plus souvent suite à des lumbagos ou apparaît de façon progressive. On parle de lombalgies chroniques en cas de douleurs lombosacrées, pouvant irradier dans les fesses ou à la face postérieure des cuisses sans dépasser les genoux, évoluant depuis plus de trois mois, sans tendance à l’amélioration. Ces lombalgies chroniques ne représentent que 7 % des lombalgies mais elles sont responsables de plus de 75 % des dépenses liées à cette affection. L’évaluation d’un patient lombalgique chronique doit se faire selon une approche multifactorielle. La prise en charge thérapeutique doit se faire selon une approche multidisciplinaire.

6.2. Approche multifactorielle de l’évaluation de la lombalgie chronique (tableau IX) - Evaluation physique et fonctionnelle La douleur constitue la principale plainte des patients lombalgiques chroniques. Elle doit être évaluée de façon multidimensionnelle : approche qualitative et quantitative d’une part, appréciation du retentissement fonctionnel, socioprofessionnel et psychologique d’autre part. L’interrogatoire permet de préciser les caractéristiques de la douleur : siège, irradiation éventuelle, mode d’installation (brutal, progressif), durée d’évolution, horaire (mécanique, inflammatoire, mixte), type (excès de nociception, neuropathique, mixte), facteurs déclenchant et calmant.

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L’échelle visuelle analogique (EVA) permet de quantifier son intensité de façon simple. Il s’agit d’une méthode validée, possédant de bonnes propriétés métrologiques. La formulation de la question doit être précise sur la nature de la douleur évaluée : circonstances (spontanée, repos, effort), intensité (maximale, minimale, moyenne), siège (lombaire, irradiation dans les membres inférieurs). Les scores obtenus ont une valeur descriptive pour un individu donné et permettent un suivi, mais ils ne permettent pas de comparaisons interindividuelles. L’échelle de Dallas (Dallas Pain Questionnaire) permet d’explorer l’impact de la douleur dans quatre dimensions : activités quotidiennes, travail et loisirs, dépression-anxiété et comportement social. Sa version française, dénommée échelle de douleur du rachis auto-questionnaire de Dallas (DRAD) a récemment été validée chez les patients lombalgiques chroniques. L’échelle DRAD possède de bonnes qualités métrologiques chez le lombalgique chronique. Elle se présente sous la forme d’un auto-questionnaire composé de seize questions dont les réponses se font sous forme d’échelles visuelles, qui peuvent être remplies en trois à cinq minutes, avec un résultat chiffré obtenu en moins d’une minute.

L’examen clinique général, ostéo-articulaire et neurologique constitue une étape incontournable dans l’évaluation initiale d’un patient lombalgique chronique. Il permet de s’assurer de l’absence de signes généraux (asthénie, amaigrissement, fièvre) en faveur d’une lombalgie symptomatique. Il est utile pour confirmer l’absence de signes déficitaires des membres inférieurs et du pelvis (anesthésie en selle, troubles sphinctériens) ou de positivité de la manœuvre de Lasègue, qui s’ils étaient présents feraient sortir le patient du cadre de la simple lombalgie chronique. Il permet enfin de rechercher une douleur provoquée à la pression des épineuses ou des régions paravertébrales et d’apprécier la mobilité du rachis dans les différents plans de l’espace (flexion, extension, inflexions latérales). Cependant, l’utilité de l’examen clinique pour distinguer les patients lombalgiques chroniques des sujets normaux reste à démontrer en dehors du cadre de protocoles de recherche clinique. De même, il semble extrêmement délicat de préciser cliniquement la structure anatomique (disque intervertébral, articulations interapophysaires postérieures, ligaments, ou muscles) ou la lésion (pincement discal, ostéophytose, arthrose interaphophysaire postérieure, spondylolisthésis) responsable des douleurs. Ainsi, l’examen clinique reste indispensable pour éliminer une lombalgie symptomatique ou une complication neurologique d’origine rachidienne. Par contre, en raison des intrications existant entre les dimensions physique et psychologique, il ne contribue pas à l’évaluation de la sévérité, il oriente rarement la démarche thérapeutique et il ne permet pas le suivi des patients lombalgiques chroniques. Plusieurs instruments ont été élaborés et sont utilisés pour l’évaluation spécifique de l’incapacité fonctionnelle des lombalgiques : Oswestry Disability Questionnaire, Roland-Morris Disability Questionnaire, Million Visual Analog Scale et Wadell Disability Index. Une version française du Roland-Morris Disability Questionnaire existe et a été validée dans la lombalgie aiguë, il s’agit de l’échelle d’incapacité fonctionnelle pour l’évaluation des lombalgies (échelle EIFEL). Elle se présente sous la forme d’un auto-questionnaire composé de vingt-quatre questions concernant les répercussions de la douleur lombaire sur les activités de la vie quotidienne : locomotion, activités domestiques, confort corporel et répercussions sociales ou psychologiques. Cet auto-questionnaire peut être complété par le patient en quelques minutes, un résultat chiffré est obtenu immédiatement, avec un score maximal possible de vingt-quatre correspondant une incapacité majeure et un score minimal de zéro traduisant l’absence d’incapacité.

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Tableau IX : Approche multifactorielle de l’évaluation d’un lombalgique chronique Evaluation de la douleur et de son retentissement Interrogatoire : caractéristique de la douleur Echelle visuelle analogique (EVA) : intensité de la douleur Echelle de douleur du rachis : auto-questionnnaire de Dallas Examen clinique général, ostéo-articulaire et neurologique Evaluation de l’incapacité fonctionnelle Echelle d’incapacité fonctionnelle pour l’évaluation des lombalgies (EIFEL) Evaluation socioprofessionnelle Niveaux d’éducation et de ressource Statut familial Importance des contraintes mécaniques au poste de travail Niveau de satisfaction au travail Evaluation psychologique Recherche d’une composante anxieuse Recherche d’une composante dépressive Evaluation éventuelle des stratégies adaptatives Evaluation médico-légale Précision du contexte : accident de travail Recherche d’un conflit médico-légal

6.3. Place de l’imagerie dans l’évaluation de la lombalgie chronique

Dans le cadre de la lombalgie commune, il n’a pas été identifié dans la littérature d’éléments permettant de valider une stratégie précise dans l’enchaînement des prescriptions d’imagerie. Les structures anatomiques et les lésions dégénératives potentiellement impliquées dans la genèse des douleurs étant nombreuses, leur responsabilité respective est difficile à établir. De plus, ces lésions dégénératives sont fréquemment retrouvées chez des sujets asymptomatiques. Cette absence de corrélation anatomo-clinique et l’absence d’examen de référence représentent autant d’obstacles à l’évaluation diagnostique et pronostique des examens d’imagerie dans la lombalgie chronique.

Une récente revue de la littérature avait pour objectif de rechercher une relation de causalité entre les données issues des radiographies standard et la lombalgie commune. Les signes de dégénérescence discale (pincement discal, ostéophytose et ostéosclérose) semblent associés à la lombalgie avec des odds ratios compris entre 1,2 et 3,3. D’autres lésions, telles que spondylolyse, spondylolisthésis, spina bifida, anomalies transitionnelles et séquelles de maladie de Scheuermann ne semblent pas associées à la lombalgie. En raison de la grande variabilité de la qualité méthodologique des études prise en compte dans cette revue de la littérature, les auteurs ne concluent pas quant à la présence ou l’absence de relation de causalité entre les données issues des radiographies standard et la lombalgie chronique.

Sur les radiographies dynamiques, il est difficile d’établir une relation entre l’amplitude du mouvement supposé anormal entre deux vertèbres et la symptomatologie clinique. De ce fait, il n’existe pas de preuve suffisante de l’intérêt des radiographies dynamiques, quelle que soit la méthode de mesure, dans l’évaluation de la lombalgie chronique.

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Pour ce qui concerne l’IRM, la constatation de signes de dégénérescence discale est fréquente (6 à 85%) chez des sujets asymptomatiques. Un certain nombre d’études cas-témoins, de qualité méthodologique variable, ont conclu à une association entre signes de dégénérescence discale et lombalgie commune. Il faut cependant souligner que 18 à 44% des témoins (sujets asymptomatiques) inclus dans ces études présentent au moins un disque intervertébral considéré comme dégénératif par les radiologues contre 27 à 60% des cas (patients lombalgiques). Ainsi, bien que l’IRM soit un examen sensible pour mettre en évidence des signes de dégénérescence, de protrusion ou de hernie discale, il est difficile voir impossible d’établir une relation de causalité entre les données issues de l’IRM et les symptômes décrits par les patients lombalgiques.

Enfin, la scanographie, la myélographie ou la scintigraphie n’ont pas d’utilité démontrée dans l’évaluation de la lombalgie commune.

En conclusion, les examens d’imagerie sont indiqués en cs de suspicion de lombalgie symptomatique. Dans ce cas, on réalise des radiographies standard, puis une IRM, voire une scanographie ou une scintigraphie en cas de contre-indication à la réalisation de l’IRM. Pour ce qui concerne la lombalgie commune évoluant sur un mode chronique, l’ANAES reconnaît licite la réalisation d’une IRM après radiographie standard quand il existe un retentissement grave dans la vie professionnelle et/ou qu’un traitement invasif est envisagé. Cependant, quelle que soit la gravité du retentissement dans la vie professionnelle, l’IRM n’apportant pas d’élément diagnostique ou pronostique validé dans la lombalgie commune, elle ne semble pas avoir sa place dans le cadre de l’évaluation multidisciplinaire de la lombalgie chronique.

6.4. Evaluation socioprofessionnelle

Un certain nombre de facteurs socioprofessionnels interviennent en tant que facteurs de risque de chronicité. Ils doivent systématiquement être recherchés et analysés avec le patient au cours de l’entretien. Le statut familial et les niveaux d’éducation et de ressource doivent être pris en compte. Pour ce qui concerne le statut professionnel, on ne doit pas se contenter de noter la profession du patient, mais on doit essayer d’évaluer sa qualification professionnelle, son ancienneté au poste de travail, les contraintes mécaniques inhérentes à ce poste, la formation éventuelle aux gestes et postures, les aménagements éventuels du poste de travail, la capacité de l’entreprise en terme de formation professionnelle. Il faut enfin rester suffisamment à l’écoute du patient pour essayer d’évaluer son niveau de satisfaction au travail, soit directement en l’interrogeant à ce sujet, soit indirectement en lui demandant de décrire son environnement professionnel et hiérarchique.

6.5. Evaluation psychologique

Toute douleur ressentie par un sujet s’accompagne immanquablement de modifications relationnelles avec son environnement, mais aussi de changements de la perception que ce sujet a de lui-même. Au cours de l’entretien, il est recommandé de rechercher une composante anxieuse et/ou dépressive (tristesse de l’humeur, inhibition psychomotrice et modification de l’humeur ou des conduites alimentaires) éventuellement associée à la symptomatologie douloureuse. Dans le cadre de la recherche clinique, on peut utiliser des tests psychométriques analysant plus particulièrement certains traits de personnalité, notamment anxieux et dépressifs, tels que la version française de l’inventaire de Beck (Beck Anxiety Inventory) ou l’échelle de Hamilton (Hamilton depression rating scale). D’autres tests psychométriques permettent d’évaluer les stratégies adaptatives. Enfin, certains thérapeutes proposent une approche psychosomatique qui trouve son fondement dans la théorie psychanalytique.

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6.6. Evaluation médico-légale

Enfin, au cours de l’évaluation d’un lombalgique chronique, l’entretien doit

systématiquement rechercher un éventuel conflit médico-légal. Si un tel conflit existe, il faut préciser la situation du patient vis-à-vis des différents régimes susceptibles d’accorder une éventuelle compensation financière : régime assurance maladie, régime accident du travail, régime du droit Commune et COTOREP.

6.7. Principes de la prise en charge multidisciplinaire de la lombalgie chronique (tableau X)

Tableau X : Principes de la prise en charge multidisciplinaire d’une lombalgie chronique Indications de la prise en charge multidisciplinaire Lombalgie persistante et lombalgie chronique Composition de l’équipe multidisciplinaire Médecin compétent dans la prise en charge des affections du rachis Psychiatre et/ou psychologue Kinésithérapeute Médecin du travail et/ou assistante sociale Objectifs de la prise en charge multidisciplinaire Contrôle et gestion de la douleur Amélioration des capacités fonctionnelles Corrections d’éventuels troubles psychologiques Réinsertion sociale et professionnelle Modalités thérapeutiques de la prise en charge multidisciplinaire

Prise en charge de la composante douloureuse : traitements médicamenteux par voie orale et par voie locale ; traitements non médicamenteux

Prise en charge de la composante fonctionnelle : programmes de reconditionnement à l’effort

Prise en charge de la composante psychologique : antidépresseurs tricycliques ou sérotoninergiques ± anxiolytiques, relaxation, thérapie comportementale, psychothérapie

Prise en charge de la composante socioprofessionnelle : mi-temps thérapeutique, changement d’unité de travail, formation professionnelle, reclassement professionnel

Modalités de suivi de la prise en charge multidisciplinaire Réévaluation régulière et prolongée selon une approche multidirectionnelle Quantification objective des résultats de l’intervention multidisciplinaire

6.7.1. Notion de multidisciplinarité On parle de multidisciplinarité lorsque plusieurs professionnels de santé, d’origines et/ou de compétences différentes, s’occupent d’un même problème médical. L’équipe assurant la prise en charge multidisciplinaire de la lombalgie chronique devrait idéalement comporter : un médecin ayant une compétence reconnue dans la prise ne charge des affections du rachis (rhumatologue ou médecin physique), un psychiatre et/ou un psychologue, un kinésithérapeute, un médecin du travail et/ou une assistante sociale et un secrétariat formé à l’accueil des douloureux chroniques.

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6.7.2. Objectifs généraux Les objectifs de la prise en charge multidisciplinaire de la lombalgie chronique doivent être fixés avec le patient à l’issue de l’évaluation initiale. Ils visent à permettrent au patient de contrôler et de gérer sa douleur, d’améliorer ses capacités fonctionnelles, de corriger d’éventuels troubles psychologiques et enfin à favoriser sa réinsertion sociale et professionnelle le plus rapidement possible.

6.7.3. Prise en charge de la composante douloureuse Antalgiques type paracétamol jusqu’à une dose totale de 4 g/jour. En cas de poussée douloureuse : AINS, soins de physiothérapie. Infiltrations des articulaires postérieures en cas d’arthrose et de syndrome de ces articulaires. Son efficacité reste discutée. Une amélioration transitoire peut conduire à une rhizolyse lombaire ou thermocoagulation per-cutanée des branches sensitives postérieures, dont l’efficacité varie aussi de 20 à 70 % selon les équipes. Pour ce qui concerne les traitements non médicamenteux à visée antalgique, le repos au lit n’est pas recommandé et l’intérêt d’une contention lombaire reste à démontrer. Les massages et la balnéothérapie peuvent être proposés pour leur effet antalgique à court terme, avec l’objectif de pouvoir débuter plus tôt la rééducation. L’exercice est efficace à court terme dans le traitement à visée antalgique. Les manipulations vertébrales peuvent être proposées pour leur effet antalgique à court terme. Elles constituent un acte médical qui doit être précédé d’un bilan clinique et paraclinique. Enfin, il faut souligner ici que la place de la chirurgie dans le traitement de la lombalgie chronique reste à définir. Au vu des recommandations de l’ANAES, il n’existe pas à ce jour d’intérêt clairement démontré de l’arthrodèse dans la lombalgie chronique isolée et en l’état actuel des connaissances les prothèses discales ne doivent pas être proposées.

6.7.4. Prise en charge de la composante fonctionnelle Elle fait appel aux méthodes et techniques kinésithérapiques. Leurs objectifs sont la recherche d’une action antalgique à court terme, le développement des capacités d’autosédation, le renforcement de la musculature abdomino-lombaire, la rééducation de la mobilité lombaire et pelvi-fémorale, l’amélioration de la proprioceptivité lombo-pelvienne et l’amélioration de la condition physique générale. Les programmes d’exercices physiques à visée fonctionnelle donnent des résultats positifs à court terme chez des patients motivés et observants. Il est impossible de conclure sur l’éventuelle supériorité d’un type d’exercice par rapport à l’autre (flexion ou extension). La preuve de l’efficacité des écoles du dos ne comportant qu’un programme d’éducation n’est pas faite dans la lombalgie chronique. Par contre, les programmes de reconditionnement à l’effort comportant des séances d’éducation et de conseils et surtout des programmes de renforcement et d’étirement musculaires, donnent des résultats positifs à long terme sur le plan fonctionnel et semblent favoriser la reprise des activités socioprofessionnelles

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6.7.5. Prise en charge de la composante psychologique Elle peut faire appel aux traitements médicamenteux tels que les anxiolytiques ou les antidépresseurs tricycliques ou sérotoninergiques en cas de contexte dépressif. Il faut signaler que les antidépresseurs tricycliques exercent par ailleurs un effet antalgique modeste chez le lombalgique. Des approches non médicamenteuses peuvent être proposées par le psychothérapeute après un ou plusieurs entretiens : simple relaxation, thérapie comportementale, approche psychiatrique ou approche psychothérapique d’inspiration psychanalytique

6.7.8. Prise en charge de la composante socioprofessionnelle ( Figure 1)

La prise en charge d’un patient lombalgique nécessite une collaboration multidisciplinaire pour répondre aux besoins de prévention, de traitement, et des démarches socio-professionnelles . Le médecin de Travail se prononcera sur l’adéquation entre l’état de santé du patient et son poste de travail par un avis d’aptitude individuel et un accès au milieu de travail. Quand solliciter le Médecin du travail par l’intermédiaire du salarié : ♦ Visite de pré-reprise : à l’initiative du patient , du médecin traitant, du médecin conseil ; lorsque le handicap laisse présager une impossibilité de réinsertion au poste antérieur , contacter le médecin du travail avant la fin des droits , permettra d’anticiper sur les stratégies d’action à mener pour effectuer son un aménagement de poste ou un reclassement . ♦ Après 8 jours d’arrêt en accident du Travail (obligatoire) ♦ Après 21 jours d’arrêt maladie (obligatoire) ♦ Pour absences répétées La reprise d’une activité professionnelle doit être la plus précoce possible afin d’éviter d’« enkyster » le patient dans sa maladie. Il en résultera un prise en charge plus globale mettant en jeu des différents acteurs (assistantes sociales, ergonomes, ingénieurs, employeurs).

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Arrêt de maladie ou AT

Période de Traitement Fin des indemnités journalières

Reprise au poste antérieur

Visite de reprise du médecin du Travail

Apte

Poste aménagé Mi-temps thérapeutique Temps partiel

Reclassement

Inapte au poste

mutation

Formation professionnelle Formation spécifique Travailleurs Handicapés (COTOREP)

Maintien dans l’entreprise licenciement

ANPE

Apte au travail

COTOREP

ANPE

COTOREP

Inapte à « tout travail »

COTOREP

Demande d’invalidité (assurance maladie)

Reclassement Services sociaux

Non

Obligatoire si : AT>8jours arrêt maladies<21jours

Visite de préreprise

Restrictions

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EN PRATIQUE Les lombalgies représentent un véritable problème de Santé Publique. Elles imposent une stratégie d’évaluation et une prise en charge thérapeutique standardisée (figure 2). Devant un lumbago (< 3 mois) • Affirmer l’origine rachidienne des phénomènes douloureux • Eliminer une lombalgie symptomatique :

• Par l’interrogatoire (altération de l’état général ? anamnèse ?) • Par l’examen physique (signes neurologiques, signes extra-rachidiens ?) • Par le suivi (reconsidérer le problème si absence d’amélioration au bout

d’une à deux semaines et faire les radiographies standard et le bilan biologique)

• Rechercher des facteurs de risque de passage à la chronicité • Traiter la douleur de façon symptomatique • Eviter le repos strict et les arrêts de travail prolongés • Favoriser un maintien des activités • Rassurer le malade (Tableau XI) • Réévaluer la situation au cours du premier mois d’évolution pour tout mettre en

œuvre en cas de lombalgie persistante (6 semaines à 3 mois d’évolution Devant des lumbagos récidivants, en dehors des crises, gymnastique, conseils d’hygiène orthopédique du rachis, ± école du dos. Devant une lombalgie chronique (< 3 mois)

• Réaliser une évaluation selon une approche multifactorielle • Envisager une prise en charge multidisciplinaire

o De la douleur o Du déconditionnement à l’effort o Du retentissement psychologique o Du retentissement socioprofessionnel

Pour en savoir plus … Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé. L’imagerie dans la lombalgie commune de l’adulte. Paris : ANAES ;1998. www.anaes.fr Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé. Diagnostic, prise en charge et suivi des malades atteints de lombalgie chronique. Paris : ANAES ;2000. www.anaes.fr

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Figure 1 : Arbre diagnostique des lombalgies

(d’après Dubourg et Wrona, 1995)

Lombalgie

aiguë (< 3 mois)

chronique (> 3 mois)

cf. chapitre

Scanner IRM

scintigraphie PL pas d’examen

Rx standard ± scintigraphie

VS, électro- phorèse calcémie

phosphorémie Rx standardcf. chapitre

éliminer une origine viscérale projetée

lombalgie inflammatoire (VS, Rx standard)

lombalgie mécanique

éliminer une spondylodiscite

(si évocateur : IRM,biopsie vertébrale)

pathologie : discale

art. post. autre

> 50 ans : métastase, myélome

jeune : spondyl-

arthropathie

causes rares : O. ostéoïde neurinome méningite angiome

jeune : lumbago

> 60 ans tassement

fissure sacrée

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Tableau XI : Eléments à retenir et à indiquer au malade, devant une lombalgie aiguë • Les symptômes les plus intenses s’améliorent toujours considérablement en quelques jours. Les symptômes les plus légers peuvent persister, éventuellement plusieurs mois. • Le maintien d’une activité adaptée à la douleur doit être conseillé. • La plupart des patients ont des récidives de leurs douleurs de temps en temps. Elles sont habituelles et ne signifient pas une aggravation des lésions rachidiennes existantes ou l’apparition d’une nouvelle pathologie. • 10 % des patients ont des symptômes persistants un an après une lombalgie aiguë. La plupart d’entre eux peuvent néanmoins reprendre leurs activités antérieures ; grâce à cela, ils se sentent en meilleure santé, ont un meilleur moral et consomment moins de médicament contre la douleur. • Plus l’interruption de travail du fait de la lombalgie aiguë est prolongée, plus les chances de reprise du travail sont faibles. • Les douleurs lombaires n’augmentent pas en général avec l’âge.

