Mise en page 1 (Page 1) - Crif · Juifs arrivés du Maroc. Depuis 2004, une radio juive existe en...

1
L a proposition faite par le gouverne- ment de Mariano Rajoy d’accorder la citoyenneté espagnole aux Juifs séfa- rades devrait être différemment perçue selon les communautés juives concernées. Chaleu- reusement accueillie de manière générale, elle pourrait représenter, pour les Juifs séfa- rades qui vivent en Turquie ou en Amérique latine, une aubaine qui, en outre, pourrait aussi leur permettre de rejoindre le vieux Continent, bien que cette acquisition de la nationalité ne soit plus conditionnée à une installation sur la Péninsule ibérique. En France en revanche, l’idée de pouvoir acquérir la nationalité espagnole, ne semble pas avoir encore suscité un immense en- gouement. «Je suis aujourd’hui français. Ac- quérir la nationalité espagnole ne ferait pas changer la couleur de mon passeport, qui resterait un passeport européen », explique Haïm Azancot, 54 ans, natif de Tanger au- jourd’hui installé à Paris. Pour cet homme, passionné par la culture séfarade, la vitalité des communautés juives issues d’Espagne et installées en Amérique du Sud, en Grèce, en Turquie ainsi que dans les pays des Balkans, conjuguée à l’intérêt que manifestent les sé- farades à l’égard de leurs origines, pourrait néanmoins provoquer quelques mouvements migratoires. « Dans tous ces pays, il y aura bien évidemment quelques personnes inté- ressées par la proposition du gouvernement espagnol. Et même si elles sont peu nom- breuses, leurs démarches seront forcément bien accueillies par les autorités espagnoles. Il pourra s’agir de médecins ou d’universi- taires… des Juifs qui auront conservé une approche sentimentale et qui souhaiteront renouer avec leur histoire », estime-t-il. Pour le gouvernement espagnol comme pour les autorités juives, il semble impos- sible d’estimer le nombre de Juifs qui s’apprêtent à formuler une demande de na- tionalité. Certes, les locuteurs du judéo-es- pagnol et du ladino se comptent par mil- liers mais combien seront-ils parmi eux à accomplir ce geste qui va au-delà du sym- bolique ? Entre 2006 et 2010, 698 Juifs sé- farades ont demandé la nationalité espa- gnole. Peut-être que la suppression de la clause de résidence provoquera une aug- mentation des demandes. Impossible d’estimer le nombre de Juifs qui s’apprêtent à formuler une demande de nationalité Mickaël, cinquante-deux ans, ne se dit pas intéressé par cette proposition. Son histoire familiale aurait pourtant pu lais- ser supposer le contraire. Descendant de Marranes (sa grand-mère avait conservé quelques rites tels ceux de ne pas manger de porc et de ne pas entrer dans une église), il a décidé de se convertir au ju- daïsme à l’âge adulte. «Notre identité est celle que l’on se façonne au quotidien. Je suis plus attaché à mon présent et à mon futur qu’à mon passé, même si ma fa- mille est originaire de Malaga », expli- que ce père de famille. Demander la na- tionalité espagnole reviendrait selon lui à entretenir une certaine nostalgie à l’égard du passé. «Or, dit-il, il faut davantage chercher à aller de l’avant ». S éfarade dans son immense majorité, la communauté juive espagnole ac- tuelle s’est constituée sur les bases d’une immigration de Juifs arrivés du Ma- roc, des Balkans ainsi que, plus récem- ment, d’Amérique latine. Madrid et Barcelone rassemblent à eux seules plus des deux-tiers de cette commu- nauté. C’est dans ces villes que la vie cul- tuelle est le plus développée. À Barcelone par exemple, deux synagogues, une séfa- rade et une ashkénaze, sont situées dans un même immeuble. Une école primaire et quelques associations juives sont installées, ainsi que des organisations telles que la «Fundacio Baruj Spinoza et la Federacion Hudae de Espana de Barcelone », dont la vocation est de soutenir des projets éduca- tifs, religieux et culturels. Une commu- nauté de tendance libérale s’est également constituée à Barcelone à la fin des années quatre-vingt-dix. Elle est essentiellement composée de Juifs originaires d’Argentine, généralement moins observants que les Juifs arrivés du Maroc. Depuis 2004, une radio juive existe en Es- pagne. Radio Sepharad a pour vocation de faire entendre la voix de la communauté et de faire connaître la culture juive. Face au parti-pris résolument propalestinien qui est celui de la presse espagnole, elle entend également lutter contre la désinformation. Un essor des communautés juives du Sud de l’Espagne s’est remarqué au cours de ces dernières années. À Marbella, toute une organisation communautaire s’est mise en place, sous l’impulsion de son président, Raphaël Cohen. Quelque trois cents famil- les constituent le noyau dur de cette com- munauté, qui, lors des fêtes de Pessah et pendant les vacances d’été, accueille cha- leureusement les touristes juifs, français et israéliens notamment. Les projets d’an- crage communautaire sont ici nombreux. Parmi eux, l’instauration d’une école juive, d’un tribunal rabbinique, d’une résidence communautaire pour personnes âgées ainsi que d’un cimetière. À Marbella comme ailleurs en Espagne, le tourisme peut être générateur d’un déve- loppement communautaire. En Andalousie, les autorités régionales ont récemment dé- cidé d’autoriser les mariages dans la syna- gogue historique de Cordoue. Cette possibi- lité devrait, selon elles, permettre d’engran- ger un afflux de touristes juifs dans la ville. Depuis de nombreuses années, les ef- forts consacrés pour promouvoir le tou- risme juif sont couronnés de succès. Qu’il s’agisse de la découverte d’anciennes sy- nagogues situées à Grenade, Séville, du Musée Sefardi, situé dans la synagogue El Transito dans l’ancien quartier juif de Tolède ou des «routes séfarades », re- constituées dans les villes dans lesquelles se trouvent des traces architecturales d’une présence juive ancienne, l’intérêt pour ce patrimoine cultuel et historique demeure prégnant. L.E. La proposition d’acquérir la nationalité espagnole suscite certes des réactions enthou- siastes, mais ne devrait pas être suivie de grands effets. On estime entre 40.000 et 45.000 le nombre de Juifs qui vivent aujourd’hui sur la péninsule ibérique. Une com- munauté de petite taille mais plutôt bien organisée. Aperçu. SANDRINE SZWARC. SANDRINE SZWARC DR. A VIS MITIGÉS Séfarade aujourd’hui, espagnol demain ? V IE JUIVE EN E SP A GNE A UJOURD HUI Un renouveau fécondé par le tourisme, l’immigration et la culture LAËTITIA ENRIQUEZ À Marbella comme ailleurs en Espagne, le tourisme peut être générateur d’un développement communautaire. 1243 - J EUDI 7 F ÉVRIER 2013 35 DOSSIER

