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MÉMOIRE VIVANTE N°68/1 ÉTABLISSEMENT RECONNU D’UTILITÉ PUBLIQUE (décret du 17 octobre 1990) PLACÉ SOUS LE HAUT PATRONAGE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE 30 boulevard des Invalides 75007 Paris Tél. : 01 47 05 81 50 FAX : 01 47 05 89 50 Site internet www.fmd.asso.fr 1 Les “Ducancé” : des déportés de marque à Neuenganne La montée des fascismes dans l’Europe des années vingt et trente Une lueur qui s'é teint pré maturé ment Sommaire Trimestriel N° 68 mars 2011 3,5 MÉMOIRE VIVANTE Bulletin de la Fondation pour la mémoire de la Déportation 14 Publications récentes 15-16 12 L Le 6 juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie. Le déclenchement de l’opération Neptune entraîne, en représailles, plusieurs vagues d’arrestations sur le territoire français. Parmi elles, celle dite des « Ducancé », c'est-à-dire de personnalités-otages qui se sont montrées, d’une façon ou d’une autre, hostiles aux Allemands ou que les autorités locales suspectent de résistance. Internées à Compiègne dans l’attente d’une déportation, ces personnalités sont séparées des autres détenus et incarcérées au camp C, d’où leur appellation : les « Ducancé » (du camp C). Les Allemands visaient ici trois objectifs : réprimer le manque de collaboration, constituer une réserve d’otages à toutes fins utiles, et enfin, priver la France de « cadres » capables de mener DOSSIER Les « Ducancé » : des déportés de marque à Neuengamme © bbbertrand De Vogüé Les aventures de M. Ducancé... Bande dessiné e ré alisé e au retour (Extraits).

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MÉMOIRE VIVANTE N°68/1

ÉTABLISSEMENTRECONNUD’UTILITÉPUBLIQUE(décret du

17 octobre 1990)PLACÉ SOUS

LE HAUT PATRONAGEDU PRÉSIDENT

DE LA RÉPUBLIQUE30 boulevard desInvalides 75007 ParisTél. : 01 47 05 81 50FAX : 01 47 05 89 50

Site internetwww.fmd.asso.fr

1Les “Ducancé” :des déportésde marque àNeuenganne

La montéedes fascismesdans l’Europedes années vingtet trente

Une lueurqui s'eteintprematurement

Sommaire

Trimestriel N° 68 mars 2011 3,5€MÉMOIRE VIVANTEBulletin dela Fondationpour la

mémoire dela Déportation

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Publicationsrécentes

15-16

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LLe 6 juin 1944, les Alliés débarquent enNormandie. Le déclenchement de l’opérationNeptune entraîne, en représailles, plusieursvagues d’arrestations sur le territoire français.Parmi elles, celle dite des « Ducancé », c'est-à-direde personnalités-otages qui se sont montrées,

d’une façon ou d’une autre, hostiles auxAllemands ou que les autorités locales suspectentde résistance. Internées à Compiègne dansl’attente d’une déportation, ces personnalités sontséparées des autres détenus et incarcérées aucamp C, d’où leur appellation : les « Ducancé »(du camp C).LesAllemands visaient ici trois objectifs : réprimerle manque de collaboration, constituer uneréserve d’otages à toutes fins utiles, et enfin,priver la France de « cadres » capables de mener

DOSSIERLes « Ducancé » :des déportésde marque àNeuengamme

©bbbertrandDeVogüé

Les aventures de M. Ducancé... Bande dessinee realisee au retour (Extraits).

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à bien la reconstruction politique et administra-tive lors de la libération du pays. Les « Ducancé »sont envoyés au camp de concentration deNeuengamme, en juillet 1944, intégrés à deuxconvois transportant d’autres déportés « clas-siques ». Parqués dans des baraques séparées,moins inconfortables que les autres (une seulepersonne par paillasse), ils ont pu garder leursvêtements personnels et connaissaient parfoisdes ajouts alimentaires sommaires. Une autredifférence – de taille – les distinguait des autresdétenus : l’exemption du travail forcé qui leur

valut un taux de mortalité sans commune mesureavec celui des autres catégories de déportés.

L’arrestationSur les 366 « Ducancé », deux tiers furent arrêtésentre le 6 et le 11 juin 1944, ce qui atteste clairementde la corrélation qu’il convient d’établir entre lesopérations sur les plages de Normandie et cesarrestations. L’une des particularités de ce grouperéside dans le statut social élevé de ses membres.Ainsi, on compte parmi eux non seulement desavocats, des médecins, des journalistes… maisencore un ancien ministre, Henri Maupoil etmême un ancien président du Conseil, AlbertSarraut. Une personne sur cinq appartient à uneprofession libérale. Il y a aussi des commerçants,des cadres supérieurs, quelques ouvriers syndi-qués et même plusieurs ecclésiastiques. L’enjeu deces arrestations était donc, pour les Allemands, dedisposer d’hommes au statut social suffisammentimportant pour servir éventuellement de monnaied’échange. Cette pratique avait d’ailleurs déjà étéutilisée pendant la Grande Guerre.Plusieurs élus sont aussi visés par ces mesures.Parmi les 23 maires incarcérés, Henri Noirot,maire de Reims, est arrêté le 15 juin avec quatrede ses adjoints, à la suite de plusieurs manifestationsde résistance plus ou moins marquée à l’autoritéallemande. Ainsi, à Reims, le conseil municipalavait refusé de livrer à la Kommandantur lestableaux d’un musée et avait falsifié une listed’otages réclamée par l’occupant. Des fonction-naires sont aussi arrêtés pour avoir aidé desjeunes à se soustraire au STO ou pour avoirfourni des tickets de rationnement à laRésistance. Un professeur d’histoire de Rouen,Jacques François, est arrêté sous prétexte que sonenseignement est jugé hostile. Maurice Thuriet,procureur de la République à Autun est inquiétépour ne pas poursuivre avec assez de zèle « les ter-roristes et les communistes ».Certes, ce concept derésistance est controversé par l’historiographiecontemporaine : la notion de Resistenz chezMartin Broszat, ou celle de « dissension » chez IanKerschaw ou d’« opposition professionnelle »pour Olivier Wieviorka ne se recoupent pas, maisil n’en reste pas moins que ces arrestations ontété provoquées par une contestation du pouvoirallemand. D’ailleurs, un quart de ces hommesarrêtés faisaient effectivement partie d’un réseauou d’un mouvement de résistance.

Les départs vers l’AllemagneD’autres mesures similaires avaient déjà étéprogrammées par les forces allemandes. La pre-mière d’entre elles visait de hauts personnagesd’État comme Daladier, Reynaud ou Jouhauxdétenus dans le château d’Itter dans le Tyrol.D’autres arrestations avaient pour cible desmilitaires enfermés dans des hôtels ou des châ-teaux sur le territoire du Reich (Plansee, BadGodesberg, Eisenberg). En juin 1944, l’urgence dela situation amena les autorités allemandes à

Plan de Compiègne.in POIRMEUR André, Compiègne 1939-1945, Compiègne, 1968, 159 pages, page 82.

Exemple d’une listeretrouvée àNeuengamme.Transmis par GillesMautret. Il s’agit de37 documents trou-vés dans une pou-tre de charpente dela prison démante-lée en 2003.La prison avait étéconstruite avec lespoutres desanciennes écuries.Les listes des« Ducancé » avaientété roulées dans dupapier journal(taille d’un briquet)et cachées dans lespoutres des fonda-tions des écuries.Nous pouvonsreconnaître ici lenom de Maupoil etde Mautret troisnoms plus loin.

Bâtiments C du camp de Compiègneformant le « camp C »

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déporter directement les « Ducancé » dans un camp :ce fut Neuengamme. Ces différents groupes avaientun point commun : les détenus étaient dispensés detravail. Pour les Allemands, ils furent répertoriéssous l’appellation d’hôtes d’honneur (Ehrengäste).Parmi les 1529 personnes transférées depuisCompiègne vers le camp de Neuengamme prochede Hambourg le 15 juillet 1944, 328 appartiennent àla catégorie du camp C. 38 autres font mouvementle 28 juillet avec le convoi suivant. En tant que déte-nus spéciaux, les prisonniers du camp C bénéficientde moins mauvaises conditions de transport,n’étant qu’une quarantaine par wagon, là les autressont entassés à 80, voire 100 par wagon. LesAllemands ont même été jusqu’à proposer àAlbertSarraut de faire le trajet en voiture particulière,privilège qu’il refusa.