Annexe I : Références médicales opposables (JO du 12 juillet 1998)

Imagerie dans l’arthrose rachidienne

Algies rachidiennes communes

Masso-kinésithérapie dans les lombalgies communes

Il n’y a pas lieu de demander ou de pratiquer un scanner et/ou une IRM, pour le diagnostic ou la surveillance d’une arthrose rachidienne, en dehors des cas où les données cliniques et/ou para-cliniques et les radios standard font craindre une complication ou une pathologie rachidienne d’une autre nature.

Il n’y a pas lieu de demander ou de pratiquer un scanner et/ou une IRM, devant une lombalgie aiguë ou un lumbago d’effort, en dehors des cas où les données cliniques et/ou font craindre une lombalgie symptomatique (infectieuse, inflammatoire, tumorale ou extra-rachidienne).

Il n’y a pas lieu, dans la lombalgie aiguë, de prescrire des séances de rééducation fonctionnelle. Il n’y a pas lieu de prescrire en première intention, plus de quinze séances de masso-kinésithérapie dans la lombalgie chronique.

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Annexe II : Les recommandations et Références Médicales de l’ANAES

Masso-kinésithérapie dans les lombalgies communes Les méthodes de masso-kinésithérapie dites à effet antalgique direct sont le plus souvent perçues comme sédatives par le patient, notamment le massage et le réchauffement local. Il n’existe cependant aucune preuve de leur efficacité durable dans le traitement de la lombalgie chronique. (Ces méthodes) ne sont qu’adjuvantes et ne doivent donc pas résumer la séance de masso-kinésithérapie. Les soins de masso-kinésithérapie ne peuvent qu’être prescrits après une évaluation médicale orientant vers des objectifs thérapeutiques précis et qui seront pris en compte dans l’appréciation des résultats. Mais au-delà, l’objectif est beaucoup plus global. Il cherche à améliorer la gestion de la douleur et à diminuer le retentissement fonctionnel, conséquence directe de la lombalgie, sa répercussion dans les actes de la vie courante qu’il s’agisse des activités quotidiennes ordinaires, professionnelles, de loisirs, voire sportives. Le choix de la méthode de rééducation dépend des données de l’évaluation médicale et du bilan paramédical. Une notion importante est la position lombopelvienne qui habituellement aggrave ou soulage la lombalgie (…). Il n’existe pas suffisamment de preuves pour recommander un traitement de masso-kinésithérapie dans la lombalgie aiguë. Il ne faut pas recommander un programme d’école du dos dans la lombalgie aiguë. Il existe suffisamment de preuves pour conseiller la prescription de masso-kinésithérapie dans la lombalgie chronique. Quinze séances sont suffisantes pour juger du résultat de la masso-kinésithérapie. Le programme initial doit être poursuivi par une auto-rééducation. La prescription de courtes séries de séances dans les mois ou les années qui suivent peut être justifiée. Il n’existe pas suffisamment de preuves pour généraliser le principe des écoles du dos dans le traitement de la lombalgie chronique en attendant de nouvelles évaluations.

Annexe III : diagnostic, prise en charge et suivi des malades atteints de lombaire chronique (ANAES, décembre 2000). www.anaes.fr

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Tableau récapitulatif des traitements et de leur efficacité dans la lombalgie chronique selon leur grade de recommandation

Modalité thérapeutique

Critère de jugement

Grade de la recommandation

Recommandation

Exercices physiques Douleur Grade B Recommandés Programmes multi disciplinaires

Douleur, fonction et réinsertion professionnelle

Grade B Recommandés

Thérapies comportementales

Douleur Grade C Recommandées

Paracétamol Douleur Non évalué Peut être proposé École du dos Douleur Pas d'efficacité

isolément Grade B si associée à des exercices physiques

Peut être proposée en association avec des exercices physiques

Manipulations vertébrales

Douleur Grade B Peuvent être proposées

Thermalisme Douleur et fonction

Grade B Peut être proposée à visée antalgique et pour restaurer la fonction

Antalgiques opioïdes (niveau II)

Douleur Grade B Peuvent être proposés à visée antalgique

Myorelaxants (tétrazépam)

Douleur Grade B Peuvent être prescrits à visée antalgique (courte durée)

Balnéothérapie Douleur Grade C Peut être proposée à visée antalgique

TENS Douleur Grade C Peuvent être proposés à visée antalgique. Place à déterminer dans la prise en charge des lombalgiques

Électro-acupuncture Douleur Grade C Peut être proposée à visée antalgique. Place à déterminer dans la prise en charge des lombalgiques

AINS (doses antiinflammatoires)

Douleur Grade C Peuvent être prescrits à visée antalgique (courte durée)

Massages Douleur Efficacité non démontrée

Peuvent être proposés en début de séance

Acide acétylsalicylique Douleur Non évalué Peut être proposé à visée antalgique (courte durée)

AINS (doses Douleur Non évalués Peuvent être prescrits

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antalgiques) (information du patient sur les risques digestifs)

Acupuncture Douleur Efficacité non démontrée

Peut être proposée

Antidépresseurs tricycliques

Douleur Grade C Évaluer le bénéfice/risque avant prescription en dehors d'un contexte de dépression

Infiltrations épidurales de corticoïdes

Douleur Grade B (mélange lombalgies/lombosciatiques)

Ne doit pas être un traitement de première intention

Thermocoagulation de la branche médiale du rameau dorsal postérieur du nerf spinal

Douleur (population sélectionnée)

Grade B

Ne doit pas être un traitement de première intention

Infiltrations intra-articulaires postérieures de corticoïdes

Douleur Grade C (population sélectionnée)

Ne doit pas être un traitement de première intention

Antalgiques opioïdes (niveau III)

Douleur Grade C Peuvent être envisagés au cas par cas

Stimulation des zones gâchettes

Douleur Grade C Peut être proposée à visée antalgique. Place à déterminer dans la prise en charge des lombalgiques

Contention lombaire Douleur Non évaluée Peut être proposée.Ne doit pas être un traitement de première intention

Arthrodèse lombaire Douleur Non évaluée Indications exceptionnelles Repos au lit Douleur Non évalué Non recommandé

Phytothérapie Douleur Efficacité non

démontrée Non recommandée

Corticoïdes Douleur Non évalués Non recommandés Ionisations, ondes électromagnétiques et laser

Douleur Efficacité non démontrée

Non recommandés

Tractions vertébrales Douleur Efficacité non démontrée

Non recommandées

Prothèses discales Douleur Non évaluées Pas d'indication

*En l'absence de grade spécifié, il s'agit d'un simple accord professionnel

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CHAPITRE 9 (BIS) TRAITEMENT PHYSIQUE DE LA LOMBALGIE

Les données fondées sur la preuve sont, en matière de traitement physique des

lombalgies, de qualité moyenne ; leur niveau de preuve ne dépasse pas le niveau II ; les recommandations sont donc au plus du grade B. Ceci ne permet pas de mettre en œuvre une politique de références médicales opposables éthiquement et concrètement acceptables. Il s’agit donc de réfléchir à la situation de chaque patient en s’appuyant sur l’expérience professionnelle des praticiens et en s’aidant les documents de recommandations. I - LOMBALGIE AIGUE

Objectif 1 : être capable d’argumenter et de prescrire le traitement physique d’une lombalgie aiguë :

• Le traitement physique conventionnel (massages, chaleur, mobilisations) n’a pas

apporté formellement la preuve de son efficience. Les techniques thermiques ont un effet antalgique et décontracturant ; l’immobilisation segmentaire du rachis lombaire n’est utile que lorsqu’il s’agit véritablement d’un lumbago d’origine discale (impulsivité à la toux, perte de la lordose physiologique).

• Prescription de la rééducation : le traitement physique complètera le traitement

médicamenteux à base d’antalgiques et de myorelaxants lorsque le sujet n'est pas amélioré après deux semaines de traitement médicamenteux ou qu’il a déjà eu des épisodes analogues ; il y a en effet un risque de passage à la chronicité (accord professionnel fort). Dix séances doivent être suffisantes pour permettre de retrouver un rachis souple et indolent.

Objectif 2 : savoir orienter le patient porteur d’une lombalgie aiguë vers une thérapeutique manuelle ostéopathique :

• Les manipulations vertébrales sont le plus utiles lorsque le lumbago a une origine

articulaire postérieure (blocage de la charnière dorso-lombaire par mouvement en torsion à partir d’un effort des membres supérieurs- classique lumbago qui vient d’en haut) ; dans les lumbagos de l’insuffisance discale (épisode itératifs de blocage caractéristiques de la lombalgie aiguë récidivante) il permet de libérer le malade de son blocage. Il est formellement interdit de manipuler s’il existe des signes de souffrance nerveuse (irradiation radiculaire, signes déficitaires à fortiori). Les lombalgies aiguës d’origine musculaire (« torso pain » des anglo-saxons par contracture du carré des lombes) sont améliorés par les techniques manuelles stéopathiques non manipulatives (par exemple techniques des tissus mous de type myotensif).

II – LOMBALGIE CHRONIQUE

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Objectif 3 : connaître les objectifs du traitement physique de la lombalgie chronique

• Les objectifs thérapeutiques sont de a) calmer la douleur, b) améliorer ou préserver la mobilité restreinte par la raideur du rachis comme par celle des plans musculaires para-rachidiens (psoas) et sous pelviens (triceps jambier et ischio-jambiers), c) renforcer l'efficience musculaire du tronc, d) redonner des capacités générales d'effort, e) augmenter la confiance dans le rachis lombaire, f) de permettre la reprise des activités en particulier physiques et notamment professionnelles.

Objectif 4 : connaître l’action des principaux traitements physiques dans la lombalgie chronique

En sachant qu’il n'y a pas de parallélisme entre les lésions et les symptômes, les études contrôlées ont démontré que les manipulations vertébrales, l’école du dos, le renforcement musculaire, la crénothérapie ont apporté la preuve de leur efficacité pour améliorer la douleur, réduire la consommation médicamenteuse accroître les capacités fonctionnelles, la souplesse rachidienne (niveau de preuve II).

• L'évaluation du lombalgique chronique est celle d'un douloureux chronique (confer

recommandations de l’ANAES), complétée par l'évaluation de la raideur, de la force et de la puissance musculaires, de l’incapacité fonctionnelle (échelle EFEL).

• Les manipulations vertébrales sont utiles en cas d'épisode de blocage douloureux.

• Le renforcement musculaire doit privilégier les muscles déficitaires (le plus habituellement les extenseurs du rachis) (sauf cas particulier de certaines lombalgies, articulaires postérieures notamment, soulagées par les exercices en cyphose), et se faire à un niveau d’intensité suffisant. Mais les études n’ont pas montré de différence entre travail en extension et travail en flexion ; on choisira donc en fonction de l’analyse préalable du déficit musculaire et selon la tolérance des patients. Un travail préalable d’assouplissement articulaire et d’étirements musculaires est profitable.

• Le renforcement musculaire doit être complété par un re-conditionnement général à l’effort (marche, natation, bicyclette) et un ré-entraînement professionnel.

• Les orthèses lombaires ont peu d’indications dans les situations chroniques. Elles peuvent être utiles chez certains douloureux importants calmés par l’immobilisation segmentaire ; pour tester l’intérêt d’une chirurgie de stabilisation vertébrale (arthrodèse). Dans les activités de la vie quotidienne, du lombalgique chronique, un lombostat avec baleines peut aider à éviter certains gestes agressifs (effet de rappel).

• Les programmes (intensifs) de restauration fonctionnelle du rachis associent renforcement musculaire du tronc, re-conditionnement général, ré-entraînement professionnel et se réalisent soit en hospitalisation complète soit en hospitalisation de jour pour permettre une prise en charge quantitativement et qualitativement maximale. Ils sont indiqués lorsqu'il existe un problème professionnel majeur (certains travailleurs de force), qu'ils doivent permettre de favoriser la reprise du travail (manuel) parce que l’emploi du sujet est préservé ; il s'agit de situations relativement rares mais particulièrement problématiques.

• L'école du dos est l'endroit privilégié pour expliquer au patient les raisons de sa douleur

lombaire et comment la prendre en charge ; elle s'adresse à tous les lombalgiques ; ils doivent assimiler et mettre en pratique les règles d'hygiène orthopédique et d'économie articulaire exposées dans le cadre de l'éducation gestuelle et posturale qui complète l'information sur la

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lombalgie et l'éducation gymnique. Les écoles du dos ne sont véritablement efficaces que si elles mettent en œuvre une véritable gymnique efficiente et effective destinée à obtenir un renforcement musculaire. Elles offrent également un utile lieu et temps de parole qui contribue à dédramatiser une situation durement ressentie par bien des patients.

• Les conseils d’hygiène orthopédique participent, comme l’éducation gestuelle et posturale, à l’économie articulaire. Ont ainsi une grande importance : le couchage (ferme), le chaussage (absorbant les chocs de la marche), la qualité des sièges (hauteur, angle du dossier, profondeur de l'assise), la conduite automobile, le soulèvement et le port de charges, les activités physiques.

• La crénothérapie a démontré, par des études contrôlées, son efficacité pour diminuer la douleur et la consommation médicamenteuse, accroître la souplesse rachidienne et les capacités fonctionnelles du lombalgique chronique.

Objectif 5 : savoir argumenter et prescrire le traitement physique chez un lombalgique chronique

• Les poussées douloureuses aigues relèvent d’une thérapeutique médicamenteuse et éventuellement de soins physiques antalgiques, utiles pour démarrer le renforcement musculaire .

• Tous les lombalgiques chroniques doivent bénéficier d'une évaluation correcte, de techniques sédatives, d’assouplissement articulaire et musculaire, de renforcement musculaire (en extension, ou en flexion selon la tolérance et/ou l’efficacité), d'éducation gestuelle et posturale.

• Pour les lombalgiques chroniques communs une vingtaine de séances de rééducation est nécessaire pour obtenir un début de gain de force et permettre une bonne acquisition des exercices par le patient, à charge pour lui de les poursuivre régulièrement par la suite. L'exercice contrôlé doit, en effet, être complété et poursuivi par l'exercice libre que le patient effectuera seul selon les indications qui lui auront été données (médecin, kinésithérapeute traitants, école du dos). Le passage en école du dos, s’il en existe à proximité est utile ; elle doit comporter éducation gestuelle et posturale mais également éducation gymnique.

• Les lombalgies d’origine articulaire postérieure («facet syndrome» des anglo-saxons) classiquement soulagées par la cyphose et l'anesthésie du massif articulaire postérieur tirent le plus habituellement bénéfice d'exercices en cyphose.

• Les lombalgies du travailleur manuel en arrêt de travail peuvent indiquer la mise en oeuvre d'un programme de restauration fonctionnelle du rachis s'il n'existe pas de contentieux ou bénéfices secondaires et si la perspective de reprise de l'emploi est une réalité. La limite essentielle est ici le coût de ces programmes qui les rend peu disponibles dans notre pays.

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CHAPITRE 10 LES AUTRES DOULEURS CHRONIQUES NON CANCEREUSES

(FIBROMYALGIE, ALGODYSTROPHIE, DOULEUR PERI-ORIFICIELLE)

Michel Laroche et Laurent Schmitt Plan du Chapitre pages 1. La fibromyalgie 149

1.1 Physiopathologie 1.2 Signes cliniques 151 1.3 Examen clinique et diagnostic différentiel 1.4 Traitement 152

2. L’algodystrophie sympathique réflexe

2.1 Physiopathologie 153 2.2 Signes cliniques 2.3 Diagnostic positif 2.4 Diagnostic différentiel 154 2.5 Formes cliniques 2.6 Traitement 156

I – LA FIBROMYALGIE La fibromyalgie est définie comme un syndrome douloureux, musculaire, péri-articulaire, diffus, évoluant de façon chronique, souvent associé à une fatigue et des troubles du sommeil. Elle est aussi dénommée : SPID = syndrome poly algique idiopathique diffus. Comme la spasmophilie il y a quelques années, la fibromyalgie reste un concept controversé : certains arguments font évoquer une maladie réellement organique dont l’étiologie est encore inconnue ; pour d’autres, il s’agit de la somatisation de problèmes psycho-sociaux.

1.1. Physiopathologie

La physiopathologie de cette affection a suscité de multiples travaux et plusieurs hypothèses ont été émises.

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1.1.1. Hypothèses en faveur d’une anomalie organique Des anomalies musculaires, après biopsie, ont été décrites par certains auteurs : hypertrophie des mitochondries, hypoxie musculaire, modification du rapport ATP/ADP, anomalies enzymatiques. D’autres travaux ont contredit ces publications. Des anomalies de la sécrétion d’hormone de croissance ou des anomalies de son effecteur, l’IGF, ont été mises en évidence chez certains patients. Des anomalies du sommeil et de ses cycles physiologiques avec anomalies de l’électro-encéphalogramme ont été décrites. Des infections chroniques par virus EBV ont été retrouvées chez des fibrinolytiques mais, dans d’autres études, la prévalence de l’EBV est identique à celle d’une population témoin. 1.1.2. Relations entre fibromyalgie et affections psychiatriques Certains auteurs considèrent la fibromyalgie comme une traduction du stress psycho-social : chez les patients fibrinolytiques, il existe une forte prévalence de l’anxiété (plus de la moitié des sujets) ou de la dépression (plus du tiers) ? On sait de plus qu’il existe fréquemment des troubles thymiques dans la parenté des fibrinolytiques ; or ces troubles thymiques constituent l’un des rares domaines de la psychiatrie où le poids des facteurs héréditaires n’est pas contestable. Les troubles névrotiques sont plus fréquents chez les fibrinolytiques que chez des sujets indemnes de cette affection ; l’hystérie semble toutefois hors de cause : la stabilité des douleurs tout au long de l’évolution et l’absence de suggestibilité s’opposent à l’association hystérie-SPID. Certaines notions, toutefois, sont troublantes : pourquoi la fibromyalgie est-elle si longue et si délicate à soigner alors qu’un trouble thymique se contrôle la plupart du temps facilement avec un traitement antidépresseur ou thymorégulateur ? Pourquoi les douleurs fibrinolytiques perdurent-elles en l’absence de véritable dépression ? Si les troubles anxieux (phobies, attaques de panique, anxiété généralisée) sont notés chez près de 50 % des fibrinolytiques, les douleurs anxieuses sont souvent diffuses, migratoires, rarement fixes, précises et continues comme dans la fibromyalgie. De plus, les tranquillisants sont inefficaces et les antidépresseurs ne le sont que transitoirement. En fait, des anomalies des amines cérébrales pourraient faire le lien entre affection organique et terrain psychiatrique : plusieurs équipes ont signalé une déplétion de la sérotonine, un taux élevé de noramidopyrine, une diminution des endorphines cérébrales.

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1.2. Présentation de la fibromyalgie : signes cliniques Il s’agit le plus souvent de patientes qui disent avoir « mal partout, depuis toujours » ; parfois, la douleur est plus récente et la malade se souvient qu’elle a pu être déclenchée par un traumatisme psychologique. Les douleurs concernent surtout les muscles et prédominent de façon rhizomélique au niveau des régions cervico-scapulaire et lombo-fessière. Les patientes décrivent parfois un gonflement matinal au niveau des doigts, sans signe objectif, associé à des paresthésies. Les patientes évoquent souvent une raideur matinale assez prolongée pouvant faire évoquer un rhumatisme inflammatoire débutant. L’effort, la fatigue, le froid, l’humidité, le changement de temps, le maintien prolongé d’une activité, les gestes répétitifs aggravent les douleurs. Celles-ci cèdent en général la nuit, au repos. Il existe souvent de façon associée une fatigabilité musculaire. On trouve parfois d’autres affections psycho-somatiques associées : coccygienne, colopathie spasmodique, céphalées de tension, faux-vertiges, acouphènes, difficultés au sommeil.