Transcript of Mise en page 1 (Page 1) - Crif · Juifs arrivés du Maroc. Depuis 2004, une radio juive existe en...

Page 1: Mise en page 1 (Page 1) - Crif · Juifs arrivés du Maroc. Depuis 2004, une radio juive existe en Es-pagne. Radio Sepharad a pour vocation de faire entendre la voix de la communauté

L a proposition faite par le gouverne-ment de Mariano Rajoy d’accorder lacitoyenneté espagnole aux Juifs séfa-

rades devrait être différemment perçue selonles communautés juives concernées. Chaleu-reusement accueillie de manière générale,elle pourrait représenter, pour les Juifs séfa-rades qui vivent en Turquie ou en Amériquelatine, une aubaine qui, en outre, pourraitaussi leur permettre de rejoindre le vieuxContinent, bien que cette acquisition de lanationalité ne soit plus conditionnée à uneinstallation sur la Péninsule ibérique.

En France en revanche, l’idée de pouvoiracquérir la nationalité espagnole, ne semblepas avoir encore suscité un immense en-gouement. «Je suis aujourd’hui français. Ac-quérir la nationalité espagnole ne ferait paschanger la couleur de mon passeport, quiresterait un passeport européen », expliqueHaïm Azancot, 54 ans, natif de Tanger au-jourd’hui installé à Paris. Pour cet homme,passionné par la culture séfarade, la vitalitédes communautés juives issues d’Espagne etinstallées en Amérique du Sud, en Grèce, enTurquie ainsi que dans les pays des Balkans,

conjuguée à l’intérêt que manifestent les sé-farades à l’égard de leurs origines, pourraitnéanmoins provoquer quelques mouvementsmigratoires. « Dans tous ces pays, il y aurabien évidemment quelques personnes inté-ressées par la proposition du gouvernementespagnol. Et même si elles sont peu nom-breuses, leurs démarches seront forcémentbien accueillies par les autorités espagnoles.Il pourra s’agir de médecins ou d’universi-

taires… des Juifs qui auront conservé uneapproche sentimentale et qui souhaiterontrenouer avec leur histoire », estime-t-il.

Pour le gouvernement espagnol commepour les autorités juives, il semble impos-sible d’estimer le nombre de Juifs quis’apprêtent à formuler une demande de na-tionalité. Certes, les locuteurs du judéo-es-pagnol et du ladino se comptent par mil-liers mais combien seront-ils parmi eux à

accomplir ce geste qui va au-delà du sym-bolique ? Entre 2006 et 2010, 698 Juifs sé-farades ont demandé la nationalité espa-gnole. Peut-être que la suppression de laclause de résidence provoquera une aug-mentation des demandes.