Du camp central aux écuriesLe 18 juillet 1944, à leur arrivée à Neuengamme,tous les déportés de Compiègne sont entassés dansles caves du bâtiment principal. Après plusieursheures d’attente sans aucun ravitaillement, ils sontextraits de la cave. Dépossédés de leur linge, ilsreçoivent une plaquette métallique avec un numérode matricule, subissent la tonte intégrale, la douche,et se voient remettre la tenue rayée caractéristiquedes déportés.Pourtant, certains,mis à l’écart dès leur arrivée dansla cave, furent épargnés par la tonte, et le déshabil-lage. Les SS avaient procédé à un tri dans la cave,sur la base des titres universitaires et des gradesmilitaires. Environ 120 personnes correspondant àces critères sont ainsi envoyées au block 18 tandisque les autres sont mêlés aux déportés « classiques»dans les baraques de quarantaine. Mais le 24 juillet,un nouveau tri exclut 21 détenus n’appartenant pasaux « Ducancé » du block 18 tandis que 220 autresappartenant à ce groupe mais envoyés rejoindre lecommun des détenus sont rappelées. Une semaineaprès son arrivée, le camp C se trouve ainsi recons-titué et réparti entre les blocks 16 et 18, puis enfinregroupé au block 12. Les détenus ontla faculté de se promener à l’extérieur, de jouerau bridge et aux échecs. Quant aux 38 déportésd’honneur partis le 28 juillet de Compiègne, ilsarrivent trois jours plus tard et intègrent directe-ment le block 12.Bien entendu des contacts se nouent entre les« Ducancé » et les autres détenus, notamment àl’occasion de courses effrénées dans les caves, aumoment des alertes. Pour mettre fin à ces relations,les autorités décident l’isolement des premiers. Dèsle 2 août, ils sont transférés vers les Reviers 2 et 3,en un lieu plus à l’écart du camp central. Ils peuventalors mener nombre d’activités intellectuelles tellesque cours d’anglais, conférences etc. Bertrand deVogüé devient « recteur de l’Université deNeuengamme » et en organise les activités. Côténourriture, sauf quelques améliorations ponctuellesdues à l’intervention d’Henri Maupoil, le régime estcomparable à celui des autres détenus. Les« Ducancé » ne subissent par ailleurs pas entière-

ment les mêmes contraintes de l’appel quotidienque leurs codétenus, l’appel étant pour eux plustardif et moins long.Au début de l’automne, leur transfert est envisagévers de nouveaux locaux. Il s’agit de deux anciennesécuries situées en dehors du camp de détentionprincipal, bien que toujours dans le périmètre del’enceinte en barbelés électrifiés. Annoncé pourle 10 octobre 1944, ce transfert n’intervient finale-ment que le 19. Les nouveaux locaux, répertoriéssous les numéros 291 et 292 ont été aménagés à lahâte. Paul Thiébaux indique que ces écuries étaient« très mal couvertes, ces baraques comportaient unplafond constitué par une seule épaisseur deplanches et laissaient pénétrer une humiditéconstante. »

Conditions de vie dans les écuriesLes deux bâtiments n’étaient pas conçus pour

Emplacement des écuries de NeuengammeDocument fourni par le KZ-Gendenkstätte Neuengamme

Camp principal

Emplacementdes écuries desdéportés

d’honneur deNeuengamme

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Les aventures deM. Ducancé...Bande dessineerealisee auretour (Extraits).

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Activites culturelles.Extraits de l'albumLes aventures deM. Ducance...

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abriter des hommes. Leur aménagement est plusrudimentaire que celui du block 12. AlexandreLoez rappelle que « les conditions de vie étaientsensiblement les mêmes qu’au camp central aupoint de vue ravitaillement et certainement moinsconfortables au point de vue logement ». Latrines,composées de six sièges côte à côte et lavabos setrouvent au fond des baraques. Maurice Thurietironise d’ailleurs sur cette promiscuité. « Aussi lagrosse distraction est-elle de se faire des politesses dece genre ; “vous permettez Monsieur le Préfet…mais avec plaisir Monsieur le Procureur. Allez-yMonseigneur, mais après vous mon général”.»Plusieurs plaintes sont émises par les détenus quiaboutissent à quelques améliorations.Les paillassessont rapidement remplacées et la toiture estrenforcée au début du mois de février. HenriMaupoil joue souvent le rôle d’intermédiaireentre ses camarades et les autorités du camp.La nourriture reste insuffisante. MauriceReynaud détaille l’approvisionnement : « nousrecevons par jour un carré de pain, qui doit peser250 grammes (…). Au milieu du jour, nouspouvons compter sur 1 litre 1 litre ½ de soupe dechoux, navets, choux-raves, rutabagas, fanes debettes, mal cuits dans un liquide épaissi d’unefarine indéfinissable. Le repas du soir consiste enun rond de boudin, de Leberwurst, une cuilleréed’œufs de poisson, ou bien (les jours de fêtes) ensept ou huit pommes de terre (…) 15 gr. de marga-rine.» L’apport nutritionnel est si faible qu’un jouroù un bouteillon est renversé par terre,nombreux ont été ceux qui ont léché le sol.Maurice Thuriet remarque que « le SS de surveil-lance regarde d’un air ironique les “proeminenten”que nous sommes accroupis sur le sol à laper leursoupe.» Pour tromper la faim, certains notent desrecettes de cuisine, comme André Faivre.

L’insuffisance alimentaire est à l’origine decarences en vitamines qui se traduisent de deuxmanières. Sur le plan physique d’abord, avecl’apparition au cours de l’hiver 1945 d’œdèmessur les jambes et le visage, derniers signes dedéfense du corps lorsqu’il ne possède plus degraisse. Chaque effort devient plus difficile. Destroubles des facultés mentales sont constatés,notamment par Maurice Reynaud : « je suis trèsinquiet de constater en moi les effets d’une sous-alimentation prolongée. Lire me fatigue ; ma têteest vide, je n’ai plus le courage de rédiger ; j’ailaissé en plan une ébauche de nouvelle ; j’évite lesconversations (…) on dort, on somnole, onrêvasse, dans un état tout proche de l’idiotie et dela démence.»Les journées sont surtout marquées par une oisi-veté très pénible pour certains. Maurice Reynaudrapporte ce poème, très significatif, écrit àNeuengamme :

« Le galérien pousse à la rameSous le ciel mauvais ou clément,Sur la paille ou sur le ciment,Ne jamais en fiche une rameEst peut-être un pire tourment ».

Pour éviter de sombrer dans la démence,quelques-uns décident d’organiser une dyna-mique intellectuelle au sein des baraques. Déjàinitiées au Revier, ces activités rythment la vie encommunauté autour de « conférences » et de« cours » de l’Université de Neuengamme, maisaussi de compétitions et jeux divers. Bertrand deVogüé poursuit son rôle de recteur de l’Universitéde Neuengamme. Maurice Reynaud indique que« les spécialistes les plus compétents m’ont instruitdu pétrole, du vin, de la médecine en montagne, duVatican et du Chat-Noir, du Symbolisme et de larayonne, de la Reine-Morte et du Camembert.»Des thèmes variés donc, abordés selon la spécia-lité ou les compétences de chacun. Des concourssont également organisés, avec attribution de prixsous forme de nourriture ou autres preuves maté-rielles de reconnaissance. L’abbé Graser participeainsi à un concours de chant organisé conjointe-ment par Bertrand de Vogüé et Raoul Sourin.« L’après-midi Bertrand de Vogüé et Raoul Sourinavaient préparé une petite fête, avec pièce dethéâtre et chants. Et un “radio crochet”. Nous yparticipâmes, Raymond et moi. Je chantai le vieuxchant “Grand dieu, que je suis à mon aise, quandj’ai ma mie auprès de moi…” et les camaradeschantaient avec moi. Mais un camarade colonel etchef scout, regretta que “prêtre, j’aie chanté cechant” ! Raymond chanta aussi avec succès. J’eus le1er prix et reçus un morceau de pain : inappréciable !et Raymond, une savonnette, nous partageâmesnos “récompenses”.» Une troupe de théâtre etune chorale (baptisée « la Nouvelle Gamme » !)sont placées sous la direction de Raoul Sourin, quiétait chef de bureau de la préfecture de la Marne.Le 25 décembre 1944, la pièce Les Plaideurs deRacine est jouée sur une scène formée dequelques caisses et de bancs.

Pour éviter desombrer dansla démence,quelques-unsdécidentd’organiser unedynamiqueintellectuelleau sein desbaraques.Déjà initiéesau Revier, cesactivitésrythmentla vie encommunautéautour de« conférences »et de « cours »de l’UniversitédeNeuengamme,mais aussi decompétitionset jeux divers

Cahier de recettes de cuisine d'Andre Faivre (1902-1969).