L’American College of Rheumatology (ACR) a défini DES CRITERES pour le diagnostic de fibromyalgie : Douleurs bilatérales et étendues, associées à des douleurs du squelette axial. Douleurs à la palpation de 11 des 18 points sensibles suivants (en exerçant une pression vosine de 4 kg) : occiput bilatéral, rachis cervical inférieur bilatéral, trapèzes, sus-épineux, 2ème côte, épicondyles, fessières hautes, grand trochanter, interlignes internes des genoux. Le diagnostic est retenu si les critères 1 et 2 sont présents et si les douleurs évoluent depuis plus de 3 mois.

Dans 30 % des cas, la maladie commence dès l’enfance, le plus souvent les premiers souvent les premiers signes apparaissent vers 25-30 ans. L’évolution est en règle générale désespérément chronique. 1.3. Examen clinique et Diagnostic différentiel

L’examen clinique et les examens paracliniques auront pour but essentiel d’écarter une affection pouvant entraîner des douleurs arthromusculaires, diffuses, identiques à celles du SPID.

Certaines affections comme la polyarthrite rhumatoïde, la pseudo-polyarthrite rhizomélique, les poly myosites, certaines myopathies métaboliques ne posent pas véritablement de problèmes diagnostiques.

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D’autres affections peuvent tout à fait mimer une fibromyalgie primitive et doivent être formellement écartées : il s’agit des polyalgies des porteurs du virus C de l’hépatite, d’arthralgies ou de myalgies du syndrome de Gougerot Sjögren, de l’asthénie, des douleurs polyenthésopathiques et rachidiennes, de l’hypophosphorémie modérée, secondaire à un diabète phosphoré, de l’hypothyroïdie et même des thyroïdites sans troubles hormonaux, des douleurs induites par la prise d’hypocholestérolémiants : Fibrates ou Statines.

Outre l’examen clinique, LE BILAN comprendra donc une VS, une CRP, un dosage des enzymes musculaires, dosage des hormones thyroïdiennes (T4 libre, TSH), un dosage de la phorphorémie, un test de Schirmer et un test à la compresse, un dosage des anticorps anti-nucléaires et des facteurs rhumatoïdes.

Sur le plan psychiatrique, un authentique syndrome dépressif devra être éliminé. 1.4. Traitement

Il faut tout d’abord convaincre le patient que l’on connaît son diagnostic, qu’il ne s’agit pas d’une maladie grave mais plutôt d’un état qui peut être chronique. Il faut lui faire comprendre l’importance de sa participation au traitement. Il faut, en particulier, lui expliquer que la fibromyalgie met en cause des mécanismes de la douleur d’origine centrale, probablement liés aux anomalies de sécrétion de la sérotonine, sur laquelle peuvent agir certains antidépresseurs à faible dose.

Les anti-inflammatoires, les antalgiques, les corticoïdes, les myorelaxants, les benzodiazépines sont généralement inefficaces.

L’antidépresseur tricyclique le plus efficace semble être l’Amitriptyline (Laroxyl) à faibles doses : 25 mg par jour, le soir. Plus récemment, le Prozac a été essayé avec un succès relatif.

Certains patients sont améliorés par l’acupuncture ou la sophrologie.

La pratique régulière d’exercices d’étirement, la reprise d’une activité sportive après un bon échauffement et une respiration profonde, peut permettre au patient de prendre confiance en son corps. Il faut éviter une dépendance du patient vis-à-vis du kinésithérapeute. II – L’ALGODYSTROPHIE SYMPATHIQUE REFLEXE L’algodystrophie est une déminéralisation douloureuse d’une articulation associée à des phénomènes para-articulaires : cutanés, capsulo-ligamentaires, vasculaires et nerveux.

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2.1. Physiopathologie L’algodystrophie sympathique réflexe se caractérise sur le plan anatomo-pathologique par une hypervascularisation, une stase plasmatique et une augmentation très importante du remodelage osseux, d’abord dans le sens d’une résorption ostéoblastique majeure, puis très vite dans le sens d’une ostéosarcome ostéoblastique importante. Les anomalies circulatoires, cet hyper-remodelage osseux sont vraisemblablement secondaires à des perturbations neurosympathiques qui expliquent les phénomènes odémateux, péri-articulaires et cutanés. Cet orage neurosympathique peut être déclenché par des causes très diverses : traumatismes, interventions chirurgicales, micro fissures osseuses ou fractures de fatigue, maladies cardiaques, thyroïdiennes, neurologiques, prise de médicaments (barbituriques, anti-tuberculeux), thromboses veineuses. Elle survient souvent sur un terrain neuro-psychiatrique : anxiété, dépression pourraient favoriser, peut-être par le biais d’amines cérébrales, les perturbations du système neuro-végétatif. Cependant, 50 % des algodystrophies restent sans cause évidente.

2.2. Signes cliniques Deux phases se succèdent : La phase chaude associe des douleurs articulaires de type inflammatoire, présentes au repos, aggravées par la mobilisation de l’articulation et la pression. L’articulation est oedématiée, chaude, la peau apparaît violacée, il existe une hypersudation, l’articulation est modérément limitée et douloureuse. Cette phase dure 15 à 60 jours environ. La phase froide lui succède progressivement : la douleur spontanée diminue, la limitation de l’articulation augmente associée à des rétractions capsulaires et tendineuses, à un aspect atrophique de la peau : celle-ci est amincie, les poils disparaissent. La phase froide dure de 2 à 12 mois. La guérison spontanée survient 95 fois sur 100.

2.3. Diagnostic positif Les radiographies sont assez typiques, mais les signes apparaissent de façon retardée, 15 jours à 3 semaines après le début des signes cliniques. Il s’agit d’une déminéralisation hétérogène, pommelée. A la hanche, un flou des contours peut être noté ; mais l’interligne articulaire est toujours respectée, intact et de même hauteur que celui de l’articulation controlatérale. Cette déminéralisation pourra persister des années, voire définitivement, à titre de séquelle radiologique, alors que la guérison clinique est depuis longtemps acquise. Les radiographies doivent toujours être comparatives, comprenant les 2 articulations symétriques sur un même film.

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La scintigraphie est l’examen de référence pour le diagnostic d’algodystrophie. Les signes sont plus précoces que les anomalies radiographiques : il existe une hyper fixation, globale, diffuse, de l’articulation concernée. Cette hyperfixation concerne souvent les articulations sus et sous-jacentes, même si celles-ci sont indemnes cliniquement et radio logiquement. La scintigraphie est un examen non spécifique. Des fixations identiques peuvent se voir dans une arthrite inflammatoire, ou dans d’autres maladies osseuses. Le caractère diffus de l’hyperfixation, son extension aux autres articulations est toutefois assez caractéristique de l’algodystrophie. Dans certaines algodystrophies en phase froide, et surtout chez l’enfant, on peut noter une hypofixation scintigraphique. La résonance magnétique nucléaire ou l’angioscintigraphie ne sont réalisées qu’en cas d’algodystrophie de hanche pour permettre le diagnostic différentiel avec l’ostéonécrose.

2.4. Diagnostic différentiel La phase chaude peut faire évoquer une arthrite septique ou une arthrite inflammatoire mais il n’existe pas de fièvre, pas d’altération de l’état général, pas d’adénopathie dans le territoire drainant l’articulation concernée. De même, les examens biologiques demandés systématiquement sont négatifs : la VS et la CRP sont normales ainsi que l’électrophorèse des protides. S’il existe un épanchement articulaire, l’articulation sera ponctionnée, dans le but d’éliminer une arthrite septique, ou une arthrite inflammatoire. Le liquide articulaire sera de type mécanique, paucicellulaire. Enfin, radio logiquement, même quand il existe une importante déminéralisation sous-chondrale, l’interligne articulaire est toujours respecté contrairement à une arthrite septique dans laquelle le pincement est précoce. 2.5. Formes cliniques 2.5.1. Formes évolutives Il est classique d’affirmer au malade qu’il guérira toujours, cela le rassure ; toutefois, de façon exceptionnelle, l’algodystrophie peut être grave entraînant des troubles trophiques et une raideur articulaire majeurs incompatibles avec une fonction correcte du membre. Plus couramment, de discrètes séquelles peuvent persister longtemps, à la main ou au pied en particulier. 2.5.2. Formes partielles et parcellaires Au genou, par exemple, la rotule peut être touchée de façon isolée.

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2.5.3. Formes extensives (localisations successives) L’atteinte de plusieurs articulations, successivement, aux membres inférieurs doit faire chercher, par ostéodensitométrie, une déminéralisation sous-jacente qui favorise et « entretient » l’algodystrophie. 2.5.4. Formes récidivantes (exceptionnelles) Il est classique de dire qu’une articulation ne peut être touchée qu’une seule fois par l’algodystrophie. 2.5.5. Formes étiologiques selon la topographie

Au pied et à la cheville, l’algodystrophie est fréquente et très

souvent post-traumatique ou post-immobilisation plâtrée. Aux genoux, l’algodystrophie est souvent post-chirurgicale, post-

arthroscopie. Dans la phase froide, il peut y avoir une fibrose de la capsule articulaire responsable d’une limitation importante des mouvements du genou. La rotule est très souvent touchée, radio logiquement : c’est « l’os chéri » de l’algodystrophie.

A la hanche, l’algodystrophie est souvent spontanée, parfois favorisée par des troubles métaboliques : hyperlipémie, hyper uricémie. Au début, les radiographies peuvent être normales et le diagnostic différentiel avec l’ostéonécrose se pose. Il faut alors réaliser une imagerie par résonance magnétique qui montre un hyposignal diffus en T1 qui se transforme en hyper signal en T2. Dans la nécrose, les anomalies sont plus localisées, à la partie supéro-externe de la tête fémorale, il y a rarement un rehaussement du signal en T2.

Aux membres inférieurs : pieds, chevilles, hanches, l’algodystrophie, surtout lorsqu’elle survient hors traumatisme, peut être favorisée par l’ostéoporose, l’ostéomalacie, en particulier l’ostéoporose compliquant une tubulopathie rénale.

Aux membres supérieurs, l’algodystrophie touche fréquemment de façon associée l’épaule et la main, c’est le syndrome épaule-main qui peut révéler une insuffisance coronarienne, compliquer un infarctus du myocarde, un dysfonctionnement thyroïdien, un problème neurologique (tumeur cérébrale, AVC), un cancer bronchique, être associée à un traitement par antituberculeux, ou barbituriques.

A l’épaule, l’algodystrophie peut revêtir une forme particulière intéressant surtout la capsule et donnant une limitation très importante des mouvements de l’épaule : on parle alors de « capsulite rétractile » ou d’épaule « gelée ». La radiographie est le plus souvent normale, la scintigraphie peut ne pas fixer, et le diagnostic est fait par l’arthrographie qui permet aussi le traitement, en rompant les adhérences capsulaires.

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2.6. Traitement

2.6.1. Traitements médicamenteux Les Calcitonines (Calsyn, Calcitar, Miacalcic, Cibacalcine) sont efficaces en phase chaude ; on les administre quotidiennement pendant 15 jours, puis 2 à 3 fois par semaine les 15 jours suivants. Elles peuvent occasionner des effets secondaires ennuyeux : nausées, vomissements, flush. Pour éviter ces effets secondaires, l’injection doit être effectuée le soir au coucher et le produit peut être administré avec du Primpéran injectable. Dans les formes graves, on peut réaliser des perfusions de Calcitonine (300 ou 400 unités de Calcyn dans 500 ml de glucosé isotonique pendant 4 à 5 jours. Récemment, l’Arédia (nouveau biphosphonate) a été employé, hors AMM (autorisation de mise sur le marché). Bien qu’il semble améliorer certains patients atteints de formes sévères et résistantes aux traitements classiques, une étude randomisée, contrôlée, n’a pas prouvé sa supériorité, comparé au placebo. Il est administré en perfusion, 60 à 90 mg en 4 heures, une seule fois. Les injections intraveineuses, dans le membre concerné, sous garrot, d’alpha-bloquants (réserpine ou guanétidine) sont parfois efficaces. Les alpha-bloquants, les béta-bloquants par voie générale, la griséofulvine sont inutiles : leur effet bénéfique n’ayant jamais été démontré. 2.6.2. Traitements physiques La mise en décharge de l’articulation soulage le patient ; la kinésithérapie doit être douce sans entraîner de douleur, avec une mobilisation passive de l’articulation concernée. Les bains écossais (alternance d’eau chaude et froide) sont préconisés. Il ne faut pas immobiliser complètement l’articulation siège de l’algodystrophie, car cela aggraverait la maladie. A l’inverse, il ne faut pas mobiliser intempestivement l’articulation douloureuse. Il faut dire au malade qu’il s’agit d’une affection bénigne qui guérit toujours et administrer au besoin des antidépresseurs ou des anxiolytiques. S’il existe une ostéomalacie ou une ostéoporose sous-jacentes, leur traitement permet d’améliorer l’algodystrophie et évite les récidives.

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CHAPITRE 11 LES DOULEURS AIGUES (POST-OPERATOIRES – URGENCES)

DELPHINE KERN

Plan du Chapitre 1. Introduction 157 2. Médicaments antalgiques

2.1 Antalgiques non opiacés 158 2.2 Antalgiques opiacés 159 Anesthésiques locaux 160

Argumenter la stratégie de prise en charge globale d’une douleur aiguë chez l’adulte : l’étudiant doit être capable de diagnostiquer une douleur aiguë, évaluer son intensité et conduire le traitement adapté. I - INTRODUCTION La douleur aiguë postopératoire est une source d’inconfort majeur pour les patients. Mais en plus, la douleur aiguë a des conséquences neuroendocriniennes, respiratoires et cardiovasculaires qui peuvent être responsables de décompensation d’une pathologie préexistante et aggraver la morbidité et la mortalité postopératoire. Ceci justifie pleinement une prise en charge agressive et efficace de ce symptôme pour en limiter les conséquences néfastes. Permettre au patient de tousser, respirer et de se déplacer normalement n’est pas seulement un traitement de confort, cela fait partie des soins périopératoires aussi fondamentaux que les pansements de la plaie chirurgicale ou que la prévention de la maladie thromboembolique pour minimiser la morbidité postopératoire. II - MEDICAMENTS ANTALGIQUES Points importants : • On utilise des médicaments non opiacés, des opiacés, et des anesthésiques locaux • Il faut utiliser ces différents médicaments en association pour obtenir une analgésie efficace tout en limitant les risques toxiques propres à chacun.

2.1. Antalgiques non opiacés

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2.1.1. Paracétamol

Premier choix systématique du fait de l’absence d’effet secondaire (sauf allergie –très rare-, ou insuffisance hépatique évoluée). Effet analgésique et antipyrétique (idem aspirine) sans effet anti-inflammatoire ni gastrotoxique. Forme IV (Perfalgan) et formes orales (doliprane, dafalgan, etc…) Posologie :

• Perfalgan(=paracétamol) : (1g dans 100 ml de G5% en 15 min) toutes les 6 heures

• Paracétamol per os : 1g toutes les 6 heures Efficace seul pour les douleurs faibles à modérées. A associer aux morphiniques

insuffisant. Certaines présentations contiennent du paracétamol associé à un dérivé morphinique : Diantalvic : paracétamol (400 mg) + dextropropoxyphène (30 mg) ; 1-2 cp 3 à 4 fois /jour • Efferalgan codéiné : paracétamol (500 mg) + codéine (30 mg), 1-2 cp 3 à 4 fois

/jour Peuvent être utilisés de première intention ou en relais des morphiniques. Les doses de morphiniques contenues dans ces préparations n’exposent pas à des dépressions respiratoires, sauf surdosage (association à de la morphine) ou terrain particulier (insuffisant respiratoire chronique).

2.1.2. Anti-inflammatoires non stéroidiens (AINS) Inhibent la cyclo-oxygénase et la synthèse de prostaglandines. Action antalgique et anti-inflammatoire au niveau central et périphérique. Permettent de réduire les besoins en morphiniques de 25 à 50% tout en augmentant la qualité de l’analgésie.

Posologies : • Profénid (Ketoprofène) : 100-200 mg/ jour (voie IV ou orale) • Voltarène (Diclofénac) : 75-150 mg/jour (voie IV ou orale)

Effets secondaires : • Ulcères gastro-duodénaux et gastrites (contre-indiqués si antécédent de maladie

ulcéreuse ou de gastrite) • Toxicité tubulaire rénale (à éviter chez tous les sujets à haut risque d’aggravation

de la fonction rénale : insuffisant rénaux, diabétiques, hypertendus, sujets âgés > 70 ans)

• Risque accru de bronchospasme chez les asthmatiques • Effet anti-agrégant plaquettaire à prendre en compte si haut risque de saignement

post-opératoire.

2.1.3. Autres Médicaments • Acupan (Néfopam)

Antalgique d’action centrale, volontiers utilisé à la place des AINS quand ceux-ci sont contre-indiqués.

Posologie : (20 mg en 1heure minimum) x 4 /jour, ou en continu sur 24 heures à la seringue électrique pour limiter les effets secondaires.

Effets secondaires : malaises avec nausées, sueurs et tachycardie

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• Catapressan (Clonidine)

Alpha-2 agoniste agissant au niveau central (corne postérieure de la moelle notamment). Parfois utilisé en intraveineux en combinaison avec les agents d’anesthésie générale. Très souvent utilisé en anesthésie loco-régionale, associé aux anesthésiques locaux ou aux opiacés dans les blocs rachidiens ou tronculaires pour en potentialiser et en prolonger l’effet. Effets secondaires : Sédation (attention à la dépression respiratoire en association avec les opiacés), hypotension, bradycardie. Du fait de la demi-vie prolongée, prévoir une surveillance adaptée.

2.2. Antalgiques opiacés Agissent en se fixant aux différents récepteurs aux morphiniques, notamment µ et κ, qui sont responsables de l’analgésie, la dépression respiratoire, du myosis, de la tolérance et de la dépendance. Le morphinique de référence pour l’analgésie postopératoire est la morphine. Les autres produits sont utilisés pour la période d’anesthésie au bloc opératoire essentiellement. La morphine peut s’employer : 1) IV en « titration », càd mg par mg en milieu de surveillance spécialisée (salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) ou appelé encore salle de réveil, ou infirmières formées à la surveillance de ce type de traitement) pour administrer rapidement une dose suffisante pour contrôler une douleur aiguë. 2) ou le plus souvent sous-cutanée (5 à 10 mg toutes les 4-6 heures) en salle d’hospitalisation normale. Ce mode d’administration systématique est beaucoup moins efficace et moins « économique » en morphine que le mode auto-contrôlé par le patient (ou mode « PCA » = patient-controlled analgesia). 3) Mode PCA : ce mode consiste à programmer une pompe spéciale prévue pour délivrer des bolus IV (1 mg, par exemple) toutes les 5 à 10 minutes, sans dépasser un plafond par période de 4 heures ( par ex : 26 ou 30 mg/ 4 Heures). Outre qu’il faut disposer du matériel, l’administration de la morphine par pompe PCA dans les étages d’hospitalisation implique une formation spécifique des infirmières au maniement de la pompe mais surtout à la surveillance et au dépistage des surdosages en morphine. Initialement (12 premières heures) la surveillance de la fréquence respiratoire doit être HORAIRE. Les avantages du mode PCA sont :

• L’absence de délai dans l’administration du produit • Voie IV : biodisponibilité maximale • Effet analgésique optimal avec risque de surdosage minimal • « Mémoire » de la pompe qui enregistre toutes les demandes du patient (satisfaites

et non satisfaites) ce qui permet d’ajuster les réglages

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Le surdosage en morphine se caractérise par une dépression respiratoire (FR < 8/min). Une telle bradypnée impose le recours à l’injection de Naloxone – antagoniste des morphiniques - (Narcan) 0.2-0.4 mg IV et une oxygénothérapie nasale pour assurer une saturation périphérique en O2 proche de 100%. Les doses de morphine doivent être réduites chez le vieillard, l’insuffisant respiratoire et l’insuffisant rénal. Ces terrains particuliers justifient toujours des séjours prolongés en SSPI pour vérifier la bonne tolérance du traitement. 2.3. Anesthésiques locaux

Divers anesthésiques locaux sont employés lors des anesthésies loco-régionales (ALF), par exemple, dans des blocs nerveux tronculaires ou médullaires (par voie péridurale ou intrathécale) dans le cadre de l’analgésie postopératoire. Ceux-ci incluent principalement :

• La lidocaïne • La bupivacaïne • La ropivacaïne

Ils peuvent être utilisés seuls ou en association entre eux ou avec des opiacés ou de la clonidine. Leur usage est du domaine quasi exclusif du médecin anesthésiste-réanimateur (apprentissage des techniques d’anesthésie loco-régionale). La qualité de l’analgésie obtenue par les ALR est excellente et la diffusion de plus en plus large de ces techniques est un progrès majeur de ces dernières années.