Impossible d’estimerle nombre de Juifs quis’apprêtent à formuler une demande de nationalité

Mickaël, cinquante-deux ans, ne se ditpas intéressé par cette proposition. Sonhistoire familiale aurait pourtant pu lais-ser supposer le contraire. Descendant deMarranes (sa grand-mère avait conservéquelques rites tels ceux de ne pas mangerde porc et de ne pas entrer dans uneéglise), il a décidé de se convertir au ju-daïsme à l’âge adulte. «Notre identité estcelle que l’on se façonne au quotidien. Jesuis plus attaché à mon présent et à monfutur qu’à mon passé, même si ma fa-mille est originaire de Malaga », expli-que ce père de famille. Demander la na-tionalité espagnole reviendrait selon lui àentretenir une certaine nostalgie à l’égarddu passé. «Or, dit-il, il faut davantagechercher à aller de l’avant ». ●

S éfarade dans son immense majorité,la communauté juive espagnole ac-tuelle s’est constituée sur les bases

d’une immigration de Juifs arrivés du Ma-roc, des Balkans ainsi que, plus récem-ment, d’Amérique latine.

Madrid et Barcelone rassemblent à euxseules plus des deux-tiers de cette commu-nauté. C’est dans ces villes que la vie cul-tuelle est le plus développée. À Barcelonepar exemple, deux synagogues, une séfa-rade et une ashkénaze, sont situées dans unmême immeuble. Une école primaire etquelques associations juives sont installées,ainsi que des organisations telles que la«Fundacio Baruj Spinoza et la FederacionHudae de Espana de Barcelone », dont lavocation est de soutenir des projets éduca-tifs, religieux et culturels. Une commu-nauté de tendance libérale s’est égalementconstituée à Barcelone à la fin des annéesquatre-vingt-dix. Elle est essentiellementcomposée de Juifs originaires d’Argentine,généralement moins observants que lesJuifs arrivés du Maroc.

Depuis 2004, une radio juive existe en Es-pagne. Radio Sepharad a pour vocation defaire entendre la voix de la communauté etde faire connaître la culture juive. Face auparti-pris résolument propalestinien qui estcelui de la presse espagnole, elle entendégalement lutter contre la désinformation.

Un essor des communautés juives duSud de l’Espagne s’est remarqué au coursde ces dernières années. À Marbella, touteune organisation communautaire s’est miseen place, sous l’impulsion de son président,Raphaël Cohen. Quelque trois cents famil-les constituent le noyau dur de cette com-munauté, qui, lors des fêtes de Pessah et

pendant les vacances d’été, accueille cha-leureusement les touristes juifs, français etisraéliens notamment. Les projets d’an-crage communautaire sont ici nombreux.Parmi eux, l’instauration d’une école juive,d’un tribunal rabbinique, d’une résidencecommunautaire pour personnes âgées ainsique d’un cimetière.

À Marbella comme ailleurs en Espagne,le tourisme peut être générateur d’un déve-loppement communautaire. En Andalousie,les autorités régionales ont récemment dé-cidé d’autoriser les mariages dans la syna-gogue historique de Cordoue. Cette possibi-lité devrait, selon elles, permettre d’engran-

ger un afflux de touristes juifs dans la ville. Depuis de nombreuses années, les ef-

forts consacrés pour promouvoir le tou-risme juif sont couronnés de succès. Qu’ils’agisse de la découverte d’anciennes sy-nagogues situées à Grenade, Séville, duMusée Sefardi, situé dans la synagogueEl Transito dans l’ancien quartier juif deTolède ou des «routes séfarades », re-constituées dans les villes dans lesquellesse trouvent des traces architecturalesd’une présence juive ancienne, l’intérêtpour ce patrimoine cultuel et historiquedemeure prégnant. ●

L.E.

La proposition d’acquérirla nationalité espagnole suscite

certes des réactions enthou-siastes, mais ne devrait pas être

suivie de grands effets.

On estime entre 40.000 et45.000 le nombre de Juifs qui

vivent aujourd’hui sur la péninsule ibérique. Une com-munauté de petite taille mais plutôt bien organisée. Aperçu.

SAND

RINE

SZW

ARC.

SAND

RINE

SZW

ARC

DR.

AVIS MITIGÉS

Séfarade aujourd’hui, espagnol demain ?

VIE JUIVE EN ESPAGNE AUJOURD’HUI

Un renouveau fécondé par le tourisme,l’immigration et la culture

LAËTITIA ENRIQUEZ

À Marbella comme ailleurs en Espagne, le tourisme peut être générateurd’un développement communautaire.

N° 1243 - J E U D I 7 F É V R I E R 201335D O S S I E R