©CollectionprivéedeJean-lucFaivre

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Malgré cette oisiveté, neuf « Ducancé » trouve-ront la mort à Neuengamme. Une proportion dedécès faible, au regard de celle de l’ensemble desautres déportés qui dépasse 50 %. L’abbé Grasernote notamment le décès de René Coulet, « unVosgien, âgé, qui chantait admirablement “Letemps des cerises”. Fumeur acharné, il troquait dela nourriture contre des cigarettes. Il en mourut.»Si la liste des décès n’est pas plus longue, c’est queles premiers signes d’œdèmes de carence sontapparus à la fin de l’hiver 1944-1945, au momentprécis où la Croix-Rouge se manifeste pouraméliorer les conditions de vie de cette catégoriede détenus.

Le périple des « Ducancé »En janvier 1945, les Allemands décident de libérerAlbert Sarraut et envisagent son retour enFrance. Ce dernier montre en effet des signes defatigue alors qu’il demeure, aux yeux des autoritésallemandes, l’un des « Ducancé » les plus précieux,du fait des hautes les fonctions qu’il avait occu-pées. Né en 1872, Sarraut a alors 72 ans. Députéde 1902 à 1924, il fut sénateur à partir 1926. Il aoccupé des fonctions gouvernementales, été plu-sieurs fois ministre puis président du Conseil en1933 et en 1936. Sa libération ne fut qu’unprétexte pour l’envoyer dans un lieu où il seraitmieux traité. La simulation d’une libérationpermet aux Allemands ne pas risquer de résis-tance de la part de l’intéressé en raison de la fortesolidarité liant les « Ducancé » entre eux. LesAllemands avaient déjà proposé à Henri Maupoild’être détenu dans un hôtel. Mais l’ancien minis-tre des Pensions avait refusé de quitter ses cama-rades. La destination d’Albert Sarraut fut endéfinitive l’hôtel de l’Ifen à Hirschegg, situé dansla partie ouest de l’Autriche (actuelle). Il yretrouva plusieurs compatriotes, dont AndréFrançois-Poncet, ancien ambassadeur de France àBerlin et à Rome, détenu dans un premier tempsà Itter, avec notamment Paul Reynaud etÉdouard Daladier.Les « Ducancé » n’ont pas été toujours seuls àoccuper les écuries. D’une part, 42 officiersalsaciens qui refusaient de servir dans laWehrmacht y furent internés au début d’août1944 avant d’être dispersés dans des Kommandosclassiques à la fin novembre 1944. D’autre partdes Danois en attente de leur rapatriement, objetde tractations entre Himmler et la Croix-Rouge,ont également partagé, pour quelques jours, lacaptivité des « Ducancé » dans les écuries, courantmars 1945. À la vue de cars de la Croix-Rougedestinés à emporter leurs homologues du Nord,Henri Maupoil leur demanda de signaler laprésence des « Ducancé » à un organisme huma-nitaire. Ainsi alertée de leur existence, la Croix-Rouge, basée près de Hambourg, leur distribuaalors quelques colis et s’efforça d’obtenir leurévacuation. Refusée dans un premier temps, ellefut finalement accordée pour le 12 avril. La Croix-Rouge devait aller chercher des déportés juifs

scandinaves à Theresienstadt. Elle reçut commemission de se diriger vers Flossenbürg pour ydéposer les « Ducancé », une autre branche de laCroix-Rouge devant, à ce moment-là, les prendreen charge et les conduire en Suisse. Le 12 avril1945, les « Ducancé » quittent Neuengamme sousla responsabilité du capitaine suédois HaraldFolke. Au départ sont affrétés 23 autobus, sixcamions, un camion-cuisine, un véhicule avec dumatériel, un véhicule de dépannage, trois voitureset trois motos.Tous les témoignages consultés notent une certaineabondance de nourriture à partir de ce moment.Cet apport nouveau en calories provoque desproblèmes digestifs comme le mentionne HaraldFolke dans son rapport : « nous leur avons aussidistribué des colis, ce qui bien entendu lesenchanta. Tous se mirent à bavarder, à exprimerleur gratitude et à partager entre eux le contenu despaquets. Tout cela dura deux heures et nous nepouvions rien y faire. La joie et la reconnaissancede nos Français avaient besoin de se manifester.Mais ce fut une erreur de notre part. Les coliscontenaient des aliments trop forts pour leursestomacs déshabitués – nous dûmes par la suitenous arrêter toutes les deux heures pour des rai-sons… naturelles.» Maurice Thuriet évoque la dis-tribution de lard, de cigarettes, des biscuitsdu soldat, de gaufres, de beurre, de sucre, desaucisson et de fromage.

Évacuation des « Ducancé » de Neuengamme (12 avril - 8 mai 1945)

©BenoîtLuc

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Les cars sont tous équipés de radios qui diffusentde la musique pendant le transport. MauriceThuriet se souvient du trajet : « Je l’ai même faitdans une boîte à musique. Les autocars de laCroix-Rouge suédoise sont munis d’une antenne ;et tout au long de notre course, d’ouest en est, dunord au sud, du sud au nord et de nouveau versl’est, les haut-parleurs égrenaient sur ce pays muet,étouffé par l’angoisse, les voix de la beauté, de latendresse, de la passion, de la prière.»Le 14, le convoi arrive à destination. Il n’a mis quedeux jours pour parcourir la distance entreNeuengamme et Flossenbürg, sans être dérangépar les raids alliés. Sur place, le capitaine Folke netrouve aucun représentant de la Croix-Rouge.Jugeant que les conditions d’accueil ne sont pasréunies, il décide de ne pas livrer les « Ducancé »et se fait même signer, en échange d’alcool, decigarettes et de francs suisses, par le chef du camp,un papier stipulant que la situation militaire nepermet pas à ce dernier de prendre en charge lesFrançais. Cependant, les bus n’ont plus assezd’essence pour atteindre la Suisse puis remontervers le Danemark et Folke décide de déposer cesFrançais à Theresienstadt où les conditionsd’accueil ne pouvaient pas être pires qu’àFlossenbürg.Les « Ducancé » sont hébergés dans la forteressede Theresienstadt, à proximité du ghetto. Maisleur arrivée n’étant pas prévue, les conditionsd’hébergement sont plus que sommaires. Lesmodalités de détentions sont plus souples qu’àNeuengamme et Monseigneur de Solages estautorisé à dire une messe à la suite du décès deLéon Grimal. Un autre décès survient, celui deJacques Ducrot et cette fois, tous les hommesvalides sont autorisés se rendre à son enterre-ment. Les SS laissent la population tchèque distri-buer de la nourriture aux détenus sans intervenir.Henri Maupoil obtient finalement des autorités lemême régime alimentaire que les SS. Les« Ducancé », comme le rapporte MauriceReynaud, peuvent sortir de l’enceinte de la forte-resse pour des balades sous la surveillance degardes allégées : « Pour nous faire prendrepatience, le camp nous distribue de la paille, descouvertures, installe la lumière électrique, améliorela soupe, et nous emmène à la promenade, commedes collégiens, sur les bords de l’Elbe, où notresous-officier SS emmanche une canne à pêche et semet bourgeoisement à tremper du fil (…) nouspouvons continuer la promenade sur plusieurskilomètres, certains iront même jusqu’au confluentavec l’Elbe.Nous avons l’illusion de la liberté com-plète, à ce régime nous tiendrons certainement lecoup ; le temps est très doux et beau.»Le 26 avril, les « Ducancé » sont dirigés vers lagare de Bohusovice à quelques kilomètres dughetto. Ils y passent la nuit en attendant d’êtreenvoyés vers Brézany, non loin de Prague.Pendant l’attente en gare, la population vient unenouvelle fois approvisionner les Français, commele note Reynaud : «LesTchèques ont le cœur chaud,