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CHAPITRE 12 LES PRINCIPES D’ORGANISATION DE LA PRISE EN CHARGE PLURIDISCIPLINAIRE D’UN PATIENT DOULOUREUX CHRONIQUE

LES STRUCTURES DE SOINS

Yves Lazorthes Plan du Chapitre pages 1. Le concept pluridisciplinaire 161 2. Historique des structures spécialisées dans la prise en charge des douleurs chroniques 3. Les différents types de structures d’évaluation et de traitement de la douleur 164 4. Principes d’organisation d’une structure 166 5. Conclusions 167 I – LE CONCEPT PLURIDISCIPLINAIRE La douleur chronique rebelle ou « douleur maladie » est un phénomène pluri-dimensionnel : somatique et psychosocial. Qu’elle soit d’origine bénigne ou maligne, la douleur chronique est aussi multifactorielle : composante sensorielle organique et composante psychologique réactionnelle sont intriquées et s’auto-aggravent. La dichotomie organique – psychologique n’existe pas quand il s’agit de « douleur maladie ». De ce fait, la prise en charge de ces patients est souvent difficile et ne peut être que multidisciplinaire tant au stade de l’évaluation que du traitement et du suivi. II – HISTORIQUE DES STRUCTURES DE SOINS SPECIALISEES DANS LA PRISE EN CHARGE DES DOULEURS CHRONIQUES Leur origine est contemporaine du concept de « douleur maladie » proposé par René Leriche. On lui reconnaît d’avoir imaginé, dès 1940, l’organisation de structures de soins spécialisées qui prendraient en charge ces douleurs jusqu’alors insuffisamment soignées. C’est en fait au décours de la deuxième guerre mondiale qu’un anesthésiste de l’Université de Washington Seattle, John Bonica, fonda la première équipe pluridisciplinaire dans la lutte contre la douleur et ainsi créa la première clinique de la douleur ou « Pain Clinic ». Il faudra attendre les années 70 pour assister au réel développement de ces centres qui sont aujourd’hui plusieurs centaines aux Etats-Unis et environ 200 en Europe. La Société Internationale pour l’Etude de la Douleur en a défini les modalités de fonctionnement selon un concept pluridisciplinaire.

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En France, les structures « douleur » se sont développées progressivement à partir de la fin des années 70, sous l’impulsion de quelques médecins pionniers. Jusque-là, la reconnaissance de l’entité douleur chronique n’était pas validée et la notion de pluridisciplinarité inexistante. Rares étaient les médecins somaticiens et les psychiatres qui collaboraient dans la prise en charge de ces patients. Cette démarche nouvelle multidisciplinaire, répondant à la demande des patients et à l’impact médico-économique des nombreuses situations pathologiques concernées (céphalées chroniques, lombalgies chroniques, douleurs neuropathiques, douleurs des patients en fin de vie, …), a induit de très nombreux progrès durant ces 20 dernières années :

Dans le domaine de la Formation de tous les professionnels de santé, qu’il s’agisse de la Formation Continue (Diplôme d’Université et Capacité en Médecine), puis de la formation initiale (notamment en 2ème Cycle : séminaire prioritaire, et aujourd’hui Module 6). Une grande lacune est maintenant comblée. La douleur concerne tous les soignants.

Dans le domaine de la Recherche avec, notamment, des transferts rapides

d’avancées fondamentales vers des applications cliniques, traduisant une coopération étroite entre chercheurs et cliniciens.

Dans le domaine des Soins enfin, qu’il s’agisse de l’identification de structures

spécialisées, de la création de postes spécifiques (médecins, infirmières, …) dans les Hôpitaux, de la mise en place des Comités de Lutte contre la Douleur (CLUD) ayant pour mission d’organiser la prise en charge de la douleur dans les établissements de soins, de certaines prises en charge spécifiques : enfants, vieillards, handicapés, etc …

Au-delà des structures et des moyens nouveaux, la conséquence la plus importante est

le changement de comportement de tous les soignants vis-à-vis de la douleur, aiguë et chronique. La médecine moderne, souvent de très haute technicité, a retrouvé ainsi sa dimension humaine.

Sur le plan administratif, des groupes d’experts réunis en 1995 par l’ANAES ont défini

des critères qui servent de base à la reconnaissance et à l’organisation des structures d’évaluation et de traitement de la douleur. Les Agences Régionales de l’Hospitalisation (ARH) ont eu pour mission d’identifier les structures répondant à ces critères. Leur liste établie en 1998 est évolutive ; elle peut être consultée sur le site Internet du Ministère (wwwwww..ssaannttee..ggoouuvv..ffrr).

Toutes ces recommandations (cf. encart) ont largement été reprises dans les deux plans

triennaux successifs (1998-2000 et 2002-2005) de lutte contre la douleur mis en place par le gouvernement, reconnaissant ainsi qu’il s’agit d’une priorité de santé publique.

Synthèse des recommandations de l’ANDEM (ANAES)

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166

1. Les structures d’évaluation et de traitement de la douleur interviendront de façon trans-versale dans un établissement de soins, c’est-à-dire en collaboration et auprès de tous les services, à leur demande. Il s’agit d’assurer un rôle de référent, apportant surtout un soutien et une aide (conseils, consultations, formation) aux équipes hospitalières et non hospitalières, et pour une part plus limitée prenant en charge personnellement certains patients qui lui sont adressés (hospitalisation). 2. Le rôle pédagogique de ces structures est à souligner. Il concerne, entre autres, le personnel médical, le personnel soignant, les patients et leur famille, en interne et en externe à l’établissement de soins. 3. La prise en charge de la douleur chronique rebelle présente des aspects spécifiques : consultation de longue durée, consultations pluridisciplinaires, consultations non répertoriées d’intervenants non médicaux (infirmière, psychologue, assistante sociale, ergothérapeute …), actes particuliers (neurostimulation). La cotation à l’acte, telle que prévue à la nomenclature générale des actes professionnels, ne peut s’appliquer. La rémunération ne pourrait être envisagée que sous une forme adaptée ainsi qu’il en est pour les équipes pluridisciplinaires faisant intervenir plusieurs professionnels (cotation spécifique, fordait de soins, etc …). 4. Quel que soit le type de structure d’évaluation et de traitement de la douleur existant au sein d’une région, celle-ci doit développer son rôle de communication (sur ce qu’elle fit et aussi sur ce qui peut être fait d’ailleurs pour une pathologie qu’elle ne prendrait pas en charge) auprès des médecins libéraux, des établissements de santé et des patients. Cette recommandation sera renforcée durant ces dernières années par la mise en place des réseaux de soins. 5. Il est souhaitable que l’organisation d’une structure de la douleur soit fondée sur une démarche d’évaluation et d’amélioration continue de la qualité des soins. 6. Le coordinateur d’une structure d’évaluation et de traitement de la douleur doit avoir une formation spécifique. Initialement, il s’agissait d’une formation complémentaire non qualifiante délivrée dans le cadre d’un Diplôme d’Université (Diplôme inter-universitaire d’Evaluation et de Traitement de la Douleur). Plus récemment, depuis 1997, il s’agit d’un diplôme national qualifiant, donnant une compétence spécifique, délivré par les Universités habilitées sous la forme d’une Capacité en Médecine d’Evaluation et de Traitement de la Douleur qui se déroule sur 2 ans. En 1999, une Commission Nationale mixte des Collèges des Enseignants Universitaires et des Médecins de la Douleur a délivré des équivalences sur dossiers en tenant largement compte des activités professionnelles antérieures. Dans toutes les structures d’évaluation et de traitement de la douleur, une formation qualifiante du personnel soignant (y compris les psychiatres) sous la forme d’une Capacité en Médecine est recommandée. 7. Le rôle du personnel soignant non médical est à souligner dans ces structures. Dans cet objectif, des Diplômes d’Université de formation des professionnels de santé à la prise en charge de la douleur ont été mis en place dans plusieurs Universités (durée de formation : 1 an). 8. La répartition géographique n’est pas un critère opérationnel pour le développement de centres d’évaluation et de traitement de la douleur. L’initiative locale, les compétences existantes et la volonté de développement de structures d’évaluation et de traitement de la douleur sont des facteurs plus importants. 9. Les structures prenant en charge majoritairement une population très spécifique (enfants, candéreux, etc …) doivent avoir au moins un spécialiste correspondant à cette particularité (pédiatre, oncologue, etc …) et formé à la prise en charge de la douleur. En particulier, tout centre anti-cancéreux doit disposer d’un centre ou d’une unité d’évaluation et de traitement de la douleur (circulaire DGS/DH n° 98/213 du 24 mars 1998).

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167

III – LES DIFFERENTS TYPES DE STRUCTURES D’EVALUATION ET DE TRAITEMENT DE LA DOULEUR

Les structures spécialisées dans le domaine de l’évaluation et du traitement de la douleur s’adressent à la prise en charge des douleurs chroniques rebelles. Cette notion mérite d’être précisée.

La mission d’une telle structure est d’améliorer globalement la prévention, l’évaluation

diagnostique et le traitement plurimodal des douleurs chroniques rebelles, tant en hospitalisation qu’en ambulatoire.

Une structure pluridisciplinaire d’évaluation et de traitement de la douleur chronique rebelle peut être organisée de trois manières différentes :

1) Consultation d’Evaluation et de Traitement de la Douleur. Il s’agit d’une organisation de consultations pluridisciplinaires internes et externes spécifiques à l’évaluation et au traitement de la douleur chronique rebelle.

2) Unité d’Evaluation et de Traitement de la Douleur. En plus de l’organisation de base des

consultations pluridisciplinaires internes et externes, l’équipe dispose ou accède à des lits d’hospitalisation et/ou des places en hôpital de jour spécifiques à l’évaluation et au traitement de la douleur. On entend par « lit d’hospitalisation spécifique à l’évaluation et au traitement de la douleur » un lit d’hospitalisation dont l’encadrement soignant est formé spécifiquement à la prise en charge de la douleur. Ces lits peuvent être regroupés en une unité de lieu, propre à la structure d’évaluation et du traitement de la douleur, ou être mis à disposition dans un ou plusieurs services de l’établissement de soins.

3) Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur. Les centres sont insérés dans des

structures hospitalo-universitaires ou hospitalières liées à une université, ayant une triple mission de soins, de recherche et d’enseignement. Ils regroupent des cliniciens spécialisés, des enseignants chercheurs, éventuellement des scientifiques, et permettent ainsi d’aborder conjointement la prise en charge des malades, la formation des médecins et du personnel soignant et les différents aspects de la recherche médicale clinique et fondamentale. Ces structures ont à leur disposition des locaux de consultation, accèdent à des laboratoires d’exploration et comportent un secteur propre d’hospitalisation ou disposent d’un accès permanent à des lits d’hospitalisation spécifiques à l’évaluation et au traitement de la douleur.

Les principales caractéristiques de ces trois types d’organisation d’une structure d’évaluation et de traitement de la douleur sont décrites dans le tableau 1.

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STRUCTURES

D’EVALUATION ET DE TRAITEMENT

DE LA DOULEUR

CONSULTATION

UNITE

CENTRE

PLURIDISCIPLINARITE

Oui

Oui

Oui

EQUIPE MOBILE

Oui

Oui

Oui

LITS D’HOSPITALISATION

SPEFICIQUES

Non

Oui

Oui

TEMPS DE

CONSULTATION EXTERNE

Temps partiel

(minimum de 2 demi- journées/semaine)

Temps partiel/complet (minimum de 5 demi-

journées/semaine)

Temps complet

(10 demi-journées)

PLATEAU TECHNIQUE

Accès

Disponibilité

Acquisition

ou Disponibilité

ACTIVITES

DE FORMATION

Oui (localement, Terrain de stage

et/ou FMC)

Oui (localement, Terrain de stage

et/ou FMC)

Oui (Formation initiale, Continue et post-doc,

Formation des Médecins et soignants

ACTIVITES DE RECHERCHE

Facultative

Facultative

Obligatoire

PROGRAMME

D’ASSISTANCE DE QUALITE

Oui

Oui

Oui

Tableau 1 : Caractéristiques de base des trois niveau d’organisation d’une structures d’évaluation et de traitement de la douleur

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169

IV – PRINCIPES D’ORGANISATION D’UNE STRUCTURE D’EVALUATION ET DE TRAITEMENT DE LA DOULEUR Un certain nombre de principes généraux déterminent le bon fonctionnement de telles structures. Les points suivants sont à prendre en compte : les malades examinés, le modèle pluridisciplinaire, le fonctionnement en équipe, l’unité de lieu, la consultation initiale, les réunions pluridisciplinaires de synthèse, le rôle du somaticien, le rôle du psychiatre et du psychologue, la vocation pédagogique. Pour traiter au mieux les patients souffrant de douleur chronique rebelle, le principe d’une organisation et d’un fonctionnement pluridisciplinaire ne paraît plus aujourd’hui contesté. L’approche pluridisciplinaire nécessite des réunions de synthèse et ne saurait se limiter à la simple intervention juxtaposée de spécialistes différents. Toute structure d’évaluation et de traitement de la douleur chronique rebelle doit donc assurer un véritable fonctionnement en équipe avec réunion de synthèse, doit disposer de locaux spécifiques et organiser le recrutement des malades souffrant de douleurs chroniques rebelles. La structures spécialisée dans l’évaluation et le traitement de la douleur chronique rebelle doit comporter au minimum trois médecins (dont un coordinateur), disponibles spécifiquement pour l’activité contre la douleur chronique rebelle : deux médecins somaticiens dont l’un au moins devra avoir une formation neurologique, même s’il n’est pas neurologue (la formation délivrée par la Capacité en Médecine est considérée comme suffisante), et d’un médecin psychiatre. Compte tenu des principaux types de douleur chronique rebelle habituellement recrutés et de l’expérience acquise, les médecins somaticiens les plus fréquemment impliqués dans la prise en charge des patients douloureux chroniques rebelles sont (par ordre alphabétique) l’anesthésiste, le généraliste, l’interniste, le neurochirurgien, le neurologue, l’oncologue, le pédiatre et le rhumatologue. Le rôle du personnel non médecin (infirmière, secrétaire, assistante sociale, psychologue clinicien, ergothérapeute, kinésithérapeute) est essentiel. Dans tous les types de structures d’évaluation et de traitement de la douleur, une équipe mobile pluridisciplinaire peut prendre en charge des malades souffrant de douleurs chroniques rebelles. Elle intervient, selon le même modèle d’organisation que les équipes mobiles de soins palliatifs, par le biais de consultations externes et internes, à la demande des services, sans se substituer nécessairement à eux dans les prescriptions. Cela est particulièrement vrai dans le domaine des douleurs d’origine cancéreuse car il existe une communauté d’action entre soins palliatifs et prise en charge de la douleur. Ces deux activités ne sont pas indépendantes. Toutes les structures d’évaluation et de traitement de la douleur ont un rôle pédagogique (national, régional ou local) et doivent disposer des moyens nécessaires pour l’assurer. Les récentes réformes des études médicales ont renforcé cette démarche en rendant obligatoire cette formation initiale ainsi qu’un séminaire prioritaire sur la douleur durant le deuxième cycle des études médicales. Cet aspect est important à souligner pour ne pas limiter les compétences de formation aux seuls centres d’évaluation et de traitement de la douleur. Il a souvent été souligné qu’un stage de 6 mois dans un centre d’évaluation et de traitement de la douleur devrait pouvoir être validant pendant le résidanat mais aussi pendant le 3ème cycle spécialisé de certaines disciplines, en particulier pour la psychiatrie.

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Toutes les structures doivent être en mesure de mettre en œuvre des procédures d’évaluation des soins. Cette évaluation de l’activité de soins serait avant tout une évaluation médicale mais aussi socio-économique. L’équipe doit être apte à évaluer et à traiter aussi la composante physique que la composante psychologique de la douleur concernée. Le fait que des structures soient orientées vers un syndrome particulier (céphalée, lombalgie, douleur du cancer …) ne remet pas en question le concept de pluridisciplinarité. La prise en charge médico-psychologique effectuée par le somaticien et le psychiatre doit être fonction des différentes problématiques physiques et psychiques présentées par le patient. Les structures prenant en charge majoritairement une population très spécifique (enfants, cancéreux, etc) doivent avoir au moins un spécialiste correspondant à cette spécificité (pédiatre, oncologue, etc) et formé à la prise en charge de la douleur (Capacité en Médecine). Tout centre anticancéreux doit disposer d’un centre ou d’une unité d’évaluation et de traitement de la douleur. V – CONCLUSION L’objectif des structures spécialisées de la douleur n’est pas de faire double emploi avec les structures hospitalières existantes. La règle est d’accepter des malades adressés par des confrères pour des douleurs chroniques rebelles et munis d’un dossier aussi complet que possible. Un dossier type spécifique « douleur » doit être mis en place dans la structure, il doit comporter :

La demande initiale de prise en charge sous la forme d’un « questionnaire

d’orientation » comportant des données cliniques et thérapeutiques fournies par le patient et son médecin traitant.

Une partie commune comportant une fiche administrative, un historique précis,

une étude de la sémiologie douloureuse, une évaluation de l’intensité et du vécu de la douleur, si nécessaire une évaluation psychologique ou psychiatrique.

Une partie spécifique au type de douleur (douleur cancéreuse, céphalalgie,

pathologie vertébrale, pathologie neurologique, …) où seront notifiés exhaustivement les examens complémentaires, les tests diagnostiques, les thérapeutiques, l’évolution.

Enfin, soulignons que, ces dernières années, il a été demandé aux structures spécifiques pour la lutte contre la douleur chronique de s’intégrer harmonieusement dans l’ensemble du dispositif de soins, quel que soit le niveau géographique, c’est-à-dire au sein de l’établissement, sur le plan département et régional. Les équipes mobiles pluridisciplinaires doivent pouvoir intervenir à la demande des services de l’établissement du patient pour permettre à l’équipe de soins du service concerné d’assurer la continuité de la prise en charge de la douleur du patient. Elles auront aussi pour mission d’assurer des sessions de formation interne dans les établissements ne disposant pas de structure spécifique. Ces équipes mobiles « ressources » ont pour mission d’intervenir dans le cadre d’un réseau départemental.

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Le bilan de ces 30 dernières années est nettement positif en ce qui concerne l’organisation des structures de traitement de la douleur selon le concept d’une prise en charge multidisciplinaire. La diffusion des connaissances sur la douleur dès la formation initiale de tous les étudiants en médecine, l’organisation de réseaux de soins entre médecins de ville et structure hospitalière spécialisée ont permis une prise en charge plus précoce et appropriée de la douleur dans la majorité des cas. Cependant, les acquis restent fragiles, les délais de prise en charge toujours trop longs et les conditions de suivi encore insuffisantes. L’avenir sera dicté par la pérennité des choix en matière de politique de santé, ainsi que par les moyens accordés dans ce domaine aux structures hospitalières spécifiques, notamment en terme de ressources humaines.

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CHAPITRE 13

ANESTHESIE LOCALE, LOCO-REGIONALE ET GENERALE

Kamran Samii, et Jean-Michel Senard Plan du Chapitre pages

I - Pharmacologie générale des anesthésiques locaux 170 1. Définition et historique 2. Mécanismes d’action et facteurs conditionnant l’activité anesthésique

2.1. Mécanismes d’action 2.2. Facteurs modifiant l’activité des AL 171

3. Les autres propriétés pharmacodynamiques 3.1. Effets sur le système nerveux central 3.2. Les effets cardiovasculaires 172

4. Propriétés pharmacocinétiques 4.1. Résorption 173 4.2. La demi-vie plasmatique 4.3. Métabolisme

5. Les effets secondaires 5.1. Les réactions allergiques 5.2. La nécrose 174 5.3. L’infection 5.4. Les effets indésirables liés à la présence de vasoconstricteurs 5.5. La toxicité aiguë et le surdosage

6. Conclusion II - Anesthésie locale et loco-régionale 176 1. Introduction 2. Utilisation des AL

2.1. Définition 2.2. Effet anesthésique local 2.3. Toxicité des AL

3. Techniques d’anesthésie loco-régionale 177 3.1. Anesthésie locale par infiltration 3.2. Anesthésie topique 3.3. Anesthésie loco-régionale intraveineuse 178 3.4. Blocs péri médullaires 3.5. Blocs périphériques

4. Risques en général 5. Contre-indications générales 6. Conclusion III - Anesthésie générale 180 1. Indications 2. Contre-indications 181 3. Obligations 182

I - PHARMACOLOGIE GENERALE DES ANESTHESIQUES LOCAUX

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Jean-Michel Senard et P. Verwaerde

1. DEFINITION ET HISTORIQUE Un anesthésique local (AL) se définit comme une substance qui appliquée au contact du tissu nerveux possède la capacité de bloquer la conduction axonale. Au niveau moléculaire ces médicaments agissent en ralentissant la vitesse de dépolarisation des fibres nerveuses et l’entrée de sodium. Il s’agit d’une propriété fondamentale partagée avec d’autres médicaments tels que certains anti-arythmiques et certains médicaments anti-convulsivants. Ce mécanisme commun explique que les AL aient des applications en cardiologie (traitement des troubles du rythme) mais aussi leurs effets indésirables parfois graves au niveau du système nerveux central (voir plus loin). Historiquement le premier anesthésique local fut la cocaïne utilisée par Koller en 1884 en instillation dans le cul de sac conjonctival. Si la cocaïne, qui est un ester de l’acide benzoïque, n’est plus utilisée comme anesthésique local, la modification de la structure de l’acide benzoïque a donné naissance à de nombreux médicaments que l’on classe souvent en fonction de leurs particularités chimiques en dérivés esters, éthers ou amides. Le Tableau 1 résume les spécialités disponibles en France ainsi que le cadre général de leur utilisation (pour le détail des indications et le mode d’administration, consulter le dictionnaire Vidal). 2. MECANISMES D’ACTION ET FACTEURS CONDITIONNANT L’ACTIVITE ANESTHESIQUE

2.1. Mécanisme d’action

Les AL agissent sur toutes les cellules excitables polarisées musculaires ou nerveuses ce qui explique leurs effets latéraux centraux et cardiaques. Au niveau cellulaire, ils ne modifient pas le potentiel de repos mais diminuent la vitesse de dépolarisation surtout à sa phase initiale (dépolarisation lente) augmentant ainsi le délai nécessaire pur atteindre la valeur seuil de dépolarisation. Ces médicaments ralentissent également la vitesse de repolarisation et prolongent donc la durée de la période réfractaire. On décrit parfois leur effet comme une action stabilisatrice de la membrane cellulaire.

Au niveau moléculaire, on considère les AL se fixent au niveau d’un « récepteur » sans doute situé à la face interne des canaux sodiques dépendants du voltage. Ce site de fixation n’a cependant jamais été identifié et ce type simple d’interaction rend difficilement compte des effets de certains AL comme la benzocaïne qui est peu ou pas ionisée au pH intracellulaire. Une autre théorie suggère que les AL modifient la tension de la membrane cellulaire au voisinage des canaux sodiques modifiant ainsi indirectement leur conformation spatiale et leur perméabilité : c’est la théorie dite de « l’expansion membranaire ».

2.2. Facteurs modifiants l’activité des AL

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2.2.1. La structure chimique : Bien que possédant tous un squelette moléculaire identique formé d’un noyau aromatique lipophile et d’une fonction amine terminale, les AL diffèrent par une chaîne intermédiaire de longueur variable et porteuse d’une fonction ester, éther ou amide. La longueur de la chaîne intermédiaire est en relation avec l’activité pharmacologique. La présence d’un radical butyl sur le noyau benzénique (tétracaïne) ou sur la fonction amine (bupivacaïne) améliore la liposolubilité et donc raccourcit le délai d’action. Elle augmente également la liaison aux protéines ce qui va de pair avec une activité intrinsèque plus marquée et une durée d’action prolongée.

2.2.2. Le degré d’ionisation :

Les AL sont des bases faibles. Seule leur fraction non ionisée est susceptible de franchir les membranes cellulaires alors que la fraction ionisée est celle qui agira sur le canal sodique. Ainsi de faibles variations du pH plasmatique, et en particulier l’acidose, sont susceptibles de modifier le degré d’ionisation et donc l’activité pharmacologique.

2.2.3. La nature et l’architecture des fibres nerveuses :

Au niveau neuronal, le bloc de conduction induit par les AL intéresse toutes les fibres qu ‘elles soient sensorielles, sensitives, motrices ou autonomes. Cependant, les fibres les plus fines sont les plus sensibles à leur action : les AL affectent d’abord les fibres amyéliniques (fibres C) et en dernier lieu les fibres de gros calibre fortement myélinisées.

La progression de l’anesthésie des régions proximales vers les régions distales et la levée de l’anesthésie en sens inverse s’expliquent par l’organisation des fibres à l’intérieur du tronc nerveux : les fibres à destinée proximales sont situées à la périphérie du nerf. 3. LES AUTRES PROPRIETES PHARMACODYNAMIQUES

3.1. Effets sur le système nerveux central

Ils découlent de la capacité des AL à franchir la barrière hémato-encéphalique leur permettant de modifier l’activité des neurones du système nerveux central selon des modalités dépendant de la sensibilité des diverses structures cérébrales et des concentrations plasmatiques.

Ces effets indésirables supposent que bien que les AL s’utilisent en administration locale (voir pharmacocinétique), ils sont capables de diffuser dans l’organisme et donc d’avoir des effets systémiques: • A faibles concentrations, les AL peuvent déterminer des étourdissements, une sensation de tête vide, une somnolence. On note également une activité anticonvulsivante par inhibition des flux sodiques dans les foyers épileptogènes.

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• A concentrations moyennes, apparaît une agitation psychomotrice, frissons, tremblements des extrémités. On peut également observer des convulsions surtout en cas d’hypercapnie et d’acidose respiratoire en raison d’une plus forte diffusion tissulaire du médicament AL dans ces conditions. • A fortes concentrations, les AL dépriment l’activité du SNC avec sédation, troubles de la conscience et dépression respiratoire.

3.2. Les effets cardiovasculaires Ils peuvent s’observer avec tous les AL en cas de diffusion systémique notable. Les effets cardiaques sont parfois recherchés avec la lidocaïne du fait de ses indications en cardiologie.

3.2.1. Les effets cardiaques : Ils dépendent essentiellement de la concentration plasmatique mais aussi de l’activité intrinsèque et de la durée d’action propre à chaque molécule. Certains effets sont recherchés en thérapeutique mais la plupart entrent dans le cadre des effets latéraux indésirables. • A faibles doses : les AL se comportent comme des anti-arythmiques (classe I) dont l’action prédomine au niveau des fibres dépolarisées et donc des foyers arythmogènes. Ceci rend compte de l’utilisation de la lidocaïne dans le traitement des arythmies ventriculaires de l’infarctus du myocarde ou des intoxications digitaliques. • A forte doses, s’installent des effets sur la conduction (allongement de l’espace PR et élargissement du complexe QRS), une bradycardie sinusale et un effet inotrope négatif.

3.2.2. Effets vasculaires périphériques : Ils s’observent surtout avec les dérivés amidés (exemple : lidocaïne). Aux faibles doses survient une vasoconstriction alors qu’à fortes doses on note une vasodilatation périphériques qui associée aux propriétés inotropes négatives participent à la chute tensionnelle des surdosages en AL. 4. PROPRIETES PHARMACOCINETIQUES

4.1. Résorption Bien qu’utilisés en le plus souvent administration locale (seule la lidocaïne est employée par voie intraveineuse en cardiologie), les AL ont tous tendance à diffuser à partir de leur point d’application. L’importance et la vitesse de la résorption dépend de la vascularisation du tissu. Ainsi, après une application sur une muqueuse richement vascularisée (pharyngée ou respiratoire) les concentrations plasmatiques obtenues peuvent être identiques à celles observées après un injection intraveineuse. Cette diffusion non recherchée explique les effets indésirables prévisibles cardiaques et sur le système nerveux central (voir plus haut). On peut réduire l’importance de la diffusion systémique et les effets indésirables à distance par l’addition à la préparation d’un vasoconstricteur comme l’adrénaline. De plus la vasoconstriction prolonge la durée d’action de l’AL en en augmentant la rémanence du composé sur son site d’action. La présence d’adrénaline explique le profil d’effets indésirables et les contre-indications particuliers à ces spécialités.

4.2. La demi-vie plasmatique

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Elle est très variable mais en général brève. La connaissance de ce paramètre est de

peu d’intérêt en pratique quotidienne car il n’est pas relié à la durée de l’effet qui dépend de la nature du tissu où est administré le médicament mais aussi de l’utilisation simultanée d’adrénaline.

4.3. Métabolisme

Il s’avère différent en fonction de la structure chimique :

4.3.1. Les esters (procaïne, tétracaïne) sont hydrolysés au niveau du plasma par les pseudo-cholinestéases et donnent naissance à l’acide para-aminobenzoïque qui est sans doute à l’origine des réactions allergiques aux AL (voir effets indésirables).

4.3.2. Les amides (lidocaïne) sont métabolisés par les amidases du foie.

L’insuffisance hépatique mais aussi certains médicaments (propranolol…) s’accompagnent d’un allongement parfois considérable de la 1/2 vie et d’une prolongation des effets pharmacologiques.

5. LES EFFETS INDESIRABLES

5.1. Les réactions allergiques

Leur prévalence est difficile à préciser et elles peuvent être liées à l’AL ou aux conservateurs utilisés dans les préparations contenant de l’adrénaline (sulfites). La survenue d’un accident allergique doit être prise en compte et signalée sur le dossier médical du patient de façon à prévenir toute réadministration ultérieure de la même préparation ou d’un autre AL appartenant à la même famille chimique (voir Tableau 1).

5.1.1. Les manifestations générales à type de choc anaphylactique restent rares et s’observent surtout avec les dérivés esters (elles sont imputées à la formation d’acide para-aminobenzoïque lors du catabolisme). Parfois graves, elles nécessitent une prise en charge médicale adaptée immédiate (adrénaline iv ou sc ou corticoïdes).

5.1.2. Les manifestations cutanées (éruption érythémateuse, urticaire) : un

certain nombre sont vraisemblablement dues aux conservateurs dans les préparations contenant de l’adrénaline (sulfites). Cependant, les dérivés esters (procaïne, tétracaïne) peuvent déterminer des eczémas de contact ou des éruptions parfois étendues.

5.2. La nécrose

Elle découle toujours d’une erreur technique lors de l’administration dans une région

dépourvue de circulation collatérale (œil, doigt, verge). L’utilisation de formes pharmaceutiques contenant un vasoconstricteur dans ces régions dont être proscrite.

5.3. L’infection

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Comme pour la nécrose, elle est le fait d’une erreur technique et du non respect des règles d’aseptie.

5.4. Les effets indésirables liés à la présence de vasoconstricteurs

Ils découlent des effets cardiovasculaires induits par le vasoconstricteur. Ceci explique la contre-indication d’utilisation des AL en cas d’insuffisance coronaire, d’HTA sévère ou de cardiomyopathie obstructive. Pour les mêmes raisons les AL ne doivent pas être utilisés en infiltration locale au niveau des doigts ou de la verge.

5.5. La toxicité aiguë et le surdosage

L’administration de quantités excessives (doses répétées) ou intravasculaire directe accidentelle peuvent déterminer l’apparition d’effets indésirables graves cardiovasculaires ou neurologiques (voir plus haut). Face à ce risque toujours possible, les indications doivent être posées avec soin surtout lors de l’utilisation dans des indications à risque (anesthésie péridurale, bloc intercostal).

6. CONCLUSION

L’objet de ce texte est de présenter les grandes propriétés pharmacologiques des AL indispensables à leur utilisation correcte. Les modalités d’utilisation sont nombreuses et seront détaillées par ailleurs. Deux points importants sont à retenir :

• Le mécanisme d’action des AL ne leur est pas spécifique. Il se retrouve avec les anti-arythmiques de classe I et certains médicaments anti-convulsivants. Cette parenté de mécanisme d’action explique l’utilisation de ces médicaments en Cardiologie, en Neurologie mais aussi dans le traitement de la douleur (voir également « traitement des douleurs neuropathiques) ;

• De nombreuses spécialités sont disponibles sur le marché dont un nombre non négligeable sont vendus sans ordonnance (spécialités à base de tétracaïne) et peuvent être à l’origine d’accidents allergiques graves.

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DCI famille chimique Spécialités* Vasoconstricteur Anesthésie de surface : peau et muqueuse -Lidocaïne Amide Dynexan° pâte gingivale - Instilllagel° - Xylocaïne° 5% Naphazoline Xylocaïne gel urétral - Xylocaïne° nébuliseur - Xylocaïne visqueuse 2% - -Lidocaïne+ prilocaïne Amide Emla° - Emlapatch° - -Benzocaïne Ester Nestosyl° (2 spécialités) - -Tétracaïne Ester Tétracaïne Faure° - Aphtoral° - Broncorinol° - Codétricine° - Drill° (5 spécialités) - Eludril collutoire° - Héxomédine collutoire° - Lysofon° - Oromédine° - Solutrucine° (2 spécialités) - Tyrcine° - Anesthésie locale ou régionale -Articaïne Amide Alphacaïne-N Adrénaline Alphacaïne-SP Adrénaline -Bupivacaïne Amide Bupivacaïne Braun° - Marcaïne° - Marcaïne° adrénaline Adrénaline -Lidocaïne Amide Xylocaïne° - Xylocaïne° adrénaline Adrénaline -Mépivacaïne Amide Carbocaïne° - -Procaïne Ester Procaïne lavoisier° - -Ropivacaïne Amide Naropeine° -

Rachianesthésie -Bupivacaïne Amide Marcaïne rachianesthésie° - Troubles du rythme ventriculaires -Lidocaïne Amide Xylocard° 5% - Xylocard) intraveineux - Tableau 1 : Anesthésiques locaux (Vidal 2002). Les médicaments sont classés en fonction de leur modalité d’utilisation (les modalités pratiques et techniques de l’utilisation de ces formes pourra être consulté ailleurs). Le tableau présente également les spécialités contenant de la lidocaïne à visée anti-arythmique utilisées en Cardiologie. La famille à laquelle appartiennent les divers médicaments est signalée pour rappeler l’importance de ces substituions dans la survenue des réactions allergiques et la contre-indication d’utilisation d’un AL de la même famille chez un patient ayant un antécédent allergique avec l’un de ces composés.

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II - ANESTHESIE LOCALE ET LOCO-REGIONALE Kamran Samii

Argumenter les indications, les contre-indications et les risques d’une anesthésie locale et loco-régionale. 1. INTRODUCTION

La pratique de telles anesthésies font considérer d’une part l’utilisation des anesthésiques locaux (AL) et d’autre part les différentes techniques d’anesthésies. Les AL ont une toxicité propre induisant des risques et des contre-indications propres, et chaque technique d’anesthésie comporte ses indications et ses risques d’où découlent des contre-indications spécifiques. 2. UTILISATION DES AL

2.1. Définition Ce sont des amines tertiaires rattachées à un noyau aromatique par une chaîne intermédiaire. Chacun est défini par un pKa et un caractère lipophile. Aminoesters (ex : cocaïne, procaïne, chloroprocaïne, tétracaïne) Aminoamides (ex : lidocaïne, prilocaïne, mépivacaïne, étidocaïne, bupivacaïne, ropivacaïne)

2.2. Effet anesthésique local (ou mécanisme d’action) Les AL bloquent de façon temporaire et réversible la propagation et l’amplitude des potentiels d’action membranaires en inactivant les canaux sodiques : ils inhibent les changements de conformation qui permettent normalement l’ouverture des canaux sodiques.

2.3. Toxicité des AL Elle est responsable des nombreuses précautions à prendre lors de la réalisation d’une anesthésie locorégionale. Elle est d’une part systémique (après injection intravasculaire accidentelle ou résorption vasculaire importante) et d’autre part locale.

• Toxicité locale des AL :

Elle concerne les fibres nerveuses au contact de l’AL. La dilution des solutions utilisées est telle que cette toxicité a peu de répercussion clinique. Un contact prolongé et à de fortes concentrations d’AL peut provoquer des lésions histologiques irréversibles.

• Toxicité systémique des AL (se voit lors d’une injection intraveineuse accidentelle

de fortes doses d’AL) :

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toxicité du SNC : Cliniquement, elle se traduit d’abord par une somnolence ou une sensation

ébrieuse, des céphalées, des acouphènes, une logorrhée, un goût métallique dans la bouche et des paresthésies péribuccales, ensuite par des tremblements et enfin par des convulsions généralisées (type tonico-cloniques). Le tableau dépend de la rapidité et du niveau de concentration cérébrale en AL c’est à dire de la vitesse d’injection et de la quantité du produit administré (concentration et volume de la solution injectée).

toxicité cardiaque :

Elle est aussi dose-dépendante. Les AL sont chronotropes négatifs (bradycardie sévère) et dromotropes négatifs (BAV, blocs de conduction avec TV et FV).

Remarque : les AL sont des antiarythmiques de la classe I (inhibition du courant sodique lors de la phase de dépolarisation). Ils sont aussi de puissants inotropes négatifs (effet anticalcique, inhibition du métabolisme énergétique de la cellule myocardique). De nombreux facteurs aggravent cette toxicité : hypoxie, hypercapnie, acidose, hyperkaliémie, hyponatrémie, hypothermie, grossesse, βbloquants, inhibiteurs calciques, antidépresseurs tricycliques. allergies :

Elles concernent les aminoesters car ils sont des dérivés de l’acide βaminobenzoïque. Par contre les solutions des aminoamides contiennent un conservateur chimiquement proche de l’acide βaminobenzoïque pouvant aussi être allergisant.

3. TECHNIQUES D’ANESTHESIE LOCO-REGIONALE (ALR)

3.1. Anesthésie locale par infiltration Tout AL peut être injecté en intradermique ou en sous-cutané. L’effet est alors immédiat et de durée dépendante de l’AL choisi (lidocaïne (Xylocaïne®) : 30 à 60 minutes, bupivacaïne (Marcaïne®) : 120 à 240 minutes). Le volume injecté dépend de la surface chirurgicale à anesthésier mais il faut toujours respecter les doses maximales autorisées (lidocaïne : 400 mg, bupivacaïne : 150 mg). 3.2. Anesthésie topique Cutanée, elle est assurée par une crème EMLA appliquée pendant 90 minutes au moins avant le geste. Elle ne procure qu’une anesthésie cutanée mais rend plus « confortables » toutes les ponctions transcutanées (principalement en pédiatrie et cancérologie). En ophtalmologie, l’instillation d’un collyre anesthésique procure une anesthésie de la cornée, uniquement ne convenant qu’à la chirurgie de la cataracte sous certaines conditions (opérateur consentant, rapide et entraîné).

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3.3. Anesthésie locorégionale intraveineuse (alriv) Elle consiste en une administration intraveineuse de l’AL en aval d’un garrot. L’AL diffuse de la vascularisation périphérique vers les fibres et les terminaisons nerveuses. Elle est intéressante pour la chirurgie du membre supérieur et éventuellement du pied, de durée inférieure à 1h. La toxicité systémique des AL (en cas de fuite et au lâchage du garrot) explique que le garrot soit maintenu pendant une heure au moins et que seule la lidocaïne soit utilisée et à de faibles concentrations (0.5%). Elle est contre-indiquée en cas d’impossibilité d’obtenir une occlusion artérielle efficace (obèse, artéritique sévère). 3.4. Blocs périmédullaires (rachianesthésie et péridurale) L’injection de l’AL est réalisée en intradural pour la rachianesthésie (injection d’AL après avoir vu un léger reflux de LCR) et en extradural pour la péridurale (perte de résistance à l’entrée de cet espace virtuel) et induit une anesthésie (bloc moteur, sensitif et analgésique) de type métamérique. Ils sont indiqués dans toute chirurgie de niveau inférieur à T10 d’une durée inférieure à 3h : périnéale, urologique, des membres inférieures (orthopédie et traumatologique, veineuse, pariétale abdominale (cures de hernie), gynécologique et obstétricale (césarienne urgente ou programmée). Leur contre-indication spécifique est essentiellement l’hypovolémie à cause du bloc sympathique induit. Et les risques sont l’hypotention artérielle, une rétention d’urine, des chutes au premier lever (bloc moteur résiduel), des lombalgies et des céphalées « post ponction duremèrienne » (accidentelles avec la péridurale). 3.5. Blocs péripériques (plexiques et tronculaires) L’injection de l’AL est réalisée à proximité du plexus ou du tronc nerveux à bloquer une fois sa localisation faite grâce à des repères cutanés et profonds, et la neurostimulation. Ils sont indiqués pour tout geste chirurgical strictement localisé au territoire bloqué, d’une durée limitée à 6h. Ils concernent principalement l’orthopédie (ex : syndrome du canal carpien, cure de l’hallux valgus) et la traumatologie (ex : exploration-suture de plaies). Les risques sont spécifiques à chacune des nombreuses techniques et sont affaire de spécialistes. On peut donner à titre d’exemples : paralysie diaphragmatique (bloc du nerf phrénique) et bloc du plexus brachial au cou ; diffusion péridurale et intrathécale de la solution anesthésique et blocs plexiques. Il en est de même pour les contre-indications, on peut citer : l’insuffisance respiratoire (paralysie diaphragmatique homolatérale constante) pour les blocs supraclaviculaires ; la fracture pertrochantérienne pour le bloc sciatique par voie antérieure ; la prothèse vasculaire fémorale pour le bloc fémoral.

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4. RISQUES EN GENERAL

• Echecs et insuffisances d’anesthésie • Hématomes et dissections artérielles

ex : fistule artério-veineuse du creux axillaire après bloc « axillaire » • Infections :

ex : méningites et blocs périmédullaires, abcès du psoas et bloc du plexus lombaire • Perforation d’organes : ex : pneumothorax, perforation artérielle (vertébrale ou sous clavière), espaces péridural et intrathécal après bloc du plexus brachial au cou • Lésions neurologiques :

localisation nerveuse traumatisante ou injection intraneurale ou solution injectée toxique • « effets » du bloc nerveux : attention aux « agressions » dans un territoire endormi (brûlures, compressions), au lever • Erreur sur le produit injecté

ex : antiseptique, sérum physiologique

5. CONTRE-NDICATIONS GENERALES

• Refus ferme et motivé du patient • Infection au point de ponction • Troubles de l’hémostase et compression artérielle locale impossible

- Contre-indication à l’utilisation des AL (allergie aux AL, cardiopathies, βbloquants, inhibiteurs calciques) - Troubles neurologiques suspects ou mal étiquetés

6. CONCLUSION La connaissance des indications et limites (risques et contre-indications) de ces techniques est primordiale pour une bonne prise en charge. Une « ALR » est réussie quand le confort du patient a toujours été obtenu, le relais avec le traitement antalgique a été anticipé et, surtout si le patient redemande la même technique pour une intervention similaire ultérieure.