généreux, et brave. Sous les yeux de la policeallemande, ils venaient vers nous, lesmains tendues etpleines de dons, les lèvres souriantes, le cœurbattant ». Les provisions sont distribuées enquantité si importante que Roger Widemann s’enplaint presque : « on mange beaucoup. Indigestion.»À Brézany, les conditions de nutrition dépeintespar Roger Widemann sont encore meilleures.« Nourriture midi excellente : un demi-litre desoupe, une grosse quenelle avec une sauce madèreet des bouts de viande ». Aux bonnes conditionsnutritives, les « Ducancé » ajoutent les dons qu’ilsont ramenés de Theresienstadt et ceux des villa-geois tchèques. Leur retour à un poids normalavait commencé antérieurement. En effet, depuisle 12 avril et la prise en charge par la Croix-Rouge, la souffrance de la faim avait disparu. Etlors de leur rapatriement, ils avaient perdu moinsde poids qu’en janvier et février 1945. Le piremoment semble avoir coïncidé avec la fin du moisde février 1945, voire début mars, avant l’arrivéedes premiers colis de la Croix-Rouge. MauriceReynaud affirme qu’à Brézany « l’essentiel est dereprendre du poids, quand bien même on refuseraitde croire, à notre retour, que pendant dix mois,nous avions vécu d’immondices.»Arrivés le 1er mai, à Brézany, les « Ducancé » ontune impression contrastée de leur situation.Alorsqu’on leur affirme qu’ils sont libres, il leur estinterdit de circuler librement. Le commandant ducamp leur explique qu’ils ne doivent pas sortirpour éviter les balles perdues et que les gardesont pour ordre de tirer sur ceux qui tenteraientde sortir se promener. L’« Université deNeuengamme » reprend ses habitudes, et mêmedans la précipitation des évacuations, l’occasionest saisie de poursuivre. Ainsi, le 7 mai, uneconférence est donnée par Jacques François,professeur d’histoire, sur la Tchécoslovaquie. Lacapitulation n’est apprise que le 8, tard dans lanuit. Quatre jours avant, Henri Maupoil avaitobtenu de rencontrer, avec Jacques Parisot et undétachement de SS, la Croix-Rouge à Prague.Maupoil ne rejoint ses codétenus que le 9 mai,pendant que Parisot reste à Prague. Entre-temps,il a eu le temps de lancer un message radio àdestination de la France pour prévenir de l’exis-tence de leur groupe.Selon plusieurs témoignages, les déportésd’honneur de Neuengamme passèrent tout prèsde la mort. La voiture qui avait accompagnéMaupoil et Parisot revint à Brézany. Le maquistchèque l’attaqua, et on découvrit sur le corpsd’un des Allemands l’ordre d’assassinat collectifdes « Ducancé ». Selon Stéphane Moreau, ancienpréfet de Vendée, leur mise à mort avait étédécidée dès le départ de Neuengamme. Ceciexpliquerait pourquoi les autorités du campacceptèrent l’intervention de la Croix-Rougesuédoise qui ne devait servir qu’à leur transport.Cette prise en charge leur évitait d’avoir àorganiser un transfert. C’était sans compter sur leréalisme de Folke et sur la corruption possible des

[…] à Brézany,les « Ducancé »ont uneimpressioncontrastée […].Alors qu’on leuraffirme qu’ilssont libres, illeur est interditde circulerlibrement. Lecommandantdu camp leurexplique qu’ilsne doivent passortir pouréviter les ballesperdues et queles gardes ontpour ordre detirer sur ceuxqui tenteraientde sortir sepromener.L’« Université deNeuengamme»reprend seshabitudes, […]

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SS de Flossenbürg. Ensuite, selon StéphaneMoreau, c’est à cause du commandant de la forte-resse de Theresienstadt que leur exécution a étérepoussée. « Le commandant allemand responsa-ble, peu soucieux de prendre la responsabilité d’unmonstrueux assassinat – nous étions au 26 avril1945 – se débarrassa de nous en nous installantdans des wagons, à cinq kilomètres de là.» Ce n’estdonc qu’à Brézany que l’assassinat devait avoirlieu. Pourquoi les Allemands prenaient-ils autantsoin des « Ducancé » s’ils avaient prévu de lesexécuter ? Était-ce pour ne pas éveiller chez euxde crainte ? L’autorisation de la sortie de Maupoilà Prague n’était-elle qu’une diversion ?Libres de fait le 9, les « Ducancé » sont accueillischaleureusement à Tynec le 10 mai. Le 14, ilspartent en car vers Pilsen où ils rencontrent desunités américaines. Les cars les emmènent ensuiteà Würzburg où 27 avions les attendent pour lestransporter au Bourget. La plupart d’entre euxpassent par le centre d’accueil du Lutetia, le 18mai 1945. Quelques-uns cependant ne sont pas duvoyage. Il s’agit de malades soignés à Brézany etde quatre médecins volontaires restés à Praguepour soigner les déportés et les prisonniers fran-çais atteints du typhus. Ce sont les docteursLuscan, Balmes, Desmonts, et Bertrand. Ils nerentreront que le 9 juin 1945.L’évacuation des « Ducancé » de Neuengammecorrespond donc à une succession d’événementsinattendus, dont la désorganisation et l’agonie desforces allemandes sont sans doute à l’origine.Leur rapatriement très spécial a provoqué desérieuses réticences quant à la reconnaissance de

leur condition de « vrais déportés ». Ils avaientcommencé à reprendre des forces depuisplusieurs semaines. À leur arrivée à Paris le 18mai, leur état n’était en rien comparable à celuides autres déportés. Cette différence s’estaccentuée du fait de leur mode de rapatriementprivilégié d’Allemagne par avion. La reconnais-sance de ces « déportés spéciaux » a fait débat etles batailles juridiques avec l’administrationfrançaise ont été nombreuses. Leur exécution,le 8 mai 1945, en aurait peut-être fait des martyrs ;leur libération en fait des marginaux de larépression nazie.

Reconnaissance et mémoireAprès la Libération, les « Ducancé » souffrent dela comparaison avec les autres déportés. Quinzeseulement ne sont pas revenus en France, aucuntravail ne leur a été imposé pendant leur capti-vité, et les pertes de poids constatées en mai 1945sont inférieures à celles des autres déportés. Aulendemain de la guerre, le lien entre eux est main-tenu grâce à Bertrand de Vogüé qui crée une« amicale Ducancé de Neuengamme » dont lebulletin évoque, en particulier, les premiers refusde l’administration pour l’attribution du titre de« déporté » (lois de 1948). Pourtant, le premierprésident de l’amicale de Neuengamme, MarcelPrenant, souligne leur statut privilégié sans lesexclure de la définition de déporté. « D’unemanière générale, nous n’éprouvions aucunejalousie vis-à-vis de ces favorisés du sort.»Raymond Portefaix, autre déporté deNeuengamme, partage un sentiment semblable :

Circulaire N° 22. Circulaire N° 26.

Extraits du bulletin de liaison de l’amicale de Ducancé.

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« pourquoi toujours haïr les uns ou envier lesautres ? cela ne changera rien à notre sort ! Ils ontde la chance, c’est tout ». La différence résidedonc dans le traitement subi. Ni Prenant, niPortefaix ne remettent en cause le fait qu’il y ait« déportation », contrairement à la CommissionNationale au début des années 1950.Une quarantaine de titres de « déporté » sontaccordés au cas par cas avant 1952.Les « Ducancé»ont plus souvent essuyé un rejet de leur demandemalgré les protestations d’Henri Maupoil auprèsdu ministère des Anciens Combattants etVictimes de la Guerre. Sur décision du ministredesACVG, Emmanuel Temple, le titre de déportéest même retiré à ceux qui l’avaient obtenu, etremplacé par celui d’« interné ». La multiplicationdes recours amène l’amicale des « Ducancé » à sesaisir du dossier. Entre novembre 1952 et avril1953, elle affirme que leur exclusion est arbitraireet sans fondement. En effet, le ministère desACVG ne reconnaît le statut qu’aux détenus pas-sés par le camp central. Or, les « Ducancé » y ontété détenus au moins jusqu’au 19 octobre 1944,date à laquelle ils sont transférés dans les écuriespériphériques. À noter que celles-ci se trouvaienttout de même dans l’enceinte électrifiée deNeuengamme et à moins de 80 mètres de la porteprincipale du camp.La question de leur reconnaissance est discutéeau congrès de l’UNADIF à Bordeaux au début dumois de juin 1953. Après étude de la question, lafédération décide d’appuyer la demande des« Ducancé ». Six mois plus tard, la CommissionNationale admet la qualité de « déporté » seule-ment pour le temps passé au camp central.L’obtention du titre n’est cependant pas automa-tique. Les « Ducancé » doivent reformuler unedemande. L’amicale fournit au ministère une listepour faciliter leurs formalités. En novembre 1955,l’ancien préfet Stéphane Moreau, signale àl’Amicale que la validité de son titre de déporté,après un recours auprès duTribunalAdministratifde Nantes, ne s’arrête pas à octobre 1944. Deuxans plus tard, c’est le cas de Robert Lamy qui estdiscuté devant le Conseil d’État. Ce dernier sti-pule que « c’est abusivement que la CommissionNationale a entendu exclure des listes des lieux dedéportation, les locaux dans lesquels (ils se trou-vaient) enfermés.» Toutefois, le Conseil d’Étatdécide qu’à partir du 12 avril 1945, date de leurprise en charge par la Croix-Rouge suédoise, les« Ducancé » ne sont plus des déportés.Plusieurs déportés ne reçoivent pourtant leur carteque pour une période de déportation s’arrêtant au19 octobre 1944. Tous ne déposent en effet pas derecours après la décision de la CommissionNationale qui peut rendre sa décision sans l’avisdu Conseil d’État. Le titre de déporté suffit à lamajorité des « Ducancé » qui ne souhaitent pasentrer dans de nouvelles démarches administrativespour des problèmes de dates. Au total, sur les 327déportés ayant obtenu un titre, on compte 159déportés politiques, 165 déportés résistants, et