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III - ANESTHESIE GENERALE Kamran Samii

Argumenter les indications, les contre-indications et les risques d’une anesthésie générale Préciser les obligations réglementaires à respecter avant et après une anesthésie (consultation et visite pré anesthésiques, passage en salle de surveillance interventionnelle.

L'anesthésie générale a pour objectif de permettre la réalisation d'actes douloureux (chirurgie) ou désagréables (endoscopies). Elle consiste en une perte de conscience pharmacologique qui :

• évite au malade de sentir la douleur et de se souvenir de l'acte • évite (ou limite) les réactions neuro-endocriniennes réflexes à la douleur

opératoire : activation sympathique, hypersecrétion d'ADH, cortisol, aldostérone, etc…

• entraîne un relâchement musculaire suffisant pour permettre la réalisation de l'acte chirurgical.

Pour atteindre cet objectif, on utilise plusieurs médicaments :

• un anesthésique général administré par voie intraveineuse (barbiturique type thiopental ou non barbiturique comme le propofol, l'étomidate, la kétamine) ou par inhalation (protoxyde d'azote, halogénés comme l'halothane, l'isoflurane, le desflurane, le sévoflurane).

• un analgésique central dérivé de la morphine : fentanyl, alfentanil, sufentanil, rémifentanil. Cet analgésique est utilisé pour diminuer la stimulation douloureuse.

• éventuellement un curare pour accentuer le relâchement musculaire, ou une benzodiazépine pour potentialiser les autres agents d'induction et ainsi réduire leur posologie.

1. INDICATIONS Les indications de l'anesthésie générale sont donc représentées par tous les actes dont le caractère douloureux ou désagréable les rend insupportables chez le sujet conscient. Ceci est assez clair pour les actes de chirurgie profonde mais peut être discutable pour certains actes peu douloureux. On arrive alors à la frontière de l'indispensable et du confort. Il est cependant sûr que les indications de l'anesthésie générale sont plus larges qu'autrefois et plus larges dans les pays à fort développement économique. La notion d'anesthésie de confort ressort donc de ces considérations. Les indications de l'anesthésie générale peuvent aussi être opposées à l'anesthésie locorégionale. En premier, le refus du patient des techniques d'anesthésie locorégionale est une indication de l'anesthésie générale. Dans les autres situations, les indications respectives des deux types de techniques dépendent du site opératoire, de sa durée, des habitudes de l'équipe.

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2. CONTRE-INDICATIONS

Il n'y a pratiquement pas de contre indication absolue à l'anesthésie générale et en cette matière tout doit s'évaluer en termes de rapport bénéfices/risques.

Les risques de l'anesthésie générale ont beaucoup diminué au cours des quinze

dernières années grâce à l'introduction de molécules plus maniables, de plus courte durée d'action, (diminuant ainsi les risques d'effets rémanents) et ayant moins d'effets indésirables :

• grâce à une meilleure évaluation préopératoire au cours de la consultation d'anesthésie

• grâce à une meilleure prise en charge peropératoire (réchauffement) • grâce à une meilleure surveillance peropératoire par le développement du

monitorage (cardioscope, pression artérielle automatisée, mesure de la saturation pulsée en oxygène, mesure du CO2 expiré, surveillance hémodynamique)

• grâce à une meilleure surveillance postopératoire en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI), appelé encore Salle de Réveil.

Cependant l'anesthésie générale n'est pas exempte d'effets indésirables habituellement bien tolérés :

Vasoplégie par dépression du baroréflexe. Il en découle une hypotension

modérée mais pouvant être majeure en cas de situation d'hypovolémie, d'insuffisance cardiaque ou de surdosage

Dépression respiratoire centrale (morphinomimétiques et à un moindre degré

anesthésiques généraux) ou périphérique (curares). Cet effet dépresseur est contrôlé par ventilation artificielle en peropératoire mais dès lors le risque est déplacé dans la phase postopératoire par effet résiduel de l'anesthésie générale. La SSPI et le monitorage de la SpO2 sont pour cela particulièrement utiles. Le risque respiratoire est bien sûr plus important pour les insuffisants respiratoires qui ont besoin d'une forte activité de leurs centres respiratoires pour avoir une ventilation correcte. Les effets résiduels des médicaments deviennent un véritable problème pour ces patients. C'est dans ces cas que certains prônent les techniques d'anesthésie locorégionale mais celles-ci ont parfois des effets respiratoires périphériques par diminution de la force musculaire des muscles respiratoires ou par dépression de certains réflexes : toux, soupirs, etc…

Dépression du tonus des muscles des voies aériennes supérieures

(anesthésiques généraux, benzodiazépines, morphiniques, curares). Le risque est alors l'apnée obstructive pouvant, en l'absence de traitement immédiat, être mortelle

Difficultés d'intubation trachéale avec hypoxémie alors que le patient a une

dépression respiratoire liée à l'anesthésie. Inhalation de liquide digestif par dépression des réflexes protecteurs des voies

aériennes lors de l'induction anesthésique ou pendant la phase de réveil Choc anaphylactique. Ce risque s'observe plus particulièrement avec les curares

mais peut aussi être observé avec les anesthésiques généraux et avec le latex (gants, ballon, masque, tuyau de ventilation, etc…). Le tableau consiste en une profonde hypotension, avec érythème généralisé, éventuellement un bronchospasme pouvant avoir des conséquences graves voire mortelles.

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Hormis ces complications menaçant le pronostic vital, diverses complications plus ou moins graves peuvent être observées : ischémie myocardique, accident vasculaire cérébral à l'occasion d'une poussée hypertensive (hémorragie) ou hypotensive (ischémie), atteinte des nerfs périphériques, nausées, vomissements parfois très désagréables, douleurs laryngées post intubation, troubles mnésiques.

Ainsi, si en cas d'anévrysme rompu de l'aorte abdominale il n'est pas question de contre indication de l'anesthésie générale, l'utilité de celle-ci peut être discutée en cas de terrain à risques pour un acte peu douloureux ou non indispensable.

Le terrain joue donc un grand rôle et il est convenu pour évaluer globalement ce risque

d'utiliser la classification ASA (American Society of Anesthesiologists) qui a le mérite d'être simple:

• ASA 1 : pas de pathologie notable • ASA 2 : présence d'une pathologie n'entravant pas la vie courante (par exemple

hypertension artérielle contrôlée par le traitement) • ASA 3 : présence d'une pathologie entravant la vie courante (par exemple angor

d'effort) • ASA 4 : pathologie entravant gravement la vie courante (par exemple grand

insuffisant respiratoire) • ASA 5 : patient moribond (par exemple anévrysme de l'aorte rompu avec

collapsus cardio-vasculaire). 3. OBLIGATIONS

Les obligations avant une anesthésie générale sont maintenant réglementées par un décret (5/12/94). Celui-ci impose :

1) Une consultation préanesthésique qui doit avoir lieu plusieurs jours avant

l'intervention 2) Une visite préanesthésique qui doit avoir lieu dans les heures précédant

l'intervention 3) Un établissement conjoint du tableau opératoire entre les différents acteurs :

chirurgiens, anesthésistes, cadres paramédicaux 4) Un monitorage minimum : électrocardioscope, pression artérielle non invasive

automatisée, FiO2, SpO2, pression respiratoire, spiromètre, concentration en CO2 expiré

5) La surveillance post-interventionnelle dans une salle spécialiée (SSPI) avec monitorage du tracé ECG, de la SpO2, de la pression artérielle, matériel de ventilation et de réchauffement en sus du matériel d'urgence.

Ces règles sont bien sûr des minima et le progrès médical et technologique a introduit depuis d'autres surveillances qui sont devenues des standards.

Une exception à la consultation d’anesthésie : l’urgence vitale. Ainsi, en cas d’état de choc hémorragique, de péritonite ou d’autres urgences vitales, l’anesthésie générale est pratiquée après avoir posé, si possible, quelques questions qui peuvent modifier la manière avec laquelle l’anesthésie générale va avoir lieu.

Ces questions sont pricipalement : • Dernière ingestion de boisson, d’aliments ou dernière cigarette. • Allergie • Antécédents d’anesthésie générale.

Il est de bonne pratique d’administrer un médicament per os faisant augmenter le pH gastrique (Tagamet® ou Azantac®) en prévision d’une possible inhalation de liquide gastrique.

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186

CHAPITRE 14

DOULEUR DE L’ENFANT EVALUATION ET TRAITEMENTS ANTALGIQUES

Agnès Suc, Michel Vignes, Delphine Thiboud

Plan du Chapitre pages

1. Evaluation 184

1.1. Chez les enfants de plus de 6 ans, communicants. 185 1.2. Chez les enfants entre 4 et 6 ans. 186 1.3. Chez les enfants de moins de 4 ans. 187

2. Prise en charge médicamenteuse de la douleur induite par les soins 2.1. Emla 188 2.2. Mélange protoxyde d’azote/oxygène 189 2.3. Hypnovel 2.4. Association succion-saccharose 190

3. Prise en charge médicamenteuse des douleurs par excès de nociception 191 3.1. Palier I 3.2. Palier II 192 3.3. Palier III 3.4. Co-antalgiques 195 3.5. Prise en charge de la douleur aiguë dans différentes pathologies 197

4. Traitement des douleurs neuropathiques 5. Méthodes non pharmacologiques de soulagement de la douleur 200

5.1 Enfant de moins de deux ans 5.2 Enfant de deux à six ans 201 5.3 Enfant de 7 à 12 ans 5.4 Enfant de plus de 12 ans 202

6. Conclusion 203 7. Annexes Références 207

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187

Il est maintenant acquis que tous les enfants y compris les nouveaux-nés et les prématurés sont susceptibles de ressentir la douleur. En effet, l’étude de la neurophysiologie du nourrisson nous a montré que les connections intra-cérébrales sont capables de transmettre les messages nociceptifs et d’y répondre très précocement in utero (entre la 24ème et la 26ème semaine de gestation). Les conséquences possibles de la douleur ressentie dans l’enfance sur la tolérance de la douleur à l’age adulte sont en cours d’investigation, mais il existe nous le savons une mémoire de la douleur (1). Prendre en charge la douleur nécessite en premier lieu de l’évaluer. Cette évaluation est cependant souvent complexe en pédiatrie notamment chez le petit enfant non communiquant ou l’enfant polyhandicapé. Il va donc être nécessaire d’utiliser les outils à notre disposition avec compétence et savoir faire pour obtenir une évaluation quantitative et qualitative significative. La douleur de l’enfant est un phénomène complexe, de même que chez l’adulte et sa prise en charge nécessitera le plus souvent une prise en charge multidisciplinaire associant des thérapeutiques antalgiques à une prise en charge non médicamenteuse. De plus, il sera indispensable de prendre en compte et de prévenir aussi bien la douleur survenant spontanément à l’occasion de maladies potentiellement algogènes que celles induites par la réalisation de gestes douloureux invasifs. Il est donc indispensable que l’ensemble des soignants travaillent en collaboration dans l’inter et la multidisciplinarité pour diagnostiquer, évaluer et prendre en charge la douleur de tous les enfants dont ils ont la charge. I – EVALUATION Pour prendre en charge la douleur d’un enfant, il est fondamental de l’évaluer de manière régulière avec des outils fiables et adaptés. Ceci est indispensable pour établir ou confirmer l’existence d’une douleur, apprécier son intensité, déterminer les moyens antalgiques nécessaires, évaluer l’efficacité du traitement institué et adapter ce traitement. En Mars 2000, des recommandations pour la pratique clinique intitulée : « Evaluation et stratégies de prise en charge de la douleur aiguë en ambulatoire chez l’enfant de 1 mois à 15 ans » ont été publiées par l’ANAES (2). Une appréciation générale du comportement de l’enfant, l’existence de perturbations de ses activités de base (bouger, jouer, dormir, parler, manger) peuvent être proposés en première intention. Afin d’objectiver au mieux la douleur, différentes échelles peuvent être utilisées en fonction de l’age et de l’état cognitif de l’enfant (Fig 1).

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188

1 mois 2 mois 1 an 18 mois 2 ans 3 ans 4 ans 6 ans

NFCS abrégée

AMIEL-TISON

OPS

CHEOPS

DEGRR

EVA par une tierce personne expérimentée (soignant)

Figure 1 : Outils d’évaluation de la douleur en fonction de l’âge (ANAES)

1.1. Chez les enfants de plus de 6 ans, communicants

L’auto-évaluation est le gold-standard. Parmi les outils d’auto-évaluation, l’échelle visuelle analogique (EVA) est considérée comme l’outil d’auto-évaluation de référence. Une présentation verticale sans éléments ludiques est d’utilisation courante en France. La cotation se fait entre 0 et 10. Peuvent également être utilisées, l’échelle des 4 jetons, et l’échelle des 6 visages (Fig 2). La localisation de la douleur sur un schéma à l’aide d’un dessin est souvent riche d’information (Fig 3). En tenant compte des confusions droite-gauche possibles, ce dessin peut apporter des informations sur la physiopathologie de la douleur (douleur par excès de nociception ou douleurs neurogènes), et sur le ressenti de l’enfant.

EVA EVA + jetons ou ou jetons EVA ou + FPS-R FPS-R

Hét

éro-

éval

uatio

n

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189

Figure 2 : Présentation de l’échelle de 6 visages : FPS-R (ANAES). La consigne est : « Montre moi le visage qui a mal autant que toi ».

Figure 3 : Localisation de la douleur sur un schéma. La consigne est « Dessine ou

tu as mal ». Au préalable, si l’enfant le peut, il choisit un code couleur pour les 4 intensités de douleur de la légende.

1.2. Chez les enfants entre 4 et 6 ans

L’auto-évaluation peut être tentée. L’EVA est à utiliser conjointement à un autre outil d’auto-évaluation (jetons ou échelles de 6 visages). Si les scores obtenus par les deux méthodes sont convergents, elles peuvent être considérés comme fiables. Si par contre les scores divergent, elles doivent être considérés comme non valides et seule l’hétéro-évaluation est alors possible.

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190

1.3. Chez les enfants de moins de 4 ans

Seuls les outils d’hétéro-évaluation basés sur l’association de comportements les plus indicateurs de douleur dans certaines situations sont actuellement validés.

En fonction de la situation clinique, diverses échelles sont utilisées : Pour les nouveaux-nés, l’échelle EDIN qui évalue simultanément la douleur et

l’inconfort est fréquemment utilisée (Annexe 1) Pour la douleur post-opératoire, l’échelle Amiel-Tison inversée (1 mois-3 ans)

Annexe 2 l’échelle OPS (Objective Pain Scale) Annexe 3 à partir de l’age de 2 mois,

Pour les douleurs chroniques d’origine cancéreuses, l’échelle HEDEN (Annexe 3) Pour les douleurs dans le cadre des Urgences l’échelle EVENDOL (Annexe 4) Pour les douleurs des enfants polyhandicapés (4), l’échelle San Salvadour

(Annexe 5) Lors du suivi, l’évaluation doit préférentiellement être réalisée avec le même outil.

II – PRISE EN CHARGE MEDICAMENTEUSE DE LA DOULEUR INDUITE PAR LES SOINS

Certaines pathologies chroniques de l’enfant sont douloureuses en elles-mêmes. Cependant l’enfant peut aussi être amené à se plaindre de douleurs « provoquées » notamment lors de la réalisation d’actes thérapeutiques ou d’investigation. La prévention et la prise en charge correcte de la douleur induite par les soins sont fondamentales en pédiatrie.

2.1. EMLA® : Anesthésie locale de la peau saine chez l'enfant

L’EMLA® existe sous 2 formes de présentation : EMLA® crème et EMLA® patch. La

profondeur d'anesthésie est de 3 mm après 1 heure d’application, et de 5 mm après 2 heures d’application. L’anesthésie persiste 1 à 2 h après le retrait de la crème.

Les contre-indications d’utilisation sont : La méthémoglobinémie congénitale, La porphyrie, L’hypersensibilité aux anesthésiques locaux du groupe à liaison amide ou tout

autre composant de la préparation.

Sur des lésions cutanées atopiques et avant curetage de molluscum, le temps d’application recommandée est de 30 min.

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191

EMLA 5% crème Lidocaïne 2,5g + prilocaïne 2,5g

EMLA 5% patch Lidocaïne 0,025g + prilocaïne

0,025g 1 tube = 5 g de crème 1 patch = 1 g de crème Toutes surfaces d'anesthésie Anesthésie locale de petite surface Appliquer la crème en couche épaisse, sans masser. Placer le pansement adhésif de façon à couvrir la crème, assurer l'étanchéité.

Ne pas toucher la partie blanche du pansement qui contient l'émulsion anesthésique. La partie blanche doit recouvrir la partie à anesthésier. Ne pas appuyer sur la partie centrale mais appuyer fermement sur le pourtour pour assurer l'étanchéité.

Indiquer l'heure d'application sur le pansement Posologie Dose maximale De 0 à 3 mois 1 g pour 10 cm2 : ne pas appliquer

plus d'1 patch Ne pas renouveler avant 12 h

De 3 mois à 1 an 2 g : ne pas appliquer plus de 2 patchs à la fois

De 1 an à 6 ans 10 g De 6ans à 12 ans 20 g A partir de 12 ans 50 g (crème)

Temps d'application De 0 à 3 mois 1 heure maxi A partir de 3 mois 1 à 2 heures (4 heures maxi)

2.2. Mélange protoxyde d’azote/oxygène : Medimix 50, Mediop, Entonox, Kalinox

Le Protoxyde d’Azote est un gaz employé depuis longtemps en anesthésie, en raison de ses propriétés analgésiques, sédatives, anxiolytiques et euphorisantes. C’est un « gaz dit hilarant ».

Le MEDIMIX 50® est un mélange équimolaire de Protoxyde d’Azote à 50% (N20) et

d’Oxygène à 50% disponible en bouteille. Lorsqu’il est inhalé par un enfant pendant au moins 3 minutes avant de réaliser un geste douloureux et pendant toute la durée de ce geste, il entraîne un état de sédation consciente avec anxiolyse, parfois euphorie et modifications des perceptions sensorielles. Il est fréquent que l’enfant dissocie la sensation de sa composante désagréable : « J’ai senti mais je n’ai pas eu mal ». Le MEDIMIX 50® a de plus un effet amnésiant, intéressant pour les gestes étant amenés à se renouveler fréquemment.

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192

Le mélange Protoxyde d’Azote/oxygène est indiqué dans les actes douloureux de courte durée chez l’enfant, notamment :

• les ponctions lombaires, • les myélogrammes, • les ponctions pleurales, • les ponctions biopsie hépatique, • les pansements de brûlés, • la petite chirurgie superficielle, • la réduction de fractures simples, • la réduction de certaines luxations périphériques,

Les effets indésirables sont peu fréquents et disparaissent dans les minutes qui suivent

l’arrêt de l’inhalation du mélange : Euphorie, rêves, paresthésies, approfondissement de la sédation, sensations vertigineuses, nausées, vomissements, modifications des perceptions sensorielles, angoisse, agitation.

Les contre-indications sont : les patients nécessitant une ventilation en oxygène pur, l’hypertension intracrânienne, toute altération de la conscience empêchant la coopération du patient, l’épanchement gazeux non drainé, les bulles d’emphysème, l’embolie gazeuse, la distension gazeuse abdominale, le traumatisme facial intéressant la région d’application du masque.

L’association avec les anesthésiques locaux (EMLA®) est nécessaire à chaque fois

qu’une effraction cutanée est réalisée . A l’arrêt de l’inhalation, le retour à l’état initial est quasi-immédiat sans effet rémanent. Toute utilisation du mélange gazeux se pratique sur prescription médicale. Il est recommandé de ne pas utiliser le MEDIMIX en inhalation continue plus de 60 mn par jour pendant 15 jours consécutifs. 2.3. Hypnovel Midazolam : Sédation vigile de l’enfant

La sédation est l’ensemble des moyens médicamenteux ou non, destinés à assurer le confort physique et psychique de l’enfant et à faciliter les techniques de soins. Elle permet la réalisation d’actes thérapeutiques ou d’investigations dans des conditions optimales de confort et de sécurité . En dehors du contexte très spécifique de la réanimation infantile, la sédation vigile de l’enfant utilise principalement le Midazolam : HYPNOVEL® ® : Ampoule 1ml = 5 mg , ampoule 5 ml = 5 mg.

Le Midazolam (Hypnovel ®) a une action sédative, hypnotique, anxiolytique, myorelaxante, anti-convulsivante et amnésiante. Il existe une grande variabilité inter individuelle avec fréquente nécessité d’une titration. Le Midazolam est indiqué dans tous les gestes douloureux thérapeutiques ou d’investigation tel que les myélogrammes , les ponctions biopsie hépatique et rénale, certaines réductions de fractures , les pansements de brûlés etc.

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193

voie Sédation vigile

> 6 mois

Délai

d'action

Durée

d'action

IVL 2 à 5

mn

Posologie selon

l'âge sans

dépasser 10 mg

dose totale

0,1 mg/kg de 12

à 15 ans

0,2 mg/kg de 6 à

12 ans

0,25 mg/kg de 6

mois à 5 ans

1 à 5 mn

(max 7 mn)

20 à 30

mn

Oral

HORS

AMM

0,5 mg/kg - max

20 mg

30 mn avant

10 à 20 mn

(max 30 mn)

45 mn à

1 h

Rectal 0,3 à 0,4 mg/kg

15 à 30 mn avant

10 à 15 mn

(max 30 mn)

45 mn à

1 h

Les effets indésirables respiratoires et cardiovasculaires sont dose dépendants mais peuvent apparaître, même aux doses thérapeutiques et avec la méthode de titration. Ils sont majorés lors d'association avec d'autres médicaments dépresseurs du SNC, en particulier les morphiniques, lorsque la voie IV est utilisée. Des effets paradoxaux à type d’agitation, d’irritabilité, d’agressivité peuvent être déplorés. En cas de surdosage, l’antidote est l’ANEXATE® flumazénil .

2.4. Association succion-saccharose

L’association solution sucrée et succion a un effet apaisant sur le nouveau-né subissant certains gestes invasifs douloureux. Elle permet de diminuer la douleur et ses manifestations chez la plupart des prématurés (28 Semaine) et des nouveaux-nés jusqu’à 28 jours ne présentant pas de contre-indication à son utilisation. Contre-indications :

• Troubles métaboliques (grande instabilité glycémique, antécédents familiaux

connus de fructosémie…) • Problème abdominal aigu • Enfant en arrêt alimentaire • Enfant à risque de fausse route

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194

• Enfant comateux ou anesthésié.

III – PRISE EN CHARGE MEDICAMENTEUSE DES DOULEURS PAR EXCES DE NOCICEPTION Comme chez l’adulte, l’échelle de l’OMS a 3 niveaux représente une méthode simple et efficace pour assurer une prise en charge médicamenteuse de la douleur de l’enfant (Fig 9). L’utilisation de co-antalgiques doit être envisagée systématiquement à chaque niveau de l’échelle (6-9). Comme chez l’adulte, il est indispensable de prévoir des prises systématiques à intervalle régulier pour éviter la réapparition de douleurs . Le choix de la voie d’administration se fera surtout en fonction du mode d’antalgie nécessaire : la voie intra-veineuse ne sera en effet recommandé que lorsque la voie orale et rectale seront impossibles et si la douleur demande à être soulagée rapidement.

DISPARITION DE LA DOULEUR

SI LA DOULEUR PERSISTE

DOULEUR

Figure 9 : Echelle thérapeutique de l’OMS

3.1. Palier I - PARACETAMOL : Le Paracétamol est utilisé pour ses propriétés antalgiques et antipyrétique. Il n’a pas d’effet anti-inflammatoire. La dose de Paracétamol à utiliser chez l’enfant est de 60 mg/kg/jr ou 15 mg /kg toutes les 6 H. La dose maximale est de 80 mg/kg/j. La dose toxique est de 150 mg/kg en prise unique quel que soit l’age de l’enfant .

Antalgique non opïoïde pour douleurs faibles ∗Paracétamol ∗Acide Acétyl- salycilé ∗AINS

Opïoïde pour douleurs faibles à

modéréres ∗ Codéine * Tramadol ∗ Nubain

PALIER I

PALIER II

PALIER III

Opïoïde pour douleurs modérées ou fortes ∗Morphine

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195

- ACIDE ACETYL-SALYCILIQUE : L’acide acétyl salicylique a des propriétés antalgiques, anti-inflammatoire et anti-pyrétique. La dose recommandée en pédiatrie est de 50 mg/kg/jr en prises espacées de 4 H minimum. Actuellement, l’acide acétyle salycilique est peu employé chez l’enfant principalement à cause de ses effets secondaires sur l’agrégation plaquettaire et le risque de syndrome de Reye. Ainsi devant un enfant atteint de varicelle et présentant un syndrome pseudo-grippal, le Paracétamol sera utilisé en première intention. La dose maximale recommandée dans les affections rhumatismales est de 100 mg/kg/jr. - ANTI-INFLAMMATOIRES NON STEROIDIENS : L’acide Niflumique (NIFLURIL®, suppo enfant 400 mg, gel 250 mg) a l’AMM à partir de 6 mois sous sa forme suppositoire. (6- 30 mois : ½ suppo x 2 /jr, 30 mois-12 ans, 1suppo/10kg/jr ). Le NIFLURIL ® sous forme de gelules a l’AMM à partir de 12 ans. L’Ibuprofene (NUREFLEX ® suspension buvable, ADVIL ® suspension buvable) a des propriétés anti-inflammatoires, antalgiques et anti-pyrétiques. Il a l’AMM à partir de 3 mois et est utilisé dans de nombreuses indications (pathologie ORL hyperalgique, douleur post opératoire ). Les doses sont de 20-30 mg/kg/j en 3 prises (espacées de 6h minimum). Dans l’arthrite chronique juvénile , les doses recommandées sont de 30 à 40 mg/kg/j en 4 prises. Les comprimés dosés à 200 mg ont l’AMM à partir de40 kg, 12 ans. Le Naproxène (APRANAX®, AMM 25 Kg), le Diclofénac (VOLTARENE®, AMM> 16 kg) et l’Acide Tiaprofénique (SURGAM® AMM> 15 kg) ont des indications restreintes (rhumatismes inflammatoires, polyarthrite chronique juvénile) . Le Kétoprofène (PROFENID®) n’a pas d’AMM officielle avant 15 ans mais est utilisé en post opératoire de chirurgie orthopédique. 3.2. Palier II - Le CODENFAN®a l’AMM à partir de l’age de 1 an. Les doses préconisées sont de 0,5 mg/kg toutes les 6H. Les doses toxiques sont de 2 mg/kg en prise unique et les risques vitaux de 5 mg/kg en prise unique. Il ne faut pas hésiter à l’associer avec le Paracétamol. L’antidote est la NALOXONE. Les doses maximales sont de 6 mg/kg/jr. - L’EFFERALGAN CODEINE ® (30 mg de Codéine, 500 mg de Paracétamol) a l’AMM à partir de 15 kg et le CODOLIPRANE ® (20 mg de Codéine, 400 mg de Paracétamol) à partir de 6 ans et 14 Kg. Les doses préconisées sont de 3 mg/kg/jr de Codéine en 4 à 6 prises et les doses maximales de 6 mg/kg/jr. Le Tramadol (CONTRAMAL®, TOPALGIC®) a l’AMM à 3 ans sous forme de gouttes. Il reste moins bien étudié chez l’enfant que la Codéine qui reste le traitement antalgique de palier 2 de référence. La présentation buvable peut donner lieu à des risques de surdosage. . Le Dextropropoxyphène + Paracétamol (DIANTALVIC®) n’a pas l’AMM avant 15 ans . 3.3. Palier III - La Nalbuphine (NUBAIN®) est un agoniste-antagoniste Morphinique largement utilisé en Pédiatrie avec une AMM officielle à partir de 18 mois. Il peut être utilisé soit par voie IR à la dose de 0,3 mg/kg avant de réaliser un soin douloureux , soit par voie IV : 0,2 mg/kg toutes les 4 à 6H. Il existe un effet plafond, il ne sert à rien d’augmenter les doses au delà de 1,2 mg/kg/jr sous peine d’inefficacité. Lors du passage du NUBAIN® à de la Morphine , un délai de 1 h doit être respecté.

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196

- MORPHINE : Depuis, le 24 Septembre 1997, la pharmacopée française autorise l’utilisation de la Morphine à partir de l’age de 1 mois . Il n’y pas de posologie maximale tant que les effets indésirables sont contrôlés. La posologie est augmentée jusqu ’à antalgie satisfaisante. Différentes formes galéniques sont actuellement disponibles chez l’enfant.

a) Morphine à libération immédiate Les Morphines à libération immédiate ont un pic plasmatique obtenu entre 30 et 60mn et les concentrations permettent le maintien de l’efficacité pendant 4 H. Elles ont 3 indications principales : ∗ les douleurs aiguës intenses , ∗ les pics douloureux non contrôlés se surajoutant à des douleurs de fond ∗ l’initiation d ’un traitement par morphine orale (titration) SIROP DE MORPHINE AGUETTANT® : 5mg/ml Reservé à l’adulte et à l’enfant de plus de 6 mois. Dose de départ= 1 mg/kg/jr ORAMORPH® : Existe sous forme buvable : 20 mg pour 1 ml. Reservé à l’adulte ou l’enfant de plus de 6 mois. Dose de départ 1mg/kg/jr = 0,05 ml/kg/jr = 0,8 goutte/kg/jr (4 gouttes pour 5 kg). ACTISKENAN®, gel 5,10, 20,30 mg . A l’AMM à partir de l’age de 6 mois, à la dose de 1mg/kg/jr per os en 6 prises espacées de 4H . Avant 6 ans les gélules doivent être ouvertes.

b) Morphine à libération prolongée Les morphines à libération prolongée ne nécessitent que deux prises par jour. SKENAN® LP : gel 10,30,60,100,200mg. 2 prises par 24 h. AMM à partir de 6 mois. Les gélules de SKENAN® LP contiennent des granules à libération prolongée et peuvent être ouvertes et introduites dans des sondes gastriques de diamètre supérieur ou égal à 16G. Le Fentanyl par voie transdermique (DUROGESIC ® ) a l’AMM à partir de 2 ans . .

c) Morphine par voie intra-veineuse

La morphine par voie IV peut-être utilisée chez l’enfant soit à la seringue électrique, soit à l’aide de pompes d’analgésie auto-contrôlée utilisable chez les enfants à partir de l’âge de 4 ans. Posologie de départ 0,3 mg /kg par voie IV .

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197

d) Effets secondaires des Morphiniques utilisés chez l’enfant

Beaucoup de tabous et de préjugés restent encore ancrés fortement dans le grand public notamment lors de sa prescription chez l’enfant. Afin de s’assurer de la compréhension de tous et permettre la meilleure compliance possible, il est indispensable de prendre le temps de discuter avec les parents, de les informer des effets secondaires prévisibles et de mettre en œuvre précocement les moyens pour les prévenir.

- La Morphine est actuellement le traitement antalgique le plus puissant à la disposition du corps médical et n’est pas réservé qu’aux seuls traitements palliatifs. - La constipation pratiquement inévitable et doit être systématiquement prévenue par des mesures hygiéno-diététiques et des laxatifs . - Les nausées et vomissements surviennent chez 40% des patients essentiellement en début de traitement et disparaissent ultérieurement. Ils peuvent être traités de façon symptomatique. - La somnolence survient souvent en début de traitement et disparaît en quelques jours. - Toujours penser au globe vésical devant un patient sous Morphine qui s’agite ! - L’accoutumance (« tolérance des anglo-saxons ») traduit la nécessité d’augmenter les doses d’un produit pour maintenir stable un effet donné. L’accoutumance a l’effet antalgique de la Morphine est faible. L’obligation d’augmenter les doses est le plus souvent liée à une augmentation de la douleur par l’évolution de la maladie en elle-même. Il existe par contre une accoutumance bénéfique à certains effets indésirables : somnolence, dépression respiratoire, nausées, vomissements.

- Dépendance physique et psychique : La prise chronique de Morphine entraîne des modifications physiologiques qui peuvent à l’extrême conduire à un syndrome de sevrage aux opioides en cas d’arrêt brutal. C’est la raison pour laquelle on n’arrête jamais brutalement un traitement Morphinique mais on le réduit progressivement sur plusieurs jours. La dépendance psychique, l’assuétude (« addiction chez les anglo-saxons ») correspond au développement d’un comportement de type toxicomaniaque avec besoin impérieux d’un produit et souci obsessionnel de se le procurer. La dépendance psychique immédiate est quasiment exceptionnelle chez les enfants ou les adolescents traités par Morphine pour soulager des douleurs physiques. Il n’existe pas non plus de risque de développer des toxicomanies ultérieurement à l’age adulte (Expérience des USA chez les enfants drépanocytaires traités de façon itérative par des Morphiniques dans l’enfance pour des crises douloureuses osseuses.20 ans plus tard, il n’existe pas d’augmentation de la prévalence de la toxicomanie dans cette population devenue adulte ). - Le myosis est un signe d’imprégnation Morphinique et n’est pas un signe de surdosage. - Sueurs, prurit à traiter de façon symptomatique par des antihistaminiques . Antidote de la Morphine : NARCAN ® (Naloxone)

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198

Le recours a la Naloxone ne se justifie qu’en cas de signe de surdosage sévère. Dans les autres situations, une fenêtre thérapeutique sera proposée. En cas de dépression respiratoire marquée ou de sédation majeure imputable à la prise de Morphiniques, c’est-à-dire de bradypnée (inférieure à 10 par minutes chez l’enfant de moins de 5 ans, inférieure à 8 par minutes chez l’enfant au dessus de 6 ans), apnée, oubli de respirer, hypoventilation par hypertonie thoracique ou par encombrement.

∗ Arrêter la Morphine (seringue électrique, Pompe PCA…)

∗ Assurer une oxygénation correcte

∗ Administrer NARCAN ® Naloxone

1ml = 0.4 mg =400 µg. Posologie : 1 à 2 µg/kg IVD

En pratique, diluer une ampoule avec 9 cc de sérum physiologique. Injecter lentement en IVD cc par cc jusqu’à obtention d’une respiration correcte. Cette dose lève la dépression respiratoire tout en maintenant un niveau d’analgésie correcte. Sinon risque de réapparition des douleurs. Au moindre doute la situation sera examinée par un anesthésiste Réanimateur pour évaluer les modalités de surveillance. La cause du surdosage devra être identifiée. (cf. page suivante Tableau 1 : Les différents antalgiques ayant une AMM en pédiatrie (ANAES).

Il est à noter qu’il n’existe pas d’antalgique de palier II ayant une AMM, chez l’enfant de

moins de 1 an ; et qu’il n’existe aucun antalgique de palier III per os entre la naissance et l’âge de 6 mois. 3.4. Co-Antalgiques Les coantalgiques sont des médicaments ou des techniques dont les indications principales ne sont pas le traitement de la douleur. Ils peuvent être utilisés pour accroître l’efficacité thérapeutique des antalgiques. Ils doivent être envisagés à tous les niveaux de l’échelle de l’OMS. Ex : Coantalgiques médicamenteux et non médicamenteux

Coantalgiques médicamenteux : Corticoïdes (effet antitumoral et antioedemateux) Benzodiazépines (effet anxiolytique) Antidépresseurs Coantalgiques non médicamenteux : Kinésithérapie respiratoire Contention , orthèses d’immobilisation (lésions tumorales douloureuses à la mobilisation) Immobilisation chirurgicale Chirurgie de dérivation digestive ou urinaire (obstacle mécanique sur les organes creux) Ecoute attentive, psychothérapie de soutien

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199

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200

Tableau I : Les médicaments antalgiques et analgésiques en pédiatrie ayant l’AMM en pédiatrie. Récapitulatif par paliers et par âge. PO : per os ; IV : intraveineux ; I : injectable ; suppo : suppositoires ; † : réserve hospitalière

Nouveau né 0-28 jours

Nourrisson 1 mois-2ans

Enfant 2 ans-12 ans

Adolescent 12-15 ans

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201

> 1 mois > 6 mois >12 mois >18 mois > 30 mois > 4 ans > 7 ans PALIER I

Paracétamol PO Propacétamol IV

Paracétamol PO Propacétamol IV Aspirine PO

Paracétamol PO Propacétamol IV Aspirine PO Ibuprofène PO Acide niflumique suppo

Paracétamol PO Propacétamol IV Aspirine PO Ibuprofène PO Acide niflumique suppo

Paracétamol PO Propacétamol IV Aspirine PO Ibuprofène PO Acide niflumique suppo

Paracétamol PO Propacétamol IV Aspirine PO Ibuprofène PO Acide niflumique suppo

Paracétamol PO Propacétamol IV Aspirine PO Ibuprofène PO Acide niflumique suppo Diclofénac suppo, PO Acide tiaprofénique PO

Paracétamol PO Propacétamol IV Aspirine PO Ibuprofène PO Acide niflumique suppo Diclofénac suppo, PO Acide tiaprofénique PO Naproxène PO

Paracétamol PO Propacétamol IV Aspirine PO Ibuprofène PO Acide niflumique suppo Diclofénac suppo, PO Acide tiaprofénique PO Naproxène PO

PALIER II

Codéine PO Codéine PO Nalbuphine I

Codéine PO Nalbuphine I

Codéine PO Nalbuphine I

Codéine PO Nalbuphine I Buprénorphine PO

Codéine PO Nalbuphine I Buprénorphine PO Oxycodone suppo Tramadol PO

PALIER III

Morphine IV Fentanyl IV†

Morphine IV Fentanyl IV†

Morphine IV Fentanyl IV†

Morphine PO

Morphine IV Fentanyl IV†

Morphine PO

Morphine IV Fentanyl IV†

Morphine PO

Morphine IV Fentanyl IV†

Morphine PO

Morphine IV Fentanyl IV†

Morphine PO

Morphine IV Fentanyl IV†

Morphine PO Hydromorphone PO

Morphine IV Fentanyl IV†

Morphine PO Hydromorphone PO

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202

3.5. Prise en charge de la douleur aiguë dans différentes pathologies Les recommandations concernant la prise en charge

de la douleur aiguë en chirurgie pour des actes réalisés en Hôpital de Jour de la douleur aiguë des brûlures et des fractures de l a douleur aiguë dans les pathologies médicales de la douleur provoquée lors des soins

sont résumées dans les tableaux ci-dessous (Tableaux 2 et 5).

Actes chirurgicaux Traitement de première intention : Catégorie d’antalgique et durée

Traitement de deuxième intention (si 1ère intention insuffisant : EVA > 3 ou pas de retour aux activités de base), après une à deux prises

Amygdalectomie Palier II* pendant 72 heures Pal ier I I I Adénoïdectomie Palier I pendant 24 heures Nouvelle consultation Circoncision Palier II* pendant 72 heures et

lidocaïne locale Palier III

Orchidopexie Palier I pendant 72 heures Palier II*

Hernie inguinale Palier I pendant 72 heures Palier II* Chirurgie de strabisme Palier I pendant 24-48 heures Palier II* Extraction de dents de lait Pas d’antalgiques Palier I Extraction de dents définitives, de sagesse et/ou germectomie

Palier I pendant 48 heures Palier II*

* :En cas d’utilisation de codéine, il est recommandé de l’associer à un palier I Tableau 2 : Prise en charge de la douleur aiguë en chirurgie

pour des actes réalisés en Hôpital de jour. Pathologie Traitement de première

intention Traitement de deuxième intention (si 1ère intention insuffisant : EVA > 3 ou pas de retour aux activités de base)

Fracture non déplacée Immobilisation ± palier II Si douleurs persistantes après immobilisation, palier III

Fracture déplacée Palier III avant et après immobilisation

Augmentation des doses

Réduction de fracture Anesthésie générale Brûlure superficielle et localisée

Palier II (dès l’arrivée du médecin traitant)

Morphine orale retard inter-doses de morphine rapide orale

Brûlure profonde ou étendue

Morphine orale dès l’arrivée du médecin traitant Titration de morphine ou fentanyl intraveineux si prise en charge SMUR ou SAMU

Morphine IV ou orale à libération immédiate puis si stabilisation de la douleur, morphine retard ± inter-doses de morphine rapide orale ± AINS

Pansement de brûlure MÉOPA ± dose de charge de morphine ± anxiolytique

Sédation profonde ou anesthésie générale

Tableau 3 : Prise en charge de la douleur aiguë des brûlures et des fractures

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Pathologie < 6 mois 6 mois – 1 an 1 an – 6 ans > 6 ans

OTITE

AVIS ORL

Palier I + antalgiques Locaux si tympan fermé Si échec * AINS + paracétamol

Palier I seul Puis (AINS + paracétamol) pendant 48 h + antalgiques locaux, si tympan fermé Si échec * Ajouter codéine

EVA < 5/10 Palier I pendant 48 h + antalgiques locaux, si tympan fermé Si échec* Ajouter codéine

EVA > 5/10 Palier I + codéine Si échec* Augmenter les posologies jusqu’au maximum autorisé

DYSPHAGIE

Palier I seul puis en association Si échec * Augmenter les posologies jusqu’au maximum autorisé

Palier I seul puis en association (AINS + paracétamol) Si échec * Ajouter codéine

EVA < 5/10 Palier I pendant 48 h Si échec * Ajouter codéine

EVA > 5/10 Palier I + codéine Si échec * Augmenter les posologies jusqu’au maximum autorisé

GINGIVO-STOMATITE

Palier I (mais insuffisant le plus souvent) Si échec * Morphine

Palier II systématique pendant 48 h + lidocaïne gel sur les lèvres seulement 2 mg/kg toutes les 3 h (maximum 100 mg/dose) Si échec * Morphine

Palier II systématique pendant 48 h + lidocaïne gel sur les lésions toutes les 3 h (2 mg/kg, maximum 100 mg/dose)

Si échec * Morphine

Si échec * : pour les enfants de plus de 6 ans capables de réaliser une EVA, l’échec est objectivé, après une à deux prises d’antalgiques, par :

• une EVA non ramenée en dessous de 3/10 ou • pas de diminution de l’EVA

(Pour les enfants de moins de 6 ans, nous appelons échec la persistance de la disparition des activités de base de l’enfant qui sont : bouger, jouer, dormir, parler, manger)

Tableau 4 : Prise en charge de la douleur aiguë dans des pathologies médicales

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Soin Traitement de première intention

Traitement de deuxième intention

(si 1ère intention insuffisant : EVA>3)

Ponction veineuse EMLA* pour les enfants de moins de 11 ans et pour ceux qui le demandent (grade A).