seulement trois n’ayant que celui d’interné. Cetteproportion indique que la quasi-totalité trouveplace, d’un point de vue légal, dans ce mondecomplexe des déportés.La reconnaissance juridique de la déportation des« Ducancé » et leur apparente intégration à l’ami-cale de Neuengamme trouvent cependant deslimites. Si certains ont pu, à titre individuel, adhérerà l’amicale de Neuengamme, cette dernière resteméfiante envers ceux qui sont considérés commedéportés spéciaux. Maurice Choquet, anciendéporté de Neuengamme, s’étonne, en 1983, de voirpublier le livre de Maurice Reynaud, Potences etpots de fleurs. Journal d’un déporté àNeuengamme. Il affirme qu’on « ne peut admettreque son journal prétende parler de la déportation àNeuengamme ! ».C’est pour ces raisons de mise à l’écart naturelle ouforcée que certains écrits n’ont été publiés qu’à 300exemplaires pour que la mémoire des« Ducancé » puisse circuler en interne. Deséchanges existent encore entre enfants de« Ducancé » et l’amicale de Neuengamme. Ainsi,Raymonde Voize, fille de Raymond Voize, écrit àla Commission d’Histoire de l’amicale deNeuengamme en mai 2007 pour s’étonner del’oubli des « Ducancé » dans la liste que l’amicale adressée pour son Mémorial. La réponse indiqueque cet oubli n’en est pas un et que les anciens ducamp C de Compiègne ne partagent pas les mêmessouvenirs que les autres déportés. Cette mise àl’écart est vécue par les descendants de certains« Ducancé » comme un véritable ostracisme.La méconnaissance de ce groupe est aussi illustréepar sa dénomination au sein du camp. Plusieurstémoins indiquent l’appellation de « Prominenten »pour les désigner. Or, ce terme rassemble tous les« privilégiés » des camps de concentration, déportésd’honneur, mais aussi responsables au sein desdétenus comme les Kapos, les chefs de blocks ou ledoyen (Lagerältester). Le terme de « Prominenten »semble avoir été donné par lesAllemands sur place,mais la définition se rapprocherait plutôt de celle de« privilégiés ».Prominent se traduit littéralement enAllemand par « éminent ». Les déportés d’honneurde Neuengamme semblent être englobés dansla définition mais constituent cependant uneparticularité. Pour éviter toute confusion sur cespersonnalités-otages, il est sans doute préférabled’utiliser une expression française, « déportéséminents » par exemple, ou pour suivre le premierprésident de l’amicale de Neuengamme, MarcelPrenant, « déportés de marque », ce qui rend assezbien compte des singularités propres à ce groupe dedétenus.�

Benoît LUC

Benoît Luc a soutenu en novembre 2009 un mémoire de Master 2 àl’université de Caen Basse-Normandie sur les « déportés d’honneur »sous la direction du Professeur Jean Quellien. Il vient de publier auxéditions Vendémiaire Otages d’Hitler reprenant l’essentiel de cemémoire. Le présent article met en relief une des populations concer-nées par cette politique allemande de mise à l’écart. Benoît Luc avaitprécédemment publié son mémoire de Master 1, Les déportés deFrance vers Aurigny 1942-1944, édité par Eurocibles en mai 2010.

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La reconnais-sance juridiquede ladéportationdes « Ducancé»et leur appa-rente intégra-tion à l’ami-cale deNeuengammetrouventcependantdes limites.Si certains ontpu, à titreindividuel,adhérer àl’amicale deNeuengamme,cette dernièrereste méfianteenvers ceuxqui sontconsidéréscommedéportésspéciaux

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DeVogüé Bertrand,Les aventures deM.Ducancé. Quelques croquis, quelquesdates, Reims, Imprimerie du Nord-Est,1946F.N.D.I.R./U.N.A.D.I.F.,Leçon de ténè-bres. Résistants et déportés, Paris, Plon,1995Luc Benoît,Les internés d’honneur oupersonnalités-otages, Master 2, Universitéde Caen, 2009

Fondation pour la mémoire de laDéportation,Livre-Mémorial desdéportés de France arrêtés par mesure derépression, Paris,Tirésias, 2004Prenant Marcel,Toute une vie à gauche,Paris, Encre, 1980Portefaix Raymond,L’Enfer que Danten’avait pas vécu,Aurillac, ImprimerieModerne, 1988Reynaud Maurice,Potence et pots de

fleurs. Journal d’un déporté deNeuengamme, Rouen,Defontaine, 1945Thuriet Maurice, Journal de M.Ducancé,juin 1944-mai 1945. Journal de ma dépor-tation à Neuengamme, BesançonWidemann Roger, Itinéraire d’un« Prominent » juin 1944/mai 1945, Paris,La DéfenseDossiers individuels du SHD-BAVCC,Caen

Sources bibliographiques et documentaires

Liste des élus municipauxMaires

Nom Prénom Ville DépartementBREZET Eugène Saverdun AriègeDURANDEAU Albert Ax-les-Thermes AriègeCHANDON DE BRAILLES François Chaource AubeHAON André Toulouse Haute-GaronneLEMAIRE Eugène Châtillon-Colligny LoiretBONNAT Martial Agen Lot-et-GaronneMAURY Paul Florac LozèreNOIROT Pierre Reims MarneCHASTAING Paul Senlis OiseDELARUE Fernand Bresles OiseDESGROUX Charles Beauvais OiseFOURNIER Fernand Montataire OiseLEROUGE Jean-Baptiste Carlepont OisePAUQUET Henri La Neuville en Hez OiseBOUIX Joseph Amélie-les-Bains Pyrénées-OrientalesDESRICHARD Louis Paray-le-Monial Saône-et-LoirePOISSANT Maurice Rouen (jusqu’à avril 1943) Seine-InférieureBRAULT Raymond Albi TarnBAYLET Jean Valence d'Agen Tarn-et-GaronneDE BAUDRY D'ASSON Armand La Garnache VendéeBRAHY Raymond Mirecourt VosgesPASCAL Charles Argentueil sur Armançon YonneBERTRAND-LAZARE Félix Sens Yonne

Adjoints aux mairesCLIGNET Georges Reims MarneDE VOGÜE Bertrand Reims MarneHUET René Reims MarneJARDELLE Roger Reims MarneMERIC Jean-Baptiste Cahors LotMOINARD Auguste La Rochelle Charente-MaritimeSOUCHAL Gilbert Saint-Dié VosgesULRICH Jean Saint-Dié VosgesWOILLEZ Georges Beauvais Oise

Étude faite sur les 348 Ducancé dont la profession est connue

Professions Effectif ProportionProfessions agricoles 4 1,1Ouvriers 23 6,6Artisanat 13 3,7Commerce 22 6,3Employés et cadres inférieurs 9 2,6Cadres supérieurs 27 7,8Autres fonctionnaires 111 31,9Militaire 37 10,6Hommes d'Etat 2 0,6Patrons et chefs d'entreprise 22 6,3Professions libérales 67 19,3Clergé 11 3,2Total 348 100,0

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La montée des fascismesdans l’Europe des annéesvingt et trente

Le regain d’audience etle retour en force dudiscours nationaliste,en France, en Europeet ailleurs dans lemonde, redonnent uncaractère d’actualitéparticulier à une

réflexion sur la nature et la montée desfascismes dans les années vingt et trente.La rédaction de « Mémoire vivante » pro-pose, avec ce premier numéro de 2011,d’entamer série de réflexions rétrospec-tives portant sur l’avènement des fas-cismes en Europe, le contenu idéologiquequ’ils véhiculent, les contextes politiqueset sociaux qui ont permis ou accompagnél’arrivée au pouvoir des principaux d’entreeux, Mussolini en Italie et Hitler enAllemagne, leurmode d’investissement etd’exercice du pouvoir puis leur radicalisa-tion au cours de laDeuxièmeGuerremon-diale et les crimes commis contre l’huma-nité qui suivirent.Sans doute ce rappel est-il unemanière derendre la « mémoire vivante ».