MÉOPA† en association à l’EMLA pour les enfants difficiles à piquer ou ceux ayant une phobie du geste Sédation si échec de EMLA + MÉOPA

Vaccins, injections sous-cutanées

EMLA systématique pour les injections répétées EMLA à la demande pour les injections occasionnelles

Intra-Dermo-Réaction (IDR)

EMLA

Sutures MÉOPA puis anesthésie locale avec lidocaïne tamponnée injectable (9 ml de lidocaïne pour 1 ml de bicarbonate 88 mEq/ 100 ml)

Sédation voire anesthésie générale

Ponctions lombaires MÉOPA et/ou EMLA Myélogrammes MÉOPA et EMLA Sédation voire anesthésie

générale Paracenthèse MÉOPA pour les enfants agés

de plus de 6 mois Anesthésie générale

Réduction de paraphimosis

Gel de lidocaïne et MÉOPA Sédation voire anesthésie générale

Ablation de verrues Lidocaïne injectable (grade A) et/ou MÉOPA

Sédation voire anesthésie générale

* EMLA : crème anaesthésique, mélange de lidocaïne et de prilocaïne. † MÉOPA : mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote.

Tableau 5 : Prise en charge de la douleur aiguë provoquée par les soins

IV - TRAITEMENT DES DOULEURS NEUROPATHIQUES

Le traitement des douleurs neuropathiques a pour objectif de maîtriser les accès de fulgurance, de diminuer ou supprimer les sensations anormales et de prévenir l’envahissement par la douleur.

RIVOTRIL ® (Clonazépam) : 0,05 mg/kg/jr à 0,1 mg/kg/jr

Solution buvable 2,5 mg/ml : 1 goutte = 0,1 mg, Cp quadrisécable : 2 mg, Injectable : 1 ml=1 mg. Oas d’AMM pour cette indication mais expérience clinique ++. Prise unique vespérale conseillée. Le rythme d’administration dépendra des effets secondaires (somnolence) et de la persistance des fulgurances inconfortables au cours de la journée.

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LAROXYL ® (Amitryptiline) : 0,3 à 1 mg/kg/jr en dose unique le soir. Gouttes buvables 1 mg/gte, cp 25 mg, cp 50 mg, inj 50 mg Dans certaines circonstances (méningite carcinomateuse) , 1 à 3 mg/kg/jr en IVC après une dose de charge en 30 mn de 0,2 mg/kg. De nombreux effets secondaires (bouche sèche, somnolence, rétention d’urines et constipation) et interactions médicamenteuses sont à déplorer. En pratique, l’Amytryptiline n’est prescrite pour traiter des douleurs neurogènes que si l’évaluation de l’état psychique a permis de mettre en évidence un syndrome dépressif vrai.

Le TEGRETOL ® : (Carbamazépine) n’a pratiquement plus d’utilisation dans les

indications de thérapeutiques antalgiques. Au cas par cas , l’utilisation du NEURONTIN ® (Gabapentine) qui a l’AMM dans les douleurs neuropathiques post-zoostérienne de l’adulte peut se discuter notamment chez les grands enfants.

V - METHODES NON PHARMACOLOGIQUES DE SOULAGEMENT DE LA DOULEUR Les méthodes non pharmacologiques de traitement de la douleur de l'enfant sont diverses : adaptation environnementale simple, approche comportementale ou cognitive, approche psychothérapique médiatisée ou non. Proposées parallèlement aux traitements médicamenteux, elles s'avèrent souvent essentielles pour donner à l’enfant la possibilité de contrôler sa douleur c'est-à-dire de développer ses capacités de « faire face » ou « coping ». Elles doivent être adaptées au développement psychomoteur de l'enfant ce qui conduit à distinguer quatre groupes d'âges.

5.1. Enfant de moins de deux ans Dans cette tranche d'âge, la douleur est d'abord difficile à reconnaître et à évaluer. Les signes de la composante émotionnelle de la douleur (pleurs, grimace) ne sont pas spécifiques et peuvent traduire d'autres émotions comme la colère ou la faim. L'interaction mère enfant est d'autant plus importante dans le repérage des signes douleur. On sait que les parents sont souvent plus aptes que les soignants à percevoir les signes de douleur chez le nouveau-né (exemple : la mère et son bébé prématuré).

Les méthodes non pharmacologiques sont assez réduites et encore à l'étude. Certains préconisent chez le tout petit l’utilisation du saccharose (sucettes enduites de saccharose) lors de la réalisation d'actes douloureux. Chez l'enfant plus grand, il s'agit avant tout de créer un environnement rassurant. La présence des parents paraît ainsi essentielle pour apporter un contact physique et un environnement sonore (un bain de paroles chaleureux) lors par exemple de la réalisation de gestes techniques.

La présence d'objets familiers, empruntés à l’environnement quotidien de l'enfant va

dans le même sens. On sait que la capacité à « faire face » de l'enfant dépend grandement de la capacité à « faire face » des parents : une information simple et claire devra être donnée aux parents et à l’enfant pour favoriser ses capacités de coping. Les techniques de distraction (lecture, images, musique) sont-elles aussi d'un moyen privilégié mais ne sont efficaces que si la douleur ne dépasse pas un certain seuil d’où l'importance de la prise en charge médicamenteuse associée. Enfin, même si elle peut contribuer à l’occupation de l’enfant, la télévision dans la chambre ne saurait être considérée, à elle seule, comme une technique de distraction.

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5.2. Enfant de deux à six ans

A cet âge, l'enfant bénéficie d'une autonomie motrice et construit sa représentation du

schéma corporel en se confrontant à des expériences perceptives agréables et désagréables. Il développe ses capacités verbales et symboliques. À deux ans, un enfant peut se plaindre clairement à travers des mots évoquant la douleur : « bobo, j'ai mal... », il peut produire des pleurs différenciés faciles à identifier comme un signe de douleur. Par le jeu, l’imitation, le dessin, il prend progressivement le contrôle de certaines situations liées à son environnement.

Cette période s'accompagne souvent de peur et d'angoisse vis-à-vis du corps. Ainsi, une agression bénigne comme une simple plaie cutanée, peut provoquer une réaction disproportionnée qui témoigne du caractère anxiogène de toute effraction corporelle. À cet âge beaucoup de douleurs sont induites (prise de sang, points de suture, pansements...). La présence des parents et d'objets familiers est, durant cette période, d'autant plus importante pour aider l’enfant à contrôler sa douleur. On veille ne pas séparer l'enfant de ses « objets transitionnels » : doudou, nounours, etc. L’explication à l'enfant par des mots adaptés de ce qui se passe dans le corps ou le déroulement des gestes médicaux que l'on souhaite effectuer permettra de lever certaines angoisses. Au-delà des simples techniques de distraction, le dessin et le jeu peuvent être utilisé pour symboliser et favoriser la création des représentations.

En dehors même des procédures d'évaluation de la douleur, ces deux activités contribuent à l'atténuation de la perception douloureuse à cette période, une douleur non reconnue ou mal calmée peut avoir des conséquences préjudiciables sur le développement de l'enfant : anticipation anxieuse de certains gestes, apparition de phobies spécifiques, troubles anxieux généralisés, angoisse de séparation lors d'hospitalisation ultérieure ou difficultés d'autonomisation. 5.3. Enfant de 7 à 12 ans

On a appelé cette période, « période de latence » : L’enfant est disponible pour les apprentissages sociaux, la lecture, l'écriture. Il accède également à la pensée abstraite avec par exemple, une représentation de la mort et du temps dans leur caractère irréversible. Il est d'autant plus important à ce stade de donner à l'enfant des informations claires et précises sur ce qui se passe dans son corps, de décrire les procédures de soin qu'on entend appliquer pour qu'il puissent anticiper les actions futures. À ce stade, on peut proposer à un enfant des stratégies de contrôle de la douleur sous la forme de relaxation et de sophrologie. Ces techniques sont des procédures de gestion des sensations corporelles. Elles relèvent d'un apprentissage que l'enfant effectue avec un thérapeute. Elles ont pour but d'induire un état de détente par le biais d'un relâchement musculaire (niveau comportemental) ou par l’évocation d'images et de situations agréables (niveau cognitif). Elles nécessitent une participation active de l'enfant et ne peuvent être efficaces que sur une douleur modérée. Des techniques plus spécifiques de modification de la conscience comme l'hypnose ont aussi prouvé leur efficacité. À cet âge l'enfant peut avoir la notion du caractère dangereux, potentiellement mortel de certaines maladies. Cependant il se défend de l'angoisse de mort par des mécanismes divers tels que le refoulement et le clivage. C'est souvent à l'occasion de sensations douloureuses que les affects liés aux représentations de la mort s’expriment, aboutissant à des expressions de douleur très intenses et à des prises en charge difficiles. De même la douleur ressentie peut être associée à la culpabilité d'avoir outrepassé certains interdits, ce qui incitera l'enfant à la faire taire ou à minimiser. À cette culpabilité répondra parfois la culpabilité des parents convaincus de ne pas avoir suffisamment protégé leur enfant de la maladie ou de l'accident. Une prise en charge psychologique de l'enfant et ou des parents pourra être nécessaire.

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Il est toujours essentiel de déterminer le contexte dans lequel la douleur évolue : contexte familial, fratrie, deuil récent etc. Le dialogue avec les parents apparaît fondamental. Ceci est d'autant plus vrai dans les douleurs récurrentes (céphalées, douleurs abdominales) et les douleurs chroniques où l'évaluation devra être globale : histoire de la douleur, personnalité et fonctionnement psychique de l'enfant, fonctionnement de la famille. Il y a donc une dimension familiale dans la perception douloureuse et le travail de soutien de la famille est souvent aidant. 5.4. Enfant de plus de 12 ans

L'adolescence est une phase de tumulte où, aux transformations du corps s'associe l'émergence des pulsions souvent mal supportée, créant un état de mal être et une sorte de malaise existentiel. Les douleurs et les problèmes corporels peuvent ainsi être d'autant plus mal supportés avec des répercussions psychologiques majeures : dépression, troubles anxieux (attaques de panique), troubles du comportement alimentaire. .L’intervention d'un psychiatre ou d'un psychologue peut ainsi être très utile pour une évaluation et une prise en charge psychothérapique éventuelle.

Cependant les techniques citées pour les enfants, explication, méthodes cognitives, relaxation ou hypnose restent indiquées. Si une douleur physique ne reconnaît aucun facteur organique, il convient d'être très prudent quant à la formulation d'une origine purement psychologique souvent mal vécue et d'une façon péjorative par l’adolescent. Dans le cas où la douleur du corps exprime une souffrance et un mal être psychique, quand « j'ai mal » veut dire « je suis mal », une prise en charge psychologique ne peut être couronnée de succès que si l'on continue d'une manière ou d'une autre à s'intéresser au corps. Une consultation mixte psychiatre-somaticien peut être indiquée et utilisée comme dispositif d'accueil dans les douleurs chroniques ou résistant aux techniques habituelles. Enfin il ne faut pas perdre de vue que la plainte douloureuse à l’ adolescence inaugure parfois des débuts de pathologies psychiatriques graves : dépressions sévères avec leurs plaintes hypochondriaques, angoisse de morcellement du schizophrène, troubles du schéma corporel des pathologies psychotiques en général, dysmorphophobies des patients anorexiques par exemple. On pourrait ainsi penser que l'expression symptomatique de la douleur des adolescents est toujours exacerbée et théâtrale or l'expérience montre que de nombreux adolescents sujets à des douleurs durables et intenses refusent longtemps de les évoquer ou de prendre des antalgiques dans le but de ne pas perdre la maîtrise de leur fonctionnement somatique. VI - CONCLUSION

Au total, l’évaluation et la prise en charge de la douleur des enfants nécessitent du temps et des compétences multiples. C’est la raison pour laquelle seule une équipe pluridisciplinaire composée de pédiatres, d’anesthésistes-réanimateurs, de psychiatre, d’infirmières spécialisées peut se concevoir pour aider à la sensibilisation et à la formation de l’ensemble des équipes pédiatriques . Cette même équipe prendra alors en charge dans le cadre de consultation multi-disciplinaire de la douleur les enfants dont la plainte douloureuse est au premier plan.

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VII - ANNEXES

Annexe 1 : Echelle de douleur et d’inconfort du nouveau-né (EDIN) Debillon T et al., Sémiologie de la douleur chez le prématuré, Arch Pediatr 1994 ; 1 : 1085-1092. Grille utilisable chez le nouveau né hospitalisé (à terme ou prématuré) non pour une douleur aiguë brève mais pour une douleur durable liée à une pathologie prolongée (entérocolite…) ou la répétition de soins douloureux. Cette grille nécessite un temps d’observation prolongé de l’enfant (4 à 8 heures). Un score dépassant le chiffre 4 nécessite une thérapeutique efficace.

ITEM PROPOSITIONS Visage 0 : Visage détendu

1 : Grimaces passagères : froncement des sourcils, lèvres pincées, pincement du menton, tremblement du menton 2 : Grimaces fréquentes, marquées ou prolongées 3 : Crispation permanente ou visage prostré, figé ou visage violacé

Corps 0 : Détendu 1 : Agitation transitoire, assez souvent calme 2 : Agitation fréquente mais retour au calme possible 3 : Agitation permanente : crispation des extrémités et raideur des membres ou motricité très pauvre et limitée, avec corps figé

Sommeil 0 : S’endort facilement, sommeil prolongé, calme 1 : S’endort difficilement 2 : Se réveille spontanément en dehors des soins et fréquemment, sommeil agité 3 : Pas de sommeil

Relation 0 : Sourire aux anges, sourire réponse, attentif à l’écoute 1 : Appréhension passagère au moment du contact 2 : Contact difficile, cri à la moindre stimulation 3 : Refuse le contact, aucune relation possible. Hurlement ou gémissement sans la moindre stimulation

Reconfort 0 : N’a pas besoin de réconfort 1 : Se calme rapidement lors des caresses, au son de la voix ou à la succion 2 : Se calme difficilement 3 : Inconsolable, succion désespérée

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Annexe 2 : Echelle Amiel-Tison inversée (ANAES) Score : Enfant éveillé au moment de l’examen

0 1 2

1. Sommeil pendant les 30 minutes précédant l’examen

Sommeil calme > 10 min

Courtes périodes de 5 à 10 minutes

Non

2. Mimique douloureuse

Visage calme et détendu

Peu marquée, intermittente

Marquée, permanente

3. Qualité du cri

Pas de cri Modulé, pouvant être calmé

Répétitf, aigu, « douloureux »

4. Motricité spontanée

Motricité normale

Agitation modérée

Agitation incessante

5. Excitabilité spontanée

Calme Réactivité excessive

Trémulations, clonies, Moro spontané

6. Crispation des doigts, mains et pieds

Absente Peu marquée, partielle, intermittente

Très marquée, globale, permanente

7. Succion Forte, rythmée, pacifiante

Discontinue, interrompue par les cris

Non ou quelques mouvements anarchiques

8. Evaluation globale du tonus

Normal pour l’âge

Modérément hypertonique

Très hypertonique

9. Consolabilité

Calmé < 1 min

Calmée après une minute d’efforts

Non après 2 min d’efforts

10. Sociolabilité

Facile, prolongée

Difficile à obtenir

Absente

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Annexe 3 : Echelle objective de la douleur OPS (ANAES)

JOUR HEURE

Pleurs 0 : Absents 1 : Présents mais enfant consolable 2 : Présents et enfant inconsolable Mouvements 0 : Enfant éveillé et calme ou endormi 1 : Agitation modérée, ne tient pas en place, change de position sans cesse

2 : Agitation désordonnée et intense, risque de se faire mal Comportements 0 : Enfant éveillé et calme ou endormi 1 : Contracté, voix tremblante, mais accessible aux questions et aux tentatives de réconfort

2 : Non accessible aux tentatives de réconfort, yeux écarquillés, accroché aux bras de ses parents ou d’un soignant

Expression verbale ou corporelle 0 : Enfant éveillé et calme ou endormi, sans position antalgique 1 : Se plaint d’une douleur faible, inconfort global, ou position jambes fléchies sur le tronc, bras croisés sur le corps

2 : Douleur moyenne, localisée verbalement ou désignée de la main, ou position jambes fléchies sur le tronc, poings serrés, et porte la main vers une zone douloureuse, ou cherche à la protéger

Variation de la pression artérielle systolique par rapport à la valeur préopératoire

0 : Augmentation de moins de 10% 1 : Augmentation de 10 à 20% 2 : Augmentation de plus de 20%

SCORE GLOBAL

Annexe 5 : Echelle Douleur Enfant San Salvadour Dossier de base (A) et grille d’évaluation (B)

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(A) Dossier de base : Nom ___________________________ Prénom _______________________ Date ____________ Cette rubrique doit être remplie pour chaque patient, en dehors de tout phénomène douloureux

1 L’enfant crie-t-il de façon habituelle ? ______ Si oui, dans quelles circonstances ______________ ________________________________________________________________________ Pleure-t-il parfois ? _____ Si oui, pour quelles ________________________________________ ________________________________________________________________________ 2 Existe-t-il des réactions motrices habituelles lorsqu’on le touche ou le manipule ? ______ Si oui, lesquelles (sursaut, accès tonique, trémulations, agitation, évitement) ? ________________________________________________________________________ 3 L’enfant est-il habituellement souriant ? ______________________________________________ Son visage est-il expressif ? __________________________________________________ 4 Est-il capable de se protéger avec les mains ? ______ Si oui, a-t-il tendance à le faire lorsqu’on le touche ? _______________________________________________________________________ 5 S’exprime-t-il par des gémissements ? ______ Si oui, dans quelles circonstances ? ____________ ________________________________________________________________________ 6 S’intéresse-t-il à l’environnement ? ______ Si oui, le fait-il spontanément ou doit-il être sollicité ? __ ________________________________________________________________________ 7 Ses raideurs sont-elles gênantes dans la vie quotidienne ? ______ Si oui, dans quelles circonstances ? (donner des exemples) _______________________________________________ ________________________________________________________________________ 8 Est-ce qu’il communique avec l’adulte ? ______ Si oui, recherche-t-il le contact ou faut-il le solliciter ? ______________________________________________________________________ ________________________________________________________________________ 9 A-t-il une motricité spontanée ? ______ Si oui, s’agit-il de mouvements volontaires, de mouvements incoordonnés, d’un syndrome choréoathétosique ou de mouvements réflexes ? ______ ______________________________________________________________________________ Si oui, s’agit’il de mouvements occasionnels ou d’une agitation incessante ? _____________ ________________________________________________________________________ 10 Quelle est sa position habituelle ? ________________________________________________ Est ce qu’il tolère bien la posture assise ? _______________________________________

(B) Grille d’évaluation : VIII - REFERENCES

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1) Lidow M. Long term effects of Neonatal Pain on nociceptive systems. Pain 99

(2002) : 377-383.

2) Recommandations pour la pratique clinique(Mars 2000) Evaluation et stratégies

de prise en charge de la douleur aiguë en ambulatoire chez l’enfant de 1 mois à

15 ans. ANAES

3) Les grilles d’évaluation de la douleur chez le nouveau-né : revue de la littérature

(Doul et Analg 1998 : 4 : 167-172

4) Une échelle d’hétéro-évaluation de la douleur chez l’enfant polyhandicapé.

Collignon P et al. In « La douleur de l’enfant, échelles d’évaluation » Ed Springer-

Verlag, 1993 A Gauvain-Piquard, I Murat, G Pons.

5) Krauss B, M Green S. Sedation and Analgesia for procedures in Children. NEJM

2000 Vol 342 : 938-945

6) OMS Organisation Mondiale de la santé . Traitement de la douleur cancéreuse.

Genève : OMS ; 1987

7) Berde C, Sethna N. Analgesics fot the treatment of pain in Children . NEJM 2002 :

Vol 347 : 1094-11031

8) La douleur chez l’enfant. Ecoffey, Murat. Edition Flammarion, 1999.

9) Prise en charge de la douleur chez l’enfant. Une approche multidisciplinaire . A

Twycross, Moriarty A, Betts T . Edition Masson. 2002