Selon l’expression de Serge Berstein,l’Europe connaît, au début du XXe siècle,un « embrasement idéologique » et unesérie de crises, économique, identitaire etsociale léguées par la Grande Guerre et ladépression qui suivit, sur fond de peur dugrand « incendie révolutionnaire » alluméà l’Est par le régime bolchevique. Inspirépar le discours nationaliste le plus violent,antidémocratique et antilibéral, encou-ragé voire inspiré par des classes diri-geantes conservatrices et réactionnaires,cet embrasement portera au pouvoir lesrégimes fascistes et dictatoriaux à l’originede la Deuxième guerre mondiale et desdérives criminelles qui l’ont marquée.

Première partieFascisme italien et nazisme allemand : lesprémices.L’émergence des régimes fascistes en Italieet en Allemagne n’est pas le fait duhasard. Elle est l’aboutissement d’unecrise de confiance des peuples concernés

dans les institutions démocratiques issuesde la Grande Guerre, apparemmentimpuissantes à résoudre les crises succes-sives auxquelles les sociétés se sont trou-vées confrontées après guerre, et de l’im-pact du discours national-populiste de lea-ders charismatiques sur les opinions dés-emparées.

Années 1919-1920 : L’héritage de laGuerreEn Italie et en Allemagne, comme dans lereste du monde, la guerre a fait desravages et laisse désemparées des quanti-tés de démobilisés, de blessés et d’inva-lides, incapables de se réinsérer dans unmonde devenu étranger pour eux.Phénomène récurrent d’ailleurs, constatéà chaque fin de conflit armé, et auquelsont confrontés les belligérants, qu’ils’agisse de ceux de la Première ou de laDeuxième Guerre mondiale, ou plusrécemment, de la France, avec la fin de laguerre d’Algérie, de la Russie avec la finde la guerre d’Afghanistan, des États-Unisà la fin de la guerre du Vietnam, ou del’Algérie de l’après indépendance, etc.Mais, dans le contexte particulier del’Allemagne et de l’Italie, ce phénomèneva connaître des prolongements d’unetout autre nature.Dans ces pays en effet, la question va sedoubler d’un sentiment populaire pro-fond de frustration et d’orgueil nationalblessé.L’Italie, en tant que pays du camp desvainqueurs, aurait pu échapper au proces-sus.Mais la crise économique et les espoirsbrisés d’extension territoriale des traitésde 1919 déchaînèrent les passions natio-nalistes. L’Allemagne, pays défait sinonvaincu, ressentit avec humiliation le traitéde Versailles, qu’elle ne fut pas invitée ànégocier mais seulement « à signer etqualifiera de diktat.Des deux côtés donc, le discours nationa-liste s’enflamma en direction d’une opi-nion blessée et des bataillons de réser-vistes, bien encadrés, prêts à en découdreà nouveau avec l’ennemi qui leur seraitdésigné.

Le cas italienL’Italie subit une saignée de quelque 600000 morts. Son économie désorganiséeaccuse un déficit financier et un endet-tement extérieur extrêmes. Les espoirsattendus d’un règlement de la Paix quiparachèverait l’unité italienne, confére-rait à l’Italie « des frontières naturelles »et favoriserait le rattachement desrégions de langue italienne (dont leport de Fiume), se heurtent à l’intransi-geance du président Wilson qui refusetoute concession territoriale. Le traitéde Saint-Germain-en-Laye, dont le gou-vernement Orlando sort les mains vides,provoque une immense amertume,d’autant que la France et l’Angleterres’étaient engagées à appuyer les reven-dications territoriales de l’Italie pourprix de son engagement à leurs côtésdans le conflit mondial. Le chef de filedes nationalistes Gabriele D’Annunziodénonce alors une « victoire mutilée »ainsi que le sacrifice de centaines de mil-liers de combattants rendu inutile par «un complot de l’impérialisme bancaireétranger » contre la nation prolétaire.Le 11 septembre 1919 D’Annunzio s’em-pare de la ville Fiume, par un coup deforce éphémère tandis que, dès le 23mai 1919 Mussolini fondait à Milan lesFasci italiani di combattimento (les fais-ceaux italiens de combat) qui vêtiront lachemise brune.L’industrie italienne à court de com-mandes, confrontée au difficile pro-blème de la reconversion de son appa-reil productif de guerre vers des produc-tions du temps de paix, se tourne versl’État pour obtenir des capitaux et desmesures protectionnistes. Le mondeouvrier, témoin des énormes bénéficesréalisés pendant la guerre par les indus-triels, demande de son côté une redistri-bution des richesses et l’augmentationde niveau de vie promise au cours de ladernière année de guerre. La paysanne-rie enfin, consciente de son rôle émi-nent pendant la guerre, réclame des loisagraires et occupe les terres des grandsdomaines latifundiaires.

«

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Faillites d’entreprises, pénurie dedevises, crise des finances publiques,déficit de la balance commerciale, chô-mage et affaiblissement du marché inté-rieur, crise mondiale enfin accentuent lesentiment de détresse morale et écono-mique et concourent à l’apparition d’unclimat révolutionnaire. Grèves et occu-pations d’entreprises se multiplient. En1920, le cabinet Giolitti rétablit provisoi-rement la situation avec le concours desétats-majors syndicaux et obtient la findes occupations d’usines, tandis que lapeur du chômage fait perdre de la com-bativité aux travailleurs. La situationaurait pu se stabiliser avec la mise enplace d’une constitution et de nouvellesinstitutions, mais la classe dirigeante yfait écran. Industriels et grands proprié-taires adoptent une attitude franche-ment réactionnaire et subventionnentle fascisme dont ils utilisent les servicespour démanteler les organisationsouvrières, syndicats et coopératives etremettre en cause les acquis sociaux.Les gouvernements tolèrent par ailleursla montée de la violence fasciste quis’étend à tout le pays en 1922. Lesconservateurs, les nationalistes, une par-tie de l’armée et des membres de lafamille royale se rallient à l’idée d’uncoup d’État. Le 16 octobre 1922,Mussolini et ses lieutenants lancent lafameuse Marche sur Rome. Descolonnes de Chemises noires s’ébranlentle 27 octobre vers Rome dans uneimprovisation presque totale, sous unepluie diluvienne qui aurait permis de lesarrêter facilement. Le Premier ministretente de jouer une dernière carte endécrétant l’état de siège dans Rome,mais le roi refuse de signer le texte etd’engager l’armée et invite Mussolini àvenir à Rome constituer le ministère.

Le cas allemandDans l’Allemagne de Weimar, la sociétése trouve confrontée au blocage du

mécanisme de modernisation amorcépar la révolution industrielle du XIXesiècle. L’accélération des processus éco-nomiques et sociaux subit, après laGrande Guerre, un freinage brutal quiprovoque un sentiment généraliséd’échec dans tous les secteurs de la viecollective : jeunesse, industrie, institu-tions sociales, fracture de milieuxsociaux traditionnellement cohérents,déficit culturel des masses.Ce sentiment d’échec s’observe d’abordsur le terrain social. Le développementdes institutions sociales, héritées del’Allemagne impériale et de Bismarck,comme la création des régimes d’assu-rances maladie, d’assurances chômage,de l’assistance maternelle semble devoirse poursuivre au sortir de la guerre. Lepatronat allemand promet des avancéesimportantes à un mouvement ouvrierpuissant et organisé, dont la journée de8 heures, l’arbitrage obligatoire desconflits sociaux, la création d’un ensem-ble d’organismes de concertation telsque les comités d’entreprise, les conseilsrégionaux mixtes etc., qui concourent àinstaurer ce qui est considéré comme un« capitalisme organisé », ni capitalismelibéral, ni socialisme à la manière bol-chevique, se proposant de dépasser lalutte des classes dans une synthèse nou-velle.Progrès et avancées sociales paraissentmieux réussir dans certains secteurs, chi-mie et électricité en particulier, que dansd’autres, charbonnages et sidérurgie,dont la reconversion au temps de paixest plus difficile. L’histoire sociale dupatronat allemand est marquée par lefossé grandissant séparant les industriesde pointe, partisanes d’une politique dedétente diplomatique et du développe-ment des échanges internationaux et lecouple sidérurgie-charbonnage, conser-vateur, nationaliste et réactionnaire, quiencourage les mouvements d’extrêmedroite.

L’absence de croissance économiquedétache cette partie du patronat, la pluspuissante, du régime politique deWeimar qu’elle accuse de ses propreséchecs. Elle prend la législation socialepour cible, casse le mécanisme de l’arbi-trage – notamment à l’occasion dufameux « lock-out » des ouvriers de laRuhr en 1928, où du jour au lendemaindes centaines de milliers d’ouvriers sontjetés sur le pavé pour mettre un termeaux négociations sociales- s’attaque ausyndicalisme1, puis finalement à lasociale démocratie et au régime républi-cain lui même.Amplifié par le ressentiment et l’humi-liation de la défaite, le blocage desmécanismes de modernisation del’Allemagne fragilise la démocratie, faitcraindre une contagion bolcheviste etdonne crédit au discours du NSDAP quiapparaît comme un élément possible destabilisation et de remise en ordre d’unesociété sans perspectives, à laquelle ladémocratie semble incapable de propo-ser des horizons d’attente.�

Dossier préparé par Yves Lescure

Prochain article : idéologies, accessionsau pouvoir et instauration de régimestotalitaires en Italie et en Allemagne.

Serge Bernstein et Pierre Milza,Dictionnaire des fascismes et dunazisme André VERSAILLE Editions,2010.Serge Bernstein et Pierre Milza L’Italiecontemporaine du Risorgimento à lachute du fascisme, Armand Colin, Paris1995.Emilio Gentile, Qu’est-ce que le

fascisme, Histoire et interprétation,éditions Gallimard, 2004, traduit del’italien par Pierre-Emmanuel Dauzatde Fascismo, Storia interpretazione etpublié avec l’accord des EditionsGiuseppe Laterza&FigliI Spa RomeBari.Ayçoberry Pierre, conférences sur lamontée du nazisme faites en 2008,

2009, 2010 aux séminaires de Mémoireorganisés par la Fondation pour lamémoire de la Déportation au FAI(Foyer d’Amitié Internationale ) de LaClaquette (Bas Rhin).Kershaw Ian Qu’est-ce que lenazisme ? Problèmes et perspectivesd’interprétation Paris, Gallimard, Folio,1997.

Sources bibliographiques et documentaires

1 - Sur l’attitude des dirigeants des industries métallur-giques à l’égard du syndicalisme on se reportera utilementà l’ouvrage de William Manchester Les Armes des Krupp1587-1968, Laffont, Paris 1970.

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Une lueur qui s'éteintprématurèment

Née en 1975, à Ellrich enRDA, dans une famille depépiniéristes installée à lasortie de ce village situé enRDA, Dorothée August

raconte avec humour et ferveur sarésistance morale et intellectuelled’enfant au régime du SED. Après desétudes de biologie elle se spécialisedans la préservation des milieuxhumides et se découvre une passionpour cette cause. Elle effectue un stagedans le delta du Danube en Roumanie,puis sur la Loire en France où elleapprend le français.Sa vie professionnelle commence enSuisse au RAMSAR, organisme interna-tional portant le nom de la ville où ilfut créé en Iran en 1971, pour la pré-servation des milieux humides dans lemonde. Elle entre ensuite dans ledépartement « préservation de l'eaupotable » auWW F de Francfort ce quilui vaut de nombreuses missions àl’étranger, notamment en Afrique.Présente à la commémoration du 50e

anniversaire de la libération du camp deDora en 1995, elle entend l’appel lancépar Jacques Brun en direction de la jeu-nesse qu’il invite à prendre le relais de latransmission de la mémoire de ce terriblecamp de Dora. Vivement impressionnéepar ce qu’elle vient d’entendre, elledécide aussitôt de relever le défi et yconsacre toute son énergie, joyeuse etindomptable, et elle réussit là où beau-

coup d’autres auraient baissé les bras.Avec un groupe de jeunes gens et dejeunes filles, elle crée, dès 1995, l'associa-tion Jugend für Dora (www.jfd-ev.org)dont les travaux et les liens d'amitié tissésavec les associations de Déportés au fildes années sont exemplaires. Au débutdes années 2000, Renée Grihon etDorothée organisent ensemble avec descollégiens « LesMarches de la Vie » sur lestraces des évacuations (les Marches de lamort) à travers le massif du Harz.

Chaque année en août, elle organiseun camp d'été réunissant des étudiantsde toute l'Europe et travaille avec sapetite association aussi bien dans lesarchives que sur les sites, ou l’expres-sion artistique et théâtrale, sans négli-ger l’approfondissement historiqueavec le concours de professeurs d'his-toire. Elle décide la réhabilitation de lamémoire sur le site abandonné ducamp annexe d'Ellrich-Juliushütte, dontles accès sont assainis et balisés et surlequel elle fera apposer les tout pre-miers panneaux d'information. Son tra-vail sera déterminant pour la suite del’évolution du « projet Ellrich ». EtDorothée s'investira complètementdans son aboutissement.Jugend für Dora s'intéresse aussi à laRésistance en France : en 1999 l’associa-tion visite La Coupole, à Saint Omer,d’où devaient partir les V2 destinées àmettre l’Angleterre à genoux, lesplages du débarquement en

Normandie et Paris ; en 2003 elle parcourtle Sud-Est en étudiant les filières d'éva-sion ; en 2008 elle visite le camp deNatzweiler Struthof. L’été dernier l’asso-ciation organisait un voyage de mémoiresur les camps d'extermination.

Au premier rang, de gauche àdroite Jens Wagner directeur duMémorial, Philippe Reyx AmicaleDora Ellrich et Dorothée August, audeuxième rang Gisella Schrötermairie d'Ellrich et Matthias Heroldmaire d'Ellrich.

Mars 2009, entoureede deux membresde l'association,diner precedant lesrendez-vous dulendemain, aupremier planPhilippe Reyx.

Dorothee a la remise du prix RegineHildebrandt a Jugend fur Dora 2007.

©Collectionprivée

©FMD

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MÉMOIRE VIVANTE N°68/15

L’une des initiatives les plus spectaculairesde l’association fut le tracé, à l’occasiond’un camp d’été de Jugend für Doracamp d’une « ligne rose », peinte sur lestrottoirs de la ville de Nordhausen etconvergeant depuis trois directions vers leCimetière d'Honneur de la ville où furentinhumés des milliers de détenus mortsdans les jours qui ont précédé l’arrivéedes troupes américaines ou juste après.

A l’occasion du 65e anniversaire de la libé-ration des camps, en avril 2010, Jugendfür Dora faisait paraître un livret et undvd : « L'avenir des témoins », recueild'interviews de déportés filmées dansplusieurs pays d'Europe.Dorothée August a été emportée le 11janvier 2011 d’une méningite fou-droyante, dans sa trente-cinquièmeannée, en pleine maturité, laissant une

œuvre considérable derrière elle et unmonde de la mémoire profondémentbouleversé par l’extinction brutale decette lueur rayonnante.Jugend für Dora continuera parce queDorothée a su lui insuffler son énergievitale.�

Pourquoi la torture ?Serge PortelliLibrairie philosophiqueVRIN - Philosophieconcrète Paris, 312pages, 20 €.

Un livre que tous lesacteurs de mémoire dela Déportation doiventavoir lu, un formidablerappel historique et unréquisitoire sans conces-sion.Magistrat, président dela 12e chambre correc-tionnelle du Tribunal deParis et vice président dutribunal de Grande

Instance de Paris, Serge Portelli est l’auteur de plusieursouvrages sur le droit, la justice et la politique.Son livre Pourquoi la torture ? présente une somme essentiellede réflexions sur la torture, son histoire, son évolution au coursdes siècles, son actualité et ses liens avec les droits de l’homme,le droit, la justice, la guerre et le terrorisme d’aujourd’hui.Le cadre est donné dès l’introduction. Le débat est posé : latorture n’aurait-elle pas, tout compte fait, une certaineutilité ? (…) Les opinions publiques, ébranlées, hésitent. Raisonsuffisante pour reprendre la parole. (…) La torture a demultiples complices. Les plus fidèles d’entre eux s’appellent lesilence, l’oubli, dans les abîmes duquel s’endorment lesconsciences et se glissent les bourreaux. (…) Oublions le« devoir de mémoire » tellement associé à l’hypocrisie descérémonies, des discours de circonstance et des breloques inu-tiles. La mémoire est l’outil du présent. (…) En acceptant latorture, les hommes s’associent à cette dégradation (de l’hu-

manité). Leur silence ou leur acceptation tacite les ravalenttous à l’état de bête.Serge Portelli s’interroge sur la banalité du mal, lesbourreaux ordinaires, les pervers criminels. Il ne croit pas quece mal soit le seul apanage des hommes infâmes, maisconstitue une grandeur négative de l’homme, sa partmaudite,sa part sombre d’humanité.L’un des problèmes réside dans le silence dont on entoure latorture, l’un des crimes les plus pervers, les plus graves etles plus atroces qui vise le cœur de l’homme, le cœur de l’huma-nité. Les lois d’amnistie sont les plus belles armes offertes auxbourreaux ; elles jettent une chape de plomb sur le passé aupoint que le fait même d’en parler devient condamnable.Mais le silence se fissure, grâce notamment à l’émergenced’une justice pénale internationale et parce que certainessociétés s’organisent pour sortir du piège du silence (Afrique dusud, Rwanda, etc.). Ce qui change également aujourd’hui, c’estque la pratique de la torture ne passe plus inaperçue. Leremarquable travail des ONG rompt lemur du silence. La bana-lité du phénomène disparaît. Mais en dépit desprohibitions nombreuses et des interdictions, la question de lapermanence de la torture reste posée avec, en particulier,l’apparition du nouveau concept de torture « sans traces »,l’une des évolutions les plus consternantes de ces dernièresdécennies. Avec un raffinement sans précédent, elle s’attaqueau psychisme de l’homme avec la complicité des sciences ducomportement. Une nouvelle menace plus sournoise seprofile, avec le débat ouvert aux États-Unis sur la notion de« torture démocratique », principe selon lequel la pratiqued’une certaine forme de torture résulterait d’un consensusdémocratique !Ce livre renvoie aux fondements de l’humanité et s’inscrit dansune démarche et une réflexion anthropologiques et philoso-phiques incontournables pour les consciences qui veulentrester en éveil.

Yves Lescure

Publications récentes

Communication de l’Amicale de Bergen-BelsenL’amicale des anciens déportés (femmes et enfants de pri-sonniers de guerre juifs) de Bergen-Belsen cherche à rassem-bler (quelque peu tardivement certes) les témoignages detous les déportés transférés au camp, en provenance descamps nazis (Auschwitz, Buchenwald, Sachsenhausen,Dachau, Dora, Flossenbürg, Neuengamme, Ravensbrück etleurs Kommandos), entre 1943 « et 1945, qu’ils aient été

transférés pour raison de santé ou évacués en raison del’avance des armées alliées.Cette documentation s’ajoutera aux témoignages déjàrecueillis sur le groupe initial. Si des témoignages ont déjàété enregistrés, merci de le signaler.Contact : Samuel PINTEL, secrétaire général, tél 01 30 35 3596 ou adresse postale : 2 rue Gaudron 95270 Viarmes

Page 16: Mise en page 1pées. Né en 1872,Sarraut a alors 72 ans.Député de 1902 à 1924, il fut sénateur à partir 1926. Il a occupé des fonctions gouvernementales, été plu-sieurs fois

16/MÉMOIRE VIVANTE N°68

Le récit d’un homosexuel déportéJean-Luc Schwab, Rudolf Brazda,itinéraire d’un Triangle rose, Édi-tions Florent Massot, 256p., Paris,2010.

Les témoignages d’homosexuelsinternés dans les camps sont rares.Rudolf Brazda, matricule 7952 àBuchenwald a attendu d’êtrepresque centenaire pour confier sessouvenirs, heureux et malheureux, àJean-Luc Schwab. « Itinéraire d’unTriangle rose », en référence à la

marque qui distinguait les homosexuels des autres détenus dansles camps, est un livre qui détaille l’engrenage répressif dontétait victime les homosexuels en Allemagne et dans les paysannexés sous Hitler et le sort de quelques-uns d’entre eux dansl’un des grands camps de la répression nazie.Rudolf Brazda n’est pas l’un des 62 déportés français arrêtéspour motif d’homosexualité. D’origine tchèque, il n’a acquis lanationalité française qu’après la seconde guerre mondiale,ayant suivi, après la libération du camp, son compagnon d’alors.On peut retenir deux éléments essentiels de cet ouvrage sérieux,Jean Luc Schwab ayant consacré beaucoup de temps à vérifier etétayer auprès des meilleures sources les propos de son interlocu-teur. Le premier est la ténacité de la machine judiciaireallemande à appliquer l’article 175. Une première foiscondamné, Rudolf Brazda a été systématiquement rattrapé parce passé dès qu’il a été soupçonné de pratiques homosexuelles.À la fin de sa dernière peine de prison, en juin 1942, il est frappéd’une mesure de « Schutzhaft » qui le conduit en août 1942 àBuchenwald.Pris en affection -mais selon son témoignage il résiste à sesavances- par le Kapo de la Carrière, il est affecté en décembre1942 au Kommando des couvreurs (son métier) et hébergé aublock 30. Sans doute parce que ses sympathies communistes onttranspiré, il y est relativement protégé par l’un des Kapo et unancien brigadiste français originaire d’Alsace, qui sera soncompagnon de retour.Second point fort de l’ouvrage les passages consacrés à la sexua-lité dans le camp. C’est un sujet très rarement présent dans lesmémoires et témoignages, mais que le Mémorial deBuchenwald vient d’aborder avec prudence dans le cadre d’uneexposition temporaire sur le « puff », le bordel de Buchenwald.Mais la part homosexuelle de la sexualité est généralementignorée. J-L Schwab s’appuyant sur le témoignage de Brazda lapose dans le cadre de la question du consentement dans uncontexte de stratégie de survie, pour l’opposer à l’homosexua-lité conçue ou perçue comme des sévices.Le 10 mai 1945, Rudolf suivant Fernand sera à Mulhouse.L’un retrouvera ses parents et ses frères. Le second devrareconstruire sa vie.

Jean-Marie Winkler, Gazage de concentrationnaires auchâteau de Hartheim.L’ « action 14f13 » en Autriche annexée (1941-1945).Nouvelles recherches sur la comptabilité de la mort.Préface Yves Ternon. Coll. « Ces Oubliés de l’Histoire »,Editions Tirésias –Michel Reynaud, Paris, 2010(386p. couleur, ISBN 978-2915293616, 30 €)

La chambreà gaz duchâteau deHartheim futmise au ser-vice du campde concen-tration voi-sin de Mau-thausen àpartir d’août1941. Entre1941 et 1942,y furent ga-zés des « in-valides » etdes « inaptesau travail », en grande majorité Espagnols, Polonais etAllemands du Reich, dont de nombreux « asociaux » ou« Tsiganes » dans le cadre de ce qui fut codifié « action14f13 » par les nazis. En 1944, s’y ajoutèrent des prison-niers de guerre soviétiques, des « Juifs hongrois », desFrançais, des Italiens, des Grecs, des Yougoslaves etd’autres. Les archives du camp deMauthausen, retrouvées,portent la trace des morts en « sanatorium » ou en « campde convalescence », noms code désignant la chambre à gazde Hartheim. Un système d’écritures comptablesdissimulait les assassinats en fractionnant les listes desconvois et en décalant l’enregistrement des décès dans letemps, jusqu’à plusieurs mois après la date réelle.L’interprétation de documents existants, ainsi que ladécouverte de documents inconnus, parmi lesquels desarchives clandestines tenues par le Dr Z. Klar, médecin auBlock 6 du Revier, ont permis de remonter à la réalité desconvois de l’été 1944. Le livre de Jean-Marie Winkleranalyse ces assassinats, tout en montrant comment lacomptabilité nazie s’est efforcée de banaliser, voire dissi-muler des exterminations dont certaines ont participé augénocide, (cas du premier convoi du 11 août 1941,composé exclusivement de Juifs, et premier gazage de la« solution finale » accompli hors des centres d’extermina-tion). Le mérite de Jean-Marie Winkler est d’avoir dereconstitué les principaux mécanismes de cette dissimula-tion « administrative » pour une meilleure lisibilité de lavérité historique.

Mémoire Vivante - Trimestriel édité par la Fondation pour la mémoire de la Déportation - A. S. B. L. reconnu d’utilité publique (décret du 17 octobre 1990)Placée sous le haut patronage de M. le Président de la République - SIRET 380 616 433 00047 APE 913 - C. C. P. 19. 500 23 W Paris - 30, boulevard des Invalides - 75 007 PARIS

Tél. : 01 47 05 81 50 - Télécopie : 01 47 05 89 50 - internet : http://www.fmd.asso.fr - Email : [email protected] numéro a été réalisé par les ÉDITIONS TIRESIAS, Hall 1, 21 rue Letort - 75 018 Paris, maquette, création, mise en page par Patrick Puech-Wilhem

sous la direction artistique de Michel Reynaud - Impression : bialec Nancy 54 001. - N° 68 mars 2010 - Dépôt légal : mars 2011Directeur de la publication Marie-José Chombart de Lauwe - Directeur de la rédaction Jean-Luc Bellanger - Rédacteur en chef Yves Lescure

Commission paritaire N° 0713 G 88240 - ISSN 1253-7535

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